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1 Les Soirées-Débats du GREP Midi-Pyrénées Cycle EDUCATION À l’ère du numérique, apprendre, enseigner et faire de la recherche ? par Amodsen CHOTIA, Physicien au Centre de Recherches Interdisciplinaires de l'Université Paris-Descartes. conférence-débat tenue à Toulouse le 2 février 2016 GREP Midi-Pyrénées 5 rue des Gestes, BP119, 31013 Toulouse cedex 6 Tél : 05 61 13 60 61 Site : www.grep-mp.fr

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Les Soirées-Débats du GREP Midi-Pyrénées

Cycle EDUCATION

À l’ère du numérique,

apprendre, enseigner

et faire de la recherche ?

par Amodsen CHOTIA,

Physicien au Centre de Recherches Interdisciplinaires

de l'Université Paris-Descartes.

conférence-débat tenue à Toulouse

le 2 février 2016

GREP Midi-Pyrénées

5 rue des Gestes, BP119, 31013 Toulouse cedex 6

Tél : 05 61 13 60 61

Site : www.grep-mp.fr

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Cycle EDUCATION

À l’ère du numérique,

apprendre, enseigner

et faire de la recherche ?

par Amodsen CHOTIA,

Physicien au Centre de Recherches Interdisciplinaires

de l'Université Paris-Descartes.

Bonsoir à tous et merci au GREP pour cette invitation.

Je travaille donc au Centre de Recherches Interdisciplinaires de l'Université

Paris-Descartes. Le meilleur moyen de le définir c’est de reprendre ses initiales et

de les changer en « Carrefour de Rencontres Intéressantes ». Pour nous, c’est un

lieu qui est bâti autour de la dynamique étudiante, ce sont les étudiants qui

apportent les idées, les contenus, la volonté, et autour d’eux l’on se retrouve,

chercheurs, enseignants-chercheurs, personnes bienveillantes, comme des

accompagnants, des mentors, des gens qui vont à la fois nourrir leurs réflexions

mais aussi puiser dans leur dynamique pour nous recréer chaque jour, pour

essayer de faire un « think-and-do tank », c'est-à-dire un lieu de réflexion, et aussi

un lieu de prototypage de nouvelles méthodes d’apprentissage, et aussi un lieu de

prototypage scientifique. Je reviendrai là-dessus dans un instant. Et donc tout cela

se passe à l’Université Paris Descartes : nous avons obtenu le label IDEFI (pour

Institut Innovant de Formation par la Recherche) et également le label UNESCO

«Sciences de l’Apprendre» depuis 2014.

Pour revenir un instant sur mon parcours (puisque cela été un des échanges que

nous avons eu au cours de l’année qui vient de s’écouler), c’est un parcours qui

aujourd’hui peut sembler habituel, mais qui toutefois ne fut pas banal : j’ai fait

des études de Physique Fondamentale et Appliquée, et aussi de Biologie

Cellulaire et Moléculaire, et également d’Entreprenariat, et le plaisir que j’ai eu

de m’y retrouver, c’est de discuter chaque fois avec des gens qui avaient

l’impression que je venais de l’autre monde. A chaque fois que je me présentais

en tant que Physicien on me voyait en tant que Biologiste, et me présentant

Biologiste on me voyait comme Physicien. Et dans le monde de l’Entreprenariat,

on me voyait comme un ovni… C’était un plaisir d’arriver sans à priori et de

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pouvoir aborder des sujets qui normalement restent fermés, entre initiés, où tout

le monde sait tout dans un domaine et que ce n’est plus la peine de rediscuter les

savoirs. Mais lorsque l’on arrive en tant que novice, on a la chance de pouvoir

interroger ses pairs et de découvrir des choses fantastiques, que ce soit en

biophysique, en génétique des populations, en microélectronique, en physique

des plasmas, en physique quantique ou en entreprenariat. Donc au travers d’un

parcours en recherche fondamentale, gestion de projet, direction de programme,

je poursuis aujourd’hui ma carrière en me définissant comme un créateur de

cadre de liberté, puisque nos programmes diplômants ou seulement certifiants (ou

les écoles d’été ou d’hiver) sont des lieux que l’on imagine pour et avec les

étudiants, pour leur donner le maximum de liberté et pour qu’ils puissent se

réaliser à la fois dans la formation mais aussi en faisant des apports sensibles

dans le monde de la recherche. Je vous parlerai également de mon expérience à

l’étranger : mon environnement de travail quotidien est international, 40% de nos

étudiants sont étrangers, et notre langue de travail est l’anglais. Et aujourd’hui

nous sommes un département de formation, d’idéation et de prototypage.

L’interdisciplinarité

Comment pourrais-je définir l’interdisciplinarité dans mon parcours ? Eh bien,

c’est une fertilisation croisée des savoirs. Mais avant tout, lorsque vous allez voir

un directeur d’étude, c’est un risque individuel que vous prenez, vous ne serez

pas considéré comme un vrai physicien, un vrai biologiste, ceci pour parler de

mon expérience personnelle. Récemment une étudiante de médecine est venue

nous voir, elle est interne en psychiatrie, elle souhaite faire une thèse de sciences

à côté de sa thèse de médecine, et ce qui la passionne c’est la sociologie. Dans

son équipe de recherche, on lui a dit : attention, si tu fais de la sociologie, tu ne

pourras pas faire de la recherche chez nous, car la sociologie ce n’est pas aussi

sérieux que la psychiatrie. Donc on voit que cette interdisciplinarité peut être

vécue très différemment selon que l’on souhaite faire une carrière dans une

discipline donnée ou bien s’ouvrir au monde pour lequel c’est une véritable

chance. A chaque fois que l’on s’embarque dans une aventure

d’interdisciplinarité, il y a de nouveaux champs de recherche qui s’ouvrent et

donc qui nécessitent des apports très éloignés des classements habituels, (la

biophysique n'existait pas il y a 20 ans, c’était du travail pluridisciplinaire entre

physiciens, biologistes et mathématiciens : aujourd’hui c’est une matière à part

entière). Nous pourrions aussi parler de l’analyse de données « big data » qui fait

appel aussi bien aux mathématiciens et aux statisticiens qu'aux sociologues.

Autres exemples, les sciences cognitives bénéficient d’apport massif venant

d’autres disciplines, même chose pour l’intelligence artificielle, la question des

monnaies électroniques, l’éducation et aussi les sciences citoyennes où chacun

d’entre nous pouvons faire un apport substantiel dans la discipline sans en être

diplômé.

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Donc l’interdisciplinarité va plus loin que la pluridisciplinarité : dans mon cas,

c’est partir d’un champ disciplinaire, avoir une rencontre pluridisciplinaire mais

avec une notion de fertilisation croisée, c'est-à-dire, non seulement apporter

quelque chose à notre échange commun, mais ramener quelque chose au champ

disciplinaire, apporter une ouverture d’esprit qui va bénéficier à la progression de

ceux qui sont restés dans le champ disciplinaire classique. Autour de cela il y a

pour moi la notion de sérendipité : c’est à la fois une rencontre du fait du hasard,

et une rencontre qui nécessite un peu de sagacité. Et l’histoire nous montre que ce

fut le cas pour un certain nombre de découvertes comme le four à micro-ondes, la

pénicilline, le Post-it, le téflon, le Velcro, le LSD, le viagra, la vulcanisation, la

lunette astronomique, ADN, le graphène… Comme le disait Louis Pasteur «La

chance ne sourit qu'aux esprits bien préparés». Donc l’interdisciplinarité, ce n’est

pas le flou, il faut avoir des bases solides, mais être ouvert à quelque chose de

totalement nouveau et c’est ce que l’on essaye de transmettre à nos étudiants.

L’interculturel

Image 4

Sur cette image, j’ai essayé de représenter l’interculturel, avec le jardin à la

française, ses structures géométriques, ses alignements ; le jardin à l’anglaise

avec son fouillis organisé ; et le jardin à la chinoise où apparaît la notion de

copie, puisque l’on essaye de copier la nature et d’être le plus proche de ce que

l’on pourrait retrouver sur un terrain naturel. L’interculturel, au niveau de la

recherche, apporte des idées nouvelles et la valeur de ces idées n’est pas perçue

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de la même façon selon que l’on est en France, en Allemagne, aux États-Unis ou

en Italie. J’ai eu l’occasion d’en discuter à plusieurs reprises, et l’exemple le plus

marquant ce sont les États-Unis, où les gens sont capables de s’émerveiller dans

une discussion si vous leur proposez une idée (qui serait saugrenue pour un

Français), comme de mettre de la moutarde dans un tube de dentifrice. Les gens

vont d'abord venir vous voir et vous demander pourquoi, comment… et ne vont

pas commencer par vous regarder avec dédain en vous disant ; qu’est-ce que c’est

que cet apport ? Et c’est comme cela que démarre une discussion, et que tout le

monde se sent partie prenante dans la recherche, dans l’innovation, que ce soit

dans les choses les plus basiques ou les plus fondamentales. Le rythme et

l’intensité sont aussi très différents. J’ai parfois retrouvé les mêmes collègues en

Italie et aux États-Unis. Avec l’un d’entre eux, Américain pourtant, en Italie,

nous allions régulièrement prendre le café hors du labo : nous marchions un quart

d’heure pour nous retrouver toujours au même café et boire la même petite dose,

et il disait que c’était ridicule : « chez nous on prend une grande tasse de café,

c’est fait en deux minutes, et puis l’on retourne au laboratoire». Mais ce qu'il

n’avait pas compris c’est que, au cours du cheminement vers le café, nous

discutions, nous avancions dans notre rapport à la science et aux personnes.

Nos objectifs n’étaient pas non plus les mêmes : l’objectif de découvertes

incrémentales est valorisée à l’étranger, alors qu’ici on peut se demander si on ne

vise pas quelque chose de très haut, de très loin, de parfait, un idéal en terme

d’objectif, alors que d’autres sont capables de se contenter de petites avancées,

mais régulières, qui vont leur permettre d’aller aussi loin. Donc la façon dont on

travaille est très différente. Les carrières aussi, puisque, partant d’une intensité de

travail équivalente, voire supérieure, dans les laboratoires où j’ai pu travailler aux

États-Unis, les carrières sont vécues très différemment : on va travailler 5, 6 ou 7

ans pour avoir son Doctorat, tout en n’ayant aucun objectif de faire carrière dans

l’académique, juste pour le plaisir de faire de la recherche pendant 6 ou 7 ans,

d’aller jusqu’au bout, de se dire que c’est une période de sa vie. Et puis après on

ira dans l’industrie, et après être passé par l’industrie, aux alentours de 50 ans, on

fondera son entreprise. Et donc ce sont des parcours de vie qui sont très

différents, et des façons de ressentir le travail qui sont très différentes. En France

j’ai ressenti une certaine difficulté, une certaine douleur en fin de thèse, quand les

étudiants, qui étaient entrés avec beaucoup d’enthousiasme, se rendent compte au

fil des discussions que les carrières auxquelles ils s’attendaient ne s’ouvriront pas

pour eux, et que l’industrie non plus n’est pas prête à reconnaître leur talent.

Donc il y a des façons de travailler très différentes, et c’est quelque chose qui

m’a beaucoup marqué. Les risques aussi sont très différents. C’est une chose que

j’ai constatée concernant la France et l’Italie : l’on y prend, en choisissant son

sujet de recherche, moins de risques que ceux que l’on peut prendre aux États-

Unis ou en Allemagne, où l’on se dit que l’on va chercher quelque chose que

finalement peu d’autres personnes sont en train d’étudier. On ne se place pas sur

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un circuit tout tracé, on va tenter quelque chose : et l’échec, pour peu qu’il soit

compris, est valorisé. Savoir pourquoi on a échoué est une valeur pour rebondir.

En France, au contraire, c’est un frein extrêmement limitant pour toute tentative

de carrière. Il faut s’attendre au commentaire « on t’avait prévenu, c’était très

risqué » et cela va annuler toute velléité de continuer et de prendre des risques.

L’excellence

Tout cela m’amène à la notion d’excellence, l’excellence à l’école, l’excellence

dans les parcours, l’excellence dès le début de sa carrière, et pour beaucoup

d’entre vous cette notion de passage d’une dimension à l’autre.

Image 5

L’excellence peut être vue comme ce segment de droite, avec uniquement deux

possibilités : on va à droite ou à gauche, et ceci d’une certaine quantité : il serait

alors facile de quantifier l’excellence. Mais si on ouvre l’excellence à d’autres

domaines, à d’autres dimensions, cela devient plus complexe : on peut avancer de

la même distance mais on n'est plus sur le même axe. Alors, la façon la plus

simple de représenter cette complexité, c’est un graphe comme ici, en radar, où

on place toutes les compétences que l'on souhaite posséder et que l'on souhaite

voir grandir. Finalement, l’Education ne doit-elle pas se résumer à un centre ici

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commun, une base commune forte mais qui ne nécessite pas forcement de

pousser trop loin sur un axe ou un autre : et alors on pourrait dire que l’excellence

en Education se mesurerait par l’aire de ce graphe. Par exemple, j’aime la

musique, le dessin, j’aime la peinture, la botanique… toutes ces compétences-là

ne sont pas forcement valorisées à l’école, et pourtant elles forment un tout, une

forme d’excellence lorsque l’on maitrise ces domaines. L’ère du numérique, pour

reprendre le titre de la conférence, c’est être capable aujourd’hui de dépasser les

cadrages précédents et de s’ouvrir à une forme d’excellence plus globale. On peut

même voir sur l'image ci-dessus, pour quatre personnes différentes ayant un

graphe donnant la même compétence (la même surface), que la notion

d’excellence sur une dimension unique n’a pas de sens. Ces quatre personnes

sont compétentes, mais chacune d’entre elle va pousser dans une direction

particulière, plutôt le côté technique, plutôt le côté créatif ou plutôt sur la

communication. Et donc avoir cette vision là, lorsque l’on commence à

enseigner, est un facteur important de succès non seulement pour les disciplines

en elles-mêmes, (on va y faire revenir des gens qui en étaient exclus), mais

également pour donner la possibilité d’explorer de nouveaux territoires en

recherche ou enseignement, afin que la société devienne bienveillante pour ceux

qui apprennent et veulent savoir différemment.

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Sans nier l’excellence disciplinaire habituelle, si on regarde certains héros de la

science d’Aristote à Einstein, on voit que ces personnages remarquables

maitrisaient une grande variété de sujets et de compétences… mais on peut se

demander si les compétences qu’ils maitrisaient sont toujours des facteurs-clefs

de succès dans le monde de l’éducation et de la recherche. Une tête bien pleine

donne toujours un bon point de départ, mais on peut toujours se poser la question,

avec la présence constante des ordinateurs, de sa valeur ajoutée, qui ne se limite

pas seulement à notre capacité à mémoriser et retrouver l’information, mais

surtout à notre capacité à créer de la nouveauté. Chacun d’entre nous a dans sa

poche un téléphone portable qui est connecté au reste du monde et qui lui donne

accès à l’ensemble du savoir de l’humanité : savoir où se trouvent ces

informations et savoir les décoder est un savoir-clef, qui n’est pas aujourd’hui

enseigné, mais qui pourtant permet de ne pas tout savoir soi-même. Je vais

reprendre quelques exemples qui ont fait réfléchir certains depuis la défaite de

Kasparov face à Deep Blue. On s’est alors posé des questions sur la capacité de

cette machine toute bête, qui enregistre des données, à dépasser un jour l’être

humain dans ses capacités de réflexion. Et il y a quelques jours, ce fut le tour du

jeu de go, alors qu’on le pensait très difficile à maitriser pour une machine. Pour

un jeu beaucoup plus ouvert, consistant à donner une série de propositions et où il

faut, à partir de ces propositions, reconstituer la question initiale, la machine

Watson (programme informatique d'intelligence artificielle) a été capable de

battre les meilleurs spécialistes humains du sujet. Ce même programme contribue

aujourd’hui à la recherche médicale, et demain les diagnostics médicaux pourront

se faire en utilisant des machines qui pourront nous prescrire telle ou telle analyse

à faire. Et pourtant les études médicales sont faites par des gens qui ont des

cerveaux bien faits, qui sont capable de mémoriser, et qui ont été sélectionnés sur

ces critères. Mais jusqu’où ira finalement cette capacité des machines à prendre

notre travail ?

Les méthodes de sélection

Il y a un exemple célèbre (il date de 2000 ans) : les Chinois ont alors mis en

place un système de sélection qui faisait passer de l’aristocratie à une forme

méritocratique au travers d’un examen, l’examen impérial. Et il se trouve que,

dans les années 1600, des jésuites sont allés en Chine étudier ces formes

méritocratiques chinoises, et en ont ramené chez nous ces notions qui

réapparaitront plus tard, au moment de la Révolution, avec les Grandes Ecoles

comme l’Ecole Polytechnique ou l’Ecole Normale. Donc voilà, il y a derrière

cela une volonté de faire réussir ceux qui le méritent, non seulement autrefois

dans les empires et les royaumes, mais aussi plus tard avec Jules Ferry : comment

trouver, à travers de vastes territoires, des cerveaux de qualité…capables d’être

interchangeables.

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C’est ainsi que les Anglais ont régné et ont eu l’un des plus grands empires

modernes, car ils pouvaient envoyer au Canada un jeune, formé en Nouvelle

Zélande, et le lendemain celui-ci était immédiatement en position d’opérer. Donc

on avait un système de sélection, qui sélectionnait sur des critères fixes pour que

l’ensemble du système puisse se parler, échanger et faire passer les ordres. Par la

suite les empires se scindent en nations, et une autre forme d’excellence, moins

bureaucratique, voit le jour : aux États-Unis IBM, en France le plan calcul…, il

fallait faire ressortir des compétences scientifiques très fortes.

image 7

Et plus récemment encore, on arrive à des relations qui font la part belle à ce

que l’on appelle les « stakeholders » d’une entreprise ou d’un groupe. Et l’on voit

apparaître enfin les entreprises où veulent travailler les jeunes, ce sont des

entreprises qui font appel à la notion de bien-être individuel. On n’est plus dans

le royaume, dans l’empire, on est cette fois-ci dans ce qui fait plaisir à l’individu,

et l’individu va se retrouver dans des systèmes qui sont très différents, celui des

start-up, celui des grandes entreprises qui met en avant l’individu et l’innovation

sociale. Eh bien, comment la formation universitaire répond-elle à ces nouvelles

demandes ?

Le pari que nous faisons au CRI est qu’apprendre à apprendre via la recherche

est bénéfique pour tous. C’est aussi encourager la créativité, donner droit à

l’erreur et faire émerger de nouveaux profils capables de résoudre de nouveaux

problèmes. Si l’on regarde ma formation, par exemple, elle a été principalement

basée sur ma capacité à résoudre des problèmes de la fin du XXe et du début du

XXIe siècle en thermodynamique, en physique statistique etc.… mais quid des

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problèmes modernes ? Il est important de maitriser une certaine base sur des

problèmes anciens, mais aussi il est important de pouvoir se projeter sur des

problèmes ouverts, dont ni moi ni l’enseignant n’avons la solution. Enfin les

problèmes complexes nécessitent la mise en œuvre d’une intelligence collective,

donc de ne pas exclure ceux qui, pour des raisons diverses ne sont pas entrés dans

le système, car leur contribution peut parfois être importante, voire décisive, dans

la résolution d’un problème. Et je vous montrerai ce qu’il en est pour un

problème scientifique. Donc la sélection d’un profil type n’est plus critique : par

exemple le concours d’entrée dans les grandes écoles n’a pas à être supprimé car

il marche bien, mais pour une sortie attendue. Aujourd’hui, si l’on parle de

nouveaux types d’individus capables de se confronter à de nouveaux problèmes,

il faut également trouver de nouveaux modes de sélection ou d’accompagnement

à côté de ceux existants.

Image 8

Je pense que tout ce profond changement part de très loin, des révolutions

industrielles qui ont démarré grâce à la maitrise de l’énergie et rendu le monde

plus petit. Ainsi les biens, les hommes et les idées circulent plus vite. Nous

sommes après la révolution de la mécanisation et de la métallurgie, après celle de

l’électricité et l’électromagnétisme, celle de la communication et le partage des

connaissances. Donc comment nous situons-nous à une époque où les

connaissances sont partout accessibles, partout réactualisées ?

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Je prends des exemples très technologiques, mais la technologie va se retrouver

partout et va pousser le savoir et les connaissances dans ce domaine. Sur le

graphe nous pouvons voir la progression dans le temps, depuis 1900 jusqu’aux

années 2000, de la capacité de calcul par seconde pour 1000$ donnés.

Si l’on regarde l’évolution de cette courbe sur cette période, nous avons gagné

un facteur de 10000 milliards en terme de puissance de calcul et cela ne fait que

s’accélérer. Se dire que l’on a encore plusieurs années pour réfléchir à l’évolution

de notre rapport au savoir par rapport à cet événement technologique, c’est

prendre un retard qui ne fera que s’aggraver avec le temps.

Image 9

Commençons, dès aujourd’hui, à enseigner pour apporter des solutions, même

imparfaites, aux questions que pose cette révolution industrielle.

Par exemple, c'est très concret, entre 2004 et 2014, sur une même puce

d'ordinateur, on est passé d’une capacité de mémoire de 128 Méga à 128 Giga, il

y a donc eu une multiplication par 1000. Ce n’est pas le cas jusqu’à présent pour

le cerveau humain :on ne connaît pas bien ses limites mais on n’a pas montré que

nous avions la même capacité de progression de 1 à 1000. D’autre part, la vitesse

à laquelle on peut accéder à ces informations a été multipliée par un facteur 100.

Autre exemple, le coût de l’analyse ADN d’un génome décroit de façon

exponentielle, car des événements technologiques majeurs ont créé une rupture

entre 2007 et 2011, et le coût de séquençage d’un génome individuel est passé de

10 millions de $ à 10 000 $. Comment prévoyons-nous d'intégrer ces

changements dans notre système éducatif et dans notre système de recherche ?

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Aujourd’hui, dans nos poches, nous avons plus de puissance de calcul que les

vaisseaux de la NASA n’en avaient pour aller sur la lune. C’est phénoménal, et la

capacité des capteurs embarqués est surprenante, elle peut nous donner des

informations sur le monde extérieur mais également sur nous-mêmes, avec des

données physiologiques qui seront demain utilisées par des systèmes intelligents

pour nous conseiller des solutions médicales personnalisées. A nouveau ces

questions se posent à nos étudiants en médecine. Mais cela fait-il partie des

cursus médicaux ? Pas du tout pour l’instant.

Où va l'innovation ?

Image 11

D’une façon générale l’idée, et je souhaite insister là-dessus, n’est pas de

remplacer l’existant mais de faire comme les cernes de cet arbre, chaque

technologie crée un nouvel environnement, et le précédent environnement

devient le contenu du nouvel environnement. Si nous essayons de nous placer

dans un format de changement de paradigme, il faut inclure le précédent et non

pas l’exclure, en allant suffisamment vite pour faire croître nos capacités à vivre

dans ce monde en mutation permanente. Comment faire ? Nous mettons en place

des méthodes actives, nous engageons la communauté d’apprenants, c’est un

aller-retour permanent. Lors de mes cours, c’est l’ennui mortel si les étudiants

regardent le tableau que je remplis avec un intérêt autre que celui de me poser des

questions. C’est alors un échec complet, car ils auraient pu rester chez eux avec

leur livre. Je les engage au contraire à se poser des questions, à échanger entre

eux (bien sûr, il ne faut pas que cela devienne le bazar...)

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Il faut faciliter les liens avec les problèmes du monde réel : c’est intéressant de

résoudre des équations qui ont été posées au début du XXe siècle, mais

aujourd’hui nous en avons de nouvelles pour lesquelles il faut utiliser les mêmes

connaissances mais aussi des nouvelles, et donc réactualiser les problèmes est

important. Il faut accompagner dans l’expérimentation, à l’aide de mentors, à

l’aide d’idées et à l’aide de moyens, ceux qui veulent essayer des choses

nouvelles, et inclure tout cela dans un format bienveillant, car apprendre à

apprendre est aussi une question de motivation. Si vous avez été, dès votre plus

jeune âge, exclu du système éducatif, si l’on vous a dit : «la littérature ou les

mathématiques, ce n’est pas pour toi, ne penses même pas à faire de telles

études», cela vous casse pour la vie. Donc avoir une approche bienveillante mais

construite pour apprendre à apprendre. Renouveler les postures de l’enseignant,

c’est être capable d’être, non seulement le sage sur l’estrade, mais aussi

l’accompagnateur. Il faut savoir se placer à côté des étudiants et répondre à leurs

questions. Leur proposer des alternatives aux livres traditionnels. Donner de la

liberté dans les lieux et les temporalités d’apprentissage, car on sait que tous les

groupes ne vont pas forcément apprendre au même rythme : or on exclut des

élèves sous prétexte qu’ils ne sont pas capables d’apprendre en 15 semaines. A la

fin du semestre, il y a un examen, et si les résultats ne sont pas bons leur année

universitaire est mise en péril. Peut-être leur eût-il fallu quelques semaines de

plus, la durée des études doit pouvoir également s’adapter à la vitesse

d’apprentissage de chacun.

Il faut favoriser l’interdisciplinarité, j’en ai parlé précédemment. Promouvoir le

collaboratif, c’est une chose que nous faisons dés le début, c'est-à-dire que nous

invitons les étudiants de la première année de licence à Bidart pendant une

semaine : bien sûr, toutes les universités ne peuvent se permettre d’inviter les

étudiants au bord de la mer, et cela dépend de la taille des groupes. Ce qui est

intéressant, c’est que l’on crée un esprit de travail collectif, esprit qui va perdurer

pendant les 3 années de licence. Le groupe se connaît, on ne veut pas casser le

groupe, on va travailler sur des problèmes communs et les présenter en commun,

et l’objectif n’est pas d’apporter la solution, mais de savoir s’ils ont su mettre

ensemble en place des compétences communes ou des compétences

complémentaires pour faire face au problème. Diffuser au plus grand nombre :

chaque fois qu’une expérience fonctionne, il faut qu’elle soit diffusée pour

d’autres puissent s’en emparer et que l’on abaisse le coût d’entrée de ceux qui

essayent de rentrer dans cette démarche. Avoir aussi une idée d’amélioration

continue : ce n’est pas parce que ce que j’ai fait l’an dernier a marché que, l’an

prochain, je ne peux pas me remettre en cause et travailler sur un nouveau sujet.

Réfléchir sur les apprentissages et la recherche

Cela pose des questions du type recherche et développement (R&D) de la

transmission des savoirs. Dans les universités nous sommes très enclins à

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enseigner les savoirs, mais il y a peu de recherche sur la façon dont on enseigne

les savoirs. Dans ce domaine, la R&D des universités est quasi absente, ce sont

les individus qui la portent, il n’y a pas de département type R&D sur la façon

dont l’université pourrait faire mieux l’année prochaine, comment nous pourrions

inclure plus d’élèves et résoudre bien d’autres problèmes. Les aspects

collaboratifs changent la façon de faire de la recherche, nous avons évoqué

Kasparov contre DeepBlue, mais Kasparov a lui-même trouvé plus compliquée

une partie qu’il jouait sur Internet contre des milliers de joueurs en ligne dans les

années 90, car il se trouve que la stratégie mise en place par ce groupe, ce super

groupe d’humains, était beaucoup plus difficile à percevoir que celle de

DeepBlue. Il avait prévu de gagner en 47 ou 48 coups et il se trouve qu’il a dû

mettre 60 coups pour gagner, à son grand étonnement.

image 12

Car derrière cela, il y a le sens de l’intelligence collective des gens qui,

ensemble, ont réfléchi à une stratégie alternative, qui se sont mis à défier le

champion. Il y a eu d’autres expériences, comme « Polymaths », expérience de

mathématiques collaboratives, dont je n’ai pas le temps de parler, mais aussi

« flu » qui permettait de prédire, avant les services médicaux sentinelles, les pics

de l’épidémie de grippe simplement en suivant, à l’aide du moteur de recherche

habituel, la fréquence de certains mots : mal de tête, toux, etc.

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Il y a pour nous quatre façons d'apprendre : apprendre en observant, apprendre

par le questionnement, apprendre en faisant et apprendre par le jeu. C’est la base

de notre réflexion et de nos moyens de formation.

L’apprentissage par la recherche

Un mot enfin sur l’apprentissage par la recherche. Quelle est sa signification ?

Ici l’on part d’un cadre ou d’un paradigme qui est bien connu et que l’on sait

utiliser. Les théories scientifiques évoluent de la façon suivante : une anomalie

apparaît, ce que l’on appelle une crise scientifique, et alors des gens cherchent

dans toutes les directions pour expliquer cette nouvelle anomalie. Et puis un jour

on a une explication pour cette anomalie et pour le paradigme précédent, et l’on a

ainsi un nouveau cadre que l’on comprend et utilise. Apprendre par la recherche,

c’est inciter dès le départ nos étudiants à explorer ce qu’il y a en dehors des

savoirs traditionnels et de l’expertise que l’on connaît, c’est leur dire de se poser

des questions : et si le monde n’était pas comme ce que l’on décrit? et si la

théorie se limitait à…? et si l’expérience n’était pas si vraie? Donc les encourager

à se poser des questions en dehors du cadre actuel. Ce qui fait que, lorsqu’un

cadre nouveau apparaît, ils sont déjà prêts avant les autres à utiliser pleinement ce

paradigme et à le comprendre. En terme de savoir, des observations peuvent

nourrir une analyse. Vous observez un phénomène, vous mettez en place une

stratégie et une action et vous observez les résultats. Dans la plupart des cas on se

contente d’une rétroaction en simple boucle, c'est-à-dire qu’en fonction des

résultats on va faire changer notre stratégie et notre action. La façon d’enseigner

que nous avons est différente, car si les résultats ne correspondent pas à la

stratégie et à l’action mise en place, on revient aux hypothèses, aux textes

fondateurs, et l’on se dit que c’est peut être eux qui sont faux, qui sont

incomplets. Cet apprentissage en double boucle est pour moi très important. On

ne peut pas ouvrir un cadre de recherche, on ne peut pas donner envie de penser

différemment, si on ne nourrit pas une réflexion qui va plus loin que de repenser

les causes directes de notre action.

Les formations du CRI

Nous avons des formations qui commencent à la licence. Et nous invitons les

étudiants pendant une semaine à Bidard en Licence 1, pendant une semaine en

Serbie pour la Licence 2… et pour la Licence 3 nous leur disons :, partez s’il

vous plait, allez faire 6 mois de stage là où vous voulez dans le monde et vous

allez également étudier un semestre là où vous voulez, mais avec nous c’est fini.

On vous a donné les bases, allez voir le monde, vous avez appris à apprendre,

faites votre Licence 3 où vous voulez. Et donc partant d’une licence plutôt

tournée au départ vers la biologie, nous avons des étudiants qui finissent en

archéologie, en design, en mathématiques et c’est passionnant de voir qu’ils se

sont fait plaisir et que pour eux l’université est un véritable régal.

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image 13

On les envoie aussi bien à Oulu en Finlande qu’en Nouvelle Zélande ou aux

États-Unis, car on travaille pour eux afin qu’ils puissent partir où ils veulent. Et

puis on accueille des étudiants ici, (pas forcément les mêmes), en Master 1 et

Master 2 en leur disant : la partie théorique de votre master est faite au bout d’un

semestre, vous avez un semestre de cours, ce que l’on va vous apprendre de

manière classique s’arrête exactement là, vous avez travaillé très dur pendant 6

mois, on va vous donner les bases et ensuite vous allez faire 6 mois de stage. Et

enfin, la dernière année, il n’y a plus de cours. C’est vous qui venez faire cours

aux autres, vous avez suffisamment de savoir pour venir apprendre des autres et

enseigner aux autres. Je pourrais décrire, si cela vous intéresse, ce processus. Et

enfin le Doctorat : si vous voulez entrer dans notre école doctorale, interdiction

de prendre le sujet d’un Directeur de labo, vous écrivez votre sujet de thèse. Et

l’on trouve une trentaine de financements chaque année pour les meilleurs

étudiants qui ont des idées totalement originales : l’idée n’est pas de suivre ce qui

a été fait l’an passé par le Directeur de labo, mais plutôt de le remettre en

question et d’avancer.

On était jusque-là très contents, puis on s’est dit que les champs disciplinaires

c’est peut-être bien, mais que ce serait mieux de pouvoir proposer une formation

qui aille au-delà des champs disciplinaires, et dans laquelle l’étudiant qui arrive

puisse faire une UE en droit, une UE en mathématiques, une UE en philosophie

et une UE en biologie par exemple. Ce serait même beau, parce qu’il y a

beaucoup de choses à apprendre à l’université et que nous n’avons pas envie de

suivre ce qui a été décidé par d’autres à une autre époque, alors que ces savoirs

ne correspondent plus forcement ni à un idéal individuel ni même à un idéal

économique. Donc nous leur disons : si vous voulez faire quelque chose,

inscrivez vous dans ces formations-là… et ce qui est très difficile pour nous c’est

de parler aux différentes UFR ! Mais cela se met en place doucement et j’en dirai

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quelques mots plus loin. Autour de cela nous avons des clubs scientifiques

ouverts, nous allons donner quelques crédits aux étudiants pour inviter des

conférenciers, pour participer à des concours, pour accéder à des laboratoires,

faire du prototypage, mettre en place des choses. Ce n’est pas forcement de

grosses sommes, mais pour un groupe de 10 personnes 1000€ / an cela représente

tout de même pour l’université un certain budget. Nous pensons à ceux qui ont

quitté l’université depuis un certain temps, nous leur disons : revenez, travaillez

sur les mêmes thématiques, avec les mêmes méthodes que nous avons de former

les étudiants dans les sciences exactes, nous essayons de le reproduire à plus

large échelle, au travers de formations type diplôme universitaire. Nous

accompagnons aussi les jeunes chefs d’équipe innovants en faisant des ateliers,

dans l’année, pour des personnes venant de divers endroits, afin de les aider, car

la plus grande difficulté pour ceux qui souhaitent innover, c’est qu’ils se

retrouvent isolés. A chaque fois qu’ils ont des idées nouvelles, leurs collègues

n’ont pas forcement le temps pour les accompagner, pour leur donner un retour,

et donc avoir un réseau dans lequel ils peuvent le faire, un réseau qui plus est

international, cela les rassure de savoir que d’autres à des milliers de km peuvent

le faire.

Pour autant, nous ne laissons pas tomber le fondamental, il y a des choses qui

sont importantes, mais nous n’avons plus le temps à consacrer uniquement à ces

questions là.

image 14

Bien sûr pour le fondamental il y a des choses à mémoriser, à comprendre et à

appliquer, mais nous allons garder beaucoup de temps pour la réflexion,

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l’innovation et la confrontation des points de vue. Et donc le contrôle continu est

une très bonne façon de faire cela, tout au long de l’année, chaque semaine, nous

posons des questions fondamentales et très simples aux étudiants et cela les fait

travailler, ils retiennent bien des choses et le gros du sujet en fin de semestre cela

va être quelque chose d’original de co-création et d’innovation.

D’où viennent ces idées ? Pour Marshall McLuhan, psychologue, qui est connu

depuis les années 1960 pour avoir laissé en particulier cette phrase « le message

c’est le médium », ce n’est pas le contenu qui affecte la société mais le canal de

transmission lui-même. Les médias fournissent les bases de la réflexion mais

modèlent également les processus de la pensée. En retravaillant notre façon

d’approche avec les étudiants mais aussi le canal par lequel nous allons

transmettre l’information, nous allons permettre à une plus grande population

d’étudiants de réussir. Si vous passez uniquement du temps à faire des résolutions

de problèmes classiques, beaucoup d’étudiants vont dire « je n’ai pas compris, je

ne sais pas bien lire l’énoncé ». Si par contre vous proposez d’utiliser une

simulation, de faire un peu plus de TP, de mettre en place un projet, vous ne

changez pas le contenu, mais vous changez de canal, vous parlez aux étudiants

selon l’axe qui entre au mieux en résonnance avec leur façon d’apprendre.

Nous essayons aussi de travailler avec des technologies socratiques. Socrate,

dont la mère était sage femme, a formulé une critique de l'écriture comme

accumulation de savoirs non maitrisés, et développé la maïeutique des idées, au

préalable fécondée par des rencontres. L’on retrouve l’interdisciplinarité, la

bienveillance, les discussions, et le maître se place à distance. C’est exactement

ce que nous faisons. Nous prenons du recul par rapport à nos étudiants et l’élève

accouche de ses idées en gestation. Nous leur apprenons à construire une

intuition, est-ce que cela va dans le sens de ce que vous aviez prévu, dans le sens

de ce que l’équation prévoit, de ce que le texte dit, et c’est une démarche

d’apprendre à apprendre et nous essayons de développer cela autour des

techniques et des technologies socratiques.

Clive Thompson, qui était directeur en chef du magazine Wired, très populaire

aux Etats-Unis, sur les tendances des nouvelles technologies, écrit :

« En fait, la limite entre là où s'arrête ma mémoire et là où Google prend le

pas devient de plus en plus floue chaque seconde. Souvent, quand je parle au

téléphone, je recherche dans Wikipédia et dans des moteurs de recherche pour

explorer le sujet, rassemblant les résultats pour étayer mes arguments. Mon point

de vue est que le futur cyborg est déjà ici. Presque sans nous en apercevoir, nous

avons externalisé d'importantes fonctions cérébrales dans le silicium tout autour

de nous ».

C’est donc quelque chose de généralisé, nous nous servons d’un appui comme

nous pourrions nous servir d’une canne pour marcher, comme nous pourrions

nous servir de lunettes pour voir, la mémoire fait partie de ces compétences que

nous avons externalisés dans un matériau autre l’informatique. Georges Siemens,

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l’inventeur des MOOC, dit en d’autres termes : «savoir-faire» et «savoir-quoi»

sont complétés par des «savoir-où» (c'est-à-dire savoir où trouver les

connaissances quand c'est nécessaire), et le méta-apprentissage devient aussi

important que l'apprentissage lui-même (selon Georges Siemens, cMOOc)

image 18

Derrière cela il y a une notion très forte, comme en informatique, la notion de

pointeur. Vous n’allez pas vers l’information elle-même, vous allez vers l’adresse

qui vous dit où se trouve l’information. C’est la même chose dans votre mémoire,

vous savez où aller chercher l’information, par exemple dans un livre. Mais la

plus belle bibliothèque qui s’offre à vous aujourd'hui est dans votre poche,

l’important c’est de l’avoir déjà utilisée une fois, et à partir de là on sait retrouver

l’information. L’idée est de partager et, depuis l’encyclopédie papier, les choses

ont bien changé : on a aujourd’hui des encyclopédies en ligne tout à fait

performantes, venant du monde de l’informatique, des sites qui permettent aux

gens de se poser des questions, de partager leurs codes, ou les recettes en ligne,

que l’on peut modifier, que l’on peut réécrire avec vos ingrédients, et tout cela

restera en ligne et permettra à d’autres de réussir ce qu’ils ne savaient pas faire

précédemment. C’est vrai également pour les publications scientifiques en

prépublication, pour mettre des choses en ligne, mais ce qui est important c’est

Alors la façon d’enseigner change beaucoup. On change de posture, on parle de

classe inversée. De la classe traditionnelle, où le sage est sur l’estrade et où tous

les élèves le regardent, on passe à une activité en groupe, on va apporter des

éléments de réponse qui vont varier en fonction du niveau des groupes, on va

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pouvoir être un guide accompagnateur. On sait où l’on veut aller, des étudiants

sont en avance, on les laisse partir plus vite, des étudiants sont en retard, on reste

avec eux, on va les aider et leur donner les bons conseils. Le cours magistral est

fait sous la forme de cours en ligne par exemple, ou sous forme d’activités qui

peuvent être faites à la maison, mais les devoirs ou la mise en œuvre de ces

savoirs est faite en classe.

Quand nous disions tout à l’heure que les formes d’excellence changent, c’est

aussi la notion de «e-portfolio» qui se met en place : qu’avons-nous fait pendant

nos études, qu’avons-nous fait après, est-ce que tout revient à nos diplômes et

aux mentions obtenues ? Pas forcement, si l’on en croit trois journaux prestigieux

: la Harvard Business Review écrivait « les badges vont devenir des variables

clefs dans l’évaluation du capital humain ». Les badges, ce sont des crédits que

l’on affiche dans son portfolio ou son CV en ligne : j’ai fait ceci ou cela, j’ai

passé tel test, j’ai réalisé telle chose, j’ai construit tel appareil, j’ai écrit tel livre.

Le New York Times dit « Le programme des badges peut être le premier candidat

sérieux pour entrer en compétition avec le diplôme ». Donc à nouveau cette ère

du numérique permet bien sûr d’afficher les diplômes universitaires, mais encore

de dire ce que l’on a fait en dehors et par soi-même. Le Wall Street Journal

explique : « Ces nouveaux certificats vont transformer le recrutement » puisque

dans certains domaines, l’important est de savoir que la personne a déjà fait

quelque chose par elle-même, plutôt que de savoir qu’elle a un diplôme. Il faut

donc compléter les diplômes par un portfolio bien rempli.

L’enseignement à distance n’est pas nouveau, les MOOC ne sont pas récents.

Par voie électromagnétique, il y avait les « Colleges of the air » entre 1922 et

1940, sur la côte est-américaine, 40 institutions offraient des cours en ligne de

niveau universitaire à la radio. On avait déjà eu, sur des territoires très grands,

comme en Australie, des élèves qui suivaient les cours de l’école primaire grâce à

la CB, mais là ce sont des cours du supérieur qui étaient mis en place à la radio.

Bien sûr il y aussi les cours du CNED en France. Mais je veux citer Thomas

Edison : « Les livres seront bientôt obsolètes dans les écoles publiques. Les

étudiants seront instruits au travers du regard. Il est possible d'enseigner toutes

les branches de la connaissance humaine avec des images en mouvement. Notre

système scolaire sera complètement changé de l'intérieur dans dix ans. » Un peu

visionnaire, en 1913, ce n’est pas encore le cas, mais on y arrive doucement.

Du jeu au cours et au projet.

Comment mettons-nous en place cette évolution ? Je vais donner l'exemple en

biologie de synthèse, puisque nous avons un laboratoire de biologie de synthèse

adossé à notre centre de recherche. Nous avons construit un vrai jeu vidéo, avec

un simulateur qui reproduit les codes d’interaction entre gènes dans une bactérie.

Ici, l’objectif est d’attirer celui qui a envie d’en savoir plus, donc qu'il joue et

qu'il y prenne plaisir, et nous avons construit pour lui un courant ligne, dans

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lequel il peut souligner des mots, et poser des questions auxquelles notre équipe

va répondre. Il y a un cours avancé, que nous allons mettre en place sur France

Université Numérique, la plateforme de cours en ligne française, qui sera à un

niveau encore au dessus de celui-ci. Et nous leur disons, proposez vos projets et

les meilleurs d’entre vous viendront dans le laboratoire pour le réaliser. A la fin

vous avez dans le portfolio le fait que vous avez réalisé la modification du

génome d’une bactérie. Il y a donc tout un parcours, motivation, apprentissage,

plus ou moins formel, et puis réalisation de projet.

Nous avons réalisé, sur France Université Numérique, tout un cours de

première année de mécanique classique avec un Smartphone. Nous arrivons en

cours et nous leur disons allumez vos Smartphones. C’est assez impressionnant,

tout se fait en ligne, nous avons besoin d’un Smartphone, d’une essoreuse à

salade, d’un sac en plastique et d’un élastique et l’on peut faire tout le cours de

premier semestre de mécanique classique. On peut même reconstruire la

trajectoire que l'on a parcourue, en tramway, métro ou même avion, sur Excel,

avec son Smartphone. Cela vient de démarrer en février 2016, si certains d’entre

vous sont curieux, cela s’appelle « Smartphone-pocket-lab » et c’est sur France

Université Numérique.

Le programme « Savanturiers »

Image 24

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Je vais dire un petit mot sur le programme « Savanturiers » : si ce que j’ai dit

jusqu'ici concerne essentiellement le supérieur, il faut savoir que l’on amène,

depuis maintenant 3 ans, nos doctorants, nos étudiants de master dans les écoles

primaires auprès des écoliers de 10 ans pour monter avec eux des projets de

recherche. On le fait selon deux formats, l’un au niveau du temps périscolaire,

puisqu’ils ont 3 heures par semaine pour faire des projets, et l’autre sur le temps

scolaire, dans lequel on va former les enseignants, on va les mettre en contact

avec des mentors qui sont des scientifiques, et on va permettre aux enfants de se

poser des questions. Dans l'atelier présenté ci-dessus, les enfants se sont posé des

questions sur les engins qui vont sur Mars. Donc ils ont construit avec le

doctorant un questionnement : qu’est-ce qu’un rover, quelle distance doit-il

parcourir, comment le commander…, et on est arrivé à construire un robot

télécommandé, un robot qui mesure la distance avec un objet. Ils ont alors placé

dans une salle contigüe à leur salle de cours, un espace avec des rochers en papier

qui rappellent l’univers martien et on a discuté avec eux des planètes, du trajet,

des pierres que l’on peut y trouver, de la robotique, des délais. Il fallait prévoir à

l’avance un code très simple : ma machine doit faire une marche avant de 10 cm

et puis regarder et nous envoyer une image. Et donc nous avons reconstruit avec

eux une démarche scientifique, mais selon leur questionnement. Il y a des

démarches où vous connaissez la réponse et vous allez dans les écoles avec un kit

tout fait. Nous sommes partis d’un questionnement inverse, nos doctorants, nos

masters et ceux qui veulent nous suivre, sont suffisamment malins pour

accompagner les enfants, ils vont construire avec eux des programmes de

recherche en botanique, ou en droit, ou en éthique et tout un pan de la recherche

peut être traité dès le plus jeune âge.

Apprendre et contribuer à la recherche en jouant

Je terminerai avec apprendre et contribuer à la recherche en jouant. Des jeux de

découverte scientifique existent, des cadres de liberté pour l’intelligence

collective, l’exemple le plus fameux d’entre eux est « Foldit », que l’on utilise

également dans nos cours de licence, et qui ressemble à cette image là. On bouge

sur un écran un certain nombre de molécules en essayant de les rapprocher

comme le feraient deux molécules biologiques se rapprochant pour mettre en

œuvre une fonction, et il se trouve que c’est un problème excessivement

complexe. faites l'expérience avec vos deux mains, vous mettez vos doigts dans

n’importe quelle direction et vous constatez que, pour assembler au mieux vos

deux mains, il y a pas mal d’étapes à passer et de tests à faire. Là les participants

peuvent le faire en ligne et ils ont ainsi résolu un problème vieux de 15 ans sur un

virus proche de celui du sida chez le singe, dont on ne connaissait pas la

conformation exacte. Et donc on leur demande de jouer, de tirer sur ces

molécules, de les rapprocher, un score s’affiche, et ils essaient d’améliorer ce

score par tâtonnements, et par cette méthode ils ont réussi à résoudre un problème

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dont les cristallographes et les biochimistes les mieux préparés n’avaient pu

trouver la solution. Et ils ont publié (à plusieurs centaines de participants) dans le

fameux journal Nature qui est le journal d’excellence. C’était la récompense,

montrer de quoi l’on est capable, ensemble ; et les meilleurs joueurs ne venaient

pas du monde scientifique, la meilleure joueuse était une experte en assurance, il

y avait aussi un garagiste, des personnes capables de voir des structures à 3

dimensions.

A nouveau, on peut se poser la question : qu’est-ce-que l’excellence ? On a

l’excellence disciplinaire d’une part, et de l’autre l’excellence de ceux qui sont

susceptibles de résoudre le problème posé par les scientifiques. Donc on a toute

une chaine qui s’ouvre à nous et qui va du scientifique au chercheur citoyen et

retour au scientifique pour validation. Un nouvel exemple existe au niveau des

galaxies : Hubble a pris des milliards d’images de galaxies et aucune d’entre elles

n’avait été vue par des yeux humains. On a proposé à des participants de

classifier ces galaxies selon une typologie prédéfinie, et certains d’entre eux ont

trouvé une galaxie qui ne ressemblait à aucun type du classement. Les questions

sont remontées au forum, et revenues aux scientifiques qui ont dit n’avoir jamais

vu de telles images, mais qu'elles avaient été prévues dans une théorie publiée 30

ans plus tôt sur des galaxies en forme de petits pois. Ainsi, on a trouvé ces

galaxies en forme de petits pois grâce à l’aide de ceux qui les ont regardées pour

la première fois et les ont classifiées. Il y a des exemples analogues en histoire et

en climatologie : si vous vous passionnez pour l’histoire et la climatologie, vous

pouvez décoder les carnets de bord à partir du XVIIe siècle et voir le changement

du climat en suivant l’histoire des bateaux, et c’est passionnant pour faire de la

géographie. En dehors du jeu il y a un véritable apport scientifique.

Il y a des jeux grand public qui peuvent être détournés pour apprendre

l’urbanisme, les systèmes complexes, l’histoire, la mécanique… Dans cette

dernière matière, un de nos doctorants, a fait coder, en première année de licence,

le jeu « Angry Birds » (ce petit oiseau sur votre téléphone portable qui part en vol

parabolique pour aller frapper une tour), il leur a demandé de recoder ce jeu pour

comprendre la mécanique qu’il y avait derrière.

Même chose au niveau de nos collègues en médecine : il y a des jeux en 3

dimensions, avec des mannequins qui leur servent de test. L’objectif est de

pouvoir essayer à coût nul, à nouveau pour pouvoir se dire : si j’échoue une fois

cela n’est pas grave. C’est important pour la médecine.

Et moi-même, j’enseigne en utilisant un certain nombre de simulations qui

permettent aux étudiants de me poser des questions pendant le cours, je leur dis

« ouvrez les ordinateurs » nous allons tester telle ou telle simulation et je vois

certains, qui habituellement découragés par les équations, commencent à jouer,

puis reprennent le cours et viennent vers moi poser des questions « est ce que ce

que j’ai fait correspond à tel paramètre dans vos équations ». Je suis content, je

les ai rattrapés.

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Les « Hackathons »

On a aussi mis en place un certain nombre d’événement que l’on appelle des

« Hackathons », c'est-à-dire des événements de création intense : on propose aux

étudiants de venir créer pendant 36 ou 48 heures, sans s’arrêter, on leur dit qu’ils

peuvent manger des pizzas, dormir dans les locaux, l'objectif est de nous

présenter un projet fini au bout de ce temps, et ce qu’ils réalisent est totalement

remarquable, soit monter une start-up, soit créer un jeu, une simulation

scientifique etc.…Tout cela est dû à la notion de la facilitation grâce au

prototypage rapide : on leur prête des machines, des imprimantes 3D, de

l’électronique à bas coût dans laquelle ils peuvent monter des jeux très

complexes, monter des start-up en électronique ou en biologie. Tout est rendu

possible car les prix et la qualité de chacun des composants sont modulables ; on

peut par exemple voir des objets en 3D avec nos téléphones portables en

rajoutant un morceau de carton qui vaut 5 € et qui s’appellent les Google

cardboard, on peut ressentir la 3ème

dimension grâce à des ultrasons qui vont

nous faire ressentir la structure d’un objet. Il y a des gants adaptés et des lunettes

3D que l’on peut acheter pas cher et ainsi équiper des laboratoires pour étudiants,

et les étudiants s’en emparent et découvrent qu’ils sont capables de faire des

choses totalement remarquables.

Image 33

C'est ainsi que nos étudiants, en 2013, ont gagné, devant 204 universités dans

le monde, un grand prix de biologie synthétique, devant le MIT, Harvard,

Berkeley, Cambridge, ETH, etc. Nous leur avons dit : vous avez 5000€ et le

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laboratoire de biologie est ouvert, vous pouvez faire le projet que vous voulez. Ils

ont fait un projet totalement novateur sur la façon de lutter contre la tuberculose

en utilisant des moyens modernes, alors qu’aucune des entreprises

pharmaceutiques n’avaient pensé à ce type de solution. Si l’on avait contraint leur

façon de penser et d’agir, on n’aurait jamais réussi à obtenir un tel résultat.

Les technologies disruptives

Un tout dernier mot sur les technologies disruptives. Il y a chaque jour des

choses nouvelles qui arrivent et on doit se demander « comment les décideurs

d’aujourd’hui ou de demain vont faire pour s’emparer de ces sujets ?». C'est

pourquoi nous préparons pour eux en ce moment un cours avec Sciences-Po, sur

les technologies disruptives. avec un beau programme : qu’est ce l’homme,

comment changer l’homme et son écosystème, la modification du génome,

l’alimentation du futur, l’ingénierie collaborative, la géotechnique, les robots, les

fondamentaux en sciences des données, etc. Pour que, dés à présent, les décideurs

puissent rattraper cette courbe qui croit plus vite qu’une exponentielle et se poser

des questions qui leur permettent d’avoir un avis en dehors de ceux des lobbys.

L’éducation et la recherche c’est, pour nous, tout un pan de l’éducation formelle

aux sciences exactes et à la formation des futurs décideurs, en passant par la

science citoyenne. Enfin nous avons décliné notre approche pour la formation

continue avec MagEEC3 le parcours blanc, (le nom retenu du Diplôme

Universitaire est CREER).

Image 34, 35

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Débat

Un participant - Quels sont vos critères de sélection pour l’admission de vos

étudiants, et quel degré de certitude avez-vous de ne pas vous tromper, car c’est

un problème que nous avons dans toutes les grandes écoles. Quelle est la fiabilité

de vos refus de prendre tel ou tel étudiant ? Comment justifier vos choix. La

deuxième question, cruciale, quel est votre taux de réussite dans l’emploi, 5 ans

après la sortie par exemple.

Amodsen Chotia - Je réponds d’abord à la deuxième question. La licence a été

créée il y a moins de 5 ans, il est donc difficile de répondre, mais pour ceux qui

sont passés par le master ou par l’école doctorale, on a plus de 95% d’embauche

à différents niveaux. Pour le doctorat, les plus récents sont en post doctorat, mais

les autres sont dans l’industrie ou ont créé leur entreprise.

La première question portait sur la sélection. On ne sélectionne pas les

étudiants uniquement sur leur résultats académiques, on leur demande d’écrire

pourquoi ils viennent et quels sont leur projets, ce qu’ils attendent d’une

formation comme celle-là, et on essaye de voir s’ils ont un esprit ouvert à la

collaboration. On leur fait passer un entretien, ce qui n’est pas facile dans toutes

les universités, mais possible chez nous au titre de l’expérimentation IDEFI. Juste

avant leur entretien, on leur dit de passer dans une salle où il y a 2 ou 3 candidats

qui attendent, et on leur fait un exercice (que certains d’entre vous connaissent

bien), l’exercice des spaghettis marshmallow. Ils ont un paquet de spaghettis et

on leur demande de fabriquer la structure la plus haute possible. C’est intéressant

de les observer, et on voit comment 3 ou 4 élèves sont capables de se coordonner

pour arriver à faire ce genre de structure.

On a aussi refusé d’excellents étudiants, mention très-bien au Baccalauréat, en

leur disant que l’environnement que nous leur proposions n’était pas le plus

adéquat pour eux car ils avaient une attente très claire de ce qu’ils voulaient faire,

et nous leur avons dit : vous allez exceller dans une filière traditionnelle. Si vous

venez chez nous, c’est que vous voulez vous donner un peu de temps pour

explorer : les profils que nous recrutons sont des profils d’étudiants qui veulent

explorer et qui ne veulent pas se limiter. Ni les uns ni les autres n’ont notre

préférence, nous mélangeons les très bons avec ceux qui sont justes et même très

justes, et le mélange fonctionne très bien. Et 80% des étudiants, qui sont entrés en

première année chez nous sont aujourd’hui en master.

Un participant - Dans vos transparents vous avez employé « éducation

digitale » alors que dans votre exposé vous utilisez l’expression « numérique ».

La France est le seul pays qui emploie le mot «numérique» alors que tous nos

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voisins emploient le mot digital. C'est que le mot numérique avait une

signification très précise pour le mathématicien que je suis, et j’ai eu un choc il y

a quelques années, car lorsque l’on parlait de numérique, cela représentait

quelque chose de très différent. Pensez-vous que c’est représentatif de quelque

chose de particulier sur la perception de cet objet que l’on appelle digital (y

compris dans les langues régionales) et qui s’appelle numérique en France ? De

manière humoristique on donne l’impression d’utiliser digital parce que dans les

Smartphones c’est le doigt qui est utilisé comme outil principal. En tant que

statisticien, j’entends parler de big data et j’ai fait des exposés sur ce sujet, et

lorsque je vois « fondamentaux de data science », si on connaît beaucoup de

mathématiques et pas mal de statistiques classique, cela aide pour comprendre

que ces sujets présentent, sous une appellation nouvelle, des choses connues

depuis assez longtemps.

Amodsen Chotia - L’objectif de l’apprentissage numérique n’est pas de

transformer nos étudiants en statisticiens, ni en personnes capables de traiter ces

données, mais plutôt d'être informés sur ce que sont ces données, ce qu’elles

peuvent représenter en terme de volume, ce qu’elles peuvent représenter en terme

d’atteinte à la vie privée, mais aussi la finesse de l’information que l’on peut en

tirer. Les experts vont leur dire que des données, qui semblent anecdotiques à

certains, lorsqu’elles sont récupérées en grande quantité, peuvent donner des

informations très fines sur les comportements humains et donc apporter des

éléments clés qui leur permettront de prendre des décisions de politique publique.

Sur le premier point, à savoir différences entre digital et numérique, je ne la

perçois pas très bien, mais par contre il y a eu un vrai bouleversement qui est

venu du rapprochement d’informatique et de numérique. Le numérique va bien

au-delà de la culture informatique, c’est plutôt la culture des usages et la

transformation de la société par l’outil, que l’outil lui-même. Donc lorsque l’on

parle de numérique, on peut former les élèves à se poser des questions du type :

d’où viennent quantité de données, pourquoi les chercher sous cette forme là…

Le numérique, c’est aussi le capteur que j’ai dans la poche, et donc on parle de

physique plutôt que de statistique. L’informatique est alors sous-jacente sans être

jamais l’objet d’études pour elle-même. Numérique ne relie pas aux chiffres

nécessairement. On baigne dans un monde qui repose sur l’informatique mais

dont les usages vont bien au delà.

Un participant - Si j’ai bien compris, tout s’accélère au niveau des nouveaux

comportements, des nouvelles façons de procéder, il y a beaucoup de création

dans tout cela. Comment est reçu votre message auprès de l’Education Nationale

et plus particulièrement dans le primaire. En gros, le fait de faire participer les

étudiants (et non les écoliers) est déjà trop tard, il faudrait commencer plus tôt

pour rattraper le train de l’évolution des comportements.

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Amodsen Chotia - Alors cela se passe plutôt bien puisque l’expérimentation

que l’on mène ne fait pas problème, l’Education Nationale expérimentant elle-

même tout un tas de méthodes. C’est le passage à une grande échelle qui pose

question. Nous avons obtenu de plusieurs agences de financement de l’État des

moyens pour démultiplier cette expérimentation, la faire quitter la région

parisienne et aller dans toute la France. Notre objectif n’est plus de piloter

directement ces expérimentations, mais de former ceux qui auront en charge de

mener à bien l’expérimentation dans leurs régions respectives. Cela se passe sans

trop de heurts, car nous avons commencé par le périscolaire et donc les résultats

étant plutôt positifs, nous avons décidé d’aller voir les rectorats, non pas pour

leur dire d’adopter nos mesures, mais en leur disant « dites-nous quels sont les

enseignants qui veulent travailler avec nous ». Et c’est en faisant venir les plus

intéressés que l’on a passé une étape, et nous avons fait la même chose avec notre

système de licence et master. Au lieu de dire dès le départ que nous allions créer

un département au sein de l’université qui fonctionne selon ces méthodes, nous

avons dit aux enseignants et chercheurs qui étaient les plus motivés « venez nous

rejoindre », et ainsi au départ ils étaient 5, puis 10, puis 30 et donc nous avons

réussi de cette manière.

Un participant - Richard Feynman disait (approximativement) « qu’éduquer

c’est essayer de donner aux enfants ce qui existe déjà mais aussi la force de le

forger ». Ce que je voulais vous demander, c’est comment changer la compétence

collective par rapport à tous ces apprentissages et au monde qui change tellement

vite que l’on ne sait pas comment faire. Ce n’est pas évident, car nous sommes

dans un système, nous les anciens, qui avons des jeunes pour élèves, où nous

avons construit les classes préparatoires comme classe d’excellence. Est-ce que

ces outils-là, les outils numériques, nous donnent les moyens de peut être changer

le curseur, grâce à ce que vous nous avez montré ? Par exemple le travail en

coopération, tel que vous l’avez montré, peut-il faire mieux que Polytechnique ?

Amodsen Chotia - Il y a plusieurs réponses. Le meilleur exemple pour ces cas

d’étude, cela va être le monde entrepreneurial. Je peux citer le cas d’étudiants

brillants : l’un, par exemple, a arrêté HEC après la première année en se disant :

ce que l’on m’apprend à l’école, je peux l’apprendre dans le monde réel en créant

mon entreprise sur les « edtech ». Dans ce cas-là, l’idéation est importante mais il

ne faut pas oublier qu'il va travailler à l’aide du savoir bâti par les autres.

Dans le domaine des sciences exactes, changer la durée des études, permettre

de réussir sa licence en 6 ans parce qu’on a un travail à côté, parce qu’on a un

parcours de vie différent, c’est peut être une solution pour amener au même

niveau. En tout cas, pour devenir ingénieur c’est possible. Pour devenir chercheur

il y a encore une autre étape : la source de tout cela, ce sont les chercheurs qui

proposent des méthodologies très particulières, et à la fin ce sont eux qui vont

valider les résultats et publier en coopération. Ce qui marche très bien en ligne :

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Amazon a des serveurs sur lesquels ils font tourner « Amazon Mechanical Turk »,

dans lequel on vous demande de résoudre de très petites tâches pour quelques

centimes. Il y a là un travail à la pièce qui peut être exécuté en faisant entrer

rapidement des nouveaux acteurs dans le sujet. Pour le reste, l’informatique est

un excellent exemple, car difficile en général, et l’on a pensé que l’informatique

était réservée à des élèves qui devaient faire des mathématiques. Et l’on voit

qu’aujourd’hui c’est dédié à des gens à qui on ne propose plus de mathématiques.

Et qui arrivent à résoudre des problèmes complexes : ils vont rattraper le niveau

et franchir les étapes nécessaires pour résoudre ces problèmes. Les cours en ligne,

les MOOC, c’est laisser le temps à chacun de s’adapter et d’apprendre à son

rythme, plutôt que d’avoir d’emblée le catalogue des savoirs. Donc si on peut le

faire pour un certain nombre de matières, on pourra ainsi améliorer de façon

générale l’éducation, et il sera possible de faire entrer des gens qui n’en font pas

partie aujourd’hui et qui peuvent rejoindre sans problème les énarques et les

polytechniciens.

Une participante - Vous avez utilisé plusieurs fois le terme

« interdisciplinarité », et dans la réforme du collège, proposée au printemps, ce

mot revient souvent. J’ai discuté avec plusieurs professeurs de collège qui sont

horrifiés par ce terme, disant que ce n’est pas possible, c’est trop compliqué, et

j’ai aussi rencontré un professeur de biologie qui était au contraire enthousiaste,

qui m’a dit d’emblé « je suis allé trouver le professeur de français et ensemble

nous avons monté un projet ». Pensez-vous que, dans la réforme du collège, il y a

un peu de l’esprit de votre conférence.

Amodsen Chotia - Savoir si on influence les politiques publiques, je ne peux

le dire, mais il y a beaucoup de gens qui poussent en ce sens et c’est plutôt

positif. Mais toutes ces mesures font peur. Ce qui est normal si l’on n’explique

pas en quoi la fonction et la façon de travailler de l’enseignant vont changer. Si

l’on se contente de dire que l’on va introduire de l’interdisciplinarité, c’est pour

eux une tâche supplémentaire, d’où leur refus. Il faudrait penser à introduire la

formation continue des enseignants. Si certains d’entre eux veulent aller dans ce

sens, aidons-les dans les ESPE, qui proposent des heures de formation pour ceux

qui sont déjà en place. Mais on pourrait offrir des diplômes universitaires à ceux

qui veulent aller dans ce sens. L’État promeut la formation en ligne via

l’université numérique, et on pourrait promouvoir la formation des enseignants

les plus motivés pendant 1 ou 2 ans, avant de l’étendre à l’ensemble des

enseignants qui verraient les bénéfices de cette option. Et cela fait travailler

ensemble des professeurs de différentes disciplines. C’est même une expérience

que l’on peut partager avec le reste du monde, je pense aux « twictées », reposant

sur le réseau social Twitter et les dictées. Les élèves écrivent des petits textes et

les envoient dans le reste du monde, comme des bouteilles à la mer, et ils sont lus

par le monde entier et eux sont identifiables, leur école et leur classe, et cela les

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oblige à être très vigilants, quant aux mots qu’ils emploient, à leur orthographe et

grammaire. Il y donc certaines vertus que l’on peut reconnaître à ces

enseignements, et cela peut permettre au professeur de sciences de travailler avec

le professeur de lettres ou d’histoire. Par exemple, avec les Smartphones, vous

pouvez partir faire une expérience historique et puis géo localiser les sites où

vous êtes passés, parler avec le professeur de technologie, celui de français,

mettre en place une présentation commune. Donc je pense qu’il y a beaucoup

d’avantages, en particulier savoir que l’on est plusieurs dans une communauté

éducative à travailler sur un sujet, cela crée des liens et une confiance importante.

Un participant - Votre intervention dynamisante me plait beaucoup. J’ai été

directeur d’une équipe de recherche, je trouve finalement, sans avoir suivi votre

cursus, que j’ai appliqué pas mal de vos règles que j’ai trouvées assez positives.

La question que je me pose sur l’enseignement que vous avez présenté est la

suivante : est-ce que les enfants formatés actuellement, avec le culte de la note,

de l’élite, de dépasser le copain, d’être au sommet, donc une pression qui

privilégie l’individualisme, jusqu’à marcher sur les autres, n’avez-vous pas peur

que ces conditionnements, qui existent pour le moment, vont faire des gens

difficiles à intégrer dans ces belles opérations interdisciplinaires avec la

réhabilitation du collectif. Avez-vous, dans vos expériences, des gens qui sont

« cassés », qui ne pourront pas marcher comme cela et qui éventuellement en

souffriront dans leur futur.

Amodsen Chotia - Effectivement cela peut arriver, mais notre chance, aussi

bien au niveau licence que master ou doctorat, c'est que nous établissons une

sélection. Et les critères de sélection sont leur capacité à travailler ensemble ou à

montrer qu’ils l’ont déjà fait par le passé. Autre méthode, il y a une possibilité

très simple de faire du design pédagogique dans lequel le groupe aura la note du

plus faible du groupe. Prenons un exemple, on doit faire un projet en commun, on

divise les tâches et à la fin on va noter globalement le groupe pour la présentation

du travail réalisé ; et là, si le meilleur ne coache pas le plus faible il va se

retrouver avec la note du plus faible.

Donc il y a des designs qui vont pousser à faire ce que François Taddei appelle

de la « coopétition », la collaboration et la compétition en même temps, et où la

compétition se fera par rapport au groupe d’à côté, mais cela ne compte pas

tellement car le but du jeu est d’être les meilleurs ensemble.

Mais cela oblige à remettre en question l’évaluation. C’est la question qui

revient souvent : si vous changez les modèles pédagogiques, comment allez vous

adapter l’évaluation ? Ce n’est pas toujours simple, car si l’on apprend par le jeu,

par la simulation, nos étudiants nous diront « mais celui de la licence ou du

master d’à côté il n’a pas fait pareil et j’ai peur d’être plus faible que lui ». Et

donc si on fait passer les mêmes tests peut-être révèlera-t-on une faiblesse, mais

si la méthode a changé l’évaluation doit aussi changer. Il y aura bien des

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difficultés pour comparer des individus ou des classes qui ont suivi des

trajectoires différentes. Et c’est pour cela que le portfolio me semble important. A

l’issu de ses études l’étudiant sait-il réaliser quelque chose ?

Un participant - Un de vos premiers transparents parlait de l’excellence et

montrait la manière de visualiser les résultats au niveau de l’excellence, sur

l’ensemble des matières et non pas en en privilégiant certaines. Je suis

représentant de parents d’élèves et je peux témoigner que, dans les conseils de

classe au collège, tout au moins dans le mien, c’est maintenant l’outil qui est

utilisé. C’est très bien préparé, cela va très vite, et lorsque l’on fait la revue de

chaque élève il y a une surface rouge qui représente la valeur moyenne de

l’ensemble de la classe dans toutes les matières et puis une surface d’une autre

couleur qui représente les notes de l’élève et c’est vrai que cela permet de se

former un jugement à partir de la surface. Alors que si l’on donne les notes sur 12

ou 14 matières on parlerait de quelques matières comme le français ou les maths

mais pas des autres. Là en une fraction de seconde on se fait un point de vue sur

une performance globale qui est la surface.

Un participant - Je voulais savoir par rapport à votre financement, puisqu’on

parle de plus en plus financement, quelle est la part du niveau public et la part du

niveau entreprise. Savoir aussi le nombre d’étudiants que vous avez, de quel

milieu social ils sont, et enfin quel est dans votre organisation la part de

l’environnement, qui me semble un élément important dans votre enseignement.

Amodsen Chotia - Sur le premier point, le financement, ce n’est pas la part

récurrente donnée par l’université qui permet de mener ces expérimentations.

Cela viendra peut être, mais ce n’est pas encore le cas. Donc on répond à de

nombreux appels à projets qui sont conséquents, afin de nous permettre de

récupérer des montants permettant de payer des vacations pour les enseignants,

du matériel pour les étudiants, des missions pour faire venir des conférenciers,

des experts du monde entier, ce qui fait un certain montant. Et on a une part qui

vient de mécènes privés, de fondations : je n’ai pas les chiffres avec moi. Ce sont

des expérimentations qui coutent cher, et aujourd’hui, au sein de l’université, il

faut répartir les crédits qui restent et il est difficile d’expliquer que l’on va donner

pour un groupe de 10 étudiants 1000€ pour acheter du matériel, pour inviter des

conférenciers, pour acheter du matériel informatique, et donc des fondations nous

aident. Donc l’environnement est essentiel. Pour nous, le numérique, l’apparition

des MOOC il y a 3 ans, est une façon de changer d’échelle et notre méthode

pédagogique est adaptée à 200 ou 300 étudiants, peut-être demain 400, de la

licence au doctorat, comme une petite école. Mais pour aller plus loin il faudra

utiliser au maximum des méthodes dématérialisées.

Pour l’environnement social je n’ai pas les données. Pour l’écologie, ce sont

des questions qui passionnent les étudiants et qui nous étonnent. Lorsqu’il y a des

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projets à monter, ils vont, par exemple, chercher à obtenir des données sur la

pollution, sur la qualité de l’environnement. Ce sont des questions qui les

passionnent et c’est au niveau technologique des choses qui sont faciles à

investiguer à l’aide de capteurs bas prix : connaître la pollution de l’air, le niveau

de bruit, le Ph de l’eau etc.…

Un participant - Je ne comprends pas bien comment on peut mesurer la

créativité. Dés que l’on mesure la créativité, on la modifie, un peu comme la

mesure en mécanique quantique.

Amodsen Chotia - J’ai simplement voulu dire que l’excellence peut prendre

différentes dimensions. Il peut être question de créativité globale mais ce n’est

finalement pas cela que nous allons travailler avec les étudiants. Avec comme

point de départ un corpus de données, que sont-ils capables de faire, voilà la

créativité. Et cela peut être jugé au niveau du groupe : quelle est la qualité du

travail final et quelle est sa valeur comparée aux autres groupes. Quelles

questions se sont-ils posées pour arriver à ces résultats ? Si le résultat est un

produit, ce pourrait être le marché qui détermine la valeur de la créativité. Mais

c’est plutôt la démarche qui nous intéresse.

Un participant - Je fais partie des «vieux aux cheveux blancs», par conséquent

j’ai eu une structure mentale très différente de la votre et encore plus de celle de

vos étudiants, et en plus je suis doté d’une incompétence à croissance

exponentielle dans le domaine du numérique. Donc ai-je la capacité de donner

mon avis sur ce que vous venez de dire? Je vais le faire quand même. Pour

exprimer ma pensée, qui n’étonnera pas un certain nombre d’entre nous ici, je

vais m’appuyer sur une des phrases que vous avez citée « les média modèlent les

processus de pensée ». Alors évidemment, il faut s’adapter et adapter notre

intelligence à l’évolution de la technologie. Cela me pose réellement un

problème, car l’évolution de la technologie, je ne sais pas qui la contrôle, donc je

mets mon intelligence ou mon destin au service de quelque chose qui évolue sans

trop savoir où cela va. Que pensez-vous de cette réflexion ? Est-elle valide ? Ou

bien vous permet-elle de me donner une réponse qui correspond à votre

démarche ?

Amodsen Chotia - Je vous remercie pour la question, c’est effectivement

quelque chose qui personnellement m’inquiète beaucoup. Savoir que nous

résolvons des problèmes grâce à la technologie, mais que cette technologie

engendre de nouvelles contraintes dont on ne voit pas la fin. D’autre part, sur les

données que nous produisons, c'est exactement comme en économie : y a-t-il des

individus derrière le marché ou bien y a t-il une main invisible qui décide ? Au

départ, j’avais plutôt tendance à dire : ne nous inquiétons pas, nous contrôlons la

technologie et nous n’avons pas à faire la démarche de nous adapter à la

technologie. Adaptons-la à nos besoins. Mais rapidement on voit que toutes ces

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choses-là nous dépassent. Si au bout de 2 à 3 ans vous n’êtes pas sur internet pour

payer vos impôts, si vous refusez de le faire, vous constatez que les décisions

sont prises bien loin de nous. Elles sont difficilement contrôlables. J’avais cité

Marshall McLuhan pour dire que, lorsqu’un étudiant a des difficultés, c’est peut-

être le canal sur lequel on diffuse l’information qui n’est pas adapté. Donc

changeons de fréquence et on va le toucher. C’était plutôt dans ce sens-là la

phrase citée, ce n’était pas une course technologique qui nous entrainerait à nous

adapter chaque fois un peu plus. Mais je n’ai pas de réponse à votre question, je

me sens entrainé par la technologie contre ma volonté, et ce que je sais, c’est que

jusqu’à présent je suis capable de m’adapter. Et donc je m’adapte tant que je

peux, mais je ne sais pas où tout cela ira. Je préfèrerais que l’on puisse prendre le

temps et que la technologie fasse des pas qui puissent être compris de génération

en génération. Mais là, en une année, vous avez des changements qui sont tels

que l’on est toujours à courir.

Le participant précédent - Est-ce que ce questionnement vous vous le posez

ensemble, entre collègues ?

Amodsen Chotia - Je souhaite trouver les bons partenaires pour me poser ces

questions et pour que l’on puisse se dire quelle est la marche des choses et si on

doit suivre ou pas. A quel niveau la discussion doit avoir lieu, si on ne le fait pas

d’autres le feront, et à nouveau les choix s’imposeront à nous parce que d’autres

personnes dans le monde acceptent ces changements et s’adaptent.

Une participante - il y a quelque chose qui m’a interpellée dans votre

présentation, c’est ce rapport à l’échec qui est typiquement français, à savoir que

l’on a aujourd’hui une école et plus largement une société qui va dire « toi, tu ne

sais pas, tu n’es pas spécialiste » et j’ai l’impression qu’il y a un élitisme de la

connaissance qui fait que, même si on a un savoir qui est très accessible et très

libre, finalement les citoyens ne savent pas s’approprier le savoir, car ils se

disent : on va laisser cela à des gens qui savent, à des gens qui ont la compétence.

J’ai cette impression dans les domaines des sciences en général et typiquement

aussi dans la politique qui nous concerne tous. On a dépossédé le citoyen de son

rapport à la connaissance et au politique. Ma question est la suivante : à votre

avis de quels outils pourrait-on disposer, existants ou à créer, afin de pouvoir

faire en sorte que les gens se réapproprient la connaissance. Vous disiez à juste

titre que les gens, même novices, pouvaient apporter un œil nouveau et quelque

chose à la science. Par le biais du collectif et en impliquant toutes et tous dans

des projets de société ou scientifiques communs, pourrait-on faire en sorte que

l’on puisse être meilleurs dans une société plus apaisée.

Amodsen Chotia - Cette question est liée en partie à la précédente puisque

dans le monde numérique il y a également beaucoup de bruit. Lorsque l’on veut

apprendre quelque chose, il y a des codes et des règles qu’il faut maitriser. Ceux

qui utilisent le plus ces nouvelles technologies sont souvent le moins au fait des

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codes et des règles à avoir dans le monde numérique. Pour savoir s’approprier la

connaissance il faut savoir où elle se trouve, faire la part des choses entre la

connaissance et les mensonges, et donc pour se mettre à travailler ensemble et de

façon collaborative il faut aussi former tous ceux qui vont utiliser ces nouveaux

moyens d’une culture que l’on pourrait appeler la culture numérique, ou digitale,

sur les promesses, les risques et les avantages qu’elles engendrent.

Deuxièmement, j’ai parlé beaucoup de motivation et ce sont les gens les plus

motivés qui viennent chez nous, avec notre système de sélection ce ne sont pas

tous les étudiants qui nous rejoignent. Et quand vous parlez de se réapproprier les

savoirs et de travailler ensemble, va-t-on changer le panel des gens les plus

intéressés ? Ici des gens veulent en savoir plus sur un certain nombre de

questions, encore faut-il que l’on fasse naitre chez eux la volonté de travailler

ensemble et surtout d’y croire. Concernant les futurs décideurs politiques ou

administratifs, aujourd’hui nous savons que les gens qui prennent des décisions

les prennent sans rien connaître à la science et aux enjeux présents, ils vont

recevoir des avis d’experts et donc c’est toute la société qui est dépossédée.

Comment peut-on faire pour créer un système qui motive et qui donne envie à

toute la société de se réapproprier les savoirs. Là je n’ai pas de réponse et je ne

suis pas particulièrement optimiste.

Un participant - J’ai commencé par la recherche et l’enseignement, et à 25 ans

j’ai arrêté et je suis parti dans l’industrie. Et finalement je me suis aperçu que,

tout au long de ma carrière, on a détruit des emplois, en supprimant les

professions intermédiaires, les secrétaires, les dactylos, les dessinateurs… et

maintenant j’ai l’impression que l’on va supprimer aussi une grosse partie des

enseignants. Dans tous les métiers, on garde les petites tâches et les gens les plus

intelligents et entre les deux on supprime les emplois. J’avais une seconde

question liée à la précédente, ces techniciens arrivent aussi de l’étranger, nous en

France nous avons une éducation nationale centralisée, ne pensez vous pas que là

aussi il y aura des problèmes.

Amodsen Chotia - Sur la première question, on est dans un système dont la

pensée économique dominante fait référence à Schumpeter et sa destruction

créatrice. Préparer les gens aux problématiques ou métiers de demain, si on le fait

bien, permet d'anticiper ces changements dans la société. La réalité est connue, le

chômage ne fait qu’augmenter, des fonctions sont remplacées par des machines

ou par la délocalisation à l’étranger. Est-ce que notre démarche permet de ralentir

ce phénomène à minima ? Est-ce que la prise de conscience de ces changements,

et l’invitation à être créatifs, parce que les emplois de demain seront pris par des

machines, sont les bienvenus ? Notre démarche permet au moins de reculer cet

état de fait. Bien sûr, on est passé du dessin à la CAO et à la DAO, une personne

peut faire le travail de dix. A titre personnel je pense que les choses vont trop vite

et les avancées et enseignements d’aujourd’hui risquent d’être insuffisants dans

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une dizaine d’années. Des emplois seront supprimés et à notre niveau de

formation on ne peut que s’attrister de cette évolution. Mais malgré tout il faut

continuer à former les jeunes élèves et à les préparer au mieux.

Un participant - Je travaille dans les services numériques de l’université à

Toulouse. Nous avons 3 universités qui sont dans des disciplines séparées,

scientifique, littéraire et juridique. Les réflexions telles que vous les avez

présentées ici, il est impossible de les avoir à l’intérieur de l’université

scientifique, on ne peut pas faire du pluridisciplinaire complet, puisque les

enseignements de philosophie ou d’histoire se font dans une université et les

enseignements scientifiques dans une autre. Par contre vous êtes dans une

université pluridisciplinaire et la conception française est de former en ilots

spécialisés. Êtes-vous dans un endroit privilégié ou pensez-vous possible de créer

chez nous cette pluridisciplinarité, qui nous manque sérieusement. On parle de

mise en place de moyens numériques sans avoir jamais la moindre réflexion sur

le sujet.

Amodsen Chotia - Sur ce point je suis étonné, car je vois que les universités

en province sont plus en avance parce qu’elles sont souvent plus petites et donc

capables de se réinventer et de changer plus facilement. Donc sur la question que

vous me posez, on a eu une réflexion au sein de notre université, il y a

l’université et puis la COMUE, et c’est peut être d’elle dont vous parliez. Dans la

COMUE il y a toutes les disciplines sur un territoire assez restreint. Dans

l'Institut Universitaire de France l’enseignant est détaché pour faire de la

recherche, et nous avions pensé au sein de l’université à avoir le même principe

de détachement, et pour les enseignants chercheurs mais aussi pour tous les

personnels de l’université afin qu’ils puissent partir un moment au sein d’un

centre d’innovation de l’université pendant 6 mois ou 1 an, se retrouver avec des

gens de plusieurs disciplines, se renouveler, discuter et pas seulement gérer le

quotidien.

Un participant - Vous dites que les choses vont trop vite, mais je souhaiterais

poser des questions au sujet du sommet de la pyramide. Il y a beaucoup de gens

très haut placés qui, aujourd’hui, ont conscience que la pensée économique ne va

pas à la vitesse des événements, la pensée politique non plus, que probablement

la pensée scientifique ne peut faire face aux événements aussi. Donc, est-ce qu’il

ne faudrait pas rassembler un certain nombre de compétences du sommet de la

pyramide, et de faire travailler cette assemblée dans les conditions que vous

indiquez. Il y a peut-être des gens qui seraient intéressés à se livrer à cet exercice,

pour inventer à leur niveau des manières de fonctionner qui leur permettraient

tout d’un coup de se réinsérer dans le cycle des évolutions. Je sens ce décalage,

chez des hommes politiques, l’angoisse n’est pas partagée que par le peuple.

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Serait-il envisageable que des structures autour de Sciences Po ou l’ENA

puissent s’inspirer de vos façons de fonctionner ?

Amodsen Chotia - Il faudrait qu’un échantillon représentatif participe à cette

forme nouvelle de gouvernance, car il faut en permanence rechercher des

consensus à établir. Mais ceux qui ont déjà le pouvoir de décision feront peu de

cas de cette méthode. Le fait de travailler avec des décideurs est important, mais

je me demande à quel point les contraintes pèsent sur eux. Individuellement ils

sont très enthousiastes à l’idée de participer à une telle démarche. Et puis

lorsqu’on revoit un groupe, le discours a changé et tout le monde n’accepte pas

de rentrer dans cette démarche. En Allemagne, ces problèmes-là sont plus faciles

à gérer car il n’existe pas de corporatisme type grandes écoles, et chez eux tout le

monde passe par l’université. Chez nous, l’expérience d’une étape de recherche

universitaire avec un doctorat doit parfois disparaître du CV pour être acceptée

chez l’industriel. Il y a une vraie difficulté à faire rentrer la réflexion, d’une façon

générale, car l’apprentissage par la recherche peut déranger parce qu’il pose les

questions fondamentales. Celui qui est passé par ce parcours-là se pose des

questions, non seulement sur la cause qui a précédé la conséquence, mais sur tout

le cadre général, et il arrive à dire : si le cadre est ubuesque, changeons le.

le 2 février 2016

Amodsen Chotia est professeur à l’Université Paris Descartes et au

Centre de Recherches Interdisciplinaires (CRI Paris). Il est

coordinateur scientifique de l’Enseignement par la Recherche, par

l’Innovation et par les Techniques numériques. Cette formation inclut

divers niveaux : Licence, Master et Doctorat, ainsi que des Ateliers

pour jeunes innovateurs

Sa formation est celle de Physicien (Master et PhD) et de Biologiste

(Master). Il a aussi une formation type MBA acquise à l’Institut

d’Administration des Entreprise (IAE) de Paris.

Il a été plusieurs années Chercheur Associé à Boulder (Université du

Colorado USA) ainsi qu’à Pise (Département de Physique Enrico

Fermi Italie).