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Jean-Louis Chiss Christian Puech Dan Savatovsky Compte-rendu du colloque "Pourquoi et comment faire l'histoire des Sciences humaines ?". Paris X. 28-29 et 30 mai 1980 In: Linx, n°4, 1981. pp. 113-128. Citer ce document / Cite this document : Chiss Jean-Louis, Puech Christian, Savatovsky Dan. Compte-rendu du colloque "Pourquoi et comment faire l'histoire des Sciences humaines ?". Paris X. 28-29 et 30 mai 1980. In: Linx, n°4, 1981. pp. 113-128. http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/linx_0246-8743_1981_num_4_1_952

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  • Jean-Louis ChissChristian PuechDan Savatovsky

    Compte-rendu du colloque "Pourquoi et comment faire l'histoiredes Sciences humaines ?". Paris X. 28-29 et 30 mai 1980In: Linx, n4, 1981. pp. 113-128.

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    Chiss Jean-Louis, Puech Christian, Savatovsky Dan. Compte-rendu du colloque "Pourquoi et comment faire l'histoire desSciences humaines ?". Paris X. 28-29 et 30 mai 1980. In: Linx, n4, 1981. pp. 113-128.

    http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/linx_0246-8743_1981_num_4_1_952

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    Jean-Louis CHISS Christian PUECH Dan SAVATOVSKY

    Compte-rendu du Colloque

    POURQUOI ET COMMENT FAIRE L'HISTOIRE DES SCIENCES HUMAINES ?

    Centre de Recherches Linguistiques et U.E.R. de Philosophie 4 de l'Universit de Pari s-X-Nan terre (28, 29, 30 mai 1980)

    La motivation premire de ce Colloque a moins t, dans l'esprit de ses organisateurs, de faire le point sur un domaine de recherches dont l'existence institutionnelle, l'autonomie, n'est gure reconnue en tant que telle : l'histoire des sciences, que de soumettre la question, dans une perspective pluridisciplinaire les pratiques de recherches et d'enseignement en sciences humaines qui accordent de fait cette "discipline" un enjeu, un intrt,

    44 une ncessit . Pourquoi, comment faire l'histoire de la linguistique, de la sociologie, de la psychologie, de l'ethnologie ou encore de la philosophie ou plus gnralement de la thorie que l'on pratique, enseigne ou cherche faire "progresser" ou aussi bien que l'on critique? Pourquoi pense-t-on qu'une perspective historique est plus apte qu'une autre raliser le dessein que l'on se fixe ou au contraire quelles sont les raisons qui font qu'on l'- carte dlibrment ou non? Bref il s'agissait, en dehors de tout clectisme comme de toute clture de principe, de rendre problmatique ce que le texte de prsentation (et de provocation) du Colloque avanait comme une vidence : Pour toute science sa propre histoire prsente un intrt thorique (?) .

    4 Cf. en annexe le Programme et la Liste des contributions, Cette courte prsentation reprend certains lments de

    rflexion que C. NORMAND a proposs l'ouverture du Colloque.

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    La navet apparente de la question, le socle de prsupposs sur lequel elle repose (quelle "science", quelle "histoire", qu'est-ce qu'un intrt thorique distinct du progrs scientifique lui-mme?) nous semblaient propres non seulement provoquer la confrontation de points de vue thoriques et d'expriences pratiques mais aussi susciter un vritable travail dans lequel l'intrt quel qu'il soit pour l'histoire des sciences humaines ou telle d'entre elles pourrait trouver se reprsenter, s'expliciter parce qu'il avait d'abord se justifier dans une forme publique du discours : le Colloque.

    C'est d'abord l'expression "sciences humaines" qui n'a pas manqu de provoquer interrogations, reprises, critiques. On n'invoquera pas trop vite pour l'expliquer la diversit des domaines abords et les ncessits de la spcialisation. Si linguistes, sociologues, psychologues semblent tous la fois contraints de revendiquer (de manire chaque fois spcifique) la scientificit de leur propre pratique et n'en prouvent pas moins une difficult voire une rticence craintive la dfendre devant d'autres spcialistes (en exhiber les critres, en produire les preuves) c'est peut-tre que le champ des sciences humaines n'a pu tre constitu en tant que tel (et selon une classification institutionnelle universitaire) que par l'oubli de son histoire. Nous ne voulons pas dire par l que cet oubli serait un simple accident dans son histoire mais peut-tre la condition de son existence mme. N'a-t-on pas eu trop souvent affaire, avec ce terme de "science", une caution lgitimatrice des pratiques de recherche ou d'enseignement? Ce n'est donc sans doute pas un complet hasard, (plutt un paradoxe) si l'mergence explicite d'un champ sinon unifi du moins reprsent comme homogne des sciences humaines est a peu prs

    contemporaine de l'intrt manifest, bien au-del des cercles philosophiques et des spcialistes, pour 1 ' pistmoiogie historique. On a pu trouver dans certains de ses concepts comme rupture , coupure . . . beaucoup plus sans doute qu'une incitation la recherche historique proprement dite, l'analyse des processus historiques de la connaissance dans tel domaine : une garantie de principe de la lgitimit et de la fcondit de la pratique.

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    Dans cette perspective, les deux demi- journes consacres l'historicit et la rationalit dans les sciences humaines ont fait apparatre trs vite les lignes de faille de cette image rassurante - est-ce un hasard - principalement partir des remises en cause des philosophes et des linguistes. On peut dire trs rapidement que si pour les philosophes les sciences humaines posent la philosophie les questions que pose toute science (objet, mthodes, modles de dveloppement, etc.)/ elles posent en plus celles du statut mme de la philosophie en opposition laquelle elles ont souvent cherch se dfinir. Les dbats se sont donc orients dans des directions opposes partir de ce constat commun (cf. La demi-journe consacre au thme "Les philosophes devant les sciences humaines"). Si pour certains il s'agit bien de dnoncer une cohsion illusoire qui ne trouve se fonder en dernire instance que sur une technologie de la coercition (cf. La demi-journe consacre au thme "Sciences humaines et normativit") , d'autres refusent la nostalgie de la totalisation et tentent de se rendre attentifs au dtail des procdures de lgitimation scientifique des diffrentes disciplines qui, parce qu'elles sont historiques par essence, fournissent le seul point d'appui vritable d'une critique des idologies scientifiques.

    Quant aux linguistes, ils ont souvent rappel, du point de vue de la "crise" qui est cense traverser leur discipline, que dans un pass rcent la linguistique n'a pas t considre comme une science humaine parmi les autres mais qu'elle a pu passer pour le modle de toutes, la science-pilote. Ici encore, il semble que l'histoire entendue comme le mouvement mme de la conceptualisation, sans apporter de solutions directes aux problmes poss par la recherche linguistique, soit indispensable pour en comprendre les donnes. Comment entendre par exemple l'affirmation de Chomsky : "le langage est un organe mental" (ce point a t abord par deux fois d'aprs des indications fournies par F. Gadet et M. Pcheux) ? Hypothse scientifique faisant corps avec la thorie elle-mme? Commentaire philosophique supplmentaire? Comment rendre compte de l'intrieur de cette thorie de propositions de ce type? Quelle est leur fonction? Ne doit-on pas pout tout nonc scientifique, et non

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    seulement pour les plus gnraux, reconstruire le champ contradictoire dans lequel ils se sont formuls et ceci non pas pour faire varier leur extension (ce qui est formul ici l'avait dj t ailleurs) mais accrotre leur comprhension : ils ne disent pas simplement "ce qui est crit sur la page" (cf. Ian Hacking, discussion de la cinquime demi- journe) mais aussi ce qu'ils auraient pu dire, les discours qu'ils refoulent.

    De manire diffrente, la demi- journe consacre l'enseignement a retrouv cette question dans l'opposition de deux pdagogies, l'une qui se veut directe (l'apprentissage de la linguistique c'est d'abord une certaine "exprience" de la langue), l'autre mdiate (l'apprentissage de la linguistique c'est la mise en lumire de problmatiques contradictoires, l'articulation historique de leurs diffrences). Si, toutefois cette opposition n'est pas aussi irrductible qu'il y parat, n'est-ce pas d au fait que ces diffrences assignables dans l'ordre de la didactique masquent des orientations thoriques spcifiques qui ont pour corollaires des pratiques diversifies?

    Mercredi 28 mai (matin)

    "Historicit des sciences humaines."

    Dans leur rapport, J.-L. CHISS et C. PUECH justifient l'intitul de la demi- journe et la rpartition des contributions. Aprs avoir propos une typologie des nonciateurs d'histoire des sciences - pdagogues, thoriciens et fondateurs, philosophes et pistmologues - ils distinguent deux grands groupes de contributions : celles qui visent ressaisir un moment inaugurateur dans les Sciences Humaines et celles qui s'intressent aux remaniements internes d'une discipline constitue.

    Constatant qu'un large consensus se dgage quant l'utilisation des concepts de rupture et de coupure , ils proposent une premire srie de questions la discussion et se demandent si ce recours aux instruments de l 'epistmologie historique n'est qu'une convention ou une ncessit. La rponse se trouve dans l'analyse

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    des exemples proposs qui, chacun, clairent, dans un cadre prcis, un aspect du rapport des sciences humaines l'histoire.

    M. -F. MORTUREUX par exemple, en essayant de dgager les traits caractristiques de la vulgarisation fontenellienne invite s'interroger sur cette opration discursive particulire par laquelle un corpus thorique se transforme en se divulgant. La vulgarisation : simple diffusion? Obstacle epistemologique? Annonce de ruptures venir?

    L'histoire de l'histoire de la philosophie (examine par J.-P. COTTEN travers V. COUSIN) peut introduire une discussion sur les rapports souvent prsupposs vidents entre

    "l'histoire interne" et "l'histoire externe" d'une discipline.

    La traductologie que J.-R. LADMIRAL appelle de ses voeux fournit l'exemple d'une pratique en train de se constituer et dont l'aspect manifestaire recouvre donc ncessairement l'aspect fondateur.

    Les contributions de B. LEBEAU, C. NORMAND, J. BIDET, B. PEQUIGNOT, se situent au coeur du dbat sur l'enjeu de l'histoire des sciences. Il s'agit bien, chaque fois, de reconstituer la manire dont chacune des disciplines envisages dfinit le rapport particulier qu'elle entretient avec son objet.

    La discussion s'ordonne autour de deux axes principaux. Si, d'une part, l'histoire d'une Science Humaine ressemble souvent un discours apologtique de lgitimation, procdant par exclusion et appropriation, comme le souligne B. PEQUIGNOT, c'est en raison de la proximit des Sciences Humaines par rapport au champ social en gnral. De la mme manire, mais avec plus de rticence vis--vis d'un ventuel tribunal epistemologique et/ou historique, J.-R. LADMIRAL souligne que la traductologie s'enracine dans une pratique sociale dtermine avant de se reprsenter dans un modle thorique de scientificit. Il plaide pour une lgitimation "par en bas" de la discipline. S. COLLET souligne alors qu'un vritable objet de savoir peut trouver l'occasion de se dcouvrir dans un dispositif de Pouvoir. Il cite l'exemple des prcurseurs de "l'obser-

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    vation participante" en ethnologie et en conclut que les mauvaises intentions n'excluent pas, par principe, la qualit du regard.

    Ces premires remarques rejoignent d'autre part les proccupations de C. NORMAND qui se demande si la pratique de l'Histoire des Sciences ncessite que l'on possde des critres de scientificit. Si la science rompt avec ce qui la prcde, ce qui la prcde prpare aussi la rupture. Comment comprendre ce processus paradoxal? Qu'est-ce qui l'explique? Comment en rendre compte?

    J. BIDET, en cherchant situer le point o le discours de Marx perd sa filiation 1 ' intrieur de lui-mme , montre que l'effet de coupure n'est jamais un acte simple et matris mais qu'il se redouble en lui-mme de manire perverse, le Marx-critique et le Marx-prophte s 'ignorant mutuellement dans la construction thorique .

    A l'autre ple, G. LABICA rappelle que s'interroger aujourd'hui sur l'Histoire des Sciences Humaines, c'est s'interroger en fait sur l'tat d'laboration, de construction de leur objet. Parce que l'histoire n'est en aucune manire un milieu dans lequel se produirait quelque chose comme une science, mais un ensemble de pratiques, de processus, le problme de l'Histoire des Sciences est moins celui d'une chronologie de l'apparition des concepts, que celui de la restitution d'une topologie conceptuelle dans laquelle le pass et le prsent n'entretiennent qu'en apparence des rapports paradoxaux (cf. Introduction de 1857 de Marx) .

    Si J.-P. COTTEN met en garde contre les dangers d'une telle conception qui peut signifier que le savant cre de toute pice son objet, C. NORMAND renouvelle ses questions et les prcise. S'il n'y a d'histoire d'une science qu'une fois son objet constitu, que s'est-il pass avant? A-t-on besoin d'un critre de scientificit pour entamer l'histoire d'une science? Ne doit-on pas plutt considrer - la contribution de J. BIDET y invite - que l'nonc scientifique, loin de garantir absolument contre la mconnaissance , peut l'inclure? La Rupture serait moins alors l'acte hroque d'un sujet matre des enjeux qu'il ralise, qu'un processus anonyme, un discours sans sujet, ou, pour mieux dire, un discours d'assujtis- sement au vrai, "en toute mconnaissance de cause", objet de l'histoire des sciences.

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    Mercredi 28 mai (aprs-midi)

    "Les formes de la rationalit dans les Sciences Humaines" .

    P. CAUSSAT repre quatre prdicats qui structurent les discours des cinq contributions qu'il prsente : Histoire interne/ Histoire externe; su jet/ forme. Il organise la distribution de ces contributions en trois cas de figure.

    1. J. BASTUJI/C. HAROCHE : chez la premire, il s'agit d'une histoire serre constitue par les seuls rebondissements internes la thorie, histoire contemporaine, difficile ordonner dans laquelle les structurations sont rfrables une gomtrisation qui fonctionne comme externe cach; le rapporteur oppose cette problmatique celle de C. HAROCHE qui s'inscrit dans une histoire trs longue, continue du pass au prsent, prenant la forme d'une gnalogie ordre strict dans laquelle se rflchit et s'explicite " 1 ' avnement du su j et" .

    2. La contribution de I. HACKING face tous les autres, dans laquelle les problmes, les difficults, les handicaps qui guettent ce travail d'histoire des sciences sont tales "sans pudeur", contribution qui dit 1 ' impossibilit de trancher entre histoire externe et histoire interne. Mais ne serait-ce pas l une donne inhrente au domaine considr, la statistique?

    3. S. AUROUX/P. HENRY. Ces deux contributions mettent en question une conception apologtique qui est critique par P. HENRY et une approche puremerit rptitive qui est mise en question par S . AUROUX. Chez ce dernier, le terme de "reconstruction" cristalliserait cet cart entre une histoire passive et une histoire prtentions conceptuelles. C'est la notion d' "interprtation" qui, chez P. HENRY, apparat comme la marque d'une forte discontinuit avec les pseudo-vidences du discours apologtique. Alors que nous avons affaire ici une "sorte de contre-histoire" qu'laborerait la psychanalyse contre la psychologie exprimentale, il semble que, chez S. AUROUX, la reconstruction annule l'histoire.

    Cette prsentation amne le rapporteur dgager quel-

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    ques questions et en particulier les deux suivantes : La seule histoire reconnaissable par la science n'est-elle pas celle qui se confond avec elle? La sortie du "brouhaha science/histoire" sur le terrain des sciences humaines se fera-t-elle le jour o ces sciences seront vraiment des sciences?

    Dans la discussion, J. BASTUJI entreprend de prciser le sens qu'elle accorde aux modles gomtriques l'oeuvre en linguistique. Elle choisit l'exemple du structuralisme qui, voulant traiter la langue comme une forme, a recours des proprits spatiales empruntes la gomtrie et l'algbre; ce recours a permis au structuralisme de se marquer lui-mme comme une tape propre la vulgarisation. Puis, elle oppose nettement sa propre dmarche celle de C. HAROCHE en refusant que le problme de la dtermination ait pu importer dans la constitution de la linguistique comme science. J.-L. CHISS ajoute que s'il n'y a jamais eu de grammaire que par et pour l'enseignement, on ne peut carter le contingent et l'historique de la grammaire sous le prtexte qu'elle viserait un idal de compltude. C. HAROCHE rpond en prcisant que cet idal concerne davantage la linguistique que la grammaire.

    I. HACKING sf firme son originalit dans ce Colloque en s 'expliquant de son appartenance la tradition philosophique anglo- saxonne et plus particulirement celle du positivisme logique. Mais il se rclame en mme temps de l'archologie foucaltienne dans la dfinition qu'il donne de l'nonc et dans la dmarche historique qu'il adopte.

    S. AUROUX rectifie l'interprtation de P. CAUSSAT sur deux points : d'abord la distinction entre histoire interne et histoire externe ne recouvre pas l'opposition entre approche intra- thorique et sociologie de la connaissance. Ensuite la reconstruction doit tre absolument distingue de la ractivation. La ractivation ne fait que pointer un moment de l'histoire pour y cherchzr une caution (cf. Chomsky et Descartes) ; la reconstruction, elle, est un travail thorique original sur les thories passes.

    Soucieux de rpondre l'intitul de la sance, P. OSMO souligne deux difficults.

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    1. Le dsaccord des participants sur la notion d'histoire. Il critique en particulier la rduction, pratique par S. AUROUX, de l'histoire des sciences la dure interne du thorique dans le scientifique.

    2. L'limination par certains participants du problme de la scientificit : partir de quel moment est-on sr qu'on a affaire une science? Doit-on s'en remettre au critre d'une formalisation conue sur le patron des sciences de la nature? A la diffrence de ces dernires, les sciences humaines s'occupent d'objets qui sont historiques avant d'tre thoriques.

    B. PEQUIGNOT met de srieuses rserves sur l'exemple allgu par P. OSMO : chez Marx aussi, dans La Critique de l'Economie politique, il s'agit de construire thoriquement un objet.

    Jeudi 29 mai (matin)

    "Enseigner une thorie : avec ou sans son histoire?"

    D. DE LAS , dans son rapport, aprs avoir not que la question de savoir s'il faut enseigner une science humaine avec ou sans son histoire n'est jamais explicitement pose dans les contributions (ce qui n'empche d'ailleurs pas les contribuants d'y rpondre) articule ses propositions pour la discussion autour de deux ides :

    1. Une approche historique pralable tout enseignement d'une discipline prend le risque de se constituer en discours unificateur et tlologique, effaant, dans sa cohrence, la "rupture pistmo- logique" .

    2. Ce risque prend une force particulire en linguistique dont l'objet, la langue, est la fois vident puisque nous sommes d'emble plongs dans son lment et "insaisissable dans sa totalit, la fois soumis la valeur ou aux rgles de la puissance generative" et apprhendable dans la continuit langagire quotidienne (elle reste maternelle) .

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    Dans la discussion vont s'opposer deux conceptions de la pratique pdagogique dont les reprsentants (linguistes, pour l'essentiel et qui refusent parfois les termes mme du problme qui leur est soumis) sont renvoys par le rapporteur, les uns leur "myopie empiriste" , les autres leur "hypermtropie historiciste" . Mais ce dbat est aussi l'occasion de montrer que la possibilit d'une histoire des sciences n'est gure separable de l'institution universitaire et de l'effet de son discours public. Cela, J.-P. COTTEN le suppose aussi de la philosophie, propos de V. COUSIN, en prconisant une thorie historique des effets rhtoriques, une thorie de la rception. Mais pourquoi la philosophie dans ce cas- l? A charge pour J.-P. COTTEN, c'est ce que lui demande C. PUECH, de cerner le lieu d'o la philosophie interroge les sciences en gnral, les sciences humaines en particulier. Enfin, certains intervenants vont s'attacher tracer, au-del de la signification strictement pdagogique du dbat, son importance politique (P. HENRY, M. PECHEUX) .

    Ce dbat (ce rglement de comptes selon C. NORMAND) voit pourtant les participants d'accord pour refuser les termes de D. DELAS; on revendique le risque pour demander, la cantonnade, et des deux cts : qui a peur de la langue? C'est l'autre, bien sr. L'histoire de la linguistique permet aux tudiants de C. NORMAND et de D. MALDIDIER de se dbarrasser des adhrences imaginaires, affectives, instrumentales de la langue maternelle. Et c'est plutt l'absence d'une perspective historique qui conduit la t- lologie, la mise en perspective partir de CHOMSKY comme le note J.-L. CHISS. C. NORMAND le montre en justifiant le choix de ses priodisations. Elle nie, d'autre part, l'vidence et la consistance de faits scientifiques qui ne s'induiraient pas d'une thorie dont le refus par A. DELA VEAU et F. KERLEROUX constituerait la vritable peur de la langue. Ces dernires rcusent l'accusation d'empirisme et montrent que c'est dans le souci d'une stratgie pdagogique et au commencement de l'enseignement en linguistique qu'elles cartent dlibrment l'histoire. Ce quoi B. PEQUIGNOT rtorque, citant KANT, qu'il n'y a pas de propdeutique la libert si ce n'est la libert elle-mme.

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    Jeudi 29 mai (aprs-midi)

    "Les philosophes devant les sciences humaines" .

    Dans son rapport, J. MEDINA explicite le terme "devant" en montrant qu'il s'agit d'un face face qui situe la fois philosophes et sciences humaines dans une "extriorit rciproque" et dans un rapport d'intriorit en ce sens que le philosophe s'occupe d'une science humaine, voire mme de son objet, en continuant philosopher. Le rapporteur dgage deux voies qui conduisent partir de la philosophie aux sciences humaines : celles de la philosophie des sciences, celle de la philosophie de l'histoire, voies qui s'entrecroisent sous la forme de 1 ' "pistmologie historique" par exemple. Les contribuants se situent diffremment face la question "pourquoi faire l'histoire des sciences humaines?" : F. GADET et M. PECHEUX cherchent "lucider certaines caractristiques de la conjoncture actuelle". P. CAUSSAT entend expliciter une conception de l'histoire de la linguistique o le Cours de linguistique gnrale est cit en cho des "propositions epistemologiques fondamentales sur l'ordre par fluctuation confront au couple traditionnel hasard/ncessit. J.-L. CHISS et C. PUECH, se plaant d'emble sur le terrain de la discontinuit, interrogent le projet der- ridien de "dconstruction" la fois comme rponse et comme vite- ment de l'laboration historico-pistmologique des concepts qui rglent la pratique de la linguistique.

    Faisant un sort particulier la contribution de P. 0S- MO, le rapporteur souligne que la rflexion, partir des textes de G. CANGUILHEM, sur l'histoire de l'histoire des sciences est donne par son auteur comme pralable toute position cohrente des problmes que sont les diffrences entre sciences humaines et sciences de la nature, la question de leur objet, de son historicit - et ceci pour aboutir finalement l'hypothse que les sciences humaines pourraient bien ne pas avoir d'histoire "spciale".

    Enfin, devant la question "comment faire l'histoire des sciences humaines?" le rapporteur distingue deux groupes de contributions : d'un ct, celles de F. GADET et M. PECHEUX ou P. OSMO

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    qui mettent des hypothses de nature historique ou philosophique; de l'autre, celles de J.-L. CHISS et C. PUECH ou P. CAUSSAT qui pratiquent des lectures de textes.

    La discussion, aprs une intervention liminaire de P. CAUSSAT qui se demande pourquoi aujourd'hui la philosophie investit tant dans le langage , s ' ordonne autour de deux grands thmes : les rapports entre linguistique et philosophie et le statut de l'objectivit dans les sciences humaines.

    Pour ce qui concerne le premier point, J.-L. CHISS rappelle la perspective d'histoire de la linguistique qui a guid le travail critique accompli sur la lecture de SAUSSURE par J. DERRIDA : cette lecture "philosophique", par le privilge qu'elle accorde la prdtermination logophonocentrique, ne frappe-t-elle pas de caducit toute vise la fois pistmo logique et historique? C. PUECH se demande alors s'il est lgitime de poser un texte - celui de J. DERRIDA en l'occurrence - des questions quant la constitution d'une discipline un moment prcis, dans un contexte prcis o des enjeux thoriques extrmement diffrents existent. C. NORMAND surenchrit en rappelant le rle de "blocage" qu'ont pu jouer, selon elle, certaines analyses de La Grammatologie dans un dveloppement des recherches en histoire de la linguistique. J. DERRIDA, en rpondant que la place qu'il a choisie dans ses travaux ici dbattus n'est ni celle de la philosophie ni celle de la science, retourne l'argumentation de J.-L. CHISS et C. PUECH en stigmatisant une lecture "prlevante" qui fait 1 ' conomie du contexte dtermin de production de ses textes et de la problmatique gnrale de ses propositions. Le projet derridien serait d'interroger la lecture philosophique de la linguistique sans faire du sauvetage ou de la perte de cette discipline l'enjeu d'un travail qui rcuse le qualificatif d'hermneutique et un emploi des termes "coupure" ou "rupture" qui ne se limiterait pas la pure "commodit".

    L'intervention de M. PECHEUX constitue un lieu de passage vers le second thme qui voit se confronter en particulier les points de vue de P. OSMO et G. LABICA. M. PECHEUX examine la trajectoire qui l'a amen, avec F. GADET, passer de 1' elucidation de

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    la conjoncture actuelle marque en particulier par l'irruption du no-positivisme, la ncessit de faire l'histoire de la linguistique en montrant le statut trs particulier des dcouvertes dans cette discipline, sans cesse et irrsistiblement "recouvertes". Ce recouvrement ne peut s'entendre qu'en se rfrant au rapport entre histoire interne et histoire externe, entendue comme "histoire de la lutte des classes". Pour G. LABICA aussi, interroger une science humaine sur sa teneur en scientificit, c'est trs souvent l'interroger sur son fonctionnement social et politique. Mais le dsaccord avec M. PECHEUX porte sur le statut de la linguistique que G. LABICA conoit comme la seule qui soit rellement une science humaine tout en mettant en cause la distinction entre sciences de la nature et sciences humaines. P. OSMO rpond G. LABICA que les sciences humaines lui semblent constituer plutt des secteurs spcialiss l'intrieur du savoir, que leur objet ne serait pas fourni par le travail des savants et ne relverait pas d'une logique de la connaissance comme c'est le cas dans les sciences de la nature. Objet historique, logique de l'histoire, voil qui rglerait l'existence des sciences humaines.

    Vendredi 30 mai (matin)

    "Normativit et sciences humaines".

    Dans son rapport, D. SAVATOVSKY s'attache distinguer deux attitudes face la normativit l'oeuvre dans les sciences humaines. La premire vise dnoncer 1 'instrumentalisme ou le tech- nicisme dont feraient l'objet leurs "applications pratiques". Au service des pouvoirs et des institutions, "allant l o a paye", les sciences humaines ne sont pas vises dans leurs fondements. La seconde attitude, qui marque la dette de certains participants l'gard des analyses de FOUCAULT, consiste, au contraire, considrer les sciences humaines comme des ensembles discursifs dans le systme de leur institutionalisation, des savoirs. D'o la ncessit, en en faisant l'histoire, d'analyser les lments caractristiques de ce systme; et d'abord la quantification (ici les sciences

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    naturelles font modle) qui aboutit une technicisation des sujets (dans la psychotechnique, par exemple) , et, au-del, une technicisation du social lui-mme : I. HACKING, P. NEVE, D. BRAMEL en dcrivent les grilles qui permettent, grce (entre autres) l'appareil statistique, les ajustements et les affinements des contraintes politiques.

    Cette seconde attitude est plus fconde parce qu'elle va au-del de la simple distinction entre l'histoire interne et l'histoire externe d'une discipline et qu'elle permet de faire circuler les mmes figures l'oeuvre dans le droit (F. GADET et M. PECHEUX) , la pdagogie de la langue maternelle (C. HAROCHE) , ou les techniques adaptationistes du behaviorisme (P. NEVE) . Le rapporteur en dgage deux principalement : celle de 1' autonomisation des individus dsigns comme sujets juridiques et celle de la multiplication des pouvoirs.

    La discussion s'ouvre sur quelques prcisions des contribuants : P. NEVE et D. BRAMEL insistent sur le thme de la croyance du sujet qui ncessite pour P. NEVE un dtour par la psychanalyse (dtour que A. RADZINSKI repre aussi dans la figure d'un sujet du dsir chez S. COLLET et chez P. HENRY) et pour D. BRAMEL de montrer clairement ce qui distingue la pratique des Human relations de Mayo et le behaviorisme.

    S. COLLET montre que la normalisation est inscrite dans le projet de toute ethnologie (et par gnralisation de toute science humaine) parce que, comme relation d'enqute, elle chosifie l'autre et produit par l un rapport social. Au-del de ce thme de l'alination (que P. OSMO reprend son compte) , S. COLLET oppose deux modalits des techniques d'enqute, l'observation participante et la mise distance de type "astronomique" , et mesure la forme qu'elles donnent en France un nouveau type d'ethnologie et la mise en place de nouveaux observateurs sociaux qui lui est lie.

    F. GADET et M. PECHEUX reviennent sur leur contribution, F. GADET pour en valuer la porte politique travers la lecture d'un manifeste du G.L.O.W. (association de linguistes gnrativistes europens) dont elle met en lumire la philosophie spontane pour

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    refuser avec J.-C. MILNER, qu'tant gnrativiste dans la pratique, il faille l'tre aussi en philosophie. M. PECHEUX insiste sur la division interne au logos occidental entre la jurisprudence anglo- saxonne et la rglementation continentale et sur les effets que cette division produit dans le champ de l'institution scolaire. Il replace cette configuration dans le cadre gnral d'une thorie des idologies.

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    COLLOQUE : POURQUOI ET COMMENT FAIRE L'HISTOIRE DES SCIENCES HUMAINES? 28-29-30 mai 1980. Universit de PARIS -X-NANTERRE.

    Aprs lecture de toutes les contributions reues, le collectif de travail organisant le colloque a propos que la discussion porte sur les thmes suivants.

    MERCREDI 28 MAI Aprs une introduction - expos des motifs, la premire journe a t consacre au thme : Epistmologie - Histoire.

    9 heures 30-12 heures 30. La question de l'historicit dans les sciences humaines (rupture/ continuit; textes fondateurs; la question des prcurseurs; la constitution d'une discipline) . En particulier partir des contributions de : J. BIDET, J.-P. COTTEN, J.-R. LADMIRAL, B. LEBEAU, M. -F. MORTUREUX, C. NORMAND (2) , B. PEQUIGNOT. Le rapport introductif a t prsent par J.-L. CHISS et C. PUECH.

    14 heures 30-17 heures. Les formes de la rationalit dans les sciences humaines (quantification, formalisation, mathmatisation, modlisation - Sciences de la nature/Sciences humaines. Le modle de la Science...). En particulier partir des contributions de : S. AUROUX, J. BASTUJI , I. HACKING, C. HAROCHE, P. HENRY. Le rapport introductif a t prsent par P. CAUSSAT.

    JEUDI 29 MAI 9 heures 30-12 heures 30.

    Enseigner une thorie : avec ou sans son histoire? En particulier partir des contributions de : J.-P. COTTEN, A. DELAVEAU et F. KERLE- ROUX, Y. GENTILHOMME, J. GUESPIN, C. NORMAND (1). Le rapport introductif a t prsent par D. DELAS.

    14 heures 30-17 heures. Les philosophes "devant" les Sciences humaines. En particulier partir des contributions de : P. CAUSSAT, J.-L. CHISS et C. PUECH, F. GADET et M. PECHEUX, P. OSMO. Le rapport introductif a t prsent par J. MEDINA.

    VENDREDI 30 MAI 9 heures 30-12 heures 30.

    Sciences humaines et normativit. En particulier partir des contributions de : D. BRAMEL et R. FRIEND, S. COLLET, F. GADET et M. PECHEUX, I. HACKING, C. HAROCHE, P. NEVE. Le rapport introductif a t prsent par A. RADZINSKI et D. SAVATOVSKY.

    14 heures 30. ;

    Bilan, questions, programme.

    InformationsAutres contributions des auteursJean-Louis ChissChristian PuechDan Savatovsky

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    Plan"Historicit des sciences humaines.""Les formes de la rationalit dans les Sciences Humaines""Enseigner une thorie : avec ou sans son histoire ?""Les philosophes devant les sciences humaines""Normativit et sciences humaines"