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LES ANALYSES fragmentées et souvent disjointes sur l’eau por- tent non seulement à la confusion mais nous font perdre de vue l’es- sentiel, à savoir que l’eau, comme l’air, la terre, la biodiversité du vivant et leurs complexes interac- tions, est constitutive de notre vie biologique. Au risque d’altérer notre ego, rappelons que nous sommes constitués, comme n’importe quel être vivant, de 70 % d’eau – de 80 % même, pour ce qui est de notre cerveau. La production de notre nourriture est, elle aussi, conditionnée par l’accès à l’eau. Pour ces seules raisons, ne serait- ce pas une preuve d’inintelligence que de traiter l’eau comme une res- source quelconque ? Il est vrai que, depuis dix ans, les débats de la communauté interna- tionale ont progressé en matière de reconnaissance des dimensions sociale, culturelle, religieuse et environnementale de l’eau. Les nombreuses déclarations, de Stock- holm en 1972, de Dublin en 1992, la conférence de La Haye en 2000, la déclaration de Bonn en 2001, les objectifs du Millénium, le plan d’ac- tion de Johannesburg démontrent une prise de conscience dont il faut se réjouir. Mais ne faut-il pas s’étonner en même temps que ces déclarations portent, pour l’essen- tiel, sur des vérités premières à pro- pos de la bonne gouvernance, du service public... dont seule une atti- tude arrogante et dominatrice sem- ble devoir expliquer notre éloigne- ment passé ? Et ces déclarations, d’ailleurs quelquefois contradictoi- res et sur le mode incantatoire, ne sont-elles pas le reflet d’une cer- taine incapacité déjà trentenaire à changer les choses en pratique ? Si la nature nous prodigue de l’eau en quantité stable au point qu’elle constitue la première subs- tance de la planète, l’eau douce uti- lisable par les humains n’en repré- sente que 2,5 %. Mal répartie natu- rellement dans le monde et entre les humains là où ils vivent – un Islandais a accès à 600 000 m 3 par an alors qu’un habitant de Gaza doit se contenter de 70 m 3 /an –, elle est aussi mal répartie selon les modes de distribution : la plupart de ceux qui n’y ont pas accès (1,4 milliard de personnes dans le monde) vivent en Asie et en Afrique. Lire la suite page II Quelle place pour l’animal sauvage QUE L’ON DÉFENDE l’accès à l’eau potable dans les pays pauvres ou tout simplement sa pureté dans nos contrées plus hospitalières, que l’on défende l’homme et l’animal, et par- fois l’animal contre l’homme, le principe est finalement le même. Si l’union n’est pas forcé- ment gage de force, la solitude est forcément promesse de faiblesse. Alors on s’associe pour défendre des projets plus grands que soi, pour que des rêves ne restent pas dans leur état de rêve et viennent crever le mur du réel. Mais faut-il toujours qu’un drame préside à la fédération des bonnes volontés ? Faut-il des accidents mortels de la route pour que se for- ment des associations de victimes ? Faut-il que l’ourse Cannelle ait du plomb dans la fourrure pour que le ciment jusqu’ici lézardé des défen- seurs de la nature « prenne » plus solidement face à la bêtise humaine ? La cause animale, pour ne citer qu’elle, fédè- re en tout cas au-delà de ce qu’on pouvait ima- giner. Qui aurait pensé que chasseurs et écolo- gistes marcheraient d’un même pas pour dénoncer la mort de cette maman ourse dans les Pyrénées ? Et que dire des mobilisations qui se font jour à intervalle régulier en faveur du loup, alors qu’il en va souvent de la vie des moutons et du sort des bergers. Défendre l’eau, l’ours ou le loup, il a fallu du temps pour comprendre que c’était au bout du compte servir une certaine idée de l’homme dans son environnement, apporter de la sécuri- té – l’eau potable et saine – n’excluant pas de tolérer un minimum de présence sauvage sans crier à tout bout de champ « au loup »… Longtemps ce combat a été tourné en déri- sion. Qui n’a pas souri en découvrant René Dumont, candidat écologiste à l’élection prési- dentielle de 1974, buvant devant les caméras de télévision un verre d’eau en affirmant que cette eau demain serait rare et menacée, et aurait plus de valeur que le pétrole. La guerre de l’eau a bel et bien lieu, et l’urgence s’est imposée d’elle-même : il fallait protéger, et d’abord informer pour convaincre. Très souvent, les initiatives ne sont pas venues de l’Etat mais des individus. D’associa- tions de bienfaiteurs qui ont compris sur le ter- rain que l’eau, l’ours ou le loup avaient leur pla- ce pleine et entière dans une société moderne qui ne voit pas plus loin que le bout des cour- bes de rentabilité à court terme. Partout en France, des hommes et des fem- mes veillent. Ils regardent de près l’érosion des dunes, la migration des oiseaux venus du froid, guettent les repousses de fleurs rares, avec la conviction que seule la vigilance de chaque jour permet de préserver notre environnement et celui de nos enfants. Les mauvaises nouvelles ne manquent pas sur le réchauffement de la planète et la fonte des banquises lointaines qui nous menacent de rencontrer demain ou après-demain le climat des tropiques sur les berges de Paris-Plage. Face à de telles échéances, plutôt que d’en- fouir leur tête sous le sable, les acteurs associa- tifs décident au quotidien, sans faire trop de bruit, de lutter contre l’irréparable. Ils font de l’or avec de l’eau, ils ne vendraient la peau de l’ours pour rien au monde, et s’ils se reconnais- sent dans les loups, c’est qu’ils luttent en grou- pe, sinon en meute. LA MORT de l’ourse Cannelle (photo) a paradoxalement permis aux associations de renforcer une cohésion presque autant menacée que certaines espèces. Lire page VII est responsable du projet Méditerranée de pS-Eau (Programme Solidarité-Eau). Bienfaiteurs associés L’EAU, indispensable à la vie, manque à 30 % de la population mondiale ; et c’est la moitié de la planète qui est menacée de pénurie en 2015 si rien n’est fait d’ici là. Face à ce constat inquiétant, il y a eu le Forum mondial de l’eau à Kyoto en 2003. Puis un rapport qui a fait grand bruit en France, celui cosigné par le Français Michel Camdessus, ancien directeur géné- ral du FMI, et plusieurs experts, qui pointait la question fondamentale du financement. Enfin, il y a la mobilisation du milieu associatif. Et là, autant le bilan écologique de la Terre est alar- mant, autant celui des associations est encourageant. Au nombre de 1 million en France, elles consti- tuent une réelle force économique, qu’elles savent utiliser. Les premiers résultats de l’opération « Sahel » menée par SOS-Enfants sont saisis- sants. Dans l’Hexagone, où l’eau potable, si elle n’est pas encore rare, coûte de plus en plus cher, les asso- ciations veillent activement à sa qua- lité, ou aident le consommateur à s’y retrouver dans une facturation parfois opaque. Tour d’horizon. // f 70 000 associations apparues en un an : un nouveau record f 21,6 millions de membres f L’engouement récent pour la défense de l’environnement f Le Sud, plus créatif que le Nord Lire page VI Faire reverdir la campagne du Burkina Faso ? Les résultats obtenus par SOS-Enfants p. II La qualité de l’eau, préoccupation majeure des Bretons : la victoire d’Eaux et Rivières p. V Jean-François Lamour, ministre responsable de la vie associative, parle du rôle de l’Etat p. VI > Réduire de moitié le nombre de personnes privées d’eau potable d’ici à 2015 > Trente ans de sécheresse au Sahel > Pourquoi, en France, paie-t-on l’eau du robinet ? > Le cycle de l’eau > Le « consommateur captif » face à l’incohérence des factures > L’agriculteur « victime plutôt que coupable » Notre dossier pages II à V a Pour sortir de l’« eautisme » par Patrice Burger / ! Elles sont 1 million à vivre en France Les associations se battent pour l’or bleu 0123 ASSOCIATIONS SUPPLÉMENT AU « MONDE » DU MARDI 30 NOVEMBRE 2004, N O 18614. NE PEUT ÊTRE VENDU SÉPARÉMENT

ASSOCIATIONS Lesassociationssebattentpourl’orbleu

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Page 1: ASSOCIATIONS Lesassociationssebattentpourl’orbleu

LES ANALYSES fragmentées etsouvent disjointes sur l’eau por-tent non seulement à la confusionmais nous font perdre de vue l’es-sentiel, à savoir que l’eau, commel’air, la terre, la biodiversité duvivant et leurs complexes interac-tions, est constitutive de notre viebiologique.Au risque d’altérer notre ego,

rappelons que nous sommesconstitués, comme n’importe quelêtre vivant, de 70 % d’eau – de80 % même, pour ce qui est denotre cerveau. La production denotre nourriture est, elle aussi,conditionnée par l’accès à l’eau.Pour ces seules raisons, ne serait-

ce pas une preuve d’inintelligenceque de traiter l’eau comme une res-source quelconque ?Il est vrai que, depuis dix ans, les

débats de la communauté interna-tionale ont progressé en matièrede reconnaissance des dimensionssociale, culturelle, religieuse etenvironnementale de l’eau. Lesnombreuses déclarations, de Stock-holm en 1972, de Dublin en 1992,la conférence de La Haye en 2000,la déclaration de Bonn en 2001, lesobjectifs duMillénium, le plan d’ac-tion de Johannesburg démontrentune prise de conscience dont ilfaut se réjouir. Mais ne faut-il pass’étonner en même temps que ces

déclarations portent, pour l’essen-tiel, sur des vérités premières à pro-pos de la bonne gouvernance, duservice public... dont seule une atti-tude arrogante et dominatrice sem-ble devoir expliquer notre éloigne-ment passé ? Et ces déclarations,d’ailleurs quelquefois contradictoi-res et sur le mode incantatoire, nesont-elles pas le reflet d’une cer-taine incapacité déjà trentenaire àchanger les choses en pratique ?Si la nature nous prodigue de

l’eau en quantité stable au pointqu’elle constitue la première subs-tance de la planète, l’eau douce uti-lisable par les humains n’en repré-sente que 2,5 %. Mal répartie natu-

rellement dans le monde et entreles humains là où ils vivent – unIslandais a accès à 600 000 m3 paran alors qu’un habitant de Gazadoit se contenter de 70 m3/an –,elle est aussi mal répartie selon lesmodes de distribution : la plupartde ceux qui n’y ont pas accès(1,4 milliard de personnes dans lemonde) vivent en Asie et enAfrique.

Lire la suite page II

Quelle place pour l’animal sauvage

QUE L’ON DÉFENDE l’accès à l’eau potabledans les pays pauvres ou tout simplement sapureté dans nos contrées plus hospitalières,que l’on défende l’homme et l’animal, et par-fois l’animal contre l’homme, le principe estfinalement le même. Si l’union n’est pas forcé-ment gage de force, la solitude est forcémentpromesse de faiblesse. Alors on s’associe pourdéfendre des projets plus grands que soi, pourque des rêves ne restent pas dans leur état derêve et viennent crever le mur du réel.Mais faut-il toujours qu’un drame préside à

la fédération des bonnes volontés ? Faut-il desaccidents mortels de la route pour que se for-ment des associations de victimes ? Faut-il quel’ourse Cannelle ait du plomb dans la fourrurepour que le ciment jusqu’ici lézardé des défen-seurs de la nature « prenne » plus solidementface à la bêtise humaine ?La cause animale, pour ne citer qu’elle, fédè-

re en tout cas au-delà de ce qu’on pouvait ima-giner. Qui aurait pensé que chasseurs et écolo-gistes marcheraient d’un même pas pourdénoncer la mort de cette maman ourse dans

les Pyrénées ? Et que dire des mobilisations quise font jour à intervalle régulier en faveur duloup, alors qu’il en va souvent de la vie desmoutons et du sort des bergers.Défendre l’eau, l’ours ou le loup, il a fallu du

temps pour comprendre que c’était au bout ducompte servir une certaine idée de l’hommedans son environnement, apporter de la sécuri-té – l’eau potable et saine – n’excluant pas detolérer un minimum de présence sauvage sanscrier à tout bout de champ « au loup »…Longtemps ce combat a été tourné en déri-

sion. Qui n’a pas souri en découvrant RenéDumont, candidat écologiste à l’élection prési-dentielle de 1974, buvant devant les camérasde télévision un verre d’eau en affirmant quecette eau demain serait rare et menacée, etaurait plus de valeur que le pétrole. La guerrede l’eau a bel et bien lieu, et l’urgence s’estimposée d’elle-même : il fallait protéger, etd’abord informer pour convaincre.Très souvent, les initiatives ne sont pas

venues de l’Etat mais des individus. D’associa-tions de bienfaiteurs qui ont compris sur le ter-

rain que l’eau, l’ours ou le loup avaient leur pla-ce pleine et entière dans une société modernequi ne voit pas plus loin que le bout des cour-bes de rentabilité à court terme.Partout en France, des hommes et des fem-

mes veillent. Ils regardent de près l’érosion desdunes, la migration des oiseaux venus du froid,guettent les repousses de fleurs rares, avec laconviction que seule la vigilance de chaquejour permet de préserver notre environnementet celui de nos enfants.Les mauvaises nouvelles ne manquent pas

sur le réchauffement de la planète et la fontedes banquises lointaines qui nous menacent derencontrer demain ou après-demain le climatdes tropiques sur les berges de Paris-Plage.Face à de telles échéances, plutôt que d’en-fouir leur tête sous le sable, les acteurs associa-tifs décident au quotidien, sans faire trop debruit, de lutter contre l’irréparable. Ils font del’or avec de l’eau, ils ne vendraient la peau del’ours pour rien au monde, et s’ils se reconnais-sent dans les loups, c’est qu’ils luttent en grou-pe, sinon en meute.

LA MORT de l’ourse Cannelle (photo) a paradoxalement permisaux associations de renforcer une cohésion presque autant menacéeque certaines espèces. Lire page VII

est responsabledu projet Méditerranée de pS-Eau(Programme Solidarité-Eau).

Bienfaiteurs associés

L’EAU, indispensable à la vie,manque à 30 % de la populationmondiale ; et c’est la moitié de laplanète qui est menacée de pénurieen 2015 si rien n’est fait d’ici là.Face à ce constat inquiétant, il y aeu le Forum mondial de l’eau àKyoto en 2003. Puis un rapport quia fait grand bruit en France, celuicosigné par le Français MichelCamdessus, ancien directeur géné-ral du FMI, et plusieurs experts, quipointait la question fondamentaledu financement.Enfin, il y a la mobilisation du

milieu associatif. Et là, autant lebilan écologique de la Terre est alar-mant, autant celui des associationsest encourageant. Au nombre de1 million en France, elles consti-tuent une réelle force économique,qu’elles savent utiliser. Les premiersrésultats de l’opération « Sahel »menée par SOS-Enfants sont saisis-sants. Dans l’Hexagone, où l’eaupotable, si elle n’est pas encore rare,coûte de plus en plus cher, les asso-ciations veillent activement à sa qua-lité, ou aident le consommateur às’y retrouver dans une facturationparfois opaque. Tour d’horizon.

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f 70 000 associationsapparues en un an :un nouveau record

f 21,6 millions de membres

f L’engouement récentpour la défensede l’environnement

f Le Sud, plus créatifque le Nord Lire page VI

Faire reverdirla campagnedu Burkina Faso ?Les résultats obtenuspar SOS-Enfants p. II

La qualité de l’eau,préoccupation majeuredes Bretons : la victoired’Eaux et Rivières

p. V

Jean-François Lamour,ministre responsablede la vie associative,parle du rôle de l’Etat p. VI

> Réduire de moitiéle nombre de personnesprivées d’eau potabled’ici à 2015

> Trente ans desécheresse au Sahel

> Pourquoi, en France,paie-t-on l’eaudu robinet ?

> Le cycle de l’eau

> Le « consommateurcaptif » faceà l’incohérencedes factures

> L’agriculteur « victimeplutôt que coupable »

Notre dossier pages II à V

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Pour sortir de l’« eautisme » par Patrice Burger

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Les associations se battent pour l’or bleu

0123ASSOCIATIONS

SUPPLÉMENT AU « MONDE » DU MARDI 30 NOVEMBRE 2004, NO 18614. NE PEUT ÊTRE VENDU SÉPARÉMENT

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II/LE MONDE/MARDI 30 NOVEMBRE 2004

Suite de la première pageEn termes de disponibilité par rap-

port aux ressources, la Méditerra-née concentre à elle seule 60 % de lapopulation dite pauvre en eau(selon la norme de moins de1 000 m3 par an et par habitant). Etles dernières estimations sur lesconséquences induites par le change-ment climatique avancent une aggra-vation de la raréfaction de l’eau de20 % dans le monde.

Enfin, l’emploi fait de l’eau

dépend essentiellement des modesde développement : en Europe,11 % est dédié à des usages domesti-ques croissants (voire discutables :40 % est consommé par les chassesd’eau !), 30 % à l’agriculture et 59 %à l’industrie ; dans les pays à plus fai-ble revenu, l’agriculture consomme82 % des ressources en eau pour seu-lement 8 % aux usages domestiques.

Si les défis posés par l’accès àl’eau sont une menace communepour le monde, ils sont aussi une

occasion extraordinaire de coopéra-tion entre les hommes. Selon uneétude récente, les questions trans-frontalières et de gestion de bassinsfont l’objet de plus de convergencesque de divergences. Bonne nouvellepour la planète !

L’eau est un besoin, intrinsèque àla vie ; un droit, dans une société quis’organise pour garantir sa pérenni-té ; et un bien, tout volume d’eau dis-tribué ayant un prix. Le défi consisteen notre capacité à répondre à cetteéquation aux paramètres contradic-toires à l’échelle mondiale, sachantque pour les plus démunis deshumains la réponse est vitale. Nesommes-nous pas alors sommésd’inventer une nouvelle culture del’eau – une nouvelle culture toutcourt – sur la manière dont nousmaltraitons l’ensemble des ressour-ces naturelles ?

De revendication en revendica-tion, de délégations en démissionsindividuelles et collectives, un payscomme la France a son eau gérée à80 % par des entreprises privéesdevenues parmi les plus puissantesmultinationales du monde. Peut-on,pour autant, seules les pointer d’undoigt accusateur ? Gérer en « bonpère de famille », disaient les bauxruraux. Mais y rajouter une dimen-sion d’un monde aux limites désor-mais connues. Le premier et le der-nier recours ne serait-il pas d’enappeler à la responsabilité indivi-duelle, au « principe de responsabili-té », comme le dit Hans Jonas, pourprotéger l’homme « auquel la scien-ce confère des forces jamais encoreconnues et l’économie son impulsioneffrénée » et qui réclame une éthi-que, qui, « par des entraves librementconsenties, empêche l’homme dedeve-nir une malédiction pour lui-même ».

Imprégné des angoisses liées à sasurvie et qui le conduisent à faire

tout ce qui lui était « possible »,l’homme est-il désormais condam-né à faire tout ce que la nature etson génie lui ont donné la capacitéde faire, ou le temps est-il venud’opter pour « ce qu’il ne faut pasfaire » ?

S’appuyant sur la plupart desdéclarations internationales – y com-pris l’article 14 de la directive euro-péenne sur l’eau – qui font état d’unencouragement à la participation età la sensibilisation de la société civi-le, sans doute y a-t-il là matière àdynamiser une citoyenneté plutôtsomnolente sur cette question. L’in-formation est centrale : qui lutteraitcontre un problème dont il n’a pasconnaissance ? Mais il faut y ajouterla sensibilisation (se sentir concer-né) et la formation, afin de savoirrégler les problèmes. Des estima-tions faites par le Plan bleu pour lespays du pourtour méditerranéen,sur le thème de la gestion par lademande, font état d’un gain possi-ble de l’ordre de 30 % sur lesconsommations additionnelles àvenir d’ici à 2025, évitant le scénariode crise à de nombreux pays.

L’Europe doit résoudre les problè-mes d’une eau subventionnée (agri-culture surtout) qui ne représentepas sa vraie valeur, d’un inconscientcollectif qui a depuis longtempsentériné la délégation aux spécialis-tes de l’eau, des avantages acquispar certains usagers qui ne sont pasprêts à les remettre en cause. Quantaux pays de la soif et à leurs habi-tants – entre autres le milliard de per-sonnes qui vivent dans des zones ari-des ou affectées par la sécheresse –,ils attendent, mais de moins enmoins patiemment, un peu plus desolidarité.

Patrice BurgerTunis, 25 novembre 2004

FAIRE REVERDIR en partie leSahel. L’objectif de l’association SOS-Enfants peut paraître titanesque. Lespremiers résultats obtenus par sonéquipe au Burkina Faso dans leur« opération Sahel » sont pourtant sai-sissants. A Guié, une marée verteprend place là où le désert gagnait.

L’association, traditionnellementengagée dans des actions de soutienaux enfants dans les pays du tiers-monde, via des parrainages, s’estengagée dans ce programme en1990. Le Burkina Faso, un des paysles plus pauvres d’Afrique, connaît,depuis quelques années, de gravesfamines dues à un déficit de récoltes.La sécheresse sévit et la désertifica-tion gagne, entraînant un exoderural récurrent.

Si le phénomène de réchauffe-ment climatique explique en partiecette avancée du désert, les pratiquesancestrales des paysans y sont aussipour beaucoup. Déforestation pardes coupes massives du bois, feux debrousse pour défricher et surexploita-tion des sols ont entraîné une raréfac-tion de la végétation. Les pluies trèsfortes, ne rencontrant plus d’obsta-cles, ravinent les sols, les vents lesassèchent et les sols se durcissent.L’eau ne peut alors plus s’infiltrer,contribuant au cercle vicieux quirend toute culture impossible.« Nous sommes persuadés que si on

veut aider les enfants de ce pays, il fautpermettre à leurs parents de restervivre sur leurs terres en agissant surl’environnement », explique AlfredBlanchet, président de l’association.Pour SOS-Enfants, il est possible delutter contre la désertification enchangeant les pratiques culturales eten formant les paysans à des techni-ques économes en eau. « Il n’y a pasde fatalité à la sécheresse : c’est une

région où il pleut autant qu’enNormandie mais sur quelques semai-nes seulement, avant une période dehuit à dix mois sans eau », assureM. Blanchet. C’est Hervé Girard, unjeune fils d’agriculteur du Nord pas-sionné par le Sahel, qui va monter leprojet technique inspiré du bocagefrançais.

En 1987, il reste un an chez des

paysans burkinabés. Il se convaincqu’en creusant des fossés, desmares, en relevant la terre en diguet-tes, il est possible de retenir l’eau etd’empêcher son ruissellement. Deux

ans plus tard, grâce à une bourse dela Fondation de France, il s’installeau pays et développe son projet deferme pilote à Guié, un village de laprovince d’Oubritenga, en pleinezone sahélienne, à 60 kilomètres deOuagadougou. M. Girard commen-ce par parquer les animaux – vacheset chèvres – pour éviter le piétine-ment des cultures. Il creuse ensuitedes zones de pare-feu, puis des talusentourés d’une haie d’épineux toxi-ques afin d’éviter la pénétration desbêtes errantes. Les haies protègentainsi les champs des vents et permet-tent une irrigation naturelle par l’eaude pluie. Des mares ou bullis sontensuite creusées en contrebas deschamps et de grands arbres plantéspour mieux piéger l’eau.

Il met aussi en expérimentationune technique de plantation tradi-tionnelle, le « Zaï » : on creuse destrous profonds de 20 cm que l’onrecouvre de compost et de terreavant la saison des pluies. Dès quel’eau y stagne, on plante les semen-ces. Les graines, préservées par l’hu-midité, vont ainsi germer sans êtrebalayées par le vent ni grillées ausoleil. Le paysan peut faire poussermil, sorgho ou maïs dans le mêmetrou que ses haricots et varier ainsiles cultures. Les essais se révèlentvite concluants. A tel point que les

paysans s’intéressent aux expérien-ces de ce drôle de Blanc qui fait toutpousser. Des parcelles sont aména-gées avec les villageois en 1995, tou-tes avec succès. « Le paysage a rever-di en une saison », constate, ravi, leprésident de SOS-Enfants. M. Girard

lance alors une école agricole pourformer des jeunes de 14 à 18 ans à« ses » techniques ; des « champsécole » sont aussi organisés pour lesadultes.

En 1998, la communauté de Guiéveut se lancer sur une grande échelle

– 100 hectares. Les paysans se sontconstitués en association, sorte decopropriété dotée d’une garantiefinancière. « Il s’agit d’une cautiond’engagement symbolique. On ne veutpas faire les choses gratuitement,sinon les villageois ne s’impliquentpas », estime M. Girard.

En 2004, un deuxième village s’est

engagé dans le programme et100 nouveaux hectares ont été réali-sés. Cinq autres sont candidats. Maisles moyens manquent : les travauxréalisés sur chaque hectare coûtententre 380 et 450 euros. Le coût desterrassements est lourd et il faut rétri-buer le gros œuvre. « Cela permetaux plus jeunes et aux femmes degagner unpeu d’argent pour leurs pro-pres projets », explique l’agronome.

Le projet est maintenant bien enra-ciné. « Dès le départ, on s’est inscritdans le temps parce que ce n’est pasen deux, trois ans qu’on change leshabitudes », assure le président deSOS-Enfants. Une vision partagéepar M. Girard : « J’ai donné ma viepour cette utopie. Mais je sais que plusje reste ici, moins les gens de Guiéauront besoin de moi. » Le Françaisdemeure cependant modeste :« Quand on survole la zone en avion,notre oasis est une goutte d’eau. »

Sylvia Zappi

DEPUIS 1970, les pays de la zone sahélienneconnaissent une sécheresse intense, qui se traduit parun déficit de pluies d’environ 30 %. « Le début de ladécennie 2000 n’est pas plus favorable, précise GilMahé, hydrologue à l’Institut de recherche pour ledéveloppement de Montpellier, qui revient d’une mis-sion dans la région. 2003 a été un peu plus pluvieux,mais l’année 2004 reste très sèche. » Cette situation aentraîné une désertification des terres – alors que lapopulation a doublé en trente ans – et a rendu les solsplus perméables. Quand il pleut, l’eau s’infiltre moinsdans le sol qu’auparavant et s’écoule en plus grandequantité dans les rivières. « Ce qui a des conséquencestrès graves pour les infrastructures des pays sahéliens,qui ne sont pas conçues pour supporter ces nouvelles nor-mes hydrologiques », ajoute Gil Mahé.

L’origine de cette sécheresse persistante est liée aufonctionnement de la machine climatique mondiale,qui dépend de facteurs tels l’océan global et la circula-tion atmosphérique, sur lesquels il reste encore beau-coup de lacunes. On sait cependant que les désertssont présents à certaines latitudes du globe, commeles tropiques, car ils correspondent à une branche des-

cendante de la circulation atmosphérique. « A l’en-droit où l’air descend, il ne pleut pas », confirme GilMahé.

Les pluies de la mousson ouest-africaine apportentune eau bénéfique sur la zone sahélienne pendantl’été. Des vents venus du golfe de Guinée et de la Médi-terranée (harmattan) sont « aspirés » par la dépres-sion thermique installée sur le Sahara. Hélas, cettemousson « connaît une grande variabilité naturellequ’on ne sait pas prévoir », explique Jean-Philippe Lafo-re, chercheur-ingénieur de Météo France.

Lancé en 2000, le programme AMMA (African Mon-soon Multidisciplinary Analysis) doit faire mieux com-prendre les variations de la mousson africaine, afin deréaliser des modèles météorologiques qui permet-tront de fournir des prévisions plus exactes aux agricul-teurs africains. L’AMMA débutera le 1er janvier 2005 etdurera cinq ans. Le projet est financé par l’Europepour un montant de 12,7 millions d’euros, auxquelss’ajoutent 8 millions d’euros apportés par la France, et4,5 par la Grande-Bretagne.

Christiane Galus

Des actions dans le monde entier

L’association SOS-Enfants a été créée en 1982 par Alfred Blanchet,ancien militant de Terre des hommes et d’Enfance et partage. SOS-Enfants s’engage en France et dans le monde dans des projets d’aide à laréinsertion par le biais de l’alphabétisation, l’éducation, la formation, lasanté et le développement. Des actions sont actuellement en cours àMadagascar, en Angola, au Bénin, au Togo, en Haïti, en Argentine et enBosnie-Herzégovine.

Le budget de l’association, de l’ordre de 196 000 euros annuels, dépendessentiellement des dons et cotisations de ses membres. Deux gros contri-buteurs se distinguent : un cabinet d’avocats qui veut rester anonyme etle groupe chimique et pharmaceutique belge Solvay.

L’association compte 400 adhérents et 800 donateurs réguliers, notam-ment au travers des parrainages d’enfants. Deux permanents permettentd’assurer le quotidien d’un petit local dans le 13e arrondissement de Paris.L’association a reçu en 1987 le Prix international des droits de l’homme.

l ’ o r b l e ui n t e r n a t i o n a l

Pour sortir de l’« eautisme »

Dans le village de Guié, le paysan peut faire pousser mil, sorgho ou maïs dans le même trou que ses haricots, variant ainsi les cultures.

Trente années de sécheresse au Sahel

Les petits miracles de SOS-Enfants dans la campagne du Burkina FasoL’association a lancé, en 1990, son « opération Sahel », qui expérimente des techniques traditionnellespour retenir l’eau. Les résultats ont convaincu les villageois de Guié, à 60 kilomètres de Ouagadougou

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LE MONDE/MARDI 30 NOVEMBRE 2004/III

QUELQUES JOURS avant la« grande messe » du Forum mon-dial de l’eau de Kyoto, enmars 2003, l’ancien directeur géné-ral du Fonds monétaire interna-tional (FMI), le Français MichelCamdessus, cosignait avec desexperts un rapport consacré aufinancement des infrastructurespour un accès à l’eau et son assai-nissement.

Copieux autant qu’austère,l’ouvrage avait le mérite de mettrel’accent sur un problème-clé, celuidu financement de l’eau. Il faut« amener des capitaux frais dansl’équipement hydraulique », résu-mait l’ancien banquier (Le Mondedu 3 mars 2003).

La question n’est pas vaine :30 % de la population mondialen’ont pas assez d’eau ; le pourcen-tage grimpera à 50 % en 2015 sirien n’est fait. Dans nombre demétropoles – notamment auMaghreb, en Afrique noire et enAmérique du Sud –, plus de 60 %de l’eau disparaît dans la naturealors que ce taux ne dépasse pas2 % à Singapour.

Dans le monde rural, la situationse pose en d’autres termes, plusfondamentaux. Il s’agit moinsd’améliorer la « gouvernance del’eau » que d’approvisionner lespopulations qui en sont privées.Les préoccupations deM. Camdes-sus et de la petite équipe réunieautour de lui étaient indissociablesde l’engagement pris par l’ONUlors des sommets du Millénaire en2000 et de Johannesburg en 2002,et réaffirmé à Kyoto : réduire demoitié d’ici à 2015 le nombre depersonnes privées d’accès à l’eaupotable et à l’assainissement.

Qu’en est-il près de dix-huitmois plus tard ? Une impulsiona-t-elle été donnée qui laisse espé-rer que, cette fois, l’objectif affiché

par la communauté internationalesera atteint ? Trancher serait pré-maturé. Les données sont éparses.Nul organisme ne dispose de statis-tiques globales, et il faudra atten-dre le prochain sommet de l’eau,au Mexique en 2006, pour faire unpremier bilan.

Du coup, les avis sont partagés.Pour Jean Margat, l’un des

meilleurs spécialistes des problè-mes de l’eau sur le pourtour médi-terranéen, « rien de fondamentaln’a changé depuis Kyoto, expli-que-t-il. Les télécommunications,l’énergie, attirent davantage d’inves-tissements. Elles sont davantage à lamode que l’eau, surtout s’il s’agit deson assainissement. » La région estpourtant confrontée à une situa-

tion inquiétante. Les prélèvementsen eau y dépassent de plus de 50 %les ressources renouvelables.

’ Encore s’agit-il d’une moyenne

qui cache des disparités. Si la Fran-ce ou l’Italie tirent bien leur épin-gle du jeu, des pays comme Israëlet l’Egypte sont menacés par la

raréfaction de leurs ressourceshydrauliques.

Et que dire de la Libye, où le ryth-me des prélèvements est quatrefois supérieur à celui des ressour-ces. Dans la région, le seul pays àavoir pris le problème à bras-le-corps est la Tunisie. Sur l’île deDjerba, par exemple, l’eau qui ali-mente les hôtels est surtaxée.

Tous les spécialistes ne parta-gent pas la vision d’un mondeinsouciant et frivole face à la raré-faction d’une ressource vitale.Pour Daniel Zimmer, président duConseil mondial de l’eau, un orga-nisme transnational (il réunitONG, structures gouvernementa-les et fonds privés) installé à Mar-seille, « les choses bougent, des ini-tiatives sont prises, directement inspi-rées des idées contenues dans le rap-port Camdessus ».

L’une des pistes les plus promet-teuses actuellement exploréesconcerne le financement despetits investissements, ceux àl’échelle d’une commune, d’unquartier. « Il faut inventer des mon-tages originaux. Aujourd’hui, expli-que-t-il, dans beaucoup de pays envoie de développement, les structu-res administratives intermédiairessont inexistantes. Il y a l’Etat et rienen dessous parce que le pouvoircentral se méfie. Et quand elles exis-tent, les collectivités locales sontdésargentées alors que l’approvi-sionnement en eau et l’assainisse-ment sont de leur ressort. »

Contourner l’obstacle n’est pasimpossible, affirme, exemple à l’ap-pui, le président du Conseil mon-dial de l’eau. L’exemple, c’est celuide Mexico – l’une des plus impor-tantes agglomérations au monde.

Pour financer l’approvisionne-ment et l’assainissement d’un quar-tier en banlieue, les responsableslocaux prévoient de faire appel aux

ressources d’un fonds de pensionmexicain. Une banque garantiraitl’investissement, non sans avoirnégocié elle-même une secondegarantie auprès de la SFI, unefiliale de la Banque mondiale. Leprojet est bien avancé. « D’autresorganismes, dont l’Union euro-péenne (UE), la Banque africaine dedéveloppement (BAD) et l’US Aid,travaillent sur d’autres schémas degarantie », ajoute M. Zimmer.

’ Le problème est plus compliqué

en zone rurale, où l’absence destructure locale ralentit l’applica-tion des propositions Camdessus.Pourtant, des Etats ont pris desengagements dans le sillage duSommet de Kyoto. Ainsi le Kenya.D’ici à 2006, l’ensemble de la popu-lation devra avoir accès à une fon-taine à eau distante de moins de5 kilomètres. Quatre ans plus tard,la distance devra avoir été rame-née à 2 kilomètres. Ultime étape en2015 : tous les Kényans devront dis-poser d’une source d’eau potable àproximité de leur domicile.

Un autre motif de satisfactiontient à une prise de conscience despays industrialisés. En France, unsénateur a fait adopter en juin uneproposition de l’eau qui, si elleétait votée par les députés, consti-tuerait un premier pas vers cet« impôt mondial de solidarité »réclamé entre autres par l’ACME(l’Association pour le contrat mon-dial de l’eau). « Si la France donnaitl’exemple, affirme le directeur duProgramme solidarité eau (PSE),Pierre-Marie Grondin, ce serait60 millions d’euros qui, chaqueannée, permettraient de financerdes projets décentralisés liés à l’eaudans les pays en développement. »

Jean-Pierre Tuquoi

l ’ o r b l e u i n t e r n a t i o n a l

/.

b Le Centre de rechercheet d’information pourle développement (CRID),coordination de 45 associationsde solidarité internationaletravaillant sur des actionsde terrain.14, passage Dubail, 75010 Paris.Tél. : [email protected],www.globenet.org/cridb Eau vive au Sahel, crééeen 1978, s’engage auprès

des habitants des villagesdéfavorisés et leur apporteun appui technique et financierafin qu’ils réalisent leurs projets.4, rue Victor-Beausse, 93100Montreuil. Tél. : [email protected] Actions de solidaritéinternationale soutientles initiatives de développementen Afrique dans les domainesde la santé, de l’éducation,de l’économie informelle

et de l’élevage. ASI apporteaussi son appui aux associationslocales.5, rue Lebon, 75017 Paris.Tél. : [email protected],www.asi-france.orgb Environnement etdéveloppement du tiers-monde(ENDA), fondée en 1972 à Dakarconjointement au Programmedes Nations unies pourl’environnement, s’appuieessentiellement sur les initiativeset les moyens d’actiondes populations.4-5, rue Kléber, BP 3370, Dakar,Sénégal. Tél. : (221)[email protected] Comité catholique contre lafaim et pour le développement(CCFD) soutient les organisationspaysannes en Afrique(essentiellement au Niger, au Maliet au Soudan), notammentpar le biais de la formation.4, rue Jean-Lantier, 75001 Paris.Tél. : 01-44-82-80-00.www.ccfd.asso.frb PS-Eau, ProgrammeSolidarité-Eau, est un réseaude partenaires qui agit pourl’accès à l’eau potable etl’assainissement dans les paysdu Sud. Il est né en 1984 d’unevolonté des ministres européensde l’environnement d’accroîtrela coopération européennedans le domaine de l’eau.32, rue Le Peletier, 75009 Paris.Tél. : 01-53-34-91-20.www.pseau.org

En Ouganda, une jeune femme, son bébé bien accroché dans le dos, part puiser de l’eau en dehors de son village.

Siège social : 21 bis, rue Claude-Bernard75242 PARIS CEDEX 05

Tél. : 01-42-17-20-00Télécopieur : 01-42-17-21-21

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président du directoire,directeur de la publication :

Jean-Marie Colombani

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94852 Ivry CedexPrinted in France

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30 % de la population mondiale manque d’eauLa mobilisation doit être générale si l’on veut concrétiser l’engagement pris par l’ONU de réduire de moitié, d’ici à 2015, le nombre de personnes

sur Terre privées d’accès à l’eau potable et à l’assainissement. Rendez-vous à Mexico, en 2006, pour un premier bilan

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IV/LE MONDE/MARDI 30 NOVEMBRE 2004

l ’ o r b l e ue n F r a n c e

« LES AGRICULTEURS sont victi-mes plutôt que coupables. » Fran-çois Lucas, président de la Coordi-nation rurale, affirme que les agri-culteurs ne sont pas seuls responsa-bles de la pollution de l’eau. Il nenie pas les problèmes mais rejetteles responsabilités sur les choix poli-tiques. « La société doit assumer sesdécisions, il faut choisir entre les théo-ries libérales de Ricardo et le dévelop-pement durable. »La Coordination rurale est née en

1991 et a été reconnue en tant quesyndicat agricole, en juin 2000, parle ministère de l’agriculture. Lesprincipales accusations portées àl’encontre des agriculteurs concer-nent la présence de nitrates et depesticides dans l’eau. FrançoisLucas tient avant tout à préciserque les paysans ne sont pas hors laloi et que l’Etat est le premier res-ponsable puisqu’il « couvre ces pol-lutions ». Les produits utilisés dansl’agriculture sont légaux, parfaite-ment homologués. Les exploitantsbénéficient donc en quelque sorted’« un droit à polluer ». FrançoisLucas dénonce cette contradiction :« Ou bien un produit est dangereuxet il est interdit, ou bien il n’est pasdangereux et on peut l’utiliser. »Selon lui, Bruxelles aussi est res-

ponsable. La politique européennesubstitue la « préférence commu-nautaire » à une politique du « tout-libre-échange » qui contraint lesagriculteurs à adopter ces compor-tements nuisibles pour l’environne-ment. Il prend l’exemple de la Breta-gne, où « l’élevage de porcs s’estdéveloppé pour faire face auxcontraintes économiques ». Si l’onveut déconcentrer l’activité, sourcede pollution en nitrates, « il faut ren-dre la production de viande blancherentable partout en France et pas seu-lement sur la façade atlantique ».

’La présence de nitrates dans l’eau

peut aussi provenir d’un épandageimportant d’engrais azotés pratiquépour assurer la productivité.Face à toutes ces pollutions, Fran-

çois Lucas estime qu’il faut associer« une agriculture raisonnable avecune politique raisonnable ». En clair,il faut donner les moyens aux agri-culteurs d’adopter des comporte-ments qui ne soient pas nuisibles àl’environnement. Il ne faut pasconfondre agriculture raisonnée etagriculture raisonnable : « Etre rai-sonnable, c’est peut-être mettremoins de produits phytosanitaires surses cultures que les doses prescrites

par les industriels », expliqueFrançois Lucas, qui préconise plutôtune agriculture adaptée au climat etau sol de chaque parcelle. Les com-portements raisonnables dépen-dent alors de la conscience de cha-que agriculteur.

« Le lobby de l’eau dramatise lasituation », ajoute François Lucas.Faire croire que l’eau est rare etpolluée permet de faire accepterune eau chère. La Coordinationrurale demande donc une réévalua-tion des normes du nitrate, « pas sidangereux que ça pour l’homme ».La dénitrification devra pourtant

se faire à un moment ou à un autredu cycle de l’eau : avant sa consom-mation (potabilisation) ou après(assainissement des eaux usées).Sans cesmesures, le développementdes algues liées à la présence desnitrates fera disparaître l’oxygène del’eau. Cette dénitrification a un coût.Encore une fois, François Lucasdénonce les logiques politiques inco-hérentes et refuse de faire des agri-culteurs les boucs émissaires de lapollution. « Il faut considérer le pro-blème de la pollution dans son ensem-ble. Les villes polluent elles aussi, lestransports routiers également. »

Ra. R.

« Le consommateur captif »

Le constat de Dorothée Quickert-Menzel,la responsable de l’association CLCV

En France non plus, l’eau ne coule pas de sourceSi l’eau naturelle abonde dans l’Hexagone, elle n’en a pas moins un prix élevé une fois retraitée.

Associations de l’environnement et de consommateurs veulent comprendre les écarts de facturation

POURQUOI doit-on payer l’eaudu robinet ? Même si l’eau est enFrance une ressource abondante,sa consommation nécessite lamise en place d’une chaîne de ser-vices du prélèvement jusqu’à sarestitution dans l’environnement.Ce « cycle de l’eau » impose desinvestissements. Les différencesde prix enregistrées s’expliquentdonc officiellement par la rareté,la qualité et les sommes d’argentutilisées pour assainir l’eau danscertaines régions, et pas dansd’autres. En réalité, les facturescontiennent parfois leur lot demystères.Selon la dernière étude de l’Insti-

tut français pour l’environnement(IFEN, De l’eau à tous prix, janvier-février 2004), le prix de l’eau parmètre cube peut varier de 1,8 à3,8 euros, et les entreprises privées(Véolia, ex-Vivendi Environne-ment, Suez et Bouygues-Saur),lorsque ce sont elles qui s’occu-pent du traitement de l’eau, sefont payer plus cher que lescommunes.Le service de l’eau n’est en effet

pas un service public comme lesautres. Les communes peuvent ain-si décider de ne pas prendre encharge sa distribution ou son assai-nissement. Elles demandent alorsà une entreprise privée d’assurertout ou partie de ces services. Ils’agit d’une gestion déléguée oumixte. Les modalités de ces déléga-tions (y compris leur prix) sontnégociées par la commune. Lecoût de l’eau dépend alors de lacapacité des élus à bien négocierles contrats.Aujourd’hui, les consomma-

teurs ont un impact limité sur lechoix du mode de gestion. Lescommissions consultatives de ser-

vice public, qui réunissent élus etconsommateurs, ne sont pas en-core généralisées, et rarement effi-caces sur ces questions, pourtantfondamentales.

Que les services de l’eau soient

assurés par une entreprise privéeou par une commune, les facturesdoivent répondre à certains critè-res de lisibilité. En clair, le

consommateur doit pouvoirsavoir quels services il paie.Depuis l’arrêté du 10 juillet 1996,trois éléments doivent systémati-quement apparaître sur toutes lesfactures : la part consacrée à la dis-tribution (qui comprend l’abonne-ment, la consommation et la rede-vance « prélèvement eau » ou« préservation des ressources »prélevée par l’agence de l’eau deson bassin), la part consacrée à la

collecte et au traitement des eauxusées et la part consacrée auxorganismes publics (la taxe duFonds national pour le développe-ment des adductions d’eau, fixéepar le ministère de l’agriculture,et la « taxe pollution » prélevéepar les agences de l’eau).

Mais cette exigence de clarté,

même quand elle est respectée, serévèle souvent insuffisante. Certai-nes factures font par exemple étatde « parts fixes » ou d’« abonne-ments » exorbitants. Non seule-ment ces derniers sont extrême-ment variables (inexistants, ils peu-vent parfois dépasser 100 euros),mais il est souvent très difficile desavoir ce que ces abonnementsfinancent.L’association Consommation,

logement et cadre de vie (CLCV),qui publie chaque année uneenquête sur les factures d’eau,demande que les abonnements necorrespondent plus qu’aux « fraisde compteur » (location, entre-tien, relevés). Une exigence écono-mique et écologique : quand lesfrais fixes atteignent 70 % de lavaleur d’une facture, ils n’incitentpas vraiment à une consommationcitoyenne.

Raphaël Roverso

« AVEC LES FACTURES, on nageen eau trouble », déplore DorothéeQuickert-Menzel, responsable envi-ronnement de l’association deconsommateurs Consommation,logement et cadre de vie (CLCV),créée en 1952. Depuis six ans, cettedernière mène une enquête sur lesfactures d’eau, via son réseau deconsommateurs, « pour être auplus près des préoccupations de laménagère ». La dernière enquête,parue en novembre et portant sur300 factures, met en lumière l’inco-hérence des prix de l’eau, le man-que de lisibilité, voire l’illégalité decertaines factures : des lacunesrécurrentes dans le domaine. Cesfactures n’ont qu’un point com-mun : le montant à payer est tou-jours clairement affiché.La CLCV s’est construite sur la

relation entre le consommateur etson logement : déchets et eaufurent donc au centre des préoccu-pations de l’association. « Nousavons plusieurs angles d’attaquedans le domaine de l’eau », expli-queMme Quickert-Menzel : factura-tion, dépollution, représentativitédes consommateurs dans les agen-ces de l’eau... Ainsi, selon la CLCV,les abonnements ne devraient pasdépasser 8 euros par trimestre, cequi équivaut aux frais de comp-teurs, location, entretien, relevés.

Sur le marché de l’eau, « le

consommateur est captif », expli-que Mme Quickert-Menzel, c’estdonc aux élus de le défendre etd’être vigilants sur les contrats –car ils les signent en leur nom.Mais elle émet des réserves : « Nonseulement les élus n’ont pas toujoursles moyens de négocier, mais leursintérêts ne sont pas toujours ceuxdes consommateurs. »Les difficultés qu’ont les

citoyens à être écoutés au sein descomités de bassin des Agences de

l’eau existent aussi. Ces établisse-ments publics, mis en place en1964, sont chargés de la préserva-tion de l’or bleu et de la luttecontre la pollution. Les AgencesIpeuvent établir et percevoir desredevances pour le prélèvement etla détérioration de l’eau. Elles lesreversent ensuite aux collectivités,aux agriculteurs ou aux industrielssous forme de subventions afinqu’ils réalisent des investissementsde dépollution. Or la redevancepollution est acquittée à 80 % parles ménages, à 18 % par les indus-triels et à 2 % seulement par lesagriculteurs.

Pour le Conseil économique et

social, « le système est légèrementfavorable aux industriels. (...) Il y aun transfert modéré depuis les habi-tants vers les industriels. Pour lesagriculteurs, le transfert est beau-coup plus important ». La CLCVmène donc son action auprès desinstitutions responsables. « Leministère de l’environnement nousconsulte quand il prépare une loi surl’eau, nous travaillons aussi avec ladirection de l’eau et le Sénat. Nousavons participé à l’élaboration de laloi 1992 qui oblige les communes àmettre en place des commissionsconsultatives des services publicslocaux », mais elle regrette « ledéfaut de dynamisme des consom-mateurs dans la démocratie partici-pative. Alors nous faisons pressionsur les maires pour qu’ils mettent enplace ces commissions et nous inci-tons les citoyens à y prendre part ».Cependant ces structures ont

leurs limites. « Les commissions nese réunissent qu’une fois par an ; là,il faut régler en une heure toutes lesquestions relatives aux servicespublics. » Autant dire que la ques-tion de l’eau est vite noyée.

Ra. R.

b L’ADEME, agence del’environnement et de la maîtrisede l’énergie, placée sousla tutelle des ministèresde l’aménagement du territoireet de l’environnement,de l’industrie et de la [email protected]/lessites. service-public. fr/cgi-bin/annusite/annusite. fcgi/b L’IFEN, l’Institut français del’environnement, a été créé en1991. Ses statuts lui garantissentson indé[email protected] et www.ifen.frb La CACE, Coordinationnationale des consommateursd’eau, regroupe les associationslocales et les sympathisantsde la CACE.http://www.seaus.org/association/index.htmlb La CLCV, Consommation,logement et cadre de vie.Son réseau d’associationsparticipe chaque annéeà une étude sur l’eauet l’assainissement.http://www.clcv.org/index.php?v=enq_eau2

/

Les produits agricoles sont légauxFrançois Lucas, président de la Coordination rurale, dénonce les politiques

Le cas est unique en France : à Guebwiller, dans le Haut-Rhin, les facturesd’eau et de gaz sont présentées sur le même document. Cette pratique dé-range les consommateurs et, d’abord, Pierre Bernhard, conseiller municipalde la ville, qui demande depuis des années « l’établissement de budgetssincères, comme l’exige la loi ». Il déplore que sa commune n’ait toujours passéparé les deux budgets, notamment en ce qui concerne l’affectation deseffectifs : ici, les employés municipaux travaillent à la fois pour le service del’eau et du gaz.De son côté, M. Weishaupt, adjoint au maire de Guebwiller, assure que les

budgets sont « scindés ». En ce qui concerne les employés, la commune a déci-dé de les répartir équitablement sur les deux services dans le budget. « Celacoûterait trop cher de calculer exactement le temps passé sur chaque service,mais globalement ça correspond à la réalité… au chouia près. »Quoi qu’il en soit, la municipalité a décidé de créer une société d’économie

mixte qui permettra une plus grande liberté de gestion. Avant d’obtenir lemarché, la commune devra donc lancer un appel d’offres. Une situation quine semble pas trop inquiéter M. Weishaupt : « Les gros distributeurs d’eau nedevraient pas venir pêcher dans notre étang. »

Le laboratoire d’analyses de la centrale d’épuration de la Lyonnaisedes eaux, à Orléans.

Contacts

A Guebwiller, l’eau avec le gaz

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LE MONDE/MARDI 30 NOVEMBRE 2004/V

POUR MESURER l’impact desassociations de défense de la qua-lité de l’eau en Bretagne, il suffitde se reporter aux programmesdes candidats aux élections régio-nales de mars : la question del’eau, et du modèle agricole bre-ton, y figurait au premier rang,au même titre que l’emploi. Cetteparticularité bretonne représenteune victoire pour Eaux et Riviè-res de Bretagne (ERB), principaleassociation de défense de l’eau,qui a largement contribué à impo-ser ce débat.A sa naissance, en 1969, Eaux

et Rivières de Bretagne se pré-occupe de la survie du saumon.Le funeste destin du poissonconduit l’association à s’intéres-ser aux dégâts causés par l’agri-culture intensive en Bretagne. Acause de la concentration de l’éle-vage hors sol, de trop grandesquantités de déjections animalessont déversées sur les sols, aux-

quelles s’ajoute l’azote contenudans les engrais minéraux. Parlessivage, les nitrates en excèsatteignent les eaux. Parallèle-ment, des « marées vertes » – pro-liférations estivales d’alguesnauséabondes sur les côtes –accompagnent ce phénomène. Laprésence de pesticides dans leseaux bretonnes préoccupe égale-ment les militants.Grâce à ses capacités d’alerte

et de mobilisation, à son exper-tise technique, à sa prise encompte de la question agricole etsociale, l’association s’imposeprogressivement comme un inter-locuteur majeur dans le débatrégional. Son travail d’influencepasse par des manifestationspopulaires, des actions de com-munication, l’interpellation desélus et des fonctionnaires, et laprésence dans les instances ges-tionnaires. ERB est présente dans

une quarantaine de commissions,au niveau national, régional oudépartemental, sans compter lescommissions ou groupes de tra-vail locaux.Ses batailles les plus marquan-

tes ont eu lieu devant les tribu-naux. En mars 2001, l’Etat étaitmis en cause par le tribunal admi-nistratif de Rennes, pour l’inef-ficacité de ses programmes delutte contre la pollution de l’eau,après une condamnation, pourles mêmes raisons, par la Coureuropéenne de justice. ERB y voitle résultat de son obstination.Seize actions en justice sontmenées en 2003, contre des exten-sions d’élevage, des épandagessauvages de lisier...L’association compte aujour-

d’hui un millier d’adhérents etfédère quelque 70 associationslocales. L’autre grande associa-tion bretonne, Bretagne vivante– Société pour l’étude et la protec-tion de la nature en Bretagne(SEPNB) –, se préoccupe de lapréservation du patrimoine natu-rel. Par le biais des zones humi-des, elle s’intéresse également àla gestion de l’eau et travailleavec ERB. Bretagne vivantecompte 3 000 adhérents et fédèreelle-même plusieurs dizaines d’as-sociations.La région compte en effet une

centaine d’associations de défen-se de l’environnement agréées,souvent locales, sur 250 réperto-riées par la direction régionale del’environnement... Autre spécifi-cité bretonne, les défenseurs del’environnement sont habitués àtravailler en réseau avec lesconsommateurs, et avec certainsagriculteurs.Ces associations, qui appartien-

nent désormais au paysage insti-tutionnel breton, sont touchéespar des difficultés financières.Eaux et Rivières est particulière-ment concernée. La baisse dessubventions d’Etat et la fin dudispositif emplois-jeunes ontcontraint ERB à supprimer troisdes six postes d’animateurs dela vie associative, qui appuientl’action des bénévoles. Les dixpostes d’éducateurs à l’environ-nement sont moins menacés, carfinancés également par les collec-tivités locales et les agences del’eau.« Avec des moyens de plus en

plus réduits, on nous sollicite tou-jours davantage, dans un domainequi évolue très vite du point de vueréglementaire et technique »,déplore Gilles Huet, déléguérégional d’ERB. Dans son rapportmoral 2003, l’association déplo-rait que « nombre de Bretons nousconsidèrent comme une adminis-tration et s’adressent à nous com-me à l’interlocuteur privilégié et

omniscient, en oubliant qu’Eaux etRivières est une association, etqu’une association ne vit et n’in-flue sur les décisions que par sesadhérents et ses militants ».L’inquiétude est d’autant plus

grande que les objectifs d’ERBsont loin d’être atteints. Les der-niers relevés de la qualité de l’eaudonnent une moyenne de 27 milli-grammes de nitrates par litred’eau brute en Bretagne en 2003.22 % des prélèvements dépassentle seuil de référence défini parl’Organisation mondiale de lasanté (OMS) de 50 mg/l.

Certes, ce taux est stable

depuis deux ans, mais les condi-tions météorologiques influentfortement sur les résultats, etinterdisent de conclure à uneamélioration durable. Les eauxdistribuées au robinet dépassent,

dans 1,5 % des cas ce seuil, contre13,3 % en 1999. Cette améliora-tion est due à la baisse du taux denitrates, mais aussi aux fermetu-res de captages trop pollués ouaux mélanges d’eau. L’excédentd’azote en Bretagne, évalué à110 000 tonnes, a été réduit de36 400 tonnes en 2003, principale-ment par le transfert des déjec-tions, ou leur traitement. Maisles méthodes préconisées par lesassociations ainsi que par cer-tains agriculteurs, comme labaisse du cheptel et le développe-ment de l’élevage extensif, nesont guère appliquées. Enfin,Eaux et Rivières de Bretagnedénonce la « régression nette del’encadrement des activités d’éle-vage », notamment par un relève-ment des seuils d’autorisationdepuis 2003.

Gaëlle Dupont

Vue aérienne de la prolifération d’algues vertes, due à l’excès de nitrates dans l’eau, sur une plage de la baie de Douarnenez, dans le Finistère.

b « POUVOIR D’AGIR,l’engagement bénévole desétudiants » est le titre ducolloque-forum organiséles 3 et 4 décembre à l’universitéParis-VIII, avec le concours deFrance Bénévolat. Ce rendez-vousnational a pour ambitionde susciter la réflexion sur lesrapports entre la vie associativeet la communauté universitaire,d’apporter des réponses concrètesà des questions telles que : quefaire pour que le bénévolat soitaussi bien considéré que lesstages professionnels ? UniversitéParis-VIII, 2, rue de la Liberté,95526 Saint-Denis Cedex.Tél. : 01-49-40-67-12.www.univ-paris8.frFrance Bénévolat.Tél. : 01-40-61-01-61.francebenevolat.org

b 11e concours EcureuilAssociation. En partenariat avecla Fondation de France et FranceBleu, ce concours est dotéd’un montant total de prix de100 000 ¤, qui seront remis jeudi16 décembre en présence duministre Jean-François Lamour.b Forum alternatif mondial del’eau. Né à Florence en 2003, oùil a rassemblé 1 800 participants,la deuxième édition du FAMEse tiendra à Genève (Suisse)du 17 au 20 mars 2005. Refusantle statu quo et les conférencesalarmistes, il a pour objectifde développer et promouvoirdes institutions et des politiquespubliques qui permettentun accès de tous à l’eau potable.www.fame2005.orgb Salon national del’humanitaire. Organisédu 2 au 4 juin 2005 au Parc desexpositions de Cergy-Pontoise,il doit permettre aux associations,fondations, ONG, partenaireséconomiques, pouvoirs publics etau grand public, de se rencontrer.www.salonhumanitaire.orgb Forum nationaldes associations et fondations.Le Salon des entrepreneurs,

In Extenso, La Revue desassociations et Di Grouporganisent, jeudi 22 septembre2005, au Sénat, « le premierrendez-vous national desresponsables et partenairesdu secteur associatif ». A l’originede ce forum, le constat du poidséconomique des associations : unbudget cumulé de 46,9 milliardsd’euros, soit 3,7 % du PIB, desproblématiques de PME-PMI.A l’aide de débat sur des thèmestels que « Les associationsfacteurs d’intégration sociale »ou « Optimiser ses méthodes demarketing », « Développer un siteInternet », « La responsabilitécivile et pénale du dirigeantd’association »... L’objectif affichéest de 800 à 1 000 visiteurs.48, rue Notre-Dame-des-Victoires,75095 Paris Cedex 02.Tél. : 01-44-88-47-48.b Forum mondial de l’eau.La quatrième édition de ce forumsera organisée à Mexicodu 16 au 22 mars 2006.b À LIRE– Eau, de Michel Camdessus,Bertrand Badré, Ivan Chéret etPierre-Frédéric Ténière-Buchot,Robert Laffont, 306 p., 21 ¤.– La Caisse d’épargne, très activedans le milieu associatif avec250 000 associations clientes,sort son 15e guide sur ce thème,Associations, les adressesincontournables d’un président.Sont déjà parus : Retraite& bénévolat, Les associations etla prise en charge de handicapés,Les Associations et Internet,Les Subventions européennespour les associations, sans oublierLes Salariés, La Comptabilité…La Caisse d’épargne publieégalement tous les deux moisAlinéa, sa lettre aux associations.bMissionnaire, né en 1914 enCorrèze, Pierre Ceyrac est parti,vingt-trois ans plus tard, pourdevenir prêtre jésuite en Inde.Là il a « aidé » comme il dit, àbâtir des dispensaires, des routes,à moderniser la société. Pourrésumer son action, lorsque nousl’avions contacté il y a un an(« Le Monde Associations »du 10 décembre 2003), il citaitla devise d’un mouvementétudiant indien, qui compte plusde 60 000membres : « Noussommes nés dans un mondeinjuste. Nous ne le quitterons pastel que nous l’avons reçu. »ceyrac.free.fr/index.htmwww.jesuites.com/compagnons/ceyrac– Livres : Père Ceyrac, mes racinessont dans le ciel, autobiographiepréfacée par Jacques Chirac,Presses de la Renaissance, 10 ¤.Une vie pour les autres, l’aventuredu père Ceyrac, par JérômeCordelier, éditions Perrin, 19 ¤.

Contacts

/

b Eaux et Rivières de Bretagne9, rue Pierre-Philippe,56100 Lorient.Tél. : 02-97-87-42-66.Fax : 02-97-37-29-28.http://perso.wanadoo.fr/erb/b Bretagne vivante, Sociétépour l’étude et la protectionde la nature en Bretagne186, rue Anatole-France, BP 6312129231 Brest Cedex 3.Tél. : 02-98-49-07-18.Fax : 02-98-49-95-80.www.bretagne-vivante.asso.fr/b Site traitant de la questionde l’eau en Bretagnewww.bretagne.pref.gouv.fr/www.bretagne-environne-ment.org/

Agenda

En Bretagne, les batailles d’Eaux et RivièresL’association de défense de l’eau s’est imposée comme partenaire majeur dans le débat régional

l ’ o r b l e u e n F r a n c e

Page 6: ASSOCIATIONS Lesassociationssebattentpourl’orbleu

VI/LE MONDE/MARDI 30 NOVEMBRE 2004

LES ASSOCIATIONS naissentplutôt au sud qu’au nord de laFrance. C’est ce que révèle uneenquête du Centre d’étude et derecherche sur la philanthropie

(Cerphi) concernant les « Evolu-tions de la France associative »parue en novembre, et publiéedans un hors-série du magazineAssociations, mode d’emploi.Cet état des lieux révèle que l’en-

gouement créatif français est plusimportant au sud de l’axeLa Rochelle-Chambéry qu’aunord. Jacques Malet, directeurscientifique du Cerphi, avance uneexplication : « Les gens du Nordpréfèrent adhérer aux associationsqui existent déjà. De plus il faut dis-socier records de créations etrecords du nombre de bénévoles. »

’Selon un rapport de l’Insee sur

« la vie associative », paru enfévrier, les associations totalisent35,6 millions d’adhésions en 2002,qui correspondent, en raison desadhésions multiples, à 21,6 mil-lions de membres de 15 ans ouplus, soit 45 % de la population.Presque un Français sur deux ! Du

mois de septembre 2003 au moisd’août 2004, plus de 70 000 asso-ciations nouvelles sont apparues,un chiffre jamais enregistré jus-qu’alors. Le Cerphi estime qu’il enexiste aujourd’hui 1 million, vivan-tes et actives en France.C’est dans le domaine culturel

qu’il s’en crée le plus (21 % des« naissances » sur les dix derniè-res années), devant les associa-tions à caractère « social » (16 %)puis les sportives (13 %). Ces der-nières compensent ce taux de créa-tion moindre par une longévité etun taux d’adhésion supérieurs.On remarque aussi une aug-

mentation des associations liéesà la défense de l’environnement :2 596 ont vu le jour durant la sai-son 2002-2003 contre 2 012 en1997-1998. Ces dernières sontsensibles au contexte politiqueet social. Leur pic de création estsans doute « lié aux diversesconférences qui se sont tenuesrécemment », explique Jacques

Malet. Le sommet mondial pourle développement durable, orga-nisé à Johannesbourg en 2002, aconnu un fort retentissementmédiatique. Avant cet événe-ment, les associations environne-mentales évoluaient au mêmerythme que l’ensemble du mon-de associatif : elles ont enregistréune baisse de régime de 1996 à1999 et, depuis, n’ont cessé decroître en nombre.

« »Le monde associatif reflétant la

société, le portrait « non exclusif »du « bâtisseur associatif » tracépar l’étude du Cerphi est ainsi une« bâtisseuse », entre 55 et 60 ans« habitant le Sud ». Et l’on com-prend mieux pourquoi les créa-tions d’associations sont enregis-trées en plus grand nombre dansle Midi, zone géographique oùréside une part plus importantede personnes âgées que dans lereste du pays.Lara Muller, chargée d’étude

sur la vie associative au sein de lamission statistique du ministèrede la jeunesse, des sports et de lavie associative, observe le phéno-mène depuis plusieurs années.« Les grands changements sont sur-venus dans les années 1990, analy-se-t-elle, avec une présence desfemmes beaucoup plus importante.Ces cinq dernières années, c’est l’im-plication des seniors qui est beau-coup plus forte. »Mme Muller a contribué à l’étude

de l’Insee parue en février 2004,qui révèle que 12 millions de per-

sonnes ont eu une activité bénévo-le en 2002 – dont 17 % en dehorsdu monde associatif. Quelle est lamotivation de tous ces indivi-dus ? : « se sentir utiles à la socié-té ». Mais ils ne sont pas tous desmilitants acharnés. Seulement untiers d’entre eux a une activitérégulière, les autres ne s’engagentqu’occasionnellement.Par ailleurs leurs profils et leurs

parcours personnels sont trèsdiversifiés (voir tableau).Si le dynamisme du secteur asso-

ciatif est autant valorisé dans lasociété française, c’est que lepublic considère qu’il va de pairavec la générosité des citoyens et

avec leur esprit d’initiative. L’étu-de du Cerphi montre d’ailleursque les créations d’associations etcelles d’entreprises évoluent enparallèle. Peut-on dire pourautant qu’il existe une « exceptionassociative » française ? Il estaujourd’hui impossible d’établirdes comparaisons internationales,ne serait-ce qu’à l’échelle de l’Eu-rope, car la structure « associa-tion » est propre à la France.Même si le ministre, dans sa préfa-ce, appelle de ses vœux « la consti-tution d’un paysage associatif àl’échelle européenne ».

Raphaël Roverso

Jean-François Lamour,ministre de la jeunesse, des sports et de la vie associative

« On assiste à une professionnalisationdes associations »

Pourquoi le gouvernementa-t-il jugé nécessaire d’ajouteraux attributions de votre minis-tère la vie associative ?Le président de la République et

le premier ministre ont estiménécessaire d’accompagner le déve-loppement de la vie associative, etun budget de 13 millions d’euros aété débloqué à cette fin. Mais il nes’agit pas d’empiéter sur les autresministères dans le domaine desagréments ou du financement.

Envisage-t-on un changementdu statut loi de 1901 ?Absolument pas. Il faudra même

défendre ce statut spécifique auniveau de l’Union européenne etprêter attention à la future directi-ve « services » qui pourrait lecontester. L’association bénéficied’un certain nombre de soutiensfinanciers, on le sait. Il ne faudraitpas qu’ils soient remis en cause, aunom de la concurrence par exem-ple. On a vu le principe des subven-tions attaqué, dans le secteur spor-tif. Imaginez que cela se produisedans le secteur sanitaire et social,ce serait le drame.

Pouvez-vous nous brosser unportrait du monde associatifaujourd’hui ?Nous avons fêté cette année la

millionième association active enFrance. Il s’en crée 70 000 chaqueannée. On voit bien que, de plusen plus, nos compatriotes s’enga-gent au travers de l’associationdans un dialogue social et civil,dans une logique de partage d’unobjectif commun ou dans une rela-tion avec le politique.Les principaux secteurs sont le

sport (24,5 %), la culture (23 %),l’action sanitaire et sociale (16 %),la vie sociale, l’habitat, l’environne-ment, l’éducation, la formation, leservice aux entreprises (8 ou 9 %chacun pour ces derniers).Le flux financier des pouvoirs

publics en faveur des associationsest de l’ordre de 50 milliardsd’euros. Les associations ont créé1,5 million d’emplois salariés.Au-delà de l’impact économique,elles participent dans notre sociétéà la cohésion sociale, au capitalsanté, à l’équilibre psychologique,au soutien des personnes fragilesou, dans le cas de la pratique spor-tive, à l’entretien du corps.

Combien regroupent-ellesd’adhérents ?Il y a environ 12millions de béné-

voles. Mais, sur ce chiffre, vousavez 3,5 millions de personnes quiconsacrent au moins deux heurespar semaine à une association,donc qui gèrent de façon pérenneleur structure. Autant on a uneaugmentation du nombre d’asso-ciations, autant on n’a pas d’aug-mentation du nombre de bénévo-les. Les bâtisseurs continuent àcréer mais les ressources humai-nes ne se développent pas.En fait, on assiste à une profes-

sionnalisation des associations. Lacompétence, la disponibilitéexigées, le besoin d’un encadre-ment répondant à la réglementa-tion en matière de gestion ou decontrôle des dépenses poussent àce phénomène.

Vous avez expliqué commentle bénévolat marquait le pas. Legouvernement envisage-t-il desmesures pour le faciliter ?Nous sommes en train de finali-

ser un projet de loi sur le volonta-riat qui devrait être présenté enconseil des ministres en jan-vier 2005. Il s’agit notamment dereconnaître, en l’encadrant, un sta-tut de volontaire, avec une possibi-lité d’indemnisation. Si une asso-ciation a un projet, qu’elle man-que de ressources humaines, ellepourra faire appel à un volontairesur un temps donné pour leconduire. Cela peut être par exem-ple un engagement en faveur deshandicapés. Le volontariat n’estpas dans la culture française, ni

dans celle des jeunes. Mais il peutle devenir et être une porte d’en-trée vers le bénévolat.J’ai par ailleurs créé, dans le sec-

teur sportif, des centres ressourceinformation des bénévoles (CRIB),sorte de réseau, de base de don-nées qui permet au bénévole de sedécharger des contraintes adminis-tratives, en particulier la gestiond’un emploi ou des comptes. Jevais évaluer cette initiative à la findu premier semestre 2005. Si çafonctionne bien, nous pourrionsl’étendre à tous les autres secteursassociatifs.

Les associations se plaignentsouvent de problèmes de trésore-rie. Les pouvoirs publicspromettent, en début d’année,des subventions qui mettent desmois à venir.C’est un problème qu’a tenté de

régler l’instauration des contratspluriannuels d’objectifs. Mais, trèsclairement, il reste des progrès àfaire. C’est d’ailleurs un des points

que devra aborder la mission d’en-quête parlementaire de Jean-Pier-re Decool, chargé de rendre un rap-port sur les relations entre les pou-voirs publics et les associations. Jesuis également en train de discuteravec le secteur bancaire afin d’of-frir aux associations un meilleuraccès aux produits financiers.

Le bénévole peut-il espérervoir un jour reconnu le tempsconsacré, par exemple dans lecalcul des retraites ?C’est un objectif mais à long ter-

me, car une telle mesure pose,entre autres, le problème du calculdu temps consacré.

Propos recueillis parBenoît Hopquin

a c t u a l i t éb i l a n e t p e r s p e c t i v e s

Le cap du million est franchi en FranceSelon une récente étude du Cerphi, 70 000 associations se sont créées dans l’Hexagone

entre septembre 2003 et août 2004. Un record qui concerne 45 % de la population

/

ÉVOLUTION DE LA FRANCE ASSOCIATIVE

Source : services du « Journal officiel ». Traitement du Cerphi

94/95 95/96 96/97 97/98 98/99 99/00 00/01 01/02 02/03

80

90

100

110

120

130

140

Créations Modifications d'objet Dissolutions

En moyenne mobile et en base 100 du nombre des :

Source : «Vie associative» octobre 2002, Insee

LE PROFIL DES BÉNÉVOLES

25

29

29

28

29

19

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20

26

23

18

30

22

14

25

32

36

20

24

28

32

26

Taux de bénévolaten 2002

25 % des 15-29 ans ont euune activité bénévole en 2002

en %

Âge15-29 ans

30-39 ans

40-49 ans

50-59 ans

60-69 ans

70 ans ou plus

SituationActif ayant un emploi

Chômeur

Etudiant-militaire

Retraité

Autre inactif

SexeHomme

Femme

DiplômeAucun diplôme

< bac

Bac

> bac

Niveau de vie1er quartile

2e quartile

3e quartile

4e quartile

Ensemble

Ratio de bâtisseurs par rapport à la population de référence de 18 à 70 ansdans chaque département

de 4,54 à 5,82

de 5,82 à 7,36

de 7,36 à 12,59

LES CRÉATIONS D'ASSOCIATIONS PAR DÉPARTEMENT

Source : Cerphi (entre septembre 2003 et août 2004)

Nous sommes

en train de finaliser

un projet de loi

sur le volontariat qui

devrait être présenté

en janvier 2005

Page 7: ASSOCIATIONS Lesassociationssebattentpourl’orbleu

LE MONDE/MARDI 30 NOVEMBRE 2004/VII

Le FIEP, ami des ours et des bergers du Béarn

TOULOUSEde notre correspondant

La présence de quelques milliersde manifestants à Paris pour pro-tester, début novembre au Pan-théon, contre le sort réservé auxgrands prédateurs en France (mortde deux loups dans les Alpes etd’une femelle ours dans les Pyré-nées), a été saluée comme uneréussite par les associations organi-satrices (WWF, SPA, Ferus). Onétait pourtant loin de la foule atten-due par les défenseurs les plusacharnés des animaux sauvages,espérant secrètement que la vagued’émotion suscitée dans l’opinionpar la mort de l’ourse Cannelleentraînerait une plus large partici-pation. Si de nombreux particu-liers se sont effectivement jointsau cortège, souvent en famille etsans être particulièrement mili-tants, il est permis d’en déduire lafaible proportion d’adhérents réel-lement actifs dans les associationsde défense de la faune sauvage àtravers le pays.Encore faut-il souligner que la

date de la manifestation avait étéarrêtée avant même l’annonce,très médiatisée, de la disparitionde l’ourse dans les Pyrénées. Ils’agissait initialement de protestercontre la décision conjointe desministères de l’agriculture et del’écologie d’autoriser l’abattage deloups dans les Alpes et de luttercontre un amendement parlemen-taire déposé par le lobby des élus

montagnards instituant des zonesd’exclusion des prédateurs.Mais toutes les associations

n’étaient pas parvenues à se met-tre d’accord sur l’opportunitéd’une telle manifestation. FranceNature Environnement (FNE), quifédère la plupart des associationsde protection de l’environnement(3 000 associations, 300 000 mem-bres) est ainsi restée en retrait. Lamort de l’ourse a paradoxalementpermis aux associations de« reprendre du poil de la bête »,et de renforcer une cohésion pres-que autant menacée que certainesespèces.

On pourra certes objecter que

les ours et les loups ne courent pasdans le bois de Vincennes ou laforêt de Fontainebleau et que lesassociations les plus concernéespar le retour de ces grands carnivo-res se trouvent plutôt à proximitédes Alpes ou des Pyrénées. Desmanifestations ont d’ailleurs étéorganisées à Nice et dans les envi-rons des sites alpins où les loupsont été abattus. Outre la Frapna,l’une des plus puissantes fédéra-tions régionales du réseau FNE,dotée d’antennes départementalestrès actives en Rhône-Alpes, l’asso-ciation la plus en pointe sur le dos-sier « loup » dans le sud-est de laFrance est sans conteste l’Aspas.Si cette association a choisi lerenard pour emblème, c’est qu’elle

refuse depuis son origine le classe-ment en « nuisibles » de certainesespèces sauvages. Résolumentopposée à la chasse, l’Aspas militeégalement pour la création dezones de non-chasse et l’interdic-tion de ce loisir le dimanche, com-me une centaine d’autres associa-tions.Dans les Pyrénées, en revanche,

on a pu voir des chasseurs et desécologistes manifester ensembleen vallée d’Aspe après la mort deCannelle. Cette initiative sponta-née, àmille lieux du cortège du Pan-théon, vient rappeler que des mili-tants naturalistes de terrain ontune approche plus pragmatique dela défense de la faune sauvage.Preuve supplémentaire de la dif-

ficulté à mobiliser les Françaisautour de la cause des animauxsauvages, l’association Artus,créée spécialement dans les

années 1980 pour venir en aide auxours dans les Pyrénées, a fusionnéen 2003 avec le groupe « Loup » etles défenseurs du lynx pour consti-tuer Ferus, une association spéciali-sée dans la défense des grands pré-dateurs. Portée par la volonté duprésident de la République, Fran-çoisMitterrand, et dotée d’un géné-reux sponsor privé (La Maison deValérie), Artus a toutefois partielle-ment échoué à susciter un vastemouvement du type « touche pasmon ours ». L’association a cepen-dant eu le temps matériel de met-tre ses compétences techniques etses moyens financiers au servicede l’opération de réintroductionde trois ours slovènes dans les Pyré-nées centrales, avant de promou-voir l’utilisation de chiens« patous » auprès des bergers.

C’est finalement une autre associa-

tion, créée en 1991 par quatremairesde petits villages montagnards deHaute-Garonne, qui a pris le risquepolitique de la réintroduction, enéchange de retombées économiquespour leur territoire, comme l’indiqueclairement son intitulé : associationde développement économique ettouristique (ADET). Davantageconçue à l’origine comme une agen-ce de développement ou unoffice detourismedu« pays de l’ours », l’asso-ciation s’est élargie géographique-ment, mais aussi sociologiquement,en s’ouvrant auxparticuliers, aux éle-veurs, artisans, chasseurs, etc.Mais l’ADET compte aussi des

adversaires résolus dans les départe-ments voisins, qui ont à leur tourconstitué des associations d’oppo-sants recrutant principalement par-mi les organisations professionnellesagricoles. Dans les Pyrénées, la lutteentre pro- et anti-ours passe aussipar le tissu associatif.A Estenos, petit village du Com-

minges (Haute-Garonne), ClaudeLehu, président de l’association loca-le des amis de l’ours dans les Pyré-nées-Centrales (Amopyc), avoue sesentir parfois bien isolé. Son associa-tion, créée au lendemain des premiè-res réintroductions, revendique unfichier de plus de 600 sympathisants,mais il est souvent seul pour rédigerson bulletin trimestriel, L’Empreintede l’Ours, envoyé dans plus de40 départements. L’association necompte que des bénévoles et ne dis-posedonc d’aucune« structure admi-nistrative », préciseM. Lehu, retraité.Plus à l’ouest, dans le Béarn, le

président du FIEP (lire ci-dessous),Gérard Caussimont, est enseignantàOloron-Sainte-Marie. Son associa-tion, qui se consacre depuis bientôttrente ans au suivi des derniers ourspyrénéens, dispose d’un budgetd’environ 120 000 euros qui lui per-met de salarier deux permanents. LeFIEP bénéficie de l’aide précieusedu WWF, le fonds mondial pour lanature. Les moyens de cette grosseONG internationale, née en 1961 àLondres et qui revendique 4,7 mil-lions de membres à travers 96 pays,sont sans communemesure avec lespetites associations locales. GérardCaussimont constate néanmoinsque même une petite associationcomme la sienne est confrontée àdes phénomènes de mode, voire demarketing. « Le loup avait volé lavedette à l’ours depuis deux ou troisans », concède le président du FIEP,qui a vu ses effectifs de membrespasser sous la barre du millier dedonateurs.

Stéphane Thepot

1Massimiliano Rocco, vous êtes

responsable du secteur « espè-

ces » du WWF-Italie, association qui

s’est toujours battue pour que

l’homme et le loup s’entendent. Les

choses se passent plutôt bien dans

le parc national des Abruzzes.

Comment l’expliquez-vous ?La vie en commun à l’intérieur du

parc, et dans les Apennins en géné-ral, remonte à plusieurs siècles.Même s’ils sont moins nombreuxque par le passé, les loups ont tou-jours été là. Le lien avec le « préda-teur » ne s’est jamais rompu. Biensûr, en Italie comme en France, lesbergers et les personnes qui vien-nent à son contact perçoivent leloup comme un compétiteur. Maisgrâce aux campagnes menées pardes associations comme la mienneet à la clairvoyance des administra-teurs du parc qui ont misé sur uneautre approche, le loup n’est pasque ça. Aujourd’hui, il est perçu com-me une occasion de développe-ment, de richesse, à travers l’écotou-risme. Prenez Civitella Alfadena, pe-tite ville du parc où il est possible devoir, de « sentir », d’écouter le loup.La commune possède aussi sonMusée du loup et attire les touristes.

2 Est-ce comme ça dans toute

l’Italie ?Non. Il existe encore des formes

de braconnage qui visent le loup,mais, en général, il y a cetteconscience en Italie que le loup estune richesse. Il faut dire que cen’est pas d’aujourd’hui que l’onparle du loup de cette façon. Notrepremière campagne, Saint-Fran-çois, remonte à 1973. Tout cela aservi à sa connaissance, à faire ensorte qu’il ne soit plus le méchantloup du Chaperon rouge, qu’il fassepartie de notre biodiversité.

3 En France, l’abattage de qua-

tre loups a été autorisé par le gou-

vernement cet été. Fin octobre, deux

animaux ont été tués dans les Alpes,

légalement. Qu’en pensez-vous ?

C’est impropre et inopportun. Onne peut pas prendre des décisionsdans ce domaine sans un réel débatpréalable avec les pays voisins, sur-tout avec l’Italie, parce qu’il n’existepas de loups italiens et de loupsfrançais, mais des loups faisant par-tie d’une même population. Et lesutiliser comme «monnaie d’échan-ge », en décidant que quatre d’en-tre eux peuvent être abattus, nerésout pas le problème et ne repré-sente qu’une petite récompenseaccordée à ceux qui protestent.

Propos recueillis parSalvatore Aloïse

TOULOUSEde notre correspondant

Le fonds d’intervention éco-pastoral (FIEP) a été crééen 1975 pour suivre les derniers ours des Pyrénées dansles vallées béarnaises (Pyrénées-Atlantiques). L’associa-tion regroupe une dizaine de naturalistes amateurs quiapportent leur concours aux gardes professionnels duparc national des Pyrénées et de l’Office national de lachasse et de la faune sauvage au sein du « groupeOurs », pour assurer une veille scientifique autour de cet-te population : recueil de poils et d’excréments, sur-veillance à distance des déplacements, chronique des dis-paritions et des naissances après chaque hibernage, etc.Pour l’anecdote, c’est le président du FIEP, Gérard Caus-simont, qui avait alerté – en vain – les chasseurs d’Urdosde la présence de l’ourse Cannelle et de son petit sur leurterritoire.Cette association de passionnés de l’ours a vite com-

pris qu’il serait impossible de protéger cet animal sansl’aide des bergers. Dès 1978, le FIEP accorde les premiè-res indemnisations en cas d’attaques sur les troupeaux.Par la suite, l’association finance des héliportages pour

ravitailler les bergers, met à leur disposition des radiotélé-phones, et reçoit le soutien du ministère de l’environne-ment et du WWF. Les aides au pastoralisme sont ensuitetransférées à l’Institution patrimoniale du Haut-Béarn(IPHB), une instance fondée en 1994 à la demande desélus locaux qui défère éleveurs, chasseurs et forestiersdes trois vallées concernées.Le FIEP siège au sein de l’IPHB en tant que « mouche

du coche », selon l’expression de Gérard Caussimont.Quand il est question de créer de nouvelles pistes pouraccéder aux cabanes de bergers ou du droit de chassedans les zones fréquentées par l’ours, les discussionssont parfois houleuses… Soucieux de ne pas être enfer-més dans le rôle du défenseur de l’ours, les écologistesdu FIEP lancent alors un label pour favoriser les froma-ges fabriqués par les bergers en montagne. Marqués parl’empreinte du plantigrade, les fromages Pé Descaousreprésentent aujourd’hui 10 % des fromages fabriquésen estive. « On a fait la démonstration que l’image del’ours peut être positive », se félicite Gérard Caussimont.

S. Th.

Cause animale :

l’émotion, et après ?La mort de l’ourse Cannelle permet auxassociations de renforcer une cohésion parfoisaussi menacée que les espèces qu’elles défendent

/

...

b WWF, fonds mondial pour lanature ; 188, rue de la Roquette,75011 Paris.www.wwf.fr/index2.phpAntenne française de l’unedes plus grosses ONG mondialesde protection de la nature.Milite pour le développementde l’écotourisme avec son labelde gîtes Panda.b France Nature Environnement(FNE) ; 6, rue Dupanloup,45000 Orléans.www.fne.asso.fr/index2.htmFédération des associationsde protection de la natureet de l’environnement. Présentedans toutes les régions à traversdes fédérations régionales(Sepanso en Aquitaine, Uminateen Midi-Pyrénées, Frapna enRhône-Alpes), elle dispose d’une« mission loup » à Strasbourg.b FERUS-ours-loups-lynxconservation, BP 114 – 13718Allauch Cedex. ours-loup-lynx. info/Fusion récente d’Artus (ours) etdu groupe Loup France. Proposeà des « écovolontaires » de prêterassistance aux bergers des Alpespour surveiller les troupeaux.b FIEP-Groupe Ours PyrénéesBP 508 – 64010 Pau Cedex.Milite depuis 1975 pourla protection des ours dansle Béarn. Diffuse un trimestriel,Les Nouvelles des ours.b ADET, 31160 Arbaswww.paysdelours.com/Association mise en placedans le sud de la Haute-Garonne

à l’occasion de la réintroductiondes ours, en 1996.b Amopyc, association des amisdes ours dans les Pyrénéescentrales, rue de l’église,31440 Estenos.ours-en-pyrenees-centrales. chez.tiscali. fr/index. htmlb Association pour la protectiondes animaux sauvages (Aspas),BP 505, 26401 Crest Cedexwww.aspas-nature.org/b Ligue ROC, rassemblementdes opposants à la chasse ;26, rue Pascal, 75005 Paris.www.roc.asso.fr/L’astrophysicien Hubert Reevesa succédé, en 2001, à ThéodoreMonod à la présidence de cetteassociation « éthique », partenairede la Fondation Ligue françaisedes droits de l’animal (LFDA).b SPA, Société protectrice desanimaux ; 39, boulevard Berthier,75847 Paris Cedex 17.www.spa.asso.fr/index1.aspSurtout connue pour la gestionde ses refuges, la SPA, fondéeau XIXe siècle, dénonce le traficdes animaux exotiques et, depuispeu, le sort des loups et des ours.b Société nationale de protectionde la nature (SNPN), 9, rue Cels,75014 Paris. www.snpn.comAssociation plus que centenaire(1854) de naturalistes, axée sur lacréation et la gestion de réservesnaturelles. Milite également pourla protection des ours et desloups en France et des éléphantsen Afrique.

En Italie, dans le parc national des Abruzzes, il y a des siècles que l’on a appris à vivre avec les loups.

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