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Au boulot - Hassan

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hassan Kamalbayev, 25 ansConseiller en placements auprès d’une entreprise de planification financière

Expérience du travail intérimaireQuelques mois en job d’étudiant et comme demandeur d’emploi ; respectivement dans une boucherie et dans le secteur financier

le travailFiniFini le travail au noir

au noir

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« Il ne faut pas se préoccuper du côté administratif des choses. Tout est réglé pour vous. Un véritable soulagement. »

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« C’est juste dommage que vous portiez ce nom », s’est-il un jour entendu dire lors d’un entretien d’embauche. Voilà qui était difficile à comprendre pour hassan Kamalbayev. Comment ce nom dont il est si fier pouvait-il jouer en sa défaveur ? hassan est le prénom de son grand-père, un vétéran de la Deuxième guerre mondiale, qui a survécu à quatre champs de bataille. La première fois, il a été blessé à moscou. Une blessure qui l’a fait boiter le reste de sa vie. La deuxième fois, il est arrivé à Stalingrad, où presque deux millions de personnes ont perdu la vie. La troisième fois, un tir l’a touché au nez à Koersk et, enfin, il a participé à la libération de Riga en 1944, où il a été blessé à la tête. « Lorsqu’on porte le prénom d’une personne qui a tra-versé tant de choses, on ne peut pas se plaindre des petits aléas de la vie. On a tous de la chance, ici. » Outre son nom, hassan a également hérité de l’ardeur de son grand-père : fais ce que tu dois faire, sans regarder en arrière. Qui veut peut. Rien n’est im-possible. C’est cette vision des choses qui a orienté toute sa vie.

La fin du mois

À l’âge de 10 ans, Hassan a quitté Almaty, la capitale du Kazakhstan, avec ses parents, son frère et ses deux sœurs. Direction : un petit village en province du Limbourg, en Belgique. Hassan n’a jamais pu déceler les raisons précises de ce départ, mais ce n’était en tout cas pas une question d’argent pour ses parents. Son père occupait un poste de responsable dans le secteur de la viande et sa mère travaillait dans une entreprise de confec-tion de vêtements traditionnels kazakhs. Pas une simple petite entreprise, mais celle-là même qui a habillé l’astronaute Frank De Winne pour son dé-part dans l’espace en 2009. Enfant, Hassan rêvait de devenir entrepreneur,

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et peut-être même dans le secteur de la viande où travaillait son père. Le sort en a décidé autrement.

Alors que la famille Kamalbayev menait une petite vie tranquille et pros-père au Kazakhstan, son arrivée en Belgique, en avril 2000, fut marquée par l’incertitude dans la longue attente de papiers. Son intégration s’est bien déroulée : tandis que les parents suivaient des cours de néerlandais, les enfants fréquentaient l’école et jouaient au football. Financièrement, c’était beaucoup moins rose : la famille ne pouvait prétendre à des allocations et, à défaut de papiers, il était impossible de travailler. Pour deux personnes aussi entreprenantes que les parents de Hassan, il était inimaginable de rester inactif. La mère de Hassan n’a pas tardé à travailler bénévolement dans la distribution de vêtements aux pauvres, où son expérience du secteur textile était plus que bienvenue. Entre-temps, elle travaillait aussi comme femme de ménage au noir. Le père de Hassan est rapidement devenu l’homme à tout faire du village, mais l’argent ne coulait pas à flots. « On ne s’en

Travail intérimaire : le statut Le travailleur intérimaire a le même statut social et bénéficie des mêmes avantages sociaux que les autres travailleurs sur le plan du pécule de va-cances, de la pension légale et du droit aux allocations familiales. La seule différence, c’est que le contrat de travail intérimaire est toujours conclu à durée déterminée.

L’employeur juridique du travailleur intérimaire n’est, en effet, pas l’en-treprise où l’intérimaire travaille, mais l’agence d’intérim. C’est elle qui paie le salaire et s’occupe de l’administration salariale.

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rend pas compte quand on est enfant, mais je n’ai jamais su que mes pa-rents travaillaient au noir. Il faut dire qu’ils n’avaient pas d’autre choix tant qu’ils n’avaient pas de papiers. Chaque mois, nous espérions pouvoir tenir jusqu’au bout. Il n’y avait pas d’argent pour nous offrir des jouets ou des cadeaux. »

En 2004, la famille a, en outre, dû quitter son logement et en trouver un autre. « Nous avons dû chercher très longtemps », se souvient Hassan. « Car qui louerait une maison à une famille nombreuse, sans revenus et sans papiers ? » Après des dizaines de refus plus ou moins courtois, ils ont quand même trouvé quelqu’un prêt à prendre le risque. En outre, le propriétaire de ce logement était aussi chef d’entreprise, qui plus est à la recherche d’un bon boucher. Le père de Hassan a commencé à travailler pour lui dès la semaine suivante. D’abord au noir, puis, officiellement, dès que les papiers furent en ordre. « À partir de ce moment-là, les choses ont commencé à aller mieux. » Jusqu’au jour funeste du 27 octobre 2008.

C’était le début des vacances d’au-tomne. Des vacances importantes pour Hassan, car il allait fêter son 18e anni-versaire ce vendredi-là. Ils n’avaient toujours pas de papiers, mais son père avait un emploi fixe qui leur permettait de payer toutes les factures. Le lundi matin, le père de Hassan partit travailler tandis que sa mère restait à la mai-son. Quelques heures plus tard, la famille retrouvait son corps sans vie. Un arrêt cardiaque, ont déclaré les médecins. Elle était morte dans son sommeil.

« On ne s’en rend pas compte quand on est

enfant, mais je n’ai jamais su que mes

parents travaillaient au noir. Il faut dire qu’ils n’avaient pas

d’autre choix tant qu’ils n’avaient pas de papiers.

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Au noir

Tout à coup, ils se retrouvaient tout seuls. Si loin de chez eux, la famille se réduisait désormais à trois hommes : Hassan, son père et son frère. Les deux sœurs avaient déjà quitté la maison. Était-ce le choc provoqué par le décès de sa mère ou le poids des responsabilités se posant sur ses épaules, mais c’est à ce moment-là que Hassan a décidé de donner une autre direction à sa vie.

Ce n’est pas qu’il avait fainéanté jusque-là : depuis ses 16 ans, il travaillait dans une boucherie du quartier, tout en poursuivant ses études et en pra-tiquant la boxe de haut niveau. Il est même devenu champion de Belgique quelques années plus tard. Il a donc décidé d’investir le peu de temps qui lui restait dans sa famille. Il fallait ramener de quoi manger et il ne gagnait pas suffisamment à la boucherie. C’est ainsi qu’il a commencé à travailler dans l’Horeca pendant ses week-ends. Au noir, car il n’avait toujours pas de pa-piers. « Je savais que c’était interdit, mais je n’avais jamais rien connu d’autre. Il n’y avait tout simplement pas d’autre possibilité pour notre famille. »

Travail intérimaire : le contrat de travailLorsque le candidat travailleur intérimaire s’inscrit dans une agence d’inté-rim, il ne signe pas nécessairement directement un contrat de travail, mais une déclaration d’intention. Ce document témoigne de son intention de travailler comme intérimaire. Ce n’est que lorsque le travailleur intérimaire accepte une mission de la part de l’agence d’intérim qu’un contrat de travail intérimaire est établi. Si la mission dépasse la durée du contrat, un nouveau contrat de travail est conclu.

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Après le terrible coup du sort qui venait de s’abattre sur la famille, le seul moyen d’écarter les idées noires était de rester actif. Son agenda était bien rempli à cette époque : du lundi au vendredi, il entamait la journée en faisant son jogging, puis il partait à l’école et, le soir, il s’entraînait. Le samedi matin, il retournait à l’entraînement et, en fin d’après-midi, il allait servir dans un restaurant jusqu’à minuit. Le dimanche, il travaillait de 11 heures à 16 heures, puis de 17 h 30 à 23 heures. « Je travaillais dur et, en plus des entraînements et de l’école, je tombais de sommeil tous les soirs. Mais j’en avais besoin. »

Le travail se passait bien, mais, à l’école, c’était plus difficile. De l’enseignement secondaire général, il était passé dans l’enseignement professionnel, où ce n’était pas évident non plus. « Tout m’ennuyait à l’école et je n’étudiais jamais. Je n’avais aucun rêve, aucune aspiration. J’étais un très mauvais élève. »

Tout est possible

En juillet 2009, les choses ont pris un tour aussi positif qu’inattendu, quand la famille a enfin obtenu un permis de séjour. Le « bientôt » du départ avait été une longue attente de neuf ans. Hassan pouvait se remettre à rêver. Mais de quoi ? Contre toute attente, il a décidé de mener des études. Poursuivre une formation en sortant de l’enseignement professionnel, c’est déjà difficile en soi, mais, pour un mauvais élève comme Hassan, cela sem-blait presque sans espoir. C’est du moins ce que pensaient ses professeurs, ses amis, ses connaissances et ses camarades de classe. Mais lui, il pensait à son grand-père, qui était arrivé à Stalingrad en boitant et y avait survécu.

« Tout est possible dans la vie si l’on est

prêt à travailler dur. » C’est ce qu’il pensait à l’époque et il en est

toujours convaincu aujourd’hui.

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« Tout est possible dans la vie si l’on est prêt à travailler dur. » C’est ce qu’il pensait à l’époque et il en est toujours convaincu aujourd’hui.

Outre l’homonymie avec son grand-père, Hassan tirait aussi beaucoup de confiance en lui de ses performances sportives. Il faut dire qu’entre-temps, il avait remporté le titre national. « La boxe m’a sauvé la vie », dit-il. « Cela m’a donné la discipline et la persévérance dont j’avais besoin. La boxe n’est pas un sport comme le football ou le basket-ball. On peut courir sur un terrain de football sans être préparé, mais essayez de monter sur un ring sans préparation et vous comprendrez vite. Il faut être concentré à 100 % et être préparé mentalement. C’est cet état d’esprit qui m’a accompagné à l’école supérieure. »

Un employeur qui disparaît dans la nature

Hassan l’admet volontiers : cela n’a pas été facile d’entamer des études supérieures en sortant de l’enseignement professionnel. Ses connaissances en maths étaient particulièrement insuffisantes. Il a étudié jour et nuit tout au long du premier trimestre. Il a arrêté toutes ses activités, y compris la boxe, pour se concentrer sur ses études. Et cela a porté ses fruits. Trois ans plus tard, il avait un bachelor banque et assurance en poche. Cela devait lui permettre de trouver facilement du travail. Et il a commencé à postuler courageusement.

Mais, alors que les amis avec qui il avait étudié trouvaient rapidement du travail, ce fut plus difficile pour lui, et ce pour toutes sortes de raisons. Une candidature restée sans réponse, un poste manqué de peu, un autre où il est arrivé deuxième, un courrier de refus, un autre qui commençait par « Nous sommes au regret de vous annoncer… ». Mais Hassan n’a pas baissé les bras. Il se tournait le moins possible vers le passé et continuait d’aller de l’avant. À l’image de son grand-père.

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Entre ses candidatures, il a suivi une formation complémentaire en Financial trading. Et il en fut récompensé : au terme de cette formation, il a reçu une proposition comme Forex trader. Il est entré au service d’un homme âgé qui voulait placer son capital privé en Bourse. « Tout cela semblait très professionnel : nous travaillions à trois dans un bureau à Etterbeek. Cet homme nous racontait qu’il avait été jadis private banker dans une grande société en Suisse. Il nous a promis que nous deviendrions aussi riches que lui. Il nous a même emmenés en vacances dans son luxueux chalet dans les Alpes. Je découvrais un monde qui m’était inconnu jusque-là : parties de golf, cocktails et menus quatre services. Il nous a bluffés afin qu’on n’ose pas lui poser de questions. Et pourtant, c’est ce qu’on aurait dû faire. »

Alors que Hassan et ses deux collègues avaient travaillé pour lui sans contrat pendant quelques mois, leur employeur a mis la clé sous le paillas-son du jour au lendemain. Ils n’ont jamais vu la couleur de la fortune qu’il leur avait promise dès que les placements rapporteraient. Fous de rage, les collègues de Hassan ont tenté de retrouver sa trace et de le poursuivre. Quant à Hassan, il a décidé qu’il valait mieux ne pas regarder derrière lui. « C’était une bonne leçon de plus. »

Travail intérimaire : le salaireUn travailleur intérimaire reçoit le même salaire qu’un travailleur fixe à expérience équivalente. Si l’utilisateur (la société qui fait appel à un intérimaire) donne à ses employés permanents des chèques-repas et/ou des écochèques, alors l’intérimaire y a aussi droit, aux mêmes conditions d’octroi.

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Un homme de chiffres n’est pas un télévendeur

Sur ces entrefaites, le printemps était arrivé et, malgré son diplôme, Hassan était toujours demandeur d’emploi. Il a suivi une deuxième formation en ligne dans le domaine du commerce des devises. Parallèlement, il continuait d’envoyer chaque jour des lettres de candidature, cherchait partout des offres d’emploi et sollicitait des entretiens. Mais, c’était toujours le même scénario : une candidature restée sans réponse, un poste manqué de peu, un autre où il est arrivé deuxième, un courrier de refus, un autre qui com-mençait par « Nous sommes au regret de vous annoncer… ». Au cours d’un entretien, il s’est entendu dire qu’il était le candidat idéal et que son profil était excellent. « C’est juste dommage que vous portiez ce nom. » Il n’a pas été engagé.

L’été était bien entamé quand Hassan a finalement obtenu une réponse positive. Il était alors tellement découragé qu’il avait même commencé à postuler pour des emplois qui ne correspondaient pas à son profil ou à ses études. Le job qu’on lui proposait était de ceux-là. Deux heures de trajet, des collègues diplômés d’une université parisienne et un job qui consistait à faire de la prospection par téléphone. « J’ai accepté sans bien examiner la teneur de la fonction. Je devais absolument travailler. Lorsque j’ai reçu le contrat, je l’ai signé les yeux fermés. »

Hassan a signé d’emblée un contrat fixe assorti d’un bon salaire. Mais, dès le premier jour, il a su que cet emploi n’était pas fait pour lui. « Je ne suis pas bon en chiffres. Et bien que je parle cinq langues, je ne suis pas un vendeur. Et encore moins un télévendeur. » C’est ce qu’il a expliqué à son employeur, qui s’est montré compréhensif. Deux semaines plus tard, il donnait son préavis.

Retrouver du travail était encore plus urgent qu’avant, car il avait perdu son droit aux allocations de chômage en démissionnant. S’il ne trouvait pas rapidement autre chose, c’était retour à la case départ : du travail au

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noir dans l’Horeca. Il a continué à postuler, à participer à des examens et procédures de recrutement, mais il rentrait bredouille.

Jusqu’à ce que la sonnerie du téléphone retentisse. « Bonjour, c’est Sylvia de l’agence d’intérim. Nous avons trouvé votre CV en ligne. Pourriez-vous vous rendre en nos bureaux ? »

Hassan ne comprenait pas ce qui lui arrivait. Après tant de recherches et de candidatures infructueuses, il était invité spontanément à un entretien. Cela faisait alors presque dix ans qu’il n’avait plus mis les pieds dans une agence d’intérim, depuis ce job d’étudiant chez un boucher. Il était surpris de consta-ter qu’ils pouvaient aussi lui proposer de l’emploi dans le secteur financier.

Plus motivé que jamais, Hassan s’est mis sur son trente et un et s’est rendu la même semaine à l’agence d’intérim. Sylvia a tout de suite compris qu’il était prêt à se donner à fond. Il n’y avait plus qu’à trouver un employeur qui voudrait donner sa chance à Hassan « malgré son nom ». Elle a décidé de le prendre en photo et de joindre celle-ci à son CV pour l’envoyer à une société d’assurances de la région, le tout accompagné de ses impressions positives. Hassan a été immédiatement invité à un entretien et quelques jours plus tard, il était embauché. Après deux mois seulement comme inté-rimaire, il a été engagé à titre fixe comme conseiller en placements. « Je me suis senti bien dès le premier jour », explique Hassan. « L’adéquation était totale entre l’entreprise et moi. Son gérant, Peter, m’a accordé d’emblée une confiance totale. J’ai enfin le sentiment d’avoir trouvé ma place sur le mar-ché de l’emploi. Et j’en serai éternellement reconnaissant envers Sylvia. »