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Byzance et les Arabes - Tome 1 - La Dynastie d' Amorium, 820-867 (A.A. Vasiliev, 1935)

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BYZANCE ET LES ARABESIMPRIMERIEDE M E E S T E R WETTEREN(BELGIQUE)CORPUS BRUXELLENSE HISTORIAE BYZANTINAE-1A. A. VASILIEVBYZANCE ET LES ARABESTOME ILA DYNASTIE D'AMORIUM(820-867) ÉDITION FRANÇAISE PRÉPARÉE PARHenri GRÉGOIREPROFESSEUR A L ' U N I V E R S I T É DE B R U X E L L E S , VICE-PRÉSIDENT DE L'INSTITUT ORIENTALETMarius CANARDM A Î T R E DE CONFÉRENCES A LA F A C U L T É DES LETTRES D'ALGERAVEC L E CONCOURS D EC. NALLINOPROFESSEUR A L ' U N I V E R S I T É

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BYZANCE ET LES ARABES

IMPRIMERIE

DE M E E S T E R WETTEREN(BELGIQUE)

CORPUS BRUXELLENSE HISTORIAE BYZANTINAE-1A. A. VASILIEV

BYZANCE ET LES ARABESTOME I

LA DYNASTIE D'AMORIUM(820-867) DITION FRANAISE PRPARE PAR

Henri GRGOIREPROFESSEUR A L ' U N I V E R S I T DE B R U X E L L E S , VICE-PRSIDENT DE L'INSTITUT ORIENTAL

ET

Marius CANARDM A T R E DE CONFRENCES A LA F A C U L T DES LETTRES D'ALGER

AVEC L E CONCOURS D E

C. NALLINOPROFESSEUR A L ' U N I V E R S I T DE ROME

E. HONIGMANND I M E C T E U R DE LA SECTION DE GOGRAPHIE ANCIENNE D E L ' I N S T I T U T O R I E N T A L

ET

Claude BACKVIS

BRUXELLESDITIONS DE L'INSTITUT DE PHILOLOGIE ET D'HISTOIRE ORIENTALES

1935 LIBRAOROE ORIENTALE & AMERICAINE

G. P. MAISONNSUVE, SUCCr32, Rue de Grenelle & 33, RueSt-Guillaume PARIS-VU

TOME I .

LA DYNASTIE D'AMORIUM (820-867)

PRFACEDE M. H E N R I GRGOIRE.

On verra par la prface qui suit celle-ci, la prface mise par A. A. Vasiliev en tte de la premire dition de Byzance et les Arabes, que trente-cinq annes se sont coules entre la publication en volume des tudes russes de Vasiliev sur les relations byzantino-arabes au temps de la dynastie d'Amorium, et l'apparition de la prsente dition franaise. Il est extraordinaire que les byzantinistes, et en gnral les historiens, aient d attendre plus d'un quart de sicle la traduction d'un livre capital et classique comme celui-ci. Extraordinaire, mais non inexplicable. Pour avoir entrepris cette tche, nous connaissons, prsent, les difficults devant lesquelles ont recul de nombreux lecteurs du Vasiliev qui, avant nous, avaient conu le dessein de le traduire ou de l'adapter. Un semblable ouvrage ne pouvait tre achev que par un rudit qui ft la fois byzantiniste et arabisant. Le traducteur devait, la connaissance de la langue et de la littrature historique russes, joindre une parfaite connaissance des deux domaines, byzantin et arabe, qui taient et qui sont familiers Vasiliev. Et, mesure que les annes passaient, la tche, mme pour un homme qui et runi cette triple comptence, devenait plus ardue. Car des sources nouvelles taient rvles, auxquelles Vasiliev n'avait pu encore puiser. Michel le Syrien, que l'auteur avait connu seulement par une version armnienne et par BarHebraeus, tait publi par l'abb Chabot : et sur bien des

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PREFACE DE M. H. GREGOIRE

points, Michel authentique, ou plutt sa source, Denys de Tell-Mahr compltait, corrigeait, ou servait complter et corriger les historiens arabes. Plus tard, Guest nous donnait A l - K i n d i . Il y avait glaner encore dans Tafr et quelques autres. Vasiliev reconnaissait lui-mme q u ' i l n'avait pas interrog les potes : et les potes du xe sicle sont pleins d'allusions la guerre byzantine. Les sources grecques elles-mmes sont plus nombreuses aujourd'hui qu'en 1900, si complet qu'ait t pour l'poque, et si consciencieux, le dpouillement de Vasiliev. Nous avons fait quelque progrs, peut-tre, dans l'apprciation des divers chroniqueurs. Nous ne considrons plus le Continuateur de Thophane comme dpendant de Gnsius, mais d'une source commune aux deux crivains, que tous deux reproduisent leur manire. Des hagiographica d'une importance capitale, comme les textes relatifs aux quarante-deux martyrs d'Amorium et un assez grand nombre d'autres, n'taient pas convenablement publis au moment o parut la premire dition. Enfin, personne ne s'occupait en 1900 des origines historiques de l'pope byzantine, personne ne souponnait mme le problme de l'pope arabe, de cette geste d'Amorium dont les vnements raconts dans ce livre expliquent la naissance. S'il tait malais, s'il tait dlicat, parfois, d'incorporer au livre de Vasiliev des Addenda et corrigenda, des faits et des ides rsultant de dcouvertes et de trouvailles nombreuses, au risque de dranger parfois, avec la chronologie reue, l'ordre mme du rcit, au risque, infiniment plus grave, de reviser les jugements historiques ports sur tel ou tel prince ou sur le caractre de telle ou telle priode, nous devons dire combien nous avons t aids dans cette tche par l'admirable History of the Eastern Roman Empire de J . B . B u r y . lequel, crivant dix ans aprs Vasiliev, put et sut dj profiter de plusieurs des sources nouvelles numres plus haut, et qui clarifia dans ses notes et dans ses exc rsus nombre de petits problmes de chronologie, de prosopographie, de gographie. Comme je l'ai dit un jour dans Byzantionje pense que tous mes confrres seront d'accord avec moi une discussion de B u r y est le terrain le plus solide que puisse fouler le byzantiniste. Souvent nous n'avons eu

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qu' le suivre. Et parmi les collaborateurs du Vasiliev refondu, feu J. B. B u r y devrait tre cit en premire ligne et avec grand honneur. Il me reste puisque j'en suis au suum cuique dire toute ma gratitude trois savants sans lesquels la nouvelle dition n'aurait pu paratre. Car l'diteur ne possdait pas, hlas, toutes les comptences requises. S'il s'est charg l u i mme de traduire les derniers chapitres, et de reviser la version des premiers faite par son lve M. Backvis, s'il a, gr ce aux recherches sur la chronographie et sur l'pope byzantine, poursuivies depuis trois ans au sminaire byzantin de l ' I n s t i t u t oriental de Bruxelles, grce ses propres travaux et ceux de ses lves sur le rgne de Michel I I I , s'il a, dis-je, pu prsenter dans un jour assez nouveau l'histoire du dernier empereur amorien, il a d recourir, n'tant pas arabisant, l'aide et au contrle constants de M. C. Nallino et de M. Marius Canard. L'illustre orientaliste de Rome a lu d'un bout l'autre les preuves du Vasiliev franais, et nous lui devons un grand nombre d'additions bibliographiques et critiques et de corrections de toutes sortes. Charg de prparer, lui aussi, une dition nouvelle, et mise au point de l'actualit scientifique, d'un ouvrage classique, le livre d'Aman sur la Sicile arabe, M. Nallino tait naturellement l'autorit souveraine pour tout ce qui touche l'histoire de la conqute arabe de la grande le. Outre le texte, il a corrig avec son admirable conscience les traductions de l'arabe qui figurent l'appendice, pour autant qu'il y ft question des vnements de Sicile. M. Marius Canard, matre de confrences la Facult d'Alger, fut, dans toute l'entreprise du nouveau Vasiliev, l'homme providentiel. Nous n'oublierons jamais la reconnaissante motion avec laquelle nous avons dcouvert en l u i , il y a quelques annes, un collaborateur bien mieux prpar que nous-mme nos propres recherches sur l'pope byzantine, qui se confond avec l'pope arabe. On l u i doit la rvlation de terres absolument vierges, aux confins de l'histoire et de la posie pique. Avant lui, on savait vaguement qu'un roman turc de basse poque, le Sayyid Battl , contenait quelques allusions des vnements historiques

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PRFACE DE M. H. GRGOIRE

du i x e sicle, puisqu'il y tait question du rebelle Bbek. J'avais cru deviner que ce roman tait plus historique qu'on ne le disait, et qu'il devait remonter un original arabe du x e sicle. M. Marius Canard tait arriv de son ct des conclusions peu prs semblables. Mais il a fait mieux que des conjectures. Il a dcouvert dans le roman de chevalerie arabe, appel Dt-ul-Himma, une abondante matire encore toute pleine d'histoire qui, en se diluant de plus en plus dans la fiction, aboutira des productions comme le SayyidBat-tl, dont les anciens orientalistes avaient pu croire qu'elles taient sans lieu ni date . Les trouvailles et les travaux de M. Marius Canard nous montrent clairement la gense de l'pope, du roman pique ou chevaleresque, qui est l'cho littraire de la guerre byzantino-arabe. On a lu dans Byzantion ( X , 1935, fascicule 1 er ), l'article de M. Marius Canard sur le Dt-ul-Himma. Cet article n'est que l'annonce d'un mmoire spcial : l'pope arabe, que M. Canard insrera la fin du tome II de Byzance et les Arabes. Quant au prsent volume, on y retrouvera partout sa main. Il a mme veill la correction et la fidlit de la traduction proprement dite, de la traduction du russe. Il a discut avec nous, la Bury, quantit de problmes embrouills de chronologie et de topographie, et presque toujours il nous a convaincu. Avec une patience et une acribie merveilleuses, il a confront ligne par ligne toutes les versions de l'appendice avec les originaux. Nous lui avons impos le plus pnible des labeurs. J'espre qu'il ne regrette pas sa peine, puisqu'elle a fait, de ce recueil de textes historiques arabes, un instrument de travail tout fait sr et que les byzantinistes manieront avec autant de gratitude que de confiance. Cet lment de certitude, cette garantie, en quelque sorte, que nous apportent M M . Nallino et Canard, en ce qui concerne la fidlit de nos traductions de l'arabe, M. Ernest Honigmann l'introduit dans la partie gographique de ce travail. Grce l u i , le nouveau Vasiliev dira pour ainsi dire le dernier mot, en fait d'identifications topographiques. D'ailleurs M. Honigmann a crit tout un livre sur la frontire arabobyzantine, et ce livre, qui parat en mme temps que le ntre, constitue le tome I I I du Vasiliev refondu.

PRFACE DE M. H. GRGOIRE

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Ces deux volumes sont les prmices du Corpus Bruxellense. Le Corpus doit tre une nouvelle dition, due la collaboration de philologues et d'historiens et pourvue de traductions et de commentaires, de tous les textes historiques qui intressent les annales byzantines. Je pense que nous avons combl bien des vux en commenant par un groupe de textes arabes, dont l'histoire de Vasiliev, je veux dire la premire partie du prsent volume, ses notes et les prcieuses notes complmentaires de M. Canard (voyez surtout la dernire et la plus sensationnelle, celle qui nous arrive avant la mise sous presse : La guerre byzantine et les potes arabes), sont en ralit le commentaire. Tout cela tait encore bien peu connu. Et la connaissance de tout cela est indispensable qui veut non seulement commenter, mais tout simplement diter un historien grec du ix e ou du xe sicle. La publication de ce volume devait prcder logiquement l'dition de Gnsius et celle du Continuateur de Thophane, car seule une confrontation constante des sources byzantines avec les sources arabes permet d'tablir la valeur des premires, suivant la mthode que nous nous sommes permis de recommander dans un article rcent de la revue Byzantion. Mes dernires paroles seront, comme le lecteur s'y attend, un chaleureux remerciement l'adresse de l'auteur lui-mme. Sans le juvnile effort d'Alexandre Alexandrovic, si bien conseill et soutenu par ses deux grands matres, l'inoubliable Vasilievskij et l'inoubliable baron Rosen, il est probable qu'en cette matire nous en serions encore Weil. Bury lui-mme n'et jamais song, lui qui ne manquait assurment pas de sujets, choisir l'poque amorienne pour l'analyser sa faon pntrante, si Vasiliev ne lui et fourni, ne lui et rendu accessible, la presque totalit des sources arabes. Et il n'y a point de paradoxe prtendre que, sans le Vasiliev de 1900 et le grand mouvement de recherches qu'il a produit et facilit, l'on n'aurait vu aucune des dcouvertes qui, de la question pique la question religieuse, de Dignis Photius, ont comme rvolutionn l'histoire d'une poque glorieuse entre toutes, et qui culmine dans la conjoncture des annes soixante du ix e sicle : le grand empereur Michel crase les Arabes d'Asie Mineure, dompte et baptise les

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Bulgares, envoie chez les Moraves Cyrille et Mthode, christianise les Russes aprs les avoir repousss, et fort de tous ces triomphes, entour de Bardas le grand Csar et de Photius le grand patriarche, fait sentir sa supriorit au Carolingien Louis I I , et permet que son glise jette firement l'anathme au pape de Rome ! Bruxelles, le 1 e r dcembre 1934.

PRFACE.DE M. A. A. VASILIEV.

Le prsent travail n'est qu'un dbut. Ce n'est qu'un spcimen, pour ainsi dire, des recherches que nous avons entreprises dans le domaine des relations byzantino-arabes. Notre tche primordiale tait l'tude, au moyen de tous les matriaux accessibles, des relations de Byzance avec le califat arabe. Il allait de soi que les chroniqueurs byzantins devaient tre complts par les sources historiques arabes, lesquelles nous donnent, parfois, beaucoup de renseignements neufs et intressants. L'expos des vnements politiques de 820 867, c'est--dire au temps de la dynastie d'Amorium, constitue la matire du prsent volume. Naturellement, nous aurions voulu ne point nous borner l'examen des rapports politiques et des conflits militaires ; plus intressantes peut-tre eussent t des recherches sur la structure interne des deux tats, sur leur culture, sur leurs relations mutuelles. L'tude de la structure interne de Byzance et du califat pourrait clairer de nombreux aspects de la constitution de l'ancienne Russie. Mais, avant d'aborder ces problmes, il est ncessaire, notre avis, d'acqurir, en recourant toutes les sources, une connaissance approfondie des relations extrieures de Byzance et du califat. Cette connaissance nous fournira un point de dpart, une sorte de base d'oprations, pour l'exploration des problmes plus dlicats, plus compliqus et sans doute plus intressants, qui touchent la vie intrieure de deux empires. Nous ne sommes pas convaincus d'avoir pu profiter, comme nous l'aurions voulu, de tous les matriaux accessibles. Il doit y avoir des lacunes dans notre information arabe, car nous nous sommes borns aux historiens, et nous n'avons pour

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PRFACE DE M. A. A. VASILIEV

ainsi dire pas touch aux potes, que nous ne sommes pas encore de force aborder. Et cependant, notre clbre arabisant le baron V. R. ROSEN dit dans son livre, L'Empereur Basile le tueur de Bulgares, que, pour l'expdition d'Amor i u m par exemple, les odes des potes arabes contemporains prsentent un grand intrt (p. 81-82). Nous ne pensons pas que de semblables productions potiques puissent nous fournir de nouveaux faits ; mais, en tous cas, en dpit de toute leur rhtorique, elles pourraient nous montrer comment les vnements connus se refltent dans la posie contemporaine. La premire partie de ce volume contient un rcit des vnements de 820 867. Le second chapitre de cette partie, sur l'empereur Thophile et le troisime, sur M i chel I I I , taient dj imprims l'anne dernire ; la premire, dans le Journal du Ministre de l'Instruction publique (1899, juillet, p. 1-55), la seconde, dans le Vizantijskij Vremennik (tome V I , 1899, p. 380-447). Ces deux chapitres, dans le prsent travail, apparaissent dans une forme un peu plus complte. Dans l' Appendice, nous avons donn des traductions d'historiens arabes se rapportant la priode tudie, et pour que les lecteurs de la premire partie puissent toujours trouver la partie correspondante de la source dans la seconde, dans les renvois aux pages des ditions, nous avons ajout, entre parenthses, des renvois aux pages de notre Appendice. Nous regrettons de n'avoir pu nous servir de quelques ouvrages relatifs la gographie de l'Asie Mineure, et t o u t d'abord, du livre qui nous a t aimablement indiqu par J. I . SMIRNOV, d'un anonyme dsign seulement par deux initiales N. V. Revue de l'Asie Mineure dans sa situation prsente (St-Ptersbourg, 1839-1840), 2 tomes. Ensuite, les travaux tout rcents de TOMASCHEK, Historisch-topographisches vom oberen Euphrat und Ostkappadokien (Berlin, 1898), extrait de la Kiepert Festschrift, et du Grec L E V I D S , 1899), et quelques autres. Lorsque nous emes en mains ces ouvrages, l'impression de notre travail tait dj trop avance pour qu'il nous ft possible d'en

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profiter. Quelques fautes d'impression qui sont restes dans le livre peuvent tre excuses, croyons-nous, par le fait que c'est fort loin de l'imprimerie, Constantinople, que nous avons d corriger les preuves, et cela non pas d'une manire suivie et systmatique, mais avec des interruptions fort gnantes. Notre matre, V. G. VASILJEVSKIJ, a t notre guide principal dans ce labeur. Il n'est plus parmi les vivants depuis le mois de mai de l'an pass. Nous rappelant, avec une reconnaissance infinie, l'aide multiple qu'il nous a prte, ses prcieuses indications, ses conseils incessants concernant la voie suivre, bref tout ce que notre cher matre dfunt partageait si gnreusement avec ses lves, nous nous sommes enhardis consacrer notre humble ouvrage la mmoirede feu V A S I L E GRIGORIEVIC, qui s'y tait toujours in-

tress et qui, malgr sa maladie, put en prendre connaissance quand l'uvre tait encore manuscrite. Nous offrons le tribut d'une sincre et profonde reconnaissance au baronVICTOR ROMANOVIC ROSEN, de l'Universit de Ptersbourg,

et au privat-docent de la mme Universit, Nicolas Alexandrovic Mednikov, qui, avec une extraordinaire amabilit, assumrent la tche difficile de contrler et de corriger sur preuves, nos imparfaites traductions de l'arabe, et de leur donner ainsi un plus haut degr d'exactitude et de correction. Il nous est impossible de ne pas remercier particulirement la Facult d'Histoire et de Philosophie de l'Universit de Ptersbourg, laquelle a bien voulu imprimer notre travail dans ses Zapiski. Nous remercions enfin et de tout cur trois hommes qui ont, eux aussi, bien mrit de Byzance et les Arabes. Serge Feodorovic Platonov, professeur l'Universit de Ptersbourg, pendant que nous tions retenus Constantinople, a bien voulu suivre la marche de l'impression, et a ht l'apparition de notre travail. Notre savant ami, M. J. S. Smirnov, nous a donn des indications fort utiles. Et notre camarade M. L. Budagov a corrig plusieurs feuilles d'impression. Ptersbourg, 19 janvier 1900.

INTRODUCTION.

L'poque des grandes conqutes du califat arabe est le v i i e sicle. Alors, la Palestine, la Syrie, l'gypte, tout le l i t t o r a l du Nord de l'Afrique jusqu' l'Ocan Atlantique, tombrent au pouvoir des Musulmans, qui plantrent t r i o m phalement leurs tendards sur les rochers du Taurus Cilicien, traversrent l'Asie Mineure jusqu'au Bosphore, et y retrouvant leurs propres flottes, menacrent la capitale mme de l'empire byzantin, sous Constantin I V . Depuis ces temps hroques, les rapports entre l'empire orthodoxe et l'empire arabe, si rapidement agrandi, n'avaient plus cess. A u VIIIe sicle, on put croire un conflit gnral de toute la chrtient europenne avec l'norme puissance arabe. Mais le danger de voir les Arabes pousser leurs conqutes plus loin l'Ouest fut cart par deux faits militaires : en Orient, par l'hroque dfense de Constantinople sous l'empereur Lon I I I l'Isaurien, en Occident, par la fameuse victoire de Charles Martel Poitiers ( 1 ). Mais ces deux victoires ne donnrent pas au monde une scurit complte : et Byzance, aussi bien que l'Occident, durent rester sur leurs gardes, et surveiller sans cesse les mouvements de leurs dangereux voisins, les Musulmans. Peu peu, il est vrai, les constantes agressions des Arabes contre Byzance cessrent, par suite de la dcadence et de l'affaiblissement graduels du califat, de menacer l'existence mme de l'empire, comme c'tait le cas aux VIIe et VIIIe sicles ; mais leurs razzias, tout en se bornant en somme aux provinces proches de la frontire, continurent peser lourdement sur l'tat, nuire la prosprit des provinces, diminuer leur capacit financire et en dtruire la population ( 2 ).(1) Cf. H A N K E , Weltgeschichle, B. V I , Abt. I , S. 3.

(2) Cf. C. N E U M A N N , Die Weltstellung des byzantinischen Reiches vor den Kreuzzgen, Leipzig, 1894, S. 10. 1

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BYZANCE ET LES ARABES

Le ix e sicle se distingue, dans l'histoire du califat, par l'affaiblissement de l'lment proprement arabe, et par la prdominance, d'abord des Persans, puis des Turcs, dans la moiti orientale de l'empire. Les Abbsides vainquirent les Omayyades, grce aux Persans du Khorsn : sous ce nom, on comprenait ce moment non seulement la province ainsi appele de nos jours, mais encore un important district l'Est et au Nord, avec Merw comme ville principale (1). Dans le Khorasan avait pris naissance contre les Omayyades une opposition non seulement politique, mais religieuse. Il y avait l un parti que mcontentait la politique religieuse des Omayyades, et qui tendait l'universalit de TIslam avec la devise l'Islam ne connat pas de diffrences de race ( 2 ). Notons ici que le gouvernement omayyade se distinguait par son caractre sculier, et que les questions religieuses l'intressaient fort peu ( 3 ). Le parti qui luttait pour l'galit de tous les peuples dans l' Islam, pour l'galit des 'Agam (4) avec les Arabes, portait le nom de Su'ubiya ; il fut actif et florissant aux IIIe et IIIe sicles de l'hgire. Quelques-uns de ses chefs allaient jusqu' proclamer la priorit des Persans sur les Arabes ( 5 ). Aussi, quand ils furent monts sur le trne, les 'Abbsides durent se considrer comme les obligs des Persans. Et, en effet, ces derniers commencent jouer cette poque un rle toujours plus important dans la vie du califat. Et les Arabes vainqueurs durent s'incliner devant les vaincus de nagure : les Persans. La Syrie, qui avait une importance (1) NLDEKE, Der Chalif Mansur. Orientalische Skizzen, Berlin, 1892, S. 115. KREMER, Culturgeschichte des Orients, B. I , Wien, 1875, S. 317. (2) G. VAN VLOTEN. Recherches sur la domination arabe. Le chiitisme et les croyances messianiques sous le Khalifat des Omayades, Amsterdam, 1894, p. 28, 32-33. (3) Cf. GOLDZIHER, Muhammedanische Studien, B. I I , Halle, 1890, S. 31. (4) Agam, c'est--dire les non-Arabes. C'est par ce nom que les Arabes dsignaient les populations allognes.(5) GOLDZIHER, op. cit., B. I , Halle, 1889, S. 147.

INTRODUCTION

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prdominante au temps des Omayyades, s'clipsa devant l ' I r a q et sa capitale, Damas, descendit au rang d'une ville de province. Bagdad (1) la remplaa. On sait de quel crdit la famille persane des Barmkides jouit la fin du VIIIe sicle, jusqu'au moment o elle fut anantie par Hrn-al-Rad. Et pourtant on a des raisons de croire que cette famille restait fidle au zoroastrisme. Ce qu'on savait des opinions religieuses d'un chef arabe de l'poque de Thophile, Afsn, Persan de race, dont le nom se rencontrera souvent dans ce livre, tait encore plus inquitant. Quelques familles poussaient ouvertement la renaissance des crmonies religieuses persanes ( 2 ). Les places les plus avantageuses la cour, dans l'arme, dans les finances, dans l'administration des provinces taient confies des Persans ( 3 ). Les Arabes s'en rendaient compte. L'un de leurs crivains a remarqu que l'empire des Omayyades tait arabe, et celui des 'Abbsides ragamo-khorsnique ( 4 ). Dans une posie que l'on attribue un gouverneur du dernier calife omayyade, Merwn I I , il est dit, entre autres choses : Enfuis-toi de ton sjour et dis : adieu, Arabes et Islam ! Dj sous Mansr, le deuxime calife 'abbside, cette scne se produit : tandis que des Arabes attendent vainement une audience aux portes du palais, des gens du Khorsn entrent librement, sortent de mme, et se moquent des rustres arabes ( 5 ). La lutte acharne qui clata aprs la mort de leur pre Hrn-al-Rasd entre les deux frres Amn et Mamun, fut une nouvelle phase de la guerre entre les nationalits (1) K R E M E R , Culturgeschichte des Orients, I , S. 183. (2) D O Z Y , Essai sur l'histoire de l'islamisme, Leyde, 1879, p. 230-231. K R E M E R , Culturgeschichtliche Streifzge auf dem Gebiete des Islams, Leipzig, 1873, S. 41-42. GOLDZIHER, Muhammedanische Studien, I, S. 150. (3) Cf. G. V A N VLOTEN, Recherches sur la domination arabe, p. 70. (4) Ghiz, Bayn, I I 154, 14, cit en manuscrit par GOLDZIHER, op. cit., I , 5, 148.(5) G O L D Z I H E R , op. cit., I , S. 148. Cf. K R E M E R , Culturgeschichte

des Orients, I, S. 233.

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BYZANCE ET LES ARABES

arabe et persane : et les Arabes furent de nouveau battus ( 1 ). Mais, au milieu du i x e sicle, les Persans durent abandonner leur crdit un nouvel lment tranger aux Turcs. Ds le milieu du VIIIe sicle, la coutume s'tait rpandue dans le califat d'entretenir des esclaves turcs non seulement la cour de l' mir des croyants , mais dans les maisons particulires. videmment, personne ne pouvait deviner ce moment que l'apparition de ces Turcs serait fatale l'existence du califat que les Turcs, en branlant les fondements de l'empire, le conduiraient une dcadence complte ( 2 ). Les Arabes n'avaient jamais joui de la confiance des ' A b bsides ; les Persans perdirent cette confiance. Par la force des choses, les califes durent chercher ailleurs des soutiens de leur pouvoir, et ces trangers furent, en l'espce, plus spcialement des Turcs (3). Dj Ma'm un entretenait autour de l u i une garde trs nombreuse d'esclaves turcs ( 4 ). Sous Mutasim (833-842), la garde entire et l'lite de l'arme taient composes d'trangers, Turcs et Berbres, dont le nombre atteignit ce moment 70.000 hommes ( 5 ). Quand, en 841 et en 849, les deux fameux chefs turcs, Asins et tkh, se rendirent la Mecque, pour y faire leurs dvotions la tte des plerins musulmans, le calife leur accorda le pouvoir suprme sur toutes les provinces par lesquelles ils passeraient. Asinas portait mme le t i t r e de sultan ( 6 ).

(1) D O Z Y , Essai sur l'histoire de l'islamisme, p. 229. N L D E K E , Der Islam. Orientalische Skizzen, S. 91. Voir la caractristique des deux frres dans A. M L L E R , Der Islam im Morgen- und Abendlande, Berlin, 1885, B. 1, S. 499. Voyez maintenant Fr. GABRIELI, La successione di Harun al-Rasid e la guerra fra al-Amin e al-Ma'mn (Rendiconti R. Accad. Lincei, cl. scienze morali, ser. V I , vol. I I I , 1927, p. 191-220). (2) KARABACEK, Ersles urkundliches Auftreten von Trken. Mitteilungen aus der Sammlung der Papyrus Erzherzog Rainer, I,Wien, 1887, S. 93. GOLDZIHER, op. cit., B. I , 149.

(3) D O Z Y , Essai sur l'histoire..., p. 247.(4) KARABACEK, op. cit., S. 95.

(5) D O Z Y , Essai..., p. 247. (6) SNOUCK H U R G R O N J E , Mekka, B. I, Haag, 1888, S. 45.

INTRODUCTION

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Du temps du calife Mutawakkil (847-861), l'influence des Turcs devint dcisive. Comme les prtoriens de l'empire romain, ce sont eux qui renversent, qui lvent des califes, auxquels il ne restait gure qu'un pouvoir nominal. Sous Mu'tazz (866-869), nous trouvons chez un pote le passage suivant : On me d i t : tu te renfermes beaucoup trop chez t o i . Je rponds : c'est parce que je ne trouve aucun plaisir sortir. Qu'est-ce que je rencontre, quand je regarde autour de moi? Des singes juchs sur des selles (1). En mme temps il se produisait dans le califat une dcentralisat i o n rapide : les provinces les plus importantes se transformaient en Etats particuliers. Cette domination d'trangers, brutaux et grossiers, dsaffectionnait les sujets de leurs gouvernants. Aprs la mort de Mutasim, on choisit W a t i q pour l u i succder. A cette occasion, un pote dit : Un calife est mort et personne n'est afflig son sujet. Un autre nous est venu et personne ne s'en rjouit ( 2 ). Uhistoire religieuse du califat au ix e sicle offre un profond intrt. Involontairement, un parallle se prsente l'esprit entre le mouvement iconoclaste Byzance et la tendance rationaliste dans l'Islam, aux VIIIe et IXe sicles. A notre avis, l'tude de ces deux mouvements, entreprise du point de vue de leur influence rciproque, pourrait fournir des rsultats extrmement intressants pour l'histoire culturelle des deux empires ( 3 ). Damas avait t le thtre de nombreuses discussions thologiques entre Chrtiens et Musulmans. Parmi ces disputes entre docteurs des deux religions, celles qu'enregistrrent Jean Damascne et Thodore Abukara sont bien connues. On a cru parfois que c'est de ces discussions thologiques que naquirent les premires sectes dissidentes de l'Islam, les Murgites et les Qadarites (Mu'tazilites) (4).(1) GOLDZIHER, op. Cit., B. I, S. 152. (2) KREMER, Culturgeschichte des Orients, I , S. 230. (3) Voir maintenant A. A. VASILIEV, Histoire de l'Empire

byzantin, Paris, 1932, I, p. 333 sqq. (4) KREMER, Kulturgesch. Streifzge, S. 2 ; Kulturgesch. d. Orients, I I , S. 399 sq. Mais l'origine des Murgites et des Qadarites (dont la doctrine fut plus tard adopte par les Mu'tazilites) est chercher dans l'Islam lui-mme. Et Jean Damascne polmisait non point

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On a quelquefois pens que les Omayyades taient une dynastie tout fait laque ( 1 ), en ajoutant que, dans la personne d'un 'Ab: side, il y avait la fois le souverain de l'empire et celui de l'glise d'tat. La nouvelle dynastie, en tous cas, prit une part active aux affaires religieuses de son empire. Mamun se rangea ouvertement du ct des thologiens mu'tazilites et, par un dcret de 827, il dclara officiellement que la thse de la cration du Coran devait tre reconnue par tous (2). Dj auparavant, les dfenseurs de l'orthodoxie musulmane, opprims dans le califat, avaient tourn les yeux vers les Ommayades d'Espagne : ce pays s'est toujours distingu par le fanatisme religieux aussi bien sous l'Islam que plus tard dans la Chrtient ( 3 ), surtout sous le rgne du vnrable Htm I ( 7 9 6 ) que l'un des plus fameux juristes arabes, Mlik-ibn-Anas, le fondateur de l'un des quatre rites orthodoxes de l'Islam, appelait le seul qui ft digne de s'asseoir sur le trne des califes ( 4 ). Mais les espoirs des orthodoxes furent dus ( 6 ). tant contre l'Islam pour convaincre les Musulmans, qu' l'adresse des Chrtiens, toujours en pril d'tre forcs d'embrasser la religion des dominateurs. Voir aussi C. GUETERBOCK, Der Islam im Lichteder byz. Polemik, Berlin, 1912, p. 10 sqq. Pour les Qadarites, etc., cf. C. H . BECKER, Christliche Polemik und Islamische Dogmenbildung, dans Festschrift I . Goldziher, ZA, Bd. X X V I , 1911, S. 175 sqq. ; cf. I . GOLDZIHER, Die Richtungen der islamischen Koranauslegung, Leyde 1920, p.102. E . FRITZ, Islam und Chrislentum im Mittelalter (Beitrge zur Geschichte der muslimischen Polemik gegen das Christentum in arabischer Sprache), Breslau 1930. (1) Le lacisme des Omayyades est une ide trs inexacte des vieux islamisants. L'Islam n'a jamais possd une glise dans le sens chrtien, et la croyance que les califes taient aussi les pontifes de l'islamisme est tout fait fausse. Cf. GOLDZIHER, op. cit., Bd. I I , S. 53. (2) Ci'. W . PATTON, Ahmed ibn Hmbal and the Mihna, Leiden, 1897, et I , GOLDZIHER, Vorlesungen, S. 114 sqq. (3) K R E M E R , Geschichte der herrschenden Ideen des Islams, Leipzig, 1868, S. 157 ; voir aussi S. 292-293. (4) DOZY, Histoire des musulmans d' Espagne, T. I I , Leyde, 1861, p. 56. Nouv. d., revue et mise jour par E . LVI-PROVENL, Leyde, 3 vol., 1932, t. I , p. 286. (5) DOZY, lissai sur l'histoire de /'islamisme, p. 237.

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Il est intressant de noter qu'au x e sicle, les pays les plus loigns de la Mecque y envoyaient les plerins les plus zls : alors que les habitants de l'Irq restaient chez eux, par suite de la crainte que leur inspirait la tendance dominante, ceux du Khorasn faisaient tous les efforts possibles pour atteindre la Ville Sainte. Ce phnomne continue se manifester jusqu' nos jours sous une forme peine diffrente ( 1 ). Mais quand Mutaeakkil l'un des 'Abbasides les plus antipathiques , disait Millier, monta sur le trne en 847, des jours meilleurs commencrent pour les partisans de l'orthodoxie islamique. Le calife, qui avait besoin d'un parti, se m i t de leur ct. La raction contre les mu'tazilites s'accompagna de cruauts effrayantes. En 8148, un dit fut lanc qui dclarait hrtique la doctrine de la Cration du Coran (2). Mais ces perscutions ne purent interrompre le dveloppement du parti important et influent des mu'tazilites. Celui-ci eut des reprsentants nombreux et remarquables aux sicles suivants (8). Au i x e sicle se place la priode brillante de la science et de la littrature arabes. Mais il est intressant de remarquer combien est insignifiant le rle qu'y jourent les Arabes euxmmes et combien ils sont, en cette matire, les tributaires des trangers. Sous les Abbsides, l'influence perse pntra mme dans la littrature. Certes, l'arabe resta la langue crite dont se servaient les Persans ; et la littrature no-persane proprement dite ne naquit que deux sicles plus tard. Mais la littrature arabe s'enrichit considrablement, grce des traductions du pehlevi. L'lgance persane envahit bientt la posie des Bdouins. Quelques-uns des reprsentants les plus brillants de la philologie arabe taient de provenance iranienne. Les historiens arabes empruntent une partie de leur matire aux(1) SNOUCK HURGRONJE, op. cit., I, p. 61.

(2) La date de 851 donne dans l'dition russe la suite de MJLLER, est inexacte. C'est 848 ( 234 H). Voir ce sujet PATTON, op. cit. 121-122 et l'article Mihna, dans l'Encyclopdie de l'Islam. D'aprs d'autres, cela se passa ds les dernires annes du rgne de Watiq, le prdcesseur de Mutawakkil. Cf. MLLER, Der Islam, 1, S. 524. Cf. KREMER, Gesch. der herrschenden Ideen d. /., S. 245. (3) KREMER, Geschichte der herrschenden Ideen des Islams, S. 34-35.

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annalistes moyens-persans . Dans les sciences thologiques et juridiques, les Persans se transformrent bientt, d'lves, en matres des Arabes. Les sciences laques se trouvaient en partie aux mains des Aramens : c'est par leur intermdiaire, que parvinrent aux Arabes les trsors de la culture hellnistique ( 1 ). En un mot, tout le dveloppement de cette vaste littrature arabe, avec ses nombreux rameaux, nous apparat surtout comme la mise en uvre, par des trangers, de matriaux trangers. L a Grce, la Perse et l'Inde remdirent la strilit de l'esprit arabe , dit avec quelque exagration l'un des plus fameux orientalistes (2). Mme en ce qui concerne la connaissance de la langue arabe et dans les travaux consacrs spcialement la religion, l'lment arabe se laissait distancer par les lments trangers ( 3 ), bien que ce soit sans doute une forte exagration que d'affirmer que, parmi les Musulmans qui ont fait quelque chose dans les sciences, aucun n'tait Smite (4). L'intensit de la curiosit scientifique du ixe sicle nous est rvle, entre autres, par de vritables expditions rudites. Sous le calife Watiq, avec l'assentiment de l'empereur byzantin Michel I I I , le fameux savant arabe Muhammed-ibnMs fut envoy phse par le calife, pour visiter la caverne o taient conservs les restes des Sept-Dormants, qui avaient souffert le martyre, sefon la tradition, lors de la perscution de Dcius. L'empereur byzantin envoya un guide pour accompagner le savant arabe. En entrant dans la caverne, les visiteurs firent la rencontre d'un eunuque

(1) B R O C K E L M A N N , Geschichte der arabischen Litteratur, I . Band, Weimar, 1898, S. 71-72. (2) E d . SACHAU, Alberuni's India. An English edition with notes and indices by E D . S., London, 1888, V o l . I, Preface, p. x x v i i i . Cf. K R E M E R , Cullurgeschichte des Orients, I I , S. 158-159. (3) GOLDZIHER, op. cit., I , S. 109-110. Dans ce remarquable trav a i l du fameux professeur de Buda-Pest concernant l'influence exerce par les trangers sur les Arabes, on peut trouver des renseignements extrmement intressants. V o i r surtout le chapitre 'Arab und 'Agam , B. I, S. 101-146. (4) Voir P A U L D E L A G A R D E , Gesammelte Abhandlungen, Leipzig, 1866, S. 8, Anm. 4.

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d'une beaut remarquable qui menaa le savant de malheurs terribles s'il osait toucher aux reliques. Nanmoins Muhammed pntra dans la caverne, v i t les corps et les toucha. En sortant il d i t au gardien : Nous croyions que tu nous montrerais des morts qui auraient l'air de vivants ; mais nous n'avons rien vu ici de semblable ( 1 ). Le fait mme de cette mission scientifique que nous venons de raconter trouve peut-tre sa raison d'tre dans la tendance mutazilite qui prdominait dans la religion depuis l'poque de Ma'mun. Le mme W a t i q organisa une grande expdition dirige par le traducteur Sallam, qui connaissait trente langues, vers l'intrieur de l'Asie, pour retrouver le mur lev, selon la tradition, par Alexandre Je Grand contre les peuples de Gog et Magog. Cette expdition dura plus de 28 mois. Au retour, les participants furent rcompenss par le calife, auquel Sallam remit un rapport dtaill (2). On connat les pourparlers ritrs qui s'engagrent plusieurs reprises entre l'empereur Thophile et Ma'mun propos du fameux savant gomtre et astronome byzantin Lon,(1) IBN-KHORDAdBEH, d. DE G O E J E ( = Bibliotheca geographorum arabicorum, V o l . V I , 1889, Lugduni Batavorum), p. 106-107 (texte arabe), et p. 78-79 (traduction franaise). Nous ne voyons pas sur quoi l'on se fonderait pour ne pas considrer cette expdit i o n comme un fait historique Pourtant le premier diteur d ' I b n Khordadbeh, B A R B I E R D E M E Y N A R D (Journal Asiatique, 1865, p. 23) ne croit pas la ralit de cet vnement. R A M U A U D croit sans aucune rserve son historicit. R A M B A U D , L' Empire grec au Xe sicle, Paris, 1870, p. 435.(2) I B N - K H O R D A I J B E H , Ed. D E G O E J E , p. 162-170. A L - M O Q A D D A S I ,

ed. DE G O E J E (Bibliotheca geographorum arabicorum, T. I I I , 1877), p. 362-365. Gographie d' EDRISI, trad. par A. J A U B E R T , t. I I , Paris, 1840, p. 416-420. JACUT, Geographisches Wrterbuch, ed. W S T E N F E L D , I I I , p. 56-57. Cf. D E GOEJE, De muur van Gog en Magog, Verslagen en Mededeelingen der Kon. Akademie van Wetenschappen Afdeeling Letterkunde 3e recks, Ve deel, Amsterdam 1888, p. 104-109. Nous ne pouvons adopter l'opinion de SPRINCER pour qui le rapport entier de Sallam sur sou voyage esl eine unverschmle Mystification . SPRENGER, Die post- unit Reiseroulen des Orients (Abhandlungen fr die Kunde des Morgenlandes B. I I I , Leipzig, 1864, S. X V ) . Sallam transmit au calife les renseignements q u ' i l entendit raconter dans l'endrcit mme.

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que ce calife clair dsirait voir sa cour, ne ft-ce que pour un bref sjour, pour tirer parti de ses connaissances tendues dans les mathmatiques (1). Mais cette brillante poque d'activit scientifique ne dura pas longtemps, pas plus de deux sicles ; ds la fin du x e sicle, le centre de la littrature en gnral et de la posie en particulier se transporta Gazna, la cour de celui qui fut entre 997 et 1030 le plus grand souverain d'Orient, le grand Mahmud. Dans ses salles et ses jardins chantaient quatre cents potes et, leur tte, le fameux 'Unsur et le sublime Firdausi (2). La magnificence et la richesse de la cour des 'Abbsides, leur amour du luxe et de la splendeur, distinguent particulirement cette dynastie. On connat le rcit qui, sans doute, ne manque pas d'une certaine part d'exagration, d'aprs lequel Zubeda, la femme de Hrn-al-Rasd, tait d'ordinaire si charge de divers ornements, qu'elle devait continuellement s'appuyer sur deux esclaves pour ne pas tomber sous le poids de ses riches vtements ( 3 ). Une pareille magnificence entrana l'imitation, et nous voyons qu'en ce mme i x e sicle l'Omayyade d'Espagne 'Abd-ul-Rahmn II s'entoure d'une cour nombreuse, embellit sa capitale, construit des ponts, des mosques, des palais, lve de magnifiques jardins et protge les potes (4). Mais le luxe de la cour 'abbaside ne doit pas tre considr d'un point de vue seulement ngatif. Par lui les souverains donnaient indirectement une puissante impulsion au commerce. A cet gard, la dynastie 'abbaside occupe une place clairement dtermine, surtout aprs la fondation, au centre de leur empire, d'une ville prdestine par son site extraordinairement favorable devenir l'un des marchs les plus i m portants. Btie sur les deux rives du Tigre, Bagdad, grce un canal navigable, allant de l'Euphrate au Tigre, communiquait avec l'Asie Mineure, la Syrie, l'Arabie, l'gypte,(1) C O N T I N . T H E O P H . , p. 185-191. C E D R . , I I , p. 165-170.

(2) SACHAU, Alberuni's India, I , Preface, p. v u . (3) K R E M E R , Culturgeschichtliche Beziehungen zwischen Europa und dem Oriente, Wien, 1876. S. 17. (4) D O Z Y , Hist. des Musulmans d'Espagne, I I , p. 87 (nouv. d. 1, p. 308).

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tandis que les caravanes de l'Asie Centrale atteignaient la capitale par Bukhara et la Perse (1). Le dveloppement du commerce marchait de pair avec, un phnomne extrmement curieux, qui se produisait dans l'conomie montaire du califat, o. la fin du i x e sicle, la base montaire cessa d'tre l'argent et devint l'or. Alors que, au i x e sicle, tous les impts des provinces orientales taient pays en dirhems d'argent, en 918 par exemple, on compte en dinars d'or (2) ; plus tard, le dirhem se substitue de nouveau au dinar. Pendant tout le cours du IX e sicle, il se produisit presque sans interruption, des conflits entre Byzantins et Arabes. Quand on l i t les chroniques byzantines et arabes avec leurs descriptions monotones de batailles, leurs chiffres de tus, de prisonniers, avec leurs nombreuses mentions de populations ananties, de rcoltes dtruites, de mauvais traitements infligs aux prisonniers, on peut, au premier coup d'oeil, ne voir dans t o u t cela que le ct sombre, trs sombre, des choses, qu'un aspect ngatif des relations byzantino-arabes. Mais il y a autre chose. La persistance mme de ces rencontres, provoquant des communications involontaires, mais prolonges, entre deux grands peuples, ne pouvait manquer d'influer sur le dveloppement intrieur des deux empires. Si le commerce occupe, peut-tre, la premire place comme facteur de l'volution culturelle des peuples, les vnements militaires, eux aussi, ont servi bien souvent la culture. Des populations trangres l'une l'autre se combattaient par la force des circonstances ; de nouvelles penses, des coutumes.

(1) H E Y D , Histoire du commerce du Levant au moyen ge. d. fr. de F. R A Y N A U D , Leipzig, 1885, I , p. 26-27. Cf. K R E M E R , Culturgeschichte des Orients, I I , S. 47, 274. L E STRANGE, Baghdad under the Abb. Cal, rimpr. 1928, p. 15 sqq. S A L M O N , Introd. l'histoire de Baghdad, Paris, 1904, p. 75 sqq. : AL-KHatIB AL-BAGHDaDI, Ta'rlkh Bagdad, Le Caire, 1931, 14 volumes, vol. I (p. 66 sqq.). (2) Voir ce sujet le curieux mmoire de K R E M E R , Ueber das Einnahmebudget des Abbasiden-Reiches, Wien, 1887 (Denkschriften der philos.-historischen Cl. der Kaiserl. Akademie der Wissenschaften, B. 36), S. 6 (nous citons d'aprs le tirage part). Voir aussi les Travaux de la section orientale de la soc. impr. russe d'Archologie, T. I V , St-Ptersbourg, 1889-1890, p. 131-149.

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des murs, des langues et des littratures s'changeaient entre vainqueurs et vaincus. Tout cela devait provoquer une vive activit intrieure (1). Dj dans les vnements militaires d'Orient au IX c sicle nous relevons bien des faits et des coutumes qui forment la matire de ce que nous appelons aujourd'hui le droit international (2). Il est trs vraisemblable que les hostilits entre les Arabes d'Espagne et les Francs, dans le Sud de la Gaule, eurent pour consquence la transformation de l'organisation militaire de l'empire franc, puisque, entre 732 et 755, on remarque une rapide volution et un grand dveloppement de la cavalerie franque. Celle-ci l'emporte peu peu, et finit mme par liminer presque compltement l'infanterie des armes. On peut y voir l'influence de la cavalerie arabe ( 3 ). Il est curieux de remarquer que, malgr ces guerres i n cessantes, les rapports entre les Arabes Orientaux et les Byzantins en dehors de l'tat de guerre, ne se distinguaient nullement par leur caractre d'inimiti. Au contraire, ils taient plutt amicaux. Nous pouvons en allguer comme exemples, et l'expdition scientifique d'phse que j ' a i raconte plus haut et qui fut conjointe, byzantine et arabe, et la prsence de l'astronome byzantin, Lon, la cour du calife de Bagdad. Byzance accordait aux Arabes une sorte de prminence sur ses voisins occidentaux. Dans le protocole de Constantin Porphyrognte on peut trouver des formules trs cordiales pour la rception des ambassadeurs de Bagdad ou du Caire (4). A la table impriale,(1) Voir par exemple K R E M E R , CUllargeschichtliche Bezieluingen zwischen Europa und dem Oriente, Wien, 1876, S. 1. (2) E R N . N Y S , Le droit des yens dans les rapports des arabes et des byzantins. Revue de droit international et de lgislation compare, t . X X V I , 1894, p.461 ; il en existe un tirage part (Bruxelles, 1894). (3) H . B R U N N E R , Der Reiterdienst und die Anfnge des Lehnwesens. Zeitschrift der Savignij-Stiftung fur Rechtsgeschichle, B . V I I I , Heft I I , Weimar, 1887, S. 13, 15. Voir aussi H . BRUNNER, Deutsche Rechtsgeschichle, Leipzig, 1892, B. I I , S. 207. (4) CONST. POHPHYR., De Caerimoniis Aulae Byzantinae, I I , 47, p. 682-68G. Voir la caractristique des rapports entre Byzance et

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les crmonies de Constantin placent les amis sarrasins plus haut que les amis francs et parmi tous les Sarrasins ce sont ceux d'Orient qui ont les meilleures places (1). Byzance devait donc subir l'influence de la civilisation des Arabes orientaux, de leurs formes gnrales de gouvernement. Les Arabes de l'poque 'abbaside ne pouvaient se reprsenter un souverain sans un pouvoir i l l i m i t ( 2 ). Un gouverneur de province, un commandant d'arme, taient revtus de la plnitude du pouvoir tant qu'ils taient en fonction. L'empereur, tel que se le reprsentaient les Byzantins, tait l u i aussi un monarque absolu, mais la lgislation byzantine s'efforait de marquer quelques limites la puissance impriale (3). N'est-ce pas, aujourd'hui encore, le systme autocratique que les Musulmans comprennent le mieux, et qu'ils adoptent avec le plus de faveur (4)? On pourrait le soutenir...

les Arabes d'Orient dans RAMBAUD, L'empire grec, au X e sicle, Paris, 1870, p. 433-435. (1) De Caerimoniis, I I , 52, p. 739 : (2) Cela drivait de l'exemple mme de Mahomet. Toutefois ce pouvoir illimit ne s'tendait pas la lgislation, qui, cense d'origine divine, appartenait presque en entier (except certains cts administratifs) aux 'ulama' ou docteurs (thologiens-juristes). C'est la grande diffrence entre le souverain musulman et l'empereur byzantin. Voyez encore N L D E K E , ZUR Characterislik der Semiten. Orientalische Skizzen, S. 11. Mais voir CHWOLSON, Die semitischen Vlker, Berlin, 1872, S. 37-38. Cf. K R E M E R , Cullurgeschichte des Orients, I, S. 385 sq., I I , S. 61. (3) Voir des renseignements intressants sur l'tendue du pouvoir de l'empereur byzantin dans le compte-rendu de BEZOURAZOV sur le livre de GRIBOVSKIJ dans le Journal du Min. de l'lnstr. publ. (russe), t. C C C X I X , 1898, p. 410 sq. Mais cf. SKABALANOVIC, L'empire byzantin et /'glise au XIe sicle, St-Ptersbourg, 1884, p. 132-133 ( en russe). (4) SNOUCK H U R G R O N J E , Mekka, B. I l , S. 337-338. I l faut remarquer que SNOUCK alla L a Mecque peu aprs la guerre russoturque, une poque o le fanatisme contre les Moscovites se donnait libre cours. En outre, les Musulmans d'Algrie marquent un grand mpris pour la forme rpublicaine du gouvernement franais ; ils disent que c'est un gouvernement d'insenss . Quelques Alg-

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La dcadence politique du califat, qui commena ds le rgne de Ma'mun, et qui entrana tant de dsordre et de guerres intestines, ne put arrter compltement l'panouissement intrieur de cet empire. Au x e sicle, par exemple, le commerce arabe s'tendait de la Core l'Espagne, et pntrait jusqu'au cur de la Russie. Tandis que le califat dclinait, l'empire byzantin se relevait. On peut parler, pour l'poque de la dynastie macdonienne, d'une vritable rsurrection (1) de cet empire. D'ailleurs, la Byzance du IXe sicle, avec le califat, prsente plus d'une analogie. La seconde priode de l'iconoclasme, parallle (2), peut-on dire, la tendance mu'tazilite des califes de Bagdad, se termina par une raction en faveur de l'orthodoxie, l'an 843 (3). L'activit du patriarche Photius, dans la seconde moiti du IXe sicle, caractrise une nouvelle poque dans le dveloppement de la science et de la civilisation byzantines. La cour byzantine se distinguait, elle aussi, par un luxe et par un clat vraiment oriental. Mais ces dpenses somptuaires n'engloutissaient pas tous les revenus de l'empire, dont une grande part tait rserve aux guerres invitables avec les peuples voisins, et aux normes besoins de l'tat (4). La dynastie d'Amorium donna Byzance trois empereurs dous de talents peu ordinaires. Le premier reprsentant de cette dynastie, Michel I I , un tranger de basse origine, savait mal le grec , ce qui veut dire qu'il n'avait reu aucune instruction (c'est pourquoi riens parlent du parlement aux cent ttes qui gouverne effectivement et tient ses sances Paris, ce paradis des impies et disent que les intrts suprieurs du pays y sont examins au milieu des paroles grossires et, de temps en temps, des fusillades rvolutionnaires. SNOUCK, ibidem; trad. angl., Leyde-London, 1931, p. 248-249. (1) Cf. HEYD, I , p. 32-49 ; MEZ, Die Renaissance des Islams, p. 441 sqq. (2) H . GELZER, Die politische und kirchliche Stellung von Byzanz. Verhandlungen der 33. Versammlung deutscher Philologen und Schulmnner in Gera. Leipzig, 1879, S. 35. L E MME, Genesis der byz. Themenverfassung, p. 8. (3) Nous considrons 843 comme la vraie date du rtablissement de l'orthodoxie et non pas 842. Voir p. 418 421. (4) KRUMBACHER, Geschichte der byzantinischen Litteratur, 2. Auflage, Mnchen, 1897, S. 23.

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il est appel le Bgue par les historiens). Ce n'tait nullement cette personnalit insignifiante qu'on nous reprsente souvent. Il fut le premier agnostique sur le trne imprial ( l ). Il voulait rconcilier, dans la mesure du possible, les deux partis opposs du point de vue religieux, cause surtout du danger qui menaait l'empire lors de la rvolte de Thomas. Michel comprit que la force de ce mouvement, ct d'autres motifs, rsidait surtout dans le fait qu'il s'appuyait sur le parti de l'orthodoxie. Et c'est l le grand service que Michel rendit son pays ( 2 ). Thomas fut vaincu, non sans qu'on dt faire appel l'alliance bulgare. Mais les querelles religieuses ne s'apaisrent point. Les autres vnements politiques de l'poque de Michel II furent certes dfavorables Byzance : les Arabes s'emparrent de l'opulente le de Crte et commencrent la conqute de la Sicile. Mais on doit avouer que Michel ne peut tre incrimin pour avoir manqu d'nergie dans sa longue lutte contre Thomas, ou dans ses efforts pour reconqurir la Crte. Quant la Sicile, il l'avait presque entirement dbarrasse des Musulmans lorsqu'il mourut. Michel eut pour successeur son fils Thophile. Ce jeune empereur, actif et richement dou, fut lev sous la direction de l'un des hommes les plus instruits et les plus savants de cette poque, Jean Grammatikos, le futur patriarche. Chef de guerre, Thophile commanda plusieurs fois des expditions difficiles et lointaines. Thologien vivement intress par les questions religieuses, il ne pouvait rester indiffrent au problme de la lutte religieuse, qui n'avait pas encore reu de solution. Thophile prit parti ; il se montra l'adversaire zl du culte des images et du monachisme. Aussi traita-t-il les orthodoxes avec une certaine duret, qu'adoucissait parfois peut-tre l'influence de son matre clair, Jean Grammatikos ( 3 ). Dou de remarquables talents (1) TERNOVSKIJ, Lglise grco-orientale pendant la priode des conciles oecumniques, Kiev, 1883, p. 487 (en russe). (2) Pour les dtails, voir p. 22 sqq. (3) Cf. FINLAY, History of Greece, ed. by TOZER, Oxford, 1877, vol. I I , p.149. TOZER, The Church and the Eastern Empire, London, 1888, p. 120. Voir un jugement favorable sur Thophile dans l'ouvrage de LANCIA D I BROLO, Storia della Chiesa in Sicilia nei primi dieci secoli del Cristianismo, Vol. I I , Palermo, 1884, p. 214,

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B Y Z A N C E E T LES

ARABES

potiques, Thophile, malgr sa perscution des icones, enrichit la littrature ecclsiastique de quelques hymnes. On sait q u ' i l aimait le chant d'glise, et que parfois, lors de l'excution de ses uvres, il dirigeait en personne les churs ( 1 ). tant lui-mme instruit, Thophile savait estimer les connaissances scientifiques de ses sujets et les rcompenser. Le fameux et savant astronome byzantin, Lon, fut nomm mtropolite de Thessalonique par l'empereur, mais c'tait, il est vrai, aprs que sa gloire se fut tablie la cour de Ma'mun, Thophile tait fru d'architecture. Une partie des murailles de Constantinople, le palais d't de Bryas sur le rivage bithynien de la Propontide (2), gardent son souvenir. Sa vie prive fut exemplaire. La fidlit et l'admiration de sa femme, Sainte Thodora, qui l'ont sauv des foudres de l'glise aprs sa mort, plaident pour lui devant la postrit. Gelzer a fort mal jug ce souverain, magnifique et gnial comme tous les empereurs de cette dynastie amorienne. Mais ses adversaires eux-mmes sont forcs de rendre hommage sa justice, tout en inventant des anecdotes calomnieuses qui le font paratre sous un jour odieux ( 3 ).(1) Parmi les chants religieux qu'on attribue Thophile, on peut citer un pour le dimanche des Rameaux : et un arrangement musical du refrain dans le canon de l'Annonciation. CEDR., I I , p. 117-118. ZONARAS, X V , 27, p. 366-367. Cf. TERNOVSKIJ, L'glise grco-orientale, p. 490 (en russe). CHRIST cl PARANIKAS, Anthologia graecacarminum christianorum. Lipsiae, 1871, p. XXXVI-XXXVII et CXIV p. 240. (2) Peut-tre ce palais ne fut-il que transform par Thophile ? Voir KONDAKOV, Les glises byzantines et les monuments de Constantinople. Travaux du VIe Congrs Archologique Odessa (.1884), t. I I I ,Odessa, 1887, p. 54. BURY, p. 133.

(3) PAPARRIGOPOULO, Hist. de la Civ. hell., Paris, 1878, p. 237. On connat les pres dmls de Thophile avec Mthode, le futur patriarche, avec Thophane, l'hymnographe, et Thodore avec Lazare, le peintre d'icones. C'tait une recommandation pour Paparrigopoulo, qui se montre assez indulgent l'gard de Thophile ; mais l'intelligent H . GELZER est trs dur dans son Abriss der byzantinischen Kaiscrgeschichle, Mnchen, 1897, S. 967-968, 969 (dans KRUMRACHER, Geschichte der byzantinischen Litteratur, 2. Auflage) ; sa suite, GIBBON-BURY, The History of the decline and fall of the Roman empire, vol. V, London, 1898, p. 196, note 30. Mais on lit une rhabilitation complte dans Hist. of the Eastern Roman Empire, p. 121. CH. D I E H L , La Lgende de l'Empereur Thophile, dans Seminarium Kondakovianum, I V , p. 33-37.

INTRODUCTION

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Mais, malgr tous les efforts de l'empereur, sa politique extrieure connut une dfaite particulirement humiliante. Le succs de Thophile sous les murs de Zapetra eut pour riposte la prise, par les Arabes, d'Ancyre et du berceau de la dynastie rgnante, Amorium. La Sicile continua tre conquise, pied pied, par les Musulmans. La Crte resta sous leur domination. Les ngociations entames par Thophile avec les Vnitiens, avec Louis le Pieux et avec les Omayyades d'Espagne ne donnrent pas les rsultats esprs. Thophile eut, pendant les quatre premires annes de son rgne, comme contemporain, le calife M a ' m u n (813-833). L'activit de ce souverain offre plus d'un t r a i t commun avec celle de Thophile (1). Comme Thophile, M a ' m u n s'intressa aux questions religieuses et provoqua une vive opposition par ses innovations. Comme l u i , Ma'mun s'adonna la posie. Un jour, un pote qui l u i rcitait l'une de ses nouvelles compositions fut trs tonn en entendant le calife l u i emprunter un vers pris au hasard et improviser facilement la suite ( 2 ). Il composa aussi quelques uvres thologiques ( 8 ). L'architecture et les autres arts, comme les sciences, fleurirent sous son rgne et le palais d't de l'empereur byzantin que nous avons cit plus haut, i m i t a i t un palais du calife. L'imitateur de Mamun en Espagne, Abd-ul-Rahmn I I , que nous connaissons dj, aimait, l u i aussi, la posie, et si les vers q u ' i l donnait pour siens, ne venaient pas toujours de l u i , il rcompensait du moins gnreusement les potes qui collaboraient ses uvres (4). Aprs Thophile, Michel I I I , dont on a dit grand mal. Le fils et successeur de Thophile, Michel I I I , fut une nullit. N'ayant souci, ni de la dignit de l'empire, ni de celle de l'empereur, ni des affaires de l'tat, dnu de conscience et de piti, il fut finalement assassin par son favori Basile aprs avoir reu dans l'histoire le surnom mrit d' Ivrogne .(1) Voir maintenant, sur le califat de Mamun, l'ouvrage d'AhMEDFARID RiF', 'Asr al-Ma'mun, 3 vol., Le Caire, 1928; cf. B U R Y ,

p. 437. (2) M U I R , The Caliphate, its rise, decline and fait, 2. edit., London, 1892, p. 504 ; nouvelle dition, revue par W E I R , Edinburgh, 1915. (3) GOLDZIHER, Muhammedanische Studien, B. I I , S. 58-59. (4) D O Z Y , Hist. des Mus. d'Esp., I I , p. 8 7 ; nouv. d. I, p.308.

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B Y Z A N C E E T LES A R A B E S

Tout ce qui fut fait d'excellent dans la politique intrieure, sous Michel I I I , doit son existence et son panouissement l'activit du patriarche Photius et du csar Bardas. C'est en ces termes que, tout rcemment encore, on racontait l'histoire du malheureux Michel. Des recherches rcentes l'ont peu prs rhabilit. Il s'est tir son honneur d'une tche difficile, du moins en Orient. La perte de la Crte et de la Sicile pouvait faire croire que le sort de ces parties extrmes de l'empire allait tre bientt partag par le Ploponnse ( 1 ). Ds le dbut du IX e sicle, lors de la terrible rvolte des Slaves dans le Ploponnse, ces derniers, assigeant Patras, conclurent une alliance avec les Sarrasins (2). La rvolte fut rprime, et on n'entendit plus parler de descente des Arabes en Grce pendant tout le temps que rgna la dynastie d'Amorium. Ds leur apparition en Sicile, les Arabes commencrent assez rapidement la conqute de l'le en progressant d'Ouest en Est. Aprs avoir lutt, avec des succs variables, pendant quatre ans (827-831) et s'tre installs dans Palerme, ils s'emparrent pendant la dcade suivante d'un riche district de la partie occidentale de la Sicile, le Val di Mazara, o ils tablirent leurs premires colonies. De 841 859, les Musulmans prirent encore le Val di Nota, rgion montagneuse du Sud-Est. Aprs avoir touff, en 860, une rvolte des Chrtiens de Sicile, ils dirigrent leurs efforts vers la partie NordEst de l'le, le Val Demone, o ils conquirent Messine ( 3 ). A la fin de la dynastie d'Amorium, de toutes les grandes villes siciliennes, les chrtiens ne gardaient plus que Syracuse, qui succomba bientt aprs, sous Basile le Macdonien. Il tait fort naturel que, de Sicile, les Arabes passassent

(1) C. N E U M A N N , Die Weltstellung des byzantinischen Reiches vor den Kreuzzgen, Leipzig, 1894, S. 10-11. (2) CONST. PORPHYROGEN. De Administrando Imperio, c. 49, p. 217. Cf. N.1888, p . 227-228.

(3) A M A R I , Storia dei musulmani di Sicilia, vol. I, Firenze, 1854,p . 464-465. L A N C I A D I B R O L O , op. cit., 11, p . 240-247. A D . H O L M ,

Geschichte Siciliens im Alterthum, B. I I I , Leipzig, 1898, S. 327-333.

INTRODUCTION

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dans l'Italie mridionale o l'autorit byzantine tait dj trs affaiblie au x e sicle. Dans l'histoire de la population grecque de Sicile et de l'Italie mridionale, les invasions ennemies en territoire byzantin ont, par contre-coup, une importance considrable. Dans la premire moiti du VIIe sicle, la population grecque de Sicile s'augmenta des migrants venus des autres provinces byzantines d'o ils taient chasss par les Perses et les Arabes. A u x IX e et X e sicles, c'est la Galabre qui se peuple d'migrs fuyant devant les conqurants (1). Les incursions arabes empchrent la population de ces provinces loignes de participer aux affaires de l'empire ; nous constatons qu'au huitime concile n'assistaient que cinq vques de Calabre et encore moins d'vques de Sicile (2). Au Xe sicle, les Arabes ne possdaient que quelques points de l'Italie mridionale ; c'est pourquoi leur influence sur la vie intime de ce pays fut moins sensible qu'en Sicile. Les lots ethniques, trs denses, de population grecque, qui s'taient forms dans l'Italie mridionale, la population et le pays, unis par la mme langue, la mme religion et les mmes traditions culturelles (3), poursuivaient leur volution propre. L'panouissement de cette culture qui avait pour centres les monastres, s'tend de la seconde moiti du IXe sicle la seconde moiti du X e . Une renaissance toute particulire du sentiment religieux peut s'observer aprs le rtablissement de l'orthodoxie. Les moines creusaient des grottes dans les montagnes, construisaient des glises, formaient des associations de cnobites et menaient une vie d'idal asctique, comparable celle que l'on v i t jadis en gypte et en Palestine ( 4 ).(1) A L . V E S E L O V S K I J , Boccace, son milieu et ses contemporains, t. I, St-Ptersbourg, 1893, p. 21 (en russe). (2) Voir G. CAN. M I N A S I , Le chiese di Calabria dal quinto al duodecimo secolof Napoli, 1896, p. 155. (3) A L . V E S E L O V S K I J , op. cit.t I, p. 21. (4) IV. SOKOLOV, La condition du monachisme dans l' glise byzantine du milieu du IXe s. au dbut du XIIIe s. (842-1203). Kazan, 1894, p. 57 (en russe).V. aujourd'hui sur tout cela une abondante l i t trature, p. ex. J. G A Y , L'Italie mridionale et l'Empire byzantin (Paris, 1904), et du mme auteur : Notes sur l'hellnisme sicilien, Byzantion, I, (1924), p. 215-225. G. R O H L F S , Archwio storico per la Calabria e la Lucania, I I I (1933), p. 67 sqq. et 231 sqq.

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BYZANCE ET LES AKABES

Aujourd'hui encore on peut voir dans le pays d'Otrante les cellules creuses dans la montagne, o trs souvent on retrouve des traces de peinture ; dans la montagne de Patir on montre encore aujourd'hui la Grutta de Santi padri, o, selon la tradition, vivait le fameux ascte de l'Italie mridionale du X e sicle, Saint N i l ( 1 ). Quoique, au milieu du x e sicle, les conqutes arabes dans l'Italie mridionale ne s'tendissent point sur des territoires considrables ni continus, l'influence politique de Byzance y tait en fort recul et nous voyons l'empereur germanique venir deux fois au secours des villes du sud de l'Italie contre les Sarrasins. Ainsi, dans sa politique occidentale, la dynastie d'Amorium subit de grands checs ; et ses efforts pour engager des pourparlers de paix avec Venise, les Francs et les Omayyades d'Espagne, comme nous l'avons dit plus haut, ne rtablirent en aucune faon la situation. La Crte et la Sicile furent perdues pour Byzance, la premire jusqu' l'anne 961, la seconde pour toujours. Mais on aurait t o r t de reprocher aux Byzantins de n'avoir pas oppos une rsistance assez nergique aux Arabes d'Occident. En Sicile, par exemple, les Byzantins se dfendirent vigoureusement, avec plus d'un retour offensif. La cour byzantine, bien qu'occupe au IX e sicle parles vnements m i litaires d'Orient et du Nord, et par les problmes complexes de la politique religieuse, l'intrieur, songeait sans cesse la lointaine province occidentale, et, la premire occasion, envoyait en Sicile des renforts tant en vaisseaux qu'en troupes ( 2 ). La srie des entreprises faites pour reconqurir la Crte prouve galement l'activit du gouvernement. Mais la dynastie d'Amorium tait bien force de srier les questions . Le thtre principal de la lutte contre l'Is(1) P. BATIFFOL, L'ahbaye de Rossano, Paris, 1891, p. 3. C.h. D I E I I L , Manuel d'Art byzantin, 2e dit., p. 580 sqq. (bibliogr. rcente, surtout BEUTAUX, L'Art dans l'Italie mridionale, 1904). (2) Voir LANCIA D I BROLO, Storia delta chiesa in Sicilia. I I , p. 261263 ; l'crivain italien insiste surtout sur la foi solide de la population sicilienne au cours de sa lutte avec les Arabes.

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lam restait l'Asie Mineure. L, il fallait tenir tout prix. Et l'on tint. Si les Arabes pntrrent assez profondment dans l'Asie Mineure, s'ils dtruisirent en 838 Amorium, s'ils prirent en 863 Amisos (Samsun) sur la Mer Noire, et poussrent jusqu' Sinope et Nicomdie, toutes ces conqutes n'eurent qu'un caractre passager. Aprs ces victoires, les Arabes s'en retournaient, et les territoires conquis restaient aux mains des Byzantins. Finalement, la dynastie d'Amorium ne perdit rien en Orient ; et la ligne des forteresses de la frontire resta, sous Michel III, celle que nous voyons au dbut de notre expos des vnements d'Orient sous l'empereur Thophile. Ainsi, la dynastie d'Amorium, durant quarante-sept ans, sut repousser les agressions arabes. Elle conserva l'intgrit du territoire en Asie Mineure. Et si, cause de la damnatio memoriae de Michel I I I , la victoire de 863 n'a pas t clbre comme elle le mrite par les contemporains, il est temps de rtablir, cet gard, la vrit historique. En 867, lorsque Michel I I I mourut assassin, il avait pour deux sicles conjur le pril musulman. Ses successeurs pourront passer l'offensive. L'extermination de la grande arme de Mlitne , avec Omar-al~ A q t a ' sa tte, fut, jusqu'aux croisades, la plus grande droute de l'Islam ; elle a laiss dans l'pope arabe, prolonge jusqu' nos jours par le roman arabe et turc de Sayyid Batt l et un conte des Mille et une Nuits, un tragique souvenir, tandis que les murs d'Anqara-Ancyre portent encore l ' i n scription triomphale (859) du grand empereur Michel I I I , vengeur de l'affront d'Amorium ( 1 ). Cette poque lut vraiment l'ge hroque de Byzance ; et, sous le Porphyrognte, qui pourtant hassait Michel, lorsqu'on voulait clbrer un guerrier on disait :

(1) H. GRGOIRE, Inscriptions historiques byzantines, dans Byzantion IV (1927-1928), p. 437 sqq. Sur la rhabilitation de Michel III, voyez Byzantion, V I I I (1933). p. 534. Sur l'importance de la catastrophe arabe de 863, cf. M . CANARD, Byzantion, X (1935), L'pope arabe.(2) THEOPH. CONT. p. 374.

CHAPITRE

PREMIER

L'EMPEREUR MICHEL II(820-829)

La rvolte de Thomas ( 1 ). L'vnement central du rgne de Michel II est la rvolte de Thomas, qui dura trois ans : c'est elle qui a dtermin la politique religieuse de l'empereur ; la perte de la Crte et de la Sicile en est peut tre une consquence. On ne peut considrer la rvolte de Thomas comme on tudie beaucoup d'autres rvoltes semblables qui se rencontrent si souvent dans l'histoire byzantine, o l'ambition personnelle, l'gosme, jouent le rle principal, o n'apparaissent gure ni vues larges, ni vastes desseins, ni grands problmes politiques ou sociaux. La rvolte de Thomas prsente un intrt trs considrable au triple point de vue social, religieux et politique. Le ct politique de ce soulvement est intressant du fait que nous y constatons une alliance vritable et complte entre Thomas et les Arabes. L'lment arabe a dans cette question une importance beaucoup plus considrable que celle qu'on l u i attribue ordinairement ; dans l'arme de Thomas, il n'y avait pas seulement, comme par hasard, des dtachements arabes qui s'y seraient introduits dans l'espoir d'y piller et de faire du butin. En cette occasion al-Mamun, qui lui-mme n'avait pu entrer Bagdad qu'en 819, aprs avoir vaincu son rival Ibrahim qui avait t proclam calife, al(1) Voyez maintenant, pour la rvolte de Thomas, J. B. B U R Y , History of the Lastern Roman Empire, p. 462-464, p. 11, 46, 48, 54, 85, 84 sqq., 88 sq., etc.

L'EMPEREUR MICHEL II

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Ma'mun se conforma un plan bien dtermin et hostile Byzance ; aprs la dfaite de Thomas, il est vrai, le calife fut forc d'y renoncer momentanment cause de nouvelles guerres intestines et de srieuses rbellions l'intrieur de son empire ; mais il recommena une guerre active avec son voisin occidental pendant les quatre dernires annes de son rgne. Cette entente entre le calife et Thomas prouve, d'autre part, la puissance de ce dernier. Et en effet, comme nous le verrons plus loin, au dbut de sa rvolte, Thomas avait dans son parti presque toute l'Asie Mineure, une force dont l'empereur devait tenir compte et avec laquelle al-Ma'mun n'hsita pas s'allier. Les causes de ce succs de Thomas apparaissent dans les conditions religieuses et sociales de l'poque. Le parti des iconodoules n'avait pu encore se remettre, sous Constantin et Irne, de la premire priode de troubles (celle du VIIIe sicle), lorsqu'il fut nouveau perscut par Lon l'Armnien. Et pourtant ce parti tait nombreux. Il avait des chefs ardents dans leur foi et leurs opinions, et prts la lutte. L'opposition contre les empereurs iconoclastes se prparait : il fallait encore un homme autour duquel les lments mcontents des contingences religieuses et politiques pussent se cristalliser. Ce personnage fut Thomas qui se donna pour Constantin V I , le fils d'Irne, et pour un partisan des images ( 1 ). Ds qu'il apparut comme le chef du mouvement iconodoule, Thomas attira lui de nombreux adhrents et veilla un intrt gnral en faveur de son entreprise. Mais ce ne furent pas les motifs religieux seuls qui rendirent Thomas puissant. Dans l'histoire de sa rbellion on peut retrouver les traces d'un mouvement social. Surcharge d'impositions, dfaillant sous l'oppression du despotisme byzantin et de l ' a r b i t r a i t des gouvernants et des fonctionnaires, la population d'Asie Mineure voyait en Thomas son (1) Cf. S. Theodori Studitae Vita, o il est dit propos de Thomas : ( M A I , Patrum nova Bibliotheca, t. V I , pars I I , 61, p. 356. MIGNE, Patr. gr., t. 99, p. 317-320).

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BYZANCE ET LES ARABES

librateur et prenait son parti dans l'espoir d'un avenir meilleur. Le serviteur levait la main contre son matre, le soldat contre son officier, le lochage contre son stratge (1). En outre il se pose encore une question intressante. Selon quelques auteurs, Thomas tait slave d'origine (2). Or on sait combien importante tait la population slave en Asie Mineure, et cela parce que les empereurs l' y avaient transplante par dizaines de milliers d'individus ; ainsi, par exemple, les Slaves qui avaient pass en Asie Mineure en la seule anne 687, n'taient pas moins de 80.000 hommes (3). C'est pourquoi le succs initial de la rvolte et le grand nombre des partisans de Thomas peuvent, dit Uspenskij, s'expliquer en partie par des motifs nationaux (4). oit, mais nous allons voir qu'en ralit Thomas tait Armnien... Il est donc clair que Thomas opposa des moyens d'action trs puissants un empereur qui venait de s'asseoir sur le trne aprs avoir assassin son prdcesseur, un empereur qui tait presqu'un tranger, originaire de la ville d'Amorium, en Asie Mineure, un empereur qui n'inspirait aucune confiance ni lui-mme, ni son entourage. Dans quelle mesure Thomas tait-il la hauteur de sa tche, et quelles furent les causes de l'chec de ce mouvement complexe et si intressant, c'est ce que nous nous efforcerons d'claircir dans l'expos mme des vnements ( 5 ).(1) CONT. THEOPH., Bonn, p. 53, c. 11 :

(2) Pour cette question, voir p. 25 sqq. (3) V . L A M A N S K I J , Les Slaves en Asie Mineure, en Afrique et en Espagne, p. 3 ( Ucenyja Zapiski II. Otdl. de l'Acad. impr. des Sciences, t. V, 1859) (en russe). (4) Voir T h . U S P E N S K I J , Le Concile de Constantinople de 842 et le rtablissement de l'Orthodoxie dans le Journal du Min. de l'Instr. publique (russe), t. 273 (1891), p. 148. Du mme, Aperu de l'histoire de la civilisation byzantine, St-Ptersbourg, p. 71-79 (en russe) o l'importance de la rbellion de Thomas est bien mise en lumire. (5) La source principale, mais malheureusement trs brve, de l'histoire de cette rvolte est la lettre de Michel II l'empereur d'Occident Louis le Pieux o le premier raconte avec prcision l a rbellion de Thomas ; elle a t dite par A L B E R T W E R M I N G HOFF, dans Mon. Germ. Hist., Legum sectio I I I : Concilia, t . I I , pars.

L'EMPEREUR

MICHEL II

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Les rcits que l'on nous fait de la premire partie de la carrire de Thomas jusqu' l'poque de Michel lI sont si contradictoires que quelques savants considrent mme comme possible de distinguer deux personnages qui auraient port le nom de Thomas ( 1 ). La premire question intressante qui se pose est celle de la nationalit de Thomas (2). Gnsius, racontant la rebellion malheureuse du patrice Bardanios sous le rgne de l'empereur Nicphore (802-811), dit qu'un moine aurait prdit Bardanios son chec et ses trois partisans, Lon, Michel et Thomas, que les deux premiers porteraient la couronne impriale et que le dernier serait proclam basileus et prirait peu aprs (3). En cet endroit, Gnsius dit de Thomas que c'tait un Armnien, n sur les rives du lac Gazurus ( 4 ). En un autre endroit, au dbut de son expos de la rvolte de Thomas sous Michel I I , le mme Gnsius assigne au tyran une origine scythe (5), ce qui permet d'y voir un Slave (6). Ceci est confirm11, Haunoverae et Lipsiac, .1908, p. 475-480. Voir aussi GEORG. H A M A K T . , ed MURALT, p. 695-699 (784 788 Bonn) = LEO G R A M M . , p. 211-212 (sans les citations de l'criture Sainte que l'on trouve chez Georges) = S Y M . MAC.., p. (Vil et le rcit dtaill de GENESIUS, p . 32-45. Le CONT. de THOPHANE donne, avec quelques variantes, les mmes renseignements que Gcuesius. THEOPH. CONT., C. X - X X , p . 49-73; CEDR., I I , p. 74-91 (d'aprs le Continuateur). ZONARAS. ed.DINDORF, v o l . I I I , p.392-397, l i b . X V , c. 22-23 (d'aprs Cedrenus), Et enfin (source excellente), Acta graecu SS. Davidis, Symeonis et Georgii, ed. H. D E L E H A Y E , dans Analecla Bollandiana, t. X V I I I (1899), p. 231-232 et 237, confirmant la fuite sous Irne, non sous Nicphore. (1) Ainsi, par ex., F I N L A Y , History of Greece, ed. TOZER, vol. I I , p . 130, rem. 2. (2) Voir BURY, The identity of Thomas the Slauonian dans la Byzantinische Zeitschrift, b. 1 (1892), S. 55-60. T H . U S P K N S K I J , Le concile de Conslantinople de 842. Journal du Min. de l'Instr. publ., t. 273 (1891), p. 144-140.(3)GENES., p. 8-9.

. . . GENES., p. 8. Gaziura sur l'Iris dans le P o n t ; au S.E. d'Amasia et l'O. de Comana ( B U R Y , op. cit., p. 55 ; History, p . 11, n. 4 ; ANDERSON, Studia Pontica, I , p. 249). Le lac existe toujours (au sud de Turkhal, dans la Kaz-Ova).(5) ( G E N E S . , p. 32).

(4)

.

(6) Cf. B U R Y , op. cit., p. 55 : in other words, of Slavonic origin. A . K U N I K , Mmoires du Loparque go L ( Trudy de l'Acad. des Scien-

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BYZANCE ET LES ARABES

par les paroles du Continuateur de Thophane qui compte Thomas parmi les Slaves qui souvent ont pris racine en Anatolie (1). La contradiction violente de Gnsius avec lui-mme ne peut tre tranche par le tmoignage d'une source contemporaine de la rbellion de Thomas, la lettre de Michel Louis le Pieux o le premier dsigne Thomas par une expression fort vague : antiqui diaboli discipulus ( 2 ). La chronique de Symon Magistros n'aide en rien claircir cette question quand elle nous affirme que Thomas tait (3).

Nous fondant sur le premier tmoignage de Gnsius, et tenant compte du fait que le mot peut dsigner toute espce d'origine barbare, nous nous en tenons la nationalit armnienne de Thomas ; comme une telle origine n'avait rien d'infamant, ses adversaires auront imagin que ses anctres au moins taient de souche slave, donc ignoble. Qu'tait ce Thomas avant sa rbellion? Par la lettre de Michel Louis, nous savons que, du temps de l'impratrice Irne, Thomas, qui servait chez un patrice, eut des relations avec la femme de celui-ci : l'affaire s'tant bruite, il s'enfuit chez les Persans, c.--d. chez les Arabes ; par crainte du chtiment, il resta en Orient jusqu' l'poque de Lon l'Armnien ; l il abjura le christianisme et jouit d'un grand crdit parmi les Musulmans, en se donnant pour Constantin, le fils d'Irne ( 4 ). Dans ce rcit, notons les dtails suivants : 1) La lettre ne donne pas le nom du patrice que Thomas servait ; 2) Thomas est rellement l'amant de la femme du patrice ; 3) l'poque du sjour de Thomas chez les Arabes n'est pas fixe avec prcision ; 1) on ne d i t pas dans quelle situation Thomas se trouvait sous Lon Y ; 5) on ne dit rien de la participation ces, t. 24, 1874, p. 132-133) (en russe), compte galement Thomas au nombre des Slaves d'Asie Mineure.(1) CONT. THEOPH., p. 50, c. 10 :

(2) Mon. Germ., loc. cit., p. 476, 8.(3) SYM. M A G , p. 621 : HAMART. p. 695 : Cf. GEORG. = LEO

GRAMM., p. 211-212.

(4) Mon. Germ., p. 437.

L'EMPEREUR MICHEL II

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de Thomas la rvolte de Bardanios sous Nicphore Gnikos (1). Gnsius nous donne deux rcits diffrents dans deux passages de sa Chronique. Dans l'un, il dit que Thomas entra au service du patrice Bardanios sous le rgne de l'empereur N i cphore, mais que, convaincu d'avoir voulu sduire la femme de son matre, il s'enfuit en Syrie, o il embrassa l'islamisme et resta pendant vingt-cinq ans, en se donnant pour le fils d'Irne, Constantin. A ce que dit Gnsius, ce serait l'empereur lui-mme qui, jaloux du mrite de Bardanios, aurait incit Thomas commettre l'adultre ( 2 ). Il y a contradiction entre le chiffre de 25 annes et la mention du rgne de Nicphore comme date de la fuite de Thomas en Orient. Si mme on rapporte la fuite de Thomas la premire anne du rgne de Nicphore en 802, on ne peut intercaler ces 25 ans entre cette date et l'avnement de Michel II en 820. Un peu plus loin, Gnsius ajoute que Lon, quand il eut t proclam empereur, nomma Thomas turmarque des fdrs (3). Dans l'autre passage, o il est question de la rvolte de Bardanios sous Nicphore, Gnsius raconte que deux des partisans de Bardanios, Lon et Michel, les futurs empereurs, l'abandonnrent et passrent au parti de Nicphore, tandis que Thomas l u i resta fidle (4). Ainsi, d'aprs une version, Thomas trahit Bardanios, d'aprs l'autre il resta son fidle partisan. On ne peut voir qu'un trait commun aux deux versions, c'est que Thomas fut au service de Bardanios. Si maintenant nous comparons les donnes de Gnsius avec celles de la lettre de Michel Louis, nous constatons : 1) que, par Gnsius, nous connaissons le nom du patrice laiss en blanc par Michel ; 2) que Gnsius ne parle que de l'intention adultre de Thomas, alors que Michel considre ces rapports coupables comme un fait rel ; 3) que la dure du sjour de Thomas en Syrie, qui n'est pas dtermine avec prcision par Michel, est fixe 25 ans par Gnsius ; 1) que Gnsius affirme qu'au dbut de son rgne, Lon V nomma(1) Voir BURY, loc. cit., p. 56. (2) GENES., p. 35. (3) GENES., p. 12 : (4) GENES., p. 10.

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Thomas turmarque des fdrs ; 5) que le rle donn Thomas dans la rvolte de Bardanios par Gnsius selon la seconde version ne s'accorde pas avec ce que d i t la premire (1). Il est vident que le premier rcit de Gnsius concorde presque avec les donnes de la lettre. Si, comme le dit cette dernire, Thomas entra au service du patrice sous Irne, cela n'empcherait pas q u ' i l ne se ft enfui du temps de Nicphore. La question de la consommation ou de la non-consommation de l'adultre n'a aucune importance. Quant aux 25 ans de Gnsius, on peut les expliquer par une erreur du manuscrit ou de l'crivain (mais cf. p. 29-30). Nous retrouvons ces 25 ans dans le Continuateur de Thophane qui, tirant ses renseignements de la mme source que Gnsius, fournit aussi deux rcits sur la vie antrieure de Thomas. Mais le Continuateur, tout en disant que Thomas entra au service d'un snateur, ne donne pas le nom de ce dernier (2). B u r y croyait qu'en cette occasion, Gnsius et le Continuateur de Thophane usaient d'une seule et mme source qui ne connaissait pas le nom de ce patrice-snateur, et pense que le nom de Bardanios a t introduit arbitrairement par Gnsius : mais, du moment qu'on avait le nom de Bardanios, il fallait introduire aussi celui de l'empereur Nicphore sous le rgne duquel le premier s'est rvolt (3). La clef de l'nigme, d'aprs Bury, rsidait en ceci : le patrice la vengeance duquel Thomas s'est soustrait par sa fuite en Syrie, n'tait pas Bardanios. 11 faut aussi prendre en considration qu'au tmoignage de Gnsius et du Continuateur, Thomas, lors de sa rvolte, c'est--dire en 820, tait dj un vieillard ( ). Ainsi, en supposant que Thomas avait 60 ans en 820, B u r y rapporte sa naissance aux environs de 760 ; 20 ans, en 780, sous le rgne d'Irne, il a pu entrer au service d'un patrice q u ' i l a bientt quitt pour s'enfuir en Syrie : il a pass l-bas le reste du rgne d'Irne ; lors de l'avnement de Nicphore, Thomas revint Byzance et p r i t part la rvolte de Bardanios en 803. Si l'on suppose que Thomas s'est enfui en Syrie en 781, les 22 ans qui s'coulent entre 781(1) B U R Y , op. cit., p. 57. (2) T H E O P H . CONT., p. 51, C. (3) B U R Y , op. cit., p. 58-59. 10 :

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et 803 ne nous loignent pas beaucoup des 25 ans de Gnsius et du Continuateur. 11 est possible qu'aprs la rbellion de Bardanios, Thomas s'enfuit . nouveau chez les Arabes : et les 25 ans peuvent reprsenter la somme de ses deux sjours dans les provinces du calife. Ainsi les contradictions de nos deux sources disparaissent si l'on admet que l'identification de Bardanios avec le patrice de la maison duquel Thomas s'est enfui est le f r u i t de l'imagination de Gnsius ( 1 ). A toutes ces contradictions nous pouvons ajouter le tmoignage du patriarche jacobite du XIIe sicle, Michel le Syrien ( 2 ). Il prtend que le Grec Thomas se rfugia auprs du calife H r n al-Rasid et se t r o u v a par la suite la cour de M a ' m n ( 3 ). Quoique cette source soit assez tardive, elle mrite une grande a t t e n t i o n : car elle nous a conserv, sinon des fragments, du moins des extraits rsums d'crivains plus anciens, aujourd'hui perdus ( 4 ). Nous basant sur Michel le Syrien, nous constatons que Thomas s'est enfui auprs du calife arabe au temps o celui-ci t a i t H a r u n al-Rasid, donc aprs 786, anne o il m o n t a sur le trne. Le tmoignage de Michel le Syrien p a r a t r a dcisif. Sur le point essentiel, c'est--dire la fuite de Thomas chez les Arabes, ds le temps de l'impratrice Irne, ce tmoignage en effet, est confirm par deux sources t o u t f a i t indpendantes de l u i et indpendantes entre elles : la Ve des SS. Da(1) B U R Y , lco. cit., p. 59-60. Mais la Vie des SS. David, etc., nomme, elle aussi, Bardanios (Tourkos). (2) Connu maintenant par la publication du texte original par J.-B. CHABOT, I I I , p. 37 (lib. V I I , cap.ix), d'aprs lequel BURY a modifi sa thse : Eastern Roman Empire, p. 84, note 2 : The fact scems to be that Thomas first fled c. A. D. 788, and only returned in A. D. 803 to assist Bardanios so that he might be roughly described as having lived with the Saracens l'or twenty-five years (GENESIUS, ibid.). This I believe now to be the true explanation of the twenty-five years and not that which I suggested, loc. cit. .(3) Chronique de M I C H E L L E S Y R I E N , Ed. CHABOT, III, p. 37.

GRGOIRE A B U 'L-FARAg BAR EBRaYa (BARHEBRAEUS), Chronicon syriacum, d. BEDJAN, Paris, 1890, p. 141, trad. E . A. W A L L I S B U D GE, Oxford et London 1932, p. 192, tire ses renseignements de Michel : At this time Mmn called Thama... (4) W R I G H T , Syriac Literatwe dans Encyclopaedia Britannica, Ninth edition, vol. 22, p. 851-852. Du mme, A short history of Syriac Literature, London, 1894, p. 250-253. A L B . W I R T H , AUS orientalischtn Chroniken, Frankfurt a. M . , 1894, S. 62 sq.

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vid, Symon et Georges de Mytilne et la lettre de l'empereur Michel l'empereur Louis. Ajoutons que ce triple tmoignage concorde essentiellement avec une des deux versions reproduites par Gnsius, et avec la dure de 25 ans assigne par Gnsius et par le Continuateur au sjour de Thomas chez les Arabes. En face de ce quadruple tmoignage, l'pisode romanesque qui associe Thomas la rvolte de Bardanios sous Nicphore (Gnsius, Continuateur de Thophane) ne saurait tre accept comme historique. Nous croyons en dfinitive que Thomas s'enfuit chez les Arabes en 797, au moment o Irne faisait aveugler le malheureux Constantin V I . Michel le Syrien se trompe sans doute lorsqu'il prtend que Thomas se fit passer pour le fils de Constantin (V) ( 1 ). L'hypothse de Bury (Thomas se serait enfui deux fois, une premire fois sous Irne, une seconde fois sous Nicphore) ne se fonde sur aucun texte. Ds la fin du rgne de Lon, Thomas entama les hostilits, il soumit l'Armnie et la Chalde pontique (2), mais non le thme Armniaque, dont il battit pourtant le stratge. En 820, l'empereur Lon fut tu, victime d'une conspiration, et Michel II fut lev l'empire. Profitant de ces circonstances, Thomas commena agir plus nergiquement et dirigea ses oprations contre la capitale. Sous l'influence des causes numres plus haut, la (1) Que Thomas se soit donn pour Constantin, fils d'Irne, c'est attest par la lettre de Michel II (qui devait le savoir), et les autres sources, y compris la Vie des Saints David etc., Seul, Michel le Syrien dit, par erreur, qu'il se donnait pour le fils de Constantin (V ?). Voici le texte original de MICHEL, trad. CHABOT, t. I I I , p. 37: Celui-ci, ds le temps de Haroun, disait de lui-mme qu'il tait fils de Constantinus. ABu'L-FARAg, loc. cit. : who had declared that ne himself was the son of Constantine the king . IOANNIS DIACONI Chronicon : Hismahelitas illusit se Constantinum asserendo (MURATORI, Scr. rer. ital., t . I , p. II, p. 313. Mon. Germ. Hist., Scriptores rerum langobardicarum p. 430).Voir encore Chronique de M I C H E L L E S Y R I E N , Ed. CHABOT, I I I , p. 37 :

Quoique Haroun ait nglig de le faire (c.--d. de lui donner une arme), il le traitait cependant avec honneur comme le fils de l'empereur . Cf. E. W. BROOKS, byz. Zeilschr, I X (1900), p. 650 (sa solution est la ntre). (2) Mon. Germ., p. 47G, 22 sqq. : sibi subdidit totum Armoeniae ducatum simul et ducatum Chaldeae, quae gens montem Caucasum incolit, necnon et Ducem Armeniacorum cum manu valida deoicit. Cf. BURY, p. 87.

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rvolte se t r o u v a i t dj prpare p a r t o u t . Thomas ne manquait pas de partisans. Presque toute l'Asie Mineure se trouvait de son ct : deux thmes seulement, celui des Armniaques, avec son stratge Olbianos, et l'Opsikion, avec le stratge K a t a k y l a s , restrent fidles au nouvel empereur (1). Dans l'arme de T h o m a s il y a v a i t des contingents des peuples caucasiques soumis par l u i : des Ibres ou Gorgiens, des Armniens, des Abasges (Abkhazes) ( 2 ). U n e alliance fut conclue avec M a ' m u n aux termes de la(1) G N E S . , p. 32-33 :CONT. T H E O P H . , p. 53,

c. 11. (2) Mon. Germ. Hist, 1. c, p. 476. 20 sq. : idem Thomas exiens de Perside cum Saracenis et Persis, Hiberis, Armeniis et Avasgis et reliquis gentibus alienigenarum. GENESIUS en parlant de l'offensive de Thomas, cite comme faisant partie de son arme un grand nombre de peuples dont quelques-uns n'existaient pas cette poque :

( G E N E S . , p.

33).

Cf.

HIRSCH,

Byzan-

tinische Studien, Leipzig, 1876, S. 131. A. K U N I K croit la ralit de tous les peuples cits par Genesius et s'efforce de deviner de qui il s'agit : peuple de la fameuse Petite Inde : c'est ainsi que s'appelaient quelques localits de la pninsule Arabique et situes aussi au nord de cette pninsule ; Nestoriens o u Kurdes? ' Abkhazes ; Adighes o u Kerketes Tcherkesses du Pont ; Gorgiens ; Sabires hunniques et non pas Cabires ; ce qui restait des Huns sur la cte du Pont : ce qui restait des Vandales d'Afrique en Asie Mineure ; (c.--d. d'Asie, M i neure) Pauliciens Atinganes de Phrygie, Lycaoniens etc.. . Lazes de Gorgie et Osses de l'Iran ; Chaldiens du Pont. A. K U N I K , Mmoires du toparque goth (Trav. de l'Ac. des Sciences, t. 24, 1874), p. 132-133 (en russe). Cf. B U R Y , page 89, n. 2 : The Kabeiroi are probably the Turkish Kabars of the Khazar Empire. See below p. 426. Pour nous, cette extraordinaire numration a quelque chose d'pique et de lgendaire. La source (peut-tre aussi celle de la Lettre ?) ne serait-elle pas un pome populaire, en vers politiques, rpandu par le gouvernement ?

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quelle celui-ci fournissait Thomas une puissante arme (1) : il avait d'ailleurs l'intention d'attaquer Constantinople mme ( 2 ). Une autre partie des Arabes se mit attaquer les les orientales de l'empire byzantin et les ctes d'Asie Mineure. Cette alliance fut scelle grce au couronnement de Thomas comme empereur par le patriarche d'ntioche, Job ( 3 ). (1) Si l'on en croit le Continuateur de Thophane (c. 34), les soldais de Thomas murmurrent contre lui, l'accusant, par sa rvolte, d'ouvrir l'Asie Mineure aux Musulmans et Thomas fit au moins, pour les contenter, une dmonslration en Syrie. Alors Mamun crut bon de traiter avec lui.(2) Chron. de M I C H E L L E SYRIEN, d. CHABOT, , p. 37 : Quand

l a r o u n fut mort, Mmoun l'appela et l'envoya avec une arme, soit pour s'emparer de l'empire des Romains et le lui livrer (ensuite), soit pour le troubler par la guerre. ABu'L-FARAg, Chron. syr., 1. c. : and sent him with an army against Constantinople.(3) G E N E S . , p. 33: LE CONTINUATEUR D E THOPHANE

donne erronment ce patriarche le nom de Jacob (p. 55, c. 12),CEDR., I I , p. 78 (Job). Cf. EUTYCHII A L E X A N D R . Annales ( S A D IBN-

BAtRQ) : anno primo chalifatus al-Mamunis constitutus Job patriarcha Antiochenus, qui annos triginta unum sedit (d. CHEIKHO, CSCO. Script, arab., V I I p. 57). Job fut le successeur de Thodoret et occupa le trne patriarchal de 813 843. L E Q U I E N , Oriens Christianus, t. I l , Parisiis, 1740, p.747. M I C H E L LE SYRIEN brouille la chronologie et raconte, au rgne de Thophile, l'histoire suivante, d. CHABOT, I I I , p. 75 : (a. 831 Chr.) Mamoun alla en Cilicie. Un Romain, [qui disait tre| de la race impriale, vint le trouver et lui demanda de le faire rgner. Mmoun accueillit les paroles de cet imposteur. 11 ordonna Job, patriarche des Chalcdoniens d'An