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Conférence du 27 mars 2013 « Microfinance en Europe : réalités et enjeux face à la crise » Compte rendu Soutenu par : Présentation Longtemps restée méconnue, la microfinance en Europe s’est développée ces dernières années dans la plupart des pays européens comme une des réponses possibles face à la crise économique. Si les premières expériences de microfinance européennes remontent à la fin des années 1980, notamment en France, le secteur s’est progressivement développé avec l’apparition de nombreux acteurs et un appui et intérêt accru renouvelé par certains Etats membres et par l’Union européenne. La microfinance européenne apparait de plus en plus comme un instrument possible des politiques actives du marché du travail et comme un outil d’innovation sociale pour lutter contre l’exclusion sociale et financière. Face à la montée du chômage qui touche plus de 26 millions de personnes en Europe, l’augmentation de la pauvreté qui toucherait plus de 16% de la population européenne (plus de 80 millions de personnes), est-ce que la microfinance peut effectivement être une des réponses possibles face à la crise ? Le débat essaiera de répondre à cette question en s’appuyant notamment sur la dernière étude publiée par le Réseau Européen de la Microfinance sur la réalité de la microfinance européenne avec les données collectées sur 2010 et 2011 auprès de 154 institutions de microfinance dans 32 pays européens. Les résultats de cette étude permettront de montrer les principales caractéristiques du secteur, ces enjeux et les perspectives de développement. L’appui indispensable de l’Union européenne sera aussi présenté et analysé. Le cas spécifique de la France sera abordé, car cela reste un des pays les plus actifs dans ce secteur en Europe.

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Conférence du 27 mars 2013

« Microfinance en Europe : réalités et enjeux face à la crise »

Compte rendu

Soutenu par :

Présentation

Longtemps restée méconnue, la microfinance en Europe s’est développée ces dernières années dans la plupart des pays européens comme une des réponses possibles face à la crise économique. Si les premières expériences de microfinance européennes remontent à la fin des années 1980, notamment en France, le secteur s’est progressivement développé avec l’apparition de nombreux acteurs et un appui et intérêt accru renouvelé par certains Etats membres et par l’Union européenne. La microfinance européenne apparait de plus en plus comme un instrument possible des politiques actives du marché du travail et comme un outil d’innovation sociale pour lutter contre l’exclusion sociale et financière. Face à la montée du chômage qui touche plus de 26 millions de personnes en Europe, l’augmentation de la pauvreté qui toucherait plus de 16% de la population européenne (plus de 80 millions

de personnes), est-ce que la microfinance peut effectivement être une des réponses possibles face à la crise ?

Le débat essaiera de répondre à cette question en s’appuyant notamment sur la dernière étude publiée par le Réseau Européen de la Microfinance sur la réalité de la microfinance européenne avec les données collectées sur 2010 et 2011 auprès de 154 institutions de microfinance dans 32 pays européens. Les résultats de cette étude permettront de montrer les principales caractéristiques du secteur, ces enjeux et les perspectives de développement. L’appui indispensable de l’Union européenne sera aussi présenté et analysé. Le cas spécifique de la France sera abordé, car cela reste un des pays les plus actifs dans ce secteur en Europe.

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Intervenants

Avant de rejoindre le FEI, Cyril a acquis une expérience de terrain en travaillant pour le compte d’institutions de microfinance au Maghreb et au Proche-Orient. Cyril est diplômé de l’Institut d’études politiques de Toulouse où il a suivi une spécialisation en relations internationales et économie du développement, et a parachevé son cursus universitaire par un Master II d’économie du développement local avec une spécialisation en microfinance. Au sein du FEI, sa carrière s’est concentrée sur le financement des activités à impact social, d’abord en tant que responsable du projet JASMINE (assistance technique aux institutions de microfinance européennes), et également en lançant un programme du Parlement européen de prise de participation dans des institutions de microfinance non bancaires afin de développer la capacité institutionnelle de ces intermédiaires financiers. Depuis l’été 2012, Cyril a intégré l’équipe d’investissement du premier fonds de fonds paneuropéen de soutien financier à l’entreprise sociale ESIEF (European Social Impact and Entrepreneurship Fund).

Francesco Grieco a rejoint le REM en tant que Chargé des programmes en juin 2012. De 2005 à 2011, il a travaillé au Maroc pour le Bureau de Coopération au Développement de l’Ambassade d’Italie à Rabat, en tant que Chargé d’un programme visant à renforcer les capacités techniques et financières d’IMF marocaines opérant en zones rurales. Auparavant, il était chargé du suivi de différents projets de développement économique à travers l’appui aux TPE / PME locales. Francesco est titulaire d’un Master en Relations internationales de l’Université de Bologne et en 2008 il a participé au programme de microfinance de Boulder de l’ITCILO. Parallèlement à son travail au REM, il achève actuellement un Master Européen de la Microfinance à la Solvay Business School de Bruxelles. En plus de l’italien, sa langue maternelle, Francesco parle couramment français et anglais.

De 1986 à 2004, Philippe Guichandut a travaillé 17 ans, dont 6 ans sur le terrain au Rwanda, en Inde et aux Philippines pour diverses ONG de développement françaises (France Volontaires, Inter-Aide, Enfants et Développement - Save the Children France, CCFD-Terre solidaire). Il a été chargé de la mise en place et du suivi de projets de développement et de microfinance. Il est devenu le premier Directeur exécutif du Réseau Européen de la Microfinance, dès sa création en 2004. Il enseigne la gestion de projets de développement et la microfinance depuis plus de 10 ans en France et en Europe. En novembre 2010, il est nommé Directeur du développement et de l’assistance technique pour la Fondation Grameen Crédit Agricole. Philippe Guichandut est titulaire d’un master de Développement social urbain de l’Université d’Evry et d’un MBA de l’Université européenne de San Francisco.

Cyril Gouiffès, Manager, Social Impact Investing, Fonds européen d’investissement (FEI)

Francesco Grieco, Chargé des programmes, Réseau Européen de la Microfinance (REM)

Philippe Guichandut, Directeur du développement et de l’assistance technique, Fondation Grameen Crédit Agricole

Modérateur

Sébastien Poidatz est expert en microcrédit personnel à la Caisse des Dépôts. Il est en charge du développement et du suivi des partenariats avec les établissements bancaires et financiers qui participent au dispositif et bénéficient de la garantie du Fonds de cohésion sociale (fonds de garantie institué par l’Etat, géré par la Caisse des Dépôts) et apporte un appui aux directions régionales de la Caisse des Dépôts qui déploient et animent le dispositif sur leur territoire. Il est titulaire d’une maîtrise en sciences de gestion et d’un master I en théologie dogmatique et fondamentale.

Sébastien Poidatz, Expert microcrédit personnel, Caisse des Dépôts

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Intervention de Francesco Grieco

Créé en 2003 en France, le Réseau Européen de Microfinance (REM) regroupe aujourd’hui 94 membres provenant de 17 pays européens. Sa mission est de promouvoir la microfinance en tant qu’instrument de lutte contre l’exclusion sociale. Les principales actions du REM sont axées sur des activités de renforcement des capacités, de recherche et échange de bonnes pratiques, et de plaidoyer vis-à-vis des institutions européennes.

Le Réseau Européen de Microfinance (REM) compte parmi ses activités la

présentation de l’évolution des chiffres clés de la microfinance en Europe.

L’enquête menée par le bureau d’étude allemand Evers & Jung a porté sur les activités des institutions (IMF) qui octroient du microcrédit en Europe. En considérant le nombre total des IMF en Europe (entre 500 et 700 entités), l’échantillon représente 25% des institutions existantes, et permet de donner une idée importante de l’évolution de la distribution de microcrédits en Europe.

La dernière enquête du REM a porté sur 32 pays (Etats membre de l’UE, pays candidats et pays entrants) ; sur les 376 IMF interrogées, 154 ont participé à l’enquête. De plus, l’étude se concentre sur les IMF les plus actives et visibles – en 2011, la plupart des institutions participantes

Nombre d’IMF par commune

Synthèse

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(54%) ont accordé plus de 100 crédits ; les IMF interrogées sont, outre les membres du REM, des institutions ayant bénéficié des principales initiatives de soutien à la microfinance de l’UE (telles que JASMINE ou EPMF, par exemple).

En Europe, le microcrédit se définit comme un crédit inférieur à 25 000 euros destiné au développement de l’auto-entrepreneuriat et des micro-entreprises. La définition européenne ne prend pas encore en compte le microcrédit personnel.

En 2011, 204 000 microcrédits ont été déboursés par les participants à l’enquête – à titre de comparaison, l’IMF marocaine Al Amana Maroc a déboursé le même volume de prêts en 2011. Le volume moyen des prêts se situe en 2011 à près de 5100 euros en prenant en compte les pays d’Europe de l’est, contre 7100 euros pour les seuls pays membres de l’UE. La microfinance en Europe est un secteur encore jeune et hétérogène. La France reste l’un des pays phares du secteur européen mais la Pologne et l’Allemagne sont également des pays en plein essor, où l’on trouve un fort appui des pouvoirs publics pour le développement de la microfinance. En Espagne, Microbank a été créée en tant que banque sociale par la caisse d’épargne catalane La Caixa, afin de canaliser l’ensemble des activités de microfinance qu’elle avait développées. Il s’agit donc d’une stratégie

de «down-scaling» de la part de La Caixa, qui cherche à attirer de nouveaux clients à travers son réseau d’agences assez étendu.

La diversification institutionnelle est un autre résultat mis en avant par l’enquête. Les acteurs de la microfinance en Europe sont plutôt des ONG (notamment l’ADIE en France), des fondations, et des institutions non bancaires. Cette diversité est le fruit de différentes législations et cadres nationaux.

S’agissant des produits et services offerts, 50% des institutions n’offrent qu’un microcrédit générique (professionnel), qui constitue donc le produit standard. Néanmoins, en 2011, 34% des institutions offrent également des microcrédits personnels. Même si les microcrédits personnels et professionnels ne sont pas encore différenciés en Europe, des avancées ont lieu. Le cas de l’Espagne est intéressant, dans la mesure où un intérêt croissant est porté vers ce type de produit.

Le taux d’intérêt moyen est de 11%, et l’échéance moyenne de 35 mois. Le taux d’intérêt varie énormément selon les pays, allant de 4% (France, Belgique) à 30% (Balkans, notamment en Roumanie). Dans certains pays, comme la Grande-Bretagne, les taux d’intérêts ne sont pas plafonnés. En revanche, dans les pays où c’est le cas (par exemple en France), la

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question de la pérennité est un thème majeur, parce que la marge de rentabilité est plutôt limitée du fait des taux d’intérêt relativement bas.

L’inclusion sociale et financière, voire la lutte contre la pauvreté, restent des objectifs importants pour la microfinance européenne. S’agissant de «l’outreach», les IMF européennes ciblent généralement des activités génératrices de revenu et de promotion de l’entreprise, plutôt que des groupes spécifiques de population. Parmi les prêts octroyés, 33% servent à financer des start-ups, tandis que 38% des clients sont des femmes, et seulement 12% sont des minorités ethniques ou des immigrants.

Il existe deux types principaux de modèles économiques pour ces institutions : le «microentreprise lending», destiné à la partie haute du marché, et le «social inclusion lending», destiné aux groupes les plus vulnérables. D’après les résultats de l’enquête, le modèle le plus utilisé par les IMF européennes est celui de l’inclusion sociale (62%).

Le choix du modèle influence fortement la façon de conduire l’activité. Certaines banques pratiquent le «down-scaling» (pays de l’Est, Espagne), d’autres modèles sont

fortement poussés grâce aux aides de l’Etat (France, Allemagne), et certaines institutions financières cherchent à trouver des niches de marché malgré les plafonds existants (Italie).

La question du choix du modèle est centrale au débat actuel, où les IMF font face à de nombreuses demandes : aller vers les clients les plus vulnérables, être durables, et offrir des services non financiers, qui représentent des coûts non négligeables pour l’institution. Toutes n’y arrivent pas, ce qui explique le besoin de subventions.

Nearly bankables

2. Social inclusion Lending

1. Microenterprise Lending

Non bankables

Microenterprises

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Intervention de Cyril Gouiffès

L’appui financier à la microfinance en Europe se concentre autour du groupe Banque européenne d’investissement (BEI), composé de la Banque européenne d’investissement et du Fonds européen d’investissement (FEI). Actuellement, la nature de l’appui financier au secteur de la microfinance en Europe s’inscrit dans la mise en œuvre du budget de l’Union européenne 2014-2020.

A un niveau plus général, le Parlement européen fait des recommandations aux parlements nationaux pour tenter d’harmoniser les procédures. L’exemple de la mise en place juridique de taux d’usure est révélateur : un plafonnement à un niveau trop bas pose le risque d’empêcher les IMF d’être auto-suffisantes, prêter ayant un coût, et pourtant de nombreux parlements nationaux fixent des taux d’usure plafonds dans le cadre de politiques de protection du consommateur. Le Code de bonne conduite1 est un autre exemple de l’harmonisation des procédures.

La Commission européenne possède un pouvoir assez large en termes de traduction stratégique et de décisions liées au budget. Les décisions étant prises sur un horizon de 7 ans, les conséquences sont importantes en aval. Le Fonds social européen (FSE) est un outil centralisé et géré au niveau supranational. Par ailleurs, le Fonds européen de développement régional (FEDER), ou « fonds structurel », est une autre source de financement importante du microcrédit en Europe.

Le Groupe BEI est constitué de la Banque européenne d’investissement (BEI) et du Fonds européen d’investissement (FEI) : la BEI agit en Europe (financement d’infrastructures lourdes, projets stratégiques) et en dehors (pays ACP) sur des problématiques de développement, tandis que le FEI a pour mission principale de soutenir les PME en Europe exclusivement (segment de marché et restriction géographique au sens large : Union européenne, Islande, Suisse, Norvège, Balkans, Turquie).

Le FEI offre 3 produits financiers principaux : le capital-risque/capital-investissement (venture capital, private equity), les garanties bancaires, et les prêts. Des mandats spécifiques sont confiés pour soutenir la microfinance en Europe. Cette logique de mandats est importante : le FEI n’investit pas ses fonds propres, mais au nom de la Commission européenne, et traduit les décisions stratégiques de la Commission européenne.

Le soutien au microcrédit en Europe depuis le début des années 2000 se divise en trois périodes distinctes.

De 2000 à 2007, le premier programme de microcrédit, Multi Annual Program (MAP), a consisté à mettre en place des systèmes de garanties pour encourager les banques à prêter des fonds aux IMF non-bancaires, les banques n’ayant pas d’incitation économique à faire du microcrédit directement. La garantie permet à des banques de prêter à des IMF avec la garantie du FEI. Les pertes peuvent ainsi être couvertes par le FEI. Il s’agit d’une incitation à l’entrepreneuriat plus que de politiques de lutte contre le chômage, l’exclusion et la pauvreté.

De 2007 à 2013, de nouveaux mandats sont confiés au FEI, et intègrent une dimension d’insertion sociale en parallèle à la dimension de soutenabilité (et non pas profitabilité). Le modèle économique doit ainsi être pérenne pour ne pas être dépendant des sources de financement public. Deux programmes ont été mis en place au sein du FEI à cette période. D’une part, le programme JASMINE (Joint Action to Support Microfinance Institutions in Europe) a consisté à apporter un soutien non financier aux IMF (formation, audit sur la qualité des opérations, sur les bonnes pratiques, etc.). Il s’est agi de s’inspirer de ce qui avait été fait dans les pays en développement, et de transposer les modèles existants afin de renforcer les capacités institutionnelles. D’autre part, le programme Progress Microfinance visait à pérenniser et stabiliser les sources de financement disponibles pour les IMF en Europe, bancaires ou non-bancaires, au travers de la création d’un fonds d’investissement de 175 millions d’euros.

1. http://ec.europa.eu/regional_policy/thefunds/doc/code_bonne_conduite_fr.pdf

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Sur la période 2014-2020, le FEI agira stratégiquement sur le développement d’outils de réponse à la crise dans toutes ses dimensions (notamment chômage, pauvreté, et exclusion) et de développement de l’entrepreneuriat.

Depuis 2007, le modèle de mise en œuvre des fonds publics est le partenariat public-privé (PPP). On est ainsi passé d’une logique de subvention à une logique d’ingénierie financière, permettant un recyclage des fonds injectés. La Commission européenne a donc confié au FEI le mandat de la création d’un fonds d’investissement public-privé spécifiquement dédié à la microfinance. Par effet de levier, cet argent public permettra de mobiliser des financements privés. L’idée sous-jacente est donc que l’argent investi reviendra, sous la forme de remboursement, ou de dividendes. Cette intervention du service public est assez novatrice et permettra d’attirer le secteur privé pour combler les défaillances du marché actuel. Le paradigme est aujourd’hui de tenter d’optimiser et de mieux utiliser les ressources publiques. Toutefois, des subventions seront toujours versées pour servir des objectifs spécifiques et nécessaires.

La période 2013-2020 sera caractérisée par deux axes majeurs : (i) l’assistance technique et le renforcement institutionnel, (ii) la liquidité des IMF. Plusieurs évolutions sont prévisibles: (1) le renforcement de la protection des emprunteurs sous-jacents (clients des IMF), par le biais de l’éducation financière, l’aide à l’élaboration de business plans, et un suivi clients gratuit ; en effet, la logique de volume peut vite mettre en danger la qualité et le suivi au sein des IMF, avec par exemple une incitation à souscrire un microcrédit, même si cela n’est pas dans l’intérêt du client ; (2) le renforcement du soutien aux fonds propres des IMF, pour qu’une base de capital suffisamment solide permette aux IMF d’être à l’abri de chocs éventuels ; (3) le down-scaling, suivant le modèle de Microbank en Espagne, par lequel une banque classique crée une branche microcrédit spécialisée au sein de son groupe. Il est également nécessaire d’envisager, au niveau européen, un processus de soutien préférentiel aux IMF intervenant sur les segments plus risqués.

En conclusion, on assiste à un développement généralisé de la microfinance comme amortisseur de la crise, avec le passage d’une

logique entrepreneuriale à une logique de lutte contre la pauvreté et l’exclusion. Au niveau de la Commission européenne, l’évolution est symptomatique : tout est à présent concentré au sein de la Direction générale de l’Emploi, des affaires sociales et de l’inclusion, alors que les DG Entreprises et Politique régionale étaient jusqu’à présent meneurs sur ces sujets. Dans un autre domaine, l’entrepreneuriat social est aujourd’hui un sujet récurrent, mais rencontre des difficultés à se financer malgré sa mission sociale. De nombreux programmes visent ainsi à favoriser son développement à travers des systèmes et mécanismes de PPP similaires à ceux de la microfinance. Le rôle de l’UE est très fort, et des décisions stratégiques et innovantes sont mises en place.

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Il existe aujourd’hui un soutien de l’Etat français à deux types de microcrédit : le microcrédit professionnel (avec l’ADIE notamment), et le microcrédit personnel, avec la création du Fonds de cohésion sociale (FCS) en 2005, un fonds de garantie visant à lutter contre l’exclusion financière, dont la gestion a été confiée à la Caisse des Dépôts.

La loi Lagarde de 2010, portant réforme du crédit à la consommation, a apporté une première définition du microcrédit personnel garanti qui tourne autour de 4 piliers principaux : (1) l’objet – précédemment centré vers l’employabilité, la loi l’élargit à l’insertion sociale ; (2) la cible – des personnes physiques confrontées à des difficultés de financement ; (3) l’analyse budgétaire, qui est réalisée au cas par cas par le partenaire social qui travaille avec la banque ; (4) l’accompagnement – il s’agit donc d’un prêt accompagné.

Au total, environ 40 000 prêts ont été garantis par le FCS. Ce chiffre est relativement modeste, bien que l’on ne connaisse pas l’étendue des besoins qui seraient à couvrir. De plus, le développement relativement lent s’explique par le fait que le processus d’accompagnement ne peut être industrialisé, et qu’il coûte cher – les banques ne courent donc pas après. En France, on observe des taux d’intérêt très modestes (2-3%) en ce qui concerne le microcrédit personnel.

S’agissant de la répartition territoriale du microcrédit en France, il apparaît que toutes les régions sont couvertes (voir le site www.france-microcredit.org), même si l’Ouest de la

Intervention de Sébastien Poidatz

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France est très en avance, notamment du fait que les collectivités territoriales y pilotent le dispositif. Par ailleurs, le point d’entrée est toujours l’association, et non la banque.

La sinistralité des prêts, inférieure à 6%, semble maîtrisée, ce qui est un des effets de l’accompagnement : en effet, 83% des emprunteurs estiment que la mensualité calculée était adaptée à leur situation budgétaire. Le FCS prend en charge 50% du risque. Par ailleurs, 79% des bénéficiaires du microcrédit personnel vivent sous le seuil de pauvreté, qui s’établit à 950 euros pour une personne seule.

Une étude menée par la Caisse des Dépôts – à paraître en septembre – a étudié 8 domaines d’impact : les 5 premières catégories (cf. graphique ci-dessous) concernent les impacts directement recherchés par les emprunteurs ; les résultats sont positifs. Les 3 dernières catégories concernent les impacts indirects dans le sens où leur amélioration n’est pas la finalité explicite du projet financé ; les résultats sont globalement positifs bien que des impacts négatifs aient pu être enregistrés. Enfin, l’étude révèle que les impacts peuvent se cumuler puisqu’un quart des emprunteurs déclare avoir ressenti

des impacts positifs dans au moins 4 des 8 domaines étudiés.

Quatre principaux défis sont à relever pour le microcrédit personnel : (1) améliorer le conseil budgétaire afin que les personnes soient en mesure de rembourser les prêts ; (2) améliorer l’accompagnement, aussi bien en amont (diagnostique budgétaire) qu’en aval (à 3 ans) et résoudre la question de son financement ; (3) investir le champ de l’habitat et la précarité énergétique, pour lequel les montants peuvent être plus élevés ; (4) promouvoir le modèle français au niveau européen, par exemple par le biais de colloques CAPIC avec le Secours catholique et les Caisses d’épargne.

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Questions et réactions du public

Le calcul du taux d’intérêt peut varier selon les règles. Assiste-t-on à une harmonisation en Europe, comme en France avec le taux actuariel ?

Francesco Grieco : L’APR, l’équivalent du TEG, est reconnu en Europe.

Cyril Gouiffès : Il peut cependant y avoir des cas où le taux d’intérêt annoncé ne correspond pas au taux réel, entraînant donc des disparités entre les pays et entre institutions au sein d’un même pays.

Que se passe-t-il lorsqu’une institution n’a plus de financements disponibles mais des projets en pipeline ?

Cyril Gouiffès : Certains programmes publics tentent de répondre à ce problème en offrant des liquidités suffisantes pour faire face à ces demandes. Toutefois, il est arrivé par le passé que des IMF ne puissent honorer les demandes.

Francesco Grieco : En Espagne, le secteur a été anéanti ces deux dernières années, notamment à cause de l’absence de subventions. Il y a un besoin de nouveaux business models, par exemple sous la forme de partenariats, notamment pour pouvoir offrir des services non financiers, dont les coûts sont énormes.

Philippe Guichandut : Une des principales difficultés du secteur est qu’il reste fortement subventionné, mais que les subventions sont à court terme. La capacité à se projeter est donc faible, et les institutions perdent énormément de temps et d’énergie à trouver des subventions. Les outils développés par le FEI sont sur des montants plus importants (3-4 millions d’euros) et sur une durée permettant aux institutions de mieux se développer.

L’Adie a des frais de fonctionnement assez importants, et bénéficie de beaucoup de subventions, tandis que la Grameen Bank a un fonctionnement autonome. Quand la microfinance pourra-t-elle fonctionner sans subventions ?

Sébastien Poidatz : En 2009, le Rapport de l’Inspection générale des Finances sur le microcrédit avait souligné que l’Adie pourrait trouver un équilibre économique soit en appliquant un taux d’intérêt de plus de 30% (difficilement praticable), soit en multipliant par 3 la productivité.

Philippe Guichandut : Au Bengladesh, les taux pratiqués sont beaucoup plus élevés – 20% est considéré comme faible ; en Zambie, les taux minimum sont de 60-70%. Cela peut compenser le manque de subventions. A l’opposé, les taux sont relativement faibles en France. Il est nécessaire aujourd’hui de changer de paradigme en Europe et de voir ce qui coûte le plus cher, à long terme, entre des minimas sociaux et des prêts. Il est nécessaire d’envisager la pérennité au niveau de la société dans son ensemble : suivre un client coûte environ 1700-1800 euros à l’Adie, alors qu’on estime à 15 000 euros par an le coût d’un chômeur.

Le taux d’intérêt ne doit-il pas être adapté au taux de rentabilité ? En Angleterre par exemple, il existe une véritable plus value à autoriser les institutions à prêter à des taux élevés (par exemple à 50%).

Cyril Gouiffès : La question n’est pas tant celle du niveau de rentabilité recherché, que celle de qui détient l’IMF et de ce qui est fait de la rentabilité obtenue, et donc de la véritable mission du microcrédit.

Francesco Grieco : Il existe toujours une possibilité de réinvestir les profits pour faire baisser les taux. Les coopératives, par exemple, réinvestissent leurs gains. En Angleterre, une institution peut demander facilement plus de 60% (pour un crédit personnel), mais il faut que cette institution réponde à un besoin : il y a donc, derrière la libéralisation des taux d’intérêt, une logique bancaire de rémunération du risque. Le problème, en Europe, est que l’on n’est pas habitué à payer l’argent ; un taux de 8% semble énorme, alors que ce n’est pas le cas.

Les plateformes de crowd-funding peuvent-elles être une solution en termes de financement ?

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Cyril Gouiffès : Tout à fait, la solution n’est pas monolithique, et le crowd-funding permet de traiter sans intermédiaire. Beaucoup d’initiatives innovantes ont un rôle à jouer dans le secteur.

En Europe, y a-t-il des règles sur le fonctionnement des IMF ?

Francesco Grieco : Les règles reviennent aux règlementations nationales. Pour certains pays, il faut être une institution financière. Pour d’autres, une institution non bancaire peut fournir des microcrédits. Le Code de bonne conduite tente d’harmoniser les procédures.

Philippe Guichandut : La France et la Roumanie ont une réglementation spécifique sur la microfinance. Au Portugal et en Italie, un travail est en cours. Dans certains cas, l’ONG peut être un intermédiaire entre la banque et les clients. En Allemagne par exemple, une ONG ne peut faire de microcrédit, et le modèle de l’Adie ne pourrait donc exister. Il n’y a aujourd’hui pas de modèle européen.

Francesco Grieco : En Italie, tout passe par les banques. Il existe une seule institution financière, et toutes les autres institutions sont des intermédiaires.

Le Code de bonne conduite comprend-t-il des dispositions relatives au taux d’intérêt, aux performances relatives, etc. ?

Cyril Gouiffès : Il ne comprend pas de règles strictes et précises par rapport au taux d’intérêt. Le Code de bonne conduite est plutôt un ensemble de règles non contraignantes relatives à la protection des clients, l’audit interne, la gestion. Il s’agit d’un premier pas vers l’harmonisation des législations nationales. Le Code de bonne conduite est consultable gratuitement sur le site de la Commission européenne.

Quelles sont les caractéristiques des ménages en France qui ont recours au microcrédit ? Quelles sont les tendances ?

Sébastien Poidatz : Les emprunteurs sont des femmes à plus de 50%, d’une moyenne d’âge de 40 ans, les 2/3 ont un niveau de qualification équivalent ou inférieur au CAP/BEP, 50% sont

des salariés précaires, 79% vivent sous le seuil de pauvreté, et les familles monoparentales sont fortement représentées.

Qu’en est-il de l’assurance ?

Sébastien Poidatz : L’assurance est facultative pour les prêts personnels. Le FCS avait aussi été mis en place pour protéger l’emprunteur, avec de nouvelles méthodes de recouvrement. Les frais de dossier étant limités, c’est le taux d’intérêt qui va jouer.

Comment les IMF communiquent-elles envers les emprunteurs ?

Francesco Grieco : Il existe aujourd’hui plusieurs tendances, dont l’une des plus importantes est le ciblage via les associations et services sociaux et le réseau déjà existant. Toutefois, il faut faire attention à ne pas faire trop de publicité, à cause du risque de générer une masse de demandes ne pouvant être traitées par les organismes existants. Les IMF sont donc normalement discrètes.

Représentant de l’Adie : En ce qui concerne l’Adie, la communication se fait surtout à travers le bouche à oreille (25%), le travail avec des prescripteurs (Pôle Emploi, Chambres de commerce et d’industrie, associations sociales) et des actions ciblées de communication (Semaine du microcrédit).

Philippe Guichandut : Il existe beaucoup de petites institutions en Europe, et elles ont peu de moyens. Globalement, la microfinance reste donc encore assez confidentielle en Europe, le grand public ayant une assez faible perception de ce qui se fait. La France est un peu un cas à part.

Francesco Grieco : L’éducation des Européens sur cette question est en effet une problématique importante.

Quelles sont les procédures de contrôle des IMF existantes pour éviter, par exemple, le blanchiment d’argent ?

Cyril Gouiffès : Il existe aujourd’hui des conditions à l’activité de microcrédit, et des procédures de contrôle. Toutefois, dans certains cas, le contrôle peut être beaucoup

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plus flou. En Bulgarie par exemple, il existe beaucoup d’IMF mais celles-ci sont dans une situation de vide juridique, avec une difficulté de tracer la ressource dans les institutions de crédit. Cela dépend donc des Etats.

Représentant de l’Adie : Cela dépend également des bailleurs.

La micro-assurance se développe-t-elle dans les pays développés ?

Francesco Grieco : Presque 50% des institutions interrogées dans l’enquête n’offrent que des services financiers classiques, c’est-à-dire du microcrédit. La micro-assurance n’existe quasiment pas comme service non financier offert par les institutions.

Cyril Gouiffès : On n’observe pas encore de diversification des produits en Europe, mais le volume et la diversification pourraient être des voies de pérennisation. Toutefois, le développement de la micro-assurance se heurte au grand nombre de produits d’assurance déjà existants sur le marché.

Philippe Guichandut : Il existe quelques initiatives en ce sens de la part de quelques gros assureurs, mais elles demeurent très confidentielles.

A combien la taille du marché peut-elle être estimée ?

Cyril Gouiffès : Une communication de la Commission européenne en 2006 a essayé de mesurer le public cible dans l’UE, mais le marché est par définition difficile à mesurer car, comme c’est souvent le cas en microfinance, la demande se développe avec l’offre (l’exemple de l’Adie en France est intéressant à ce niveau-là).

Philippe Guichandut : Une étude de la Commission européenne montre qu’il existerait 700 000 à 800 000 clients potentiels par an au niveau de l’UE, et 300 000 en France. Par comparaison, le Microfinance Centre (MFC), en Pologne, estime le marché à 1 200 000 clients. Ces chiffres montrent qu’il existe un marché, ou plutôt une niche, et que l’offre actuelle est de toute façon largement en-dessous du marché potentiel. La

capacité minimum de développement est une multiplication par 3 ou 4. Toutefois, passer à plusieurs milliers de personnes à partir de zéro est déjà une progression importante.

Quel est le taux de refus à l’Adie ?

Représentant de l’Adie : Le taux d’acceptation se situe à 18-19%. Les raisons de refus les plus fréquentes sont une capacité de remboursement ou une solidité du projet insuffisantes.

Quelles sont aujourd’hui les possibilités de crédit pour les personnes qui n’ont rien et sont endettées ?

Cyril Gouiffès : Il est très rare que des prêts soient accordés sans aucune garantie, cela nécessite l’intervention d’un tiers. Il n’existe que peu de modèles de prêts de groupe en Europe.

Philippe Guichandut : L’étude du REM montre qu’il y a 7% de prêts de groupe en moyenne en Europe. L’Adie effectue de tels prêts. ACAF, en Espagne, en fait également, surtout sur de petits montants.

Francesco Grieco : Certaines institutions ne demandent rien, et proposent même des crédits pour restructurer la dette.

Sébastien Poidatz : Enfin, en France, des prêts sur gage sont effectués par le Crédit municipal.

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