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  Deulin, Charles (1827-1877). Charles Deulin. Les Contes de ma mère l'Oye, avant Perrault. 1878. 1/ Les contenus accessibles sur le site Gallica sont pour la plupart des reproductions numériques d'oeuvres tombées dans le domaine public provenant des collections de la BnF.Leur réutilisation s'inscrit dans le cadre de la loi n° 78-753 du 17 juillet 1978 : *La réutilisation non commerciale de ces contenus est libre et gratuite dans le respect de la législation en vigueur et notamment du maintien de la mention de source. *La réutilisatio n commerciale de ces contenus est payante et fait l'objet d'une licence. Est entendue par réutilisation commerciale la revente de contenus sous forme de produits élaborés ou de fournitur e de service. Cliquer ici pour accéder aux tarifs et à la licence 2/ Les contenus de Gallica sont la propriété de la BnF au sens de l'article L.2112-1 du code général de la propriété des personnes publiques. 3/ Quelques contenus sont soumis à un régime de réutilisation particulier. Il s'agit : *des reproductions de documents protégés par un droit d'auteur appartenant à un tiers. Ces documents ne peuvent être réutilisés, sauf dans le cadre de la copie privée, sans l'autorisation préalable du titulaire des droits. *des reproductions de documents conservés dans les bibliothèques ou autres institutions partenair es. Ceux-ci sont signalés par la mention Source gallica.BnF.fr / Bibliothè que municipale de ... (ou autre partenaire). L'utilisat eur est invité à s'informer auprès de ces bibliothèques de leurs conditions de réutilisati on. 4/ Gallica constitue une base de données, dont la BnF est le producteur, protégée au sens des articles L341-1 et suivants du code de la propriété intellectuelle. 5/ Les présentes conditions d'utilisation des contenus de Gallica sont régies par la loi française. En cas de réutilisation prévue dans un autre pays, il appartient à chaque utilisateur de vérifier la conformité de son projet avec le droit de ce pays. 6/ L'utilisateur s'engage à respecter les présentes conditions d'utilisation ainsi que la législation en vigueur, notamment en matière de propriété intellectuelle. En cas de non respect de ces dispositions, il est notamment passible d'une amende prévue par la loi du 17 juillet 1978. 7/ Pour obtenir un document de Gallica en haute définition, contacter [email protected].

Contes de Ma Mere l Oye Avant Perrault-EdDENTU-PARIS-1878-BNF-N5805750

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Deulin, Charles (1827-1877). Charles Deulin. Les Contes de ma mre l'Oye, avant Perrault. 1878.

1/ Les contenus accessibles sur le site Gallica sont pour la plupart des reproductions numriques d'oeuvres tombes dans le domaine public provenant des collections de la BnF.Leur rutilisation s'inscrit dans le cadre de la loi n78-753 du 17 juillet 1978 : *La rutilisation non commerciale de ces contenus est libre et gratuite dans le respect de la lgislation en vigueur et notamment du maintien de la mention de source. *La rutilisation commerciale de ces contenus est payante et fait l'objet d'une licence. Est entendue par rutilisation commerciale la revente de contenus sous forme de produits labors ou de fourniture de service. Cliquer ici pour accder aux tarifs et la licence

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LES

CONTES DR

MA

MRE AVANT

L'OYE PERRAULT

. t^-genre. 1. Voir d'ailleurs l'excellente dition de La Fontaine, par M.'LouisMoland(Garnlcr, 1876), o cette Vrit clate A chaque page.

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Les Contes de ma Mre FOye,

III Traiter les contes de fes en vers, les relever, comme on disait, par la posie, c'tait une entreprise difficile, et il ne suffisait pas pour faire absoudre l'auteur d'allguer l'utilit morale de semblables bagatelles. Perrault le sentait, et d'ailleurs le critique anonyme du recueil de Motjens le lui signifiait assez crment ! Je ne sais si notre autheur se fait un plan de son ouvrage avant que de travailler ; mais il me semble que souvent il ne suit pas de route assure et qu'aprs avoir perdu le temps en digressions inutiles, ou si l'on vtt aprs s'tre gar de son chemin, il se reprend en courant et saute par-dessus le principal de son sujet. Je crois, aprs y avoir bien pens, que ce qui l'empche de marcher constamment sur une ligne, c'est que, ne trouvant point la ligne sur son passage, il la cherche ob il peut et s'engage par l quelquefois dans de mauvais chemins dont ii ne revient pas toujours aisment. Il a l'esprit vif, l'expression brillante et varie; mais la rime, qui ne lui obit pas toujours, entrane quelquefois la raison, comme des chevaux mal disciplins entranent le cocher et la voiture.

Introduction.

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D'un autre ct, laisssr les contes en prose comme au sicle prcdent, semblait une tentative bien hardie une poque ou, depuis le grand succs des contes et des fables de La Fontaine, il tait de rgle de versifier les sujets de peu d'tendue, ainsi qUe ceux qu'on destinait au thtre; ou, press par un commandement du roi, Molire s'excusait de n'avoir pas eu le loisir de mettre toute h Princesse d'lideen vers, et ou Thomas Corneille, dans l'intrt de l'oeuvre, cousait des rimes l'admirable du Festin de Pierre. prose Perrault avait l'esprit aventureux; mais il tait de son temps. Il n'attaquait les anciens qu'au profit des modernes, dont il partageait les ides. Ainsi que l'a dit M, H. RigaUd, dans son histoire de la fameuse querelle, H tait tout entier de son sicle par ses admirations comme par'ses ddains. Au Panthon il opposait le Louvre; il ne songeait pas un instant l cathdrale de Bourges ni NotreDame de Paris. Jamais de lui-mme il ne se serait avis, lui, un acadmicien, d'crire des contes en ' ' ' l ' ;;:: ';:v: prose. D'ailleurs, il avait sans doute lu en manuscrit Finette ou l'adroite princesse, que M', Lhritier, sa parente, publia la mme anne que parut sa Belle ait bols dormant et cet "exemple n'tait pas fait pour le dcider. La prose, en pareil cas, n'offrait pas moins de difficult que les vers, et Perrault se

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Les Contes de ma Mre FOye.

souvenait de ce que La Fontaine avait crit dans la prface de son roman de Psych, ob il a employ tour tour ces deux formes du langage. J'ai trouv de plus grandes difficults dans cet ouvrage qu'en aucun autre qui soit sorti de ma plume. Cela surprendra sans doute ceux qui le liront ; on ne s'imaginera jamais qu'une fable conte en prose m'ait tant emport de loisirs, car, pour le point principal, qui est la conduite, j'avols mon guide; Il m'tait Impossible de m'garer: Apule me fournissoit la matire. U ne restoit que la forme, c'est--dire les paroles, et d'amener de la prose quelque point de perfection, il ne semble pas que ce soit une chose fort malaise; c'est la langue naturelle de tous les hommes. Avec cela, je confesse qu'elle me cote autant que les vers, que si jamais elle m'a cot, c'est dans cet ouvrage. Je ne savois quel caractre choisir... Tel tait prcisment l'embarras de Perrault, lorsqu'un heureux hasard le mit sur la voie. Dans la ddicace de son cont de Marthotsan la fille de notre auteur, M"f Lhritier rapporta que dans une compagnie de personnes distingues, ou elle se trouvait, on dcerna une infinit d'loges GWseiidis, Peau d'Ane et aux Souhaits ridicules, pui:ielle ajoute : On fit encore cent rflexions dans lesquelles on s'empressa de rendre justice au mrite de ce savant homme, dont il vous est si glorieux

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d'estre fille; on parla de la belle ducation qu'il donne ses enfants ; on dit qu'ils marquent tous beaucoup d'esprit, et,enfin, on tomba sur les contes nafs qu'un de ses jeunes lves a mis depuis peu sur le papier avec tant d'agrment. Il est ais de se figurer comment les choses se sont passes. Perrault habitait, nous l'avons dit, sa maison du faubourg Saint-Jacques, porte des collges, et s'y occupait fort de l'ducation de ses enfants. Un jour, il donna l'un d'eux, comme thme de narration, un des contes que sans dout il avait l'intention de mettre en vers. C'tait un petit bonhomme d'une dizaine d'annes, dou d'une excellente mmoire et de beaucoup d'esprit naturel. Il tenait de son pre l'amour des contes et il se rappelait les tournures naves que sa nour> rice employait en les disant. Il les reproduisit avec un tel bonheur que son pre fut frapp de ce style ingnu qui ne devait rien l'art. La Fontaine, cherchant* lequel caractre est le plus propre pour rimer des contes , avait cru que les vers irrguliers ayant un air qui tletit beaucoup de la prose, cette manire pourrait sembler la " plus naturelle, et par consquent la meilleure . Il avait de plus appel son aide le vieux langage c qui, pour les choses de cette nature, a des grces que celui de notre sicle n'a pas . Cet air qui tient beaucoup de la prose, Perrault n'arrivait point

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le donner ses vers, et le vieux langage, qui suffisait la bonhomie malicieuse de contes grivois, ne lui semblait pas encore assez naf pour prsenter aux enfants les fes, les ogres et les petits Poucets. Dans cette perplexit, la narration de son fils lui fut un trait de lumire. Sous cette plume inexprimente, il trouvait le vrai style du conte de fes, le bgayement des nourrices *. i. On Jugerapeut-tre que, dans cette dcouverte d'un style, nous faisons au jeune Perrault d'Armancour une et part trop considrable au-dessusde la porte d'un enfant. Pour rpondre cette objection,nous demanderons la permission de citer la lettre ci-dessous.Elle a t crite, aprs le sigede Paris, par une petite filledeonzeans qui venait de passer une anne entire loin de ses pre et mre, et qu'on hsitait faire ramener dans la ville en proie aux premiers troublesde la Commune. Villere-tar-Mer, mars1871. iJ Moncher pre, Tu ne sais pas? Eh bien! tout le monde part, et nous, nous ne partons pas. Tous nos amis partent demain, et mol le pleurI... Je voudraisbien vousvoir. Je parle du moment o nous allons partir, et puisJepenseque ce n'est pas demain, et Je me mets pleurer,et puis Je dis grand', mre que Je n.e veux plus rien faire; puis, cinq minutes aprs/ comme Je m'ennuie, je reprends mon tricot et Je trlcotte.'Au fait, tu ne sais pasr Eh bienI j'ai fini mes bas. Ils ont des petits pieds commedes petits.amours; ils sont tout fait Jolis. Je suis en train de faire,une garniture de bonnet pour le petit D. MMDl'part demain. cjnq heures du matin, et nous, nous ne partonspas! J'ai cependanttout

Introduction, Il est facile de mesurer la distance qui posie de la prose de Perrault dans ses n'est besoin que de lire successivement passage de l'une et de l'autre. Voici le Griselidis:

t$ spare la contes; il un court dbut de .

Au pied des clbres montagnes O le P, s'chsppant de dessous ses roseaux, Va dans le sein des prochaines campagnes Promener ses naissantes eaux,

ce qu'il faut pour partir : je suis vaccine, a a bien pris, les crotes sont tombes et j'ai une mine excellente. Faisnous donc bienVite revenir. Si tu savais comme j'ai envie devous voirl Vois-tu, j'ai dis grand'mre : BVletout l bols que nous avons pour partir plus vite; grand'nire a rpondu que ce ne serait pas cela qui nous ferait partir plus vite. Au fait, tu ne m'a pas encore dis comment allait Cora*, si on l'avait mange ou si elle vivait encore. Adieu, mon cher pre, je t'aime et t'embrasse, Ta fille, FRANOISE. Tu diras & mre Anne que je l'embrasse. Grand'mre te fais ses compliments. Cette lettre est authentique. Nous n'avons fait que la ponctuer et, ainsi qu'on l'a vu, nous en avons respect les fautes d'orthographe. Croit-on que l'enfant qui a trouv dans sa tteet dans son cceur cette page si naturelle et si navement passionne, non toutefois sans une point de malice, n'et pas t capable d'crire de mmoire un Petit Chaperon Rouge l'tat brut, quelque chose comme la version patoise du Petit Poucet que nous donnons plus loin i * Sa tortue.

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Les Contes de ma Mre l'Oye. Vivoitun jeune et vaillant prince, Les dlicesde sa province. Le ciel, en le formant, sur lui tout la fois Versace qu'il a de plus rare, Ce qu'entre ses amis d'ordinaire il spare Et qu'il ne donne qu'aux grands rois.

Et voici le commencement du Petit Chaperon Rouge : Il tait une fois une petite fille de village, la plus jolie qu'on et su voir; sa mre en tait, folle, et sa mre-grand plus folle encore. Cette bonne femme lui fit faire un petit chaperon rouge, qui lui seyoit si bien, que partout on l'appeloit le petit Chaperon rouge. Un jour, sa mre ayant cuit et fait des galettes, lui dit : Va voir comment se porte ta mre-grand, car on m'a dit qu'elle tait malade. Porte-lui une galette et ce petit pot de beurre. Pour que l'homme qui avait crit ces vers pompeux trouvt cette prose simple et familire, il a fallu videmment, et quoi qu'en ait dit M. Ch. Giraud, l'intervention d'une main trangre 1, et i. L'cartserait plus grand encore,si nous comparionsla prose des contes avecla prose mle de vers des allgories froides et alambiques qui ont pour titres : Dialogue de tFOFAmouret de l'Amiti, te Miroir ou la Mtamorphose rante, et enfin le Labyrinthe de Versailles, o Perrault a rim une trentaine de moralits galantes pniblementtires des fables d'sope.

Introduction.

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Perrault a pu sans invraisemblance publier, ses contes sous le nom de son fils : l'enfant avait vraiment collabor l'oeuvre paternelle. Il a indiqu le ton et l'allure qui convenaient, le pre n'a eu ensuite qu' arranger les choses et les mettre, comme on dit, sur leurs pieds 1. H les mme quelquefois Un peu trop arranges et enguirlandes de galanterie ; avouons-le, sans aller jusqu' prtendre, avec Mickiewicz, qu'il a tourn en caricature des sujets nafs et populaires, ni mme avec M. Chodzko, qu'il a mtamorphos ses hrones en autant de prcieuses, coiffes la Maintenon, avec du fard et des mouches. Les hrones de Perrault ne s'habillent pas toutes chez la bonne faiseuse, et, du reste, leurs antiques ajusteune tournure de ments leur donnent aujourd'hui patriarche et de marionnette qui leur sied ravir. le Quant au reproche d'avoir trop rationalis conte, que lui a galement adress le pote polonais, on peut quelquefois, comme nous le verrons plus i. Un seul fait pourrait peut-tre invalider notre systme. Dans son Trait des Matriaux manuscrits (i836), Alexis Monteil raconte, t. II, p. 181, qu'il possde un manuscrit de l'anne i6i8(in-4*, basane bleue, filets), qui a pour titre:. Contesde Fes, et dont le style, pour la forme et la gracieuse navet, ressemble, dit-il, celui de Perrault. Nous avons vainement recherch ce manuscrit. Que contient-il et Perrault l'a-t-ll connu i S'il existe encore, nous saurions un gr infini son propritaire actuel de vouloir bien nous le communiquer.

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tard, le faire remonter jusqu' la nourrice, ou encore rpondre avec Sainte-Beuve que Perrault, tout en contant pour les enfants, sait bien que ces enfants seront demain ou aprs-demain des rationalistes... La mesure de Perrault est bien franaise, et c'est l'ironie, discrte et souriante, qui fait le charme secret de ses contes.

IV

La tirade contre Homre dans le Sicle de Louis le Grand semble bien hardie; les contes en simple prose, ob les vers ne figurent qu'aprs le rcit, taient plus hardis encore. Aussi Perrault recula-t-il devant sa propre audace, et c'est surtout par respect humain qu'il les publia sous le nom de son fils. Il n'avait gure modifi les donnes primitives et ces bagatelles lui avaient peu cot. Il se garda bien de les lire l'Acadmie, ob il est probable qu'ort les aurait assez mal accueillies. Cette fois pourtant le succs fut complet et la critique resta muette. Comme il est d'habitude aprs la russite de toute oeuvre originale, les imitateurs se jetrent sur ce genre nouveau. Ils l'exploitrent si bien, qu'en 1699 l'abbide Villiers, pour mettre

Introduction.

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une digue ce dbordement de feries, publia ses Entretiens sur les contes des fes. Dans les critiques, d'ailleurs fort justes, qu'il leur adressa, il eut soin de faire une exception pour Perrault. Le thtre lui-mme s'en mla : un mois aprs l'apparition des Contes, Dufresny fit jouer aux Italiens les Fes ou les Contes de ma Mre l'Oye qui, eu raillant le genre, en constataient la vogue, et, deux ans plus tard, Dancourt donnait aussi une pice sous le mme titre. Cette vogue passa pourtant bientt, et Perrault se vit submerg sous les fadaises dont MM"** Lhritier, d'Aulnoy, de Murt, de la Force, d'Auneuil, etc., remplirent leurs historiettes. Il n'y eut pas seulement la raction qui suit toujours les succs clatants. De la part du xviu* sicle, il y eut animadversion : aux yeux des philosophes le merveilleux encourageait les erreurs dont ils voulaient dbarrasser l'humanit. Pendant que ses contes, traduits en toutes les langues, se rpandent dans le monde entier, les gens de lettres d'alors, mme ceux qui ont des accointances avec les fes, affectent pour Perrault un singulier ddain. On sait qu'une version du Chat bott se trouve dansles Factieuses nuits4* Straparole. Lamonnoye, qui a crit une prface pour la traduction deLouveau et Larivey,n'yditpasunmotde Perrault. Le pote Laisnez qui, en 1709, enrichit a.

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cette traduction de notes, cite Molire et La Fontaine propos des emprunts ou des rencontres, et se tait sur le compte de Perrault. En 173 5, Voltaire lui fait assiger vainement, en compagnie de La Motte et de Chapelain, la porte du Temple du Got. A la mme date, dans sa Bibliothque des Romans, Langlet-Dufresnoy se plaint de la scheresse de ses contes, et, en 1772, dans ses Trois sicles de notre littrature, Sabatier de Castres dplore leur manque de dlicatesse. D'Alembert, dans l'loge qu'il lui a consacr (1772), le traite comme un mchant pote, et ne mentionne pas ses contes. Dans l'Essai sur tes loges, Thomas, qui n'est pas moins muet sur ce chapitre, rsume ainsi son pangyrique : Que Boileau reste jamais dans la liste des grands crivains et des grands potes, mais qu'on estime en Charles Perrault de ia philosophie, des connaissances et des vertus. Diderot 1, Marmontel, Rousseau, Grimm, Chamfort lui*mme, qui, dans son loge de La Fontalne%mentionne Vergier, Grcourt, Snec, Piron, ne semblent pas se douter de l'existence des contes 1.Dansson TroisimeEntretien sur le Fils naturel, Diderot se demande,sans nommer Perrault, pourquoi la situation de l'hrone del Barbebleue au haut de la tour, qu'il reconnatd'ailleurs tre fort pathtique, n'attendrit pas un homme sens, comme elle fait pleurer les petits enfants. C'estqu'il y a, dit-il, une Barbebleuequi dtruit son effet.

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de Perrault. En 1775, un savant, un rudit, Oberlin, dans son Essai sur le patois lorrain, donne une version populaire du Petit Poucet, et il n'a pas l'air de savoir que sur ce sujet Perrault a laiss un chef-d'oeuvre. C'est en vain qu'en cette mme anne 1775, le rdacteur de la Grande Bibliothque des Romanslui rend justice. C'est en vain que le Cabinet desfes loue en 1785 le ton naf et familier, l'air de bonhomie, la simplicit qui font le charme de ses contes. Dans son Cours de littrature (17991807), La Harpe ne daigne pas s'en occuper, et dit, en revanche, des contes de Ma* d'Aulnoy : On peut mettre de l'art et du got jusque dans ces frivolits puriles. M"e d'Aulnoy est celle qui parait y avoir, ie mieux russi. En 1821, le Dictionnaire histoet bibliographique, rique , critique copiant la France littraire de Dcsessarts, qui avait copi le Dictionnaire historique de 1789, en est encore attribuer les Contes de fes au jeune Perrault d'Armancour. Enfin, dans la liste donne par M. Andr Lefvre, de 1697, date de la premire dition, 1781, date de la premire dition complte, c'est--dire en prs d'un sicle, on ne compte que huit ditions, et toutes, je le rpte, portent aprs le titre ces mots qui semblent demander grce : avec des moralits. C'est seulement en 1826 que commence la raction. Collin de Plancy publie une bonne dition

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des OEuvreschoisies de Ch. Perrault, de l'Acadmie franaise, avec des Recherches sur les contes des fes, ob le premier, il appelle Perrault le La Fontaine des prosateurs. La mme anne, C.-A. Walckenaer fait paratre ses Lettres sur les contes de fes attribus Perrault, ob d'ailleurs il prsente ces historiettes comme surannes et ddaignes des institutrices, ob enfin il ne leur accorde Yexeat qu' la condition qu'il sera bien convenu qu'elles n'appartiennent pas Perrault 1. Le bibliophile Jacob aide au mouvement et, dans la Notice de l'dition qu'il publie la mme anne, dclare que par leur bonhomie, par leur simplicit, qui n'exclut pas la grce et l'esprit, les contes de fes sont rests des modles inimitables. Nodier va plus loin et prophtise que sans aucun doute, avec Molire, La Fontaine et quelques belles scnes de Corneille, ce chef-d'oeuvre ingnu de naturel et d'imagination, doit survivre tous ls monuments du sicle de Louis XIV. Je ne crains pas de l'affirmer, dit-il, tant qu'il restera sur notre hmisphre un peuple, une tribu, une bourgade, une tente ob la civilisation trouve se rfugier, il sera parl, aux lueurs du foyer solitaire; de l'odysse aventureuse du Petit Poucet, des vengeances coni. On se demande pourquoi la rcentedition Jouaust, d'ailleurs si lgammentillustre,a rimprim cette dissertation qui est aujourd'hui par trop insuffisante.

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jugales de la Barbe bleue, des savantes manoeuvres du Chat bott, et l'Ulysse, l'Othello et le Figaro des enfants vivront aussi longtemps que les autres. En haine de Boileau toute l'cole romantique fit chorus. Pour elle, Perrault, comme La Fontaine, tait un indisciplin, un prcurseur, et la rhabilitation fut aussi clatante que la chute avait t profonde. En 1845, Thophile Gautier parle du Petit Chaperon rouge et du Chat bott comme de dlicieux rcits dont ne peut se lasser l'admiration nave de l'enfant et l'admiration raisonne de l'homme fait. Ailleurs, avec un enthousiasme dont il faut rabattre, il proclame Peau d'Ane le chefd'oeuvre de l'esprit humain, quelque chose d'aussi grand dans son genre que VIliade et YEnide. Vers la fin de 1861, parait la splendide dition in-folio d'Hetzel, avec illustrations de Gustave Dor, et Sainte-Beuve, rendant compte de cette magnifique publication dans ses Lundis du Constitutionnel, dit de notre auteur : Entre tout ce qui dfilait devant lui de ces contes de la Mre FOye, si mls et faits presque indiffremment pour tenir veill l'auditoire ou pour l'endormir, il eut le bon got de choisir et le talent de rdiger avec simplicit, ingnuit. Cela aujourd'hui fait sa gloire. Une Fe, son tour, l'a touch ; il a eu un don. Qu'on ne vienne plus tant parler de grandes oeuvres, de productions solennelles: le bon Perrault,pour a^oir

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pris la plume et avoir crit couramment sous la dicte de tous, et comme s'il et t son jeune fils, est devenu ce que Boileau aspirait le plus tre, immortel! tait-ce donc la peine de se tant tourmenter et de se tant fcher, monsieur Despraux I Vingt ans auparavant, dans son Histoire de la littrature de l'Europe pendant les XV, XVP et XVII* sicles, Henri Hallam, le savant critique anglais, avait, comme Collin de Plancy, reconnu, dans les Contes des Fes, une sorte de pendant en prose des fables de La Fontaine. Enfin, en 1864, dans la meilleure dition des Contes qui ait t faite avant celle de M. Andr Lefvre, un membre de l'Institut, M. Ch. Giraud, rapporte que ' le petit volume, horriblement imprim, des Contes de ma Mre l'Oye, publi par Barbin en 1697, et que Nodier, malgr son habile provocation, n'avait pu taire monter, il y a vingt ans, audessus de six napolons, a t pay rcemment mille francs une vente clbre et en avril dernier plus de quinze cents francs une autre *. Il en conclue que dans cet entranement de la curiosit opu1. Ce trs-rare exemplaire de l'dition princeps repose, magnifiquement reli, la Sorbonne (bibliothque de M. Cousin, 9677). Il est orn d'un trs-mdiocrefrontispice de Clouzier. C'est cette gravure par trop nave que, sur la a couverturede ce volume, M. RJckebusch reproduiteaussi exactementque le permettaientle bon got et les lois de la perspective..

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lente, il y a plus que de la passion, il y a l'indice d'une rvolution des esprits, et son tour, il constate que les contes de Perrault sont des fables de La Fontaine d'un genre part. Aprs un sicle et demi, Perrault a dfinitivement atteint son idal : pour avoir cess d'imiter La Fontaine et tre devenu lui-mme, il gale La Fontaine dans le jugement des hommes. Le livre merveilleux qui a ravi nos premiers songes et fait chanter l'oiseau bleu sous le ciel de notre berceau, est mis au rang des oeuvres les plus hautes de l'esprit humain; l'histoire des Contes des Fes se termine, comme une ferie, dans les splendeurs d'une ' I apothose

De Perrault aux dames qui, de son temps, ou aprs lui, ont couru la mme carrire, il y a une distance norme. Ce sont de spirituelles caillettes qui, au lieu de suivre comme lui d'aussi prs que possible le rcit des nourrices, brodent le texte et l'allongent au gr de leur caprice. Pour mieux en juger, prenez-le volume de la Bibliothque rose, ob, aux contes de Perrault, on a joint les meilleurs

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de ses mules les plus clbres, MM"" d'Aulnoy et Le prince de Beaumont. Le Petit Chaperon rouge en quatre pages; la Barbe tient tout-entier bleue en a neuf; le plus long de tous, le Petit Poucet, en occupe seize. V Oiseau bleu et la Chatte et la Biche blanche en comptent cinquante-sept, au bois prs de soixante. M"e Leprincede Beaumont est moins prolixe, et son chef-d'oeuvre, la Belle et la Bte, qui n'en est pas mieux crit, ne prend gure que vingt-deux pages. Sous prtexte que Mrime tait l'arrirepetit-fils de M"' Leprince de Beaumont, M. de Lomnie, dans son discours de rception l'Acadmie franaise, a prtendu qu'il y avait un rapport frappant entre le style des deux auteurs. N'en croyez pas un mot : rien ne ressemble moins au style sec et brillant de Mrime que la langue fluide et incolore de M"' Leprince de Beaumont. M"# d'Aulnoy mle quelquefois ensemble et assez mal, comme dans la Chatte blanche deux traditions populaires; elle transforme leurs rustiques personnages en princes charmantset en princesses accomplies, puis elle promne ses fades hros travers des palais et incelants d'or et de diamants. Ce ne sont plus ds contes, ce sont des feries, et c'est pourquoi M** d'Aulnoy est, de tous les. conteurs, celui qui a fourni au thtre les prtextes les

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plus commodes aux exhibitions de dcors et de costumes assaisonnes de coq--1'ne. Bien que plus vif d'allure, Hamilton, dans ses rcits, n'est pas moins long et n'a pas mieux conserv leur caractre simple et naf aux quelques fables qu'il a pu emprunter la source commune. On assure qu'il a pris la plume uniquement pour prouver qu'il n'y avait pas grand gnie inventer des aventurs merveilleuses comme celles des Mille et une Nuits, C'est possible; mais on croirait bien plutt qu'il a voulu parodier les romans de chevalerie. Un critique autoris, M. Emile Montgut, a avaV, dans h Revue des Deux-Mon4es (1" avril 1862), que l'histoire de Fleur d'pine peut tre prsente comme le plus beau conte de fes qu'on ait crit en France . Depuis mon enfance, j'ai dvor tous les contes, quels qu'ils fussent, que j'ai pu meprocurer : ceux d'Hamilton sont les seuls, je l'avoue humblement, que je n'ai jamais lus jusqu'au bout. Malgr ou un l'lgance du style, ces rcits interminables, auteur, sans conviction ne vise qu' se moquer du lecteur, m'ont toujours singulirement agac, et chaque fois que j'y suis revenu, au bout de quelques pages le livre m'a tomb des mains. Charles Nodier, qui d'ailleurs a bien mrit de Perrault, a un dfaut tout aussi grave. Il conte, non pour amuser les gens, ou, ce qui serait mieux encore, pour s'amuser lui-mme, mais pour mon3

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trer combien il a d'esprit. Jules Janin a dit qu'il n'en avait jamais plus qu'entre deux parenthses; or, dans le conte de.fes, chose rapide et simple, il ne faut pas faire de parenthses. La -bonhomie de Nodier est artificielle, et il y entre beaucoup d'affectation. L'auteur de Trsor des Fves n'a crit, qu'une seule historiette dans le vrai style qui convient aux contes des fes. Par malheur, ce n'est pas un conte. J'ai nomm son chef-d'oeuvre, le Chien deBrisquet. En somme, de tous les successeurs de Perrault, celui qui s'en approche le plus, Ion go sedproximus intervallo, c'est encore, malgr le manque de sobrit et quelque peu de manirisme, le danois Andersen. Nous avons dj parl de Finette ou l'adroite princesse. On a longtemps donn ce conte sous le nom d matre, et M. Ch. Giraud, tout en le restituant M"* Lhritier, l'a encore admis dans son recueil. Nous allons en rsumer rapidement les premires pages pour montrer, par un dernier argument, combien l'auteur de la Barbe bleue est original, et combien il l'emporte sur l'crivain mme dont on n'a pas craint de lui attribuer les oeuvres. L'histoire est adresse M"* la comtesse de Murt. Je suis aujourd'hui, dit M 110 Lhritier, de l'humeur du bourgeois gentilhomme. Je ne

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voudrais ni vers, ni prose pour vous la conter: point de rimes, Un tour naf m'accommode mieux. Je ne cherche que quelque moralit. Et tout de suite elle nonce les: deux proverbes sur lesquels son conte est fond; puis la voil qui prise d'un beau feu, se met rimer une trentaine de vers, puis elle s'crie : Mais je n'y songe pas, madame, j'ai fait des Vers; au lieu de m'en tenir au got de M. Jourdain, j'ai rim sur le ton de M. Quinault, etc. Au bout de trois pages qui, pour les enfants, font l'effet de la fort inextricable de la Belle au bois dormant, l'auteur se dcide enfin entrer en matire. Il s'agit d'un roi qui, s'en allant en Palestine faire la guerre aux infidles, confie son royaume son ministre. Il a trois filles, Nonchalante, Babillarde et Finette. Dveloppement du caractre de chacune, dveloppement fort long et tout fait inutile, puisque les noms suffisent pour mettre le lecteur au courant. Finette est tellement fine qu'elle dcouvre un pige dangereux qu'un ambassadeur de mauvaise foi avait tendu au roi son pre. En mettant l'article du trait dans les termes que lui dicte sa fille, celui-ci trompe le trompeur. Tout cela voudrait tre naf et n'est que niais, et le conte continue ainsi durant quarantesept pages. < Il est une folie d'esprit qui plat, a dit M. Gi-

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raud dans sa prface; il en est une autre qui n'a pas de sel : c'est d l'extravagance. Perrault a su l'viter, comme les anciens, par la simplicit du rcit et la sobrit des dtails. Ce n'est pas le cas de M1*Lhritier, et je m'tonne qu'un critique aussi dlicat que M. Giraud ne s'en soit pas avis. Voici maintenant, traduit littralement, le dbut du mme conte chez un auteur italien que le marquis de Paulmy dclare tout fait ridicule, et de qui Gnin a dit dans l'Illustration (icrmars i856): Les mtaphores violemment burlesques, dont il a compos le tissu de son style, seraient insupportables en franais, suppos (ce que je ne crois pas) qu'on parvint les rendre toujours intelligibles. Il tait une fois un trs-riche, trs-riche marchand, nomm Marcone, qui avait trois filles d'une grande beaut, Bella, Cenzola et Sapia Liccarda. Un jour il dut entreprendre un voyage pour les aft faires de son commerce. Comme il savait qu'en grandissait les filles aiment mettre le nez hors des fentres, il fit clouer toutes les siennes et laissa en partant chacune de ces demoiselles un anneau Orn^d'une certaine pierre qui se couvrait de taches, quand celle qui le portait son doigt commettait quelque action dshonnte. Il ne se fut pas plutt loign de la Ville-Ouverte (ainsi s'appelait cet endroit) qu'on commena

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monter sur les appuis des fentres et se montrer travers les guichets. On en fit tant que Sapia Liccarda, qui tait la plus petite, finit par se dmener et crier que leur maison n'tait pas un march aux citrons ni une poissonnerie pour qu'on y vit un pareil mli-mlo, et tant de commrages avec les voisins. Leur maison tait situe vis--vis le palais du roi, lequel avait trois fils, Ceccariello, Grazllo et Tore. En apercevant ces jeunes filles, qui taient fort agrables voir, ceux-ci se mirent leur faire les doux yeux, puis leur envoyer des baisers avec la main; des baisers ils en vinrent aux paroles, des paroles aux promesses et des promesses aux actions, tellement qu'un soir, l'heure ob, pour n'avoir pas affaire . la nuit, le soleil se retire avec ses rentes!, tous trois escaladrent la maison. Les deux ans avec les deux plus grandes soeurs, s'arrangrent mais lorsque Tore voulut toucher Sapia Liccarda, elle s'enfuit comme une anguille dans sa chambr et s'y barricada, si bien qu'il ne fut pas possible de l'aborder. Le pauvre petit se plaignit ses frres de l'ennui quMl avait de tenir la mule pendant que les autres chargeaient les sacs du moulin. Au matin, quand les oiseaux, trompettes de l'aurore, sonnrent tous le boute-selle pour faire i/TextL

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monter cheval les heures du jour, les deux couples.. etc. Je m'arrte au moment ou ce conte, dj fort scabreux chez Mlu Lhritier, commence effaroucher le lecteur franais. Je n'ai pas besoin de faire remarquer combien, ct du verbiage de Mu* Lhritier, ce style est vif et pittoresque, et quelle saveur a cette langue bizarre. Cyrano de Bergerac, en sa burlesque audace, n'a pas trouv des images plus inattendues ni d'un mauvais got plus charmant et plus raffin. L'auteurles prodigue avec le demi-sourire d'un homme d'esprit qui s'amusc, et presque toujours il s'en sert jxur peindre le lever oue coucher du soleil. On dirait qu'il a pari d'exprimer chaque fois ces phnomnes avec une, nouvelle mtaphore, D'ailleurs, part ces excs de la singularit et de la verve inventive, il s'loigne bien moins que Perrault de la source populaire ob l'un et l'autre ont puis leurs rcits. Il s'adresse aux gens des carrefours, tandis que Perrault cherche plaire abx belles dames de la cour Ce n'tait pourtant pas un homme du commun que Je, cavalier Gioyan $attsta. Basile qui, sous l'anagramme de GianAleslo Abbatlutis, publia overo lo cunto Naples, en 1037, IlPentamerone, ce qui de licunti, tfattenemienlQ.deMpeccerllle, veut dire les Cinq journes, ou le conte des contes pour la rcration des petits enfants. N Naples

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vers la fin du seizime sicle, J.-B. Basile tait comte del Torone et mourut en 1637 au service du duc de Mantoue. On a de lui, sous le titre de Opre poetlck* (Mantoue, 1613), des madrigaux, des odes, crit en de petits pomes, etc. Son Pentamerone, dialecte napolitain, contient cinquante contes de fes et quatre glogues. Gnin affirme qu' son apparition ce livre eut un prodigieux succs; M. Charles Giraud prtend au contraire qu'il n'eut pasalors un grand retentissement. Ni l'un ni l'autre ne nous disent sur quoi ils basent leur assertion. Tout ce que nous savons, c'est qu'il fut rdit Naples; trente-sept ans aprs, en 1674 et Rome en 1679, qu'en outre il fut traduit deux fois: 1* en langue italienne vulgaire (Naples, 1754); a* en patol bolonais (Bologne, 1742, et Venise, 1813). A l'heure actuelle, il est moins connu en Italie qu'en France et surtout en Allemagne, ob, en 1864, M. Flix Liebrecht en a publi une traduction. Ce n'est pas au cavalier Basile, c'est un trou,* badour que M" Lhritier elle-mme nous en F. Gprvient -^ emprunt l'Adroiteprincesse,, nin, qui a imit un des contes du Pentamerone, dclare, on l'a vu, cet ouvrage impossible traduire en franais. 11 n'en a pas moins prtendu que c ;ecueil tait la source ob Perrault avait puis le fond de sa narration, qu'il crivit, ajoute-t-il. sa* guise, platement et sans couleur. Cette

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tonnante assertion nous ferait croire que le critique, d'ordinaire si judicieux, n'a lu ni Perrault ni les contes du Pantamerone qui ressemblent ceux de Perrault. Avant Gnin, la Bibliothque des romans avait traduit ou plutt travesti quatre morceaux choisis dans l'impertinent ouvrage (c'est elle qui parle) de Gian Alesio Abbattutis. Qu'on juge de notre trale traducteur. Nous vail, dit douloureusement sommes oblig de traduire premirement du napolitain en bon italien; secondement, de l'italien littralement en franais ; troisimement, de tourner la traduction littrale franaise assez bien pour la prsenter d'une manire agrable des lecteurs franais, en leur faisant sentir le sel d'une plaisanterie trangre et le mrite des proverbes et des expressions populaires propres aux habitants d'une grande ville situe 35o lieues de Paris. Aprs cette singulire explication, le lecteur ne sera pas surpris que les contes du Pantamerone puissent paratre impertinents... dans la traduction de h Bibliothque des Romans, Nous avons traduit, dans l'dition de Naples (1674), ceux des contes du Pentamerone qui sont btis sur le mme fond que les histoires de Ma Mre FOye, Nous ls avons rendus aussi littralement que possible, estimant qu'en pareil cas il faut laisser toute sa saveur au texte'original. Bien que

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ce texte soit en dialecte napolitain du xvn 1 sicle, et que nous n'ayons pas eu le secours, d'un dictionnaire napolitain-italien 1, *nous devons dclarer que nous n'avons pas trouv la difficult aussi insurmontable que nous l'avions craint d'aprs les assertions de Gnin et du marquis de Paulmy. Nous avons t pourtant aid par notre excellent confrre de Lauzires-Thmines, qui a longtemps habit Naples, et qui a bien voulu venir notre secours dans les passages par trop obscurs ceux principalement qui font allusion des usages locaux. Nous lui en offrons kl nos sincres remercments. C'est grce lui que nous pouvons rvler au public franais un crivain bizarre, mais trsspirituel et trs-digne de figurer en tte de la littrature ferique. Notre ami Frdric Baudry, l'minent philologue, nous a rendu le mme service pour les contes allemands de ce recueil, et nous lui devons la mme reconnaissance. NoUs croyons d'ailleurs inutile de prsenter nos lecteurs les frres Grimm, les ingnieux rudits qui les ont recueillis sans les arranger au point de vue littraire. Tout le monde a lu la trs-remarquable traduction que M. Baudry a publie de leurs Contes choisis. 1. Ce dictionnaire existe, mais nous n'avons pu nous le procurer. 3.

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Les Contes de ma Mre FOye.

Nous sommes enfin tout aussi oblig notre confrre et ami Loys Brueyre, qui a mis fort courtoisement notre disposition les trsors de sa riche bibliothque et de sa vaste rudition.

LA

MARQUISE ou LA PATIENCE

DE

SLUS$|$

DE GRISELIDIS

uoi qu'en ait dit M. Edlestand du Mril dans son article sur les Contes des frres Grlmm {Revue Germanique, t. IV, p. 66 et suiv/L il ne semble pas que l'aimable soit fond sur une histoire sujet de Griselidis relle*. t. Dans les Prolgomnes de son Histoire de la posie Scandinave, M. du Mril invoque l'autorit de Ph. Forestl et de Jean Bouch't (Annales d'Aquitaine, I, 3). Nous n'a\ vons rien trouv concertant Griselidis dans les Annalei d'Aquitaine. Peut-tre. Mi D Mril a-t il confondu Bouchet avec Nogulef, qu'indique le passage suivant de Legrand d'Aussy (Fabliaux, t.. II, dlt. Renouard. Paris, 1819) :. n Noguier (Histoire de Toulouse, p. 167) prtend que Griselidis n'est point un nom imaginaire, et que ce phnix des femmes a exist vers l'an ioo3. Philippe Poresti, historio-

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Le premier germe connu de la fameuse lgende se trouve dans le Mahdbhdratd (i, 3888-3965), . gigantesque pope indienne, compose de 110,006 distiques ou slokas. Voici comment M. Angelo de graphe italien, donne aussi son histoire comme vritable. Noguier et Forestl sont compltement dpourvus d'autorit, et cette opinion est celle de la Biographie Dldot. Dans son Histoire tolotalne (in-f% 1559),Noguier reproduit servilement tous les contes que ses devanciers avaient emprunts des traditions populaires. Les anecdotes merveilleuses qui prcdent et qui suivent les quatre lignes qu'il a consacres Griselidis sont d'une absurdit choquante. Quant Foresti, dans son De claris multeribus christlanis commenlarius (Ferrare, in-f% 1497b la biographie de Griselidis vient immdiatement aprs celle de la fausse papesse Jeanne. Son ouvrage contient de plus les histoires de Minerve,Junon, Diane, Gres, etc., etc., qui sont sans doute vritables au mme titre que celle de la marquise de Salusses. Il ajoute, du reste, dans son Supplment des Chronique* (Venise, 1483): L'histoire de Griselidis tant digne de servir d'exemple, comme Je la trouve crite dans Franois Ptrarque, je me suis dtermin l'insrer dans cet ouvrage. Le pre Forestl n'a donc pas ici d'autre garant que Ptrarque; or, comme le fait trs-bien remarquer Ginguen (Histoire littraire de FItalie, t. III), Ptrarque donne entendre que Boccace a' pris dans les traditions orales ce sujet qui tait populaire en Italie. Voici, en effet, ce qu'il dit dans sa lettre Boccacet J'ai cru que cette histoire pourrait plaire ceux mmes qui ne savent pas notre langue, puisque l'ayant enteridu raconter depuis bien des annes, elle m'avait toujours plu,' et qu'elle vous avait . fait tant de plaisir vous-mme, que vous ne l'avez pas juge indigne d'lre crite par vous en langue vulgaire,-et d'tre mise la fin de votre ouvrage, o les rgles de l'art enseignent qu'il faut placer ce qu'on a de plus fort.

IM Marquise de Salusses. Gubernatis

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rsume cette fable dans sa Anthologie toplogique 1, un des ouvrages les plus considrables qu'on ait crits sur les contes envisags au point de vue mythique. . - c Le sage et brillant ntanu vient chasser sur les bords de la Gang et y rencontre une nymphe La nymphe charmante dont il tombe amoureux. consent rester avec lui la condition qu'il ne lui dira rien de dsagrable, quoi qu'elle puisse faire; le roi, tout son amour, prend ce grave engagement. Us passent ensemble des jours heureux, car le roi cde la nymphe en toutes choses. Cependant huit fils leur sont ns et la nymphe en a dj jet sept dans la rivire sans que le roi, bien que pntr intrieurement de chagrin, ait os.lui prsenter la moindre objection. Lorsqu'elle est sur le point de se dfaire du dernier, il la supplie de l'pargner et de lui rvler son nom. La nymphe alors lui sous figure avoue qu'elle est la Gang elle-mme de femme et que ses huit fils sont des incarnations des huit dieux Vasu s qu'elle prcipite dans le fleuve pour les dlivrer de la maldiction qui leur a valu la forme humaine. un Nous trouverons, ajoute M. de Gubernatis, fond lgendaire contes analogue dans, plusieurs populaires de l'Europe, avec cette diffrence qu'ici i.T.1, p. 74.

to

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c'est gnralement le mari qui abandonne son indiscrte compagne. Pourtant, la tradition indienne nous offre aussi un exemple d'un mari dlaissant sa femme dans la personne de Garatkaru, qui pouse la soeur du roi des serpents, la condition qu'elle ne fera jamais rien qui lui dplaise. Un jour, le sage est endormi ; le soir arrive, il faut qu'on le rveille pour qu'il puisse rciter ses prires. S'il ne les rcite pas, il manquera son devoir et sa femme aura eu tort de ne pas l'avertir. Si elle le rveille, il entrera en fureur. Que faire ? Elle prend le dernier parti. Le sage est rveill, mais II devient furieux et abandonne sa femme, bien qu'elle lui ait donn un fils. (Mbh., i, 1870-1911.) , . Plus loin 1, M. de Gubernatis rapporte l'histoire elle-mme de Griselidis d'aprs un conte populaire 1 russe tir du recueil d'Afanassief (Narodnija rusklja Skaskt, liv. V, histoire 29. Moscou, 1860-1861). Je ne reproduirai pas ce rsum qui, part de trssemble tre celui du conte de lgres variantes, Boccace; Je ne' donnerai pas davantage. le conte de Boccace : il est trop connu; ni la traduction libre de Ptrarque, qUi l suit pas pas elle gt quelquefois en. l'amplifiant; ni le conte que ChaUcer/ de son propre aveu, a imit de Ptrarque, ni aucune 1. T. I, p. aaG.

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$t

des nombreuses versions franaises qui parurent au avec changements xiv* sicle, ni la traduction et de Mu* de Montmartln (1749), ni augmentations la version dclamatoire de Legrand d'Aussy (1779), de Boccace qu'Im* ni enfin l mdiocre imitation bert a insre la fin de son Recueil a^nclens/a^ bliaux(i7&). Cest dans le Dcamron qu'il faut lire la touchante histoire de Griselidis. La navet et la presde tesse du rcit, malgr la tournure cicronlenne la phrase, plaident pour ceux qui prtendent que l'admirable conteur est n Paris d'une mre frandu sang gaulois dans les aise. Il a videmment veines : s'il n'a pas pris, comme on l'a suppos, lo dans nos vieux fabliaux!, de sujet de Griselidis bonne heure il s'est nourri de leur substance et y a 1. Legrand d'Aussy a cit lo Parement des Dames,; Cet ouvrage est d'Olivier de la Marche, n cinquante ans aprs la mort de Boccace. Dans le quinzime chapitre se trouve, en prose l'histoire abrge de Griselidis, et elle semble imite du Dcamron. On a signal aussi le Lai du Frne, de Marie de France. L'hrone s'y conduit comme Griselidis, et, sans montrer son chagrin, prpare soigneusement tout ce qu'il faut pour le mariage qui doit la chasser du char leau, mais ce n'est qu'une concubine. La situation n'est certes pas la mme, et d'ailleurs elle n'est gure qu'indique. Il n'y a l qu'un des lments du conte, et un pareil point de dpart supposerait chez Boccace un travail de refonte beaucoup plus considrable qu'on n'avait l'habitude de le faire cette poque.

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probablement puis la matire de plusieurs autres rcits. A ct de cette narration sobre, lgante et qui n'en a pas moins conserv l'accent du conte populaire, la versification de Perrault est bien lourde et embarrasse. Une rapide comparaison entre les deux versions fera mieux ressortir la supriorit du conteur du xtv* sicle sur celui du xvn*. Et d'abord Perrault ne donne pas, comme Boccace, pour titre son historiette ce simple mot : Griselidis, qui la rsume si bien. Il prfre l'intituler la Marquise de Salusses, ce qui est plus noble, et il ajoute en sous-titre ou la Patience de Griselidis. Il avait mme dans sa premire dition chang Griselidis en Griselde, et sa principale raison tait que le nom de Griselidis lui avait paru s'tr un peu sali dans les mains du peuple. Ce n'est point d'ailleurs un conte qu'il entend crire, mais une. nouvelle, c'est--dire, comme lui-mme l'explique dans la prface des contes en vers, un rcit de choses qui peuvent tre arrives et qui n'ont rien qui blesse absolument la vraisemblance. Il ira mme, dansl\Wo/ de Griselidis, jusqu' se faire dire par un interlocuteur bnvole : c Quoique vous lui donniez le titre de nouvelle, votre ouvrag est utt vritable pome, C'est cette malheureuse prtention riger en pome un simple cont qui a tout gt; c'est elle

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qui a pouss Perrault prodiguer des ornements inutiles et mme nuisibles et vouloir expliquer comme ce qu'il fallait prsenter tout bonnement inexplicable. le dbut soNous avons vu dans l'Introduction du rcit. Appliquant toujours nore et emphatique le procd dont La Fontaine use en srieusement souriant pour relever sa matire, Perrault fait de son marquis un prince accompli, ' Combl de tous les dons et du corps et de l'me, et il ne s'aperoit pas qu'il rend ainsi tout fait invraisemblable le rle odieux du personnage. Boccace, plus adroit, se garde bien de vanter son hros. Loin de l, pour amoindrir l'effet que produira sa sottise, il a soin de prvenir tout de suite le lecteur : Ne vous attendez pas, dit-il, des actions grandes et gnreuses de sa part, vous n'en verrez que d folles et de brutales, quoique la fin en ft bonne : mais je ne conseille personne d l'imiter. Dans la nouvelle de Perrault, aprs avoir r la harangue de ses sujets, pondu ironiquement qui le pressent de se marier, le prince part pour la chasse : description de la chasse. Il s'gare dans les grands bois : description des bois. Il rencontre une Jeune et aimable bergre : description de la bergre.

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A la vue de tant d'appas, il tombe amoureux comme un jouvenceau, ce prince que le frquent usage du monde a rendu sceptique et qui a dclar tout l'heure qu' son sens L'hymen est une affaire O plus l'homme est prudent, plus il est empch.

Craintif, interdit, tremblant, il ose peine adresser la parole la bergerette, et il finit par lui tourner un madrigal que ne dsavouerait pas M. de Benserade. Touch d'une vive douleur, il s'loigne ensuite et le souvenir de sa tendre aventure avec plaistr le conduit chez lui. Il retourne la chasse, s'gare dessein et malgr les traverses De cent routes diverses, De sa jene bergre il trouve le sjour. Il apprend son nom et qu'elle vit avec son pre du lait de ses brebis. Plus il la voit, plus il s'enflamme; bref, il assemble son conseil... Tout cela fait un total d'environ cent cinquante vers. Ces dtails oiseux, attendu que l n'est pas le coeur du rcit, et nuisibles, attendu qu'ils prparent fort mal les folles et brutales actions d hros, Boccace s'est bien gard de nous les donner, et savez-vous en combien de lignes il expose son sujet ? Dans les sept lignes qui suivent et qui

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sont en parfait accord avec le caractre et la position du marquis : Depuis quelque temps le marquis avait t touch de la conduite et de la beaut d'une jeune fille qui habitait un village voisin de son .chteau. Il imagina qu'elle ferait son affaire, et, sans y rflchir davantage, il se dcida l'pouser. Il fit veson dessein. Le nir le pre et lui communiqua marquis fit ensuite assembler son conseil.., Les sept lignes sont d'un matre et les cent cinquante vers d'un colier. II me parat inutile de poursuivre point par point cette comparaison. Il suffira de noter les traits principaux que dans son amplification Perrault a ngligs ou modifies pour ennoblir sa matire. Chez Boccace le marquis rencontre Griselidis au moment ou elle vient de chercher de l'eau ; chez Perrault ce dtail rustique a dispqru comme trop commun. Dans Boccace le marquis la fait dpouiller nue et la revt ensuite* de superbes habillements. Dans Perrault Il porte la bergre souffrir qu'on l pare Des ornements qu'on donne aux pouses des rois. Boccace donne Griselidis deux enfants, une fille et un garon, que son mari lui enlve successivement. Perrault supprime le garon, mais il le remplace par un jeune seigneur qui vient voir la

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fillette son couvent; au moment le plus pathtique de la narration, il s'embarrasse des amours de ces adolescents qu'on ne connat pas et qui on ne porte aucun intrt. Enfin, pour mettre sous les yeux de la faon la plus frappante le dvouement, l'abngation et l'obissance de la malheureuse crature Boccace, d'accord sans doute avec la lgende populaire, raconte que le marquis veut la renvoyer chez son pre < avec ce qu'elle lui a apport en mariage, c'est--dire compltement nue. Griselidis alors demande qu'en change de sa virginit, il lui accorde du moins une chemise 1. i. C'est dans les conteurs du xiv*sicle qu'il faut lire ce passage pour en apprcier toute la grce nave : ... Nue vins de chies mon pre et nue l retournay se tu ne reputes et tiens chose vil et mal gracieuse, comme je crois que tu feroies, que ce venire-cy qui a port les enfants que tu as engendre/ soit veu nuz ou descouvert au peuple; pour laquelle chose se il te plaist et non autrement, je te supplie que, ou prix et pour la virginit que je apportay avec toi, lit quelle 1je n'emporte mie, laisse-moi une des chemises que je avole quand j'estoie appelle ta femme. Lors ploura forment de piti le marquis, si que paine contenir se povoit; et ainsi, en tournant son visage en pleur tout troubl, paine puet dire mot. Doncques te demeure, dist-i), celle que tu as vestue. t Et ainsi se parti celle sans plourer, et devant chacuh ce devest, et seulement retint la chemise que vestue avot, et la teste dcouverte s'en va et en cet estt la virent plusieurs gens plourans et maudissahs fortune; et elle seule rie plouroit point, n ne disoit mot. Et ainsi se retourne en l'ostel

La Marquise de Salusses.

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Perrault recule devant ce dtail pittoresque, et il le remplace par ces quatre vers qui ne choquent pas la biensance : Il faut, dit-il, vous retirer Sous votre toit de chaume et de fougre, Aprs avoir repris vos habits de bergre, Que je vous ai fait prparer. L'ide de renvoyer sa femme nue tait pourtant bien dans le caractre du rude baron fodal, qui Les adoucissemble prendre plaisir la torturer. sements de Perrault vont juste contre l'effet qu'il veut produire et ne font que rendre plus invraisemblable la conduite de son hros. Bien d'autres critiques furent adresses l'auteur lorsque parut Griselidis. Aussi crivit-il un de ses amis, en lui envoyant son pome : Si je m'tais rendu tous les diffrents avis qui m'ont t donns sur l'ouvrage que je vous envoie, il n'y seroit rien demeur que le conte tout sec et tout uni; et, en ce cas, j'aurois mieux fait de n'y pas de son pre, et ly bons homs son pre .qui ads avoit le mariage suspel, ne oncques n'en avoit est seur, ains doubtoit touziours que autre chose n'en avenist, vient rencontre des gens cheval sur sonsueil, et del povre roblteque touziours luy avoit garde la couvrit grant msaise, car la femme estoit devenue grande et embarm, et la povre robe enrudi et empile... (Bibliothque nationale, Ms n65.)

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toucher et de le laisser dans son papier bleu, ou il est depuis tant d'annes. C'tait, en effet, ce qu'il y avait de mieux faire; car depuis un sicle et demi le conte tout sec et-tout uni tait aussi dans la traduction d'Antoine Le Maon, lequel mit le Dcamron en franais par ordre de la reine de Navarre, l'illustre auteur de VHeptamron *. ' t. Le livret de la Bibliothque bleue procde de la traduction latine de Ptrarque, et non, comme l'a dit Collin de Plaricy, d la version franaisede Le Maon. Il contient du reste de fort jolies choses. Dans ton Histoire des livrespopulaires, M. Ch. Nisard en donne une dition intitule le Miroir des Dames ou la patience de Griselidis, autrefois marquise de Salusses, o il est montr la vraie obissance que les femmes vertueusesdoivent leurs maris. Tours, chez Ch. Plac, jn-18 de 14 pages. Ce rcit porte le cachet du xvn* sicle et doit tre celui Perrault a eu sous les yeux. Bien que trahissant une 3ue peu habile, il n'en est pas moins charmant de laln navet. Nous y avons not les traits suivants qui peignent tout d'abord les caractres des personnages. Le marquis ne prend pas, comme dans la version de Boccace, la peine de prvenir l'avance le pre de Griselidis. Sr d'tre agr, il fait dresser la table du festin et part avecses invits pour chercher la marie. II la rencontre devant sa cabane, portant, comme Rbecca, une cruche d'eau sur la tte. Il lui commande de faire venir son pre, et, aprs avoir demand celui-ci la main de sa fille, il entre dans la chaumire et dit Griselidis : Il faut que tu sois ma femme, n'en es-tu pas bien aise? c Elle fut bien surprise de ces paroles, continue le conteur, et de voir de tels htes dans sa cabane.Elle rpondit Monseigneur, je sais bien que je ne suis pas digne d'tre

ta

Marquise de\ Salusses,

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L'auteur anonyme de la Lettre fS*.'*#/ im* prime dans le recueil de Motjens, ne mnage pas non plus ses critiques Griselidis, mais en gnral elles s'attaquent de menus dtails de style et sont trop longuement dveloppes. C'est ainsi qu'il commence par blmer Perrault d'avoir, en disant ml malatour tout les dieux et la Providence, droitement la mythologie et le christianisme. A propos de cette discussion, qui tient une dizaine de pages, faisons remarquer avec Michelet qu' travers tant d'preuves Griselidis ne semble pas dans Boccace avoir l'appui de la dvotion ni celui d'un autre amour. Elle est bien fidle, chaste; pure, et il ne lui vient pas l'esprit de se consoler * ' en aimant ailleurs. ' Le type de Griselidis parat avoir t inconnu de l'antiquit, et l rsignation chrtienne a certaine la moindre de vo servantes, nanmoins, si c'est votre vbi c lont et celle de mon pre, je ne vous dois dsobir en t rien. 9 Et quand le marquis lui a pos ses conditions, elle lui rpte encore : Il me suffit d'tre la moindre d vos servantes. Toutefois, puisqu'il plat votre grandeur, je prie ' Dieu que votre volont soit mon bonheur. On croit entendre les 'paroles de la Vierge par excellence l'ange de l'Annonciation : eece ancilla Domini, fit mihi seeundum verbum tuum, et cette humilit craintive, qui s'effraye d'un destin si clatant, prpare admirablement le lecteur trouver toutes naturelles ta patience et la soumis* sion que montrera plus tard la pauvre paysanne. - ,

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Les Contes de ma Mre FOye.

ment Contribu en grande partie le former; mais Boccace a vit avec raison de lui donner l'aurole de la saintet. Il ne cherche pas, comme Perrault, rendre croyable la patience de son hrone en lui faisant regarder les mauvais traitements de son poux comme venant de la main de Dieu. Selon l'heureuse expression d M. Saint-Marc Girardin, Gridans son Cours de littrature dramatique, selidis est une sainte qui a pris son mari pour Dieu. L est son originalit et sa marque distinc / tive. Oti le critique anonyme rencontre tout fait juste, c'est lorsqu'il montre combien Perrault, toujours proccup de la vraisemblance, s'embrouille dans les explications qu'il accumule pour motiver la conduite du marquis. Boccace, mieux avis et plus voisin de la tradition populaire, se contente de dire: Par une folie qu'on ne conoit pas, il lui vint en tte de vouloir, par les moyens les plus durs et les plus cruels, prouver la patience de sa . . femme. la lgende est Une fois sortie du Mahdbhdrata, devenue aUx mains du peuple un conte comme bien d'autres, o un prince pse ses conditions la jeune fille qui aspire l'pouser. Dans l'article dont il est question plus haut, M. Edlstand du Mril en cite quatre ou cinq de cette espce. En voici Un que j'emprunte, pour sa brivet, aux Contes popu-

L Marquise de Salusses,

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laires de ta Grande-Bretagne, par M. Loys Brueyre: Dans une lgende irlandaise de Kennedy, la Pauvre fille qui devient reine, un roi consent pouser une pauvre paysanne, si elle vient le trouver le lendemain sans tre habille, ni nue, ni en ni pied, ni porte voiture, ni dos d'animal, d'aucune faon. Elle rsout la question en s'enyeloppant d'un filet de pcheur qu'elle attache la queue d'un ne, et elle arrive ainsi chez le roi, sans tre habille, ni nue, ni porte, ni cheval, ni pied, mais trane dans le filet. Le roi, enchant, l'pouse'. Un jour, aprs une discussion, il ordonne sa femme de retourner dans la cabane ou il l'a prise. Elle lui demande seulement d'emporter ce qu'elle a de plus prcieux. Le roi ayant consenti, elle lui donne une boisson soporifique et le fait transporter dans la cabane de son pre. Le lendemain, le roi s'veille, tout tonn de se voir en tel endroit. Alors la reine lui saute au cou et lui dit : Ne m'avezvous pas permis d'emporter ce que j'avais de plus prcieux? i. Dans les Nibelungen, Ragnar promet d'pouser Krlka si elle se prsente lui sans tre nue, ni vtuc, ni repue, ni jeun, ni seule, ni accompagne de personne. La prtendue fille de Sigurd et de Brynhild vient enveloppe d'un filet et de sa chevelure, ayant got de l'ognon et suivie d'un chien.

6a

Les Contes de ma Mre l'Oye.

Ici, c'est l'esprit qu'on met en jeu; dans Grfselidis, c'est le coeur. Au lieu d'une preuve intellectuelle avant le mariage, nous avons aprs des preuves morales. Dans les deux cas, le caractre du mari est impos par l'essence mme du sujet. Fantasque d'un ct, barbare de l'autre, il faut le subir sans chercher l'expliquer L On a pourtant invent un moyen de le rendre moins odieux et plus facile comprendre. Depuis le mystre qu'un anonyme * compos en ;i 395 sous le titre d'Histoire de Griselidis, cette charmante donne a souvent t porte sur le thtre; jamais d'une faon aussi ingnieuse qu'en un drame que M. Munck Bellinghausen a fait jouer Vienne en 1834. La Griselidis allemande est devenue la femme de Percival, un chevalier de la Table-Ronde qui, ayant aim la reine Ginevra, l'a quitte parce qu'il la trouvait trop coquette et trop orgueilleuse. Un jour -que celle-ci l raille de ce qu'il a pous la fille d'un charbonnier, il rpond que, si la vertu rglait les rangs en ce monde, Griselidis serait, sur le trne et la reine ses pieds. Ginevra propose les trois preuves lgendaires et dclare que, si. Griselidis y rsiste, elle s'agenouillera devant la paysanne. Percival a l'me dchire par les tortures qu'il 1. Comparer aussi Griselidis avec la Pucelle de Roussit Ion. Dcamron, 3* journe, 9* nouvelle.

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inflige sa femme, mais il a engag son honneur, il veut que Griselidis voie la reine ses pieds et croit que le triomphe la ddommagera de ses souf.- \ : >frances. .;.; r' ;;. Griselidis sort victorieuse de la lutt, et alors arfort original.. On avou la rive un dnoment pauvre femme que tout ce qui s'est pass rt'est le rsultat d'une ' gageure. Griselidis se qu'un jeu, rveille comme d'un rve, fond en larmes et s'crie: Un jeu I un jeu I et moi donc ? Ah I ce jeu-l m'a cot bien des larmes I Convaincue que Percival ne l'a jamais aime, elle lui dclare qu'elle ne peut plus vivre avec lui, et les ordres de son et, malgr les supplications poux, elle reprend le chemin de sa cabane. Ce dnoment inflige au mari la punition que mritent ses brutalits, mas comme il atteint du mme coup l'innocente il convient Griselidis, plutt un roman ou mme un drame qu' un simple conte qui, selon l potique du genre, doit toujours se terminer par le bonheur des personnages auxquels le lecteur s'est intress. lia un tort plus grave, celui de forcer la douce, la patiente, la rsigne Griselidis dmentir son caractre. Ce n'est pas parce qu'elle se croit aime de son poux que la pauvre paysanne supporte si patiemment toutes les tortures et toutes les avanies, c'est parce qu'elle a promis d'obir sans se plaindre,

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, Les.Conts, dema

Mre FOye.

que d'ailleurs elle est ne serve et que l'obissance est dans sa nature aussi bien que dans sa condition; Une femme qui abandonneson mari sous prtexte qu'il ne l'aime pas, ne se laisserait point enlever ses enfants et renvoyer nue chez son pre. Tant d'nergie et un si grand respect de soi-mme cadrent mal avec tant d'abngation et tant d'humilit. Le drame allemand a donc fauss le caractre de l'hrone, et la Griselidis de Boccace reste la vraie Griselidis.

LES

SOUHAITS

RIDICULES

INSI que nous l'avons prouv dans 17//troductlon, le cont des Souhaits ridicules est, non le troisime, mais le seau public. Il cond que Perrault,donna existe peu de traditions qui aient couru davantage le monde et qui aient t plus souvent remises la fonte. C'est mme une chose curieuse de voir comme cette historiette, trs-scabreuse au dbut, s'est pure petit petit et a fini par arriver tout fait inoffensive aux mains de La Fontaine et de Perrault. On a dcouvert son origine dansle Panlcha-Tantra% ce fameux recueil de contes compos par le docte brahmane Vichnou-Sarma pour apprendre en* six mois la morale et la politique aux fils de son souverain. Voici en quelques motst rsumant la tra4-

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Les Conts de ma Mre Fyej

.,

duction d'Edouard Lancereau (p. 333), cette fable, germe inform que dveloppera plus tard l'imagination licencieuse des sages indiens. Un tisserand du nom de Mantharaka * brise son mtier par accident. Il prend sa hache, s'en va au bord de la mer, choisit un gros arbre et se met . l'abattre. Au premier coup, il entend la voix d'un gnie qui lui crie : Hol I cet arbre est mon logis et je ne puis le quitter, attendu que j'y respire la brise de la mer. Mais, dit l'homme, il me faut du bois pour fabriquer un mtier, sinon ma famille va mourir de faim. Laisse-moi cet arbre, rpond le gnie, et demande tout ce que tu voudras, je te le donnerai. Nofr homme s'rf retourne et rencontre le barbier du village qui lui conseille de souhaiter d'tre roi. Sa femfti; au chtr^ir^ lui rMsde de rester dans sa condition et de demander au gnie deux ttes et quatre bras, afin de faire double besogne. Le pauvre diable suit ce mauvais conseil et va retrouver le gnie, qui xue son souhait. A son retour, ls gens du village le prennent pour un rakchsa*, se jettent sur lui et l'assomment. Remarquez duel dl point de dpart, c'est l i. Niais. a. Gnie malfaisant qui se transforme iVsa guise.

^-ipes^s(5eaea

Les. Souhaits ridicules.

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femme qui, par son conseil perfide, fait manquer Sendala fortune de son mari. Un autre conteur, bar, va nous dire qu'elle a pour cela d'excellentes raisons. Ce Sendabar ou Sandebar, qui dans la version indienne porte le nom de Sindabad, a crit sur les ruses des femmes des Paraboles qui sont clbres dans la littrature hbraque. cit par Loiseleur, Suivant Hamza d'Ispahan, Deslongchamps et par E. Carmoly, ce petit livre date du temps des princes Arsacides, et c'est galement ce qu'on peut lire dans Modjemel-al-Tewanatiorkh, manuscrit persan de la Bibliothque nale. Il ne nous reste d'ailleurs que les traductions hbraque et grecque du texte persan ou arabe. Dans la version grecque, qui diffre peu de l'autre, Sendabar porte le nom deSyntipas. En grec, comme en hbreu, l'auteur donne pour cadre ses apologues l'histoire d'une reine qui, pareille Phdre, tombe amoureuse du fils de son l'accuse aumari, et qui, s'en voyant ddaigne, prs du monarque. Celui-ci condamne son fils mort, mais suspend durant une semaine l'excution de son arrt. Chaque jour un des sept philosophes qui sont chargs de l'ducation du prince, conte au souverain une histoire pour lui prouver qu'il faut se dfier des femmes, et chaque jour aussi la reine dtruit l'effet de ce rcit par un autre qui dmontre tout le con-

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Les Contes de ma M$re FOye.

traire. Finalement le prince triomphe et obtient la grce de la coupable, La version grecque, moins gnreuse, la condamne tre rase, puis promene par la Ville sur un ne, le visage tourn vers la queue. : '.^/'.^/\---:]^-%::/-: On ignore l'poque o furent rdigs ces deux ' romans, et l'auteur de la composition hbraque nous est inconnu. On sait seulement que celui de la composition grecque est un certain Andriopule, qui dclare l'avoir traduite du syriaque. Ce texte syriaque a eu le mme sort que les textes persan et --;. arabe.. \.^S'r': Or, voici le conte que dbita au roi le septime conseiller. Nous le traduisons de la version grecque, qui nous a paru moins sche que la version hbraque, traduite par M. E. Carmoly. Un homme avait un gnie grce auquel il prdisait l'avenir et rpondait tout ce qu'on lui demandait. Ce dmon s'appelait l'esprit de Python et il rapportait de grands profits son hte ; avec son aide celui-ci, de plus, exerait la mdecine; il dvoilait les mystres et faisait retrouver les objets perdus. II amassait donc ainsi beaucoup de bien. Un jour l'esprit lui dit : Je te quitte, tu ne me possderas pas plus longtemps ; mais, avant de partir, je veux te donner trois formules au moyen desquelles tout ce que tu demanderas au dieu te sera aussitt accorder

Les Souhaits ridicules.

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Le gnie lui apprit alors les trois formules et s'loigna. L'homme s'en retourna tout triste sa * maison. Pourquoi, lui dit sa femme, es-tu si ple et si chagrin?.. c HlasI, rpondit-il, cet esprit de Python, grce auquel je prdisais l'avenir et gurissais les maladies, m'a quitt pour toujours. Comment vivre maintenant? C'est lui qui parlait par ma bouch et qui me valait tant de bnfices. La femme, ces mots, devint triste son tour. son mari lui dit La voyant pleurer amrement, . ' la consoler : pour Ne t'afflige pas tant, ma femme; le gnie m'a indiqu trois formules au moyen desquelles j'obtiendrai tout ce que je demanderai au dieu. Ces paroles calmrent la femme, qui dit son mari: Ces trois formules te suffisent pour l'a. venir. Que me conseilles-tu donc de demander au dieu ? dit alors ce dernier. Il est impossible de spcifier en franais ce que la femme, crature lubrique et ruse, lui conseille de souhaiter 1. i.H 9\ytfh... f*4l.. 6&50/,^***tt)wit*jw tt;ftb;fdn ri* *iV> *X>Mtftiit yttMti it r? eji*tC4.

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Les Conts de ma Mre FOye.

Le mari, qui ne brille pas par l'intelligence, formule son voeu, lequel est exauc sur-le-champ*. Ce que voyant, le malheureux eut horreur de lui-mme et tomba bras raccourci sur sa femme. ' Sa fureur tait telle qu'il voulait la tuer. . >r HeSt beau, dit-il, ton conseil, et surtout trsprofitable, la plus mchante des femmes I N'as-tu pas rougi de me suggrer un voeu aussi mauvais et v i* aussi honteux ^ A quoi bon t'affliger, mon homme, lui ditelle, quand il te reste deux souhaits? Demande au dieu qu'il te dbarrasse de tout ce qu'il t'a donn et qui te gne*. Il le fait, mais si vite et avec si peu de rflexion qu'il se trouve encore plus empch qu'auparavant 3. L'homme, de plus en plus furieux, se jeta sur ejle pour la tuer. Pourquoi veux-tu me faire mourir? s'criat-elle. Il n'y a pas de quoi te dsoler, puisqu'il te reste un souhait. Demande au dieu qu'il te remette en ton premier tat 4. I... x*l, pa t$ *&$tO,tkn t&jn* f^ti |Utl**l '"'.' itc$6v xl tyn*i. a. tKal tyc&teo*tiv'fefr 3\ktfibA< fumt t {fof&Xwe tfo#i ixb eeO tafru. > 3. K*i *(**...olrtri *?&'* teille fournit un lac immense ; la Troll le boit avec

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Les Contes de nia Mre l'Oye.

sa corne. La pierre se change en une montagne ; la Troll la dracine coups dpique. Finalement la montagne tombe sur elle et l'crase. y*. Les soeurs de Cendrillon lui administrent une potion soporifique pour l'empcher de se rendre au palais ou le prince doit choisir une pouse. Elles rencontrent successivement une poire, une pomme et une prune geles dont elles, n'ont pas compassion. Cendrillon, venant ensuite, rchauffe les fruits dans son sein. Ils lui font cadeau d'habits magnifiques qui la transforment. Cette version a ceci de particulier que, pour qu'on ne reconnaisse pas Cendrillon avant l'preuve, quand on essaye le soulier, les jeunes filles sont assises derrire un rideau et avancent le pied tour tour. La Fille velue de peaux de souris, conte danois en anglais par de Molbech, traduit galement Thorpe) nous oflrc un tout autre arrangement de Cendrillon. Le pre de l'hrone la cache sept ans dans une montagne pour la soustraire aux fureurs de la guerre. ;. Elle a sans le secours d'aucune fe des robes d'argent, d'or de diamants; plus un manteau confectionn avec les peaux des souris qu'elle a manges. Ses provisions puises, elle va offrir ses services au manoir voisin, ou on lui fait balayer la cour. Le fils du chtelain est sur le point de se marier;

Cendrillon.

*7$

sa fiance, qui a d'autres engagements, ordonne la nouvelle venue de la remplacer. Le prince met une bague au doigt de celle-ci qui, aprs la crmonie, reprend son manteau de. peaux de souris. Force de montrer la bague, la fiance commande sa remplaante de passer sa main parla porte cntre-billc. Le prince attire lui la jeune fille; on lui fait raconter son histoire; on la reconnat, etc. Cette transformation du conte en une sorte de nouvelle est due sans doute la fantaisie d'un conteur qui trouvait trop unie l'histoire de Cendrillon. Un rcit norvgien du recueil d'Asbjrnsen et Mod, traduit en anglais par Dasent, KalleWoodencloak, Catherine au manteau de bois, runit, en les combinant avec plus d'habilet, tous les lments pars dans ceux qui prcdent. La fe est un superbe taureau brun qui dit Ca* therine d'tendre Une napp derrire son oreille gauche : elle y trouvera tous les plats dont elle aura besoin. La martre ordonne de le tuer; il emporte la jeune fille et on travers les grands bois de cuivre; d'argent et d'or. Malgr la dfense du taureau, Catherine casse chaque fois une feuille, mais ce n'est pas sa faute; le fourr devenant toujours de plus en plus pais. Le malheureux taureau lutte alors des semai ns en* tires contre des Trolls trois, six et neuf ttes. Il donne ensuite Catherine un manteau fait de

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Les Contes de ma Mre l'Oye.

lattes, qui rappelle, avec moins d'invraisemblance, la figure de bols creuse de Maria Wodd, Marie de bois, la Peau d'ne de Busk. Il lui enjoint enfin de lui couper la tte, de l'corcher, de mettre sa peau sous Un roc et, pour utiliser les feuillesque,commcl'ours sudois, il a fait garder par la jeune fille, il lui recommande de les mettre sous sa peau. L'espce d'incantation que l'hrone rcite afin d'chapper au prince a un caractre plus potique que dans les autres contes : Clart devant, tnbres derrire I Que les nuages viennent en roulant sur' le vent ; que le prince ne voie jamais ou me conduit mon beau coursier I Le reste,comme dans Marie de bois, la Princesse sauf qu'outre son peau de chat et Zendrarola, soulier d'or, Catherine perd aussi un de ses gants. reFermons cette rapide et trs-incomplte vue par la Fille aux roses des Contes saxons d'Haltrich, qui change les rles de Cendrillon, comme Caillou qui biques/ des Contes du roi Cambrinus, change ceux de Peau d'Ane. La fille aux roses est garde par un dragon dans un ch' teau.-" Une abeille y conduit le hros, qu'on y emploie patre les oies. Au moyen d'une sonnette que lui donne sa mre, il se procure un cheval et un manteau qui sont tour tour de bronze, d'argent et

Cendrillon.

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d'or. Il va au bal, fait la conqute de la fille aux roses, et disparat chaque fois avant la fin. Pour le reconnatre, celle-ci lui met de la poix dans les cheveux, etc., etc. Parmi les contes que nous venons d'analyser, ceux que Thorpe et Dascnt ont traduits du danois du sudois et du norvgien, comme d'ailleurs ceux de Busk et de Kennedy, ont l'norme dfaut d'tre longs et filandreux au possible. Durant des pages entires ils rptent satit les mmes effets dans les mmes termes. Ce sont, proprement parler, des contes dormir debout. Ces dfauts sont voulus. Les auteurs de ces recueils se sont proccups uniquement del fidlit ; ils n'ont eu qu'un seul but : fournir des documents la linguistique et l'ethnographie. Ils se sont figur qu'en reproduisant la lettre les rcits des conteurs populaires, ils arriveraient une plus grande exactitude. En quoi ils se sont tromps. Le papier, a dit un homme d'esprit, est bte de sa nature.il ne rend ni lesinflexionsdela voix, ni le geste, ni la physionomie du conteur. Pour suppler tous ces moyens d'action et ranimer le conte qui se fige sous la plume, il faut la navet, la grce, la prestesse, tous les dons charmants qu'on admire dans Perrault.. 11 en rsulte donc qu'actuellement la plupart des collecteurs de contes sont aussi infidles qu'en16

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Les Contes de ma Mre i'Oye,

nuyeux, Ajoutez que certains d'entre eux ne savent mme pas s'astreindre reproduire le texte, et ils y mettent du leur. qu'involontairement On assure que le recueil sign Busk part de la main d'une femme, et nous sommes tout dispos le croire. Quelques-uns de ses contes, notamment Maria Wood, semblent tre, pour le style, une mauvaise imitation des mdiocres rcits de MM*" d'Aulnoy et Leprince de Beaumont. Les frres Grimm se piquaient aussi de sincrit, mais avec combien plus d'intelligence I Eux, du moins, choisissaient, dans les diverses versions, de quoi montrer le conte en tout son jour. Comme Ta fort bien dit leur traducteur Baudry, ils mettaient les choses sur leurs pieds. Us avaient trouv la vraie mesure pour le but remplir. En recueillant indiffremment toutes les variantes, quelque niaises qu'elles paraissent d'ailleurs, leurs imitateurs se sont donn un rle la fois plus prtentieux^ plus commode. Si, grce eux, la science des mythes solaires parvient jamais se constituer, on pourra peuttre leur pardonner! sinon, ce sera le cas ou jamais de maudire les pdants qui, pour raliser leurs . chimres, auront chang les perles en vipres et les roses en crapauds. J'adresserai un autre reproche MM. Pitre et Maspons y Labros. Les frres Grimm ayant quel-

Cendrillon,

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quefois pouss le scrupule jusqu' narrer leurs contes en patois, ceux-ci publient des recueils entiers en sicilien et en catalan.' faon de servir la science que d four Singulire nir des documents dans des dialectes que les savants ignorent I Drle de procd pour faire connatre les contes que de les mettre sous le boisseau d'un idiome provincial I Je ne saurais m'empcher, je l'avoue, de regretter le temps que j'ai perdu dchiffrer, sans dictionnaire, le patois de M. Pitre et celui de M. Maspons y Labros avec le dictionnaire Catalan*Caste!lano d'elfray Magin Ferrer, qui ne m'expliquait pas la moiti des termes. Que ces messieurs impriment leurs contes dans des jangues ignores, si cela les amuse, mais que, du moins, ils (placent ct la traduction dans la langue courante, ainsi que M. Blad l'a fait avec raison pour ses rcits agenals. Quand, au sortir des contes que nous venons d'analyser, on aborde YAschenputtel des frres Grimm, on prouve une vritable sensation de bientre. Non-seulement la forme est tout autre, mais le fond se dbarrasse des monstrueux produits d'une imagination drgle. Plus de mres manges par leurs enfants, plus de statues creuses ni de manteaux de bois, plus de Trolls neuf ttes, plus de forts de cuivre, plus de

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Les Contes de ma Mre l'Oye,

taureaux, d'ours et de pouliches qu'il faut corcher pour leur tre agrable, et pourtant la Cendrillon allemande est encore bien invraisemblable. Le petit oiseau qui jette l'hrone une robe d'or et d'argent, le pigeonnier et l'arbre ou elle se cache paraissent des inventions fort primitives. L'incident du pied coup est atroce 1 et le prince qui ne s'en aperoit pas est par trop aveugle. Rien de moins admissible enfin que le dtail des deux pigeons qui, perchs sur les paules de Cendrillon, crvent les yeux de ses soeurs, sous le portail de l'glise, l'entre et la sortie du cortge nuptial. et une foule Comme la Gatta Cennerentola d'autres contes, Aschenputtel dbute par l'pisode d'une branche de noisetier que la jeune fille prie Elle la plante sur la son pre do lui rapporter. tombe de sa mre. Ce dernier dtail, qui parat d'une sentimentalit tout allemande, se retrouve dans un conte du Deccan intitul Punchkln. Non-seulement un arbre aux fruits dlicieux croit sur la tombe maternelle, mais quand la martre l'a fait abattre, il est remplac par un petit rservoir plein d'une crme exquise. A ces traits M. Gaston Paris reconnat (Revue critique d'histoire et de littrature t n* 27,4 juil1. Il te retrouve, ainsi que les colombes dnonciatrices, dans la Cendrillon russe, Cernushka, la petite sale (contexxx dulIVreVId'Afanaiieff).

Cendrillon,

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lct 1868) une des formes les plus anciennes do l'histoire de Cendrillon. Je suis fch que Pminent philologue ne donne pas ses raisons, car le rservoir de crme m'a bien l'air d'une imitation moderne des ruisseaux de lait et de miel de l'ge d'or. A ce propos, nos lecteurs ont pu s'apercevoir que nous n'avons pas adopt dans cette tude le systme de M. Gaston Paris, d'aprs lequel les contes actuels ne seraient que des preuves demi effaces d'originaux beaucoup plus parfaits. En admettant que certaines lgendes aient t d'abord des mythes solaires, nous ne voyons point pourquoi l'esprit humain n'aurait pas suivi en gnral dans ce genre de littrature la loi du perfectionnement qu'il a suivie si manifestement dans d'autres, et notamment dans la fable, qui confine au conte 1. Ainsi que l'a fort bien dit M. Baudry dans la Pr/ace des Contes choisis des frres Grimm, < la tradition a agi comme un crible, se dlivrant de ce t. Il est juste de reconnatre que M. Gaston Paris, le savant qui possde le mieux en France cette nouvelle science, pour laquelle il propose le nom de mythographte compare, est aussi celui qui tient le plus ce qu'on y procdeavec prudence. N'est-ce pas lui qui, propos de la Chane traditionnelle de M. H. Husson, a crit dans la Revue critique (4 juillet 1874): Dans les conditions o se trouve la science aujourd'hui, il y aurait, pour les hommes qui ont le plus longuement tudi la question, une vritable tmrit rattacher un conte la mythologie primitive. 16.

iHs

tes Contes de ma Mre l'Oye.

qui taft insignifiant, et conservant seulement co qui la frappait, coqui veillait un titre quelconque l'attention de ces auditoires, dont le got n'est pas bien pur, il est vrai, mais aussi qui n'ont pas de complaisance. Elle a fait pluscncoie : elle a corrig, poli, perfectionn ce qui tait bon, jusqu' ce qu'elle l'ait fait parvenir un tat aussi prcis et aussi formul que possible. . Grimm constate que Cendrillon est cite dans un pome allemand du xvi* sicle, Frosch Mal\seler% par Rollenhagen. Inutile d'ajouter que la lgende remonte beaucoup plus haut. La version italienne doit tre aussi fort ancienne,, car elle dbute par un crime qui rvle une poquebarbare ou la notion du bien et du mal n'tait pas nettement tablie. Cendrillon casse le cou de sa bellc-mrc avec le couvercle d'un coffre. Ce dtail n'est pas purement italien. Il se rencontredans le Genvrier des frres Grimm et on le retrouve chez Grgoire de Tours, l'Hrodote mrovingien, qui vivait au vi* sicle. Frdgonde dit un jour sa fille Rigonthe : Pourquoi me tourmenter? Voil les biens de ton pre, prends-les et fais-en ce que tu voudras, Puis, l'emmenant dans la chambre ou elle renfermait ses trsors! elle ouvrit un coffre rempli d'objets prcieux. Aprs en avoir tir un grand nombre de. bijoux qu'elle donnait sa fille : Je suis fatigue

Cendrillon.

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dit-elle, metstoi-mme les mains dans le coffre et prends-y ce que tu trouveras. Rigonthese pencha pour atteindre les objets placs au fond du coffre; aussitt Prdgonde baissa le couvercle sur la tte de sa fille et pesa dessus avec tant de force, que bientt celle-ci eut le cou press au point que les yeux lui sortaient presque de la tte. Une des servantes se mit crier : Au secours I ma mat tresse est trangle par sa mrel On accourut et Rigonthc fut dlivre. C'est ainsi que les contes s'infiltraient dans les chroniques, de mme que, nous l'avons vu, ils pntraient dans les lgendes des saints. Il ne serait d'ailleurs pas impossible que ce ft Frdgondc et non son chroniqueur qui aurait imit la Galta Cenncrentola. Peut-tre enfin n'y a-t-il l qu'une simple rencontre. Le dtail de l'institutrice qui, quelques jours aprs le mariage, sort ses six filles que jusqu'alors clic avait caches, est plus comique que vraisemblable. Nous rencontrons celui du dattier dans les deux lauriers des I)ou\e princesses dansantes (Contes du roi Cambrinus). De tous les oiseaux chanteurs d'Aschenputtel, il ne reste que la colombe qui conseille l'hrone de recourir au besoin la fe de l'Ile de Sardaignc. Les preuves, le pigeonnier et l'arbre ou la fugitive se drobe aux yeux du prince, ont disparu ainsi que

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/m Contes de ma Mre l'Oye.

le talon coup : le conte se simplifie et devient plus facile croire. Il se simplifie bien davantage encore dans la version franaise. Plus d'arbrisseau-fe, plus d'oiseau ; la marraine suffit tout avec sa baguette. Ne vous figurez pas pourtant que Perrault ait invent l'incident de la citrouille change en carrosse, des souris en chevaux, etc. Cet Incident doit avoir t fourni par la nourrice, car je le retrouve dans un conte des frres Grimm, les Trois Plumes. Je no serais pas fch, dit le simplet, d'avoir la plus belle femme. Ventre de chat I rpondit le crapaud gant, la plus belle femme, eh bien I tu l'auras. Cela dit, le monstrueux animal lui donna une betterave creuse attele de six souris blanches. A cette vue, le simplet d'un air tout tristo : Que voulez-vous que je fasse de cela? demanda-t-fl. Le crapaud gant rpondit : Prends l'un de mes- petits crapauds et placele dans cette petite voiture, En consquence, il prit au hasard un des petits crapauds et le plaa dans la betterave, mais peine la petite bt y tait-elle dpose qu'elle se changea en une jeune fille d'une beaut merveilleuse, la betterave en une voiture magnifique et les six souris en six chevaux d'une blancheur de neige. Aus-

Cendrillon,

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sitt le simplet monta dans la voiture, embrassa la belle jeuno fille et la mena en toute hte au roi. Ce qui est bien Perrault, c'est l'ingniosit dans le dtail, que Sainte-Beuve a si finement fait remarquer. Perrault a de ces menus dtails qui rendent tout d'un coup vraisemblable une chose impossible. Ainsi, les souris qui sont changes en chevaux dans Cendrillon, gardent leur robe, sous; leur forme nouvelle, un beau gris de souris pommel. Le cocher, qui tait prcdemment un gros rat, garde sa moustache, une des plus belles moustaches qu'on ait jamais vues. Il y a des restes de bon . . sens tout cela. L'minent critique oublie les lzards qui paressent derrire l'arrosoir et qui, devenus laquais, changent de forme sans changer d'habitudes. Mickiewicz a trouv, nous l'avons dit, que Perrault avait trop rationalis le conte. Telle peut tre la manire de voir d'un Slave, mais, pour nous Franais, en bornant la fantaisie par une lisire de raison, et surtout en traant l'heureux caractre de a atteint la l'hrone, Perrault, dans Cendrillon, perfection du genre. Toutes les Cendrillons trangres se sauvent du bal de leur propre mouvement. Ce sont des coquettes qui, comme la Galathe de Virgile, veulent faire courir l'amoureux. Seule, la Cendrillon franaise

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Les Contes de ma Mre l'Oye,

quitte le bal avant minuit parce quo tel est l'ordre de la fe, et aussi pour garder son prestige. C'est de l'obissance et do l'amour, non do la coquetterio. Les autres Ccndrillons perdent leur pantoufle par un effet matriel qui est bien dans lo gnie populaire. La ntre la perd par un effet moral : lo plaisir d'couter lo beau prince qui lui fait oublier l'heure. Cednomcnt tout fminin appartient videmment Perrault, qui, do plus, a soin d'envoyer un gentilhomme essayer la pantoufle. Le prince aurait reconnu sa danseuse au premier coup d'oeil et l'preuve et t inutile. Sentimentale au dbut, l'Aschenputtel laisse la fin crever les yeux do ses soeurs par les pigeons qui ne sont sur ses paules. La Gatta Ccnnercntola s'occupe pas d'elles, quand elles s'esquivent pour chapper au spectacle de son bonheur. Cendrillon les fait loger au palais et les marie ds le jour mme deux grands seigneurs de la cour. Douce et bonne au dbut, elle reste jusqu' la fin douce et bonne.

Cendrillon.

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CE&cnwiiotK ASCIIENI'UTTKL OU ASCIIENBKUWKI. Contesdes Enfants et du Foyer, des frres Grimm, n* ai. Il y avait une fois un homme fort riche dont la femme tomba malade. Se sentant prs de sa fin, elle fit venir son chevet sa fille unique, qui tait encore toute petite. Ma chreenfant, lui dit-elle, sois toujours bonne et pieuse, et le bon Dieu t'aidera. Quant moi, je regarderai de l-haut et toujours je scrai'auprs de toi. elle Aprs quoi, ayant clos ses paupires, mourut, Chaque jour la jeune fille allait pleurer sur la tombe de sa mre, et ainsi elle resta bonne et pieuse. Le cimetire tait cach sous la neige comme sous un suaire et, quand il en fut dgag par le soleil, le pre prit une autre femme. Celle-ci amena dans la maison deux filles blanches et belles de figure, mais noires et laides de coeur. Ds lors, pour la pauvre enfant commena une vie. bien dure. Qu'est-ce que cette crature fait dans notre chambre ? disaient-elles. Qui veut manger doit

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Les Contes de ma Mre tOye,

gagner son pain ; la place do la servante est la cuisine, Elles lui enlevrent ses beaux habits, la vtirent d'un vieux casaquin de toile grise et, aprs l'avoir bien raille, la menrent la cuisine ou elle fut force do faire les plus gros ouvrages, de so lever avant l'aube, de puiser de l'eau, d'allumer lo feu, d'apprter les repas et la lessive. Ses soeurs, par-dessus le march, lui faisaient toutes les niches possibles; elles se moquaient d'elle et lui rpandaient ses pois dans les cendres, pour qu'elle les ramasst. Lo .soir, lorsqu'elle tait lasse do travailler, elle n'avait pas de lit pour dormir et elle devait se coucher dans les cendres du foyer. Elle paraissait donc toujours sale et poudreuse, et c'est pourquoi on la surnomma Cendrillon, Il arriva qu'un jour son pre, allant la foire, demanda ses deux belles-filles ce qu'elles voulaient qu'il leur rapportt. De belles robes, dit l'atnc. Des perles et des diamants, dit la cadette. Et toi, Cendrillon, que veux-tu ? Que vous me coupiez la premire branche qui, i\ votre retour, touchera votre chapeau. Il fit donc emplette pour les deux soeurs de superbes robes, de perles et de pierres prcieuses/puis, en revenant, comme il traversait un bols, son cha-

Cendrillon,

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peau fut hurt |>ar une branche do coudrier qui le jeta terre; il cassa la branche et l'emporta. Do retour au logis, il donna ses belles-filles les objets qu'elles avalent dsirs, et Cendrillon la branche do coudrier. Aprs l'avoir remerci, celle-ci s'en fut la tombe do sa mre, planta la branche et l'arrosa do ses larmes. La branche crt bientt et devint un arbre superbe. Trois fols par jour Cendrillon allait prier et pleurer sous son ombre, et chaque fois voletait un petit oiseau qui lui jetait tout ce qu'elle demandait. Or, il advint que le roi fit prparer une grande fte qui devait durer trois jours. Il y convia toutes les jolies filles du pays, afin que son fils pt faire choix d'une pouse. En apprenant qu'elles taient de ce nombre, les deux soeurs ne se sentirent pas de joie ; elles appelrent Cendrillon et lui dirent : Arrange bien nos cheveux, cire nos souliers et attache nos boucles : nous allons la fte que le roi donne au chteau. Cendrillon obit, mais en pleurant; elle aurait bien voulu aller au bal, et elle supplia sa bellemre de lui en donner la permission. Comment, toi, si sale et si poudreuse, toi, dit la martre, tu veux aller au bat et Cendrillon, tu n'as pas mme une robe I Tu veux danser et tu n'as seulement pas de souliers I 7

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Comme la jeune fille ne cessait do la prier, elle lui dit: J'ai laiss choir un plat de lentilles dans les cendres: si dans deux heures tu les as ramasses,tu pourras sortir. Cendrillon s'en alla au jardin et dit : * Gentils pigeons, tourterelles, et vous tous, oiselets qui volez par les