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MUSIQUE Le blues du désert p. 42 www.courrierinternational.com N° 694 du 19 au 25 février 2004 - 3 Afrique Pourquoi gonfler les chiffres du sida ? p. 45 3:HIKNLI=XUXUU[:?a@q@j@o@a; M 03183 - 694 - F: 3,00 E ITALIE Appauvris par l’euro p. 13 ISRAËL Sharon à la manœuvre p. 27 NUCLÉAIRE AFRIQUE CFA : 2 200 FCFA - ALLEMAGNE : 3,20 AUTRICHE : 3,20 - BELGIQUE : 3,20 - CANADA : 5,50 $CAN DOM : 3,80 - ESPAGNE : 3,20 - E-U : 4,25 $US - G-B : 2,50 £ GRÈCE : 3,20 - IRLANDE : 3,20 - ITALIE : 3,20 JAPON : 700 Y - LUXEMBOURG : 3,20 - MAROC : 25 DH PORTUGAL CONT. : 3,20 - SUISSE : 5,80 FS - TUNISIE : 2,600 DTU Elle court, elle court, la bombe Pakistan, Corée du Nord, Iran, Israël, Russie, etc.

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MUSIQUE Le blues du désert p. 42

www.courrierinternational.com N° 694 du 19 au 25 février 2004 - 3 €

Afrique Pourquoi gonfler les chiffres du sida ? p. 45

3:HIKNLI=XUXUU[:?a@q@j@o@a;M 03183 - 694 - F: 3,00 E

ITALIE Appauvris par l’euro p. 13

ISRAËL Sharon à la manœuvre p. 27

NUCLÉAIRE

AFRIQUE CFA : 2 200 FCFA - ALLEMAGNE : 3,20 €AUTRICHE : 3,20 € - BELGIQUE : 3,20 € - CANADA : 5,50 $CAN DOM : 3,80 € - ESPAGNE : 3,20 € - E-U : 4,25 $US - G-B : 2,50 £ GRÈCE : 3,20 € - IRLANDE : 3,20 € - ITALIE : 3,20 €JAPON : 700 Y - LUXEMBOURG : 3,20 € - MAROC : 25 DH PORTUGAL CONT. : 3,20 € - SUISSE : 5,80 FS - TUNISIE : 2,600 DTU

Elle court, elle court, la bombe

Pakistan,Corée du Nord,Iran, Israël, Russie, etc.

La Une 694 OK Def 17/02/04 16:41 Page 12

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Publicite 20/03/07 16:05 Page 56

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SYRIE Fini le temps des pétitions ÉGYPTE Rien ne va plus aupays du Nil

30 ■ afrique A L G É R I E A Alger, la chasse au livresubversif est ouverte GAMBIE Le président Jammeh, prophètede l’or noir TUNISIE Une incursion chez les “Kurdes” de TunisT U N I S I E Les Aigles de Carthage transmettent le virus duballon rond

E N Q U Ê T E S E T R E P O R T A G E S

32 ■ en couverture Nucléaire : elle court,elle court, la bombe En Iran, en Libye, en Coréedu Nord, en Israël... Les programmes nucléaires plusou moins clandestins ne manquent pas sur la planète.Comment limiter les dangers de la prolifération ? Leproblème semble aujourd’hui insoluble.

40 ■ enquête Les talibans du Mont-AthosLa république monastique du Mont-Athos, dans lenord de la Grèce, est marquée depuis trente ans parune guerre feutrée entre le monastère d’Esphigmenouet les dix-neuf autres. Mot d’ordre des moinesassiégés : “L’orthodoxie ou la mort !”

42 ■ culture Mélodies dans les dunes Levillage d’Essakane, dans le nord-est du Mali, accueilledésormais chaque année le Festival au désert, où desdizaines d’artistes africains et européens viennent seproduire devant un public local enthousiaste.

45 ■ débat Et si le sida ne tuait pas tant queça ? L’écrivain sud-africain Rian Malan relativisel’ampleur de l’épidémie en Afrique. Pour cet icono-claste, il s’agit surtout de dénoncer une surmé-diatisation qui masque les autres maux dont souffrele continent.

I N T E L L I G E N C E S

48 ■ économie ALTERNATIVE Une entreprise socialedans le désert égyptien M O N N A I E Les Russes font à nou-veau confiance au rouble CONTRATS Les firmes allemandesveulent leur part du gâteau irakien F I N A N C E Le mystérieuxlangage des banques centrales ■ la vie en boîte Mieuxque les robots, les ouvriers

52 ■ multimédia M É D I A La presse américainemet les petits plats dans les grands M A G A Z I N E S L’appétitvient en lisant

53 ■ sciences P S Y C H O L O G I E La conquête de Marsréservée aux femmes ?

54 ■ écologie P O L L U T I O N L’Inde, poubelle dumonde développé

D ’ U N C O N T I N E N T À L ’ A U T R E

8 ■ france P O L I T I Q U E Sarkozy, le nouveau visagede la droite R É G I O N A L E S Besancenot, facteur clé des élec-tions à venir S C I E N C E S Pourquoi Ford doit sa réussité àla France C U LT U R E Astérix pourra-t-il résister aux mangas ?

12 ■ europe C H Y P R E Le coup de poker de RaufDenktas PORTRAITS Qui se ressemble finit par s’assemblerSERBIE Le feuilleton électoral touche à sa fin I TAL IE Fins demois difficiles pour la classe moyenne ■ vivre à 25 UNIONEUROPÉENNE La Turquie, un “partenaire privilégié” ANALYSE Legouvernement Schröder met l’Europe en danger ALLEMAGNEBerlin, décor de rêve pour films hollywoodiens ESPAGNE Quandles cinéastes entrent en politique RUSSIE Les skinheads ontles coudées franches M O S C O U Après les terroristes, lesconstructeurs marrons !

18 ■ amériques ÉTATS-UNIS La grève sans fin desemployés de supermarché É TAT S-U N I S Le mot “Vietnam”dont Kerry use et abuse H A Ï T I Les rebelles veulent fairela révolution ANALYSE Les Etats-Unis soutiennent-ils encorela démocratie ? P É R O U Le président Toledo en pleinetourmente politique A R G E N T I N E Une école pour mémoire

22 ■ asie I N D O N É S I E Les indépendantistes de l’Atjehen dif ficulté S R I L A N K A Les ravages de l’intolérancebouddhiste B I L A N Les Tigres, seuls gagnants de la criseC H I N E Comment répondre à la pénurie d’énergie D I P L O M AT I ELe président Hu Jintao fait ses emplettes pétrolières JAPONEtre ferme face à l’ambition territoriale chinoise ■ le motde la semaine “shikai”, les quatre mers

27 ■ moyen-orient I S R A Ë L On ne parle plus nidu mur ni des affaires de corruption C O M M E N TA I R E S Quandla presse israélienne évoque le plan Sharon M O N D E A R A B ECe que le président Bush devrait suggérer aux Arabes

R U B R I Q U E S

4 ■ les sources de cette semaine5 ■ l’éditorial Pauvres chez les riches,

par Sophie Gherardi

5 ■ l’invité Abdel-Rahman al-Rashed,Asharq al-Awsat, Londres

6 ■ à l’affiche55 ■ tendance56 ■ voyage Jours tranquilles au bord du Pacifique

58 ■ le livre Deux récits de Risa Wataya et de Hitomi Kanehara

58 ■ épices et saveurs Espagne : la plus catalane des sauces

59 ■ insolites

Romans d’ados au Japon p. 58

Haïti dans la tourmente p. 19

en couverture●

NUCLÉAIREElle court, elle court, la bombeLes aveux du savant pakistanais Abdul Qadeer Khan sur letrafic nucléaire qu’il a organisé au profit de l’Iran, de la Libyeet sans doute de la Corée du Nord ravivent les inquiétudesqu’inspire une réalité inquiétante : le retour en force del’arme atomique dans les doctrines militaires. Des pro-grammes clandestins en cours dans plusieurs pays au dévelop-pement de minibombes par les grandes puissances nucléaires,la prolifération semble de plus en plus difficile à contrôler. Etfait craindre un déséquilibre de la terreur. pp. 32 à 38

� Dessin de Kopelnitsky, Etats-Unis.

sommaire ●

Sur RFI Retrouvez l’émission Retour sur info, animée par HervéGuillemot. Cette semaine : la prolifération nucléaire, notre dossier deune, avec Ingrid Therwath, de CI, et Alain Renon, du bureau Asie de larédaction de RFI. Cette émission sera diffusée sur 89 FM le dimanche22 février à 14 h 10 puis disponible sur <www.rfi.fr>.

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■ et toujoursLa revue de pressequotidienne,

les dossiersd’actualité,le kiosque en ligne,les repères pays,la galerie des meilleurs dessinsde presse, etc.

■ multimédiaHewlett Packard sepaie l’art numériquePour s’attirer les grâces de la “génération iMac”,le deuxième fabricantmondial de micro-ordinateurs s’est lancé dansle mécénat, afin de devenirun relais incontournable de l’art contemporain.Par Jean-Christophe Pascal

■ un pays à la uneLa tentation de la “maritocratie”Au Mexique, MartaSahagún, l’épouse du président Vicente Fox,a annoncé sa possiblecandidature à la successionde son mari, en 2006,et s’est attirée les foudres de tout le pays.Par Marc Fernandez

■ femmesd’ailleursLanceuse de bière, un métier à risqueAu Cambodge, lemarketing des producteursde bière est assuré par des femmes, qui vendentdirectement aux clients des restaurants la marquequ’elles représentent.Par Anne Collet

COURRIER INTERNATIONAL N° 694 3 DU 19 AU 25 FÉVRIER 2004

<http://www.courrierinternational.com>

694p03 17/02/04 18:31 Page 3

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AL AHRAM 600 000 ex.,Egypte, quotidien. Plusque centenaire,“Les Pyramides” est le quotidien qui

représente le point de vue officieux durégime égyptien. Al Ahram publie aussiune revue de réflexion de bon niveau.

AMERICAN JOURNALISM REVIEW 25 000 ex., Etats-Unis, mensuel. Fondée en 1987, sous le titreWashington Journalism Review, elle propose à la fois une analyse de la production jour-nalistique et une critique des articles les plusforts parus dans les médias américains.

HA’ARETZ 80 000 ex., Israël, quotidien. Premierjournal publié en hébreu sous le mandat britannique, en 1919. “Le pays” est le journalde référence chez les politiques et les intellec-tuels israéliens.

ASAHI SHIMBUN 8 230 000 ex. (éditions du ma-tin) et 4 400 000 ex. (éditions du soir), Japon,quotidien. Fondé en 1879, chantre du pacifis-me nippon depuis la Seconde Guerre mon-diale, le “Journal du Soleil-Levant” est unevéritable institution.Trois mille journalistes,répartis dans trois cents bureaux nationaux et trente à l’étranger.

ASHARQ AL-AWSAT 200 000 ex., Arabie Saoudite,quotidien. “Le Moyen-Orient” se présentelui-même comme le “quotidien internationaldes Arabes”. Edité par Saudi Research andMarketing Ltd., il est distribué aussi bien au Moyen-Orient que dans le Maghreb.

THE CHRISTIAN SCIENCE MONITOR 125 000 ex.,Etats-Unis, quotidien. Publié à Boston, cetélégant tabloïd est réputé pour sa couverturedes affaires internationales et le sérieux de ses informations nationales.

CORRIERE DELLA SERA 715 000 ex., Italie, quoti-dien. Fondé en 1876, sérieux et sobre, le titrea su traverser les vicissitudes politiques engardant une certaine indépendance, mais sansse démarquer d’une ligne modérément pro-gouvernementale.

DAGENS NYHETER 361 000 ex., Suède, quotidien.Fondé en 1864, c’est le grand quotidien libé-ral du matin. Sa page 4 est célèbre pour véhi-culer les grands débats d’actualité. Appartientau groupe Bonnier.

THE DAILY TELEGRAPH 933 000 ex., Royaume-Uni, quotidien. Fondé en 1855, c’est le grandjournal conservateur de référence. Sa ma-quette est un peu poussiéreuse, son noms’étale en lettres gothiques, et il a un style très“vieille Angleterre”.

DANAS 35 000 ex., Serbie-et-Monténégro (Serbie), quotidien. “Aujourd’hui” a été fon-dé en 1997 en réaction à la mise au pas de lapresse par le régime de Slobodan Milosevic.C’est le quotidien indépendant de référence.

ELEFTHEROTYPIA 80 000 ex., Grèce, quotidien.Créé juste après la chute de la dictature mili-taire en 1974, avec pour devise “Le journaldes journalistes”, “Liberté de la presse”a toujours été marqué au centre gauche.

FINANCIAL TIMES 483 000 ex., Royaume-Uni,quotidien. Le journal de référence de la City.Et du reste du monde. Une couverture exhaustive de la politique internationale,de l’économie et du management.

FRANKFURTER ALLGEMEINE ZEITUNG 394 000 ex.,Allemagne, quotidien. Fondée en 1949,la FAZ, grand quotidien conservateur et libé-ral, est, avec son réseau de correspondantsparticulièrement dense, un outil de référencedans les milieux d’affaires allemands.

THE FRIDAY TIMES 60 000 ex., Pakistan, hebdo-madaire. Se définissant comme “audacieux,indépendant et sérieux”, le magazine a

souvent subi des pressions de la part des au-torités pakistanaises mais il continue à menerson combat pour la liberté d’expression.

HANKOOK ILBO 1 900 000 ex., Corée du Sud,quotidien. Fondé en 1954, “Le Quotidien de Corée du Sud”, est l’un des principauxjournaux du pays par le tirage. Il est appréciépour sa ligne éditoriale “neutre” en matièrede politique intérieure.

HIMAL 10 000 ex., Népal, mensuel. Se présentecomme le seul magazine d’information générale sur l’Asie du Sud. Disposant d’unréseau de correspondants dans la région, ellea su s’imposer par le sérieux de ses analyses et l’indépendance de ses points de vue.

HINDUSTAN TIMES 410 000 ex., Inde, quotidien.Né en 1924, c’est le grand rival du Times ofIndia, dont il a le grand format et le mêmeton sérieux. Aujourd’hui le quotidien anglo-phone le plus vendu à New Delhi.

THE INDEPENDENT ON SUNDAY 221 000 ex., Royau-me-Uni, journal du dimanche. Créé en 1990,ce journal est la version dominicale du grandquotidien The Independent.

THE INDIAN EXPRESS 550 000 ex., Inde, quoti-dien. S’autoproclamant “India’s only nationalnewspaper”, l’Indian Express est le grand rivaldu Times of India. Il est connu pour son toncombatif et son “journalisme du courage”,ainsi que pour ses enquêtes sur des scandalespolitico-financiers.

IZVESTIA 430 000 ex., Russie, quotidien. L’undes quotidiens russes de référence, qui traitetous les domaines de l’actualité, les articlesétant souvent accompagnés de bons dessinshumoristiques.

JOURNAL DU JEUDI10 000 ex., Burkina Faso,hebdomadaire. Sans doute l’un des meilleursparmi les journaux satiriques qui fleurissent depuis 1990 en Afriquefrancophone. Ses dessinsn’épargnent personne

et ses textes font souvent rire jaune….

LE MATIN 60 000 ex., Algérie, quotidien. Privilé-gie l’information, même si ses analyses sontmarquées de la “ligne éradicatrice” qui s’oppose depuis les années 80 aux islamistes.

THE MIAMI HERALD 441 000 ex., Etats-Unis,quotidien. Ce journal accorde une place par-ticulière à l’actualité des Caraïbes et del’Amérique latine toute proche.

EL MUNDO 312 400 ex., Espagne, quotidien.“Le Monde”, lancé en 1989, a toujours re-vendiqué le modèle du journalisme d’investi-gation à l’américaine bien qu’il ait tendance à privilégier le sensationnalisme.

AN NAHAR 55 000 ex., Liban, quotidien.“Le Jour” a été fondé en 1933. Au fil des ans,il est devenu le quotidien libanais de référen-ce. Modéré et libéral, il est lu par l’intelligent-sia libanaise.

NATIONAL POST 273 000 ex., Canada, quotidien.Créé en octobre 1998 par le magnat de lapresse Conrad Black, un journal national dequalité, et de droite, qui s’est très vite imposécomme le troisième quotidien du pays.

THE NEWS 120 000 ex., Pakistan, quotidien.Le titre, fondé en 1991, se definit commeprogressiste dans ses prises de position politiques.

THE NEW YORK TIMES 1 160 000 ex. (1 700 000le dimanche), Etats-Unis, quotidien. Avec1 000 journalistes, 29 bureaux à l’étranger et plus de 80 prix Pulitzer, le New York Timesest de loin le premier quotidien du pays.

NEZAVISSIMAÏA GAZETA 42 000 ex., Russie, quoti-dien. “Le Journal indépendant” a vu le jour fin1990. Démocrate sans être libéral, il fut unetribune critique de centre gauche. En 2001, ila changé de rédacteur en chef. Moins austère,plus accessible, il est aussi moins virulent.

OUTLOOK 250 000 ex., Inde, hebdomadaire.Créé en octobre 1995, le titre est très vite devenu l’un des hebdos de langue anglaise les plus lus en Inde. Sa diffusion suit de prèscelle d’India Today, l’autre grand hebdo indien, dont il se démarque par ses positionsnettement libérales.

PÁGINA 12 75 000 ex.,Argentine, quotidien.Lancé en 1987,Página 12 est aujourd’huile quotidien indépendantde gauche le plus impor-tant de Buenos Aires.Percutant et bien informé.

EL PAÍS 434 000 ex. (777 000 ex. le dimanche), Espagne, quotidien. Né enmai 1976, six mois après la mort de Franco,“Le Pays” est le plus vendu des quotidiensd’information générale.

PANORAMA 600 000 ex., Italie, quotidien. Sousdes dehors plutôt sulfureux (on ne compteplus les filles nues en une), le titre cache de bonnes enquêtes. Il a été créé en 1962 sur le modèle de Time magazine par l’éditeur milanais Mondadori, lui-même contrôlé depuis 1990 par Silvio Berlusconi.

RADIKAL 65 000 ex.,Turquie, quotidien. Lancépar le groupe Milliyet en 1996. Certains l’appel-lent “Cumhuriyet light”,en référence au grandjournal kémaliste qu’il veut concurrencer.

LA REPUBBLICA 650 000 ex., Italie, quotidien.Née en 1976, La Repubblica se veut le quoti-dien de l’élite intellectuelle et financière dupays. Le titre est orienté à gauche, avec unesympathie affichée pour les Démocrates degauche (ex-Parti communiste), et fortementcritique vis-à-vis de Berlusconi.

ROUSSKI KOURIER 35 800 ex., Russie, quotidien.Fondé en 2003, “Le Courrier” russe est diri-gé par Igor Golembiovski, ancien rédacteuren chef du quotidien Novyé Izvestia.Ce quotidien libéral en couleur se caractérise par un ton très critique à l’égard du Kremlinet de la Russie en général. Sa rubrique “Le marasme russe” est à ce titre éloquent.

LE SOLEIL 25 000 ex., Sénégal, quotidien.Créé en 1970, ce poids lourd de la presse africaine (60 journalistes, des pointes à 50 000 exemplaires) doit aujourd’hui faireface à la concurrence de la presse libre.

SOUTH CHINA MORNING POST 114 000 ex., Chine(Hong Kong), quotidien. Ce journal en anglais, proche des milieux d’affaires de l’ex-colonie britannique, permet un bon suivide la Chine, en particulier en ce qui concernel’économie et la Chine du Sud.

THE SPECTATOR 61 000 ex., Royaume-Uni,hebdomadaire. “Le Spectateur” est une véritable institution de la presse britannique.Fondé en 1828, c’est le journal de référencedes intellectuels et dirigeants conservateurs.Résolument haut de gamme, il est réputépour ses analyses et son ton incisif.

DER SPIEGEL 1 000 000 ex., Allemagne, hebdo-madaire. Un grand, très grand magazined’enquêtes, supérieurement documenté et agressivement indépendant. Les grandes interviews sans complaisance font le reste.

LA STAMPA 400 000 ex., Italie, quotidien. Letitre est à la fois le principal journal de Turinet le principal quotidien du groupe Fiat, quicontrôle 100 % du capital à travers sa filialeItaliana Edizioni Spa.

SÜDDEUTSCHE ZEITUNG 400 000 ex., Allemagne,quotidien. Sur la Bavière, peu réputée pourson progressisme, règne pourtant “le jour-nal intellectuel du libéralisme de gauche allemand”.Tolérant, vigilant, éclairant,indépendant : l’autre grand quotidien de référence du pays.

DIE TAGESZEITUNG 60 000 ex., Allemagne, quoti-dien. L’“alternatif” de Berlin (proche desGrünen), né en 1979, est devenu la taz, quoti-dien de référence des écologistes, des paci-fistes, des féministes, des gauchistes… sérieux.

TEMPO 160 000 ex., Indonésie, hebdomadaire.Publié pour la première fois en avril 1971 parP.T. Grafitti Pers, dans l’intention d’offrir aupublic indonésien une nouvelle lecture de l’information, avec une liberté d’analyse et le respect des divergences d’opinion.

TRIBOUNA 124 600 ex., Russie, quotidien. “LaTribune” est l’héritier du solide quotidien so-viétique Sotsialistitcheskaïa Indoustria (“L’In-dustrie socialiste”), rebaptisé Rabotchaïa Tribouna (“Tribune ouvrière”), puis Tribounaen 1990, en prenant de l’indépendance vis-à-vis du Parti communiste.Toujours prochede la gauche, financé par Gazprom-Media,il offre un contenu de bonne qualité.

TUNEZINE <www.tunezine.com> Tunisie. Fondéen juillet 2001, ce magazine électronique,réalisé à Tunis, s’est donné pour mission de lutter contre la censure. Il donne la paroleà tous les courants de pensée, y compris le mouvement islamiste.

US NEWS & WORLD REPORT 2 300 000 ex., Etats-Unis, hebdomadaire.Troisième diffusionaprès Time et Newsweek, US News &WorldReport est le newsmagazine qui reflète le plusfidèlement la société de l’Amérique profonde.Ce qui ne l’empêche pas de couvrir avec sérieux les affaires internationales.

LA VANGUARDIA 199 000 ex., Espagne, quoti-dien. “L’Avant-Garde” a été fondée en 1881à Barcelone par la famille Godó, qui en esttoujours propriétaire. Ce journal au formatberlinois est le quatrième quotidien du pays,mais il est essentiellement lu en Catalogne,où il est le numéro un.

THE WEEK 200 000 ex., Inde, hebdomadaire.Fondé en 1982, le titre est apprécié pour sonchoix éditorial, souvent décalé par rapport à l’actualité immédiate et dominante.

DIE WELTWOCHE 107 000 ex., Suisse, hebdoma-daire. Créé au début des années 30, antifas-ciste à une époque où toute la Suisse nel’était pas, ce journal intellectuel et libéralreste une référence.

ZHONGGUO XINWEN ZHOUKAN Chine,hebdomadaire. Magazine d’informationsgénérales créé à Pékin le 1er janvier 2000.Papier glacé, photos couleurs, style direct,sujets variés, son éditeur l’agence Nouvelles de Chine fait des efforts évidentspour fournir un magazine “ouvert sur le monde, dans un esprit créatif et original”.

CETTE SEMAINE DANS COURRIER INTERNATIONAL

les sources●

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COURRIER INTERNATIONAL N° 694 4 DU 19 AU 25 FÉVRIER 2004

Edité par Courrier international SA, société anonyme avec directoire et conseil de surveillance au capital de 106 400 €

Actionnaire : Le Monde Publications internationales SA.Directoire : Philippe Thureau-Dangin, président,

directeur de la publication ; Chantal Fangier Conseil de surveillance : René Gabriel, président ; Edwy Plenel, vice-président ;

Stéphane Corre ; Eric Pialloux ; Sylvia ZappiDépôt légal : février 2004 - Commission paritaire n° 0707C82101

ISSN n° 1 154-516 X – Imprimé en France / Printed in France

Courrier international n° 694

RÉDACTION 64-68, rue du Dessous-des-Berges, 75647 Paris Cedex 13Téléphone 33 (0)1 46 46 16 00 Fax général 33 (0)1 46 46 16 01Fax rédaction 33 (0)1 46 46 16 02 Site web www.courrierinternational.com Courriel [email protected]

Directeur de la rédaction Philippe Thureau-Dangin

Assistante Dalila Bounekta (16 16) Rédacteurs en chef Sophie Gherardi (16 24), Bernard Kapp (16 98)Rédacteurs en chef adjoints Odile Conseil (16 27), Isabelle Lauze (édition,16 54)

Chef des informations Claude Leblanc (16 43) Rédacteur en chef Internet Marco Schütz (16 30) Rédactrice en chef technique Nathalie Pingaud (16 25) Directrice artistique Sophie-Anne Delhomme (16 31)

Europe de l’Ouest Anthony Bellanger (chef de service, Royaume-Uni, Portugal,16 59), Gian-Paolo Accardo (Italie, 16 08), Isabelle Lauze (Espagne, 16 54),Danièle Renon (chef de rubrique,Allemagne,Autriche, Suisse alémanique, 16 22),Léa de Chalvron (Finlande), Guy de Faramond (Suède), Philippe Jacqué (Irlande),Alexia Kefalas (Grèce, Chypre), Nathalie Pade (Danemark, Norvège), Cyrus Pâques(Belgique), Judith Sinnige (Pays-Bas) France Pascale Boyen (chef de rubrique,16 47), Eric Maurice (16 03) Europe de l’Est Miklos Matyassy (chef de service,Hongrie, 16 57), Laurence Habay (chef de rubrique, Russie, ex-URSS, 16 79),Ilda Mara (Albanie, Kosovo, 16 07), Iwona Ostapkowicz (Pologne, 16 74), PhilippeRandrianarimanana (Russie, ex-URSS, 16 36), Sophie Chergui (Etats baltes),Andrea Culcea (Roumanie, Moldavie), Kamélia Konaktchiéva (Bulgarie), LarissaKotelevets (Ukraine), Marko Kravos (Slovénie), Miro Miceski (Macédoine), ZbynekSebor (Tchéquie, Slovaquie), Sasa Sirovec (Serbie-et-Monténégro, Croatie, Bosnie-Herzégovine), Iouri Tkatchev (Russie) Amériques Jacques Froment (chef deservice, Etats-Unis, Canada, 16 32), Christine Lévêque (chef de rubrique,Amériquelatine), Eric Maurice (Etats-Unis, Canada, 16 03),Anne Proenza (Amérique latine,16 76), Martin Gauthier (Canada), Paul Jurgens (Brésil) Asie Hidenobu Suzuki(chef de service, Japon, 16 38),Agnès Gaudu (chef de rubrique, Chine, Singapour,Taïwan), Christine Chaumeau (Chine, Singapour, Taïwan, 16 39), Hongyu Idelson(Chine, Singapour, Taïwan, 16 39), Claude Leblanc (Japon, Asie de l’Est, 16 43),Ingrid Therwath (Asie du Sud, 16 51), Marion Girault-Rime (Australie, Pacifique),Elisabeth D. Inandiak (Indonésie), Jeong Eun-jin (Corées), Hemal Store-Shringla(Asie du Sud), Kazuhiko Yatabe (Japon) Moyen-Orient Marc Saghié (chef deservice, 16 69), Nur Dolay (Turquie, Caucase), Pascal Fenaux (Israël), GuissouJahangiri (Iran, Afghanistan, Asie centrale), Pierre Vanrie (Moyen-Orient) AfriquePierre Cherruau (chef de service, 16 29), Chawki Amari (Algérie), Anaïs Charles-Dominique (Afrique du Sud) Débat, livre Isabelle Lauze (16 54) EconomieCatherine André (chef de service) et Pascale Boyen (16 47) Multimédia ClaudeLeblanc (16 43) Ecologie, sciences, technologie Olivier Blond (chef de rubrique,16 80) Insolites, tendance Claire Maupas (chef de rubrique, 16 60) Epices& saveurs, Ils et elles ont dit Iwona Ostapkowicz (16 74)

Site Internet Marco Schütz (rédacteur en chef, 16 30), Eric Glover (chef de service,16 40),Anne Collet (documentaliste, 16 58), Philippe Randrianarimanana (16 68),Hoda Saliby (16 35), Pierrick Van-Thé (webmestre, 16 82)

Agence Courrier Sabine Grandadam (chef de service,16 97),Caroline Marcelin (16 62)

Traduction Raymond Clarinard (chef de service, anglais, allemand, roumain, 16 77),Nathalie Amargier (russe), Catherine Baron (anglais, espagnol), Isabelle Boudon(anglais, allemand), Ngoc-Dung Phan (anglais, vietnamien), Françoise Escande-Boggino (japonais, anglais), Marie-Françoise Monthiers (japonais), Mikage Nagahama(japonais), Marie-Christine Perraut-Poli (anglais, espagnol), Olivier Ragasol (anglais,espagnol), Danièle Renon (allemand), Mélanie Sinou (anglais, espagnol)

Révision Daniel Guerrier (chef de service, 16 42), Elisabeth Berthou, PhilippeCzerepak, Fabienne Gérard, Philippe Planche

Photographies, illustrations Pascal Philippe (chef de service, 16 41), Lise Higham,Lidwine Kervella (16 10), Cathy Rémy (16 21), assistés d’Agnès Mangin (16 91)

Maquette Marie Varéon (chef de service, 16 67), Catherine Doutey, NathalieLe Dréau, Gilles de Obaldia, Denis Scudeller Cartographie Thierry Gauthé(16 70), Daniel Guerrier Infographie Catherine Doutey (16 66), EmmanuelleAnquetil (colorisation) Calligraphie Michiyo Yamamoto

Informatique Denis Scudeller (16 84)

Documentation, service lecteurs Iwona Ostapkowicz 33 (0)1 46 46 16 74,du lundi au vendredi de 15 heures à 18 heures

Fabrication Jean-Marc Moreau (chef de fabrication, 16 49). Impression, brochage :Maury, 45191 Malesherbes. Routage : France-Routage, 77 183 Croissy Beaubourg

Ont participé à ce numéro Mallory Ahounou, Violaine Ballivy, Clément Baude,Edwige Benoit, Vincent Bloquel, Bérangère Cagnat, Alexandre Cheuret, FabienneCosta, Valéria Dias de Abreu, Arielle Estrada, Jean-Luc Favreau, Marc Fernández,Sandra Grangeray, Vincent Grateau, Ariane Langlois, Jennifer Lenfant, FrançoiseLiffran, Antoine Lixi, Hamdam Mostafavi, Jean-Christophe Pascal, Hugues Piolet,Emmanuel Tronquart

ADMINISTRATION - COMMERCIALDirectrice administrative et financière Chantal Fangier (16 04). Assistantes :Nolwenn Hrymyszyn-Paris (16 99). Contrôle de gestion : Stéphanie Davoust(16 05). Comptabilité : 01 42 17 27 30, fax : 01 42 17 21 88Relations extérieures Anne Thomass (responsable, 16 44), assistée de NoémieBisserbe (16 73)Diffusion Le Monde SA ,21 bis, rue Claude-Bernard,75005 Paris, tél. : 01 42 17 20 00.Directeur commercial : Jean-Claude Harmignies. Responsable publications : BrigitteBilliard. Abonnements : Fabienne Hubert. Direction des ventes au numéro : HervéBonnaud. Chef de produit : Franck-Olivier Torro (38 58), fax : 01 42 17 21 40Publicité Le Monde Publicité SA, 17, boulevard Poissonnière 75002 Paris, tél. :01 73 02 69 30, courriel : <[email protected]>. Directeur général : Stéphane Corre.Directeur de la publicité : Alexis Pezerat, tél. : 01 40 39 14 01. Directrice adjointe :Lydie Spaccarotella, tél. : 01 73 02 69 31. Direction de la clientèle : Asma Ouled-Moussa, tél. : 01 73 02 69 32. Chefs de publicité : Hedwige Thaler, tél. :01 73 02 69 33 ; Stéphanie Jordan, tél. : 01 73 02 69 34. Exécution : GéraldineDoyotte, tél. : 01 40 39 13 40. Publicité internationale : Renaud Presse, tél. :01 42 17 38 75. Etudes : Audrey Linton (chargée d’études), tél. : 01 40 39 13 42Publicité site Internet : i-Régie, 16-18 quai de Loire, 75019 Paris,tél. : 01 53 38 46 63. Directeur de la publicité : Arthur Millet, <[email protected]>

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Courrier international (USPS 013-465) is published weekly by Courrierinternational SA at 1320 route 9, Champlain N. Y. 12919. Subscriptionprice is 199 $ US per year. Periodicals postage paid at Champlain N.Y. andat additional mailing offices. POSTMASTER: send address changes to Courrierinternational, c/o Express Mag., P. O. BOX 2769, Plattsburgh, N. Y., U. S.A.12901 - 0239. For further information, call at 1 800 363-13-10.

Ce numéro comporte un encart Abonnements jeté sur une partie du tirage.

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É D I T O R I A L

C’est une Italienne de 42 ans,Adele.Guide pour touristes, vivant àRome, mari artisan, une fille. Elleraconte dans La Repubblica :“Je nesaurais dire exactement quand nipourquoi c’est arrivé, rien n’a chan-gé dans notre vie. Nous sommes de-

venus pauvres du jour au lendemain, pauvres au pointque nous cachons à notre fille que nous nous privonsde dîner lorsque nous lui donnons quelques euros poursortir.” (Voir page 13.) Comme cette famille, des mil-lions d’Italiens constatent qu’ils sont aujourd’huimoins à l’aise. Ou tout simplement : pauvres. Un sa-larié sur trois gagne moins de 1 000 euros nets parmois. Et ce qui suffisait encore il y a quelques an-nées ne suffit plus. La flambée des prix dans la fou-lée du passage à l’euro y est pour beaucoup : la bais-se du pouvoir d’achat des employés a été de 9,2 %entre janvier 2002 et novembre 2003, selon l’INSEElocale – mais de 19,8 % selon Eurispes, un institutde recherches indépendant. Pour mémoire, l’Italieest le seul pays au monde, hormis quelques sulta-nats orientaux, à être gouverné par le plus riche deses citoyens, Silvio Berlusconi. Le ministre de l’Eco-nomie, Giulio Tremonti, interrogé sur les raisons dela hausse des prix, a répondu : “Demandez donc aucandidat Romano Prodi et à son euro mal fichu.”La fau-te à l’Europe et à l’euro, donc ? L’austérité, la pertede compétitivité, la croissance molle, tout ça.Il se trouve que, dans son numéro du 12 février,The New York Review of Books rend compte de troislivres récents sur le monde du travail aux Etats-Unis.La période concernée n’est pas celle de la récenterécession, non, il s’agit bien des Etats-Unis de l’an2000. Croissance forte, pas de chômage, taux d’in-térêt bas, dollar haut. Or qu’apprend-on ? Que, dansce pays richissime, la masse des travailleurs gagnemoins qu’auparavant.“Aujourd’hui, la majorité des em-plois américains ne sont pas payés suffisamment pour fai-re vivre une famille complète avec le confort jugé nécessairepar le plus grand nombre.” Et 22,5 % des mineurs gran-dissent carrément dans la pauvreté. Comme un mil-lion d’enfants français, on vient de l’apprendre.De part et d’autre de l’Atlantique, euro ou pas,même constat : des pays riches, beaucoup de pau-vreté. Quelque chose ne tourne pas rond.

Sophie Gherardi

Abdel-Rahman al-Rashed, Asharq al-Awsat, Londres

l ’ invi té ●

L E D E S S I N D E L A S E M A I N E C O U R R I E R D E S L E C T E U R S

Pourquoi est-il permis à Israël de détenir desarmes nucléaires et pas à ses voisins ? Laréponse est simple : Israël possède des armesde destruction massive depuis près de qua-rante ans, mais ne les a jamais utilisées ; alorsque, un seul pays arabe, l’Irak, disposantd’armes chimiques, s’est empressé d’en faireusage pour réprimer une révolte de ses

propres citoyens kurdes et pour combattre ses enne-mis iraniens. Pour les tenants de cette opinion, Israëlest un Etat responsable qui n’a pas utilisé son immensearsenal, même durant la guerre de 1973, au cours delaquelle il a connu, au début, une défaite, ni contreles Palestiniens, malgré lenombre de morts israéliensdurant l’Intifada.Mais qu’Israël se soit retenupar le passé ne peut en au-cun cas justifier le fait qu’ilpuisse disposer de ce genred’armes, qui menacent nonseulement la région maiségalement d’autres régionsvoisines. Il semble évidentque la retenue d’Israël estconditionnée par les cir-constances qu’il traverse.Pourtant, le fait que ce payspossède des armes nucléairesfinit par justifier, dans la ré-gion, une course à l’achatd’armements du même type.Les circonstances peuventun jour changer en Israël. Ce pays est maintenant tra-versé, comme tout le Moyen-Orient, par l’intégrismereligieux, juif celui-là, qui lui non plus, ne connaît pasde logique en politique et ne tolère aucune coexisten-ce pacifique. La capacité des intégristes juifs à parve-nir au pouvoir et donc à détenir la décision du feunucléaire a pu longtemps sembler improbable ; elle n’estdésormais plus impossible… Cela peut advenir toutsimplement par la voie démocratique, mais toute la ré-gion, y compris Israël, se trouverait alors exposée ausuicide nucléaire.On peut expliquer le fait qu’Israël soit resté raison-nable et n’ait pas eu recours à l’armement nucléaire– ni même menacé d’en faire usage (bien qu’en dis-posant depuis près de quarante ans) – par l’idée que

Pauvres chez les riches

ce pays s’est toujours senti, malgré tout, menacé dedestruction, puisqu’il se trouve enfermé dans cettemême zone géographique très étroite. Or cela, désor-mais, n’est plus dissuasif pour Israël. Ces dernièresannées, Tel-Aviv a développé, semble-t-il, près descôtes du Sri Lanka, des capacités de tir nucléaire àdistance. Il a récemment franchi l’étape décisive, enréussissant à lancer, à partir de ses sous-marins, destêtes porteuses qui peuvent atteindre n’importe quellecible terrestre, à partir de n’importe quelle mer ou den’importe quel océan. Cette technique pourrait affran-chir Israël de la peur liée à l’exiguïté de son territoire– et donc de la retenue qui en découlait.

Le Premier ministre britan-nique s’est trompé en consi-dérant qu’Israël devait avoirle droit de posséder desarmes nucléaires parce qu’ilétait continuellement me-nacé de destruction totale.La réponse militaire auxpeurs israéliennes devraitêtre plutôt de contrebalan-cer celles-ci par quelquechose de raisonnable. Nonpas en lui donnant la possi-bilité de disposer d’un ar-senal de destruction massi-ve, mais en l’assurant de ga-ranties internationales sûreset fiables. Ainsi, les partiesconcernées, par exemple leRoyaume-Uni, pourraient

s’engager à assurer la sécurité d’Israël, par le biaisd’armes nucléaires ou traditionnelles, contre toute at-taque de ses ennemis arabes. Quant à lui permettre debâtir un arsenal nucléaire, sous prétexte que c’est unpays raisonnable, il s’agit d’une folie qui risque d’ex-poser durablement toute la région et le monde au dan-ger que tous redoutent.Il est du devoir de la communauté internationale dechercher à tout prix à dénucléariser Israël, tout encompensant cela par des garanties qui l’assurent qu’ilest en sécurité, à l’intérieur de ses frontières recon-nues internationalement. En outre, privé de son arse-nal interdit, Israël serait dépouillé de son aplombexcessif qui lui permet de poursuivre impunément sonoccupation des Territoires palestiniens.

Chaque jour, retrouvez un nouveau dessin d’actualité sur www.courrierinternational.com

■ Erreur d’idéogrammeA la suite d’une erreur tech-nique, l’idéogramme du motjaponais un (la fortune) a rem-placé celui du mot uchi (lechez-soi) dans la rubriqueLe mot de la semaine dun° 693 (12 février 2004).Voici la calligraphie qui auraitdû figurer dans cette page.

■ Haro sur le buggyBreffni Bolze, 75011 ParisSans être un écologiste mili-tant, je suis sensible auxproblèmes d’environnement,conscient du fait que le déve-loppement durable sera l’undes principaux défis à releverpendant ce siècle qui débute.C’est pourquoi j’ai été très sur-pris – et même choqué – parl’article publié dans la rubriqueVoyage du n° 691 (29 janvier2004). Ce papier fait en effetla promotion d’un long parcoursen buggy sur les plages du Nor-deste brésilien. Faut-il vous énu-mérer la liste complète des nui-sances causées par une tellevirée ? Je citerai la pollutionatmosphérique, l’émission de

gaz à effet de serre, la gênesonore imposée aux popula-tions locales, la destruction dela faune et de la flore. Courrierinternational est un journal dequalité qui devrait véhiculer desvaleurs citoyennes et notam-ment prôner le respect de l’en-vironnement plutôt que sadégradation.

■ PrécisionDans le Carnet de route accom-pagnant l’article sur Istanbul(rubrique Voyage, CI n° 690, du22 janvier 2004), nous avonsindiqué l’adresse du site Inter-net de la ville d’Istanbul maisoublié de mentionner celle del’Office du tourisme turc à Paris,à savoir <infosturquie.com>.

DR

Sécurité pourIsraël, mais

sans nucléaire■ Editorialiste saoudien,Abdel-Rahmanal-Rashed a fait ses études aux Etats-Unis. Il était, jusqu’en décembre 2003,le rédacteur en chef du quotidien pan-arabe Asharq al-Awsat. Connu pour sespositions libérales,Al Rashed continue depublier des articles dans Asharq al-Awsat.D

R

■ � L’autopsie de Marco Pantani, mort samedi dernier à Rimini, sur la côte adriatique, n’a pas encorepermis de déterminer les causes exactes du décès du champion cycliste italien. La thèse du suicide,ou à tout le moins de l’abus de médicaments, est privilégiée par la presse italienne. Pantani étaitdépressif depuis plusieurs années. Dessin de Barrigue paru dans Le Matin, Lausanne.

COURRIER INTERNATIONAL N° 694 5 DU 19 AU 25 FÉVRIER 2004

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à l ’aff iche●

Argent ine Le porteur de valises repenti TOMASZ LIS

Après le JT

L a présidentielle polo-naise, prévue pour

2005, a déjà deux can-didats virtuels. Selon unsondage réalisé pour laversion polonaise del’hebdomadaire News-week, Tomasz Lis, pré-

sentateur du JT sur la chaîne privée TVN, estle seul à menacer sérieusement Jolanta Kwas-niewska, épouse de l’actuel président. Ce beaugosse plutôt sympathique de 38 ans est unvéritable professionnel de l’info. Mais il estaussi connu pour sa franchise. “Un enregis-trement de ses critiques sur ses collègues dela rédaction circule sur Internet”, révèle lequotidien Gazeta Wyborcza, “abondammentpersillé de ‘k…’ [“putain”].” Il n’adhère à aucunparti politique, mais c’est un handicap qu’ilpeut tourner à son avantage. “Quarante-septpour cent des Polonais ne se reconnaissentdans aucun parti”, explique Newsweek. Leslibéraux de la Plate-Forme citoyenne souhai-teraient le compter dans leurs rangs. “La rené-gociation de son contrat avec TVN a duré centcinquante-trois jours, mais dix minutes ontsuffi pour fixer son salaire – 10 000 eurospar mois ; le reste concernait l’indépen-dance journalistique”, poursuit GazetaWyborcza. Malgré toutes ces précautions,Lis vient d’être remercié, “pour raisons déon-tologiques”, dit son employeur. Le voici doncparfaitement disponible.

FERIAL HAFFAJEE

Une Rouletabille version australe

Sa nomination com-me directrice de

la rédaction du Mail& Guardian fait d’ellela première femme àdiriger un grand jour-nal sud-africain. Sesétudes de droit n’ontdonc pas condui t

cette jeune femme d’origine indienne dansles prétoires, mais dans les médias. Après uneexpérience à la radio, à la télévision (SABC)et au Financial Mail, elle se retrouve, à seu-lement 36 ans, à la tête du titre où elle avaitfait ses débuts comme stagiaire. Si ellecompte suivre les traces de son prédécesseur,qui a fait du Mail & Guardian un journal d’in-vestigation très influent parmi les élites pro-gressistes, elle n’a pas peur d’afficher sesambitions propres : couvrir l’actualité du restede l’Afrique et donner davantage de place auphotojournalisme. “Enthousiaste, déterminéeet visionnaire” pour The Star, quotidien deJohannesburg, Ferial Haffajee apportera sur-tout une touche féminine, notamment grâceà la collaboration de femmes journalistes derenom. “Regarder les choses à travers unprisme féminin est important, affirme-t-elle.J’ai l’intention de couvrir davantage les vio-lences sexuelles, de découvrir ces horreurscachées.” Car, paradoxalement, ce pays quifavorise la réussite des femmes est aussi celuioù le taux de viol atteint des records…

MUAMMAR KADHAFI ,dictateur l ibyen■ Troublant“Malte dans l’Unioneuropéenne, c’estun peu comme si laLibye avait un mem-bre de sa famille àBruxelles”, a déclaréle colonel en présence du présidentmaltais, Guido Di Marco, en visite offi-cielle à Tripoli. Cette sollicitude aquelque peu incommodé la déléga-tion maltaise.

(The Times of Malta, La Valette)

GÉNÉRAL WOJCIECH JARUZELSKI ,ex-dictateur communistepolonais■ Méritant“C’est parce que nous avons prisBerlin que nos frontières se trou-vent aujourd’hui là où elles setrouvent. Ainsi, on est plus près del’Europe.” En 1945, la Pologne a

annexé la Silésie, la Prusse-Orien-tale et la Poméranie, qui apparte-naient à l’Allemagne.

(Super Express, Varsovie)

JAKRAPOB PENKAIR, porte-paroledu gouvernement thaï landais■ Direct“Il y a plusieurs niveaux de vérité…C’est pour cela que nous n’avonspas parlé ouvertement ; c’est parceque nous lisons dans les espritsque nous avons dit ce que les gensvoulaient entendre.” Il répondaitainsi à la presse, qui accuse le gou-vernement de minimiser l’impor-tance de la grippe aviaire dans lepays. (Time Asia, Hong Kong)

NORODOM SIHANOUK,roi du Cambodge■ Meurtri“Les humiliations s’accumulent,à maints égards et dans tant dedomaines, sur la tête ‘angkorienne’de notre race khmère, qui devient

ainsi la race la plus dégradée d’Asieet peut-être du monde.” Déçu parl’image que le royaume donne àl’étranger, le monarque réagissaitaux nombreuses informations surles jeunes cambodgiennes venduesà l’étranger comme prostituées.

(Cambodge Soir, Phnom Penh)

MIKHAÏL SAAKACHVILI , président de la Géorgie■ Satisfait“Notre révolution a été la plus belleet la plus sympathique de ces troiscents dernières années dans lemonde”, s’est rengorgé, lors de savisite à Moscou, le 13 février, le nou-veau chef de l’Etat géorgien, éluavec plus de 90 % des voix.

(Nezavissimaïa Gazeta, Moscou)

MOULOUD HAMROUCHE, ex-Premier ministre algérien■ Pessimiste“L’armée a cédé sous la pressiondes groupes d’intérêts”, a affirmé

cet ancien chef du gouvernement.Il est le premier candidat à s’êtreretiré de la course à la présidentielledu 8 avril, estimant que l’électionne serait pas équitable en raisonde la fraude et du manque de neu-tralité de l’armée.

(Liberté, Alger)

PEDRO ALMODÓVAR, c inéaste espagnol■ Monolingue“Je n’apprécie pas que l’on veuille

doubler l’un de mesfilms en catalan ouen galicien alorsque nous compre-

nons tous le cas-tillan”, a dit le réali-sateur oscarisé aucours d’une confé-rence au centre cul-turel Residencia deestudiantes de Ma-drid.(El Mundo, Madrid)

DE BUENOS AIRES

Mario Pontaquarto est le seulhaut fonctionnaire argentin às’être repenti d’avoir participéà la grande fête de la corrup-tion des années 90 et à avoirconfessé son péché à la jus-tice. Il a expliqué dans lesmoindres détails à un juge

comment il a retiré 5 millions de pesos(autant de dollars à l’époque), en avril 2000,au siège des services secrets argentins, laSIDE, pour les remettre à deux sénateurs,un membre du parti au pouvoir (radical)et un opposant péroniste, en échange del’approbation de la loi sur la flexibilité dutravail. “Ce que j’avais fait me dégoûtait.J’avais versé des pots-de-vin aux sénateurs. Jen’arrêtais pas de penser : comment vais-je expli-quer cela à mes enfants ? Si je n’avouais pas,quelqu’un allait leur dire un jour que leur pèreétait un corrupteur, et ils connaîtraient la plusgrande déception de leur vie”, raconte-t-il,accablé.

Membre de l’aile progressiste del’Union civique radicale (UCR), auquelappartenaient les anciens présidents RaúlAlfonsín (1983-1989) et Fernando de laRúa (1999-2001), Pontaquarto connaîttous les rouages de la politique. Il a passévingt ans au Sénat, jusqu’à obtenir le postede secrétaire parlementaire.

“La première fois que j’ai entendu par-ler des pots-de-vin, relate-t-il, c’était au coursd’une réunion dans le bureau présidentiel deFernando de la Rúa,à la Casa Rosada [palaisgouvernemental]. Le sénateur José Genoud,mon supérieur, a dit à de la Rúa : ‘Monsieurle président, le péronisme a besoin d’autreschoses pour examiner cette loi.’ Et de laRúa lui a répondu : ‘Arrangez ça avec San-

tibañes [chef de la SIDE].’ J’ai tout de suitecompris qu’ils parlaient d’argent.”

Pontaquarto a hérité du rôle le plus ris-qué de l’opération. Il a dû transporter les5 millions de pesos dans le coffre de sa voi-ture et parcourir seul et de nuit, à traversla banlieue peu sûre de Buenos Aires, les70 kilomètres qui le séparaient de son domi-cile. Il a caché les valises contenant l’argentdans son grenier pendant quelques jours,au grand affolement de sa femme, qui l’atraité de fou avant de se réfugier chez sesparents. “Je ne pouvais pas refuser, explique-t-il. Si je ne le faisais pas, j’étais sûr de perdremon poste au Sénat.Et quelqu’un d’autre l’au-rait fait de toute façon. De plus, tout le monde

était au courant, depuis le chef de l’Etat jus-qu’à mon supérieur au Sénat, en passant parle chef des services secrets, et si je faisais marchearrière je prenais des risques…”

La loi sur le travail a été approuvée parle Sénat grâce à l’“encouragement” pro-digué à ses honorables représentants, maisle scandale des pots-de-vin restera à jamaisdans les mémoires comme l’épisode le plusindigne de la démocratie argentine depuissa restauration, en 1983. Il marque le débutde la fin du gouvernement de l’Alliance(UCR-Frepaso), qui a détrôné le péro-nisme en 1999 après dix ans de règne deCarlos Menem. Aujourd’hui, les péro-nistes sont de retour à la Casa Rosadaavec Néstor Kirchner.

Mario Pontaquarto, après avoir prisconseil auprès d’un prêtre, décide de seconfesser à la justice. Il est désormais sousle coup d’une inculpation pour corruptionet d’une saisie de 10 millions de pesos[2,7 millions d’euros], tout comme Santi-bañes, Genoud et le péroniste Emilio Can-tarero. Son repentir a mis sur des charbonsardents la classe politique de la “décennieinfâme” (les années 90) : il risque fort deconduire en prison beaucoup d’ex-séna-teurs, dont de la Rúa en personne.

Bien qu’il ait incarné la lie d’une pré-tendue démocratie et qu’il ait gagné le sur-nom de “porteur de valises”, Pontaquartoaffirme qu’il continue à avoir confiancedans le monde de la politique. “Ce qui m’estarrivé, ce n’est pas de la politique. La poli-tique, c’est autre chose.C’est servir les gens, ceque je faisais quand je militais…”,dit-il avecnostalgie, avant d’ajouter, au cas où quel-qu’un s’inquiéterait de le voir revenir :“Pour moi, la politique est une étape terminée.C’est fini.” Juan I. Irigaray, El Mundo, Madrid

I L S E T E L L E S O N T D I T

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MARIO PONTAQUARTO, 42 ans,marié et pèrede 3 enfants, a mis la politique argentine sens des-sus dessous en déclarant avoir acheté le vote deplusieurs sénateurs dans les années 90. Après sesaveux, plusieurs responsables de partis, dont l’an-cien président Raúl Alfonsín, lui ont conseillé dequitter le pays. Il a préféré rester et parler à un juge.

AFP

COURRIER INTERNATIONAL N° 694 6 DU 19 AU 25 FÉVRIER 2004

�Dessin de

Damien Glez,

�Dessin de Ferreres,

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PUBLICITÉ

Publicite 20/03/07 16:05 Page 56

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COURRIER INTERNATIONAL N° 694 8 DU 19 AU 25 FÉVRIER 2004

POLITIQUE

Sarkozy, le nouveau visage de la droiteLibéral et bonapartiste à la fois, le ministre de l’Intérieur réunit les deux grandes tendances historiques et contradictoires de la droite française, tout en cultivant un style personnel qui dépasse les clichés de son camp.

� Bras de fer“En France, lespartis sont crééspour un homme qui veut arriver au sommet ou qui y est déjà”,explique la SüddeutscheZeitung.Et “la raison d’être de l’UMP est le maintien au pouvoir de Chirac ou de celui qui lui succédera”.D’où l’importancepour le président de barrer la route à Nicolas Sarkozy.“Chirac ne peut pas le virer,ajoute le quotidienbavarois. L’épreuvede force se prépare,au lendemain des électionsrégionales.”

DIE WELTWOCHE (extraits)Zurich

Sa petite taille et ses oreillesdécollées en font la victimereconnaissante des caricatu-ristes. Mais personne ne son-

gerait à ne pas le prendre au sérieux.Nicolas Sarkozy, 49 ans, est omnipré-sent : dans les médias, dans les affairesdu gouvernement, dans les luttesinternes de son parti. Il représente l’ef-ficacité, le génie de l’organisation, lapersévérance. L’homme est une bêtede travail, une machine de pouvoir,un modèle d’énergie et d’ambition.Ministre de l’Intérieur, il incarne avecsuccès l’orientation répressive du gou-vernement de droite. Le taux de cri-minalité baisse, la prostitution est quasiinterdite, on sévit sur les routes.

Ce politicien habile qui a gravi leséchelons du pouvoir a réussi en untemps record à démontrer qu’avec duzèle et de la volonté on pouvait avoirdes résultats. On a beau avoir du malà trouver ce M. Propre sympathique,les Français le portent aux nues. De-puis que la droite est revenue au pou-voir, il caracole en tête des sondages.Sa position est tellement solide qu’ildéfie le président Jacques Chirac. Sar-kozy a donné à la droite française unnouveau visage : autoritaire sans êtrepaternaliste, répressif sans être accro-ché aux valeurs conservatrices, fermesur les principes mais pragmatique.

LE CHAMPION DE L’INTERVENTIONNISME

Alain Minc, consultant en vue etmaître à penser de la droite française,le qualifie de “bonapartiste libéral”.Cette formule contradictoire n’a riende perfide : le libéralisme impliquemoins d’Etat, moins de centralisme,moins de contrôle ; le bonapartismeimplique une économie dirigée parl’Etat, une bureaucratie toute-puis-sante, une main de fer. La conciliationde ces deux orientations contrairesconstitue l’éternel problème de ladroite française. Celle-ci mise aujour-d’hui sur la déréglementation et la loidu marché en matière économique.Cependant, l’Etat fort et ses person-nalités emblématiques comme Napo-léon, Napoléon III et de Gaulle restentdes éléments immuables de la tradi-tion française. Et c’est Sarkozy quisemble le mieux réussir à réunir cesextrêmes. Du moins en a-t-il convaincules gens. Mais représente-t-il vraimentune nouvelle philosophie de droite ?Ou a-t-il tout simplement la commu-nication la plus habile ?

Pour réconcilier les exigencescontraires du désengagement de l’Etatet de l’autorité de la puissancepublique, Sarkozy a opté pour unevieille recette, l’offensive en matière desécurité. En constituant le gouverne-

ment, Chirac lui avait laissé le choixentre le ministère des Finances et celuide l’Intérieur. Sarkozy fit froidementses calculs : si la situation économiquesemblait préoccupante, les questionsde sécurité intérieure offraient une véri-table marge de manœuvre politique.Une lutte efficace contre la criminalitéest l’expression d’une puissance pu-blique efficace. Les couches inférieuresde l’électorat exigent des transportspublics ou des banlieues sûrs, de sorteque les frontières entre répression poli-cière et politique sociale s’estompent.Sarkozy apparaît comme le championde l’interventionnisme politique. Il jouele rôle de l’homme fort dans un Etatrenforcé. Mais cela ne l’empêche pasde plaider pour une libéralisationaccrue en matière économique – unecombinaison qui le rend irrésistible.

Avec son activisme sécuritaire, Sar-kozy a si bien touché le point sensiblechez les électeurs que la gauche n’a

opposé qu’une résistance timide auxdivers durcissements de la législation.Le gouvernement socialiste de LionelJospin avait déjà reconnu que la cri-minalité était devenue une questionprioritaire pour les couches inférieuresde l’électorat. Son ministre de l’Inté-rieur avait réformé les forces de policeet augmenté leurs moyens. Mais c’estSarkozy qui place inlassablement lesujet au centre de tous les débats.

Son activité incessante se traduitpar une baisse de la délinquance de3,38 %, même si les experts doutentde la validité de ces chiffres. Son bilanest en fait plutôt mince, mais Sarkozypossède une crédibilité extrêmementforte. A la télévision, il est imbattabledans les duels. La façon dont il humi-lie Jean-Marie Le Pen fait même l’ad-miration de la gauche. Sarkozy va droitau but, avec une agressivité inhabituellepour les normes françaises. Il ne reculedevant aucun sujet. Ce travailleur de

force est toujours parfaitement préparémême s’il n’apparaît pas particulière-ment cultivé ni brillant.

En France, l’homme politique dedroite est en général un patricien. Qu’ilsoit issu de la bourgeoisie parisienne(comme Chirac ou Giscard d’Estaing),notable de province (comme le trèspaternaliste Raffarin) ou qu’il ait acquisles comportements de l’élite au seindes grandes écoles (comme Juppé,l’éternel bon élève), le responsable poli-tique doit se pencher très bas pour per-cevoir son électorat. Sarkozy n’a pasce problème.Tout représentant en aspi-rateurs peut s’identifier à lui. Il repré-sente vraiment un danger pour lesbarons du gaullisme : c’est un “petitmec” comme vous et moi.

A-T-IL TROP D’ENNEMIS POUR ACCÉDER AU POUVOIR ?

Nicolas Sarkozy n’a fréquenté aucunegrande école. Avec son titre d’avocat,il fait l’effet d’un self-made-man maldégrossi. Il appartient pourtant ausérail : c’est un rejeton de la grandebourgeoisie parisienne. Son père étaitun comte hongrois ayant fui le com-munisme, sa mère est issue d’une richefamille de médecins et il a grandi dansun hôtel particulier de Paris. Ses ori-gines hongroises lui ont toutefoisdonné le sentiment d’être un margi-nal. Le fils de l’aristocrate exilé a doncinventé un nouveau héros : le bourgeoisdéguisé en parvenu. Quand il inspecteinlassablement les casernes de pom-piers, les postes de police, les antennespréfectorales des banlieues sensibles,il donne l’impression d’en être encoreà travailler dur pour pouvoir un jourhabiter Neuilly. C’est ce profil socialatypique qui fait la crédibilité de Sar-kozy auprès de nombreuses catégoriesd’électeurs. D’autant qu’il fait aussi ensorte de ratisser large dans ses prisesde position politiques. Il est inexact dele considérer uniquement comme unM. Propre pur et dur.

La prochaine élection présidentiellemontrera s’il est susceptible de rallierune majorité. Mais Sarkozy l’ambitieuxne s’est-il pas fait trop d’ennemis puis-sants pour pouvoir accéder au sommetpar sa seule popularité ? La droite fran-çaise est-elle mûre pour un nouveaucompromis entre le pouvoir de l’Etatet la libéralisation ? Edouard Balladur,le mentor idéologique de Sarkozy, aéchoué parce qu’il était trop libéral.Jacques Chirac a réglé le problème enadoptant un discours de gauche et unepolitique de droite. Il n’a atteint la pré-sidence qu’au prix d’une longue coha-bitation. Sarkozy, appuyé sur sa popu-larité de gardien de l’ordre, tentera dedéfendre une ligne de droite cohérentesans subir le sort de Balladur. Unechose est sûre : s’il n’y arrive pas avecle “bonapartisme libéral”, il essaieraautre chose. Daniel Binswanger

f rance●

� Dessin de Burkiparu dans24 Heures,Lausanne.

R É G I O N A L E S

■ Il a 29 ans, il est postier et a obtenu 4,25 %des voix à la présidentielle de 2002, soit le quartdes suffrages du candidat socialiste Lionel Jospin.Olivier Besancenot est le candidat de la Liguecommuniste révolutionnaire (LCR, trotskiste) etle cauchemar de la gauche française. Après la raclée électorale qui l’a quasimentcondamnée à un rôle de témoin dans un Parle-ment dominé par la droite de Jacques Chirac,celle-ci se prépare à affronter en ordre disperséles élections régionales du mois prochain. Besan-cenot incarne beaucoup plus qu’un mouvementde protestation spontané de gauche. Dans un pays comme la France, où l’option radi-cale est inscrite dans l’ADN de la politique, ilexprime tout haut ce que les socialistes ne peu-vent pas dire. Il unit les vieux soixante-huitardsaux jeunes altermondialistes. Le jeune homme

pourrait être l’acteur clé de la gauche en ce prin-temps électoral français. Selon un récent sondage, 70 % des Français sedésintéressent des élections régionales. Pour-tant, il s’agit de consultations générales, qui ver-ront les présidents des Régions et des départe-ments renouvelés. Selon un autre sondage, 60 %des Français pensent que le PS n’offre pas deréelle alternative au gouvernement en place. Ainsi,tandis qu’à droite s’agite à nouveau le spectrede Le Pen, à gauche se meut le farfadet Besan-cenot. La vie est facile pour les extrémistes, maiselle est particulièrement dure pour les réforma-teurs socialistes, surtout pour les Français quihésitent encore entre social-démocratie et révo-lution, et qui risquent de se faire avoir par un petitmalin de facteur.

Cesare Martinetti, La Stampa (extraits), Turin

Besancenot, facteur clé du scrutin

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COURRIER INTERNATIONAL N° 694 9 DU 19 AU 25 FÉVRIER 2004

US NEWS & WORLD REPORTWashington

Cent ans après le triomphedes frères Wright, leconsortium européenAirbus, dont le siège se

trouve à Toulouse, a lui aussi imprimésa marque dans l’histoire de l’aviation,en dépassant le géant américainBoeing par le nombre d’appareils livrésen 2003. La réussite d’Airbus n’est pasune surprise. Sur le plan diplomatique,le torchon brûle peut-être entre lesEtats-Unis et la France, mais, dans ledomaine technologique, les deux paysvivent une longue histoire d’amour.Chacun a fait d’extraordinaires décou-vertes et chacun a exploité avec assi-duité les idées de l’autre.

Même l’hégémonie actuelle ducomplexe militaro-industriel améri-cain doit indéniablement beaucoup àla France. Lorsqu’il est devenu com-mandant de l’académie militaire deWest Point, en 1817, après avoir passédeux années en Europe, SylvanusThayer a conçu l’exigeant programmetechnique de l’école et son code del’honneur et du service en s’inspirantde ceux de l’Ecole polytechnique.Les traités du génial ingénieur deLouis XIV, le maréchal SébastienLe Prestre de Vauban, sur les sièges etles places fortes y sont devenus destextes de référence, et l’étude du fran-çais y a été rendue obligatoire.

L’influence française s’est aussifait sentir pendant la guerre de Séces-sion : la balle Minie, qui a rendu lesfusils utilisés dans ce conflit trois foisplus meurtriers que les anciennesarmes, a été mise au point à l’originepar des officiers français. En 1885,l’ingénieur Paul Vieille a créé lapoudre sans fumée. Ce sont des

artilleurs français qui ont inventé lerecul hydropneumatique qui permetaux canons de rester mortellementverrouillés sur leur cible, coup aprèscoup. Et où en seraient les NavySEAL, les unités d’élite de la marineaméricaine, sans l’équipement deplongée développé en 1943 sur laCôte d’Azur par Emile Gagnan et uncertain Jacques-Yves Cousteau ?

Même les pièces interchan-geables, à la base de la fabrication ensérie aux Etats-Unis, ont des racinesen France. L’historien des sciencesKen Alder a montré qu’un armurierfrançais utilisait déjà ce système vers1720. Dans les années 1780, l’arméefrançaise a introduit des gabarits etdes aménagements uniformes dansles armureries, de manière à appli-quer de strictes tolérances.ThomasJefferson vouait une grande admira-tion à ce système, que les armureriesaméricaines ont adopté même s’il esttombé en désuétude au XIXe siècle.Les méthodes qui se sont faitconnaître en Europe sous les nomsde “système américain” et, au débutdu XXe siècle, de “fordisme” ne sonten fait que des versions de cette trou-vaille française.

LE FROMAGE ET LA BAGUETTEPRÉSERVÉS PAR DES AMÉRICAINS

A propos de Ford, qu’y a-t-il de plusaméricain qu’une automobile ? Etpourtant, c’est un Français qui aconstruit le premier véhicule autopro-pulsé, fonctionnant à la vapeur, il y aplus de deux siècles [Joseph Cugnot,en 1770]. Cent ans plus tard, la sociétéhexagonale Panhard a élaboré l’archi-tecture de base sur laquelle sontconstruites depuis toutes les voitures.Outre la standardisation, les triomphesde Henry Ford ont aussi dépendu del’utilisation de l’acier au vanadium,résistant et inoxydable, qu’il avaitadmiré sur une épave de voiture decourse française.

Bien avant Airbus, la France a pro-duit des ingénieurs en aéronautiquehors pair. Les inventeurs français, entête desquels Louis Blériot et RobertEsnault-Pelterie, ont créé le monoplantel qu’on le connaît, et c’est pourquoi

on emploie toujours les termes fran-çais de “fuselage” et d’“aileron”.

Un Américain chauvin réplique-rait que la France a accompli nombrede ses prouesses technologiques enreprenant des idées nées aux Etats-Unis. Les TGV sont leaders sur le mar-ché mondial, mais, comme l’historiendu rail Mark Reutter l’a souligné, lasociété Budd de Philadelphie construi-sait déjà des carénages articulés légersdans les années 30. De nos jours, laFrance produit 75 % de son électricitégrâce au grand espoir de l’Amériqued’il y a cinquante ans : l’énergienucléaire. Le droit social a égalementpermis à d’autres inventions améri-caines d’être mises en valeur, commeles distributeurs automatiques (à causedes heures d’ouverture limitées descommerces) et les antibiotiques fabri-qués en série (grâce à une assurancemaladie généreuse).

De fait, les Français ont si souventabandonné leur patrimoine en faveurde technologies innovantes que ce sontles Américains qui doivent le défendre.Ainsi l’historien Steven Kaplan a-t-ilfait revivre l’art de la boulangerie fran-çaise, et mère Noella Marcellino, unereligieuse bénédictine américaine, doc-teur en microbiologie, a-t-elle préservéles traditionnels fromages français dela pasteurisation – un procédé d’ailleursinventé par un Français, Louis Pasteur.

Il est vain de débattre pour savoirqui doit le plus à l’autre. Il est bien plusintéressant de se réjouir d’un enri-chissement mutuel.Airbus compte denombreux fournisseurs américains, ettôt ou tard Boeing fera un grand bonden avant dans le jeu sans fin de saute-mouton technologique. Le dernier motrevient au sage – Oscar Wilde, sansdoute – qui a dit : “Les talents imitent,les génies volent.” Edward Tenner

f rance

C U L T U R E

Astérix pourra-t-il résister aux mangas ?Les séries japonaises représententdésormais près du tiers des bandesdessinées publiées dans l’Hexagone.

Jean-Louis Guez de Balzac doit se retour-ner dans sa tombe. Cet homme de lettres

du XVIIe siècle, “restaurateur de la prose clas-sique”, serait horrifié par les événementsqui se sont déroulés dans sa ville natale.Angoulême a en effet accueilli 150 000 per-sonnes, le mois dernier, au festival de labande dessinée. Et, cette année, le cham-pion de la pureté de la langue française ades raisons d’être encore plus exaspéréque d’habitude. Car une véritable manga-mania balaie la France. Ces “romans enimages” japonais, souvent violents et porno-graphiques, ont représenté l’an dernier prèsde un tiers des 1 860 bandes dessinéespubliées en France, contre 20 % en 2002

et moins de 10 % en 2001. La vitesse dece raz de marée en fait l’une des mutationsculturelles les plus spectaculaires depuisque Hollywood a écrasé l’industrie euro-péenne du cinéma. La génération qui agrandi en regardant les dessins animés japo-nais dans les années 80 lit aujourd’hui desmangas, pas Molière. Le risque est que laFrance finisse par ressembler au Japon, où40 % des publications sont des bandes des-sinées et où de moins en moins de genslisent des ouvrages sérieux.L’industrie de la BD française connaît actuel-lement son âge d’or. Les ventes d’albumsreprésentent désormais 10 % du marché dulivre. Contrairement à de nombreux pays oùles bandes dessinées sont perçues commeun plaisir réservé aux enfants, la France lesélève au rang de neuvième art. Dans uneindustrie du livre parvenue à maturité, qui

a connu une croissance de 0,5 à 1 % en2003, presque tous les grands éditeurs deBD ont créé leur propre collection de man-gas. Seule Dupuis, la grande maison d’édi-tion belge fondée en 1898, refuse encorede publier des mangas. Mais beaucoup pré-disent qu’elle pourrait bientôt suivre le mou-vement général.L’économie des mangas ne semble pas prèsde péricliter. Publiés en format de pocheet imprimés en noir et blanc sur du papierbon marché, ils ont un coût de productioninférieur à celui des albums cartonnés et encouleurs produits en France et en Belgique.Et il revient bien moins cher de faire traduireune collection existante que de commanderune œuvre originale à un auteur européen.Le prix d’un manga est de l’ordre de 6 euros,soit la moitié de celui d’un album classique.L’attrait des mangas reflète une fascination

plus large, remontant au mouvement impres-sionniste et englobant la passion de JacquesChirac pour le sumo. Cette nippophilie estmanifeste dans la tendance des éditeurs fran-çais à publier des mangas qui se lisent dedroite à gauche et à ne plus supprimer leursintraduisibles onomatopées.La subtilité croissante des mangas publiésen France permet aux éditeurs de se défendrecontre la critique selon laquelle ils corrom-pent la jeunesse. “Si nous n’avions pas eules mangas, toute une génération serait res-tée assise devant la télévision et n’auraitjamais tenu un livre entre ses mains”,observe Jacques Glénat, PDG du grouped’édition du même nom, lequel publia Akira,le premier best-seller du genre, en 1991.Avec cette vision optimiste du phénomène,M. Guez de Balzac va pouvoir reposer en paix.

Jo Johnson, Financial Times (extraits), Londres

� Dessin de Kalparu dans The Economist,Londres.

SCIENCES

Pourquoi Ford doit sa réussite à la FranceDe la poudre sans fumée au TGV, l’histoire des relations franco-américaines est parsemée d’inventions variéesqui ont traversé l’Atlantique dans les deux sens pour être adoptées et développées.

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CHYPRE

Le coup de poker de Rauf DenktasEn acceptant le plan Annan de réunification de l’île, le vieux cacique chypriote turc acréé la surprise. La situation enfin débloquée, l’île pourrait être réunifiée dès le 1er mai.

� Maréeestudiantine ?Jusqu’à présent, lesétudiants chypriotesgrecs bénéficiaientd’un quota de places au seindes universitésgrecques. Avecl’entrée de Chypreau sein de l’Unioneuropéenne,le 1er mai prochain,ces quotasdisparaîtront, maispas les facilitésdont bénéficient les étudiants de l’îlepour venir étudieren Grèce. Aussileurs camaradesgrecs craignent-ilsd’être “envahis”par des étudiantsqui, eux, n’aurontpas eu à passer les épreuves très sélectives du redoutablebaccalauréat grec.(D’après To Vima,Athènes)

RADIKAL (extraits)Istanbul

Le scénario pour une solu-tion de la question chy-priote est fin prêt. On con-naît le metteur en scène

– l’ONU et son représentant Alvarode Soto – et les acteurs principaux :Rauf Denktas et Tassos Papadopou-los, les deux leaders chypriotes, maisaussi les gouvernements respectifs deGrèce et de Turquie. L’Union euro-péenne (UE), elle, ne jouera que lesseconds rôles. La date et le lieu dutournage ont même été fixés : le19 février, à Nicosie, capitale encoredivisée de l’île. Du 10 au 14 février,lors des négociations marathon ausiège de l’ONU, à New York, les deuxparties ont décidé de se donner du19 février au 22 mars pour négocieren tête à tête. Si aucun accord n’estconclu avant le 22 mars, la Turquie,la Grèce et l’ONU s’inviteront à latable des négociations. Le 29 mars,tout devra être bouclé. Désormais,Chypre est entrée dans un processusirréversible qui la conduira, avant le1er mai 2004, à un référendum dansles deux parties de l’île. Le 1er mai,c’est aussi la date à laquelle la par-tie chypriote grecque devait entrerseule dans l’UE. Il se pourrait bienqu’à cette date, et après trente an-nées de conflit, l’île se présente uniedevant les instances bruxelloises.Comment est-on parvenu à cet ac-cord historique ?

Vu de New York, la Turquie etDenktas semblent avoir remporté unevictoire. En acceptant le plan Annan,Rauf Denktas a pris de court la par-

tie grecque. Papadopoulos, qui s’at-tendait à l’intransigeance habituellede son vieil adversaire, s’est brusque-ment retrouvé à négocier non plus surle principe de la réunification, maissur les détails pratiques de sa mise enplace. Conscients du fait que s’op-poser à la proposition turque le met-trait dans une position de coupable,il a essayé d’obtenir quelques avan-tages supplémentaires, et notammentl’intervention de l’UE. Peine perdue.En cas de désaccord le 22 mars, lesChypriotes devront se débrouiller avecAthènes et Ankara, qui n’ont plusguère intérêt à jouer l’affrontement.L’UE n’est pas complètement écar-tée du processus, mais Papadopoulosa simplement obtenu son “assistancetechnique” et ses “conseils”,“si besoinétait”. Maigre compensation.

A la table des négociations, du19 février au 22 mars, il y aura biensûr des désaccords, des vexations etsans doute même des scènes de quasi-ruptures. Mais, dans ces moments-là,

l’accord de principe survenu à NewYork jouera un rôle d’aiguillon. Enfait, Denktas et Papadopoulos ontintérêt à tout faire pour parvenir à unaccord avant que leurs “parrains” neviennent combler les vides. En clair,Tassos Papadopulos se trouve aujour-d’hui dans une position délicate.Depuis quelques jours, il ne peut plusutiliser la carte UE avec autant d’ef-ficacité. De plus, le leader chypriotegrec s’est fait élire avec les voix desopposants au plan Annan. Aujour-d’hui, il se retrouve à devoir en né-gocier les termes sans marge de ma-nœuvre. D’autant qu’à Athènes leleader du Parti socialiste (PASOK),Georges Papandréou, et celui de laNouvelle Démocratie, ConstantinKaramanlis, préfèrent se consacrerà la campagne en vue des électionsgénérales du 7 mars prochain. Ilssavent simplement, l’un et l’autre, quele dossier chypriote figurera dès le len-demain des élections parmi les dos-siers brûlants. Yorgo Kyrbaki

COURRIER INTERNATIONAL N° 694 12 DU 19 AU 25 FÉVRIER 2004

europe●

SERBIE

Fin du feuilletonélectoral

L es revirements sur la scènepolitique serbe rappellent lesfeuilletons télévisés. Ainsi le

prélude à la constitution du gouver-nement s’est-il joué sur fond d’in-croyables intrigues, de dangers inat-tendus et d’adversaires perfides. Lesuspense consistait à savoir si les prin-cipaux protagonistes allaient finir parconclure le mariage. La semaine der-nière, on a eu toutes les raisons decraindre la rupture définitive. Mais,vendredi soir, soudain, nous noussommes rapprochés du happy end.A la suite d’entretiens avec les diri-geants des autres partis du bloc dé-mocratique, à l’exception du Parti dé-mocrate [DS, formation du défuntPremier ministre Zoran Djindjic],Vo-jislav Kostunica, le leader du Parti dé-mocrate de Serbie (DSS), a déclaréque “l’optimisme [était] de mise car laSerbie [était] plus proche d’un nouveaugouvernement que d’élections anticipées”.Kostunica a laissé entendre qu’à la foisle DS et le Parti socialiste de Serbie[SPS, parti de Slobodan Milosevic]étaient susceptibles de soutenir ungouvernement minoritaire formé parson parti, le G17 Plus [formation deséconomistes libéraux] et le SPO-NS[coalition monarchiste].

Quant à nous, spectateurs de lasérie TV et citoyens d’une société entransition, quelles sont les conclusionsqu’il nous faut en tirer ? Il y a eu beau-coup de tergiversations avant la nocesolennelle. Il ne faut pas oublier nonplus que, le 22 février, le Parti démo-crate doit élire son nouveau président.Doit-on penser qu’un gouvernementmajoritaire comprenant le DS seraconstitué dès la semaine suivante ? Oubien les démocrates garantiront-ils unsoutien passif au nouveau gouverne-ment en attendant le 31 mars pro-chain ? C’est la date d’expiration dudélai fixé par les Etats-Unis pour livrerle général Ratko Mladic au Tribunalpénal international pour l’ex-Yougo-slavie en échange de l’aide financièreaméricaine. Le mariage n’a pu être célé-bré, autrement dit le gouvernement n’apas été constitué, avant la grande fêtenationale serbe du 15 février, célébrantle 200e anniversaire de la création del’Etat moderne.Or, si les héros s’étaientunis plus tôt, ils nous auraient démon-tré que nous vivions bien dans un Etatoù les institutions font leur travail.

Faut-il que l’on continue de sup-porter le mariage de nos héros et quel’on montre de la compassion pourleurs souffrances ? Depuis les électionsdu 28 décembre, leurs positionsauraient-elles été contraires au pointqu’il leur a été absolument impossiblede trouver un compromis ? Enfin, illeur a suffi d’une seule rencontre avecla bonne fée pour ouvrir les yeux. Seu-lement, dans notre cas, la bonne féen’est personne d’autre que MarcGrossman, l’adjoint au secrétaire d’Etataméricain pour les Affaires politiques.

Voyons comment évoluera le ma-riage au cours des cent épisodes à venir.

Danas, Belgrade

P O R T R A I T S

■ C’est peu dire que Tassos Papadopoulos etRauf Denktas ont des parcours parallèles.Tous deux ont commencé leur carrière poli-tique dans les années 50, au début des affron-tements entre les deux communautés. Pen-dant ces années amères, les deux hommesse sont félicités de la scission entre chypriotesgrecs et turcs. Tous deux défendent un natio-nalisme sourcilleux et tous deux se sont oppo-sés de toutes leurs forces aux accords deZurich et de Londres, qui, en 1959, ont faitde Chypre un Etat souverain. Papadopoulosparce qu’il voulait l’union avec la Grèce. Denk-tas parce qu’il rêvait déjà de la partition del’île. Après la fondation de la Républiquechypriote, Tassos Papadopoulos est devenuministre du Travail et Rauf Denktas s’estretrouvé à la tête de l’Assemblée commu-nautaire turque.Cela dit, les deux hommes n’ont pas cesséleurs activités clandestines pour autant. Rauf

Denktas n’a jamais cessé d’être un des diri-geants du groupe paramilitaire TMT, un groupeque l’indépendance de 1959 n’a pas freiné,bien au contraire. Tassos Papadopoulos, deson côté, a fondé et milité au sein d’Akritas,l’équivalent gréco-chypriote du TMT. Desannées durant, ces deux groupes ont entre-tenu la haine entre les deux communautés.Une césure qui s’est achevée en 1974 parl’invasion turque du nord de l’île et par lapartition de 1974.Mais les deux hommes ne se contentent pasd’avoir un passé politique parallèle : leur carac-tère et leur comportement aussi suivent lamême trajectoire. Rauf Denktas, ivre de la “vic-toire” de 1974, s’est toujours comporté avecarrogance. Jamais il n’a regretté son passé“antigrec” et jamais il n’a accepté de portersur ces sombres années le moindre regardcritique. Aujourd’hui, il est loin de faire l’una-nimité au sein d’une population turco-chypriote

qui rêve de l’Union européenne et donc dela réunification avec la par tie grecque. Jus-qu’à présent, Rauf Denktas s’est borné à négo-cier des compromis et a toujours fait preuvede mauvaise volonté dans la mise en œuvredes pourparlers. De son côté, le président chy-priote grec est devenu plus conciliant depuis1974. Mais lui non plus n’a jamais fait sonautocritique et il reste fier de son passé para-militaire. De 1974 jusqu’à la veille de son élec-tion à la présidence, en février 2003, Papa-dopoulos n’a jamais serré la main d’un leaderturco-chypriote. En fait, trente ans après lapartition, l’Histoire se venge. Un concours decirconstance international impose aux deuxhommes les moins faits pour s’accorder d’ap-poser leur signature au bas d’un documentqui réunifiera l’île. C’est-à-dire précisément ceque Rauf Denktas et Tassos Papadopoulosont combattu toute leur vie.

Mak Droutsiotis, Eleftherotypia, Athènes

Qui se ressemble finit par s’assembler

� Dessin d’IgorSmirnov, Russie.

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LA REPUBBLICA (extraits)Rome

C’est l’histoire d’Adele etelle a honte de la raconter.Adele a 42 ans. Elle estguide touristique à Rome,

son mari est artisan, ils ont une fillede 17 ans. “Je ne saurais dire exacte-ment quand ni pourquoi c’est arrivé,rien n’a changé dans notre vie. Noussommes devenus pauvres du jour aulendemain, pauvres au point que nouscachons à notre fille que, lorsque nouslui donnons quelques euros pour sortir,nous nous privons de dîner. Un café aulait, et c’est tout. Nous ne sommes paspauvres comme les vrais pauvres, non,mais elle est allée faire du camping l’étédernier et, pour pouvoir lui donner unpeu d’argent, nous sommes restés àRome pendant les vacances. Notre voi-ture est tombée en panne, mais la répa-ration coûte trop cher, alors on ne s’ensert plus.”

“A Noël, poursuit Adele, nousavons tout investi dans une parka pournotre fille. Elle ne se sert plus de son télé-phone portable, nous ne pouvons plus luipayer les recharges. Parfois, j’ai peur, jeme dis que ces jeunes sont moins habi-tués que nous aux privations et qu’ilspourraient avoir envie de se procurerde l’argent d’une autre façon.”

DES SALARIÉS FONT LA QUEUE À LA SOUPE POPULAIRE

Ces gens soudainement appauvrisarrivaient encore hier à boucler leursfins de mois avec leurs salairesmodestes et n’y parviennent plusaujourd’hui. Quatre hommes se sontadressés récemment aux servicessociaux de Rome.Tous ont le même

profil : la cinquantaine, un emploistable, un salaire de 700 à 800 eurospar mois. En instance de divorce, ilsont laissé l’appartement à leurfemme et à leurs enfants, ils leur ver-sent un peu d’argent et n’ont pas dequoi payer un loyer pour eux-mêmes. Ils dorment dans leur voi-ture. Ils se réveillent, vont à leur tra-vail, passent voir leurs enfants le soir,avalent un hamburger, puis retour-nent dormir dans leur voiture. Aubureau, personne ne les imaginedans cette situation. Ils ont trophonte pour le dire.

Aujourd’hui, signalent des orga-nisations caritatives comme Caritaset, à Rome, la Communauté deSant’Egidio, ce ne sont plus seule-ment les sans-domicile-fixe habituelsqui se présentent à la distributionde repas chauds et de colis du mardi(huile, fromage, conserves). On y

rencontre aussi des gens qui ont unlogement, un travail, une famille etqui ne parviennent pas à bouclerleurs fins de mois. Ce sont des“familles de la classe moyenne à revenufixe”, des familles qui “n’arrivent pasà joindre les deux bouts” : le père, lamère, un enfant, un seul revenu – lefoyer italien type selon la nomencla-ture de l’ISTAT [institut national dela statistique].

LES PRODUITS DE CONSOMMATIONCOURANTE ONT DOUBLÉ

Parmi eux, les traminots de Milanqui gagnent 700 euros par mois, lesconducteurs de bus en contrat àdurée déterminée qui en touchent800, les employés municipaux dupremier échelon payés 1 000 euros.Avec deux enfants et un loyer qui,dans une grande ville, ne coûte pasmoins de 600 euros par mois, il est

très difficile de se débrouiller avec les400 restants. D’autant que, depuisle passage à l’euro, les produits deconsommation courante ont doubléalors que les salaires sont restés lesmêmes. “Dans dix des douze pays quiont adopté l’euro, il n’y a pas eu dehausse des prix. En Italie, la dynamiquedes prix a échappé à tout contrôle”,dénonce le président de la Commis-sion européenne, Romano Prodi, quiprépare son retour sur la scène poli-tique italienne.

Cesare Damiano, responsable desproblèmes d’emploi chez les Démo-crates de gauche, cite des statistiquesdont peu de journaux rendentcompte et aucune télévision : en Ita-lie, plus du tiers des travailleurs sala-riés gagnent moins de 1 000 eurospar mois. “C’est une nouvelle questionsalariale qui concerne des millions defamilles, aussi bien des gens qui ont untravail stable que des jeunes qui arriventsur le marché du travail et à qui ondemande de la flexibilité. Cette préca-rité risque de mener à l’exaspérationsociale”, prédit-il.

Le programme de redistributiondes aliments périssables, mis en placepar la mairie de Rome à destinationdes personnes dans la misère, a ainsidû être réorienté en partie vers lesfamilles à un seul revenu, dont cer-taines se retrouvent aujourd’hui dansune situation de semi-indigence.

DE NOMBREUSES FEMMESRENONCENT À TRAVAILLER

Lucia, 29 ans, est esthéticienne. Ellea dû renoncer à son emploi au débutde l’année parce qu’elle n’a pas réussià avoir de place en crèche pour sapetite fille et qu’une crèche privée luiaurait coûté davantage que ce qu’ellegagnait. Aujourd’hui, comme Lucia,de nombreuses femmes sont con-traintes de retourner au foyer, pours’occuper des enfants et des vieux,comme il y a cinquante ans.

En Italie, le taux d’emploi desfemmes est déjà l’un des plus faiblesd’Europe ; le pays se place au sei-zième rang, juste devant la Grèce.Outre l’immense régression que celareprésente en termes d’émancipationet d’égalité des sexes, le retour desfemmes au foyer a aussi un impactéconomique : elles ne gagnent rien,donc n’achètent rien.

A quoi bon lancer des campagnespublicitaires pour inviter les gens àfaire bouger l’économie alors que,quand on ne travaille pas, on n’a pasd’argent à dépenser ? Et, avec laréforme de l’actuelle ministre del’Education, Laetizia Moratti, quiprévoit la suppression du temps pleinà l’école à compter de la rentréeprochaine, les enfants ne rentrerontplus à la maison à 17 heures, mais à13 heures. En conséquence, de plusen plus de femmes seront obligéesde retourner au foyer.

Concita De Gregorio

ITALIE

Fins de mois difficiles pour la classe moyenneLa faiblesse des rémunérations et la hausse vertigineuse des prix consécutive au passage à l’euro ont fait glisserune partie des salariés italiens vers une situation de semi-indigence. Les femmes sont parmi les plus pénalisées.

COURRIER INTERNATIONAL N° 694 13 DU 19 AU 25 FÉVRIER 2004

europe

■ Il est de plus en plus difficile de vivre avec les fatidiques1 000 euros par mois qui constituent le salaire moyendans l’industrie italienne. Beaucoup d’enseignants, d’in-firmières, de conducteurs de tram et même d’employésde banque – qui passaient pour une catégorie privilégiéeil y a encore quelques années – ne gagnent guère plus.L’immense majorité des 16,5 millions d’Italiens salariésest dans cette situation.Rien d’étonnant à ce que, de temps à autre, certains per-dent la tête et descendent dans la rue pour manifester leurcolère. C’est ainsi que, le mois dernier, le pays tout entiers’est rendu compte que quelque chose n’allait pas. Il suf-fisait de voir la succession de grèves : les conducteurs debus et de tram à Milan, le trafic aérien pris en otage parles employés d’Alitalia et par les contrôleurs aériens, lespompiers prêts à tout, les médecins sur le pied de guerre,les douaniers bloquant la frontière suisse.C’est indiscutablement en Italie que l’on trouve les salairesles plus bas des grands pays européens. Après deux ansd’inflation galopante, de spéculation et de stagnation dessalaires, des millions de familles ont aujourd’hui d’énormesdifficultés à boucler leurs fins de mois. Par ailleurs, lesconditions de vie des travailleurs à revenu fixe se sont

dégradées ces deux dernières années. La société deconseil en ressources humaines Od & M a calculé que,sur cette même période, les ouvriers ont perdu 9,3 % deleur pouvoir d’achat, et les employés 11,1 %. La branche milanaise de la centrale syndicale CGIL décritdeux situations types : une famille de trois personnes dontle revenu en 2003 était de 20 000 euros a dépensé720 euros de plus que l’année précédente, entre l’aug-mentation des factures domestiques, la hausse du prixdes légumes, les additions des pizzerias qui ont doublé,alors que les salaires n’ont pas bougé. “Mais il n’y a pas qu’un problème d’inflation”, souligneLuciano Gallino, sociologue du travail. “Les choix de poli-tique économique commencent à se faire sentir : les tra-vailleurs salariés sont toujours 16 millions, comme il y adix ans, mais leur incidence sur le PIB italien est passéede 50 à 40 %, signe que le salariat a été largement péna-lisé.” Au cours de la décennie écoulée, la rémunérationnette des salariés en Italie n’a augmenté que d’un maigre3,5 %, contre 13,5 % en moyenne en Europe et 18 % dansle très libéral Royaume-Uni.

Carmelo Abbate et Sandro Mangiaterra, Panorama (extraits), Milan

P O U V O I R D ’ A C H A T

16,5 millions de salariés à 1 000 euros par mois

� Dessin de Pyrzynska paru dans GazetaWiborcza,Varsovie.

■ Quelle crise ?Plus pauvres,les Italiens ?Balivernes ! PourSilvio Berlusconi,“il y a eu unenrichissementgénéral du pays.La classe moyenneconsomme autantque par le passé.L’augmentation des salaires et de la consommation a été supérieure à l’inflation.” Quantaux ménagères,inquiètes de voir leprix des courgettess’envoler, “ellesdevraient suivrel’exemple de mamère”, a suggéré le président duConseil italien lorsd’une intervention à l’émissiontélévisée Porta aPorta. “Quand j’étaispetit, elle parcouraitle marché dans un sens, puis dansl’autre et s’informaitsur les prix,les comparait etachetait ce qui étaitmeilleur marché.Voilà ce qu’il fautfaire.”

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SÜDDEUTSCHE ZEITUNG (extraits)Munich

A l’instar d’Angela Merkel, la pré-sidente de votre parti [chrétien-démocrate, CDU], vous vous op-posez à ce que la Turquie adhèrepleinement à l’Union européenne(UE). Or cette perspective estévoquée depuis 1963. Pourquoi laremettre en question ?WOLFGANG SCHÄUBLE* Nousne voulons pas rompre un engage-ment de manière unilatérale. Maisnous attendons de la Turquie qu’elleaccepte des pourparlers qui puissentin fine aboutir à une forme de par-tenariat équilibré. L’UE doit conti-nuer à se développer pour devenirune entité politique à laquelle lesEtats délèguent une part de plus enplus grande de leur souveraineté. Celane peut réussir que si les citoyens ontle sentiment de faire partie d’unecommunauté de destins, s’ils ont uneidentité commune fondée sur desexpériences partagées. Ce sentimentd’identité commune n’est possibleque sur un territoire géographique-ment limité.

Mais, selon les règles de l’Unioneuropénne, un Etat peut devenirmembre dès lors qu’il respectecertains critères [dits “critères deCopenhague”].S’il ne s’agissait que de cela, le Japonou l’Australie pourraient êtremembres de l’UE. Aux critères deCopenhague s’ajoute la capacité d’in-tégration de l’UE elle-même. Et jedoute que l’UE, au lendemain du1er mai, soit en mesure de mener desdiscussions sur un nouvel élargisse-ment. Nous devrions sans plus tarderchercher, dans un climat de confiance,une solution raisonnable.

Quel intérêt la Turquie peut-elley trouver ?Si les Turcs comprennent ce quesignifie l’union politique, quelle pertede souveraineté cela pourrait repré-senter, ils en viendront eux-mêmes àl’idée qu’un autre type de lien étroitavec l’UE est dans leur intérêt.

Pourquoi ne pas appliquer le mê-me système à la Roumanie et à laBulgarie, qui attendent leur inté-gration, en 2007 ?Je pense effectivement que la pro-chaine vague d’adhésion nous de-mandera de gros efforts. C’est pour-quoi je n’exulte pas face à l’échéancede 2007.Vu la situation de ces deuxpays, ce délai est-il tenable ? Ondevrait y réfléchir.

Et qu’en est-il des Balkans ?En ce qui concerne l’ouest des Bal-kans, je suis d’avis qu’il serait bon, etmême souhaitable pour la stabilisa-tion de toute la région, de proposerune perspective concrète à un payscomme la Croatie, qui a déjà consi-dérablement progressé. Pour moi, ilest évident que l’ouest des Balkansfait partie de l’Europe. En revanche,après une adhésion de la Turquie, iln’y aurait plus aucun argument pourrejeter une demande d’adhésion de

l’Afrique du Nord ou de la Russie.Mais imaginer Vladivostok au sein del’UE, cela dépasse mon imagination !

Pourtant, vous ne pourrez pasempêcher le Conseil européen dedécider cette année de l’ouverturede négociations avec la Turquie…Nous demandons que ces négocia-tions, si tant est qu’on en arrive là, nese concentrent pas exclusivement surl’objectif d’une adhésion, mais envi-sagent la possibilité d’un “partenariatprivilégié”.

En quoi consisterait ce “parte-nariat privilégié” ?La participation au marché uniqueeuropéen en ferait partie, sans aucundoute. Et l’on peut régler de nom-breuses questions dans l’intérêt de laTurquie et de l’UE sans devoir néces-sairement aborder la délicate ques-tion de l’identité commune.

Votre parti et l’Union chrétienne-sociale (CSU) bavaroise veulentfaire de la Turquie un thème decampagne lors des élections euro-péennes de juin. N’en avez-vousvraiment pas trouvé de meilleur ?Ce n’est pas notre seul thème. Maispermettez-moi une remarque : on atout de même bien le droit de parleraussi des sujets qui préoccupent lesélecteurs. Ils ne sont pas convaincusdu bien-fondé de l’élargissement. Sinous leur disons : eh bien, maintenant,on continue, on s’agrandit jusqu’à lafrontière de l’Irak, ils vont se dire quenous sommes tombés sur la tête !

Propos recueillis par Susanne Höll et Nico Fried

* Wolfgang Schäuble est aussi de ceux qui,en 1994, lancèrent le concept de “noyau dureuropéen”.

UNION EUROPÉENNE

La Turquie, un “partenaire privilégié”En visite à Ankara, Wolfgang Schäuble, vice-président des chrétiens-démocrates au Bundestag, donne son point de vue sur les limites de l’élargissement.

COURRIER INTERNATIONAL N° 694 14 DU 19 AU 25 FÉVRIER 2004

europe

LE PROBLÈMERecherche Maltaisdésespérément■ Non, le manque de traducteurs neremettra pas en cause le statut delangue officielle dont jouira le mal-tais au sein de l’UE dès le 1er maiprochain. Mais les 35 traducteurshautement qualifiés nécessaires auParlement européen ne seront paslà en temps et en heure. “On est loinde ce chiffre”, confirme le secré-taire général du Parlement européen,Julian Presley. Seule une partie desdébats et des documents produitspar l’institution sera donc traduite lapremière année. Devant cette si-tuation intolérable, l’université deMalte a promis de mettre en placedès la rentrée prochaine les filièresspécialisées qui permettront derendre justice au maltais et à ses400 000 locuteurs.

(The Times of Malta, La Valette)

L’AFFICHEJacques Delors

Comme président dela Commission euro-péenne de 1985 à1995, Jacques Delorsest le père du marchéunique, puis l’accou-

cheur du traité qui a conduit à lamonnaie unique. L’Union euro-péenne d’aujourd’hui lui doit doncbeaucoup, et ses Mémoires ré-cemment parus l’attestent. Mais lemaître d’œuvre est inquiet. Une in-quiétude très française, raille l’heb-domadaire londonien The Economist.Car les élites françaises ont été long-temps habituées à dominer l’Union– et leur heure de gloire a coïncidéavec la présidence Delors. Pourelles, l’élargissement pourrait son-ner le glas de cette période bénie.Les doutes des élites se sontd’ailleurs transmis à la populationfrançaise. Les sondages montrenten effet que, parmi les 15 membresactuels de l’Union, les Français sontle plus hostiles à l’élargissement.

LE CHIFFRE

36 %■ A peine plus du tiers des Polonaissavent que des élections euro-péennes auront lieu au mois de juinde cette année et qu’ils ont le droitde participer au scrutin. “Heureu-sement, la grande majorité d’entreeux (86 %) savent tout de mêmeque la Pologne va adhérer à l’UEle 1er mai prochain”, se console lequotidien Gazeta Wyborcza. JacekKucharczyk, de l’Institut des affairespubliques, propose aux autoritésd’intensifier la campagne d’infor-mation afin d’assurer un taux de par-ticipation honorable. “Sinon, nousallons conforter le stéréotype selonlequel les Polonais ne s’intéressentqu’à l’argent de l’UE !”

Vivre à

25 May

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AP-S

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� Gare de l’UE.Turquie. Dessin de Veenenbos parudans la SüddeutscheZeitung, Munich.

Penser que l’on peut régler les problèmes de la Turquie enl’intégrant dans l’UE, c’est commecroire qu’on a démocratisé l’Iraken ayant chassé Saddam Hussein,estime le quotidien conservateurde Francfort.

Les dirigeants de l’opposition yvont, le chancelier y va – la Tur-

quie ne peut pas reprocher auxhommes politiques allemands dela négliger. Il faut voir là le signeque les relations avec Ankara nerelèvent plus simplement de la“politique extérieure”, mais sontdepuis longtemps un élément dela politique intérieure, en raisondes millions de Turcs qui viventen Allemagne.

Face à toute l’énergie que dépenseAnkara de manière quasi obses-sionnelle pour adhérer à l’Unioneuropéenne, la CDU propose l’idéed’un “partenariat privilégié” [voirci-dessus] et essaie de résoudrela quadrature du cercle. Elle nedonne pas son accord, elle n’op-pose pas un refus, elle mise surl’avantage diplomatique d’une posi-tion flexible et ouverte à de mul-tiples interprétations. Pourtant,aussi élaboré soit-il, ce conceptcomporte une extrême faiblesse :la Turquie ne pourra aspirer à un“partenariat privilégié” avec l’UEque si cette dernière lui signifieclairement qu’un statut de membreà part entière est exclu. Or, commeelle n’a jamais été aussi près du

but que depuis l’arrivée au pouvoirde M. Erdogan, elle refusera toutce qui restera en deçà de l’adhé-sion, quel que soit le “privilège”accordé.La prochaine visite du chancelier,qui se veut le défenseur d’uneadhésion à l’UE, confortera cetteattitude d’Ankara. La position alle-mande reflète la conviction querépète à satiété Joschka Fischer,le ministre des Affaires étran-gères : il faut soutenir les isla-mistes “modérés”, pour que lesradicaux ne prennent pas le des-sus. Mais partir de l’idée que l’ad-hésion à l’UE permettra à la Tur-quie de résoudre ses problèmesest tout aussi anhistorique etpseudo-politique que de croire, à

l’instar de ces Américains per-suadés d’œuvrer au bien dumonde entier, que l’on peut fairenaître une démocratie de type occi-dental sur le sol irakien avec unminimum d’aide étrangère, dèslors que le pays a été libéré deSaddam Hussein. Une seule choseest sûre : l’adhésion de la Turquietransformerait complètement l’UEet l’obligerait à repenser radica-lement ses objectifs. Il se peut quecela laisse M. Schröder indifférent,que M. Fischer soit convaincu quele salut passe par des “avant-gardes”. Mais ils font preuve tousles deux d’une bien grande légè-reté lorsque le destin de l’Europeest en jeu. Günther Nonnenmacher,Frankfurter Allgemeine Zeitung, Francfort

A N A L Y S E

Le gouvernement Schröder met l’Europe en danger

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DER SPIEGEL (extraits)Hambourg

L’homme a survécu à lajungle la plus impéné-trable, au désert le plusbrûlant, il a vaincu des cen-

taines d’araignées et de serpents ve-nimeux – et pourtant, lorsqu’il en-tend parler de la Berlinale, le festivaldu film de Berlin, la sueur perle à sonfront. “En 1988”, raconte Frank Mar-shall, metteur en scène et producteurd’Hollywood, “j’ai vécu ici un cau-chemar lorsque j’ai présenté le film deSteven Spielberg, L’Empire du soleil.A la fin de la projection, les spectateurs,furieux, ont balancé sur la scène et surl’écran tout ce qui leur tombait sous lamain.Moi, je n’ai pas demandé mon res-te, je me suis éclipsé dans un bar et j’aifait comme si j’étais totalement étrangerà ce projet.” Puis, Marshall se détend,et il ajoute, sourire ironique auxlèvres : “Heureusement que ça a chan-gé ! Aujourd’hui, à Berlin, en tant queproducteur américain, on se sent chezsoi. Ou presque.”

“PRAGUE EST ÉPUISÉE, TOUT A DÉJÀ ÉTÉ FILMÉ”

Le fait est que les derniers festivals – ycompris le 54e, qui vient de s’achever[du 5 au 15 février 2004] – sont deve-nus de parfaites rampes de lancementpour les films américains. Ni à Cannesni à Venise, on ne trouve une aussi forteprésence d’Hollywood. Cette année,dès les premiers jours, quatre produc-tions américaines étaient en compé-tition : Retour à Cold Mountain d’An-thony Minghella, avec Nicole Kidmanet Jude Law, Tout peut arriver de NancyMeyers, avec Jack Nicholson et DianeKeaton, The Missing de Ron Howard,avec Tommy Lee Jones, et Monster dePatty Jenkins, avec Charlize Theron.

Mais l’enthousiasme grandissantdes producteurs américains pour Ber-lin ne se retrouve pas seulement surl’écran. Deux films se tournent actuel-lement dans la capitale allemande :Matt Damon fait l’acteur depuis deuxmois dans The Bourne Supremacy etKevin Spacey fait ses débuts commeréalisateur avec Beyond the Sea, unecomédie musicale sur un Américainlégendaire, le chanteur Bobby Darin.L’été dernier, c’est déjà ici qu’a ététourné, pour une large partie, Le Tourdu monde en 80 jours, avec un budgetde quelque 110 millions de dollars.Désormais, Berlin semble plaire sérieu-sement aux metteurs en scène et auxproducteurs américains. Des assistantsarpentent la ville à la recherche de lieuxde tournage pour le troisième Mission :impossible avec Tom Cruise. Et, si l’onen croit la rumeur, le film de science-fiction Aeon Flux se tournera égalementsur les rives de la Spree. Immédiate-ment après la chute du Mur, les

managers d’Hollywood se sont sur-tout enthousiasmés pour Prague, undécor aussi romantique que bon mar-ché. Mais aujourd’hui, “Prague estpratiquement épuisée, presque tout a étéfilmé”, estime Pat Crowley, copro-ducteur avec Frank Marshall de TheBourne Supremacy. Berlin et les stu-dios Babelsberg ont commencé àconcurrencer sérieusement la capi-tale tchèque à la fin des années 90.Stalingrad [le film de Jean-JacquesAnnaud inspiré du scénario de Ser-gio Leone] a été tourné dans les stu-dios Babelsberg et dans le Brande-bourg. Cette œuvre a essuyé le feudes critiques à la Berlinale 2001, maisHollywood n’a pas manqué de saluerla performance.

LES STUDIOS BABELSBERG ONT PERCÉ GRÂCE À POLANSKI

C’est l’an dernier que les studiosBabelsberg ont véritablement fait leurpercée lorsque Le Pianiste, de RomanPolanski, a reçu trois oscars. Le filma connu un immense succès. “C’estla meilleure distinction que l’on puisseimaginer”, explique Henning Mol-fenter, chef de production aux stu-dios Babelsberg.

Si Berlin attire les producteursaméricains, c’est surtout pour des rai-sons économiques. Comparée à Hol-lywood, l’Allemagne est un pays àbas salaires. Dans une productionallemande, un chauffeur perçoit parexemple le tiers de ce que touche soncollègue américain. D’ailleurs, celafait longtemps qu’Hollywood tourneses films partout dans le monde – auCanada, en Australie, en Nouvelle-Zélande ou en Europe –, mais pas surplace. Même Retour à Cold Mountain– film qui raconte la guerre civile amé-ricaine et dont l’histoire se déroule enCaroline du Nord – a presque com-

plètement été tourné en Roumanie.“Ironie du sort”, souligne le produc-teur Sidney Pollack, “il fait beaucoupplus authentique que s’il avait été tournéaux Etats-Unis.”Mais cela tient moinsaux paysages naturels de Transylva-nie qu’au fait que le réalisateur,Anthony Minghella, a pu comman-der – pour une somme modique –1 200 soldats de l’armée roumainependant plusieurs semaines pour tour-ner ses scènes de combat dans lecadre d’une production de 80 millionsde dollars.

De même, Anthony Minghella apu bénéficier de techniciens roumainsqualifiés – pour 200 dollars… par mois.“Si nous avions dû tourner aux Etats-Unis, ça aurait été hors de prix, assure-t-il. Mais,maintenant, certains estimenten Amérique que nous, un cinéaste bri-tannique et une équipe internationale,leur avons volé leur histoire la plus pro-fondément américaine.” Le fait est quele syndicat des ouvriers du film et dela télévision, Film & Television Wor-kers, a même appelé au boycott deRetour à Cold Mountain au nom du“patriotisme économique” et de ladéfense des films made in USA.

Toutefois, le facteur coût n’est querarement déterminant pour Berlin.Car Prague ou Budapest restent com-parativement moins chers. Ce quiattire surtout les Américains ici, c’estla diversité architecturale. “La ville offredes décors inimaginables”, se réjouit leproducteur Marshall. Le fait que cesoit une ville en pleine mutation, oùde nombreux immeubles neufs sontencore vides et d’autres pas encoredémolis, est une chance pour Holly-wood : où peut-on mieux qu’à Ber-lin et dans les environs faire sauterautant de bâtiments pour les besoinsd’un film ? Lars-Olev Beier,

Nadine Miesen, Martin Wolf

ALLEMAGNE

Berlin, décor de rêve pour films hollywoodiensLe cinéma allemand poursuit son ascension : Contre le mur, de Fatih Akin, vient de recevoir l’Ours d’or.Et la capitale s’affirme comme un lieu de tournage très prisé des producteurs américains.

COURRIER INTERNATIONAL N° 694 15 DU 19 AU 25 FÉVRIER 2004

europe

E S P A G N E

Quand les cinéastes entrent en politiqueA quelques jours des élections législatives, le gratin du cinéma critique l’Espagne selon Aznar.

Trente réalisateurs espagnols de premierordre – parmi lesquels Imanol Uribe, David

Trueba ou Vicente Aranda – ont décidé d’en-trer de plain-pied dans la campagne électo-rale [les législatives auront lieu le 14 marsprochain] en réalisant un long-métrage d’uneheure à une heure et demie, intitulé Haymotivo [Il y a de quoi]. “Trois minutes pourcritiquer la réalité”, annonce El País, quireprend les propos du porte-parole du mou-vement, Imanol Uribe. “Nous nous rendonscompte que l’information qui nous parvientest de moins en moins plurielle. […] Notreobjectif est de dire que nous sommes vivantset surtout que nous ne sommes pas indif-

férents aux événements qui nous entourent.”Chaque réalisateur disposera de troisminutes au maximum pour traiter du sujetqu’il souhaite dans le format qui lui convientle mieux (documentaire, fiction, etc.). Parmiles thèmes qui seront abordés, l’Irak, biensûr, et la position du gouvernement, le casde la famille de José Couso, le cameramande Tele 5 tué à Bagdad, mais aussi le Pres-tige, le problème de l’immigration, la violencecontre les femmes, la pluralité de l’infor-mation, le chômage.Ce projet, autofinancé, est salué par lagauche, mais très critiqué à droite. “Trentecinéastes contre l’Espagne du PP” [Par tipopulaire, droite], annonce même El Mundodans ses pages culturelles. “Le pugilat conti-nue entre les gens du cinéma et le gouver-nement” [référence à la polémique née en

2003, quand tous les invités des Goyas,l’équivalent des Césars, étaient arrivés avecdes autocollants contre la guerre], expliquele quotidien. “Notre mouvement est né demanière spontanée, sans aucune institutionou parti politique derrière nous”, rétorqueUribe dans le même article. “Nous souhai-tons uniquement transmettre le messageque la situation dans laquelle se trouve l’Es-pagne aujourd’hui ne nous satisfait pas. Unmessage destiné au gouvernement actuelet à celui qui suivra, si jamais il y a un chan-gement”, assure quant à lui un autre réali-sateur, El Gran Wyoming, dans El País. “Ilne s’agit pas pour nous d’influencer qui quece soit, mais de montrer une situation quinous est cachée”, poursuit-il.Le film devrait être terminé à la fin du moisde février, pour une diffusion attendue avant

les élections. “Nous offrirons ce film aux dif-férentes chaînes de télévision, notammentà TVE [Televisión Española, service public],qui appartient à tout le monde et donc unpetit peu à nous. Si TVE n’accepte pas dediffuser le film, alors nous pourrons dire queles choses sont pires que ce que nous pen-sions et que la liberté d’expression est endanger”, précise El Gran Wyoming dansEl Mundo. Pour le porte-parole du ministèrede la Culture, Juan Allende, interrogé par lemême quotidien, “tout ce qui est fait pourpromouvoir la création cinématographiquenous paraît bien. Mais, s’ils prétendentdénoncer le manque de liberté d’expressionen Espagne, alors, je suis obligé de m’ins-crire en faux et de répéter que oui, dansnotre pays, cette liberté existe.” Réponsedans les prochaines semaines.

� Dessin de LeonardBeard paru dans El Periódico de Catalunya,Barcelone.

■ ChiffresLe cinéma allemandse porte bien, relatela SüddeutscheZeitung. En 2003,malgré un recul de la fréquentation(– 9 %), il anettement progresséen parts de marché(+ 17,5 %) parrapport à 2002. Laconsécration dujeune réalisateurallemand d’origineturque Fatih Akindevrait confirmercette tendance.

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TRIBOUNAMoscou

Des jeunes armés de cou-teaux, de battes de base-ball et de poings améri-cains ont soudain surgi de

nulle part. Cette fois, ils ont tué uneenfant. En cette soirée du 9 février,Khourcheda, 9 ans, rentrait d’une pro-menade avec son cousin et son père.Iounous Soultanov, 35 ans, a été rouéde coups. Le petit Akabir, 7 ans, a luiaussi été blessé, mais il a pu rampersous une voiture en stationnement, cequi lui a sauvé la vie. Khourcheda estmorte sur place, transpercée de neufcoups de couteau. Les crânes rasés sesont enfuis, se dispersant dans les coursvoisines, pour se retrouver plus tard ave-nue de Moscou, à scander : “La Russieaux Russes !”,“Mort à tous les basanés !”

“Mon indignation est sans bornes”,a déclaré Valentina Matvienko, gou-verneur de Saint-Pétersbourg, enouvrant la séance du conseil munici-pal. Puis elle a poursuivi : “Cet événe-ment est à rapprocher de l’attentat dumétro de Moscou”, et a fixé la missiondes forces de l’ordre : “Trouvez-les,met-tez la main dessus, prenez des mesuresd’urgence et organisez un procès exem-plaire. De tels faits ne doivent pas resterimpunis !”

Ce jour-là, tous ceux qui ont parléde ce crime atroce commençaient parces mots : “Piter est sous le choc !” Maishélas, Piter [surnom affectueux deSaint-Pétersbourg] est depuis long-temps habitué à voir se matérialiser,n’importe où et à n’importe quelleheure, des groupes de jeunes voyousfascisants. Il peut leur arriver d’atta-quer un passant au hasard. Mais, leursvictimes sont le plus souvent des non-Russes. Tous les mois, des dizaines

d’étrangers portent plainte. Certainsse sont retrouvés à l’hôpital, griève-ment blessés, d’autres ont eu moins de“chance”. Ainsi, début 2003, un étu-diant mauricien de l’Académie demédecine Metchnikov n’a pas survécu.Peu avant, c’était un marchand de pas-tèques azerbaïdjanais, Mamed Mame-dov, que les skinheads avaient assas-siné. En mai dernier, ils avaient frappédans le métro plusieurs enfants afghanset leurs accompagnateurs. Les policiersont ignoré le dépôt de plainte. Seul lefait que ces victimes étaient sur le pointd’obtenir le statut de réfugiés en Alle-magne a permis d’ouvrir une enquête,mais aucun des agresseurs n’a étéappréhendé.

En septembre, ces sauvages ontenvahi le village de Datchnoïé, oùs’étaient installées plusieurs dizainesde familles [de réfugiés] tadjikes. Lepogrom a commencé en pleine jour-née, alors que seuls les personnesâgées, les femmes et les enfants se trou-vaient à la maison. Les skins n’ontépargné personne. Les habitants ontappelé des ambulances, mais les méde-cins ont demandé que les blessés soienttransportés sur le quai de la gare. Unefillette n’a pas pu être sauvée, elle avait5 ans et a succombé sur place.

Cela n’a pas suffi aux crânes rasés.Trois jours après les funérailles de l’en-fant, une cinquantaine de ces misé-rables sont retournés au village. Cet-te fois, les hommes étaient là, mais lerapport de forces restait inégal. Et,quand les habitants ont appelé le com-missariat, les policiers ont réponduque Datchnoïé ne faisait pas partie deleur zone d’intervention. Ce sont fi-nalement des OMON [forces spécialesd’intervention] qui sont venus à la res-cousse. Les skinheads se sont cachésdans les bois et n’ont pas été pour-

suivis. Les ré-fugiés tadjiks, en

revanche, ont étéinstallés dans deux bus

et emmenés à Saint-Pé-tersbourg. Ensuite, leur village – pasmoins de soixante habitations – a étéréduit en cendres. Le meurtre de lapetite tadjike de 5 ans, compatriote deKhourcheda, a bien sûr suscité des ré-actions. Peu après, la police a mêmeréussi à arrêter plusieurs des as-saillants, mais ni les pouvoirs publics,ni les forces de l’ordre n’ont lancé lamoindre déclaration retentissante dugenre : “Nous irons les chercher jusquesous terre !” Cela fait des années queles autorités ferment les yeux sur les

agissements des skinheads, alors quele parquet de Saint-Pétersbourg afiché plus de 20 000 personnes(excusez du peu !) pour “rassem-blements informels à caractère agres-sif”. Même à la veille du tricen-tenaire de Saint-Pétersbourg [enmai 2003], alors qu’on attendaitun afflux exceptionnel de visi-teurs étrangers, les principalesbêtes noires du ministre de l’In-térieur étaient les altermondia-listes. Les xénophobes extré-

mistes n’ont pas été inquiétés.Et, pendant les festivités, ils ont

tranquillement attaqué une dizainede Noirs et des personnes de “natio-nalité caucasienne”. Ces incidentsn’ont pas été retenus pour les statis-tiques de la criminalité.

La position que viennent d’adop-ter les autorités s’explique donc pourdeux raisons. Il est possible que lemeurtre sauvage de la petite Khour-cheda ait effectivement été la goutte quia fait déborder le vase, et qu’à partir demaintenant Saint-Pétersbourg connaisseune lutte sans merci contre le fascismeet la violence. Espérons-le ! Mais l’in-quiétant, c’est que les forces de l’ordrevoient ce crime comme une riposte àl’attentat du métro de Moscou le6 février dernier (on se demande alorsà quoi seraient dues les autres agres-sions). Sa médiatisation ne serait doncpas un hasard : c’est maintenant, à laveille de l’élection présidentielle du14 mars, que l’on attend du pouvoirdes actes décisifs, tant dans la luttecontre le terrorisme que contre la xéno-phobie. Dans ce cas, on se borneraità arrêter quelques skins et à les punirde façon exemplaire. Pendant ce temps,les gens devraient continuer à avoir peurde sortir de chez eux.

Irina Kedrova

COURRIER INTERNATIONAL N° 694 16 DU 19 AU 25 FÉVRIER 2004

europe

� Dessin d’Ulisesparu dansEl Mundo, Madrid.

RUSSIE

Les skinheads ont les coudées franches à Saint-PétersbourgLes actes de violence racistes sont monnaie courante dans la capitale du Nord. Après la sauvage agression d’une enfant tadjike, les autorités locales ont pour la première fois dénoncé la xénophobie et pris des mesures.

Il n’est pas rare, dans la capitale russe, de voir tomber des murs, des toits ou desbalcons. Qu’attendent donc les autoritéspour faire cesser les malfaçons ?

Après la tragédie du centre de loisirs aqua-tique Transvaal Park [dont l’effondre-

ment a causé la mor t de près de 40 per-sonnes le 14 février], le vice-maire deMoscou Valéri Chantsev a déclaré en écu-mant légitimement de rage, que “tous lesbâtiments à couverture complexe” de la capi-tale allaient faire l’objet de vérifications tech-niques. C’est toujours la même histoire enRussie : ce n’est qu’après les terribles atten-tats de la Kachirka [en septembre 1999,à Moscou] que l’on a songé à inspecter lesgreniers et les caves, et il a fallu une mons-trueuse explosion pour que l’on se metteà inspecter les valises et les ballots sus-pects à l’entrée du métro.

Pourquoi réagit-on systématiquement aprèscoup ? Pourquoi pas avant ou, encoremieux, régulièrement, autant que possible,puisque nous vivons à une époque où lesdangers menacent les Moscovites aussibien chez eux que dans les transports, etmême pendant qu’ils s’amusent tran-quillement le week-end… Une époque où ilsne sont pas uniquement victimes des ter-roristes, mais aussi de la négligence desconstructeurs.Le Transvaal Park n’est pas le seul chantierraté de Moscou. Il n’est pas rare de lire dansla presse un entrefilet sur des édifices ter-minés depuis peu – ou même encore encours de travaux – qui s’écroulent sans rai-son apparente. Le 7 août 2003, rue Grine,le mur d’un immeuble de neuf étages enphase d’achèvement s’est écroulé, tuant unouvrier et en blessant grièvement un second.Un autre ouvrier est mort le 20 septembre,

enseveli dans les fondations d’un immeubleoù il travaillait. On connaît des cas de bal-cons qui se sont détachés sans prévenird’immeubles de luxe flambant neufs, et neparlons pas des “broutilles” telles que murscintrés, dégâts des eaux et portes impos-sibles à fermer. Et pourtant les Moscovitesdoivent débourser des fortunes pour avoirla “chance” de vivre dans du neuf (ou de sedétendre dans un centre aquatique).L’exemple le plus flagrant de cette incurieest le quartier “modèle” de Kourkino. MêmeVladimir Ressine, le responsable de la com-mission immobilière de la capitale, l’areconnu. D’ailleurs, la hot line que les Mos-covites peuvent utiliser pour se plaindre desmalfaçons avait d’abord été créée à l’in-tention de ceux qui emménageaient dans cequartier chic.On ne peut pas dire que la mairie de Mos-cou ne soit pas au courant de la piètre

qualité des constructions. Iouri Loujkov,le premier magistrat, sermonne même par-fois vigoureusement ses collaborateurs.Mais cela ne va pas plus loin qu’un simpleéchange de vues lors de réunions duconseil municipal. Chantsev était vice-maire, il va le rester. Ressine présidait lacommission immobilière, il garde sonposte. Aucun des responsables munici-paux – pas même monsieur le maire –n’aura un seul instant l’envie de démis-sionner parce que des gens sont mor tsdans la ville qu’ils administrent, même s’ilse confirme que le drame de TransvaalPark est dû à un défaut de constructionou à la négligence des pouvoirs publics.Des gens meurent parce que quelqu’un aconstruit quelque chose de travers, qu’undeuxième l’a mal géré et qu’un troisièmea fermé les yeux.

Irina Mandrik, Rousski Kourier, Moscou

A C C I D E N T À M O S C O U

Après les terroristes, les constructeurs marrons !

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PUBLICITÉ

Publicite 20/03/07 16:05 Page 56

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ensemble avec le syndicat. Les res-ponsables des chaînes assurent qu’ilssont dans l’obligation de réduire defaçon draconienne leurs dépensesparce que Wal-Mart [géant américainde la distribution] prévoit d’ouvrir40 centres commerciaux et hyper-marchés discount dans les cinq pro-chaines années dans le sud de la Cali-fornie. Leur argument est qu’ils nepourront pas faire face à cette nou-velle concurrence parce que lesemployés de Wal-Mart et des autresentreprises qui n’emploient pas de tra-vailleurs syndiqués sont souvent payés8 dollars de moins par heure (ensalaire et avantages divers) que lessalariés syndiqués.

D’après Paul Clark, auteur d’unouvrage récent sur l’évolution des ten-dances dans les négociations collec-tives, le conflit pourrait avoir desrépercussions au niveau national. “Sile syndicat perd cette bataille et doitrenoncer à une part importante de la cou-verture médicale,explique-t-il, un grandpas en arrière aura été fait dans le mondedu travail : tout le monde sera logé à l’en-seigne des employés de Wal-Mart, malpayés et sans couverture médicale.”

Quelques mouvements inatten-dus se sont produits dernièrement. Lenouveau gouverneur de Californie,Arnold Schwarzenegger, a annoncéqu’il était prêt à intervenir pour aiderles deux camps à parvenir à unaccord. Les syndicats, cherchant às’attirer le soutien de la population età faire reprendre le travail à leursmembres, ont quant à eux réclamé unarbitrage avec décision exécutoire. Leschaînes ont répondu en disant que,puisque le négociateur fédéral PeterHurgten était impliqué, elles nevoyaient pas la nécessité de faire appelà quelqu’un d’autre.

Stephen Greenhouse

ÉTATS-UNIS

La grève sans fin des employés de supermarchéDepuis quatre mois, en Californie, ils sont 70 000 à faire grève pour défendre leur couverture médicale. Un conflit majeur causé par l’arrivée du géant de la distribution, Wal-Mart, champion du dumping social.

THE NEW YORK TIMES (extraits)New York

DE LOS ANGELES

La grève décrétée il y a qua-tre mois par 70 000 em-ployés de supermarché aplongé le sud de la Cali-

fornie dans l’un des conflits sociauxles plus importants de ces dernièresdécennies. Le syndicat United Foodand Commercial Workers, qui repré-sente les salariés du secteur de la dis-tribution, mène une lutte de plus enplus dure – désespérée selon cer-tains – pour préserver le droit à l’as-surance maladie de ses adhérents. Lamanifestation qui a eu lieu le 31 jan-vier à Los Angeles, et à laquelle ontparticipé 14 000 membres du syndi-cat, a fait date. Les chaînes de super-marchés incriminées commencentà subir des pressions dans tout l’Etat.A Santa Cruz, une centaine de syn-dicalistes ont fermé un magasin Safe-way pendant une heure et demie, pas-sant ce temps à chanter et à danserla conga façon “chenille” entre lesrayons. D’autres ont interrompu untournoi de golf à Pebble Beach enscandant des slogans devant deuxmembres du conseil d’administrationd’un supermarché alors qu’ils allaiententamer leur parcours. Les respon-sables syndicaux menacent de har-celer les dirigeants des chaînes surleur lieu de vacances, que ce soit surles plages ou sur les pistes de ski.

“Ce n’est pas une bataille que doitlivrer la Californie du Sud, mais uneguerre qui concerne l’ensemble du pays.C’est l’assurance maladie qui est en jeu”,estime Ron Judd, responsable du syn-dicat l’AFL-CIO sur la côte Ouest.“Les employeurs sont en train de nousmontrer ce qu’ils sont prêts à faire pourne plus payer la couverture médicale.”

Les militants du syndicat UnitedFood and Commercial Workers com-parent leur action à un mur de défensecontre les tentatives faites par leschaînes pour réduire les avantages sala-riaux de leurs employés et leur fairepayer une partie des cotisations de l’as-surance maladie. Les travailleurs syn-diqués sont persuadés que, s’ils per-dent la bataille, les entreprises serontde plus en plus nombreuses à faire deséconomies sur la couverture médicale.De leur côté, les responsables deschaînes affirment qu’il est temps, étantdonné l’augmentation des cotisations,que les travailleurs commencent àprendre en charge une partie de l’as-surance maladie et que les employeurspuissent limiter leur contribution.

LE CONFLIT POURRAIT DURERENCORE PLUSIEURS MOIS

La seule chose sur laquelle patronset syndicats pourraient s’accorderest que le conflit fait énormémentsouffrir les deux camps. D’un côté,les chaînes Safeway, Albertsons etKroger ont enregistré des pertes depresque 2 milliards de dollars dansleurs 852 magasins du sud de la Cali-fornie. De l’autre, plusieurs des syn-dicats impliqués dans le conflit ont dûhypothéquer leurs locaux pour pou-voir payer les indemnités de grève – etles frais annexes –, qui ont parfoisatteint 10 millions de dollars parsemaine. Les 70 000 grévistes nebénéficient pas de l’assurance chô-mage, et la couverture médicale quepayait leur employeur est arrivée à sonterme le 31 décembre 2003. L’assu-reur a offert une prolongation de deuxmois au prix de 400 dollars, ce quebeaucoup de travailleurs ont acceptéde payer, parfois avec l’aide du syn-dicat. Les autres n’ont plus rien. Beau-coup se plaignent également de la

réduction de la compensation pourles jours de grève, passée de 240 à125 dollars par semaine [de 187 à97 euros]. On entend parler de gré-vistes expulsés de chez eux, et éga-lement de véhicules saisis…

Les deux parties ont fait savoirque le fossé qui les sépare est si grandque le conflit pourrait durer encoreplusieurs mois. “Nous allons vers l’es-calade”,a déclaré Richard Trumka, lesecrétaire et trésorier de l’AFL-CIO.“Le combat durera aussi longtemps qu’ille faudra pour ramener la direction à laraison et négocier un accord équitable.”La grève a été lancée le 11 octobre par20 000 employés de Vons et Pavilions,deux filiales de Safeway, six jours aprèsl’expiration du dernier contrat d’as-surance maladie. Par solidarité, lesmagasins Ralph et Albertsons, quiappartiennent au groupe Kroger, ontdès le lendemain imposé un lock-outà presque 50 000 grévistes. Safeway,Kroger et Albertsons négocient

COURRIER INTERNATIONAL N° 694 18 DU 19 AU 25 FÉVRIER 2004

amériques●

É T A T S - U N I S

Le mot “Vietnam” dont Kerry use et abuseAla seule évocation du Vietnam, la foule

acclame John Kerry. Inutile de donnerdes précisions. Nul besoin de rappeler que“John Kerry a servi son pays au Vietnam”,qu’“il a été décoré au Vietnam”, ou qu’“ila manifesté contre la guerre au Vietnam”à son retour au pays. Il suffit de prononcerle mot “Vietnam” et ses partisans – en l’oc-currence 300 personnes réunies dans lasalle de réception d’un hôtel Marriott – hur-lent leur approbation, comme si ce motavait perdu tout son pouvoir de division. Oucomme si, au même moment, un mani-festant – un ancien combattant de la guerrede Corée – n’accusait pas John Kerr yd’avoir “soutenu le Vietcong” et “manifesté

en compagnie de sa copine Jane Fonda”.Le Vietnam représente le machisme deKerry, ses références en matière de poli-tique étrangère, son refus de succomber àla “machine à diffamation républicaine”.C’est sa meilleure arme offensive et défen-sive. Il y est allé, pas Bush. Et, quand lesrépublicains le traiteront – comme ils lefont – de “gauchiste du Massachusetts”,le Vietnam lui servira d’armure patriotique.Ce sera vrai surtout dans le Sud, où lesmilitaires sont particulièrement respectéset où en général les démocrates de Nou-velle-Angleterre ne le sont pas.Kerry ne rechigne jamais à parler du Viet-nam. Ses combats là-bas et son action paci-

fiste ici ont constitué son fonds de com-merce électoral pendant la majeure partiede ses trente années de carrière politique.Certains détracteurs – et même certainsadmirateurs – lui reprochent de trop invo-quer le Vietnam, au point sans doute d’enternir l’éclat. Lors d’un débat en Carolinedu Sud au printemps dernier, Howard Deanavait mis en cause un aspect du soutienapporté par son concurrent démocrate auxdroits des homosexuels. “Je n’ai aucuneleçon de courage à recevoir de HowardDean”, avait-il lancé.Depuis quelques semaines, on assiste àun changement subtil dans la manière dontle sénateur du Massachusetts fait valoir

son engagement au Viet-nam. Il l’évoque moins entermes d’expérience per-sonnelle que collective, ne cessant pasd’évoquer la “bande des frères” qui ontcombattu côte à côte il y a plus de trenteans et qui apparaissent régulièrement àses côtés depuis le caucus de l’Iowa. Et,d’une façon générale, il parle moins à lapremière personne. Cette vieille habitude,qui donne une impression d’arrogance,n’est-elle pas à l’origine d’une plaisanterieappréciée dans le Massachusetts, selonlaquelle les initiales JFK signifieraient “JustFor Kerry” [Y en a que pour Kerry] ?Mark Leibovich, The Washington Post, Washington

� Dessin de ChrisDuggan paru dans le Financial Times,Londres.

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THE INDEPENDENT ON SUNDAYLondres

DE GONAÏVES

Les rebelles qui se sontemparés du port de Go-naïves [quatrième villed’Haïti] débordent d’en-

thousiasme. Depuis deux semaines,ils ont chassé les forces de l’ordre, misle feu au commissariat de police età la prison, et installé des barricadesaux portes de la ville pour tenir à dis-tance les hommes restés fidèles auprésident Jean-Bertrand Aristide.

Une seule fois, ceux-ci ont essayéde reprendre le contrôle de la ville. Ilsont dû battre en retraite rapidement,après qu’un nombre indéterminé depoliciers ont été abattus, leurs corpsmutilés et traînés dans toute la ville.Depuis lors, devenue un symbole dela rébellion anti-Aristide, Gonaïves estpratiquement coupée du reste du pays.

Pour les rebelles, ce n’est pas seu-lement un tour de force, c’est aussi ledébut d’une révolution qu’ils ont l’in-

tention de mener à son terme en ren-versant Jean-Bertrand Aristide – unhomme autrefois salué comme le Nel-son Mandela haïtien, aujourd’huitraîné dans la boue pour ses manièresautocratiques et son incapacité à amé-liorer un tant soit peu le sort de sesconcitoyens.

“On entend dire tout le temps queles policiers arrivent,mais, s’ils viennent,ce sera pour mourir”, lance WinterEtienne, maire de ‘Gonaïves-Libre’ etporte-parole du mouvement rebelle.“Nous avons plus de 200 soldats entraî-nés. Et nous avons autant d’armes qued’habitants – s’ils n’ont pas de fusils,ils ont des machettes.”

Lui et les autres dirigeants de larébellion ne plaisantent pas. D’autresvilles qui s’étaient soulevées avantGonaïves ont été rapidement repriseset mises au pas par les fidèles du pré-sident. Les forces de l’ordre ont incen-dié des maisons et menacé les mili-tants anti-Aristide. Mais Gonaïvess’avère bien plus tenace.

Les barricades dressées sur laroute qui mène à la ville – des auto-bus massés sur un pont, un poste decontrôle armé, des camions brûlés entravers de la route, des bornes enbéton – ne seraient pas un bien grandobstacle pour une armée moderne etcorrectement équipée. Mais, à Haïti,où les seules forces de l’ordre sont despoliciers au volant de 4 x 4 de marqueToyota, elles font largement l’affaire.

Les rebelles brandissent une col-lection d’armes automatiques et semi-automatiques nettement supérieure àce que peut aligner une police offi-cielle sous-équipée.Winter Etienneconduit un groupe de journalistesdans une cabane en bois étroitementgardée, près du port, où il leur pré-sente le nouvel atout des rebelles enla personne de Guy Philippe, anciencommissaire de police et ancien offi-cier, qui est depuis longtemps unennemi juré du président Aristide.Flanqué de 12 paramilitaires, il veutprendre le reste du nord d’Haïti et

marcher sur Port-au-Prince pour ter-miner le travail. “A Haïti, ce que nousfaisons, c’est lutter contre la dictature”,déclare-t-il.

Guy Philippe est un personnageà la fois craint et respecté. Il a parti-cipé en 1991 au coup d’Etat qui a ren-versé Jean-Bertrand Aristide après sonpremier mandat présidentiel avorté.Et il a été accusé d’avoir participé, en2001, à un mystérieux enchaînementd’événements, où l’entourage d’Aris-tide a voulu voir une nouvelle tenta-tive de coup d’Etat, ce qui l’a obligéà s’exiler en République dominicaine.

Selon des diplomates en poste àPort-au-Prince, Guy Philippe auraitpeut-être suffisamment d’hommes etde matériel pour étendre la rébellionà d’autres villes. La tactique répres-sive de la police et l’utilisation des“chimères”, ces voyous des bidon-villes armés et financés par le gou-vernement pour maintenir l’ordre, nefont qu’exacerber le sentiment anti-Aristide dans la population.

Entre-temps, la rébellion deGonaïves risque de déclencher unecrise au nord du pays. Déjà, des villessont privées d’électricité, manquentd’essence et voient diminuer leurapprovisionnement alimentaire. Leschefs rebelles ont aussitôt déclaré quesi les Haïtiens avaient faim, ilsn’avaient qu’à venir à Gonaïves pourparticiper à la révolution.

Andrew Gumbel

HAÏTI

Les rebelles veulent faire la révolutionL’envoyé spécial de The Independent on Sunday a rencontré les leaders du front anti-Aristide. Reportage à Gonaïves, dans le fief de ceux qui disent “combattre la dictature”.

COURRIER INTERNATIONAL N° 694 19 DU 19 AU 25 FÉVRIER 2004

amériques

Washington semble hésiter sur la position à adopter dans la crise haïtienne. Or sa politique officielle, soulignel’éditorialiste Andrés Oppenheimer, a toujours été de soutenir les chefs d’Etat régulièrement élus.

Face à la rébellion des opposants au pré-sident Jean-Bertrand Aristide, le gouver-

nement Bush a réagi de manière timorée.Ce qui a suscité une cer taine inquiétudedans les milieux diplomatiques. Beaucoupen sont à se demander si les Etats-Unis nevont pas renoncer à promouvoir la démo-cratie dans la région.La semaine dernière, le por te-parole dudépar tement d’Etat, Richard Boucher, alaissé planer certains doutes, affirmant que“trouver une solution politique [à Haïti]demandera certains changements assez pro-

fonds quant à la manière dont le pays estgouverné”. Le gouvernement Bush cher-cherait-il à obtenir la démission du présidenten exercice ? Une telle option, si c’est lecas, serait en contradiction avec la politiquede Washington. Il y a à peine trois mois, alorsque les Boliviens descendaient dans la ruepour exiger la démission du président pro-étasunien Gonzalo Sánchez de Lozada, legouvernement Bush a officiellement soutenuce dernier. Les émeutes boliviennes ont toutde même entraîné la démission du chef del’Etat, ce qui a permis à son vice-président,Carlos Mesa, de prendre le pouvoir sans vio-ler la Constitution.Y a-t-il deux poids, deux mesures ? La com-munauté internationale ne devrait-elle pasdéfendre tous les présidents démocrati-quement élus, qu’ils soient de gauche ou dedroite ?

“A Haïti, tout a été mis en œuvre pour réglerles problèmes nés des élections [législatives]de 2000 [marquées par de nombreusesfraudes]”, assure César Gaviria, secrétairegénéral de l’Organisation des Etats améri-cains (OEA). Et d’ajouter : “La communautédes nations doit soutenir les gouvernementslégitimes, mais Haïti a ceci de particulier qu’ilconnaît un problème de légitimité démocra-tique. L’alternative ne se réduit pas à sou-tenir Aristide ou non. Il s’agit d’abord de réglerla question de sa légitimité.” Or personne nesemble vouloir prendre la responsabilité derégler la crise haïtienne. Le gouvernementBush dit qu’il a confié le dossier à l’OEA,laquelle à son tour s’est défaussée sur laCommunauté des Caraïbes (CARICOM). “Ici,ce qui domine, c’est un sentiment de lassi-tude face à la question haïtienne”, assureun ambassadeur latino-américain de l’OEA.

En ne soutenant pas ouvertement Aristide,dont le mandat se termine en 2006, le gou-vernement Bush ne commet-il pas une graveerreur ? Le département d’Etat assure qu’onne peut pas comparer les crises haïtienne etbolivienne. “Aristide est le président démo-cratiquement élu d’Haïti, souligne l’un de sesporte-parole. Son avenir devra être décidé parle peuple haïtien.”Les Etats-Unis jouent avec le feu. Certes,Aristide a été un désastre pour Haïti, mais,à l’heure où les pays d’Amérique latine sontde plus en plus nombreux à traverser descrises politiques, la moindre marque d’hé-sitation face à la violence antigouverne-mentale pourrait créer un précédent que lesforces d’opposition ne tarderaient pas à uti-liser dans d’autres pays contre des prési-dents amis de Washington.

Andrés Oppenheimer, The Miami Herald, Miami

A N A L Y S E

Les Etats-Unis soutiennent-ils encore la démocratie ?

� W W W . �Toute l’actualité internationale

au jour le jour sur courrierinternational.com

O P P O S I T I O N

■ “La Plate-forme démocratique, l’une des principales forcesqui s’opposent au maintien de Jean-Bertrand Aristide aupouvoir, appelle tous les habitants à rejoindre la mobilisa-tion non violente”, rapporte l’agence de presse haïtienneAlterPresse. Ce mouvement, dirigé par le syndicaliste GérardPierre-Charles (candidat au prix Nobel de la paix), tient à sedissocier des rebelles qui ont prix la ville de Gonaïves. “Nousn’avons rien à voir avec les violences qui sévissent dans lepays. Nous demandons à la population de sortir dans lesrues pour demander le départ d’Aristide”, précise la Plate-forme. L’actuel président est qualifié de despote par GérardPierre-Charles, qui estime même que le peuple haïtien atransformé Aristide en “petit monstre”.

Aristide, démission !

� Dessin de Gadoparu dans DailyNation, Nairobi.

694p18-19 17/02/04 14:49 Page 19

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EL PAÍSMadrid

DE LIMA

L a diffusion, début février,d’une simple cassette aprovoqué un énormetremblement de terre poli-

tique. Il est vrai que cette cassettecontenait des conversations télépho-niques, enregistrées en septembre eten décembre 2001, entre CésarAlmeyda, alors conseiller du prési-dent Toledo et ancien chef des ser-vices secrets, et le général Oscar Vil-lanueva, recherché par la justice enraison de ses liens avec la mafia diri-gée dans les années 90 par le tandemVladimiro Montesinos-Alberto Fuji-mori. Il en ressort que l’avocat per-sonnel de Toledo a négocié desfaveurs judiciaires avec le “trésorier”de Montesinos un mois seulementavant l’entrée en fonctions du pré-sident, probablement en échanged’une somme d’argent dont on ignorele montant exact. Almeyda a reconnuavoir rencontré par deux fois le géné-ral Villanueva, mais il nie s’être renducoupable d’un quelconque délit ; ilest actuellement assigné à résidence

et fait l’objet d’une enquête duCongrès et de la justice péruviens.

L’affaire se complique du fait dusuicide de Villanueva quelques joursaprès sa seconde rencontre avecAlmeyda, en décembre 2001. Legénéral n’a cependant pas emportétous ses secrets dans la tombe. Ilsemble en effet qu’il ait laissé plu-sieurs lettres écrites de sa main,dans lesquelles il affirme avoirsubi des pressions de la part d’Al-meyda et d’autres hauts respon-sables de l’entourage de Toledo. Cesdocuments sont actuellement analy-sés par les autorités.

Mais ce n’est pas tout. Le jour oùle contenu de la cassette a été rendupublic, le premier vice-président, RaúlDíez Canseco, a présenté sa démis-sion, malgré les supplications queToledo – affolé – lui a adressées autéléphone, une scène dont ont ététémoins les journalistes qui suivaientle chef de l’Etat en tournée dans lesud du pays.

La démission de Díez Cansecodemande plus d’une explication.Dans la pratique, l’homme n’étaitplus vice-président depuis plusieursmois, après que la presse eut révélé,

en octobre 2003, qu’il s’était renducoupable de favoritisme et de traficd’influence en faisant embaucher samaîtresse par l’Etat et en accordantdes faveurs au père de cette dernière.Trois jours avant d’être interrogé parle Congrès, Díez Canseco a vouluapporter de l’eau à son moulin enannonçant sa démission irrévocableet donner de lui l’image d’un cham-pion de la morale en prenant ses dis-tances avec un gouvernement se trou-vant dans l’œil du cyclone. Mais il n’atrompé personne : beaucoup lui ontrappelé que les rats quittent le navirelorsqu’ils sentent qu’il va couler.Un autre fait permet d’expliquerles nuages qui assombrissent lepaysage politique au Pérou. Mêmele grand héros de la lutte contrela corruption, Fernando Olivera,ambassadeur du Pérou enEspagne, chef du Front indé-pendant moralisateur et prin-cipal allié du président Toledo

au gouvernement, est mis aupilori. Une enquête a été ouverte

contre lui, et il a dû se rendre àLima pour comparaître devant le

Congrès. Olivera affirme qu’il est vic-time d’une campagne de dénigrement

menée par le principal parti de l’op-position, l’APRA. Les membres decelui-ci nient en bloc et rappellentque, dans plusieurs lettres, le généralVillanueva accuse Olivera d’avoir faitpression sur lui et de l’avoir trompélorsqu’il était ministre de la Justice.Pour couronner le tout, l’un de sesanciens associés a annoncé son inten-tion de dévoiler la liste des personnesayant financé la campagne du partid’Olivera, qui contiendrait de nom-breuses surprises.

L’unique issue pour le gouverne-ment agonisant de Toledo serait quecelui-ci comprenne qu’il doit parta-ger le pouvoir. L’ex-président ValentínPaniagua, l’actuel ministre de l’Inté-rieur Fernando Rospigliosi et la majo-rité des analystes s’accordent sur lanécessité de former un cabinet de per-sonnalités indépendantes en accordavec les forces de l’opposition, qui per-mettrait à Toledo d’avoir assez d’oxy-gène pour aller jusqu’au terme de sonmandat, en juin 2006. Sinon, la mobi-lisation nationale des producteurs decoca, le 18 février, et les différentesgrèves régionales risquent d’avoir desconséquences imprévisibles.

Laura Puertas

PÉROU

Le président Toledo en pleine tourmente politiqueAlejandro Toledo est aujourd’hui déstabilisé par un scandale de corruption : l’un de ses conseillers a été arrêté et son vice-président a démissionné. Seule solution pour survivre : former un gouvernement d’union nationale.

amériques

A R G E N T I N E

Une école pour mémoireL’Ecole de mécanique de la marine

(ESMA), emblème du terrorismed’Etat instauré par la dictature mili-taire (1976-1983), va devenir un lieude souvenir des crimes perpétrés parla junte. Le président Néstor Kirch-ner en fera l’inauguration officiellele 24 mars prochain, à l’occasiondes vingt-huit ans du coup d’Etat de1976. Kirchner s’est aussi engagéà ouvrir les archives officielles detous les services administratifs sus-ceptibles de détenir des donnéesconcernant le sort des disparus eta confirmé que l’ESMA hébergera les“archives de la mémoire”.C’est au cours d’une réunion à laquelleont participé quatorze membres d’or-ganisations de défense des droits del’homme que le président a annoncé,le 9 février, que l’ESMA cesserait d’ap-partenir à la marine et que le siteserait préservé. “Ça été très touchantd’entendre cette annonce de la bouchemême du président. Il avait l’air sin-cèrement ému. Les familles avaientbien insisté sur le fait que la récupé-ration de l’ESMA n’était pas uneaffaire personnelle, mais qu’elleconcernait toute la société”, assureMatilde Mellibovsky, des Mères dela place de Mai [l’association desgrands-mères et mères des disparus,qui manifestent chaque jeudi sur cetteplace pour réclamer des nouvelles de

leurs fils ou mari]. Au cours de cetterencontre, Lila Pastoriza, survivantede l’ESMA, a décrit le centre clandestinet les différents corps de bâtiment oùles prisonniers étaient encagouléset torturés. Le secrétaire aux Droitsde l’homme, Eduardo Luis Duhalde, apour sa part souligné qu’“il ne s’agitpas d’un acte revanchard, mais d’unepréservation de la mémoire historique,du souvenir, en vue d’éduquer lesgénérations futures”.Les associations ont remis au prési-dent un document dans lequel ellesdemandent que “les dépendances quiont été utilisées comme centre clan-destin de détention, de tortures etd’extermination soient déclarées sitehistorique”. Elles ajoutent que les ter-rains voisins devraient aussi être pré-servés “vu la possibilité que des dis-parus y soient enterrés”. Enfin, ellesfont valoir que “la meilleure manièrede leur rendre hommage, ainsi qu’auxidéaux pour lesquels ils se sont bat-tus et sont morts, serait de réaffec-ter les autres bâtiments en en faisantdes institutions consacrées à l’édu-cation aux droits de l’homme et à leurpratique”. On estime que plus de5 000 disparus sont passés parl’ESMA et que des dizaines d’enfantsy ont été arrachés à leurs parents.

Victoria Ginzberg, Página 12 (extraits), Buenos Aires

COURRIER INTERNATIONAL N° 694 20 DU 19 AU 25 FÉVRIER 2004

� Dessin de Sciammarellaparu dans El País,Madrid.

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COURRIER INTERNATIONAL N° 694 22 DU 19 AU 25 FÉVRIER 2004

INDONÉSIE

Les indépendantistes de l’Atjeh en difficultéNeuf mois après l’instauration de l’état d’urgence, les groupes antiséparatistes se multiplient dans la province.D’autant qu’ils sont activement soutenus par l’administration civile et par l’armée.

TEMPO (extraits)Jakarta

Dans la petite ville deBireuen, située dans lenord de la province del’Atjeh [située au nord de

Sumatra], Sofyan Ali est connu commeun entrepreneur. Selon un chef duGAM [le mouvement indépendantistede l’Atjeh] à Bireuen, Sofyan aurait étémembre du conseil local de son orga-nisation. Un engagement que Sofyanrelativise : “A l’époque, tout le mondeavait peur du GAM.” Il reconnaît avoirété proche du groupe armé, maiscontraint et forcé. Le mouvement,raconte-t-il, contrôlait alors le gouver-nement local et prélevait un “impôt”sur toutes les entreprises locales.

Mais, lorsque le GAM a com-mencé à devenir violent et à kidnap-per des gens pour obtenir des rançons,Sofyan s’est mis à haïr ses membres.A l’approche de l’instauration del’état d’urgence dans la province [enmai 2003], il s’est présenté aux auto-rités militaires et à la police pour expli-quer les raisons qui l’avaient pousséà côtoyer ce groupe armé. Et le4 décembre dernier, le jour anniver-saire de la proclamation de l’indépen-dance de l’Atjeh par le GAM, Sofyana affirmé publiquement ses nouvellespositions. Ce jour-là, une grande sta-tue de Teungku Hasan di Tiro, le chefdu GAM exilé en Suède, a été traî-née par la foule jusqu’à la place cen-trale de la ville et jetée dans le feu avecdeux drapeaux du GAM. “Il n’y a pasde place pour le séparatisme !” criaitSofyan au milieu de milliers de per-sonnes. Peu après, il devenait le prin-cipal leader du Front d’opposition auséparatisme du GAM.

De Bireuen, le vent a soufflé surtoute la terre de l’Atjeh. Dans la cir-conscription de Darul Imarah, ungrand rassemblement s’est tenu débutjanvier. Les participants y ont créé leFront d’opposition antiséparatiste del’Atjeh. La plupart étaient des jeunesqui arboraient tous les mêmes signesde reconnaissance : un turban rougeet blanc autour de la tête, un bambouacéré et un sabre dans la main. “Lepeuple s’organise pour lutter contre leGAM”, a déclaré à cette occasion lelieutenant Joko Warsito, qui commandeles troupes stationnées dans la régionde Banda Atjeh [la capitale provin-ciale]. Car les responsables de l’arméeet les maires n’hésitent plus à partici-per à ce genre de cérémonies.

Banda Atjeh n’est pas resté endehors du phénomène. Un Front pourl’unité de la République indonésienney est apparu début janvier. Des milliersde personnes, affiliées à des groupesd’étudiants ou de jeunes villageois, ainsiqu’à diverses organisations commu-nautaires, se sont pressées sur l’espla-

nade de Blang Padang. Une autre céré-monie a été organisée dans l’ouest dela province par le Front d’oppositionde la terre de Teuku Umar [le héroslocal ayant combattu les Hollandais].Pas moins de dix journalistes ont ététransportés en hélicoptère par l’arméepour couvrir ce rassemblement géant.Mais des accrochages se sont produits.Deux civils et cinq membres de l’ar-mée ont été tués par des guérilleros duGAM alors que la fête politique bat-tait son plein. Les participants ont brûlédes affiches de quatre chefs du GAM :Hasan di Tiro, Zaini Abdullah, Muzak-khir Manaf et Sofyan Daud.

DES MILITANTS DES DROITS DE L’HOMME ANTI-GAM

Mais quelle est la véritable mission deces différents “fronts anti-GAM” ?Sofyan Ali explique qu’il s’agit deconstituer une sorte de “barrière de pro-tection”. Le problème, dit-il, c’est quel’armée et la police indonésiennes neparviennent pas à elles seules à conte-nir la guérilla séparatiste. Les membresde ces “fronts” ont donc une seulemission : aider les forces de l’ordre enleur signalant qui sont les membresdu GAM et où ils se trouvent.

Le profil des fondateurs de ces“fronts” ne manque pas d’intérêt. Ilest étonnant de trouver parmi eux denombreux militants des droits del’homme. A Lhokseumawe [au nord-est de la province], par exemple, desjeunes se sont rassemblés sous la ban-nière de la Forteresse du peuple anti-séparatiste (BERANTAS) dirigée parSatria Insan Kamil. Celui-ci a étémembre du Mouvement des étudiantsmusulmans et a même rejoint unmoment la Commission pour les per-sonnes disparues et les victimesd’actes violents, lorsque s’est produitela tragédie de Simpang KKA [à Lhok-

seumawe], où des dizaines de per-sonnes ont été tuées en 1999. Autre-fois, ses activités le plaçaient dans lecamp opposé de l’armée, mais aujour-d’hui il a changé de camp : il incitedésormais la population à chasser lesmembres du GAM dans les villages.

Dans chaque village, expliqueSatria, le BERANTAS recrute dixjeunes pour créer un groupe local.On leur enseigne les objectifs de l’or-ganisation, qui sont au nombre detrois : lutter contre l’influence duGAM, transmettre des informationsle concernant et le combattre direc-tement. Aujourd’hui, le groupecompte des milliers de membres dansle nord de la province. “Il ne suffit pasde combattre le GAM avec les armes,déclare Satria, il faut aussi lui coupertoute sa logistique.” Hasbi Yunus, chefdu front anti-GAM pour le districtde l’Atjeh-Jaya, explique les tech-niques employées. “Nous commençons

par signaler les positions du GAM auxforces de l’ordre.” Les militants du frontcherchent ensuite à identifier toutesles familles dont des membres mili-tent au sein du GAM ; ils leur rendentvisite et leur donnent dix jours pourconvaincre les brebis galeuses de serendre. En cas d’échec, les famillessont évacuées de leur village, afin queles réseaux logistiques des indépen-dantistes soient perturbés. Les mem-bres du front ne tremblent plus faceau GAM. “Les forces de l’ordre sont der-rière nous”, affirme Hasbi.

ENTRAÎNEMENT MILITAIREOFFERT AUX ANTISÉPARATISTES

Le colonel Geerhan Lentara, respon-sable de la zone militaire 012 deTeuku Umar, nie que l’armée aitorganisé la formation de ces frontsanti-GAM. “Ils sont le fruit des initia-tives de la population”, explique-t-il. Ilaffirme également que l’armée n’offrepas d’entraînement militaire à cesgroupes. Mais Geerhan laisse en-tendre autre chose en ajoutant : “Pourdéfendre le pays, l’entraînement militairereste toujours ouvert.” S’agit-il desmilices progouvernementales [commecelles du Timor-Oriental, qui ontassassiné de nombreux indépendan-tistes] ? Le chef de l’état d’urgencedans l’Atjeh, le général Endang Suwa-rya, a rejeté cette accusation. Le pro-blème, ajoute Endang, “c’est que lapopulation en a assez d’être constammentescroquée par le GAM”.

Mais le chef du district de l’Atjeh-Ouest, Nasruddin, caresse d’autresespoirs. Son camp va sans doute offrirun entraînement militaire de base auxfronts anti-GAM, car s’entraîner àdéfendre son pays, dit-il, est un devoirpour les citoyens. D’ailleurs, dans sarégion, “ce type d’entraînement a déjàété dispensé aux chefs de district et auxfonctionnaires”, ajoute Nasruddin. Unfonctionnaire de l’Atjeh-Ouest sou-haitant garder l’anonymat nous aconfié avoir reçu un entraînement mili-taire en juillet dernier.A cette époque,raconte-t-il, environ 500 fonctionnairesont été entraînés à se préparer à uneattaque du GAM. Ils ont appris àmanier diverses armes comme lesM-16, AK-47 et SS-1. “Nous avonstous appris à tirer quelques balles.”

Après leur apparition dans vingt-deux départements de l’Atjeh, ces“fronts” ont un grand projet. SelonSofyan Ali, ils vont organiser une sortede congrès pour unifier toutes les forcesau sein d’une structure unique. La listedes membres de sa direction demeu-rera secrète, explique-t-il, car “cetteorganisation devra soutenir le programmedes services secrets de l’armée indonésiennevisant à anéantir le GAM”.

Nezar Patria, Yuswardi Suud (à Banda Atjeh) et Zainal Bakri

(à Lhokseumawe)

� Dessind’Astromujoff parudans La Vanguardia,Barcelone.

asie ●

R E P È R E S

■ Le Mouvement pour l’Atjehlibre (GAM) a été fondé le4 décembre 1976 par Hasandi Tiro, qui s’est ensuite exi-lé en Suède en 1979. Jakar-ta a décidé, en 1990, declasser la province, riche enhydrocarbures, comme zoned’opération militaire (ZOM),et, pendant huit ans, l’arméea perpétré de nombreux mas-sacres, enlèvements et tor-tures. Le bilan atteindraitplus de 10 000 morts. Enaoût 1998, après la chutede Suharto, le gouvernement

a supprimé la ZOM et de-mandé pardon pour les actescommis par “certains élé-ments incontrôlés de l’ar-mée”. En décembre 2002,le gouvernement et le GAMont signé un accord de paixà Genève, mais aucune desdeux parties ne l’a respec-té. Les hostilités ont repriset Jakarta a relancé ses opé-rations militaires en mai 2003.Pas moins de 1 100 rebelleset 500 civils ont été tuésentre cette date et le moisde décembre 2003.

Trente ans de conflits

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Colombo

Trincomalee

Vavuniya

Polonnaruwa

Batticaloa

Puttalam

Jaffna

Kandy

Matale

Hambantota

Moneragala

NuwaraEliya

Galle

SRILANKA

Religions

musulmans

chrétiens

OCÉANINDIEN

50 km

hindous

bouddhistes

INDE

CHINE

PAKI

STAN

SRILANKA

HINDUSTAN TIMESNew Delhi

DE COLOMBO

Aucune personne sensée necontestera le fait qu’unerenaissance de la culturebouddhiste, d’une extrême

richesse, ravivera l’orgueil national desSri Lankais, à un moment où ce sen-timent s’estompe de plus en plus. Celadit, le Sri Lanka ne connaît pas actuel-lement une résurgence d’un boud-dhisme serein, mais plutôt un regainde communautarisme agressif et vio-lent. Si ce phénomène vise surtout àunifier et à renforcer le Sri Lanka, unpays dont l’unité est déjà en miettespour de multiples raisons, il est pour-tant voué à l’échec. L’ensemble desdirigeants du pays, avec à leur tête laprésidente Chandrika Kumaratungaet le Premier ministre Ranil Wickre-mesinghe, s’opposent à cette into-lérance religieuse et à l’extrémismecommunautaire violent. Dans un cli-mat de cohabitation tendu, la prési-dente avait ordonné à la police d’agiravec fermeté, mais à l’évidence ellen’a guère été entendue, tandis que lePremier ministre a choisi, lui, d’ob-server le silence, probablement parcequ’il estime que c’est au chef del’Etat, avec qui il est en conflit ouvert,de faire le nécessaire.

Les minorités, en particulier leschrétiens, considèrent avec inquiétudece “nationalisme” bouddhiste. Quel nefut pas le désarroi des chrétiens du paysde s’entendre du jour au lendemaintraités de “moins cingalais” ou “moinssri lankais” que leurs compatriotesbouddhistes. Selon Godfrey Yogarajah,secrétaire général de l’Alliance évan-gélique du Sri Lanka, 136 lieux deculte chrétiens ont été pris d’assaut pardes groupes armés non identifiés entrele 1er janvier 2003 et le 31 janvier 2004.Rien que depuis le 24 décembre der-nier, 56 églises ont été attaquées.“La police n’a procédé à aucune arres-tation, alors que, dans certains cas, nousavons donné les noms des suspects.Visi-blement, les forces de l’ordre sont contrô-lées par les moines des temples bouddhistes

des environs”, accuse Yogarajah. L’es-calade s’explique en grande partie parla propagande antichrétienne, déclen-chée au lendemain de la mort sou-daine de Soma Thero, un prédicateurbouddhiste très populaire, qui menaitune campagne contre les conversionsjugées “peu éthiques” effectuées par desévangélisateurs chrétiens.

Autre conséquence, les Tamouls,qu’ils soient hindous ou chrétiens, trou-vent encore davantage de raisons desoutenir les séparatistes du mouvementdes Tigres de libération de l’Eelamtamoul (LTTE) pour lutter contrel’idée de plus en plus répandue qu’unvrai Sri Lankais ne peut être que cin-galais et bouddhiste. Ce regain d’in-

tolérance risque également de nuireà la petite minorité musulmane dupays. De plus, ce nationalisme religieuxagressif s’attaque également aux laïcset fait fuir les investisseurs étrangers.Les analystes économiques se deman-dent justement comment un payscomme le Sri Lanka, qui dépend for-tement des échanges internationaux,de l’aide et des investissements étran-gers, pourrait s’en sortir s’il était boudépar le système économique mondial.En d’autres termes, un nouveau dan-ger guette les Sri Lankais alors mêmequ’ils commencent à peine à s’habi-tuer à une situation de “non-guerre”entre le gouvernement et les rebellestamouls [depuis la signature du ces-sez-le-feu, le 22 février 2002], et à espé-rer reprendre leurs activités écono-miques et une vie normale.

En fait, il est difficile d’imputer laresponsabilité de ces violences à ungroupe ou à un parti en particulier,même si certaines formations poli-tiques ont justifié les actions anti-chrétiennes, pour des raisons électo-rales. Les victimes soupçonnent leJanata Vimukthi Peramuna (JVP,Front populaire de libération, partibouddhiste extrémiste) d’avoir jouéun rôle plus ou moins direct dans ladernière vague de violences.Yogara-jah accuse quant à lui une chaîne detélévision privée de répandre desrumeurs infondées sur les évangéli-sateurs chrétiens.Au cours d’un débattélévisé, se souvient-il, on a dit quedes missionnaires chrétiens distri-buaient des biscuits à l’effigie deBouddha pour amadouer la popula-tion avant de la convertir. Selon lui, ilest faux de dire que la communautéchrétienne s’accroît grâce aux conver-sions, argument pourtant fréquem-ment avancé par les nationalistes

bouddhistes. “D’après le recensementofficiel, la population de confession chré-tienne diminue.A lui seul, ce fait suffit àanéantir la thèse selon laquelle les conver-sions au christianisme se poursuivent àun rythme alarmant”, souligne-t-il. Enfait, les violences s’expliquent par l’ab-sence de consensus autour du pro-cessus de paix. Certaines personnessouhaitent en effet voir la guerre sepoursuivre et expriment leur mécon-tentement en s’en prenant à une com-munauté vulnérable, les chrétiens. “Ilsne peuvent plus attaquer les Tamouls àcause du LTTE, qui les défend. Alors,ils se retournent contre la communautéchrétienne,plus faible, qu’ils savent inca-pable de lancer des représailles”,expliqueYogarajah.

Outre les différentes communau-tés religieuses, l’ensemble des Sri Lan-kais laïcs redoute les conséquencesd’un tel communautarisme violent etxénophobe. En premier lieu, il feravoler en éclats l’unité ethnique de l’îleet réduira à néant l’attachement deschrétiens à la communauté cingalaiseet au Sri Lanka en tant que pays,parce qu’ils sont désormais de plusen plus considérés comme descitoyens de seconde zone. Le chauvi-nisme bouddhiste déplaît égalementà Washington. Les Etats-Unis, la seulesuperpuissance mondiale, les paysoccidentaux en général et même l’Indepeuvent alors se montrer hostilesenvers le Sri Lanka, comme on l’a déjàvu dans le passé, tandis que les sépa-ratistes tamouls auront de nouveauxarguments pour critiquer le pays. Cettenouvelle vague d’intolérance risqueégalement de détruire la cohésion desfamilles cingalaises de l’île, dont lamajorité compte à la fois des membresbouddhistes et chrétiens.

P. K. Balachanddran

SRI LANKA

Les ravages de l’intolérance bouddhisteLe chauvinisme religieux engendre des violences qui visent particulièrement la communauté chrétienne de l’île, accusée de prosélytisme. Deux ans après le cessez-le-feu, le pays est à nouveau divisé.

COURRIER INTERNATIONAL N° 694 23 DU 19 AU 25 FÉVRIER 2004

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B I L A N

■ La débâcle boursière et la suspension desinvestissements économiques et de l’aide étran-gère ne présagent rien de bon pour le dévelop-pement macroéconomique du Sri Lanka. La pré-sidente Chandrika Kumaratunga et le Premierministre Ranil Wickremesinghe, qui ont du malà cohabiter, risquent de voir leur cote de popu-larité chuter, mais ils ne sont pas les seuls.Le mouvement des Tigres de libération de l’Eelamtamoul (LTTE) semble lui aussi ressentir leseffets de la crise. L’impasse du processus depaix signifie que le mouvement tamoul va pou-voir en profiter pour renforcer sa position dansle nord-est du pays, auquel il a entièrement accèsdepuis l’accord de cessez-le-feu de 2002. Enl’absence de négociations de paix avec le gou-vernement et avec la suspension de la missionde médiation norvégienne jusqu’à la fin de lacrise politique [amorcée en novembre 2003], leLTTE aura pratiquement carte blanche pourétendre sa campagne de recrutement et mettre

en place son propre système douanier, fiscal,policier et judiciaire. Dans le nord-est du payscomme ailleurs, les gens attribuent le conflit àdes facteurs essentiellement économiquescomme la pauvreté, le chômage et la pénurie deterres. Même si les deux années de cessez-le-feu ont été un immense réconfort pour eux, ilsveulent également que leur situation économiques’améliore. Or, jusqu’ici, les Tigres tamouls ontété incapables de leur montrer qu’ils leur appor-taient la prospérité. La région, ravagée par laguerre, reste pour l’essentiel dans le même étatqu’au début du cessez-le-feu. Ces derniers temps,les dirigeants du LTTE se disent prêts, en publiccomme en privé, à négocier le processus de paixavec la présidente Chandrika Kumaratunga. Mais,même avant l’arrivée au pouvoir de son ennemipolitique, l’actuel Premier ministre, en 2001,aucun des deux camps n’avait été capable defaire progresser les pourparlers et le conflitavait continué à s’aggraver. Le Premier ministre,

M. Wickremesinghe, a en revanche réussi àmettre rapidement fin à la guerre et à relancerl’économie. Cependant, deux ans après le débutdu processus de paix, il semble que le LTTE neveuille pas négocier uniquement avec lui. L’ac-cord de cessez-le-feu étant soutenu à la fois parle gouvernement et le parti du Premier ministre,le peuple lui est plus favorable que jamais. Onne saurait donc négliger la possibilité d’étendrece double soutien à la question décisive del’amendement constitutionnel [qui permettraitla création d’une zone sous administrationtamoule]. La présidente et le Premier ministre,en particulier, doivent se montrer suffisammentconciliants pour œuvrer ensemble à la reprisedu processus de paix. Leurs profonds désac-cords, la dissolution du Parlement par la prési-dente et l’annonce d’élections anticipées pourle 2 avril laissent penser que, deux ans après lecessez-le-feu, la question tamoule n’est pas prèsd’être réglée… Jehan Perera, Himal, Katmandou

Les Tigres, seuls gagnants de la crise

■ ReligionsPlus de 69 % des Sri Lankais sont bouddhistes,tandis que leshindous, la minoritéla plus importante,représentent 15,5 %de la population,les musulmans 7,6 %et les chrétiens 7,5 %.Depuis la fin du XIXe siècle,la confessionbouddhiste estdevenue synonymed’identitécinghalaise.

� Dessin deKamagurkaparu dans TheSpectator,Afrique du Sud.

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ZHONGGUO XINWEN ZHOUKANPékin

Après la pénurie d’électri-cité de cet hiver, on entendpartout parler d’énergienucléaire : la province du

Hubei a ainsi été choisie pour un pro-jet d’implantation de centrale et s’ef-force de devenir la première provincenucléaire de Chine. Le Hunan a éga-lement adopté un plan électrique toutnucléaire et fait tout pour inaugureravant 2010 deux nouvelles tranches de900 mégawatts. La municipalité deChongqing, de son côté, a transmis àla Commission nationale pour le déve-loppement et la réforme [CNDR, encharge des questions économiques]une demande d’étude de projet de cen-trale nucléaire. Dans le même temps,la province du Sichuan recherche acti-vement un lieu d’implantation à Yibinet se prépare à faire édifier une centralenucléaire. Le directeur général pour laChine des projets d’ingénierie et de lagestion des capitaux d’EDF, GaoDelong, prévoit qu’en 2020 le pays ferapartie du groupe de tête des Etats uti-lisant l’électricité nucléaire et dépas-sera même – dans certains domaines –la France, leader sur ce terrain.

Au mois de décembre 2003, la pro-vince du Guangdong a transmis à laCNDR un rapport sur un projet d’im-plantation nucléaire à Yangjiang, àl’ouest de la province. Cette villecherche par tous les moyens à avoir sonpropre réacteur. Bien que la provincen’ait pas obtenu l’autorisation deconstruire cette centrale, 100 millionsde yuans [environ 9.5 millions d’eu-ros] ont déjà été dépensés pour larecherche d’un emplacement appro-prié.Tant d’empressement vient de ceque “Yangjiang a énormément besoin decette centrale”, précise un cadre de lacommission locale du plan. La mai-rie en a fait son projet prioritaire.Yang-jiang est une zone plutôt en retard duGuangdong, et la réalisation de cetteinfrastructure apporterait 800 millionsde dollars d’investissement qui relan-cerait l’économie dans la région. SelonHu Wenquan, directeur du projet deconstruction, “cette centrale sera un atoutpour Yangjiang, augmentera sa notoriétéet attirera davantage de capitaux”.

Actuellement, la CNDR a définiun plan à long terme pour l’énergienucléaire : en 2020, les réacteurs chi-nois devront atteindre une capacité de36 000 mégawatts. Ce plan signifiequ’à partir de 2004 la Chine devra pré-voir de construire au moins tous lesans deux centrales de 1 000 mégawatts.En d’autres termes, pendant seize ans,elle devra bâtir tous les ans une DayaBay [située dans la province du Guang-dong, cette centrale mise en service en1994 dispose de deux réacteurs d’unecapacité de 985 mégawatts chacun].

En réalité, le programme nucléairecivil chinois existe depuis plus de trenteans, mais l’énergie fissible n’a jamais

fait partie du plan national pour l’élec-tricité et s’est développée de manièreséparée et dispersée. En 2003, uneoccasion s’est enfin présentée : à la suitede pénuries répétées d’électricité, legouvernement chinois a décidé, audébut de l’année dernière, de réviser lapartie énergie électrique du plan quin-quennal. Après avoir été cantonnée àun développement modéré, l’énergienucléaire devrait désormais progresserfortement. Selon les prévisions duXVIe Congrès du Parti communistechinois (PCC), en 2020, le PIB auraquadruplé et atteindra 4 000 milliardsde dollars. Pour cela, la capacité de

production électrique du pays devraatteindre de 800 000 à 900 000 méga-watts par an. Aujourd’hui, la produc-tion annuelle est de 350 000 mégawattset doit encore progresser de 450 000 à550 000 mégawatts.

“Si l’on n’utilisait que du charbon,pour réaliser l’objectif ci-dessus, il faudraitaugmenter la production de 1,2 milliardde tonnes, ce qui créerait une surchargeinsupportable du point de vue des res-sources naturelles,de l’extraction,du trans-port et de l’environnement”, préciseDang Zide, ancien ingénieur de hautniveau au bureau de l’énergie nucléairedu gouvernement et qui travailledésormais au bureau d’examen desgrands projets de la CNDR. “Celasignifie que le développement du nucléairedoit être accéléré”,souligne Han Wenke,sous-directeur du département del’énergie nucléaire de l’institut d’étudesde la CNDR.

Derrière la réorganisation du sec-teur, certains distinguent des intentionsportant sur la technologie nucléaire elle-même. Celle qu’utilise actuellement laChine est soviétique, elle est à la foiscivile et militaire.Un observateur estimeque, pour beaucoup de pays dans lemonde, le développement de cette éner-gie est important pour le maintiend’une technologie nucléaire militaire.“Par exemple, dit-il, bien que le Japon nesoit pas une puissance nucléaire, s’il veutvraiment fabriquer des missiles nucléaires,des bombes à hydrogène, il pourra le fairetrès rapidement.”

En novembre 2003, la réunion pré-paratoire à l’appel d’offres internatio-nal, tenue conjointement à l’initiativede la société chinoise d’import-exportde technologies par le groupementd’industrie nucléaire chinois et par legroupement d’électricité nucléaire duGuangdong, a eu lieu. La société fran-

CHINE

Comment répondre à la pénurie d’énergiePour faire face à une demande accrue d’électricité, le gouvernement envisage la création de plusieurs réacteursnucléaires. Une stratégie qui ne plaît guère à l’hebdomadaire pékinois Zhongguo Xinwen Zhoukan.

COURRIER INTERNATIONAL N° 694 24 DU 19 AU 25 FÉVRIER 2004

asie

çaise Framatome, la société américaineWestinghouse et six grandes sociétésde fourniture en matériel nucléairerusses, japonaises et allemandes étaientprésentes. Un tel appel d’offres estassez rare dans un contexte mondialde réduction du nucléaire depuis vingtans. Selon les chiffres de la base dedonnées PRIS (Système d’informationsur l’électricité nucléaire) de l’Agenceinternationale de l’énergie atomique(AIEA), fin 2000, il y avait dans lemonde 438 réacteurs nucléaires en étatde fonctionner et, en mars 2003, il yen avait 441, seulement 3 de plus. Bienque le plan d’électricité nucléaire àlong terme de la CNRD ne couvreque 4 % de la quantité de productionélectrique en 2020, ce chiffre est élevéen valeur absolue.

“Peu importe les investissementsénormes, les coûts de fonctionnement tou-jours croissants et les déchets nucléairesqui s’entassent, ainsi que la gestion descentrales”, s’inquiète Wang Yi, membredu centre d’étude de l’environnementde l’Académie des sciences. Depuisquarante ans, le traitement des déchetsfait débat dans tous les pays qui fontappel au nucléaire. Les techniquesqui seraient sûres sur le long termen’existent toujours pas. “Le développe-ment du nucléaire dans certains pays peutnous servir de leçon.Par exemple,dans lesannées 80, le Brésil et l’Espagne ont investide grosses sommes pour importer destechnologies sans avoir de plan à longterme, et, après que furent construitesquelques centrales, le programme s’estarrêté, causant de grandes pertes finan-cières”, notait récemment dans unarticle Ma Fubang, ingénieur enchef à la société générale d’industrienucléaire chinoise. Il faut tenir comptede cet avertissement.

Wang Chenbo et Zhu Ligie

■ La diplomatie du pétrole pratiquée par le pré-sident Hu Jintao au cours de sa tournée africainepourrait bien n’être qu’un prélude. Deuxièmeimportateur de pétrole du monde, la Chine doitdéjà lutter contre d’autres pays pour s’assurerun approvisionnement et une part dans les pro-jets d’exploration. La croissance rapide de saconsommation nécessitant de massives impor-tations et la production nationale étant en baisse,on peut parier sans crainte qu’elle redoublerases efforts en la matière.En Egypte, au Gabon, en Algérie, nous avonsassisté à la signature d’accords pour l’appro-visionnement, l’exploration de nouvelles réserveset le développement du commerce de l’énergieen général. En échange, le président Hu offreune aide au développement et le soutien de laChine dans les affaires internationales. Le suc-cès relatif de ses efforts pour s’assurer la coopé-ration des pays africains dans le domaine éner-gétique contraste avec les obstacles rencontrés

récemment par le projet d’oléoduc Russie-Chineet par un projet avec le Kazakhstan. Ce sont lesintérêts des pays tiers concernés qui font toutela différence. Dans le premier cas, le Japon sou-tient un projet concurrent qui desservirait sonterritoire et la péninsule coréenne. Les prêtssans intérêts qu’il propose pour sa réalisationsemblent aujourd’hui lui avoir donné l’avantage.La Chine a fait face au retard du projet russe ens’efforçant d’augmenter son approvisionnementpar le rail. De même, la construction annoncéerécemment d’une nouvelle voie ferrée reliant leLiaoning, dans le nord-est du pays, à une villeproche de Vladivostok vise à resserrer les lienséconomiques avec la Russie, voire à augmen-ter les capacités de transport du pétrole.C’est peut-être la Thaïlande qui sera prochai-nement le théâtre de la diplomatie pétrolièrechinoise : le gouvernement de ce pays aannoncé la construction d’un oléoduc à tra-vers l’isthme de Kra, dans le sud du pays. Ce

projet permettrait au pétrole destiné au nordde l’Asie d’éviter le port de Singapour, dans ledétroit de Malacca, ce qui réduirait son coût. Unfonctionnaire thaïlandais a déjà indiqué que laChine envisageait d’installer des unités de raf-finage et de stockage en Thaïlande.Les trois grandes compagnies pétrolières de laChine continentale sont déjà présentes dans lemonde entier – par exemple, au Soudan, en Indo-nésie et au Venezuela. La sécurité énergétiquedéfinit les relations internationales des Etats-Unis, le plus gros importateur de pétrole aumonde, et semble bien partie pour jouer lemême rôle pour la Chine. La croissance néces-site des approvisionnements toujours plusgrands de l’étranger. Les relations avec les pro-ducteurs, la gestion des conflits potentiels avecles autres pays consommateurs, constituerontun test pour la maturité diplomatique du pays.La tournée africaine n’était qu’un début.

South China Morning Post, Hong Kong

D I P L O M A T I E

Le président Hu Jintao fait ses emplettes pétrolières

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LES CENTRALES NUCLÉAIRES EN CHINE

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HUNANMer de Chine

orientale

Mer Jaune

Mer de Chineméridionale

En fonctionnement

En construction

Provincesqui souhaitents’équiper

En projet

Sanmen

Yangjiang

Daya Bay

Qinshan 1

Qinshan 2

Qinshan 3

Tianwan

Yibin

250 km

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PUBLICITÉ

Publicite 20/03/07 16:05 Page 56

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Mer du Japon(Mer de l’Est)

Merde Chineorientale

MerJaune

OCÉANPACIFIQUE

Tokyo

Osaka

Limites des zones économiquesexclusives (200 milles nautiques)Zones de contentieux territorial entrele Japon et ses voisinsZone de développement conjoint Japon-Corée du Sud (accord du 30/01/1974)

IlesBonin

IlesDaito

Ile Okino-Tori-Shima

Iles Senkaku(Diaoyutai)revendiquées parla Chine, Taïwan

et le Japon

Honshu

Kyushu

Ile Takeshima(Tokdo)

revendiquée parla Corée du Sud

et le Japon

Shikoku

Tropique du Cancer

Hokkaido

Iles Kourilesdu Sud

revendiquées parla Russie et le Japon

500 km

200 milles

JAPON

Pyongyang

Séoul

Pékin

Taipei

CHINE

CORÉEDU NORD

CORÉEDU SUD

RUSSIE

LES CONTENTIEUX TERRITORIAUX

TAÏWAN

ASAHI SHIMBUNTokyo

Au cours d’une conférencede presse donnée à Tokyo,le 2 février, le secrétaired’Etat adjoint américain,

Richard Armitage, a déclaré :“En vertudu traité de sécurité nippo-américain,uneattaque contre un territoire administratifsous juridiction japonaise serait considé-rée comme une attaque contre les Etats-Unis.” Ce genre de rappel de l’article 5du traité (concernant la défense com-mune) n’a en soi rien d’extraordinaire.Toutefois, aux yeux d’un expert dudépartement d’Etat américain, spé-cialiste de l’Asie orientale, le fait qu’Ar-mitage ait utilisé l’expression “territoireadministratif sous juridiction japonaise”et non “Japon” ou “territoire japonais”sous-entend qu’il a fait allusion aucontentieux nippo-chinois de l’archi-pel de Senkaku (Diaoyutai, en chinois).Ce faisant,Armitage a rectifié“la posi-tion floue autrefois adoptée par l’admi-nistration américaine à l’égard de ce pro-blème”. Les Etats-Unis avaient jusqu’iciconservé une attitude “neutre” enversle différend territorial opposant Tokyoà Pékin sur ce petit archipel, et l’ad-ministration Clinton avait toujours sou-tenu que le traité de sécurité n’obli-geait pas forcément les Etats-Unis àdéfendre ces îles. En ce sens, la décla-ration d’Armitage signifie un chan-gement, que l’on peut même qualifierde “doctrine Armitage”.

LA PRÉSENCE DE SOUS-MARINSCHINOIS INQUIÈTE TOKYO

En janvier dernier encore, deux naviresde pêche chinois de 100 tonnes ontpénétré dans les eaux territoriales japo-naises près des îles Senkaku.Voici lecommentaire d’un journal chinois,Haixia Dushibao (daté des 15 et18 janvier), publié dans la provincechinoise du Fujian. Les militants ontenvoyé sur place des “navires derecherche”, estimant que le dévelop-pement de Diaoyutai figurait sur lecalendrier en accord avec les “règle-ments de protection des oiseaux de mer,de l’exploitation et de l’administration desîles inhabitées” promulgués par le gou-vernement chinois ; ils avaient l’in-tention d’étudier le lieu en vue dedévelopper le tourisme ; les “membresde l’équipe”projetaient d’ériger sur l’ar-chipel une vingtaine de monumentsen pierre portant l’inscription “Diaoyu-tai, territoire chinois”, mais, empêchéspar les vedettes des gardes-côtes japo-nais, ils y ont renoncé. Ils ont toute-fois jeté un de ces monuments au fonddes eaux territoriales, déclarant ainsila souveraineté de la république popu-laire de Chine.

Les offensives maritimes chinoisesne concernent pas seulement l’archi-pel de Senkaku. Pékin s’emploie acti-vement à collecter des données enmer, afin que la démarcation de lalimite externe du plateau continental,

définie sur la base de la Conventiondes Nations unies sur le droit de lamer, soit faite à son avantage. Ce n’estbien sûr pas un problème en soi, saufque les navires chinois s’aventurentsouvent dans les eaux territoriales etles zones économiques exclusives duJapon pour d’autres buts que la simplenavigation. Certaines activités ne res-pectent pas du tout l’accord entre lesdeux pays, qui prévoit qu’ils s’avertis-sent préalablement des recherchesscientifiques effectuées en mer deChine orientale. Certaines autres ontprobablement pour objectif derecueillir des informations destinées àla navigation des sous-marins. Certesla loi internationale autorise les sub-mersibles à naviguer dans les eaux ter-ritoriales d’autres pays à condition defaire surface sous pavillon.Toutefois,la présence de sous-marins chinois ausud-ouest du Japon ne manque pasd’attirer l’attention des autorités. Carces activités viseraient à exercer unepression sur les Américains et leursporte-avions en cas de montée de latension dans le détroit de Formose[entre les deux Chines, surtout àquelques semaines de l’élection pré-sidentielle taïwanaise].

Toutefois, selon un haut respon-sable de la force navale de l’agence deDéfense [du Japon], “il faut considérerque l’affaire de la démarcation du plateaucontinental et l’activité des sous-marinsfont partie de la même stratégie politique”.Pékin qualifie les trois mers – merJaune, mer de Chine orientale et merde Chine méridionale – de “territoiremaritime”, et, pour la marine chinoise,

la défense des intérêts de la Chine dansces régions est une de ses principalesmissions, explique le responsable. LesEtats-Unis, de leur côté, n’ont pas l’in-tention de proclamer haut et fort la“doctrine Armitage”, et ils ont raison.Il suffit aux Américains et aux Japonaisde l’entretenir avec calme, de manièredurable. Washington comme Tokyosont en train de préparer la prochaineréunion à six en vue de régler la crisenucléaire nord-coréenne [prévue àPékin à compter du 25 février], aussin’est-ce pas le moment d’irriter inuti-lement la Chine.

Néanmoins, tout en faisant preuvede modération, pour ses intérêts et sasécurité en tant que nation maritime,Tokyo doit clarifier les droits qu’ilentend préserver et les concessionsqu’il est prêt à faire. Il doit aussi pré-ciser comment il envisage la coexis-tence pacifique en mer avec la Chine,afin de lui faire comprendre clairement,par des actes, les points sur lesquelsil ne cédera pas. Les demi-mots et l’in-dulgence ne servent à rien et produi-sent souvent l’effet inverse.

Il faut d’abord rendre publics lesproblèmes et les infractions commisespar la Chine lors des études océano-graphiques, y compris les incursionsdans les eaux territoriales des îles Sen-kaku. Il faut ensuite exiger du gouver-nement chinois des réponses sincèreset des mesures appropriées. Cepen-dant, si cette situation se prolonge, leJapon doit se montrer prêt à capturerles bateaux étrangers qui tenteront dedébarquer illégalement sur l’archipelde Senkaku. Yoichi Funabashi

JAPON

Etre ferme face à l’ambition territoriale chinoiseTokyo et Pékin se disputent depuis longtemps le contrôle d’un petit archipel. Pour la première fois, les Etats-Unis viennent de prendre position. En faveur du Japon.

COURRIER INTERNATIONAL N° 694 26 DU 19 AU 25 FÉVRIER 2004

asie

“SHIKAI”LES QUATRE

MERS

Le mot shikai – littéralement,“quatre mers” – désigne le fait

qu’au nord comme au sud, à l’estcomme à l’ouest, le Japon se trouvecerné par la mer. Triviale, l’expres-sion l’est assurément : ce pays, jus-qu’à preuve du contraire, est consti-tué d’îles. Mais, dans la langueclassique, les quatre mers renvoientégalement à l’idée de monde, lemonde ici-bas au sein duquel viventles Japonais. Or le décalage entreles deux acceptions, bien que sub-til, est loin d’être anodin ; on pour-rait même y trouver l’une des clésqui permettent de saisir les ten-sions qui traversent la société japo-naise moderne. Ce qui est en jeu,c’est précisément le statut de lamer, tant au niveau de l’imaginairequ’à celui de la politique. Dans leslieux névralgiques pour le maintiende l’Etat que sont Tôkyô ou Osaka,le Japon tend à être conçu commeune contrée exiguë, essentielle-ment montagneuse et parseméede quelques plaines surpeuplées,que vient border de tous les côtésl’immensité de l’océan. Mais cettereprésentation insulaire finit parreléguer l’espace maritime dans ledomaine du refoulé et de l’impensé,comme s’il n’avait pas sa placedans la perception ordinaire desfrontières, qu’elles soient réellesou symboliques (alors même que,comme le rappelle très justementle géographe Philippe Pelletier, lecaractère “surinsulaire” du Japonen fait aujourd’hui l’un des Etatsles plus vastes du globe). La mer,espace non vécu, malléable à sou-hait, devient ainsi un territoire tam-pon qui se plie et se déplie au gréde l’humeur de la “métropole”, ainsique celui des pays voisins – pour leplus grand malheur de ceux qui envivent, à commencer par les habi-tants de l’archipel d’Okinawa, dontl’histoire, on le sait, est celle d’unecolonisation qui ne dit pas son nom.

Kazuhiko YatabeCalligraphie de Michiyo Yamamoto

LE MOT DE LA SEMAINE

■ DisputeComme les îlesKouriles du Sud et l’île Takeshima,les îles Senkakuconstituent un contentieuxterritorial entre le Japon et ses voisins (voircarte ci-contre).Situé à 190 km au nord-est deTaïwan et à 350 kmde la côte chinoise,il est composé de cinq petites îles et de trois rochers,et est revendiquépar Pékin, Taipei et Tokyo. Déclaré en 1895 commeterritoire faisantpartie du Japon,l’archipel devientsoudain un objet de convoitise en1970, quand Taïwanautorise uneentreprise pétrolièreaméricaine à effectuer des explorationsdans cette zone.L’affaire connaît un retentissementmédiatique en 1996, lorsqu’uneorganisationjaponaise d’extrêmedroite construit sur l’une des îles un petit phare.Cet acte suscitealors la protestationofficielle de Pékin,de Taïwan et de Hong Kong(qui n’était pas encore restituéà la Chine),et provoque le débarquement de plusieursgroupes de Chinois,de Hongkongais et de Taïwanais sur l’île.

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COURRIER INTERNATIONAL N° 694 27 DU 19 AU 25 FÉVRIER 2004

ISRAËL

On ne parle plus ni du mur ni des affaires de corruptionLe projet d’Ariel Sharon de démanteler des colonies israéliennes à Gaza rencontre beaucoup de scepticisme. Les Palestiniens pensent que ce plan vise surtout à faire oublier les démêlés du Premier ministre avec la justice.

HA’ARETZ (extraits)Tel-Aviv

P ersonne ici ne pleurera ladisparition des colons de laBande de Gaza,mais…” Ce“mais” résume parfaitement

l’état d’esprit de l’opinion publiqueà Gaza, qui nourrit de lourds soup-çons au sujet des intentions réellesdu Premier ministre Ariel Sharon.Pour Jamal Zaqout, l’un des initia-teurs du pacte de Genève, “s’il est clairque personne ne portera le deuil le jouroù 5 000 colons israéliens qui ont rendula vie impossible à 1 250 000 Palesti-niens pendant des années quitteront nosterres, on ne peut toutefois ignorer que cedépart des colons juifs (pas tous, selondes sources israéliennes) s’inscrit dans lecadre d’un vieux projet d’Ariel Sharon.”

Pour Jamal Zaqout, le projet deSharon ambitionne d’éliminer touteforme de direction centrale palesti-nienne, c’est-à-dire d’“éliminer le pro-jet national palestinien d’indépendanceet de souveraineté, un projet fondé surune disposition claire à résoudre le conflit.Sharon n’a que faire d’une directionpalestinienne engagée dans un programmede paix avec Israël et ayant les moyens etla volonté d’appliquer ce programme.”Zaqout appartient à une minusculeorganisation de gauche, le FIDA,issue d’une scission du FDLP [mou-vement palestinien de la gauchemarxiste] au début des années 90 etdirigée par Yasser Abed Rabbo,membre de l’Autorité palestinienne(AP) depuis sa création, en 1994 [etcoauteur du pacte de Genève]. Maisle sentiment de Zaqout est partagé parune majorité de Palestiniens, tant dansla Bande de Gaza qu’en Cisjordanie.

“SHARON POURRA AFFIRMER QUELES PALESTINIENS ONT UN ÉTAT”

Comme beaucoup d’Israéliens, leshabitants de Gaza se demandent dansquelle mesure le plan de désengage-ment proposé par le Premier ministreisraélien n’est pas lié aux enquêtespour corruption dont il fait l’objet. “Entout cas, estime Zaqout, Sharon a déjàréussi son coup.On ne parle plus des scan-dales qui l’éclaboussent et les unes des jour-naux ne parlent plus que de l’évacuationde Gaza et d’un éventuel référendum.L’opinion nage en pleine confusion et Sha-ron parvient à manœuvrer de façon quel’on oublie la clôture d’isolation et de ségré-gation qu’il est en train d’ériger en Cis-jordanie.Il a besoin de restaurer son imageà la veille des auditions de la Cour inter-nationale de justice de La Haye [quidébutent le 23 février].”

Les habitants de Gaza sont bienen peine de se rappeler si l’AP a rendupublique une quelconque positionofficielle. Certains pensent que le pré-sident de l’AP,Yasser Arafat, a déclaréque ce plan était contraire à la “feuille

de route”, tandis que d’autres jurentavoir entendu le Premier ministrepalestinien, Ahmed Qoreï, accueillirpositivement le discours de Sharontout en émettant des réserves. Endéfinitive, les habitants de Gaza pré-fèrent examiner les détails du planSharon à mesure qu’ils sont distil-lés par les médias israéliens, toutcomme ils préfèrent savoir ce qu’endisent les Israéliens.

La suspicion des Palestiniens estentretenue par deux détails révéléspeu de temps après l’annonce faitepar Sharon de son intention de déga-ger les colons de la Bande de Gaza :les colons seront déplacés de Gazavers des implantations juives [colo-nies] de Cisjordanie et trois petitesimplantations resteront en l’état dansle nord de la Bande de Gaza. JamalZaqout se dit ainsi persuadé que“Sharon a l’intention de créer un ghetto[israélien] dans la Bande de Gaza et plu-sieurs conteneurs en Cisjordanie autourde Ramallah,d’Hébron et de Naplouse.Et le risque est réel que l’administrationBush ait donné son aval à ce projet.”

“Un retrait israélien des implanta-tions de la Bande de Gaza peut signi-fier une consolidation sous une nouvelleforme du projet d’implantation colonialede Sharon, ajoute Zaqout. Sharon vamaintenant être en mesure d’affirmerque, désormais, les Palestiniens ont unEtat à Gaza et ainsi relancer la coloni-sation de peuplement en Cisjordanie. Sil’on ajoute à cela la clôture de séparationérigée à l’ouest de la Cisjordanie et cellequi devrait, à l’est, isoler la Cisjordaniede la vallée du Jourdain, cela signifie queSharon se prépare à annexer la moitié dela Cisjordanie tout en démontrant à l’opi-nion internationale qu’il n’y a pas dedirigeants palestiniens avec qui négocier.Et la vérité, c’est qu’effectivement il n’ya pas et il n’y aura jamais de directionpalestinienne susceptible de contribuer auprojet d’Ariel Sharon.”

Sur ce point, certains pensent queZaqout se trompe. Le caractère vaguedu plan Sharon est un terreau propice

pour entretenir la méfiance des Pales-tiniens les uns envers les autres, sur-tout dans une période où le Fatah [lemouvement de Yasser Arafat] est à nou-veau le théâtre de violentes luttes depouvoir. Certains croient ainsi savoirque Mohammed Dahlan, l’ancien res-ponsable de la sécurité préventive àGaza [disgracié par Arafat], est engagéavec les Américains dans des négocia-tions qui auraient pour objet le déploie-ment d’une force internationale de pro-tection. Les mêmes sources évoquentles anciens projets de Sharon [dans lesannées 80] de désigner des “ligues devillages” [palestiniens qui collaboraientavec Israël] en Cisjordanie ou d’ins-taurer un régime pro-israélien auLiban. Ils évoquent également lapériode d’Oslo, qui a vu des Palesti-niens de premier rang ne se consacrer

qu’à des projets d’enrichissement per-sonnel.Toutes ces rumeurs participentdu soupçon que Sharon cherche (ettrouve) des barons palestiniens locauxqui accepteraient de contrôler lesenclaves projetées par Sharon.

Mais Zaqout ne partage pas cessoupçons, ne serait-ce que parce qu’ilest convaincu que l’opinion palesti-nienne s’opposera massivement auplan Sharon. Quant aux militantsarmés des diverses organisations poli-tiques palestiniennes, ils sont convain-cus que “la sortie de Gaza” program-mée par Sharon est la conséquencedirecte de la pression à laquelle ilsn’ont cessé de soumettre Tsahal et lasociété israélienne.

“Se contenter d’un retrait de Gazaet ne pas intégrer celui-ci dans le cadred’un retrait négocié de tous les Territoiresoccupés depuis 1967 ne permettra pas demettre fin au conflit, affirme Zaqout.Les Israéliens ne doivent pas se bercerd’illusions et se laisser abuser par Sharon.Ce à quoi l’on risque d’aboutir, c’est à uneradicalisation extrême de la société pales-tinienne. Destiné à prévenir toute indé-pendance palestinienne, le plan Sharonde retrait partiel risque de se révéler lourdde dangers pour le peuple israélien. Israëlpasserait du stade d’Etat colonial à celuid’Etat d’apartheid, alors qu’une paixnégociée avec le peuple palestinien per-mettrait à Israël d’être accepté dans larégion. La perpétuation du conflit, c’est-à-dire la tentative d’étouffer la création àcourt terme d’un Etat palestinien indé-pendant,ne peut que menacer à moyen età long terme l’existence même d’Israël.”

Amira Hass

moyen-orient●

C O M M E N T A I R E S

■ L’annonce par Ariel Sharon de son plan de“désengagement” suscite bien des doutes dansla presse israélienne. Dans Ha’Aretz, Ari Shavitenjoint au gouvernement israélien de “ne pas secontenter d’un désengagement et [d’]opérer unretrait généreux. Israël doit se retirer de toute laBande de Gaza et assumer ses responsabilitéshistoriques en aidant économiquement les Pales-tiniens à reconstruire leur territoire dévasté et enassurant aux centaines de milliers de réfugiés unstatut décent. Ce ne sera pas encore une paix enbonne et due forme, mais cela en jettera au moinsles bases.” Mais, toujours dans Ha’Aretz, le chro-niqueur militaire Allouf Ben estime qu’Ariel Sha-ron “n’a pas renoncé à l’essentiel et entend serefaire une santé en lâchant du lest sur le seulpoint qui recueille un quasi-consensus dans l’opi-nion israélienne depuis plus de dix ans : lâcherGaza. Mais c’est pour mieux se concentrer sur l’ef-fort de colonisation en Cisjordanie.”Un consensus que reflète un sondage effectuépar Yediot Aharonot et selon lequel ce ne sontpas moins de 77 % d’Israéliens qui approuvent

l’idée du désengagement et celle d’un retrait inté-gral de l’armée israélienne et des colons hors dela Bande de Gaza. Mais “ce retrait ne se fera passans mal”, constate Dan Margalit dans Maariv.“C’est du parti Shinoui [centriste et ultralaïc] quedépend la réussite du plan de désengagement,vu que l’Unité nationale et le Par ti national reli-gieux [partis d’extrême droite] devraient claquerla por te de la coalition. Or, au grand déplaisirdu Shinoui, il sera impossible à Sharon de ne pasfaire entrer le Shas [ultraorthodoxes séfarades]dans son gouvernement, les travaillistes n’étantpas suffisants pour assurer une majorité parle-mentaire.” Constat par tagé par Yediot Aharo-not. “La coalition est en train de se déliter sousles coups de boutoir de l’extrême droite et del’aile nationaliste du Likoud. Le temps deconvaincre les travaillistes d’entrer dans le gou-vernement, voire d’organiser des élections anti-cipées qui risquent de voir Benyamin Nétanyahousupplanter Ariel Sharon à la tête du Likoud, l’éva-cuation des colons de Gaza ne devrait pas avoirlieu avant deux ans, si jamais elle a lieu.”

Quand la presse israélienne évoque le plan Sharon

� Colonies.Dessin de Stavroparu dans The DailyStar, Beyrouth.

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THE NEW YORK TIMESNew York

Messieurs,Vous avez sûrementappris la décision duPremier ministre israé-

lien, Ariel Sharon, de démanteler uni-latéralement la plupart des coloniesde la Bande de Gaza et d’en redé-ployer certaines en Cisjordanie. Cesmesures représentent à la fois d’im-menses possibilités et d’énormesrisques pour Israël, pour le mondearabe et pour nous-mêmes. Nousdevons veiller à ce qu’elles aillent dansle bon sens. Commençons par lesrisques. Ne croyez pas que je sois satis-fait de la façon dont le projet de Sha-ron a vu le jour. Souvenez-vous : l’étédernier, les Palestiniens ont proposédeux modérés pour remplacer YasserArafat : Mahmoud Abbas, commePremier ministre, et Mohammed Dah-lan, comme responsable de la sécurité.

J’ai pressé Sharon de se montrercoopératif et de chercher à renforcerla position d’Abbas, de manière qu’ilait la crédibilité nécessaire pour trai-ter avec le Hamas et avec Arafat. MaisSharon ne lui a accordé pratiquementaucune concession, que ce soit au su-jet des colonies ou de l’assouplisse-ment des contrôles de sécurité israé-liens. En ce qui concerne les prison-niers palestiniens, Abbas a demandé

qu’Israël s’engage à en libérer un grandnombre, ce qui l’aurait vraiment ren-du crédible aux yeux dupeuple. Or Sharon n’en a re-lâché que quelques centaines,parmi lesquels un certainnombre de criminels, mais pas unseul militant connu.Arafat a donc pufacilement briser Abbas, en le décri-vant comme le laquais des Etats-Uniset d’Israël. Beaucoup plus récem-ment, Sharon a procédé à un échan-ge de prisonniers avec le Hezbollah,qui cherche à rayer Israël de la car-te : 400 Palestiniens et 23 Libanaisen échange d’un Israélien vivant etde trois dépouilles. Cette li-bération a valu à ce mouve-ment terroriste d’être ac-clamé comme un hérosdans le monde arabe.Quelques jours plus tard, Sharon an-nonçait son plan de retrait unilatéralde la Bande de Gaza, une décision fa-vorable aux intérêts du Hamas, quipourra prétendre avoir chassé Israëlsans aucune contrepartie.

Imaginez que l’été dernier Sharonsoit venu me trouver pour me dire :“Président Bush, je suis prêt à annoncerau monde que, sur l’invitation des Etats-Unis, j’ai décidé de céder la Bande deGaza à Abbas, de démanteler la quasi-totalité des colonies qui y sont implantéeset de libérer en prime des centaines de pri-sonniers palestiniens et libanais de grande

valeur. En échange, j’attends d’Abbasqu’il prenne des mesures contre le Hamaset garantisse la sécurité à Gaza. On vacommencer par Gaza ; ce sera un test.Siles Palestiniens modérés montrent qu’ilspeuvent rester maîtres de la situation,alorson parlera de la Cisjordanie.S’ils n’y par-viennent pas, on laissera tomber.”

En agissant ainsi, Sharon auraiténormément contribué à accroître lacrédibilité américaine dans le mondearabo-musulman et il aurait donné unformidable coup de pouce aux modé-rés palestiniens. Au lieu de cela, il n’a

MONDE ARABE

Ce que le président Bush devrait suggérer aux ArabesLe journaliste Thomas Friedman a rédigé un pastiche de lettre que Bush pourrait écrire aux dirigeants arabes, leur conseillant d’inviter Ariel Sharon à leur prochain sommet. “Vous avez compris, les gars ?”

COURRIER INTERNATIONAL N° 694 28 DU 19 AU 25 FÉVRIER 2004

moyen-orient

S Y R I E

Fini le temps des pétitionsRéclamer la démocratisation de la Syriepar des pétitions n’est plus efficace,estime An Nahar. Il faut s’attaquer aux intérêts économiques des cercles au pouvoir et organiser un sit-in contre l’état d’urgence qui sévit depuisquarante et un ans.

Le Comité syrien de défense des droitsde l’homme, l’une des rares associa-

tions de ce genre en Syrie, a publié une péti-tion demandant la levée de l’état d’urgence,qui est en vigueur depuis le 8 mars 1963.Depuis quatre ans, l’opposition démocra-tique syrienne n’a pas cessé de revendiquerune série de réformes et cette dernière péti-tion montre de nouveau à quel point elle estdécidée à persister. Tout comme lors dela “déclaration des 99” intellectuels du27 septembre 2000, puis de la “déclara-tion des 1 000” du 10 janvier 2001, cettedernière pétition en date demande la fin del’état d’urgence, de la justice d’exceptionet des arrestations arbitraires, le respectdes libertés démocratiques, la libérationdes prisonniers politiques, le retour desopposants vivant en exil, l’ouverture du dos-sier des personnes disparues, l’indemni-sation des victimes de la répression, ainsique la possibilité de créer des partis et des

associations. Si les demandes démocra-tiques adressées au président Bachar el-Assad n’ont pas beaucoup varié tout aulong de ces quatre dernières années, c’estqu’elles sont toujours d’actualité. Elles lesont même plus aujourd’hui que jamaisauparavant, vu l’immobilisme du régime endépit des profonds changements régionauxet internationaux intervenus ces dernierstemps : les attentats du 11 septembre2001, la guerre contre le terrorisme, l’oc-cupation de l’Irak, le raid israélien sur labanlieue de Damas [5 octobre 2003], lesmenaces américaines et israéliennes contrela Syrie et le Liban, la loi américaine diteSyria Accountability Act [portant sur dessanctions économiques et diplomatiquescontre la Syrie], l’inscription sur l’agendapolitique américain de la démocratisationdes régimes arabes… Tout cela ne laisseaucune place au doute : pour la Syrie, lameilleure façon de faire face à ces menacesest l’ouverture politique, la garantie deslibertés fondamentales et la fin de la tutellesur le Liban.Toutefois, la persistance des demandesdémocratiques dans les déclarations, péti-tions et éditoriaux de presse n’empêchenullement les autorités syriennes de fairela sourde oreille à ces voix qui s’élèvent

partout. Les appels à lancer les réformespolitiques avant qu’il ne soit trop tard res-tent sans réponse de la part des autorités.Les pétitions ont fait leur temps, et il fautmaintenant passer à un autre langage et àd’autres moyens pour exprimer son oppo-sition, être plus ferme dans la dénoncia-tion des dysfonctionnements et se donnerplus de moyens pour arracher des conces-sions aux autorités.Certes, pendant un certain temps, toutesces pétitions ont fait vaciller les barrièresde la peur qui cloisonnent la société syrienneet ont recentré les priorités de l’oppositionautour des réformes démocratiques. Maisil faut savoir que les lignes rouges ne sontplus les mêmes aujourd’hui. Ce ne sont plusles personnalités et les slogans politiquesqui sont sacralisés, mais les intérêts éco-nomiques d’un petit cercle de privilégiés.Or les pétitions ne les attaquent nullement.Voyons donc ce que serait la réaction desautorités si quelqu’un osait demander la findu monopole des deux opérateurs de télé-phone mobile.Pour renforcer l’impact symbolique de cesdéclarations, rien ne sert de tomber dansle piège de la surenchère des chiffres enannonçant une “pétition du million”, commel’ont fait les auteurs de la dernière pétition,

qui veulent atteindre ce chiffre à l’aide d’In-ternet. Tous ceux qui connaissent bien lesréalités syriennes savent pertinemment quemême le chif fre de cent mille est impos-sible à atteindre. Cela ne signifie nullementqu’il n’y ait pas un million de partisans deréformes démocratiques. Cela signifie sim-plement que l’Etat policier fonctionne encoreen Syrie et continue d’étouffer la sociétédans son étreinte sécuritaire, faisant ensorte que le plus grand nombre continue dedire le contraire de ce qu’il pense.Plutôt que de rédiger des pétitions, il fautdésormais briser ce cercle de peur et derépression. C’est là le plus grand défi quise dresse devant les forces politiques quiaspirent à jouer un rôle effectif. Le meilleurmoyen de déclencher une véritable dyna-mique sociale consiste à s’appuyer sur denouveaux moyens, aussi bien à l’intérieurdu pays qu’à l’extérieur, loin de l’emprisede la répression autoritaire. Quant à la der-nière pétition, il est moins impor tant desavoir si le million de signatures sera atteintque de savoir combien de Syriens suivrontl’appel de ses auteurs pour le sit-in du8 mars, jour du 41e anniversaire de la décla-ration de l’état d’urgence. En espérant quece jour se passera sans débordements.

Mohammed Ali Atassi, An Nahar, Beyrouth

� Dessin de Mayk paru dans SydsvenskaDaglabet, Malmö.

fait que renforcer la position du Hez-bollah et du Hamas. C’est pourquoije m’adresse aujourd’hui à vous, diri-geants arabes. Les gars, Sharon n’estpas le seul à n’avoir pas levé le petitdoigt pour aider les Palestiniens modé-rés.Vous-mêmes n’avez rien fait. Mais,à la vérité, moi non plus.Voici donc ceque je vous propose pour faire amendehonorable : un sommet arabe est prévupour mars prochain, je voudrais quevous nous y invitiez, Sharon et moi. Etje souhaite que vous présentiez direc-tement à Sharon le plan de paix duprince héritier saoudien Abdallah, quevous avez déjà adopté comme initia-tive de la Ligue arabe : une normali-sation totale avec Israël en échanged’un retrait total des Territoires. J’en

ai assez, les gars. Si vous n’êtes pasdisposés à présenter directement

votre propre plan de paix à un Premierministre israélien (ce qui redynami-serait tout le processus), alors vousn’êtes que des imposteurs, et je ne vaispas perdre mon temps avec vous. Mais,si vous présentez votre proposition– seul moyen de stimuler le peupleisraélien et de remettre l’initiative deSharon sur une voie favorable à tousles modérés –, alors, je veillerai à ce quele gouvernement américain lui apportetout son soutien.

Assez parlé, il est temps d’agir,les p’tits gars.

Thomas L. Friedman

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AL AHRAM (extraits)Le Caire

L ’effondrement dans un va-carme assourdissant d’unimmeuble de onze étages auCaire, le 26 janvier dernier,

devrait représenter pour tous les Egyp-tiens un véritable coup de semonce.Car ce terrible désastre ne doit pas êtreperçu comme un problème de cons-truction parmi d’autres. Il faut y voiraussi et surtout la triste réalité d’unesociété égyptienne ayant subi, durantles dernières décennies, d’inquiétantestransformations. Il n’est certainementpas question de minimiser le drame.La presse, bien sûr, a examiné ce dé-sastre sous toutes les coutures. Maisil y a deux points capitaux à retenirdans tout ce qui a été publié. En pre-mier lieu, la déclaration du gouver-neur du Caire indiquant que la ma-jorité des immeubles de la MedinatNasr [ville nouvelle de la banlieue cai-rote] n’étaient pas conformes aux cri-tères de construction prévus par la loi.(Le quotidien d’opposition AlWafd rap-porte, dans son édition du 31 janvier,que 57 000 bâtiments de la ville duCaire doivent être démolis car ils met-tent en danger la vie des locataires etque 112 000 immeubles dans les autresgouvernorats d’Egypte se trouvent dansla même situation !) En second lieu, ily a les aveux d’un des propriétaires del’immeuble effondré, reconnaissant de-vant le parquet et les journalistes quele permis de construire n’autorisait quequatre étages et qu’il y avait surajouté,en contravention avec la loi, sept autresétages. Il a même avoué qu’il comptaitsurélever le bâtiment d’un douzièmeet d’un treizième étages !

Cela fait froid dans le dos. Qu’ils’agisse de la non-conformité auxnormes ou de la menace d’écroule-ment de la majeure partie des im-meubles d’une banlieue de plus de1 million d’habitants, ou que ce soitce si grand nombre de constructions,au Caire et dans toute l’Egypte, quirisquent de s’effondrer, cela aurait sus-cité, dans tout autre pays, une mobi-lisation nationale de toute urgence.Rien de cela en Egypte ! Pourtant, lemoindre relâchement dans un pro-blème d’une telle gravité risque de pro-voquer une catastrophe bien plus graveen termes de vies humaines que lesbombes atomiques sur Hiroshima etNagasaki.

Une calamité peut en cacher uneautre et, tandis que l’immeuble effon-dré accaparait l’attention des médias,personne ou presque ne se préoccu-pait de révéler d’autres malheurs toutaussi graves et dangereux, qui se dérou-laient presque en même temps. Le fac-teur commun à toutes ces “affaires”étant, cela s’entend, la corruption.Ainsi, le 25 janvier, notre journal révé-lait que le député Taysir Matar avaitprésenté en urgence aux ministèresconcernés un rapport faisant état de la

disparition de 3 000 cartons de viandeavariée en provenance du Brésil et quiavaient été stockés dans des chambresfroides près du port d’Alexandrie. Lerapport précisait que la quantité deviande importée du Brésil par un com-merçant grossiste était de 4 017 car-tons, confisqués pour leur non-confor-mité aux normes d’hygiène alimentaire.Mais le négociant s’était empressé derégler les formalités de déblocage de laviande avariée, en attendant les résul-tats des analyses. Et c’est lors d’uneopération d’inspection de la police del’hygiène alimentaire que l’on s’estaperçu de la disparition des trois quartsdes cartons de viande, qui ont, l’on s’endoute, été écoulés sur le marché.

Dans son rapport, le député Mataravait pris soin de faire remarquer quecette affaire n’était pas la première dugenre et qu’un an plus tôt 90 tonnesde viande en voie de décompositionavaient été dérobées aux douanesd’Alexandrie et revendues en doucesur les marchés. A l’époque, l’affaireavait été traitée à l’Assemblée natio-nale par la commission de la défenseet de la sécurité nationale, qui avaitrecommandé que ne soient plusconservés dans des chambres froidesprivées les produits alimentaires ava-riés et impropres à la consommationhumaine ; ces recommandations sontrestées lettre morte.

Le journal AlWafd du 31 janvieravait aussi révélé les détails d’une autreopération de mise sur le marché, cettefois-ci concernant du poisson avarié,dans la région de Damiette, et danslaquelle le tribunal pénal de la ville avait

condamné à diverses peines de prisondeux hauts gradés de la police, un desimportateurs et quelques autres per-sonnes, toutes impliquées dans larevente de 439 tonnes de poisson ava-rié. Les détails de l’affaire sont, à peude choses près, semblables à ceux descartons de viande d’Alexandrie. Uncommerçant avait importé cette quan-tité de poisson, qui s’était révélé conte-nir un nombre important d’asticots.Même scénario : en attendant les résul-tats des tests de salubrité, le poissonconservé dans des chambres froidesprivées a été vendu.

BLÉ AUX PESTICIDES, HOMMES D’AFFAIRES VÉREUX

Les tests ayant révélé que le poisson nepouvait être consommé, le parquetordonna l’incinération du lot. La com-mission gouvernementale chargée devérifier, sur place, la destruction des439 tonnes n’a pu que constater qu’iln’y avait plus la moindre trace de pois-son dans les installations frigorifiques !Par ailleurs, on apprenait que quelque8 000 tonnes de blé avaient été décla-rées impropres à la consommation parles laboratoires du ministère de la Santéparce qu’elles contenaient de fortesdoses d’insecticides et des vers vivantset morts. Mais l’importateur, à coupsde pots-de-vin, avait réussi à sortir enfraude des douanes la marchandiseavariée et à la mettre sur le marché enla vendant aux boulangeries. On peutajouter à la liste des désastres du mêmetype l’affaire qui fit grand bruit l’anpassé et demeure toujours en attentede jugement. Le directeur de la Banque

agricole de développement avait étéarrêté ainsi que vingt autres personnespour avoir importé, en vue de com-battre les fléaux des récoltes, des pes-ticides agricoles cancérigènes qu’ilssavaient être interdits de vente et d’uti-lisation. Quiconque prend connais-sance de ces faits ne peut qu’être frappéde stupéfaction, tant le nombre devictimes de chacune de ces affairesdépasse de loin celui de celles qui sontmortes dans les décombres de l’im-meuble du Caire. Malgré cela, dans lesmédias, pas un mot sur les victimesanonymes, qui doivent se compter parmilliers. Si quelque chose de semblables’était produit dans n’importe quelleautre société, une mobilisation géné-rale aurait été décrétée. Malheureuse-ment, rien de cela n’a eu lieu cheznous, probablement parce que les vic-times sont des pauvres qui habitent àl’extérieur de la capitale, c’est-à-diredans une autre Egypte.

Il y a enfin actuellement devantla justice, alors que les enquêtes sepoursuivent, trois affaires scandaleusesqui se situent à un niveau de corrup-tion sans précédent.– Le procès de la grande contrebandedes antiquités égyptiennes, où 30 per-sonnes ont été arrêtées. Cette banded’“experts” avait planifié durant plu-sieurs années le vol d’antiquités et leurtransfert en Suisse. Elle était consti-tuée de spécialistes des antiquités égyp-tiennes, de responsables de la sécurité,des douanes et de l’aviation civile. Legroupe avait donc investi tous les sec-teurs concernés.– L’affaire de la Banque extérieured’Egypte, dont le président ainsi queses assistants ont été accusés d’avoiraccordé, de connivence avec deshommes d’affaires, des facilités devirement ayant abouti à un détour-nement de plus de 300 millions delivres égyptiennes [40 millions d’eu-ros]. Or il faut savoir que, depuis plu-sieurs années, le vol de fonds ban-caires n’a jamais cessé. La revueAl Ahram économique rapporte, danssa livraison du 5 janvier dernier, queles services de sécurité égyptiens ontdemandé à Interpol de rechercher etd’arrêter 40 hommes d’affaires égyp-tiens qui ont dérobé à des banqueségyptiennes près de 6 milliards d’eu-ros et se sont enfuis à l’étranger.– Le dossier du professeur de méde-cine de l’université Al Azhar, au Caire,et de ses neuf assistants, qui ont faitcroire, durant deux ans, à 216 patientsqu’ils leur avaient posé au cours d’uneintervention chirurgicale, fictive, uncathéter cardiaque. Ils sont sous lecoup d’une accusation de faux, d’es-croquerie et de mainmise sur lesdeniers publics. Quelques semainesplus tôt, dans un autre procès, ledirecteur de l’Institut du cœur avaitété inculpé d’à peu près les mêmeschefs d’accusation et avait alors étédémis de ses fonctions.

Fahmi Howeidi

ÉGYPTE

Rien ne va plus au pays du NilUn immeuble qui s’effondre, de la viande avariée, un trafic d’antiquités, des transactions frauduleuses, des interventions chirurgicales fictives : la corruption sévit partout. Même le très officiel Al Ahram en parle.

moyen-orient

■ Partage des eauxAu mois de mars,une conférence se tiendra à Nairobipour réduire les tensions entrel’Egypte et plusieurspays de l’Afrique de l’Est à propos du partage des eaux du Nil,rapporte The Guardian.En effet, l’accord de 1929,signé sous le patronage de la Grande-Bretagne,accordait la part du lion au Caire.Londres, qui voulaitménager le paysdu canal de Suez,avait imposé une solution qui garantissait à l’Egypte l’accès à 55,5 milliards de mètres cubesd’eau du Nil,sur un total de 84 milliards.Mais la sécheresseau Kenya, enOuganda et en Tanzaniepousse ces pays à réclamer un nouveau partagedes eaux.Pour le ministre des Ressourceshydrauliqueségyptien,Mahmoud Abou-Zeid,la menace du Kenya de dénoncerl’accord de 1929serait un “acte de guerre”.

� Dessin d’Ismaelparu dans El Periódico de Catalunya,Barcelone.

COURRIER INTERNATIONAL N° 694 29 DU 19 AU 25 FÉVRIER 2004

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COURRIER INTERNATIONAL N° 694 30 DU 19 AU 25 FÉVRIER 2004

� BrûlotLe pamphlet de Mohammed,BenchicouBouteflika : une imposturealgérienne,n’a été mis en ventele 16 février que dans deuxlibrairies à Alger en raison de “pressions du pouvoir”.L’ouvrage du directeur du Matin est publiéen Algérie auxéditions Le Matinet, en France,aux éditionsPicollec.

LE MATINAlger

L e ministre de l’intérieur,Yazid Zerhouni, a mo-bilisé le 15 février desdizaines de policiers pour

traquer le livre de Mohammed Ben-chicou [directeur de la publicationdu quotidien Le Matin].Tôt dans lamatinée, des agents en civil ont étépostés aux alentours de la Maison dela presse pour “intercepter” – voilàencore un mot que l’on croyaitréservé aux terroristes et aux délin-quants – l’œuvre de M. Benchicou.Ammi Ahmed, le vieux et disciplinéchef du parc automobile du journal,est la première prise des hommes duvaleureux Zerhouni et de son auda-cieux DGSN (directeur général dela sûreté nationale), Ali Tounsi.

Ammi Ahmed est embarqué avecdeux autres collègues. Les troishommes sont pris en flagrant délit– ils transportent huit exemplaires dulivre. Ammi Ahmed subit la question.Malheureusement pour Zerhouni,il ne connaît pas l’imprimeur, il nesait pas où sont les stocks et de toutefaçon il ne s’est jamais préoccupé dele savoir. Il fait son travail, et c’esttout. Mais chacun sait que la forcedes fascistes est leur entêtement àtrouver un coupable quand ils en ontl’ordre. Tounsi n’est pas payé pourréfléchir ni faire dans le détail.

Moh, le chauffeur, se révèleaussi peu coopératif que les autres.Les policiers ne comprennent pastrès bien l’objectif de leur mission,mais ils tentent malgré tout d’exé-cuter les instructions des chefs. Lasurveillance est renforcée, il s’agit derepérer les acheteurs du satané bou-quin. Et justement, il y en a un quisort du journal. C’est Dilem [célèbre

dessinateur dont les caricatures sontpubliées dans le quotidien Liberté],ami de Benchicou et déjà fort connudes services de sécurité et des juges.Il résiste et parle de liberté de pen-ser, d’écrire et de légalité. Il seretrouve au commissariat.

DÉFENDRE LE DROIT D’ÉCRIREET DE LIRE EN ALGÉRIE

Saïda Azzouz [journaliste au Matin]rentre chez elle en voiture après sajournée de labeur. Elle pense déjà àson dîner lorsqu’une voiture luibarre la route, dans un crissementde pneus. Le livre – dédicacé, quiplus est – se trouve dans le coffre.Saïda est emmenée au commissariat.Azouaou [également journaliste au

Matin] suivra le même chemin. Ildevra expliquer à un officier depolice ennuyé qu’il a acheté la chosepour “comprendre”, pour “savoir”.Avez-vous déjà eu affaire à la police ?lui demande-t-on. “Je sais que je suiscertainement fiché avec les aârouch[mouvements kabyles], les victimesd’Octobre [le mouvement des jeunesd’octobre 1988 ; sa répression a fait plu-sieurs centaines de victimes], j’y aiperdu un bras, avec les victimes du ter-rorisme et avec les journalistes. Et monlivre, je peux le reprendre ?” Le poli-cier, qui a l’obligation de croire enla toute-puissance de ses supérieurset qui se refuse probablement àadmettre qu’un livre leur inflige unecorrection qu’ils n’oublieront pas de

sitôt, rétorque : “S’il est vendudemain, tu reviens le chercher.” Mais,pauvres de vous, pauvre Zerhouni,pauvre candidat Bouteflika, le livreest déjà vendu. Le premier tirage estépuisé. Des milliers d’Algériens sonten train de le lire et de se délecter devotre comique dictature.

Si vous pouviez rougir de vos tur-pitudes, vous seriez partis dans votrecontrée d’origine pour cacher votreformidable déculottée. L’imprimeurque l’armada de Tounsi n’a pas réussià identifier travaille à un deuxièmetirage.Votre Gestapo est aussi battueà plate couture par de paisibles etcourageux libraires. Ceux de la capi-tale, d’Oran, de Constantine, deBatna, de Sétif et d’autres villes n’ontpas cédé aux intimidations et auchantage des policiers. Les pressionsn’ont fait que renforcer leur déter-mination à défendre le droit de lireet d’écrire dans ce pays. Leurs com-mandes affluent et ils n’ont pas hésitéà venir prendre leur livraison sous lenez du dispositif impressionnant misen place le 14 février.

Ces citoyens ordinaires croientdur comme fer qu’il n’est pas légalde saisir un livre qui n’est pas léga-lement et publiquement interdit parles institutions compétentes. Ils nesavent pas que Zerhouni est inca-pable d’affronter son ennemi en pleinjour parce qu’il ne connaît des Algé-riens que leurs gémissements sous latorture. Il ne sait se détendre qu’ende sombres caves et n’a appris de lajustice que la spoliation et l’abus. Ilen est ainsi des individus qui viventdans l’ombre d’un petit despote. Ilssont contraints d’agresser la dignitédes hommes pour prouver qu’ils exis-tent. Ces deux personnages ont forcéune dame de 80 ans à dissimuler lelivre et à mentir, en toute bonneconscience d’ailleurs, sur le contenude son cabas. Haut fait d’armes d’unpastiche de mafia.

Bouteflika, l’imposture nationale,sera, est déjà, connu de tous tel qu’ilest réellement. Le ministre de l’In-térieur, Zerhouni, a trois ans pourdéposer une plainte ? Les famillesdes jeunes assassinés de Kabylie éga-lement. Bouteflika, le président-candidat, et Zerhouni, le tortionnairemême pas repenti, ont trouvé plusfort qu’eux, le livre. Ghania Khelifi

afr ique●

G A M B I E

Petit pays enclavé dans le Sénégal, la Gambie se rêveen nouveau Koweït de l’Afrique.Mais faut-il croire aux promessesde son fantasque président ?

Cela doit faire tout drôle des’endormir gambien et de se

réveiller roi du pétrole. C’est cequi vient d’arriver aux habitantsde ce petit pays placé sur la cartedu Sénégal comme une bouchesur un visage. Nos amis gambiensont en effet appris qu’ils sont

assis sur une éponge de pétrole– du moins ceux qui croient en laparole de leur président, le facé-tieux Yahya Jammeh.Très croyant lui-même, Yahyas’adresse fréquemment à sesconcitoyens à l’occasion de lagrande prière du vendredi. Lorsde l’une de ses dernières inter-ventions, il a créé la surprise.“Je peux désormais vous le dire :nous disposons d’importantesréserves pétrolières, notammentau large de notre littoral. Le

temps de la misère et de la faimest révolu. Nous nous enga-geons aujourd’hui vers un ave-nir nouveau”, a-t-il déclaré. Aprèsquoi, il a remercié Allah.Jammeh est-il trop optimiste ?On sait que des recherchespétrolières sont menées depuislongtemps en Gambie. Sanssuccès pour le moment. Un seulpuits a été creusé par Chevron,en 1979, et presque aussitôtabandonné. Pétrole ou paspétrole ? On ne sait. Quant à la

fin des temps de misère, onpeut aussi en douter. Jammeh,futur prince du pétrole qui resteà extraire, n’est pas très géné-reux. La semaine dernière, ilinterdisait aux chauffeurs étran-gers de conduire des véhiculescommerciaux et imposait à ses“frères” sénégalais un droitd’entrée en Gambie, en contra-diction avec tous les textes surl’intégration régionale.

Semba Diallo, Journal du jeudi, Ouagadougou

Le président Jammeh, prophète de l’or noir

ALGÉRIE

A Alger, la chasse au livre subversif est ouverteAlors que la bataille électorale pour la présidentielle du 8 avril 2004 bat son plein, la tension monte avec la publication d’un ouvrage très critique à l’égard du président Abdelaziz Bouteflika. A Alger, lecteurs et libraires subissent des pressions et des menaces.

� W W W . �Toute l’actualité internationale

au jour le jour sur courrierinternational.com

� Dessin de Nassim,Algérie.

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TUNEZINETunis

Naturellement, il faut lais-ser tomber pour une foisla presse de Tunisie, ou-blier le miracle tunisien,

négliger les bagarres du microcosmeet ne saluer que de très loin Ben Ali,le Caligula tunisien. Il faut se débar-bouiller la cervelle des lieux communstuniso-machin-chouette.Aujourd’hui,j’en ai ma claque de “la prison sansbarreaux”, des procès pipés, de la cor-ruption. J’ai envie d’aller voir de près,de tout près Hay El Akrad, le quartierdes Kurdes, croupion de la Tunisie,degré zéro du pittoresque.

Nous y sommes ! C’est à trenteminutes de Bab B’har, la porte de lamer. On y arrive dans une cohueinfernale, des motocyclettes qui par-tent dans tous les sens et des petitsvendeurs à la sauvette beuglant… Jedemande à mon compagnon, unhabitué des lieux, si c’est dangereux.“Pas trop”, dit-il en haussant lesépaules, et je comprends que Hay ElAkrad est un endroit très dangereux.“Les responsables n’osent pas y venir, ilsont peur.Mais les responsables et les gensdu parti sont des lâches. Mais toi tu esjournaliste, non ! Contente-toi de ne past’éloigner de moi.” Ce qu’il veut dire,c’est qu’un journaliste a beau êtrelâche, il ne peut pour rien au mondemanquer de faire une virée du côtéde Hay El Akrad. Et il a raison. Je lecomprends dès l’instant où nousentrons dans le quartier, tout commeje comprends qu’en comparaisonChicago devrait ressembler à uneécole maternelle. Des flèches signa-

lent l’emplacement de bars clandes-tins. Devant les portes, des femmess’offrent au passant à des prix facile-ment négociables à la baisse. Nousentrons dans une bicoque obscure etinfecte où des créatures lascives quisemblent sorties de La Guerre du feusirotent du vin. Le danger est pal-pable dans l’air, comme si, à n’im-porte quel moment et sous n’importequel prétexte, l’illusion de paix pou-vait voler en éclats.

Je me lève et, guidé par mon com-pagnon, j’entre avec lui dans une mai-son. Quand on dit “maison”, il fauts’entendre. Comme celles de Hay ElAkrad, c’est une pièce de trois mètressur quatre. Là vivent le vieux Lakh-dar, sa femme et leurs huit enfants :dix personnes dans douze mètrescarrés ! Cette densité limite, c’estd’ailleurs celle de Hay El Akrad.Autour de chez les Lakhdar, danscette portion de Hay El Akrad, il ya quatre robinets d’eau potable.Depuis deux semaines, trois d’entreeux sont détraqués. Un seau d’eaufraîche vaut donc ses deux ou troisheures d’attente.

VIVRE AVEC 15 EUROS PAR MOIS ET PAR PERSONNE

Le vieux Lakhdar, malade depuis unan, ne travaille plus. Sa femme a trouvéune place, comme bonne, à HayEnnasser, quartier de nouveaux riches.Elle gagne 120 dinars par mois[75 euros]. L’un des fils – 14 ans – tra-vaille chez un vendeur de journauxpour 100 dinars par mois [60 euros].

On vit chez les Lakhdar avec20 dinars [15 euros] par personne etpar mois, alors que 1 kilo de cous-cous coûte environ 1 dinar. Peut-onraconter la vie des gens de Hay ElAkrad avec les seuls chiffres, aussifous soient-ils ? Je sais seulement que,la semaine dernière, la femme deLakhdar est rentrée avec un drôled’air : elle a vu sa patronne acheterune robe à 2 000 dinars. Presquevingt mois de son salaire dépensésd’un coup. Elle n’aurait jamais cruque quelqu’un dans toute la Tunisiepossède une telle somme.

Le rêve de tous, ici, c’est de tra-vailler un jour dans les manufacturesde textile. Avec un salaire royal : leSMIG [140 euros]. Il faut pour celapiétiner des années durant avec le sta-tut de journalière, s’accrocher ferme,faire des risettes aux contremaîtres.Emplois précaires, miraculeux, que l’ons’étonne chaque matin de ne pas avoirperdus.Tant de candidats attendent auportillon, prêts à vous souffler votreplace, à n’importe quel prix ! On quitteles Lakhdar un moment pour marcherdans les ruelles de Hay El Akrad. Bouefétide, caniveaux bloqués par la vase,détritus à perte de vue… Chaque cen-timètre de rue est bourré à mort, dis-puté. Des échoppes, grandes commedes coffres à jouets, se serrent les unescontre les autres. Celle-là vend destabouna [du pain fait maison] ; uneautre des ftaïer [beignets] ; une autredu gazole, du charbon…

Il y a un mois, une pluie dilu-vienne s’est abattue sur le quartier. Ila disparu tout entier sous un bonmètre d’eau noirâtre, charriant desimmondices. Pendant des jours et desjours, les gens de Hay El Akrad ontconnu l’obsession du mouillé. Pen-dant toute la durée de l’inondation,les nuits ont été terribles : dans lesfamilles, on s’est relayé sur le lit, seulendroit sec. Deux heures de sommeilà tour de rôle pendant que les autresattendent accroupis dans la flotte.

Je passe près d’une mare ignobledans laquelle s’éclaboussent unepoignée d’enfants. Des rires encore,des yeux tout fulgurants de joie. Jecomprends la fascination de monguide pour Hay El Akrad, enfoncéjusqu’aux cheveux dans la misèrenoire monte en permanence le grandmurmure des enfants, qui travaillentdès l’âge de 10 ans, mais qui rientdans la poussière. “Sans les enfants,ce quartier serait un camp de concen-tration”, me dit mon compagnon.

Chez les Lakhdar, où nous reve-nons maintenant pour finir l’après-midi, une ampoule électrique pendau plafond. Luxe rare. Quand Lakh-dar est tombé malade, ses voisins, untout petit peu moins misérables quelui, ont prolongé sans le prévenir unfil électrique jusqu’à sa maison, par-tageant ainsi quelques watts. Coude-à-coude silencieux, solidarité frileuse :personne n’est jamais seul sur l’éten-due de Hay El Akrad. Jonglant jouraprès jour avec le désastre, ontriomphe de justesse du plus fabuleuxdes paris : ne pas mourir trop vite.

Enfin, Hay El Akrad est une his-toire mieux racontée par Tarkovski : unhomme en tire un autre d’une mare demerde, énorme, profonde. L’autre, ilétouffait déjà. Il le sort en risquant sapropre vie. Ils sont couchés au bordde cette mare horrible. Ils n’arriventpas à reprendre leur souffle. Le garssauvé se tourne vers l’autre : “Qu’est-ce qui te prend ? Pourquoi tu m’as sorti ?J’habite ici." Taoufik Ben Brik

TUNISIE

Une incursion chez les “Kurdes” de TunisAu-delà du miracle économique tant vanté, il existe une autre Tunisie qui sombre dans la misère. Reportage dans le quartier Hay El Akrad, où les responsables politiques n’osent pas venir.

COURRIER INTERNATIONAL N° 694 31 DU 19 AU 25 FÉVRIER 2004

afr ique

� Dessin de Merinoparu dans La Vanguardia,Barcelone.

T U N I S I E

Les Aigles de Carthage transmettent le virus du footQu’il semble lointain, le début

de cette 24e Coupe d’Afriquedes nations (CAN), où l’on avaitbien du mal à déceler une quel-conque passion dans ce paysqu’on croyait blasé à force d’abri-ter des manifestations sportivesinternationales ! [La Tunisie aremporté le 14 février la CAN enbattant en finale le Maroc sur lescore de 2 à 1.]C’était, en effet, parti très len-tement, froidement même, sansenthousiasme apparent. On serend compte aujourd’hui que cen’était pas parce que le bonpeuple de Tunisie (pays qui seveut d’ailleurs le “carrefour dusport international”, comme leclamait une banderole déployéedans le stade de Radès) ne s’in-téresse pas trop à la chose spor-tive et au foot en particulier. Cela

aurait même été une aberrationpour ce pays qui a accueilli satroisième CAN, après celles de1965 et de 1994. Et c’est peut-être dans ce “je t’aime, moi nonplus” entre la Tunisie et la CANqu’il faut aller chercher l’expli-cation au manque de chaleurnoté en début de compétition.Comme le chat échaudé quicraint l’eau froide, la Tunisie avaitcertainement peur que cette CANsoit du même tonneau que lesdeux précédentes. C’est-à-direconclue sans le trophée tantconvoité. La première fois, lerêve s’était brisé en finale, aucours de la prolongation devantun Black Star du Ghana quiconfirmait son succès de 1963,et la deuxième, ce fut le cau-chemar dès le premier tour, queles Aigles de Carthage ne fran-

chirent même pas. Alors, pourcette CAN, ces mauvais souve-nirs ont vite affleuré.Et ça par tit mollement, côtéambiance et engouement. Mais,depuis le quar t de finale rem-porté face au Sénégal (1-0), l’am-biance est allée crescendo. Cequi rappelle étrangement laCoupe du monde 98 en France,où, partout dans l’Hexagone, ona semblé réellement y croirequ’après le quart de finale et lebut en or de Laurent Blanc faceau Paraguay de Chilavert. Pareilici ! La fier té nationale a refaitsur face et la presse locale ycontribue largement, qui vante àlongueur de colonnes et à traversles ondes les mérites de l’équipenationale. Chacun se fait undevoir de posséder son drapeauaux couleurs nationales et les

vendeurs de drapelets font leurapparition au coin des rues, augrand bonheur des suppor tersqui viennent au stade, munis dela bannière rouge avec au centreun croissant et une lune de cou-leur blanche. Même les non-férusde foot exhibent fièrement cesymbole de la nation. Les soirsde victoire tunisienne, ce ne sontque débordements de foule etconcerts de klaxons dans toutesles villes du pays et même dansles bleds les plus reculés.Au centre-ville de Tunis, impos-sible de circuler. Et, phénomènerelativement nouveau, de plusen plus de filles fréquentent lestravées des stades pour suivreles performances des Aigles deCar thage. Exactement commeen France, lors du Mondial 98.

B.K. Ndiaye, Le Soleil, Dakar

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THE NEW YORK TIMES MAGAZINE (extraits)New York

Dans toutes les grandes villes du Pakis-tan se dresse un curieux monumentreprésentant un missile dressé sur fondde montagne en dents de scie – unereprésentation stylisée d’un pic desChagai Hills. C’est là, dans les pro-

fondeurs de la roche granitique, que le Pakis-tan a procédé à ses premiers essais nucléaires,il y a six ans. Le missile a pour nom Ghauri, etsa portée est d’environ 1 500 kilomètres. Sijamais les tensions chroniques le long de lafrontière indo-pakistanaise dégénéraient enescalade atomique, le Ghauri tenterait d’em-porter au moins une des têtes nucléaires duPakistan jusqu’à New Delhi.

Ces étranges autels votifs méritent que l’ons’y attarde, ne serait-ce que pour s’intéresserà la façon dont le Pakistan affiche publique-ment ses capacités nucléaires, avec un orgueilqui frise la provocation. Israël n’a jamaisreconnu l’existence de son programme, pas plusque les dirigeants de l’Afrique du Sud, avantqu’ils ne démantèlent discrètement leur arse-nal, en 1989. Les Pakistanais, eux, ont décrétéque ces armes seraient plus efficaces si ellesétaient montrées ostensiblement, à la fois pourse prémunir de la supériorité indienne dansle domaine des forces conventionnelles et entant que proclamation nationaliste et étendardde la fierté islamique.

Ce que ces sculptures ne disent pas, enrevanche, c’est que le Ghauri, sous ses atourspakistanais, est une copie d’un missile nord-coréen, le Nodong. Le Pakistan se serait offertcet engin capable d’emporter une tête

Le premier âge nucléaire, qui a commencé àHiroshima, s’est progressivement mué en un face-à-face entre les Etats-Unis et l’Union soviétique.En dépit des crises aiguës survenues au coursdes vingt premières années de cet affrontement,comme le blocus de Berlin [en 1948-1949] etl’affaire des missiles de Cuba [en 1962], les deuxadversaires ont lentement appris à maîtriser leursterrifiants arsenaux et négocié des traités leurpermettant de vivre avec eux. Dans le mêmetemps, les autres candidats au nucléaire ont étéfreinés, par le biais d’autres traités, la menace desanctions, le semi-monopole des superpuissancessur la technologie et le fait que les nations plusfaibles pouvaient toujours se rassembler sousle parapluie nucléaire de l’un des deux blocs. Lesalliances, soviétique et américaine, avaient toutintérêt à limiter le nombre d’Etats nucléarisés.Ainsi fonctionnait la guerre froide.

L’entrée dans le second âge nucléaire a étédéclenchée par un grondement dans le désertdu Rajasthan en 1998, quand le gouvernementnationaliste hindouiste, depuis peu au pou-voir en Inde, a procédé à cinq essais nucléaires.Le Pakistan l’a imité deux semaines plus tard.Les essais indiens ont constitué une déclarationde fierté nationale, la manifestation de la peurque la Chine inspirait à l’Inde et un avertisse-ment au Pakistan. Les essais pakistanais n’ontplus simplement été une question de récipro-cité. “Maintenant,nous sommes à égalité”, a lancéle Premier ministre Nawaz Sharif.

Il s’agit de bombes à vocation régionale, dontl’existence a été dévoilée avec un décorum popu-liste, sur fond de religion – on parle de bombehindoue, de bombe musulmane. Beaucoup ontpensé que l’Inde et le Pakistan étaient les pré-curseurs d’une nouvelle forme de puissancenucléaire. La question irakienne est peut-êtrerésolue, mais la Corée du Nord est d’ores et déjàconsidérée comme nucléarisée. L’Iran pourraitrapidement se doter de l’arme nucléaire, et laSyrie est surveillée de près. La Libye, elle, a étéamenée à conclure un accord avec les Etats-Uniset le Royaume-Uni. Les spécialistes spéculent surun effet d’ondes concentriques, un Iran nucléa-risé éveillant les appétits atomiques de l’Egypte,de la Turquie, voire de l’Arabie Saoudite, tandisque la bombe nord-coréenne pousserait le Japon,la Corée du Sud, voire Taïwan, à s’équiper.

La première ère nucléaire se résumait essen-tiellement à un bras de fer entre deux grandespuissances industrielles, chacune prétendant

●en couverture

COURRIER INTERNATIONAL N° 694 32 DU 19 AU 25 FÉVRIER 2004

Depuis la fin de la guerre froide, la prolifération de l’arme atomique concerne surtout des Etats instables et remet en cause les schémasclassiques de contrôle des armements.

L’ère incertaine dunucléaire pour tous

■ Les aveux d’Abdul Qadeer Khan sur le trafic nucléaire international qu’il dirigeait depuis le Pakistan nesont que le dernier épisode d’une réalité inquiétante : le retour en force de l’arme atomique dans les doctrinesmilitaires. ■ Des programmes clandestins en Corée du Nord ou en Iran jusqu’au développement de minibombes parles Etats-Unis, la prolifération est de plus en plus difficile à contrôler. ■ Et fait craindre un déséquilibre de la terreur.

� Dessin de Kopelnitsky, Etats-Unis.

NUCLÉAIRE ELLE COURT, E

nucléaire en fournissant à la Corée du Norddes informations essentielles sur la productionet les essais d’explosifs nucléaires. Et ce quele Pakistan, sans le vouloir, célèbre ainsi, c’estl’avènement d’une nouvelle ère nucléaire.Douze ans après l’effondrement de l’Unionsoviétique, les armes atomiques n’ont pas étéreléguées aux oubliettes de notre conscience.Dans ce second âge nucléaire, elles dominentplus que jamais notre politique internationale.La prolifération nucléaire est au cœur desconfrontations entre les Etats-Unis et la Coréedu Nord et l’Iran. La prolifération ne cessed’envenimer nos relations avec la Russie etla Chine, elle a contribué aux désillusions amé-ricaines vis-à-vis des Nations unies et, enfin,elle est indissociable de la question majeurede notre temps, le terrorisme.

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tomber entre les mains de terroristes. Dans lesrangs subalternes de l’armée pakistanaise, parexemple, le fanatisme de style taliban rencontreune profonde sympathie. Le général Mushar-raf tient son pays d’une poigne de fer, mais per-sonne ne croit que la situation soit absolumentplus sûre pour autant. Ou que Musharraf seratoujours là.

Durant le premier âge nucléaire, centré surl’Europe et la guerre froide, nous étions en ter-ritoire connu. La deuxième ère se développedans une vaste région d’Asie, terreau fertile enlitiges historiques, orgueils nationaux froisséset autres ambitions locales que l’Ouest com-prend mal et contrôle encore moins.

Pour un régime autoritaire ayant desvelléités vis-à-vis de ses voisins, les armesnucléaires pourraient empêcher les Etats-Unisde voler au secours d’un allié. Selon le jour-naliste pakistanais Ahmed Rashid, certainsautocrates chercheraient à se doter d’armesnucléaires non pour protéger leurs pays, mais

pour assurer leur emprise sur le pouvoir. “Dansles années 90, le nucléaire est devenu une questionde sauvegarde et de survie du régime”, expliqueRashid. Craignant de compromettre leur auto-rité en libéralisant leurs sociétés, ces autocratesont préféré se tourner vers les armes atomiquescomme moyen de prouver à quel point ilsétaient essentiels pour le sort de la nation.

Mais, si le nucléaire s’est répandu, c’estaussi parce que cela était désormais possible.Lors du premier âge, les secrets et les ingrédientsde la fabrication des bombes étaient jalousementgardés. Mais la volonté politique d’exercer uncontrôle sur les exportations de technologiesophistiquée s’est évaporée avec la fin de la guerrefroide. Dans le même temps, les frontières sontdevenues plus perméables. Avec la mondialisa-tion, le nucléaire semble n’être plus qu’une tech-nologie dangereuse de plus, probablement impos-sible à maîtriser, comme la pornographie surInternet. Les pays pauvres peuvent même finan-cer leur nucléaire en exportant du matériel mili-taire, comme l’a fait la Corée du Nord.

“La demande crée le marché”,déclarait GeorgeTenet, directeur de la CIA, devant le Congrèsen février 2003. Et l’on trouve de plus en plusde “fournisseurs non étatiques” susceptibles d’yrépondre, ce qui permet d’aller plus vite que lesprogrammes nucléaires classiques. “Peut-êtrequ’au XXIe siècle la théorie des dominos s’appliquerasurtout au nucléaire”, ajoutait Tenet.

Pour nombre de critiques, en particulier àl’étranger, les Etats-Unis ont une responsabi-lité dans l’avènement de ce nouvel âge nucléaire,du fait d’un manque de vigilance frisant la com-plicité. Nous sommes coupables d’avoir donnéle mauvais exemple, mais également d’avoir faitpreuve d’hypocrisie, de permissivité et d’im-prudence. Quand les contrevenants étaient desalliés utiles,Washington a eu tendance à fermerles yeux. C’est incontestablement le cas duPakistan. Nous n’avons pas fait grand-chosepour mettre un terme à son programmenucléaire dans les années 80, quand les Pakis-tanais étaient nos partenaires privilégiés parle soutien qu’ils apportaient aux résistantsafghans contre l’Union soviétique. Nous savionsen outre que la Chine vendait des missiles àIslamabad, mais nous courtisions égalementPékin pour lutter contre les Soviétiques.

Certaines de nos angoisses actuelles sontla conséquence de notre manque d’attention.En 1994, le président Clinton a signé un accordgarantissant à la Corée du Nord que nous luifournirions de l’énergie si elle cessait de retrai-ter le combustible nucléaire pour en faire desmatériaux à vocation militaire. Mais le gouver-nement américain a laissé les choses lui échap-per. Aujourd’hui, dix ans plus tard, le problèmenous hante de nouveau. L’équipe Bush adoreincriminer Clinton et dépeindre son accordnord-coréen comme une abdication. Mais cetraité aurait pu représenter une véritable pre-

représenter une idéologie planétaire. L’èreactuelle est affaire de nations fragiles, toutes oupresque sous la férule d’autocrates, relativementpauvres pour la plupart, dans des régions rudes,et refusant de s’aligner sur une des puissancesoccidentales, qu’elles haïssent.

Les arsenaux de la première ère faisaientl’objet de réglementations complexes et dépen-daient de technologies sophistiquées qui per-mettaient d’éloigner le spectre d’un tir acci-dentel. Certains des nouveaux venus dansl’arène nucléaire sont dotés de systèmes de com-mandement et de contrôle nettement moinsrigoureux. D’aucuns craignent même que leschaînes de commandement ne se volatilisenttout simplement dans l’ardeur du combat. LesEtats nucléaires plus récents, après tout, sontopposés à des ennemis tout proches, à quelquesminutes seulement d’un vol de missile, et lesconflits pourraient éclater rapidement.

A cela s’ajoute le risque de voir des armesou des matériaux militaires du tiers-monde

COURRIER INTERNATIONAL N° 694 33 DU 19 AU 25 FÉVRIER 2004

T, ELLE COURT, LA BOMBE

� Dessin de Krauzeparu dans TheGuardian, Londres.

� Explosion d’une bombethermonucléaire, lorsd’un essai américain,au large des îlesMarshall, en1958.

Cor

bis

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COURRIER INTERNATIONAL N° 694 34 DU 19 AU 25 FÉVRIER 2004

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Sources : “The Wall Street Journal Europe”, Carnegie Endowment for International Peace, National Resources Defense Council, Institute for Science and International Security, Jane’s, Federation of American Scientists

COURRIER INTERNATIONAL N° 694 35 DU 19 AU 25 FÉVRIER 2004

694p34-35 17/02/04 15:18 Page 35

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mière étape sur la voie d’une neutralisationde la menace nord-coréenne.

Ceux qui ont pour métier de s’inquiéter desarmes nucléaires sont divisés en deux camps hos-tiles. Les contrôleurs de l’armement tradition-nels sont partisans des traités, des contrôles desexportations, des organisations internationaleset des sanctions : un régime complexe qui a pourbut d’empêcher l’expansion et l’utilisation desarmes nucléaires. Ils vous diront que le contrôlefonctionne, qu’il n’y a que huit Etats nucléari-sés (les Etats-Unis, le Royaume-Uni, la France,la Russie, la Chine, Israël, l’Inde et le Pakistan),auxquels il faut sans doute ajouter la Corée duNord, et que bien des pays ont fait marche arrière(l’Argentine, le Brésil,Taïwan). Les contrôleursaffirment qu’il faut désormais renforcer ces régle-mentations multilatérales, qu’il faut davantageveiller à leur application et ressusciter le tabouqui planait sur ces armes. Leur argument clé estque les armes nucléaires sont un danger uniqueet que l’une des façons d’en décourager la pro-lifération serait de réduire nos propres arsenaux,ne serait-ce qu’à des niveaux minimaux, voire,dans quelque avenir idéal, à rien du tout.

Face aux contrôleurs se dresse un nouveaucamp en pleine ascension, qui affirme que lesanciennes réglementations n’ont plus cours. S’op-posant à la diplomatie inefficace du contrôle tra-ditionnel, ils défendent assez froidement leurpropre intérêt et choisissent la confrontation, cequ’a assez clairement illustré l’invasion de l’Irak.Mais la liste de leurs options inclut égalementles interventions limitées, le blocus, les sanctions

économiques ou encore les moyens purementpolitiques que sont la dénonciation publiqueet une franchise à la limite de la brutalité.

Dans le monde nucléaire, les traditionalistesparlent de “non-prolifération”. La nouvelle écolepréfère le terme plus musclé de “contre-proli-fération”, qui implique un éventail d’activitésallant jusqu’à l’intervention militaire. L’Irak aété le théâtre de la première guerre de contre-prolifération. Au sein du gouvernement améri-cain, des divergences tactiques importantes exis-tent quant à savoir s’il faut tirer un trait définitifsur le contrôle à l’ancienne. Mais les principaux

décideurs, au Pentagone, au département d’Etatet à la Maison-Blanche, sont plutôt tous dugenre à affirmer que la diplomatie a échoué.Les partisans de ce camp n’ont que peu de foidans les traités. La Maison-Blanche soutientque le Traité d’interdiction totale des essaisnucléaires (CTBT) ne sera jamais ratifié par lesEtats-Unis. Quant au Traité de non-proliféra-tion (TNP), entré en vigueur en 1970 et censélimiter la prolifération de la technologie et dumatériel nucléaires, le gouvernement y voit unhéritage du passé qu’il considère comme inutile.Seuls ceux dont c’est l’intérêt y obéissent, esti-

COURRIER INTERNATIONAL N° 694 36 DU 19 AU 25 FÉVRIER 2004

Les Nations unies et les Etats-Unisveulent endiguer la proliférationdes armes nucléaires. Mais comment y parvenir ? Là commencent les divergences…

L e 11 février, le président desEtats-Unis, George W. Bush,

appelait l’Agence internationalede l’énergie atomique (AIEA) deVienne à faire preuve de davan-tage de diligence dans la luttecontre la prolifération des armesde destruction massive. La ré-ponse n’a pas tardé. Dès le len-demain matin, il pouvait lire dansles colonnes du New York Timesce qu’avait à en dire le directeurégyptien de l’AIEA, Mohamed -el-Baradei. Or – comme c’est cu-rieux – les deux camps de la criseirakienne semblent du même avissur bien des points, mais ils di-vergent également sur des ques-tions essentielles.Bush et El Baradei se rejoignentdans l’analyse de la menace. Lesarmes de destruction massive re-présenteraient “le plus grand dan-ger pour l’humanité”, a déclaré leprésident des Etats-Unis dans undiscours prononcé dans la nuit du12 février. “Les terroristes et les

Etats qui les soutiennent sont en-trés en compétition pour se pro-curer des armes de destructionmassive.” Le responsable del’AIEA, quant à lui, prévient quede la technologie ou des armesnucléaires complètes pourraienttomber entre les mains de terro-ristes. “Si le monde n’y met pasun frein, nous courons à l’auto-destruction.”Tous deux ont aussi la même vi-sion des choses lorsqu’il s’agitde définir une stratégie de lut-te. Ainsi El Baradei approuve-t-iltotalement Bush pour ce qui estde durcir le contrôle des ex-por tations. Le système actuel,dénonce-t-il, reposerait sur desaccords qui n’ont rien decontraignant. Quelques Etats ex-por tateurs potentiels n’y pren-draient même aucune part. El Ba-radei propose donc de mettre enplace un système global, par fai-tement étanche, sur la base detraités engageant les signataires.Le directeur de l’AIEA recom-mande en outre de mieux sur-veiller l’enrichissement de l’ura-nium et le retraitement desbarres de combustible usées.Ces deux techniques sont utili-

sées – ce qui est autorisé –dans le nucléaire civil, mais ellespeuvent également servir à la fa-brication de bombes – ce qui estinterdit.Face aux contrôles de ce type, lesEtats-Unis ne cachent pas leurméfiance, d’autant plus qu’ilssont également visés. Bush avan-ce plutôt un autre moyen : il tientà garantir que les pays pour l’ins-tant incapables de mettre enœuvre ces deux procédés délicatsne bénéficient d’aucune aide lo-gistique ou matérielle. Les Etatsconcernés n’auraient alors qu’uneseule possibilité, l’importation debarres de combustible pour leurscentrales, ce qui leur interdirait le

développement autonome du cyclecomplet du combustible. L’AIEArefuse de souscrire à ce projetd’une société à deux vitesses. Ain-si El Baradei affirme-t-il dans sonarticle “le droit de tous les Etatsà l’utilisation pacifique de l’éner-gie atomique”.En revanche, Washington et lesNations unies estiment qu’il estnécessaire qu’un protocole ad-ditionnel au traité de non-prolifé-ration entre partout en vigueur.Pour l’heure, le protocole – quiautorise des contrôles efficacesdans les installations nucléaires –n’a été ratifié que par 38 pays.Bush vient d’annoncer que lesEtats-Unis comptaient bientôtle signer à leur tour. Et El Ba-radei exige que ce protocole en-gage tous les Etats. Il souhaiteen outre priver les signatairesdu droit de dénoncer le traité,comme l’a fait la Corée du Nordrécemment.Des divergences se font jourquant au travail de l’Agence elle-même. Les Américains, depuis ledifférend sur l’Irak, ne cessent decritiquer l’organisation, qu’ilsavaient jusqu’alors encensée. Au-jourd’hui, Bush réclame que l’AIEA

se dote d’une commission spé-ciale où ne siégeraient que desEtats “de bonne réputation”, afinde mieux lutter contre la prolifé-ration. A Vienne, on se deman-de qui, en dehors des Etats-Unis,pourrait y participer. L’Allemagne ?Le Brésil ? Voire l’Inde ?Le président américain a parailleurs suggéré d’écar ter toutpays suspect du conseil d’admi-nistration de l’Agence, qui tientlieu à celle-ci d’équipe dirigean-te. Cette proposition se heur teau scepticisme de l’AIEA. Une foisencore, la question se pose : quiserait concerné ? Tout en ne ces-sant de vanter le soutien que lesEtats-Unis accordaient jusque-làaux autorités de contrôle du nu-cléaire, Vienne craint que Wa-shington, en formulant des exi-gences impossibles à satisfaire,ne cherche systématiquement àfaire la preuve de la prétendue in-capacité de l’Agence à se réfor-mer. Il serait ensuite facile augouvernement Bush de mettrel’AIEA sur la touche afin d’exer-cer plus directement un contrôlesur les Etats nucléarisés.

Stefan Ulrich, Süddeutsche Zeitung, Munich

C O N T R E - P R O L I F É R A T I O N

Qui contrôlera les contrôleurs ?

� Dessin d’Ajubel paru dans El Mundo, Madrid.

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■ RéacteursLe 11 février, GeorgeBush a souhaité que l’ONU adopteune résolutiondemandant à tousles Etats de“criminaliser la prolifération et [de] décréter descontrôles stricts surles exportations”.“Ces initiatives ne vont pas assezloin”, regrette The New York Times,qui estime que les Etats-Unisdevraient “œuvrerpour réviser et renforcer le traitéde non-prolifération”,notamment en interdisant lavente de réacteursnucléaires aux paysqui n’ont pasrenoncé à enrichirde l’uranium ou du plutonium.

en couverture � Enfantspakistanais jouantsur un monumentérigé à la gloire du missile Ghauri.

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Page 37: courrierinternational 694

THE NEW YORK TIMES (extraits)New York

On sait depuis quelques jours que le scien-tifique pakistanais Abdul Qadeer Khanétait devenu premier exportateur sur lemarché noir du nucléaire. La fulguranteascension de ce héros national a com-mencé il y a trente ans avec l’importa-

tion de matériel militaire destiné à la fabricationsecrète de la bombe atomique par son pays.Depuis des années, les activités du Dr Khan sontun secret de polichinelle dans les milieux du ren-seignement au Pakistan, aux Etats-Unis et ailleurs.Mais le président pakistanais, le général PervezMusharraf, n’a mis en cause le scientifiquequ’après la saisie du BBC China, alors que lenavire faisait route vers la Libye [en octobre 2003]et que les preuves sur l’existence du réseau furentrévélées au grand jour. Khan a alors fait des aveuxpublics avant de recevoir le pardon du chef del’Etat [les 4 et 5 février 2004]. “Khan avait reçuun chèque en blanc”, confie un proche collabo-rateur du président pakistanais. “Il pouvait fairetout ce qu’il voulait. Il pouvait aller où il voulait. Ilpouvait acheter n’importe quoi à n’importe quel prix.”

Son arrivée dans la vie publique a coïncidéavec le premier essai nucléaire de l’Inde, en 1974.Khan, alors jeune et brillant ingénieur métallur-giste travaillant aux Pays-Bas, a permis au Paki-stan de rattraper son retard. Grâce à son posteau consortium européen Urenco, il était en pos-session des plans des meilleures centrifugeusesdu monde – ces tubes métalliques qui tournentà grande vitesse pour enrichir l’uranium natu-rel et le transformer en combustible pour bombeatomique. Un ensemble comprenant plusieursmilliers de centrifugeuses, la “cascade”, concentrel’isotope rare U-235 de manière à obtenir uncombustible fissile. Selon la justice néerlandaise,A. Q. Khan a volé les plans et s’est enfui dans sonpays en 1975. Il a alors mis à profit ces plans etson expertise pour monter un projet d’enrichis-sement sur le site de Kahuta, près d’Islamabad,sous le contrôle du Premier ministre de l’époque,Zulfikar Ali Bhutto. Pour atteindre son objec-tif, le jeune ambitieux puisait dans les listes néer-landaises où figuraient près de cent fabricants decomposants de centrifugeuses et de matériel.Hommes d’affaires et négociants – notammentdes intermédiaires allemands, néerlandais et fran-çais – affluaient au Pakistan pour proposer desproduits de haute technologie. Khan, polyglotte,était responsable des achats, effectués aux quatrecoins du monde. Dès le départ, ce commerce nefut un secret pour personne. Selon Mark Hibbs,correspondant en Allemagne d’une revue tech-nique américaine, Nucleonics Week,Washington aprotesté des dizaines de fois auprès de l’Allemagnecontre son système de contrôle des exportationspour le moins défaillant. Il permettait à des techno-logies “à double usage” de quitter le pays alorsqu’on savait qu’elles étaient destinées au pro-gramme nucléaire pakistanais. Finalement, le fluxtechnologique a fini par s’inverser, indiquent deux

hauts officiers de l’armée pakistanaise participantà l’enquête sur Khan. “Certains individus,y com-pris A.Q.Khan,se sont plus tard servis de ces contactset de ces circuits pour sortir la technologie du Paki-stan”, précise un officier pakistanais.

Khan avait trois mobiles, estiment les enquê-teurs. Il voulait défier l’Occident et percer “sonprétendu secret”, pour reprendre ses proprestermes. Il souhaitait également équiper d’autrespays musulmans, si l’on en croit un homme poli-tique en vue. “Pour lui, transférer de la technologievers un pays musulman ne constituait pas un délit.”Il y avait aussi l’appât du gain. A mesure qu’ilengrangeait les succès dans le nucléaire, sa for-tune personnelle a augmenté. Il a acheté plusieurspropriétés, et même un hôtel en Afrique. Il a com-mencé son commerce nucléaire à petite échelle,commandant simplement plus de pièces sur lemarché noir que nécessaire. Au début, les ser-vices de renseignement occidentaux, qui l’avaientà l’œil, sont restés perplexes. Puis, il est devenuévident que ces commandes étaient destinées àdes clients autres que le Pakistan. En effet, vers1987, le père de la bombe pakistanaise a concluun accord avec l’Iran, qui voulait construire50 000 centrifugeuses de type Pak-1 (Pakistan-1),un modèle rudimentaire. Un tel nombre depièces aurait permis à Téhéran de produire ducombustible pour trente bombes nucléaireschaque année. A mesure que la technologie duPakistan s’affinait, Khan vendait les centrifu-geuses et les pièces usagées, dont certaines étaientcontaminées par de l’uranium enrichi. C’est ainsique l’Iran a acquis du matériel d’occasion.

Selon un militaire participant à l’enquêtesur Khan, les demandes étrangères “étaient faitespar écrit, de vive voix, par l’intermédiaire de tiers,ou lors de rencontres avec Khan”.Le scientifiqueutilisait l’importante logistique mise à sa dis-position, y compris des avions-cargos, pourexpédier les composants aux intermédiaires,qui en maquillaient l’origine. “Le même réseau,les mêmes voies, les mêmes personnes qui ont per-mis l’importation de la technologie servaient à saréexportation”, assure le même officier.Vers lafin de sa carrière d’“exportateur”, Khan com-mandait tout simplement auprès de ses inter-médiaires de grosses quantités de pièces desti-nées à ses clients étrangers, sans laisser paraîtreson rôle dans la transaction.

Lorsque la Libye a décidé d’accéder, en deuxphases, au rang de puissance nucléaire, le réseaude Khan y a vu l’occasion de vendre un systèmeparticulièrement avancé.Tripoli lorgnait sur levieux Pak-1. Mais il a fini par rechercher unetechnologie plus efficace, celle du Pak-2, en alliageextrêmement dur. Grâce à cet équipement, lesLibyens avaient prévu de produire assez d’ura-nium hautement enrichi chaque année pourfabriquer dix armes nucléaires. Mais les cen-trifugeuses dernier cri ne leur sont jamais par-venues, puisqu’elles ont été saisies sur le BBCChina. Les enquêteurs ont découvert en Libyeque le réseau de Khan avait fourni à ce pays lesplans d’une arme nucléaire. Ils se sont alors aper-çus avec effarement à quel point le marché noirétait devenu audacieux et dangereux. Et Moha-med el-Baradei, le directeur général de l’Agenceinternationale de l’énergie atomique (AIEA) pré-vient que “nous n’avons pas encore tout vu”.William J. Broad, David E. Sanger et Raymond Bonner

NUCLÉAIRE ELLE COURT, ELLE COURT, LA BOMBE

COURRIER INTERNATIONAL N° 694 37 DU 19 AU 25 FÉVRIER 2004

� MuammarKadhafi, Kim Jong-ilet Ali Khamenei.Dessin d’Hachfeldparu dans NeuesDeutschland, Berlin.

■ ParcoursNé en 1935 dansl’Etat du MadhyaPradesh, en Inde,dans une familled’instituteurs, AbdulQadeer Khan émigraau Pakistan en1952. Traumatisépar le premier essainucléaire indien,en 1974, Khancommença dès1976 à exploiterdes technologiesétrangères pourdoter Islamabad de la bombe.Il est le seul civil à avoir reçu la plushaute décorationpakistanaise et préside encore de nombreusesinstitutionséducatives et caritatives.Malgré son rôleavéré dans laprolifération desarmes nucléaires,il reste dans sonpays la figurepublique la pluspopulaire.

Dr Khan, maître du marché noirLe père de la bombe pakistanaise a été un grand trafiquantde matériel nucléaire. Il vendait des technologiesdépassées à l’Iran et ultramodernes à la Libye.

ment les responsables de l’équipe Bush. Lesautres tricheront.

Pour les adeptes de la contre-prolifération,le problème, ce ne sont pas les armes, ce sont lesmauvais régimes qui les possèdent. Les traités etles interdictions d’essais, affirment-ils, ne frei-nent que ceux qui respectent les traités. D’où lefait que la Maison-Blanche s’oppose à tout traitéqui pourrait nous empêcher de développer denouveaux armements, comme la mini-nuke, labombe nucléaire miniature. Et le camp de lacontre-prolifération défend notre droit à étudierde nouveaux types d’armes nucléaires.

Parfois, leur logique n’est pas sans rappelerles autocollants de la NRA [le lobby des armesaux Etats-Unis] : mettez les armes nucléaireshors la loi et seuls les hors-la-loi en auront. Lapolitique de Bush consiste à s’occuper des hors-la-loi plutôt que des armes. Dans le monde dunucléaire, c’est le parti des idées neuves. Il y ad’abord eu le bouclier antimissile, nouvelle mou-ture du projet reaganien d’intercepter les mis-siles balistiques en approche à l’aide de fuséestueuses, de lasers et d’autres dispositifs. Quantà l’autre innovation de Bush, nous avons assistéà sa mise en œuvre : la volonté de recourir à laforce pour prévenir une menace avant qu’elle nesoit imminente ou pour renforcer une nouvellediplomatie de coercition.

Manifestement,Washington a raison d’af-firmer que le contrôle des armements ne peutpas uniquement s’appuyer sur la sécurité illu-soire des négociations, des traités et des résolu-tions de l’ONU. Les autocrates qui risquentd’être dangereux pour nous s’ils obtiennent desarmes nucléaires sont les dirigeants les moinssusceptibles de se soucier de la communautéinternationale. Il faudrait un nouveau régime decontrôle qui ferait une distinction entre lesmenaces et proposerait une liste d’options adap-tées au danger, allant de l’inspection à la coer-cition. Mais qui soulignerait aussi solennelle-ment qu’il est indispensable, en particulier dela part des Etats-Unis, de rétablir l’opprobre quientourait autrefois les explosifs nucléaires. Lacapacité de destruction de ces armes est excep-tionnelle, terrifiante, et il est presque impossiblede la confiner à des objectifs militaires. Une stra-tégie qui ne se concentre que sur les régimes audétriment des armes a de nombreux défauts,dont le plus évident est le suivant : quand lesrégimes changent, les armes, elles, restent.

Bill Keller

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en couverture

THE FRIDAY TIMES (extraits)Lahore

Lors de la 40e Conférence annuelle surla sécurité, qui s’est tenue à Munich le7 février dernier, le ministre des Affairesétrangères pakistanais, Khurshid Kasuri,a rappelé que son pays ne signerait pasle Traité de non-prolifération nucléaire

(TNP). Il a également réaffirmé l’engagementd’Islamabad en faveur de la non-prolifération.Loin d’être paradoxales, ces deux déclarations,prononcées à la suite du scandale qui a écla-boussé le Pakistan ces dernières semaines, sontaussi louables et logiques l’une que l’autre. Ils’agit d’un juste compromis entre le besoin d’Is-lamabad de conserver et d’accroître son proprepotentiel nucléaire et son obligation interna-tionale de prévenir une prolifération tous azi-muts. En fait, notre nation n’a jamais souscrità la doctrine de la non-prolifération et, en refu-sant de signer le traité, elle ne s’est jamais enga-gée légalement dans ce sens. Contrairement auPakistan [et à l’Inde], tous les autres pays, qu’ilssoient capables ou non de produire des arme-ments nucléaires, ont signé le TNP et ont parconséquent sciemment accepté cette doctrine.

Il paraît évident qu’il faut agir pour obtenirune acceptation de jure du statut d’Etat doté

d’armes nucléaires, qui est de facto celui duPakistan, de l’Inde et d’Israël. Pour y arriver,Islamabad doit tomber d’accord avec NewDelhi, et indirectement avec Tel-Aviv, et fairebloc pour pousser les cinq Etats nucléaires offi-ciels à discuter et à légitimer leur statut dansun autre cadre que le TNP. L’analyste israélienReuven Pedatzur écrivait il y a quelquessemaines dans le grand quotidien Ha’Aretz queles événements récents peuvent se résumer àdeux prises de positions fortes : “La décision dela Libye de démanteler ses armes de destructionmassive, ainsi que la signature par l’Iran du pro-tocole additionnel du TNP et son engagement à ces-ser ses activités d’enrichissement d’uranium.”Selonlui, Israël devrait dans ce contexte “proposer un

nouvel accord avec les autorités américaines en vuede faire reconnaître son statut nucléaire”.

Il va sans dire que le Pakistan, l’Inde et Israëlont intérêt à conserver leurs arsenaux nucléaireset à en assurer la sécurité, mais aussi à obte-nir la reconnaissance de leur statut. Mais,comme le TNP ne peut pas aider ces pays direc-tement, ils devraient signer un accord multi-latéral avec le club des cinq puissancesnucléaires officielles. Il est aberrant de craindreque le statut nucléaire de fait d’un pays ne soitreconnu puisque le Pakistan, l’Inde et Israëlsont de toute façon capables de fabriquer desarmes nucléaires et ont réussi à développer leurpotentiel en refusant de se soumettre au dis-positif légal en vigueur. Ils n’entrent donc pasdans la même catégorie que des pays – la Libye,l’Iran et la Corée du Nord – qui ont cherchéà développer leur potentiel clandestinementaprès avoir signé et ratifié le TNP.

Qui plus est, en légitimant le statut de nostrois pays, les Etats officiellement dotés d’armesnucléaires nous remettraient sur le droit che-min et nous rallieraient plus facilement à leursefforts de non- et de contre-prolifération.Puisque Islamabad et New Delhi sont engagésdans un processus de paix [depuis avril 2003]et que le risque de conflit nucléaire entre lesdeux voisins s’estompe, il paraît capital qu’ilstravaillent sur un projet conjoint.Au lendemaindes essais nucléaires indiens [en 1998], des ana-lystes avaient suggéré que le statut nucléaire del’Inde soit légitimé par l’appellation “Etat pos-sédant des armes nucléaires” au lieu d’“Etat dotéd’armes nucléaires”, l’appellation officielle duTNP. Cette idée n’a pas fait son chemin car ellearrivait trop tôt. Mais aujourd’hui l’Inde est deplus en plus proche d’Israël, tant sur le plandiplomatique que militaire, et pourrait obtenirsa contribution pour qu’un projet tripartite soitélaboré et présenté au très restreint “club descinq.” Une telle orientation aurait le méritede légaliser le statut de ces trois Etats nucléaireset de renforcer par la même occasion leur enga-gement en faveur de la non-prolifération. Detoute façon, dans le no man’s land où ils se trou-vent, l’Inde, le Pakistan et Israël ne parvien-dront à rien par leurs propres moyens. Ils n’ontpas d’autre solution que de s’entraider.

Ejaz Haider

COURRIER INTERNATIONAL N° 694 38 DU 19 AU 25 FÉVRIER 2004

Pour l’Inde, pas question de signer le Traité de non-prolifération. Un bras de fer s’annonce avec Washington.

Al’évidence, les Etats-Unis et leurs alliésvont tout mettre en œuvre pour s’as-

surer que les forces nucléaires du Pakis-tan restent en de bonnes mains et queses cadres militaires aient à l’avenir uncomportement responsable en matièrede transferts de technologie nucléaire.Mais l’Inde ferait preuve de naïveté si ellecroyait que, simplement parce qu’elle n’arien à se reprocher dans ce domaine, lesAméricains et d’autres pays vont être plusenclins à lui reconnaître le statut de puis-sance nucléaire ou à lui faciliter les trans-ferts de haute technologie.Prenant la parole lors de la conférence deMunich sur la sécurité [le 7 février 2004],le conseiller à la sécurité nationale, Bra-jesh Mishra, affirmait de façon on ne peutplus ferme : “Il n’est pas question quel’Inde signe le Traité de non-prolifération(TNP). Ce n’est absolument pas possible.”Le ministre des Affaires étrangères pakis-

tanais, Khurshid Kasuri, s’est d’ailleursfait l’écho de cette position en rappelantcelle de son pays vis-à-vis du TNP. Fait inté-ressant, le ministre des Affaires étran-gères britannique, Jack Straw, avait affirméla veille même que le Royaume-Uni “aime-rait, avec le temps, que l’Inde signe leTNP”. Il y a quelques semaines seule-ment, le sénateur John Kerry – qui s’estimposé depuis lors comme le plus sérieuxcandidat à l’investiture démocrate en vuede la présidentielle américaine – s’est vudemander ce qu’il pensait des aspirationsde l’Inde à devenir membre permanentdu Conseil de sécurité de l’ONU. Ce àquoi il a répondu : “Même si je pense qu’àbien des égards l’Inde est un bon can-didat, il y a un problème majeur. L’Inden’est pas signataire du TNP. Toutes lespuissances nucléaires siégeant auConseil non seulement façonnent le TNP,mais elles sont évidemment tenues dele respecter. Sans doute est-ce là le prin-cipal obstacle à une candidature indienne,et c’est à l’Inde qu’il appar tient de lelever.” Manifestement, dans l’équipe de

campagne de Kerry, les croisés de la non-prolifération ne manquent pas !Pour l’heure, l’Inde et les Etats-Unis sonttrop impliqués dans leurs processus élec-toraux [des législatives anticipées vontavoir lieu en Inde dans les mois qui vien-nent] pour se pencher sur l’avenir de leursrelations. Ils doivent cependant empêcherles problèmes de prolifération nucléairede venir sans cesse assombrir ces rela-tions. Henry Kissinger avait d’ailleursdéclaré qu’il comprenait que New Delhiait effectué des essais nucléaires enmai 1998, évoquant l’environnement stra-tégique dangereux dans lequel l’Inde estsituée. Pour sa part, cette dernière devraitêtre sensible aux craintes américainesconcernant la prolifération de technolo-gies nucléaires et y répondre de manièrepositive. De son côté, Washington devrareconnaître que le cadre juridique actuelde la non-prolifération va devoir être modi-fié pour prendre en compte le fait quel’Inde est aujourd’hui une puissancenucléaire et qu’elle entend bien le rester.G. Parthasarathy, The Indian Express (extraits), New Delhi

C O N V E R G E N C E

New Delhi a la bombe et assume

Formons un lobby Pakistan-Inde-Israël !Elaborer un projet tripartite pour obtenir le statut de puissances nucléaires reconnues, telle est la proposition d’un hebdomadaire pakistanais de renom. Un rapprochement un peu surprenant.

■ RéseauLorsque la Libye a remis les plans de son programmed’armementnucléaire aux Etats-Unis, en novembredernier, les expertsont découvert denombreux manuelsd’instructionstechniques en chinois. Selon The Washington Post,Pékin a longtempsaidé le Pakistan à élaborer sa bombeet a ensuiteparticipé au réseaude prolifération mis en place par Islamabad.

� A. B.Vajpayee (à gauche) et PervezMusharraf. Dessin de Cajas paru dans El Comercio, Quito.

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Russie : revoilà la dissuasion nucléaire

NEZAVISSIMAÏA GAZETAMoscou

Les 15 et 16 février, des missiles balistiquesintercontinentaux seront lancés du poly-gone de Plesetsk et d’un sous-marin dela Flotte du Nord. C’est ainsi que doitcommencer la phase nucléaire des exer-cices stratégiques des Forces armées

russes. Le chef suprême des armées appuierapeut-être lui-même sur le bouton rouge. Legénéral Iouri Balouïevski, premier sous-chefd’état-major, a fait savoir lors d’une conférencede presse organisée pour l’occasion qu’après celades troupes gagneraient des polygones dans lessix régions militaires du pays afin d’apprendreà travailler avec les forces nucléaires. L’aviationstratégique frappera des cibles factices. Lescentres de recrutement militaires rappellerontdes milliers de réservistes pour tester les capa-cités de mobilisation. Près de 250 généraux et2 000 officiers supérieurs, du commandant aucolonel, doivent participer à ces manœuvres, cequi témoigne de leur importance.

Cela faisait plus de vingt ans que le paysn’avait pas connu pareil déploiement de forces.Le général Balouïevski ignore combien de tempsdureront ces exercices stratégiques. “Tant que toutne sera pas parfaitement au point”, s’est-il contenté

de préciser. Autre critère pour juger de leurampleur, les dépenses engagées. Le lancementd’un missile intercontinental coûte entre 300 et600 millions de roubles [entre 8,5 et 17 millionsd’euros]. A l’époque soviétique, de ce point devue, tout était clair : les exportations de pétrolefaisaient vivre le complexe militaro-industriel etl’armée, forte de plusieurs millions d’hommes.L’histoire semble se répéter. En effet, les réservesen or et en devises de la Russie dépassent désor-mais les 80 milliards de dollars et continuent àaugmenter grâce au prix élevé du pétrole sur lemarché international. Le syndrome soviétiquereprend donc le dessus. Il s’agit aujourd’hui pournotre pays de montrer aux Etats-Unis sa puis-sance militaro-stratégique.

Le général Balouïevski a éludé toutes lesquestions relatives à l’ennemi théorique choisipour ces entraînements. Mais tout officierapprend dès les bancs de l’école que le nom decet adversaire importe peu : que ce soient “lesrouges”,“les bleus”,“les Occidentaux”,“les Orien-taux”, on a toujours à l’esprit l’armée d’un oude plusieurs Etats étrangers bien précis, sans quoiles manœuvres n’auraient aucun sens. L’expertmilitaire de notre journal, le général VladimirDvorkine, qui a autrefois supervisé la prépara-tion de diverses manœuvres stratégiques, n’aaucun doute sur l’identité de l’adversaire dési-gné cette fois. “Malgré les relations de partena-riat que nous semblons entretenir avec les Etats-Uniset le dialogue permanent sur le plan de la coopéra-tion stratégique, la dissuasion nucléaire réciproquereste de mise. Il n'y a qu’à voir la doctrine militairede Sergueï Ivanov, rendue publique le 2 octobre der-nier : elle dit clairement que les forces armées russes

doivent se tenir prêtes à parer à une attaque spatiale.Il est évident que seuls les Etats-Unis peuvent êtreà l’origine de ce type d’attaque.”

Le général Leonid Ivachov, vice-président del’Académie de géopolitique et ancien chef desrelations internationales au ministère russe de laDéfense, nous a déclaré que récemment leministre de la Défense américain, Donald Rum-sfeld, avait présenté au Congrès un rapport oùil était écrit noir sur blanc que Washington n’ex-cluait pas la possibilité de frappes nucléaires pré-ventives sur un certain nombre de pays. La Rus-sie n’était pas nommément citée, mais elle figuredans les documents que le Pentagone préparepour la présidence. Le général Ivachov estimedonc qu’il est clair, indépendamment de l’en-droit où tomberont les missiles des manœuvres,que ces exercices stratégiques sont une riposte àl’attitude américaine, une preuve que la Russieest prête à faire de même. Au reste, malgré sesfaux-fuyants, le général Balouïevski a laissé échap-per cette phrase : “Beaucoup de choses demeu-rent encore obscures dans la nouvelle doctrine nucléaireaméricaine.Nous devons donc y réagir.” Il s’agit dèslors de préparer les troupes.

Tout se passe comme il y a un quart de siècle.On retrouve un adversaire connu, les Etats-Unis,des manœuvres de grande ampleur et des “rai-sons d’être fiers”. La seule différence est qu’àl’époque ces exercices avaient lieu tous les ans,tandis qu’aujourd’hui ils ne dépendent plus d’unevision stratégique, mais du prix des hydrocar-bures sur le marché mondial. S’il chute, la Rus-sie ne pourra plus se servir de ses armes ato-miques pour montrer les dents aux Etats-Unis.Alexandre Babakine, Oleg Elenski, Vladimir Moukhine

NUCLÉAIRE ELLE COURT, ELLE COURT, LA BOMBE

COURRIER INTERNATIONAL N° 694 39 DU 19 AU 25 FÉVRIER 2004

Treize ans après la fin de l’URSS, les militaires russesreprennent des manœuvres stratégiques de grandeampleur avec lancement de missiles balistiquesintercontinentaux. Ennemi théorique : les Etats-Unis.

A la veille de la réunioninternationale cruciale du 25 février, des signes laissentpenser que la Corée du Nordacceptera d’abandonner son programme nucléaire.

Depuis le début de l’année, plu-sieurs signes laissent espé-

rer la solution du problème nu-cléaire nord-coréen. Ainsi ChosonSinbo, un journal pro-Pyongyangpublié au Japon, a fait part le moisdernier de la “volonté du dirigeantsuprême [Kim Jong-il] de mettre finà l’affrontement avec les enne-mis”. Les Nord-Coréens ont parailleurs accepté un deuxième som-met à six*, prévu pour le 25 févrierprochain, et cette annonce a étéfaite juste avant la 13e réunioninterministérielle avec les deuxCorées [début février], qui, de cefait, a pu être entièrement consa-crée à la coopération économiqueet à la détente entre les deux

pays. Les Nord-Coréens ont expri-mé leur satisfaction à l’issue decette réunion, qui, selon eux, aconstitué “une importante occa-sion de consolider la paix et demarquer un tournant dans le pro-cessus autonome de réunification”.La fréquence importante du terme“tournant” dans les récents dis-cours nord-coréens est tout à faitsignificative. Se sentant de plusen plus menacé à la suite des po-lémiques internationales à proposde son armement nucléaire, le ré-gime serait à la recherche d’unesorte de renouveau politique. Savolonté de dialoguer semble plusforte que précédemment. ChosonSinbo a annoncé, le 6 février, que“le gel du programme nucléaireproposé comme une première me-sure à prendre va au-delà d’unsimple maintien du statu quo et si-gnifie le début du processusd’abandon du nucléaire”. Il y a aus-si des signes encourageants du

côté de Washington. Le départe-ment d’Etat américain s’est dit, le3 février, prêt à discuter du gel pro-posé par les Nord-Coréens. Sonporte-parole, Richard Boucher, aqualifié cette proposition de “po-sitive” et a jugé qu’elle témoignaitd’“une certaine souplesse”. Le pré-

sident Bush a annoncé, le 8 févrierdernier, que la diplomatie était entrain de marquer des points en vuede la résolution du problème nord-coréen. Même si l’objectif final desAméricains reste l’abandon pur etsimple par Pyongyang de son pro-gramme nucléaire, sous contrô-le, de façon irréversible et sans dé-dommagements financiers, ils se-raient donc prêts à discuter du gelen échange d’une garantie de sé-curité dans le cadre d’un proces-sus menant à cet abandon.Jusqu’à présent, M. Bush a ga-gné du temps en exigeant de laCorée du Nord le renoncementsans conditions au nucléaire.Mais, toujours embourbé en Iraket soumis à l’échéance de la cam-pagne électorale pour la prési-dentielle, il semble vouloir ré-soudre le problème nord-coréenpar la voie diplomatique. En Co-rée du Sud, l’administration RohMoo-hyun, dont les débuts ont été

marqués par l’obligation de ré-soudre le problème du nucléaire,s’est trouvée privée de possibili-tés d’accélérer sa politique pourla paix et la prospérité. Le prési-dent a déclaré en début d’annéequ’il fallait d’abord résoudre leproblème nucléaire pour pouvoirespérer un élan dans les relationsintercoréennes. Il semblait ainsireconnaître les limites de la po-litique gouvernementale à l’égarddu Nord consistant à pratiquer ou-vertement le dialogue et la pres-sion. Le deuxième sommet à sixa toutes les chances de marquerle début d’un véritable processuset de mettre fin à l’impasse. Toutva dépendre des négociationspréalables entre Pyongyang et Wa-shington, et entre les six paysconcernés.

Ko Yu-hwan, Hankook Ilbo, Séoul

* Les six pays sont : la Corée du Nord,la Corée du Sud, la Chine, les Etats-Unis,le Japon et la Russie.

C O R É É D U N O R D

Espoir d’une solution pacifique avec Pyongyang

� Dessin de Falco, Cuba.

■ Minibombes"Je regrette le développementde minibombesnucléairestactiques” par les Etats-Unis,explique au Spiegelle directeur de l’Agenceinternationale del’énergie atomique,Mohammed el-Baradei.“Ces armes vont à l’encontre de l’esprit du Traité de non-prolifération.”

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TACHYDROMOSAthènes

Al’extrémité de la péninsule de la Chalcidique, aunord-est de la Grèce, non loin de Thessalonique, larépublique monastique du Mont-Athos dresse sesvingt monastères orthodoxes face à la mer – vingt

monastères, ou plutôt dix-neuf plus un. Car, depuis prèsde trente ans, les moines du monastère d’Esphigmenourésistent. Excommuniés par l’autorité religieuse dontdépendent les monastères, le patriarcat œcuménique deConstantinople et de la Nouvelle Rome [Istanbul], ilssont menacés d’expulsion depuis 1974. Leur slogan ?“L’orthodoxie ou la mort !” Leurs revendications ? Reve-nir aux bonnes vieilles traditions, dont les patriarchessuccessifs se seraient écartés depuis trente ans. Leur sur-nom ? Les “talibans du Mont-Athos”. La polémique est,encore aujourd’hui, si vive que le simple fait de s’ap-procher de leur camp retranché monastique semble déjàune hérésie pour tous ceux qui travaillent et vivent dansles parages de la Sainte Montagne de l’orthodoxie. Unepetite visite s’imposait.

La route qui serpente entre les monastères est pleinede sable, et notre véhicule s’est enlisé. Un vieux tracteurarrive, poussif, et nous demandons de l’aide au chauf-feur. Mais, lorsqu’il nous entend dire que nous allonsà Esphigmenou, il repart sans dire un mot. Malaise. C’estcomme si le monastère n’existait pas. Je tente à nouveauma chance auprès d’un jeune chauffeur d’origine serbe,qui se rend à Chilandari, le monastère voisin. Miracle,il s’arrête et nous aide à dégager la voiture.

Une heure plus tard, nous arrivons au pied de la sentepoussiéreuse qui mène au monastère. De loin, on voit

enquête ●

DANS LE SAINT DES SAINTS DE L’ORTHODOXIE

La Sainte Montagne est censéeêtre un lieu de prière etd’amour. C’est compter sans les moines d’Esphigmenou, qui, depuis trente ans, sontbarricadés dans leur monastère.

Les talibans du Mont-Athos

Thessalonique

0 100 km

Monastère d’Esphigmenou

Monastère de Chilandari

Karyes

RÉPUBLIQUE MONASTIQUE DU MONT- ATHOS

Les 20 monastères du Mont-Athos

GRÈCEGRÈCE

M A C É D O I N E

Chalcidique

0 10 km

Golfed ’Agion Oros

Mt Athos2 033 m

M E R

É G É E

� Methodios,l’higoumène dumonastère rebelle.

Min

os A

lkha

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COURRIER INTERNATIONAL N° 694 40 DU 19 AU 25 FÉVRIER 2004

694p40-41 16/02/04 12:50 Page 40

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flotter trois drapeaux au sommet de latour : un drapeau jaune avec un aigle bicé-phale (l’emblème de Byzance), le drapeaugrec et, entre les deux, un drapeau noir.Ce dernier est là pour rappeler aux voya-geurs un fait d’armes qui date de 1974.Cette année-là, l’ensemble des autresmoines du mont Athos, alliés au patriar-cat, avaient exigé des 110 moines d’Es-phigmenou qu’ils abandonnent le monas-tère et se rendent. L’eau et l’électricitéavaient été coupées, dans l’espoir de pré-cipiter leur départ. Le gouvernement grecavait même pris la peine de positionnerquelques bâtiments de guerre en face dela forteresse pour les intimider. Peine per-due. Les moines ont tenu bon. La guerred’usure allait commencer.

A l’entrée du sanctuaire, un moinevisiblement rongé par les privations, levisage pâle et sec, s’agenouille avecempressement à notre approche. “Il a dûfaire quelque chose de mal”, nous expliqueun jeune moine, “et l’higoumène, le supé-rieur du monastère, lui a infligé cette puni-tion pour lui donner une chance de se puri-fier.” Cette vision est caractéristique del’extrême sévérité avec laquelle fonc-tionne Esphigmenou “même envers sespropres frères”. Dans le petit port quiborde le monastère, le père Ephraïm etdeux autres moines préparent leurs lignespour la pêche. Le petit bateau qu’ils uti-lisent, avec son réfrigérateur de fortune, est indispen-sable à une communauté qui prétend à l’autosuffisancealimentaire. Quand la pêche est bonne (une centainede poissons), une partie des prises est précieusementconservée pour les jours de malchance. Les dirigeantsdu monastère soutiennent qu’au pire un moine ne coûteguère plus de 1 euro par jour, une somme dérisoire qu’ilsjurent pouvoir lever sans effort auprès d’“amis” com-plaisants et répartis dans le monde entier.

Amarré à ce port, un Zodiac tout neuf est prêt à par-tir à tout moment pour échapper à une éventuelle offen-sive. “Le cadeau d’un armateur à l’époque où les autresmonastères voulaient organiser un blocus”, nous expliqueun autre moine à la soutane déchirée. Il faut dire quela menace devient pressante. En novembre 2002, unultime avertissement a été adressé aux 107 résidentsactuels d’Esphigmenou. Ordre officiel leur a été donnéde quitter le monastère millénaire avant fin janvier 2003.Le patriarcat a même fait distribuer des ordres d’ex-pulsion individuels, assurant que la force publique setenait prête à exécuter cette décision. Depuis, la résis-tance des “fanatiques du mont Athos” s’est organi-sée. Dans leur “bataille pour la vérité” contre “les char-latans spirituels qui font la cour aux visiteurs hétérodoxes[les touristes] de la Sainte Montagne”, les moines d’Es-phigmenou ont embauché des avocats qui ont fait appelauprès du Conseil d’Etat, la plus haute juridictiongrecque. En ultime recours, les moines rebelles utilise-ront “leurs armes spirituelles” [leurs chapelets] contre les“laquais du patriarche” de Constantinople.

Un peu plus haut, dans la menuiserie du monastère,un jeune moine refuse tout contact. “Retournez donc chezles insensibles”, nous crie-t-il de loin en ironisant sur lesmonastères “impurs”. Dans le sanctuaire, nous n’avonsrencontré que très peu de moines. La plupart d’entreeux étaient occupés aux différents ateliers ou s’adon-naient à la prière. Ils avaient d’ailleurs reçu l’ordre de nepas répondre à nos questions. “Nous n’avons pas l’au-

torisation de l’higoumène”,nous ont-ils tousrépondu imperturbablement.

C’est à partir de 1972 que la résis-tance théologique s’est crispée. Les posi-tions “œcuméniques” du patriarcat ontmarqué le début des hostilités. “L’ouver-ture d’un dialogue avec les catholiques entamépar l’ancien patriarche Athinagoras, puispoursuivi par Dimitrios et aujourd’hui parBartholomeos Ier nous pose un sérieux pro-blème.Avoir des relations avec le pape, c’estreconnaître son autorité, et ça jamais ! Lesautres monastères ont été jusqu’à adopter lecalendrier grégorien [et abandonner le calen-drier julien] et même recevoir de l’argent del’Union européenne.Comment peut-on accep-ter de dépendre d’une autorité qui n’a rien àvoir avec l’orthodoxie ? Il est évident que cesnouveaux maîtres voudront un jour quelquechose en contrepartie.Peut-être iront-ils jus-qu’à exiger la suppression du sanctuaire”,s’emporte le père Methodios, l’higou-mène du monastère.

Son bureau est en soi l’incarnationmême du vœu de pauvreté : des chaisesdépareillées et une table étroite. Ses vête-ments sont élimés. Dans le coin, devantla porte, un robinet sans grâce lui sert quo-tidiennement pour se laver le visage. Surles chaises traînent des centaines de pagesde commentaires sur la situation d’Es-phigmenou. Notre entretien est constam-ment interrompu par un ballet silencieux

de jeunes moines qui viennent lui apporter des enveloppesremplies d’argent et murmurer quelques mots à sonoreille. “Des dons de particuliers”, m’explique le pèreMethodios. Car des milliers de personnes favorables auxpositions dogmatiques du monastère viennent chaqueannée lui rendre visite. Le montant des dons flirte avecles 360 000 euros par an. Le gros des “esphigméniens”se recrute auprès de la communauté grecque américaine.Le père Methodios et les siens leur doivent, entre autres,la conception, la réalisation et la mise en ligne d’un siteInternet [www.esphigmenou.com], qui leur permet degarder le contact avec leurs supporters.

Le père Methodios n’a visité que trois des dix-neufautres monastères de la Sainte Montagne, et ce alorsmême qu’il fête cette année sa trente-troisième année deprésence en ces lieux. Pour l’higoumène d’Esphigme-nou, il est en effet inconcevable de se rendre dans deslieux où l’on commémore le nom du renégat de Constan-tinople, le patriarche Bartholomeos Ier. “La détermina-tion du patriarcat et ses manœuvres pour nous mettre dehorssont vaines. Il faudra d’abord nous passer sur le corps, mar-tèle le père Methodios. Nous n’avons ni munitions nimatraques.Notre unique arme, c’est notre chapelet.” Mais ilajoute aussitôt, sur un ton presque menaçant, “ne passavoir comment réagiront les moines lorsqu’ils verront leurmonastère encerclé par la police”. Quatre ou cinq policiersfont d’ores et déjà le guet en permanence autour dumonastère afin de surveiller ses résidents et de veiller àce qu’il n’y ait pas de débordements.

Au pire, nous explique le père Methodios, il resteencore l’escalier de vingt-cinq marches caché dansle mur de l’église et construit pour les situations decrise. Si le sanctuaire est attaqué, cet escalier per-mettra d’évacuer les trésors, mais aussi les 300 manus-crits et les 5 000 livres de la bibliothèque. Le tout enmoins de dix minutes avant de s’échapper. “Grâceau Zodiac”, précise le père Methodios dans un sourire.

Panos Baïlis

■ Depuis des décennies, les gouvernements français suc-cessifs sont en perpétuelle négociation avec le monastèred’Esphigmenou pour trois bouts de tissu. Mais pas n’im-porte lesquels ! Le monastère est en effet l’actuel dépo-sitaire de trois morceaux originaux de la tente de cam-pagne qu’avait utilisée Bonaparte pendant la campagned’Egypte [1798-1799]. Ces trois pièces compléteraient uti-lement les éléments que possède déjà le musée du Louvre.Les moines méprisent ces pièces uniques cousues defil d’or, qu’ils considèrent comme des “idoles” pour catho-liques. Mais pas question pour autant de se défaire d’unesi précieuse monnaie d’échange. On ne sait pas exacte-ment comment les étoffes sont arrivées à Esphigmenou.Selon certains historiens, la tente aurait été volée à Bona-parte par des pirates grecs lors de son passage à Alexan-drie, en 1798. Elle aurait alors été vendue en plusieurslots, l’un d’entre eux atterrissant à Istanbul. Des Turcsauraient ensuite offer t ce lot au monastère d’Esphigme-nou. Le plus grand des trois morceaux a servi de rideau àl’entrée de l’église du monastère pendant un certain temps,avant de se retrouver dans une vitrine. Ce “trésor” estaujourd’hui à l’abri des regards – et des voleurs – dansune crypte du monastère. Pour y accéder, il faut d’abordgagner la confiance de l’higoumène. Ces pièces d’étoffehistoriques sont évidemment la première chose que lesmoines tenteraient de mettre à l’abri en cas d’attaque dumonastère par les “renégats”.

T R É S O R

Reliquesnapoléoniennes pouridolâtres hétérodoxes

� Esphigmenou,avec ses troisdrapeaux et son port.

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natis

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DAGENS NYHETERStockholm

D’ESSAKANE (MALI)

Le soir vient de tomber.Ali Farka Touré joue un bluesafricain, calme, avec la dignité qui sied à un hommed’Etat. Onze jours après le nouvel an, il nous sou-haite une bonne année 2004 et on le ressent comme

un salut officiel, beaucoup plus que lors du petit dis-cours officiel prononcé une heure après par le ministredu Tourisme malien. C’est le top de la quatrième édi-tion du Festival au désert, rendez-vous musical, orga-nisé chaque année en janvier au milieu des dunes duSahara, au nord du Mali. Ali Farka Touré habite àquelques dizaines de kilomètres d’ici, dans son vil-lage natal de Niafounké, et on peut le considérer commeune sorte de parrain de cet événement.

Au début des années 90, la région était dangereuse.La population nomade du nord du Mali s’est révoltéeet a réclamé l’autonomie. Un certain nombre d’entreeux avaient vécu dans des camps libyens et s’étaiententraînés à la guerre. Même si un traité de paix a étésigné relativement vite, les combats ont continué. Beau-coup craignaient que cela ne dégénère en guerre civile.Mais le résultat fut tout autre.Après une médiation bienmenée, un brasier spectaculaire fut allumé en mars 1996à Tombouctou, où l’on jeta au feu quelque trois millearmes appartenant aux rebelles et à l’armée régulière.Huit années plus tard, les organisateurs du festival esti-ment qu’il est temps que la région soit connue pourautre chose que ces combats d’une autre époque. D’oùce festival de musique très particulier, vaguement ins-piré des grands rassemblements auxquels les Touaregparticipent traditionnellement chaque année en plu-sieurs lieux, en décembre et en janvier, les deux moisles plus froids de l’année, ou plutôt les moins chauds.

Au Festival au désert, il y a certes de la musiqueet des visiteurs du monde entier, mais les nomades sontmajoritaires et leur musique et celles des pays riverainsdominent sur la scène. Les prestations des stars euro-péennes comme Manu Chao et Damon Albarn, le chan-teur du groupe Blur, sont réduites à la portion congrue,éclipsées par la musique d’artistes comme Amadou& Mariam ou Afel Bocoum. Ce festival est avant toutconçu comme un lieu de rencontre pour les gens de larégion et ils entendent bien qu’il le reste.

C’est pourquoi les visiteurs étrangers ne doiventpas être trop nombreux. Les organisateurs ont voululimiter leur nombre à cinq cents, mais ce plafond a été

dépassé. “Nous allons peut-être faire moins de publicité àl’avenir”, affirme prudemment le “général” du festival,Ag Mohamed Aly Ansar. La question est de savoir siça donnera des résultats, car le Festival au désert est entrain de devenir un concept que tous les enthousiastesdes “musiques du monde” connaissent et dont ne ces-sent de parler tous ceux qui y sont allés.

Les organisateurs en profitent pour discuter, pen-dant les journées du festival, avec différents organismesdes problèmes que rencontrent les Touareg : l’accès àl’eau, à la santé, à la formation.Ag Mohamed Aly Ansarfait remarquer que le nord du Mali est une des régionsles moins développées du monde. Même dans un paysaussi pauvre, il existe une profonde fracture entre le Nordet le Sud. Une des contributions du festival est la four-niture de soins gratuits à la population : les quatre lieuxde consultation qui sont créés pour l’occasion permet-tent de soigner environ deux cents personnes par jour.

Il ne faut cependant pas oublier qu’il s’agit d’unfestival de musique. Et je me demande s’il aurait eule même succès au Niger. Ou en Mauritanie. Car leMali est un pays particulier quand il s’agit de musique.Tous ceux qui s’intéressent à la musique africaine

cul ture ●

À LA DÉCOUVERTE DU BLUES DU DÉSERT

Le village d’Essakane, dans le nord-est du Mali,accueille désormais chaque année le Festival au désert, où des dizaines d’artistes africains et européens viennent se produire devant un public local enthousiaste. La quatrième édition a eu lieu en janvier.

Mélodiesdans les dunes

COURRIER INTERNATIONAL N° 694 42 DU 19 AU 25 FÉVRIER 2004

� Ambiance de fêtelors du dernierFestival au désert,avec notamment les concerts du groupe Ekanzam(ci-contre) et d’Ali Farka Touré,l’une des grandesstars maliennes (à la guitare).

Reportage photo :Gunilla Ander

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s’attachent tôt ou tard au Mali. Sur le plan musi-cal, le Mali est une grande puissance, malgré une popu-lation de seulement dix millions d’habitants. Je croisque cela s’explique par sa situation géographique. Unregard rapide sur la carte donne l’impression qu’il s’agitd’un coin perdu. Un grand pays au bord du Sahara,sans accès à la mer, au climat sec et peu peuplé. Maison ne peut pas dire qu’il soit isolé.Au contraire, le Malioccupe le centre de cette région : coincé entre l’Afriquedu Nord et l’Afrique de l’Ouest, il possède des fron-tières communes avec sept pays.

Les trois grandes stars du Mali – Salif Keita, OumouSangaré,Ali Farka Touré – appartiennent à trois peuplesvenant de trois régions et parlent trois langues diffé-rentes. Aucun d’eux ne fait partie de la caste des musi-ciens [les griots], dont la dominance est considérable.Une autre dimension est l’importance du Mali dansl’histoire de la musique outre-Atlantique. Le pays a long-temps servi de zone de rassemblement pour les esclavesachetés ou soumis dans d’autres pays avant d’être emme-nés vers la côte pour être vendus aux Blancs. Aucuneautre région n’a aussi souvent été désignée comme leberceau de la musique que nous appelons blues. Onconsidère que le banjo est une tentative de recréationdu luth, qui, au Mali, est appelé ngoni. Certains croientmême que le rythme basique du clavier de la musiquelatino-américaine a été amené par des esclaves du Mali.Il y a beaucoup de pistes à suivre. Mais c’est la relationavec le blues, et le fait que tant de musiques maliennessoient marquées par le blues, qui intéresse le plus.

Si l’on veut ajouter à la confusion, on peut consta-ter que John Lee Hooker, le plus grand bluesman “afri-cain”, était extrêmement populaire au Mali dans lesannées 50 et 60, et qu’il a eu une grande influence surle jeune Ali Farka Touré. Dans ce contexte, on ne peutfaire l’impasse sur l’artiste malien le plus connu dans lemonde. Aucun autre musicien malien n’a été qualifiéde bluesman aussi souvent que lui, mais il se consi-dère comme un homme du nord du Mali qui joue lamusique de cette région. A présent, il rejette volontiersle blues américain, même celui de John Lee Hooker,qu’il considère comme une tentative à demi-oubliée derecréer quelque chose de plus grand et de plus authen-tique. Lors de sa conférence de presse au festival, il apoussé le raisonnement encore plus loin en affirmantque presque tout ce qu’il joue trouve ses racines dansla musique des Touareg, dans la culture tamachek.

Au cours de ces dernières années, un nouveaugroupe est apparu, qui suit la même tendance. Il s’agitde Tinariwen, qui utilise la guitare électrique de façonoriginale. Le groupe est connu depuis les années 80,mais son premier album n’est sorti qu’en 2001. Hérosde la révolte des années 90, ses musiciens ont été lesfavoris du public pendant le festival. Chaque nouveaumorceau a provoqué la jubilation du public et la scènea été peu à peu envahie par des spectateurs. Ces trans-ports de joie semblent un peu curieux si l’on considèrela monotonie de cette musique, presque murmurée.Une guitare électrique enchaîne des guirlandes de solos,presque distraites. Le rythme semble évoquer une cara-vane de chameaux ayant encore beaucoup de cheminà parcourir. Une voix chante une mélodie mélancoliquetrès longue, reprise par un chœur tout aussi long.

Leur style a fait école. Au festival, on constate quebeaucoup de jeunes groupes suivent leur exemple : Ima-rhane, Nabi, Baba Djiré. Employer l’expression “bluesdu désert” est inévitable. Et même si personne n’arriveà maîtriser ce style comme Tinariwen, il est fascinantde constater qu’ils occupent toute une scène. La relèveest prête. Dire que le blues vient du Sahara est cer-tainement exagéré. Il a plusieurs sources et a été crééen marchant. Mais aucune personne ayant été à Essa-kane ne peut nier que le blues est maintenant arrivé auSahara. Nils Hansson

■ Grand succèsMême si lesorganisateursestiment que les 5 000à 6 000 spectateursdu Festival audésert sont biensuffisants, ils nemanquent pas defaire la promotionde la manifestationsur leur site Internet(http://www.festival-au-desert.org),édité en plusieurslangues. La sortied’un CD del’édition 2003,publié par la sociétéfrançaise TribanUnion(http://www.triban-union.com),et l’annonce d’un prochain DVDdevraient ajouter à la notoriété de cerassemblementmusical horsnormes. Nul douteque les quelque40 artistes, dontplus de la moitiésont originaires du Mali, apprécientl’engouement du public.

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THE SPECTATORLondres

C’était la veille de la Journée du sida en Afriquedu Sud. Des stars du rock comme Bono etBob Geldof étaient attendues pour unconcert de collecte de fonds auquel devait

assister Nelson Mandela. La radio diffusait desinistres discussions sur les millions de morts etles légions d’orphelins qui n’allaient pas manquerde piller les villes sud-africaines si rien n’était faitpour eux. Mon voisin, le capitaine David Price,ancien aviateur de la Royal Air Force, a remontél’allée du jardin avec une coupure de presse. “Lisça, m’a-t-il dit. C’est vraiment terrible !”

C’était un article publié par The Spectator surles pratiques sexuelles qui contribuent aux ravagescausés par le sida sur le continent africain. “Cheznous, en Zambie, un habitant sur cinq est séroposi-tif, y lisait-on. En 1993, notre voisin, le Botswana,avait une population estimée à 1,4 million d’habi-tants.Aujourd’hui, il en compte moins de 1 million,et ce chiffre continue de baisser.Des prophètes de mal-heur prédisent qu’il pourrait devenir le premier paysdes temps modernes à être rayé de la carte.C’est cela,le sida en Afrique.”

Vraiment ? Un recensement récent montreque la population du Botswana augmente d’en-viron 2,7 % par an, alors que la situation en ce quiconcerne le sida passe pour l’une des plus gravesde la planète. En tout juste dix ans, la popula-tion a atteint 1,7 million d’habitants, ce qui cor-respondrait plutôt à une légère explosion démo-graphique. Autre mauvaise nouvelle pour tous lesCassandre, le dernier recensement de la Tanzanierévèle un accroissement annuel de la populationde 2,9 %. Les chiffres relatifs à la région maré-cageuse située à l’ouest du lac Victoria, où le sidaa fait sa première apparition et où sont censés setrouver des villages entièrement dépeuplés, sontparticulièrement gênants pour les pessimistes pro-fessionnels. Dans le district de Kagera, le taux d’ac-

croissement annuel de la population, qui étaitde 2,7 % avant 1988, a grimpé à 3,1 % au plusfort de l’épidémie. Quant aux derniers recense-ments effectués en Ouganda et en Afrique du Sud,ils font apparaître des données similaires.

D’aucuns pourraient se réjouir de voir que l’ef-fet du sida est moins dévastateur que le citoyenordinaire ne l’imagine. Mais ils auraient tort :en Afrique, les seules bonnes nouvelles concer-nant le sida sont de mauvaises nouvelles, et qui-conque ose avoir une autre opinion est perçucomme un pestiféré cherchant à semer la confu-sion et à faire échouer 100 000 campagnes de col-lecte de fonds parfaitement louables. Je suis bienplacé pour le savoir car, il y a quelques années,j’étais moi-même obsédé par les chiffres stupé-fiants publiés dans les journaux. On me disait quele sida avait tué 250 000 Sud-Africains en 1999et je soutenais que c’était impossible. Le résultatn’a pas été très beau : des dîners gâchés, des ami-tiés brisées, des railleries de personnes mieux infor-mées et d’âpres disputes avec ma femme.Au boutd’un an, elle m’a mis le marché entre les mains :“Choisis, m’a-t-elle dit. C’est le sida ou moi.”

Alors que j’écris cet article, mon épouse setient derrière moi, les mains sur les hanches, ter-riblement contrariée de me voir revenir à mesmauvaises habitudes. Mais j’ai l’impression, enregardant ce qui se passe autour de moi, que l’agi-tation suscitée par cette maladie est en train deprendre des proportions dangereuses et qu’il esturgent de calmer le jeu. Qu’on me laisse doncexpliquer mon point de vue.

Nous savons tous que les statistiques sont sou-vent la forme la plus basse du mensonge. Mais,lorsqu’il s’agit du sida, nous perdons tout scep-ticisme. Pourquoi ? Le sida est la maladie la pluspolitique qu’on ait jamais connue. Il est au centred’une polémique depuis le jour où il a été iden-tifié. Le principal champ de bataille est le publicet l’arme la plus mortelle, l’estimation. Quand levirus a fait sa première apparition, je vivais auxEtats-Unis, où l’on estimait que le nombre de casdoublait d’année en année.

En 1985, une revue scientifique avait annoncéque 1,7 million d’Américains étaient déjà infec-tés et que le chiffre n’allait pas tarder à grimperaux alentours de 3 à 5 millions. Nous savonsaujourd’hui que ces estimations étaient largementet délibérément exagérées, mais elles ont atteintleur but : le sida a été propulsé tout en haut duprogramme de dépenses des pays occidentaux, etles analystes ont porté leur attention sur d’autresproblèmes. L’épidémie en Inde a été comparéeà un “volcan prêt à entrer en éruption”, on a dit del’Afrique qu’elle était confrontée à “un raz de maréede décès”, et on a annoncé en 1992 que “le sidapouvait décimer la planète entière”.

Qui étaient-ils, ces analystes ? Ils travaillaientpour la plupart à Genève pour l’Organisation mon-diale de la santé (OMS) ou l’ONUSIDA, en seservant d’un logiciel informatique nommé Epi-model. Chaque année, dans toute l’Afrique, dusang était prélevé sur un petit échantillon defemmes enceintes et analysé. Les résultats étaientensuite traités par Epimodel, qui fournissait desestimations fondées sur l’idée que, si autant defemmes étaient infectées, une proportion équiva-lente d’hommes l’était aussi. Ces chiffres étaientensuite transposés à l’échelon national et on obte-nait ainsi des décomptes apparemment précis descondamnés, des mourants et des orphelins.

L’Afrique étant désorganisée, nous n’avionspas d’autre choix que d’accepter ces projections.Les reportages sur le sida en Afrique se rédui-saient à une quête d’anecdotes assorties d’esti-mations de Genève toujours plus terribles : untotal cumulé de 9,6 millions de décès en 1997 etde 17 millions trois ans plus tard.

C’est du moins ce qu’on nous disait. Quandje me suis rendu dans les régions les plus touchéesde la Tanzanie et de l’Ouganda, en 2001, j’ai étésubmergé d’histoires sur l’horrible sort des “slims”[les maigres], comme les gens du coin appellentles malades du sida, mais elles étaient rarementcorroborées par des statistiques. Selon le bureaudu recensement, la mortalité dans ces régions

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L’AFRIQUE FACE AU VIH

Et si le sida ne tuait pas tant que ça ?

Seul contre tous, RianMalan relativise l’ampleurde l’épidémie en Afriquealors que son propre pays,l’Afrique du Sud, est le plus touché. Pourcet iconoclaste, il s’agitsurtout de dénoncer une surmédiatisation qui masque les autres mauxdont souffre le continent.

COURRIER INTERNATIONAL N° 694 45 DU 19 AU 25 FÉVRIER 2004

� Dessin de Lino,Canada.

■ Polémique C’est pour critiquerl’attentisme du président sud-africain, ThaboMbeki, face au sidaque Rian Malan a mené des recherches sur la maladie. Maiscelles-ci l’ont amenéà la conclusion que les ravages de l’épidémie sont surestimés.Sa thèse, renduepublique en 2001 et reprise dans ce récent article du Spectator,est à l’origine d’unepolémique qui duredepuis trois ans.

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était en régression depuis la Seconde Guerremondiale. Des études effectuées depuis l’appari-tion du sida ont montré des taux figurant parmiles plus bas jamais relevés. Au plus fort de l’épi-démie, ces régions semblent donc avoir connuune explosion démographique.

Pour expliquer ce phénomène, les spécialistesdu sida vous diront que le chaos règne en Afriqueet que les données historiques sont trop incertainespour permettre d’effectuer des comparaisonsvalables. Mais ils vous diront aussi que l’Afriquedu Sud se démarque du reste du continent. “C’estle seul pays de l’Afrique subsaharienne où l’on enre-gistre régulièrement un nombre suffisant de décès pourpouvoir estimer la mortalité à l’échelon national”,affirme le Pr Ian Timaeus, de la London Schoolof Hygiene and Tropical Medicine. Selon lui, plusde 80 % des décès sont déclarés, ce qui fait del’Afrique du Sud le seul pays du continent où ilest possible de juger de l’objectivité des estima-tions produites par l’informatique.

En 2000, le Pr Timaeus a rejoint une équipede chercheurs sud-africains résolus à éliminer tousles doutes sur l’impact du sida sur la mortalité. Par-rainée par le Conseil de recherche médicale, la mis-sion de l’équipe consistait à confronter, pour la pre-mière fois, les données informatiques sur le sidaaux chiffres réels enregistrés sur place. Pour ce faire,l’équipe a eu librement accès aux déclarations dedécès. Les premiers résultats, qui ont été dispo-nibles en 2001, faisaient mention de 339 000 décèsen 1998, 375 000 en 1999 et 410 000 en 2000.

Ces chiffres confirmaient les prédictions d’unemortalité accrue, mais ils étaient surévalués. Epi-model estimait à 250 000 le nombre de morts dusida en 1999, alors que le nombre total de décèsd’adultes n’était que de 375 000, un chiffre bientrop faible pour que l’on puisse en attribuer la moi-tié au VIH comme le faisait l’ONU. Bref, le logi-ciel avait échoué dans sa mission. On l’a donc dis-crètement abandonné en faveur d’un modèle localplus sophistiqué, l’ASSA-600, qui a donné un résul-tat plus réaliste : 143 000 victimes du sida en 1999.

A ce stade, les décès causés par le sida repré-sentaient 40 % du total, une proportion encoreun peu trop élevée, puisqu’il n’en restait que232 000 pour toutes les autres causes. L’équipea résolu le problème en déclarant que le nombre

de décès dus aux autres maladies avait décliné deprès de 3 % par an depuis 1985. Il y avait làquelque chose de très étrange. Comment la mor-talité pouvait-elle régresser malgré de nouvellesépidémies de choléra et de paludisme, la pauvretécroissante, l’apparition généralisée de microbesrésistant aux médicaments et un système sani-taire au bord de l’effondrement ?

En tout état de cause, ces chercheurs étaientdes experts et leurs aménagements ont donné lesrésultats attendus : les données informatiques cor-respondaient désormais aux chiffres réels, lescomptes étaient équilibrés, la vérité révélée. Le fruitde leurs travaux, publié en juin 2001, m’a réduitau silence. Certes, je continuais à relever decurieuses corrections et des problèmes d’ampleur,mais je me taisais devant des graphiques révélantd’énormes changements dans le schéma de mor-talité, un nombre croissant de gens mourant auxâges où l’activité sexuelle est le plus intense. “Qu’as-tu à dire face à ces chiffres ?” criait ma femme, lesyeux brillants de colère. Rien. J’ai rangé mes docu-ments sur le sida dans le garage et ravalé ma salive.

Mais, de temps à autre, je n’ai pu m’empê-cher d’aller voir furtivement sur les sites scien-tifiques comment la situation évoluait.Vers la finde 2001, le fameux ASSA-600 a été remplacé parl’ASSA-2000, qui a fourni des estimations encoreplus faibles que son prédécesseur : seulement92 000 décès dus au sida en 1999. C’était à peineplus d’un tiers du premier chiffre de l’ONU, maispeu importait : pour les experts scientifiques,l’ASSA-2000 était si précis que toute autre réfé-rence aux déclarations de décès “serait d’une utilitélimitée”. Il est un peu inquiétant, me suis-je dit,qu’on prétende que la réalité virtuelle rend le réelsuperflu, mais, si ces experts jugeaient le nouveaumodèle infaillible, c’est qu’il devait l’être.

Mais il ne l’était pas. En décembre 2002,l’ASSA-2000 a été lui aussi mis au placard. Sur lesite du Conseil de recherche médicale, une noteexpliquait que la modélisation était une scienceinexacte et que le nombre de victimes du sidacommençait tout juste à augmenter. Le Conseilajoutait qu’un nouveau modèle était en cours d’éla-boration et qu’il fournirait vraisemblablement desestimations inférieures d’environ 10 % à celles qui

étaient proposées jusque-là. Bien que cela ne soitpas très rigoureux, j’ai demandé à mon copainscientifique Rodney Richards d’introduire les don-nées corrigées sur son propre simulateur et de voirquel résultat il obtenait pour 1999. La réponse,pour faire court, était un bilan de l’ordre de65 000 victimes, très loin des 250 000 initialementestimées par l’ONUSIDA.

En lisant ces lignes, ma femme n’est pasconvaincue. “C’est monstrueux, me dit-elle. Tu traitesla question comme s’il s’agissait d’un jeu vidéo. Desgens sont en train de mourir !”

Oui, je l’admets, des gens sont en train demourir, mais il n’en reste pas moins que le sidaen Afrique est présenté à la manière d’un jeuvidéo. Quand on lit que 29,4 millions d’Africains“vivent avec le sida”, cela ne veut pas dire que desmillions de gens ont passé le test. Cela signifieque des analystes présument que 29,4 millionsd’Africains sont liés via des réseaux mathéma-tiques et sexuels extrêmement complexes à l’unedes femmes qui ont été diagnostiquées séroposi-tives lors des contrôles annuels effectués dans lesmaternités. Les analystes sont les premiers àreconnaître que l’opération est sujette à des aléaset à d’importantes marges d’erreur. Plus impor-tantes que prévu, dans certains cas.

La plupart des estimations disponibles pourles pays situés au nord de la province du Lim-popo sont fournies par l’ONUSIDA et obtenuesà l’aide de méthodes similaires à celles qui sonten discrédit en Afrique du Sud. Selon Paul Ben-nell, analyste de l’Institut des études sur le déve-loppement de l’université du Sussex, on constateun “extraordinaire” manque d’éléments en pro-venance d’autres sources. “La plupart des pays nerecueillent même pas d’informations sur les décès,écrit-il. On ne trouve pratiquement pas de donnéesissues d’études démographiques dans la majeure par-tie des pays les plus touchés.”

L’analyste a pu toutefois s’informer auprès desinstituteurs, qui sont considérés comme un groupeà haut risque compte tenu de la régularité de leursrevenus, qui leur permet de faire la fête plus qued’autres. En 2002, la Banque mondiale a déclaréque le sida tuait les enseignants africains “à unrythme trop rapide pour qu’on puisse les remplacer”.

C O N T R O V E R S E

■ “Et si le journaliste sud-africain RianMalan avait raison ?” s’interroge The EastAfrican, l’hebdomadaire de référence del’Afrique de l’Est. Au Kenya, l’estimationdu nombre de personnes infectées par levirus du sida vient en effet d’être nette-ment revue à la baisse. Les résultats pré-liminaires d’une vaste enquête de santéconduite par le gouvernement de Nairobiindiquent un taux de prévalence du VIH de6,7 % dans la population adulte, soit untiers de moins que les estimations pré-cédentes fournies par l’ONUSIDA, le pro-gramme commun des Nations unies surle sida. Si ces résultats se confirment,“cela pourrait marquer le début d’uneréévaluation de l’ampleur du sida sur l’en-semble du continent africain”, écrit TheEast African.D’autant que Rian Malan n’est plus le seulà juger les chiffres officiels surévalués.Dans un article publié en décembre der-nier dans la revue médicale britannique

The Lancet, le Dr J. Thies Boerma, de l’Or-ganisation mondiale de la santé (OMS),estime que la méthode statistique la pluscommunément utilisée sur le continent– l’extrapolation à partir de tests prénatauxeffectués sur des femmes enceintes –donne un nombre de séropositifs environ25 % plus élevé que la méthode, jugéeplus fiable, consistant à réaliser des exa-mens sanguins dans l’ensemble de lapopulation.Mais la thèse de Rian Malan demeure trèscontestée, notamment dans son pays.“D’accord, les statistiques du sida enAfrique sont inexactes, mais cela ne veutpas dire qu’elles soient surévaluées. Et,d’ailleurs, le débat sur l’inexactitude deschiffres a-t-il lieu d’être quand le sida, dontl’ombre plane sur les villages décimés etsur les hôpitaux bondés de l’Afrique sub-saharienne, est une sinistre réalité depuisplus de dix ans ?” écrit la journaliste ClaireKeeton dans le Sunday Times de Johan-

nesburg. Dans la communauté scientifiqueet dans les milieux associatifs, nombreuxsont ceux qui accusent Malan de fausserles chiffres ou de les interpréter de façonerronée. “Il y a dans ce qu’il dit des élé-ments de vérité, il soulève de graves ques-tions, mais l’ensemble dénote un manquetotal de compréhension des données”,dénonce, dans l’hebdomadaire londonienThe Observer, Alan Whiteside, l’un desexperts sud-africains du VIH. Dans le bul-letin de la principale association sud-africaine de lutte contre le sida, TreatmentAction Campaign (TAC), le directeur natio-nal dresse quant à lui la liste des nom-breuses erreurs techniques commises parMalan et s’interroge sur ses motivationsréelles. “Car, après tout, qu’importe qu’ily ait 1 séropositif sur 8 ou sur 12 Sud-Africains ou que la maladie touche 15 ou30 millions d’Africains quand les Etatssont encore si loin de pouvoir faire faceà l’épidémie ?”

Le sceptique et ses détracteurs

SOMALIE

ÉTHIOPIE

SOUDAN

ÉGYPTE

KENYA

TANZANIE

MOZAMBIQUE

MADAGASCAR

AFRIQUEDU SUD

NAMIBIEBOTSWANA

ZIMBABWE

ZAMBIE

RÉP. DÉM.DU CONGO

OUGANDA

ANGOLA

CONGOGABON

CAMEROUNCENTRAFRIQUE

TCHAD

NIGERIA

NIGER

BURKINA FASO

MALIMAURITANIE

SÉNÉGAL

CÔTE-D’IVOIRE

GHANA

MAROCALGÉRIE

TUNISIE

LYBIE

BÉNIN

TOGOGUINÉE É.

LIBERIASIERRA LEONE

GUINÉEGUINÉ-B.GAMBIE

DJIBOUTI

MALAWI

RWANDA

BURUNDI

LESOTHO

SWAZILAND

ÉRYTHRÉE

Décès dûs au sida : 2,2 à 2,4 millionsTotal monde : 2,5 à 3,5 millions

Malades du sida : 3 à 3,4 millionsTotal monde : 4,2 à 5,8 millions

Séropositifs : 25 à 28,2 millionsTotal monde : 34 à 46 millions

Sour

ces :

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SIDA

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Les estimations de l’OMS pourl’Afrique subsaharienne (fin 2003)

LE SIDA EN AFRIQUE

15 % à 39 %Taux de séropositifs en 2001

5 % à 15 %1 % à 5 %0,5 % à 1 %

0,1 % à 0,5 %0 % à 0,1 %non disponible

COURRIER INTERNATIONAL N° 694 46 DU 19 AU 25 FÉVRIER 2004

694p45-46-47 16/02/04 12:56 Page 46

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Et la BBC a annoncé que, cette même année, unenseignant malawite sur sept mourrait du sida.

Paul Bennell a étudié les données disponibleset a découvert que la mortalité chez les enseignantsétait “plus faible que prévu”. En outre, le taux semblebaisser dans six des huit pays étudiés. “C’est inat-tendu, observe-t-il. Il est possible que le pire soit der-rière nous en ce qui concerne ce groupe.”

En 2002, des rumeurs similaires ont circulédans toute l’Afrique australe, où l’épidémie seraiten train de se stabiliser, voire de régresser dans lespays les plus touchés. L’ONUSIDA a eu beau-coup de mal à réfuter cette thèse, la qualifiantde “mythe dangereux”, même si son propre sitemontre qu’il n’en est rien. “Dans la plupart despays, l’épidémie ne progresse plus, insiste Paul Ben-nell. Contrairement à ce qui est dit ou sous-entendu,la prévalence du VIH n’augmente pas.”

L’analyste soulève une question intéressante.Pourquoi l’ONUSIDA et son impressionnantealliance d’entreprises pharmaceutiques, les ONG,les scientifiques et les organisations humanitairesproclament-ils, contre toute évidence, que l’épi-démie est en train de s’aggraver ? Une explicationpossible est fournie par Joe Sonnabend, l’un despionniers de la recherche sur le sida. Ce physi-cien new-yorkais travaillait dans un centre MST[maladies sexuellement transmissibles] quand lesyndrome est apparu. Il a ensuite rejoint la Fon-dation américaine pour la recherche sur le sida,mais l’a quittée quand ses confrères ont com-mencé à exagérer la menace d’une pandémiegénéralisée dans le but d’accroître la visibilitéde la maladie et d’amplifier l’urgence des sub-

ventions. Le milieu du sida, dit-il, est très habilepour “manipuler la peur quand il s’agit de se pro-curer de l’argent et des pouvoirs”.

Avec de telles idées en tête, je me suis sentiprofondément exclu lors des “festivités” qui ontaccompagné la Journée du sida en Afrique duSud. Qu’on ne se méprenne pas à mon égard.Je suis convaincu que le sida pose un réel pro-blème en Afrique. Les gouvernements et les pro-fessionnels de la santé les plus mesurés doiventêtre écoutés quand ils expriment leurs préoccu-pations sur l’épidémie. Mais, à côté d’eux, il y ades militants et des journalistes qui me semblenthystériques. Pour la Journée du sida, ils se pré-cipitent dans la rue comme des désaxés attiréspar la pleine lune, hurlant que le sida fait de plusen plus de ravages, “ne peut plus être maîtrisé”,paralyse les économies, cause des famines, tuedes millions de gens, contribue à l’oppression desfemmes et “compromet la démocratie” en sapant lavolonté des pauvres de résister aux dictateurs.

A les entendre, le sida est le seul problème enAfrique, et la seule solution consiste à haranguerles foules jusqu’à ce que le libre accès aux traite-ments antisida soit défini comme un “droit fon-

damental” pour tout un chacun. Cela revient àdire qu’il faudrait dépenser plus de 400 dollarspar an pour garantir un traitement à vie à n’im-porte quel paysan zambien atteint par le sida aumotif que c’est une maladie plus grave que toutesles autres. Cette idée, très noble en apparence, estdémente quand on sait qu’un grand nombre deses voisins mourront de maladies qui auraient puêtre soignées pour quelques cents à condition quedes médicaments soient disponibles. Quelque350 millions d’Africains – près de la moitié de lapopulation – ont des crises de paludisme chaqueannée, mais le traitement de cette maladie n’estpas un droit fondamental. Deux millions attra-pent la tuberculose, mais, la dernière fois que jeme suis penché sur la question, les dépensesconsacrées à la recherche sur le sida excédaientde 90 % celles de la recherche sur la tuberculose.Et, en ce qui concerne la pneumonie, le cancer,la dysenterie ou le diabète, les gens peuvent tou-jours prendre de l’aspirine ou parcourir la brousseà la recherche de plantes médicinales.

Je pense qu’il est temps de remettre en ques-tion certaines des affirmations du lobby du sida.Ses certitudes sont trop fanatiques, les pouvoirsqu’il revendique trop étendus. Qu’on le laisse librede ses mouvements et il réquisitionnera toutesles ressources pour combattre une seule maladie.Il vaincra peut-être le sida, sait-on jamais, mais quedirons-nous si, dans cinq ans, nous ouvrons lesyeux et découvrons que l’ampleur du problèmea été excessivement gonflée par des estimationsmal fondées et que plus de 20 milliards de dollarssont partis en fumée ? Rian Malan

Le sida fait oublier le paludisme

et la tuberculose

COURRIER INTERNATIONAL N° 694 47 DU 19 AU 25 FÉVRIER 2004

■ Biographie Né en 1954 dansune grande familled’Afrikaners, RianMalan a commencé sa carrière comme journalistespécialiste des faits divers dans un journal de Johannesburg,puis aux Etats-Unis.De retour en Afriquedu Sud, en 1985,il publie six ans plus tard My Traitor’sHeart (Mon cœur de traître, éd. Plon).Confession d’un Blanc sud-africain drogué qui craint les Noirsen cette find’apartheid,son premier ouvrageest acclamé par la critique.

� Dessin de Fergusonparu dans le Financial Times,Londres.

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THE CHRISTIAN SCIENCE MONITORBoston

DE BELBEIS (ÉGYPTE)

L ’Egypte, ou même le monde arabe,n’est pas particulièrement connupour être un foyer du capitalismesocial. C’est ce qui rend d’autant

plus remarquable l’expérience tentéepar le groupe Sekem en plein désertégyptien. L’année dernière, cettesociété agroalimentaire, soucieuse del’environnement, est allée à contre-courant d’une économie égyptienneen plein marasme, affichant une haussede 25 % de ses bénéfices. Elle aengrangé 14 millions de dollars touten proposant des formations profes-sionnelles, des soins médicaux et uneéducation de qualité à ses 2 000 salariéset à leurs enfants, sans compter lesretombées positives pour les dizainesde milliers de membres des commu-nautés où elle est implantée. Sekema également fait des dons à hauteur de15 à 20 % de ses bénéfices en faveurdu développement social. Dans l’undes pays les plus pauvres du monde,où la mondialisation et la libéralisationdes échanges se traduisent souvent parla réduction des marges pour les entre-prises, Sekem – dont le nom est latranscription d’un hiéroglyphe signi-fiant “vitalité tirée du soleil” – prouvequ’aider les autres et gagner de l’argentn’est pas incompatible.

Sekem a été créé il y a un quartde siècle sur près de 70 hectares dedésert, dans les environs du Caire.“J’ai imaginé un projet social en troisvolets qui me permettrait de contribuerau développement de la communauté etde l’humanité et à la protection de l’en-vironnement”, confie le fondateur,Ibrahim Abouleish. Le désert, ajoute-t-il, “était comme la toile d’une peinture,mais sans le cadre”. Un coup de pin-ceau par-ci, un canal d’irrigation par-là et, petit à petit, le chef-d’œuvre deM. Abouleish a pris corps.

On a d’abord connu les médica-ments à base de plantes de Sekem. Puisvinrent les plantes de la marque Isis etles fruits et légumes bio Libra. Au fildes années, d’autres produits ont faitleur apparition : vêtements en cotonbio, riz, thé et miel. Une société d’em-ballage conditionne les produits, désor-mais distribués en Egypte, en Europeet aux Etats-Unis. Parmi les actionsmarquantes du groupe figure la créa-tion de l’Egyptian Biodynamic Asso-ciation [EBDA, Association biodyna-mique égyptienne], qui encourage ledéveloppement de l’agriculture biolo-gique sur près de 4000 hectares àtravers tout le pays, dans plus de400 petites et moyennes exploitations

agricoles. En collaboration avec leministère de l’Agriculture, Sekem ainstallé un nouveau système de pro-tection des plants de coton, réduisantl’utilisation des pesticides à moins de10 %. Une initiative qui a conduit àl’interdiction de l’utilisation de ces sub-stances dans tout le pays.

L’EBDA est désormais autosuffi-sante, les agriculteurs égyptiens versant7 dollars par demi-hectare cultivé enéchange du droit d’apposer la marqueSekem sur leurs produits. Ces rede-vances couvrent largement les chargesd’exploitation de l’association. L’EBDAutilise également l’aide étrangère pourpromouvoir les méthodes de l’agri-culture biologique en Tunisie, auMaroc, en Palestine et au Liban. Maisle groupe Sekem ne se contente pas dedévelopper l’agriculture biologique. Ila d’abord construit un centre deformation pour adultes, puis un jardind’enfants, avant de lancer un grandprogramme d’alphabétisation. LaSociété pour le développement cultureldu groupe Sekem gère aujourd’hui unhôpital, un programme spécial d’édu-cation pour enfants handicapés, uncentre de formation professionnelle etune académie des arts et des sciences.

LE GROUPE SEKEM PRATIQUEUNE “ÉCONOMIE DE L’AMOUR”

Alors, comment gagner de l’argenttout en faisant participer les salariésaux bénéfices – surtout dans un paysoù la plupart des entreprises ne par-viennent ni à l’un ni à l’autre ? C’estdifficile, reconnaît M.Abouleish, maispas impossible. Les salariés de Sekemse voient prélever une petite partie deleur salaire au titre de leur contribu-tion au fonctionnement des écoles, dela clinique et des activités culturelles.Environ 40 % des fonds proviennentdes activités de l’entreprise, notam-ment des ventes et des contributionsdu personnel. Pour le reste, 30 à 35 %proviennent de subventions diverseset l’aide étrangère, en provenanceprincipalement de l’Union euro-péenne et des Etats-Unis, représenteentre 15 et 20 %.

Certains projets à but non lucratifau sein de Sekem, comme l’EBDA,sont d’ores et déjà autosuffisants. Al’heure où les associations d’aideessuient de plus en plus de critiques

relatives au gaspillage de l’argent deleurs donateurs et à leur inefficacité,les experts en développement netarissent pas d’éloges sur Sekem. “Jetrouve que c’est l’un des projets les pluspassionnants qui soient menés dans lemonde musulman”, se félicite AsadAzfar, gestionnaire de portefeuillechez Acumen Fund, une organisationà but non lucratif de New York quisoutient les projets de M. Abouleish.

“Il faut que nous bâtissions unesociété saine, fondée sur le savoir, insisteM. Abouleish. Inculquer un goût pourla culture, voilà l’une des grandes prio-rités du développement.” C’est ce genred’attitude qui a valu à l’entrepreneurégyptien nombre d’honneurs ces der-nières années. En août 2003, la fon-dation Schwab, en association avecle Forum économique mondial deDavos a fait figurer M. Abouleish sursa liste des 25 chefs d’entreprise d’ex-ception, à forte conscience sociale.Le jury de la fondation Right Liveli-hood a quant à lui décerné à Sekemle prix Nobel alternatif. “C’est la pre-mière fois que nous choisissons un chefd’entreprise”, commente le créateurde la fondation, Jacob von Uexkull,écrivain et ancien député européen.“M.Abouleish pratique ce qu’il appellel’économie de l’amour. Il prouve que l’onpeut à la fois faire du bien et en vivre.”

Vivre bien, renchérit le person-nel de la ferme de Belbeis, est lameilleure revanche qui soit. Dans cegrand complexe, qui tient davantagedu village que de l’entreprise, lesarbres ondulent sous la brise del’après-midi. On entend le gronde-ment d’un tracteur dans les champs.Les enfants de l’école primaire chan-tent, comme toutes les semaines,devant leurs camarades et unAbouleish rayonnant. Les usines etl’école aux murs blanchis à la chauxbourdonnent d’activité. A l’écart desrues chaotiques du Caire voisin, onse trouve dans un havre de paix, quiforme un contraste saisissant avecl’extrême pauvreté où sont plongésles 70 millions d’Egyptiens. “Nousconsommons une nourriture saine et nosenfants étudient”, se réjouit Moham-med Thoor, un professeur d’infor-matique du groupe Sekem. “Quedemander de plus ?”

Gretchen Peters

ALTERNATIVE ■ Le groupe Sekem,spécialisé dans l’agriculturebiologique, engrange des bénéficesrecords. Mieux, il participe audéveloppement local et à lapréservation de l’environnement.

Une entreprise sociale dans le désert égyptien

� Dessin d’Ajubelparu dans ElMundo, Madrid.

inte

llig

en

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séconomie

■ économieLe mystérieuxlangage desbanquescentrales p. 50

■ multimédiaLa presseaméricainemet les petitsplats dans lesgrands p. 52

■ sciencesLa conquêtede Marsréservée auxfemmes ? p. 53

■ écologieL’Inde,poubelle dumondedéveloppé p. 54

■ AgriculturebiologiqueEn Egypte, plus de 13 000 hectaressont consacrés à l’agriculturebiologique.De plus en plus de cultivateurss’installent dans le désert – quireprésente près de 98 % duterritoire égyptien –pour échapper à la pollution dessols de la vallée du Nil, saturés en pesticides et en métaux lourds.Un investissementrentable pour euxcar les terrainsdésertiques sontmoins chers, tandisque la demandemondiale en produitsbiologiques est en constantecroissance.

COURRIER INTERNATIONAL N° 694 48 DU 19 AU 25 FÉVRIER 2004

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IZVESTIAMoscou

S ur les 630 milliards de dollars quicirculent sous forme de billets debanque, moins de la moitié(260 milliards) se trouvent sur le

territoire américain. En effet, la quan-tité de dollars utilisés à l’étranger n’ajamais cessé d’augmenter au cours desdernières années. D’après les statis-tiques du Trésor américain, un tiers desbillets verts circulaient hors des fron-tières au début des années 60. Mais laproportion a brutalement changé audébut des années 90, lorsque les Euro-péens de l’Est et les Russes ont mani-festé un appétit démesuré pour cettedevise. Entre 1994 et 1996, la Russiea importé en moyenne 2 milliards dedollars par mois. Les employés desbanques américaines se souviennentque l’essentiel des émissions nouvellespartait directement en Russie. Résul-tat : les anciens pays socialistes ont finipar rassembler 40 % du total des dol-lars circulant hors des Etats-Unis.

La stabilité coûte cher à la Russie.Le Trésor américain indique que le

DIE TAGESZEITUNGBerlin

L a liberté commence avec la voi-ture.A cet égard, l’Irak de l’après-Saddam Hussein n’est guère dif-férent des pays d’Europe de l’Est

après l’effondrement du commu-nisme : 250 000 automobiles d’oc-casion y auraient été importées rienque dans la seconde moitié de l’année2003, et il suffit de jeter un œil sur lesmarchés de Bagdad pour constaterque le commerce se porte tout aussibien dans d’autres domaines.Télévi-seurs et ordinateurs en provenance deCorée du Sud, électroménager turc,jouets importés de Chine, tissus etPepsi-Cola du Proche- et du Moyen-Orient, bière et vêtements d’Europe :l’Irak croule sous les marchandises.

Après des années de privations etd’embargo, le pays renoue avec laconsommation. L’augmentation dupouvoir d’achat est essentiellementdue à la réforme des rémunérationsinstaurée par Paul Bremer, l’admi-nistrateur civil américain. Les cen-taines de milliers de fonctionnairesirakiens ont ainsi bénéficié d’impor-tantes augmentations de salaire – quiéquivalent dans certains cas à unemultiplication par quarante.

Après des décennies de mauvaisegestion et d’embargo, l’industrie ira-kienne est au moins aussi avide d’in-vestissements que le marché des biensde consommation. Il y a beaucoupd’argent à gagner maintenant que lesentraves au commerce sont tombées,et les entreprises allemandes veulent,elles aussi, leur part du gâteau. Ellesétaient cinquante à participer à unefoire pour la reconstruction de l’Irak àKoweit City il y a quelques semaines.Seuls l’Iran, l’Italie, le Koweït, l’Ara-bie Saoudite et la Turquie affichaientune présence plus importante. Aumême moment, des membres de laChambre de commerce germano-arabe se réunissaient en Jordanie pourjeter les bases de contrats futurs.

Le principal donneur d’ordres estactuellement le gouvernement améri-

cain, qui a débloqué 18,6 milliards dedollars pour la reconstruction de l’Irak.L’attribution des contrats se fait par lebiais de l’Iraq Program ManagementOffice (PMO), qui a repris cette tâcheen octobre dernier des mains del’USAID, un organisme gouverne-mental américain. Le PMO envisagedans les prochains mois de lancer2 300 projets dans les secteurs de l’eau,de l’électricité et de la fonctionpublique.

LES APPELS D’OFFRES SONTDÉSORMAIS OUVERTS À TOUS

Jusqu’à présent, les entreprises des paysopposés à la guerre étaient exclues desappels d’offres et ne pouvaient pré-tendre qu’à des missions de sous-traitance. Siemens a cependant obtenuun contrat de plusieurs millions pourla mise en place d’un réseau de télé-phonie mobile dans le nord de l’Irak.La prochaine série d’appels d’offrespour la reconstruction de l’Irak seralancée en mars pour un montant totalde 5 milliards de dollars, et les entre-prises allemandes, françaises et russespourront y répondre directement.

Jusqu’ici, ce sont avant tout lesgrands groupes américains, comme leconstructeur Bechtel ou le pétrolierHalliburton, qui ont tiré leur épingle

du jeu. Halliburton, que Dick Che-ney, le vice-président des Etats-Unis,a dirigé jusqu’en août 2000, a étéaccusé depuis d’avoir obtenu sescontrats grâce à diverses manipula-tions. Le groupe [qui est égalementsoupçonné d’avoir surfacturé ses pres-tations au gouvernement américain]a d’ores et déjà annoncé qu’il allaitrembourser 6,3 millions de dollars.

Mais ce sont essentiellement lesprojets de restructuration des entre-prises publiques irakiennes qui contri-buent à l’optimisme des milieux d’af-faires. La privatisation et l’ouvertureaux capitaux étrangers décrétés enjuin 2003 par Paul Bremer n’ont pasété suivies d’effet parce qu’elles allaientbien au-delà des attributions de laforce d’occupation américaine. Maisle gouvernement irakien a décidédepuis que ses entreprises publiquespourraient être gérées par des socié-tés étrangères. Sur les 250 entreprisesd’Etat irakiennes, 68 sont désormaisouvertes à ce type de gestion pour unepériode de cinq ans. La seule condi-tion, c’est que leurs salariés actuels res-tent en place. De nombreuses propo-sitions ont déjà été lancées, y comprisde la part d’entreprises allemandes,mais l’identité des intéressés n’a pasencore été révélée. Inga Rogg

budget fédéral engrange chaque annéeune prime de 14 à 16 milliards de dol-lars, qui provient des intérêts payés surles titres, le principal actif de la Réservefédérale [la banque centrale améri-caine], qui garantit la valeur du dollar.Un rapide calcul montre que, de cettemanière, la Russie finance le budgetaméricain à hauteur de 1,5 à 3,3 mil-liards de dollars selon les années.

A ce jour, la population russedétient 37,6 milliards d’équivalentsdollars (cette somme comprend aussides euros), mais l’arrivée de nouveauxbillets verts a cessé. “Il n’y a presqueplus de demande”, constate VassiliZablotski, le directeur adjoint de labanque MDM, principale importatriced’espèces en Russie. “Et le peu dedemande existante est facilement satisfaitepar les dollars présents en Russie.” Il

estime que la tendance va se mainte-nir en 2004. La masse monétaire enroubles ne cesse pour sa part de s’ac-croître. La banque centrale russeindique que, durant les onze premiersmois de 2003, elle a augmenté d’untiers. Et, dans les premiers jours de2004, il s’est produit un événementquasi historique : la banque centraleestime que, même au taux de changeactuel [28,50 roubles pour 1 dollar],le montant des dollars présents en Rus-sie a été rattrapé par celui des roubles.

“La monétisation de l’économie russeest enclenchée”, analyse Evgueni Gavri-lenkov, économiste de la société TroïkaDialog. Pour lui, le succès du roubles’explique par la croissance que connaîtle pays. “La situation actuelle n’a rien àvoir avec celle du milieu des années 90.”La stabilité sur le marché des devises

n’avait alors pas entraîné la dédolla-risation espérée. Et l’interdiction d’uti-liser les devises étrangères avait conduità l’apparition de la fameuse “unitéconventionnelle” [expression quidésigne pudiquement le dollar et per-met d’éviter d’afficher dans les maga-sins des prix en roubles qui compor-tent trop de zéros]. “A l’époque, il étaitdifficile de tromper les gens en prétendantque la situation s’était stabilisée alors quetout reposait sur la pyramide financièredes obligations d’Etat à court terme.” [Cequi entraîna la crise d’août 1998.]

“C’est vrai, la situation a bien changéen Russie”, renchérit Kurt Schuller,économiste du Congrès américain etpartisan convaincu du libre choix desdevises. “Même si le rouble n’a pas lalongue et glorieuse histoire du dollar amé-ricain, tous les facteurs fondamentaux luisont maintenant favorables.”

Elena Matrossova, de la sociétéBDO Unicon, qui recommandait detout investir dans le rouble ces deuxdernières années, se montre plus dubi-tative. “Une part importante de l’actuelleémission de roubles retourne à la banquecentrale sous forme de reliquats sur lescomptes courants des banques commer-ciales à la banque centrale”, rappelle-t-elle. Une initiative de la Banque deRussie devrait toutefois porter uncoup fatal au dollar. Cette armesec rè t e e s t l e fu tu r b i l l e t de5 000 roubles. La banque centralepromet de le lancer en 2005, mais nedit pas en quelle quantité. Elle pré-fère ménager le suspense.

Natalia Orlova, Alexeï Tikhonov

MONNAIE ■ La Russie n’importepresque plus de dollars américains.Cette tendance va s’accentuer avecl’émission de billets de 5 000 roublesdestinés à remplacer les coupures de 100 dollars dans les bas de laine.

Les Russes font à nouveau confiance au rouble

COURRIER INTERNATIONAL N° 694 49 DU 19 AU 25 FÉVRIER 2004

Le degré de dollarisation des économies à travers le mondeRapport entre le volume de dollars en circulation et le PIB (en %) * Rapport à parit

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Les firmes allemandes veulent leur part du gâteau irakienCONTRATS ■ Désormais, tous les payspeuvent participer à lareconstruction de l’Irak. Uneaubaine pour les Allemands, qui vont notamment pouvoirinvestir dans le secteur publicirakien, en pleine privatisation.

694p48_49_50 16/02/04 12:59 Page 49

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FINANCIAL TIMESLondres

L orsque, le 12 janvier dernier,Jean-Claude Trichet, le présidentde la Banque centrale euro-péenne (BCE), a qualifié de

“brutaux” les mouvements sur lemarché des changes, il a rapidementpu constater le poids qu’avaient lesmots sur les marchés financiers. Lesanalystes se sont jetés sur leurs dic-tionnaires pour comparer et discu-ter le sens de ce terme en anglais eten français. Au final, les commen-taires de M. Trichet ont arrêté netl’envolée de l’euro – mais pas pourlongtemps.

La croissance des marchés finan-ciers depuis vingt ans a fortementaccru le prestige des banquiers cen-traux. Et le décryptage de leursdéclarations est devenu d’une impor-tance capitale pour les investisseurs,qui ont les yeux rivés sur le courtterme. “Pour les marchés, c’est l’équi-valent de la théologie. Derrière la rhé-torique, il y a toujours la possibilité d’uneaction”, commente Mark Cliff,d’ING Financial Markets.

La BCE espère que parler main-tenant lui reviendra moins cherqu’agir plus tard, car une interven-tion directe sur les marchés deschanges est un exercice qui peut serévéler coûteux, et les Banques cen-trales préfèrent garder cette arme enréserve jusqu’à ce qu’elles aientépuisé toutes les possibilités du verbe.En attendant, les mots restent unearme de choix.

ALAN GREENSPAN, LE VIRTUOSE DE LA SUGGESTION

Nul ne les manie mieux qu’AlanGreenspan : le président de laRéserve fédérale américaine (Fed)pèse soigneusement ses propos. Enles distillant au compte-gouttes, ilpréserve leur valeur et accroît leureffet. On en voit le plus bel exempleavec les déclarations qui accompa-gnent les décisions de la Fed enmatière de politique monétaire. Lemarché tente de prévoir le momentqu’elle choisira pour modifier lestaux de change, en spéculant surl’adjectif “accommodante” et l’ex-pression “période considérable”. [Pen-

dant des mois, la Fed s’est dite prêteà maintenir sa politique “accommo-dante” – c’est-à-dire des taux bas –pendant une “période considérable”.Fin janvier, cette formule a changé(au grand émoi des marchés) pourdevenir “le comité de politique moné-taire pense qu’il peut se montrer patientavant d’abandonner sa politiqueaccommodante”.]

M. Greenspan maîtrise parfaite-ment le pouvoir de suggestion ; il estpassé maître dans l’art de tester lesréactions du marché, au travers d’al-lusions et de références voilées. Entémoigne la manière dont il a fait faceau risque de déflation en mai dernier.La Fed n’a pas prononcé ce mot tantredouté, qui aurait semé la paniquesur les marchés. Elle a préféré noter

dans un communiqué que “la proba-bilité d’une baisse substantielle et inop-portune de l’inflation,bien que peu impor-tante, est plus grande que celle d’unepoussée inflationniste à partir d’unniveau déjà bas”. Depuis, les opéra-teurs sur devises et sur obligationsdébattent à n’en plus finir du sensexact de ces termes et de l’interven-tion de la Fed qu’ils pourraientinduire.

LES INVESTISSEURS SONT DE PLUS EN PLUS PRESSÉS

Si M. Greenspan apparaît comme lemaître incontesté en la matière, c’estson prédécesseur, Paul Volcker, qui,dans les années 80, a provoqué lesnouveaux comportements des opéra-teurs en prenant l’habitude de sur-prendre tout le monde avec des chan-gements de politique soudains.“L’observation de la Fed – ou celle desbanques centrales en général – est vrai-ment entrée dans les usages avec Volcker”,explique Mark Austin, chef de la stra-tégie devises chez HSBC. “Ce que fai-sait vraiment la Fed était assez opaque,aussi fallait-il analyser les nuances despropos tenus par Volcker.” Pour MikeBerg, du cabinet de conseil écono-mique 4cast, l’attitude réservée deM.Volcker s’inscrivait dans la culturedes banques centrales de l’époque.“La Fed préférait ne rien dire plutôt queprendre le risque de donner une fausseidée aux marchés. C’était pareil avec laBundesbank [en Allemagne].”

L’attention intense dont fontl’objet les banquiers centraux, estimede son côté M. Cliffe, s’explique éga-lement par un changement fonda-mental du comportement des inves-tisseurs. “Auparavant, ils conservaient

leurs titres pendant deux ou trois mois.Maintenant, c’est plutôt deux à troissemaines. Ils essaient de réaliser desplus-values sur cette période, d’où leursensibilité aux déclarations des banquescentrales.”

Les banquiers centraux s’attirentparfois des ennuis en parlant à tortet à travers. Les gaffes de Wim Dui-senberg, le prédécesseur de M.Tri-chet, ont à la fois desservi l’euro etentamé la crédibilité de la BCE.Quand, en octobre 2000, M. Dui-senberg a confié à un journal qu’ilne prévoyait pas d’intervention pourenrayer la chute de l’euro, la mon-naie unique s’est effondrée. En 2001,il persista et signa. “J’entends, mais jen’écoute pas”, lança-t-il aux marchés.Et, de nouveau, l’euro plongea.

Les économistes imputent lafaiblesse initiale de l’euro avant toutau peu de respect qu’inspiraient laBCE et son premier président. “Lemarché adore les gagnants”, commenteNick Parsons, de la Commerzbank.D’après lui, la soigneuse orchestra-tion de l’avertissement donné récem-ment par la BCE démontre une bienmeilleure compréhension de la psy-chologie des marchés et renforce lacrédibilité de la Banque.

Mais les interventions, qu’ellessoient verbales ou effectives, demeu-rent une arme à double tranchant.Ainsi l’euro a-t-il repris sa progres-sion après que les ministres desFinances de la zone euro, réunis enjanvier, se sont contentés de réaffir-mer la position de la BCE. “S’ils veu-lent frapper les esprits, il faut main-tenant qu’ils tentent autre chose”,conclut M. Austin.

Jennifer Hugues

FINANCE ■ Décrypter les propos sibyllins des banquiers centrauxest devenu une activitéessentielle sur le marché des changes.Les investisseurs, en effet, qui spéculentà très court terme,cherchent à anticipertoute modification des taux d’intérêt.

Le mystérieux langage des banques centrales

i n t e l l i g e n c e séconomie

■ TraductionEn juin 2003,lorsqu’elle a baisséles taux d’intérêt,la Réserve fédéraleaméricaine (Fed) a déclaré que sa politiquemonétaire resterait“accommodante”.Ce qui, selon le Los AngelesTimes, signifiait :“L’économie nebouge pas encoreassez. Nous allonslui donner un nouveau coup de fouet.” En août,lorsqu’elle a ditqu’ellemaintiendrait destaux bas pendant“une périodeconsidérable”, ilfallait comprendre :“Pas de panique.L’économie nechauffe pas tant queça, on ne va pasaugmenter les taux.”Et, lorsqu’à la finjanvier elle a estiméqu’elle pouvait être “patiente”,la Fed voulait direen réalité :“Réveillez-vous !Nous pourrionsfinalementaugmenter les taux,même si ce n’estpas pour tout de suite.”

LA VIE EN BOÎTE

DE TRÉVISE

C’est la revanche de l’homme sur lamachine. A Susegana, près de Trévise,

les robots de l’usine Electrolux partent àla retraite, et les ouvriers retournent à lachaîne de montage. Car on se rend compteque, dans la production de haute qualité,les humains sont plus fiables, plusflexibles… et plus économiques.Electrolux, colosse de la production de réfri-gérateurs, véritable modèle pour ses appli-cations de l’intelligence artificielle, vientd’annoncer aux syndicats qu’il allait inves-tir 7 millions d’euros d’ici à 2005 pour révo-lutionner les processus de fabrication dansle tiers de ses établissements. Premièreétape : les chariots téléguidés qui, à la findes années 80, avaient stupéfié les pre-miers visiteurs de l’atelier seront mis aurebut. Conçus pour prélever automatique-ment chaque composant dans les zonesde stockage et les apporter directement sur les postesde travail des assembleurs, ils ont montré leurs limites.A la moindre contrariété de l’unité centrale, c’est l’effetdomino : tout le système de production est bloqué.Pis encore, les robots ne choisissent pas toujours lesbonnes pièces, ce qui est devenu encore plus gênantavec le passage d’une production de série à une pro-duction diversifiée, apte à satisfaire les marchés les plus

divers. Tout compte fait, reprogrammer àchaque fois les robots revient plus cherque s’en remettre au travail humain. L’en-treprise s’est aperçue que, pour “produiredes réfrigérateurs à haute valeur ajoutée,un professionnalisme humain de hautniveau est nécessaire”.“Ce qui était effectué par des machinesautomatiques continuera de l’être”, préci-sent les responsables de l’usine, dont les2 200 salariés fabriquent près de 2 millionsde réfrigérateurs par an. Mais l’organisa-tion du travail sera revue en profondeur. Ladirection souhaite mettre en place desfilières de production plus rapides, avec descadences plus élevées et davantage d’ou-vriers sur la même ligne d’assemblage.“Que l’automatisation de haut niveau nouslimite, nous l’avions compris depuis long-temps, ne serait-ce qu’à cause des réper-cussions en chaîne au moindre accroc”,

observe le secrétaire du syndicat FIM CISL de la Véné-tie, Gigi Copiello. “La direction va nous demander une plusgrande flexibilité dans les horaires, comme d’habitude !”Candido Omiciuolo, le secrétaire du syndicat FIOM CGIL,est plus circonspect : “Nous voulons y regarder de plusprès : revenir aux cadences des chaînes de montage d’au-trefois serait un pas en arrière.” Favero Gianni,

Corriere della Sera (extraits), Milan

Mieux que les robots, les ouvriers

� Dessin de Jovanovic,Belgrade.

� Dessin d’Al Jabarro paru dansThe Wall Street Journal Europe,

Bruxelles.

COURRIER INTERNATIONAL N° 694 50 DU 19 AU 25 FÉVRIER 2004

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COURRIER INTERNATIONAL N° 694 51 DU 19 AU 25 FÉVRIER 2004

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AMERICAN JOURNALISM REVIEWCollege Park (Maryland)

L e célèbre chroniqueur politique,R. W. “Johnny” Apple, passedésormais son temps à étudier endétail des sujets aussi complexes

que le bouquet de l’armagnac, la cui-sine aux influences variées de la villeitalienne de Trieste ou les mer-veilleuses saucisses du Wisconsin.The New Yorker, qui consacre chaqueannée des numéros entiers à desthèmes comme l’art, la littérature oul’argent, a publié l’été dernier unnuméro double sur la gastronomie.Cesdeux faits choisis parmi d’autres illus-trent le changement d’attitude vis-à-vis de l’alimentation perceptible auxEtats-Unis. “La nourriture est devenueune part très importante de la culture amé-ricaine., comme le cinéma ou le théâtre.Mais lorsque j’ai commencé à écrire sur lesujet, il y a trente ans, tout le monde trou-vait cela bizarre. C’était considéré comme‘un truc pour les pages féminines’”,raconte Ruth Reichl, rédactrice en chefde Gourmet Magazine.

TOUS LES GRANDS JOURNAUX SE METTENT À TABLE

Il n’y a pas si longtemps que cela, larubrique Gastronomie du BaltimoreSun se résumait à des recettes et à desarticles sans saveur. Au dire de Ste-phen Proctor, l’ancien responsabledes pages Sports et Société de ce quo-tidien, la rubrique était “faite dans lestyle des années 50, avec les recettescomme sujet principal”. Et elle “s’adres-sait aux ménagères qui devaient prépa-rer le repas du soir”. La direction dujournal a finalement décidé de luidonner une nouvelle physionomie audébut de l’année 2001. The Sun a alorsdemandé à l’un de ses journalistes lesplus en vue, Arthur Hirsch, de s’oc-cuper des pages gastronomiques. Unegrande partie des articles qui les com-posent sont aujourd’hui dédiés à lacuisine locale.Vu l’étrangeté de l’uni-vers culinaire de Baltimore – un uni-vers truffé de provincialismes mer-veilleux, avec des quantités de chairde crabe et de croquettes de morueprises en sandwich entre deux biscuitssalés tartinés d’une épaisse couche demoutarde – il y a de quoi faire unerubrique très vivante et offrir toutautre chose que ce que proposait sapremière et pâle incarnation.

The New York Times, quant à lui,ne tient pas à faire dans le “local”. Ses

pages Gastronomie du mercredi fontvoyager le lecteur dans le mondeentier, de Sydney à Moscou en pas-sant par Buenos Aires. Ses journalistesculinaires explorent l’inconnu et décri-vent des spécialités aussi exotiquesque le pisco [eau-de-vie] péruvien oule carrelet de la Baltique. Les repor-tages décortiquent les subtilités desvins espagnols, les plaisirs de la cui-sine de terroir française ou l’art et lamanière de préparer un ragoût delapin accompagné de pappardelle[tagliatelle larges] coupées à la main.A en croire la majorité des chefs derubrique et des journalistes gastro-nomiques, The New York Times est laréférence absolue. Aucun d’eux nepense que les publications pour les-quelles ils officient puissent lui arri-ver à la cheville. “Pour écrire sur la gas-tronomie, il faut voyager et beaucoup allerdans les bons restaurants”, résumeR.W. “Johnny” Apple. Sinon, “vousdonnez l’impression que l’endroit où vousvivez est le centre de l’univers culinaireet ce n’est pas sain.Ce n’est pas plus sainque de disserter sur les affaires étrangèresen restant assis à Washington, sans jamaisavoir connaissance de points de vue dif-férents, ou de parler de campagnes poli-tiques sans jamais descendre de l’avionpour parler aux gens.”

Le rédacteur en chef de Saveur,Colman Andrews, qui écrit sur la gas-tronomie depuis les années 70, fait luiaussi remarquer que le journalismeculinaire a beaucoup évolué. Pas for-cément par la qualité de l’écriture,mais surtout par le niveau et la variétédes informations qui sont fournies auxlecteurs. On ne peut plus se conten-ter de parler des seuls ingrédients. Lesconnaisseurs ont besoin de savoir que“la paella était un plat que mangeaientles vendangeurs qui travaillaient dans lesvignes autour de Valence ; à l’époque,on la faisait cuire sur un feu de bois.Lors-qu’on sait ce genre de choses, on a unerelation très différente avec les alimentsqu’on achète (ou ce qu’on cultive) etqu’on cuisine.”

Saveur a donné aux journalistesqui s’intéressaient à la gastronomieun espace où ils pouvaient “approfondirle sujet. Il y a dix ans, on n’aurait jamaispu lire ces grands reportages de JohnnyApple sur le cognac et l’armagnac.” Lemagazine s’est doté de ressources à lahauteur de ses ambitions. Son prin-cipal photographe “est allé dans lemonde entier. Il a dormi dans des huttesde pêcheurs au Japon et passé du tempsavec les femmes qui préparaient les cor-nichons dans les fermes russes… Il fautêtre prêt à briser les conventions, et c’estce que nous avons fait. Nous avons mon-tré aux gens ce qui pouvait être réalisé.Et le travail est bien plus gratifiant pourles journalistes. Je pense que le magazinea inauguré une nouvelle ère.”

Vêtue de noir des pieds à la tête,portant des bijoux d’argent, la rédac-trice en chef du magazine Gourmet,Ruth Reichl, est assise à une tableronde dans son bureau. Une orchidéetrône devant une baie vitrée donnantsur Times Square [à New York]. Noussommes loin des bureaux gris et

miteux de Saveur. Ruth Reichl a étéresponsable de la rubrique Gastrono-mie du Los Angeles Times, puis critiquegastronomique au New York Times avantde céder sa place à William Grimes.Malgré l’étalage de signes extérieursde pouvoir, Ruth Reichl semble avoirconservé le côté intellectuel qui l’a pro-pulsée de son travail de serveuse à AnnArbor, dans le Michigan, à la directionde Gourmet, le magazine gastrono-mique le plus ancien du pays, en pas-sant par l’époque où elle fouillait dansles poubelles du magasin de produitsbiologiques labellisé “whole earth foods”dans une ville de Californie.

UN INTÉRÊT ET DES RUBRIQUESENTIÈREMENT RENOUVELÉS

Pour Ruth Reichl, écrire sur la gas-tronomie “demande une grande éten-due de connaissances”. Un sourire vientfréquemment sur ses lèvres lorsqu’elleparle. Selon elle, tout auteur culinairedoit s’intéresser à la politique. Lors-qu’elle a été chargée des pages Gas-tronomie du Los Angeles Times, en1990, celles-ci “faisaient honte à voir.Elles étaient écrites en mauvais anglaiset leur présentation était abominable.”Elles généraient pourtant des millionsde dollars grâce aux espaces publi-citaires que s’arrachaient les différentssupermarchés. Mais la direction dujournal n’accordait pas d’importanceaux articles. La rubrique servait toutsimplement de vache à lait et payaitles salaires des journalistes et desrédacteurs des autres sections du jour-nal. De banales photographies deboîtes de soupe Campbell et d’autresproduits assuraient le côté “artis-tique”. Les pages étaient meublées dedépêches d’agence de presse, et larédactrice en chef choisissait les textesdont elle avait besoin dans un cata-logue d’articles classés par ordre delongueur. “Si elle avait un espace vide,elle le comblait, peu importe avec quoi,raconte Ruth Reichl. La semaine où jesuis arrivée, j’ai tout changé.” Elle acommencé par envoyer les journalistesdans diverses communautés d’émi-grés pour étudier leur façon de fairela cuisine. Certains sont allés dans lessupermarchés juste pour “savoir ce queles gens mangeaient”. Un autre a passéun mois avec une famille qui se nour-rissait avec des tickets d’alimentation.Pendant plus d’une heure, Ruth acontinué à nous parler de son sujet defaçon presque fébrile. Puis elle a toutrésumé en nous disant : “Nous vivonsune époque extraordinaire pour le jour-nalisme culinaire.”

Le critique gastronomique du SanFrancisco Chronicle, Michael Bauer,nous a pour sa part raconté que l’unde ses confrères avait abandonné lespages consacrées aux questions homo-sexuelles – particulièrement presti-gieuses – pour s’occuper de gastro-nomie. Et que les services Actualitéet Société se battaient régulièrementpour publier les articles traitant del’univers culinaire. “Cette vague d’in-térêt pour le sujet est très excitante,conclutM. Bauer. Je crois que mon métier vafaire un énorme bond en avant.”

Doug Brown

MÉDIA ■ Au pays de lamalbouffe, quotidienset magazines accordentde plus en plus de placeà la cuisine. Et lesmeilleurs chroniqueurspolitiques cherchentsouvent à briller en écrivant des papierssur la gastronomie.

La presse américaine met les petits plats dans les grands

mult imédia●

i n t e l l i g e n c e s

� Dessin de ChrisDuggan paru dans le Financial Times,Londres.

M A G A Z I N E S

■ Saveur Créé pour “combler l’appé-tit du public à l’égard d’une véritableinformation gastronomique”, le maga-zine Saveur existe depuis une dizained’années outre-Atlantique. “Authen-tique et accessible”, le mensuel inviteses lecteurs à des voyages dans ununivers cosmopolite, mais n’oubliepas de s’intéresser “à ces zonesoubliées de l’excellence culinaire auxEtats-Unis”.

■ Gourmet “Gourmet vous aide à vivrebien.” Tel est en substance la ligneéditoriale de ce mensuel où se mêlent,pour le plus grand plaisir des lecteurs,découver tes gastronomiques etvoyages à travers le monde.

L’appétit vient en lisant

COURRIER INTERNATIONAL N° 694 52 DU 19 AU 25 FÉVRIER 2004

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THE DAILY TELEGRAPHLondres

Q uand, le mois dernier, le présidentBush a annoncé son intentiond’envoyer des hommes sur Mars,il a mentionné l’apesanteur et les

radiations comme étant les principauxproblèmes à affronter. Mais tout tendà prouver que le plus grand problèmeréside dans la composition de l’équi-page. Car les expéditions envisagéesimposeront aux astronautes de pas-ser une très longue période dans unecapsule exiguë et donc dans unegrande promiscuité. Et, à en croire cer-tains psychologues, un équipage entiè-rement composé de femmes serait lemieux adapté à une telle aventure.

Même quand elle passe au plusprès de la Terre, tous les deux ou troisans, la planète rouge se trouve à plusde 50 millions de kilomètres. Il faudraenviron six mois de voyage pour l’at-teindre, et, une fois sur place, les explo-rateurs devront encore attendre cinqcent cinquante jours avant que la posi-tion des deux planètes sur leurs orbitesne permettent le voyage de retour.Toute mission habitée sur Mars serapar conséquent un test particulière-ment éprouvant en termes d’isolementet de promiscuité : Valeri Poliakov,actuel détenteur du record de tempspassé dans l’espace, est redescendu surterre en mars 1995 après avoir vécuseulement quatre cent trente-huit joursà bord de la station Mir.

ASTHÉNIE, CRISES D’ANGOISSEET TENDANCES DÉPRESSIVES

Lors des missions de longue durée,les voyageurs de l’espace manifestentdes signes croissants de territorialité,de repli sur soi et de besoin de so-litude. En 1973 et 1974, les missionsdu Skylab de la NASA se sont pres-que immédiatement heurtées à desproblèmes psychologiques. Souffrantde troubles psychologiques, un astro-naute a modifié par erreur les sys-tèmes de commande. Lors de la troi-sième mission, les astronautes GeraldCarr, Edward Gibson et WilliamPogue avaient pour leur part un pro-gramme de travail très chargé. Si bienqu’ils ont très vite eu le sentiment deprendre du retard et se sont pro-gressivement démoralisés. Pour leurquarante-cinquième jour en orbite,ils se sont mis en grève, refusant d’ef-

fectuer les tâches prévues. Après avoirobtenu des concessions de la base,l’équipage s’est calmé et a quandmême mené à bien sa mission dequatre-vingt-quatre jours.

Les Russes ont identifié troisphases dans l’adaptation à l’espace. Lapremière, pendant laquelle l’astronautedoit s’adapter à son nouvel environ-nement, dure jusqu’à deux mois. Elleest suivie par une période de fatiguecroissante, accompagnée d’une chutede la motivation, l’asthénie. Ce quipouvait sembler auparavant passion-nant n’est plus qu’ennuyeux et répéti-tif.Vient ensuite une longue périodeau cours de laquelle l’asthénie empire,avec le développement de tendancesdépressives et l’éventuel déclenche-ment de crises d’angoisse. Les voya-geurs spatiaux deviennent alors anor-malement sensibles aux bruits ou auxinformations inattendues. Pendantcette phase, les membres de l’équipagesont facilement exaspérés et font faci-lement preuve d’agressivité. Un rap-port américain signale ainsi qu’unhomme a refusé de parler à l’un de sescamarades de mission pendant plu-sieurs jours. On évoque même deséchanges de coups. L’une des bagarresserait survenue au cours d’une partied’échecs.

A en croire Henry Cooper, auteurd’un livre sur la solitude de l’astro-naute – A House in Space [Une mai-son dans l’espace] –, trois missions aumoins auraient été annulées pour desraisons en partie psychologiques. En1976, lors du vol du Soyouz 21 à des-tination de la station spatiale Saliout 5,l’équipage a été ramené précipitam-ment sur Terre, les cosmonautess’étant plaints vigoureusement de laprésence d’une odeur âcre dans le sys-tème de contrôle environnemental dela station. La cause n’en a jamais étédécelée, et l’on peut supposer qu’ils’agissait d’une hallucination. Or lesmembres de l’équipage avaient beau-coup de mal à s’entendre. En 1985,l’équipage du Soyouz T14 en routepour Saliout 7 a été rapatrié au boutde soixante-cinq jours, Vladimir

Vassioutine affirmant souffrir d’uneinfection de la prostate. Par la suite,les médecins ont conclu que le pro-blème était entre autres d’origine psy-chologique.Vassioutine – dont c’étaitla première mission – avait pris duretard dans son travail et se sentaitstressé. Alexandre Laveïkine, lui, estrentré plus tôt que prévu du volSoyouz TM2 vers Mir,en 1987, parcequ’il se plaignait d’arythmie car-diaque. Les spécialistes n’en trouvè-rent aucune trace. Mais le cosmo-naute était très tendu, il avait commisquelques erreurs potentiellementgraves, et le courant passait mal avecson coéquipier,Youri Romanenko.

LE CAS ÉCLAIRANT DES STATIONS POLAIRES

Hommes et femmes souffrent desmêmes phénomènes psychologiquesau cours des expéditions lointaines.Que le voyage ait lieu dans les éten-dues glacées de l’Antarctique oudans l’immensité de l’espace, il fautfaire face aux problèmes d’isolementet de privation sensorielle. Les symp-tômes sont toujours les mêmes : picsd’angoisse, ennui, dépression, sen-timent de solitude, peur excessivedu danger et mal du pays.

Le Dr JoAnna Wood, du Natio-nal Space Biomedical ResearchInstitute de Houston, au Texas, aétudié le comportement des scien-tifiques et du personnel qui tra-vaillent dans les stations de recher-che en Antarctique. Elle a égalementétudié celui d’équipes placées dansun caisson de test spécial. “Au boutde quelques mois, on en a assez de voirtoujours les mêmes têtes. Les gens ontsouvent des comportements que l’onpeut trouver amusants en société, maisqui deviennent difficiles à supporter auquotidien.”

En Antarctique, les chercheursdoivent hiverner six mois sur douze.Pendant cette période, ils n’ont quepeu de contacts avec le monde exté-rieur, et les groupes ont tendance àrester confinés à l’intérieur en raisonde la température. C’est pourquoi les

chercheurs s’intéressent de près àleur comportement, facilement trans-posable aux futures missions spa-tiales de longue durée, explique leDr John Annexstad, qui a déjà dix mis-sions antarctiques à son actif. Dans cegenre d’expédition, les problèmes rela-tionnels ne jouent qu’un rôle limité aucours des premières semaines. C’estlorsque les membres de l’équipe sesont familiarisés avec leur nouveaumilieu qu’ils commencent à se révol-ter contre l’autorité et les autres. Uneétude réalisée dans une station polairea montré que 85 % des participantsavaient présenté des symptômes dedépression, 65 % des comportementsde colère ou d’hostilité, 60 % destroubles du sommeil et 53 % destroubles cognitifs.

Il va donc falloir que les psycho-logues trouvent de nouveaux moyenspermettant de sélectionner des équi-pages capables de ne pas craquerdans un environnement confiné. Ortout porte à croire que les sujets lesplus adaptés sont les femmes. Ellesont en effet tendance à être plus tolé-rantes vis-à-vis de leurs coéquipiers.Dans les équipages composés d’élé-ments féminins, note le Dr Annexs-tad, la concurrence semble moinsacharnée et l’atmosphère est appa-remment moins tendue. Reste que laprésence d’une femme dans ungroupe d’hommes a également deseffets déstabilisants à cause, entreautres, des tensions sexuelles. Maisil ne faut peut-être pas accorder unetrop grande importance à ce pro-blème : des travaux récents indi-quent que les astronautes subissentrapidement une baisse considérablede leur production d’hormonessexuelles.

Histoire de mettre toutes leschances de notre côté, nous aurionsdonc peut-être intérêt à envoyer unéquipage entièrement féminin plu-tôt que mixte. Se poseraient cepen-dant quelques questions d’ordremédical. L’apesanteur provoque eneffet une perte de la masse osseuse.Et les femmes sont plus exposées queles hommes au risque d’ostéoporose.“C’est probablement le principal argu-ment contre l’envoi de femmes surMars”, déclare le Pr Millie Hughes-Fulford, spécialiste de l’ostéoporoseà l’université de Californie à SanFrancisco, qui a volé à bord de lanavette spatiale en 1991. Les femmesastronautes pourraient certes prendredu calcium, mais cela pourrait entraî-ner la formation de calculs rénaux,ajoute le Dr Arnauld Nicogossian, dela NASA. Raj Persaud

PSYCHOLOGIE ■ Unecohabitation deplusieurs années dansun espace très restreintne peut que créer des tensions entreastronautes. Or lesétudes montrent queles femmes résistentbeaucoup mieux que les hommes.

La conquête de Mars réservée aux femmes ?

sciences●

i n t e l l i g e n c e s

COURRIER INTERNATIONAL N° 694 53 DU 19 AU 25 FÉVRIER 2004

� Dessin de SteveFricker paru dans The DailyTelegraph, Londres.

■ PionnièresMoins de 10 % des astronautes sont des femmes.Depuis le vol de ValentinaTerechkova,en 1963, seulement41 femmes ont voyagé dansl’espace, contre393 hommes.Si la plupart sontaméricaines,il faut compter trois Russes,deux Canadiennes,une Française(Claudie Haigneré),une Anglaise et une Japonaise.Quatre sont mortesdans l’explosion des navettesChallenger (1986)et Columbia (2003).

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Toute l’actualité internationale

au jour le jour sur courrierinternational.com

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OUTLOOKNew Delhi

D u mercure délétère d’Espagne etde Russie, de l’amiante cancéri-gène du Canada, des ressortsd’acier défectueux, des assiettes

en aluminium et de l’arsenic del’Union européenne, des navires duRoyaume-Uni chargés de déchetstoxiques, des composants électro-niques usagés des Etats-Unis et deSingapour, du PVC et des résidusplastiques des Etats-Unis et du Dane-mark, des effluents pétroliers nocifsdu Moyen-Orient, des crasses de zincet des batteries au plomb… Cette listeinquiétante est celle de tous les déchetstoxiques que l’Occident déverse régu-lièrement sur le territoire de l’Inde.

Le gouvernement indien est signa-taire de la Convention de Bâle (1988),qui interdit le trafic transfrontalier desdéchets dangereux. Et le Parlementde New Delhi a voté en 1989 une loisur la gestion et le traitement de cetype de déchets – loi qui, il est vrai,n’a été amendée que l’année dernière.Mais il apparaît que les autorités nefont pas grand-chose pour faire res-pecter ces textes. Elles continuent delaisser entrer illégalement près de1 million de tonnes de déchetstoxiques par an dans le pays. Quatre-vingt-dix pour cent de ces résidusvenant de ce qu’il est convenu d’ap-peler les pays développés.

UN IMMENSE MARCHÉ DERÉCUPÉRATION ET DE RECYCLAGE

Le déversement de déchets toxiquessur le territoire indien a pris de tellesproportions que la Cour suprême adonné, il y a quelques mois, desconsignes rigoureuses au ministre del’Environnement et des Forêts afinque soient comblées les lacunes de lalégislation nationale. Elle a par ailleurs

confié au Conseil central de contrôlede la pollution (CCCP) un rôle dechien de garde, le chargeant de sur-veiller les quantités et la nature desdéchets arrivant par les côtes du sous-continent. “Malgré les restrictions desimportations de déchets dangereux, lesgens ont trouvé des moyens de contour-ner la législation. Il est vrai que degrandes quantités de déchets toxiques sontimportées en toute illégalité.Quelles quan-tités, au juste ? Nous n’en avons aucuneidée.Nous avons lancé une étude pour lesavoir”, reconnaît M. N. Hosabettu,directeur du service de gestion dessubstances dangereuses au ministèrede l’Environnement.

Mais pourquoi l’Inde s’obstine-t-elle donc à importer des déchetstoxiques ? La première raison estd’ordre économique : les petits impor-tateurs indiens les recyclent pour enextraire des métaux lourds tels que lezinc, le plomb et le cuivre, qui sontensuite écoulés dans les circuits com-merciaux intérieurs. Ainsi, avant queDelhi ne limite les importations descories de zinc, en 1997, le zinc récu-péré à partir des crasses et des résidusfournissait régulièrement une matièrepremière bon marché à la petiteindustrie. Le démontage des naviresdésarmés alimente également unimmense marché de récupération del’acier. Ce secteur, qui est concentrésur quelques villes portuaires commeAlang, dans le Gujarat, emploie envi-ron 50 000 ouvriers, qui sont constam-

ment exposés à des substances haute-ment toxiques, telles les émanations depeintures, les poussières d’amiante etle plomb. En novembre dernier,Greenpeace India a tiré la sonnetted’alarme pour dénoncer le cas duGenova-Bridge, un vieux cargo britan-nique voué au transport des déchetstoxiques, qui allait être mis en piècesdans les chantiers navals d’Alang.

DES RISQUES SANITAIRESDIFFICILES À MESURER

L’importation de déchets dangereuxprésente d’autant plus de risques quel’industrie indienne du recyclage (quiparticipe essentiellement du secteurinformel) n’est ni équipée pour élimi-ner les matériaux toxiques en toutesécurité, ni consciente des graves dan-gers sanitaires et écologiques queposent les décharges à ciel ouvert. Carles résidus de plomb, de zinc, de mer-cure, d’arsenic et d’amiante abandon-nés à l’air libre peuvent très facilementcontaminer l’atmosphère et les nappesd’eau souterraines. De même, l’inci-nération des déchets issus du démon-tage des navires et des appareils élec-triques risque de rejeter des gaz nocifsdans l’atmosphère si elle n’est pas effec-tuée à une température suffisante. C’estpourquoi, depuis quelques années, lalégislation indienne s’efforce d’empê-cher les importateurs de faire entrerdans le pays des déchets contenant desmétaux lourds en dehors de toutcontrôle.

“Les dernières directives de la Coursuprême ont comblé les nombreux videsjuridiques du système indien”, assureSanjay Parikh, avocat de la Fondationde recherches pour la science, la tech-nologie et l’écologie. Cette ONG avaitdéposé une plainte en justice en 1997,affirmant que l’afflux de déchetstoxiques occidentaux avait atteint desproportions dangereuses. M. Parikhprécise néanmoins que plusieurs tac-tiques permettent de continuer àdéverser en Inde ce type de polluants,et notamment les effluents pétroliersdu Moyen-Orient. Parmi l’un des der-niers incidents en date, 41 000 tonnesde dérivés toxiques du pétrole ontété subrepticement retirées d’undépôt de marchandises à Ludhiana.“Les déchets passés à la clandestinité,explique-t-il, sont ensuite soit mélangés

à des huiles de vidange automobiles pourrepartir dans les circuits légaux, soit pure-ment et simplement répandus dans desdépotoirs non surveillés.”A l’heure où l’Occident élimine pro-gressivement les substances nocivesde ses procédés de fabrication, le sec-teur manufacturier indien continue àles utiliser. L’exemple du mercure eston ne peut plus éloquent. Les pays endéveloppement ont rigoureusementlimité les applications de ce produitextrêmement toxique. La contami-nation de l’eau par le mercure peuten effet provoquer des maladies pul-monaires et rénales chroniques, destroubles neurologiques irréversiblesou des malformations congénitales.Or, entre 1996 et 2002, les importa-tions de mercure ont été multipliéespar six en Inde. Ce composant a plusde trois mille applications, dont lafabrication de soude caustique, delampes fluorescentes et d’appareilsélectriques. “A l’heure actuelle, l’Indeimporte chaque année 1 858 tonnes demercure et de composés du mercure, et99 % de ces quantités rejoignent les cir-cuits de l’industrie locale et échappentà tout contrôle”, déplore Chandra Bhu-shan, responsable du Centre pour lascience et l’environnement.

L’autre grande importation sau-vage de polluant concerne l’amiante.Cette substance dont on connaît per-tinemment les dangers – l’inhalationrégulière et prolongée de poussièred’amiante est responsable de cancerset de graves maladies respiratoires – aété bannie par 36 pays. En août 2003,le ministère de la Santé indien a misen garde contre ses effets néfastes,mais cela n’a pas suffi à empêcher l’im-portation de 120 000 tonnes de cettesubstance la même année (essentiel-lement en provenance du Canada, oùl’amiante est interdit) afin d’alimen-ter une industrie qui pèse quelque10 milliards de roupies [175 millionsd’euros]. “Il est grand temps que l’Indeinterdise à son tour l’amiante.Lorsque lesrisques sanitaires sont aussi patents,nousdevons imposer une sélection rigoureusede nos matières premières”, estime DilipBiswas, ancien directeur du Conseilcentral de contrôle de la pollution.

Les déchets électroniques issus desordinateurs et des appareils ménagersusagés posent également un problèmede plus en plus grave. Une étude del’ONG Toxics Link a démontré qu’en-viron 30 tonnes d’“e-déchets” arri-vaient chaque mois en Inde par lesports du Gujarat. Les risques sanitairessont énormes, car un ordinateur ren-ferme plus d’un millier de pièces enmatériaux toxiques : cadmium, PVC,mercure, plomb, etc. “En Occident, lesmodèles évoluent si vite que l’année pro-chaine 300 millions de micro-ordinateurspartiront à la poubelle aux Etats-Unis”,souligne Ravi Aganwal, directeur deToxics Link. Et, depuis que la Chine afermé ses frontières aux importationsd’e-déchets, l’Inde est devenue la plusgrande poubelle informatique dumonde. Si l’Inde persiste à accueillirles rebuts du monde entier, il n’y aurabientôt plus qu’un pas entre le dépo-toir et le cimetière. Anupreeta Das

POLLUTION ■ En important et en recyclant plus d’un million detonnes de déchets toxiques par an,souligne le magazine Outlook,l’Inde prend le risque de véritablescatastrophes sanitaires.

L’Inde, poubelle du monde développé

i n t e l l i g e n c e sécologie

COURRIER INTERNATIONAL N° 694 54 DU 19 AU 25 FÉVRIER 2004

De la science-fiction accessible à tous,même à ceux qui n’en lisent pas.Par Raymond Clarinard.Ed. Florent Massot. 15 €

“Le 31 décembre 5975,le monde changea une nouvelle foisde face.”

� “Un jour, mon fils,tout ça sera à toi.”Dessin de SergioLanger paru dans Clarín,Buenos Aires.

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La Suède, pionnière desenterrements écologiques

tendance ●

COURRIER INTERNATIONAL N° 694 55 DU 19 AU 25 FÉVRIER 2004

Internet révolutionnele langage des sourds

Maria José, Conceptión, Cecilia, Glenda, MariaJesús… En 2003, plus de 100 Espagnoles ont

été assassinées par leur conjoint, leur compagnon ouleur ex. En 2002, la violence domestique faisait 65 vic-times. Pour lutter contre la recrudescence de cesagressions, la communauté de Madrid délivre gratui-tement depuis le mois de janvier des “bracelets de

protection contre les mauvais traitements” auxfemmes qui se sont placées sous la protection dela justice. Ce bracelet fonctionne en complément d’unbrassard, que devront porter les personnes condam-nées pour agression. En cas d’alerte, l’appel aboutitdirectement aux services d’urgence, où intervient unesection spécialisée. (ABC, El Mundo, Madrid)

E n Belgique, Arafat et Chirac s’af fichentsous les Abribus. Le président

de l’Autorité palesti-nienne est scotché àun mannequin, le pré-sident français à Pier-re Wynants, le chef

du restaurant Comme chez soi. Les deux per-sonnalités sont en campagne – de pub – pourun hebdomadaire. Le Vif-L’Express entend ain-si vanter ses deux facettes : l’info sérieuse etla détente. Mais combien coûte la notoriétéd’un Chirac ou d’un Arafat ? Pas un sou, se-lon Le Soir de Bruxelles. Young & Rubicam,l’agence conceptrice de la pub, estime que“l’image de ces personnages publics est libre dedroits à condition d’être utilisée dans le cadre deleur activité publique”. Et penser qu’une marquecomme Chanel a versé 2 800 000 dollars à Ni-cole Kidman, sa nouvelle égérie…

Brassard électronique Son port sera imposé, par décision de justice, aux personnes ayant été condamnées pour mauvais traitements, en complément de leur peine. Outil de prévention, il vise à garantir l’application des mesures d’éloignement.

Bracelet et boîtier d’alerte Ils seront fournis gratuitement aux victimes de violences domestiques qui ont déposé une plainte.

Système GSM d’aide aux victimes de violences domestiques

VICTIME AGRESSEUR

BraceletRayon d’action : 500 mètres, englobant le domicile et ses environs.

Boîtier d’alerte La victime l’actionne quand elle se sent en danger.

Brassard électroniqueSe déclenche lorsque l’agresseur

s’approche de sa victime habituelle à une distance de moins

de 500 mètres ou quand il tente d’enlever l’appareil.

Les signauxIls sont émis (automatiquement ou manuellement)

depuis le bracelet, le brassard et le boîtier. Le message arrive au 112 (numéro d’urgence).

500 mètres

Sour

ce :

“ABC

Un bracelet élecronique pour les femmes battues

L a multiplication des webcamsprovoque une révolution tran-

quille dans le langage des signes.Selon une étude réalisée par le pro-fesseur d’anthropologie ElizabethKeating et publiée dans la revuescientifique Language in Society,ces minicaméras vidéo qui émet-tent sur la Toile sont en train debouleverser le langage des signesaméricain (ASL), la lingua francades sourds.Contrairement au téléscripteur, lawebcam permet aux sourds decommuniquer dans leur proprelangue. Cependant, l’étroitesse duchamp de vision et la perspectiveen deux dimensions occultent cer-taines nuances. L’ASL doit doncs’adapter. Pour compenser la len-teur du débit sur la Toile, la vitessedes signes est modifiée. En outre,du fait des problèmes techniques,les signes sont de plus en plusrépétés et prolongés.Le langage des signes est plusqu’un simple système manuel : ils’agit d’une langue à part entière,d’un système complexe qui reposesur une multitude de facteurs allantdu mouvement des sourcils auxexpressions du visage. Il permetsouvent de transmettre simultané-ment des informations qui seraienttraitées l’une après l’autre dans lelangage parlé. “La figure réaliséepar la main, l’orientation, la posi-tion dans l’espace et le mouvementconstituent tous des élémentsimportants de la communicationpar signes”, écrit le Pr Keating. Les“signeurs” ont donc commencé à

modifier leurs mouvements ou laposition de leur corps pour com-penser les problèmes de perspec-tive posés par la communication parwebcam. “Quand Bob, par exemple,forme un certain signe [devant lawebcam], il tourne la tête de côtépour montrer comment la main estplacée par rapport au nez”, expliquele Pr Keating.Il n’aurait pas eu besoin de faire cegeste s’il avait été face à son inter-locuteur. Sur la Toile, le signe signi-fiant “trois” est compris “deux” s’ilest montré sous un seul angle. Lessigneurs le réalisent donc sous desangles différents pour être sûrs dese faire comprendre. Certains for-ment leurs signes plus haut qued’ordinaire. Le signe pour “bébé”,par exemple, se forme normalementau niveau du ventre, mais certainsle font au niveau du menton.En dehors des contraintes imposéespar une technologie imparfaite, lawebcam introduit un nouvel élémentdans ce mode de communica-tion: la proximité des mains par rap-port à la caméra. En rapprochantsimultanément les mains de l’ob-jectif on augmente leur taille surl’écran récepteur, ce qui ajoute uneemphase non verbale à l’échange.Cet aspect permet de compenserles expressions faciales qui peuventêtre floues sur l’écran d’un ordina-teur. Tout cela fait partie d’un pro-cessus global de “réorientation ducorps vers l’œil technologique de lacaméra”, note l’auteur de l’étude.

Joseph Brean, National Post, Toronto

Ecologistes, vous êtes plei-nement décidés à vivre – etmême à mourir – en accord

avec vos convictions ? Une entre-prise suédoise a une propositionglaçante pour vous : congeler votrecadavre, puis, au moyen de vibra-tions, réduire vos os en poudre pourles transformer en compost.Cette idée novatrice vient d’unechercheuse suédoise, la biologistemarine Susanne Wiigh-Mäsak.Enterrements et crémations tradi-tionnels laissent des traces demétaux comme le mercure et déga-gent des vapeurs toxiques : ils sontdommageables pour l’environne-ment, estime-t-elle. Son entreprise,Promessa Organic, offre une bienmeilleure solution : congeler lescadavres à 18 degrés au-dessousde 0, puis les plonger dans l’azoteliquide. Cela fragilise le corps ; desvibrations le transforment en unepoudre, dont toute l’eau s’évaporeaprès passage en chambre à vide.

Mais cette poussière, évoquée dansla Bible, est pleine de polluants. Pro-messa Organic la filtre donc grâceà des séparateurs de métaux et àdes désinfectants. Une fois proprecomme un sou neuf, cette sub-stance peut être répandue à terre,ou placée dans un cercueil en farinede maïs, recyclable lui aussi, quisera enterré à faible profondeur. “Lecontenu se transforme en composten six mois environ. Les parentspeuvent planter un arbre ou uneplante qui se nourrira du corps etse convertira en symbole dudéfunt”, explique Susanne Wiigh-Mäsak sur le site web <http://www.promessa.se/index_en.asp>,où elle explique ses services.Selon la biologiste, ces enterre-ments écologiques “réduiront l’im-pact environnemental sur les res-sources les plus importantes de laplanète, comme l’eau, l’air ou laterre. Il y a beaucoup de situationsoù les êtres humains refusent les

contraintes qui leur sont imposées,comme le fait que notre temps surterre soit limité. Cette propositiond’enterrement écologique nous per-met de continuer à exister, parcela seule limite devient la vie à l’in-térieur du corps”, soutient-elle.Susanne Wiigh-Mäsak, née à Göte-borg, a étudié à l’université de cetteville suédoise en 1979. C’est en1997, avec l’achat d’une grandeserre, qu’elle a commencé à tra-vailler sur les engrais et à étudierla possibilité de faire participer lescadavres humains au cycle biolo-gique – sans polluer.Ce qui apparaissait comme uneblague voilà seulement cinq anscommence à trouver un écho favo-rable auprès de ses compatriotes.Beaucoup de jeunes Suédois pré-fèrent les enterrements “verts” auxenterrements traditionnels, a déclaréle directeur de l’administration ducimetière de Jönköping à la BBC.Rosa M. Tristan, El Mundo, Madrid

Célèbres pas chers

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LA STAMPATurin

L’Etat du Michoacán est célèbre dans le mondeentier pour deux attractions touristiques quiattirent des légions de visiteurs venus desquatre coins du monde. La première est la ville

coloniale de Pátzcuaro, avec son lac homonyme,où se déroule au début de novembre la plus impres-sionnante cérémonie de la “fiesta de los muertitos”[la Fête des morts, l’une des fêtes les plus popu-laires du Mexique]. La seconde est ce qu’on appellele “sanctuaire du papillon monarque”, où cent mil-lions de lépidoptères bigarrés viennent se poser(entre novembre et avril) après avoir quitté leCanada, puis survolé les Etats-Unis et une grandepartie du Mexique.

La côte Pacifique du Michoacán, en revanche,reste pratiquement ignorée par le tourisme demasse ; elle n’est d’ailleurs même pas mentionnéedans les guides européens ou américains. Ceuxqui en reviennent gardent jalousement le secret,comme s’ils craignaient de la voir envahie pardes parasites débraillés ou redoutaient d’attirerdes spéculateurs prêts à la saupoudrer d’hôtelsen forme de pyramides, de clubs de vacancesavec forfait intégral, de terrains de golf pompeursd’eau et de fast-foods pour tous les dé-goûts…Mais n’ayons crainte : les habitants de la côte duMichoacán, qui ont les épaules solides et les idéesclaires sur le sujet, sont bien décidés à résister àune telle invasion. S’il peut sembler étrange devoir intouchées ces baies d’une inestimable beautéalors qu’elles ne sont pas loin des stations ultra-touristiques d’Acapulco, d’Ixtapa ou de Zihuata-nejo, au sud, ni des usines à divertissement dePuerto Vallarta, au nord, il suffit de connaître lesgens qui habitent Maruata et ses environs pourcomprendre comment une telle merveille a pumystérieusement rester vaccinée contre le béton.

Michoacán signifie “terre des pêcheurs” dansla langue des Purépecha, que l’on appelle aussiTarasques, un peuple guerrier qui fut le seul aveclequel les Aztèques, jadis, se virent contraints detraiter, faute de pouvoir les dominer militairement.“Terre des pêcheurs” fait référence aux nombreuxfleuves et lacs poissonneux qui rendent cet Etatsi vert et si boisé. Dans le lac Pátzcuaro prolifère

une espèce de poisson – aujourd’hui encore nom-mée simplement pescado blanco [poisson blanc] –qui n’existe nulle part ailleurs sur la planète. Maisle pouvoir des Purépecha ne s’étendait pas jusqu’àla côte de l’océan Pacifique. Celle-ci fut occupéepar des peuples de souche aztèque parlant lenahuatl, une langue qui est toujours utilisée dansles communautés indiennes des Nahua, le long dela côte et dans l’immédiat arrière-pays.

Suivirent des siècles de résistance au colo-nialisme espagnol, incarné par le cruel et bornéNuño de Guzmán, dont les sanglants excès atti-rèrent ici MgrVasco de Quiroga, grand humanisteet inlassable défenseur des Indios. Ces terres don-nèrent ensuite au Mexique le plus aimé de sesprésidents, Lázaro Cárdenas [1934-1940], quidéfia la toute-puissance des firmes américainesen nationalisant le pétrole, qui fit une réformeagraire juste et moralisa la vie politique nationaleen se distinguant par une grande honnêteté. Illaissa à l’évidence une trace profonde sur son Etatd’origine : le Michoacán, en effet, continue à jouerun rôle pionnier dans la confédération en matièrede respect des droits fondamentaux et de déve-loppement durable.

Forts de leurs droits constitutionnels et des loisen vigueur depuis l’ère Cárdenas, les Nahua dé-tiennent un contrôle administratif effectif sur leterritoire littoral. Et cela leur permet de montrerau reste du Mexique qu’il est possible de progressersans tout dévaster et que l’on peut jouir des fruitsdu tourisme sans détruire un écosystème fragiledans lequel on trouve préservées des espèceséteintes partout ailleurs.

Maruata, la plus célèbre bourgade de cette côte,est située à environ une heure de route de la villede Lázaro Cárdenas. Elle tire son nom de la mau-vaise prononciation d’une phrase nahua : “Matianpa la mar”, qui signifie “Allons à la mer”, car sabaie offrait à l’époque coloniale le seul point d’ac-costage sur le littoral.A Maruata, on se préoccupe

tout particulièrement du sort des tortues : deséquipes de volontaires, aidées par des experts enbiologie et par des fonctionnaires du gouverne-ment local, se dépensent sans compter pour pro-téger la ponte des œufs… et surtout éviter qu’ilsne terminent dans une casserole.

Maruata est aujourd’hui un village de masureset de cabanes, avec des groupes de bungalows etdes restaurants attenants (le tout géré par la com-munauté nahua locale) nés d’une extraordinaireprise de conscience écologique, profitant même dutravail bénévole d’un ingénieur canadien (sûrementun nudiste tombé amoureux de l’endroit), dontl’apport a permis la construction d’un systèmed’égouts avant-gardiste qui ne pollue pas le sous-sol et ne se déverse pas dans la mer. Quant aux bai-gneurs, on leur recommande de ne se risquer dansles flots qu’à certains endroits de la baie, dissé-minés parmi ces rochers taillés à la serpe qui sem-

UN COIN DU MEXIQUE IGNORÉ DES TOURISTES

voyage ●

Parmi les plus belles du Mexique, les côtes du Michoacán, qui courent sur quelque 250 kilomètres, sont restéespresque vierges, car leurs habitants, les Indiens Nahua, font tout pour préserver leur environnement de l’industrie touristique.

COURRIER INTERNATIONAL N° 694 56 DU 19 AU 25 FÉVRIER 2004

Jours tranquilles au bord du Pacifique

� Sur les rives du Río Neixpa,peu de chances de croiser des hordesde touristes.

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■ DangerL’environnement del’Etat du Michoacánest en péril.C’est ce qu’expliqueGuillermo VargasUribe, responsablerégional du développementdurable, rapporte le quotidien localCambio de Michoacán.En raison de la pauvreté des habitants,les questionsécologiques sont actuellementreléguées au secondplan. “Il faut d’abord éradiquer le chômage etaugmenter le niveaude vie de nosconcitoyens, conclutle fonctionnaire.Ils feront alorsdavantage attentionaux problèmes de pollution.”

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blent nous parler d’apocalypses survenues auxaurores de l’humanité. Avec ses eaux chaudes,l’océan au nom moqueur est tentant, mais il nepardonne pas la moindre imprudence. Pour bar-boter tranquillement parmi les vagues, mieux vautse rendre un peu plus loin.

Non loin de Maruata, d’autres paysages d’unerare beauté sont à découvrir : les criques de LasPenas, qui témoignent elles aussi des coups decolère de Dame Nature à l’époque des cataclysmesvolcaniques ; ou bien Barra de Neixpa, petit para-dis pour les surfeurs ; ou encore Caleta de Cam-pos, qui, contrairement au reste de la côte, proposedes hôtels et des plages immenses. Mais c’est là unautre monde comparé à l’intime Maruata et auxlocalités situées plus au nord-ouest : d’abordColola, un autre village avec des bungalows et uneplage infinie où le Pacifique est éternellement bel-liqueux ; puis Faro de Bucerías (à une demi-heurede route de Maruata), où une série de petitescriques peuplées de canots de pêcheurs signalequ’il est enfin possible de se baigner sans craindreles grosses lames et les courants.

Et puis il y a La Manzanillera, peut-être le lieule plus enchanteur de toute cette côte. Depuis lesbungalows, nichés dans une petite baie proté-gée par deux falaises, on assiste à des couchers desoleil mémorables. Une longue promenade per-met d’atteindre de petites anses inaccessibles parla route et, en face, la Isla de los Pájaros, qui doitson nom aux milliers d’oiseaux qui y font leurs

nids : des pélicans, en guerre permanente avec lesmouettes, et des tijerillas (gigantesques hirondellesde mer, de la famille des sternes) qui tentent demanger leurs œufs.

Dernières étapes du périple : Ixtapilla, avec sescactus qui poussent presque jusqu’au rivage, etLa Ticla, autre paradis pour surfeurs, qui est sur-tout fréquentée par des jeunes en quête d’une viepalpitante, c’est-à-dire lente jusqu’à en être ana-chronique, sans échéances, sans télévision, sansordinateur, sans téléphone et en symbiose aveccette nature. Un lieu où la montre devient très vitechose inutile et où les cycles du Soleil et de la Lune– si chers aux Purépecha d’avant la Conquête etaux Nahua d’aujourd’hui – scandent et règlent lavie de tous les jours. Pino Cacucci*

* Ecrivain italien, auteur de nombreux romans qui sepassent au Mexique, dont Demasiado corazón (éd. ChristianBourgois, 2001).

Les Indiens Nahuacontrôlent

tout le territoire

Y ALLER ■ Air France propose des vols directsParis-Mexico à partir de 590 euros AR. Pourrejoindre le village de Maruata, sur la côtePacifique, il y a ensuite plusieurs solutions.On peut prendre une correspondance pourGuadalajara, la capitale régionale, ou pourPuer to Vallar ta, Manzanillo, Colima City ouIxtapa. La fin du voyage se fera en voiture delocation ou en bus via Tecoman. Il n’est pasconseillé de circuler sur ces routes pendantla nuit.

SE LOGER ■ Maruata, dont la population nedépasse pas les 1 500 habitants, ne possèdepas de véritables infrastructures hôtelières.On peut en revanche y camper ou se faire logerdans des cabañas sommaires proposées parla communauté indienne. Pour trouver deshôtels, il faut se rendre à San Juan de Alima,à Caleta de Campos – le paradis des surfeurs –ou à Playa Azul. Cette dernière bourgade estune petite station balnéaire bordée d’unelagune formée par les affluents du Río Balsas.Elle attire de nombreuses familles mexicaineslors de la semaine de Pâques. L’hôtel Costade Oro (536 02 51) est un établissement fami-lial qui propose des chambres propres et bonmarché. Un peu plus cher, l’hôtel Maria TeresaJericó (536 00 05) offre piscine, bar-restau-rant et parking.

MANGER ■ Les produits de la mer, bien sûr. Laspécialité régionale, impossible à manquer, estle pescado relleno, poisson frit farci de cre-vettes, de poulpe et de fruits de mer.

À VOIR ■ Trois espèces de tor tues marinesviennent chaque année pondre leurs œufs surles plages de Colola et de Maruata : la tortuenoire, dite aussi tortue prieta (Chelonia agas-sizi) et qui ne vient pondre qu’à Maruata, lagolfina (Lepidochelys olivacea), et la plusgrande, la laúd (Dermochelys coriacea), quipeut mesurer jusqu’à 2,50 m. La période dereproduction va de juillet à octobre ounovembre. La tor tue noire est considéréecomme une espèce en voie d’extinction. Depuis1986, les plages de la région où elles pondentont été déclarées zones de réserve naturelle.

L’ensemble des informations pratiques sur la région, enrichi de liens, peut être consultésur le site de Courrier international :

courrierinternational.com

c a r n e t d e r o u t e

COURRIER INTERNATIONAL N° 694 57 DU 19 AU 25 FÉVRIER 2004

Pátzcuaro

MoreliaIle de Janitzio

VolcanParicutín

LázaroCárdenas

Caleta deCampos

Ixtapa Zihuatanejo

COLIMAJALISCO

GUANAJUATO

GUERRERO

OCÉANPACIFIQUE 100 km

MICHOACÁN

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AcapulcoMexico

PuertoVallarta

ÉTATS-UNIS

MEXIQUE

LacPátzcuaro

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1000 km

� Entre Barra deNeixpa et La Ticla,l’une des nombreusescriques attitrées des surfeurs.

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le l ivre ●

é p i c e s & s a v e u r s

ESPAGNE ■ La pluscatalane des sauces

L e xató est la salade la plus importante dela cuisine catalane, car elle mêle les pro-duits de la campagne et ceux de la mer.

D’aucuns assurent qu’il est né à Vilanova i laGeltrú ou à Sitges ; d’autres soutiennent qu’ila vu le jour à El Vendrell. Quel que soit le lieude naissance du xató, sa préparation puiseaux plus anciennes coutumes des régions duGarraf, du Penedès et de Tarragone.Personne ne conteste que le xató était à l’ori-gine un plat d’hiver. La plupart de ses ingré-dients ne sont pas des produits frais de saison(anchois, morue séchée émiettée, olives, thonà l’huile, etc.). Le xató était le plat de subsis-tance des gens qui vivaient de la mer les joursoù ils ne pouvaient pas sortir pêcher.Mis à part les ingrédients propres à telle outelle localité, il n’a qu’un secret : sa sauce, quiconcentre une bonne par tie de la sagesseancestrale de notre peuple. Chaque cuisinieret chaque maîtresse de maison a sa proprerecette, ou sa propre manière de préparer cettesauce, comme on peut l’observer lors desconcours de mestres xatonaires [maîtres èsxató], qui ont lieu dans la plupart des huit com-munes de la route du xató.La sauce peut accompagner une portion de tor-tilla (omelette) froide ou un gâteau d’omelettes.Elle peut aussi servir d’assaisonnement pourdes salades amères comme la chicorée ou lesendives, et se mariera à merveille avec del’agneau ou du lapin grillé.

La sauce du xatóIngrédients (pour 4 personnes) ■ 100 gd’amandes et 60 g de noisettes grillées etpelées ■ 8 ñoras (piments forts de Murcie)■ 4 gousses d’ail ■ Mie de pain ■ Huile d’olivevierge, vinaigre et sel. Certains ajoutent dupersil haché.Préparation ■ Piler dans un mortier l’ail et lesel, puis ajouter les amandes et les noisettes,et continuer à piler jusqu’à obtenir une pâtehomogène ■ Ajouter la pulpe des piments,qu’on aura mis au préalable à tremper dans del’eau chaude, et continuer à piler ■ Incorporerensuite la mie de pain imbibée de vinaigre et,quand tout est bien lié, ajouter l’huile et conti-nuer à tourner jusqu’à ce que la sauce prennela consistance voulue.

5 A Taula*, La Vanguardia, Barcelone* Littéralement “5 à table”, nom d’un collectif formé de cinqgourmets catalans.

DEUX BEST-SELLERS INATTENDUS

avec la crise économique et l’affaiblissement du pou-voir politique, il n’y a plus de place pour la contes-tation de masse.”

La remise du prix Akutagawa ayant eu cetteannée un très fort retentissement, les commandesaffluent dans toutes les librairies du pays. Débutfévrier, les ventes de Keritai senaka avaient déjàatteint la barre des 500 000 exemplaires. Mêmephénomène pour Hebi ni piasu, qui, imprimé audépart à 7 000 exemplaires, a fait l’objet de plu-sieurs nouveaux tirages [les ventes avaient dépasséles 330 000 exemplaires au début de février].

On dit que la littérature est en crise, mais lesœuvres qui ont été récompensées ces dix der-nières années par le prix Akutagawa font excep-tion. Dans les années 90, des écrivains commeYu Miri, Hitonari Tsuji et Keiichiro Hirano, quiétait encore étudiant à l’Université de Kyoto,ont défrayé la chronique, et neuf ouvrages cou-ronnés se sont vendus à plus de 100 000 exem-plaires, un succès que ce prestigieux prix n’avaitpas connu dans les décennies précédentes.Compte tenu des proportions prises cette annéepar l’événement, les futurs lauréats devraientbénéficier davantage de la curiosité du public.En revanche, les autres prix littéraires n’ont pra-tiquement aucune influence sur les lecteurs.Ainsi, les prix Tanizaki ou Noma, qui ont pour-tant été décernés à des œuvres d’écrivainsmajeurs, ne font pratiquement pas progresserles ventes. Shin Osanai

ASAHI SHIMBUNTokyo

Risa Wataya a 19 ans, Hitomi Kanehara ena 20. Depuis le 15 janvier dernier, ce sontles plus jeunes lauréates du prix Akuta-gawa.Tous les anciens jeunes lauréats de

ce prix – Shintaro Ishihara, Kenzaburo Oe, RyuMurakami [qui avaient entre 23 et 24 ans quandils ont reçu la même récompense] – ont faitœuvre de pionniers en écrivant des romansd’avant-garde. En est-il de même cette fois-ci ?Et en quoi les deux ouvrages qui viennent d’êtrecouronnés sont-ils nouveaux ?

Keritai senaka [Un coup de pied dans le dos,éd. Kawade-shobo-shinsha], de Risa Wataya,décrit le sentiment complexe de distance que lepersonnage principal, une lycéenne de 16 ans,éprouve vis-à-vis de ses camarades de classe etplus généralement des individus du sexe opposé.Quant à Hebi ni piasu [Le piercing du serpent,éd. Shueisha], de Hitomi Kanehara, c’est l’his-toire d’une jeune fille qui se cherche à traversdes transformations physiques douloureusestelles que le piercing et les tatouages. Ecrits dansun style totalement différent, les deux romansse rejoignent dans leur recherche communed’une relation à autrui.

Le roman de Risa Wataya fait transparaître“une sincérité vis-à-vis de soi-même, ce qui donne àl’ouvrage un esprit positif”, a expliqué Ryu Mura-kami, un des membres du jury. Et celui de HitomiKanahara“traduit bien l’état d’esprit des jeunes fillesd’aujourd’hui, a-t-il ajouté. On sent qu’elles sonttotalement désorientées. Ce roman est nouveau en cequ’il a été écrit par une très jeune femme qui décritla mentalité de sa génération.” Ces deux ouvragesne cherchent toutefois ni l’un ni l’autre à seconfronter directement aux problématiques denotre époque. Au cours de la conférence de pressequi a suivi la remise des prix, Risa Wataya adéclaré que son livre “dépeignait un petit mondeet ne visait pas à porter de jugement ou à souleverdes questions sur la société”. Hitomi Kanehara,interrogée sur les sentiments de frustration etd’étouffement que pouvait lui inspirer la société,a éludé la question en déclarant qu’elle “appor-terait la réponse à travers ses romans”.

Même si les deux lauréates ne semblent paschercher à dépasser la dimension personnelle,un autre membre du jury, Nobuko Takaki, porteun jugement favorable sur leurs romans en sou-lignant que les sentiments délicats et complexesqu’elles analysent ne peuvent s’exprimer qu’àtravers la littérature. Ryu Murakami, lui, a notéà propos de leur thématique : “A l’époque de lamodernisation du pays, puis durant la période destabilité économique et politique, il y a toujours eudes mouvements contestataires, mais, aujourd’hui,

Le prix Akutagawa, l’équivalent japonaisdu Goncourt, a été attribué à deux jeunesromancières quasi inconnues. L’énormesuccès des deux livres aura en tout casredonné confiance au monde de l’édition.

■ MédiatisationLa salle de Tokyo-kaikan, où les deuxlauréates ont donnéune conférence de presse à l’issuede la délibérationdu jury, avaitaccueilli trois centsjournalistes et photographes,soit trois fois plusde monde que les autres années,rapporte ShukanAsahi. Déjà,l’annonce desnominés avait faitcouler beaucoupd’encre, car troisdes cinq candidatsétaient des jeunes filles de 19 et 20 ans.Ce qui a suscité une interrogationsur l’éventuellevolonté de surmédiatiserl’événement à des finsbassementcommerciales.Le jury et la Sociétéde la promotion de la littératurejaponaise, l’instancequi sélectionne les candidats,ont rejeté cetteaccusation, précisel’hebdomadaire.Par ailleurs,le numéro de marsdu mensuel Bungei-Shunjuqui publie les deuxromans lauréatss’est vendu à plus de 800 000exemplaires en troisjours. L’éditeur a donc décidé de tirer 200 000exemplairessupplémentaires.

Introspections adolescentes

COURRIER INTERNATIONAL N° 694 58 DU 19 AU 25 FÉVRIER 2004

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� Risa Wataya (à gauche) et Hitomi Kanehara.

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D’aucuns offrent leur langue, d’autres bâtissent des temples

Les fans peuvent être dange-reux. C’est ce que constatentavec irritation, voire horreur,

les stars du cinéma et du sport. Leharceleur sadique poursuit l’objetde son adoration dans le mondeentier – c’est ce qui est arrivé à lajoueuse de tennis Martina Hingis ;d’autres s’identifient totalement àleur idole. Les admirateurs de Jaya-lalithaa, la ministre en chef de l’Etatdu Tamil Nadu, vont jusqu’à sacri-fier leurs cheveux, voire leur langue,quand la chance lui sourit. Elle necesse de leur demander de renon-cer à ces actes bizarres et dom-mageables, mais il est dif ficiled’éradiquer cette obsession et deconvaincre les idôlatres d’arrêterde verser leur sang en gage de dévo-tion suprême.Son prédécesseur, M. G. Rama-chandran, la superstar du cinématamoul, électrisait tellement sonpublic que ses admiratrices dor-maient sur les affiches de ses films.Cela leur était plus doux que le plusmoelleux des matelas. La plupartdes stars de Bollywood emploientdes gardes pour se préserver del’attention excessive de leurs fanset cette habitude s’est étendue auxjoueurs de cricket.Et voilà qu’on apprend qu’un ado-rateur fanatique de Gwalior a décidéd’ériger un temple à Atal Bihari Vaj-payee, le Premier ministre. VijaySingh Chauhan, avocat, a posé lapremière pierre le jour de l’anniver-saire de son idole et a chargé un

sculpteur de réaliser une statue depierre à son effigie. On ignore encoresi l’œuvre sera édifiée en marbre oudans un matériau moins dispen-dieux. Vajpayee, que cette flagornerieembarrasse quelque peu, n’a pasdonné son accord à ce lieu de cultepermanent mais son adorateur n’enpoursuit pas moins son projet.La plus grande réussite de Vajpayee,ce n’est pas, selon Chauhan, d’avoirfait “se lever et briller l’Inde”, pourreprendre une expression utiliséepour motiver les populations à laveille des élections. Non, s’il placele Premier ministre sur un piédes-tal, c’est en raison des immensesservices que celui-ci a rendus à lalangue hindi : Vajpayee est sans

conteste l’un des orateurs les plusaccomplis et le poète hindiphone leplus admiré de l’ère moderne.L’idée peut surprendre, mais cen’est pas la première fois qu’un Pre-mier ministre est célébré avec quatremurs, un toit et un culte permanent.Indira Gandhi a elle aussi eu cet hon-neur, un temple lui a été dédié àKhargone, également dans le Mad-hya Pradesh, un Etat qui possèdede nombreux temples anciensdatant des dynasties des Chandela,des Holkar et des Scindia.Si N. T. Rama Rao, qui fut ministreen chef de l’Andhra Pradesh, a éga-lement eu son temple, c’est surtoutparce qu’il avait incarné Rama et Kri-shna dans près d’une centaine defilms mythologiques en telugu : lepublic l’identifiait à ces divinités. LeTamil Nadu, qui a une forte traditionathéiste, abrite, lui, un temple dédiéà Khushbu, une héroïne du Nord.Gandhi vénérait les pauvres, maisla tendance moderne est à l’édifi-cation de mégatemples. Ce sont lesmouvements Akshardham et ISK-CON qui ont donné le coup d’envoi.Pas de manque de moyens en l’es-pèce : leurs édifices immenses coû-tent des millions de roupies et affi-chent une profusion de sculpturesde pierre, des intérieurs soignés etdes extérieurs impeccables. Le pro-jet de Chauhan est modeste en com-paraison. Ce qui en fait la spécifi-cité, c’est la personnalité qu’ilentend consacrer. Sachidananda

Murthy, The Week (extraits), Cochin

Salé170 000 euros. C’est le montantde l’amende pour excès de vi-tesse infligée à un millionnairefinlandais. Jussi Salonoja roulaità 80 km/h, au lieu de 40, dansle centre d’Helsinki. Les contre-danses, en Finlande, sont fonc-tion du revenu. Elles pourraientêtre plafonnées.(Iltalehti, Helsinki)

SingeriesLes gorilles du zoo de Moscouauront bientôt la télévision. Les pri-mates en captivité auront droit àdes vidéos sur la vie des singes sau-vages. Le directeur du zoo estimeque ces programmes stimulerontleur développement intellectuel.“Nous voulons qu’ils passent plusde temps à réfléchir et moins detemps à se fourrer les doigts dansle nez”, a décrété Vladimir Spitsyn.

(Moscow Times, Moscou)

Et tout letremblementLe séisme d’une magnitude de5,1 qui s’est produit le 11 févrieren Israël est le fruit du courrouxde Dieu. Par ce tremblement deterre, l’Eternel protestait contrela décision du ministère desFinances de relever le prix du painde 40 %, a expliqué le rabbinDavid Basri, une grande figurepour les juifs orientaux du pays.

(Asharq al-Awsat, Londres)

Enfin !Les transsexuels de l’universitéMcGill pourront enfin aller au petitcoin en paix. Des toilettes mixtessont en construction dans le pavillonShatner, rue McTavish, à Montréal.“Pour les transsexuels(les), lestransgenres et les personnes dontle genre varie, l’accès aux toilettespubliques est souvent difficile, sinonimpossible, puisque la plupart deces endroits font de la ségrégationselon le sexe”, a fait valoir BriannaHersey, de l’Alliance transgenre deMcGill, dans un récent numéro dujournal étudiant McGill Daily.

(La Presse, Montréal)

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Le yoga est en mauvaise posture. Le gourou Bikram Choud-hury, ancien haltérophile, coqueluche des stars et inven-teur du “yoga Bikram”, a envoyé une missive sans détourà une centaine d’enseignants et de centres pratiquant saméthode. Le courrier, émanant de ses avocats, est on nepeut plus clair : l’enchaînement de ses 26 postures dehatha yoga, exécutées dans une pièce chauffée à 40 °C,ne peut être changé d’un iota. Les professeurs qui ensei-gnent le yoga Bikram doivent avoir suivi une formation à5 000 dollars et s’acquitter d’une franchise. Toute vio-

lation est passible d’une amende de 150 000 dollars. Carvoilà, l’enseignement du maître, couvert par un copyright,est une marque déposée. Les enseignants rebelles voientles choses différemment : le yoga est une tradition vieillede cinq mille ans, nul n’en est détenteur, clament-ils.Réunis en collectif, ils ont saisi la justice américaine. MaisM. Choudhury n’en démord pas : “J’ai des couilles commedes bombes atomiques de 100 mégatonnes chacune.Personne ne m’enculera”, a déclaré le “roi des yogis” àBusiness 2.0. (The Independent, Londres)

Calme et sérénité

FadaisesLe Conseil des ministres iranien ad’autres chats à fouetter que des“questions absurdes” comme “lesdroits de l’homme” ou le “meurtrede (la journaliste irano-canadienne)Zahra Kazemi”, a décrété le Guidesuprême lors de sa dernière réunionavec le président de la Républiqueet ses ministres. L’ayatollah Ali Kha-menei espère que le prochain par-lement s’occupera de problèmesplus importants que de “pareillessottises”. (Emrooz.org, Téhéran)

EntêtéMordu par un requin près de Syd-ney, Luke Tresoglavic a nagé sur300 mètres avant de remonterjusqu’à sa voiture et de gagnerun club de sur f, le squale tou-jours accroché à la jambe. L’ani-mal a fini par rendre l’âme. M.Tresoglavic l’a enterré dans sonjardin. (The Age, Melbourne)

ShalomArafat est d’origine juive : c’est,selon le quotidien hébreu YediotAharonot, ce qu’affirme le secré-taire du département juridique del’OLP, Ghazi Hussein, dans unouvrage intitulé “Yasser Arafat etla solution sioniste à la crise de laPalestine”.

ProsélytismeLe vol 34 à destination de New Yorkvenait de décoller de Los Angelesquand la voix du pilote a appelé lespassagers chrétiens à lever la mainet les non-chrétiens à mettre leurvol à profit pour se rapprocher dela vraie foi. L’intervention a jeté unfroid dans la cabine. Certains ontlevé timidement la main. D’autresont protesté. Ayant vent de cesplaintes, le commandant de bordleur a proposé de s’entretenir plusavant au sujet du Seigneur. “J’aisenti que Dieu me disait de direquelque chose”, a confié par lasuite Roger Findiesen à The Advo-cate. American Airlines, pour sapart, a ouvert une enquête interne.

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