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economic-research.bnpparibas.com Thomas Humblot 8 juin 2017 1
De la valeur des créances douteuses italiennes
■ Les banques et les investisseurs potentiels associent aux créances douteuses des valeurs substantiellement différentes.
■ L’écart de rendement exigé par chacun des acteurs explique en grande partie ces disparités.
■ La réforme du droit des faillites en Italie est susceptible d’améliorer la valorisation des créances douteuses et de faciliter leur cession au marché.
Les banques de la zone euro affichant des niveaux élevés de
prêts non performants avaient jusqu’au 31 mars 2017 pour
remettre à la Banque centrale européenne (BCE) des plans
« amitieux mais réalistes »1
de réduction des créances
douteuses. Les établissements bancaires sous la supervision
directe du Mécanisme de supervision unique (MSU), et dont la
part des créances douteuses dans l’encours des prêts était
« considérablement » supérieure à 5,4% au troisième trimestre
20162, étaient potentiellement concernés par cette exigence.
Ce seuil correspond à la moyenne, pondérée par les actifs
bancaires, des ratios de créances douteuses observés dans les
pays membres de l’Union européenne (UE). Le ratio médian des
créances douteuses s’établissait à 4,8% et la moyenne
arithmétique à 9,8% (cf. graphique 1), signe que la
problématique des créances douteuses concerne un nombre
restreint de systèmes bancaires, lesquels constituent une part
modeste du système bancaire de l’ensemble de l’UE.
Bien que le nom des établissements qui devaient remettre un
plan à la BCE n’ait pas été divulgué pour des raisons de
confidentialité, il est raisonnable d’envisager que plusieurs
établissements italiens en fassent partie. En effet, le système
bancaire italien présentait un ratio de créances douteuses de
16,4% au troisième trimestre 2016. Seuls les systèmes
bancaires grec, chypriote et portugais affichaient des ratios
supérieurs à respectivement 47%, 47% et 20%. Toutefois, leurs
actifs ne représentaient respectivement que 1,2%, 0,3% et 1,4%
de ceux de l’ensemble de la zone euro. Cette proportion
s’élevait à 13% pour le système bancaire italien, ce qui en faisait
1 Danièle Nouy, présidente du conseil de surveillance prudentielle de la BCE, le 27
mars 2017, Déclaration introductive à la conférence de presse organisée à l’occasion de la présentation du Rapport annuel 2016 de la BCE sur ses activités prudentielles. 2 Non-performing loans to total gross loans and advances, Autorité bancaire
européenne, Risk Dashboard – data as of Q3 2016
le troisième plus grand de l’UE après ceux de la France (27%) et
de l’Allemagne (25%).
Les créances douteuses sont inhérentes à l’activité de prêts.
Les pertes associées sont gérées par le biais de dotations aux
provisions. Toutefois, ces actifs détériorés peuvent contribuer à
l’obturation du canal du crédit bancaire dès lors qu’ils excèdent
un seuil critique. L’accroissement des créances douteuses tend
à abaisser la rentabilité des banques, à augmenter leur coût de
financement ou celui de leur liquidité et peut peser sur leur
solvabilité. Aussi, les créances douteuses sont susceptibles
d’exercer une contrainte croissante sur la distribution de crédit.
Ce phénomène est renforcé par une contraction concomitante
de la demande, sous l’effet combiné d’une réduction de la
solvabilité des emprunteurs et d’une baisse des investissements
causée par la révision des anticipations de croissance. La
dégradation de la conjoncture peut donc, à elle seule, conduire
à une détérioration généralisée des portefeuilles bancaires. Le
« seuil » au-delà duquel l’activité d’une banque peut être
entravée par ses créances douteuses dépend de son profil de
risque et de sa solvabilité initiale.
■ Evolution des ratios de créances douteuses dans l’UE entre septembre 2015 et septembre 2016
▌Créances douteuses/encours des prêts et avances bruts (T3-2016) ▌Créances douteuses/encours des prêts et avances bruts (T3-2015) ▬ Médiane (T3-2016) ▬ Moyenne (T3-2016) --- Moyenne pondérée (T3-2016)
Graphique 1 Source : Autorité bancaire européenne – Interactive Risk Dashboard, T3 2016
DIRECTION DES ÉTUDES ÉCONOMIQUES
economic-research.bnpparibas.com Thomas Humblot 8 juin 2017 2
La croissance économique et l’activité bancaire interagissent
l’une avec l’autre. Aussi, les créances douteuses expliquent,
simultanément à d’autres facteurs, le manque de dynamisme du
crédit bancaire en Italie (cf. graphique 2). Cela a notamment
participé de la faible croissance du PIB réel (moins de 1%) en
2016. En retour, la faiblesse de la reprise initiée jusqu’alors en
Italie ne peut, à elle seule, suffire à assainir les bilans bancaires.
En revanche la combinaison des plans de sortie de crise des
banques et de l’application des lignes directrices de la BCE
relatives au traitement des créances douteuses (cf. encadré 1)
alimenterait le « cercle vertueux de la réduction des créances
douteuses »3
. L’assainissement des bilans bancaires et le
soutien à la croissance apparaissent donc nécessaires au bon
rétablissement de l’économie italienne.
Au regard de l’expérience des crises étrangères de créances
douteuses (Japon et Suède durant les années 1990, Irlande et
Espagne suite à la crise de 2007/2008, par exemple), la cession
de ces dernières apparaît comme une mesure efficace
d’assainissement des bilans bancaires (Aiyar et Al., 2016 ;
Garrido et Al., 2016). Banca delle Marche, Banca dell’Etruria e
del Lazio4 ou encore Monte dei Paschi di Siena et UniCredit ont
vendu, ou sont en passe de le faire, tout ou partie de leur
portefeuille de créances douteuses. Ces cessions peuvent être
volontaires, encouragées par la discipline de marché, voire
constituer une contrepartie obligatoire des plans de sauvetage
3 Danièle Nouy, 15 mars 2017, entretien avec SKAI TV. 4 https://www.bancaditalia.it/media/approfondimenti/2015/info-soluzione-
crisi/index.html?com.dotmarketing.htmlpage.language=1
et de résolution des banques. Etablir un prix pour ces actifs
détériorés est une étape essentielle du processus. Ce prix de
vente dépend non seulement des caractéristiques intrinsèques
des créances douteuses (flux de trésorerie anticipés, taux
d’intérêt effectif, etc.) mais aussi de paramètres propres aux
investisseurs potentiels (taux de rendement interne, frais et
commissions supportés, etc.).
Dans cette perspective, nous proposons plusieurs exemples très
schématiques de valorisations d’un portefeuille théorique de
créances douteuses fondés sur ce qui pourrait être observé en
Italie. L’objectif est principalement didactique et notre démarche
ne vise pas à décrire de manière exhaustive la réalité italienne
présente et/ou future.
Les créances douteuses, des créances valorisées
(presque) comme les autres5
Lorsqu’une créance devient douteuse, la banque ré-estime sa
valeur en fonction du montant recouvrable anticipé. Cette
estimation comptable est obtenue au moyen d’une approche
probabiliste fondée sur l’expérience relative au taux et au délai
de recouvrement, notamment. Le montant estimé doit refléter
une image fidèle de la valeur d’un actif. Il repose en ce sens sur
les mêmes principes que ceux qui s’appliquent aux autres
créances.
Initialement, la valeur comptable brute (Gross book value –
GBV) d’une créance est calculée en actualisant la somme des
flux de trésorerie futurs anticipés (CTt) par le taux d’intérêt
effectif initial (i) sur la durée de vie du prêt (t=1,…, T).
Conformément à la méthode du coût amorti définie par la norme
IAS 39 (qui sera remplacée par la norme IFRS 9 en janvier
2018), elle se formule ainsi :
5 Cette partie s’inspire très librement de Ciavoliello et Al. (2016) ainsi que des lignes
directrices pour les banques en ce qui concerne les prêts non performants (2017).
Encadré 1
Les lignes directrices de la BCE relatives au traitement des créances douteuses bancaires Le MSU a publié en mars 2017 des « lignes directrices pour les banques en ce qui concerne les prêts non performants ». Ces bonnes pratiques se veulent universelles mais s’adressent en premier lieu aux banques qui affichent les ratios de créances douteuses les plus élevés de l’UE. D’une nature encore non contraignante, ces lignes directrices détaillent la stratégie que devraient adopter les banques afin de mieux identifier et gérer leurs créances douteuses. Ces dernières correspondent aux « expositions non performantes » (non-performing exposures – NPE) telles que définies par l’Autorité bancaire européenne (ABE)1. Ces expositions incluent les créances en souffrance (principal, intérêts ou honoraires non payés à la date à laquelle le montant était échu) depuis plus de 90 jours ainsi que les créances pour lesquelles il est improbable que le débiteur s’acquitte intégralement de ses obligations sans réalisation de la sûreté. Cette définition uniformisée à des fins de déclarations de données prudentielles est plus large que la définition prudentielle des expositions en défaut2 et la définition comptable des expositions dépréciées3. Les banques sont encouragées à appliquer cette définition à l’ensemble de leurs communications et de leurs contrôles internes. Le traitement de la dépréciation et du passage en perte est également explicité. 1 Paragraphe 145, Annexe V, Règlement d’exécution (UE) 2015/1278 de la Commission du 9 juillet 2015. 2 Articles 127 et 178, Règlement (UE) n° 575/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013. 3 Paragraphe 59, International Accounting Standard 39 – Instruments financiers : Comptabilisation et évaluation.
■ Une croissance du crédit peu dynamique
Taux de croissance annuel des crédits bancaires italiens au secteur privé non financier et part des créances douteuses dans l’encours des prêts bancaires (en %)*
▌Ménages ▌Sociétés non financières ▬ Total ▬ Créances douteuses totales/Encours des prêts (échelle de droite, inversée)**
* : Encours des prêts aux résidents de la Zone euro incluant les titrisations, taux de croissance calculé selon la méthodologie des statistiques monétaires. ** : à partir de mars 2014, la Cassa depositi e prestiti est incluse. Les définitions de l’encours des prêts des banques et des créances douteuses ont changé en mars 2015, les données antérieures sont rétropolées. Graphique 2 Sources : BCE, Banque d’Italie
4
6
8
10
12
14
16
18-10
-5
0
5
10
15
2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015 2016 2017
economic-research.bnpparibas.com Thomas Humblot 8 juin 2017 3
GBVt = ∑ [CTt
(1 + i)t]
T
t=1
(1)
En cas de dégradation de la qualité de la créance, les flux de
trésorerie futurs anticipés sont réévalués en tenant compte de la
possible réalisation des garanties et du coût qui y serait associé
(frais d’entretien ou de saisie, par exemple). Le cas échéant, la
chronique des flux futurs peut être également décalée dans le
temps. Seul le taux d’intérêt effectif n’est pas modifié. Ces
changements aboutissent au calcul de la valeur comptable nette
d’une créance (Net book value – NBV) :
NBVt = ∑ [CTt
′
(1 + i)t]
T′
t=1
(2)
La différence entre l’encours brut et l’encours net correspond au
montant de la perte anticipée par la banque. Elle est donc
couverte par un montant équivalent de dotations aux provisions.
La valeur comptable nette d’une créance douteuse peut
toutefois différer substantiellement du prix proposé par des
investisseurs potentiels. Si ces derniers effectuent un calcul
selon la même méthode d’actualisation des flux de revenus
futurs, ils ne disposent pas nécessairement du même degré
d’information sur la créance et le débiteur que la banque
originatrice. Afin de couvrir cette prise de risque, les
investisseurs potentiels substituent un taux de rendement
interne (TRI) supérieur au taux d’intérêt effectif. Ils vont
également inclure leurs coûts indirects liés à la gestion des
créances douteuses comme les frais d’infrastructure, de
personnel ou les commissions. Les investisseurs potentiels
déduisent ces coûts du prix auquel ils rachètent les créances
douteuses, à la différence des banques qui sont tenues de
comptabiliser ces coûts chaque année. Les investisseurs
potentiels procèdent donc à un équivalent du calcul suivant :
Valeur NPLt = ∑ [CTt
′
(1 + TRI)t] − Frais et commissions
T′
t=1
(3)
D’importants écarts de valorisation
Les applications numériques qui suivent permettent d’estimer la
valeur d’un portefeuille théorique de créances douteuses
italiennes. Nous supposons qu’il s’agit de prêts irrécouvrables
(sofferenze)6 dont la valeur comptable brute est de 100. Les
prêts sont jugés irrécouvrables par la banque dès lors que
l’emprunteur est insolvable ou dans une situation sensiblement
équivalente7.
Afin de mettre en exergue l’effet des écarts entre les paramètres
propres aux banques et ceux des investisseurs, les estimations
des caractéristiques des créances douteuses (flux de trésorerie
6 Tels que définis par la mise à jour en mars 2015 de la circulaire 272 du 30 juillet
2008 « Matrice des comptes » conformément au « règlement d’exécution de la Commission Européenne n° 680/2014 définissant des normes techniques d’exécution en ce qui concerne l’information prudentielle à fournir par les établissements » et au « règlement d’exécution de la Commission Européenne n°1423/2013 définissant des normes techniques d’exécution relatives aux obligations d’information sur les fonds propres applicables aux établissements ». 7 Cf. la mise à jour de la circulaire 272 du 30 juillet 2008 « Matrice des comptes »
et délai de recouvrement) sont supposées être les mêmes pour
tous. Cela revient à poser implicitement l’hypothèse qu’aucun
investisseur n’a la capacité d’obtenir, par ses propres moyens,
une rentabilité supérieure à celle de la banque. Si les fonds
d’investissements spécialisés ou les sociétés de recouvrement
devaient mettre en œuvre des actions leur permettant d’obtenir
un taux de recouvrement supérieur à celui de la banque, alors
cela augmenterait la valeur qu’ils accordent aux créances
douteuses. Enfin, aucune des parties n’est supposée dotée d’un
pouvoir de négociation qui lui permettrait d’influencer le prix en
sa faveur (i.e. pas de price maker). Ces hypothèses sont, en
moyenne, relativement proches de la réalité en Italie (cf. infra).
Par souci de simplification, les créances irrécouvrables ne
donnent lieu à aucun flux de remboursement avant la réalisation
des garanties. Les flux de trésorerie futurs anticipés (CTt) se
résument donc à un seul et unique flux, récupéré en intégralité à
l’échéance de la période de recouvrement. Il intègre la
réalisation des garanties diminuée des frais d’entretien et de
liquidation, supposés être les mêmes pour tous les créanciers.
Carpinelli et Al. (2016) estiment ce chiffre à 41% de la GBV, en
moyenne, entre 2011 et 2014 en Italie, toutes procédures
confondues (liquidation, restructuration, etc.). Ce chiffre étant
sensible à la conjoncture, un flux égal à 47% de la GBV est
plutôt retenu à l’instar de Ciavoliello et Al. (2016). Cette
proportion est plus proche du taux de recouvrement observé
dans un contexte économique moins défavorable en Italie (celui
de 2011) et rend les résultats obtenus plus aisément
généralisables. A titre de comparaison, Deloitte (2017) estime
que le taux de recouvrement brut des créances douteuses en
2015 était de 90% en Slovénie, de 70% en République tchèque
ou encore de 47% dans les pays baltes. Moody’s (2013) estime
que le taux de recouvrement ultime s’établit autour de 80% dans
les pays de l’OCDE. Le montant recouvré en Italie est donc très
en deçà de celui observé dans des économies comparables.
Par hypothèse, le temps résiduel nécessaire à la collecte du flux
de trésorerie, supposé unique, est fixé à 4,2 années. Cela
correspond au délai moyen observé par le ministère de la
Justice italien en cas de saisie immobilière (Quaestio, 2016). Il
est néanmoins susceptible de se réduire à la faveur de la mise
en œuvre de la réforme du droit des faillites depuis 2015 (en
Italie). En effet, la lenteur des procédures liées à la gestion des
créances douteuses est souvent présentée par les tenants d’une
réforme du droit des faillites comme l’une des principales causes
de leur accumulation en Italie (Garrido et Al., 2016 ; Jobst &
Weber, 2016).
Le taux d’intérêt effectif initial est fixé à 3,1% conformément à
celui observé, en moyenne, en 2016 pour les prêts bancaires
accordés au secteur privé non financier (SPNF8) en Italie. Il
s’agit du taux le plus faible constaté depuis décembre 2011 où il
culminait alors à 4,5%. Le reste de la zone euro a connu la
même tendance baissière depuis lors. Le taux d’intérêt des prêts
bancaires au SPNF s’y établissait, en moyenne, à 2,8% en 2016.
La prime de risque s’explique entre autres par le niveau de
l’endettement public (133% du PIB en 2016) mais également
8 Source : BCE
economic-research.bnpparibas.com Thomas Humblot 8 juin 2017 4
par une conjoncture domestique toujours fragile par rapport aux
autres économies de la zone euro.
Au regard de ces paramètres, la valeur actualisée du portefeuille
de créances douteuses est estimé à 41% de leur encours brut
(cf. tableau 1). La proportion de provisions à constituer s’élève
donc à 59% pour la banque originatrice. Ces proportions
correspondent à celles observées récemment en Italie pour les
prêts irrécouvrables (cf. Ciavoliello et Al., 2016).
Par hypothèse, les investisseurs potentiels sont répartis entre
une société de gestion d’actifs (Asset Management Company –
AMC) spécialisée dans les créances douteuses et « le reste du
marché ». Cette distinction sert à mettre en lumière les raisons
qui poussent le fonds privé Atlante9 ou l’hypothétique « bad
9 Placé sous l’égide de Quaestio Capital Management, le fonds Atlante a vocation à
participer à la recapitalisation des banques ainsi qu’au rachat de leurs créances douteuses.
bank » paneuropéenne imaginée par l’ABE (cf. encadré 2) à
acheter les créances douteuses bancaires à un prix plus élevé
que le marché.
Le taux de rendement interne de l’AMC est fixé à 6% et à 17%
pour le reste du marché. Ces taux correspondent
respectivement à l’objectif du fonds Atlante et au TRI médian
brut des commissions observé pour ce type d’investissement
(Quaestio, 2016). Selon la direction du fonds, les mesures
gouvernementales qui visent à augmenter la valeur des
créances douteuses permettent de justifier cet écart de 1 pour 3
(Quaestio, 2016). L’objectif de 6% peut cependant apparaître
faible au regard du risque encouru. A titre de comparaison, le
rendement des obligations d’entreprises américaines notées
CCC ou moins était de 12% au 30 septembre 2016 (indice Bank
of America Merrill Lynch).
Les frais et commissions sont fixés à 7% du montant brut de la
créance pour l’AMC et à 8% pour le reste du marché comme
estimés par le fonds Atlante. Ces frais sont très légèrement
supérieurs aux 6% proposés pour l’ensemble des investisseurs
par Ciavoliello et Al. (2016). L’utilisation de l’une ou l’autre de
ces valeurs n’influence que peu les résultats.
La valorisation des créances douteuses par l’AMC s’élève ainsi
à 34% de leur encours brut et à 21% pour le reste du marché.
Le montant qui serait proposé par l’AMC est ainsi voisin des
33% effectivement offerts par le fonds Atlante pour une partie du
portefeuille de créances douteuses de Monte dei Paschi di
Encadré 2
La « bad bank » paneuropéenne Andrea Enria (président de l’Autorité bancaire européenne) a présenté fin janvier 20171 les contours d’une société de gestion d’actifs paneuropéenne spécialisée dans les créances douteuses. L’objectif serait de racheter 200 à 250 milliards d’euros de créances douteuses bancaires grâce à des fonds publics et privés. Les pertes ne seraient pas supportées par l’entité ni mutualisées entre les pays membres de l’UE grâce à une clause de récupération (clawback) : si l’AMC devait revendre une créance douteuse au marché à un prix inférieur à celui auquel elle l’aurait achetée à la banque, alors les pertes subies devraient être supportées par cette dernière. Dans l’hypothèse où la banque n’aurait pas la capacité à absorber la perte, l’Etat membre dans lequel son siège est établi aurait la responsabilité de procéder à sa recapitalisation préventive, sous réserve qu’elle y soit éligible. Cette perte viendrait s’ajouter à la décote appliquée à l’actif détérioré lors de sa vente à l’AMC. Les expériences irlandaise de la National Asset Management Agency (NAMA) en 2009 et espagnole de la Sociedad de Gestión de Activos procedentes de la Reestructuración Bancaria (Sareb) en 2012 tendent à démontrer la compatibilité de l’opération avec les règles relatives aux aides d’Etat de l’UE (mais pas nécessairement avec celles de la directive relative au redressement et à la résolution des banques (BRRD) qui a considérablement durci les conditions d’intervention de l’Etat). En effet, le transfert des créances douteuses se ferait à leur « vraie valeur économique ». Ce prix correspond à la somme des flux de trésorerie anticipés actualisés par le taux d’intérêt sans risque plus une prime de risque (Medina Cas et Peresa, 2016). Selon l’ABE, le recours à une AMC réduirait l’asymétrie d’information entre les banques et les investisseurs potentiels car cette entité dédiée aurait une meilleure connaissance des créances douteuses et un accès à une information de meilleure qualité sur le débiteur ou les caractéristiques du collatéral. Le prix auquel le marché serait disposé à acquérir les créances douteuses serait donc plus proche de celui auquel les banques souhaiteraient les céder (bid/ask gap). De plus, si cette entité spécialisée titrisait les créances douteuses pour les revendre, les risques seraient théoriquement diversifiés. Toutefois, avant de voir une telle entité créée, de nombreux points doivent être précisés, dont son mode de financement et de gouvernance2. 1 Enria, A. (2017), The EU banking sector – risks and recovery – A single market perspective, European Banking Authority. 2 Regling, K. (2017), Euro area stability and financial integration, Speech at ESM Seminar, 30 January 2017.
■ Valorisations des créances douteuses
Avant les réformes Après les réformes
Banque AMC
Reste du
marché Banque AMC
Reste du
marché
Valeur comptable brute (a)*
100
100
Valeur du flux de trésorerie collecté à l'échéance (b)
47
55
Temps résiduel nécessaire à la collecte du flux de trésorerie (en années) (c)
4,2
3,2
Taux d'intérêt effectif (d) 3,1%
3.1%
Taux de rendement interne de l'investisseur (e)
6% 17%
6% 15%
Taux des frais et commissions (f)
7% 8%
7% 8%
Valeur actualisée du flux de trésorerie (g=b/(1+d)^c ou g=b/(1+e)^c) 41,4 36,8 24,4 49.9 45.7 35.3
Frais et commissions (h=f*b)
3,3 3,8
3.9 4.4
Valeur des créances douteuses (i=g-h) 41,4 33,6 20,6 49.9 41.9 30.9 Dotations aux provisions (j=a-i) 58,6 66,4 79,4 50.1 58.1 69.1
* : Par hypothèse, aucune dotation aux provisions n’est encore réalisée à ce stade.
Tableau 1 Sources : Ciavoliello et Al., 2016, Quaestio Capital Management, 2016, BNP Paribas
economic-research.bnpparibas.com Thomas Humblot 8 juin 2017 5
Siena fin 201610
. Cela correspond également aux 32% payés
par le fonds le 10 mai 2017 pour des créances douteuses de
Nuova Banca delle Marche, Nuova Banca Etruria e del Lazio et
Nuova Cassa di Risparmio di Chieti (ce qui doit permettre leur
rachat par UBI Banca). Le fonds valorise également un
portefeuille théorique à 34% de sa valeur comptable brute dans
son document de présentation (Quaestio, 2016). Ce montant est
toutefois inférieur aux 40% auxquels Andrea Enria estime la
« vraie valeur économique » des créances douteuses, mais à
l’échelle de l’Union européenne11
. Pour le reste du marché, les
21% estimés ici sont comparables à l’estimation consensuelle
de 20%. Cette dernière repose sur le montant payé lors du
sauvetage de quatre banques italiennes en novembre 2015 (cf.
Vercellone, 2016, par exemple).
Au final, nos résultats offrent une illustration proche de la
situation qui pourrait être observée en Italie. L’écart entre le
montant comptabilisé par la banque et le prix qu’en
proposeraient l’AMC ou le reste du marché s’explique, pour
l’essentiel, par la substitution du taux de rendement interne de
l’investisseur au taux d’intérêt effectif du contrat de prêt.
Une valorisation susceptible de s’améliorer
La valeur associée aux créances douteuses italiennes pourrait
augmenter à la faveur d’un ensemble de réformes initiées par le
gouvernement de Matteo Renzi. Celles-ci touchent au droit des
faillites (essentiellement les lois No. 132/2015 et No. 119/2016)
et instaurent un mécanisme de garantie gouvernementale sur
les tranches seniors des créances douteuses titrisées (Garanzia
Cartolarizzazione Sofferenze – GACS). L’objectif est,
notamment, d’augmenter le taux de recouvrement des créances
douteuses et d’en faciliter la cession (Marcucci et Al., 2015 ;
Brodi et Al., 2016). Les effets potentiels de ces réformes sur la
valorisation des créances douteuses sont présentés dans un
second jeu d’hypothèses.
Afin d’illustrer un scénario dans lequel les réformes portent leurs
fruits, le flux de trésorerie est réestimé à 55% de l’encours brut
de la créance. Cela correspondrait à un alignement du coût du
recouvrement (frais d’entretien ou de saisie par exemple) des
créances douteuses en Italie (23% du montant de la créance)
sur celui observé en moyenne en Allemagne, en France, en
Grèce et au Portugal (15%)12
. Le délai de recouvrement est
réduit d’une année à 3,2 ans grâce à l’accélération des
procédures de liquidation d’entreprises. Marcucci et Al. (2015)
estiment que la durée totale des procédures liées aux
défaillances d’entreprises pourrait être ramenée de 6 à 3 ans
dans le scénario le plus favorable. Au regard des rigidités et du
temps nécessaire à l’adaptation de l’ensemble de
l’environnement économique à ces réformes, cette réduction de
3 ans peut paraître optimiste, ce dont les auteurs conviennent.
Aussi, l’hypothèse, prudente, d’une réduction du temps
10 http://english.mps.it/media-and-news/press-releases/ComunicatiStampaAllegati/2016/2016_10_24_CS_Operazione_ENG_MKP_25_10_ore_7.15.RQdocx.pdf 11 Andrea Enria, EBA wants Europe-wide bad bank to fix NPLs, Euromoney, 23 mars
2017 12 Source : World Bank’s Doing Business 2016
nécessaire à la collecte des flux, limitée à une seule année, est
posée.
Si les réformes devaient être crédibles aux yeux du marché, ou
mieux, produire leurs effets, le rendement exigé pourrait être
réduit en écho à la baisse du risque perçu. Le TRI du reste du
marché est ainsi, modestement, ramené à 15%. En revanche,
celui de l’AMC n’est pas modifié car il intègre déjà les effets
potentiels des réformes.
Sous réserve de la pertinence des différentes hypothèses que
nous avons formulées, la mise en œuvre des réformes pourrait
augmenter le montant recouvré par la banque de 9 points de
pourcentage (p.p.). Incidemment, les provisions seraient
ramenées de 59% à 50% de l’encours brut de la créance. Les
investisseurs potentiels pourraient quant à eux proposer un prix
supérieur : +8 p.p. pour l’AMC et +10 p.p. pour le reste du
marché. En cas de rachat du portefeuille de créances douteuses
par la société de gestion d’actifs spécialisée, les besoins en
provisions de la banque seraient équivalents à ceux qui
prévaudraient si elle conservait le portefeuille en l’absence de
réformes, soit 58%.
Au-delà du nettoyage accéléré des bilans bancaires, une
meilleure valorisation des créances douteuses serait de nature à
relâcher la contrainte qu’elles exercent sur la solvabilité des
banques italiennes. En effet, dans l’hypothèse où les dotations
aux provisions deviendraient insuffisantes et où la rentabilité
serait trop faible pour en constituer davantage, les fonds propres
s’éroderaient à mesure qu’ils couvriraient la partie non anticipée
des pertes enregistrées lors de l’effacement ou de la cession
des créances douteuses.
La nécessaire poursuite des réformes
Au regard de ces éléments, la poursuite des efforts visant à
améliorer la valeur des créances douteuses apparaît salutaire.
Le retour à la stabilité du secteur bancaire italien semble devoir
passer par un apurement des bilans comme le requiert la BCE.
Celui-ci se fera d’autant plus facilement que les réformes seront
crédibles aux yeux des investisseurs et que les banques seront
incitées à se séparer de leurs créances douteuses. Le secteur
bancaire et l’économie italienne dans son ensemble pourraient
bénéficier de ce processus.
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