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1 Denis CROUAN Dr en théologie cath. DE TRIBUNE EN TRIBUNE : LES SOUVENIRS D’UN ORGANISTE “ENGAGÉ” 1954-2020

DE TRIBUNE EN TRIBUNE : LES SOUVENIRS D’UN ORGANISTE …

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DenisCROUANDrenthéologiecath.

DETRIBUNEENTRIBUNE:

LESSOUVENIRSD’UNORGANISTE“ENGAGÉ”1954-2020

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Domine,dilexidecoremdomustuae,etlocumhabitationisgloriaetuae.

Psaume25

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I.SOUVENIRSDEMULHOUSEETD’AFRIQUELeplusanciensouvenirquej’aiconservéconcernantmonintérêtpourl’orguedanssoncontexteliturgiquedoitdaterdesenvironsdesannées1954.MesparentsetmoihabitionsMulhouseetbienqu’étantdelaparoisseSaint-Etienne,laplusimportantedelaville,nousallions à lamesse célébrée dans la chapelle d’un orphelinat proche, chapelle qui étaitdévolueauxfidèlescatholiquesd’originepolonaise,lesquelsétaitnombreux,lamajoritéd’entreeuxtravaillantdanslesminesdepotassequifaisaientl’unedesrichessesdecesecteurhaut-rhinois.La«messedesPolonais»,commel’appelaientnosvoisinsquilafréquentaientaussi,étaitentouspointssemblableàlamessequ’onauraitputrouverdansn’importequelleautreéglise. Jeme souviensde très beaux chants;mais le seul que j’ai gardé enmémoire -probablement parce que j’ai eu l’occasion d’entendre l’air plus tard en d’autrescirconstances-étaituncantiquedeNoël.Étanttoutgaminetdoncdepetitetaille,jenepouvaispasvoircequisepassaitàl’autel.Alors,mesparentsm’asseyaientsurleprie-Dieuqui était devant eux, cequimepermettait d’être tournévers la tribune.Tout entournant les pages demon petitmissel à la couverture rouge dans lequel étaient desimages montrant ce que faisait le prêtre à différents moments de la célébration, jedevinaisleschantresetj’écoutaisl’orguedontlesonmecharmait.Maisjenevoyaispascetinstrumentmystérieux:jesauraisplustardqu’ilétaitplacétoutaufonddelatribune.C’estàcettemêmeépoquequemesparentsdurentpartirenOubangui-Chari(aujourd’huiRépublique Centrafricaine) pour des raisons professionnelles: c’était alors le bout dumonde! Bien entendu, je les suivis. A Bangui - ou se trouvaient de nombreux pèresmissionnairesoriginairesd’Alsace-nousallionsàlamesseàlacathédrale.Maislà,pasd’orgue:justeuninstrumentélectroniquepermettantdesoutenirleschantsenlatinquelesautochtonesaimaientetretenaient facilement,maisparfoisaussien françaisouen«sango»,lalanguelocale.Puis,toujourspourdesraisonsprofessionnelles,mesparentsfurentenvoyésenGuinée,àConakry.Nousallionsàlamessedansunechapelleprocheduquartieroùnoushabitionset quelquefois aussi à la cathédrale que, dansmes souvenirs, je revois au bout d’uneavenuebordéedemanguiers.Jenemesouvienspasd’avoireul’occasiond’entendreunorguedansleséglisesouleschapellesdupays.J’enétaitarrivéàoublierl’existencedecetinstrument...

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II.RETOURENFRANCE:ÀMULHOUSEPUISÀCROUY-SUR-OURCQ

Coupdetonnerredansuncielserein:danslespaysd’Afriqueoùnousavionsséjournés,on commence à parler de tensions politiques. L’indépendance des anciennes coloniesfrançaises est enmarche. En Guinée, la vie devient plus que difficile et nous oblige àregagnerlaFrance.Pourrendrenotredépartmoinsdouloureux,mesparentsdécidentderegagnerlamétropole«parlechemindesécoliers»,c’est-à-direens’offrantunecroisièrede plusieurs jours avec quelques escales: Abidjan, Madère et enfin Bordeaux. Nousarrivons dans ce port début 1958 année où l’on se prépare à fêter le centenaire desapparitions de la Vierge à la petite Bernadette Soubirous: un crochet par Lourdess’impose.Après notre petit pèlerinage et avant de regagnerMulhouse à l’aide d’une voiture delocation(lescantinesramenéesdeConakrysuivrontplustard)etsurdesroutesquin’ontrienàvoiraveccellesquenousconnaissonsaujourd’hui,monpèredécidedepasserunepetitesemainedansunepensiondefamilled’Argelès-Gazost;onenprofiterapouralleradmirerlecirquedeGavarnie.Jeneleverraiquedeloincarilneigeetlecheminquiymènen’estpasdégagé.Jegardeenmoilesouvenirdecetteneige-jenemesouvenaisplusd’enavoirvu-etdufroid:arrivantd’Afrique,nousn’avionspasdevêtementschauds.DépartpourMulhouse.Jen’aiplusaucunsouvenirdecelongvoyage.Probablementparcequ’étantmaladeenvoiture,mesparentsavaientdûme«shooter»àlaNautamineouàquelquechosedesemblable.Conversationentremonpèreetmoi:-Quandest-cequ’onarrive?-Bientôt,bientôt...LaroutenationalequivadeBelfortàMulhouseenzigzagantà travers leSundgau- lapartiesudduHaut-Rhin-meparaîtinterminableet...difficilementsupportableenraisondesvirages,accélérationsetcoupsdefreins.Encoreundemi-cachetdeNautaminepourtenir.AMulhouse, nous n’allons plus à la «paroisse des Polonais»mais à l’église de notreparoissed’appartenance:Saint-Etienne.Ledimanche,j’ailedroitdemonteràlagaleriequi longe la nef. On y accède par l’escalier quimène également à la tribune d’orgue.L’égliseestmajestueuse:onditqu’elleestunetrèsbelleréussitedel’artnéo-gothique.C’estexact.De là où jeme trouve, je vois très bien le chœur où se déroule lamesse.Mais enmeretournant,jevoislachorale(dirigée,commejel’apprendraiplustard,parleFrèreKern)ainsiquel’orguemonumental.C’estunmondequej’imagineinaccessible:n’importequin’apasaccèsàl’orgue...surtoutpasungamindemonâge!C’estdanscetteégliseSaint-Etiennequejevaisfairemapremièrecommunion.Jerevoisencoretrèsexactementoùétaitmaplacedanslanefetjemesouviensd’avoirentendu,aumomentoùtouslespremierscommuniantss’avançaientverslatableeucharistique,un chant qui allait connaître par la suite un grand succès: «Tu es mon berger, ôSeigneur...»Alafindecettemesse,l’orguenousgratified’unesortie«ébouriffante».Jesauraiplustardqu’ils’agissaitdelacélèbretoccatadeCharles-MarieWidor,unepiècequine pouvait que bien sonner puisque l’instrument sur lequel elle était jouée était unCavaillé-Coll.

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Notre séjour àMulhouse ne devait pas durer.Mon père ayant quitté l’Afrique et, parconséquent,aussisontravail,illuifallaitretrouverunemploinouspermettantdevivre.C’estainsiquenousallonsnousretrouveràCrouy-sur-Ourcq,enSeine-et-Marne.Danscevillageruraldignede«Laguerredesboutons»d’YvesRobert,mesparentsavaientlouéunappartementmeubléenattendantdetrouvermieux.L’égliseSaint-CyrdeCrouynemesemblaitpasêtrel’endroitleplusfréquentéduvillage.Arrivantd’Alsacequi,àl’époqueétaitunedesrégionsdeFranceoùlapratiquedominicaleétaitalorslaplusélevée,mesparentsetmoiavionsétésurprisdeconstaterqu’àlagrand-messedominicale,desrangéesentièresdechaisesdemeuraientinoccupées.LeCuréfitàmonpèrel’impressiond’êtreunebravepersonnequiavaitbiendumérited’exercersonsacerdocedansuncontextesidifficile:pasdegouvernante,pasdesacristain...Lesveillesdefêtes,ceprêtrebalayaitlui-mêmel’égliseavecl’aidededeuxoutroisdamesdebonnevolontéconsidéréescommedepauvresbigotesparlesanticléricauxduvillage.À lamesse du dimanche, étant donné quemes parents etmoi occupions toujours lesmêmesplaces,nousnousretrouvionsinévitablementderrièrelamêmepersonnequi,elleaussi, avait saplace«attitrée»àuneépoqueoù tous lesanson«achetait sachaise»,pratique qui rapportait un peud’argent à la paroisse. Jeme souviens que la dame enquestion,que je considérais comme trèsvieille (alorsque j’aurais été incapablede luidonnerunâge),faisaitsouriremonpèredèsqu’ellechantait:ellechantaittrèsfauxet,commec’estsouventlecasaveclespersonnesquichantentfaux,égalementtrèsfort.Deplus, lorsqu’elle chantait l’inévitable «Messe des Anges» - le «tube» des paroissesrurales -elleprononçait le latin«à la française»,cequidonnaitàpeuprès:«Patremomnipotintemfactoremcheliet terré,visibiliomomniomet invilibiliom...»;quantaux«u»,ilsétaientprononcés«u»etnonpas«ou».Dansl’église,ilyavaitunetribune;etsurlatribunesetrouvaitcequejesauraiplustardêtre un harmonium; là-haut, trois ou quatre dames ou demoiselles chantaient l’«ordinairedelamesse»ainsiquedescantiquesdontl’inévitable«Tuesmonberger...»àlacommunion.Pendantles«prièresaubasdel’autel»,c’était«Jem’avanceraijusqu’àl’autel de Dieu...». Ces messes dominicales m’apparaissaient souffreteuses malgrél’incontestablebonnevolontéducuré-qu’ondistinguaitàpeinelorsqu’ilétaitàl’autel-etl’applicationdelapetitechorale.

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III.SERVANTDEMESSEÀLACATHÉDRALEDEMEAUX

Auboutd’uncertaintemps,nouspartonsnousinstalleràMeaux,dansunepetitemaisonenpierremeulièrecommeonenvoittantdanslarégion.Ellesetrouvaitdansuneruecalmequi,auxdernièresnouvelles,nel’estplusguèreaujourd’hui.Jesuis inscritaucollègeBossuet.C’est làqu’un jour, l’abbéquinousfait lecatéchismedemandes’ilyavaitparminous,danslaclasse,desélèvessouhaitantdevenirservantsdemesses à la cathédrale. Je suis intéressé. Mais il me faut suivre une formationcarparticiperaubondéroulementdelaliturgienes’improvisepas.Lesmercredissoirs(veilledujeudijouroù,encetemps-là,nousn’avionspasclasse),legroupedes«apprentisservants»seretrouvechez levicairede lacathédralequinousfaisaitlecatéchismeaucollègeBossuet.Là,nousdevonsapprendrelesgestesàfaireetleserreursàéviter:semettreàgenouxàmêmelesoldurantles«prièresaubasdel’autel»,faireunroulementdeclochette-ànepasconfondreaveclessimplescoupsdeclochette-au moment où le prêtre fait le signe de croix et dit «In nomine Patris et Filii...»;l’accompagner en lui tenant le bas de l’aube au moment où il monte à l’autel puisredescendres’agenouillerànouveaumaiscettefoisnonplusàmêmelesolmaissurlapremièremarchedel’autel...DeAàZ,touslesgestesdoiventêtresusetdevenirtellementautomatiques qu’ils finissent par apparaître comme naturels, évidents. Pour faire cesexercices,levicairedisposed’unfauxauteldansunepiècedupresbytèreoùlogeaittoutleclergédesservantlacathédrale.Tout cecineconstitueque lepremierdegréde la formationquenousdevonsavoir.Aprésentvientl’apprentissagedesréponsesenlatinàdonneraucélébrant.Lapartielaplusdifficileàmémoriserétaitincontestablementcellequifaitdirelepsaume43etconstitueles«prièresaubasdel’autel»;lesversetsdoiventêtreditsparleprêtrealternantavecles servants: «Introibo ad altare Dei» disait le prêtre; «ad Deum qui laetificatiuventutemmeam»devionsnousrépondreenparfaitesynchronisation...Aumilieudecesprièresvientle«Confiteor».Ouplusexactementdeux«Confiteor»:l’unditparlecélébrantquis’inclineetpivotelégèrementàdroiteetàgaucheauxmots«etvobisfratres»,l’autreditparlesdeuxservantsqui,eux,pivotentversleprêtreauxmots«ettibipater».Ceciétantsu,lerestedevenaitnettementplussimple(àpartlalongueréponseàl’«Oratefratres»)etneconsistaitplusqu’àrespecterunsavantmélangederitesetdechorégraphie:changerlemisseldeplaceaprèslalecturedel’Épître(leservantdedroitedevaitseplacerprèsdel’autel,surlecôté,dèsqu’ilentendaitlecélébrantdire«Alleluia»...unpiègependantlecarêmepuisqu’iln’yapasd’«Alleluia»!)présenterlesburettesdefaçonadroitesansconfondrecellecontenantlevinaveccellequicontenantl’eau...Aprèslacommunion, ils’agissaitdenepas«semélangerlespinceaux»:tandisqueleservantdegauchereplaçait lemisselsurlecôtéoùilétaitdepuisledébutdelamessejusqu’àl’«Alleluia»,leservantdedroitedevaitaiderlecélébrantàremettresurlecalicelevoile,puis laboursedanslaquellevenaitd’êtreglissélecorporal.Desdeuxservantsdevaientsecroiserdevantlesmarchesdel’autelenrespectantunerègleprécise.Lamesseseterminaitparlalecturedu«dernierÉvangile»-c’est-à-direleProloguedel’ÉvangileselonSaintJean-.Là,ilsuffisaitdesurveillerlecélébrantpourfaireenmêmetempsqueluilagénuflexionaccompagnantlesparoles«EtVerbumcarofactumest».Et

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il n’y avait plus qu’à regagner en procession la sacristie, sans oublier la dernièregénuflexionfaiteaveclecélébrantdevantl’autel.Pour lespersonnesquin’ontpasconnucette formede la liturgie(aujourd’huiappelée«formeextraordinaire»duriteromain),cesritescomplexespeuventparaîtreétranges.Maisàl’époqueoùjefaisaismesdébutsdeservantdemesse,ilsparaissaientrationnels,normaux et solidement établis. Ils avaient l’avantage de faire en sorte que «du leverjusqu’au couchant» («A solis ortu usque ad occasum», dit le Psalmiste), les messesétaientpartoutlesmêmes:laliturgiedontj’apprenaisles«subtilitésrituelles»étaitcellequej’avaistoujoursconnue,àMulhouse,àBangui,àConakry,àCrouy-sur-Ourcq.D’unecertainefaçon,sondéroulementimmuableetfamilierétaitrassurant:onpouvaitentrerdansn’importequelleéglisedevilleoudecampagneundimanche:onytrouvaittoujours«la»messe.Arrive le jouroù jedoisservirunemesseà lacathédrale.En fait, il s’agitd’unemessepontificaleetmonpremierrôledoitêtreceluide«caudataire»,autrementdit,deporte-traînedel’évêquequiétaitalorsMgrMénager.Bienentendu, servirunemessepontificale«à trois chevaux»commeondisaitalors -autrement dit avec prêtre, diacre et sous-diacre - n’était pas une mince affaire. Lesrépétitionsavantlegranddimanchesontmultipliéeset,cettefois,ellesontlieudanslechœurmêmede la cathédrale. Unmaître de cérémonie est chargé d’apprendre ou derappeleràchacundesacteursdecetteliturgiecomplexe-jeunesservants,séminaristes,prêtresnouvellementordonnés-commentsetenir,oùseplacer,commentsedéplacer...Leplus importantétait,pour lesservantsdemessequenousétions,desavoirversoùnousdirigerunefoisarrivésdanslechœur;nousn’avionspasgrand-choseàfairepuisquel’essentiel du service d’autel était assuré par des séminaristes, ces jeunes hommes ensoutanes qui faisaient notre admiration. Quant au maître de cérémonie, véritableordonnateur de ballet jonglant avec les subtilités du rituel, il nous indiquait desrepèressurlesolafinquenoussachionsoùnoustenir:telledalle,telcoindetapis...Legrand jourarrive. Jemesouviensquenousnouspréparionsà lasacristie,bâtimentlégèrementàl’écartdelacathédraleelle-même.Processiond’entrée:jemarchederrièremonseigneuren tenantbiensa traînecommeonm’aapprisà le faire.Pourallerde lasacristieàlacathédrale,lecortègeemprunteunesortedepetitpontcouvertaboutissantdansledéambulatoire;puisc’estl’entréeenbonordredanslechœur.Làmonseigneurserendàsontrôneetunprêtreprendlatraînequejetenaispourlaluidisposercommeilsedoit.Quantàmoi, jeretrouvemaplaceducôtédroitduchœur, justederrière lestroissiègesréservésaucélébrant,audiacreetausous-diacre.Pourlapremièrefois,j’entendslegrandorguequejevoislà-bas,toutaufonddelanef.Decette interminablemesse, jegardelesouvenirdesministresdel’autelvenants’asseoirjustedevantnous,les«servantsnovices»,aumomentdu«Gloria»etdu«Credo».Detempsentemps,pendant lechant,diacreetsous-diacres’inclinentvers lecélébrantetenlèventleurbarrettequ’ilsremettentaussitôt.J’apprendraibienplustardlasignificationdeceritequi,pourlemomentmeparaîtplusamusantqu’autrechose.Tout sedérouledans l’ordregrâceà lavigilanceducérémoniairedemonseigneurquisemblesedélecterdecettesortede«chorégraphie»bienhuilé.Quantàl’évêque,ilestenfacedemoi,àsontrôneplacéaucôtégaucheduchœur;jenevoispascequ’ilfaitetjedevineencoremoinscequ’ilpensedecesalléesetvenuesde«son»clergéluidonnant

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l’impressiond’êtreappliquéetdiscipliné(cemêmeclergéqui,quelquesannéesplustard,feratotalementdéraillerlaliturgie).Pourcequiestdeschantsproprementliturgiques,ilssontexécutésparunechoraleetparlesséminaristes.Pourautantquejem’ensouvienne,lachoralesetrouvaitdanslesstallesdel’avant-chœur,ducôtégauche; ilyavait làunsecondorguedontlestuyauxétaientintégrésauxboiseriesdesstalles.Lesséminaristes,eux,prenaientplacedanslesstallesducôtédroit.Undimanche,aprèslamesse,monpèreneputs’empêcherdemedire:«J’ail’impressionquelesséminaristess’amusentbien:aumomentoùilssedonnentlebaiserdepaix,onenvoitquifontdeseffortspournepasrire;jemedemandecequ’ilpeuventseraconteràl’oreille...»Unautresouvenirquejegardeenmémoireestceluidelachutedumaîtredechœur.Cedernier dirigeait la chorale du haut d’une petite estrade placée devant les claviers del’orguedechœur. Je leregardaisdirigeretconstataisavecuncertainamusementqu’ils’agitaitbeaucoup.Àlafindecertainesmessessolennelles,lachoraleentonnaitcequenousappelionsle«Magnificatparisien»enpolyphonie.Undimanche,lemaîtredechœur(jecroisquec’étaitunchanoine)mittellementd’ardeuràdirigerlechantetgesticulatantqu’iltombadesonestradeetdisparutaumilieudeschoristes.Le«Magnificat»devintsoudainunpeumoinssolenneletunpeuplusmaigrichon.Ducôtédesséminaristes,jevisdesépaulessecouéesparlesriresplusoumoinscontenus.Par la suite, je suis appelé à servir desmesses plus «ordinaires» aumaître-autel. Jeconnaismonrôleetm’appliqueàleremplirleplussérieusementpossible.Lacommunionestdonnéeaubancdecommunionoùlesfidèlesviennents’agenouiller.Leprêtredonnel’hostieendisantdevantchaquecommuniantunelongueformule(«CorpusDomininostriIesuChristicustudiatanimamtuaminvitamaeternam»),tellementlonguequ’illadébiteà toute vitesse. La communion était alors donnée en partant d’un bout du banc decommunionetenallantà l’autrebout.Arrivés là,nousretournionsaupointdedépartpour recommencer la distribution. Je remarque alors qu’à ce «point de départ», unespacemarquéparuneplaquenoirereste libre : c’est l’endroitoùrepose ladépouillemortelledeBossuet,ancienévêquesurnommél’«AigledeMeaux».Ilauraitétédéplacédemarchersursapierretombale.Undimanche,jefusdésignépourservirunemessed’untoutnouveaugenre:unemessedite«desenfants».La liturgienedifféraitenriendesautresmessessaufqu’elleétaitcélébréefaceàl’assistancesurunautelamovibleenboisplacéenavantduchœur,leplusprèspossibledesfidèles.NousétionsavantleconcileVaticanIIetdéjàcertainesmessesprenaientdesapparencesinsolites.Commej’étaismoiaussi«faceaupeuple»enmetenantderrièrelecélébrant,jepouvaisvoirmesparentsquiétaientdanslanef.Al’issuedelacélébration,monpère-quidanssajeunesse,avaitaussiétéservantdemesse-medit:«Tun’aspassonnécorrectementlaclochette au “Domine non sum dignus”: c’est un coup, deux coups, trois coups et unroulementbref.C’estcommeçaqu’onm’aappris.»Àces«messesdesenfants»,onchantaitquelquescantiquesaccompagnésparl’orguedechœur:«JourduSeigneur»(dontl’airestinspiréd’unchantrévolutionnaire),«Reçoisl’offrandedetesenfants»et,biensûr,«TuesmonbergerôSeigneur»,chantquifitdireunjouràunévêquequ’ilenavaitassezdumoutonqu’onluisertàchaquefoisqu’ilvisiteuneparoisse.

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La«messedesenfants»n’apparutpasimmédiatementcommeuneradicalenouveautémaisplutôtcommeunecuriosité:personnenefutàproprementparlerchoquédevoiruncélébrant tourné vers l’assemblée.Dupoint de vuedes rites et desprières, la liturgiedemeurait exactement identique à celle qui continuait à être célébrée aumaître-autelsituéaufondduchœur.Pourtant,aveclereculdesannées,jevoisquecette«messedesenfants»étaitunesortedesigneannonciateurdeladislocationdelaliturgiequiallaitêtreentreprisesouscouvertdesdirectivesconciliaires.Le concileVatican II? J’enentendsparlergrâceàunabonnementà la revue«Pilote»gagné en participant à un jeu-concours. À côté de l’apparition d’un héros de bandedessinée qui allait faire «un tabac» - Astérix le Gaulois - chaque numéro de cethebdomadaireconsacresadoublepagecentraleàunthèmed’actualité;et,unesemaine,lethèmefut«leconcile»quiallaitavoirlieu:undessinmontraitlepape,lescardinaux,lesévêquesquiallaientseréunirdanslabasiliqueSaint-Pierrepourtrouverlesmoyensde clarifier l’enseignement de l’Église catholique dans un monde de plus en plusindifférentàlaspiritualitéetdeplusenplusattiréparlematérialismecapabledegarantir-croyait-on-unevieplusfacileetplusagréable.Aprèslamessedudimanche,enattendantquejelesrejoigne,mesparentsallaientàlapâtisseriequisetrouvaitàgaucheensortantdelacathédraleetachetaientlà-traditionoblige-ledessertdominicalquenousirionsdégusterchezdesamisquihabitaientàAcy-en-Multienetchezlesquelsnousallionsordinairementmanger«àlafortunedupot».Unpottoujourscopieux!Pour nous rendre dans cette commune rurale située à la limite sud de l’Oise, nousprenionslaroutereliantMeauxàCrouy-sur-Ourcqmais,àunmoment,nousbifurquionsàgauche.Voyagersurlespetitesroutesdecampagne(trèsglissanteslorsdelasaisondela récolte des betteraves) ressemblait alors à une véritable expédition. Le villageapparaissaittoutàcoup,aprèsunvirage,àlasortied’uneforêt.Levillage?Non,cequiapparaissaitenpremier,c’étaitleclocherpointudel’église.Encoursderoute,ilfallaitrespecteruneautretradition:trouverd’urgenceunendroitpourstationnerquelquesinstantsafin...d’écouter«Surlebanc»,uneémissionradioquinous faisaitbienrireà l’époqueetquimettaitenscènedeuxclochards -Carmenet laHurlette - interprétés par Jeanne Sourza et Raymond Souplex. Ce petit arrêt nouspermettait-politesseoblige-denepasarrivertroptôtcheznosamis.C’est chez ces amis demes parents, àAcy, que je fis plus ample connaissance avec lamusique.L’après-midi,mesparentset leursamis«tapaient le carton».En clair, ils selançaient dans d’interminables parties de belote dont je percevais une montée enpuissanceduvolumesonoreàl’annoncede:«Beloteetrebeloteetdixdeder’».Pendantcetemps,ilmefallaitbientrouveruneoccupation.Dansunepiècevoisinedecelleoùsetenaient les joueurs invétérés, j’avais repéré un piano. Un dimanche, je risquai unedemandeàlamaîtressedemaison:«Est-cequejepeuxjouersurlepiano,s’ilvousplaît.»Réponse:«Biensûr; çava ledépoussiérer.Mais fermebien laportede lapiècepourqu’onn’entendepas...»Mevoiciseulavecunpiano,dansuneanciennesalle-à-mangerquin’étaitjamaisvisitéeetdontlesvoletsrestaientfermés.C’étaitlapremièrefoisquejevoyaisunclavierdeprès.J’enfonçais quelques touches et assez rapidement j’arrivais à retrouver lamélodie du«Magnificatparisien»quej’entendaisàlacathédralelesjoursdefête:mi-sol-fa-mi-ré/ré-mi-fa-mi-ré-do.Inutiledepréciserquejeneconnaissaispaslenomdenotes.

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Pourrepérerlestouchesqu’ilfallaitenfoncer,jemebasaissurleslettresquicomposaientlenomdufacteurdepianoetquifiguraientjusteau-dessusduclavier.Auboutd’unmoment,jereprisl’airenfaisantdesaccordsquejetrouvais«chouettes»,commeauraitditlePetitNicolasdelarevue«Pilote».Enfait-jelesauraibienplustard-jefaisaisunesuccessiondetierces.Unechosemedécevaitpourtant:aveclepiano,lessonss’évanouissentalorsqu’àl’orgueilssonttenus.Pourcetteraison,jetrouvaislepianoassez«pauvre»jusqu’àcequejedécouvrequ’unepédalepermettaitdefairedurerlessonspluslongtemps.Cependant,enlaissantmonpieddessus,lessonssemélangeaient,cequin’étaitpasdumeilleureffet etne ressemblait toujourspasà ceque l’orguemedonnaitd’entendreetquicréaitcettesolennitéquej’aimaistant.Presquetouslesdimanchesaprès-midi,pendantlapartiedecartesdesadultes,maplaceétaitaupiano.Telsfurentmespremierspasdanslamusique.N’ayantpasl’occasiondeprendredescours,pendant longtemps jenesauraipas lireunepartitionetne joueraidoncque«d’oreille»cequi,commeonleverraparlasuite,aaussidesavantages.

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4.ENTOURAINE

Pourdesraisonsànouveauprofessionnelles,monpèreestobligédepartiràTours,enIndre-et-Loire,oùunnouvelemploil’attend.Arrivésdansle«jardindelaFrance»,nousnous installons dans un appartement meublé situé boulevard Heurteloup. Cedéménagement a au moins un avantage: il nous rapproche de la famille paternelleoriginairedel’OuestethabitantpourpartieenBretagneetpourpartieenAnjou.ÀTours,notreparoisseestcelledeSaint-Pierre-Ville,dansunquartiertranquille.L’égliseressembleplusàuneéglisedecampagnequ’àuneéglisedeville:jem’amuseàvoirsonclocherenboisoscillerlorsquesebalancentlesclochesqui,àl’époquesontsonnéesàlamain.L’intérieurestplutôtsombre.LedimanchenouspartionsàpiedduboulevardHeurtelouppourassisteràunemessebasse.Maispasn’importequellemessebasse!Parfois,ilyadel’orgue,essentiellementpendantl’offertoireetlacommunion.C’estaumomentdel’offertoirequejepeuxsavoirsionallait avoirdroitàde l’orgueoupas.Eneffet, à cemomentde la célébration,onentendait le bruit que font les soufflets de l’instrument lorsqu’ils se gonflent.Invariablement,l’organisteimprovisaitsurlamélodied’uncantique:«ÔDieu,reçoislefromentbroyé:voiscommeestbeaucepain...»Undimanche,àlafindelamesse,jevoisdescendredelatribunecetorganistequej’admiraissansleconnaître.Ilmesemblebienavoirremarquécejour-làqu’ilétaitaveugle.Puisqu’ilfautbienallerenclasse,jesuisinscritauCollègeSaint-Grégoire.L’établissementestdiviséendeuxsectionsclairementdifférentes:le«PetitCollège»quiétaitavenuedeGrammontetle«GrandCollège»dontl’entréeétaitdanslapartiebassedel’avenuedelaTranchée.Au fondde la salle de classedu «Petit Collège» se trouvait unharmoniumautourduquelnousnousmettionspourlescoursdechantstandisquenotreinstitutriceallaitauclavierd’oùellenousdirigeait.Parmilestitresquenousavonsalorsappris,j’airetenulemotet«JesuSalvatormundi»quenouschantionsàtroisvoixégales.Changementd’horizon: jepasseau«GrandCollège»où l’ambianceest trèsdifférentepuisqu’onytrouve,dansdesbâtimentsséparésdeceuxqu’occupentlesélèveslesplusjeunes,defutursséminaristes.C’estdusérieux!Lesmardisetvendredismatinnousassistonsàune«messebasse».Commelejeûneestderigueuravantdecommunier,lesélèvesquiontreçuleCorpsduChristontdroitàunpetitdéjeuner(prisensilence)aprèslamessetandisquelesautresattendentlareprisedescoursdansunesalled’étude.Danslachapelleoùestcélébréelamessesetrouve,contrelemurducôtédroit,unpetitharmoniumet au fond, sur une tribune, un orgue. Systématiquement, après le rite deconsécration-élévationdel’hostieetducalice-notreprofesseurdelatin,lePèreLantrain,seglissederrièrel’harmoniumetnousfaitchanter«OSalutarisHostia».Jemedemandepourquoicen’estjamaisl’orguequinousaccompagne...Maislemomenttantattenduarrive.Jenesaispluspourquelleoccasion-peut-êtrelafêteduCollège-notreévêque,MgrFerrand,vientcélébrerunegrand-messe.Commeilfautsolenniser la liturgie aumaximum, c’est l’orgue qui sera utilisé. On demande aussi àquelques élèves de renforcer la «scholades grands » pour le chant des pièces del’Ordinairedelamesse.Parchance,jefaispartiedes«élus»:jevaisdoncavoirledroitdemonteràlatribuneetdevoirdeprèsàquoiressembleunorgue.Lesrépétitionsse

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multiplientàmesurequelegrandjourapprocheet,pourquenouspuissionschanter,onnousmetentrelesmainsunépaislivrenoirdanslequelfigurentdesnotescarrées-quejenesaispaslire-ainsiquelestextesdelamessedisposéssurdeuxcolonnes,l’uneenlatin,l’autreenfrançais.Celivre-jenel’apprendraiquebienplustard-estun«Paroissienromainn°800».Ilesttropbeauetjedécided’oublierdelerendreàlafindelamesse(Meamaximaculpa...):ilnemequitteraplus.N'étantpasunélèvebrillantet leCollègeSaint-Grégoireexigeantunniveautropélevépourmespossibilités,jequittecetétablissementpourleCollègeSaint-GatienalorssituéruedesUrsulinesettenuparlesFrèresdesÉcolesChrétiennes.Là,ilyabienunegrandechapellemaispasorgue;seulementunharmoniumsurlequelj’obtiensledroitdejouerentrel’heuredurepasdemidietl’heuredelareprisedescours.Étantdonnéquepersonnenevient à la chapelle, personnene se souciede savoir si je jouebien,mal, ou si, toutsimplement, je sais jouer. Heureusement! Ces moments passés sur un clavier mepermettentderetrouveretderetenir-grâceàmamémoireauditive-lesmélodiesdeschantsusuelsdelamesse.Auboutdequelquestemps,noustrouvonsunemaisonàacquériràMontlouis-sur-Loire,à une douzaine de kilomètres de Tours. Comme c’est la coutume dans les famillescatholiquesdecetemps,àl’issuedelapremièremessedominicaleàlaquelleilsassistent,mesparentsseprésententauCurédelaparoisseetl’invitentàpartagerunrepas.M.leCuré-quiabeaucoupdeméritede«tenirlecoup»dansuneparoisseoùunemajoritédelapopulationestouvertement«degauche»etviscéralementanticléricale-vientunsoir,heureuxdefaireconnaissanceavecsesnouveauxparoissiens.Dansladiscussion,jeluiapprendsquej’aiétéservantdemesseàlacathédraledeMeauxet lui demande s’il serait possible de rejoindre le groupe des servants de la paroisse.Aucun problème. Dans la foulée, j’annonce au prêtre que je sais «un peu» - uneuphémisme-jouerdel’harmoniumetquej’aimeraisbienêtreautoriséàm’exercersurl’harmoniumparoissial.Unenouvellefois,aucunproblème.M.leCurémedonnerendez-vousàl’égliseunjourdesemaine,enfind’après-midi:ilmemontreral’instrument.Au jourditetà l’heuredite, jesuisaurendez-vouset j’attends fébrilement.M. leCuréarriveetmemontrel’harmonium:ilressembleàunesorted’énormecaisserecouverted’unehousseetayantsurledevantunclavierlui-mêmeprotégéparunesortedelonguenappebrodée.«Voilà»meditleprêtrequi,s’asseyantsurunhauttabouretlégèrementincliné,semetàactionnerdeuxgrandespédalesetàjouerquelquesaccords.«Tupeuxvenir quand tu veux» conclut-il avant de repartir par une petite porte conduisantdirectementaupresbytère.Jesuisauxanges:c’estlapremièrefoisquej’aiuninstrumentàmadisposition!Entirantdesgrosboutonsportantdesnomsdontlesensm’échappe(aéoline,voixcéleste,bourdon...)jedécouvrelesjeux;jecomprendsqu’ilspermettentdesélectionnerdessonoritésetqu’ilfautentirerauminimumdeuxpourquecessonoritésenquestioncouvrentlatotalitéduclavier.Entremesgenouxsetrouveuneplanchettequ’onpeutpousseràdroiteouàgauchepourfaireplusoumoinsfort;àl’extérieurdemesgenoux,deuxautresplanchettespermettentd’ouvrirdesjalousiesdisposéessurledessusdel’harmoniumafindedoserégalement-maisselonunautreprincipe-lapuissanceduson...Jenemelassepasdedécouvrircetinstrumentdontlesonmerappelleceluidel’orgue:mevoilàdéjàloindupianod’Acy-en-Multien!

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Ledimanche, jesers lagrand-messeavecmesnouveauxamisenfantsdechœur;nousportonslasoutanerougeetlesurplis.Lacélébrationcommenceparl’«Aspergesme»ou,durantletempspascal,parle«Vidiaquam».C’estunhonneurquedetraverserl’alléecentraledel’égliseentenantlebénitieretenprécédantd’unpasM.leCuré;arrivésaufonddel’église,ilnefautpasoublierdemarqueruntempsd’arrêtpendantlechantdu«GloriaPatri».Deretouràl’autel,c’estl’oraisonfinalequenousautres,enfantsdechœur,finissonsparsavoirtellementparcœuràforcedel’entendrequesilecélébrantsetrompe,nous le reprenons. Cette messe dominicale est chantée par six ou sept jeunes fillesaccompagnées à l’harmoniumparunedemoiselle portant chapeau et voilette.Ainsi leveutl’époque...Quechante-t-on?Ordinairement,la«MessedesAnges»;lesjoursdefête,une«Messeroyale» deDuMont. Pendant lamesse, les chants habituels: «Jem’avancerai jusqu’àl’auteldeDieu»,«Reçoisl’offrandedetesenfants,tousunisdansunmêmeélan»et,bienentendu,«Tuesmonberger,ôSeigneur».LesjoursdefêtesdelaVierge,onalechoixentre l’«AveMaria»deLourdeset le«Cheznous,soyezReine».Biensûr,àNoël, lescantiquestraditionnelsconnusdetoussontà l’honneur. Jen’aiaucunsouvenird’avoirentenduautrechose:c’étaitlàlerépertoiremusicalusuel-avecquelquesvariantes-desparoissesruralesavantleconcileVaticanII.Uneseulemesseestintégralementchantéecommeilsedoit: la«MessedesDéfunts».Commelesjoursoùilyavaitunenterrementleschoristesn’étaientpaslà,laliturgieétaitchantéeparM.leCuréalternantavecunchantrequi,ordinairement,assuraitlafonctionde sacristain. Cethommedévoué avait appris la «MessedeRequiem»par cœur et lasavaitsibienqu’ilauraitsûrementpulachanterdetête.Jemesouviensquequandnous,jeunesservants,devionsservirunemessedefunérailles,nousétions très fiersdeporterune soutanenoire identiqueà celledeM. leCuré.Lesdifficultésapparaissaientquandilfallaitassurerleservicedel’encensetdel’eaubéniteaumomentde l’ «absoute». Autre souvenir: lemissel d’autel utilisé pour lesmessesd’enterrementétaitbienpluslégerquelemisselutilisépourlesmesseshabituelles.Aussi,quandnousleprenionspourlechangerdecôtésurl’autel,ilfallaitfaireattentiondelesaisiravecunecertainedélicatessepournepasrisquerdel’envoyerenl’air...Cequenousaimionsbien faireétaitdesonner leglaspendant tout le chantdu«Diesirae».PendantqueM.leCuréalternaitlesversetsaveclechantre,nousquittionslechœurpourgagnerleclocher.Lànousattendaientdeuxcordesquimontaientjusqu’àunplafondenbois au-delàduquel était unmondemystérieuxquenous aurions aimé explorer. Ilfallaitsonnerlapluspetiteclocheàlavoléetandisquelagrosseétaitlancéepuisbloquéed’uncoupsecafinqu’ellenedonnequ’untintementàintervallesréguliers.À lasacristie,avant lesmesses, lesdiscussionsessentiellesportaientsurceluiquisera«servantdedroite»etceluiquisera«servantdegauche»:celuiquiservaitàgaucheayantmoinsàfaire,sonrôleétaitmoins«prestigieux»;c’estsouventlui,cependant,quiavaitle«claquoir»,objetconstituédedeuxplanchettestenuesensemblepardepetitescharnières; leclaquementsonoredecesplanchettes l’unecontre l’autrepermettaitdedonnerà l’assemblée lesignalde l’attitudeàadopteroudugesteà faire.Merveilleuseinventionquipermettaitdegarantirleparfaitrespectd’unritueltellementstructuréqu’ilfallait l’observerdansunensembleparfaitetainsi limiteraumaximumtouteerreurettoutemaladresse.

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La grande aventure arriva un soir. Mes parents et moi avions fini de souper lorsquequelqu’un sonne à la porte. C’est M. le Curé. Il m’annonce que la dame qui tienthabituellementl’harmoniumestassezgravementmaladeetmedemandedebienvouloirlaremplacerdeuxoutroisdimanchesenattendantqu’elleaillemieux.PauvreCuré:ilnesavaitpascedontj’étais(in)capablesurunclavier!Jenepouvaisplusreculer.Tous lessoirs, j’allaisà l’églisepourm’exerceren faisantappelàmamémoireauditive.Auboutd’unmoment, j’avaisretrouvéquelquesmélodiesusuellesmaispourêtresûrd’êtreopérationnelledimancheàvenir,jemisdespetitsrepèressurlestouches...Ledimanchearrive;lesjeunesfillesformantlachoralesontprésentes;jesueàgrossesgouttes; lamessevacommencer;M. leCuré sortde la sacristieprécédédemesamisservants...quiontbiendelachanced’êtrerestésservants;letempsquetousarriventàl’autel,jefaisunpeudebruitplusoumoinsagréableenabaissantquelquestouches.Grâceauxrepèresquej’aimissurleclavier,jeparviensàdonnerletonpourl’«Aspergesme».Maisdèsquetoutlemondesemetàchanter,jem’emberlificoteetabandonnetoutespoirde pouvoir accompagner quoi que ce soit. Durant cettemesse, j’arriverai tout juste àdonnerlesnotesdedépartdesdifférentschants...Aprèslacélébration,M.leCurévientmetrouveretmedemandedepasseràl’égliseunaprès-midi,quandjeseraideretourducollège.Lejourconvenu,jesuisaurendez-vous;M. leCuré,encoreamusédemonaventure,s’installeà l’harmoniumet, faisantappelàquelques connaissances musicales qu’il avait probablement apprises au séminaire,m’entraîne à enchaîner trois accords que je retiens grâce àmon oreille et surtout enrepérantlapositiondesdoigts.1Àl’aidedecesaccordsmémorisés,jeparviensàsoutenirdemieuxenmieuxquelqueschantsusuels.Bien entendu, un musicien qui m’aurait entendu jouer aurait trouvé ma façond’accompagnerd’unepauvretéaffligeante;maisjesuiscontentdemesprogrèset,auboutde quelques semaines, je parviens à accompagner - si l’on peut dire - la totalité de la«MessedesAnges».Demeurecependantunproblème:jenesaispasutiliserlestouchesnoiresdel’harmonium;autrementdit,jenesaisjouerqu’enDomajeurouenLamineur,deux expressions dont, à l’époque j’ignore totalement le sens. C’est ce qui fait quej’accompagnesoittrophaut,soittropbas:lapetitechoraleparoissialeestmiseàrudeépreuve!La dame qui tenait l’harmonium décède, ce qui fait que je deviens officiellement«harmoniumiste»delaparoisse.Ilmefautimpérativementprogressersijeveuxêtreàla hauteur dema tâche et c’est là que l’oreillemusicale joue pleinement son rôle: nesachantpaslirelesnotesetayantundoigtéplusqu’improbable,jedoiscomptersurellepourretrouverlesmélodies.Curieusement,enlesentendant,jesaisimmédiatementoùlescommencerpourqu’iln’yaitnidièsenibémol:aucunetouchenoire.L’harmoniumaungrandavantagepourlesignorantsdemonespèce:ilpossèdeunclavierdit «transpositeur». On peut faire glisser l’ensemble des touches soit à droite soit àgauchepourque,toutenjouantcommeonenal’habitude,lamélodiepuissesonnerplushautouplusbas.Merveilleuseinventiongrâceàlaquelle,parexemple,lafameuse«MessedesAnges»sonneenRémajeur-plusfacileàchanteretagréableàentendre-alorsqueje continue à l’accompagner en Domajeur. Merveilleuse invention, oui... Mais quime

1Enfait,M.leCuréfaitunaccorddeDomajeurpuis,delamaingauche,ildescenddetroistouchespourobtenirunaccorddeLamineur,encoreunedescentedetroistouchespourobtenirunaccorddeFa; ladescentesepoursuitpourretomberànouveausurunaccorddeDo.Duranttoutcetemps,leDosupérieurestmaintenu.

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conduitànepasfairel’effortd’apprendreàtransposerlespièces-c’est-à-direàlesjouerenutilisantlestouchesnoires-pourqu’ellessoientàunehauteurchantablesansavoiràutiliserlesystèmedu«claviertranspositeur»quin’existequesurlesharmoniumsetpassurlesorgues,commejeledécouvriraiplustard.Telssontmesdébutsd’organiste:oreille,mémoireetimprovisationresterontlongtempslesseulsmoyensmepermettantdefairedelamusique.C’est durant notre séjour en Touraine que je fais ma communion solennelle. À cetteoccasion,monparrainm’offreun«MisselFeder»etmesparentsundisque33tours.Monpremierdisque!Surlapremièrefaceestgravéelaplusquepopulaire«Toccataetfugueenrémineur»deJean-SébastienBachsuivieduchoral«Jésusquemajoiedemeure»;surlasecondeface,lagrande«Passacaille»enutmineur.Lespiècessontjouées-commelepréciselapochettedu«vinyle»-parEdouardCommettesurl’orguedelaprimatialedeLyon.Jenesaisnicequ’estunetoccata,nicequ’estunefugue,nicequ’estunchoral,ni ce qu’est une primatiale. Mais j’écouterai ce disque jusqu’à ce que, labouré par le«saphir», il soit devenu presque inaudible tellement il craque. C’est ainsi que je faisconnaissance avec Jean-Sébastien Bach que ma mère, qui n’avait pas fait d’études,connaissaitpourtantgrâceàsafamillepaternellealsaciennequiétaitprotestante.À une autre occasion, je reçois un autre disque. Encore du Bach. Sur une face a étéenregistrée la partita «O Gott, du frommer Gott» et sur la pochette du disquen’apparaissentquelestouchesnoiresdeplusieursclaviersd’orgue.Ladernièrevariationdelapartitamesubjugue;j’essaieraid’enretrouvergrossomodol’airsurl’harmonium...Çan’irapastrèsloin.Lesexplicationsquifigurentsurlapochettedudisqueindiquentquelaphotomontrelesclaviersdel’orgueSilbermanndeMarmoutier.IlyabienunMarmoutierprèsdeTours,mais ce n’est pas le bon; et il n’y a pas d’orgue à cet endroit, et encore moins unSilbermann!Mamèrem’expliquequeleMarmoutierdudisqueestceluiquisetrouveenAlsace,nonloindeStrasbourg.Certainsdimanches,nousallonsrendrevisiteàlafamillenonloind’Angers.Mesgrands-parentshabitentcequ’ilestconvenud’appelerune«maisondemaître»situéeaubordduLoir,àcôtéd’unancienmoulin,àVillevêque;unoncleetunetantehabitentàMûrs-Érigné.Régulièrement, la familleseretrouveà laBasse-Bouchetière, logisruralduXVIesiècleentourée de douves. Là nous sommes accueillis par «TanteMarie», une sœur demagrand-mèrepaternelle;plusjeune,elletenaitl’harmoniumdelaparoissedelaChapelle-Saint-Laudoù,lesjoursdefêtes,elleaccompagnaitmongrand-pèrequirehaussaitl’éclatdelamesseenjouantduvioloncelle.C’estaussipendantcesquelquesannéespasséesenTourainequejefaisladécouvertedelaBretagne,régionnataledemonpère.Celui-ciavaitunclientàvoirducôtédeSaint-Brieucetcommesonrendez-voustombaitpendantlesvacancesdePâques,ilfutdécidéque nous profiterions du voyage et que nous prendrions quelques jours pour voir larégion.Les obligations professionnelles de mon père ayant été remplies, nous partons à ladécouverte:messedePâques(quinemelaisseraaucunsouvenir)àGuingamppuisnuitd’hôtelàErquyet le lendemain,directionLannionetTrégastel.Monpèrenousditque

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c’estsûrementuntrèsbelendroitpuisquenousseronssurunepointeentouréedetouscôtésparlamer.NousarrivonsàTrégastellelundidePâquesvers11hdumatin.UnemessevientjustedesetermineretdesfidèlessortentdelapetitechapelleSainte-Anne;lesfemmesportentpresquetouteslacoiffeduTrégor.Trèsfierderetrouversesracines,monpèrenousdit:«C’estçalaBretagne!»Toutàcoup,unprêtresortdelachapelle;ilestensoutaneetcoiffé d’une barrette. J’apprendrai plus tard que la Bretagne sera l’une des dernièresrégionsdeFranceoù lesprêtresobtiendront l’autorisationd’abandonner leportde lasoutane.Envoyantceprêtre, jedis:«C’estsûrement lecuréde laparoisse.»Miseaupointimmédiatedemonpère:«Non!Icicen’estpaslecuré:c’estMonsieurleRecteur.»Bon:enBretagne,uncuréc’estunrecteuretunrecteurc’estuncuré.L’inversedurestedelaFranceenquelquesorte...Nouspoursuivonsnotreroutepourvoirlameretnousarrivonsfaceàelle,auboutd’unepetiteroutequiseterminedanslesable,aupiedd’uneimmenseblocdegranitebaptisé«CouronneduroiGradlon».Momentmagique:un lundidePâques lumineux;pasuntouristeàl’horizon;pasencoredeconstructionsanarchiquessurlelittoral;unegrandeplagedesableblanc-la«GrèveBlanche»ou,enbreton,«TraehzanAodWenn»-etlavastemerbleue...Nousrestonssansvoixdevanttantdebeautéjusqu’àcequemonpèredise:«Jevaisvoirsionpeutlouerquelquechoseicipourlesvacances.»Ceserachoserapidementfaiteentreunplateaudefruitsdemeretdescrêpes...NousreviendronsdonctouslesétésàTrégasteletpendantdelonguesannées.J’enreviensàl’heureoùj’écrisceslignes...Lorsdespremièresvacancespasséesdanscetendroitenchanteur,nousallonsàlamesseà la chapelleSainte-Anne.Etnous sommes loind’être seuls:desvacanciersayantdesracinesfamilialesenBretagnesontlà;beaucoupdeParisiens.Leschosessontsimples:ensemaine,nousnousretrouvonstousàlaplageetledimanche,nousallonstousàlamesse.Ilyatellementdefidèlesetlachapelleestsipeuadaptéeàrecevoir tant demondeque lesmesses se suivent: il y en a cinq le dimanchematin!Tandislesfidèlesquiontassistéàunemessesortentparuneportelatérale,M.leRecteursonnelaclocheinvitantlessuivantsàentrer...Dansuncoindelachapellesetrouveungrosharmonium«Debain»,maispersonnenel’utilise. JeproposemesservicesàM. leRecteur qui accepte immédiatement: c’est plus facile de faire chanter une assistancevenant d’horizons divers lorsqu’il y a un instrument pour soutenir les voix.J’accompagneraiainsideuxmessesdominicales;maispasplus:dimancheoupas,laplagem’appelleetlebainquiprécèdelerepasdemidiestsacro-saint!Fin juillet,nous fêtonsSainteAnne, lamèreattitréedesBretons.À cetteoccasionunemessedusoirestcélébréeàlagrandeégliseparoissialedubourg;elleestsuivieparuneprocessionquivajusqu’àunesortedecalvairedominanttoutlepaysageetoùestalluméungrandfeu,le«Tantad».Aveclesamisetamies,nousallonsaubourgàpieds,àtraverslalandelorsquelesoleilcommenceàsecoucher.EtDieusaits’ilsecouchetardl’étéenBretagne! À l’église, magnifique édifice en granit datant de la fin du XIIe siècle (àl’exceptionduclocher),j’aimaplaceàl’harmoniumquiestplacénonloindel’autel.Lanefestpleine;denombreuxfidèlesdoiventresterdebout.Les recteurs des paroisses environnantes ont été invités: ils alternent la «Messe desAnges» avec l’assistance soutenue par l’harmonium que je fais «ronfler» autant quepossibleenactionnantlespédales.C’estàcetteoccasionquej’apprendsàaccompagnerle

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cantiquede la fête qui est chanté soit en français (Sainte ô bonneMère, toi quenousvénérons... bénis tes Bretons) soit en breton (Mamm an Itron Varia ha Mamm arVretonned).Toutlemonde,ycomprislestouristes,passentsansdifficultéd’unelangueàl’autre - sans oublier le latin pour les pièces de l’Ordinaire. Personne ne sembles’offusquerdesavoirque,d’aprèslesparolesducantique,SainteAnnenebénitque«ses»Bretons...etpaslesfidèlesvenusd’autresrégions!J’auraisunjourl’occasiond’accompagnerunemessed’enterrementcélébréedanscettemêmeéglisedubourgdeTrégastel.Momentd’unegrandeintensitéoùseressentl’âmecelteportéenaturellementàs’interrogersurl’au-delà.Àcetteépoque-là,enBretagne,laliturgiecommenceencoreparlechantdel’OfficedesLaudesdesdéfunts;jesuissurprisd’entendre toute l’assistancechanter l’Invitatoire«Regemcuiomniavivunt...»Etpuisvientlepoignant«cantiqueduparadis»(Jezuz,pegenvras’e)qu’ilfaut,pourengoûtertoutelaprofondeur,chanterunjourdeToussaint,quandlecielestbasetaussigrisquelamer.Aprèsl’absoute,aumomentdepartirendirectionducimetière,toutlemondechante«Saluddeoc’hillizmefarrouz,saludillizmazadoukoz...»(Salutéglisedemaparoisse,salutéglisedemespères...)Telles seront, pendant des années, les vacances en Bretagne en compagnie des«habitués»quel’onretrouveavecplaisiràlaplage,chaquedébutjuilletaveclesformulesconsacrées:«Ahvousêteslà!Alors,comments’estpassécethiver?Toutlemondevabien?Vousêtesdéjàallésvousbaigner?L’eauestcomment?»Etlaréponsequivadesoi:«Elleestaussibonnequel’andernier:letoutc’estd’yentrermaisunefoisqu’onyest,elleestbonne...»

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5.RETOURENALSACE

Nouveaudéménagement:monpèreestenvoyéenAlsace,à...Schweighouse-Lautenbach.Ilfaudrasefaireauxnomsàconsonancegermaniquedecetterégiondontjenegardeplusbeaucoupdesouvenirs.LevoyageMontlouis-Schweighouseestdignedesfilmscomiquesdel’époque.Tandisquenosmeublesnousrejoindrontsurplaceenvoyageantparcamion,nousfaisonsletrajeten 2CV en traversant une France qui ne connaît que des routes départementales etnationalessurlesquellesonserepèregrâceàunecarteMichelin.La«deudeuche»?Elleaétéprêtéeàmonpèreparsonentrepriseenattendantlalivraisond’unevoiturepluspuissanteetplusconfortable.Lemoinsqu’onpuissedireestque,pourl’instant,lavitessequenousréussissonsàatteindredépendbeaucoupdelaforceetdeladirectionduvent.Levoyagese faitendeux jours.Aprèsavoir traversé laSologne,nousarrivonsenfinàSaint-Fargeau où nous allons passer la nuit: dormir à l’hôtel, un luxe... même si lestoilettessontsurlepalieretquelesmatelasdelaliterienousfontdescendrepresqueplusbasquelessommiers!Le lendemain, il va falloir «avaler» le reste des kilomètres: Toucy, Auxerre, Chablis,Tonnerre, Châtillon-sur-Seine... La vitesse à laquelle nous roulons nous donne tout letempsd’admirerlaFranceruraleetderéviseràcetteoccasiondesleçonsdegéographieoud’Histoire.Grandjeupourrendrelevoyagemoinsfastidieux:repérerlesnumérosdesplaqueminéralogiquesdesvoiturescroisées,direlenomdudépartementetdesonchef-lieuet,cerisesurlegâteau,dessous-préfectures!À Langres, le voyage devient périlleux: il faut passer aux pieds des remparts et parconséquentprendrelagrandemontéequiconduitàlaville.Ceseradifficile:la2CVabiendumalavecsestroispassagers,lechien-ungriffon-korthalsacquisenTouraine-lesdeuxcanarisdansleurcage,lesdeuxpoissonsrougesdansunseauetquelquesbagages.Ilpleut.Etdansnotremodèlede2CV,lesessuie-glacesvontàlavitessedelavoiture:monpèreexpliquequ’ilsfonctionnentgrâceàuncâblereliéàuneroueduvéhicule.«Mais-ajoute-t-il-vousverrez:dansladescentedel’autrecôtédelaville,çavacarburer!»Enmoi-même,jechanteleslouangesdelaNautamine...AprèsavoirtraverséFayl-Billot,Vesoul(qu’ilfautavoirvu!)etLure,apparaissentauloinles Vosges. Enfin Belfort puis Guebwiller où mon père va chercher les clés de notrenouvelle maison de Schweighouse. L’endroit (bien défiguré aujourd’hui par desconstructionssansintérêt)n’estpasunecommunemaisuneannexede180habitantsduvillagesuivant:Lautenbach.Ilyadesprés,desforêtsetsurtoutpartoutlamontagne:lepoint culminant des Vosges, le Grand Ballon, est tout à côté. Du milieu des maisonsdépasseunclocherblanc.Doncuneéglise.Donc-peut-être-unorgue...Àcetteépoque,lepluspetitvillageasoncuré.IlyenaunàSchweighouse:nousl’inviterons,commedecoutume.LorsqueM.leCurévientnousvoir,jeluidisquej’airemarquéqu’ilyavaitunorguedansl’égliseet je luidemandesi jepeuxyavoiraccès. Iln’yaurapasdeproblèmeune foisobtenu l’accord de l’organiste titulaire qui vient du village voisin. J’en profite pourdemandersijepourraisfairepartiedelachorale.Cardanscevillagede180âmes,ilyaunechoraled’unebonnevingtainedepersonnes.Etquellechorale!Noussommesauxenvironsdesannées1965-66ettouslesdimancheslespiècesdel’OrdinairedelamesseetduPropredujoursontintégralementchantées.Uneheureavantlamessedominicale,

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ilyarépétitiondeschants;c’estàcetteoccasionquejemefamiliarisedavantageaveclegrégorien,ce«chantpropredelaliturgieromaine»selonlestermesdeVaticanII.Lesjoursde fêtes, nous chantons aussi despolyphonies etmêmedesmesses complètes àplusieurs voix écrites par d’éminents «chanoines-compositeurs» de la cathédrale deStrasbourg.Je découvre l’orgue paroissial. C’est un instrument néoromantique de deux claviers(grand-orgueetrécitexpressif)etàtractionpneumatique:onentrouvebeaucoupdanslespetitesparoissesd’Alsace.Alorsque lespremierseffetsduConcile«revisitépar leclergélocal»commencentàsefairesentirmêmedansunerégionplutôt«conservatrice»comme l’Alsace, notre organiste titulaire fait des pieds et des mains pour conserverl’usageduchantgrégorienàlagrand-messe.Ilnesaitpasqu’ilpasserabientôtpourunirréductible «traditionaliste» alors qu’en réalité c’est sûrement lui qui, dans toute lavalléeestleplusfidèleauxenseignementsdeVaticanIIsurlaliturgie.Pourcequi toucheàmascolarité, jesuis inscritenclassede3eau«Lycéenationalisémixte»deGuebwiller,établissementquiseraplustardbaptisé«LycéeAlfredKastler»enl’honneurdeceguebwilleroisqui,jeune,yavaitsesétudesetobtiendraen1966leprixNobeldephysique.Danslaclasse,plusieursélèvess’intéressentàl’orgueousontmêmeorganistesdansleursparoisses respectives. Le jeudi après-midi, sur nos vélos, nous allons ensemble d’uneégliseàl’autrepourdécouvrirlesinstrumentsquis’ycachent;commemesamisontlescléspermettantl’accèsauxtribunes-ouontunprocheparentlui-mêmeorganistequialesclés-nousnouspayonsleluxedeconcertsimprovisésquidurentjusqu’aumomentoùilfautsongeràrentrerchezsoipourterminerlesdevoirs.C’estainsiquejedécouvretouràtourl’orguedeNotre-DamedeGuebwiller,unMutin-Cavaillé-Coll dont la sonorité que je trouve «molle» nem’enchante guère; l’orguedeSaint-Léger, toujours à Guebwiller: un instrument à traction pneumatique et de deuxclaviers,commeceluideSchweighousemaisavecdavantagedejeux.Plusaufonddelavallée, ce sont les orgues de Lautenbach-Zell (pneumatique, deux claviers), de Linthal(mécanique,unseulclavier),deSengern(pneumatique,deuxclaviers).Àpeudechosesprès,cesinstrumentsseressemblenttous:ilssortentdelamanufactureRinckenbachinstalléeàAmmerschwihr,prèsdeColmar,quifutflorissantedelafinduXIXesièclejusqu’auxannées1930.Certainsdecesorguesayantétéinstallésàlapériodedurant laquelle l’Alsace était devenue allemande bien malgré elle, ils portent desinscriptionsenallemand.Unseulorgueéchappeànosvisites:c’estceluidelasplendidecollégialedeLautenbach,commune dont dépend Schweighouse. Là, on nous fait bien comprendre que l’orgue,«c’estchassegardée»:l’organistetitulaireinterdittoutaccèsà«sa»tribune.Pourtant,cen’estpasl’enviequinousmanquedevoircetinstrumentdotéd’unmagnifiquebuffetduXVIIIesiècle!Pourtant,unjour...Letéléphonesonne.C’estl’organistedeLautenbachquimedemandesijepourraisleremplacerledimancheàvenircarilestsouffrant.Bienentendu,jesautesur l’occasion.Ma curiosité ne sera toutefois pas pleinement satisfaite. Onm’annoncel’heure de la messe et l’onme précise que quelqu’un viendra ouvrir la tribune vingtminutesavantledébutdelacélébration.Dimanche: sur mon vélo, je fonce vers Lautenbach; deux kilomètres: ce n’est pasbeaucoupmaisçagrimpesansarrêt.Quelqu’unvienteffectivement,àl’heuredite,ouvrir

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laportequipermetl’accèsàlatribune.Jedécouvreunmagnifiqueinstrumentdetroisclaviersetdotédenombreuxjeuxdontlesnomsnemedisentpasgrand-chose.Etpourcause:ilssontenfrançaisalorsquelesjeuxdesorguessurlesquelsj’avaisjouéjusqu’àprésent étaient en allemand. Comment deviner que le «bourdon» correspondait au«Gedackt»ouquele«prestant»étaitun«Prinzipal»?Aumomentoùjemehâted’essayerquelquesjeuxquimepermettrontd’accompagnerlamesse,unchantres’approcheet,tiranttroisjeux,medit:«Ça,çaetça:c’estcequetired’habitudenotreorganiste.»Jecomprendsqu’ici,ilesthorsdequestiondediscuter.Lamesse à peine terminée, on évacue la tribune: fin de partie. Dumagnifique orgue deLautenbach,jeneconnaîtraidoncque«ça,çaetça».Au bout de quelques brèves années passées dans cette belle vallée de Guebwillersurnomméele«Florival»,voiciqu’unnouveaudéménagementseprofileàl’horizon.Maiscettefois-ciceneserapastrèsloin:presqueaudébouchédelavalléevoisine,àRouffach,importantbourgsurtoutconnu,àcetteépoque,pourson«hôpitalpsychiatrique»quiaprisaujourd’huilenomd’«hôpitalspécialisé».Jeneconnaispascettepetiteville:sonpasséhistoriqueesttrèsrichemaisguèremisenvaleur.La routenationalequivadeBelfortàColmarpasseenplein centrede la cité:poussière,bruit, croisementspérilleuxdesemi-remorquesdansdesruesquin’avaientjamaisétéimaginéespourcanaliserunteltrafic...Comme Rouffach n’est pas loin de Schweighouse, je m’y rends une première fois àbicycletteenfranchissantlecolpermettantdepasserdelavalléeoùnoushabitonsàlavalléeconduisantlàoùnoushabiterons.Jedécouvreunegrandeégliseàl’allurede«mini-cathédrale»: elle est impressionnante! Il y a un orgue majestueux que domine unemagnifiquerosequiprenddesomptueusescouleursausoleil couchant. J’imagineque,commeàLautenbach,cettetribunedoitêtre«chassegardée»:onn’yaccèdepas.Deretouràlamaison,monpèrem’annonceledécèsdel’organistedeRouffach;cedevaitêtreunepersonneimportantepuisquelejournallocalluiconsacretoutunarticle.Ilyadoncunposte d’organiste à pourvoirmais j’imaginequedansunepetite ville commeRouffach, les organistes sur les rangs ne doivent pas manquer; j’irai quand mêmeproposermesservicesauCurédelaparoisse.Nousnous installonsdansnotrenouvelappartementsituéenpleincentrede lavieillevilleetjem’envaissonneraupresbytèreenespérantpouvoirparleràM.leCuré.C’estMmelaGouvernantequim’ouvreenmedisantqueM.leDoyenestlà.Lepersonnageestaussi imposant qu’accueillant. Je me présente, lui dis que mes parents viennentd’emménagerdanslavilleet,aprèsquelqueshésitations,luiannoncequejesaisjouerdel’orgueetques’ilabesoindequelqu’un«justepourdépanner»,jesuisàsadisposition.M.leDoyen,d’unevoixsonoreetgrave(j’apprendraiplustardqu’ilavaitétéofficierdansl’arméeetqu’il était réputépour savoirmener ses troupes)medit: «Tuaspeut-êtreapprisquenousvenonsdeperdrenotreorganiste,alorstutombesbien.Viensmercredisoiraupresbytère:ilyarépétitiondelachoraleetjepourraiteprésenter.»Surce,jereçoisillicountrousseaudeclésmepermettantd’accéderàlatribuneetàl’orgue...Mercredisoirarrive;jesuisaurendez-vousnonsansunecertaineappréhension.Derrièreuneportedurez-de-chausséedupresbytère,j’entendsdenombreusesvoix.M.leDoyenarriveetmefaitentrerdansunesalleoùsetrouveunetrentainedechoristes,hommesetfemmes de tous âges. Après une rapide présentation, le Directeur de la chorale mepropose de rejoindre un petit harmonium qui est là-bas, au fond de la pièce, et de

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participeràlarépétitionquiconsisteàtravaillerlespolyphoniesdevantrehausserl’éclatdesdeuxmessesdeNoël:celledeminuitetcelledujour.Onmedonnelespartitionspourquejepuisseaccompagner.Etc’estlàquejedécouvrel’ampleurdemeslacunes:ehoui,jejouetoujoursd’oreilleetdemémoireetjesuisincapablededéchiffrerunepartition...Jem’en tire tantbienquemalendonnant lesnotesdedépartdesdifférentesvoix(encomptantleslignesdelaportée,j’arrivetoutdemêmeàsavoirdequellenoteils’agit)etendisantquepourunepremièrefois,jepréfèreécoutercequedonnelechant.J’ajoutequej’exercerailespartitionsàl’orgueaucourantdelasemaine.Defait,durantlesjoursquisuiventetenattendantlaprochainerépétition,jepassedesheuresetdesheuresàl’orgueenessayantderetrouverlesmélodiesquej’aientenduestoutenfaisantl’effortdelirelesnotes.JevaistoujoursaulycéedeGuebwilleroùjesuismaintenantenclassedepremière;dansunesalle,j’airepéréunpiano:jesuisautoriséàm’enservirpourm’exercerentrel’heurede la fin du repas demidi et l’heure de la reprise des cours. Peu à peu, je parviens à«sortir»quelque chosed’audiblequi correspondassezbienauxpolyphoniesprévuespourêtre chantéesàNoël.C’estainsique je commenceà savoir lire lesnotes.Pour ledoigté,c’estuneautreaffaire:jemontelesgammesaveclepouce,l’indexetlemajeur,lesautresdoigtsrefusantobstinémentdecollaborer.Toujoursest-ilqu’àforcedepasserdelonguesheuresaupianodulycéeetàl’orguedelaparoisse, je progresse lentement: à présent, je déchiffre facilement les mélodies deschantsusuelsdesmessesparoissiales;quantauxaccordsd’accompagnement,jelesfaistoujoursd’oreille.Deplusenplussouvent,mesaccordscorrespondentàceuxquifigurentsurlespartitions,cequimefaitdireenmoi-même:«Çasepasserabiendimanche!»Unjour,tandisquejesuisàl’orgue,jevoisarriverunjeunequiasensiblementmonâge.Ils’appelleJean,s’intéresseàl’orgue,saitunpeuenjouer,estungrand«fan»deBachainsi que des chants en latin que nous savons être du «grégorien» sans toutefoiscomprendred’oùvientcenometcequ’ilsignifie.Jean et moi deviendrons et resterons d’excellents copains. Des heures entières, nousparlonsmusique.Dèsquej’aiunmomentdelibre,jelerejoinschezsesparentsquiontunharmoniumdansuncoindeleursalon-véranda.Ils’enjoueradesairssurcetharmonium!Tout y passe: nous chantons - tout en nous accompagnant - les cantiques français etallemands,lespiècesgrégoriennes,deschoralsdeBach(queJeandéchiffreavecaisance).Pendantlesgrandesvacances,durantlemoisdejuillet,mesparentsetmoicontinuonsàalleràTrégastel.Uneexpéditionde1000kmdansuneCitroënAmie6tractantundériveurdans lequel sont entassés les bagages avec, placés au-dessus pour être facilementaccessibles,lesmaillotsdebainetlesserviette-épongequipermettrontde«foncer»danslamer-toujoursaussifroide-dèsnotrearrivée.LevoyagesefaitendeuxjoursetlaNautaminerested’usage.Aucunmédecinn’arriveraàm’expliquerpourquoijesuistellementmaladeenvoitureetjamaisenbateau,pasmêmedansuncanotrestantà l’arrêtdanslahoulependantqu’onrelèvelescasiersàcrabes.Mystèredel’oreilleinterne.À cette époque, la route traverse Sablé-sur-Sarthe; dans un carrefour se trouve unpanneauindicateur:«Solesmes3km».JeconnaisSolesmesdenomdepuisquepourmondix-huitièmeanniversaire,mesamisdulycéem’avaientoffertundisque33toursfaisantlaprésentationdugrandorguedel’abbayebénédictine.Maisimpossibledefaireunarrêt

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pourvoirl’endroit:laroutemenantd’AlsaceenBretagneestlongueetmonpèreneveutpasd’unehaltequinousferaitprendreduretard.En 1972 cependant, je vais faire connaissance avec Solesmes. Jean et moi sommes àprésentétudiantsàStrasbourg; luiestplongédanslesmathématiquesetmoidanslesLettreset lamusicologie,matièredont je suis lescoursensimple«amateur»ausensétymologiqueduterme:«celuiquiaime».C’estpendantundecescoursdemusicologiequejefaislaconnaissanced’unétudiantquijouedelavioledegambeetsepassionnepourlechantgrégorien.Aufildenosdiscussions,il m’annonce qu’il aura l’occasion de passer une semaine à... Solesmes. De retour àStrasbourg après les vacances, il me dit: «Toi qui joues de l’orgue et qui aimes legrégorien,ilfautabsolumentquetuaillesàSolesmes.D’ailleurs,j’aiparlédetoiauMaîtredechœurdel’abbaye,DomGajard.Tuserasaccueillisansproblème.»C’est décidé: j’irai à Solesmes... Avec Jean! Nous faisons un plan: Jean passera lesvacancesd’étéavecmesparentsetmoiàTrégasteletauretour,nousnousarrêteronsàl’abbayepourpasserhuitjoursaveclesmoines.Ceprojetsupposequenousfassionslevoyage aller-retour seuls... avec la veille Renault R4 quem’ont achetéemes parents:magnifiqueenginquivibredepartoutetn’aque...troisvitesses.Unechoseestcertaine:avecuntelbolide,nousneperceronspaslemurduson.Débutjuillet,Jeanetmoiprenonslecheminendirectiondel’Ouest.Lesvacancesàlacôtesepassentmerveilleusementbienencompagnie,commetouslesans,desamisretrouvés.Puisvient l’heuredeprendre lecheminduretour.Trégastel -Solesmes:300km.C’estfaisable...silaR4nenouslâchepas.ÀSablé,nousprenonsàgaucheunepetiteroutequilongelaSartheetnousarrivonstrèsviteàl’abbaye.Jen’oublieraijamaiscettedécouverte,lepremierlundidumoisd’août.Peuavantl’heuredes Vêpres, nous avons pris place dans le calme de l’abbatiale et nous attendons quel’Officecommence.Tintementsdecloche,arrivéedesreligieuxenprocession,là-bas,danslechœur,lesderniersàfaireleurentréeétantquelquesjeunespostulantsentenuecivile.Lesilencesefaitetsembleenveloppertouteslespersonnesprésentescommepourlesprépareràlaprière.Puis,c’estunsondiscret,unenotetenuedeuxsecondesquivientd’onne sait où: un orgue que l’on ne voit pas vient de donner le ton pour le «Deus inadiutorium»quimarqueledébutdesOffices.Uneantiennesuivied’unpsaume;c’estcepsaumequimepermetdemesouvenirquecettejournéededécouverteétaitunlundi.CarlapsalmodiesedéroulesuruntonqueJeanetmoiconnaissonspourl’avoirentendudansnotreparoisseetquetrouvonsparticulièrementsublime: le«tonpérégrin».Lesdeuxpartiesdechaqueversetdupsaumese«promènent»chacunesurunehauteurdetondifférente.«InexituIsraeldeAegypto,DomusIacobdepopulobarbaro...»:lechantestfluide,calme,etsepoursuitjusqu’àlafindel’Officed’unefaçonsijuste,sihomogèneetcohérentequ’ilnesouffriraitpasqu’onyajouteouqu’onenretranchequoiquecesoit.J’écoutel’orguequil’accompagne:c’estjusteundiscretsoutienavecunstrictminimumd’accords.C’estl’exactcontrairedecequejefaisquandj’accompagnelamessedominicaledansmaparoissealsacienne;l’exactcontrairedecequefontaussitantd’organistesquej’écouteetdontj’envielavirtuosité.Grâceàmonoreille,jeparviensàmémorisercertainsaccordsainsiquelesendroitsoùilsdoiventsefaireetjemeprometsdelesretrouverquandjeseraidevantunclavier.

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Je ne remercierai jamais assez les moines d’avoir choisi de ne pas inviter les fidèlesprésents dans la nef à chanter et à alterner avec eux certaines parties connues desmesses:lefaitdesetairepermet-oumêmeoblige-àfairedavantageattentionàcequ’onentend et voit. Ce silence, bien mieux que l’agitation qu’on présente comme une«participationactive»àlaliturgieconduitàentrerplusenprofondeurdansladensitédelaprière.Après cet Office aussi intense qu’apaisant, nous sommes invités à rejoindre, sous laconduited’unmoine,l’hôtellerieoùnouspasseronslasemaine.Lesoir,aprèslerepas,alieuunepetiterécréation;c’estàcetinstantquejevoisunPèreveniràmarencontre:ilannonce«remplacer»DomGajardquejedevaisrencontreretquiestdécédéquelquestempsavantnotreséjouràl’abbaye.C’estlePèreDesportes;dèsqu’ilparle, je reconnaisquec’est luique j’aientendusur ledisquedeprésentationdel’orguedeSolesmesdontj’aiparléplushaut:sonaccentfranc-comtoischantantnepassepas inaperçu. Une chose est certaine: je reviendrai à Solesmes et je reverrai DomDesportes.Lesmoinesonttantànousapprendre!Enlesécoutant,ilmerevientcequequ’avaitunjourditDomGajard:«Lechantgrégorienestavanttoutuneprière,mieux:laprièrede l’Église catholiquearrivéeà saplénituded’expression. Il estdoncunechosed’âme(…):ilestunespiritualité,unemanièred’alleràDieu,deconduirelesâmesàDieu.»Toutlesecretdelaliturgiechantéeestlà.Notreséjouràl’abbayeprendfinetnousreprenons,Jeanetmoi,larouteversl’Alsace.Danslavoiture,nousavonsbeaucoupdechosesàdire,beaucoupd’impressionsàpartagermaisaussibeaucoupdequestionsàsoulever.L’uned’elles-etcen’estpaslamoindre-toucheàlafaçondontlesmessessontcélébréesdansnotreparoisse:quelmanquededignité,desilence,deprofondeurquandonlescompareàcellesauxquellesnousavonspuassisterpendantunesemaine!Noussommesdanslesannées1970quimarquentledébut d’une crise de l’Église dont je devine les effets qu’elle auramais que, faute deconnaissancesenthéologieetenliturgie,jenesaispasanalyser.JecontinueàallerrégulièrementàSolesmesoùjerencontredesétudiantsdemonâgeetoù j’ai la chance d’avoir des cours de liturgie et de grégorien: ces deux domaines sicomplémentaires me passionnent et les moines savent répondre aux nombreusesquestionsquejepose.Unaprès-midi,aprèslesVêpres,lePèrequitientlegrandorguevientmetrouverpourmedemandersi j’accepteraisde l’aideràaccorder les jeuxd’anchesde l’instrumentaprèsComplies,quandiln’yaplusdebruit.Laquestionneseposemêmepas:c’esttoutdesuite«Oui,biensûr».L’orguedoitsonnerparfaitementjustecarlelendemainestjourdefête(jenemesouviensplusdelaquelle).Cemêmejourdefête,lepèreorganistem’inviteàlerejoindreàlatribunepourl’OfficedeVêpres:ilabesoind’untourneurdepagesetd’untireurdejeux.J’observeledéroulementlaliturgiedeloinetdehaut,cequimedonnel’occasiondebienvoirsonordonnanceetl’aisancedesmoines.Deretourà l’hôtellerie, je faispartdemes impressionsàundesPèresquiestlà:«J’aieul’impressionque,danslechœur,ils’agissaitpourlesmoinesde“jouer” en suivant de façon naturelle des règles bien connues...» Après le repas, enarrivantdevantlaportedemachambre,jetrouveunopusculeposéàmêmelesolavecunsignet;jel’ouvreàlapageindiquéeetjelisletitreduchapitre5:«Laliturgiecommejeu.»Jen’avaisjamaisentenduparlerdel’Auteur-RomanoGuardini-maisjedévoresespagesquimeparaissentsirévélatricesduvéritable«espritdelaliturgie»,cetitrequeje

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retrouveraidesannéesplustardsouslaplumed’uncardinalausujetduqueljereviendraiplusloin.Pourcequiestdemoninitiationauchantgrégorienquisepoursuivraaufuretàmesuredemesvisites,elleestassuréeparlemoinefranc-comtoisrencontrélorsdemonpremierséjouràl’abbaye.Elledébuteunaprès-midiquandjeluidemandecommentinterprétercorrectementcechantdontjeneconnaisquequelquespièces.Ilmesuggèredeluichanterquelquechoseafinqu’ilpuisseentendremeséventuelleserreursetlescorrigersibesoin.Jechantele«Resurrexi»delamessedePâques;ilécoute«religieusement»,lesmainssoussonscapulaire,puismedit:«C’estbien...Maisparcontrelà...etlà...»Jepensealorsaudébutdufilm«Lagrandevadrouille»,lorsqueLouisdeFunès-aliasStanislasLefort-dit aux musiciens de l’opéra de Paris qui viennent d’achever une répétition: «Mercimessieurs,c’étaitbien,c’étaittrèsbien...Vous,c’étaitcommecicommeça...Maisvouslà-basonnevousentendpas...Cen’étaitpasmauvais:c’étaittrèsmauvais.Reprenons...»Avecbeaucoupdegentillesseetdepatience,lepèremefaitremarquernombred’erreurspuism’expliquetoutel’importancedesmotslatinsquipossèdenttousunaccentservantàstructurerlapièce; ilmeparlede«podatus»,de«torculus»etemploiequantitédetermesdont lesensm’échappe. Je luiavouequejen’arrivepasàbiensaisirtoutessesexplications. Il continuesa«leçon»puis,avantdepartir,vachercherunopusculequiindiquelesfiguresqueformentlesgroupesdedeux,troisouquatrenotescarréesutiliséesdanslegrégorienainsiqueleursnomsrespectifs.Lesoir,dansmachambre,jem’efforced’apprendretoutcelaparcœuretdetracercesfigures.Maisj’aitrouvéunautrelivre:ildonnelesmêmesexplicationsmaislescomplèteparceque,plustard,jesauraiêtreles«écrituresneumatiques»médiévalesdesabbayesdeSaint-GalletdeLaon.Passionnant!Lelendemain,quandlemoinevientmevoirpourreprendrela leçon, jesuisfierdeluimontrerque je connais lesnomsdesdifférents«élémentsneumatiques» (groupesdenotes),mais je l’étonne surtout lorsque je lui demande pourquoi le «podatus» (deuxnotesascendantes) s’écritd’une seule façondans lanotationcarréemaisdeplusieursmanièresdifférentesdanslanotationdeSaint-Gall.Cettequestionmarqueledébutd’uneplongéedanscequelechantgrégorienadeplusbeau,deplusgénial,deplussubtilmaisdontl’étudedoitresterauservicedelaseuleprièreetnondevenirmatièreàdécortiquerlespiècesàpartirdeprincipesmusicologiquesquilesrendraientinchantablesparuneassembléeetprivéesdetouteleursèvespirituelle.Dusilencedecontemplationauchantetduchantausilencedecontemplation:telest,j’ensuisintimementpersuadé,leseulmoyend’entrerdanslegrégorienetdesaisirsafonctionindispensabledanslaliturgie.Mais la découverte de ce chant dont le mode de création restera à jamais un grandmystère,mêmesil’onenconnaîtquelques«secretsdefabrication»,vaaussidevenirunmotif de peine et de révolte: peine de le voir disparaître dansmaparoisse pour êtrerapidement remplacé par des chansons qui n’élèvent pas l’âme et ne laissent aucunsouvenirdanslescœurs;révoltecontreunclergéquicélèbreàprésentdesmessesd’oùlesacréetladignitésontévacuésdimancheaprèsdimanche.Jefinisparmedemandersicesprêtresquis’emploientà«disloquer»ainsilaliturgieontunjourcruàcequ’ilsfaisaient;merevientalorsenmémoirel’imagedecesjeunesprêtresetdecesséminaristesdelacathédraledeMeaux:croyaient-ilsàcesritescomplexesqu’ilss’appliquaientàrespecterouavaient-ilsdéjàentêtedes’enaffranchir?

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LorsdemesséjourssuivantsàSolesmes,j’étudielestextesdeVaticanIIainsiquel’histoireetlesensdelaliturgie.RienquelalecturedesdocumentsserapportantauConcilemeconfirme que nos prêtres qui se réclament de la «réforme liturgique» n’en ont riencomprisetfont,consciemmentounon,toutdetravers.Leursnouvellesfaçonsdecélébreretquinesontenriendanslalignedecequ’ademandél’Église,quoiqu’ilsprétendent,netiendrontpascinquanteans.Maparoissen’estpaslaseuleàêtresurlamauvaisepente:partout,danslescommunesprochesouéloignées,lesfidèlespratiquantssontcontraintsdeparticiperàdesmessesqu’on semble souhaiter de plus en plus pauvres et qui sont le reflet d’une pastoraleliturgiquetotalementchimérique.Lorsqueje faisétatàM. leDoyendemalassituded’avoiràaccompagnerà l’orguedescélébrationsdominicalesqui font levideautourd’elles - y comprisà la tribuneoù leschoristesdémissionnentlesunsaprèslesautres-,ilmerépondqu’ilfautquelesparoissess’adaptentàcequel’ÉglisedemandedefairedepuisVaticanII.S’adapter,oui;mettreledésordredanslaliturgie,non!Carnilepape,nileConcile,nil’Église n’ont souhaité cela. Au demeurant, quand je fais référence aux documentsconciliaires,laréponseestpresquetoujourslamême:«Ça,c’estlalettre;cequiimporte,c’est l’esprit de Vatican II qui est au-delà des mots.» Comme je sens bien que je neparviendraipasàconvaincrequiquecesoit,surtoutpasnotreVicairequiorganisedes«messes pour les jeunes» avec l’aide de quelques adolescents qui «grattent» de laguitaredevantleurscopinesadmiratives,jemedisque,décidément,jen’aiplusmaplacedansl’égliseparoissiale.Etjedonnemadémission:enpleinrepasdelaSainte-Cécile,jeremetslesclésdelatribuned’orgueàM.leDoyenetjequittelatable.Aujourd’hui,prèsde50ansaprèsce«clash»,iln’yaplusdechoraledansmaparoissemais un petit groupe de choristes interparoissiaux; le dimanche, il n’y a plus qu’unemesse à l’ambiance qu’il est permis de qualifier de «sépulcrale», suivie par quelquesfidèlesd’unâgeplutôtavancé(«Cesontlesdernierscathosdévastateurs»medittoujoursunami)et,lesjoursdesemaine,desmessesd’enterrementsoùl’onentendlesairschoisispardesfamillesqui,endehorsdesfunéraillesd’unproche,nemettentjamaislespiedsàl’égliseet,partant,nesesoucientpaslemoinsdumondedecequedoitêtrelaliturgie.Enété,c’esttoujours,débutjuillet,ledépartpourlaBretagne.Làaussi,àTrégastel,lesmessesprennentunebiencurieuseallure.Ledimanche,ellessesuiventetsonttoujoursbien fréquentées; mais comme les fidèles - majoritairement des touristes - viennentd’horizonsdiversetdoncdeparoissesdifférentes,ilsneconnaissentpasleschantsquisontàlamodedanslediocèsedeSaint-Brieuc.Quantauvieilharmonium,ilaétéremplacéparunpetitappareilélectroniquequiestàl’orguecequelesfleursartificiellessontàunbouquetdefleursnaturelles.Jemesouviensqu’uneannée,lorsquej’arriveàlachapelle,lenouveauRecteurnommédanslaparoissemedonne«leprogrammedeschants».Lechantd’entréeapourtitre:«Danslesoleiloulebrouillard.»Jenepeuxm’empêcherdepenserqu’ils’agitlàd’uncantiqueadaptableautempsbretonpuisqu’onpeuttoutaussibienchanter:«Souslecrachinetlesembruns...»Les assemblées sont de plus en plusmuettes; elles finiront par être de plus en plusclairsemées jusqu’à disparaître tandis que lesmesses, elles, finiront par tomber dansl’oubli.Jesuisdoncdevenuunorganistesansorgueenmêmetempsqu’uncatholiqueexaspéréquin’apasenviedevoirsatensionartérielleaugmenterchaquefoisqu’ildoit«subir»

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une célébration marquée par la banalité et la déficience du cérémonial ajoutées à lamutilationsystématiqueduritueletàlastupiditédeschants.Heureusement,cettesituationnedurepas.Jereçoisunmatinunappeltéléphoniqueducuréd’unvillagevoisin;ilestàlarecherched’unorganisteetaapprisquej’étaislibreledimanche.Ilmeproposedevenirlevoir.Jeluiexpliquemapositionqu’ilcomprendtrèsbienetmegarantitqu’ilsefaitundevoirderespecterlaliturgieetdeconserverlechantgrégorienautantquefairesepeut.Mevoicidenouveau«deservice».Defait,lesmessessonttrèsbiencélébréesdanslesdeuxparoissesquedessertM.leCuré:laparoisseprincipale(1000hab.)oùsetrouveunorguemonumentaldetroisclaviersàtractionmécaniqueetlaparoissevoisine(àpeine200hab)quidisposed’unpetitorgueàtractionpneumatiquededeuxclaviers.Jejoueordinairementdanslapetiteparoissemaisilm’arrivederemplacerl’organistetitulairedelaparoisseprincipaleoubien,ensemaine,d’allerm’exercersurlegrandorgue.Tout vapour lemieux jusqu’au jouroùM. leCurém’annonce sondépart: l’évêque ledéplace dans une autre paroisse. Le nouveaudesservant arrive; nous l’accueillons aucoursd’unemessequenousavonsvoulusolennisermaisqui,visiblement,l’agace.Duranttoutelacélébration,ilferabiensentirquelaliturgien’estpas«sontruc»etsepermettramême,aucoursdesonhomélie,d’avoirdesproposblessantsàl’encontredeschoristesquin’ontpourtantpasménagéleurpeinepourmettreaupointquelquesbellespièces.Mêmela«MessedesAnges»quetoutel’assembléechantedeboncœurl’agace...Unenouvellefois,j’appliquelesageconseilévangéliquegrâceauquelons’évitebiendes«prisesdetête»stériles:jequitteleslieuxensecouantlapoussièredemespieds(cf.Mt10,5-15).Aumilieudecespéripéties,j’aitoutdemêmeunegrandesatisfaction.Alorsquejefaismesétudesà Strasbourg, j’apprendsqu’unprofesseurde la facultédeLettres, férudechantgrégorien,organiseunweek-enddeformation.Commeilabesoind’aide,jedécided’allerlevoirpourluiproposermesservices.Affaireconclue.Lasessioncommenceet,parmilespersonnesinscrites, jeremarquequelqu’undemonâgequisemblepassionnéparcequ’ilapprend.Aurepasdusoir,j’entameunediscussionavecluiet,surprise,j’apprendsqu’ilestorganisteà...Marmoutier.«Le»Marmoutierdontl’existencem’avaitétérévéléeparlapochettedudisque33toursreçudutempsoùmesparentsetmoiétionsàMontlouis-sur-Loire.Jemerisqueàluidemander:«Ya-t-ilunepossibilitédevoircetorgue?»Réponse:«Biensûr;tupassesquandtuveux...Etpourlecasoùjeneseraispasàlamaison,jetemontreraioùsontlesclésdelatribune.Situveuxjouer,ilsuffitdeprévenirM.leCurépourqu’ilnesoitpasétonnéd’entendrel’orgueetdetrouverauxclaviersquelqu’unqu’ilneconnaîtpas.»NonloindeSaverne,l’abbatialedeMarmoutier,avecsonimpressionnantefaçaderomane,estmagnifique. Lamontée à l’orgue Silbermann, instrument datant du tout début duXVIIIesiècle,m’impressionneetmerend fébrile.Monamipousseunepetiteportequidéboucheaufonddelatribune:onarrivederrièrelebuffetd’orgueetl’ondominelanefainsiquelechœurdecequifutautrefoisl’églised’uncouventbénédictin.Je prends place aux claviers que je reconnais immédiatement: ce sont bien ceux quifiguraientsurlapochettedudisquequim’avaitétéoffert.Jechoisisunjeudouxnommé«bourdon»etjefaisquelquesaccords.Lechantduvénérableinstrumentserépanddanstoutel’abbatialeavecuneremarquablehomogénéité.

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Sansoublierlesœuvresdesmaîtresdel’orguedel’écolegermanique(Scheidt,Buxtehude,Hanff...)lesquelsontincontestablementconservéunstylequisiedàlaliturgiecatholique,letoucherdesclaviersmeferadécouvrirlafaçondetraiterlamusiquefrançaisedesXVIIeetXVIIIesiècles:ilobligeàarticulerlesœuvresd’unefaçonspécifiquequifaitressortirleurnoblessesi longtempsoubliéeetqu’unmaîtrecommeMichelChapuiss’efforcedefaire redécouvrir au public en les jouant sur des instruments anciens qui ontmiraculeusementéchappéauxrestaurationsetauxadaptationsdelafinduXIXesièclevisantàlesmettreaugoûtdujour.Quedemomentsinoubliablespasséssurlesclaviersdecetorgue!Pour lemoment, je demeure encoreun «organiste au chômage». A vrai dire, ne pluspouvoir jouer ne me manque pas plus que cela... Je ne me sens pas le devoird’accompagnerdescélébrationsdominicalesqui, sur leplanpurement liturgique,sontdéjààboutdesouffleetn’apportentrienauplanspirituel.C’estpourtantunepromenadeàbicyclette,undimancheaprès-midi,nonloindechezmoi,quivameconduireàreprendreduservice.Jetraverseunpetitvillagequejeneconnaisquedenometl’enviemeprenddem’yarrêterpourvisiterl’égliseparoissialequi,vuedel’extérieur,n’offreriendetrèsoriginal.Surprise:c’estunsanctuairedotéd’unmagnifiquemobilierbaroqueetoùleventdévastateurdel’«espritduconcile»(cet«anti-esprit»,selonlesmotsducardinalRatzinger)nesemblepasavoirsoufflé.M.leCuréestlà,danslesilence,disantsonbréviaire.Jemerisqueàinterrompresaprièreetnousdiscutons longuement: j’apprendsqu’ilaimeraitbientrouverunorganistequipuissesoulagerlapersonnequi,depuisdenombreusesannées,assurel’accompagnementdetouslesoffices:messes,SalutsduSaint-Sacrement,vêpres...Tiensdonc,lesSalutsetlesvêpresexistentencoreicialorsquepartoutailleursilsontétésupprimésaumotifqu’ils’agissaitdepratiquesdépassées?Jemeproposedeveniràlamessedanscetteparoisseledimanchesuivant.Cequejedécouvremeravit:laliturgieestentoutpointsemblableàcellequej’aivueàSolesmesmais,ici,aveccecachetparoissialquilarendpopulaireetattachante.Alatribune,quelqueshommeschantentenalternanceaveclesfidèlesdelanef;encomparaisonaveccequ’onvoitdansleséglisesdesenvironsdeplusenplusvidesàmesurequel’onproposedescélébrations«attirantesetconviviales»,l’assistanceestnombreuseettouslesâgessontreprésentés.C’estentendu, jeviendraiprêtermain-forteà l’organisteduvillage,principalement lesjoursdefêtes.Maistrèsrapidement,jesuis«engagéàpleintemps»etjejouesurlepetitorgueparoissialbaroqued’unseulclavier.Sespossibilitéssontlimitéesmaissoncharmeest incontestable; au point qu’une fois restauré (il était assez dégradé quand je l’aidécouvert),ilpermettral’organisationd’un«concertspirituel»annuelavecleconcoursdelapetitechoralequicomptedésormaisunevingtainedechoristes(âgemoyen:18ans)capables de chanter aussi bien le grégorien que des polyphonies. Sans oublier lescantiquestraditionnelsconnusetaimésdetous.Jeresteraiauservicedecetteparoissesimpleetferventejusqu’àlamiseàlaretraiteduCuré. Celui-ci parti et comme il fautmettre la paroisse au diapason de la «pastoraled’ensemble»,unnouveauprêtreestnommépourprendreenchargeplusieursclochers.Enlevoyantarriver,jereconnaisimmédiatementenluiunéchantillonreprésentatifdeces clercs dévastateurs dont les excentricités «liturgico-pastorales» n’ont finalementqu’un but: ôter aux fidèles toute envie et tout plaisir d’aller à lamesse le dimanche.Comme je n’ai jamais eu vocation à suivre servilement unde ces clercs qui n’ont quel’expression«avenirdel’Église»àlabouchealorsqu’ilss’emploientàcorromprelafoi

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catholique,jequitteànouveauleslieux,totalementconvaincudelastérilitédecequisefaitpartoutenseréclamantd’unconcile-VaticanII-queseuleuneinfimeminoritédefidèles,clercsycompris,ontétudiéetmettentenœuvre.C’estdurantcesannéesdedévastationliturgiquequej’entreencontactavecleCardinalJosephRatzingernommépar le pape Jean-Paul II à la têtede la Congrégationpour laDoctrinedelaFoi.Je«dévore»leslivresqu’ilpublieetoùilestquestiondeliturgie:sespropos me réconfortent et me persuadent que ce que tout ce que m’ont appris lesbénédictinsdeSolesmesestincontestablementcequedemandel’Église.J’aurais l’occasion d’échanger de nombreux courrier avec le Cardinal et aussi de lerencontrerauVaticanoùjedécouvriraienluiunprêtred’uneextraordinairesimplicité,unprélattotalementdévouéàsadélicatemissionqueluiaconfiéelePape.Safaçond’êtremeferarapidementdevinerqu’ilyaquelquechosede«bénédictin»enlui:sasimplicité,etsurtoutsongoûtpourlaliturgieconduisantàcettecontemplationgrâceàlaquellenousavonsunavant-goûtdecetteliturgiequisecélèbredetouteéternitédanslaJérusalemcéleste.JosephRatzingerseraélupape:unechargetrèslourdequ’ilassumeraaveccourage«aumilieudesloups»etdansuneÉgliseassailliedetoutesparts.NoséchangesdecourriersseferontprogressivementplusrarespuiscesserontlorsqueBenoîtXVIchoisiradeseretirerdanslesilencedupetitcouvent«MaterEcclesiae»:jemeferaiundevoirderespectersonchoixdeviequi,jelecroissincèrement,correspondsibienàsontempéramentetàsavocation.

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6.EPILOGUE

C’estdécidé:désormais,jenejoueraidel’orguequepourexprimerlesmouvementsdemonâmequand,dansuneéglise, jepeuxservir la liturgieetm’adresserauMaîtredeslieuxdansun«cœuràcœurmusical».C’est-à-direquandlacélébrationnem’interditpaslaprièreetlacontemplation.Quandjesuisseuldansunsanctuairedontl’orguem’estaccessible,ilm’arrivedechanterlesVêpres enm’accompagnant; jeme sens alors en communion avec les saints et lessaintesdetouslestemps,avecégalementBenoîtXVIetlesmoinesdeSolesmesquim’ontfaitconnaîtrelasplendeurdelaprièreofficielledel’Église,etaussiavectouscesfidèlesquiontsouffertd’êtrebernésparunclergéappliquéàvider la liturgiedesoncontenujusqu’àlaréduireàunecoquillevide.Àl’opposé,jemesensdeplusenplusloindecesnombreuxpratiquantsquiontacceptédansunesorted’asthénietouteslesdéviationsliturgiquesleurpermettantd’êtreàl’aisemêmeaumilieudel’effondrementdesparoisses.Ilm’arriveparfoisderepenserauxséminaristesetàcesjeunesprêtresquejevoyaisàlacathédraledeMeaux:ilsfurentdecettegénérationqui,aprèsVaticanII,asabotécetteliturgieromainequ’ilsrespectaient-oufaisaientsemblantderespecter-avantleConcile.Je me demande à présent: combien de ces prêtres avaient réellement la vocation?Combien de ces prêtres sont restés fidèles à leurs engagements pris le jour de leurordinationenrecevantdesmainsdeleurévêquelapatèneetlecalice?CombienontservilaliturgieaveclaconstanteapplicationquerequiertleculterenduàDieu?Jouerde l’orgue etmemettre au servicede la liturgie, écouterdifférentes assistancesdominicalesetêtreattentifàleursévolutionsquisesontfaitesaugrédesétrangetésetdesfantaisiesimposéesparteloutelcélébrant,oùquecesoit,m’aurapermisdedevinertrèsviteque l’Église, tellequ’elleétait imaginéebienavant laclôturedeVaticanIIparquelquesclercsidéologues,allaitconnaîtreunecrised’unerareampleur.2Aujourd’hui,lacriseestlà:enFrance(maispasque),onassisteàunechutedesvocationsetàuneffondrementgénéralisédelapratiquedominicalesansprécédents.Désormais,lesparoissespeuventtrèsfacilementsepasserdesservicesd’unorganistepuisqu’onn’ycélèbreplusguèredemesses,endehorsdesenterrementsetdesmariagesoùils’agitjustedeproduireunfondsonoresansrapportaveclaliturgiemaisquidoitavanttout«plaireauxfamilles»peupratiquantesets’adapterausentimentalismeambiant.Auxdernièresnouvelles,mêmeenAlsace, le«paysdesorgues», lesorganistessefontrares. On en trouve encore, mais ce sont bien souvent des artistes de concerts pourlesquelslaliturgien’aaucuneespèced’intérêtetnenécessitepasmêmedeconnaissancesparticulières.S’ilsacceptentdejouerdurantunemessedominicale«interparoissiale»oulorsd’unmariage,etd’accompagnern’importequelcantiquedefacturemédiocre,c’estuniquementpouravoirledroitd’accéderàl’orgueensemaineafindepouvoirs’yexercer.C’est d’ailleurs à cesmoments-là, et non durant les offices, qu’on a le plus de chanced’entendredelabonnemusique.Quantauxvéritables«organistesliturgiques»,ceuxqui,danslespetitesparoisses,sansêtredesvirtuoseshorspair,savaientservirlecultedivindansladiscrétionetavecunsensinnédelaprière,ilssesontpeuàpeuretirés;soitqu’ilsontétédéçus-àjustetitre-parlesliturgiesdiocésaines,soitqu’ilsontétépoussésàcéder

2LirelelivredeMgrNicolaBUX,Comeandareamessaenonperderelafede,ed.Piemme,Segrate(I),2010.Titreenfrançais:commentalleràlamessesansperdrelafoi.

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leurplaceàdesartistespourlesquelslesmodesfutilesetl’originalitémouvanteoffrentdavantaged’intérêtquel’attachementauxvaleurspermanentesdelaliturgie.Il m’arrive encore - rarement, il est vrai - d’accompagner une messe. Mais c’estuniquement quand je connais le célébrant et que je sais qu’il respectera la liturgie etdonnera au chant grégorien la première place.3 Car, depuis que je suis allé pour lapremièrefoisàl’abbayedeSolesmes,jeresteintimementpersuadéquec’estd’abordparl’écouteduchantgrégorienqu’unorganistepeutcomprendre,àconditiondesavoirsaisirleschosesde l’intérieur -avec lesoreillesducœur -, comment il convientdeservir laprièreliturgiquedel’Église.PourparaphraserJosephSamson(1888-1957),célèbreMaîtredechœurdelacathédraledeDijon,jecroisqu’ilfautdireetrépéterquetoutemusiqued’orgueettoutchantdontlavaleurexpressiven’égalepascelledusilenceinvitantàlacontemplationsontàproscrireducultedivin.

3«LerésultatauquelaaboutilemouvementpromuparMgrLefebvrepeutetdoitêtreuneoccasionpourtous les fidèles catholiques de réfléchir sincèrement sur leur propre fidélité à la Tradition de l’Église,authentiquement interprétée par le Magistère ecclésiastique, ordinaire et extraordinaire, spécialementdanslesConcilesœcuméniques,depuisNicéejusqu'àVaticanII.Decetteréflexion,tousdoiventretireruneconvictionrenouveléeeteffectivede lanécessitéd'approfondirencore leur fidélitéàcetteTraditionenrefusanttouteslesinterprétationserronéesetlesapplicationsarbitrairesetabusivesenmatièredoctrinale,liturgiqueetdisciplinaire.»S.Jean-PaulII,LettreapostoliqueEcclesiaDeiadflicta,2juillet1988.