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NUMÉRO 1 RÉSISTER AVEC AI WEIWEI, VALÈRE MOVARINA, EDGAR MORIN… SEPTEMBRE/OCTOBRE 2011 L’ŒUVRE EST OUVERTE

ENTRE - Un avant-goût du N°1

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ENTRE - sort le mardi 20 septembre

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RÉSISTER A V E C A I W E I W E I ,

V A L È R E M O V A R I N A ,

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NUMÉRO 1 RÉSISTER

E N T R E - T E M P S 4Le temps pour la création de s’installer. Sean Hart et ses matelas exquis.

E N T R E T I E N 6Une personnalité se dévoile. Edgar Morin prône la résistance au quotidien ainsi que par et à travers l’art.

E N T R A C T E 1 0Autour d’une citation choisie, carte blanche à un illustrateur. Pakito Bolino du Dernier Cri / Oscar Wilde.

E N T R E M E T S 1 1Une page à découper, c’est cadeau. A is a name et leur John Doe.

E N T R E V O I R 1 2Un cadrage au tiers nous fait voir les choses autrement. Les photographies de Véronique Pécheux.

E N T R E M Ê L E R 1 8Une création contemporaine rencontre une œuvre picturale classique. Ai Weiwei vs Jacques-Louis David.

E N T R E - D E U X 2 6Entre une image et une autre : une histoire se crée. Nigel Dickinson / Jean-Marc Kuntz.

E N T R E L A C E M E N T S 2 8La bande-film accompagnée d’une originale bande-son. Le Cuirassé Potemkine d’Eisenstein.

E N T R A I L L E S 3 2Une photo passée au crible. Le printemps arabe par Augustin Le Gall.

E N T R E M E T T E U S E S 3 3L’auto-promo des artistes ayant participé à ce numéro.

E N T R E C Ô T E S 3 4Nos coups de cœur.

« Jouir d'une œuvre d'art revient à en donner une interpréta-tion, à la faire revivre dans une perspective originale. »

Umberto Eco

Entre ! L’œuvre est ouverte.Approche-toi. L’incitation est réelle  : installe-toi et observe. Déleste-toi de ce qui te pèse ou t’avachit et pénètre avec dé-lectation le champ infini du beau. O tu gambades, cavales et t’ébroues, tu y prends goût. Les distances sont rompues. Va.

Le numéro 1 montre la face. L’un sort du néant pour être, en s’obstinant déjà pour continuer d’exister. ENTRE résiste avec Ai Weiwei, qui se joue des symboles traditionnels ou totalitaires pour se fondre entier dans un vent de liberté dénié. ENTRE admire Edgar Morin à l’heure où pour réveiller les conscience-sil porte La Voie. ENTRE suit aussi Sean Hart, lorsqu’il refuse de s’endormir sur des matelas trop confortables. Puis avec les marins du Cuirrassé Potemkine ENTRE crie son écœurement, fait remonter ses penchants inavouables avec Pakito Bolino du Dernier Cri et jaillir le Vrai sang de Valère Novarina, cette subs-tance faite de joie et de colère que l’élan absurde englobe.

Rendez-vous tous les 2 mois dans les lieux culturels parisiens (musées, galeries, cinémas, salles de spectacles…)

Anna Serwanska

B I M E S T R I E L G R A T U I T

S E P T E M B R E O C T O B R E 2 0 1 1

Directrice de publication

Anna Serwanska

Rédactrice en chef

Priscille de Lassus

Secrétaire de la rédaction 

Catherine Minot

Rédaction

Fitzgerald Berthon, bes-bes, Geoffroy

Caillet, Bastien Cheval, Camille de Forges,

Thomas Lapointe, Priscille de Lassus,

Aurélie Laurent, Catherine Minot, Anna Ska,

Céline Torrent

Électron libre invité 

Valère Novarina

Les extraits du « Vrai sang » jaillissent dans

nos pages comme des éclaboussures.

Rappelant la force de la langue et du mot

comme « outil / arme de résistance car

fixant la pensée ».

« Le Vrai sang » aux éd. P.O.L, janvier 2011,

320 pages, 18,50 €

Direction artistique et maquette

A is a name

Le texte est composé en National (Klim

Type Foundry) pour le texte courant et en

Primaire n°2 pour les titres (A is a name)

Impression

Stipa

Papier

Cyclus 90 gr (100% recyclé)

ENTRE

L’œuvre est ouverte

7-11 rue des Caillots

93100 Montreuil

06 06 63 63 33

[email protected]

www.revue-entre.fr

Dépôt légal à chaque impression

N° ISSN en cours d'obtention.

Attention,

lecteur, ouvre l’œil

car si la rédaction te parle,

l’artiste aussi.

Les indications dans les coins de page

t’aideront à mieux entrer dans les rubriques.

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POÉTIQUE DU QUELCONQUE

A U X S O U R C E S D ' U N A R T

P A R A U R É L I E L A U R E N T C R É A T I O N S , P H O T O G R A P H I E S E T T E X T E S E A N H A R T

SA « En août 2009, pris d’insomnies, je déambule dans les rues de Paris tard la nuit… Sur mon chemin je croise un, puis deux, puis plusieurs matelas. À partir de là, je décide d’uti-liser ce support bien spécifique pour écrire dessus à la bombe de courts “poèmes” qui fonctionnent en série comme un cadavre exquis. Une fois que j’ai écrit sur un matelas, je le prends en photo dans la perspective de réaliser plus tard un livre qui les regroupe-ra. Aujourd’hui, cette série est composée de plus de 100 photogra-phies. Je cherche en général par mon mode d’intervention à mettre en place la surprise, le dérangement, les perturbations, la poésie en milieu urbain. Construire des histoires à partir de ce que l’on consi-dère comme insignifiant et, du coup, animer l’inanimé. Donner à un espace quelconque et banal une dimension poétique. Travailler sur ces matelas est donc venu très naturellement. Le matelas, cet objet quotidien, totalement banal, est également très intime et porteur d’une forte symbolique car il nous rappelle toutes les actions que nous pouvons avoir faites ou avons faites dessus  : sommeil, rêve, amour, jeux, réveil… Tout comme les différentes étapes de notre vie passée : naissance, enfance, adolescence… Un matelas “usagé”

Dans les rues de Paris, la nuit, Sean Hart se promène. Passant devant des matelas inertes, il décide de les réanimer. Vieux porteurs de nos rêves, les matelas se font alors, entre ses mains, porteurs de pensées. Par les mots qu’il y inscrit, forts, sur-explicites, ce street-artiste vient réveiller nos fantômes.

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LE TEMPS POUR LA CRÉATION

DE PRENDRE PLACE.

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déposé à un coin de rue est déjà en soi un poème, une installation.  Le livre sera composé en majorité de matelas sur lesquels j’ai écrit mais aussi de matelas que j’ai juste pris en photo. Les “slogans” sur ces matelas sont des affirmations mais également des inter-rogations. Au départ, je les écrivais à main levée à la bombe, au fur et à mesure de mes rencontres avec les matelas. Aujourd’hui, je les réalise au pochoir. Les thèmes s’additionnent et se répondent les uns aux autres, cristallisant des histoires sans cesse en mou-vement, indépendantes les unes des autres et pourtant insépa-rables du canevas général dominé par des sentiments ambivalents : absence / présence ; amour / haine ; désespoir / espoir  ; enferme-ment / liberté ; vie / mort. »

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L'impact des matelas de Sean Hart prend une autre tournure dans la série. Les messages se suivent tels des cadavres exquis.

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Longtemps que l’on attendait ce rendez-vous. L’occasion de rencontrer ce grand monsieur de 90 ans, l’homme qui forgea sa pensée complexe et son esprit solide en prenant appui sur une existence engagée. Edgar Morin dénonce les barbaries modernes au regard des paranoïas d’antan. Et si « les formes de résistance ont évolué », opposition et protestation doivent se réaffirmer au sein même de la Cité. L’art participe de cette lutte accompagnant tant les tournants historiques que la vie au quotidien.

Voir l’intégralité de l’interview d’Edgar Morin en vidéo sur : www.entre-revue.fr.

‘‘ POUR MOI, RÉSISTER EST UN MOT

TRÈS ACTUEL’’P O R T E - V O I X

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ENTRE Qu’est-ce que résister au juste ? EM Résister, sur le plan mental, psychologique, c’est se re-fuser à accepter des choses que l’on pense mauvaises, viles, dégradantes. Lorsqu’en juin 1940, il y a un message prônant la collaboration, résister psychologiquement c’est se dire « non, voilà une situation que je ne peux pas accepter et voici une politique que je trouve très mauvaise ». Puis la résistance de-vient active par la protestation. Cela a commencé pour moi en faisant des inscriptions à la peinture sur les murs de la ville de Toulouse où j’étais à l’époque : « À bas Pétain », « À bas Laval »; c’était aussi de distribuer des tracts dans les boîtes aux lettres… Seulement attention, si la résistance est un non à quelque chose qu’on veut vous imposer, ce non implique ainsi un oui, dans ce cas-là, un oui à la liberté ou à la libération.

ENTRE Sous l’occupation résister signifiait mettre sa vie en danger…

EM Et pire, car si on était pris et torturé on avait peur de dire des choses qui trahiraient le mouvement. C’était plus que la vie qui était en jeu, c’était l’honneur. Aujourd’hui si un risque vital se présente, peut-être que je ne l’affronterai pas de la même façon. Mais à l’époque j’avais 20 ans et j’avais très bien compris que pour vraiment vivre, il fallait risquer la mort et que sinon c’était survivre, c’était comme ramper.

ENTRE À la libération la résistance changeait de visage, deve-nait moins risquée…

AW Après j’ai pratiqué d’autres résistances qui ne présen-taient pas les mêmes dangers. Par exemple, la guerre d’Algé-rie, du reste où je n’étais impliqué dans aucun réseau, mais par mes textes, mes prises de position, les comités auxquels j’ai appartenu, c’était une résistance. Il y avait peut-être d’éventuels dangers si les généraux fascistes prenaient le pouvoir. Oui, il y a eu une tentative de mettre une bombe dans l’appartement où j’habitais à l’époque, qui a échoué. Mais di-sons que je n’ai plus eu à affronter de danger physique. Et puis j’ai résisté, après ma rupture avec le parti communiste et la

révolution hongroise, au communisme stalinien qui semblait de plus en plus fort, de plus en plus triomphant, mais là aussi c’était par mes textes, mes engagements…

ENTRE Bref, les formes de résistance ont évolué...AW Il faut dire qu’à l’époque il y avait une fraternité entre ceux qui résistaient, même  quand ils appartenaient à des mouvements différents et qu’il y avait des conflits d’idées. Actuellement même si l’on pense pareil, nous sommes très dispersés, il n’y a pas ce sentiment qui nous unit. Avec Hessel, on voudrait contribuer à une sorte de mouvement citoyen. D’ailleurs, c’est un petit peu ce qui se passe avec le mouve-ment des Indignés en Espagne.

ENTRE Si résister aujourd’hui semble moins dangereux, est-ce plus facile pour autant ?

AW En 2011 les choses sont plus diffuses, il est plus difficile de prendre conscience des différentes menaces, on est comme des somnambules. La jeunesse est en désarroi, les vieux sont désabusés, ils ont cru à la civilisation occidentale, à la démo-cratie, à toutes les promesses, à la croissance... Mais ce qui est positif, c’est qu’un tout petit cri comme Indignez-vous 1 ré-veille les jeunes, les sorte de la léthargie, c’est un premier pas.

ENTRE Vous citez le livre de Stéphane Hessel : quelle a été la place de votre livre par rapport au sien ? Sa sortie fut concertée ou n’était-ce qu’un hasard ?

AW Ce n’était pas concerté. Hessel a publié son livre et le mien est arrivé un peu après. Pour lui, les interviews se sont multipliées. Et lorsqu’on lui disait que ça ne suffisait pas de s’indigner, il répondait « lisez donc le livre d’Edgar Morin ». Autrement dit, il a été le grand supporter de La Voie 2. On a décidé d’écrire ensemble un petit livre, Les chemins de l’espérance, qu’on est en train de terminer, pour montrer que même en France où il y a une telle dépendance de la mon-dialisation, on peut conduire une politique intelligente et autonome.

ENTRE Notre époque est inquiétante, vous dites que deux formes de barbaries menacent…

AW La première forme de barbarie, c’est une barbarie qui vient du fond de l’histoire, qui est le mépris, qui est la haine, qui se manifeste par le racisme, la xénophobie. C’est cette barbarie qui déferle aujourd’hui sur la planète et qui menace

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Avec Hessel, on voudrait contribuer à une sorte de mouvement citoyen.

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8 l’Europe de l’intérieur. Vous savez, j’ai vécu l’impensable  : le pays le plus cultivé d’Europe, qui était l’Allemagne, qui a pro-duit les plus grands philosophes, les plus grands musiciens, où il y avait une culture formidable à l’époque de Weimar, ce pays a sombré dans la plus grande barbarie. À la suite d’une crise économique mondiale, c’est légalement qu’Hitler vint au pouvoir. Depuis ce temps-là, je n’exclus pas qu’ici en France dans des conditions de dégradation, il puisse y avoir, non pas un équivalent de l’hitlérisme, mais quelque chose qui soit très barbare, envers les immigrés, les gens d’origine étrangère… D’ailleurs, moi qui vais rarement manifester ( je ne suis plus tout jeune) la dernière fois où je suis descendu dans la rue c’est après que le président Sarkozy s’en soit directement pris aux Roms. Ça m’a tellement indigné qu’il désigne ce peuple martyr depuis des millénaires et qui encore aujourd’hui est victime du mépris que j’y suis allé.

ENTRE Si la première barbarie vient du fond de l’histoire, la deuxième elle, serait moderne ?

AW Oui, elle vient de notre civilisation actuelle, de la tech-nique, de la manipulation, du déferlement du capitalisme financier. Née en Occident elle déferle sur le monde, nous dégrade, nous menace et menace l’humanité. Ces deux bar-baries sont très unies. Vous comprendrez donc que pour moi, résister est un mot très actuel.

ENTRE Et l’art participe de cette résistance ?AW Si je reprends l’exemple de l’Occupation, l’art résistait par la poésie, partout dans les systèmes dictatoriaux ou tota-litaires… en Union soviétique notamment. La poésie peut plus facilement déjouer la censure et plus facilement circuler. Bien entendu il y a toujours un risque que l’art se transforme en propagande. Aragon a versé là-dedans, il a construit de ma-gnifiques poèmes sur la résistance puis écrit des poèmes sta-liniens absolument grotesques. La musique ou la peinture ont aussi un rôle à jouer. Prenez la « Symphonie de Leningrad » de Chostakovitch, jouée en Union Soviétique, mais aussi dans le monde entier, elle a retranscrit et répandu la représentation de la ville de Leningrad luttant durant le siège qui dura 3-4 ans en 1941. La peinture aussi peut exprimer des idées pro-fondes. Face à une peinture très banale qu’on appelait le réa-lisme-socialisme qui était nulle, d’autres peintures  ont fait front. Le Guernica de Picasso, c’était un acte de résistance au bombardement nazi sur la ville de Guernica.

ENTRE L’art résiste donc, car il fait passer des messages et a valeur de témoignage. L'art n’est pas seulement des grands com-bats il est aussi nécessaire au quotidien…

AW Ma conception est que la vie est une alternance de prose et de poésie. La prose renvoie aux choses obligatoires et emmerdantes, tandis que la poésie c’est ce qui nous exalte personnellement. On ne doit pas considérer l’esthétique comme un luxe, mais comme partie intégrante de la vie. L’art vous invite à mieux jouir de la beauté des montagnes, de la mer, des spectacles… il contribue à cette poésie de la vie dont je vous parle et c’est en ce sens qu’il est fondamental et pas secondaire. Le roman n’est pas du tout un divertissement ou un luxe, il a une fonction de connaissance. Là où les sciences objectives montrent des individus sans jamais connaitre leur subjectivité, le roman permet d'entrer dans la tête des per-sonnages, dans leur vie quotidienne, dans leurs passions.

ENTRE Quelque chose se joue donc entre l’homme et l’œuvre d’art…

AW Tout ce qui est esthétique peut à la fois nous faire goû-ter ce qu’il y a de merveilleux dans l’univers, dans la vie et en même temps nous faire affronter l’horreur, les tragédies. L’art rend à la fois horrible et beau, nous fait à la fois souffrir et jouir. Shakespeare offre la beauté du spectacle qu’il dépeint tout en nous confrontant aux problèmes les plus terribles. C’est dans Macbeth qu’il y a cette réplique absolument déses-pérée qui dit que la vie est une phrase racontée par un idiot qui ne signifie rien, qui est pleine de bruit et de fureur…

ENTRE Pensez-vous que cette capacité d’émerveillement dont vous parlez est toujours aussi intacte ou qu’elle est altérée ?

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On ne doit pas considérer l’esthétique comme un luxe, mais comme partie intégrante de la vie.

Il y a des révélations artistiques qui sont comme des coups de foudre.

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AW Elle est sous-développée, atrophiée, elle n’est pas assez stimulée. Il y a ceux qui la ressentent plus fortement que d’autres, cela dépend des individus… Reste qu’il faut soutenir, favoriser les autodidactismes. Prenez-moi, je ne me considère pas du tout comme un cas exceptionnel, ma famille n’avait pas de culture. Mon père adorait les chanson-nettes, ma mère aimait beaucoup les airs d’opéra, mais un jour j’ai eu un éblouissement : j’ai entendu la 6e symphonie de Beethoven. Quand j’étais môme, je passais mon temps au ci-néma, quelques films m’ont suffisamment marqué pour que je devienne cinéphile. Je lisais des romans d’aventures, de cape et d'épée, et je suis tombé sur Anatole France et Dostoïevski… Aujourd’hui je pense qu’Internet peut permettre ce genre de révélations… et d’autres encore.

ENTRE L’essentiel serait donc de se laisser guider par son ins-tinct, ses prédispositions artistiques ?

AW On peut aussi se faire indiquer la voie par un autre. Ça peut être un professeur, un ami, un cousin… Je crois à la contagion par l’exemple. Le changement ne doit pas seule-ment venir de tout à chacun, mais de l’ensemble de la société. Il faut des réformes dans tous les domaines, qu’on débureau-cratise, qu’on crée des maisons de la solidarité…

ENTRE Reste difficile de parler de nécessité esthétique, no-tamment dans les milieux défavorisés où seul ce qui se rattache la subsistance est perçu comme utile...

AW Mais parfois c’est plus fort que tout, il s’agit de coups de foudre. Ainsi de ce cousin éloigné qui vendait des bas et des chaussettes sous des portes cochères dans Paris, il lit les surréalistes et brusquement ça le transforme, change sa vie. Il travaillera aux Cahiers du sud  (une revue littéraire à Marseille), traduira Garcia Lorca en français, et deviendra attaché culturel à Buenos Aires... Ou de cet ami de mon père, commerçant, il découvre Rimbaud :  c’est le coup de foudre. Il deviendra libraire, ouvrira une librairie rue de Seine, et dé-couvrira même le manuscrit inédit d’Une Saison en enfer. Vous savez, je ne crois pas que le capital culturel se transmette comme le capital fric.

1 Indignez-vous, Stéphane Hessel, éditions Indigène.

2 La Voie, Edgar Morin, éditions Fayard.

Edgar Morin révèle ses émerveillements

U N L I E U« La Toscane est le lieu où il y a la plus grande concentration de beauté que je connaisse. »

U N E M U S I Q U E« Le début de la 9e symphonie de Beethoven, ma première découverte classique. »

U N E P E I N T U R E« Une danseuse de Degas au musée du Louvre, pour sa grâce. »

U N E L I T T É R A T U R E« Celle de Dostoïevski et de Montaigne. »

U N E P E R S O N N E« La femme que j’aime. »

U N P L A I S I R« Observer les oiseaux car à leur vue, même le plus rigoureux des philosophes en oublierait son système. »

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J - 1 Petits pois et boursouflures d’estomac. Ils partirent à l’aube, le vent soufflait. Les hommes, à constamment vouloir ouvrir la marche, pointaient l’avant de leur crosse, tel l’at-tribut d’une douteuse puissance mais peut-être n’était-ce que l’in-dice d’une crainte séculaire… Toujours est-il qu’ils tâtonnaient. Pèlerins d’un nouveau genre, ils agaçaient leurs suites. Les femmes ne les écoutaient pas, il fallait faire vite et tout le monde avait faim.

LA SOUPE COPIEUSE

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JOUR J V’là les bleus ! Bien équipés avec paquetage tassé aux fesses, précis dans leurs mouvements et gestes, ceux-là avaient mangé des steaks. Les autres, que le rouge avait rendus mauves, pataugeaient dans la mélasse. Violette et réglisse, les saveurs d’en-fance dansaient heureuses sur leurs papilles, mais la pupille figée dans la lorgnette, et malgré la confusion, ils se refusaient à fondre. Ils hurlaient. Qu’ils essayent un peu, ces gamins, de venir les siro-ter et ils en feraient des galettes.

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J + 1 Déconfiture. On trouva de la pâte à tartiner compacte et luisante plein les sols. Et tout en se roulant à terre, l’on se souvint de cet instinct premier : manger. Manger vite… avant que de n’être mangé. Se presser.

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J + 1… Fromage qui poisse  et rafales de sauce tomate ou éclaboussures de graisse sur coulée de sang ? Mort ou semence ? Que vois-je  ? Chacun cuisine à sa sauce. Les assaisonnements meurtriers font recette. Mais sans panique s’il vous plaît, car j’irai foutre gros jambon d’homme dans votre gueule que vous fermerez.

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J = J Je me gave, tu te gaves, nous nous vomissons.

VP « Pour répondre à cette commande, je n’avais qu’un mot : résister. Ce n’est pas un mot anodin, ses définitions sont multiples. J’ai choisi de travailler à la fois sur la notion d’in-surrection civile et celle, purement physique, de résistance des matériaux. Les petits soldats de plastique intègrent ces deux approches. Les couleurs employées font échos aux révolutions passées ou actuelles émanant à travers le monde (les « révolu-tions de couleur »). La photo ne retranscrit pas seulement une scénette de maquette, elle reflète les conflits humains. Les traces des combats, la rupture des corps déformés par l’affrontement y figurent comme des taches colorées. Au final, l’impression de dureté qu’aurait pu révéler ce sujet est contournée par cette matière molle aux couleurs vives. »

La photographie de Véronique Pêcheux est, pour finir, restituée dans son intégralité. Les cinq recadrages agrandis constituant une série équivalant au tiers de l'ensemble.

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