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NOVEMBRE 1991 - ENVIRONNEMENT ET DÉVELOPPEMENT I M 1205- 9111 18,00 F

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NOVEMBRE 1991

-

ENVIRONNEMENT ET DÉVELOPPEMENT

I

M 1205- 9111 18,00 F

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-Iconfluences Pour cette rubrique « Confluences », envoyez-nous une photo

(composition photographique, peinture, sculpture, ensemble

architectural) où vous voyez un croisement, un métissage créateur,

entre plusieurs cultures, ou encore deux Nuvres de provenance

culturelle différente, où vous voyez une ressemblance, ou un lien

frappant. Accompagnez-les d'un commentaire de deux ou trois

lignes. Nous publierons chaque mois l'un de vos envois.

Fantômes masqués1990, sculpture en terre

(30,5 x 12 x 9 cm)de Clara DeLamater

« Je reviens d'un long

séjour au pays des

Dogons ; la pierre des

falaises, les nuages du

ciel, tout y est corps. » Ce

voyage au Mali qu'a fait

Clara DeLamater, sculpteur

d'origine franco-américainevivant à Paris, a marqué

une étape importante dansl'évolution d'une

déjà riche et reconnue.Rythmées, visionnaires etsensuelles, ses sculptures

inspirées de l'art dogonexpriment avec force son

désir de rendre ce qu'un

critique, évoquant l'de DeLamater, appelle « la

danse première de l'êtrehumain ».

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NOVEMBRE 1991

Entretien avec

JACQUES-YVES COUSTEAU

/

ie Courrier^dei UNESCOÎÏÏÎÏÏ.^^^^. 44- ANNÉE

Mensuel publié en 35 langues et en braille

Les gouvernements des Etats parties à

la présente Convention, au nom de leurs

peuples déclarent :

Que, les guerres prenant naissance

dans l'esprit des hommes,

c'est dans l'esprit des hommes

que doivent être élevées les

défenses de la paix...

...Qu'une paix fondée sur les seuls

accords économiques et politiques

des gouvernements ne saurait

entraîner l'adhésion unanime,

durable et sincère des peuples et

que, par conséquent, cette paix

doit être établie sur le fondement

de la solidarité intellectuelle et

morale de l'humanité.

...Pour ces motifs (ils) décident de

développer et de multiplier les

relations entre leurs peuples en vue

de se mieux comprendre et

d'acquérir une connaissance plus

précise et plus vraie de leurs

coutumes respectives

(Extrait du préambule de la Convention

créant l'UNESCO,

Londres, le 16 novembre 1945)

SOMMAI

4

ENVIRONNEMENT ET DÉVELOPPEMENT

UN PACTE PLANÉTAIRE

L'ALLIANCE DE L'HOMME AVEC LA NATURE

par Michel Bâtisse 14

L'AFFAIRE DE CHACUN

par Claude Villeneuve 16

RWANDA : LE PAYS AUX MILLE COLLINES

par Charles Jeanneret 19

LA QUETE ENERGETIQUEpar José Goldemberg 22

HONGRIE : LES ECUEILS DE LA CROISSANCE

par István Lang 25

PROFIL D'UNE SOCIÉTÉ VIABLE

par Lester Brown, Christopher Flavin et Sandra Postel 28

QUEL DÉVELOPPEMENT POUR L'AMAZONIE ?par Ignacy Sachs 32

L'ARCHE SUBMERGEE

par Bernd von Droste 36

LE PREMIER SOMMET MONDIAL POURLA PLANÈTE TERRE 39

UNESCO 1946-1991 :

UN PARCOURS

DE 45 ANNÉES

par Michel Conil Lacoste

13EN BREF

DANS LE MONDE..

44ACTION/UNESCO

MEMOIRE DU MONDE

Aix-la-Chapelleou l'éloquence de la pierrepar Herta Lepieet Roland Wentzler

QUESTIONSA FEDERICO MAYOR

Directeur généralde l'UNESCO

AGIR SANS PLUS TARDER

par Francesco di Castri 41

Notre couverture :

Masaï Mara (Kenya).

Couverture de dos :

la première mission Cousteaudans l'Antarctique(1972-1973), début de sacampagne pour protéger legrand continent blanc.

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UNESCO 1946-1991 : UN PARCOURS DE 45 ANKES

Les préoccupations initialesReconstruction des structures éducatives

Libre circulation des instruments du savoir

Droit d'auteur, action normative

Lutte contre les préjugés raciaux

maPolitique générale

Réunie à Florence, la Conférence généraledéfinit un « programme de base » comportant 120activités découlant de 10 tâches principales.

Envoi du premier expert de l'UNESCO surle terrain au titre de l'Assistance technique del'ONU (mission scientifique en Iran).

Florence : première réunion des représentantsdes Organisations internationales non gouverne¬mentales (ONG) coopérant avec l'UNESCO.Dès l'origine, l'UNESCO a recherché la colla¬boration des ONG, trait d'union irremplaçableentre l'Organisation et les milieux spécialisés dansles disciplines couvertes par son champ de com¬pétence, auxiliaires précieux pour la réalisationde ses objectifs. En 1990, l'UNESCO entretenaitdes relations officielles avec 585 ONG. En 1988-

1989, sur les ressources propres de l'Organisation,des contrats pour un montant total avoisinant2,6 millions de dollars ont été conclus avec desONG. Au cours du même biennium, les subven¬

tions proprement dites allouées par l'UNESCOaux ONG ont approché 4 millions de dollars.

La Havane : première réunion à l'échelonrégional de Commissions nationales pourl'UNESCO. Les Commissions nationales sont

des organes-relais de consultation, d'informationet d'exécution établis par les Etats membres enaccord avec l'Acte constitutif de l'UNESCO,

dans le but d'associer leurs principales institutionsliées à l'éducation, la science, la culture et l'infor¬

mation au travail de l'Organisation. Ce dispo¬sitif est propre à l'UNESCO dans le système desNations Unies.

Création du Programme d'entraide del'UNESCO (Co-action) au bénéfice de projets dedéveloppement dans les Etats membres. Entre1950 et 1990 un montant de 14 546 291 dollars

représentant les fonds réunis par les partenairesCo-Action nationaux, ONG, écoles, etc, a été

attribué à plusieurs centaines de projets.

Education

Démarrage du programme conjoint d'éducationUNRWA - UNESCO en faveur des enfants réfu¬

giés de Palestine au Proche-Orient (UNRWA :

Office de secours et de travaux des Nations Unies

pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient). L'enseignement dispensé porte princi¬palement sur le primaire et le 2' cycle du secon¬daire. 1950-1951 : 42 122 élèves dans les écoles

des camps de réfugiés ; aujourd'hui 370 600.Le programme dispose de 5 200 centres de for¬mation professionnelle et pédagogique (« voca¬tional and teacher training centers »).

Sciences exactes et naturelles

Première parution du trimestriel Impact-Scienceet société.

Impact est publié aujourd'hui en anglais, fran¬çais, chinois, russe, arabe et portugais et s'attache,dans ses numéros thématiques, à vulgariser lesconquêtes contemporaines de la science et à carac¬tériser leur impact sur les sociétés, en particulierdans les pays en développement.

Sciences sociales

Premières études sur les « tensions » et les sté¬

réotypes nationaux dans leur rapport avec la com¬préhension internationale et premières publica¬tions de l'UNESCO sur ce thème (Otto Kline-berg, Margaret Mead, J. Stoetzel...).

Culture

Lancement de YHistoire du développementscientifique et culturel de l'humanité, à laquelleP. de Berredo Carneiro a attache son nom :

6 volumes publiés en dix-huit ans avec la collabo-

IMPACT a la

a

MK>

ration de 1 000 spécialistes de plus de 60 pays.Une nouvelle édition est actuellement en cours

de préparation pour mettre à jour et compléterl'ouvrage en tenant compte des évolutions poli¬tiques et des progrès de la recherche historique.

Les 48 numéros trimestriels des Cahiers d'his¬

toire mondiale publiés de 1953 à 1972 à la faveurde l'entreprise constituent une source d'informa¬tion aujourd'hui encore souvent sollicitée.

Communication

« Accord de Florence » pour la suppression desdroits de douane sur certains matériels de carac¬

tère éducatif, scientifique ou culturel (à com¬mencer par le livre), auquel plus de 79 pays sontaujourd'hui parties contractantes (entrée envigueur : 1952). Cet accord étend et renforce celuide Beyrouth.

¡mEducation

Création à Hambourg de l'Institut del'UNESCO pour l'éducation (IUE), qui seconsacre aujourd'hui principalement à larecherche et à la documentation sur l'éducation

permanente.

L'UNESCO établit au Mexique le Centrerégional de formation pour l'éducation de baseen Amérique latine (CREFAL).

Premier centre régional de ce genre, ses acti¬vités intéressent principalement l'élaboration des

i stratégies et méthodologies dans les domaines del'éducation de base, du développement commu¬nautaire, de l'alphabétisation, ainsi que la la miseen d'cxpcriences-pilotes et la productionde matériel pédagogique. Il jouera un rôle impor¬tant dans le Projet majeur dans le domaine del'éducation en Amérique latine et dans lesCaraïbes lancé par la Conférence générale audébut des années 80.

Sciences exactes et naturelles

Alger : réunion inaugurale du Comité consul¬tatif de recherches sur la zone aride, qui donneranaissance au premier programme internationalde recherches scientifiques orienté vers le déve¬loppement. Il s'agit de la première tentativeordonnée de lutte contre la désertification, pro¬blème capital dans nombre de pays du tiersmonde.

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Clement Richard Attlee,Premier ministre

du Royaume-Uni en 1945.

Louis de Broglie,

physicien français, premierlauréat du prix Kaiinga (1952).

Luther H. Evans,Directeur général de l'UNESCO

en 1953.

Vittorino Veronese,Directeur général de l'UNESCO

en 1958.

Roger Caillois,fondateur de la revue Diogène

(1952).

Sciences sociales

Mme Eleanor Roosevelt, membre de la délé¬

gation des Etats-Unis à l'Assemblée générale desNations Unies, participe à l'UNESCO, avecRené Cassin, Gianfranco Pompéi, Charles Malek,à une réunion d'experts sur les Droits del'homme.

Culture

Jawaharlal Nehru inaugure la première biblio¬thèque publique à Delhi, aboutissement d'unprojet-pilote de l'UNESCO.

¡mPolitique générale

Démission du Directeur général, Jaime TorresBodet (Mexique), pour désaccord sur le budget.John W. Taylor (Etats-Unis) est nommé à titreintérimaire.

Adoption à Genève de la Convention univer¬selle sur le droit d'auteur ; elle sera révisée en

1971. En 1991, 84 Etats sont parties à la Conven¬tion de 1952, et 50 à la Convention révisée.

Trois pays de l'Europe de l'Est (la Pologne etla Hongrie en 1952 et la Tchécoslovaquie en1953) annoncent qu'ils ne se considèrent pluscomme Etats membres de l'UNESCO ; ils

renoueront leur coopération avec celle-ci en1954 ; des décisions du même ordre, aussi tem¬

poraires que les précédentes, avaient marqué audébut des années 50 les relations des pays de cetterégion avec d'autres institutions des NationsUnies.

Education

Création du Centre d'éducation de base pourles Etats arabes (ASFEC), accueilli en Egypte.

Bombay : première conférence à l'échelonrégional sur l'enseignement primaire gratuit etobligatoire.

L'UNESCO communique aux Nations Unies

les premières statistiques sur l'éducation desfemmes dans le monde.

Copenhague : création de la Confédérationmondiale des organisations de la profession ensei¬gnante (CMOPE) ; les autres principales fédéra¬tions d'enseignants avec lesquelles l'UNESCOentretient des rapports étroits de coopérationsont la Fédération internationale syndicale del'enseignement (FISE), le Secrétariat profes¬sionnel international de l'enseignement (SPIE) etla Confédération syndicale mondiale des ensei¬gnants (CSME).

Sciences exactes et naturelles

Louis de Broglie est le premier lauréat du prixKaiinga de vulgarisation scientifique, fondé deuxans plus tôt par l'industriel Patnaik et attribuéchaque année par l'UNESCO.

Sciences sociales

Création, à l'incitation de l'UNESCO, du

Conseil international des sciences sociales (CISS),qui regroupe à l'heure actuelle 14 associationsinternationales disciplinaires de sciences sociales

et une fédération d'organismes de recherchenationaux et régionaux en sciences sociales.

Premier numéro de Diogène, revue internatio¬nale des sciences humaines, fondée par RogerCaillois et publiée sous les auspices du Conseilinternational de la philosophie et des scienceshumaines avec l'aide de l'UNESCO.

Depuis 1952, Diogène paraît trimestriellementen anglais, espagnol et français et, depuis 1986,également en arabe. Des anthologies de Diogènesont publiées depuis de nombreuses années enhindi, japonais, portugais et, depuis 1985, en chi¬nois (l'édition espagnole se trouve momentané¬ment suspendue par suite d'un changementd'éditeur).

Culture

Venise : conférence sur la situation de l'artiste

dans le monde contemporain.

Communication

Première réunion régionale d'experts sur lesbesoins en formation à la communication en

Afrique.

MlPolitique générale

Luther Evans (Etats-Unis) élu Directeurgénéral pour un mandat de six ans.

Enquête de la délégation permanente des Etats-Unis auprès de l'UNESCO (« rapport Salomon »)à la suite de la mise en cause de l'Organisationdans des journaux américains.

Education

Mise en place du système des Ecoles associéesde l'UNESCO.

En 1991 ce réseau couvrira plus de 2 550 éta¬blissements (préscolaires, primaires, secondaires,écoles normales, écoles techniques et profession¬nelles) répartis dans 101 pays.

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L'école St. Joseph

au Ghana,

membre du réseau

des écoles

associées

de l'UNESCO.

mPolitique générale

Montevideo : la Conférence générale (8e ses¬sion) décide que les membres du Conseil exécutif,tout en siégeant es qualités, seront désormais desreprésentants des gouvernements. Elle adoptel'emblème de l'UNESCO : un temple à l'imagedu Parthenon où Phidias voyait davantage « desproportions que des dimensions » del'équilibre entre les nations dont s'inspirel'UNESCO dans ses activités, en même tempsque de sa vocation culturelle.

L'URSS devient le 70e Etat membre, suivie parles RSS d'Ukraine et de Biélorussie.

Premier pas vers la concentration du pro¬gramme : distinction entre les activités générales(fonctions permanentes et universelles del'UNESCO) et activités spécifiques (visant à satis¬faire des demandes ponctuelles des Etats membres).

Le Courrier de l'UNESCO modifie sa présen¬tation. D'année en année le nombre de ses édi¬

tions en différentes langues ateindra jusqu'à 35(1991), à quoi s'ajoutent 4 éditions en braille. Pre¬mière édition hors-siège : langue russe (Moscou,1957) ; 1980 : édition en langue allemande ; 1985 :éditions en suédois et en basque.

La présentation actuelle du magazine remonteà 1989. Elle a coïncidé avec un renouvellement

du contenu, axé désormais sur des grands thèmesde nature à intéresser un large public, traités plusdélibérément que par le passé à la faveur d'uneapproche interculturelle.

Entrée en fonctionnement de l'Organisationeuropéenne pour la recherche nucléaire (CERN),créée avec la participation de l'UNESCO.

Culture

La Haye : adoption de la Convention sur laprotection des biens culturels en cas de conflitarmé ; en 1991, 76 Etats sont parties à cetteConvention.

Création, sous les auspices de l'UNESCO, del'Association internationale des arts plastiques(AIAP), qui regroupe les peintres, sculpteurs, gra¬veurs et autres artistes du domaine des arts visuels

à l'suvre dans plus de 80 pays. Activités : contri¬bution au développement de l'art et de l'accèsaux arts dans toutes les régions ; communicationentre artistes de différents pays et documenta¬tion ; défense des intérêts matériels et des droitsmoraux des créateurs. Parmi les conseillers de

l'AIAP vivants ou disparus : Sonia Delaunay,Miró, Calder, Moore, Louise Nevelson, Matta,Schöffer, Vasarely.

Communication

Le Directeur général est autorisé par la Confé¬rence générale à apporter une aide aux Etatsmembres, à leur demande, en vue du développe¬ment de leurs moyens d'information et de com¬munication.

IMPolitique générale

Création d'un nouveau programme, dit plustard de « participation », qui, financé sur le budgetpropre de l'UNESCO, permet à celle-ci de contri¬buer à certaines activités entreprises par les Etatsmembres au niveau national ou international et

rejoignant les objectifs de l'Organisation.

Sciences sociales

Démarrage du « Système des entreprises de jeu¬nesse asociées » destiné à associer à l'UNESCO

des initiatives de caractère expérimental servantla cause de la compréhension internationale etvisant à développer le sens des responsabilitéssociales chez les jeunes.

MPolitique générale

Réunie à New Delhi, la Conférence généraleapprouve les trois premiers « projets majeurs »,respectivement pour l'extension de l'enseigne¬ment primaire en Amérique latine (formation desmaîtres) qui durera de 1957 à 1966 ; pour larecherche scientifique sur les zones arides (1957-1962) ; pour l'appréciation mutuelle des valeursculturelles de l'Orient et de l'Occident (1957-1966).

L'Afrique du Sud se retire de l'UNESCO.Lancement par l'UNESCO d'un recueil mon¬

dial des traités et lois sur le droit d'auteur, depuislors mis à jour annuellement.

Education

Une réunion d'experts, puis un groupe de tra¬vail ad hoc de la Conférence générale proposentune nouvelle définition de 1'« éducation de base ».

Celle-ci a pour fin « d'aider ceux qui n'ont pubénéficier de l'enseignement d'institutions édu¬catives à comprendre les problèmes du milieu oùils vivent, ainsi que leurs droits et leurs devoirsde citoyens et d'individus, et à acquérir unensemble de connaissances et d'aptitudes propresà leur permettre d'améliorer progressivementleurs conditions de vie et de mieux participer audéveloppement économique et social de la col¬lectivité dont ils font partie ».

Sciences exactes et naturelles

Parution de l'ouvrage : UNESCO source hookfor science teaching (édition française : Manuel del'UNESCO pour l'enseignement des sciences). Uneédition révisée et augmentée paraîtra en 1973 sousle titre : Nouveau manuel de l'UNESCO pourl'enseignement des sciences.

Constamment réimprimé et traduit dans unetrentaine de langues, ce best-seller de l'UNESCOatteint aujourd'hui, toutes éditions confondues,un tirage dépassant largement le million d'exem¬plaires.

Communication

L'UNESCO et le gouvernement indien coo¬pèrent dans le projet-pilote de groupes d'écoute« Radio Forum » pour l'alphabétisation et ledéveloppement dans 150 villages de la région dePoona (Projets similaires ultérieurs au Ghana, auSénégal, en Gambie).

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Ecole indienne

soutenue par le

programme

d'entraide

de l'UNESCO

(Co-action).

Radhakrishnan (Inde) est alors président de laConférence générale.

Vittorino Veronese (Italie) est élu Directeurgénéral.

Education

Genève : la XXIe Conférence internationale

de l'instruction publique (dénommée plus tard« de l'éducation ») se penche sur le problème del'accès à l'éducation dans les zones rurales.

Evénements

Table ronde de lauréats du prix Nobel sur lethème de l'homme devant la science et la tech¬

nologie, avec notamment J. Boyd Orr (Royaume-Uni) et Nicolas Semenov (URSS).

Les premiers « projets majeurs » Evénements

miSciences exactes et naturelles

Lancement du Projet majeur sur les terresarides (expansion du programme lancé en 1951,avec moyens accrus et actions concentrées sur larégion s'étendant de l'Afrique du Nord auMoyen-Orient et à l'Asie méridionale).

Organisation à Paris de la Conférence inter¬nationale sur les radio-isotopes dans la recherchescientifique.

Sciences sociales

Création de la Faculté latino-américaine des

sciences sociales (FLASCO), et du Centre latino-américain pour la recherche en sciences sociales(CENTRO), à vocation nationale (Brésil) puisrégionale.

Culture

Lancement du Projet majeur relatif à l'appré¬ciation mutuelle des valeurs culturelles de I

l'Orient et de l'Occident (1957-1966). Au pro¬gramme de ce projet interdisciplinaire : amélio¬ration des manuels scolaires, diffusion de la lit¬

térature et des arts plastiques, échanges de cher¬cheurs et attribution de bourses, etc. Organe deliaison : le bulletin « Orient Occident » (52numéros).

Communication

Coopération de l'UNESCO à la création, à IStrasbourg, du premier Institut supérieur de Jour- 1nalisme. Deuxième institut de ce type à Quito : I1959.

Le Centre catholique international pourl'UNESCO lance son périodique Le mois àl'UNESCO qui sera édité en français, en anglais,espagnol et allemand. Le Centre a été créé dixans plus tôt sous le patronage de Mgr Roncalli,alors Nonce apostolique et futur Jean XXIII.

1WPolitique générale

Inauguration, en présence de René Coty, Pré¬sident de la République française, du nouveaubâtiment du siège permanent de l'UNESCO,place de Fontenoy, Paris, :uvre des architectesMarcel Breuer (Etats-Unis), Pier-Luigi Nervi(Italie) et Bernard Zehrfuss (France). Sarvepalli

ÎWPolitique générale

Création du Fonds spécial des Nations Unies,qui complète et amplifie les moyens d'action opé¬rationnels mis à la disposition de l'UNESCO autitre du Programme élargi d'assistance technique.

Culture

A l'initiative conjointe de l'UNESCO et del'ICOM, création à Rome du Centre pour l'étudede la préservation et de la restauration du patri¬moine culturel (ICCROM).

Communication

A l'invitation de la Commission des droits de

l'homme des Nations Unies et de l'ECOSOC,

l'UNESCO étudie un programme en faveur du.développement des moyens d'information dans

les pays non industrialisés.Création du Conseil international du cinéma

et de la télévision (CICT).Le CICT regroupe 30 organisations internatio-

I nales et est implanté dans la plupart des pays. SaI coopération avec l'UNESCO par le biais, en[particulier, de réunions professionnelles organi¬sées en marge de certains festivals vise principa-llement à faciliter la circulation des audio-

I visuelles et à stimuler la création dans ce domaine,

[notamment à travers des co-productions. Une[attention spéciale est accordée à la diffusion[d'iuvres audio-visuelles en provenance de pays[en développement.

Michel Conil Lacoste

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IENTRETIEN

JACQUES-YVESCOUSTEAULe nom du commandant Cousteau

est indissolublement lié à l'explora¬

tion et à la défense de l'océan. Ce

pionnier de la plongée et de la

recherche sous-marines, que ses

croisières océanographiques ont

conduit sur toutes les mers du

globe, s'est attaché, à travers films

et documentaires, à révéler au grand

public les richesses de l'univers

subaquatique. Il se consacre désor¬

mais à la protection de l'environne¬

ment mondial, que menace la folle

expansion économique et démogra¬

phique du genre humain.

Comment en êtes-vous arrivé à vous inté¬

resser à la nature et plus particulièrement àla nature aquatique f

J'ai tou|ours été curieux. Dès l'enfance, jeme réveillais et je quittais mon lit pour allerobserver les oiseaux de nuit. Cela ne manquaitpas de me poser des problèmes. Mes parentsn'appréciaient pas beaucoup une curiosité quime faisait courir de tels risques.

J'avais dix ans lorsque j'ai « rencontré »l'eau pour la première fois. C'était aux Etats-Unis, dans un camp de vacances près d'un lac.Comme il fallait régulièrement dégager lesdétritus qui s'accumulaient sous le plongeoirdes enfants, j'ai appris à plonger et à demeurerun certain temps sous l'eau. Je n'avais pas de

lunettes et ne disposais d'aucun matériel. Il mefallait donc fournir un effort considérable pourparvenir à dégager ces déchets... à mains nues.Pendant deux ou trois semaines, j'ai plongé etreplongé dans le lac. J'ai fini par apprendre àretenir ma respiration sous l'eau.

Un peu plus tard, à 14 ans, j'ai affiné maméthode. A l'école que je fréquentais, enAlsace, il y avait une piscine. En plongée, jem'aidais pour respirer de tuyaux, de pompeset divers autres objets. Je ne faisais pas celapour observer la nature, mais plutôt pourimiter les héros de Fenimore Cooper qui, pouréchapper à leurs poursuivants, se cachaientsous l'eau et respiraient à l'aide d'un roseau.

C'est ainsi que, petit à petit, j'ai voulu être

8Entretien conduit parBahgat Elnadi et Adel Rifaat

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... les ressources de notre planète ne sont pas illimitées... il y aun plafond à ne pas dépasser, un seuil d'habitabilité à ne pas franchir,

marin. Après le bac, j'ai passé le concours del'Ecole Navale. J'ai été reçu à 20 ans. Deuxannées plus tard, alors que je faisais le tour dumonde sur le navire-école Jeanne d'Arc, j'ai ététémoin d'une scène qui allait se révéler, pourmoi, décisive. En Indochine, dans la baie de

Cam Ranh, entre midi et quatorze heures, àl'époque des plus grandes chaleurs, les indi¬gènes plongeaient depuis leurs barques et res-sortaient avec des poissons à la main ! Ils expli¬quaient qu'il était très facile d'attraper les pois¬sons pendant qu'ils faisaient la sieste ! J'aitrouvé cela si extraordinaire que j'ai décidé dedévelopper plus avant ma maîtrise de laplongée.

Je n'allais pas pouvoir le faire immédiate¬ment. Nommé chef de la base navale françaiseà Shanghai, je devais assurer l'intendance desbateaux qui faisaient escale dans la concessionfrançaise du grand port chinois. Ce n'est qu'àmon retour en France en pensant aux indi¬gènes de la baie de Cam Ranh, que je suisrevenu à l'idée de développer les techniques deplongée. En attendant, je m'étais lié d'amitiéavec Frédéric Dumas et Philippe Taillez. Nousallions devenir les Trois Mousquetaires del'aventure sous-marine.

Pour moi, le problème de la respirationsous l'eau était devenu obsédant. Avec mes

camarades, nous avions testé tous les appareilsrespiratoires qui existaient à l'époque. Aucunne nous satisfaisait.

Puis il y a eu la guerre, suivie de l'occupa¬tion de la France. C'est à cette époque que j'airencontré Emile Gagnan. Ingénieur à la société« Air Liquide », il avait équipé une voiture àgazogène pour remplacer l'essence par l'oxydede carbone engendré par la combustion par¬tielle du bois. Le gaz combustible était fourniau moteur par un détendeur spécial. Ce pro¬cédé a été à l'origine de l'appareil de respira¬tion qui porte mon nom et qui a été venduà des millions d'exemplaires. Dans mon appa¬reil, entièrement autonome, le gaz délivré par

le détendeur était de l'air comprimé. A partirde là, Dumas, Taillez et moi pouvions déve¬lopper la plongée et commencer à filmer.

Une fois la guerre terminée, au ministèrede la Marine, j'ai mis les responsables au cou¬rant de l'appareil tout à fait nouveau que nousavions mis au point et je leur ai proposéd'ouvrir un centre d'études à Toulon. C'est

ainsi qu'a été créé le CERS, « Centre d'étudeset de recherche sous-marine », dans l'Arsenalde Toulon.

Vous n'y êtes pas resté longtemps.Non. En 1949, je me suis dit que nous

devions passer à l'application. Pour cela, il fal¬lait commencer par armer un bateau. Com¬ment faire pour trouver l'argent ? J'ai ouvertmon carnet d'adresses. A la lettre A, je suistombé sur Auniac. C'était un homme char¬

mant ; je l'avais connu, avec sa femme, auxsports d'hiver. De plus, c'était l'hommed'affaires de Guiness qui contrôlait, entreautres, les chantiers navals d'Antibes. Au

terme d'un rendez-vous, Guiness m'ouvrait un

crédit de 25 millions et mettait à ma disposi¬tion le directeur des chantiers navals

d'Antibes...

Cela ressemble à un conte de fées !Eh oui ! Avec le directeur des chantiers

navals d'Antibes, nous sommes allés à Malte

où nous avons trouvé un dragueur de minesconverti en ferry qui faisait le transport desvoyageurs entre Malte et la petite île deGoudze. Cette île était supposée être l'Ogygielégendaire de L'Odyssée où la nymphe Calypsoavait accueilli Ulysse. C'est pourquoi le pro¬priétaire du dragueur avait appelé son ferry laCalypso. Nous le lui avons acheté pour septmillions. Il était en parfait état, mais nousavons dû consacrer le reste de mon crédit à

le réaménager et à le doter d'instruments derecherches océanographiques.

Nous avons alors commencé nos croi

sières. J'avais épuisé le crédit de Guiness et jen'avais plus d'argent, je me suis mis au servicedu CNRS. Depuis la guerre, la France n'avaitplus de bateaux océanographiques. Nous avonsdonc servi, pendant quelques années, de bateaude transport et de coopération pour les océa¬nographes français de tous les organismesconcernés.

Ensuite, il y a eu le grand succès du Mondedu silence...

Le monde du silence date de 1956. Les pre¬mières expéditions de la Calypso, en merRouge, remontent à 1951. Nous avions déjàtourné quelques films assez exceptionnels,dont l'un avait obtenu en 1951 le Grand Prix

au Festival des films documentaires à Paris.

Nous avons dès 1953 tourné des films en cou¬

leurs. Au début, c'était très difficile. Il nous

fallait parer à la difficulté de l'éclairage,puisque, vous le savez, l'eau tend à absorberles couleurs. Nous avons beaucoup travaillépour mettre au point les techniques descaméras, des filtres, des optiques, des éclairages,etc. Petit à petit, nous avons pu passer à lavidéo professionnelle, en noir et blanc, pourcommencer.

C'est à cette époque que j'ai construit lespremières caméras de télévision sous-marines.J'ai ensuite créé, à Marseille, un Centred'études marines avancées. A Marseille, nous

avons construit le premier sous-marin d'explo¬ration, spécialement conçu pour l'observationscientifique à 350 mètres de profondeur.Ensuite, nous avons construit pour l'Etat fran¬çais un sous-marin d'observation pouvant allerjusqu'à 3 000 mètres de profondeur et, pour lesAméricains, un troisième sous-marin pouvantaller jusqu'à 600 mètres. J'ai aussi construitdeux petits sous-marins monoplace qui sont,aujourd'hui encore, en état de marche. Enfin,nous avons commencé la construction d'un

sous-marin plus important, cracheur de plon¬geurs. La construction de la coque était

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lie commandant

t son fils, Jean.

achevée lorsque les travaux ont dû être inter¬rompus, les crédits nous ayant été coupés.Vingt ans plus tard, nous en sommes encore là.

En 1954, nous avons accompli une mis¬sion pour le compte de la « Darcy explorationcompany ». Le contrat était très avantageux,il nous permettait d'installer le radar et lesappareils de mesure qui nous manquaient.C'est nous qui avons découvert le pétrole duGolfe ! Eh oui ! C'est nous qui avons fait larichesse de l'Emirat d'Abou Dhabi !

Le monde du silence nous a rapporté suffi¬samment d'argent pour que nous puissions tra¬vailler jusqu'en 1972, presque sans autre res¬source.

Depuis, nous avons tourné beaucoup defilms et, parallèlement, en 1962, nous avonsprocédé à des tests au cours desquels deshommes ont vécu et travaillé, sous l'eau, à desprofondeurs importantes. Il y eut PrécontinentI, à Marseille, à 10 mètres de profondeur, puisPrécontinent II, en mer Rouge, à 40 mètres etenfin, en 1965, Précontinent III au large du capFerrât, à 100 mètres de profondeur.

Quel en est le principe ?C'est une sphère imperméable à l'eau à

l'intérieur de laquelle l'atmosphère, composéed'un mélange d'oxygène et d'hélium, est main¬tenue à la pression ambiante. Dans cettesphère, six personnes ont vécu pendant troissemaines et lorsqu'ils sont sortis, nous avonsdû les maintenir une quatrième semaine souspression pour décompresser progressivementl'atmosphère.

Par cette expérience, nous avons été lespremiers à faire de la plongée dite à saturation.Depuis, l'industrie pétrolière en a largementprofité dans ses exploitations offshore.

Nous avons beaucoup innové. Et dans lesdomaines les plus divers. Nous avons mis aupoint des caméras que nous avons descenduesjusqu'à 8 000 mètres.

Dans plusieurs fosses atlantiques, nousavons pris des milliers de photographies ettourné des- films extraordinaires. Nous avons

également été les premiers à plonger dansl'Antarctique avec un sous-marin et à y faireune exploration systématique en scaphandre.Récemment, nous avons construit le premierappareil de plongée avec des bouteilles en plas¬tique chargées à 300 bars.

Et votre intérêt pour l'environnement, danstout cela ?

Il s'est développé progressivement. Dès ledépart, nous nous sommes donné un slogan :« Connaître, Aimer, Protéger ». C'est exacte¬ment ce qui m'est arrivé. J'ai commencé parexplorer. Quand j'ai vu toute cette beauté sous-marine, j'ai été pris de passion pour elle. Etenfin, lorsque j'ai réalisé à quel point les océansétaient menacés, j'ai décidé de me lancer dansla dénonciation la plus vigoureuse de tout cequi mettait en danger ce que j'aimais. Mon his¬toire forme un cycle. Je souhaite que lesenfants puissent suivre le même parcours.

Quels sont les grands dangers qui mena¬cent la terre f

Ayant parcouru le monde comme je l'ai faitpendant des années et des années, l'ayant vu,comme je l'ai vu, en hélicoptère, en plongée,

Cousteau Préconf/nent II, une station immergéeMichel. où six membres de l'équipe Cousteau

ont vécu pendant un mois en 1963 dansles eaux de Port-Soudan, en mer Rouge.

en bateau... je peux me résumer en disant queles ressources de notre planète ne sont pas illi¬mitées, qu'il y a un plafond à ne pas dépasser,un seuil d'habitabilité à ne pas franchir.

Nous devons nous poser la question :combien d'animaux et d'hommes notre pla¬nète peut-elle encore supporter sans que la qua¬lité de la vie ne se détériore, sans que toutesles beautés qu'elle recèle ne se fanent ? Il y aquinze ans, lorsque j'étais aux Etats-Unis, j'aiessayé de construire un modèle mathématiquerépondant à la question : combien notre pla¬nète pourrait-elle supporter d'hommes ayantun revenu, un pouvoir d'achat, un confort,équivalents à ceux d'un Américain moyen del'époque ? Les données dont je disposaisn'étaient pas très précises et, dès le départ, jesavais que l'approximation serait de l'ordre de40 à 50%. A l'époque, j'étais très lié au direc¬teur du Laboratoire universitaire océanogra¬phique de l'Université de la Californie du Sud,dont les chercheurs nous servaient de conseil¬

lers, à mes camarades et à moi. Avec tous les

paramètres dont je disposais, je suis arrivé auchiffre de 700 millions. Sept cents millionsd'individus bénéficiant d'un standard de vie

comparable à celui des Américains moyens !Notre planète d'il y a quinze ans ne pouvaitpas assurer une vie agréable à plus de 700 mil¬lions de personnes ! La population mondialeétait alors de 4 milliards !

Alarmé par le résultat de mes recherches, jemets le directeur du laboratoire au courant du

résultat que j'avais obtenu. Savez-vous ce qu'ilm'a dit ? Que mes résultats étaient très opti¬mistes. Il avait procédé à la même construc¬tion que moi et il avait obtenu un résultat deloin inférieur au mien ! Depuis, je suis obsédépar le problème de l'habitabilité de la planète.

La population mondiale s'élève, actuelle¬ment, à 5,7 milliards d'habitants. Et cette

population augmente à une allure vertigineuse.Tous les six mois, une population égale à cellede la France vient s'ajouter à la précédente. Ettous les dix ans, c'est une population égale àcelle de la Chine qui vient s'ajouter à celle denotre fourmilière humaine.

Tout le monde est convaincu de ceci :

l'accroissement de la population ne peut pascontinuer ainsi, anarchiquement, sur un mode

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cancéreux. Mais dès qu'il s'agit de passer àl'action, tout le monde se détourne. Sous pré¬texte qu'on n'y peut rien, que l'affaire est tropcompliquée, qu'elle est rendue encore plusardue du fait des us et coutumes, de la religionet de je ne sais quoi encore. Or, la religion n'yest pour rien. L'Italie est le pays le plus catho¬lique du monde et, pourtant, c'est le pays oùle taux de natalité est le moins élevé du monde.

Il en est de même de l'Espagne, elle aussi catho¬lique. Le taux de natalité y est en chute libre.En Indonésie, le plus grand pays musulmandu monde, une campagne, menée depuis dixans, a réduit le taux de natalité de près de 50%.

La religion ne doit donc pas être mise encause. Par contre, la peur de l'avenir peutl'être. Dans les pays dits en voie de dévelop¬pement, il n'existe aucune assurance vieillesse.Les retraites, s'il y en a, sont inférieures auminimum vital. Dans la perspective de leurvieillesse, les gens sont pris de panique dès leurjeunesse, d'autant plus que du fait des condi¬tions sanitaires et du cadre de vie, ils vieillis¬

sent très jeunes. Pour veiller sur leurs vieuxjours, il leur faut un enfant mâle, sur qui ilspuissent compter. Et comme il faut tenircompte de l'aléa des sexes, de la mortalité etde la disponibilité affective des enfants vis-à-vis de leurs parents, pour avoir un enfant mâlesûr, il faut faire six enfants. Je dis bien six. Six

enfants pour trois garçons. Et trois garçonspour que deux demeurent vivants. Et deuxvivants pour que l'un d'eux soit miséricor¬dieux envers ses parents.

Au facteur de l'insécurité, il faut ajoutercelui de l'illettrisme des femmes qui, lui aussi,tient à la pauvreté. Dans les pays en voie dedéveloppement, l'éducation a fait d'énormesprogrès, mais il n'y a toujours pas suffisam¬ment d'écoles. Une première sélection est alorsfaite sur la base du sexe. En priorité, ce sontles garçons qui vont à l'école et non les filles.

Pourquoi ? Ma réponse va vous paraîtrebizarre, mais il en est ainsi le plus souvent, lespetites et jeunes filles ne vont pas à l'écoleparce qu'il n'y a pas d'eau potable. Lorsqu'iln'y a pas d'eau potable à proximité, ce sontles filles qui vont la puiser à la source. J'ai vudes adolescentes aller chercher de l'eau potableà 20 et parfois 30 kilomètres, ce qui leur pre¬nait la journée entière. Ainsi soumises àl'urgence de l'approvisionnement en eau, cesfilles arrivent à 14 et 15 ans sans avoir été à

l'école, sans avoir rien appris. Commentvoulez-vous qu'elles recourent aux méthodescontraceptives ou même qu'elles sachent qu'ilexiste des contraceptifs ?

Certains vont jusqu'à expliquer la surna¬talité par le fait que, pour des centaines de mil¬lions de personnes, l'amour est la seule source

de bonheur. La contraception n'empêche ni neréduit le bonheur. Dans bien des pays pauvres,on distribue gratuitement la pilule contracep¬tive. Et pourtant, les femmes ne la prennentpas. Pourquoi ? Parce que les femmes, sanséducation aucune, sont soumises au gré deshommes qui eux, soit se moquent des consé¬quences, soit veulent des enfants pour avoirune chance d'assurer leurs vieux jours !

Il ne faut pas se cacher derrière son petitdoigt. La surpopulation est le problèmenuméro un qui se pose à notre planète. Surles 5,7 milliards qui peuplent la terre, moinsde 2 milliards vivent décemment. Ce chiffre

va doubler d'ici peu. On arrivera peut-être ànourrir les 10 ou 12 milliards promis. Mais onne pourra que les nourrir. Les hommes enseront réduits à faire la queue en attendant leurpâtée !

Selon certains, la mer peut être une sourcede richesse alimentaire...

C'est une idée pour le moins saugrenue. Lesressources de la mer diminuent régulièrement.On pêche déjà beaucoup trop. Et même si onarrivait à maintenir la même quantité de pro¬téines en provenance de la mer, cette quantité,la même en chiffre absolu, ne saurait que dimi¬nuer proportionnellement aux besoins de laconsommation. Je me rappelle qu'au début de

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ma carrière, la mer fournissait 10% de la pro¬téine consommée. Cette proportion estaujourd'hui de 4 à 5%. Demain, lorsque lapopulation aura doublé, cette proportion tom¬bera à 2%. Là encore, la productivité a un pla¬fond qui ne saurait être dépassé. On est déjàdans la zone de surpêche.

On arrive pourtant à augmenter la pro¬ductivité de la terre. Pourquoi pas celle de la

. mer f

Les taux de rendement ne sont pas du toutles mêmes.

Dans l'Antarctique, par exemple, il fautdix tonnes d'algues microscopiques pourformer une tonne de krill le krill est une

toute petite crevette... et il faut une tonne dekrill pour former 20 kg de baleine. Le facteur detransformation, dans ce cas, est de 40 pour 1.Sur terre, pour former une vache, le facteurde transformation est de 10 pour 1.

Et qu'en est-il de la désertification ? Nedisait-on pas que le désert était en traind'envahir les terres cultivables ? Or, aux der¬

nières nouvelles, ilparaît que le désert se reti¬rerait.

Les nouvelles dont vous faites état sont troprécentes. Il faut en attendre la confirmation.

Mais soit. Je suis prêt à supposer que le Saharaa été créé par les hommes et qu'il peut, parconséquent, être défait par les hommes. Dans

ce cas, le Sahara, devenu cultivable, aurait un

rendement de loin supérieur à celui de la mer.

Et les menaces de la pollution ?Le réchauffement de la terre et la raréfac¬

tion de l'eau sont des menaces beaucoup plusgraves et plus urgentes que la pollution chi¬mique dont on s'occupe. La raréfaction del'eau est due au gaspillage, lui aussi en liaisonavec la surpopulation. Le taux de gaspillage esténorme. Dans les pays occidentaux, les culti¬vateurs recourent aux rotations ou aux arro¬

sages et 90% de l'eau utilisée s'évapore ! Dela nappe phréatique, on puise l'eau pour lafaire évaporer ! Et l'on vient se plaindre quela nappe phréatique se dessèche ! Cette année,

12i Quand j'ai vu toute cette beauté sous-marine, j'ai été pris de passion pour elle.

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malgré l'abondance des pluies, il y aura encoredes problèmes de sécheresse en France. Pour¬quoi ? Parce que depuis trois ans, on a beau¬coup gaspillé l'eau puisée dans la nappephréatique.

Le dommage causé à la planète est fonc¬tion de la démographie, mais également dudegré de développement. Un Américainfatigue la planète beaucoup plus que vingt Ban¬gladeshis. Ce dommage est également lié à laconsommation. Notre société est tournée vers

une consommation de plus en plus inutile.C'est un cercle infernal, que je compare aucancer.

M II y a des espèces animales qui constituentdes menaces ou des nuisances pour l'homme,comme certains serpents, certains moustiques.Peut-on les éliminer, comme on tente d'éli¬

miner les virus responsables de telle ou tellemaladie ?

L'élimination des virus relève d'une idée

noble, mais elle pose à son tour d'énormes pro¬blèmes. Entre l'an 1 et l'an 1400, la popula¬tion n'a pratiquement pas changé. A traversles épidémies, la nature compensait les abusde la natalité par des abus de mortalité...

J'ai discuté de cette question avec le direc¬teur de l'Académie des sciences en Egypte. Ilm'a dit que les scientifiques étaient épouvantésà l'idée qu'en l'an 2080 la population del'Egypte puisse atteindre 250 millions...

Nous voulons éliminer les souffrances, les

maladies ? L'idée est belle, mais n'est peut-êtrepas tout à fait bénéfique sur le long terme. Ilest à craindre que l'on ne compromette ainsil'avenir de notre espèce.

C'est terrible à dire. Il faut que la popula¬tion mondiale se stabilise et pour cela, il fau¬drait éliminer 350 000 hommes par jour. C'estsi horrible à dire, qu'il ne faut même pas ledire. Mais c'est l'ensemble de la situation dans

laquelle nous sommes engagés qui estlamentable.

// doit pourtant y avoir des solutions...C'est une question de coût. Il faut 400 mil¬

liards de dollars par an pendant 15 ans. Pourdonner de l'eau potable aux gens. Pour scola¬riser les filles et pour procurer une petite

¿retraite à tous les vieux. Avec 400 milliards

pendant 15 ans, on peut, non seulement dimi¬nuer la pression démographique, mais arrêtersa progression.

Y a-t-il quelque chose à faire au niveau desindustries polluantes ?

Peu de chose. La grosse affaire c'est le CO2On va finir par suffoquer avec le CO2. Voussavez, c'est un stimulant de la respiration.Nous finirons par être tous haletants si l'aug¬mentation du CO2 continue. Or, cette aug¬mentation résulte d'une politique erronée del'énergie. On a préféré investir des sommesénormes dans l'énergie nucléaire plutôt quedans la fusion qui, elle, est propre... Maisl'énergie nucléaire par la fission permet d'avoirla bombe !

Il y a d'autres pollutions... plus « pittores¬ques ». La planète Terre est actuellemententourée d'une ceinture formée de petits boutsde satellites éclatés qui foncent à la vitesse d'unobus et qui finiront par interdire toute sortiedans l'espace !

Pour gérer la nature, il faut une certainedose de sagesse. Nous parviendrons peut-êtreun jour, en tenant compte du long terme, àgérer la nature comme nous savons déjà le fairelorsqu'il s'agit d'un joli petit jardin. En atten¬dant, revenons à nos moustiques. Depuis dixans, je possède une maison à la campagne.Lorsque j'y suis allé pour la première fois ily avait des hirondelles, des rouges-gorges et il

Jacques-Yves Cousteau

en Papouasie-Nouvelle-Guinée.

y avait aussi des moustiques. Aujourd'hui, iln'y a plus de moustiques, mais il n'y a pas nonplus d'hirondelles, de sauterelles, ni de papil¬lons. Pour protéger les cultures, on les a arro¬sées de pesticides. Par avion. On a ainsipresque supprimé les insectes. Mais si nouscontinuons, les enfants ne verront plus jamaisune hirondelle, une libellule ou un papillon.Bravo !

Et si, pour conclure, on vous demandaitune note d'espoir ?

L'intérêt véritable pour les problèmes del'environnement date de juillet 1988, lorsquele magazine américain Time a consacré sa cou¬verture à la planète Terre, désignée comme« planète de l'année » en remplacement del'habituel « homme de l'année ».

Dès l'année suivante, en juillet 1989,les sept grandes puissances industrielles ontconsacré le tiers de leur temps de réunion àétudier les problèmes de l'environnement etlui ont réservé 23 pages de leur rapport. Il ya eu, ensuite, une réunion à La Haye et puisd'autres. On s'apercevait, enfin, que le dangerétait global et que tout le monde était menacé.

Cette prise de conscience des responsablesétait encouragée par une formidable pressionde l'opinion dans tous les pays du monde. Laconjugaison de ces deux forces, au sommet età la base, devrait mener à un commencement

de solution. J'espère que vous l'avez, votrenote d'espoir !

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¡Um de l'homme avec là Ûm par Michel Bâtisse

/

14

L y a cinq siècles, la découverte du Nouveau Monde montrait que la Terre était bien ronde. Et

donc limitée. Paradoxalement, l'immense étendue des terres ainsi révélées permettait aux humains de

persévérer jusqu'à nos jours dans l'illusion que tes richesses de la nature étaient inépuisables, et qu'ils

pouvaient impunément continuer à croître en nombre et à multiplier indéfiniment leurs besoins.

En vérité, tes ressources de la planète sont encore considérables, mais la course est engagée

entre ces besoins vitaux ou superflus et les moyens de les satisfaire. Malgré les percées de la

science et tes prodiges de la technique, nous sommes bien loin d'être assurés de pouvoir la gagner.

La poussée démographique sans contrôle à laquelle on assiste encore surtout dans les pays

pauvres et la consommation effrénée de biens matériels et d'énergie surtout dans tes pays

riches se conjuguent dans un modèle de développement économique qui pèse trop lourd sur toutes

tes composantes de notre environnement, et qui n'est pas « durable ».

Ce numéro du Courrier, en cherchant à donner quelques aperçus sur tes manifestations de cette

crise de l'environnement, montre bien qu'il s'agit tout autant d'une crise du développement.

Environnement et développement : tes deux faces d'un même dilemme dans la poursuite de l'aventure

humaine, le sujet brûlant de la Conférence des Nations Unies qui se tiendra à Rio de Janeiro en

juin 1992.

C'est un sujet que l'UNESCO connaît bien, puisque dès son origine elle n'a cesse' de s'en

préoccuper. En 1948, c'est en effet sous son égide qu'était fondée l'Union internationale pour la

conservation de la nature (UICN). A la même époque, elle mettait en 'uvre un programme scientifique

pour l'étude et l'utilisation des régions arides. En 1961, elle établissait en son sein la Commission

océanographique intergouvernementale, afin de promouvoir une coopération mondiale dans l'étude

des mers, de leurs ressources, de leur protection et de leur influence sur la vie de la planète. Dans le

même temps s'organisaient des travaux sur l'écorce terrestre, ses richesses et les risques naturels

qu'elle engendre. En 1964, était lancée la Décennie hydrologique internationale afin de mieux

connaître et de mieux gérer tes ressources en eau de tous tes pays. Enfin, en 1968. l'UNESCO

organisait la Conférence sur l'utilisation rationnelle et la conservation des ressources de la biosphère,

d'où allait sortir le programme interdisciplinaire sur « l'homme et la biosphère » (MAB), qui se trouvetoujours au centre de ses activités relatives à l'environnement.

En 1972, la Conférence des Nations Unies à Stockholm suscitait au sein de l'opinion publique et

parmi tes Etats un regain d'intérêt pour tes questions d'environnement conduisant bien sûr

¡'UNESCO à poursuivre ses programmes scientifiques internationaux. Elle l'invitait en outre à

promouvoir et renforcer l'éducation relative à l'environnement, tant au niveau scolaire qu'universitaire.

Dans le même temps, l'adoption de la Convention sur le patrimoine mondial culturel et naturel

affirmait la double nature de notre héritage commun et l'indispensable coopération des nations pour

en conserver tes grands symboles.

L'UNESCO s'est donc depuis longtemps placée à la croisée des chemins qui, par l'éducation, la

science et la culture, tendent à réconcilier le développement et l'environnement, à renouer l'alliance

première de l'homme avec la nature.

Cependant, les efforts consentis jusqu'ici, tant au plan national qu'international, sont encore bien

loin d'être suffisants. L'entreprise demandera du temps avant de porter ses fruits. Elle implique une

révision profonde de modes de pensée et de mécanismes économiques profondément ancrés dans tes

pays Industrialisés et pius ou moins acceptés comme modèles dans les autres, ainsi qu'un

changement radical des habitudes et des attitudes, qui sera perçu par beaucoup comme un sacrifice.

Cette entreprise prescrit que tes préoccupations du court terme n'occultent plus tes impératifs à

long terme, et conduit à prendre, par précaution, des décisions Impopulaires qui ne sont pas fondées

sur des certitudes absolues. Elle réclame une refonte d'institutions par trop sectorielles et un

bouleversement des priorités d'investissement. Elle signifie que tes pays riches acceptent d'accroître

leur aide aux pays pauvres pour la prise en compte de l'environnement (c'est ce qu'on a appelé le

principe d'« additionnante »), et qu'en contrepartie ces derniers acceptent de réorienter certains projets

de développement pour protéger l'environnement (c'est le principe de « conditionnante »).Enfin, cette entreprise exige l'adoption d'une nouvelle comptabilité économique permettant

d'apprécier tes valeurs, jusqu'ici ignorées, de l'air pur, de l'eau propre, des animaux sauvages et despaysages. Elle invite à une éthique nouvelle et à une solidarité globale. Elle demande que chacun

d'entre nous prenne conscience des enjeux, examine ses comportements et montre l'exemple. T ., .I 6ITip6t6 06 S3DI6

Sans pius attendre. en Ethiopie

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Maire de chacun par Claude Villeneuve

Les citoyens du monde ont-ils un rôle à jouer dans la conservation des systèmes

qui entretiennent la vie sur notre planète ?

16

Lue monde scientifique produit chaque mois desrapports, des hypothèses, des constats, qui démon¬trent que nos constantes agressions de l'environ¬nement risquent de mettre en péril notre potentiel.global de développement. On parle même demenaces pour la survie de l'humanité. Devant cesproblèmes d'envergure planétaire, le simple citoyense voit confronté aux Cavaliers de l'Apocalypse.

Les technologies qui nous ont permis d'amé¬liorer notre longévité et notre qualité de vie parla modification de l'environnement planétairecommencent à nous affecter par leurs sous-produits. Nous sommes à la fois responsables etvictimes de la dégradation de l'environnement etnous découvrons avec stupéfaction que nousvivons dans un monde de plus en plus complexeet fragile.

Les transformations que nous avons fait subirà la biosphère sont d'une ampleur telle, qu'il fautagir dès maintenant pour éviter que leurs effetscatastrophiques, redoutés par les scientifiques, neposent à nos enfants des problèmes insolubles.Mais comment le simple citoyen peut-il, dans savie quotidienne, faire les gestes qui lui permet¬tront de contribuer à la solution des problèmesplutôt qu'à leur aggravation ? Telle est la question.

QU'EST-CE QUELE DÉVELOPPEMENT DURABLE ?

Quelques constats. Bon nombre de problèmesd'environnement tendent à devenir de plus enplus globaux, à dépasser les frontières et les juri¬dictions nationales et à échapper à la responsabi¬lité des individus ou des nations.

Même si les moyens techniques dont nous dis¬posons aujourd'hui sont beaucoup plus impor¬tants qu'ils ne l'étaient il y a encore quelquesdizaines d'années, on se rapproche dangereuse¬ment des limites de l'efficacité technologique. Ilfaut en effet de plus en plus d'efforts pour fairedes progrès relativement mineurs, autant dans ledomaine de la production de biens que dans celuide la lutte contre la pollution.

Par ailleurs, la population mondiale augmentede façon impressionnante et, sous l'influence inci-tatrice des grands médias, les désirs de consom¬mation de l'humanité s'accroissent considérable¬

ment. On peut donc prévoir que malgré le poten¬tiel de développement encore important des res¬sources de la biosphère, on atteindra dans unavenir prévisible les limites de sa productivité.

Le développement durable consiste à assurerune gestion responsable des ressources de la pla¬nète de manière à sauvegarder les intérêts desgénérations futures tout en répondant aux besoinsdes générations actuelles.

C'est là un défi particulièrement stimulantpour les individus et les collectivités et il faut s'yattaquer au plus tôt, car plus l'on tarde et plusles décisions nécessaires à la mise en d'un

développement durable sont difficiles à prendre.

DES BIENS ÉPHÉMÈRES

L'essor spectaculaire de la production industriellequi a suivi la guerre de 1939-1945, tout en per¬mettant d'améliorer les conditions de vie globalesde l'humanité, a provoqué un appétit accru debiens matériels de toutes sortes. La productionindustrielle a permis de mettre à la disposition duplus grand nombre des biens manufacturés à uncoût abordable. On a produit de plus en plus età meilleur coût, en créant des emplois, permet¬tant ainsi à plus de gens de se procurer davantagede biens. L'offre a entretenu la demande.

Cela ne pouvait pas continuer indéfiniment.Aussi, pour soutenir la demande, a-t-on com¬mencé à produire des biens éphémères. Lesannonces publicitaires et les techniques de com¬mercialisation associant leur consommation à

l'image du bonheur ont remporté un succès

Ci-dessous, métaux précieuxtirés de déchets industriel

dans une usine de

retraitement de Shanghai

(Chine).

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exceptionnel. Malheureusement, l'accumulationdes biens ne garantit pas le bien-être. Elle n'estpas non plus, une fin en soi.

Par contre, la production de biens éphémèresengendre le gaspillage d'énergie et de ressourcesnaturelles et crée des volumes de déchets préjudi¬ciables à l'environnement. Chaque citoyen nord-américain, par exemple, doit se débarrasser d'unetonne par an de déchets domestiques. Ces déchets,en grande partie composés d'emballages inutiles,posent aux pays à haut niveau de consommationun des problèmes d'environnement les plus cri¬tiques du moment.

C'est peut-être à travers cette question desdéchets domestiques que l'action du citoyen peutavoir l'effet le plus visible dans la lutte contre ladégradation de l'environnement. En effet, le pou¬voir du consommateur de choisir des produitsmoins emballés et moins polluants peut contri¬buer à infléchir les orientations de l'industrie.

L'automobile est un des biens éphémères lesplus importants dans la société de consommation.Or, une grande partie des problèmes environne¬mentaux est liée à la production et à l'utilisationabusive de véhicules automobiles. En Amériquedu Nord, par exemple, on lui attribue près de 40%

de la consommation énergétique totale. La réduc¬tion de l'utilisation de l'automobile individuelle

est l'un des premiers gestes à proposer au citoyenpour alléger sa pression sur l'environnement.

La population mondiale s'enrichit actuelle¬ment de 170 individus à la minute, c'est-à-dire

l'équivalent de la population du Canada tous lestrois mois. Cet accroissement démographique neva pas sans inquiéter les écologistes, et pour cause.

D'abord, l'éthique oblige à nourrir, vêtir etloger tous ces nouveaux citoyens du monde. Or,on y parvient assez mal, à cause des inégalités dansla répartition des richesses naturelles. Ensuite,dans le village planétaire, chacun aspire à cettesociété de consommation qui est l'apanage despays industrialisés.

Malheureusement, le niveau élevé de consom¬mation de ressources naturelles des Nord-Améri¬

cains et des Européens ne paraît pas accessible,dans l'état des connaissances écologiques actuelles,à l'ensemble de la population mondiale.

De nombreux auteurs, tel l'agronome françaisRené Dumont, indiquent par exemple que, sitoute la planète devait consommer l'énergie aurythme de l'Amérique du Nord, il faudrait simul¬tanément multiplier la production de pétrole par

Ces pneus usagés stockés

dans une décharge de

Westley, en Californie

(Etats-Unis), serviront decombustible dans une centrale

thermoélectrique. Un seul

pneu fournit assez d'énergie

pour alimenter un foyer

californien moyen pendant

toute une journée.

17

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Initiation à l'écologie à l'Ecole

nationale de sylviculture de

Chagüite Grande (Honduras),

fondée en 1969 avec l'aide

du PNUD et de la FAO.

18

CLAUDE VILLENEUVE,

du Canada, est biologiste au

Centre écologique du lac Saint-

Jean, au Québec. Il a collaboré

avec plusieurs organisations

écologistes et rédigé divers

ouvrages sur la faune etl'environnement, l'éducation

relative à l'environnement et le

développement durable, le

réchauffement global.

trois, la production de gaz naturel par sept, la pro¬duction de charbon par dix et le nombre de cen¬trales nucléaires par soixante. Cette hypothèse,qui remettrait en cause la durée des réserves decombustibles, est simplement effrayante du pointde vue de l'environnement. En effet, les déchets

créés par la production et l'exploitation des res¬sources énergétiques nécessaires augmenteraientde façon intolérable les précipitations acides,l'accumulation des gaz à effet de serre, et levolume des combustibles irradiés.

Pourtant, chaque être humain devrait avoirle droit de vivre dans le confort et la sécurité. Le

développement durable passe donc par la réduc¬tion de la natalité là où elle est encore élevée, tant

dans les pays pauvres que dans les pays riches.Le contrôle de la natalité est avant tout un

geste individuel mais il doit être soutenu parl'ensemble d'une société et l'on doit collective¬

ment investir dans le mieux-être et l'éducation des

enfants qui sont déjà nés avant d'inciter les parentsà en mettre d'autres au monde.

Finalement, il faut entreprendre au niveaulocal, régional et mondial un effort sans précédentd'éducation relative à l'environnement afin de

permettre à tous les citoyens du monde d'assumerles responsabilités qui leur incombent dans laconservation des systèmes d'entretien de la vie.

L'« ALPHABÉTISATIONÉCOLOGIQUE » : UN DÉFI

Nous sommes tous des ignorants instruits. Aulieu de la « tête bien faite » que préconisait Mon¬taigne, la plupart des systèmes éducatifs, soumisaux contraintes de la concurrence, ont choisi de

former des « têtes bien pleines ». Nous disposonsdonc d'un savoir de plus en plus parcellaire et spé¬cialisé, détenu par des individus très compétentsdans une discipline, mais à peu près ignorants desautres champs de connaissance. Les décideursd'aujourd'hui sont issus en majorité de systèmesd'enseignement qui laissent bien peu de place àla découverte extracurriculaire. De même, les

citoyens ignorent généralement la nature des pro¬cessus qui leur apportent chaque jour les élémentsnécessaires à leur survie.

Or, pour comprendre et agir dans le domainede l'environnement, il faut une connaissance

minimale du fonctionnement des écosystèmes etune perception de la place de l'homme dans labiosphère. L'éducation relative à l'environnementest l'une des clés d'un développement durable.Instrument privilégié d'une « alphabétisation éco¬logique », elle est aussi le vecteur de cette nou¬velle éthique nécessaire à une redéfinition de larelation entre l'humanité et la biosphère.

L'éducation relative à l'environnement doit

donc se généraliser, dans les systèmes d'enseigne¬ment scolaires et non scolaires, de façon à ce queles citoyens et les décideurs puissent introduirela dimension environnementale dans le processusde prise de décision.

Elle doit se baser sur le fait que la biosphèrea une capacité limitée et que les actions del'homme peuvent entraîner des modificationslocales et globales néfastes à la santé et à la sécu¬rité des populations. Elle doit aussi démontrer quepour son développement, tout être humaindépend des conditions de son environnement etqu'aucune génération ne peut s'arroger le droitde détruire les éléments nécessaires à la survie de

la génération suivante.Le défi que représente pour l'humanité le

développement durable est probablement le plusimportant que nous ayons eu à rencontrer dansnotre histoire. Nous disposons aujourd'hui d'ins¬truments scientifiques extraordinaires pour prédirel'évolution de notre environnement. Saurons-

nous éviter les catastrophes, tout en continuantd'améliorer la qualité de vie de l'ensemble des êtreshumains ? Ou bien nous laisserons-nous conduire

à la crise par des modèles économiques qui nouslaissent croire que l'infini existe dans un mondefini ?

La science ne peut répondre à ces questions.A chacun d'en faire une cause personnelle.

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par Charles Jeanneret

taida : le pays aux mille collinesAu céur de l'Afrique, un petit pays veille jalousement sur

le capital naturel dont il tire les moyens de sa survie.

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ifc...,i:Ai^.:..»iii«*:.'M!>'-''*.- ... *yi:'.ÍAIF --r^^-^v.- .-'^-.Va:,v:,;. ".¡.«¿.ííí«'!fW%Sf>V. *= ' ' '?v '"

La récolte du thé au Rwanda.

ITUÉ au coeur de l'Afrique, le Rwanda, pays dedimensions réduites (26 338 km2), connaît, avecune population avoisinant aujourd'hui les huitmillions d'habitants, la densité démographique deloin la plus forte au sud du Sahara.

Son relief varié allant de la chaîne des vol¬

cans au nord, aux savanes boisées et aux hautesterres mamelonnées d'innombrables collines à

l'est et au sud, en passant par la crête Zaïre-Nil,un ensemble de massifs accidentés entrecoupés deprofondes vallées dominant l'ouest a valu auRwanda le surnom de « pays aux mille collines ».

L'extrême pression démographique, l'exiguïtédu territoire et la raréfaction progressive des terresd'une part, l'absence de ressources importantes etl'enclavement d'autre part, font du Rwanda, paysagricole, le cas-test par excellence de la problé¬matique environnement-développement. L'auto-suffisance alimentaire et la création d'emploiset de richesses par une production favorisant lepouvoir d'achat national, tels sont depuis toujoursles deux objectifs prioritaires de sa stratégie dedéveloppement.

L'ENVIRONNEMENT :

UNE PRÉOCCUPATION NATIONALEEXEMPLAIRE

Bien que le Rwanda soit constamment au seuilde la rupture alimentaire, il consacre plus de 10%de sa superficie à diverses réserves naturelles degrande importance, comme le parc national desVirunga, au nord, sanctuaire des derniers gorillesde montagne, ou la forêt naturelle de Nyungwe,au sud, la plus grande et l'une des dernières forêtsprimaires d'altitude en Afrique, habitat d'espècesde singes uniques au monde.

La sauvegarde de ces réserves est vitale pourl'équilibre écologique et hydrique, ainsi que pourla diversité biologique de l'ensemble des écosys¬tèmes du pays. Mais elle trouve aussi sa justifica¬tion dans le potentiel économique réel que repré¬sente, par exemple, la perspective d'un tourismeintelligent, respectueux de la faune et de la. floreexceptionnelles qu'abrite le Rwanda.

Une démographie galopante pousse aujour¬d'hui la population à grignoter progressivement lesabords de ces dernières terres disponibles, pour senourrir ou braconner. Afin de défendre ces pré¬cieux acquis écologiques, on envisage de créer desbarrières végétales, de renforcer les activités de

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recherche, d'améliorer la surveillance, et de lancerde nouvelles campagnes d'information et de sensi¬bilisation sur le bien-fondé de la préservation de cesmilieux essentiels à la survie écologique du pays.

L'amélioration et la restauration du patri¬moine écologique sont poursuivies de manièreconséquente. Ainsi, l'effort massif de reforesta¬tion, entrepris depuis plus d'un quart de siècle etporté par un élan collectif authentique, s'est soldépar un indéniable succès. Depuis 1973, la Journéenationale de l'arbre, célébrée dans tout le pays pardes plantations, souligne plus que symbolique¬ment l'intérêt stratégique du reboisement.

Celui-ci permet en effet au Rwanda de dis¬poser d'une importante base de ressources renou¬velables, donc durables. La masse de matières pre¬mières ainsi créée a permis de promouvoir une

t industrie nationale du bois, de petite dimensionet décentralisée, mais au potentiel économiqueconsidérable.

D'autres thèmes de mobilisation annuelle,judicieusement choisis pour la sauvegarde dupatrimoine agricole année de la conservationdes sols, année de la lutte contre l'érosion, annéede la fumure organique viennent depuis long¬temps soutenir les efforts visant à l'autosuffisancealimentaire.

UNE AGRICULTURE FRAGILE

Le secteur agricole, occupant 93% de la popula¬tion active, est surtout constitué de petites exploi¬tations très productives, dont les trois quart nedépassent pas un hectare et demi. Le Rwanda neconnaissant ni les grandes exploitations, ni le pro¬létariat rural qui leur est associé, la majeure partiede sa production agricole, y compris de denréesdites industrielles telles que le café, le thé ou lepyrèthre, est issue de ces petites exploitationsfamiliales ce qui favorise, entre autres choses,une répartition relativement équilibrée du revenumonétaire en milieu rural.

Une politique de prix vivriers stimulante etun système de commercialisation garantissant unprix minimum, la rotation accélérée des cultures,l'introduction de nouvelles variétés et de nou¬

velles productions, un système d'épargne et decrédit d'une efficacité remarquable permettaient,il n'y a guère longtemps, de dégager quelques sur¬plus agricoles.

A cela s'ajoutaient d'autres facteurs favora¬bles : des conditions climatiques assez généreuses,autorisant en général deux, quelquefois troisrécoltes par an ; la cohésion sociale et linguistiquede la société rwandaise ; l'absence d'enjeux géo¬politiques permettant au pays de se consacrer àses propres problèmes de survie ; l'inexistence dematières premières de spéculation ; la sage résis¬tance du paysan à ce qui menace ses acquis, alliéeà une aptitude certaine à l'innovation ; enfin, unestabilité politique enviable.

Cependant, depuis quelques années, l'accélé¬ration de la poussée démographique et la multi-

_ plication de facteurs exogènes pernicieux ont¿U entraîné une détérioration rapide de la situation.

Le système agricole, dont on a l'impressionqu'il occupe aujourd'hui le dernier mètre carrédisponible, a vu sa fragilité mise à nu par des per¬turbations climatiques (sécheresse, pluies dilu¬viennes), dont la moindre peut désormais provo¬quer des catastrophes. Exacerbées par l'augmen¬tation de la population, les deux contraintesmajeures que sont la raréfaction des terres et leurinévitable surexploitation ont précipité l'agri¬culture rwandaise vers le point de rupture. C'estainsi qu'en 1989, plusieurs parties du pays ontsouffert d'importantes disettes.

Ce qui était atout, est devenu handicap :l'habitat dispersé qui avait épargne au pays l'urba¬nisation sauvage et les bidonvilles, est maintenantsynonyme de gaspillage. Emiettées par les héri¬tages, les petites exploitations familiales ne per¬mettent plus de dégager des surplus agricoles suf¬fisants. La fertilité des terres, maintenue à unniveau élevé grâce à un système de jachère judi¬cieusement maîtrisé, diminue sérieusement en

raison de la surexploitation, devenue systématique,des sols.

Par ailleurs, les chutes successives du prixmondial du café le principal produit d'expor¬tation, qui fournissait au pays des devises néces¬saires au financement de ses importations ontencore réduit le pouvoir d'achat de la populationet privé le pays des moyens de maintenir son acti¬vité économique et de moderniser son agriculture.

DES IMPÉRATIFS ÉCOLOGIQUESNOUVEAUX

Sans une politique démographique efficaceassociant à la planification familiale une dimen¬sion régionale d'aménagement et d'occupation de

'*?*-

ilPPsKi v.

Une briqueterie artisanale

(Rwanda).

Statue de savon fabriquée

par une savonnerie rwandaise,

qui s'associe à la protection

des gorilles.

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l'espace la partie risque, à terme, d'être perdue.Mais réussira-t-on à augmenter la production agri¬cole de façon substantielle, et durable, sansendommager l'environnement ?

Divers éléments peuvent y contribuer. Desapports nouveaux, en particulier certains engraischimiques, sont inévitables si l'on veut restituerau sol la fertilité minérale qu'il a perdue lechaulage des terres recevant une attention prio¬ritaire, vu que le Rwanda dispose de gisementsde chaux appréciables. L'importation de fertili¬sants inorganiques étant, au Rwanda, un phéno¬mène récent, on déploie des efforts remarquablespour en faire un usage optimal, notamment enles associant à de la fumure organique afin d'évitertout risque de destruction ultérieure des sols.

L'aménagement des marais, qui. sont les der¬niers terrains non encore mis en valeur et dont

le rôle régulateur est primordial pour le systèmehydrologique du pays, pose des problèmes com¬plexes tant sur le plan technique, qu'institu¬tionnel, sociologique et économique mais

recèle la promesse d'une augmentation substan¬tielle de la production vivrière, sans dommagespour l'environnement.

Des expériences menées en divers points dupays, associant notamment la pisciculture, l'agri¬culture et l'élevage, ainsi que les efforts d'inten¬sification du sylvopastoralime fourniront des indi¬cations précieuses pour une meilleure allocationdes terres et une exploitation encore plus fine desressources fourragères.

Le fait que la moitié des terres agricoles a unedéclivité de 25 degrés et plus soulève un problèmeaigu. Les techniques de conservation des sols lesplus courantes haies et fossés anti-érosifs neparviennent pas à arrêter l'érosion sur des terrainsayant des pentes supérieures à 21%. Aussi place-t-on aujourd'hui beaucoup d'espoir dans un typede terrassement dit « radical ». D'introduction

récente au Rwanda, il y suscite un vif engoue¬ment. Il consiste à transformer les versants pentusen plateformes horizontales légèrement inclinéesvers la colline, afin d'intercepter les eaux de

CHARLES JEANNERET,

économiste suisse et canadien,

a été professeur agrégé et

vice-doyen à la recherche de lafaculté des sciences sociales

de l'université d'Ottawa, et

président de l'Agence

canadienne de développement

international. Spécialiste des

questions d'environnement et

des stratégies

d'autodéveloppement, il fait

fonction, depuis 1981, de

conseiller du gouvernement

rwandais.

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ruisellement et de favoriser leur infiltration. Cela

réduit, et parfois supprime totalement la déper¬dition de terre et permet de conserver unmaximum d'éléments nutritifs aux cultures.

Ces terrassements grâce auxquels on parvientà réhabiliter des terres très érodées, sous-

exploitées, ou même considérées comme impra¬ticables, présentent l'avantage de préserver la fer¬tilité des sols. La production agricole s'en trouvepresque instantanément augmentée. Ainsi, d'unterrain à Kisaro qui ne donnait qu'une tonne depommes de terre, on en a obtenu 25 après le ter¬rassement. Des terres sur lesquelles le blé ne pous¬sait pas en rapportent maintenant deux tonnesl'hectare. Ces performances sont peut-être excep¬tionnelles, mais on admet généralement que lesterrasses permettent en moyenne de doubler laproduction d'une récolte à l'autre, tout en conser¬vant indéfiniment ce précieux capital naturelqu'est la terre.

UNE INDUSTRIALISATION

ÉCOLOGIQUEMENT SAINEIndustrialiser le Rwanda constitue un véritable

défi, si l'on tient compte de la fragilité de l'envi¬ronnement, pour lequel certaines formes de pol¬lution risquent d'avoir des conséquences désas¬treuses. Néanmoins, l'industrialisation est une

priorité, à la fois pour valoriser les ressourcesnationales par leur transformation, créer desemplois non agricoles pour absorber le surplusde bras des régions rurales, et susciter le pouvoird'achat nécessaire afin que la production agricole,surtout vivrière, trouve acquéreur. Il a fallu fairepreuve d'originalité pour identifier les possibilitésvéritablement porteuses d'avenir.

L'importation de matières premières pourleur transformation étant rendue prohibitive parle coût des transports dans ce pays enclavé, ona opté pour la petite et moyenne industrie ; ons'est intéressé au premier chef à l'exploitation defilières écologiquement saines bois et agro¬industries notamment.

D'autres industries témoignent du mêmesouci de sauvegarde de l'environnement, commela briqueterie de Ruliba, à Kigali, qui utilise laparche du café et le papyrus séché comme com¬bustible. Bientôt, le pays produira, à partir dupapyrus, des plaques ondulées bitumées pourrecouvrir le toit des maisons. Bien plus durablesque les tôles importées, elles tirent parti d'unematière première locale végétale, indéfinimentrenouvelable, et constituent une économie appré¬ciable de devises. Quant à la brasserie nationale,elle utilise comme source d'énergie le gaz méthanedu lac Kivu, que l'on envisage d'employer pourd'autres industries, comme celle du ciment.

Le Rwanda offre-t-il un exemple d'écodéve-loppement réussi ? Il est encore trop tôt pour ledire. Mais peut-il faire autrement que de rechercherles moyens de sa survie et de son progrès dans sonpropre environnement, tout en veillant jalouse-

_ _ ment à ce que ce capital lui reste entièrement¿.¿. acquis ?

par José GoldembergL'épuisement prévisible des carburants fossiles

et les dégâts qu'ils infligent à l'environnement nous obligentà chercher de nouvelles sources d'énergie.

J-/A viabilité écologique est une notion très com¬plexe, particulièrement du point de vue énergé¬tique. Pour arriver à la viabilité absolue, il fau¬drait n'utiliser que des sources d'énergie renou¬velable, comme la houille blanche, mais mêmelà on est confronté au problème de l'envasementdes réservoirs et à leurs incidences sur l'environ¬

nement. On n'atteint donc pas une viabilité à100 %.

Il est tout aussi vrai que certaines ressourcescomme le charbon abondent : les réserves pour¬raient durer plusieurs siècles et d'ici là, on auraprobablement découvert d'autres sources d'énergie.

Le rapport de la Commission mondiale del'environnement et du développement (rapportBrundtland, 1987) définit le développement viablecomme celui qui répond aux besoins présents sanscompromettre la capacité des générations futuresde satisfaire leurs propres besoins. Ce qui signifieque toute discussion sur ce point doit faire inter¬venir la notion de « rythme d'appauvrissement desressources », de façon à aboutir à un compromisentre l'idéal souhaitable et ce qui est faisablecompte tenu des réalités de la vie quotidienne.Un tel compromis est inévitable dès lors qu'ilfaut choisir entre la préservation des ressourcesnaturelles et les exigences de la survie et dudéveloppement.

Avant la révolution industrielle, le bois defeu, utilisé de manière à permettre le renouvelle¬ment des forêts, était quasiment l'unique sourced'énergie thermique. Mais l'explosion démogra¬phique et la demande croissante d'énergie ontimposé le recours aux carburants fossiles (nonrenouvelables), qui constituent aujourd'hui laprincipale source d'énergie. Dans les pays indus¬trialisés, le bois de feu représente moins de 1%de la consommation globale d'énergie, le resteétant pratiquement couvert par le charbon, lepétrole et le gaz naturel.

Une telle démarche est bien évidemment non

viable à terme, puisque les gisements s'épuisentrapidement au risque, à peu près certain, de « gra¬vement compromettre la capacité des générations

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it

futures de satisfaire leurs propres besoins énergé¬tiques ».

L'épuisement prévisible à plus ou moins longterme des gisements de carburants fossiles n'estd'ailleurs pas la seule ombre au tableau. Il faut yajouter les agressions que nous infligeons à notreécosystème. Les émissions d'oxydes de carbone etautres gaz toxiques sont la principale cause de lapollution atmosphérique et de l'effet de serre quifont peser une menace sur l'avenir de notre espèce.

Dans les pays en développement, le bois defeu représente encore un pourcentage appréciablede la consommation d'énergie. Si cette ressourceétait convenablement gérée (en plantant systéma¬tiquement des arbres pour remplacer ceux quel'on coupe) elle serait pratiquement inépuisable.Malheureusement, c'est loin d'être le cas, et l'onassiste au déboisement massif des forêts (surtout

des forêts tropicales) au rythme d'environ 10 mil¬lions d'hectares par an. Le problème est particu¬lièrement préoccupant en Afrique, mais il se poseaussi en Asie du Sud-Est et en Amérique latine.

A l'échelle mondiale, seule l'énergie hydro¬électrique constitue une source d'énergie inépui¬sable et non polluante pour l'atmosphère. Elle nereprésente toutefois que 10% de notre consom¬mation totale et s'il existe encore de nombreux

sites inexploités, ils sont très inégalement répartisdans le monde.

Il y a, en gros, trois possibilités pour arriverà une politique énergétique viable :

mieux utiliser les carburants fossiles pour éco¬nomiser les réserves existantes ;

développer les énergies encore peu ou mal uti¬lisées : éolienne, solaire (thermique et thermoé¬lectrique), photovoltaïque et la biomasse ;

développer l'énergie nucléaire.

UN COCKTAIL

D'ÉNERGIES NOUVELLES

Avant les deux crises pétrolières des années 70,on pouvait penser que la croissance illimitéed'énergie fournie par les carburants fossiles étaitune constante de la réalité des pays développés,un exemple et un objectif pour le reste du monde.Les prévisions des experts reflétaient cet opti¬misme et prédisaient une croissance soutenue dela consommation d'au moins 3 % par an, ce quisignifiait que notre consommation globale qua¬druplerait en moins d'un demi-siècle.

Les deux crises pétrolières ont obligé à revoirces chiffres et à combattre une dépendance jugéeexcessive vis-à-vis du pétrole. Deux grandes étudesont été réalisées dans les années 70 : l'une par leGroupe de recherches énergétiques de Cambridge(Royaume-Uni) pour la Conférence mondiale surl'énergie, et l'autre par l'Institut internationald'analyse des systèmes appliqués basé à Vienne.

Le barrage de la centrale

hydro-électrique de Tucurui,sur le Tocantins au Brésil.

JOSÉ GOLDEMBERG,du Brésil, ancien recteur de

l'université de Sâo Paulo où il

est titulaire d'une chaire, est

actuellement le ministre de

l'Education de son pays.

Auteur de nombreux travaux

dans les domaines de la

physique nucléaire et de

l'énergie, il a été en 1991 l'un

des lauréats du prix Mitchell

pour le développementdurable. 23

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24

Dans les deux cas, l'objectif à long terme était deménager la transition du pétrole à d'autres formesd'énergie plus abondantes comme le gaz, lecharbon et le nucléaire, tout en permettant lemaintien d'une certaine croissance énergétique.

La méthode consistait à évaluer les futurs

besoins énergétiques, sur la base des prévisionsdémographiques et des tendances lourdes de l'éco¬nomie, d'effectuer des analyses historiques pourétablir la corrélation entre tendances et besoins

et de proposer un cocktail d'énergies nouvellespropre à satisfaire ces besoins. Malheureusement,les deux scénarios proposés partaient du postulatd'un déséquilibre énergétique persistant entrepays développés et en développement, ce quiimpliquait la non-satisfaction des légitimes aspi¬rations au développement des pays les moinsavancés.

En 1988, dans un livre intitulé De l'énergiepour un monde viable, l'auteur du présent articlese demandait dans quelle mesure de nouvellestechnologies à haut rendement énergétique per¬mettaient de mieux satisfaire les besoins mondiaux

d'ici à l'an 2020. Sa conclusion était que l'uti¬lisation généralisée de ces technologies nouvellespourrait permettre aux habitants du tiers monded'accéder au niveau de vie qui était celui des paysdéveloppés dans les années 70 et aux pays déve¬loppés de réduire pratiquement de moitié leurconsommation d'énergie par habitant. Globale¬ment, il croyait pouvoir prédire qu'avec uneconsommation mondiale d'énergie à peu prèscomparable, la grande majorité des habitants denotre planète bénéficierait en 2020 de conditionsde vie incomparablement meilleures qu'en 1980.

Malheureusement, ces prévisions ne corres¬pondaient pas vraiment à une situation viable àlong terme en raison du recours persistant auxsources d'énergie traditionnelles, ce qui supposaitun degré toujours aussi alarmant d'accumulationde gaz carbonique et de polluants dans l'atmos¬phère. La preuve était faite en tout cas qu'on pou¬vait stabiliser la consommation d'énergie à sonniveau actuel tout en prolongeant la durée desréserves existantes.

Dans une étude publiée en 1989, R. H. Wil¬liams, du Centre d'études énergétiques et écolo¬giques de l'université de Princeton, se montre plusoptimiste quant à la possibilité de recourir davan¬tage aux sources d'énergie renouvelables, grâce àl'apparition de technologies nouvelles qui permet¬tent de rentabiliser l'opération.

Le recours à des méthodes plus efficaces d'uti¬lisation du bois de feu et de la transformation de

la biomasse (essentiellement des déchets végétauxet agricoles) en gaz alimentant des générateurs àturbine se généralise peu à peu. La transforma¬tion de la canne à sucre en éthanol permettantde fabriquer de l'électricité est aussi très au pointet les techniques d'utilisation des énergies éolienne,thermosolaire et photovoltaïque ont beaucoupprogressé également.

Dressant le bilan de ces énergies nouvellesrenouvelables, Williams croyait pouvoir affirmerqu'en 2025 elles représenteraient plus de la moitiéde la consommation énergétique des pays en déve¬loppement.

LE NUCLÉAIRE, UNE SOLUTION ?

Enfin, nous devons nous demander dans quellemesure le nucléaire peut contribuer à la créationd'un nouvel ordre énergétique mondial. L'énergienucléaire ne libère pas d'oxyde de carbone etgrâce à la nouvelle génération de réacteurs, noussommes assurés de disposer de carburant nucléairepour plusieurs siècles. A cet égard, le nucléairefait donc figure de source énergétique idéalementrenouvelable.

Le problème, bien entendu, est ailleurs.Même avec les techniques les plus perfectionnées,un accident est toujours possible, comme l'amontré la tragédie de Tchernobyl. En outre, ilne semble pas y avoir encore de solution au pro¬blème du stockage des déchets radioactifs qui soitcompatible avec la propreté de l'environnement.Tout cela, sans oublier le risque de proliférationnucléaire à des fins militaires, explique que la solu¬tion nucléaire demeure difficilement acceptableaux yeux de l'opinion publique de nombreuxpays. Reboisement à Sri Lanka.

- Vi»/

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'i c

par fetvái Lang Depu/s 1990, /a Hongrie tente de redresser une économie qui alongtemps privilégié des industries lourdes et polluantes.

Ci-dessus, émissions

polluantes d'un complexe

pétrochimique à

Kazincbarcika, en Hongrie.

Jua Hongrie s'est trouvée rattachée politique¬ment et économiquement au bloc communiste àla fin de la Seconde Guerre mondiale. A partirde 1950, un système centralisé de planification etde gestion s'est peu à peu mis en place. L'indus¬trie a été nationalisée, des fermes collectives ont

été créées et le secteur des services est passé sousle contrôle de l'Etat ou des coopératives.

La croissance quantitative à tout prix estdevenue le mot d'ordre de l'industrie. On privi¬légiait l'industrie lourde et les techniques forte¬ment consommatrices d'énergie, et l'on utilisaitles matières premières sans grand souci d'éco¬nomie. Certes, la croissance réalisée entre 1950

et 1975 allait permettre d'améliorer le niveau devie et le bien-être de la population par rapportà l'avant-guerre. Mais au lendemain de la premièrecrise du pétrole, les handicaps de l'économieplanifiée, son manque de souplesse et de compé¬titivité, sont vite devenus évidents. Incapable demoderniser son infrastructure et de s'informa¬

tiser, la Hongrie, comme les pays voisins, a

commencé à se laisser de plus en plus distancerpar les pays d'Europe de l'Ouest.

Ce retard a été encore aggravé par l'alourdis¬sement de la dette extérieure et le ralentissement

de la croissance économique. Il s'est accompagnéd'un refus des dirigeants d'Europe de l'Est, etnotamment de Hongrie, de reconnaître l'impor¬tance de la défense de l'environnement. Certes,

des chercheurs hongrois ont été associés dès l'ori¬gine à des travaux comme ceux du Programmede l'UNESCO sur l'homme et la biosphère, maisil a fallu 5 ou 6 ans aux organismes d'Etat pourrelever les défis écologiques qui en découlaient.

Au cours des années 80, les difficultés écono¬

miques du pays n'ont fait que s'aggraver : entre1977 et 1987, le poids de la dette extérieure estpassé de 43 millions à près de 19 milliards de dol¬lars des Etats-Unis. Quelques réformes économi¬ques et un relatif assouplissement de l'appareiladministratif n'ont pas suffi pour permettre latransition vers une économie de marché perfor¬mante. Quand les autorités ont finalement pris 25

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Manifestation écologiste

à Budapest.

26

ISTVAN LANG

est secrétaire général de

l'Académie hongroise des

sciences à Budapest et

membre du Conseil exécutif du

Conseil international des

unions scientifiques. Il

appartient en outre au Comité

consultatif de rédaction du

World Ressources Institute à

Washington (Etats-Unis). De1984 à 1987, il a pris part auxtravaux de la Commission

mondiale de l'environnement

et du développement des

Nations Unies (dite

Commission Brundtland).

conscience de la gravité des problèmes écologi¬ques, l'économie était déjà en plein marasme etmanquait de capitaux pour remplacer les techno¬logies polluantes et restructurer une industrie gas¬pilleuse d'énergie et de matières premières.

La période 1989-1990 a vu le début d'unerévolution politique pacifique mais radicale. Al'issue des élections libres du printemps 1990, laHongrie s'est lancée sur la voie d'une démocratieparlementaire fondée sur le pluripartisme, l'éco¬nomie de marché et l'indépendance vis-à-vis desblocs militaires.

Malheureusement, les nouveaux dirigeantsont hérité des vieux problèmes écologiques.Changer les structures de l'appareil productifprend du temps. En attendant, les données surl'état de l'environnement ont été rendues publi¬ques ; les municipalités et les associations béné¬voles sont encouragées à jouer un rôle plus actifdans la lutte contre la pollution en organisantdébats et réunions publiques.

Pour préparer la Conférence des NationsUnies sur l'environnement et le développementde 1992, une commission nationale ad hoc a été

créée et un programme d'action visant à résoudreles problèmes d'environnement à l'échelle localeet nationale a été lancé en vue de mobiliser l'opi¬nion publique. Enfin, un groupe d'experts a étéchargé de définir, à partir des recommandationsde la Conférence du Brésil, une stratégie hon¬groise de développement écologiquement viable.

Quelle est la situation actuelle dans les sec

teurs clés de l'économie hongroise et qu'est-ce quiva changer ?

LA POLITIQUE ÉNERGÉTIQUELa politique énergétique occupe une place essen¬tielle dans le débat national pour la protectionde l'environnement. Cela fait des décennies qu'ongaspille l'énergie, en Europe de l'Est et notam¬ment en Hongrie. Le retard technologique se tra¬duit par un coût énergétique de production (partonne de blé, d'acier, etc.) supérieur de 40 à 50%en moyenne à celui des pays occidentaux, et laproportion des secteurs de l'industrie grosconsommateurs d'énergie est très élevée. Parexemple, la consommation d'énergie par habitantest la même en Hongrie qu'en Autriche, mais parrapport à son PNB, la Hongrie en consommecinq fois plus.

A l'avenir, la politique énergétique aura deuxobjectifs : améliorer les rendements énergétiqueset réduire la dépendance vis-à-vis des fournisseursétrangers. A l'heure actuelle, un grand débat a lieusur l'opportunité de construire une deuxième cen¬trale nucléaire et sur l'éventuelle solution de

rechange qui permettrait de fabriquer le courantélectrique nécessaire.

C'est là un point très préoccupant car malgrécertaines améliorations technologiques qui ontpermis de réduire la pollution des centrales ther¬miques conventionnelles, 44% des Hongroisvivent dans des régions où, à certaines époquesde l'année, la qualité de l'air est inférieure auxnormes sanitaires généralement reconnues.

L'INDUSTRIE

La transition vers un développement industrielviable et une économie de marché comporte uncoût économique et social élevé. Il sembleraitqu'aujourd'hui ce ne sont plus seulement, commele voudrait la tradition, « les pollueurs qui sontles payeurs », mais aussi les consommateurs. Parailleurs, comme le gouvernement réduit ses sub¬ventions au moment où les prix des matières pre¬mières et de l'énergie sont en hausse, l'industrielourde est en crise, entraînant une aggravationsans précédent du chômage. Paradoxalement, cemal social est aussi un bien écologique, puisqu'iltraduit le déclin d'un secteur d'activité qui est l'undes principaux responsables de la pollution.

La privatisation des entreprises d'Etat hon¬groises est en cours, avec l'apport de capitauxétrangers. Cela devrait permettre de moderniserl'industrie, mais faut-il en attendre un effet positifsur l'environnement ? Certains écologistes redou¬tent le transfert en Hongrie de certaines indus¬tries polluantes désormais bannies du MarchéCommun. De l'avis général, le développementindustriel de la Hongrie doit désormais s'alignersur les normes européennes.

L'AGRICULTURE

De par son sol et son climat, la Hongrie se prêteà une agriculture intensive. Au cours des années1980, le pays consommait les deux tiers de sa

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production (les Hongrois étaient pratiquementles seuls Européens de l'Est à ne pas avoir deproblèmes de ravitaillement) et exportait le tiersrestant.

Malheureusement, la surexploitation, l'abusdes engrais chimiques et des pesticides et l'élevageintensif ont eu des effets fâcheux sur l'environ¬

nement. Quelque 40% des surfaces cultivées sontatteintes par l'érosion (par les eaux ou les vents),une bonne partie de la nappe phréatique contienttrop de phosphates, un tiers des terres agricolessouffre d'excès d'acidité et l'irrigation se traduit,dans de nombreuses régions, par une salinisationdes sols.

La privatisation des terres qui s'amorcedevrait entraîner une décentralisation considé¬

rable de l'agriculture et de l'élevage d'ici à quel¬ques années. Dans l'ensemble, cela devrait avoirdes effets positifs sur l'environnement, mais l'uti¬lisation anarchique des engrais chimiques et despesticides pourrait agir en sens inverse.

Si la Hongrie adhère au Marché Commun(comme cela est envisagé à l'horizon 95) elle devraréduire ses exportations agricoles, ce qui per¬mettra de revenir à des formes d'agriculturemoins gourmandes en énergie.

LES TRANSPORTS

C'est l'un des principaux secteurs responsables dela pollution de l'atmosphère (de 48 à 50% del'oxyde de carbone, de 40 à 45% de l'oxyded'azote et 90% de l'oxyde de plomb). L'automo

bile s'adjuge la part du lion avec 85% du total,contre 12 à 13% pour le rail et 1 à 2% pour lestransports aériens. Les autorités nationales etlocales s'efforcent de faire du développement destransports en commun un objectif prioritaire.

LA PROTECTION DE LA NATURE

Sur un territoire de 93 000 km2, la Hongriecompte 626 ha d'espaces protégés, 4 parcs natio¬naux, 44 parcs régionaux et 137 réserves écologi¬ques. Les quelques 2 500 grottes recensées dansle pays sont protégées, ainsi que 415 espèces végé¬tales et 619 espèces animales. Il existe en outre877 réserves d'intérêt local.

Les parcs nationaux occupent en partie deszones boisées et des terres d'un intérêt écologiquecertain mais difficilement cultivables. L'Etat n'en

est pas le seul propriétaire, mais s'efforce de pré¬server son contrôle sur ces zones protégées, dontl'exploitation (foresterie, pâturage, pêche, etc.) estplacée sous la surveillance vigilante des servicesde protection de la nature.

Comme on le voit, les nouveaux dirigeantshongrois ont à gérer un héritage difficile. Les cir¬constances nouvelles imposent l'adoption deméthodes novatrices pour assurer un développe¬ment viable. Le programme gouvernementalentend bien associer désormais développement etdéfense de l'environnement, et l'on peut comptersur une opinion publique informée pour l'encou¬rager dans ce sens et veiller à ce que les bonnesdécisions soient prises.

Une avocette, oiseau

aquatique nichant sur les

rives des lacs hongrois.

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Profil d'une société viable

par ¿ester BrownChristopher Flavinet Sandra Poste!

Dans une quarantaine d'années, ¡es capteurs solairesseront peut-être aussi familiers dans le paysage urbainqu'aujourd'hui les antennes de télévision.

Au Bhoutan, ce vieux

monastère bouddhiste est

équipé de cellules solaires quilui fournissent de l'électricité.

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X OUR bâtir un monde plus viable d'un point devue écologique, il faut évidement commencer parl'imaginer : par quoi remplacer les carburants fos¬siles comme source d'énergie ? Comment nourrirune population toujours plus nombreuse si onrenonce à déboiser pour créer de nouveauxespaces agricoles ? Comment satisfaire nos besoinsmatériels en sachant que la société de gaspillageest forcément synonyme de pollution et d'épui¬sement des ressources ? Bref, s'il est évident quenous faisons fausse route actuellement, quellevision de l'avenir peut nous guider vers unesociété mondiale assez harmonieuse pour durer ?

Pour être viable, une société doit satisfaire les

besoins de tous ses membres sans appauvrir lesperspectives des générations futures. Malheureu¬sement, il n'existe pas de modèle de ce type desociété. Depuis plusieurs décennies, la plupart despays en développement n'aspirent qu'au modèledes sociétés industrialisées occidentales, axé surl'automobile et les carburants fossiles. Mais des

problèmes ponctuels de pollution à la menacemondiale de mutations climatiques, il est évident

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28

que ces sociétés ne sont nullement assurées dedurer, et qu'en fait elles sont déjà en train des'autodétruire.

Si le monde doit trouver un équilibre durable,il faut que ce soit dans les quarante années à venir.Si nous n'avons pas réussi d'ici là, il y a toutesles chances que l'accélération des forces conju¬guées de la détérioration de l'environnement etde la crise économique nous entraîne dans unespirale vertigineuse de désagrégation sociale. Ilfaut donc nous concentrer sur l'horizon 2030.

Nous hasarderons une hypothèse quant à lacroissance démographique. Actuellement, les spé¬cialistes de l'ONU tablent sur une population deprès de 9 milliards d'hommes en 2030, ce quiimplique le doublement ou le triplement de lapopulation de l'Ethiopie, de l'Inde, du Nigeriaet de dizaines d'autres pays dont les ressourcesnaturelles suffisent déjà à peine à nourrir leurshabitants. Nous préférons tabler sur un chiffrede 8 milliards au maximum, qui sera soit stabi¬lisé soit en voie de légère diminution, approchantainsi un chiffre acceptable de population de la pla¬nète. Ou bien les pouvoirs publics interviendrontrapidement pour encourager, dans cette perspec¬tive, le contrôle des naissances et enrayer l'explo¬sion démographique, ou bien ce seront la famineet la malnutrition qui s'en chargeront pouraboutir au même résultat.

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La première solution, évidemment préférable,implique une réduction spectaculaire des taux denatalité. De plus en plus de pays vont devoirimiter la Chine et plus récemment la Thaïlandepour diminuer de moitié leur taux de natalité enquelques années. En 1990, treize pays d'Europeont une population stable ou déclinante : en 2030,ce devrait être le cas de la majorité des nations.

A LA CHALEUR DU SOLEIL

ET DE LA TERRE

L'énergie du monde de 2030 ne sera ni le charbon,ni le pétrole, ni le gaz naturel, car il est désor¬mais reconnu que l'utilisation massive et durabledes carburants fossiles a des effets dangereux àterme sur le climat. Pour l'éviter, et retrouver

l'équilibre climatique compromis, il faudraitramener à deux milliards de tonnes la masse des

émissions de gaz carbonique, soit le tiers de cequi passe actuellement dans l'atmosphère. D'aprèsnos estimations démographiques, cela signifie quele volume des émissions d'oxyde de carbone parhabitant de notre planète représentera environ lehuitième de la quantité actuelle pour les habitantsd'Europe de l'Ouest.

Dès lors, le dilemme énergétique fondamentaldevient un choix entre le solaire et le nucléaire.

Nous pensons quant à nous que le nucléaire finirapar être rejeté en raison des nombreux risques qui

lui sont associés, du point de vue économique,social et écologique.

En cette fin du 20L' siècle, nous sommes à

l'aube du nouvel âge solaire. Hypnotisés par lecharbon et l'énergie nucléaire, les politiciensd'aujourd'hui sont aussi sceptiques quant aux pos¬sibilités des technologies solaires que ceux du 18L'siècle étaient fermes au potentiel de la machineà vapeur. Mais' déjà, quelques tentatives isoléesleur apportent un démenti flagrant.

Des pays comme la Norvège ou le Brésil cou¬vrent déjà plus de la moitié de leurs besoins éner¬gétiques avec des ressources renouvelables, les¬quelles sont disponibles en énormes quantités.Aux Etats-Unis, le ministère responsable a estiméque ces ressources annuellement disponibles dansle pays représentent 250 fois l'équivalent de laconsommation annuelle d'énergie.

L'énergie solaire est par nature très diversi¬fiée : le dosage du cocktail énergétique d'unerégion donnée est donc fonction de son climatet de ses ressources spécifiques. Ainsi, l'Europedu Nord peut s'appuyer sur l'énergie hydrauliqueet éolienne, alors que l'Afrique et le MoyenOrient peuvent utiliser directement l'énergiesolaire. Le Japon et les Philippines disposentd'énergie géothermique en abondance. Et les paysd'Asie du Sud-Est peuvent compter, outre le soleil,sur le bois et la biomasse des déchets agricoles.

Eolienne en Australie.

LESTER BROWN,

des Etats-Unis, est le présidentdu Worldwatch Institute de

Washington, un organisme derecherche à but non lucratif

qui se consacre à l'étude des

problèmes globaux. Il est

également le rédacteur enchef de la revue bimensuelle

World Watch et le directeur de

publication de la série annuelle

State of the World.

CHRISTOPHER FLAVIN,

directeur de recherche au

Worldwatch Institute,

s'intéresse particulièrement au

développement durable et à

l'évolution des techniques et

des politiques énergétiques

dans le monde, questions sur

lesquelles il est fréquemment

appelé en consultation dans

plusieurs pays.

SANDRA POSTEL,

directeur de recherche au

Worldwatch Institute, est une

spécialiste des questions

relatives à l'utilisation des sols,

des eaux et des forêts,

auxquelles elle consacre

nombre d'articles de presse,

de travaux de recherche et de

conférences publiques.

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Panneaux solaires

en Suède.

Le soleil cependant brille partout : la trans¬formation directe de l'énergie solaire est doncappelée à devenir la base d'un système énergétiquemondial viable. Non seulement la lumière du

soleil est inépuisable, mais elle est plus uniformé¬ment répandue qu'aucune autre ressource natu¬relle. En 2030, la moyenne partie de l'eau utiliséedans les maisons sera chauffée par des panneauxsolaires, comme c'est déjà le cas au Japon et enIsraël. Dans le paysage urbain, les capteurs solairesseront aussi familiers qu'aujourd'hui les antennesde télévision. Et les progrès de l'architecturesolaire devraient permettre de supprimer complè¬tement les moyens artificiels de chauffage et declimatisation dans des millions de bâtiments.

Prototypes de voitureet d'avion fonctionnant i

l'énergie solaire.

30 M

Fruit de la technologie des semi-conducteurs,les cellules photovoltaïques permettent de trans¬former directement la lumière en électricité, sans

passer par le processus mécanique de la conver¬sion thermique. Quand on saura produire à bonmarché ces « piles solaires », l'heure de la révolu¬tion énergétique aura sonné : n'importe quel vil¬lage du tiers monde pourra être électrifié grâceà cette source d'énergie renouvelable : il suffirade disposer de batteries pour stocker l'énergie afinde pouvoir, par exemple, s'éclairer pendant lanuit.

L'énergie éolienne est en fait un avatar dusolaire, puisque les vents ont pour origine les dif¬férences de température de l'atmosphère inégale¬ment réchauffée par le soleil. Le coût de cetteénergie a diminué de quelque 70% depuis 1980,ce qui la rend plus de 40% moins chère que celledes nouvelles centrales nucléaires des Etats-Unis

et presque aussi bon marché que celle des nou¬velles centrales thermiques à charbon.

Les chercheurs sont certains d'arriver bientôt

à mettre au point des turbines améliorées quiseront rentables dans les grandes plaines d'Amé¬rique du Nord, sur les côtes britanniques de lamer du Nord et en Europe centrale, et pas seule¬ment dans certaines vallées californiennes parti¬culièrement bien exposées où le rendement deséoliennes est actuellement de 30 000 dollars d'élec¬

tricité par hectare et par an. D'ambitieux projetsde ce type sont à l'étude en Allemagne et dansl'Etat indien du Gujarat.

En ce qui concerne la houille blanche, quireprésente aujourd'hui 19% de la productionmondiale d'électricité, les perspectives de crois¬sance intéressent surtout le tiers monde, qui béné¬ficie de nombreuses ressources inexploitées. Il estprobable qu'on s'achemine vers des réalisations

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à échelle plus réduite que les vastes projets quiont eu la faveur des gouvernements et des orga¬nisations internationales de financement depuisquelques décennies.

La végétation est un capteur naturel del'énergie solaire, qui transforme la lumière en bio¬masse combustible par le biais de la photosyn¬thèse. Avant la révolution industrielle, le boisreprésentait la principale source mondialed'énergie. Il représente encore 12% du total, essen¬tiellement sous forme de bois de feu et de charbon

de bois dans les pays en développement.

L'ÉNERGIE DES PLANTES

Un moyen prometteur d'accroître la productionde biomasse consiste à faire pousser des plantesénergétiques dans les terres marginales : les ter¬rains trop en pente, mal irrigués ou peu fertilespourraient ainsi être plantés d'arbres qu'on tail¬lerait régulièrement pour brûler le bois dans desconvertisseurs ou le transformer en éthanol.

L'Institut de recherche sur l'énergie a déjà mis aupoint un procédé qui met le prix de l'éthanol tirédu bois à 1,35 dollar le gallon.

Presque tous les pays de la dorsale du Paci¬fique, ainsi que ceux de la grande faille d'Afriquede l'Est et du pourtour méditerranéen sont riche¬ment pourvus en sources d'énergie géothermique.L'Islande, l'Indonésie et le Japon sont particuliè¬rement favorisés à cet égard. L'énergie géother¬mique ne donne pas seulement de l'électricitétransportable sur de grandes distances, elle ali¬mente aussi en chaleur directement les industries

implantées à proximité des réservoirs thermiquesde la Terre.

Pour ramener à 2 milliards de tonnes les émis¬

sions de gaz carbonique, il va falloir réaliserd'énormes gains de productivité énergétique. Ilse trouve que bon nombre des techniques requisesexistent déjà et sont relativement peu coûteuses.Il n'y a pas besoin de révolution technologique,par exemple, pour doubler les économies de car¬burant, tripler l'efficacité de notre éclairage ouréduire de 75% en moyenne le budget du chauf¬fage domestique. De nouvelles technologies per¬mettront sans aucun doute d'aller encore plusloin.

En l'an 2030, les choix en matière de transportseront beaucoup plus diversifiés qu'aujourd'hui, àen juger par ce qui se passe déjà dans certainesgrandes villes d'Europe ou du Japon, où des sys¬tèmes de train et de bus ultraperfectionnés assurenttrès efficacement la liaison entre le foyer et le lieude travail. A Tokyo, 15% seulement des banlieu¬sards vont au bureau en voiture.

Certes, on utilisera encore des automobiles

dans 40 ans, mais beaucoup moins et en moinsgrand nombre. A l'intérieur des villes, il est pro¬bable qu'on n'autorisera que des véhicules pro¬pulsés à l'hydrogène, pour la plupart des « voi¬tures de ville » hautement performantes dontl'énergie pourrait provenir de centrales solaires.On pourra toujours louer des voitures plusimportantes pour aller en vacances en famille.

La bicyclette devrait également jouer un rôlemajeur, comme c'est déjà le cas en Asie et danscertaines villes des pays industrialisés. Il existedeux fois plus de vélos que d'automobiles dansle monde, mais en l'an 2030, la proportion pour¬rait être facilement de dix contre un.

Reconstitution d'une forêt

de conifères, au nord de

Tokyo (Japon).

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Quel développement pour Iteonie ? w***l

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I OMBREUX sont encore, dans les pays indus¬trialisés, ceux qui voudraient mettre l'Amazoniesous cloche et la transformer en une immense

réserve naturelle.

Certains partisans du non-développement del'Amazonie donnent priorité absolue à la sauve¬garde de la planète Terre, et en arrivent à traiterles hommes comme des parasites. D'autres insis¬tent sur le rôle majeur de la forêt amazoniennedans la lutte contre l'effet de serre, et veulent la

voir fonctionner comme un grand filtre pour que500 millions de voitures puissent continuer ailleursà surconsommer les énergies fossiles.

LE CONTEXTE

ACTUEL

Le non-développement de l'Amazonie n'est nul¬lement acceptable pour les habitants de cetterégion, ni pour l'ensemble des Brésiliens. Lesconseils gratuits qui leur sont prodigués à cetégard risquent d'être mis sur le compte d'une

sorte de colonialisme écologique tant que les paysindustrialisés du Nord se refuseront à modifier

leurs modes de consommation et de vie.

A eux de donner un gage de sincérité en pro¬posant à la Conférence des Nations Unies surl'environnement et le développement, qui se réu¬nira à Rio de Janeiro en juin 1992, un programme

concret d'auto-réduction du profil de consomma¬tion énergétique des sociétés industrielles.

A eux aussi d'assurer aux pays du Sud l'accèsaux connaissances scientifiques et techniquesnécessaires pour mettre en valeur, dans le respectdes règles de prudence écologique, l'immensepatrimoine biologique constitué par la forêt ama¬zonienne. Cette entreprise de longue haleine exigeque le Brésil et les autres pays amazoniens dispo¬sent d'une capacité propre de recherche sur leterrain.

La biotechnologie ouvre des perspectives

considérables aux pays tropicaux, compte tenudes progrès réalisés dans la production de la

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biomasse et de l'éventail des produits qui peuventen dériver. A terme, il est permis de penser à unenouvelle « civilisation industrielle du végétal »particulièrement intéressante pour les pays tro¬picaux. Au dire de M. S. Swaminathan, ancien

président de l'Union internationale pour laconservation de la nature, une nouvelle forme de

civilisation fondée sur l'usage durable des res¬sources renouvelables est non seulement possiblemais essentielle. La vision de ce savant indien

rejoint les intuitions anticipatrices du sociologuebrésilien Gilberto Freyre qui fonda, au cours desannées soixante, un séminaire de tropicologie àRecife.

Cependant, à l'heure actuelle, la biotechno¬

logie paraît verrouillée par un mur de brevets, aupoint que l'on se demande, dans nombre de paysen développement, si elle ne va pas se transformeren un outil de recolonisation du Sud par le Nord.Les pays industrialisés donneraient un autre gagede leur désintéressement en assouplissant leurposition en matière de brevets et de droits de pro¬priété intellectuelle, et en aménageant des formesd'accès plus ouvertes à la science et à la technique.

Dans ce contexte, il convient de rappeler laproposition formulée en 1989 par l'ancien pre¬mier ministre de l'Inde Rajiv Gandhi : un impôtsur le revenu mondial de 1 pour mille rapporte¬rait 18 milliards de dollars. Cet argent pourraitservir à la constitution d'un fonds mondial des¬

tiné à financer la recherche de techniques non pré¬judiciables à l'environnement, ainsi que leur achat

et leur distribution gratuite à tous les pays inté¬ressés. Cette proposition qui relance simultané¬ment le débat sur le financement automatique dela protection de l'environnement et celui du déve¬

loppement, est pourtant passée inaperçue.Un dernier volet de l'action à entreprendre

consisterait à mettre en réseau les chercheurs

brésiliens, latino-américains, asiatiques et africainsqui ont à faire face au même défi : la mise en

valeur des ressources renouvelables des écosys¬tèmes forestiers tropicaux humides. Celle-cidoit se faire en harmonisant trois objectifs dudéveloppement :

promouvoir une plus grande justice sociale au

nom du principe éthique de solidarité synchro-nique, le développement étant conçu comme une

civilisation de l'être dans le partage équitable del'avoir ;

se développer en harmonie avec la nature au lieu

d'essayer de la dominer au nom du principeéthique de la solidarité diachronique avec les géné¬rations futures ;

poursuivre ces deux finalités en recherchant

l'efficacité économique sans la ramener seulementà la rentabilité de l'entreprise, souvent obtenuepar la non-intégration des coûts écologiques etsociaux qui doivent être pris en compte.

Mais au-delà de ces mesures spécifiques, lacoopération internationale passe avant tout parl'amélioration de l'environnement économiquegénéral des pays de l'Amérique latine ; autant direpar la solution des problèmes de l'endettement

Peinture réalisée par des

élèves de l'Ecole d'art picturalUsko-Ayar de Pucallpa, enAmazonie péruvienne. Fondée

en 1988, cette école

encourage les jeunes artistesà observer l'environnement

amazonien et à en représenterla faune et la flore.

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34

et des termes de l'échange, ainsi que par la réduc¬tion des barrières protectionnistes dans les paysindustrialisés.

Quant aux défis internes que pose le dévelop¬pement de l'Amazonie brésilienne, ils sont à lamesure de ce territoire immense, qui a toujours

enflammé l'imagination et inspiré nombre d'exa¬

gérations.

DU RÊVE À LA RÉALITÉ

La légende dorée de l'Amazonie en fait une réserve

de richesses fabuleuses, dont le mirage a bercé desgénérations d'aventuriers. Une autre variante de

la même légende, inspirée par la philosophie dusiècle des Lumières et la vocation expiatoire denotre ethnologie, se plaît à décrire de bons sau¬vages menant une vie heureuse dans leur habitatamazonien, en parfaite harmonie avec la nature.

La légende sombre, au contraire, décritl'Amazonie comme un enfer vert, impénétrableet protégé de surcroît par des maladies tropicalesqui s'abattent sur tout intrus.

Ces représentations contradictoires se tradui¬sent par des conceptions opposées de l'avenir dumonde amazonien. Pour les uns, l'Amazonie est

la dernière grande frontière économique dumonde, aux richesses minières, hydrauliques etvégétales incalculables. Pour les autres, sa végé¬tation abondante n'est qu'un trompe-Fceil recou¬vrant des sols pauvres et sujets à l'érosion dèsqu'on abat la forêt. L'exploitation désordonnéede ces richesses minières et la multiplication desgrands barrages, joints à une colonisation chao¬

tique qui se traduit par un déboisement massif,transformeront en peu de temps l'Amazonie endésert.

Qu'en est-il vraiment ?

Une condition pour bien développer l'Ama

zonie est de rompre avec le modèle dominantd'exploitation prédatrice des ressources naturellesde cette région, qui ne tient aucun compte descoûts sociaux et écologiques qu'il entraîne. Lapoursuite de la croissance sauvage est tout aussi

inacceptable que le non-développement.Or, pendant une vingtaine d'années, plusieurs

facteurs se sont conjugués pour accélérer la defo¬restation :

des impératifs d'ordre géopolitique poussant aupeuplement de l'Amazonie le long de routes spé¬cialement construites à cet effet ;

l'idée que l'Amazonie pourrait absorber lesréfugiés des campagnes, expulsés par la moderni¬sation de l'agriculture dans le Sud et par la per¬

sistance de structures foncières anachroniquesdans le Nordeste ;

la décision de favoriser l'élevage extensif, toutà fait inadapté aux conditions du milieu naturel

et porteur d'une spéculation foncière effrénée,ainsi que les espoirs mis dans les richesses minièresde la région pour alléger le fardeau de la dette ;

enfin, l'implantation dans la zone franche deManaus d'un grand pôle industriel.

Le résultat de ces politiques, aujourd'hui révi¬sées, est que l'Amazonie a perdu entre 300 et400 000 km2 de forêt.

La région a connu aussi une urbanisationaccélérée : 10 des 17 millions de ses habitants

vivent aujourd'hui dans les villes Manaus et

Belem sont des métropoles plus que millionnaires.Les bidonvilles, très nombreux dans la région,sont particulièrement exposés aux risques d'épi¬démies, à tel point que les conditions de vie decette masse urbaine et péri-urbaine constituentsans aucun doute le problème d'environnementle plus aigu de l'Amazonie.

En dehors de ces centres urbains, on trouve

Une compagnie forestière

fait planter des espèces

végétales locales dans cescollines déboisées de

l'Amazonie péruvienne.

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une population très dispersée, vivant le long descours d'eau et pratiquant une économie de sub¬sistance et de cueillette. La création de « réserves

extractives » a constitué un répit pour la popula¬tion des caboclos et des seringueiros (paysans quisaignent les arbres à caoutchouc) menacés par lesspéculateurs fonciers. Leurs conditions de vie, trèsprécaires, pourraient certes bénéficier d'une

exploitation plus rationnelle des produits natu¬rels de la forêt, mais il ne saurait s'agir d'une solu¬tion à long terme pouvant s'étendre à l'ensemble

de l'Amazonie. Les seringueiros réclament leurpart du progrès économique, social et culturel,ce qui implique une vision dynamique de la trans¬formation des réserves extractives en pôles d'éco-développement.

Quant aux populations indigènes, longtempsvictimes des aventuriers et des colons, la Consti¬

tution brésilienne leur accorde des droits géné¬reux et le gouvernement promet de délimiter,d'ici à 1993, leurs territoires : 80 millions d'hec¬

tares pour environ 250 000 indigènes sur tout leterritoire brésilien.

UNE STRATÉGIE D'AVENIR

En tout état de cause, la politique de l'environ¬

nement mise en oeuvre actuellement au Brésil pro¬pose de substituer au développement à tout prixune stratégie d'écodéveloppement. Cette inten¬tion, dont on ne peut que se réjouir, ne seracependant guère aisée à mettre en pratique, pasplus au Brésil que dans les autres pays amazoniens.

Tout d'abord, il faut se rendre compte que

l'écodéveloppement en Amazonie dépend d'unchangement de politique en dehors de la région.Une réforme des politiques foncières et agricolesdans le reste du Brésil s'impose pour diminuerle flux des migrants vers l'Amazonie. De même,la protection des ressources forestières passe parun programme ambitieux de reboisement ailleursqu'en Amazonie, comme le prévoit le planFLORAM de l'Institut d'études avancées de l'uni¬

versité de Säo Paulo : 20 millions d'hectares de

forêts à planter en dehors de l'Amazonie en 30 ans,au prix de 20 milliards de dollars.

Pour ce qui est de l'Amazonie elle-même, lepremier pas consiste à désagréger cette région, quiest loin d'être homogène, en une vingtaine desous-régions réclamant chacune une stratégiepropre. Les problèmes globaux ne se prêtent endéfinitive qu'à des solutions locales, adaptées auxconditions écologiques et au contexte culturel ;la biodiversité trouve sa contrepartie dans la socio-diversité.

L'essentiel de l'effort doit porter sur la réha¬bilitation des terres déjà déboisées et, dans la

mesure du possible, sur une certaine densificationdémographique de ces espaces, de façon à arrêterla progression de la frontière de colonisation et

les nouveaux déboisements. Il faut s'efforcer de

créer un archipel de « réserves de développe¬ment » connectées, de façon à garantir la protec¬tion des forêts encore intactes et l'habitat des

populations indigènes. Une telle démarche paraîtplus réaliste, en dépit de toutes les difficultésqu'elle comporte, que la multiplication à l'excèsdes réserves naturelles.

L'agroforesterie faisant un usage judicieux desespèces végétales locales (en particulier de l'énormepotentiel d'arbres fruitiers), l'aquaculture, l'agri¬culture et l'horticulture à haut rendement dans

les varzeas (terres inondables très fertiles), et lepetit élevage constituent autant de techniques pro¬metteuses. La connaissance du milieu acquise au

cours des siècles par les populations autochtonesoffre un point de départ intéressant d'oùl'importance des études ethno-écologiques.

Un acquis technique associant le savoir-fairepopulaire et les apports de la science moderneconvient bien aux besoins de la petite exploitationfamiliale modernisée. L'usage des sources localesd'énergie exploitées à petite échelle permettrait enoutre le développement progressif de petites indus¬tries de conditionnement et de transformation.

Un réseau efficace de coopératives de produc¬tion et de commercialisation offrirait un encadre¬

ment institutionnel adéquat à ces stratégies d'éco¬développement. A moyen terme, ces coopérativespermettront d'assurer des conditions de viedécentes à une population beaucoup plus impor¬tante, tout en respectant les règles de prudenceécologique particulièrement rigoureuses dans lesécosystèmes vulnérables de l'Amazonie. Elles frei¬neraient aussi l'exode vers les bidonvilles et la pro¬

lifération des sites d'exploitation sauvage de l'or.

NOUVEAUX PARADIGMES

Il faut se donner comme objectif de rendre l'Ama¬

zonie habitable, en rompant avec la vision, héritéedu colonialisme, d'un espace producteur de res¬sources drainées vers l'extérieur. Restent les pro¬blèmes, bien plus difficiles à résoudre, de la réduc¬tion des coûts sociaux et écologiques de l'exploi¬

tation minière et hydraulique, de l'améliorationdes conditions de vie de la masse des citadins,

enfin du contrôle des maladies tropicales, à com¬mencer par le paludisme.

Contrairement à un préjugé fort répandu, les

connaissances accumulées sur l'Amazonie permet¬

tent d'ores et déjà d'avancer sur la voie de l'éco¬développement, sans négliger l'effort derecherche, toujours nécessaire. Dans les intersticesdu modèle prédateur, on trouve des exemplesponctuels de projets réussis et d'initiatives localesallant dans la bonne direction. On peut voir dansces solutions, qui se situent pour le moment horsdu paradigme mondial dominant, la préfigurationd'un nouveau paradigme du développement.

Récolte des fruits du carapa.

Cet arbre du Brésil produitune noix dont on tire l'huile

de touloucouna, aux

propriétés médicinales.

IGNACY SACHS,

économiste d'origine

polonaise, est directeur

d'études à l'Ecole des hautes

études en sciences sociales à

Paris, où il a fondé en 1973 le

Centre international de

recherche sur l'environnement

et le développement. Il y dirigeactuellement le Centre de

recherche sur le Brésil

contemporain. Il est expert

auprès de nombreuses

organisations internationales

dont l'UNESCO, et ancien

directeur de programme àl'Université des Nations Unies. 35

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l'arche submergée par Bernd von Droste

« L'extinction de certaines espèces animales et végétales est désormais considérée commel'un des symptômes ¡es plus inquiétants pour ¡a poursuite de ¡a croissance économique... »

36

1-/E genre humain, dit-on, a pris tant de placedans l'écosystème qu'il n'y a plus de place dansl'arche pour toutes les espèces. L'avertissement estclair : les hommes sont devenus si nombreux sur

notre planète, et leurs systèmes socio-économiquessi envahissants, qu'ils en arrivent à perturber etdétruire d'autres espèces inestimables et irrempla¬çables, ainsi que leurs milieux de vie, à un rythmesans précédent. On prévoit que la populationmondiale devrait doubler d'ici à 40 ans, passantde 5 à 10 milliards d'hommes.

Le problème n'est cependant pas tant celuidu nombre d'habitants que du rapport entre cenombre et les ressources existantes. La destruc¬

tion des écosystèmes aboutissant à l'extinction decertaines espèces animales et végétales est désor¬mais considérée comme l'un des symptômes lesplus inquiétants pour la poursuite de la croissanceéconomique. L'uniformisation des modes de pro¬duction, se substituant à la diversité naturelle et

culturelle, risque d'aboutir rapidement à unappauvrissement des formes de vie sur la Terre.

La diversité des espèces est en effet un élémentindispensable au bon fonctionnement des écosys¬tèmes et donc de la biosphère. En dehors del'intérêt moral, culturel, esthétique et purementscientifique de la conservation des espèces sau¬vages, le matériel génétique qu'elles fournissentconstitue déjà un atout considérable pour l'éco¬nomie mondiale sous la forme de cultures amé¬

liorées, de nouveaux médicaments et de matières

premières pour l'industrie. Cet aspect ne pourraque prendre de l'importance à l'avenir avec lesprogrès du génie génétique.

En bonne logique économique, nous devrionsnous efforcer de développer au maximum le ren¬dement des espèces les plus rares pour augmenterles quantités disponibles. Il faudrait s'efforcer depréserver les réserves naturelles existantes,accroître nos capacités d'utiliser durablementleurs ressources et reconstituer ce qui a été détruitlorsque c'est encore possible. En d'autres termes,il faudrait un vaste programme d'investissementdans la préservation de la diversité biologique.

Cela suppose trois types d'investissements :dans la recherche scientifique, pour approfondirnos connaissances ; dans les mécanismes de gestion

et, le cas échéant, de reconstitution de notre patri¬moine écologique ; enfin, dans les instrumentsinternationaux destinés à préserver le milieunaturel et la diversité biologique.

INVESTIR DANS

LES CONNAISSANCES DE BASE

La faiblesse de nos connaissances est le principalobstacle à la préservation de la diversité desespèces. A titre d'exemple, personne ne sait au justele nombre actuel des espèces vivantes les esti¬mations des spécialistes oscillent entre 3 et 100millions ! Et l'on en sait encore moins sur l'inter¬

action des espèces, la véritable raison d'être de ladiversité biologique, ou les moyens d'assurer ledéveloppement durable de niches écologiques par¬ticulièrement fragiles.

On croit trop souvent qu'il suffit de créer desréserves protégées pour préserver les espècesmenacées. En fait, nous ne disposons que de trèspeu d'inventaires de la faune et de la flore dansles espaces protégés et encore moins dans ceuxqui ne le sont pas ; nous ne savons pas ce qu'ily a à conserver, ni même quels sont les endroitsqui s'y prêtent le mieux. Après des décenniesde sous-investissement dans la formation et la

L'arche de Noé (1978),

photomontage de l'artiste

japonais Tsunehisa Kimura.

La réserve d'Amboseli,

au Kenya.

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recherche taxinomiques, ainsi que dans le recen¬sement des espèces, nous sommes dans l'incapa¬cité totale de réaliser un inventaire complet dela faune et de la flore mondiales dans un avenir

prévisible. On estime à 10 ou 15%, dans le meil¬leur des cas, le pourcentage des espèces mondialesidentifiées à ce jour.

Un pas en avant a déjà été fait. L'Union inter¬nationale des sciences biologiques (UISB) et leComité scientifique pour les problèmes de l'envi¬ronnement (SCOPE) préparent actuellement, enliaison avec l'UNESCO, un vaste programme derecherche sur la diversité biologique. Une sériede rencontres est prévue pour jeter les bases d'unprogramme international de recherches compa¬rées aux trois principaux niveaux d'étude de ladiversité biologique : niveau moléculaire et cel¬lulaire, niveau des organismes et des populations,niveau des aires géographiques et des écosystèmes.Le MAB (le Programme sur l'homme et la bios¬phère de l'UNESCO) a également lancé, en asso¬ciation avec la Smithsonian Institution des Etats-

Unis, un programme de formation de taxino-mistes et de recherches en milieu tropical.

C'est en effet sous les tropiques, et notam¬ment dans ce qui reste des forêts tropicales, quel'effort en vue d'assurer une exploitation viablede l'écosystème est le plus nécessaire. On estimeque 55% des forêts tropicales de notre planète,qui constituent l'habitat écologique le plus diver¬sifié du globe, ont déjà été détruits, sans qu'aucuneétude sérieuse ait été entreprise sur le lien entre la

destruction des forêts et la disparition de certainesespèces.

Les forêts tropicales jouant un rôle crucialdans la préservation de la diversité biologique, ilest indispensable de définir scientifiquement lesconditions de leur exploitation sur une baserenouvelable. C'est dans cette optique que leMAB s'est associé aux efforts internationaux en

vue d'élaborer des régimes d'exploitation viabledes forêts tropicales, introduisant pour ce fairela stratégie de la « masse critique ». Celle-ci pro¬pose un moyen de convaincre les exploitantsqu'une somme d'activités respectueuses de l'envi¬ronnement est globalement plus profitable quedes activités qui le détruisent. Encore faut-il pourcela utiliser pleinement toutes les ressources desforêts tropicales. Les grands axes de cette stratégiesont les suivants :

nouvelles techniques forestières et minières,comme le transport aérien du bois.

exploitation accrue d'autres produits que le bois,avec introduction d'espèces comestibles (petitsmammifères ou châtaignes, par exemple).

développement de 1'« écotourisme ».

INVESTIR DANS LE PATRIMOINE

NATUREL

Le respect du patrimoine naturel, et donc de ladiversité biologique, pose un problème particu¬lièrement délicat aux pays en développement.Comment imposer la conservation in situ des res¬sources génétiques dans l'intérêt de l'humanité et

tAffiche tunisienne

recommandant aux

agriculteurs de labourer ensuivant les courbes de niveau

pour retenir le sol et l'eau.

37

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des générations futures à des populations ruralesdémunies, dont la seule possibilité de survie estd'exploiter les dernières terres encores vierges ?

En 1987, le rapport de la Commission mon¬diale de l'environnement et du développement,dite Commission Brundtland, a préconisé avecinsistance la multiplication de zones protégéesd'un type nouveau, s'inspirant du réseau inter¬national des réserves de la biosphère mis en placedepuis 15 ans par l'UNESCO et dont le nombres'élève à 300 réparties dans 75 pays.

Chacune de ces réserves de la biosphère com¬porte au moins un « noyau » central strictementreservé à la préservation des ressources génétiques,entouré d'une zone « tampon » exploitée selondes critères bien définis. Dans la plupart des paysen développement, l'exploitation viable de la zone

38

tampon nécessite une aide internationale oud'autres mécanismes de transfert de ressources

pour compenser la non-utilisation de la zone cen¬trale. Cela implique fréquemment la mobilisationd'importants moyens humains et autres pouraméliorer la productivité et les services sociauxlocaux (santé, éducation).

Enfin, des programmes de sensibilisation etd'éducation se révèlent indispensables pour fami¬liariser la population locale alentour avec ces pro¬blèmes et la convaincre dé coopérer à l'établisse¬ment et au fonctionnement de la réserve de la

biosphère.

INVESTIR DANS DE NOUVELLESINSTITUTIONS

Il est urgent d'innover au niveau institutionnel,c'est-à-dire d'adopter des instruments juridiquesinternationaux efficaces pour protéger notre patri¬moine commun l'atmosphère, les océans et ladiversité biologique. Ces instruments devraientfavoriser un contrôle mondial et renforcer une

solidarité équitable. Parmi les réalisations récentesdans ce domaine, on peut citer la Convention surla protection du patrimoine mondial, le systèmedes « échanges dette contre nature » et le Fondspour l'environnement mondial.

C'est en 1972 que l'UNESCO, confrontée à

~^;-

Ci-dessus, le cratère éteint de

Ngorongoro (République-Unie

de Tanzanie) est l'une des

plus vastes réserves

d'animaux du monde.

Ci-contre, des terres agricoles

sont gagnées sur le désert, à

150 km du Caire (Egypte).

BERND VON DROSTE

dirige à l'UNESCO la Division

des sciences écologiques. Ilest en outre secrétaire du

Programme sur l'homme et la

biosphère (MAB), ainsi que,pour la partie naturelle, de la

Convention du patrimoinemondial. Directeur de

publication de la revue

trimestrielle Nature et

Ressources, on lui doit plus de

80 articles scientifiques.

la dégradation croissante du patrimoine culturelet naturel de l'humanité, a adopté une Conven¬tion pour la protection du patrimoine mondial.Cette Convention innove à bien des égards, etd'abord en associant deux aspects généralementdissociés : le patrimoine naturel et le patrimoineculturel. Ensuite, elle introduit l'idée qu'il existedes biens culturels et naturels si précieux qu'ilsn'appartiennent pas seulement à telle ou tellenation mais à l'humanité tout entière. Enfin, ellecrée un fonds spécial alimenté par les contribu¬tions des Etats parties pour protéger les sitesretenus. Aujourd'hui ratifiée par 115 gouverne¬ments, la Convention est l'instrument juridiquele plus important pour la protection de notrepatrimoine, avec 337 sites et monuments inscritssur la Liste du patrimoine mondial.

La formule d'« échanges dette contre nature »propose un autre moyen d'investir dans la défensede l'environnement et le développement viable.Ce mécanisme s'appuie sur le rachat des titresdévalués de la dette de pays du tiers monde auxtaux dévalués du marché international pour lesinvestir dans des programmes de conservation. Lapremière tractation de ce genre a permis àConservation International de contribuer au

développement de la réserve de la biosphère deBéni en Bolivie.

Vers le milieu de l'année 1991, les pays indus¬trialisés et les associations écologiques avaient déjàacheté pour 16 millions de dollars environ detitres de dette du tiers monde d'une valeur nomi¬

nale de près de 100 millions de dollars. Ces titresont ensuite été échangés contre des fonds et desbons d'une valeur d'environ 60 millions de dollars,qui aideront à financer divers programmes de

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Le premier sommet mondialpour la planète Terre

conservation et de développement durable dansune douzaine de pays.

Créé par la Banque mondiale, le Programmedes Nations Unies pour l'environnement(PNUE) et le Programme des Nations Unies pourle développement (PNUD), le Fonds pour l'envi¬ronnement mondial est le dernier mécanisme en

date voué à la protection de l'environnement.Doté d'un budget d'un milliard et demi de dollars,il est destiné à la préservation de la diversité bio¬logique, à la lutte contre l'effet de serre et l'appau¬vrissement de la couche d'ozone, ainsi qu'à la pro¬tection des ressources hydriques internationales.

FAIRE FACE

AUX BESOINS FUTURS

Tout cela constitue un important pas en avant,mais il faut faire bien davantage si l'on veut pré¬server la diversité biologique de notre planète.Pour dégager les fonds nécessaires, on pourraitinventer de nouvelles formes de solidarité inter¬

nationale, en affectant par exemple à la défensede l'environnement tout ou partie des dépensesmilitaires, ou en levant un impôt mondial sur lafabrication et l'utilisation de produits polluants.

Un grand progrès consisterait à créer unfonds mondial associé à une convention pour laprotection de l'atmosphère, qui serait alimentépar un impôt sur les émissions d'oxydes de car¬bone et autres gaz contribuant à l'effet de serre.Un tel fonds permettrait de mettre au point desschémas énergétiques moins polluants, tout enassurant une répartition plus équitable des coûtsde la protection et de la dépollution de l'environ¬nement, et notamment de la protection de ladiversité biologique.

Vingt ans après la première Conférence mondiale sur l'environnement

(Stockholm, 1972), la communauté des nations se trouve enfermée dans un

grave dilemme. D'une part, il est plus que jamais nécessaire de développer

les activités économiques afin de répondre aux besoins essentiels d'une famille

humaine qui s'accroît rapidement. De l'autre, les activités humaines pèsent

d'un poids sans précédent sur l'environnement naturel et sur les systèmes

globaux indispensables au maintien de la vie sur la Terre : en témoignent la

pollution de l'air et des eaux, la dégradation massive des sols, la destruction

des paysages, les modifications du climat engendrées par le gaspillage de

l'énergie, la déperdition rapide d'espèces animales et végétales, l'appauvris¬

sement de la couche protectrice d'ozone.

Face à des problèmes d'une telle ampleur, l'inaction est insoutenable.

Aussi, l'Assemblée générale des Nations Unies a-t-elle pris la décision de

convoquer une nouvelle Conférence des Nations Unies, portant cette fois sur

l'environnement et le développement (CNUED), qui se tiendra à Rio de Janeiro,

au Brésil, du 1er au 12 juin 1992. Un grand nombre de chefs d'Etat et de

gouvernement sont attendus pour ce qui devrait être le premier sommet mon¬

dial pour la planète Terre.

LES ENJEUX

Les enjeux de cette Conférence ont été définis comme le maintien de la qua¬

lité de l'environnement et le développement écologiquement rationnel et

durable dans tous les pays. Les participants seront donc amenés à aborder

les questions suivantes :

la protection de l'atmosphère (changements climatiques, appauvrissement

de la couche d'ozone, pollution atmosphérique transfrontière) ;

la protection des sols (lutte contre le déboisement, les pertes en terres,

la désertification et la sécheresse) :

la conservation de la diversité biologique ;

la protection des ressources en eau douce ;

la protection des océans, des mers et des zones côtières, l'utilisation et

la mise en valeur rationnelle de leurs ressources vivantes ;

l'utilisation de biotechnologies écologiquement rationnelles et la gestion

écologiquement rationnelle des déchets (y compris des substances chimiques

toxiques) ;

la prévention du trafic illégal des produits et déchets toxiques ;

l'amélioration de la qualité de la vie et de la santé humaine ;

l'amélioration des milieux où vivent et travaillent les plus démunis, en éli¬

minant la pauvreté et en mettant un terme à la dégradation de l'environnement.

Dans ce contexte, les pays en développement soulignent l'importance

cruciale des problèmes liés à la pauvreté, aux modes inadaptés de croissance

économique, à la crise de la dette extérieure et à la détérioration des termes

de l'échange.

LES RÉSULTATS ESCOMPTÉS

La Conférence pourrait adopter trois types d'instruments :

1. une « Charte de la Terre », qui prendrait la forme d'une Déclaration

adoptée à Rio, énonçant les principes de base régissant la conduite des nations

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et des peuples vis-à-vis de l'environnement et du développement, afin que la

Terre reste un lieu de séjour hospitalier pour l'homme et les autres formes

de vie ;

2. des accords juridiques spécifiques, notamment une convention concer¬

nant les changements climatiques et une convention sur la diversité biolo¬

gique, qui sont en cours de négociation ;

3. une plate-forme d'action, dite « Action 21 », définissant pour la com¬

munauté internationale un programme de travail, arrêté d'un commun accord,

pour le début du 21e siècle. Celui-ci fixera des priorités, des objectifs, des

estimations de coûts, des modalités de mise en nuvre et une répartition destâches.

Le rôle de l'UNESCOAu carrefour de l'éducation, de la science, de la culture et de la

communication, l'UNESCO offre un cadre institutionnel unique pourtraiter des problèmes de gestion de l'environnement et des res¬

sources naturelles problèmes si complexes que seules desdémarches intégrées et interdisciplinaires peuvent efficacementles aborder.

Les grandes questions d'environnement retenues pour laCNUED se trouvent pour la plupart au crur de trois importants pro¬grammes scientifiques internationaux mis en place depuis long¬temps par l'UNESCO :

Le Programme sur l'homme et la biosphère (MAB) pour la pro¬tection et la gestion des sols, la conservation de la diversité biolo¬

gique ; le MAB constitue à cet égard un instrument privilégié grâceà son réseau international de réserves de la biosphère ;

le Programme hydrologique international (PHI), pour la protec¬tion des ressources en eau douce et leur utilisation rationnelle ;

les programmes de la Commission océanographique intergou¬vernementale (COI) et les activités connexes relevant des sciences

de la mer, pour la protection des océans et des zones côtières,l'utilisation rationnelle des ressources biologiques marines, les rela¬tions entre les océans et le climat.

Dans le même temps, l'UNESCO est concernée directement

par une autre dimension du problème de l'environnement, à savoir

l'éducation. L'Organisation doit en effet jouer un rôle actif dansla promotion de l'éducation relative à l'environnement, en encou¬rageant sa prise en compte dans les politiques nationales d'édu¬cation, ainsi que dans les programmes scolaires et universitaires.

Le Programme international UNESCO/PNUE d'éducation relative à

l'environnement (PIEE), lancé en 1975, propose des modulesd'enseignement de l'écologie dans les écoles et participe à la pro¬duction de matériel didactique et à la formation des maîtres.

Les sciences de l'environnement englobent aussi des disci¬plines relevant des sciences sociales et humaines : l'UNESCO les

a mises à contribution pour étudier les relations entre population,environnement, ressources naturelles et développement, ainsi quele processus de prise de décision en matière d'environnement etde développement.

Enfin, l'UNESCO s'intéresse de près à la protection du patri¬moine tant culturel que naturel, notamment dans le cadre de la

Convention du patrimoine mondial. Et elle s'attache à analyser ladimension culturelle du développement, sans laquelle il serait dif¬ficile de réconcilier environnement et développement.

De gauche à droite, logotypes

de la COI, du PHI, du PIEE, du Programme marin côtier et du MAB.

40 rtfîB

Ci-dessus, luxuriante végétation tropicale à Sri Lanka.

Ci-dessous, les ravages des pluies acides

dans le parc national de Karkonosze, en Pologne.

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Agir sans plus tarder

JL/ES problèmes de l'environnement occupent ledevant de la scène internationale depuis une ving¬taine d'années, plus précisément depuis la Confé¬rence sur l'environnement de 1972. Celle-ci s'était

déroulée dans un climat d'optimisme, marqué parla volonté d'agir.

Et de fait, des actions ont suivi : des orga¬nismes internationaux, comme le Programme desNations Unies pour l'environnement, des minis¬tères de l'environnement, des mouvements asso¬

ciatifs et des courants politiques centrés sur l'éco¬logie ont vu le jour. Les résultats obtenus sion les mesure au volume des publications et desconnaissances acquises, au nombre des projets dereboisement ou d'assainissement entrepris dansles zones protégées mises en place sont consi¬dérables. Mais l'ensemble de ces activités a para¬doxalement conduit à une poursuite de la dégra¬dation de notre environnement. Quelques succèsont été obtenus ici ou là, mais en fin de compte,la situation actuelle est bien plus critique qu'il ya vingt ans.

Les pays industrialisés voient leurs eaux conta¬minées par les produits chimiques, leurs solsempoisonnés par les pesticides et les fertilisants,leurs côtes défigurées par une urbanisation sau¬vage, leurs forêts détruites et leurs lacs rendus sté¬riles par les pluies acides, la santé des populations

par Francesco di Castrí

menacée par l'accumulation et le transport desdéchets toxiques, les villes asphyxiées par lesencombrements et la pollution de l'air. Quant auxpays en développement, ils ont à faire face à ladésertification, à la deforestation, à l'érosion etla salinisation des sols, aux inondations, à l'extinc¬

tion d'espèces animales et végétales, particulière¬ment dans les régions tropicales. En même tempsque se multiplient les bidonvilles, avec leur cor¬tège de misère, de maladie, de délinquance.

Tous ces problèmes, au Nord comme au Sud,sont liés par un seul et même fil conducteur : ilsdérivent de choix de développement erronés.Certes, les problèmes sont plus criants au Sud,en raison d'une pression démographique beau¬coup plus forte qu'au Nord. Mais leur origine estcommune ; elle est planétaire et tient surtout,dans le cadre de l'interdépendance des économies,au jeu de la concurrence sur les marchés interna¬tionaux, au désordre monétaire et à l'épineusequestion de la dette extérieure.

D'ici à une trentaine d'années, l'humanité,dont le nombre atteindra 10 à 12 milliards d'indi¬

vidus, sera frappée par l'émergence de problèmesd'environnement qui revêtiront, eux aussi, unedimension planétaire : la perturbation probabledu climat par l'effet de serre (dû à l'accumulationde gaz de combustion ou d'autres gaz d'origineindustrielle ou agricole), l'amenuisement de la 41

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^

Sécheresse et désertification

posent des problèmes de

survie, notamment au Sahel.

42

FRANCESCO DI CASTRI

est le coordonnateur des

programmes relatifs à

l'environnement de l'UNESCO.

Il est également le présidentdu Comité scientifique pour lesproblèmes de l'environnement

(SCOPE) du Conseil

international des unions

scientifiques. On lui doit de

nombreuses publications sur

l'écologie.

couche protectrice d'ozone de la haute atmos¬phère, ou l'irréversible appauvrissement de ladiversité biologique.

On se trouve donc devant des problèmesextrêmement complexes, en partie incertains etimprévisibles, évoluant de façon rapide à l'échellede toute la planète et dépendant étroitement lesuns des autres. Or, nos institutions d'enseigne¬ment, de recherche, d'administration ou de gestionn'ont pas été conçues pour faire face à ce typede problèmes. Même avec un accroissement consi¬dérable des crédits, il est peu probable que l'onparvienne à les juguler dans l'immédiat. La clé dusuccès n'est pas conjoncturelle, mais structurelle.

S'attaquer valablement aux problèmes cru¬ciaux de l'environnement suppose une démarcheinterdisciplinaire que peu d'institutions sont, àl'heure actuelle, capables d'entreprendre. Lesorganismes de recherche et les universités restentsous l'emprise de systèmes d'évaluation stricte¬ment disciplinaires, tandis qu'on assiste à un déca-läge croissant entre la formation universitaire etla recherche d'une part, les besoins réels de lasociété d'autre part. Fort peu de recherchesmenées actuellement dans ce domaine trouvent

une application effective soit parce que, dansla plupart des cas, ces recherches ne s'attaquentpas aux vrais problèmes, soit qu'elles ne s'intè¬grent pas aux processus de prise de décision et degestion, soit enfin qu'elles se heurtent au carac¬tère sectoriel des structures administratives.

Aucune discipline, pas même l'écologie, nepeut à elle seule appréhender les problèmes del'environnement avec leur dimension écono¬

mique et sociale planétaire, aucun organisme derecherche et aucun service administratif ne peutse considérer comme autosuffisant en la matière,aucun pays, si puissant soit-il, ne peut prétendrerésoudre des problèmes qui ont leurs causes et

leurs effets dans d'autres pays, ni prévenir leursrépercussions sur son territoire. Et pourtant, laplupart des disciplines continuent à s'ignorer ouà rivaliser pour l'obtention des crédits derecherche, les professions poursuivent leur replisur un corporatisme traditionnel, les ministères

demeurent compartimentés en secteurs peu per¬méables aux échanges, et les pays ne s'accordentque sur des normes de protection insuffisantes.

Dans ces conditions, il est plus facile derésoudre quelques problèmes ponctuels ou par¬tiels que de réussir à établir des institutions vrai¬ment capables de gérer et de surmonter ce qu'ilfaut bien appeler la crise de l'environnement.

ATTENDRONS-NOUS

LA CATASTROPHE ?

Des solutions techniques existent pour la plupartdes problèmes, même si elles se heurtent à desrésistances psychologiques et structurelles, ainsiqu'à des intérêts économiques aussi puissants quecontradictoires. Peut-être prendrons-nous à tempsdes mesures pertinentes, à la faveur d'une prisede conscience progressive de l'opinion et desmilieux économiques et politiques ; mais, plusprobablement, nous attendrons pour cela quelquechoc beaucoup plus traumatisant que ceux quenous avons connus jusqu'à présent. Il serait biendommage que notre instinct collectif de survie nese réveille que face à une catastrophe écologiquemajeure !

Espérons qu'il n'en sera rien. A cet égard, ilfaut éviter que le manque partiel de résultats etde données précises ne serve de prétexte à l'inac¬tion, aussi bien pour les responsables que pourchacun d'entre nous. Tout retard serait terrible¬

ment coûteux à terme et certaines dégradationsrisquent d'être irréversibles. Il suffit en effet dequelques heures pour abattre une forêt et détruireles espèces qu'elle abrite, quelques mois pourdéclencher l'érosion et la désertification, quelquesannées pour changer le climat du globe. Mais uneespèce disparue ne reparaît jamais, il faut desdizaines ou des centaines d'années pour régénérerune forêt, un millénaire pour reconstituer un solérodé.

On peut former le voeu que la crise de l'envi¬ronnement, par sa gravité et par sa complexité,serve finalement de catalyseur à une plus grandeconvivialité dans nos laboratoires, à une plusgrande souplesse dans nos administrations et sur¬tout à une plus grande solidarité et une plusgrande équité entre les pays, riches et pauvres,comme envers les générations futures auxquellesnous sommes redevables de la Terre qui nous aété confiée.

Un changement de comportement de chaqueindividu, de chaque institution et de chaque Etat,est la seule voie pour que se dégage, des contraintesde la crise de l'environnement, tout le potentielnécessaire à un avenir possible. Souhaitons quece changement puisse se faire sans être provoquépar une catastrophe écologique majeure qui nelaisserait personne à l'abri.

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EN BREF DANS LE MONDE...

Nouveau « Dialogue » àl'UNESCO

Avec la revue trimestrielle

Dialogue, publiée en langue

espagnole depuis le mois d'avril

par l'Office de l'information du

public pour l'Amérique latine et

les Caraïbes, l'UNESCO dispose

d'un instrument efficace de

diffusion de ses activités dans la

région. Dialogue aborde en

outre, par le biais d'un thème

central ou d'entretiens,

différents aspects de la réalitélatino-américaine. Le troisième

numéro (octobre 1991) de la

revue, qui paraît désormais en

anglais et en françaiségalement, présente une

analyse de la production dusavoir dans le nouveau contexte

géopolitique international, ainsi

qu'un tour d'horizon de la

situation actuelle de la jeunesselatino-américaine.

Dialogue est distribuée

gratuitement par le Bureau de

l'UNESCO à Caracas,

BP 68394, Caracas 1062-A

(Venezuela).

Un homme vieux

de 4 000 ans

Le corps parfaitement conservé

d'un homme de l'âge du bronze

a été trouvé en septembre

dernier dans un glacier du Tyrol

autrichien, à 3 200 m d'altitude.

Cette découverte, ainsi que les

armes et divers objets trouvés à

proximité, pourraient révéler

certains aspects peu connus de

la vie en Europe il y a quatremillénaires. La datation au

carbone 14 doit permettre

d'établir avec certitude l'âge de

cet « homme des glaces », dont

la présence à une telle altitudeet dans un milieu aussi hostile

demeure un mystère.

La paix a son prixLe prix UNESCO d'éducation

pour la paix a été attribué en1991 à Mme Ruth Leger Sivard,

des Etats-Unis, et à une école

associée de l'UNESCO, le Cours

Sainte-Marie de Hann (Sénégal).

Ce prix, créé en 1980 par leConseil exécutif de l'UNESCO

grâce à un don de la Fondation

japonaise de l'industrie de la

construction navale, est décerné

tous les ans par un jury

International composé

d'intellectuels, de personnalités

religieuses, d'éducateurs et

d'hommes d'Etat. Il récompense

des individus et des organismesqui se sont illustrés par desactions visant à sensibiliser

l'opinion et à mobiliser les

consciences en faveur de la

paix.

Un répertoire des institutionspour l'enfanceAfin d'encourager les échanges

entre les organismes et les

individus qui se consacrent,

partout dans le monde, à

améliorer la situation des jeunesenfants, l'UNESCO vient de

publier un Répertoire

international sur le jeune enfant

et le milieu familial. On y trouvedes informations sur 670

institutions dans 116 pays, ainsique certaines données

démographiques et

économiques de base

concernant ces mêmes pays :nombre d'enfants de moins de 5

ans de poids insuffisant, taux de

mortalité infantile, taux

d'analphabétisme des femmes,

indice synthétique de fécondité,

produit national brut et accès

aux services de santé locaux.

Le Répertoire peut être

obtenu gratuitement auprès du

Directeur du Projet sur le jeune

enfant et le milieu familial,

UNESCO, 7, place de Fontenoy,75700 Paris.

Les dossiers de

l'environnement

Le système des échanges« dette contre nature »

consistant à financer des projetsde conservation des ressources

naturelles en renégociant des

dettes contractées par des pays

du tiers monde est le sujet

du premier numéro d'une sériede dossiers sur l'environnement

et le développement lancée parl'UNESCO au mois d'août

dernier. Ces brochures illustrées

sont rédigées par des

spécialistes en un langage

simple. Elles s'adressent surtout

aux responsables et aux

décideurs qui, dans

l'administration publique ou les

milieux d'affaires, souhaitent

disposer d'une information

concise et fiable sur l'état des

connaissances actuelles, ainsi

que sur les stratégies d'action

possibles face aux grands

problèmes d'environnement. Les

prochains dossiers porteront,

entre autres, sur la détection

des changements écologiques,

l'observation des océans, la

gestion des eaux dans les zones

urbaines, la réduction des

risques naturels et la

préservation des sols tropicaux.

Pour tout renseignement,s'adresser au Bureau de

coordination des programmes

d'environnement, UNESCO, 7,

place de Fontenoy, 75700 Paris.

Elissa ou la naissance de

CarthageLes Journées internationales des

arts plastiques de Carthage, en

Tunisie, s'ouvriront en juin 1992

sur l'inauguration d'une

sculpture consacrée à Elissa, la

Didon de l'Enéide, s du roi

Pygmalion de Tyr et fondatrice

légendaire de l'antique cité

phénicienne. Tables rondes et

groupes de réflexion, réunions

d'artistes et d'archéologues,

récitals de musique, de danse etde poésie évoqueront le

patrimoine culturelméditerranéen et les affinités

qu'il crée entre les différents

pays de la région. Cesrencontres doivent déboucher

sur l'institution à Carthage d'uneCité internationale des arts et

d'un musée de la vie

quotidienne.

Un musée de la culture

indienne

En 1998, Washington

accueillera le musée national

des Indiens américains. Ce

musée sera doté d'une politique

de gestion unique en son genre,

fruit des revendications des

tribus indiennes qui contestent

depuis longtemps la façon dontleur culture est présentée par

les anthropologues, ainsi que letraitement réservé aux restes

humains et aux objets funéraireset cérémoniels exhumés

accidentellement ou lors des

fouilles archéologiques. Ceux-ciseront désormais restitués aux

communautés qui lesréclameront.

Pêche miraculeuse

La première étape d'une longue

campagne de pêche

« pharmaceutique » vient de

s'achever au large des côtestunisiennes. A bord du ketch

Fleur de passion, 25 savants et

plongeurs français et tunisiens

ont récolté une centaine

d'échantillons d'épongés,

d'algues et de phytoplancton.

dont les propriétés serontétudiées en laboratoire. On a

observé en effet que ces

organismes sécrétaient, pour se

défendre des prédateurs ou des

agents pathogènes, des

substances actives qui

pourraient servir à l'élaborationde nouveaux remèdes.

Cette campagne, qui doit

s'achever en novembre 1994,

conduira Fleur de passion dans

l'océan Indien, puis dans le Sud-

Est asiatique.

Contes de jeunessePour sa 7e édition, le Salon du

livre de jeunesse qui se tiendra

à Montreuil, dans la région

parisienne, du 28 novembre au

2 décembre, se mettra à l'heure

du conte un genre littéraire

traditionnel qui continue

d'inspirer nombre d'artistes

contemporains. Cette grande

manifestation publique, conçuecomme une véritable fête autour

du livre, se veut en même

temps un lieu de réflexion et

d'échanges. On s'y interrogeranotamment sur la manière de

préserver la diversité des

cultures qui s'expriment à

travers le conte, au moment où

les tendances à l'uniformisation

s'accentuent partout dans le

monde. Le Salon sera précédé

d'un colloque international

parrainé par l'UNICEF sur le

thème du « conte, mémoire des

peuples ».

Galilée retrouvé

Trente-quatre lettres de Galilée,adressées de Florence à un

correspondant non identifié, ont

été rendues publiques pour la

première fois au cours d'un

colloque tenu en septembre à

Venise, sous les auspices de

l'UNESCO, pour les 400 ans de

la nomination du grandastronome italien à la chaire de

mathématiques de l'universitéde Padoue. Dans ces lettres, qui

s'échelonnent sur les huit

années précédant sa

condamnation par le tribunal de

l'Inquisition romaine en 1633,

Galilée, fort éprouvé, paraît

céder peu à peu au

découragement. Elles ont été

retrouvées par des chercheurs

dans la bibliothèque de l'évêché

de Bologne.

EN BREF DANS LE MONDE... 43

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BASILICA - \IR> MATRIS DEI M\Rl\. AQVLSGRAN \ CAROLO MAGNO LXT\fc ! I \l\ \l.l iS RELIQVI \Kv M

mirrrrJL^tnh Ui -t.iUn oonrf-Äoiif rr&aipt thi> qrfttfft s;r 'ifK-.tav:"* tuntPftfart traroaffrt J8wtuhm<|

par Herid Lepk et Rokni fenter

44

HERTA LEPIE, d'Allemagne, est historienne de l'art.Elle dirige l'atelier d'orfèvrerie de la cathédrale d'Aix-la-Chapelle. On lui doit de nombreuses publicationssur la cathédrale et les pèlerinages religieux.ROLAND WENTZLER, historien de l'art allemand, estchargé des relations publiques pour la cathédrale etl'ensemble des églises de la ville d'Aix-la-Chapelle.

jL/A cathédrale d'Aix-la-Chapelle est le plusbel exemple d'architecture carolingienne quisoit parvenu jusqu'à nous. C'est aussi, depuisle 31 mars 1978, le premier monument alle¬mand inscrit sur la Liste du patrimoine mon¬dial de l'UNESCO.

Un monument bien vivant

Chaque année, Aix-la-Chapelle accueille desmilliers de visiteurs. Située à la pointe occi¬dentale de l'Allemagne, tout près des frontièresbelges et néerlandaises, la ville de Charle¬magne, qui incarna en son temps l'unité poli¬tique et culturelle de l'empire carolingien, estla ville européenne par excellence.

Sa principale attraction est évidemment la

chapelle palatine. Ce remarquable monumentriche d'art et d'histoire attire plus d'un mil¬lion de visiteurs par an. En dehors de sonintérêt historique et culturel, la cathédraled'Aix reste un lieu de pèlerinage qui, auMoyen Age, fut presque aussi important queRome ou Saint-Jacques-de-Compostelle. Outrel'image vénérée de Notre-Dame d'Aix, l'édi¬fice abrite en effet le tombeau de Charlemagneet, entre autres reliques, la châsse mariale quicontient quatre pièces d'étoffes particulière¬ment remarquables : la robe de la Vierge, leslanges de l'enfant Jésus, le linge qui ceignaitles reins du Christ en croix et le drap de ladécollation de saint Jean-Baptiste.

Ces grandes reliques bibliques sont solen-

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ACTION/UNESCO

MÉMOIRE DU MONDE

nellement exposées tous les sept ans depuis1349, et l'on peut prédire qu'en juin 1993d'innombrables pèlerins se retrouveront à Aixpour communier dans la ferveur de la proces¬sion qui leur est consacrée.

La chapelle palatine

Située aucdu royaume des Francs, la régiond'Aix était très giboyeuse et surtout, elle abri¬tait des sources d'eau chaude dont les Romains

connaissaient déjà les vertus bénéfiques. C'estd'ailleurs sur les ruines des anciens thermes

romains que Charlemagne bâtit son palais,dont la fonction était à la fois politique, éco¬nomique, résidentielle et religieuse. De la fonc¬tion politique, symbolisée par la salle du trône,il ne subsiste que des vestiges : les fondationset la tour dite Granusturn. Ses pierres ont servià la construction de l'hôtel de ville gothique.Les bâtiments résidentiels et les magasins ontdisparu sans laisser de traces. Par contre,l'église dédiée par Charlemagne à la Vierge etoù il voulut être enterré a résisté à l'épreuve¿es siècles.

Le bâtiment fut sans doute achevé vers

800. Deux ans auparavant, en effet, le théolo¬gien Alcuin annonçait dans une lettre à l'empe¬reur l'érection des colonnes de la chapelle. Al'origine, la chapelle palatine comportait troiséléments : le bâtiment central, un chtur rec¬

tangulaire à l'est et le porche d'entrée situé àl'ouest. Des chapelles périphériques et unchnur surmonté d'une verrière ont été ajoutésà l'époque gothique.

L'église, orientée d'est en ouest, compor¬tait, comme les anciennes basiliques, un atriumceint de colonnades, dont le parvis conserveencore la trace.

On pénètre dans le bâtiment par unclocher-porche flanqué de deux tours d'esca¬liers, qui frappe par sa monumentalité massiveet ses allures de forteresse. Les deux battants

d'airain du portail principal ont été fondus àAix du temps de Charlemagne. Quatre autresportes et huit grilles ouvragées provenant dumême atelier sont décorées de motifs qui rap¬pellent l'Antiquité romaine. Le narthex abrited'ailleurs deux vestiges romains : une louve

d'airain et une grosse pomme de pin en bronzequi devait décorer une fontaine de l'atrium.

La chapelle proprement dite est manifes¬tement inspirée de l'architecture de Ravenneet des basiliques byzantines. Elle se présentesous la forme d'une rotonde octogonale à deuxétages doublée d'une enceinte extérieure à seizecôtés. De lourds piliers polygonaux suppor¬tent les huit arcades de l'étage supérieur, bor¬dées de grilles en bronze d'époque carolin¬gienne. A l'intérieur des arcades, sont dispo¬sées les fameuses colonnes de marbre queCharlemagne avait fait venir de Rome et deRavenne pour marquer la continuité entre sonentreprise et l'architecture de l'empire romain.

Page de gauche, la cathédrale d'Aix-la-Chapelle,

gravure d'Abraham Hogenbergh (1632). Entre la

coupole et la tour, une des quatre grandes

reliques bibliques de la cathédrale, la robe de la

Vierge, est exposée à la dévotion des pèlerins.Ci-dessus, la chapelle palatine octogonale,

d'époque carolingienne. Sous les arcades des

étages supérieurs, les colonnes de marbre

antiques que Charlemagne fit venir de Rome et

de Ravenne. Au centre, le lustre en cuivre offert

en 1165 par l'empereur Frédéric Barberousse.

45

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Ci-dessous à gauche, le maître-autel orné

de bas-reliefs en or (1020) devant lequel étaient

couronnés les empereurs germaniques.A 'droite, les mosaïques de la voûte de lachapelle carolingienne.

Page de droite, la chaire dorée sertie de

pierres précieuses (11* siècle), don del'empereur Henri II.

Cet imposant édifice est surmonté d'unecoupole comme on n'en avait jamais construitauparavant au nord des Alpes. Conscient dupoids et de la pression qu'exercerait une masseaussi importante, l'architecte carolingien arésolu le problème en divisant la calotte de lavoûte en huit fuseaux, ce qui lui a permis derépartir équitablement le poids des nervuressur les huit pilastres. Un cercle métalliqued'époque carolingienne enserre la base de lacoupole pour le consolider. La voûte est ornéed'une mosaïque représentant les 24 vieillardsde l'Apocalypse.

La hauteur de l'édifice de la base au

sommet de la coupole est de 32 mètres, ce quicorrespond au diamètre du mur extérieur, sibien que la masse du bâtiment s'inscrit trèsexactement dans un cube, respectant les pro¬portions que la Bible attribue à la tour de Babelet à la Jérusalem céleste.

Le maître-autel est situé dans la partie occi¬dentale du bas-côté, là où existait déjà un autelauparavant. Les marbres sont des remplois ;c'est le plus ancien autel qui subsiste en Alle¬magne. C'est là qu'ont été couronnés 25 des30 empereurs germaniques, d'Otton le Granden 936 à Ferdinand 1er en 1531.

L'autel est orné de 17 bas-reliefs en or du

début du 11e siècle, probablement commandéspar Otto III et achevés sous son successeur

Henri IL Au centre, est représenté le Christ-roi rédempteur du monde, entouré de Marieet de l'archange saint Michel, intercesseurs del'humanité. Quatre médaillons représentant lessymboles des évangélistes surmontent desscènes de la passion du Christ.

C'est de la même époque (début du 11esiècle) que date la chaire dorée offerte parl'empereur Henri II. Initialement installée dansla chapelle octogonale, elle a été déplacée vers

le mur méridional lors de la construction du

chnur gothique au 15e siècle. Elle est admira¬blement décorée de plaques d'ivoire sculptécoptes du 6e siècle représentant des scènesmythologiques, ainsi que de bas-reliefs desquatre évangélistes.

La cathédrale abrite les restes de deux

empereurs germaniques : Charlemagne (morten 814) et Otton III (mort en 1002). On ignoreaujourd'hui l'emplacement précis de la tombede Charlemagne. En l'an 1000, elle fut loca¬lisée par Otton III qui y préleva des reliques.En 1165, Frédéric 1er fit transférer les restes

de l'empereur dans un cénotaphe provisoire.Et depuis 1215, les restes de l'empereur béa¬tifié reposent dans une châsse à laquelle lepatient travail des conservateurs a rendu toutson éclat.

Très vite, la chapelle palatine devint unlieu de pèlerinage. Mais contrairement aux

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anciennes basiliques, elle n'était pas conçuepour accueillir une foule de pèlerins. C'estpourquoi en 1355, le chapitre de la cathédralese résigna à décréter la construction du chnurgothique, qui fut terminé en 1414, soit 600 ansexactement après la mort de Charlemagne.

La chapelle carolingienne est entouréed'une couronne de chapelles gothiques, à deuxétages comme l'octogone central. On accède àl'étage supérieur par un escalier d'époque caro¬lingienne. C'est là, dans l'axe est-ouest, entrele porche et l'octogone qu'est placé le trône demarbre des empereurs allemands. Massif etd'une impressionnante sobriété, il est fait dequatre dalles de marbre provenant de la Médi¬terranée orientale, assemblées et posées surquatre blocs de pierres ; on y accède par unevolée de six marches. Un chroniqueur du 10esiècle nous apprend que le trône avait été dresséentre deux colonnes de marbre afin que le sou¬verain « puisse tout voir et être vu de tous ».

Aucun bâtiment au nord des Alpesn'évoque aussi puissamment que la cathédraled'Aix la nouvelle Rome rêvée par Charle¬magne. S'il a choisi de s'inspirer des modèlesarchitecturaux des 5e et 6e siècles, c'était pourbien montrer aux contemporains qu'il se consi¬dérait comme l'héritier de l'empire d'Occi¬dent. Les colonnes amenées d'au-delà des

Alpes, les portes et grilles d'airain au décorromain, tout cela entend rendre visible le lien

durable entre le monde antique et l'Occidentmédiéval. La chapelle palatine était conçue àl'origine comme une image de la Jérusalemcéleste décrite par l'apôtre Jean dans l'Apo¬calypse. Au vrai, l'éclat des ors et des pierre¬ries, et la mystérieuse harmonie qui se dégagede la masse de l'édifice ne sont pas sans évo¬quer les splendeurs de la cité céleste.

Un chef-d'auvre en péril

De tout temps, les Aixois ont eut à csurd'entretenir leur cathédrale, mais les aléas del'histoire ont maintes fois failli entraîner sa des¬

truction, notamment pendant la SecondeGuerre mondiale. Dès la fin des hostilités, il

fallut s'atteler à la lourde tâche de réparer lesdégâts considérables occasionnés à l'édifice :réparation de fortune du toit, remplacementdes vitraux et réaménagement de l'accès auchdur, enfin reconstruction de la chapelle dela tour, complètement détruite.

L'un des problèmes qu'il reste à aborderest celui de l'assainissement de la maçonnerie

carolingienne. Les travaux préliminaires sontpratiquement terminés et l'on procède actuel¬lement à des essais de traitement. Il est égale¬ment prévu de restaurer la chapelle hongroise,

celle de Sainte-Anne et de Saint-Mathieu, de

réparer la toiture et de refaire le toit de la cha¬pelle octogonale.

Sans aide publique, il serait impossibled'assurer de façon satisfaisante la conservation,et la restauration du bâtiment, mais aussi des

trésors qu'il abrite. La cathédrale bénéficie degénéreuses subventions publiques, mais les ini¬tiatives privées n'ont pas manqué. La premièreremonte à 1847, avec la constitution par descitoyens de la ville de la première associationde défense du site, le « Karlvercin ».

C'est cette tradition qui a donné naissanceen 1988, le jour de la fête votive, à la campagne« La cathédrale d'Aix, chef-d' en péril »,une initiative qui a trouvé un écho considé¬rable auprès des entreprises comme des parti¬culiers.

Le bénévolat n'exclut pas l'humour, si l'onen juge par les nombreuses idées insolites qui

germent ici ou la : c est un cirque qui proposeune représentation exceptionnelle, une fanfarequi donne un concert de bienfaisance, unclub de modélisme qui fait don du prix d'unconcours, de jeunes mariés qui demandentqu'on verse des dons à la cathédrale au lieude leur envoyer les bouquets et cadeaux tradi¬tionnels. Banques et caisses d'épargne lancentdes opérations de parrainage, un album à colo¬rier permet de faire découvrir la cathédrale auxenfants, les journaux locaux insèrent gratui¬tement articles et communiqués sur l'état destravaux, les quelque 400 participants du congrèsmondial des forgerons offrent des pièces for¬gées à la main pour une vente aux enchères,et ainsi de suite.

Le produit de ces activités va grossir lessubventions des pouvoirs publics et prouveque la cathédrale d'Aix peut aussi compterpour sa survie sur les citoyens de la ville. 47

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L'actuelle session de la Conférence générale de l'UNESCO se

tient à un moment exceptionnel de l'histoire du monde. Au cours

des deux dernières années, nous avons assisté à un bouleverse¬

ment radical de l'ordre mis en place par les vainqueurs de laSeconde Guerre mondiale. L'action de l'UNESCO va-t-elle évoluer

en conséquence ?

Evidemment, elle évolue pour s'adapter à ces changements.Paradoxalement, elle en revient ainsi à sa vocation originelle.Les Nations Unies ont été créées pour assurer la paix du monde.La Charte des Nations Unies définissait quelques grands prin¬cipes : le respect de la justice, de la loi, des droits de l'hommeet des libertés fondamentales pour tous, sans distinction de race,de sexe, de langue ou de religion. L'UNESCO a comme mis¬sion de développer la coopération intellectuelle dans lesdomaines de la culture, de l'éducation, de la science et de la com¬munication.

L'efficacité de son action a été pendant plus de 40 ans limitée4O pour deux raisons. Les quatre cinquièmes de l'humanité vivaient

A ïomion à k vingtiixhe mm à k

Questions i

dans les pays colonisés et dépendants. Les principes de base dela Charte des Nations Unies ne pouvaient guère s'y appliquer.La division bipolaire du monde avait provoqué la guerre froideet l'opposition idéologique entre l'Est et l'Ouest. Les initiativesde l'UNESCO se heurtaient à cette réalité qui paralysait tropsouvent son action. Les Nations Unies elles-mêmes ne purentjouer qu'un rôle limité dans la prévention et la solution desconflits. Aujourd'hui, la situation est radicalement nouvelle. Laplupart des anciennes colonies sont devenues indépendantes etleur voix commence à se faire entendre dans le concert mon¬

dial. Depuis deux ans les régimes totalitaires de l'Europe orien¬tale, centrale et balkanique sont tombés. L'URSS elle-même acommencé son long voyage vers la démocratie et le respect desdroits de l'homme. L'Afrique du Sud tente de mettre fin àl'apartheid.

Les conditions existent pour que la peur de l'Autre et lesaffrontements idéologiques disparaissent. Les principes de laCharte des Nations Unies peuvent être pris en compte parl'humanité, sans les arrière-pensées et les manipulations que nousavons connues depuis quarante-cinq ans.

Est-ce que cela veut dire que, dorénavant, tout est pour le mieuxdans le meilleur des mondes ?

Certes pas. Mais je tenais à faire ces remarques qui nous per¬mettent d'être plus optimistes aujourd'hui que jamais dans lepassé. Les problèmes à résoudre aujourd'hui et demain sonténormes, mais nous pouvons tenter de les résoudre en parlantle même langage et avec plus de chance de succès.

J'ajouterai deux remarques. Premièrement, acceptés partous, ces principes ne sont pas respectés par tous. L'UNESCO,en sa qualité d'organisation intellectuelle du système des NationsUnies, se doit d'identifier les obstacles qui en empêchent l'appli¬cation et d'aider à les franchir. Deuxièmement, ils doivent êtreaffinés. Notre monde est inégalitaire. A partir d'un seuil de pau¬vreté et de misère, la liberté perd de sa substance, l'égalité civiledevient elle-même abstraite. Pour entrer dans les faits, ces valeursuniverselles doivent être accompagnées d'actes concrets de soli¬darité, d'une éthique du partage. Si les uns jouissent de la pros¬périté, du savoir et de la culture dans un monde de richessestandis que les autres sont privés de toutes ces lumières de la civi¬lisation, le monde ne peut être en paix. Le devoir de fraternité

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Confirm pénk à l'UNESCO

Feàrico MayorDirecteur perd

est une exigence éthique car l'humanité est une et indivisibledans sa diversité.

B Nous sommes encore loin de cet état de solidarité.

C'est pour cette raison que nous connaissons une périodede transition incertaine où le meilleur côtoie le pire, où les plusbelles espérances se doublent de terribles menaces. Il faudraitd'ailleurs plutôt parler de plusieurs transitions qui se poursui¬vent dans des temps distincts, à des rythmes différents, tout enétant inextricablement enchevêtrées, liées les unes aux autres.

L'indépendance et la souveraineté des nations conduisent danscertains cas à des nationalismes exacerbés fondés sur l'exclusion

et le rejet de l'autre. Oui, de l'éclosion heureuse des identitésculturelles dans un cadre de liberté on peut déboucher, par desvoies pathologiques, à l'exclusion. Quand les nationalismes anni¬hilés pendant des dizaines d'années reviennent au galop, seulela démocratie peut embrasser pacifiquement la coexistence activede toutes les cultures et les langues.

La transition entre le totalitarisme et la démocratie n'est

pas facile. Elle implique le passage d'une économie de guerreà une économie de paix, et surtout d'une culture de guerre àune culture de paix. Nos modèles de développement écono¬mique ont conduit à sacrifier l'environnement et la conditionhumaine à des exigences productivistes. Le destin de l'hommeet de la nature est indivisible.

Toutes ces mutations varient selon les lieux et les situations,

mais aujourd'hui tout bouge et cela d'autant plus vite que lesmédias et les moyens de transport rétrécissent la planète.L'humanité a des intérêts et des espérances communs et dansle même temps différents, et même contradictoires. L'UNESCOdoit dans sa réflexion et son action tenir compte de ce « matériauvivant ».

B Pourriez-vous préciser ce que vous entendez par temps et

rythmes différents, intérêts et espoirs distincts ?

Regardez une carte du monde. L'Afrique, l'Asie, l'Europede l'Ouest, l'Amérique du Nord, l'Amérique latine, l'Europede l'Est, le monde arabe. La configuration des problèmes et despriorités est très différente d'une aire culturelle à l'autre.

En Afrique se manifestent des exigences de démocratisation.Une coopération régionale et internationale s'impose pour faci

liter un décollage économique qui parte des réalités, du géniepropre, de la créativité des peuples africains.

En Europe de l'Est, la chute du totalitarisme ouvre la voieà la liberté et à l'autodétermination nationale mais tout à la fois

à des méfiances et des préjugés, ancrés dans un passé plus oumoins lointain, qu'il faut absolument surmonter parce qu'ilsmenacent la paix et risquent de précipiter les peuples les unscontre les autres.

En Amérique latine, un courant unitaire se manifeste depuisla chute des dictatures entre les peuples de culture latine. Ilsabordent les problèmes posés par la modernisation de leursociété, alors que le poids de la dette extérieure reste très lourd.

En Asie, cette modernisation est d'ores et déjà engagée, maisavec une pression démographique génératrice de nouvelles con¬tradictions dans un monde doté de cultures millénaires qui doi¬vent intégrer ces progrès technologiques et scientifiques.

En Europe de l'Ouest et en Amérique du Nord, où sontconcentrés les privilèges de la richesse, du savoir et de la puis¬sance, se posent des questions liées au sens même de ces avan¬tages et de leur utilisation. Même là l'inégalité s'accroît, d'oùles troubles et les dérèglements de nos sociétés occidentales àla recherche de valeurs adaptées aux nouvelles conditions devie, de travail et de loisir. Dans un monde de plus en plus unifiéet de plus en plus inégalitaire, l'exigence de solidarité et de par¬tage acquiert la plus grande acuité.

B Face à toutes ces transitions, que peut faire l'UNESCO ?

Elle seule peut contribuer sur le plan de la communauté inter¬nationale au rapprochement des esprits à partir des valeurs uni¬verselles définies dans la Charte des Nations Unies et cela

d'autant plus qu'elle a une expérience unique en son genredepuis plus de 45 ans.

Il y a une alchimie de la coopération intellectuelle, du rap¬prochement progressif des idées, comme il y a une alchimie del'incompréhension, de la discrimination et de la discorde. Lapremière ne peut prévaloir que par la volonté de défendre inlas¬sablement ce qui rapproche et ce qui unit. Il ne s'agit pas, biensûr, de supprimer les originalités pour parvenir à une unifor¬mité générale. Le respect des différences est une nécessité vitale,car l'unité ne peut se réaliser que dans un débat où sont prisen compte la personnalité de chaque homme, la spécificité dechaque culture, l'épanouissement de chaque peuple. Le risque,c'est que l'affirmation des uns étouffe la détermination desautres.

La culture, la dimension culturelle de la paix et du déve¬loppement durable à visage humain s'inscrira au premier rangde l'agenda politique, à l'échelle nationale et mondiale. Elle aété trop souvent « ornementale » dans les accords bilatéraux,la « cerise » qu'on ajoute à titre décoratif sans y croire.

B II y aurait des règles d'émulation créatrice comme il y a des

règles de concurrence économique ou de circulation automobile ?

Oui, l'UNESCO se doit justement d'aider à promouvoir cesdeux exigences complémentaires : les spécificités de chacun etl'universalisme. J'insiste : le discours d'identité n'est pas un dis¬cours d'exclusion. Nous savons cependant qu'il peut le deveniret nous devons combattre cette perversion. Le respect desvaleurs et des règles universelles sans lesquelles on ne pourraitni communiquer ni échanger est donc crucial. 49

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B Pouvez-vous être plus précis concernant cette articulation ?

Comment l'UNESCO peut-elle la favoriser ?

Les programmes de l'UNESCO ont pour but de mettrel'expérience accumulée par la communauté internationale enapprofondissant ces choix, en élargissant le champ des débatsintellectuels au service des Etats qui le souhaitent, pour leurprise de décision, dans les domaines de compétence del'UNESCO. Nous avons défini quelques axes prioritaires : édu¬cation de base généralisée et enseignement supérieur, protec-

La fontaine de la paix, sculpture en cuivre réalisée parCharles Eugene Gagnon pour une fontaine de Rochester (Etats-Unis).

tion de l'environnement et aménagement des ressources natu¬relles, amélioration de la circulation de l'information, encou¬ragement à la libre création, saisie culturelle de toutes les dimen¬sions du développement.

Nous devons étayer les choix des décideurs et encouragerleur action, offrir des structures et des moyens de coopération,proposer des instruments juridiques internationaux. Nous pou¬vons aider au progrès des connaissances grâce, par exemple, auxprogrammes de la Commission océanographique intergouver¬nementale (COI), ou au Programme sur l'homme et la bios¬phère (MAB). Nous pouvons réunir les intellectuels et les créa¬teurs de toutes les régions pour discuter des grands problèmesde notre temps comme nous l'avons fait récemment à Praguesur le thème Culture et Démocratie. L'évolution positive de l'his¬toire depuis quelques années contribue à une disponibilité toutà fait nouvelle à l'Est, à l'Ouest et au Sud.

B Les domaines comme la science et surtout la culture se prêtent-

ils à une action au niveau des gouvernements ?

Cette question s'est posée dès la création de l'UNESCO. Dansle. domaine de la science, il n'y a aucun doute. Sans une coopé¬ration internationale, il n'est pas possible d'étudier les océans,l'atmosphère, l'espace, les cours d'eau, les déserts, l'écologie,etc. Les nuages de Tchernobyl n'ont pas respecté les frontières.

Pour la culture, c'est plus complexe. Intellectuels et créa¬teurs ont besoin d'indépendance vis-à-vis du pouvoir politique.Ils ont dit non aux dictateurs, aux colonisateurs, aux marchandsd'armes, aux pollueurs de la nature. Avec la fin de la bipolari-sation et l'essor de la démocratie, cette méfiance tend et tendra

à diminuer, même si le devoir de critique et la responsabilitédes intellectuels restent en quelque sorte sacrés, comme desgarde-fous aux excès et aux perversions de notre société.L'UNESCO possède une expérience précieuse de travail quiassocie responsables gouvernementaux, décideurs et personnesprivées, intellectuels et créateurs.

B Y a-t-il une image, une priorité sur laquelle vous aimeriez

conclure ?

La culture de paix me semble primordiale aujourd'hui. Il fau¬drait travailler sur ce concept. Nous sommes intoxiqués parnotre culture de guerre, souvent même à notre insu. Le rejetde l'autre s'accompagne du recours à la violence. Nous savonsle prix de la guerre. Nous ne savons pas le prix de la paix : celuid'une justice active, rapide et respectueuse ; d'un environnementprotégé par les attitudes conscientes de chacun ; d'une nutri¬tion suffisante et d'un système de santé adéquat, mais surtoutd'un cadre spirituel sans entraves pour l'épanouissement de tous.Nous devons aussi, à un niveau philosophique comme dans leconcret, explorer les valeurs et les coutumes qui sont porteusesde cette culture de paix.

C'est dans cet esprit que le système des Nations Unies devraévoluer sans tarder. Des différences substantielles séparerontl'ONU de 1945 de celle de 1995 quand elle aura cinquante ans.

Le monde nouveau dans lequel nous entrons a besoin d'idéeset de valeurs.

Une discussion à l'échelle tant locale que planétaire doitaider à la transition entre le monde bipolaire de la SecondeGuerre mondiale et le nouveau monde né de la décolonisation

et de la chute du mur de Berlin. B

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le Courrier->ítei UNESCOîlîlïï._.., \V.T=. 44* ANNEE

Mensuel publié en 35 langueset en braille

par l'Organisation des Nations Unies pourl'éducation, la science et la culture.

31. rue François Bonvin, 75015 Paris. France.

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Directeur : Bahgat ElnadiRédacteur en chef : Adel Rifaat

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Français : Alain Lévêque. Neda FI KhazenAnglais : Roy Malkin

Espagnol : Miguel Labarca. Araceli Ortiz de UrbmaEtudes et recherches : Fernando Ainsa

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Editions en braille (français, anglais, espagnol etcoréen) : Mane-Dominique Bourgeais (46.92)

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Russe : Alexandre Meimkov (Moscou)Allemand : Werner Merkli (Berne)

Arabe : El-Saïd Mahmoud El Sheniti (Le Caire)Italien : Mario Guidotti (Rome)

Hindi : Ganga Prasad Vimal (Delhi)Tamoul : M. Mohammed Mustafa (rV'adras)

Persan : H Sadough Vanini (Téhéran)Néerlandais : Paul Morren (Anvers)

Portugais : Benedicto Silva (Rio de Janeiro)Turc : Mefra llgazer (Istanbul)

Ourdou : Wall Mohammad Zaki (Islamabad)Catalan : Joan Carreras i Marti (Barcelone)

Malais : Azizah Hamzah (Kuala Lumpur)Coréen : Yi Tong-ok (Séoul)

Kiswahili : Leonard J. Shuma (Dar-es-Salaam)Croato-serbe, Macédonien, Serbo-croate,

Slovène : Blazo Krstajic (Belgrade)Chinois : Shen Guofen (Beijing)Bulgare : Goran Gotev (Sofia)

Grec : Nicolas Papageorgiou (Athènes)

Cinghalais : S.J. Sumanasekera Banda (Colombo)Finnois : Marjatta Oksanen (Helsinki)Suédois : Manni Kossler (Stockholm)

Basque : Gurutz Larrañaga (San Sebastian)Vietnamien : Do Phuong (Hanoi)

Pachto : Zmarai Mohaqiq (Kaboul)

Haoussa : Habib Alhassan (Sokoto)

Sangla : Abdullah A. M. Sharafuddin (Dacca)Ukrainien : Victor Stelmakh (Kiev)

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VENTES ET PROMOTION

Assistante: Marie-Noëlle Branct (45.89).

Abonnements : Marie-Thérèse Hardy (45.65). Jocelyre

Despouy. Alpha Diakité, Jacqueline Louise-Julie.

M.'imchan Ngonekeo. Michel Ravassard. MichelleRobi lard, Mohamed Salan El Din. Sylvie Van Rijscwijk,

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IMPRIMÉ LN FRANCE iPnnted m France)DEPOT LEGAL : Cl NOVEMBRE 1991

COMMISSION PARITAIRE Nu 7 184? DIFFUSÉ PAR LLS N.M P.=Photocomposition Le Courrier de l'UNESCO

Ph otegravureimpress on Maury-lmprimeur S.A..Z.I. route d'Etampes, ¿15330 Malesnerne«.

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Notre prochain numéro(acerare M)

tun pour theme :

Le lieu : l'Andalousie musulmane,

Le tempi : il j a plus i'un millénaire,Trois cultures s'épanouissent ensemhle et s'enrichissent mutuellement: l'islamique,

la chrétienne et la juive. Un moment unique ie la conscience universelle, entrel'Antiquité grecque et la Renaissance européenne,

Et un entretien exceptionnel avec

Màm Mercouri

ISSN 0304-31 18 N° 11 1991 OPI 91 -5 493 F

Ci numéro comprend 52 pages et deux encarts de 4 pagesSitués entre les pages 10-1 1. 26-27 et 42-43

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28, 30 en haut, 32, 34, 35, 40-41 en haut : © Mark Edwards/Still Pictures, Londres. Page 16 : UNDP - Sid Kane. Pages 16-17

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Children's Art, Oslo. Pages 36, 38-39 : UNESCO - Ishwaran. Page 37 en haut : Kimura © ANA, Paris. Page 37 en bas :

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