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www.takiwasi.org Centre de RĂ©habilitation de Toxicomanes et de Recherche sur les MĂ©decines Traditionnelles ProlongaciĂłn Alerta NÂș 466. Tel. +51‐(0)42‐52 2818 – Fax +51‐(0)42‐ 52 5479 Tarapoto – PĂ©rou 1 Esprit des plantes et des animaux : Berceau de la naissance de l'individu DR. JACQUES MABIT MĂ©decin, fondateur du Centre Takiwasi Transcription littĂ©rale, revue et corrigĂ©e, de la ConfĂ©rence donnĂ©e par le Dr Jacques Mabit Ă  IdĂ©ePsy, Paris, le 10 septembre 2003. Introduction Bonjour et merci d'ĂȘtre venus aussi nombreux : c'est trĂšs sympathique. D’abord je dois dire que je me suis fourvoyĂ© complĂštement. On m'a demandĂ© de faire une confĂ©rence dans le cadre du thĂšme « Inconscient collectif et inconscient individuel » et j'ai acceptĂ© vu l’intĂ©rĂȘt du sujet. J’ai mĂ©ditĂ© alors sur l’abord Ă  proposer et j’ai pensĂ© que dans le cadre de mon travail en Amazonie pĂ©ruvienne, il y avait beaucoup Ă  dire sur la symbolique des animaux, sur tout ce qu’ils reprĂ©sentent et qui touche autant l'inconscient individuel que l'inconscient collectif. J’ai alors proposĂ© le titre de cette intervention : « Esprit des plantes et des animaux, berceau de la naissance de l’individu » Puis quand j'ai commencĂ© Ă  approfondir le sujet pour prĂ©parer cette causerie, je me suis rendu compte que le sujet s’avĂ©rait trĂšs difficile et m'obligeait Ă  franchir des frontiĂšres, Ă  explorer de nouveaux territoires. En effet, je me retrouve dans la situation d'un occidental moyen qui a dĂ» faire face Ă  des phĂ©nomĂšnes tout Ă  fait inattendus. MĂ©decin gĂ©nĂ©raliste spĂ©cialisĂ© en mĂ©decine tropicale, je ne suis pas un technicien de la physique quantique, de la biologie molĂ©culaire ou d’autres disciplines scientifiques de pointe. Je possĂšde une culture mĂ©dicale scientifique moyenne. En fait, je crois ĂȘtre dans la situation de beaucoup d'occidentaux qui, dans une Ă©poque bouleversante et bouleversĂ©e, ont dĂ» intĂ©grĂ© de nombreux phĂ©nomĂšnes nouveaux en disposant de relativement peu d’instruments et schĂ©mas conceptuels pour ce faire. Comment situer des expĂ©riences personnelles aussi inhabituelles que celles des Ă©tats modifiĂ©s de conscience et des phĂ©nomĂšnes para-normaux dans un cadre comprĂ©hensible d’abord Ă  soi-mĂȘme et ensuite transmissible Ă  d’autres ? Comment partager ces vĂ©cus hors-norme avec des personnes qui n’ont pas eu forcĂ©ment ces mĂȘmes expĂ©riences ? J’éprouve donc le besoin de vous dire Ă  l'avance que je suis un petit peu nerveux ce soir parce que je ne suis jamais parti en public sur un territoire aussi incertain. Je me propose donc, en quelque sorte, de penser Ă  haute voix, rĂ©flĂ©chir Ă  haute voix, sans avoir la prĂ©tention de dicter une confĂ©rence de style trĂšs acadĂ©mique. Je vais simplement essayer d'interprĂ©ter quelques expĂ©riences qui sont miennes, de signaler des cohĂ©rences pour situer des phĂ©nomĂšnes tout Ă  fait Ă©tonnants qui parfois trouvent difficilement leur place notre cadre mental conventionnel. J'ai choisi les animaux parce qu’ils ont Ă  mon sens un rapport avec l'ĂȘtre humain qui est un rapport d'animation. Les plantes sont dĂ©jĂ  beaucoup moins animĂ©s, elles ne marchent pas beaucoup, elles ne courent pas beaucoup et les minĂ©raux encore moins. On se sent spontanĂ©ment plus proche des animaux, presque en famille : ça bouge, c'est animĂ©, il y a de l'Ăąme et il y a quelque part de l'esprit. Dans ce sens lĂ , je pense que les animaux nous permettent de rentrer davantage dans ce rapport d'intimitĂ© avec les forces de la nature qui souvent en occident ne sont plus parlantes. Et mĂȘme si l’on ne vit pas en pleine Amazonie, on peut dĂ©velopper une intimitĂ© avec les chevaux, les chats, les chiens, les mĂ©sanges ou les moineaux du jardin public. Cette expĂ©rience partagĂ©e par tous Ă  divers degrĂ©s nous fournit une base expĂ©rimentale commune Ă  partir de laquelle ce que je vais vous dire pourra Ă©ventuellement trouver des rĂ©sonances.

Esprit des plantes et des animaux Berceau de la naissance

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Esprit des plantes et des animaux : Berceau de la naissance de l'individu

DR. JACQUES MABIT

MĂ©decin, fondateur du Centre Takiwasi

Transcription littérale, revue et corrigée, de la Conférence donnée par le Dr Jacques Mabit à IdéePsy, Paris, le 10 septembre 2003.

Introduction Bonjour et merci d'ĂȘtre venus aussi nombreux : c'est trĂšs sympathique. D’abord je dois dire que je me suis fourvoyĂ© complĂštement. On m'a demandĂ© de faire une confĂ©rence dans le cadre du thĂšme « Inconscient collectif et inconscient individuel » et j'ai acceptĂ© vu l’intĂ©rĂȘt du sujet. J’ai mĂ©ditĂ© alors sur l’abord Ă  proposer et j’ai pensĂ© que dans le cadre de mon travail en Amazonie pĂ©ruvienne, il y avait beaucoup Ă  dire sur la symbolique des animaux, sur tout ce qu’ils reprĂ©sentent et qui touche autant l'inconscient individuel que l'inconscient collectif. J’ai alors proposĂ© le titre de cette intervention : « Esprit des plantes et des animaux, berceau de la naissance de l’individu » Puis quand j'ai commencĂ© Ă  approfondir le sujet pour prĂ©parer cette causerie, je me suis rendu compte que le sujet s’avĂ©rait trĂšs difficile et m'obligeait Ă  franchir des frontiĂšres, Ă  explorer de nouveaux territoires. En effet, je me retrouve dans la situation d'un occidental moyen qui a dĂ» faire face Ă  des phĂ©nomĂšnes tout Ă  fait inattendus. MĂ©decin gĂ©nĂ©raliste spĂ©cialisĂ© en mĂ©decine tropicale, je ne suis pas un technicien de la physique quantique, de la biologie molĂ©culaire ou d’autres disciplines scientifiques de pointe. Je possĂšde une culture mĂ©dicale scientifique moyenne. En fait, je crois ĂȘtre dans la situation de beaucoup d'occidentaux qui, dans une Ă©poque bouleversante et bouleversĂ©e, ont dĂ» intĂ©grĂ© de nombreux phĂ©nomĂšnes nouveaux en disposant de relativement peu d’instruments et schĂ©mas conceptuels pour ce faire. Comment situer des expĂ©riences personnelles aussi inhabituelles que celles des Ă©tats modifiĂ©s de conscience et des phĂ©nomĂšnes para-normaux dans un cadre comprĂ©hensible d’abord Ă  soi-mĂȘme et ensuite transmissible Ă  d’autres ? Comment partager ces vĂ©cus hors-norme avec des personnes qui n’ont pas eu forcĂ©ment ces mĂȘmes expĂ©riences ? J’éprouve donc le besoin de vous dire Ă  l'avance que je suis un petit peu nerveux ce soir parce que je ne suis jamais parti en public sur un territoire aussi incertain. Je me propose donc, en quelque sorte, de penser Ă  haute voix, rĂ©flĂ©chir Ă  haute voix, sans avoir la prĂ©tention de dicter une confĂ©rence de style trĂšs acadĂ©mique. Je vais simplement essayer d'interprĂ©ter quelques expĂ©riences qui sont miennes, de signaler des cohĂ©rences pour situer des phĂ©nomĂšnes tout Ă  fait Ă©tonnants qui parfois trouvent difficilement leur place notre cadre mental conventionnel. J'ai choisi les animaux parce qu’ils ont Ă  mon sens un rapport avec l'ĂȘtre humain qui est un rapport d'animation. Les plantes sont dĂ©jĂ  beaucoup moins animĂ©s, elles ne marchent pas beaucoup, elles ne courent pas beaucoup et les minĂ©raux encore moins. On se sent spontanĂ©ment plus proche des animaux, presque en famille : ça bouge, c'est animĂ©, il y a de l'Ăąme et il y a quelque part de l'esprit. Dans ce sens lĂ , je pense que les animaux nous permettent de rentrer davantage dans ce rapport d'intimitĂ© avec les forces de la nature qui souvent en occident ne sont plus parlantes. Et mĂȘme si l’on ne vit pas en pleine Amazonie, on peut dĂ©velopper une intimitĂ© avec les chevaux, les chats, les chiens, les mĂ©sanges ou les moineaux du jardin public. Cette expĂ©rience partagĂ©e par tous Ă  divers degrĂ©s nous fournit une base expĂ©rimentale commune Ă  partir de laquelle ce que je vais vous dire pourra Ă©ventuellement trouver des rĂ©sonances.

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Pour commencer, je voudrais vous raconter tout de suite une anecdote qui peut illustrer le sujet. Il s’agit d’une histoire personnelle qui a eu lieu tout Ă  fait au dĂ©part de mon itinĂ©raire en Amazonie. Elle a bouleversĂ© pas mal de choses en moi. J'ai eu beaucoup de mal Ă  l'intĂ©grer et je ne sais pas si elle est encore complĂštement intĂ©grĂ©e. L'inconnu et le mystĂšre autour de ce vĂ©cu me questionnent toujours. J'Ă©tais alors depuis deux ans dĂ©jĂ  Ă  l’école des guĂ©risseurs amazoniens. Sur leur conseil, j’expĂ©rimentais les plantes, passage obligatoire pour l’apprentissage. Vous savez sans doute que la plante centrale initiatique du chamanisme amazonien occidental est la fameuse liane. Il s’agit en fait d’une dĂ©coction d’un mĂ©lange de plantes associĂ©es Ă  la liane et aux effets visionnaires. Je prenais rĂ©guliĂšrement l’ayahuasca avec les guĂ©risseurs et ils m’avaient autorisĂ© Ă  commencĂ© Ă  prendre seul. Lors d’une de ces sessions j’avais vu le vieux maĂźtre indien qui me guidait Ă  l’époque, Don Aquilino, et qui me demandait dans cette vision d’aller le voir pour « me donner quelque chose » qui allait m’aider. Ayant appris Ă  faire cas de ces visions, je suis allĂ© le voir dans le petit village de Chazuta, Ă  quelques heures de Tarapoto oĂč je vis. A mon arrivĂ©e, ce vieil homme-aigle, me demande de prendre mon enregistreur pour me « donner un chant ». Il a ajoutĂ© : « ce chant-lĂ  va te protĂ©ger et tu pourras l’utiliser quand tu te sentiras en danger ». Je l'ai enregistrĂ©. Ce soir-lĂ , je prenais l’ayahuasca sans guĂ©risseur. Une premiĂšre prise d’ayahuasca ne produit aucun effet. Une seconde prise n’a pas plus de succĂšs, ce qui devenait Ă©tonnant et me laissait supposer qu’au-delĂ  d’un effet pharmacologique pur qui aurait dĂ» se produire, d’autres facteurs Ă©taient en jeu qui bloquaient le processus. Je me risque alors Ă  une troisiĂšme prise, et l’effet cumulĂ© des trois prises m’a soudain envahi. Finalement, je me suis retrouvĂ© dans une situation un peu difficile avec une intensitĂ© visionnaire qui devenait ingĂ©rable. Je me suis alors souvenu de ce chant enseignĂ© par Don Aquilino. J'ai essayĂ© tant bien que mal, dans mon ivresse, de trouver mon matĂ©riel, installer la cassette dans le magnĂ©tophone et ensuite la dĂ©rouler dans le bon sens, ce qui reprĂ©sente un exploit dans ce genre de situation. J’ai pu enfin Ă©couter le chant du vieux maĂźtre.. et je me suis rendu compte tout-Ă -coup qu’en surimposition Ă  son chant, je l’entendais me parler distinctement. Il me disait : « mets-toi la tĂȘte sous l'eau ». Je n'ai pas pris cela trĂšs au sĂ©rieux, je me demandais si c’était une construction mentale et je ne me voyais pas allant me doucher Ă  cette heure-lĂ  de la nuit et au milieu d’une session d’ayahuasca. Les effets continuaient avec la mĂȘme intensitĂ© et je dĂ©cide de remettre la cassette. J'ai entendu alors la voix grondante et mĂ©contente d’Aquilino m’invectiver : « c’est la deuxiĂšme fois que je te le dis : mets-toi la tĂȘte sous l'eau! » Cette fois-ci plus d’hĂ©sitation, j’ai obĂ©i et Ă  ma grande surprise j'ai senti que, la tĂȘte sous l’eau, je me transformais en aigle. Mon corps prenait intĂ©rieurement une structure d’aigle et j’étais envahi par des sensations psychiques et des perceptions que je ressentais comme Ă©tant celles de cet animal. Il me semblait que ma posture, mon ossature, mon regard, mes mouvements de tĂȘte appartenaient Ă  cet oiseau. C'Ă©tait une expĂ©rience extraordinaire, bouleversante, merveilleuse. DĂšs que je retirais la tĂȘte de l'eau, j'Ă©tais Ă  nouveau envahi de perturbations mentales Ă  cause de l’intensitĂ© agitĂ©e des visions. Le vĂ©cu de cette session s’est prolongĂ© finalement sur 3 nuits avec de nombreuses visions et Ă©tapes dans le processus psychique de retour Ă  la conscience ordinaire. Un deuxiĂšme animal a participĂ© aussi de cette aventure. En effet, quelque temps auparavant, dans une autre sĂ©ance avec l'ayahuasca, une vision m’indiquait que j’allais trouver un petit perroquet vert avec une tache jaune au milieu du front et qu’il faudrait le garder et qu’il m’accompagne comme protecteur pendant la session. Pour moi, occidental, toutes ces indications Ă©taient assez bouleversantes parce qu’il n’allait pas de soi d’accepter ces informations comme consistantes et de ne pas les attribuer Ă  des phĂ©nomĂšnes psychiques imaginaires. Cependant, j'avais dĂ©cidĂ© en me lançant dans cette aventure de ne pas me rĂ©fugier dans un rationalisme rĂ©ducteur afin de ne pas oblitĂ©rer ce qui pouvait y avoir de certain dans ce que me disaient les guĂ©risseurs. En somme j’avais pris le parti d'accepter ce qui viendrait sans esprit critique immĂ©diat, quitte Ă  procĂ©der de temps en temps Ă  un bilan de ma situation, une Ă©valuation de la cohĂ©rence de mon vĂ©cu et des progrĂšs dans ma comprĂ©hension de ces pratiques. SynchronicitĂ© aidant, je trouve le perroquet avec une tĂąche jaune au front lors d’une visite au marchĂ© d’Iquitos. Je l’acquiers et dĂ©sormais il fait partie de toutes mes sessions d’ayahuasca. Je le porte sur l’épaule ou la tĂȘte et il fait tellement partie du dĂ©cor, de mon personnage que je finis par oublier sa prĂ©sence.

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Pendant cette session qui s’est finalement prolongĂ©e trois jours et trois nuits, ce petit oiseau restera constamment avec moi, mĂȘme lorsque j’avais la tĂȘte sous l’eau. Vous pouvez vous imaginez qu’aprĂšs ces trois jours Ă  un niveau de conscience de trĂšs forte intensitĂ©, avec quantitĂ© de visions et une activitĂ© psychique continue, je finis par ressentir un complet Ă©puisement physique et psychique. Au petit matin du troisiĂšme jour, je me suis allongĂ© sur le sol, il faisait trĂšs chaud et je n'avais plus qu'une envie : dormir. J'avais Ă©puisĂ© mon intĂ©rĂȘt pour l'ayahuasca, pour le chamanisme, pour les visions, je voulais plus rien d’autre que dormir. AllongĂ© sur le sol, mon petit perroquet qui Ă©tait toujours lĂ  s'est alors mis Ă  tourner autour de moi avec la dĂ©marche agitĂ©e de Charlot. Et tout-Ă -coup, s’approchant de ma tĂȘte, il m'a donnĂ© un coup de bec sur le lobe de l'oreille droite. InstantanĂ©ment j'ai vu ma main gauche se lever toute seule sans que je ne commande quoi que ce soit, passer derriĂšre ma tĂȘte, saisir mon menton par le cĂŽtĂ© droit et le tirer d’un mouvement sec : mon cou a craquĂ© comme si quelque vertĂšbre se remettait en place. Je suis devenu le spectateur Ă©bahi d’un Ă©trange ballet : chaque fois que le perroquet Ă©mettait un ordre, soit par un coup de bec sur une partie de mon corps, soit en Ă©mettant un cri particulier, soit en dĂ©ployant une l'aile et la frottant de l’extrĂ©mitĂ© contre une partie de mon corps, Ă  chaque fois cela dĂ©clenchait une posture particuliĂšre ou des mouvements spĂ©cifiques de mon corps. Toute ma colonne et mes articulations ont craquĂ© tout Ă  tour. Je sentais mes Ă©nergies reprendre place. Je n’ai jamais pratiquĂ© de yoga et ces postures m’étaient parfaitement inconnues et mĂȘme aujourd’hui je serais bien incapable de les reproduire. Tout cela a pu durer deux Ă  trois heures. J’étais fascinĂ©, je ne pouvais en croire mes yeux. J'Ă©tais en train d'assister Ă  quelque chose de trĂšs Ă©tonnant. Quand tout cela a Ă©tĂ© terminĂ© et mon perroquet s’est mis au repos, j'Ă©tais en pleine forme, ma fatigue avait complĂštement disparue, je me sentais parfaitement bien. Face Ă  une telle expĂ©rience, on peut conclure que j’ai rĂȘvĂ© ou que j’ai hallucinĂ© de façon Ă  dĂ©nier des phĂ©nomĂšnes qui provoquent notre rationalitĂ©. Et la discussion s’arrĂȘte-lĂ , se pĂ©trifiant sur un statu quo de dĂ©nĂ©gation des faits. Mais, si comme moi vous acceptez la vĂ©racitĂ© de cette expĂ©rience, un vaste questionnement s’ouvre ! Que s’est-il passĂ© avec ces animaux, avec l'aigle Ă  l'intĂ©rieur, avec le perroquet extĂ©rieur ? Quelle intelligence s'est exprimĂ©e ? Dans quel ordre de rĂ©alitĂ© ces choses ont-elles eu lieu ? Quelle correspondance entre les phĂ©nomĂšnes extĂ©rieurs et l'univers intĂ©rieur ? Quel sens cela a-t-il dans une dĂ©marche d'Ă©volution personnelle ? Comment comprendre, quand on a fait des Ă©tudes de mĂ©decine classique, qu'un perroquet puisse prendre les commandes d’un corps humain ? Comment accepter que le chaman parle Ă  travers un chant enregistrĂ© ? Comment suis-je passĂ© du malaise au grand repos grĂące Ă  un perroquet ? Cela casse de tous les schĂ©mas, il n'y a apparemment plus rien qui ne tienne. Notre vision du monde demande Ă  ĂȘtre rĂ©visĂ©e car ce genre d’évĂšnements n’y trouve pas sa place. Par chance, ma formation mĂ©dicale est d'abord une formation pragmatique. La premiĂšre attitude sensĂ©e d’un scientifique consiste Ă  accepter le fait qu’il constate mĂȘme s’il n’en a pas les clĂ©s explicatives. Or ces faits, en dehors de la sphĂšre subjective, embrassent aussi des Ă©vĂšnements physiques concrets et palpables, constatĂ©s par des tiers puisque 6 autres personnes Ă©taient prĂ©sentes. ModĂšles de cohĂ©rence possibles Il me semble que pour lire ces phĂ©nomĂšnes inhabituels et y discerner un sens, il est nĂ©cessaire de trouver dans nos propres modĂšles de comprĂ©hension du monde des propositions qui soient cohĂ©rentes avec ces Ă©vĂšnements. Quels sont les espaces de notre rĂ©flexion moderne, occidentale, dans lesquels ce genre d'expĂ©rience trouve un certain degrĂ© de cohĂ©rence ? Quelles approches du rĂ©el pourrait rendre pertinent pour nous le discours et l’expĂ©rience des guĂ©risseurs amazoniens ? Je me suis plu Ă  inventorier quelques propositions de ce genre et voir en quoi elle font Ă©cho, ne serait-ce que de maniĂšre analogique, avec la cosmogonie indienne et ses manifestations telles que je les ai expĂ©rimentĂ©es. Neuro-physiologie

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Prenons l’exemple de la neurophysiologie. Les visions d’ayahuasca sont comme des rĂȘves mais oĂč le sujet est conscient et en partie protagoniste actif de son rĂȘve. Il est dans un ordre de perception qui serait comme celui signalĂ© par le neuro-physiologiste britannique Richard Gregory, qui dĂ©crit les perceptions comme des hallucinations contrĂŽlĂ©es. La perception de l’illusion possible dĂ©finit aussi automatiquement un espace de non-illusion, car si tout est illusion, le mot illusion perd son sens et disparaĂźt aussi. Il signale par ailleurs que le cerveau n’est pas orientĂ© vers la connaissance mais vers la survie. La perception selon lui requiert d’un type de croyance ou prĂ©supposĂ© car nous percevons par contraste. La vue par exemple se fait par des micro-mouvements trĂšs rapides et involontaires. Si les yeux Ă©taient fixes, les constants stimuli de changement disparaĂźtraient et l’on perdrait la perception de la rĂ©alitĂ©. Juste l’opposĂ© du serpent qui a un Ɠil non mobile et ne voit plus la proie immobile. Et non seulement nous avons, nous, la possibilitĂ© de percevoir les mouvements mais en plus nous provoquons ces mouvements Ă  de trĂšs grande vitesse ce qui nous permet de concevoir plutĂŽt que de voir. Mais c'est en fait toujours par contraste et par comparaison.

Toute la rĂ©alitĂ© que nous percevons est donc filtrĂ©e par notre observation et nous interprĂ©tons constamment le rĂ©el. Nous transformons les images au niveau de l'Ɠil puis les codifions dans le systĂšme optique pour qu’elles soient dĂ©codifiĂ©es de nouveau au niveau du cortex occipital. En fait ce que nous voyons, n'est pas forcĂ©ment « la » rĂ©alitĂ© mais une traduction humaine du rĂ©el. La puce, la mouche, le renard ou l’aigle voient certainement la rĂ©alitĂ© d'une tout autre façon que la nĂŽtre. Cependant, nous n’en sommes pas fous pour autant parce que nous exerçons un contrĂŽle sur ces perceptions. Richard GrĂ©gory suggĂšre donc que notre saisie du rĂ©el peut s’exercer grĂące Ă  des prĂ©supposĂ©s et que ceux-ci sont de deux ordres : biologiques mais aussi culturels. Nous sommes, dit-il, dotĂ©s de structures biologiques internes qui correspondent et sont cohĂ©rentes avec le monde extĂ©rieur. On appelle ces structures cohĂ©rentes des « graphes neuroniques ». Ainsi, quand nous voyons une rĂ©alitĂ© sensible, elle entre en rĂ©sonance avec notre structure biologique interne et c'est en fait cette rĂ©sonance que nous reconnaissons. Les prĂ©supposĂ©s culturels dĂ©pendent du contexte humain dans lequel nous avons Ă©tĂ© formĂ©s. A ce niveau aussi nous ne reconnaissons que ce que nous connaissions avant. Certains indiens d’Amazonie identifient 6 ou 7 nuances de vert oĂč nous n’en voyons que 2 ou 3. Cet exemple concernant le champ visuel, peut ĂȘtre repris pour les autre sens. Notre perception de la rĂ©alitĂ© est une perception par comparaison et cette comparaison se fait par rapport Ă  des prĂ©supposĂ©s. Donc, par extension on pourrait considĂ©rer que aussi bien la vision diurne habituelle que les visions d’ayahuasca ou les rĂȘves sont des perceptions hallucinĂ©es de vĂ©ritĂ©s plus ou moins sensibles, plus ou moins denses, plus ou moins matĂ©rielles. Le perroquet est de l’ordre le plus dense et concret mais il n’en n’est pas moins « hallucinĂ© ». La vision d’ayahuasca a Ă©videmment un support matĂ©riel plus tĂ©nu mais non moins de cohĂ©rence par rapport Ă  des structures physiologiques et mondes psychiques intĂ©rieurs. Analyse structurale des rĂȘves Un autre domaine de recherche qui peut nous fournir d’autres cohĂ©rences est celui de l'analyses structurale des rĂȘves. Le rĂȘve est le processus naturel qui semble s’approcher le plus de ce que sont les visions d'ayahuasca ou celles induites par l’ingestion de certaines plantes lors des isolements initiatiques en forĂȘt que l’on peut qualifier de « rĂȘves Ă©veillĂ©s ». Les guĂ©risseurs appellent « diĂštes » ces moments de retraite qui exigent certaines conditions particuliĂšres, rituelles et alimentaires. L’analyse structurale des rĂȘves telle que prĂ©sentĂ©e par Marie-Françoise Maunaury nous offre quelques pistes intĂ©ressantes. Le rĂȘve est dĂ©fini ici comme « le discours d’un systĂšme vivant humain qui s’auto dĂ©crit dans divers Ă©tats de croissance, de rĂ©organisation, de complexification et d’autorĂ©paration ». Cette hypothĂšse est alors applicable au matĂ©riel visionnaire produit par l’ayahuasca qui en plus introduirait la conscience active du sujet qui ne dort pas. C’est-Ă -dire que le sujet assiste Ă  une rĂ©organisation spontanĂ©e de son systĂšme de cohĂ©rence interne

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et de plus en devient le protagoniste. En d’autres termes, il apprend Ă  se rĂ©organiser en observant les mĂ©canismes rĂ©parateurs qui opĂšrent devant ses yeux. La session d’ayahuasca devient alors une leçon d’auto-thĂ©rapie et le sujet la vit comme un enseignement magistral. Cela est tout Ă  fait en accord avec le qualificatif de « maestra » (maĂźtresse) attribuĂ© par les guĂ©risseurs Ă  l’ayahuasca. Il est habituel d’entendre les participants Ă  une session formuler spontanĂ©ment le bilan de leur vĂ©cu en disant « j’ai appris telle et telle chose ». L'auto rĂ©paration peut aussi permettre, au sein de la complexification croissante de notre existence, d'intĂ©grer de nombreuses informations en les simplifiant et ainsi en clarifiant le mental. Or, quand on travaille sur les rĂȘves, et tout le monde peut en faire l'expĂ©rience, l'intentionnalitĂ© du sujet constitue une donnĂ©e fondamentale. Comme le dit Maunaury, « l’intention de recherche du rĂȘveur introduit l’approche cohĂ©rente du phĂ©nomĂšne en-deçà de sa genĂšse ». DĂšs que vous dĂ©cidez de prĂȘter attention Ă  vos rĂȘves, ils deviennent plus nombreux, mieux mĂ©morisĂ©s et surtout ils montrent une cohĂ©rence particuliĂšre qui n'existait pas auparavant. C'est-Ă -dire que comme dans tout systĂšme d'information, pour faire croĂźtre l’information globale, il doit y avoir une intentionnalitĂ© prĂ©alable. Autrement dit, si vous avez le dĂ©sir de mieux comprendre votre vie, d'obtenir davantage de bien-ĂȘtre, d'ouverture, de savoir, cette intentionnalitĂ© est opĂ©ratoire. Et cette intention-attention portĂ©e Ă  la rĂ©alitĂ© force donc cette rĂ©alitĂ© et la transforme dans un double sens. Elle transforme votre regard sur la rĂ©alitĂ© et elle transforme aussi cette rĂ©alitĂ© dans une interaction permanente entre le monde rĂ©el sensible et notre monde intĂ©rieur. Une autre cohĂ©rence s’établit-lĂ  avec des donnĂ©es de base de la physique quantique. En effet, la notion de sĂ©paration entre l’observateurs et l’observĂ© qui prĂ©vaut en physique classique et dans la pensĂ©e non relativiste, disparaĂźt dans la pensĂ©e relativiste. La sĂ©paration entre l'individu et ce qu'il observe est fictive Ă  ce niveau et Ă  partir du moment oĂč un individu observe un systĂšme quelconque, il s’y intĂšgre automatiquement et donc le transforme du seul fait de son observation. Donc, parler de rĂ©alitĂ© sensible extĂ©rieure, diffĂ©renciĂ©e et indĂ©pendante de l’observateur devient une incohĂ©rence dans le champ du raisonnement quantique. Le rĂȘve comme les visions d’ayahuasca appartiennent donc Ă  une forme de pensĂ©e relativiste et c’est pourquoi l’auto-description de nous-mĂȘmes comme systĂšme vivant se fait selon un langage analogique. Or, notre quotidien d’occidentaux moyens se situe presque exclusivement dans une prĂ©tention Ă  un contrĂŽle conscient du rĂ©el qui fonctionne encore dans une vision de causalitĂ© prĂ©-relativiste. Le matĂ©riel fournit par les visions d’ayahuasca posera alors, comme les rĂȘves, le problĂšme de l’intĂ©gration consciente dans notre vĂ©cu habituel. Il nous est en effet trĂšs difficile d’intĂ©grer dans notre quotidien la dimension relativiste alors que nos perceptions sont « lues » classiquement selon un modĂšle causaliste linĂ©aire et avec une flĂšche du temps clairement orientĂ©e du passĂ© vers le futur. Cependant que le rĂȘve ou la vision d’ayahuasca appartient Ă  cet Ă©ternel prĂ©sent oĂč des probables se dĂ©finissent. Cette inadĂ©quation entre ces deux ordres d’apprĂ©hension du rĂ©el sera prĂ©cisĂ©ment l’objet essentiel des rĂ©parations Ă  apporter aux sujets occidentaux qui se vivent de ce fait fractionnĂ©s, atomisĂ©s ou dissociĂ©s. Dans le mĂȘme temps, en symĂ©trie, la dĂ©marche scientifique se voit appelĂ©e Ă  renouveler son langage. Le discours scientifique, paradoxalement, fait un usage croissant de mĂ©taphores parce que le langage catĂ©goriel, sec et dur, est inapte Ă  rendre compte avec un degrĂ© satisfaisant de cohĂ©rence des donnĂ©es nouvelles de l’expĂ©rience. Pour certaines fonctions des particules Ă©lĂ©mentaires, les physiciens parlent de « charme » par exemple et il est assez amusant de voir que ce sont les scientifiques eux-mĂȘmes qui reviennent Ă  l'utilisation de mĂ©taphores comme instruments mieux adaptĂ©s Ă  la description du rĂ©el. La dimension quantique, sub-atomique, intervient Ă  un troisiĂšme niveau d’organisation du rĂ©el, en deçà du niveau d’information molĂ©culaire puis atomique. Ces trois Ă©tages sont repĂ©rables dans de nombreux systĂšmes d’information dont les cohĂ©rences se rĂ©pondent en Ă©cho. D’emblĂ©e, je positionnerai la cohĂ©rence du chamanisme en rĂ©sonance avec ce niveau quantique ou sub-atomique. L’abord du savoir ancestral ne suppose donc pas une attitude rĂ©trograde qui nous ferait rĂ©trocĂ©der dans une espĂšce d’obscurantisme moyenĂągeux et superstitieux, mais au contraire un saut en avant oĂč les connaissances empiriques des anciens

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viennent Ă  coĂŻncider parfaitement avec les derniĂšres dĂ©couvertes post-modernes et oĂč les deux ordres de savoir s’informent et s’enrichissent mutuellement. L'intĂ©gration des informations, quand elle est simplement corticale, correspond Ă  la vision molĂ©culaire du rĂ©el. C’est le cas en mĂ©decine allopathique par exemple oĂč prĂ©domine la pensĂ©e duelle, la prioritĂ© du mental sur un corps-objet instrumentalisĂ©, l’intĂ©gration au niveau cortical. C’est le cerveau du mammifĂšre supĂ©rieur qui est sollicitĂ© et opĂšre selon un mode de pensĂ©e linĂ©aire, rationnelle, causaliste, horizontale. Les tentatives d’intĂ©gration des informations se font Ă  partir du logos, du discours raisonnant, avec une quĂȘte de la « gnosis » comme un savoir cumulatif. La mĂ©decine conventionnelle dite classique et qui impose encore actuellement ses postulats se situe dans ce cadre-lĂ . Le domaine sous-jacent ne correspond non plus au niveau molĂ©culaire mais au niveau atomique. Il concerne le cerveau des mammifĂšres infĂ©rieurs, Ă  l’intĂ©gration des affects. Sa prise en compte en pathologie induit des approches thĂ©rapeutiques psychoaffectives et psycho corporelles. La distance se rĂ©duit entre le corps et le mental par l’intermĂ©diation du champ Ă©motionnel, affectif. Le langage sort d’une stricte linĂ©aritĂ© et laisse Ă©merger des formes du sub-conscient qui s’expriment dĂ©jĂ  dans un langage mĂ©taphorique, trans-rationnel. C’est le lieu de crĂ©ation des mythes, des lĂ©gendes, de la poĂ©sie
 La psychĂ© n’est plus que logos mais devient aussi praxis, elle trouve Ă  s’incarner, Ă  s’intĂ©grer au moyen des Ă©motions actualisĂ©es, du vĂ©cu au quotidien et non plus simplement de l’activitĂ© mentale. Le patient n’est plus un corps-objet passif qu’on explore, il est sollicitĂ© activement comme co-participant Ă  sa propre guĂ©rison. Le corps se met Ă  parler et la notion de mĂ©decine Ă©nergĂ©tique se fait jour.

Je crois que tout le monde dans cette salle a dĂ©jĂ  plus ou moins explorĂ© et intĂ©grĂ© les informations en provenance des ces deux ordres de cohĂ©rence. Il existe cependant un troisiĂšme niveau d’organisation ou champ du rĂ©el qui correspondrait spĂ©cifiquement au domaine quantique et rĂ©pondrait le plus justement aux attributions des « pratiques chamaniques » pour leur mettre une Ă©tiquette. Cette vision du monde, du rĂ©el, inclut inĂ©vitablement la dimension existentielle, celle du sens. Elle fait appel au vĂ©cu sĂ©mantique ou encore au champ du spirituel, porteur de d’une cohĂ©rence transcendante, celle du Sens. Elle opĂšre au niveau du cerveau reptilien qui met en jeu l'inconscient profond, ce que je dĂ©signe par « somatique profonde » puisque cette fois, l’expression analogique s’exprime et s’identifie au niveau-mĂȘme du corps. Le discours est relativiste, mĂ©taphorique et non seulement niveau du contenu mais aussi de ses expressions formelles Ă  travers une codification mĂ©lodique tout Ă  fait spĂ©cifique. C'est le cas par exemple des chants chamaniques, appelĂ©s chants sacrĂ©s ou ikaros qui reprĂ©sentent des structures Ă©nergĂ©tiques particuliĂšres. Tous les langages rituels montrent une codification particuliĂšre. Chez les moines bouddhistes de ThaĂŻlande, j’ai pu participer Ă  des rituels en pali, langue qu’ils n’utilisent que dans leurs rituels. Dans le monde chrĂ©tien, le latin joue une fonction toute particuliĂšre qui s’inscrit dans l’ordre du sacrĂ©. Comme pour les chants amazoniens, peu importe si on ne comprend pas le sens des mots, ceux-ci demeurent opĂ©ratoires par leur structure sonore et la « charge » dont ils sont transmetteurs. C’est-Ă -dire qu’ils parlent au cerveau analogique mĂȘme si le cerveau cortical n’y comprend goutte. Ici, l'intĂ©gration des informations se fait par les structures somatiques les plus profondes et aussi les plus subtiles qui correspondent aux mĂ©moires somatiques. Nous avons dĂ©passĂ© les fonctions liĂ©es Ă  la gnosis et Ă  la praxis pour accĂ©der Ă  celles associĂ©es de la mnĂ©sis. Nous atteignons le lieu des engrammations de l’inconscient profond. Ces mĂ©moires enregistrĂ©es dans notre soma Ă  un niveau sub-atomique embrassent diffĂ©rents niveaux. En premier lieu, bien Ă©videmment celle qui correspond Ă  la saisie de notre biographie individuelle. Mais au-delĂ , notre corps garde souvenir des mĂ©moires ancestrales, transgĂ©nĂ©rationnelles nos parents, notre groupe humain d’origine
 L’expĂ©rience montre alors que nous pouvons ainsi remonter la chaĂźne Ă©volutive pour retrouver non seulement les informations liĂ©es Ă  notre humanitĂ© mais aussi Ă  notre part animale, puis organique et enfin inorganique
 Mais encore, notre mĂ©moire semble bifurquer Ă  moment donnĂ© en intĂ©grant Ă©galement des mĂ©moires spirituelles, des savoirs transcendants l’humain oĂč se retrouvent

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par exemple les grands mythes universels et les archĂ©types de ce que Jung considĂ©rait comme un inconscient collectif. Chaque homme serait donc porteur Ă  son insu de la mĂ©moire de tout l'univers. En d’autres termes, nous savons tout, sans le savoir. Il y a une instance en nous qui sait et que le cortex ignore. Donc tout le savoir de l'univers serait a priori contenu en nous et donc explorable Ă  partir de notre corps. Bien Ă©videmment cette approche s’inscrit dans un cadre quantique qui dĂ©passe le contexte des normes classiques du systĂšme euclidien tridimensionnel et ouvre sur un espace-temps Ă©largi. Les techniques chamaniques permettraient de se dĂ©placer Ă  l'intĂ©rieur de ce nouvel espace-temps. Une des fonctions des plantes psychoactives comme l’ayahuasca consisterait alors Ă  permettre une lecture consciente de ces archives somatiques, un accĂšs au savoir engrammĂ©. L’apprentissage des mĂ©decines chamaniques exige donc de partir du corps y inclut dans sa dimension la plus subtile afin d’intĂ©grer par l’expĂ©rience corporelle les nouvelles informations. Ces pratiques ne peuvent s’apprendre dans un livre ou par un abord extĂ©rieur. On peut apprendre la mĂ©decine classique dans un livre Ă  partir de la mĂ©morisation de donnĂ©es. La mĂ©decine psycho-corporelle supposent dĂ©jĂ  un abord du corps et de l’expression Ă©motionnelle. Les mĂ©decines appelĂ©es chamaniques, quantiques ou Ă©nergĂ©tiques exigent obligatoirement l’auto-expĂ©rimentation oĂč le sujet est Ă  la fois observateur et observĂ©, expĂ©rimentateur et laboratoire expĂ©rimental. Ce corps d’expĂ©rimentation implique ses structures profondes et au niveau du cerveau inclut la partie basale du cerveau ancien, archaĂŻque, le palĂ©o-cerebrum et aussi le systĂšme limbique. C’est le systĂšme nerveux autonome qui est ensuite engagĂ© Ă  travers ses deux branches complĂ©mentaires, sympathique et parasympathique, comme deux serpents entrelacĂ©s. La transmission des connaissances se fait donc de maniĂšre « expĂ©rientielle », expĂ©rimentale et existentielle Ă  la fois, c’est-Ă -dire simultanĂ©ment objective et subjective. A ce titre il est trĂšs inconfortable de parler devant un micro pour tenter de faire passer des notions qui demandent l'expĂ©rience directe. Donc ce langage analogique oĂč mĂ©taphorique se retrouve aussi bien dans les rĂȘves que dans les visions de l'ayahuasca et mĂȘme maintenant dans les disciplines oĂč la science est la plus poussĂ©e parce que tous ces espaces procĂšdent d’un mode de fonctionnement relativiste. Et bien entendu, la plupart des rĂȘveurs que nous sommes ignorent les principes et postulats quantiques, ce qui nous empĂȘche nullement de rĂȘver. Dans notre vie quotidienne, nous ne vivons absolument pas consciemment dans cette dimension-lĂ . Et je crois qu'un des grands problĂšmes dans notre sociĂ©tĂ© actuelle est prĂ©cisĂ©ment cette espĂšce de hiatus, de fossĂ© qui existe entre les connaissances thĂ©oriques qui sont Ă  notre disposition et notre vĂ©cu ordinaire au jour le jour. Notre quotidien se structure encore sur une pensĂ©e qui au mieux se remonte aux lois de la thermodynamique, c'est-Ă -dire qu'en gros nous avons un siĂšcle et demi Ă  deux siĂšcles de retard dans notre capacitĂ© d'intĂ©gration des informations. Notre horizon psychique commun et nos instruments de saisie du rĂ©el se trouvent tout Ă  fait inadaptĂ©s Ă  la mĂ©tabolisation efficace de la masse de donnĂ©es nouvelles qui nous assaillent chaque jour. Grosso modo, notre pensĂ©e actuelle se base sur le modĂšle de la thermodynamique et en particulier le deuxiĂšme principe, celui de l'entropie progressive. A savoir que tout systĂšme Ă©nergĂ©tique se dĂ©grade peu Ă  peu pour aller jusqu'Ă  la mort Ă©nergĂ©tique. Nous transposons facilement cela Ă  notre Ă©chelle humaine pour finalement admettre que tout Ă©volue vers la mort et que le passage du temps signifie approche de la mort. Nous nous vivons alors comme des machines rĂ©gulĂ©es par ces lois de l’entropie. Or, ces postulats se rĂ©vĂšlent tout Ă  fait inadĂ©quats et obsolĂštes dĂšs qu’on aborde les systĂšmes vivants. MĂȘme au niveau des systĂšmes complexes non vivants, les lois de la thermodynamique ne rendent plus compte du rĂ©el. Les connaissances actuelles de la science ne sont absolument pas intĂ©grĂ©es Ă  notre horizon quotidien bien que nous vivions Ă  l’intĂ©rieur de cette dimension quantique ne serait-ce que par la technologie de pointe dont nous nous servons chaque jour. Et je crains mĂȘme que nous n’ayons pas encore intĂ©grĂ© tout simplement les consĂ©quences de la rĂ©volution copernicienne. Nous savons tous au niveau cortical que ce n'est pas le soleil qui tourne autour de la terre mais que la terre qui tourne autour du soleil. Pourtant, le matin quand nous nous levons, c’est bien le soleil que nous voyons tourner autour de la terre
.personne n’a la sensation d’avancer Ă  vitesse vertigineuse dans l’espace. Le soleil Ă©tait lĂ  maintenant il est lĂ -bas, il a bien tournĂ©. Ce conflit permanent entre les sens et

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la raison donne toujours raison aux sens ! Le corps a besoin de percevoir pour que le savoir soit vĂ©ritable parce que le savoir profond est celui des engrammations somatiques, de l’inconscient profond. L’intĂ©gration sera facilitĂ©e dans un premier temps par la connotation Ă©motionnelle ou affective liĂ© au savoir Ă  intĂ©grer. Cette coloration mĂ©lodique des Ă©vĂšnements permet une meilleure rĂ©tention mnĂ©sique par une reconnaissance des cohĂ©rences inconscientes. Si l’on est « touchĂ© » par une situation, on a toutes les chances de mieux l’intĂ©grer, d’y prĂȘter davantage d’attention. On retiendra davantage l’enseignement d’un professeur Ă  cause de l’émotion avec laquelle il transmet de nouvelles donnĂ©es. L'expĂ©rience offerte par l'ayahuasca permet au sujet de percevoir le rĂ©el simultanĂ©ment aux trois niveaux d’intĂ©gration possibles : mental, Ă©motionnel et somatique. Des individus qui ignorent tout de la physique quantique dĂ©crivent la relativitĂ© au sein de l’espace-temps, des « boursouflures » du temps, des plicatures du rĂ©el, l’ouverture permanente des systĂšmes vivants qui offre des possibles Ă  chaque instant, etc. En effet, les systĂšmes vivants apparaissent toujours ouverts, avec un degrĂ© d'incertitude ou d’improbabilitĂ© qui fait qu'il y a toujours un possible et que donc la vie n'est jamais totalement fermĂ©e sur elle-mĂȘme. Aucun systĂšme vivant n'est fermĂ©. Cela signifie Ă©galement que rien de ce qui nous arrive de l'extĂ©rieur n'est insensĂ© pour nous. Si en effet nous sommes les observateurs de ces phĂ©nomĂšnes, cela implique immĂ©diatement que nous sommes donc parties prenantes de ces phĂ©nomĂšnes-lĂ . C’est ce que suggĂšre dĂ©jĂ  la physique quantique. Donc si tu te lĂšves le matin et que les gens ont une sale gueule dans la rue c'est parce que tu ne vas pas bien. Et si le lendemain ils sont trĂšs souriants, charmants et que les filles sont belles c'est parce que tu vas beaucoup mieux ; c'est pourtant la mĂȘme rue et les mĂȘmes passants. C’est-Ă -dire que les Ă©vĂšnements dits extĂ©rieurs sont aussi porteur de sens Ă  l’intĂ©rieur. C’est ce que l’on appelle la synchronicitĂ©. Maunaury nous rappelle qu’« il existe une interaction entre l’intention/attention que nous apportons Ă  l’observation des phĂ©nomĂšnes et de leur dĂ©roulement propre ». Nous ne sommes pas indĂ©pendants de ce que nous observons et vice-versa. Quand on cesse de dissocier la rĂ©alitĂ© avec une rupture du continuum sĂ©mantique et que la « structure exogĂšne » (par exemple mon perroquet pendant cette inoubliable session d’ayahuasca ou bien la gueule des gens dans la rue) est aussi acceptĂ© comme « structure endogĂšne », le continuum sĂ©mantique est rĂ©tabli, le sens retrouvĂ© et l’intĂ©gration consciente peut se faire vers l’individuation dans le sens junguien. La session d’ayahuasca ou la diĂšte seraient comme l’ouverture de l’information structure (forme-structure) des individus sur leur Ă©cosystĂšme. Pour les indiens, la cosmovision transmise par les anciens offraient des modĂšles de description du monde leur permettant d’intĂ©grer rapidement les nouvelles donnĂ©es acquises par l’ouverture de leur systĂšme informatif grĂące Ă  l’ayahuasca ou d’autres mĂ©thodes de modification de la conscience. Tout groupe ethnique possĂ©dait un bagage culturel oĂč de grands mythes fondateurs expliquaient l’origine du monde. Nous possĂ©dons aussi de grands mythes mais ceux-ci sont globalement rejetĂ©s par notre sociĂ©tĂ© occidentale qui croit avec arrogance les avoir Ă©puisĂ©s. Des tentatives de renouvellement des mythes se prĂ©sentent rĂ©guliĂšrement comme celui de « libertĂ©, Ă©galitĂ©, fraternitĂ© » Ă  la pĂ©riode rĂ©volutionnaire et qui fonde en principe notre systĂšme politique rĂ©publicain. Il me semble cependant que le grand mythe qui cherche Ă  s’imposer au delĂ  du politique comme une vision gĂ©nĂ©rale du monde est celui de la Science. Nous sommes conduits Ă  utiliser les modĂšles de description scientifique pour prendre le relais des mythes afin de rĂ©organiser notre information. Les instruments de la physique quantique, de l’astrophysique, de la biologie molĂ©culaire, de l’anthropologie structurale, de la cybernĂ©tique par exemple offrent de nouvelles formules paradigmatiques. Ces modĂšles peuvent nous fournir des instruments de comprĂ©hension de notre univers intĂ©rieur Ă  la condition qu'on puisse en faire la conversion pour les interprĂ©ter de façon adĂ©quate. En effet, ces modĂšles ne peuvent prĂ©tendre expliquer notre univers intĂ©rieur mais peuvent offrir de maniĂšre analogique des voies de comprĂ©hension Ă  travers leur rĂ©sonance avec notre vĂ©cu interne. Quelles cohĂ©rences se dĂ©couvrent et qui soient suffisamment parlantes pour ĂȘtre pour nous porteuses de sens ?

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Psychologie du chaos Le psychologue espagnol Manuel Almendro propose un autre modĂšle de cohĂ©rence Ă  partir de la thĂ©orie du chaos d’Ilya Prigogine, un nobĂ©lisĂ© qui est mort il n'y a pas longtemps. Pour de dire de façon simple, Prigogine dĂ©crit les systĂšmes complexes comme des systĂšmes d'informations qui croissent progressivement en complexitĂ© Ă  mesure que s’accumulent des donnĂ©es nouvelles. Quand les informations deviennent extrĂȘmement importantes, plus que ce que le systĂšme peut intĂ©grer, le systĂšme devient chaotique. L’activation Ă©nergĂ©tique s’amplifie au point de susciter l’instabilitĂ© du systĂšme... Mais cette vulnĂ©rabilitĂ© devient aussi une opportunitĂ© ou des possibles se font jour et les interactions avec les autres formes organisĂ©es de la Nature s’activent et de multiples rĂ©sonances sont possibles. Il y a alors Ă©ventuellement de nombreux phĂ©nomĂšnes para-normaux et le contact sensible avec les archĂ©types sous des aspects anthropomorphes, zoomorphes et Ă©ventuellement d’autres formes de vie plus primitives. Cela nous renvoie directement au processus chamanique. A moment donnĂ©, grĂące Ă  cette instabilitĂ© il y a une bifurcation possible de ce systĂšme. Il peut bifurquer dans un sens ou dans un autre, c'est-Ă -dire vers l'entropie ou vers la nĂ©guentropie. Si ce systĂšme d'information passe Ă  un niveau de cohĂ©rence supĂ©rieure il va vers une forme nĂ©guentropique, un renouvellement de son potentiel vital global. Le systĂšme opĂšre un saut qualitatif. A l’inverse, la bifurcation entropique mĂšne le systĂšme vers la mort Ă©nergĂ©tique accĂ©lĂ©rĂ©e, la dĂ©sintĂ©gration.

Manuel Almendro utilise cette cohĂ©rence de la thĂ©orie du chaos pour en trouver les rĂ©sonances au niveau de la vie psychique des individus. Qu'est-ce que cette description d’un systĂšme activĂ© vers le chaos et une bifurcation possible nous apporte comme sens ? Dans la complexitĂ© croissante de notre vie, nous sommes rapidement saturĂ©s d’informations. Il se passe tellement de choses dans le monde, autour de nous et de façon toujours plus accĂ©lĂ©rĂ©e. Bien des personnes se sentent dĂ©bordĂ©es par ce flot continuel de donnĂ©s, d’images, d’émotions, qu’elles n’arrivent plus Ă  gĂ©rer. Comment intĂ©grer tant de choses en mĂȘme temps, les digĂ©rer, les sĂ©lectionner, les Ă©vacuer si nĂ©cessaire
 ? Dans un quotidien oĂč la disponibilitĂ© de l’individu est de plus en plus rĂ©duite ? L’individu entre alors dans une crise et son Ă©quilibre devient instable (dĂ©pression, fatigue, violence, somatisations, etc.). Et c’est prĂ©cisĂ©ment au cƓur de cette vulnĂ©rabilitĂ© qu’on a la plus grande possibilitĂ© de passer un niveau supĂ©rieur de cohĂ©rence dans notre existence. C’est ce qu’Almendro appelle la « crise Ă©mergente » qui ouvre sur un renouvellement de l’impulsion de vie sous une forme plus cohĂ©rente que la prĂ©cĂ©dente. L’évolution personnelle procĂšde effectivement toujours par saut qualitatif, elle n’est jamais linĂ©aire. On peut aussi Ă©videmment avoir peur de faire le pas. L'enfant qui va naĂźtre doit prendre la dĂ©cision de venir au monde : s'il ne la prend pas il peut en mourir. Donc, Ă  chaque fois que nous avons un choix de vie, il y a Ă  la fois une peur Ă  vaincre et un espoir Ă  nourrir. La crise instaure l’émergence possible d’une impulsion vitale, un saut jamais assurĂ© par avance et qui donc suppose confiance et conscience. Il s’agit donc d’un acte de foi au sens pur qui est en mĂȘme temps la possibilitĂ© de poser un acte libĂ©rateur. Car c’est bien notre libertĂ© qui est en jeu au sein d’une crise personnelle oĂč personne ne peut dĂ©cider Ă  notre place. L’activation Ă©nergĂ©tique contraint Ă  la dĂ©cision et son Ă©ventuelle absence constitue aussi un choix vers l’entropie par nĂ©gation de l’espoir. Le positionnement, mĂȘme passif, est inĂ©vitable. La neutralitĂ© est exclue. Finalement cela se rĂ©sume toujours Ă  un choix entropique ou nĂ©guentropique, de mort ou de vie. Faire le pari de la vie et croire en sa chance constitue un Ă©lan nĂ©guentropique porteur de vie renouvelĂ©e. Or la chance, c’est aussi nous qui l’invitons par notre dĂ©cision. Comme le signale la sagesse populaire : « Aide-toi, le ciel t'aidera ». Un pas en avant dĂ©clenche automatiquement, par l'interaction permanente de notre univers intĂ©rieur avec le monde extĂ©rieur, un mouvement vital qui nous entraĂźne. Lorsque notre libertĂ© intĂ©rieure nous dĂ©cide Ă  aller vers la conquĂȘte de soi-mĂȘme, Ă  chaque fois cela va dĂ©clencher autour de nous des phĂ©nomĂšnes objectifs d'aide, de soutien, de comprĂ©hension, des rencontres opportunes, etc. Ce modĂšle nous invite donc Ă  avoir l’audace suffisante dans toute crise pour choisir l’option de vie. Un individu qui apprend qu’il a le cancer doit intĂ©grer soudainement une information trĂšs dĂ©stabilisante. En tant que « systĂšme vivant », il devient extrĂȘmement vulnĂ©rable. Il a alors le choix d'accepter de mourir passivement et lĂ  il va vraiment mourir et sans gain de cohĂ©rence, sans extraire du sens de son vĂ©cu. Ou bien

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il va opter pour la vie en se battant pour gagner de la cohĂ©rence, comprendre ce que cette pathologie lui signifie. Il y a lĂ  un saut quantique Ă  opĂ©rer. Cette maladie physique peut lui permettre alors un positionnement rĂ©novateur du sens de sa vie par exemple sur le plan affectif, psychique. Mais un saut plus grand encore peut offrir de nouvelles cohĂ©rences au niveau spirituel par exemple. La guĂ©rison physique demeure un possible mais secondaire par rapport Ă  la guĂ©rison psychique ou spirituelle qui s’offrent alors. À chaque fois il y a une possibilitĂ© de rĂ©organisation de nos informations Ă  un niveau Ă©nergĂ©tique ou sĂ©mantique supĂ©rieur. Vous voyez que dĂšs que l'on s’approche des limites des sciences les plus avancĂ©es, on est trĂšs proche de la mĂ©taphysique. La discontinuitĂ© qui opĂšre encore dans le monde occidental entre la matiĂšre, le psychisme et la dimension spirituelle ne tient pas sur le plan expĂ©rimental. Le spirituel est encore considĂ©rĂ© presque gĂ©nĂ©ralement comme un sous-produit du mental alors que depuis la perspective chamanique il le transcende. Une vie qui n'a pas de sens, c'est aussi une vie qui va vers l'entropie et fonctionne dans un systĂšme fermĂ©, non-vivant, qui chemine vers sa propre dĂ©sintĂ©gration. Donc, nous sommes tous invitĂ©s pour ĂȘtre vraiment vivants Ă  dĂ©couvrir le sens de notre vie et le sens de la Vie. L’approche mĂ©taphysique signale aussi cette possibilitĂ© d'une reconnaissance progressive de ce qui est Ă  l’extĂ©rieur comme Ă©tant aussi ce qui est Ă  l’intĂ©rieur et vice-versa. Elle dĂ©crit le passage successif Ă  des systĂšmes plus Ă©voluĂ©s Ă  travers des formes similaires situĂ©es sur un mĂȘme axe vertical. Les rĂšgles d’intĂ©riorisation des techniques initiatiques enseignent Ă  reconnaĂźtre toutes choses comme Ă©tant Ă  la fois moi et non-moi. La mĂ©ditation des danses soufies, les exercices d'Ignace de Loyola, la mĂ©ditation du bouddhisme tibĂ©tain ou l’analyse junguienne des rĂȘves procĂšdent de cette mĂȘme approche de reconnaissance simultanĂ©e du moi et de l’autre et de leur cohĂ©rence. Ces techniques par ailleurs appellent Ă  cette somatique profonde en intervenant sur le corps : postures, respiration, danses
Le corps est toujours partie prenante quand il s'agit d’accĂ©der au niveau quantique d’information oĂč se rĂ©tablit le continuum et l’interdĂ©pendance entre moi et l’autre, intĂ©rieur-extĂ©rieur, observateur-observé  Ces approches sous-tendent des pratiques trĂšs anciennes de guĂ©rison et de transmission des savoirs Ă  travers diffĂ©rentes traditions( cf anthropologie ternaire de Michel Fromager) L’anthropologie s’y est donc intĂ©ressĂ©e. Ainsi, Jean-François Froger signale ces correspondances entre le monde interne de l’humain et les formes externes : « Il existe un pĂŽle des Formes dans l’homme, dit-il, qui est analogiquement au monde archĂ©typal ce que le code gĂ©nĂ©tique est au monde sensible ». L'ADN reprĂ©sente une codification physique de la forme et recĂšle potentiellement tout l’univers vivant bien qu’à chaque expression une seule forme spĂ©cifique sera manifestĂ©e. De la mĂȘme maniĂšre, dans le monde archĂ©typal, toutes les formes psychiques sont potentiellement retenues mais pour chaque individu la vie psychique et spirituelle prendra des formes particuliĂšres. Ce pĂŽle des formes archĂ©typales n'est pas en discontinuitĂ© avec le monde sensible, de mĂȘme que l’ADN n’est pas en discontinuitĂ© avec le monde psychique. Par exemple, le taureau symbolise le « dĂ©sir » antĂ©rieur Ă  sa manifestation concrĂšte, comme une force virile incontrĂŽlable, peu diffĂ©renciĂ©e de gĂ©nĂ©sie, de rĂ©pandre la semence, de pĂ©nĂ©tration de la femelle-matiĂšre et Ă©ventuellement destructrice. Elle doit ĂȘtre chĂątrĂ©e, domestiquĂ©e afin de servir Ă  la fĂ©condation de la terre et Ă  la production de nourriture et Ă©viter ainsi qu’un dĂ©sir en entraĂźne un autre et ainsi successivement. En allant plus loin, Froger propose l’hypothĂšse mĂ©taphysique qui voudrait qu’il y ait non-conservation de l’énergie au profit d’un autre principe qui serait le principe de conservation des formes par similitude. Si bien qu’une Ă©nergie d’une forme physique pourrait s’annihiler au profit d’une forme psychique, la forme psychique s’annihilerait au profit d’une forme archĂ©typale. Ainsi, l’évolution entropique du monde matĂ©riel, Ă  cause de la flĂšche du temps, trouverait son sens, non vers un dĂ©sordre de plus en plus chaotique mais vers des formes de plus en plus subtiles dans un mouvement irrĂ©versible. Quoi qu’il en soit, c’est le continuum matiĂšre-affects-psychisme-esprit qui semble prĂ©valoir dans toute approche mĂ©taphysique. DĂšs qu'on instaure une sĂ©paration on crĂ©Ă© de la souffrance ; dĂšs qu'on rĂ©tablit le

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continuum on est de nouveau dans la fĂȘte et dans la non-violence. Toute division, toute sĂ©paration, tout ce qui se met en travers, en « dia-gonale » induit une forme de dia-bolisation. La sĂ©paration nous renvoie dans la souffrance et dans la rĂ©gression. DĂšs qu'on rĂ©tablit le continuum en reconnaissant Ă  l'extĂ©rieur de nous que ce qui nous arrive Ă  l’intĂ©rieur, dĂšs qu’on accepte ĂȘtre partie prenante de notre propre souffrance, de ce qui nous arrive, la vie de nouveau fait sens et la douleur s’attĂ©nue. Cet acte de rĂ©intĂ©gration du sens de notre vie est opĂ©ratoire, effectif, en rĂ©organisant nos structures Ă©nergĂ©tiques tant au niveau du corps, que de la psychĂ© et du cƓur. On verra tout Ă  l’heure comment l’espace rituel facilite considĂ©rablement cet acte rĂ©parateur en instaurant une homogĂ©nĂ©itĂ© des diffĂ©rentes composantes de notre ĂȘtre au sein d’un espace-temps harmonisĂ© et oĂč toutes les convergences peuvent s’effectuer. Je reconnais que tout cela est un petit peu ardu et tĂątonnant. Mais je crois inĂ©vitable face Ă  la complexitĂ© du monde actuel de poser ces quelques concepts. On ne peut s’exonĂ©rer d’un travail de rĂ©flexion sur toutes ces notions, de l’effort de tendre des passerelles entre toutes ses formes de convergence qu'elles soient physiques, biologiques, anthropologiques, mĂ©taphysique
 Ce labeur est vraiment indispensable Ă  l’heure actuelle pour intĂ©grer la complexitĂ© croissante de notre quotidien. Ainsi, il existe une masse de systĂšmes matĂ©riels complexes qui nous environne : machines, tĂ©lĂ©communications, vĂ©hicules, informatique, traitement de l’image, etc. Leur correspondance symbolique n’a pas le temps d’ĂȘtre Ă©tablie dans notre univers intĂ©rieur que dĂ©jĂ  d’autres prototypes plus Ă©laborĂ©s apparaissent. C’est-Ă -dire que nous avons une carence chronique et croissante dans l’acquisition de graphes neuroniques permettant l’intĂ©gration de ces systĂšmes complexes. Cet envahissement chaotique imprime une espĂšce de dĂ©formation dans les frontiĂšres du moi/non-moi tant au niveau collectif qu’individuel. Ces objets ou systĂšmes ne sont pas reconnus par le psychisme et suffisamment diffĂ©rentiĂ©s pour ĂȘtre perçus correctement comme physiques dans les formes sensibles et symboliques dans les formes psychiques. Ces superpositions ou enchevĂȘtrements des niveaux d’intĂ©gration nourrissent facilement les dĂ©lires chez les sujets ou des collectivitĂ©s aux frontiĂšres moi/non-moi dĂ©jĂ  permĂ©ables (border-line). Les psychotiques invoqueront facilement les ondes qui pĂ©nĂštrent leur cerveau, la lecture laser de leurs pensĂ©es, etc. et certaines sectes le contrĂŽle invisible du Big Brother
 Paradoxalement, les cultures traditionnelles possĂšdent un immense bagage expĂ©rimental en la matiĂšre et de plus constamment actualisĂ©. Marie-Françoise Maunaury considĂšre Ă©galement que « nous ferions bien de faire appel Ă  la rĂ©serve de mĂ©moire et d'expĂ©rience acquise par les groupes humains qui gĂšrent depuis des siĂšcles une relation psychĂ©-matiĂšre dont ils sont conscients dĂšs la petite enfance dans des Ă©co-systĂšmes moins favorisĂ©s que les nĂŽtres». Il est intĂ©ressant de voir qu’une personne qui Ă©tudie la structure des rĂȘves arrive finalement Ă  s’adresser Ă  la connaissance des groupes primitifs. Les « peuples premiers » comme on dit maintenant vivent de façon trĂšs naturelle et simple la relation psychĂ© matiĂšre et nous avons tout intĂ©rĂȘt Ă  nous en inspirer. C’est une des prĂ©misses d’action du centre Takiwasi. Et quand on essaye d’établir des correspondances entre les Ă©lĂ©ments structuraux des rĂȘves appelĂ©s « actants »et les reprĂ©sentations indiennes de la cosmogonie amazonienne, on dĂ©couvre de nombreuses cohĂ©rences. Ainsi, les figures ou « actants » humains masculins des rĂȘves sont censĂ©s reprĂ©senter des fonctions programmes qui commandent l'assemblage des donnĂ©es Ă©lĂ©mentaires et qui sont donc structurantes. Or, les plantes amazoniennes qui sont considĂ©rĂ©es comme structurantes, par exemple le tabac, sont toujours visualisĂ©es par le sujet aprĂšs leur ingestion comme des figures masculines. Les guĂ©risseurs signalent avec constance que l'esprit du tabac leur apparaĂźt sous la forme d’un homme noir, fort et musclĂ©. Cette vision est partagĂ©e frĂ©quemment par des individus qui procĂšdent d’une culture extra-amazonienne. Il semble s’exprimer-lĂ  une figure archĂ©typique commune aux rĂȘves et aux visions induites par les plantes et qui dĂ©passe les cadres culturels. Inversement, il existe des plantes fĂ©minines, visualisĂ©es sous des apparences anthropomorphes de femme. Par exemple l'ayahuasca apparaĂźt souvent avec l’apparence d’une « femmes sans tĂȘte ». Ces actants fĂ©minins, dans l’analyse structurelle des rĂȘves, reprĂ©sentent des bases de donnĂ©es, l'information brute. Or la fonction essentielle de l'ayahuasca est bien informative et c’est pourquoi elle est appelĂ©e plante-maĂźtresse ou plante-enseignante. Les spĂ©cialistes autochtones amazoniens insistent sur le fait que l’énergie fĂ©minine de l'ayahuasca soit Ă©quilibrĂ©e par le complĂ©ment d’une plante masculine comme le

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tabac ou le toĂ© (datura). La morphologie, Ă  l’instar de la thĂ©orie des signatures, est Ă©galement trĂšs parlante. En effet, l'ayahuasca est une liane qui ne peut se verticaliser que si elle prend support sur des arbres. Si on n'ingĂšre que de l'ayahuasca comme la mode occidentale le rĂ©pand un peu partout en omettant le complĂ©ment de plantes masculines comme les Ă©corces d’arbres pendant les diĂštes d’isolement, cela Ă©quivaut Ă  un excĂšs de fĂ©minin et un dĂ©ficit de masculin. En d’autres termes, sur le plan psychique, le sujet va se trouver saturĂ© d'informations et en mĂȘme temps dans l’incapacitĂ© de les structurer. Il n’y a alors pas rĂ©ellement d’enseignement ou d’apprentissage parce que les donnĂ©es ne trouvent pas comment se mĂ©taboliser. Cet excĂšs peut mĂȘme aboutir Ă  l’inverse, soit Ă  la dĂ©structuration par un dĂ©bordement de matĂ©riel psychique Ă  assimiler. L’addition seulement de sessions d'ayahuasca conduit Ă  constituer des collections d'informations dont on ne peut rien faire par manque d'espace de verticalisation. Il est donc important que la prise d'ayahuasca soit Ă©quilibrĂ©e par une intervention structurante, soit des plantes masculines dans un contexte amazonien, soit par l’emprunt d’une forme de structuration verticale propre Ă  la culture ou au bagage religieux du sujet. Si l’individu possĂšde une foi active ou bien un systĂšme de croyance, bouddhiste, chrĂ©tien ou autre, cette structure de base profondĂ©ment introjectĂ©e peut servir de support Ă  la verticalisation, de grille de lecture, d’interprĂ©tation et d’intĂ©gration des donnĂ©es fournies par l'ayahuasca. Un trop-plein d’informations peut induire dans le systĂšme informatif du sujet un Ă©tat d’activation menant Ă  l’instabilitĂ© et dĂ©bouchant ensuite sur un Ă©tat chaotique du systĂšme. La crise rĂ©solutive devient inĂ©vitable avec le risque qu’elle opĂšre dans un sens entropique et rĂ©gressif chargĂ© de dangerositĂ©. La tentation de l’option rĂ©gression, transgressive, de la « faute », reprĂ©sente tout le contraire de l'Ă©volution personnelle. [Toutes ces images qui surgissent soit dans l'ayahuasca soit dans les diĂštes, il n'y a pas de dualisme entre la forme et l'Ă©nergie. Forme et Ă©nergie sont une seule chose. On va retrouver ça dans toute physique quantique, c'est-Ă -dire que tous les Ă©lĂ©ments qui interviennent ne sont pas dans la dualitĂ© et forme et Ă©nergie sont simultanĂ©es, on ne peut pas les sĂ©parer.] Cependant, ce dĂ©nouement est quasiment impossible du fait des phĂ©nomĂšnes d’auto-rĂ©gulation de l’ayahuasca. En effet, les guĂ©risseurs appellent l'ayahuasca la « purga », la purge, parce que prĂ©cisĂ©ment son action est essentiellement cathartique. Les vomissements induits par le breuvage signalent non seulement l’évidente libĂ©ration physique mais simultanĂ©ment l’évacuation de l'excĂšs d'informations. Le trop-plein de donnĂ©es active l’ensemble du systĂšme psychosomatique qui alors expulse globalement l’excĂšs d’informations stockĂ©es et inutiles qui encombrent l'organisme. Le sujet vomit alors les toxines physiques mais aussi les pensĂ©es parasites, les sentiments troubles, les mĂ©moires traumatiques. Ce nettoyage implique alors la remise en ordre des informations du systĂšme. Cette notion de nettoyage psychosomatique est complĂštement absente de notre psychĂ© et culture occidentale post-moderne. Le mot « purge » Ă©voque des techniques tout Ă  fait obsolĂštes, des remĂšdes de grands-mĂšres arriĂ©rĂ©es encore enfouies dans un obscurantisme moyenĂągeux. Avant, et en fait il n’y a pas si longtemps, au sein des familles on se purgeait rĂ©guliĂšrement. Ne serait-ce que pour Ă©vacuer les vers
 mais on savait intuitivement au moins que les parasites n’étaient pas seulement digestifs
 L’ayahuasca prĂ©sente Ă©galement un autre mode d’intĂ©gration spontanĂ© des donnĂ©es. En effet, Ă  partir du moment oĂč elle induit une visualisation des effets psychiques il existe dĂ©jĂ  un accĂšs cortical et donc une forme d'intĂ©gration minimale Ă  la conscience du sujet. On peut poser que cette « hallucination contrĂŽlĂ©e » que la visualisation permet est dĂ©jĂ  en soi une preuve de mĂ©tabolisation de l'information au niveau du cortex cĂ©rĂ©bral. C'est-Ă -dire que notre rĂ©seau informationnel Ă  intĂ©grĂ© cette donnĂ©e complĂ©mentaire puisqu’elle est vue. De fait je crois que c’est lĂ  une chose trĂšs importante qui institue la grande diffĂ©rence entre les substances qui provoquent de la dĂ©pendance et celles qui n’en provoquent pas. Les substances qui ne provoquent pas de dĂ©pendance sont celles qui permettent de visualiser les effets psychiques au moment oĂč ils surviennent. Ces substances visionnaires, mal nommĂ©es hallucinogĂšnes, n’induisent jamais d’addiction. A partir du moment oĂč il y a vision, automatiquement il y a intĂ©gration et un dĂ©but de structuration. Par contre quand un sujet boit de l'alcool, fume du tabac ou se pique Ă  l'hĂ©roĂŻne, il peut avoir de nombreuses sensations mais pas de visions. Cela signe le manque d’intĂ©gration corticale et par lĂ -mĂȘme l’induction d’une dĂ©pendance possible. Les informations intĂ©grĂ©es Ă  la conscience structurent et enrichissent le systĂšme et par

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consĂ©quent le font Ă©voluer dans un sens nĂ©guentropique. Au contraire, l’absence d'intĂ©gration Ă©quivaut Ă  une dĂ©sintĂ©gration possible du systĂšme et une Ă©volution vers la mort Ă©nergĂ©tique par entropie. Un individu qui se bourre d'informations (sensations, pensĂ©es, Ă©motions, perceptions
), Ă  travers des expĂ©riences rĂ©pĂ©tĂ©es de changements de l’état de conscience au moyen des drogues mais sans jamais accĂ©der Ă  une intĂ©gration structurante va vers sa propre dĂ©sintĂ©gration. Donc, modifier sa conscience suppose un contexte particulier qui assure des moyens d’intĂ©gration de l’expĂ©rience. Le prototype du toxicomane est un individu qui se trouve dĂ©bordĂ© par les informations auxquelles il accĂšde Ă  travers l’usage incorrectement contextualisĂ© des substances psychoactives. L'impact des informations collectĂ©es dĂ©passe complĂštement sa capacitĂ© d'intĂ©gration et son organisme dans sa dimension psycho-somatique va se trouver explosĂ©. D'ailleurs il le dit lui-mĂȘme quand il parle de « s’éclater ». Cet Ă©clatement peut aller jusqu’à des formes de dissociation plus ou moins graves. Cette dĂ©mesure constitue un acte de transgression majeur. Seul le contexte peut permettre de contenir Ă  travers des formes rituelles cohĂ©rentes le geste de la modification de la conscience dans des limites non-transgressives. Le contexte rituel associe aux formes symboliques de contention, l’intentionnalitĂ© du cƓur, le cƓur profond qui est celui qui « sait », le lieu de la mĂ©moire des origines. Le cƓur sait ce qui est juste et vrai. On ne peut pas trop aimer par exemple : quand on aime vraiment quelqu'un, d’un amour pur et vrai, il n'y a pas de dĂ©mesure possible Ă  cet endroit. Dans le mĂȘme ordre d’idĂ©e, je suis frappĂ© depuis un ou deux ans du fait que les gens qui viennent Ă  Takiwasi parlent beaucoup des problĂšmes de maladie d'Alzheimer. Je me demande si ce n'est pas une nouvelle forme d'entropie. Les individus doivent en effet faire face de plus en plus Ă  une avalanche d'informations de tous ordres qui remet sans cesse en cause les systĂšmes informatifs individuels et collectifs. Autrement dit les phases d’instabilitĂ© des systĂšmes et leurs allures chaotiques augmentent en frĂ©quence et intensitĂ©, ce qui exige une haute plasticitĂ© psychique et une grande capacitĂ© adaptatrice. Avec l’ñge et la tendance Ă  la rigiditĂ© des systĂšmes, la peur de la dĂ©structuration du systĂšme et de l’évolution entropique vers la mort s’accroĂźt. Les gens ont peur : on ne sait plus trĂšs bien comment va le monde, oĂč « ça va tout ça » des tours qui tombent, des guerres, des terroristes partout, la pollution, les jeunes qui se droguent
trop de problĂšmes, trop de difficultĂ©s. MĂȘme le temps, traditionnel lieu du consensus social et de la sĂ©curitĂ© naturelle, s'y met lui aussi : la canicule, les inondations, les feux de forĂȘt, les tempĂȘtes, les tremblements de terre, les tsunamis
tout cela gĂ©nĂšre une peur profonde qui rĂ©vĂšle avant tout une crise existentielle : pourquoi tout cela ? Dans l’acmĂ© de cette crise de sens collective, une bifurcation est-elle encore possible ? Que faire ? On touche-lĂ  Ă  l’espace de dĂ©libĂ©ration interne du sujet oĂč s’exprime sa plus stricte libertĂ©. Vais-je faire face Ă  tout cela, regarder ce qui se passe, m'y intĂ©resser et tenter de l'intĂ©grer ? Ou bien vais-je prĂ©fĂ©rer le refuge dans mon petit pavillon tranquille, dans mon isolement narcissique oĂč je ne veux rien voir ni savoir ? Refuser de voir n’est-ce pas refuser d’intĂ©grer et donc d’avancer ? N’est-ce pas la nĂ©gation de l'Ă©volution, l’entropie galopante ? Ce refus de la vie affecte les mĂ©moires profondes qui se dĂ©sintĂšgrent, se dĂ©sorganisent et troublent la conscience de soi, la prĂ©sence au monde, la reconnaissance du rĂ©el. C'est un choix de la mort, peut-ĂȘtre inconscient et passif, mais un choix quand mĂȘme. Ainsi, on peut lĂ©gitimement se demander si l'augmentation des dĂ©mences sĂ©niles et maladies d’Alzheimer ne serait pas d’une certaine façon une des manifestations d’un choix collectif de la mort, un des rĂ©vĂ©lateurs de ce culte moderne et omniprĂ©sent de la mort. N’est-ce pas la consĂ©quence du refus, au moment de l’opportunitĂ© de la crise Ă©mergente, de bifurquer vers la nĂ©guentropie, c'est-Ă -dire vers une tentative de comprĂ©hension de ce qui se passe, vers une quĂȘte authentique de sens ? L’engagement n'est pas Ă©vident surtout quand il s’agit de s’engager au-delĂ  des mots pour y inclure le corps. Pour toute dĂ©cision de dĂ©passement, toute dĂ©cision d'Ă©volution il est extrĂȘmement important, avant d'entreprendre quoi que ce soit, de disposer d'abord d’une intention claire, mĂ»rie. En particulier, toute expĂ©rience de modification de conscience exige une injonction prĂ©alable qui crĂ©Ă© un sur-ordre comme lorsque l’on souhaite rĂ©organiser les systĂšmes d’information. L'intention doit ĂȘtre claire parce que c'est elle qui donne la consigne de cohĂ©rence interne Ă  l'expĂ©rience que nous allons vivre. J'ai l'habitude de dire au dĂ©but des sĂ©minaires : « faites attention Ă  ce que demandez Ă  l’occasion de ce sĂ©minaire parce que vous

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risquez fort d'ĂȘtre exaucĂ© ». Effectivement, si l'on fait une demande sincĂšre Ă  l'intĂ©rieur d'un contexte rituel, on a forcĂ©ment une rĂ©ponse, mĂȘme partielle. Cet avertissement ne prĂ©tend pas ĂȘtre une menace mais plutĂŽt une invitation Ă  prĂȘter attention Ă  cette intention plus ou moins consciente de notre attente ou demande. Il faut bien savoir ce que l'on veut parce qu'on aura ce qu'on veut et si notre rĂ©clamation est viciĂ©e, on risque tout simplement de se prendre une grande claque. Il faut vĂ©rifier constamment son intention et celle-ci doit ĂȘtre constamment renouvelĂ©e. DĂšs que la routine revient, on s’installe de nouveau dans un systĂšme conventionnel qui risque de nous conduire trĂšs vite vers l'entropie, la dĂ©gradation et la mort. Donc, nous sommes appelĂ©s Ă  constamment Ă©voluer, invitĂ©s Ă  sans cesse franchir de nouveaux seuils. Une des caractĂ©ristiques de la puissance diabolique, au dĂ©part, n’est pas tant de nous entraĂźner de façon Ă©vidente au mal que de nous dĂ©courager d’aller vers le bien, d’évoluer, de « croĂźtre » comme le signale la premiĂšre injonction de la GenĂšse : « Croissez
 » ! Le diable veut nous empĂȘcher de grandir : chaque fois que vous ĂȘtes dĂ©couragĂ©s c'est le diable qui vous tire par un cĂŽté  Le courage qui permet de franchir ces seuils, d’opĂ©rer un saut qualitatif, est Ă©norme. À l'intĂ©rieur de cette dynamique de transformation de la conscience, la personne qui conduit l’expĂ©rience rituelle, le thĂ©rapeute quel qu'il soit, joue un rĂŽle essentiel. La qualitĂ© de prĂ©sence et l’intentionnalitĂ© du guide sont indispensables. Certains rĂ©torquent que chacun est « libre » de faire ce qu'il veut et donc que le guide est facultatif. Cette pseudo-libertĂ© est en rĂ©alitĂ© de l’ordre du caprice. La libertĂ© consiste Ă  dĂ©couvrir et rĂ©aliser sa vocation profonde. Et la dĂ©couverte de la vocation requiert d’ĂȘtre guidĂ©, au dĂ©part au moins. Donc le thĂ©rapeute, guide ou maĂźtre, chargĂ© de montrer le chemin assume la fonction trĂšs importante de formuler un sur-ordre par rapport au dĂ©sir/attente des patients ou sujets qui se prĂȘtent Ă  l'expĂ©rience. Cette intentionnalitĂ© qui est sienne s’est inscrite dans son corps au long de son chemin initiatique. C’est donc d’abord et simplement par son corps, cette prĂ©sence temporelle, qu’il instaure un surordre au sein du groupe qui permettra de donner sa cohĂ©rence aux Ă©vĂšnements de la session thĂ©rapeutique ou initiatique. Les forces Ă©ventuellement divergentes et centrifuges des intentions non purifiĂ©es des participants (dĂ©sirs, passions, projections, pulsions inconscientes, etc.) devront ĂȘtre contenues et rĂ©unifiĂ©es par l’intĂ©gritĂ© du corps du thĂ©rapeute. En d’autres termes, ce dernier devra avoir inscrit dans son corps un minimum d’harmonie, de force et de paix Ă  travers les jeĂ»nes, la priĂšre, la mĂ©ditation, la prise de plantes, de telle façon que l’intĂ©gration des Ă©nergies-informations mises en jeu durant une session comportant des Ă©tats modifiĂ©s de conscience ne le disloque ou dĂ©sintĂšgre point. Loin de notre langage abscons, les guĂ©risseurs ont une façon imagĂ©e d’exprimer cela. Ils diront que le guĂ©risseur joue le rĂŽle de « bouche d'Ă©gout », ou celui du charognard qui digĂšre les chairs mortes normalement indigestes. Il reprĂ©sente une sorte de « tube digestif » qui assure que tout ce qui remonte de mortifĂšre des profondeurs de l’état modifiĂ© de conscience sera finalement mĂ©tabolisĂ©. Tous les « restes » que les patients rĂ©gurgitent par saturation, par incapacitĂ© Ă  assimiler, seront incorporĂ©s par le corps du guĂ©risseur qui devra en consĂ©quence ĂȘtre suffisamment prĂ©parĂ© pour ne pas s’intoxiquer lui-mĂȘme de ces rĂ©sidus du mĂ©tabolisme physico-psycho-Ă©nergĂ©tique des participants. Le thĂ©rapeute doit ainsi assumer le contrĂŽle de la dĂ©mesure Ă©ventuelle de l'intention des participants. Cela permet Ă©ventuellement Ă  un patient, lors des rituels d’ayahuasca, d’exprimer sa propre « graine de folie » dont nous sommes tous porteurs. Cette dĂ©mesure de la folie, plus ou moins secrĂšte en tout un chacun, pourra se faire jour lors de la session. Dans la mesure oĂč le thĂ©rapeute est suffisamment prĂ©parĂ©, cela ne pose aucun problĂšme, car la « sagesse» de son corps servira de lieu de contention. Autrement dit, le sujet pourra prendre la mesure de son « illusion », contacter vraiment des lieux potentiellement dĂ©lirants de son ĂȘtre intĂ©rieur, sans pour autant ĂȘtre absorbĂ© et dominĂ© par ce qui se joue lĂ . Cette possibilitĂ© reprĂ©sente une grande richesse et potentialitĂ© thĂ©rapeutique. Si par contre le guide n’a pas rĂ©alisĂ© ce travail prĂ©alable sur lui-mĂȘme, il ne sera pas Ă  mĂȘme de contenir cette dĂ©mesure et expose les participants Ă  ĂȘtre dĂ©bordĂ©s par les forces psychiques mises en jeu. RĂ©pĂ©tons qu’il faut que ce thĂ©rapeute ait la capacitĂ© d'intĂ©grer physiquement ces Ă©nergies : il ne suffit pas qu'il comprenne son patient ou soit habitĂ© des meilleures intentions du monde.

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Les rapports de psychothĂ©rapie analytique nous montrent souvent une Ă©tude poussĂ©e des variables psychiques des analysĂ©s. Pendant des annĂ©es d’entretien, le thĂ©rapeute semble avoir tout compris de son patient mais le sujet n’en n’est pas pour autant plus avancĂ© si sa propre comprĂ©hension demeure corticale. Si l’approche du thĂ©rapeute est Ă©galement habitĂ©e par une vraie compassion, la comprĂ©hension du sujet peut alors s’élargir Ă  la sphĂšre Ă©motionnelle ou affective et c’est beaucoup mieux. Mais il reste Ă  comprendre ou intĂ©grer au niveau somatique et nous avons vraiment un problĂšme avec le corps dans notre civilisation. Les modifications de conscience induites et ritualisĂ©es permettent d’embrasser ces trois Ă©tages simultanĂ©ment et d’en assurer l’intĂ©gration harmonieuse. Il y a donc besoin de renouveler nos intentions, de rĂ©ordonner constamment notre univers intĂ©rieur, de sortir de la statique de la routine qui tarit les sources d’information. A Takiwasi, aussi bien pour les sĂ©minaires que pour les patients toxicomanes qui souhaitent entreprendre un processus thĂ©rapeutique, la premiĂšre chose que nous explorons est la qualitĂ© de la motivation. Si celle-ci est insuffisante, le travail est inutile. La motivation initiale, c'est-Ă -dire l'intentionnalitĂ© premiĂšre du sujet, va lui permettre ou pas d'ouvrir son systĂšme. Nous avons l’exemple de patients toxicomanes qui durant des semaines voire des mois Ă  Takiwasi n'avancent pas du tout. Ils n'avancent pas parce qu'ils n'ont pas vraiment l'intention d'avancer. Ils sont venus parce qu'ils voulaient se mettre un temps Ă  l'abri, Ă  cause de la pression familiale, parce qu'ils sont recherchĂ©s par la justice, ou toute autre raison Ă©trangĂšre Ă  leur problĂ©matique interne. Ça ne marche pas. Ils peuvent ingĂ©rer des litres d’ayahuasca, ce sera en vain. La collection de sessions d’ayahuasca est inutile si elle n’est pas alimentĂ©e par le renouvellement de l’intention. Si l’intentionnalitĂ© n’est pas posĂ©e clairement, le sujet ne se sent pas vraiment concernĂ©, ne s’offre pas et ne met pas en jeu son intĂ©rioritĂ©. Nous acceptons souvent ces patients malgrĂ© tout en espĂ©rant susciter en eux cette intention vraie qui leur fait dĂ©faut. On ne peut rien faire d’autre d'ailleurs : peut-on dĂ©sirer pour quelqu'un d’autre ? Mais on peut essayer de mettre la personne dans une situation oĂč le dĂ©sir ardent des autres est tel qu’il soit en quelque sorte aspirĂ© par cette force et finisse par « contagion » par faire sienne cette aspiration Ă  la guĂ©rison. Le patient constate que les autres qui deviennent ses amis avancent et qu’il reste statique
 Au bout de quelque temps, si toujours rien ne se passe, on signale au patient que sa permanence au Centre est inutile et qu’il vaut mieux l’interrompre. Cet impact Ă©motionnel peut ĂȘtre suffisant, parce que maintenant il nous connaĂźt, pour qu'il puisse ouvrir son systĂšme et finalement se dĂ©cider Ă  entreprendre un premier pas. L’ouverture peut se faire a contrario Ă  travers une transgression par rapport aux rĂšgles du Centre. Le sujet se met inconsciemment en danger d’ĂȘtre expulsĂ© pour se contraindre Ă  se mobiliser. Cette approche du risque d’expulsion fournit une nouvelle information Ă  son systĂšme interne qu’il le fait entrer en instabilitĂ©. Cette situation de crise Ă©mergente est trĂšs favorable Ă  une session d’ayahuasca qui fournit au sujet l’occasion de franchir un seuil, d’assumer la bifurcation vers une dĂ©cision nĂ©guentropique et le blocage est transitoirement dĂ©passĂ©. Il est de plus nĂ©cessaire d’appliquer ce qui a Ă©tĂ© appris, c’est-Ă -dire que l’information fournie ait trouvĂ© une issue prĂ©alable dans la conscience ordinaire. Le sujet va expĂ©rimenter dans le quotidien ce qui a Ă©tĂ© captĂ© en Ă©tat modifiĂ© de conscience. Cela suppose qu’il dĂ©veloppe sa propre capacitĂ© Ă  transfĂ©rer l’information acquise dans son environnement habituel et qu’il puisse identifier pour cela un terrain adĂ©quat. A son tour cette application dans le vĂ©cu ordinaire et ses incidences permettra une recharge en informations expĂ©rimentales qui fera place ensuite de nouveau Ă  une rĂ©organisation structurelle Ă  un niveau supĂ©rieur de complexitĂ©. Ce mĂ©canisme en trois temps (EMC-interprĂ©tation-vĂ©cu quotidien) nous a conduit Ă  Ă©laborer un trĂ©pied thĂ©rapeutique au sein du processus thĂ©rapeutique de Takiwasi. Les informations fournies en sessions ritualisĂ©es sont interprĂ©tĂ©es dans l’espace psycho-thĂ©rapeutique conventionnel (entretiens individuels, dynamique de groupe, ateliers, etc.). Les applications sont ensuite exprimĂ©es concrĂštement dans le vĂ©cu quotidien, d’oĂč la nĂ©cessitĂ© d’une rĂ©sidence sur place dans un cadre de contention (rĂšgles de vie) et une communautĂ© de vie. A leur tour les difficultĂ©s, succĂšs, crises et autres incidences du vĂ©cu ordinaire alimentent le sujet en nouvelles donnĂ©es qui ressurgiront et seront traitĂ©es lors des expĂ©riences de modification de conscience.

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Donc, on ne peut rien faire sans la dĂ©libĂ©ration interne du sujet qui le mĂšne vers une intentionnalitĂ© claire. Ce fait est extraordinaire parce qu’il implique dans ce type d’approche thĂ©rapeutique le respect absolu de la libertĂ© du patient. On ne peut pas violenter, violer, la conscience d'une personne. Au Colloque de Royaumont sur l’UnitĂ© de l’Homme il y a 20 ans, Henri Atlan avait dit Ă  propos du sommeil paradoxal : « Le sommeil paradoxal a peut-ĂȘtre pour fonction essentielle de renvoyer les schĂ©mas cĂ©rĂ©braux Ă  un trĂšs grand Ă©tat d'indiffĂ©renciation afin que de nouveaux modĂšles de description puissent Ă©merger». On peut se demander si la session d’ayahuasca et les diĂštes, dans leurs manifestations de rĂ©gression ritualisĂ©e, ne montrent pas une finalitĂ© similaire. On a besoin, quand on est dans un moment de crise, de dĂ©monter la machine, de rentrer dans l'indiffĂ©renciĂ©, de rĂ©gresser pour pouvoir reconstruire de maniĂšre diffĂ©rente. Tout travail d'Ă©volution personnelle va ainsi supposer inĂ©vitablement des rĂ©gressions Ă  des Ă©tapes d'indiffĂ©renciation. Or la rĂ©gression est une interdiction absolue, on ne peut pas rĂ©gresser sauf transitoirement si c'est pour mieux progresser ensuite. L'interdit de l'inceste manifeste parfaitement ce concept de base de la nature humaine : l'ĂȘtre humain doit grandir dans l’ordre de la conscience qui est aussi l'ordre de la vie. Que cela nous plaise ou non n’y change rien. L'ĂȘtre humain doit rĂ©gresser, quand c’est nĂ©cessaire, en pleine conscience. S'il rĂ©gresse dans l'inconscience il va contre sa propre nature. S’il le fait intentionnellement, les consĂ©quences sont plus graves que si c’est d'une maniĂšre erronĂ©e ou par ignorance. La rĂ©gression n’est acceptable que si sa sortie est envisagĂ©e avant son entrĂ©e, c’est-Ă -dire que ce retour sur soi-mĂȘme vise clairement dĂšs le dĂ©part une plus grande conscience. La forme rituelle devient alors indispensable, parce qu'elle pose et ordonne l'espace qui permet Ă  toutes les similitudes d'opĂ©rer dans les diffĂ©rents champs ou niveaux : matĂ©riel, Ă©motionnel, psychique et spirituel. On peut alors accĂ©der aux correspondances dans notre corps de toutes les problĂ©matiques psychiques, Ă©motionnelles ou spirituelles qui nous habitent. Le travail avec les plantes permet cette descente dans notre corps et l’identification ou prise de conscience de ses engrammations somatiques signifiantes. Cette forme de retour Ă  l'indiffĂ©renciĂ© peut constituer une transgression de l’ordre de notre nature humaine si elle se fait sans les formes rituelles qui l’autorisent. Cette habilitation rituelle associĂ©e Ă  l’accompagnement du guide permet l’intĂ©gration ultĂ©rieure de l'expĂ©rience. On va en quelque sorte plonger au fond de l'ocĂ©an pour y chercher les trĂ©sors enfouis et les ramener Ă  la surface. Si l’on succombe Ă  l’ivresse des profondeurs, si l’on reste au fond de l'ocĂ©an, dans l’indiffĂ©renciĂ© de la grande « mer », on en meurt. Le guide assure l’apport en oxygĂšne et le rappel opportun du plongeur. Il est inspirateur et psychopompe... (Voir la trĂšs belle illustration symbolique du film « Le Grand Bleu »). Le groupe indien des Tukano en Colombie reprĂ©sente l'ayahuasca comme un cordon ombilical qui leur permet de revenir dans le sein de la mĂšre (voir Reichel-Dolmatoff). L’image de l'inceste y est donc parfaitement dĂ©chiffrable. Ce retour vers l'indiffĂ©renciĂ© s’assimile Ă  la quĂȘte d’une matrice qui permette au sujet de se « re-matricier » ou renaĂźtre Ă  une nouvelle forme d'ĂȘtre au monde. JĂ©sus signale Ă  NicodĂšme dĂ©jĂ  vieux de naĂźtre une deuxiĂšme fois pour accĂ©der au royaume. La Bible de Chouraqui qui offre une traduction plus littĂ©rale du grec et de lÂŽhĂ©breu choisit « matrice » et « matricier » plutĂŽt que « retour au sein » et « renaissance ». La matrice est l’espace ou est donnĂ©e ou redonnĂ©e la vie, une forme de vie. Pour reprendre la comparaison avec les systĂšmes informatiques, il s’agit d’accĂ©der, aprĂšs un dĂ©sordre temporaire, Ă  une nouvelle structure informationnelle. On s’étonne donc Ă  peine que les guĂ©risseurs appellent l’ayahuasca, la « mĂšre », la « Madre ». Cette mĂšre est frĂ©quemment visualisĂ©e dans le registre zoomorphe comme un serpent. Lorsque la « madre ayahuasca », le serpent-mĂšre entre en sympathie avec un individu, ce grand boa peut alors l’avaler. Le guĂ©risseur prĂ©cise « l’ayahuasca t’aime » et le considĂšre comme un privilĂšge et le signe d’une initiation particuliĂšre. On peut supposer que cet « amour » de l’ayahuasca est impossible dans le cas d’une personne Ă  la structure mentale rĂ©ductrice : un rĂ©ductionnisme cognitif de type psychologique induira forcĂ©ment une « antipathie » avec la flexibilitĂ© du serpent-ayahuasca qui ne pourra « aimer » cet individu jusqu’à ce qu’il cĂšde et s’ouvre
 La vision de l’avalement par le serpent (qui est en fait un vĂ©cu qui embrasse toutes les dimensions de l’ĂȘtre) est assez habituelle lors des sessions d’ayahuasca et arrive Ă  des individus occidentaux qui ignorent tout de la

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symbolique amazonienne. L’individu voit gĂ©nĂ©ralement un grand serpent qui se prĂ©sente de face et ouvre la gueule, ce qui est toujours perçu comme une invitation Ă  ĂȘtre avalĂ©. Curieusement, cette scĂšne ne provoque jamais d’angoisse mais une sensation de confiance. Le plus souvent, le sujet se laisse donc avaler et entre Ă  l'intĂ©rieur du serpent. L’initiation comme la crise Ă©mergente offre l’occasion de bifurquer pour passer un niveau supĂ©rieur d’organisation ou d’ĂȘtre. La mort initiatique signale que l’on est invitĂ© Ă  mourir Ă  quelque chose, Ă  une façon d'ĂȘtre et ainsi permet de renaĂźtre Ă  une autre façon d'ĂȘtre. L'ayahuasca est donc une matrice par laquelle on va ĂȘtre rematriciĂ©, restructurĂ© d'une autre maniĂšre. Pourquoi mĂȘme les occidentaux voient toujours l'ayahuasca comme un boa, c'est-Ă -dire un serpent qui enroule ses proies pour les avaler, pour les Ă©touffer (mĂȘme si probablement beaucoup l’ignorent) ? Je ne connais pas un seul cas oĂč l'ayahuasca ait Ă©tĂ© vue comme un serpent venimeux. L’ayahuasca est un serpent fĂ©minin, qui enveloppe, qui enroule. Le fĂ©minin enroule et quand il tue c'est par Ă©touffement, l’enveloppement mortifĂšre des mĂšres Ă©touffantes, vous connaissez sans doute. L'homme, lui, il pique, il tranche, il coupe. C’est le serpent qui crache et injecte son venin. Toutes les personnes qui prennent de l'ayahuasca ont reconnu en elle des Ă©nergies et fonctions fĂ©minines comme dans les traditions indigĂšnes. Sur le registre anthropomorphe, l’ayahuasca est visualisĂ©e comme une « femme sans tĂȘte », rĂ©itĂ©rant sa dimension fĂ©minine et non rationnelle. Animal de terre et d’eau, le serpent est remplacĂ© par le colibri pour exprimer la dimension aĂ©rienne de l’ayahuasca. La dimension zoomorphe primaire et dominante de l’ayahuasca, le serpent, la nature fĂ©minine, fait place Ă  la dimension zoomorphe secondaire, le colibri, la nature masculine inspiratrice et spirituelle de l'ayahuasca. Le colibri, dense et lĂ©ger, vif et fragile, butine Ă  toutes les plantes et se nourrit de leur essence, du nectar de la vie, de sa quintessence. L'ayahuasca nous donne des informations sur les sens de la vie. Les guĂ©risseurs savent tout cela et le disent Ă  leur maniĂšre, dans leurs chants. La constance des ces visions partagĂ©es par des personnes de cultures diffĂ©rentes pose d'emblĂ©e la prĂ©-existence de ces forme comme invariants prĂ©-culturels, objectifs, ou encore comme forme archĂ©typales. Elle suppose l’existence d’un fond commun de l’humanitĂ© oĂč s’objectivise des « entitĂ©s » comme la mĂšre-serpent-ayahuasca. Le serpent serait donc une structure-Ă©nergie, une forme animĂ©e en quelque sorte dont la manifestation s’exprime Ă  des niveaux d’ĂȘtre diffĂ©rents, depuis le plus matĂ©riel jusqu’au plus subtil. Ces divers serpents se correspondent au niveau du « sens » et instituent la symbolique de la forme « serpent ». Les serpents que l'on voit dans la forĂȘt qui existent lĂ  physiquement devant nous ne sont que la manifestation physique, matĂ©rielle, de la forme-serpent qui existe aussi dans notre cerveau dit reptilien, dans la kundalini des traditions orientales, dans le serpent d’ADN, dans les deux branches du systĂšme nerveux autonome, dans le serpent des savoirs (caducĂ©e du mĂ©decin), dans celui des plantes-serpents (psychoactives, toxiques
), dans le serpent cosmique des traditions culturelles, dans le serpent de la Voie LactĂ©e, dans l’antique serpent malĂ©fique ou Satan, aussi bien que dans le Christ serpent rĂ©dempteur dressĂ© sur la croix. Sur un axe allant du plus dense au plus impalpable s’organisent les mĂȘmes structures essentielles qui ordonnent l’individu, le monde et l’univers. Le passage des rĂ©alitĂ©s sensibles Ă  des rĂ©alitĂ©s non-sensibles est assurĂ© par la fonction symbolique qui, par analogie, permet d’intĂ©grer leur communautĂ© de sens (le symbole doit ici ĂȘtre diffĂ©renciĂ© de la mĂ©taphore qui est partielle et de l’allĂ©gorie, liĂ©e Ă  un contexte culturel). Dans certaines circonstances, ces structures entrent en rĂ©sonance et l’énergie libĂ©rĂ©e peut gĂ©nĂ©rer une activation telle qu’elle se transforme en un chaos qui dĂ©bouche soit sur l’entropie avec la « mort energĂ©tique », soit le passage vers un ordre supĂ©rieur d’organisation, d’information, de cohĂ©rence et d’intelligence. Le contexte rituel guidĂ© vise prĂ©cisĂ©ment Ă  contenir ce chaos et l’orienter vers les issues nĂ©guentropiques. Pour reprendre l’expression du biologiste Rupert Sheldrake, le serpent qui structure ces diffĂ©rentes manifestations du vivant serait une espĂšce de champ morpho-gĂ©nĂ©tique. Mais je suis gĂȘnĂ© par cette expression qui me semble trop « laĂŻque ». Je veux dire par lĂ  qu’on a l’air d’avoir Ă  faire Ă  une instance non vivante et encore trop mĂ©canique d’oĂč l’ĂȘtre serait absent. Or le vĂ©cu nous signale que cette instance du serpent est pĂ©trie d'intelligence, de sagesse, de prĂ©sence, d’amour, d'ĂȘtre. Nous n’avons pas Ă  faire Ă  une vague Ă©nergie avec des ions ou des atomes remarquablement agencĂ©s, mais Ă  de l’ĂȘtre, de la densitĂ© d’ĂȘtre. Le serpent peut ĂȘtre reconnu Ă  l'extĂ©rieur parce qu’il prĂ©-existe Ă  l'intĂ©rieur de nous. Les Indiens d'Amazonie ont reconnu dans la Nature de nombreuses formes extĂ©rieures parce qu’elles prĂ©existaient Ă  l'intĂ©rieur d'eux-

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mĂȘmes. Le problĂšme pour nous occidentaux, Ă©loignĂ©s de la nature, c'est que nous nous retrouvons face Ă  une sociĂ©tĂ© extrĂȘmement complexe parce qu'elle a projetĂ© la complexitĂ© de notre structure interne biologique dans des systĂšmes technologiques : machines, tĂ©lĂ©communication, vĂ©hicules, informatique, traitement de l’image, rayonnements et radiations (laser), etc...Or leur correspondance symbolique n’est pas Ă©tablie dans l’univers intĂ©rieur du sujet (graphe neuronique). Tous ces systĂšmes impriment alors une espĂšce de dĂ©formation dans les frontiĂšres moi/non moi au niveau individuel et collectif et nourrissent alors les dĂ©lires en particulier chez des sujets dont les frontiĂšres moi/non moi sont labiles. Voir comment par exemple les psychotiques Ă©voquent les « ondes » qui pĂ©nĂštrent leur cerveau et le contrĂŽle occulte du Big Brother sur leurs pensĂ©es, etc. Face Ă  la faillite des grands mythes et la puissance visible de la technologie, les modĂšles de description scientifique viennent prendre le relais des mythes fondateurs afin de nous permettre de rĂ©organiser notre information. Nous nous reprĂ©sentons Ă  l'extĂ©rieur comment nous fonctionnons Ă  l'intĂ©rieur afin de pouvoir comprendre qui nous sommes : nous projetons pour ensuite pouvoir introjecter de nouveau ces informations mais Ă  un niveau supĂ©rieur d'ĂȘtre. Le bĂ©bĂ© accĂšde Ă  la conscience progressivement par l’apparition de sa capacitĂ© de reprĂ©sentation du monde, c’est-Ă -dire sa capacitĂ© de symbolisation, d’abstraction. Les objets sensibles deviennent le support de la naissance de la conscience au monde et Ă  soi-mĂȘme, donc Ă  l’existence. L’enfant introjecte ces objets et inversement peut projeter sur eux son univers intĂ©rieur. Ce processus adopte la forme de la « saisie » des donnĂ©es (l’enfant tente de saisir l’objet et le sucer, l’avaler), donc de l’avoir, de la possession de l’incorporation
 ces transitions sont nĂ©cessaires pour l’avĂšnement de la conscience de l’Etre. Ces informations acquises sont de nouveau projetĂ©es Ă  l’extĂ©rieur Ă  un niveau supĂ©rieur de complexitĂ© et dans ce va-et-vient ou interaction permanente extĂ©rieur-intĂ©rieur, moi- non moi, se dessine le sujet, ses limites, le champ de sa conscience
Le mot « inter-action » suppose bien que de « l’autre cĂŽtĂ© du moi », il existe aussi de l’intelligence et pas seulement l’impression en creux ou en miroir d’un non-moi insensible. C’est en ce sens que les structures-mĂšres comme la matrice du serpent-ayahuasca par exemple sont des structures intelligentes et s’assimilent davantage Ă  une «personne » (une entitĂ©-Ă©nergie-intelligence) qu’à un champ morpho-gĂ©nĂ©tique vide d’ĂȘtre. De la mĂȘme façon, nos modĂšles de comportement inconscients dĂ©finissent en nous une « personne », voire 2, 3,4, plusieurs personnes ? Et ces diffĂ©rentes personnes agissent Ă  travers nous, Ă  notre insu. L'une des fonctions de la psychothĂ©rapie consiste prĂ©cisĂ©ment Ă  identifier, prendre conscience de ces multiples personnages et tenter de les intĂ©grer. De cette maniĂšre ils cessent de nous agir et il devient possible de les maĂźtriser, les utiliser, les exprimer. Ces personnages de l'inconscient individuel peuvent aussi s’agrĂ©ger au sein de la communautĂ© humaine pour se cristalliser en des entitĂ©s de caractĂšre collectif ou archĂ©types. Les grands archĂ©types qui agissent nos sociĂ©tĂ©s sont le rĂ©sultat des personnes inconscientes individuelles que nous fabriquons et projetons. Cette projection peut permettre Ă©ventuellement dans un second temps leur intĂ©gration Ă  la conscience. Ces « personnes » seraient aussi des structures-Ă©nergies qui prĂ©existent dans la nature, dans notre nature, dans l’univers y inclus d’éventuels univers parallĂšles que laissent prĂ©sager la mĂ©canique quantique. Donc, cela veut dire une nature trĂšs vaste qui rĂ©unit toute la crĂ©ation. Ces formes-intelligence prĂ©-existent de façon indĂ©pendante, autonomes tant qu’elles se meuvent dans le champ de notre inconscience. Quand elles affleurent Ă  notre conscience, qu’elles commencent par exemple Ă  ĂȘtre visualisĂ©es dans des Ă©tats modifiĂ©s de conscience spontanĂ©s ou induits, elles perdent leur autonomie et peuvent ĂȘtre reconnues intĂ©rieurement. Les nommer serait l’ultime signe de maĂźtrise, la manifestation de la prĂ©Ă©minence de l’humain sur toute la CrĂ©ation. LĂ  aussi s’institue un mouvement de va-et-vient continuel entre ce monde exogĂšne de la crĂ©ation, de la manifestation, et cet univers intĂ©rieur qui nous habite et rejoint celui des Formes, des IdĂ©es, des archĂ©types. Le monde sensible de la nature nous offre ainsi l’occasion de reconnaĂźtre qui nous sommes, ce qui nous habite, comment nous fonctionnons. C'est chaque fois une opportunitĂ© de croĂźtre en conscience. Si ces formes archĂ©typales ou champs morpho-gĂ©nĂ©tiques pour les nommer rapidement prĂ©sentent un degrĂ© d’autonomie par rapport Ă  nous, cela voudrait aussi dire que nous ne sommes plus au centre du monde
 du moins dans notre Ă©tat d’inconscience Ă  leur Ă©gard.

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Les pratiques rituelles, en activant l’interaction entre le monde de la manifestation sensible et celui des formes archĂ©typiques invisibles, suscitent de nombreux phĂ©nomĂšnes de synchronicitĂ©. C’est ainsi que ces formes archĂ©typiques se matĂ©rialisent ou se laissent voir dans le monde sensible, toujours dans un rapport de sens qui les justifient ou les activent. Ainsi, il est frĂ©quent juste avant une session d'ayahuasca de voir des animaux (tarentule, chauve-souris, serpents, etc.) chargĂ©s de symbolisme et dont le signifiant s’impose lors de la session. L’apparition de ces animaux annonce des Ă©lĂ©ments-clĂ©s du contenu de la session au niveau psycho-Ă©nergĂ©tique. C’est-Ă -dire que leur apparition est dotĂ©e d’une valeur prĂ©dictive. Pendant la session, il y aura extĂ©riorisation de la problĂ©matique signifiĂ©e par l’évĂšnement symbolique prĂ©cĂ©dant la sĂ©ance thĂ©rapeutique. Le corps demeure le rĂ©ceptacle essentiel, le lieu de manifestation, la conscience premiĂšre de ce qui se joue dans le monde invisible. C'est en effet le corps qui « sait d'abord », avant que la prise de conscience n’ait lieu au niveau affectif (cƓur) et psychique (tĂȘte). On observe frĂ©quemment cette Ă©vidence lors des sessions d'ayahuasca et cela demeure toujours Ă©tonnant. Par exemple une personne pleure abondamment et lorsque aprĂšs la sĂ©ance on lui demande : « pourquoi pleurais-tu ? », le plus souvent elle est incapable d’en donner la raison. Or dans les deux ou trois sessions suivantes, cette mĂȘme personne va dĂ©couvrir le sentiment profond qui habite ces pleurs (angoisse, peur, colĂšre, tristesse
) sans toutefois encore identifier l’origine de ces Ă©motions. Enfin, dans une phase ultĂ©rieure, la source de cette souffrance se fera jour de maniĂšre claire avec une intĂ©gration corticale et rĂ©solutive. Mais le corps avait dĂ©jĂ  compris depuis longtemps et le travail thĂ©rapeutique Ă©tait dĂ©jĂ  effectif, bien qu’incomplet, depuis la premiĂšre session. Cette manifestation physique signale au thĂ©rapeute que le processus de guĂ©rison est enclenchĂ© vers une mĂ©tabolisation cognitive supĂ©rieure. L’ancrage ou intĂ©gration somatique est essentiel et prime sur l’intĂ©gration psychique qui peut ne pas avoir lieu. DiffĂ©rentes limitations du sujet peuvent retarder ou empĂȘcher cette assimilation consciente: dĂ©faut de capacitĂ© symbolique, intelligence rĂ©duite, insuffisance de moyens pour assumer la mĂ©tabolisation de la source de la souffrance au niveau 
 La comprĂ©hension rationnelle constitue un « extra », souhaitable mais pas indispensable. Cette approche thĂ©rapeutique est donc aussi accessible et efficace pour des sujets qui ne peuvent comprendre ce qui se joue en eux ou qui ne peuvent accĂ©der Ă  leur univers intĂ©rieur au moyen des voies de la verbalisation ou de l’entretien psychanalytique conventionnel. L’incarnation sert de support fondamental Ă  cette mĂ©thodologie de guĂ©rison, l’intĂ©gration somatique Ă©tant dĂ©jĂ  opĂ©ratoire en elle-mĂȘme et assurant une permanence des modifications psychiques inconscientes et comportementales qui en dĂ©coulent. Le patient n’a pas saisi consciemment ce qui s’est passĂ© en lui, il ne peut mettre son expĂ©rience en mots, et de ce fait le changement structurel qui s’est installĂ© en lui est souvent d’abord constatĂ© par les autres avant que lui-mĂȘme le rĂ©alise. Ce processus se situe quasi Ă  l’opposĂ© de l’abord psychique classique occidental qui tend Ă  accorder une place primordiale Ă  l’intĂ©gration corticale supĂ©rieure et qui souvent ignore l’ancrage somatique. Il reste que une des caractĂ©ristiques du chamanisme amazonien qui consiste en la capacitĂ© du chaman Ă  pouvoir extraire la structure Ă©nergĂ©tique des formes sensibles et d’en disposer librement hors du cadre limitĂ© des coordonnĂ©es spatio-temporelles classiques, demeure extrĂȘmement mystĂ©rieuse et difficile Ă  comprendre. Mais je vous renvoie aussi, sans y insister, Ă  un mystĂšre semblable et peut-ĂȘtre abordable par les mĂȘmes voies comme la lycanthropie europĂ©enne traditionnelle. RĂ©gresser de l'Ă©tat de culture Ă  l'Ă©tat de nature constitue une trĂšs grave transgression, sauf Ă  l’intĂ©rieur d’un cadre rituel qui pose clairement au dĂ©part l’intentionnalitĂ© du geste. Nous sommes autorisĂ©s Ă  l'indiffĂ©renciation si celle-ci est transitoire et vise Ă  la rĂ©organisation structurelle de notre ĂȘtre vers un degrĂ© supĂ©rieur de complexitĂ©. C’est-Ă -dire s’il s’agit de se « rematricier » de maniĂšre Ă  s’inscrire, ici et maintenant, dans une cohĂ©rence nouvelle. Cette dĂ©marche se retrouve dans la voie mystique occidentale qui constitue, je crois, une espĂšce d'espace idĂ©al de comprĂ©hension pour notre culture de tout ce que l’on peut nommer les « phĂ©nomĂšnes chamaniques ». Ces savoirs, exprimĂ©s diffĂ©remment, rĂ©vĂšlent la mĂȘme connaissance parce qu’elle appartient d’abord Ă  l’ordre de l'expĂ©rience qui renvoie Ă  cette incarnation commune Ă  la nature humaine au-delĂ  des cultures, du temps et de l’espace. Sous tous les cieux, et mĂȘme

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ceux d’Occident, il existe des ĂȘtres qui expĂ©rimentent depuis trĂšs longtemps et ont accĂ©dĂ© Ă  la mĂȘme et unique connaissance. Les mystiques en sont les prototypes. Le rapport de Saint François d'Assise avec les animaux est souvent reprĂ©sentĂ© comme une espĂšce de niaiserie infantile, Ă  l’eau de rose. Et cela parce que nous sommes incapables d’imaginer sa capacitĂ©, Ă  partir de ses Ă©motions personnelles, Ă  inspirer les formes animales vers une forme supĂ©rieure d’ĂȘtre. L’activation « Ă©nergĂ©tique » extrĂȘmement Ă©levĂ©e dont il est dĂ©tenteur lui permet d’élever Ă  une conscience accrue les formes animales. En communiquant directement avec elles, il paraĂźt spiritualiser les animaux, les aspirer vers la dimension spirituelle. C'est ce dont tĂ©moigne un de ses contemporains, le frĂšre Thomas de CĂ©lano qui dit de lui: «A partir de ce jour il ne manqua pas d'exhorter tous les oiseaux, tous les animaux, les reptiles et mĂȘme les crĂ©atures insensibles Ă  louer le CrĂ©ateur, faisant tous les jours l'expĂ©rience de leur docilitĂ© Ă  l’invocation du Nom du Seigneur». Il s’agit lĂ  d'Ă©cologie mystique oĂč le grand corps mystique est celui de l’univers-mĂȘme. Et nous faisons partie de ce seul grand corps mystique oĂč comme toute crĂ©ature nous sommes traversĂ©s par les mĂȘmes formes-structures Ă©lĂ©mentaires, structure-Ă©nergie, corps-Ă©nergie, personne, ĂȘtre, esprit. HĂ©lĂšne et Jean Bastaire (« Lettre Ă  St François d’Assise sur la fraternitĂ© cosmique », Ed. Paroles et Silence, 2001), signalent un fait similaire : « L’attitude constante des ermites envers la chasse est significative. Ils prennent systĂ©matiquement le parti du gibier. Un enchantement bloque les chiens Ă  l’orĂ©e de la clairiĂšre oĂč vivent les solitaires. Inscrit au seuil de leur cabane, un droit d’asile imprescriptible sauve de la mort les liĂšvres, les cerfs et les sangliers qui se prĂ©cipitent dans ce havre de paix. ProphĂštes eschatologiques d’un monde Ă  venir, ils ressuscitent l’Eden perdu en instaurant un espace non-violent qui, non seulement met l’animal Ă  l’abri des attentats de l’homme, mais oĂč l’homme non plus n’est plus menacĂ© par l’animal ». Le grand saint russe orthodoxe SĂ©raphin de Sarov entretenait des relations trĂšs amicales avec les ours de la taĂŻga
 Les lions s’approchent aussi de Blandine et Daniel sans leur faire de mal : cela signe la rĂ©conciliation avec les formes animales dĂ©sormais intĂ©grĂ©es dans cette nature humaine qui ne les rejette pas et cette absence de violence pacifie les animaux. La paix s’instaure ainsi de l’univers intĂ©rieur vers l’univers extĂ©rieur. Le grand saint noir du PĂ©rou, Saint Martin de Porres, rĂ©unissait chien, chat et souris pour manger docilement ensemble dans sa cellule. La paix s’instaure ici parce qu'il y a restauration des rĂšgles de la vie, de l’ordre du vivant. Le « rappel Ă  l’ordre » ne remporte pas un succĂšs au sein de notre « modernitĂ© », mais est-on lĂ  pour plaire ? L’ordre se rĂ©tablit parce qu’il est immanent, vient de l’amour et suscite l’adhĂ©sion et non parce qu’il est imposĂ© de façon dictatoriale, ce qui serait un dĂ©sordre organisĂ©. Et nous partageons la conclusion des Ă©poux Bastaire : « L’homme est en consubstantiel accord avec la rĂ©alitĂ© du monde qui non seulement l’entoure, mais le pĂ©nĂštre de toutes parts, l’informe et le tisse jusqu’aux plus infimes de ses fibres. Il se reconnaĂźt dans l’univers comme l’univers se reconnaĂźt en lui. » Et dans cette Ă©cologie chrĂ©tienne qui naĂźt d’un recentrage copernicien de notre cosmos intĂ©rieur, « il nous faut attester en nous la prĂ©sence du soleil, des arbres et des bĂȘtes, de toute l’astronomie, la botanique et la zoologie rĂ©unies. PrĂ©sence archĂ©typale et symbolique, bien sĂ»r, mais non moins concrĂšte que la prĂ©sence physique ». Nous dirions mĂȘme qu’il y a prĂ©sence physique par l’incarnation des archĂ©types et qu’il faut bien entendre-lĂ  que « symbolique » ne signifie pas « virtuel » comme nous devons sans cesse le souligner. L’ĂȘtre humain se trouve une nouvelle fois au centre d’une croix, Ă  la rencontre de deux axes, celui de l’ontogenĂšse versus phylogenĂšse (individu-collectivitĂ©) et celui du microcosme versus macrocosme (individu-univers). Il synthĂ©tise, rĂ©sume ou rĂ©capitule en quelque sorte dans son incarnation l’immensitĂ© des mondes, son corps se manifestant comme le temple du SacrĂ© ou lieu de rĂ©vĂ©lation de la Vie. Il est lien entre le moi et le non-moi, sas entre l’univers intĂ©rieur (monde endogĂšne) et univers extĂ©rieur (monde exogĂšne), comme chargĂ© d’assurer l’intĂ©gritĂ© du Vivant. Serait-ce lĂ  une fonction essentielle de la nature humaine : le

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dĂ©pĂŽt de la Vie dans sa cohĂ©rence et son harmonie ? Et peut-ĂȘtre, au-delĂ  d’une fonction statique de conservation et gardiennage, celle d’une mise au monde d’une conscience plus large, de l’accouchement de l’ĂȘtre en conscience, de la cĂ©lĂ©bration de la sacralitĂ© de l’existence qui embrasse toute crĂ©ature. Comme si seul l’homme pouvait assumer ce rĂŽle sacerdotal d’offrande au CrĂ©ateur des gĂ©missements et de la plainte de l’Univers muet qui ne peut mais aspire Ă  prononcer le Nom du PĂšre. Comme si cette louange de la Nature inspirĂ©e par Saint François ne visait pas autre chose que la reconnaissance de notre filiation au mĂȘme PĂšre impliquant la fraternitĂ© universelle. L’ĂȘtre humain permet Ă  l’univers de se conscientiser Ă  travers lui et assume donc un contrat essentiel au sein de la CrĂ©ation. Inversement nous avons pu observer directement comment un chercheur dĂ©veloppant une Ă©tude brillante mais rĂ©ductrice, d’un rĂ©ductionnisme matĂ©rialiste, sur le « serpent cosmique », s’est retrouvĂ© tout Ă  fait effrayĂ© par les serpents bien rĂ©els qu’il a rencontrĂ©s en Amazonie au point de faire avorter son projet d’études. Le manque d’intĂ©gration du signifiant symbolique du serpent pour le chercheur lui-mĂȘme l’a renvoyĂ© Ă  sa propre approche « insensĂ©e » des savoirs chamaniques oĂč il pensait accĂ©der Ă  des informations-clĂ©s sur la vie (biologique) en esquivant la dimension du sacrĂ©. Ce dĂ©sir promĂ©thĂ©en a Ă©tĂ© sĂ©vĂšrement sanctionnĂ© parce « qu’au lieu d’une amoureuse contemplation du crĂ©Ă© et un hommage Ă©merveillĂ© Ă  sa beautĂ©, la connaissance devient un voyeurisme abject qui cherche Ă  surprendre les secrets de la nature pour les capter et les jeter au lupanar de l’économie de marchĂ© » (Bastaire, p-90) ou de la promotion acadĂ©mique
 Le serpent signale gĂ©nĂ©ralement un niveau de perturbation Ă©nergĂ©tique d’ordre spirituel (transgression) et il apparaĂźt trĂšs frĂ©quemment aux personnes qui sont en retraite rituelle (isolement-diĂšte) en forĂȘt. Cependant, sa fonction est ici d’apporter du sens, de montrer dans l’ordre du visible ce qui est invisible aux yeux du retraitant, c’est-Ă -dire qu’il a une fonction symbolique, il est signe. De ce fait, il n’assume jamais de rĂŽle prĂ©dateur ou agresseur si le contexte rituel est garanti. Durant 17 ans d’expĂ©rience de retraite en forĂȘt, avec une moyenne de 10 retraitants par mois, nous avons Ă  notre actif environ 2000 retraites individuelles, soit une approximation minimale de 12000 journĂ©es cumulĂ©es d’exposition aux serpents venimeux : pas une seule morsure n’a Ă©tĂ© constatĂ©e Ă  ce jour ! Les animaux symboliques rejetĂ©s ou ignorĂ©s vont se manifester avec une admirable constance pour forcer l’individu Ă  les reconnaĂźtre et entreprendre le travail d’assimilation. Il est admirable de constater comment les tarentules s’obstinent Ă  apparaĂźtre Ă  celui qui n’a pas rĂ©glĂ© les problĂšmes de « la mĂšre nĂ©gative ». Ou comment ce patient fuyant dans l’hyperactivitĂ© n’a pu Ă©chapper Ă  la prĂ©sence irritante d’un paresseux face Ă  lui durant ses huit jours d’isolement en forĂȘt. Chez le toxicomane, la violation de l’ordre intrinsĂšque de la vie et de ses rĂšgles, induit un renversement structurel et le sujet va se retrouver possĂ©dĂ© par « l'esprit » des drogues. Cette « mĂšre » (la « madre » des guĂ©risseurs), cette structure-Ă©nergie, n’accouche plus du sujet vers la conscience mais le dĂ©vore et le digĂšre dans l’inconscience. Nous avons su cela en Occident quand nous avons qualifiĂ©s les alcools de « spiritueux ». L'alcool a en effet un « esprit » et toutes les plantes initiatiques, psychoactives, ont de mĂȘme un esprit, de la marijuana au pavot en passant par le tabac, la coca, l’iboga, le kat, le peyotl, le sampedro, l’amanite tue-mouche, le kava-kava et bien d’autres. Hors des sociĂ©tĂ©s traditionnelles, cet esprit est pratiquement toujours violentĂ© dans une approche oĂč font dĂ©faut le respect et la « technologie » des formes rituelles, oĂč l’objectif ludique Ă©carte la finalitĂ© initiatique et de connaissance de soi. Les contextes ludiques s’instaurent pour rĂ©pondre aux pulsions du caprice au lieu de l’aspiration Ă  la libertĂ©. Cette transgression, en Ă©liminant la protection rituelle, rend le sujet extrĂȘmement vulnĂ©rable et permet la possession par l’incorporation d’une structure-Ă©nergie qu'il ne contrĂŽle pas. La perte de maĂźtrise est inconsciente et de ce fait devient une possession d’autant qu’elle s’accompagne d’une fascination Ă©motionnelle et d’une exaltation somatique initialement de l’ordre de la jouissance. Traiter un toxicomane revient donc en quelque sorte Ă  appliquer un exorcisme, une libĂ©ration spirituelle. L'exorcisme est dotĂ© chez nous d’une connotation assez moyenĂągeuse qui demande rĂ©vision. Je me permets de le redĂ©finir simplement, au risque d’ĂȘtre rĂ©ducteur, comme l’invocation d'une forme-structure ou

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structure-Ă©nergie rĂ©organisatrice, restauratrice de l’ordre de la vie. Qu'est-ce que fait un guĂ©risseur quand il chante, en Amazonie ? Il invoque des formes structurĂ©es de la vie, des Ă©lĂ©ments organisĂ©s de la nature visible et invisible. Son habilitation et son expĂ©rience lui permettent d’avoir une puissance d'appel. En « prĂ©sentifiant », incarnant, cette Ă©nergie qu’il attire dans cet ici-et-maintenant du cadre rituel, il procĂšde Ă  son incorporation dans le corps-Ă©nergie du patient. Il profite en quelque sorte de l'Ă©tat d'indiffĂ©renciation temporaire du sujet dans le cadre rituel pour rĂ©actualiser l’ordre en lui en assimilant la structure-Ă©nergie rĂ©organisatrice de la nature dans son organisme. De ce fait, les incorporations nĂ©gatives antĂ©rieures du sujet sont Ă©vacuĂ©es ou rĂ©ordonnĂ©es. Plus les ancrages transgressifs et toxiques sont profonds chez le patient, plus ils requiĂšrent d’un niveau supĂ©rieur d’invocation. Les infestations par des esprits pervers relĂšvent d’une atteinte dĂ©moniaque et exigent l’appel aux « mĂšres » positives d’un plus haut degrĂ© hiĂ©rarchique, en particulier les forces spirituelles du monde invisible. On voit bien qu’il s’agit alors d’un combat spirituel ou le guĂ©risseur joue le rĂŽle de mĂ©diateur et de guerrier. Ce principe thĂ©rapeutique s’élargit Ă  l’ensemble des mĂ©decines amazoniennes, des problĂšmes les plus Ă©lĂ©mentaires (frayeur- « susto »- chez l’enfant) jusqu’aux plus complexes (sorcellerie et possession). L’art qui consiste Ă  extraire l’énergie fondamentale des formes de la vie et en disposer pour harmoniser l’énergie des patients en est la clĂ©. Le chant (ikaro) reprĂ©sente l’instrument essentiel d’invocation ou de priĂšre du guĂ©risseur. En invoquant des matrices situĂ©es dans une dimension hors de l’espace-temps pour s’y inscrire, les ikaros se doivent non seulement d’ĂȘtre signifiant au niveau des paroles, mais aussi et surtout ĂȘtre dotĂ©s d’une forme particuliĂšre qui assure sa cohĂ©rence dans le monde symbolique. On y trouve ainsi des mĂ©lodies spĂ©cifiques et des structures musicales complexes, des phĂ©nomĂšnes rĂ©pĂ©titifs, des onomatopĂ©es et souvent un langage particulier. Le quechua demeure dominant dans les chants guĂ©risseur amazoniens mĂȘme en dehors de son aire habituelle d’usage, comme les hindous font appel au sanskrit, des bouddhistes au pali et des chrĂ©tiens au latin
 Ces invocations pour devenir efficaces sont activĂ©es et dĂ©multipliĂ©es par la foi du thĂ©rapeute; sa prĂ©paration Ă©nergĂ©tique-initiatique qui assure la mobilisation de ses propres Ă©nergies Ă  travers le chant; la foi du sujet rĂ©cepteur; la mise en forme rituelle et sa cohĂ©rence par rapport au problĂšme posĂ© et au contexte en jeu (date choisie, lieu, forme-structure et habilitation du thĂ©rapeute; etc.). Lorsque que nous avons incorporĂ© en nous des formes structures d'une maniĂšre inadĂ©quate, l’ayahuasca nous permet de le visualiser. A la mesure de l’investissement psycho-affectif envers nos organes ou de la symbolique qui leur correspond, ceux-ci dans la vision apparaĂźtront enflĂ©s, rĂ©duits, amputĂ©s ou dĂ©formĂ©s. Ces formes monstrueuses rĂ©vĂšlent ainsi Ă  notre conscience les perversitĂ©s qui nous habitent. Les dystrophies psychiques, affectives, spirituelles vont se projeter en quelque sorte dans un volume visuel strictement proportionnel Ă  leur intensitĂ© Ă©nergĂ©tique. Les obsĂ©dĂ©s sexuels traĂźnent un sexe Ă©norme; ceux qui sont dĂ©vorĂ©s par l’aviditĂ© montrent des bouches monstrueuses; les orgueilleux ont «la grosse tĂȘte », les avares de mains crochues, les arrogants la poitrine rebondie
La sagesse populaire a dĂ©jĂ  reconnue ces monstruositĂ©s qui font partie de l’inconscient collectif mais peuvent, dans cette approche spĂ©cifique, ĂȘtre visualisĂ©es par tout un chacun pour mieux se connaĂźtre. Ces hypo ou hypertrophies finissent par se marquer visiblement dans la matiĂšre ou corporĂ©itĂ© du sujet et la morphopsychologie (Louis Corman) s’est plue Ă  identifier et classifier ces caractĂ©ristiques pour en formuler une typologie psychique de valeur diagnostique. Inversement, les vertus et qualitĂ©s se rĂ©vĂšlent sous des aspects harmonieux, lumineux, plein de beauté  Le visage de certains saints est particuliĂšrement Ă©vocateur comme ce magnifique regard emprunt de douceur de Charles de Foucauld sur la fin de sa vie. Les images sont Ă©galement accompagnĂ©es des perceptions des autres sens qui les amplifient, complĂštent ou parfois mĂȘme remplacent complĂštement. On peut ainsi sentir olfactivement la peur, la haine, la tristesse mais aussi la bontĂ© et l’amour. La monstruositĂ© rĂ©vĂšle nos formes non humanisĂ©es ou encore mieux non spiritualisĂ©es, Ă©tant entendu que la rĂ©alisation spirituelle reprĂ©sente l’aboutissement souhaitĂ© du cheminement de l’humain. Nous sommes ainsi souvent comme des chimĂšres oĂč se cĂŽtoient en nous des formes de diffĂ©rente nature et de diffĂ©rents rĂšgnes. Nous sommes parfois Ă  peine sortis des eaux matricielles, certaines parties de notre ĂȘtre demeurant encore enfouies dans un milieu aquatique, et on voit traĂźner dans les visions des queues de crocodiles et des pattes d’iguane
 La pĂ©trification de nos affects laissera voir un cƓur de pierre ou des « culs gelĂ©s ». Des hĂ©ritages

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ancestraux non conscientisĂ©s peuvent se manifester sous la forme d’animaux prĂ©historiques ou bien de bĂȘtes empaillĂ©es. La perte de la dimension symbolique dans son essence dynamique et opĂ©ratoire, en empĂȘchant l’accĂšs aux signifiants, emprisonne l’ĂȘtre humain dans l’absurditĂ© du non sens. Les forces psychiques non reconnues et spiritualisĂ©es envahissent le sujet Ă  son insu et le possĂšdent. Ce phĂ©nomĂšne de diabolisation collectif de notre sociĂ©tĂ© occidentale dĂ©sacralisĂ©e laisse la violence s’emparer du monde. Le serpent lovĂ© dans le bas-ventre et qui rĂ©unit les forces instinctuelles et pulsions primitives de l’humain, peut se rĂ©vĂ©ler alors dangereux. L’humain est appelĂ© Ă  domestiquer sa sauvagerie, transmuter ses pulsions de façon Ă  permettre Ă  ce que ces Ă©nergies soient canalisĂ©es et montent le long de l’axe du serpent-kundalini pour fleurir et s’épanouir au sommet du crĂąne comme le lotus de l’Illumination bouddhique. L’homme est donc appelĂ© Ă  passer de l’état de nature (de la mĂšre) Ă  celui de culture (au pĂšre) en apprivoisant les forces primaires qui l’habitent et pourraient Ă©ventuellement l’investir. Ainsi, dans un certain nombre de rituels d’exorcisme traditionnels, la tĂąche consiste Ă  maĂźtriser symboliquement des bĂȘtes sauvages. Au Sri-Lanka, par exemple, dans les exorcismes thĂ©rapeutiques bouddhistes, « les deux derniĂšres sĂ©quences du rituel Mangara Pelapaliya, At bandima et Mi bandima (lier l’élĂ©phant, lier le buffle), tournent autour de la relation de la nature et de la culture, du contrĂŽle, de la domestication des pulsions. Tout ceci est compris dans l’action symbolique de lier, d’attacher une bĂȘte sauvage » (« Tovil, Exorcismes thĂ©rapeutiques bouddhistes », Bruce Kapferer, Georges Papigny, Desiris Ed., 2002, p.69). La transgression de la Loi de la Vie, c'est-Ă -dire pour l’humain de sa nature profonde qui est d’ordre spirituel, en particulier par une identification aux pulsions, peut gĂ©nĂ©rer une rĂ©gression Ă  une nature animale. Catherine de Sienne, dans son « Dialogue » avait dĂ©jĂ  Ă©crit : « L’homme naĂźt dans l’étable, parmi les animaux et ceux qui n’exercent pas la lumiĂšre de la raison font du Temple de leur Ăąme un repaire d’animaux, le jardin de leur Ăąme revenant Ă  l’état sauvage ». La Bible nous montre comment pour le sauver du dĂ©luge, l’enfouissement dans les eaux, NoĂ© rassemble les animaux dans son Arche. On peut y voir une image des nĂ©cessaires intĂ©grations des pulsions animales au champ de conscience par la voie symbolique (arche). L’homme qui ne maĂźtrise pas l’émergence des mĂ©canismes bio-psychologiques qui l’habitent ou bien les refoule, risque de se noyer dans des affects diluants. La question se pose bien entendu de l’autonomie des ces structures-Ă©nergie par rapport Ă  nous, Ă  notre psychĂ©, Ă  notre cƓur. Il semble que cette autonomie soit bien rĂ©elle comme Jung l’avait dĂ©jĂ  signalĂ© Ă  propos des archĂ©types. Mais nous pouvons cependant contribuer Ă  leur invocation-Ă©vocation de façon bĂ©nĂ©fique aussi bien que dommageable. Les invocations sataniques de certaines formes de rock sont aussi opĂ©ratoires, comme l’usage de certains objets qui font partie de l’art magique ou le fait de revendiquer d’appartenir au monde l’ombre en s’habillant systĂ©matiquement tout de noir. Inversement, les rituels de guĂ©rison se proposent comme des structures-Ă©nergies spĂ©cifiques qui appartiendraient Ă  une forme de « magie blanche » tel que le revendique l’HermĂ©tisme chrĂ©tien. L’intentionnalitĂ© revient ici au premier plan pour diffĂ©rencier ce qui habite des approches thĂ©rapeutiques ou initiatiques et des pratiques superstitieuses. Saint Paul nous rappelle dans une cĂ©lĂšbre Lettre (I Corinthiens 13, 1-3), que l’amour doit ĂȘtre roi et institue la diffĂ©rence entre le pouvoir et l’avoir : « Que je parle les langues des hommes et des anges, si je n’ai pas l’amour, je ne suis qu’un gong retentissant, qu’une cymbale tonitruante. Que j’aie de l’inspiration, que je sache tous les mystĂšres et toute la connaissance, que j’aie toute la foi, Ă  transporter les montagnes, si je n’ai pas l’amour, je ne suis rien ». Et l’intention est toujours Ă  purifier car elle n’est jamais complĂštement dĂ©nuĂ©e de l’attente d’avantages secondaires, conscients ou inconscients, des revendications sournoises de l’ego en quĂȘte de reconnaissance, de toute-puissance
 Le rituel sert donc aussi Ă  se prĂ©munir contre cette impuretĂ© toujours prĂ©sente de notre intentionnalitĂ©. Lorsque celle-ci est trop trouble ou qu’elle n’est pas assujettie aux exigences rituelles, la superstition s’insinue, c’est-Ă -dire la manipulation des formes-Ă©nergies.

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Dans un travail d'initiation, l'intention doit ĂȘtre entiĂšre, c’est-Ă -dire assumer l’intĂ©gralitĂ© de notre ĂȘtre. Une intention qui viendrait seulement de la tĂȘte, sans y mettre le cƓur et les « tripes », peut trĂšs vite ĂȘtre infestĂ©e par les dĂ©sirs voraces de l'ego. Le vĂ©ritable thĂ©rapeute est ainsi appelĂ© Ă  purifier sans cesse sa personne et cela passe dans les traditions amazoniennes par une purgation permanente du corps-Ă©nergie. Les plantes Ă©mĂ©tiques (vomitives) sont donc trĂšs prĂ©sentes Ă  Takiwasi. Vomir constitue inĂ©vitablement un geste d’humilitĂ© en contraignant le sujet Ă  « courber l'Ă©chine », Ă  rompre la rigiditĂ© du « peuple Ă  la nuque raide » auquel nous appartenons tous Ă  divers degrĂ©s. Revenons Ă  cette situation de crise Ă©mergente oĂč un sujet connaĂźt une grande instabilitĂ© psychique et se sent extrĂȘmement vulnĂ©rable. Au moment de la bifurcation possible vers la vie ou la mort, la croissance ou le renoncement, se manifeste souvent une espĂšce de pulsion intelligente qui pousse vers la dĂ©cision nĂ©guentropique. Cela est prĂ©sentĂ© gĂ©nĂ©ralement comme une force venant d’avant, du passĂ©, de l’antĂ©rioritĂ© du sujet et qui le propulserait vers le futur, l’espĂ©rance, le choix du risque de vivre. De la mĂȘme façon que l’évolution ontogĂ©nique, la poussĂ©e de vie phylogĂ©nique est traitĂ©e en terme de flux vital semblable Ă  la sĂšve montant du sol vers les extrĂ©mitĂ©s des plus hautes branches de l’arbre. Comme si une force intĂ©rieure catapultait de maniĂšre incessante la vie en avant. On peut cependant se demander s’il ne s’agirait pas aussi d’une aspiration de la vie vers le haut comme les radiations lunaires attirent la sĂšve ou font monter les eaux de l’ocĂ©an. L’homme serait-il donc ainsi aspirĂ© ou inspirĂ© vers le dĂ©passement constant de lui-mĂȘme par une force d’attraction spirituelle transcendante qui le tirerait vers son Ă©panouissement ? ReconnaĂźtre cette capacitĂ© de l’homme Ă  ĂȘtre inspirĂ© lui ĂŽte du mĂȘme coup toute prĂ©tention Ă  ĂȘtre crĂ©ateur. L’homme ne crĂ©Ă© rien, il matĂ©rialise ses inspirations. Dans cet ordre d’idĂ©e, une transgression fondamentale et majeure de l’humain consiste Ă  prĂ©tendre qu’il donne la vie. La mĂšre ne donne pas la vie, elle la transmet. Nos parents ne nous ont pas donnĂ© la vie, ils nous l'ont transmise. L’homme ne crĂ©e pas, il transforme, il transmet, il informe mais il ne crĂ©e pas. On se croit tout le temps crĂ©ateur, on ne fait que cela d'ailleurs. Tant qu'on se croit crĂ©ateur, on est dans la toute-puissance et l'inspiration est impossible. Seul celui qui est vraiment dans l'humilitĂ©, et Dieu sait si c'est difficile pour nous tous, peut ĂȘtre inspirĂ©. Dans ces moments de dĂ©libĂ©ration interne, au cƓur de la crise, l'ĂȘtre humain peut demander Ă  ĂȘtre inspirĂ©, peut solliciter l'inspiration, peut prier pour ĂȘtre fĂ©condĂ© par cet inspir divin. Toutes les traditions insistent justement sur la place de la priĂšre, de la mĂ©ditation, ces espaces de vide intĂ©rieur oĂč l’ĂȘtre en accueil et rĂ©ception peut ĂȘtre visitĂ©. Accepter d’offrir des instants « inutiles », oĂč l’on donne de son temps, en acceptant de ne rien comprendre, permet Ă  l'inspiration de surgir, sur le moment ou plus tard. Cette mise en disponibilitĂ© signale Ă©galement la reconnaissance d'une transcendance. Et en derniĂšre instance, la forme-Ă©nergie qui nous structure, nous nourrit, nous habite est de l’ordre de la transcendance. L’investissement de l’ĂȘtre humain suffisamment disponible par cette puissance qui le dĂ©passe le conduit Ă  l'extase. Conclusion J'ai essayĂ© de naviguer au milieu de nombreux thĂšmes trĂšs difficiles d’abord. J’espĂšre que ces quelques dĂ©veloppements polymorphes finiront par peindre une maniĂšre de voir la question de la rĂ©alisation personnelle. Dans notre processus d'individuation personnelle, le but est finalement d'ajouter Ă  chaque Ă©tape de l'ordre Ă  la situation prĂ©cĂ©dente en assimilant correctement les informations surgies au cours des expĂ©riences de vie. Ces donnĂ©es de plus en plus complexes sur l’univers sont alors intĂ©grĂ©es dans un systĂšme organisationnel qui, tout en s’enrichissant, va se simplifiant. Nous sommes des systĂšmes vivants ouverts oĂč notre « corps » acquiert une Ă©nergie de plus en plus Ă©levĂ©e et de plus en plus subtile. Chaque crise existentielle offre l’occasion de refuser la pulsion entropique qui conduit Ă  la mort pour choisir l’inspiration nĂ©guentropique qui nous invite Ă  passer Ă  un niveau supĂ©rieur d’ĂȘtre et de conscience.

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Etre davantage conscient signifie comprendre moins (au sens purement rationnel et Ă©gotique du terme) pour ĂȘtre davantage compris, saisi, « pris » par une dimension d’Etre qui nous dĂ©passe. Nous sommes invitĂ©s Ă  participer au beau, au bon et au bien mais par les voies de la contemplation. La tentation fondamentale de l’ĂȘtre humain, dĂ©crite dans la scĂšne mythique de la GenĂšse, est de cĂ©der Ă  notre fonction fĂ©minine (la femme saisit la pomme) qui prĂ©tend accĂ©der Ă  la connaissance du bien et du mal en se l'incorporant, en s’appropriant ses fruits. La connaissance est de l’ordre de l’ĂȘtre et pas de l’avoir: elle peut la voir mais pas l’avoir. On ne peut s’approcher du savoir et de la connaissance de la vie que par la contemplation de son immense mystĂšre. Les grandes traditions proposent ainsi de se conformer Ă  ce mystĂšre par les voies de l’imitation des EveillĂ©s : imitation du Christ, du Bouddha, du ProphĂšte... Cette contemplation demande un constant rĂ©ajustement et une purification du « regard portĂ© sur ». L’élaboration patiente de ce vase d’accueil intĂ©rieur par la priĂšre-mĂ©ditation offre la possibilitĂ© d’ĂȘtre inspirĂ©, voire emportĂ© (transports mystiques) ou Ă©bloui (illumination). On n'est plus lĂ  dans la saisie primaire des donnĂ©es par l'enfant qui veut s'approprier le rĂ©el mais au contraire dans un mouvement de dĂ©possession, de dĂ©tachement, d’oubli de soi. Les bouddhistes insistent avec juste raison ce me semble sur ce processus de dĂ©pouillement de tout ce que l'on croit savoir, de tout ce qu'on croit. Comment d’ailleurs pourrait-on ĂȘtre dĂ©tenteur du savoir ? DĂ©tenir cela veut aussi dire arrĂȘter. On ne peut pas dĂ©tenir la vĂ©ritĂ© mais on peut « ĂȘtre » dans le vrai. On ne peut pas « avoir » raison mais l’on peut « ĂȘtre » raisonnable. Quand JĂ©sus parle, le rabbi reconnu ne dit jamais « j'ai raison, je pense que, je crois que », il annonce d’autoritĂ© : « en vĂ©ritĂ©, Je vous le dis » et il s’identifie avec l’Être de VĂ©ritĂ© en proclamant : « Je suis la vĂ©ritĂ© », « Je suis ». On ne peut qu'ĂȘtre dans la vĂ©ritĂ© ou ĂȘtre la VĂ©ritĂ©, on ne peut pas seulement « avoir » raison. Je crois prĂ©cisĂ©ment que le grand dĂ©fi de l'heure actuelle au sein de notre sociĂ©tĂ© du relativisme est l’affirmation et la reconnaissance que la Vie et l’univers sont la manifestation d'un ordre transcendant. La loi de la nature embrasse toute la crĂ©ation y inclus notre nature humaine et de ce fait nous met en prĂ©sence d'un lien rĂ©el et obligatoire avec la vĂ©ritĂ©. Dans une Ă©poque oĂč l’on considĂšre de bon ton d’accorder Ă  chacun « sa » vĂ©ritĂ©, cette pseudo-tolĂ©rance cache en fait le poison de l’intolĂ©rance la plus violente. La tolĂ©rance ne peut exister que dans la diffĂ©renciation, la diffĂ©rence reconnue et acceptĂ©e de l’autre, de son irrĂ©ductible altĂ©ritĂ© et donc de sa libertĂ© fondamentale. Feindre d’ignorer les diffĂ©rences constitue une imposture et une tentative d’assimilation de « tous les autres » Ă  une espĂšce de masse indiffĂ©renciĂ©e. C’est prĂ©cisĂ©ment la nĂ©gation de la tolĂ©rance et l’institution de l’indiffĂ©rence comme fondement social de la collectivitĂ©. La dĂ©fense indiscriminĂ©e des vĂ©ritĂ©s particuliĂšres au nom d’une prĂ©tendue tolĂ©rance et d’une la libertĂ© confondue avec le caprice abolit le vĂ©ritable respect de l’autre et sa libertĂ© d’accĂšs Ă  sa vocation spirituelle. Dans cette confusion des valeurs, la notion mĂȘme de VĂ©ritĂ© unique et fondatrice du monde est tout simplement annulĂ©e. Nous sommes dans un monde qui nie le fait qu'il puisse y avoir une vĂ©ritĂ© et cette nĂ©gation gravissime laisse le champ Ă  toutes les impostures possibles. Nous sommes face Ă  une instabilitĂ© trĂšs grande des Ă©nergies des personnes et de la sociĂ©tĂ© qui nous offre l’occasion d’une crise Ă©mergente. Le travail d'individuation prend une dimension collective Ă  l'Ă©poque actuelle. Dans cette bifurcation possible, la dĂ©libĂ©ration interne collective et les aspirations qui se feront jour nous conduiront-elles vers la nĂ©gation entropique, cette « culture de la mort » dĂ©jĂ  dĂ©noncĂ©e et qui mĂšne Ă  la dĂ©gradation du systĂšme vers la sauvagerie et la violence ? L’indiffĂ©rence, la tiĂ©deur, la peur, les rĂ©sistances prendront-elles dĂ©finitivement le pas sur le nĂ©cessaire courage pour un saut nĂ©guentropique vers une vie nouvelle ? Ce courage sera surtout requis pour vaincre le tabou de la modernitĂ© sur le sacrĂ© et le spirituel, et l’arrogance de ses mythes afin d’avoir l’audace de reconnaĂźtre que notre monde s’inscrit dans un ordre transcendant, que « quelque chose » nous dĂ©passe
 que la prĂ©tention de la science a dire le vrai sur le sens des choses, et de plus Ă  ĂȘtre seule Ă  pouvoir le faire, relĂšve de l’imposture. Puisque nous sommes dĂ©passĂ©s complĂštement par notre propre existence, autant le reconnaĂźtre. Le cadeau que nous pouvons nous faire Ă  nous-mĂȘmes est l’audace de grandir. Il y suffit d’un peu d'humilitĂ© et de nous laisser habiter par la passion de la vĂ©ritĂ©, de nous laisser saisir par la foi en l’homme libre. Cet homme libre est celui qui accepte de ne pas saisir l'esprit qui le transcende mais d’ĂȘtre saisi par lui.

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Je vais conclure là-dessus, sur un trop vaste sujet. J'espÚre que je n'ai avoir été trop ennuyeux et je vous propose de me poser des questions et s'il y a des commentaires à faire, je suis à votre disposition. Merci.

_____________________ Questions ouvertes Merci docteur pour cette confĂ©rence fort intĂ©ressante. Vous avez dit Ă  un moment : on a droit Ă  la transgression pourvue qu'elle soit passagĂšre, pourvu qu'elle organise l'ici et le maintenant. Je voudrais savoir si c'est votre expĂ©rience ou si c’est extrait d'un livre, d'un corpus ? Ce que j’ai dit vient avant tout de mon expĂ©rience. Mais je n'ai pas dit qu'on a droit aux transgressions, j'ai dit que lorsqu'on rĂ©gresse vers l'indiffĂ©renciĂ© dans un contexte rituel, lĂ  il n'y a pas transgression parce que c'est posĂ© dĂšs le dĂ©part comme une quĂȘte de retour Ă  une plus grande normalitĂ©. Il ne s’agit pas de demeurer dans la rĂ©gression mais de viser un statut de plus haut progrĂšs dans la dĂ©marche d’individuation. A propos des Ă©tats modifiĂ©s de conscience, on peut modifier sa conscience avec une possibilitĂ© de rĂ©gresser dans une certaine indiffĂ©renciation, mais on le fait pour revenir ensuite Ă  la conscience de l'ici-et-maintenant et enrichi cette expĂ©rience lĂ . Donc, la rĂ©gression a lieu dans un but ultime de progression et de ce fait il n’y a pas de transgression vraie. C'est pour cela que le contexte rituel est fondamental. Mais le rituel n'est pas n'importe quoi. Il ne s’agit pas d’improviser avec quelques bougies, un peu de musique relaxante, de la fumĂ©e d’encens
Il ne s’agit pas d’esthĂ©tique qui n’a rien Ă  voir avec l’efficacitĂ© rituelle. Je vous assure que les chants de certains guĂ©risseurs n’ont rien d’esthĂ©tique a priori mais au sein de l'expĂ©rience, la perception en est toute diffĂ©rente. Le rituel est imposĂ© par le vĂ©hicule Ă©nergĂ©tique qu'on manie ou utilise. Si vous roulez en vĂ©lo, vous ne pouvez pas faire comme si vous conduisiez un trente tonnes. Une plante comme l'ayahuasca est un vĂ©hicule qui prĂ©sente une structure Ă©nergĂ©tique particuliĂšre. Elle nous permet de nous transporter durant les sessions dans des espaces psychiques diffĂ©rents. Elle possĂšde une forme spĂ©cifique, une maniĂšre de nous mouvoir, de nous dĂ©placer. Tout vĂ©hicule nous impose une certaine conduite. Si on utilise l'ayahuasca, le rituel est imposĂ© par la structure Ă©nergĂ©tique propre de l'ayahuasca. Le conducteur a Ă©galement sa propre maniĂšre de fonctionner. La personne qui mĂšne la session a sa structure propre, de mĂȘme que le lieu de la session et autres Ă©lĂ©ments du contexte. C’est cet ensemble de facteurs qui conditionne la conduite rituelle. Si le thĂ©rapeute qui conduit la sĂ©ance fonctionne en systĂšme fermĂ©, il ne peut ouvrir l’espace thĂ©rapeutique. Si son intentionnalitĂ© n’est pas claire, quel sur-ordre pourra-t-il instaurer ? Quand on fait ce genre d'expĂ©rience, ce sont des choses Ă  vĂ©rifier. Qui est cette personne, au fond ? Cherche-t-elle de l'argent, du sexe, du pouvoir, de la reconnaissance ? Quel est son degrĂ© d’authenticitĂ© ? La rĂ©ponse Ă  ces questions dĂ©termine le fait de poursuivre ou s’engager ou non avec un thĂ©rapeute. Le rituel ne consiste pas Ă  rĂ©pĂ©ter le scĂ©nario d’un autre, Ă  copier ou imiter une scĂ©nographie. Il ne suffit pas de faire la mĂȘme chose que ce que l’on a observĂ© ailleurs. Cela ne marche pas. Le rituel doit ĂȘtre investi d’une intentionnalitĂ© claire et la forme doit ĂȘtre adaptĂ©e Ă  celui qui le rĂ©alise. D’autre part, nous devons retrouver la notion d'habilitation qui choque encore beaucoup de gens. On aimerait que chacun soit « libre » mais en rĂ©alitĂ© n’importe qui ne peut pas faire n’importe quoi. On ne peut pas faire de rituel sans y ĂȘtre expressĂ©ment autorisĂ©. Comment et par qui est-on autorisĂ© ? Les indications gĂ©nĂ©ralement surviennent d'abord par des visions ou des rĂȘves qui doivent ensuite ĂȘtre contresignĂ©s dans la rĂ©alitĂ© ordinaire Ă  travers des maĂźtres en la matiĂšre ou Ă  travers des Ă©vĂšnements signifiants de l’ordre de la synchronicitĂ©. Il est extrĂȘmement risquĂ© et dangereux de se mettre Ă  faire des rituels sans y ĂȘtre clairement habilitĂ©. Les plus grandes prĂ©cautions sont nĂ©cessaires lorsqu’il s’agit d’intervenir dans le monde-autre.

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Vous remarquerez d’ailleurs que dans toutes les voies initiatiques quelles qu'elles soient, il est toujours demandĂ© une soumission, une obĂ©issance au supĂ©rieur hiĂ©rarchique, au maĂźtre, toujours. Il s’agit-lĂ  d’une protection fondamentale. Si l’on se trompe mais qu'on ait demandĂ© la permission, dans l’ordre rituel cette autorisation compense notre erreur et la corrige. Si le supĂ©rieur hiĂ©rarchique a lui fait l’erreur en accordant une autorisation inadĂ©quate, l’ordre hiĂ©rarchique nous protĂšge et le protĂšge Ă©galement Ă  la condition qu’au sommet de cette pyramide s’inscrive le respect de la transcendance. L’ordre est ainsi constamment entretenu et assure la sĂ©curitĂ© des opĂ©rations rituelles. Les notions de soumission et d’obĂ©issance sont trop souvent assimilĂ©es Ă  une forme d’annexion de sa propre libertĂ©. IncomprĂ©hension fondamentale : c'est au contraire la meilleure protection qui puisse exister. L'habilitation rĂ©pond Ă  la reconnaissance d’une authentique vocation qui se trouve ainsi confirmĂ©e. Et la vocation - je le rĂ©pĂšte assez souvent et je redis encore ce soir ma vision des choses- dĂ©passe Ă©videmment la dimension professionnelle pour dĂ©signer « ce Ă  quoi l’on est vouĂ© » dans notre vie. Chaque personne est porteuse d'un destin, d'une potentialitĂ© -voilĂ  sa vocation- qu'elle rĂ©alise ou ne rĂ©alise pas. La plupart des gens ne connaissent pas leur vocation de vie parce que dans notre monde occidental tous les rites de passage ont Ă©tĂ© supprimĂ©s, toutes les occasions de dĂ©finir ce qu'est la vocation individuelle, ce vers quoi la vie nous porte. Dans les sociĂ©tĂ©s traditionnelles, le vers l'Ăąge de dix ou douze ans, les rites de passage permettaient au jeune prĂ© pubĂšre de dĂ©terminer son identitĂ© Ă  diffĂ©rents niveaux. Sur le plan sexuel, l’identitĂ© connue dans le corps devait ĂȘtre intĂ©grĂ©e dans la conscience et les comportements diffĂ©renciĂ©s. L'identitĂ© tribale, groupale, clanique connue par la naissance et lÂŽhĂ©rĂ©ditĂ© devenait effective. Et dans l’ordre de la fonction sociale se dĂ©finissait Ă©galement la vocation d’activitĂ© oĂč l’individu servait au mieux la communautĂ© en exerçant pleinement ses talents. Celui-ci sera guerrier, celui-lĂ  artisan, cet autre chaman
 il s’agissait d’identifier ce dont le sujet Ă©tait porteur et apte Ă  rĂ©aliser dans sa vie. ConnaĂźtre sa vocation amĂšne Ă  sacrifier tout le reste. Si ma vocation est d'ĂȘtre un guerrier, je dois devenir le meilleur guerrier possible et de fait renoncer Ă  ĂȘtre guĂ©risseur ou artisan. Ce renoncement n’incrimine nullement les autres vocations mais signale simplement leur inanitĂ© en ce qui me concerne. Autrement dit il s’agit de sacrifier le secondaire pour aller Ă  l’essentiel. La notion de sacrifice n'est pas non plus trĂšs Ă  la mode. Elle s’impose cependant si l’on souhaite rĂ©aliser sa vocation profonde et sacraliser ainsi sa vie (sacrifice = sacer facere = faire du sacrĂ©). Il faut Ă©laguer les branches basses de l'arbre si on veut qu'il pousse en hauteur. Toute croissance exige un sacrifice. Donc je me suis Ă©tendu sur la notion de rĂ©gression, sur la transgression de l'ordre quand elle n'est pas faite dans un contexte rituel. « Fumer un joint » revient Ă  consommer du cannabis, plante sacrĂ©e, hors contexte rituel donc dans la transgression avec les consĂ©quences qui en dĂ©rivent automatiquement. Utiliser du cannabis dans un contexte rituel comme dans certaines traditions de l’Inde par exemple peut jouer un rĂŽle initiatique de la plus haute importance. Mais en Occident, personne ne se donne la peine d’étudier durant des annĂ©es comment cela fonctionne, de se purifier longuement, de se soumettre Ă  un maĂźtre initiateur, d’intĂ©grer les enseignements au quotidien, etc. La recherche du « fast-trip » ludique Ă  portĂ©e de main reprĂ©sente tout le contraire des formes initiatiques ancestrales qui le considĂšrent comme un mĂ©pris grave et dangereux de « l’esprit » de cette plante. Et la cigarette ? Le tabac est la plante initiatique par excellence de l'Amazonie, la plante la plus puissante. Le mĂȘme mĂ©pris de sa sacralitĂ© et l’ignorance des formes rituelles le concernant induisent quand mĂȘme 60 000 dĂ©cĂšs par an en France. La transgression cela se paye. Les indiens ne meurent pas de tabagie. Bonsoir, je voulais poser une question sur la transcendance... La plupart des peuples traditionnels ne parlent pas expressĂ©ment d’une transcendance dans la mesure oĂč ils considĂšrent qu’il s’agit d’une rĂ©alitĂ© inaccessible. On ne peut pas nommer Dieu, on ne peut pas y accĂ©der, on

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ne peut accĂ©der qu'Ă  ses manifestations. Mais l’accĂšs Ă  ses manifestations dans le respect revient au mĂȘme que la vĂ©nĂ©ration du CrĂ©ateur. Les manifestations du CrĂ©ateur dans ses crĂ©atures, comme par exemple les animaux dont nous avons parlĂ©, constituent des mĂ©diations oĂč la transcendance se rĂ©vĂšle. Les anthropologues qui voient souvent de l'extĂ©rieur ce contact des indiens avec le monde-autre sans en avoir une expĂ©rience personnelle, discernent difficilement ce qui peut relever de la reconnaissance de la transcendance ou de ses mĂ©diations. Les sociĂ©tĂ©s traditionnelles sont tournĂ©es vers un dieu unique mais, Ă©tant inconnaissable, il leur semble inutile de perdre de l’énergie en vain pour le connaĂźtre mais plutĂŽt d’essayer de le connaĂźtre indirectement Ă  travers ses diffĂ©rentes manifestations. Et lĂ  on se spĂ©cialise. Il y a les spĂ©cialistes des esprits de la terre, de l'eau, de la forĂȘt, de l’air, etc. Tout l’univers est habitĂ©. La transcendance elle-mĂȘme, on ne peut rien en dire donc on n’en parle pas. Si l’on pousse un guĂ©risseur dans ses retranchements il finira par reconnaĂźtre l’existence d’un CrĂ©ateur
 dont il ne peut pas dire grand-chose. Donc pour moi, l’animisme supposĂ© des indiens reflĂšte plutĂŽt la pensĂ©e laĂŻque voire athĂ©e de l'anthropologie classique qui ne croit pas en Dieu. Pour un Indien, penser le monde sans divinitĂ©, sans esprit, est de l’ordre de l’insensĂ©, de la folie. De nombreuses croyances anthropologiques (ou tout simplement occidentales) sont totalement incohĂ©rentes pour les Indiens. Par exemple la notion de magie telle que conçue en Occident est incomprĂ©hensible en Amazonie. La fameuse pensĂ©e magico-religieuse et prĂ©-logique des Indiens rĂ©vĂšle surtout la conception occidentale rĂ©ductrice, positiviste et linĂ©aire qui la qualifie. La nĂ©gation du monde-autre que n’osent pas expĂ©rimenter les occidentaux les conduit Ă  projeter leur ignorance sur le savoir des Indiens. Ce qui est visionnaire chez eux devient hallucinĂ© chez l’occidental. Les guĂ©risseurs parlent de leur « science », expĂ©rimentable par tout un chacun et non d’une religion ou croyance. Avant l’arrivĂ©e des Espagnols ils ne savaient mĂȘme pas ce qu’était une religion constituĂ©e. Leur savoir comporte des pratiques qui permettent une meilleure connaissance de soi, une meilleure connaissance du monde. On peut ĂȘtre animiste, chrĂ©tien, bouddhiste ou agnostique, ces pratiques orienteront pour chacun vers un approfondissement de la façon dont il structure sa vision du monde. Ces systĂšmes sont donc extrĂȘmement ouverts et non excluant Ă  la diffĂ©rence du savoir occidental. Je suis un peu Ă©tonnĂ©e de comprendre que les plantes sont des choses avec un savoir Ă  nous offrir. Je me demande pourquoi et en mĂȘme temps quelle sorte de savoir parce que toutes nos connaissances relĂšvent du cortical alors qu’il semble ici s’agir d’un ressenti, d’une autre façon de connaĂźtre, inconsciemment. Quel est le mode de connaissance des plantes ? Oui, c'est tout Ă  fait Ă©tonnant quand on dit que les plantes vont nous enseigner mais elles nous enseignent et elles parlent. Moi j'ai pris des plantes et effectivement elles m’ont parlĂ©, c'est comme ça. Pourquoi, je ne sais pas, c'est secret ou divin, je ne sais pas, je n'ai pas la rĂ©ponse au pourquoi mais elles parlent. On a la rĂ©ponse au pourquoi si on entre dans le mode de pensĂ©e ou discours analogique, mĂ©taphorique. Si on souhaite une explication linĂ©aire, rationnelle, un discours cortical, on aboutit trĂšs vite au non sens. On est en effet trĂšs vite limitĂ© par le discours rationnel, catĂ©goriel, catĂ©gorisant utilisĂ© habituellement en Occident. Lors de nos sĂ©minaires et avec de nombreuses autres approches, mĂȘme sans plantes amazoniennes, se produisent de nombreux phĂ©nomĂšnes extraordinaires : sortie du corps, prĂ©monitions, synchronicitĂ©, perceptions extra-sensorielles, etc. Cela Ă©chappe en grande partie Ă  l’approche rationaliste, positiviste, matĂ©rialiste. Lorsqu’un enfant de 3 ou 4 ans dit Ă  sa mĂšre: « tiens, j'ai vu Mamie dans le salon hier soir » alors que la grand-mĂšre est morte depuis plusieurs jours, on lui dit gĂ©nĂ©ralement : « arrĂȘte d'insulter ta grand-mĂšre ! ». Et en apartĂ© : « quelle imagination, il a le petit, ce dĂ©cĂšs l’a traumatisé  ». Son histoire est d’emblĂ©e niĂ©e, le fait invalidĂ©. L’enfant se sent exclu et incompris : il sait dĂ©sormais qu’il doit rejeter et taire ce genre d’expĂ©rience pour ne pas dĂ©cevoir ses parents. La censure des faits psychiques transrationnels se met en place et produira un adulte adaptĂ© aux normes de la sociĂ©tĂ©, c’est-Ă -dire dĂ©connectĂ© de sa sphĂšre mentale symbolique. Dans toutes les traditions ancestrales on admet couramment cette prĂ©sence de l’esprit des morts, fait banal qui ne surprend personne et pour lequel existe une sĂ©rie de rituels destinĂ© Ă  la protection des

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vivants et la libĂ©ration du dĂ©funt. Il existe d’ailleurs une trĂšs haute coĂŻncidence des descriptions de ces faits dans des cultures trĂšs Ă©loignĂ©es. Dans les sociĂ©tĂ©s traditionnelles, au contraire la subjectivitĂ© est acceptĂ©e d'emblĂ©e comme une voie de connaissance du rĂ©el. Ce qui par contre fait dĂ©faut chez elles est un plus grand dĂ©veloppement des fonctions rationnelles sans que cela ne signifie la nĂ©gation des antĂ©rieures. C'est peut-ĂȘtre ce que nous pouvons apporter aux Indiens d'Amazonie qu’il ne faut pas idĂ©aliser. Ils ont aussi leurs problĂšmes et leurs limites. Une grosse difficultĂ© rĂ©side par exemple dans la pratique intense de la sorcellerie. Ce sont avant tout des combattants, des guerriers qui utilisent largement leurs connaissances du monde-autre pour « rĂ©soudre » leurs conflits internes par des guerres chamaniques. VoilĂ  leur part d’ombre. Nous pouvons les enrichir de notre habilitĂ© au maniement des fonctions du cerveau gauche comme nous avons besoin d'eux pour reprendre contact avec notre cerveau droit, revaloriser notre subjectivitĂ©. Ce que l'on sent, ce que l'on croit, ce que l'on perçoit peut nous aider Ă  croĂźtre : ce n'est pas seulement ce qui se mesure. D’autre part, l’objectivitĂ© supposĂ©e, rationnelle, occidentale ne fonctionne que jusqu'Ă  un certain point : elle nous permet de construire des machines et de les faire fonctionner. Mais dĂšs que l’on aborde la dimension psychique, l’instrument rationnel s’avĂšre insuffisant. A la pointe de la recherche scientifique rationnelle, on trouve la pensĂ©e relativiste et de nouveau rĂ©apparaĂźt la dimension subjective. Mais la connaissance et intĂ©gration de la dimension quantique au niveau individuel suppose d’auto-expĂ©rimenter des phĂ©nomĂšnes trans-rationnels (Ă©tats modifiĂ©s de conscience, phĂ©nomĂšnes « psy », etc.). Cela explique la nĂ©cessitĂ© de recourir Ă  la physique quantique et autres systĂšmes de cohĂ©rences transrationnels pour pouvoir « lire » et interprĂ©ter les vĂ©cus liĂ©s au chamanisme en gĂ©nĂ©ral. Les modĂšles de la science conventionnelle, la mĂ©canique classique, la thermodynamique, sont ici obsolĂštes, dĂ©passĂ©s. A ce titre, les sociĂ©tĂ©s traditionnelles nous offrent un bagage expĂ©rimental extraordinaire. Leur problĂšme Ă  eux c'est la mise en forme rationnelle, acadĂ©mique oĂč nous excellons. Nous sommes de grands bavards au discours trĂšs structurĂ© ! C’est aussi notre force. Tandis qu’ils sont plus proches de la nature, des fonctions instinctuelles, avec une perception immĂ©diate et globale du rĂ©el. La faiblesse qui s’y adjoint est l’éventualitĂ© de ne pas donner de limite aux pulsions qui mĂ©ritent un contrĂŽle. Pour revenir Ă  votre question, elle demande une rĂ©ponse complexe. Pour faire simple disons que la conception indienne est celle de l’existence d’une information-structure chez tous les ĂȘtres vivants. On peut appeler cela un « esprit ». Chaque ĂȘtre humain est dotĂ© d’un esprit spĂ©cifique qui possĂšde cependant des rĂ©sonances avec les formes vĂ©gĂ©tales et animales (et peut-ĂȘtre mĂȘme minĂ©rales). Ainsi l’esprit de chaque ĂȘtre humain peut ĂȘtre visualisĂ© (en rĂȘve, lors d’EMC, de voyance spontanĂ©e) comme reliĂ© Ă  une plante spĂ©cifique aussi bien qu’à un animal (ou plusieurs). Chez les animaux il semble exister des esprits individuels dans certains cas au moins et des esprits collectifs (par exemple pour les grands groupes de gibier qui ont droit Ă  des rituels de propitiation au moment de la chasse ou la pĂȘche). Par contre, pour les plantes l’esprit semblerait uniquement collectif. Cette cartographie du monde invisible requiert encore de nombreuses Ă©tudes et expĂ©rimentations. Les alcaloĂŻdes des plantes psychoactives sont similaires, voire identiques, Ă  nos neuro-transmetteurs. La biochimie confirme donc une certaine parentĂ© entre l’homme et les plantes. La communication avec l’esprit des plantes est donc facilitĂ© par leur ingestion (voir Ă  ce titre le livre de Romuald Leterrier, « L’enseignement de l’Ayahuasca : RĂ©flexions sur un mode de communication entre les plantes psychotropes et la conscience humaine », YvelinĂ©dition, 2005). La connaissance passe par l'expĂ©rimentation d’états modifiĂ©s de conscience, avec les plantes ou avec autre chose, les plantes Ă©tant un support ou mĂ©diateur privilĂ©giĂ©, un moyen simple et efficace d'accĂšs au monde-autre. Ceci dit, j’insiste sur l’importance du rituel ad hoc: lĂ -dessus on ne peut transiger. Il peut ĂȘtre dangereux d'entrer en Ă©tat modifiĂ© de conscience sans rituel adĂ©quat. Bonsoir, je voulais savoir s'il existait en Europe une plante initiatique ? On a jusqu'au Moyen Âge Ă©tĂ© assez proche de tout cela, mais ce qui s’est perdu peut se retrouver. Justement, dans cette vision du monde, les savoirs ne sont jamais perdus dĂ©finitivement parce que ces informations-

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structures, ces champs de formes Ă©nergĂ©tiques de l’invisible demeurent en permanence. Et l’on peut y accĂ©der par de multiples voies. Il est remarquable par exemple que lors de l'expĂ©rience avec ayahuasca, surgissent certaines informations qui ne concernent pas du tout l'Amazonie ni la vie des expĂ©rimentateurs ou du guide. Ma femme a par exemple eu des enseignements par des moines bouddhistes apparaissant dans ses visions sans que cela n’appartienne Ă  sa propre histoire ni a des ascendants immĂ©diats. Ces informations sont par ailleurs cohĂ©rentes, prĂ©cises et peuvent ĂȘtre retrouvĂ©es dans leur culture d’origine. J’ai moi-mĂȘme eu une vision trĂšs structurĂ©e orientale Ă  trĂšs forte charge symbolique. Lors d’un voyage ultĂ©rieur en ThaĂŻlande, dans un monastĂšre consacrĂ© au bouddha jeĂ»nant, il Ă©tait fait Ă©tat d’une vision du Bouddha lors de son jeĂ»ne qui Ă©tait exactement la mienne
 On peut donc accĂ©der Ă  des informations trĂšs diverses dont la cohĂ©rence pour le sujet, comme pour un rĂȘve, n’apparaĂźt pas toujours immĂ©diatement. Cela ressemble Ă  la recherche d’émetteurs radio au hasard : on peut aussi tomber sur radio PĂ©kin sans parler un mot de chinois... Il reste Ă  savoir pourquoi on peut ainsi rentrer en rĂ©sonance avec des champs extrĂȘmement divers : la nature dont on est porteur ? notre propre Ă©nergie ? des capacitĂ©s psychique particuliĂšres ? des hĂ©ritages ancestraux ? des formes symboliques cohĂ©rentes et signifiantes pour notre usage ? Il existe Ă©videmment en Europe des plantes sacrĂ©es ou initiatiques comme la mandragore, la jusquiame, le lierre, l’éphedra, le gui, des champignons... Je n’en n’ai pas d’expĂ©rience personnelle. Il faut en retrouver les usages corrects et en particulier les formes rituelles. Je crois que c'est un travail trĂšs intĂ©ressant et dĂ©jĂ  certaines personnes s’y intĂ©ressent de prĂšs (Christian Ratsch en Allemagne, Giorgio Samorini en Italie, Anne-Laure Rigouzzo en France, etc.). Une fois encore, l’importance en est un usage correct parce qu’un usage sauvage, mal dosĂ©, mal guidĂ©, sans prĂ©paration, pourrait aussi gĂ©nĂ©rer de sĂ©rieux problĂšmes. Je tiens Ă  le dire publiquement: je ne dĂ©fends pas l'ayahuasca sinon un certain usage de l'ayahuasca. Je ne dĂ©fends pas l'alcool, je dĂ©fends un certain usage de l'alcool. Je ne dĂ©fends pas la marijuana, je dĂ©fends un certain usage de la marijuana. L’usage signale le contexte, l'intentionnalitĂ© des expĂ©rimentateurs, celle du guide, leur prĂ©paration, les doses, la forme rituelle
 Ceci dit, l'ayahuasca pourrait servir, Ă  travers les fonctions de voyance stimulĂ©es lors de la modification de conscience, Ă  redĂ©couvrir prĂ©cisĂ©ment la fonction et mode d’usage de certaines plantes europĂ©ennes. C’est une fonction traditionnelle de l’ayahuasca chez les guĂ©risseurs amazoniens pour dĂ©couvrir de nouveaux remĂšdes et de nouvelles plantes. Il me semble que cela va venir de toutes façons vu la demande croissante et dĂ©jĂ  Ă©norme pour d’autres formes de soins. Il est peu probable que des milliers d’europĂ©ens se transfĂšrent au PĂ©rou pour prendre l’ayahuasca ou d’autres plantes quand il en existe de similaires en Europe. C'est une potentialitĂ© de guĂ©rison tellement extraordinaire que cela ne peut que croĂźtre. EspĂ©rons que la censure ne va pas obliger ces recherches Ă  se faire sauvagement et ainsi amener un dĂ©voiement des usages. DerriĂšre les apparences « folkloriques » du chamanisme traditionnel qui Ă  premiĂšre vue semble Ă©trange Ă  l’europĂ©en moyen, se rĂ©vĂšlent une extrĂȘme rigueur et une grande exigence. Quand les choses sont bien faites, les rĂ©sultats sont trĂšs satisfaisants. On sait par exemple que l'abord conventionnel des pathologies dĂ©gĂ©nĂ©ratives, des atteintes du systĂšme immunitaire, sont assez inefficaces dans le monde occidental. En effet, ces affections sont liĂ©es aux questions structurelles de notre systĂšme de fonctionnement occidental. Nous avons abordĂ© ce soir la question des limites entre moi et non-moi : nous sommes globalement dans un processus rĂ©gressif d'indiffĂ©renciation collective. On ne sait plus oĂč l’on commence et termine comme sujet et oĂč commence et termine l’autre. Notre ĂȘtre devient indĂ©fini, nos choix, nos idĂ©es, nos goĂ»ts de mĂȘme. Il s’agit d’une vĂ©ritable Ă©pidĂ©mie d’indiffĂ©renciation collective, somatique, psychique, affective et spirituelle. À mon sens, on ne pourra pas rĂ©soudre ces pathologies de l’indiffĂ©renciation, auto-immunes, sans se pencher sur les modes de fonctionnement de notre sociĂ©tĂ© qui passent par la massification des marchĂ©s, la standardisation des consommateurs, l’uniformisation de la mode. Les manifestations somatiques affectent aussi la sphĂšre du mental qui s’indiffĂ©rencie Ă©galement. Nous avons Ă©voquĂ© auparavant l’oubli de soi de la maladie dĂ©gĂ©nĂ©rative d’Alzheimer, la rĂ©gression dans l’indiffĂ©renciation infantile. Les pathologies mentales sont Ă©galement en croissance alarmante, l’indiffĂ©renciation psychique conduisant au dĂ©lire (indistinction du rĂ©el

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et de l’imaginaire). Mais une grande peur traverse le monde mĂ©dical dĂšs que l’on aborde la question de la psychose, chasse gardĂ©e des psychiatres. On craint l’explosion si on touche au « noyau psychotique » : mais si on n’y touche pas d’une façon ou d’une autre, c’est une explosion psychotique collective qui se prĂ©pare. Face Ă  une bombe Ă  retardement, il vaudrait mieux agir qu’attendre. Bien entendu, avec mille prĂ©cautions : on ne peut certes pas donner de l'ayahuasca Ă  un psychotique juste pour « voir ce qui va se passer » ! Mais entreprendre une recherche sur ce sujet serait des plus prometteurs et il existe dĂ©jĂ  des cas et des expĂ©riences encourageantes. Nous assistons chez les jeunes Ă  une vĂ©ritable explosion de « psychoses cannabiques » qui nous semble dramatique. L’effraction brutale de leurs structures psychiques au moyen du cannabis permet l’accĂšs Ă  des informations du monde-autre Ă  trĂšs forte charge symbolique et Ă©nergĂ©tique qu’ils ne sont pas prĂ©parĂ©s Ă  intĂ©grer. Mais Ă  ce niveau-lĂ , est-ce que vous pouvez faire quelque chose pour ce genre de personnes ? Est-ce que l'on peut faire quelque chose pour ce genre de personnes ? Cela dĂ©pend. Cela ne dĂ©pend pas de la personne mais dans le contexte de votre connaissance des mĂ©decines traditionnelles, qu'est-ce qu'il est possible de faire ? À partir du moment oĂč il y a une structure dĂ©lirante, il faut y aller au cas par cas mais a priori il existe une possibilitĂ© Ă  explorer. On aurait tout intĂ©rĂȘt Ă  Ă©valuer d’abord s’il s’agit vĂ©ritablement de personnes prĂ©-psychotiques dont le cannabis exalte le terrain ou bien de sujets ordinaires se trouvant dans l’incapacitĂ© d’intĂ©grer des informations qui les dĂ©passent et qui, en s’incorporant Ă  leur ego peu structurĂ©, induisent une inflation aux allures dĂ©lirantes. La dĂ©sintoxication de ces sujets et une aide Ă  l’intĂ©gration correcte (sans dĂ©nĂ©gation) des puissances symboliques entrevues nous a permis dans certains cas de dĂ©gonfler la forme dĂ©lirante et ramener le sujet Ă  une contention psychique adĂ©quate et sans dĂ©pendance Ă  des mĂ©dicaments psychotropes. La qualification de « psychotique » est extrĂȘmement labile. J’ai vu des gens qualifiĂ©s ainsi, qui ont pris des plantes et qui n'ont pas pour autant fait une bouffĂ©e dĂ©lirante. D’autres ont mĂȘme parfois rĂ©duit de façon Ă©vidente leurs fantasmes. Lors de la session d'ayahuasca on peut passer par une expĂ©rience intĂ©rieure qui s'assimile Ă  un vĂ©cu dĂ©lirant, Ă  un vĂ©cu autiste, Ă  un vĂ©cu psychotique : tous ceux qui travaillent longtemps et profondĂ©ment avec l’ayahuasca sont passĂ©s par ce vĂ©cu qui est quasi indispensable Ă  la formation. Nous portons tous en nous des germes de folie, des peurs mĂ©taphysiques, des hĂ©ritages douloureux face auxquels on a tendance Ă  fuir dans la dissociation. L’initiation consiste prĂ©cisĂ©ment Ă  explorer ces territoires intĂ©rieurs afin de pouvoir les « dĂ©miner » en quelque sorte, dĂ©sactiver les bombes latentes cicatriser les blessures, colmater les fissures. Bien entendu, ce genre d’approche ne peut s’improviser et requiert maĂźtrise et sĂ©rieux. Quand le cadre rituel de contention et d’intĂ©gration est bien posĂ©, la rĂ©vĂ©lation et l’expression du «dĂ©lire » de tout un chacun peut se faire, le sur-ordre du thĂ©rapeute assurant la gestion de la crise cathartique libĂ©ratrice. Les sujets reviennent enrichis de cette exploration, consolidĂ©s en eux-mĂȘmes et ayant rĂ©parĂ© en eux certaines fractures psychiques. Mais on comprend aisĂ©ment que sans les sĂ©rieuses prĂ©cautions d’usage, le sujet sans contention pourrait aggraver un morcellement intĂ©rieur sans aboutir Ă  une rĂ©intĂ©gration ultĂ©rieure. Y a-t-il des gens Ă  qui cela soit dĂ©jĂ  arrivĂ©, qui ont une pathologie et est-ce qu'il arrive qu'ils s'en sortent ? ... Qu'ils s'en sortent oui, toutes les maladies peuvent se guĂ©rir mais pas tous les malades. ThĂ©oriquement, oui tout est possible mais il faut voir cas par cas.

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Quand j'ai eu l'occasion de parler de l'ayahuasca avec un certain nombre de maĂźtres spirituels, des TibĂ©tains, des maĂźtres tantriques ou taoĂŻstes, ils montrent une grande rĂ©ticence par rapport Ă  l'ayahuasca qui serait une espĂšce de court-circuit qui accĂ©lĂ©rerait de façon artificielle un processus d'Ă©volution spirituelle naturelle. Est-ce que dans votre pratique il y a ce genre de considĂ©rations d'une espĂšce de risque de court-circuit par rapport Ă  un processus naturel ? Si c'est bien fait, non. On ne peut pas accĂ©lĂ©rer un processus d'Ă©volution spirituelle. L'ayahuasca apporte deux choses, pour le dire simplement : purger des fausses idĂ©es, des faux concepts, des informations inutiles ou encombrantes, donc d’abord un travail de nettoyage; et ensuite se fait un travail d'information, d’enseignement, on doit apprendre Ă  intĂ©grer. Il y a des intĂ©grations qui sont conscientes au moment-mĂȘme de la prise d'ayahuasca, mais la plupart des choses vont se passer dans le corps sans que la personne ne le rĂ©alise sur le moment. C’est-Ă -dire que le sujet incorpore des Ă©nergies, des informations, qui Ă©mergeront plus tard Ă  la conscience. En quelque sorte, on remplir la soute de carburant et aprĂšs on referme la soute, on referme le corps Ă©nergĂ©tique et cette personne va intĂ©grer cela tout doucement Ă  travers rĂȘves, insights, comprĂ©hensions, intuitions... Il n'y a pas de raccourci dans le dĂ©veloppement personnel. Il y a des moments oĂč il peut y avoir des accĂ©lĂ©rations dans l’apport d’informations, mais de toute façon le temps d'intĂ©gration est nĂ©cessaire. On ne peut pas aller plus vite que la machine. Il nous faut du temps pour Ă©voluer, il nous faut du temps pour intĂ©grer. Il y a des gens qui vont plus vite que d'autres mais tout le monde a besoin de la durĂ©e. Donc penser qu'on va passer quinze jour ou trois semaines Ă  prendre de l'ayahuasca et qu'aprĂšs on aura fait un saut qualitatif immĂ©diat est partiellement illusoire. Il y faudra inĂ©vitablement l’intĂ©gration dans le quotidien. Nous ne sommes pas dans la magie : l’effort est nĂ©cessaire, le temps est indispensable. Cela me fait penser Ă  une personne qui me disait : « j’ai demandĂ© Ă  l'ayahuasca d’aller au septiĂšme ciel», et alors rĂ©torquais-je, quelle rĂ©ponse as-tu eue ? « elle m’a dit ok, mais tu descends d’abord au septiĂšme enfer » ! Pour « monter », il faut en effet d’abord descendre
 L’élĂ©vation vient de l’humilitĂ©. Autrement dit, on ne peut s’épargner la confrontation avec son ombre. Il nous est demandĂ© la patience, l’intĂ©gration au quotidien qui suppose un renouvellement constant de l’intention. On peut prendre l'ayahuasca une, dix, cent fois, sans ĂȘtre plus avancĂ© s'il n'y a pas au dĂ©part une intentionnalitĂ© claire et l’investissement correspondant dans la mise en application de ce qui a Ă©tĂ© appris. L’intentionnalitĂ© n'est jamais claire Ă  100 % et doit donc se purifier avec respect et humilitĂ©. S'il n'y a pas l'humilitĂ©, s'il n'y a pas le respect, l’ayahuasca est alors traitĂ©e comme une drogue, mĂȘme si elle ne crĂ©Ă© jamais de dĂ©pendance. Mais tricher avec l’ayahuasca engendre une illusion en retour car l’information volĂ©e est distorsionnĂ©e par le sujet lui-mĂȘme. L’attitude promĂ©thĂ©enne de la transgression se paye vraiment. Donc je ne pense pas qu'il y ait contradiction entre la rapiditĂ© et intensitĂ© d’information de l’ayahuasca et la voie spirituelle naturelle. Je rappelle que les alcaloĂŻdes de l’ayahuasca existent Ă  l’état naturel dans le corps humain et que par exemple la mĂ©ditation profonde permet aussi la sĂ©crĂ©tion des mĂȘmes alacaloĂŻdes par la glande pinĂ©ale. Bien entendu, je ne partage pas la prise sauvage d’ayahuasca fait Ă  la sauvette dans un appartement parisien entre copains oĂč les sujets terminent Ă  quatre pattes dans les rues de la ville
 Quel sens cela a-t-il ? C’est le genre de « raccourci » qui peut sĂ©rieusement allonger le chemin. Je rĂ©pĂšte que je ne dĂ©fends pas l'ayahuasca mais une certaine pratique de l'ayahuasca et de l'induction des Ă©tats modifiĂ©s de conscience. Que ce soit avec l'ayahuasca ou avec un autre support puisque de nombreuses autres voies sont possibles. L’important demeure le rituel adaptĂ©, l’habilitation et l’expĂ©rience du guide, l’intentionnalitĂ© du sujet et un contexte adĂ©quat. Si ces conditions ne sont pas rĂ©unies, c’est comme conduire un camion avec l’expĂ©rience de la bicyclette, charger un diesel avec de l’essence ou mettre les passagers dans le coffre plutĂŽt que sur les siĂšges, confondre le frein avec l’accĂ©lĂ©rateur
dans le meilleur des cas on fait du surplace et dans le pire c’est le grave accident. Vous avez fait rĂ©fĂ©rence Ă  pas mal de concepts spirituels occidentaux. Et ce que vous pouvez nous interprĂ©ter votre expĂ©rience Ă  la lumiĂšre de ces concepts occidentaux et que pensent les chamans pĂ©ruviens de ces concepts ?

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Ils s'en foutent complĂštement ! Ils ne fonctionnent pas dans les concepts mais sur des bases expĂ©rimentales, trĂšs pragmatiques. Ils ne sont pas dans le discours et l’abstraction comme nous. On a besoin d’entreprendre une rĂ©vision Ă©pistĂ©mologique de la pensĂ©e scientiste occidentale. Or, il y a une telle rĂ©sistance ! Nous sommes actuellement trĂšs attaquĂ©s pour ce que nous faisons. C’est en effet scandaleux et Ă©pouvantable, pensez: on traite des toxicomanes avec des mĂ©thodes non rĂ©pertoriĂ©es et aprĂšs ils vont globalement mieux
 ! Ce que l'on essaye de montrer c’est que ces techniques thĂ©rapeutiques ne constituent pas une rĂ©gression Ă  des pratiques obsolĂštes, ancestrales, folkloriques mais qu'elles sont cohĂ©rentes avec les derniĂšres connaissances de la science la plus moderne. Cela est de nature Ă  rassurer l'occidental qui a besoin de l'ĂȘtre vu la grande angoisse qui l’habite lorsqu’il ne fonctionne que sur un plan rationnel. Je ne suis pas spĂ©cialiste en physique quantique, en neurophysiologie, en biologie molĂ©culaire mais je souhaite de tout coeur que quelques-uns entreprennent des travaux en ce domaine. Les Ă©tudes scientifiques sur l’ayahuasca sont toutes sans exception en faveur de ses potentialitĂ©s thĂ©rapeutiques extraordinaires. Ces investigations sont utiles et reprĂ©sente un « os rationnel » pour les scientistes purs et durs
pendant qu’ils le rongent, rassurĂ©s, nous pourrons cependant considĂ©rer le savoir millĂ©naire des indiens qui a beaucoup Ă  nous dire. Tandis que leur cerveau gauche se tranquillise, nos pourrons jeter un regard vers les fonctions du cerveau droit explorĂ© de façon magnifique par ces peuples premiers sans Ă©criture. Nous devons apprendre Ă  communiquer dans un langage analogique, mĂ©taphorique avec les indiens et en faire la traduction jusqu’oĂč c’est possible avec le langage catĂ©goriel et systĂ©matique de la science contemporaine. Cette entreprise n’est pas aisĂ©e et reprĂ©sente un vĂ©ritable dĂ©fi. Je parle d'une maniĂšre un peu imagĂ©e mais je pense que cette opposition droite-gauche n’a plus lieu d’ĂȘtre Ă  deux niveaux : celui de l’expĂ©rience d’une part et celui de la formulation la plus Ă©laborĂ©e des savoirs ancestraux comme des savoirs modernes. Les scientifiques de pointe utilisent dĂ©jĂ  le langage mĂ©taphorique, car les instruments purement rationnels se rĂ©vĂšlent inadĂ©quats pour dĂ©crire le rĂ©el. Un guĂ©risseur peut faire passer beaucoup d’information Ă  un scientifique si ce dernier se risque Ă  expĂ©rimenter l’ayahuasca avec lui. Nous n’en sommes plus Ă  une guerre entres connaissances mais Ă  une collaboration. La guerre entre le cerveau gauche et le cerveau droit n’a plus lieu d’ĂȘtre. Ce qui nous fait tant de mal est cette schize, cette dissociation belliqueuse au lieu d’une apaisante tentative de rĂ©conciliation. Les indiens devront-ils continuer de s’apaiser avec l’alcool et nous avec le tabac : n’a-t-on rien de mieux Ă  Ă©changer qu’un mauvais usage de nos sources rĂ©ciproques d’inspiration ? La jonction entre les deux cerveaux se fait au niveau du pont limbique : le cerveau de la base, zone des humeurs et des affects. Cela nous renvoie toujours au cƓur. Dans le fameux livre de JĂ©rĂ©my Narby, l’auteur Ă©tablit un parallĂ©lisme entre le serpent d'ADN intracellulaire tel que dĂ©crit par les scientifiques et la description du « serpent cosmique » de diffĂ©rentes traditions aborigĂšnes, indiennes, etc (Georg ed.). Il finit par poser comme hypothĂšse que finalement il s’agit de la mĂȘme chose: ADN= Serpent Cosmique. Cependant, similitude ne signifie pas identitĂ© et il s’agit lĂ  d’un saut logique gratuit, voire dangereux. Une identitĂ© signalerait un rapport de causalitĂ© entre l’ADN (matiĂšre) et les images induites par cet ADN et qui prendraient la forme visible du serpent dans la conscience de l’ĂȘtre humain. Autrement dit, le mythe du serpent cosmique est une production de la matiĂšre et peut in fine se rĂ©duire Ă  elle. Un bel exemple de rĂ©ductionnisme matĂ©rialiste. Les Ă©tonnantes similitudes signalĂ©es par Narby entre ADN et serpent cosmique montrent effectivement une trĂšs haute « cohĂ©rence » qui n’a pas besoin d’appeler Ă  l’identitĂ© mais Ă  la validitĂ© symbolique des champs de forme. C’est-Ă -dire qu’il s’agirait de la mĂȘme structure-Ă©nergie exprimĂ©e Ă  des niveaux diffĂ©rents du rĂ©el et Ă  chaque fois porteuse du mĂȘme signifiant archĂ©typique. Le rĂ©ductionnisme matĂ©rialiste, en Ă©vacuant la dimension symbolique, appauvrit le rĂ©el, l’aplati jusqu’à Ă©ventuellement le rendre insensĂ© donc dangereux (le serpent malĂ©fique). En miroir, on trouve aussi de nos jours des formes de rĂ©ductionnisme psychologique tout aussi dangereuses. Le « New Age », dans le mauvais sens du terme, en dĂ©borde. Alors on flotte dans une espĂšce d'espace d'indiffĂ©renciation oĂč « tout l’monde il est beau, tout l’monde il est gentil » ; on s'aime tous, c'est

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merveilleux, il n'y a pas de conflit. Cette nĂ©gation de l’ombre et du conflit comme rĂ©vĂ©lateur des divergences pouvant mener Ă  la diffĂ©renciation, prĂ©pare un retour du refoulĂ© sous des formes violentes et des plus obscures. La caricature est celle du pseudo-mystique assis dans la position du lotus, bĂ©at de faire grandir son lotus intĂ©rieur et qui ne voit pas ces enfants de la rue autour de lui qui lui tendent la main pour un bout de pain. L’auto-satisfaction narcissique nĂ©gatrice de l’amour. Or, Ă  mon sens, le signe d’une vĂ©ritable Ă©volution personnelle est la compassion. Il n'y a pas de sĂ©paration vraie entre l'autre et moi, de mĂȘme qu’il n’y a pas d’identitĂ© complĂšte entre l’autre et moi. L’unicitĂ© demeure dans l’amour et disparaĂźt dans la fusion. Cet amour embrasse non seulement l’autre comme ĂȘtre humain, mais l’autre comme plante, animal, minĂ©ral, astre, le tout-autre divin. Donc, l'autre et moi sommes des frĂšres dans le sens vraiment Ă©tymologique, c'est-Ă -dire grĂące Ă  une filiation identique par rapport au « donneur de vie », le gĂ©niteur du monde, le PĂšre. Je crois que ces passerelles tendues au-dessus de toutes les formes de sĂ©paration, de schize, de dissociation, sont trĂšs utiles et absolument nĂ©cessaires. Il faut aussi, je l'ai dit tout Ă  l'heure, utiliser les passerelles de toutes les expĂ©riences mystiques occidentales qui sont trĂšs riches. A notre Ă©poque, sur ce plan, on jetterait facilement le bĂ©bĂ© avec l'eau du bain. C'est vrai que beaucoup de gens qui viennent en sĂ©minaire chez nous ont souffert du contexte ecclĂ©sial institutionnel lourd, pesant, contraignant, moraliste Ă  outrance, dĂ©shabitĂ© par l'esprit, rejetant le corps, etc. Parfois cela ressemble Ă  un vĂ©ritable massacre. Mais cependant il faut avoir le courage d’aller voir au cƓur des choses, dĂ©passer les formes pour atteindre l’essence. Il existe une tradition mystique occidentale qui est extrĂȘmement riche. Je trouve trĂšs triste que le terme « judĂ©o-chrĂ©tien » soit presque systĂ©matiquement assimilĂ© Ă  quelque chose de nĂ©gatif. La nĂ©gation de nos propres racines constitue une transgression majeure et aux consĂ©quences psychiques trĂšs dommageables. La clinique le montre tous les jours. Tout un chacun se doit d’aller fouiller ses racines, les purifier s’il y a lieu et rĂ©cupĂ©rer ses hĂ©ritages vitaux. On aurait tort de croire qu’il suffit de dĂ©cider mentalement de nier ses racines et chercher Ă  se greffer sur une autre tradition pour se libĂ©rer de son passĂ©. S’il y a poids du passĂ© de nos pĂšres, il nous incombe de l’intĂ©grer de maniĂšre adĂ©quate, d’expier mĂȘme ce qui doit l’ĂȘtre
 Alors les vraies racines, fortes et nourrissantes, nous donneront la sĂšve nĂ©cessaire Ă  notre croissance et Ă©panouissement. Sources de la mystique, connaissances du cerveau gauche, processus d’individuation
 marchent de concert. Ce que nous refusons est la dictature de la science, du totalitarisme scientifique, du rĂ©ductionnisme scientifique, du rĂ©ductionnisme psychologique. Tous les rĂ©ductionnismes sont par dĂ©finition pervers. Si je dis : « il n'y a que l'ayahuasca qui guĂ©rit, tous ceux qui ne prennent pas de l'ayahuasca ne comprennent rien Ă  rien », je reformule un nouveau rĂ©ductionnisme. Les systĂšmes vivants sont toujours ouverts. Si un systĂšme n'est pas ouvert, quelle que soit la personne qui le dĂ©fende, bouddhiste, chrĂ©tien, chaman, philosophe, politique ou n'importe qui d’autre, ce systĂšme est mortifĂšre. Il n’a d’autre voie d’évolution qu’entropique, c’est-Ă -dire vers la mort et l’auto-dĂ©gradation. On ne peut que souhaiter Ă  cet individu ĂȘtre suffisamment secouĂ© dans ses structures pour tenter un sursaut nĂ©guentropique vers la vie. Il lui faut au moins l’intentionnalitĂ© pure ou le minimum de sincĂ©ritĂ© dans sa quĂȘte du vrai pour crĂ©er les conditions de ce sursaut salvateur. Pascal Lacombe a Ă©crit un livre : « Le breuvage sacrĂ© des chamans d’Amazonie : l’Ayahuasca – Un apprentissage d’une pratique chamanique en Amazonie” (L’Harmattan ed., 2000, pp.182-185) qui dĂ©crit une centaine de sessions d'ayahuasca qu’il a effectuĂ©es en Amazonie, en commençant d’ailleurs Ă  prendre Ă  Takiwasi. Il raconte ses expĂ©riences par le dĂ©tail, ses Ă©tats intĂ©rieurs, ses dĂ©couvertes
 Et il se pose lui-mĂȘme la question : « qu’est-ce que cela m’apporte finalement? ». Ce qui montre Ă©galement son honnĂȘtetĂ©. Il raconte ainsi vers la fin de son livre qu'un jour oĂč il prend de l'ayahuasca, aprĂšs 4-5 ans de prises rĂ©guliĂšres, ce qui est dĂ©jĂ  consistant, il sort dehors dans la forĂȘt. Il contemple le merveilleux ciel Ă©toilĂ© dans le silence de la nuit et il est saisi par l'inspiration : c'est formidable, ah ! Que c'est beau ! Il se sentirait presque croyant, proche de Dieu
Mais quoi, une inspiration religieuse, non surtout pas ! Il n’est pas religieux, il n’a rien Ă  voir avec la religion, il ne croit pas
Il rejette alors l'expĂ©rience parce que tout de suite dans son engrammation mĂ©morielle du religieux c’est l’image de « la forme d’écrasants blocs monolithiques

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enchaĂźnĂ©s par des dogmes » qui ressurgit... Il avait Ă©tĂ© saisi, inspirĂ©, habitĂ© par un signe de la transcendance et la peur de l’emprisonnement dans un systĂšme fermĂ© et mortifĂšre le fait se dessaisir et « reprendre ses esprits ». Il raconte lui-mĂȘme cependant cette soif de croire et comment un maĂźtre birman, U Tin Htue, un guĂ©risseur de la vieille tradition bouddhique du Manosetupa, lui avait dĂ©jĂ  dit : «Pour avancer dans cette voie, il faut croire en quelque chose. Bouddha, Christ, ce que tu veux, peu importe, mais croire. Il te faudra cette base, ce point d’appui nĂ©cessaire, ce tremplin qui propulse. C’est le centre de convergence et de concentration. » Autrement dit, collectionner les expĂ©riences ne sert de rien si on ne peut les intĂ©grer le long d’un axe de verticalisation de la foi. C'est exactement ce que disent les Indiens d'Amazonie. L’ayahuasca doit ĂȘtre complĂ©tĂ©e par des pĂ©riodes d’isolement-diĂšte dans la forĂȘt avec ingestion d’autres plantes maĂźtresses. La liane ayahuasca pousse sur n'importe quel arbre et s’adapte Ă  son support. Elle a besoin d’un tuteur pour croĂźtre en hauteur sinon elle se rĂ©pand horizontalement. Ses Ă©nergies vont de mĂȘme. Les personnes qui ont le plus de difficultĂ©s dans ce genre de travail sont celles qui ne se sont jamais construites dans la verticalitĂ©, qui n'ont jamais eu d'hĂ©ritage spirituel de leurs parents. Il vaut mieux avoir reçu une Ă©ducation religieuse tordue, mal foutue contre laquelle on peut au moins lutter, contre laquelle on peut s'arc-bouter que de ne pas en avoir eue du tout. Si on est contre, c'est quand mĂȘme une façon de s’appuyer. Les parents doivent transmettent Ă  leur enfant une notion de transcendance, une notion de l'ordre du monde qui le nourrisse. Il pourra alors travailler cet hĂ©ritage, il aura matiĂšre pour ce faire. Il le changera, modifiera, s’adaptera, Ă  sa maniĂšre et Ă  son rythme. Quand des parents ne veulent rien transmettre Ă  leur enfant pour « respecter sa libertĂ© » et qu’il dĂ©cide lui-mĂȘme plus tard, ils en font un dĂ©shĂ©ritĂ©. Une terre non ensemencĂ©e ne produit rien. Si les germes du sens font dĂ©faut, la vie elle-mĂȘme semble infĂ©conde donc insensĂ©e et voilĂ  un bon terrain pour le dĂ©lire potentiel et la schizophrĂ©nie. N’ayons crainte de manifester le sens de notre vie et ainsi d’ensemencer les terres en friches. Je crois qu'avec tous ces messages d'espĂ©rance, nous pourrons nous arrĂȘter lĂ . Merci.

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