Upload
others
View
0
Download
0
Embed Size (px)
Citation preview
1
Evaluation de la capacité de travail des seniors : l’apport des compétences
perçues.
Assessment of work ability among seniors: contribution of perceived
competences
Catherine Hellemans
Université libre de Bruxelles (ULB), Centre de Recherche en Psychologie du Travail et de la Consommation,
50 Av. Fr. D. Roosevelt (CP 122) - 1050 Bruxelles, [email protected]
Résumé
Le Work Ability Index (Ilmarinen, Tuomi, & Klockars, 1997; Ilmarinen, 2007) est un outil validé fort utilisé dans les
recherches épidémiologiques pour mesurer la capacité de travail des seniors. Alors que le WAI est relativement centré
sur la santé, le VOW/QFT (Hellemans, 2010, 2011, 2013) vise à élargir la notion de capacité de travail à celles de
compétences, au-delà de la question des capacités fonctionnelles. Cette contribution vise ainsi à tester les convergences
et divergences entre le WAI et les deux indices de capacité de travail du VOW/QFT, ainsi que leurs prédicteurs
respectifs. Les analyses menées auprès de 254 travailleurs soumis aux visites médicales ont montré notamment que les
scores au WAI et à l’évolution des capacités du VOW/QFT sont fort corrélés de manière générale et chez les ouvriers,
mais pas chez les employés. Les résultats mettent en évidence l’intérêt de tenir compte des compétences perçues pour
l’évaluation de la capacité de travail chez les employés.
Abstract
The Work Ability Index (Ilmarinen, Tuomi, & Klockars, 1997; Ilmarinen, 2007) is a validated tool extensively used in
epidemiological studies to measure older workers work ability. The WAI is relatively focused on health. The
VOW/QFT (Hellemans, 2010, 2011, 2013) proposes to expand the notion of work ability with these competences,
beyond the issue of functional ability. This contribution aims to test convergences and divergences between the WAI
and the two work ability indices of the VOW/QFT, and also their respective predictors. Analyzes, conducted with 254
workers subject to medical visits, have shown especially that WAI scores and evolution of ability scores from the
VOW/QFT are highly correlated, generally and among laborers, but not among employees. The results highlight the
interest accounting for perceived competence for assessing work capacity among employees.
Mots-clés : Capacité de travail, travailleurs âgés, mesure, compétences perçues
Keywords: Work ability, older workers, measurement, perceived competences
2
1. Introduction
Depuis quelques années, les politiques publiques sont passées d’une stratégie d’élimination des
employés vieillissants à une stratégie de maintien dans l’emploi de ceux-ci (Blouin, 1991). Ainsi, en France,
l’âge de la retraite est récemment monté à 67 ans. En Belgique, il est toujours de 65 ans, avec un taux
d’emploi des travailleurs de plus de 55 ans, qui y est un des plus faibles d’Europe : en 2010, 37.3%
seulement des belges de plus de 55 ans travaillent encore, alors que le taux moyen pour la Zone euro est de
45.8% et pour l’UE-27, de 46.3% (Eurostat, 2011). Si différentes solutions peuvent être mises en place pour
augmenter ce taux dans les prochaines années, il parait nécessaire de ne pas les limiter à des mesures
financières ou fiscales incitant les employeurs à engager les plus âgés, ou encore à des mesures financières
visant à ne plus inciter les travailleurs à prendre leur « préretraite ». Des mesures concernant les conditions
de travail devraient être considérées en avant plan, nous pensons en particulier à des mesures visant tout à la
fois la « tenabilité » du poste de travail pour le travailleur plus âgé et le maintien des compétences du
travailleur pour l’organisation qui l’emploie.
Ces deux dernières mesures renvoient à s’interroger à propos des compétences des seniors : la
question est de savoir si les travailleurs âgés sont capables de maintenir leur emploi vu le poids des
conditions de travail (Gollac & Volkoff, 2007) et par ailleurs de se questionner sur leur envie, leurs
motivations quant à se maintenir en emploi (Bertrand, Peters, Pérée, & Hansez, 2010 ; Hansez, Bracci, &
Bertrand, 2007). On peut en effet imaginer qu’après un certain nombre d’années les plus âgés considèrent
avoir suffisamment travaillé dans leur vie. Elchardus et Cohen (2003), à partir d’une étude qu’ils ont menée
auprès de près de 5500 Belges de plus de 45 ans, rapportent ainsi que la principale motivation dans les
départs anticipés à la retraite est le manque de sens et de défi au travail. Marbot et Peretti (2001, 2004) ont
développé la notion de « sentiment de fin de vie professionnelle » pour traduire les changements
d’engagement des plus âgés de la sphère professionnelle à la sphère privée. Marbot et Perretti (2004 ;
Marbot, 2005) questionnent le caractère volontaire ou imposé de ces changements d’engagement : seraient-
ils liés uniquement à un besoin de développement personnel vers une autre sphère de vie, ou peut-on penser
que le phénomène soit au moins en partie provoqué par le mode de management de l’entreprise ? Les travaux
portant sur les stéréotypes négatifs à l’égard des travailleurs plus âgés ne sont en effet pas rares (De Armond
et al., 2006 ; Finkelstein & Burke, 1998 ; Gaillard & Desmette, 2004 ; Van Dalen, Henkens, & Schippers,
2010) - les plus âgés peuvent être vus comme inemployables, inefficaces, non-rentables… tout en même
temps qu’on leur limite l’accès aux formations et de manière générale toute forme d’attention (Ference,
Stoner & Warren, 1977 ; Hellemans, 2012 ; Paumès & Marquié, 2001), ce qui ne risque pas d’améliorer leur
image en termes de capacité de travail auprès des autres. Les enjeux concernent ainsi la capacité de travail
des plus âgés1 et sa promotion.
Dans la littérature internationale, le concept de capacité de travail a été porté par les travaux bien
connus d’Ilmarinen et collègues (Ilmarinen, Tuomi, & Klockars, 1997; Ilmarinen & Tuomi, 2004 ;
Ilmarinen, 2007), et l’outil qu’ils ont développé, le Work Ability Index (WAI). Le « Vragenlijst Over
Werkbaarheid/Questionnaire sur les Facultés de Travail » ou VOW/QFT a été développé très récemment par
le Ministère de l’Emploi belge dans la même perspective d’évaluation des capacités de travail, mais en
suivant une approche plus large, tenant notamment compte des compétences et expériences au travail
(Hellemans, Piette, & Himpens, 2010). L’objet de cette contribution concerne une analyse de la validité
convergente vs divergente du WAI et des dimensions de capacité de travail du VOW/QFT, ainsi qu’une
analyse de leurs antécédents respectifs, sachant que contrairement au WAI, le VOW/QFT ne dispose encore
que de très peu d’assises psychométriques.
2. Capacité de travail Le concept de capacité de travail s’est développé dans les années 1980 à partir des études menées par
Ilmarinen et ses collègues auprès d’employés municipaux, et leur suivi pendant 16 ans (Ilmarinen et al.,
1997). Un des objectifs de cette série d’études visait l’augmentation de la participation des travailleurs plus
âgés dans la vie professionnelle. La capacité de travail telle qu’envisagée par ces auteurs peut être résumée
comme l’équilibre entre les exigences du travail et les ressources personnelles. L’idée sous-jacente est de
parvenir à déterminer dans quelle mesure le travailleur est capable de réaliser son travail au temps présent et
1 Pour fixer les idées sur l’âge du travailleur âgé, et malgré son analyse de la multiplicité des âges, Marbot
(2005), suivant les travaux de l’INSEE, propose de définir les seniors au travail par leur entrée dans la
seconde moitié de leur carrière, soit les travailleurs âgés de 45 ans et plus.
3
dans un futur proche (Ilmarinen & Tuomi, 2004). La définition complète de la capacité de travail insiste sur
le processus dynamique tout au long de la vie, résultant de l’interaction entre les ressources individuelles et
les conditions de travail, et de citer toute une série de variables illustratives : la santé, les capacités
fonctionnelles, le niveau d’éducation, les connaissances maîtrisées, la motivation, l’environnement de travail,
les outils de travail, les relations humaines au travail (Ilmarinen & Tuomi, 2004). Pour Costa et Sartori
(2007), la définition même d’Ilmarinen et collègues permet de comprendre que la fréquence des limitations
dans les capacités de travail puisse varier en fonction de la méthode d’évaluation utilisée, du moment de
l’évaluation et de la population évaluée.
2.1. Mesure de la capacité de travail par le work ability index
L’instrument le plus utilisé et le plus accepté pour mesurer la capacité de travail est, selon Van den
Berg et ses collègues (Van den Berg, Elders, de Zwart, & Burdof, 2009), le « Work Ability Index » ou WAI
(Ilmarinen, 2007). Il s’agit d’un questionnaire auto-reporté très bref de sept items, conçu, selon Hasselhorn
(2008) sur base de l’idée que la passation de batterie de tests est irréaliste pour un dépistage des capacités de
travail dans une organisation, et que faire appel au jugement du travailleur est une manière de pouvoir
facilement résumer les contributions à sa capacité de travail. Les sept items portent sur des aspects de santé,
de demandes au travail et de ressources du travailleur. Les réponses aux questions permettent de calculer un
score, compris entre 7 et 49, qui a été normé en quatre catégories : un score de 7 à 27 traduit une faible
capacité de travail, un score entre 28 et 36 correspond à un WAI modéré, entre 37 et 43 on peut estimer que
la capacité de travail est bonne et enfin, un score entre 44 et 49 révèlerait un WAI excellent.
Le WAI a été régulièrement utilisé, depuis les années 90, dans la recherche et les services de santé au
travail (Liira, Matikainen, Leino-Arjas, Malmivaara, Mutanen, Rytkoknen, & Juntunen, 2000) ; sa validité et
son utilité pour évaluer la capacité de travail à travers différentes cultures et conditions de travail ont été
démontrées dans de grandes recherches épidémiologiques internationales (Radkiewich & Widerszal-Bazyl,
2005; de Zwart & Frings-Dresen, 2002). Le WAI permettrait de prédire, selon les études des auteurs, la
performance, les congés maladies, l’incapacité de travail, le retrait du travail et également la mortalité
(Ilmarinen & Tuomi, 2004). Van den Berg et al. (2009) ont synthétisé les résultats d’une vingtaine d’études
portant sur le WAI, réalisées entre 1985 et 2006. Globalement, le WAI diminue avec l’avancée en âge ; il
diminue en fonction de divers indices de (mauvaise) santé tels que les troubles musculosquelettiques, la
faiblesse cardio-respiratoire et le surpoids, en fonction d’indices d’exigences physiques au travail,
d’exigences mentales et de manque d’autonomie. Nous nous attarderons un peu plus sur les résultats des
recherches centrées sur la relation entre WAI, âge et conditions de travail. Selon Ilmarinen, Tuomi et
Klockars (1997), le WAI diminue légèrement et de façon continue avec l’âge dans une population
d’employés municipaux, hommes et femmes. Il resterait constant entre 45 ans et 57 ans chez les travailleurs
effectuant un travail plutôt mental, alors qu’il déclinerait chez les travailleurs exécutant un travail physique
ou en partie physique et en partie intellectuel. Dans la population plus large de Costa et Sartori (2007),
composée de travailleurs de secteurs divers, le déclin est bien plus relatif. Selon ceux-ci, le WAI reste en fait
stable et élevé au travers des années chez les personnes ayant un travail intellectuel, autonome, et contenant
peu d’exigences physiques, mais plus la charge physique au travail s’élèverait et le contrôle sur les tâches
diminuerait – ce qui caractérise un grand nombre de métiers dits ouvriers, plus le WAI déclinerait. Ceci dit,
Costa et Sartori expliquent également que ce sont les maladies, plus que l’âge, qui joueraient un rôle sur la
capacité de travail : plus le nombre de maladies augmente (il s’agit de l’un des sept items du WAI), plus le
WAI diminue. Il est intéressant dans ce cadre de se prêter au jeu d’une analyse sémantique des items du
WAI. On peut assez vite se rendre compte que malgré le modèle en 5 étages sur lequel il se base (Ilmarinen
et al., 1997), la mesure du WAI se centre sur des items nettement tournés vers la santé (3 items sur 7) :
« Combien avez-vous eu de maladies diagnostiquées par un médecin ? », « Pensez-vous que des problèmes
de santé ont une influence sur votre performance professionnelle ? », « Combien avez-vous eu de nombre de
jours d’arrêt de travail dans les 12 derniers mois ? ». Il n’est pas impossible que ces 3 items très concrets
puissent en quelque sorte amener le répondant à entendre, dans les trois autres items, la capacité de travail en
tant que capacité à pouvoir réaliser son travail étant donnés les problèmes ou difficultés en termes de santé.
Les trois items portant explicitement sur la capacité de travail sont les suivants : « Comment évalueriez-vous
votre capacité actuelle comparée à la meilleure que vous n’avez jamais atteinte ? », « Comment évalueriez-
vous votre capacité de travail en rapport aux exigences du poste ? », « Quel est votre pronostic par rapport à
votre capacité de travail dans les deux ans ? ». Quant au dernier item, il peut paraître assez nébuleux, quel
que soit le niveau d’éducation du travailleur : « Comment qualifieriez-vous vos ressources mentales (dans
votre travail et dans votre quotidien) ? ». Ainsi, alors que la capacité de travail est censée être fonction, dans
le modèle de la maison d’Ilmarinen et al. (1997), de la santé et des capacités fonctionnelles (1er étage), des
4
compétences (2ème
étage), des valeurs, attitudes et motivations (3ème
étage) et des conditions de travail (4ème
étage), il est difficile de ne pas considérer que la mesure du WAI explore en fait une plus petite acception de
la notion de capacité de travail.
2.2. Mesure de la capacité de travail par le VOW/QFT
Plus récemment, le Ministère de l’Emploi belge (Service Public Fédéral Emploi, Travail et
Concertation sociale) a souhaité développer une mesure des capacités de travail tenant compte également des
compétences et expériences au travail, tout en reconnaissant la haute valeur prédictive de la mesure du WAI
face à des critères tels que l’incapacité de travail, le retrait du travail et même la mortalité. L’outil, appelé
« Vragenlijst Over Werkbaarheid/Questionnaire sur les Facultés de Travail » ou VOW/QFT consiste en un
questionnaire auto-reporté composé de six modules différents, dont un module portant sur les aspects
psychosociaux au travail, un module sur la santé et un module sur la capacité de travail (Hellemans, Piette, &
Himpens, 2010). Les modules « aspects psychosociaux au travail » et « capacité de travail » ont fait l’objet
de validations factorielles exploratoires et confirmatoires (Hellemans, 2011), à partir d’un échantillon de près
de 600 travailleurs des secteurs secondaire et tertiaire. La structure factorielle des trois modules précités s’est
avérée stable, et leurs dimensions respectives, consistantes. Le module portant sur la capacité de travail se
compose de deux dimensions : les compétences perçues et l’évolution des capacités. La première dimension
traite des compétences et expériences accumulées par le travailleur pour faire face à son travail à travers six
items tels que : « Quand je suis confronté(e) à un problème dans mon travail, je trouve généralement
différentes solutions », « L’expérience que j’ai accumulée m’a bien préparé(e) aux évolutions dans mon
travail ». La seconde dimension questionne sur l’évolution de sept capacités du travailleur ces cinq dernières
années, telles que « la quantité de travail que je peux accomplir », « mes capacités à faire face aux
changements dans mon travail ». Ainsi, on se rend compte qu’il s’agit ici très clairement d’une toute autre
manière d’appréhender les capacités de travail qui a été suivie : on s’éloigne de la notion de
capacité/incapacité au sens médical pour s’approcher d’une acception plus centrée sur les tâches, plus proche
de la psychologie du travail.
Dans la contribution de Hellemans et al. (2010), les auteurs mettent en avant des différences
significatives dans les compétences perçues de même que dans l’évolution des capacités en fonction de
l’âge ; par contre, Hellemans (2011, 2013) n’a pas observé d’influence de l’âge sur ces deux mêmes
dimensions – on notera toutefois que dans cette contribution de 2011, l’âge était simplement opérationnalisé
en une catégorisation en deux groupes : les travailleurs de moins de 50 ans et les travailleurs de 50 ans et
plus. La capacité de travail a été expliquée de manière assez importante (près de 30% de variance expliquée)
par les dimensions traitant d’aspects psychosociaux au travail : la dimension compétence perçue a été
expliquée, par ordre décroissant, par le plaisir au travail, les problèmes face aux changements dans les
tâches, les possibilités de participation, l’utilisation des connaissances et le besoin de récupération ; la
dimension évolution des capacités a été expliquée par les mêmes dimensions (dans des ordres de contribution
légèrement différents), ainsi qu’en plus, par le rythme et la quantité de travail (Hellemans, 2011, 2013).
3. Objectifs et hypothèses
La mesure de la capacité de travail par le VOW/QFT est fort récente ; très peu de données et de
contributions existent pour le moment ; ceci dit, cette mesure des capacités de travail par un outil prêtant une
attention plus importante à la réalisation de la tâche, qu’à l’approche « santé », apporte une perspective assez
intéressante pour les psychologues du travail et les praticiens en entreprise. Ainsi, l’objet principal de cette
contribution est d’analyser et confronter les deux outils alors qu’à notre connaissance, il n’existe aucune
donnée traitant de la validité convergente entre la mesure du WAI et celles du VOW/QFT, ou d’analyse des
liens entre des variables d’âge, de santé ou de conditions de travail, réalisées à la fois sur le WAI et sur les
deux mesures de capacité de travail du VOW/QFT.
Les hypothèses mises à l’épreuve dans le cadre de cette contribution visent ainsi à tester la validité
convergente entre la mesure du WAI et les deux dimensions de capacité de travail du VOW/QFT. Pour ce
faire, nos hypothèses concernent d’une part les liens des trois indices de capacités de travail entre eux, et
d’autre part l’analyse de leurs les antécédents respectifs. Les antécédents pris en compte se justifient
pleinement au regard de notre analyse de la littérature traitant du WAI : nous avons retenu l’âge, le statut, le
sexe et l’état de santé perçu, en référence aux travaux d’Ilmarinen et al. (1997) et de Costa et Sartori (2007),
mais également des aspects des conditions de travail, en référence aux apports de Gollac et Volkoff (2007),
et de Paumès et Marquié (2001) : le rythme et la quantité de travail, l’utilisation des connaissances et les
possibilités d’apprentissage, ainsi que le soutien social. Pour finir, en référence aux travaux de Marbot,
5
d’Elchardus mettant en exergue l’importance des aspects motivationnels, voire d’hédonisme au travail chez
les plus âgés, nous proposons une dernière hypothèse visant à tester dans quelle mesure les différents indices
de capacité de travail interviennent dans le plaisir perçu au travail. Nos hypothèses sont les suivantes :
H1 : On observe une corrélation positive et élevée entre les scores au WAI, aux compétences perçues et à
l’évolution des capacités, ces corrélations variant toutefois d’un sous-groupe à un autre.
H2 : Les scores au WAI, aux compétences perçues et à l’évolution des capacités sont influencés par le sexe,
le statut et l’âge.
H3a : Le score au WAI est prédit essentiellement par la santé perçue.
H3b : Le score de compétences perçues est prédit par (a) la santé et (b) l’utilisation des connaissances et
possibilités d’apprentissage.
H3c : Le score d’évolution des capacités est prédit par (a) la santé et (b) l’utilisation des connaissances et
possibilités d’apprentissage.
H4 : Les scores au WAI, aux compétences perçues et à l’évolution des capacités sont des prédicteurs du
plaisir au travail.
4. Méthode
4.1. Participants et conditions de récolte
Les données ont été récoltées en Belgique entre janvier et mai 2011 dans le cadre de l’examen
médical annuel de travailleurs dont le métier / les conditions de travail l’exigent : un médecin du travail,
appartenant à un service externe, invitait les travailleurs, lors de leur visite, à compléter le questionnaire. Un
total de 254 travailleurs ont participé à l’étude. Leurs caractéristiques sont les suivantes : 158 hommes et 93
femmes (3 données manquantes), parmi lesquels 189 sont ouvriers et 65 sont employés. La répartition par
catégorie d’âge est relativement équilibrée : 22 travailleurs avaient entre 25 et 29 ans (14 ouvriers, 8
employés), 34 entre 30 et 34 ans (26 ouvriers et 8 employés), 45 entre 35 et 39 ans (34 ouvriers et 11
employés), 47 entre 40 et 44 ans (35 ouvriers et 12 employés), 62 entre 45 et 49 ans (46 ouvriers et 16
employés) et 44 entre 50 et 55 ans (34 ouvriers et 10 employés). La catégorie des plus de 55 ans n’est pas
représentée dans cette étude, très peu de personnes de plus de 55 ans travaillant encore en Belgique. La
majorité des travailleurs occupent un travail de jour non posté (204) ; la plupart ont un emploi temps-plein
(180), 40 ont un temps partiel de plus d’un mi-temps, 25 ont un mi-temps et 9 moins d’un mi-temps. Les
secteurs les plus représentés sont les suivants : la construction (100), les soins de santé (32), l’enseignement
(27), l’HORECA (23), les services aux entreprises comme le nettoyage (15) et le transport (13).
4.2. Mesures
Les données ont été récoltées par le biais d’un livret de questionnaires composé de différents volets.
Les volets utiles dans le cadre de cette étude sont les suivants :
Work Ability Index (Ilmarinen, 2007). Le WAI se compose de sept (7) questions : « Comment
évalueriez-vous votre capacité actuelle comparée à la meilleure que vous n’avez jamais atteinte ? » (11 cases,
de 0 : très faible à 10 : très haute), « Comment évalueriez-vous votre capacité de travail en rapport aux
exigences du poste ? » (9 cases, de 2 : « très faible » à 10 : « très haute »), « Combien avez-vous eu de
maladies diagnostiquées par un médecin ? » (7 cases, de 1 : « 5 maladies ou plus » à 7 : « aucune maladie »),
« Pensez-vous que des problèmes de santé ont une influence sur votre performance professionnelle ? » (6
cases, de 1 : « oui, une grande influence » à 6 : « non, pas d’influence »), « Combien avez-vous eu de
nombre de jours d’arrêt de travail dans les 12 derniers mois ? » (5 cases de 1 : « 100 jours ou plus » à 5 : « 0
jour »), « Quel est votre pronostic par rapport à votre capacité de travail dans les deux ans ? » (7 cases, de 1 :
« je serai difficilement capable de travailler » à 7 : « je suis sûr d’être capable de travailler »), « Comment
qualifieriez-vous vos ressources psychologiques/personnelles (dans votre travail et dans votre quotidien) ? »
(4 cases, de 1 : « très faibles » à « 4 : très bonnes »). Le score au WAI, obtenu par l’addition aux 7 items,
peut varier de 7 à 49 et a été classifié par les auteurs comme suit : 7-27 : faible capacité de travail ; 28-36 :
capacité de travail modérée, 37-43 : bonne capacité de travail et 44-49 : excellente.
Questionnaire sur les Facultés de Travail (VOW/QFT, Hellemans et al., 2010 ; Hellemans, 2011,
2013) :
- Facteurs psychosociaux au travail. Ce questionnaire est à évaluer sur une échelle à quatre pas en termes
de fréquence (jamais, parfois, souvent, toujours) ; il nous a permis d’évaluer : le rythme et la quantité de
travail (3 items, ɑ = .73), l’utilisation des connaissances et les possibilités d’apprentissage (3 items, ɑ = .67),
le soutien social du chef et des collègues (4 items, ɑ = .74).
6
- Santé perçue. Cet indice est mesuré par la question suivante : « Comment qualifieriez-vous votre état de
santé général de ces deux dernières semaines ? » sur une échelle à 5 pas de 1 : mauvais à 5 : excellent.
- Compétences perçues. Ce questionnaire contient six items (ɑ = .82) à évaluer sur une échelle à cinq pas
en termes d’accord ; deux exemples d’items : « Quand je suis confronté(e) à un problème dans mon travail,
je trouve généralement différentes solutions », « L’expérience que j’ai accumulée m’a bien préparé(e) aux
évolutions dans mon travail ».
- Evolution des capacités de travail sur les cinq dernières années. Ce questionnaire contient sept items (ɑ =
.89) qui se mesurent à l’aide d’une échelle à cinq pas (« fortement diminué », « diminué », inchangé »,
« augmenté », fortement augmenté ») ; deux exemples d’items : [« Ces 5 dernières années, comment ont
évolué : »] « la quantité de travail que je peux accomplir », « mes capacités à faire face aux changements
dans mon travail ».
- Plaisir au travail. Ce questionnaire, à évaluer de manière binaire (oui-non) comporte 5 items (ɑ = .65) :
« Je fais ce travail parce qu’il le faut bien, cela veut tout dire » (item à inverser), « En général, j’aime
entamer la journée de travail », « Je trouve mon travail chaque jour aussi passionnant », « J’ai du plaisir au
travail », « Je dois à chaque fois vaincre ma propre résistance au travail ».
5. Résultats
5.1. Analyses descriptives
Les premières analyses présentent les proportions de répondants réparties dans les différents niveaux
de capacités de travail, selon les normes établies par les auteurs du WAI (voir tabl. 1). Par rapport à la
classification du WAI, près de 5 % de l’échantillon sont considérés comme ayant une faible capacité de
travail, près de 34%, une capacité de travail modérée ; près de 48% sont classés comme ayant une bonne
capacité de travail et près de 14%, une excellente capacité de travail. Ces chiffres, obtenus sur base de
l’ensemble de l’échantillon, varient quelque peu lorsque l’on s’intéresse à des sous-groupes de l’échantillon.
En effet, le tableau 1 témoigne d’une proportion légèrement plus élevée des employés que des ouvriers dans
les catégories extrêmes, mais surtout, comme attendu, d’une répartition assez nettement différente entre les
travailleurs selon leur catégorie d’âge : les 45 ans et plus montrent de manière générale une moins bonne
capacité de travail avec une plus grande proportion dans les catégories de capacité de travail faible et
modérée, et une plus faible proportion dans les catégories de capacité de travail bonne et excellente. Ces
premiers résultats soulignent tout l’intérêt à spécifier dans les analyses les répondants selon les critères de
statut et d’âge.
Tableau 1. Proportion de répondants dans les différents niveaux de capacité de travail.
Score au WAI 7-27
Faible %
28-36
Modérée %
37-43
Bonne %
44-49
Excellente %
Total %
Tous (n = 254) 4.9 33.6 47.8 13.7 100
Hommes (n= 158) 2.8 34.0 49.6 13.5 100
Femmes (n = 93) 8.3 33.3 44.0 14.3 100
Ouvriers (n = 189) 4.2 34.5 48.8 12.5 100
Employés (n = 65) 6.9 31.0 44.8 17.2 100
Moins de 45 ans (n = 148) 3.8 26.7 52.7 16.8 100
45 ans et plus (n = 106) 6.3 43.2 41.1 9.5 100
5.2. Corrélation entre les indices de capacité de travail (hypothèse 1)
Les corrélations entre les trois indices de capacité de travail sont calculées afin de tester la validité
convergente entre l’indice du WAI et les deux indices du VOW/QFT (hypothèse 1). Les résultats sont
présentés dans le tableau 2, au niveau de l’ensemble de l’échantillon, mais également par sous-groupe selon
le sexe, le statut et l’âge. Comme on le voit, si toutes les corrélations sont positives et significatives, les
corrélations entre le WAI et l’évolution des capacités sont nettement plus élevées que les corrélations entre le
WAI et les compétences perçues (au niveau de l’ensemble de l’échantillon : corrélations de .525 et .338). On
relèvera toutefois que les corrélations entre le WAI et les deux indices du VOW/QFT sont identiques au sein
du sous-groupe des employés (.577 et .578). On observe ainsi, de manière générale, une bonne validité
convergente entre la mesure du WAI et celle d’évolution des capacités du VOW/QFT, et, uniquement chez
les employés, une bonne validité convergente entre la mesure du WAI et la mesure des compétences perçues
7
du VOW/QFT. L’hypothèse 1, portant sur les corrélations positives entre les différents indices de capacité de
travail, est confirmée.
Tableau 2. Corrélations entre les 3 indicateurs de capacité de travail, selon les critères de sexe, de statut et d’âge.
WAI &
COMPETENCES PERCUES
WAI &
EVOLUTION DES CAPACITES
ECHANTILLON COMPLET .338** .525**
SEXE Hommes .364** .565**
Femmes .294** .464**
STATUT Ouvriers .266** .508**
Employés .577** .578**
AGE Moins de 45 ans .310** .487**
45 ans et plus .367** .492**
*p <.05 **p <.01
Le dernier résultat concernant spécifiquement les employés est évidemment fort intéressant dans la
mesure où la dimension de compétences perçues n’intègre pas un questionnement traitant d’évolution de
situation au fil du temps, et est axée sur les compétences et l’expérience du travailleur, domaine d’activités
de la psychologie du travail et, dans les entreprises, de la Gestion des Ressources Humaines : on entrevoit
par ce premier résultat que la question des capacités de travail des employés (non pas des ouvriers) s’entend
aussi bien en termes de capacité générale (cf. WAI) qu’en termes de compétences et expérience adéquates,
renvoyant à la qualité de contenu de la tâche. Pensons à la situation d’un senior mentionnant une stabilité
(pas de diminution, pas d’augmentation) de ses capacités actuelles par rapport à celles des cinq dernières
années, mais qui témoignerait tout en même temps que ses compétences et expériences ne lui permettent que
difficilement de réaliser ses objectifs de travail.
5.3. Régression de la capacité de travail par le sexe, le statut, l’âge, la santé et les conditions de
travail (hypothèses 2 et 3)
Les corrélations entre les trois indices (et surtout entre le WAI et l’évolution des capacités) appuient
la convergence des dimensions, mais sans doute pas suffisamment pour conclure à des mesures équivalentes.
Dans ce cadre, analyser les antécédents respectifs des trois indices de capacité de travail pourrait être une
voie pour comprendre les nuances entre ceux-ci. Les régressions visent à tester les hypothèses 2 et 3a à 3c.
Le tableau 3 présente l’information nécessaire concernant les statistiques descriptives, les alphas de
Cronbach ainsi que les corrélations des antécédents retenus et des variables à prédire (les trois indices de
capacité de travail).
Table 3. Statistiques descriptives des différentes variables utilisées dans les analyses de régression subséquentes (M =
moyenne, ET = écart-type, min = minimum, max = maximum), alpha de Cronbach (en diagonale, entre parenthèses) et
corrélations de Pearson.
M ET min max 1 2 3 4 5 6 7 8
1 Santé perçue 3.09 0.93 1.00 5.00 ( )
2 Rythme & Quantité 6.42 1.88 3.00 12.00 -.14* (.73)
3 Connaissance et
apprentissage 7.93 2.04 3.00 12.00
.17** .22** (.67)
4 Soutien social 11.28 2.61 4.00 16.00 .17** .02 .40** (.74)
5 WAI 37.46 5.34 19.00 48.00 .50** -.10 .21** .26** (.64)
6 Compétences perçues 23.37 3.76 8.00 30.00 .23** -.00 .31** .29** .34** (.82)
7 Evolution des capacités 22.11 4.13 10.00 35.00 .39** -.14* .27** .23** .53** .38** (.89)
8 Plaisir au travail 9.04 1.25 5.00 10.00 .29** -.22** .31** .27** .41** .26** .28** (.65 )
*p < .05, **p < .01
Afin de pouvoir comparer le rôle des antécédents retenus, pour chacun des trois indices de capacité
de travail, nous avons opté pour des régressions linéaires multiples utilisant la méthode « enter ». Dans les
régressions, les variables de sexe, statut et âge sont entendues comme variables contrôle ; les prédicteurs sont
à chaque fois la santé perçue, et différents aspects des conditions de travail : (a) le rythme et la quantité de
travail, (b) l’utilisation des connaissances et possibilités d’apprentissage et (c) le soutien social – tous les
prédicteurs ont été centrés. Le tableau 4 présente les résultats des différentes régressions.
8
Concernant l’hypothèse 2, les résultats mettent clairement en avant que si l’âge joue bien un rôle
dans le score au WAI, ce n’est le cas ni du sexe, ni du statut, alors que la littérature précise que le score au
WAI décline sensiblement avec l’âge, surtout chez les hommes ayant un travail physiquement exigeant (on
peut penser au métier d’ouvrier). Un pattern de résultat similaire, avec un bêta bien plus important pour
l’âge, apparait pour le score à l’évolution des capacités du VOW/QFT, ce qui tend encore à appuyer la
validité convergente des deux indices. Par contre, en ce qui concerne le score de compétences perçues du
VOW/QFT, aucun des antécédents sexe, statut, âge, ne joue un rôle significatif. Ainsi, l’hypothèse 2 n’est,
pour l’essentiel, pas confirmée.
Concernant les hypothèses 3a, 3b et 3c, les résultats peuvent être présentés comme suit :
Le score au WAI est expliqué à 29% par les antécédents retenus, mais en fait essentiellement par la santé
perçue ( = .414***) : on ne note comme antécédent significatif, au-delà de la santé perçue, qu’une petite
contribution du soutien social ( = .135*) ; l’hypothèse 3a est confirmée. Le score aux compétences perçues
du VOW/QFT est expliqué à 20% par trois prédicteurs : la santé perçue ( = .181**), l’utilisation des
connaissances et possibilités d’apprentissage ( = .224**) et le soutien social ( = .234**) ; l’hypothèse 3b
est confirmée. Le score à l’évolution des capacités de travail du VOW/QFT est prédit par la santé perçue (
= .262***), l’utilisation des connaissances et possibilités d’apprentissage ( = .201**), et dans une moindre
mesure par le rythme et la quantité de travail ( = -.148*) ; l’hypothèse 3c est confirmée.
Ainsi, la santé perçue est un antécédent significatif des trois indices de capacité de travail, mais
tandis qu’elle s’avère être le prédicteur de loin le plus important du score au WAI, avec un bêta très élevé,
les deux autres indices de capacité de travail sont expliqués également par d’autres éléments, aussi
importants, voire plus importants en termes de bêta. Ce résultat éclaire bien l’idée que la capacité de travail
telle que mesurée par le WAI s’inscrit essentiellement dans une perspective médicale de capacité / incapacité
de travail fonctionnelle ; le fait que les deux autres indices soient expliqué, outre par la santé perçue,
également par des conditions de travail, et en particulier, par l’utilisation des connaissances et les possibilités
d’apprentissage, met bien en exergue le sens plus large des deux indices du VOW/QFT : ceux-ci incluent
sans aucun doute des aspects de qualité du contenu du travail dans la compréhension de la notion de capacité
de travail. Des différences dans les antécédents de ces deux indices de capacité de travail sont toutefois
présentes : le soutien social explique une part non négligeable du score des compétences perçues, ce qui n’est
pas le cas pour l’évolution des capacités. Autrement dit, les compétences perçues, en sus de la santé et des
opportunités d’actualisation (cf. utilisation des connaissances et possibilités d’apprentissage), sont expliquées
par l’environnement social de travail, alors que l’évolution des capacités est expliquée, par des aspects plus
individuels (le rythme et la quantité de travail, et l’avancée en âge).
Table 4. Régression de la santé perçue et des conditions de travail (le sexe, le statut et l’âge sont considérés comme
variables contrôle) sur les trois indices de capacité de travail – les chiffres présentés sont les bêta.
Predicteurs
WAI COMPETENCES
PERÇUES
EVOLUTION DES
CAPACITES
Sexe .049 .111 -.029
Statut -.018 -.089 -.085
Age -.126* .016 -.261***
Santé perçue .414*** .181** .262***
Rythme & Quantité -.059 -.015 -.148*
Connaissance et apprentissage .095 .224** .201**
Soutien social .135* .234** .102
R² .293, p < .000 .197, p < .000 .310, p < .000
*** p (t test) < .000; ** p (t test) < .010; * p (t test) < .050
Au vu de ces résultats, et étant donnée la forte corrélation entre les scores au WAI et à l’évolution
des capacités de travail, nous ne pouvons, à ce stade, que conseiller l’utilisation de l’indice d’évolution des
capacités plutôt que du WAI ou des compétences perçues, pour la compréhension des capacités de travail des
travailleurs avançant en âge : tant la santé que diverses conditions de travail permettent de l’expliquer, et
avec une contribution (R²) plus forte que pour le WAI. La problématique des capacités de travail s’enrichit
par la mesure de l’évolution des capacités, et un plus grand nombre d’acteurs dans l’entreprise peuvent
9
intervenir pour l’améliorer : médecin du travail bien sûr, mais aussi gestionnaires des ressources humaines et
de la formation du personnel, jusqu’à l’environnement proche du travailleur : ses collègues et son chef direct.
5.4. Les indices de capacité de travail en tant qu’antécédents du plaisir au travail (hypothèse 4)
Afin de poursuivre notre réflexion sur les apports respectifs des indices de la capacité de travail, nous
nous référerons à un élément de référence externe. La question est la suivante : au-delà des convergences
entre l’indice du WAI et l’indice d’évolution des capacités du VOW/QFT, au-delà du rôle joué par les
conditions de travail, en plus de la santé perçue, dans la compréhension des deux indices de capacité de
travail du VOW/QFT, les différents indices de capacités de travail jouent-ils un rôle différentiel dans la
compréhension du plaisir au travail ressenti par les travailleurs ? Cette question se justifie dans la mesure où
certains auteurs tels que Marbot (2005), Elchardus et al. (2003), Bertrand et al. (2010), ont mis en évidence
l’importance de la perspective motivationnelle, voire hédonique, dans la compréhension des départs anticipés
volontaires du marché de l’emploi.
Les trois indices de capacité de travail jouent le rôle de prédicteurs potentiels dans l’analyse de
régression du plaisir au travail (méthode « enter »), ainsi que les diverses conditions de travail étudiées
précédemment. Le sexe et l’âge sont considérés en tant que variables contrôle. Etant donné le pattern de
résultats des corrélations entre le WAI, les compétences perçues et l’évolution des capacités, relativement
différent selon le statut, nous avons choisi de traiter la prédiction du plaisir au travail par les capacités de
travail (et les autres prédicteurs) en trois analyses, une pour l’échantillon total ainsi qu’une par statut (ouvrier
et employés). Les résultats (voir tableau 5) mettent en évidence que, au niveau de l’échantillon total, le
plaisir au travail est expliqué à 30% par le score au WAI ( = .276**) et par le score d’utilisation des
connaissances et possibilités d’apprentissage ( = .223**). Chez les ouvriers, le plaisir au travail expliqué à
29 %, par ordre décroissant de prédiction, par le score au WAI ( = .289**), le score d’utilisation des
connaissances et possibilités d’apprentissage ( = .283**) et, inversement, par le score de rythme et quantité
de travail ( = -.214**). Chez les employés, le résultat est fort différent : le plaisir au travail est expliqué à
43% par les prédicteurs potentiels, un résultat fort élevé, et cela avec un seul prédicteur significatif, le score
aux compétences perçues ( = .373*) – le bêta associé au soutien social, bien qu’élevé, ne s’avère pas
significatif. Ainsi, l’hypothèse 4 n’est que très partiellement confirmée. Au regard de ces derniers résultats,
l’indice du WAI reste intéressant à utiliser pour les ouvriers, mais ce serait clairement celui des compétences
perçues du VOW/QFT qui aurait plus de sens au sein du sous-groupe des employés.
Tableau 5. Régression des prédicteurs (conditions de travail et les trois indices de capacité de travail – le sexe et le
statut sont considérés comme variables contrôle) sur le plaisir au travail
PLAISIR AU TRAVAIL
Prédicteurs Tous Ouvriers Employés
Sexe .011 .003 .046
Age .037 .060 .033
Santé perçue .052 .053 .129
Rythme & Quantité -.203 -.214** -.118
Connaissance et
apprentissage
.223** .283** -.085
Soutien social .134 .115 .305
WAI .276** .289** .187
Compétences perçues .060 -.001 .373*
Evolution des capacités -.032 -.022 -.153
R² .295, p < .000 .287, p < .000 .428, p = .002
** p (t test) < .010; * p (t test) < .050
6. Discussion
Cette contribution avait pour objet de tester les convergences et divergences entre trois indices de
capacité de travail, dont l’indice du WAI, reconnu pour sa haute valeur prédictive et très utilisé dans les
recherches épidémiologiques et de médecine du travail, et également d’analyser leurs prédicteurs respectifs.
Les deux autres indices de capacité de travail utilisés, faisant partie du VOW/QFT, ont été développés afin
10
d’élargir la notion de capacité de travail à celles de compétences, au-delà de la question des capacités
fonctionnelles.
Les analyses ont montré que, de manière générale, c’est-à-dire en considérant notre échantillon total
aussi bien qu’en le distinguant par sous-groupes en fonction du sexe, du statut et de l’âge, les corrélations
aux scores au WAI et à celui d’évolution des capacités du VOW/QFT sont fort élevées. Par contre, les
corrélations entre les scores au WAI et aux compétences perçues du VOW/QFT le sont nettement moins,
sauf et uniquement dans le sous-groupe des employés. Ainsi, il apparait en première instance que la mesure
du WAI et celle des compétences perçues du VOW/QFT ne sont pas assimilables, sauf éventuellement chez
les employés (vs ouvriers). Renforçant les premiers résultats, les analyses ont montré que les scores à la
mesure du WAI et à celle d’évolution des capacités du VOW/QFT diminuent significativement avec l’âge,
alors que ce n’est pas le cas au niveau de la mesure des compétences perçues du VOW/QFT. On pourrait
conclure que le score au WAI et le score à l’évolution des capacités du VOW/QFT sont des mesures des
capacités de travail assez convergentes, et que le score aux compétences perçues renvoie à une notion plus
divergente.
Pourtant, le fait que les scores au WAI et aux compétences perçues du VOW/QFT, chez les
employés, montrent une forte corrélation, nécessite sans doute une interprétation plus nuancée. On se
référera dans ce sens aux travaux et revues de la littérature sur le rapport entre âge et travail ayant mis en
évidence que les capacités – essentielles physiques – des plus âgés au travail ne devenaient éventuellement
problématiques que pour des travailleurs ayant eu à faire face à des conditions de travail exigeantes sur le
plan physique – ce que l’on retrouve essentiellement dans les professions ouvrières, et non pas autant chez
les employés (Faurie, Fracarroli, & Leblanc, 2008). Rappelons également que selon Ilmarinen et Tuomi
(1992), le score au WAI resterait constant chez les travailleurs entre 45 ans et 57 ans effectuant un travail
plutôt mental, résultat également apparut dans l’étude de Costa et Sartori (2007).
Dans notre étude, le score au WAI est expliqué essentiellement par celui de la santé perçue ; l’âge et
le soutien social apparaissent également comme prédicteurs, mais dans une moindre de mesure. Ce résultat
est cohérent avec la méta-analyse de Van den Berg et al. (2009) portant sur une vingtaine d’études réalisées
entre 1985 et 2006. Les compétences perçues, même si elles sont prédites par la mesure de santé perçue, sont
apparues comme bien plus fonction du soutien social ainsi que de l’utilisation des connaissances et
possibilité d’apprentissage. Encore une fois, ce résultat vient soutenir la validité plutôt divergente que
convergente de la mesure des compétences perçues du VOW/QFT par rapport à celle du WAI. L’évolution
des capacités du VOW/QFT est fonction, autant de l’âge que de la mesure de la santé perçue, de l’utilisation
des connaissances et possibilités d’apprentissage, et dans une moindre mesure du rythme et quantité de
travail. Ainsi, si une bonne validité convergente avait été soulignée entre la mesure du WAI et celle
d’évolution des capacités du VOW/QFT à partir de leurs corrélations, on se rend compte que la mesure
d’évolution des capacités du VOW/QFT est aussi plus large que celle du WAI : elle n’est pas uniquement ou
essentiellement expliquée par des aspects médicaux, mais bien aussi par des aspects de contenu du travail.
Un dernier ensemble d’analyses a été effectuée afin de situer les trois mesures de capacités de travail
en référence au plaisir au travail. Ce choix s’est justifié au regard des études s’étant intéressées à la
perspective motivationnelle chez les travailleurs plus âgés. Au-delà de la question du plafonnement de
carrière, des auteurs tels qu’Elchardus et Cohen (1993) ont mis en évidence qu’une des raisons de l’intention
de quitter le monde professionnel mais aussi le fait d’avoir réellement arrêté sa vie professionnelle, avait à
voir, chez les plus âgés, avec le manque de défis perçus au travail. Dans notre étude, le score au WAI est de
manière générale un bon prédicteur de la mesure de plaisir au travail, mais l’utilisation des connaissances et
possibilités d’apprentissage du VOW/QFT, voire le rythme et la quantité de travail, jouent également un rôle
non négligeable. Le score au WAI n’apparait par contre pas comme antécédent significatif du plaisir au
travail spécifiquement dans le sous-groupe des employés : parmi les trois indices de capacité de travail, la
santé perçue et les conditions de travail, ce sont les compétences perçues du VOW/QFT qui jouent le seul
rôle significatif.
Ainsi, en synthèse, à partir des résultats présentés dans cette étude, si l’on s’intéresse à la capacité de
travail essentiellement dans le sens médical et spécifiquement pour les ouvriers, parmi les trois indices, c’est
clairement le WAI qui aurait tout son sens à être utilisé. Si l’on souhaite élargir la notion de capacité de
travail à des aspects de gestion du personnel, toujours chez les ouvriers, il semble intéressant d’utiliser plutôt
la mesure de l’évolution des capacités, présentant une bonne convergence avec la mesure du WAI, tout en
11
étant expliquée en sus par des aspects de conditions de travail (utilisation des connaissances et possibilités
d’apprentissage ainsi que rythme et quantité de travail). Par contre, il apparait un pattern clairement différent
chez les employés, pattern qui nous amène, logiquement, à avancer, que si un seul des indices devait être
retenu pour mesurer les capacités de travail des employés (vs ouvriers), ce serait de manière évidente l’indice
des compétences perçues du VOW/QFT qui apporterait la plus grande plus-value.
Les résultats obtenus nécessitent certainement d’être confirmés, étant données certaines spécificités
de la présente recherche. On en citera quelques-unes. Le pays dans lequel a été menée l’étude est caractérisé
par un faible taux d’emploi des plus âgés. Le nombre de participants, quoiqu’honorable étant donné leur
spécificité (être soumis au contrôle médical annuel), reste tout de même limité, surtout au niveau des
employés. Le fait que les participants étaient justement soumis au contrôle médical a pu influencer
positivement les résultats : on peut penser que les travailleurs dont la santé n’est pas surveillée de près par la
médecine du travail montrent des niveaux de capacité de travail moins élevés, surtout chez les plus âgés.
Aucune distinction selon le secteur d’activités des ouvriers et des employés n’a été réalisée, alors qu’il est
probable que des nuances sectorielles puissent apparaître, fonction notamment de la variabilité des
conditions de travail.
Au-delà de ces limites liées à la constitution de notre échantillon de recherche, de grands défis sont
encore à relever dans ce domaine de recherche. Citons par exemple tout l’intérêt qu’il y aurait à pouvoir
tester le lien entre les différentes mesures de capacités de travail et d’une part des diagnostics réalisés par les
médecins du travail, d’autre part des évaluations réalisées par le supérieur hiérarchique. Bien entendu, le plus
grand défi reste certainement, au-delà de la mesure de la capacité de travail des seniors, de parvenir à
(ré)augmenter celle-ci (Guérin, Saba, & Wils, 1998 ; Hansez et al., 2007 ; Tremblay & Roger, 1995). Ceci ne
nous semble réalisable qu’à la condition que les différents acteurs impliqués parviennent à se rencontrer et
élaborer une stratégie commune bien pensée : médecin du travail, ligne hiérarchique, gestionnaire des
ressources humaines, employeur, travailleurs et leurs représentants.
Références Bertrand, F., Peters, S., Pérée, F., & Hansez, I. (2010). Facteurs d’insatisfaction incitant au départ et intention de quitter
le travail : analyse comparative des groupes d’âges. Le Travail Humain, 73 (3), 213-237.
Blouin, R., Ferland, G., Larocque A., Rondeau, Cl., & Poulin Simon, L. (1991, Eds.). Vieillir en emploi ? Québec :
Presses de l’Université Laval.
Costa, G., & Sartori, S. (2007). Aging, working hours and work ability. Ergonomics, 50 (11), 1914-1930.
De Armond, S., Tye, M., Chen, P. Y., Krauss, A., Rogers, D. A., & Sintek, E. (2006). Age and Gender Stereotypes :
New Challenges in a Changing Workplace and Workforce. Journal of Applied Social Psychology, 36 (9),
2184-2214.
de Zwart, B., & Frings-Dresen, M. (2002). Test-retest reliability of the Work Ability Index questionnaire. Occupational
Medicine, 52, 177-181.
Dejours, C. (1980). Travail, Usure mentale. Paris : Bayard.
Elchardus, M., & Cohen, J. (2003). Attitude et attentes en rapport avec la fin de la carrière professionnelle. Rapport
partiel 3 : Les déterminants de la fin de carrière. TOR2003/16. Groupe de travail Sociologie, Groupe d’études
TOR, Vrije Universiteit van Brussel. Consulté en ligne le 31/10/2012 sur http://www.vub.ac.be/TOR/cgi-
bin/navigatie.cgi?Command=Frame&item=publicaties
Eurostat (2011). Statistiques sur l’emploi. Consulté le 31/10/2012 sur http://epp.eurostat.ec.europa.eu/
statistics_explained/index.php/Employment_statistics/fr
Faurie, I., Fraccaroli, F., & Le Blanc, A. (2008). Âge et travail : des études sur le vieillissement au travail à une
approche psychosociale de la fin de la carrière professionnelle. Le Travail Humain, 71 (2), 137-172.
Ference, T. P., Stoner, J. A., & Warren, E. K. (1977). Managing the career plateau. The Academy of Management
Review, 2 (4), 602-612.
Finkelstein, L. M., & Burke, M. J. (1998). Age Stereotyping at Work : The Role of Rater and Contextual Factors on
Evaluations of Job Applicants. Journal of General Psychology, 125 (4), 317-345.
Gaillard, M., & Desmette, D. (2004). Maintien dans l’emploi des travailleurs âgés. Rapport de recherche (rapport II),
Cerisis-UCL.
Gollac, M., & Volkoff, S. (2007). Les conditions de travail. Paris : Editions La Découverte.
Guérin, G., Saba, T., & Wils, Th. (1998). Les aspirations des professionnels âgés de 50 ans et plus en matière de départ
à la retraite. In : C. Lamoureux & E. M. Morin (Eds.). Travail et carrière en quête de sens – tome 5 (pp. 345-357).
Collection Gestion des paradoxes dans les organisations. Cap-Rouge : Presses Inter Universitaires.
Hansez, I., Bracci, E., & Bertrand, F. (2007). Propositions de solutions aux départs anticipés volontaires: étude de cas
chez les employés et cadres d’une entreprise du secteur des produits de santé. Psychologie du Travail et des
Organisations, 13 (2), 5-22.
12
Hasselhorn, H. M. (2008). Work Ability. Concept and assessment. Entreprise for health management Conference.
Consulté le 30/10/2012 sur http://www.arbeitsfaehigkeit.uni-wuppertal.de/picture/upload/file/ Concept_and_
Assessment.pdf
Hellemans, C. (2011). Risques psychosociaux et capacité de travail des travailleurs âgés : validation du VOW/QFT.
Psychologie du Travail et des Organisations, E-PTO, 17, 1-21.
Hellemans, C. (2012). Effet de l’implication organisationnelle et de l’implication à l’égard du travail dans l’attribution
des stéréotypes à l’égard des travailleurs de 50 ans et plus. REMEST – Revue Multidisciplinaire sur l’Emploi,
le Syndicalisme et le Travail, 17 (1), 4-26.
Hellemans, C. (2013). Risques psychosociaux et capacité de travail des travailleurs âgés : validation du VOW/QFT.
Psychologie du Travail et des Organisations, 19 (1), 89-109.
Hellemans, C., Piette, A., & Himpens, A. (2010). Le VOW / QFT. Un outil complet pour l’analyse des facultés de
travail des travailleurs vieillissants. Santé et Travail, 26 (3), 23-30.
Ilmarinen, J., & Tuomi, K. (2004). Past, present and future of work ability. People and Work Research Reports. Finnish
Institute of Occupational Health, Helsinki, 65, 1–25.
Ilmarinen, J. (2007). The Work Ability Index (WAI). Occupational Medicine, 57(2), 160.
Ilmarinen, J., Tuomi, K., & Klockars, M. (1997). Changes in the work ability of active employees over an 11-year
period. Scandinavian Journal of Work Environment and Health, 23 (Suppl. 1), 49-57.
Liira, J., Matikainen, E., Leino-Arjas, P., Malmivaara, A., Mutanen, P., Rytkönen, H., & Juntunen, J. (2000). Work
ability of middle-aged Finnish construction workers–a follow-up study in 1991–1995. International Journal of
Industrial Ergonomics, 25(5), 477-481.
Marbot, E., & Peretti, J. M. (2001). Politiques de Ressources Humaines et sentiment de fin de vie professionnelle : une
approche comparative secteur privé / secteur public. Pyramides, 4, 135-148. Consulté le 31/10/2012 sur
http://pyramides.revues.org/519?lang=en#tocto2n2
Marbot, E., & Peretti, J. M. (2004). Les seniors dans l’entreprise. Paris : Village Mondial.
Marbot, E. (2005). Les DRH face au choc démographique. Paris : Les Editions d’Organisation.
Paumès, D. & Marquié, J. Cl. (2001). Travailleurs vieillissants, apprentissage et formation professionnelle. In : J. Cl.
Marquié, D. Paumès, & S. Volkoff (Eds.). Le travail au fil de l’âge (pp. 391-410). Toulouse : Octarès.
Radkiewich, P., & Widerszal-Bazyl, M. (2005). Psychometric Properties of Work Ability Index in the Light of
Comparative Survey Study. International Congress Series, 1280, 304–309.
Tremblay, M. & Roger, A. (1995). Comment limiter les conséquences du plafonnement de carrières : une vérification
empirique de trois pistes d’intervention auprès d’une population de cadres. Carriérologie, été 1995, 469-482.
van Dalen, H. P., Henkens, K., & Schippers, J. (2010). How do employers cope with an ageing workforce? Views from
employers and employees, Demographic Research, 22, 1015-1036. Consulté le 31/10/2012 sur
http://www.demographic-research.org/Volumes/Vol22/32/22-32.pdf van den Berg, T. I., Elders, L. A., de Zwart, B. C., & Burdorf, A. (2009). The effects of work-related and individual
factors on the Work Ability Index: a systematic review. Occupational and Environmental Medicine, 66, 211-
220.