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66 L’OBS/N°2661-05/11/2015 GRANDS FORMATS | RELIGION Exclusif Krzysztof Charamsa, prêtre homosexuel, a fait son coming out il y a un mois, avant d’être renvoyé du Vatican. Pour “l’Obs”, il se confie: homophobie dans la curie, double vie des prêtres, mariage gay ou “gender studies”… Entretien sans tabou PROPOS RECUEILLIS PAR NOÉMIE LA BORIE GUILLAUME DARRIBAU/FRACTURES COLLECTIVE S on coming out a fait l’effet d’une bombe au Vatican. A la veille du dernier synode sur la famille, le père Krzysztof Charamsa, 43ans, dévoile sa relation homosexuelle dans un grand quoti- dien italien. Le Saint-Siège publie aus- sitôt un communiqué pour le démettre de ses fonctions. L’affaire est d’autant plus gênante que ce prêtre polonais a fait carrière: membre de deux prestigieuses institutions vaticanes, la Congrégation pour la Doctrine de la foi et la Com- mission théologique internationale (CTI), il enseigne aussi dans deux universités pontificales. Mais Cha- ramsa n’en reste pas là. Face aux photographes et aux caméras, il tombe, ému, dans les bras d’Eduard, son compagnon catalan. Au Vatican, ceux qui ont travaillé à ses côtés sont sous le choc. A l’Université grégorienne, une source loue la qualité de son travail, mais ne comprend pas la « mise en scène ». « Tombé des nues », le père Serge- Thomas Bonino, secrétaire général de la CTI, s’inter- roge, lui, sur la pertinence de son double combat: « Il a fait valoir la question de l’homosexualité, ce que je peux comprendre sans pour autant l’approuver. Mais l’aban- don du célibat ecclésiastique, ce n’est pas une question d’homosexualité ou d’hétérosexualité. C’est renier ce qu’on a promis le jour de son ordination. » plus servir le mensonge” “Je ne voulais

Exclusif “Je ne voulais plus servir le mensonge” S · 2016. 8. 3. · 67 L’OBS˜ N°2661˚05˜11˜2015 GRANDS FORMATS | RELIGION S on coming out a fait l’e˜ et d’une bombe

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Exclusif

Krzysztof Charamsa, prêtre homosexuel, a fait son coming out il y a un mois, avant d’être renvoyé du Vatican. Pour “l’Obs”, il se confi e�: homophobie dans la curie, double vie des prêtres, mariage gay ou “gender studies”… Entretien sans tabou

✇ PROPOS RECUEILLIS PAR NOÉMIE LA BORIE GUILLAUME DARRIBAU/FRACTURES COLLECTIVE

Son coming out a fait l’e� et d’une bombe au Vatican. A la veille du dernier synode sur la famille, le père Krzysztof Charamsa, 43�ans, dévoile sa relation homosexuelle dans un grand quoti-dien italien. Le Saint-Siège publie aus-sitôt un communiqué pour le démettre de ses fonctions. L’a� aire est d’autant

plus gênante que ce prêtre polonais a fait carrière�: membre de deux prestigieuses institutions vaticanes, la Congrégation pour la Doctrine de la foi et la Com-mission théologique internationale (CTI), il enseigne aussi dans deux universités pontifi cales. Mais Cha-ramsa n’en reste pas là. Face aux photographes et aux caméras, il tombe, ému, dans les bras d’Eduard, son compagnon catalan.

Au Vatican, ceux qui ont travaillé à ses côtés sont sous le choc. A l’Université grégorienne, une source loue la qualité de son travail, mais ne comprend pas la « mise en scène ». « Tombé des nues », le père Serge-Thomas Bonino, secrétaire général de la CTI, s’inter-roge, lui, sur la pertinence de son double combat�: « Il a fait valoir la question de l’homosexualité, ce que je peux comprendre sans pour autant l’approuver. Mais l’aban-don du célibat ecclésiastique, ce n’est pas une question d’homosexualité ou d’hétérosexualité. C’est renier ce qu’on a promis le jour de son ordination. »

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Son coming out a fait l’e� et d’une bombe au Vatican. A la veille du dernier synode sur la famille, le père Krzysztof Charamsa, 43�ans, dévoile sa relation homosexuelle dans un grand quoti-dien italien. Le Saint-Siège publie aus-sitôt un communiqué pour le démettre de ses fonctions. L’a� aire est d’autant

plus gênante que ce prêtre polonais a fait carrière�: membre de deux prestigieuses institutions vaticanes, la Congrégation pour la Doctrine de la foi et la Com-mission théologique internationale (CTI), il enseigne aussi dans deux universités pontifi cales. Mais Cha-ramsa n’en reste pas là. Face aux photographes et aux caméras, il tombe, ému, dans les bras d’Eduard, son compagnon catalan.

Au Vatican, ceux qui ont travaillé à ses côtés sont sous le choc. A l’Université grégorienne, une source loue la qualité de son travail, mais ne comprend pas la « mise en scène ». « Tombé des nues », le père Serge-Thomas Bonino, secrétaire général de la CTI, s’inter-roge, lui, sur la pertinence de son double combat�: « Il a fait valoir la question de l’homosexualité, ce que je peux comprendre sans pour autant l’approuver. Mais l’aban-don du célibat ecclésiastique, ce n’est pas une question d’homosexualité ou d’hétérosexualité. C’est renier ce qu’on a promis le jour de son ordination. »

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Krzysztof Charamsa, le 30 octobre, sur le parvis de la cathédrale de Barcelone. Le prêtre polonais a quitté l’Italie avec son compagnon catalan après ses révélations.

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BIO Né en 1972 en Pologne, Krzysztof Charamsa,

ordonné prêtre à 25 ans, est recruté au Vatican

en 2003 à la Congrégation pour la Doctrine de la foi.

Avant son coming out du 3 octobre, il enseignait depuis 2004 à l’université

pontificale Regina Apostolorum et, depuis

2009, à l’université jésuite grégorienne, en tant

qu’invité. Il était secrétaire adjoint de la Commission

théologique internationale depuis 2011. Son

autobiographie devrait paraître au printemps 2016,

en polonais, italien, espagnol et catalan.

une dictature irrationnelle et elle l’a bien montré durant le synode. Les pasteurs se sont contentés de continuer à faire peur aux gens en pointant du doigt le danger présumé de la « théorie du genre ». Pourtant, l’Eglise n’a fait aucune étude sérieuse sur les gender studies. La façon dont certains pasteurs se sont com-portés est honteuse. Le cardinal Sarah, qui a comparé l’homosexualité au nazisme, devrait être jugé pour ses propos au regard des lois civiles.

Le pape François avait pourtant dit : « Si une per-sonne est gay et cherche le Seigneur avec bonne volonté, qui suis-je pour la juger ? » Il a aussi rencontré des couples homosexuels…

Le pape est lâché par ses propres collaborateurs. Il est contredit par la Congrégation pour la Doctrine de la foi de manière honteuse. Ce qu’elle fait contre le pape devrait être dénoncé comme un acte de désobéissance ! Je pense qu’il s’est rendu compte que certains sujets ne pourraient pas être discutés. Cependant, il me semble qu’il n’arrive pas à se défaire d’une vision archaïque de l’homosexualité : comme archevêque de Buenos Aires, il avait parlé du mariage homosexuel comme de quelque chose de démoniaque. A mon avis, il s’est depuis assoupli et a cherché à mieux connaître les réalités. Mais en même temps, il a refermé des portes, en tout cas avec ce synode.

Comment avez-vous vécu votre homosexualité au regard de votre vocation de prêtre  ?

Je savais que l’Eglise haïssait les homosexuels. J’ai découvert que j’étais homosexuel à l’adolescence. Je me haïssais et je priais Dieu pour qu’il m’enlève mon homosexualité, que je pensais contradictoire avec le sacerdoce. Au cours d’une grande partie de ma vie, je voulais détruire cette part de moi, parce que l’Eglise me disait que c’était une maladie, quelque chose de mal, de sale, de diabolique. Mais je ne suis pas devenu prêtre pour cacher mon homosexualité. Je crois même que j’ai été appelé par Dieu en tant qu’homosexuel.

En étudiant à la Congrégation pour la Doctrine de la foi, j’ai découvert que je vivais au cœur d’une trom-perie, que mon Eglise me mentait. J’ai découvert que c’était une institution paranoïaque, incapable de se confronter avec les sciences modernes ! Parallèlement, j’ai pu découvrir le concept d’orientation sexuelle, alors que l’Eglise préfère employer le terme de « tendance ». Elle ne veut pas accepter le fait qu’on ne change pas,

Depuis, Krzysztof Charamsa a fait parvenir une lettre au pape François, ainsi qu’aux deux universités où il enseignait, pour dénoncer la « persécution des homosexuels » dans l’Eglise. Il prépare aujourd’hui la publication d’un livre pour le printemps 2016. Depuis Barcelone, où il a déménagé avec l’homme de sa vie, il a accepté de s’expliquer.

Vous avez été récemment suspendu par votre évêque. Cette peine vous interdit désormais de célébrer la messe, d’administrer les sacrements ou encore de porter la soutane. Comment vous sentez-vous ?

La colère et la tristesse me sont, ces derniers temps, étrangères. Je serai prêtre toute mon existence. Selon la doctrine du sacerdoce catholique, une fois ordonné prêtre, on ne peut annuler ce sacrement. C’est d’ailleurs la même chose avec l’homosexualité : quand on est gay, on ne peut le changer ou l’effacer ! Je suis un prêtre gay, je le serai pour toujours, et je suis heureux de l’être. Mais comme j’ai été démis de toutes mes fonctions, à présent, je cherche très concrètement du travail.

Vous avez choisi de faire votre coming out le 3 octobre, à la veille d’un important synode sur la famille. Quel était votre objectif ?

J’espérais que le synode allait suivre l’ouverture d’es-prit du pape François et des pasteurs qui vont dans son sens. Mais je voulais avant tout dénoncer toutes les cri-tiques qui se sont accumulées à l’encontre du pape et de sa volonté, manifestée avant le synode, de faire bou-ger les lignes.

Le rapport final du synode se contente d’évo-quer brièvement les familles où se trouvent des homosexuels pour les accueillir « avec respect ». Il réaffirme aussi l’opposition de l’Eglise au mariage homosexuel. Qu’en pensez-vous ?

On n’y parle même pas des familles homosexuelles qui ont des enfants… La conclusion du synode, je la connaissais, malheureusement, avant même qu’il ait commencé : une offense à la dignité des personnes homosexuelles, de leurs familles et de leurs enfants, prétendument au nom de Dieu ! Les grandes et justes espérances de l’humanité pour l’Eglise ont été tour-nées en dérision. On pensait que l’Eglise, sous le pape François, ouvrirait les yeux. Mais l’Eglise actuelle est

Le prêtre au bras d’Eduard, à la sortie de la conférence de presse durant laquelle il a annoncé son homosexualité, le 3 octobre à Rome.

Un cardinal découvre la une du 4 octobre du quotidien espagnol « El País », pendant le synode de l’Eglise catholique sur la famille, au Vatican.

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« L’écriture nerveuse, l’intelligence, la maîtrise impressionnante de l’ensemble le rendent terriblement contemporain. »

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« Un écrivain incroyablement doué, qui prend le temps de raconter, de décrire, de prolonger le plaisir. »

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HÉDI KADDOUR

roman

LES

PRÉPONDÉRANTS

Hédi

KaddourLes Prépondérants

GRAND PRIX DU ROMAN DE L’ACADÉMIE FRANÇAISE 2015

qu’on ne peut pas se « guérir » ou se « soigner » ! Cette fermeture est irrationnelle. Mes recherches étaient toutes cachées. Si j’avais publié quelque chose sur ces questions, j’aurais été condamné comme héré-tique ou infidèle. J’ai constaté que je ne voulais plus servir ce mensonge. Mon coming out était aussi une forme de protestation. J’ai voulu dire qui j’étais.

On vous a reproché de mener deux combats à la fois : la reconnaissance de l’homosexualité et la fin de l’obligation de célibat pour les prêtres. Quel lien existe-t-il entre ces deux sujets ?

Je pense que l’obligation de célibat comme renoncia-tion au mariage et donc, une vie asexuelle imposée de fait aux prêtres, est inhumaine. Si cela pouvait être autrefois compréhensible, la psychologie et la sexolo-gie devraient aujourd’hui suffire à y mettre fin. Dans l’Eglise orientale catholique, un candidat au sacerdoce peut choisir s’il se marie ou s’il reste célibataire. Moi, je n’avais pas cette possibilité. En plus, ce célibat qu’on m’imposait était lié à l’« hétérodictature » de l’Eglise : on enseigne aux séminaristes de renoncer à une femme ! C’est bon, j’y ai renoncé !

Vous avez aussi dénoncé une certaine « hypo-crisie » de l’Eglise et affirmé par ailleurs qu’il y avait beaucoup d’homosexuels dans le clergé...

Oui c’est une hypocrisie, et cela touche aussi des prêtres hétérosexuels qui vivent avec leur partenaire malgré leur vœu de célibat ! Dans l’Eglise, il y a une règle officieuse : tu fais vœu de célibat, mais, au fond, tu peux faire ce que tu veux sur le plan sexuel, il suffit que personne ne le sache, que tout soit caché, que cela ne devienne pas public. J’ai été suspendu parce que j’ai dit publiquement que j’étais gay et que j’ai présenté mon compagnon. L’Eglise est celle qui sollicite et per-met la double vie des prêtres. Beaucoup d’évêques fer-ment les yeux. Peut-être parce qu’ils craignent de se retrouver sans prêtres ! Certains cherchent juste le plaisir sexuel, car ils ne peuvent pas avoir une relation d’amour saine et stable. Beaucoup d’autres ont de fan-tastiques relations d’amour avec des hommes ou des femmes, sont fidèles, mais se cachent. Pour ma part, je ne dirais pas que j’ai eu une double vie, mais une période d’évolution. Eduard, mon compagnon, m’a aidé à me libérer de mes peurs. J’étais terrorisé. En faisant mon coming out, je me suis libéré d’une façon extraordinaire au niveau spirituel et sentimental. C’est ma relation qui m’a donné cette force. Une telle rela-tion peut faire du bien à un prêtre, l’aider à s’ouvrir aux réalités des hommes et des femmes. On peut aussi être de formidables prêtres célibataires, mais cela ne peut être imposé à personne.

Le catéchisme de l’Eglise catholique considère les actes homosexuels comme « intrinsèque-ment désordonnés ». Comment interprétez-vous ce que dit la Bible sur l’homosexualité ?

L’Eglise ne tient pas compte de l’avancée des études actuelles sur ce thème. Il y a un réel statu quo. Sa vision de l’homosexualité n’a pas évolué depuis cinquante ans. A l’époque de la Bible, on n’avait aucune idée de ce qu’était le concept d’orientation sexuelle. D’ailleurs, la Bible parle très peu d’homosexualité masculine, et

l’homosexualité féminine en est absente. Dans l’An-cien Testament, le passage sur Sodome et Gomorrhe est complexe. Les exégèses modernes ont montré qu’il ne désigne pas l’homosexualité, mais le manque d’hospitalité. Dans le Lévitique, il ne s’agit pas d’une interdiction des actes homosexuels, mais des actes homogénitaux : c’est-à-dire, indépendants de l’orien-tation sexuelle. Cela concerne deux hommes hété-rosexuels qui ont une pulsion sexuelle, comme cela arrive parfois, dans les prisons par exemple, ou bien aux marins qui voyagent longtemps en mer, ou dans des environnements isolés.

Aujourd’hui, l’Eglise demande aux homo-sexuels de vivre « dans la chasteté », parce qu’elle considère les actes homosexuels comme « contraires à la loi naturelle » étant donné qu’ils « ferment l’acte sexuel au don de la vie ». Comprenez-vous cette lecture des textes ?

L’Eglise se réfère au Livre de la Genèse (« Dieu créa l’homme à son image, [...] homme et femme il les créa ») pour parler de « complémentarité », et ce mot doit fermer tout débat ! Tout le problème part du sens que donne l’Eglise catholique à la sexualité. Le mariage et la sexualité n’étant vécus que dans l’hété-rosexualité, ils ne servaient que pour la procréation. Aujourd’hui, l’Eglise a changé pour une part sa conception. Le mariage a deux fins : la procréation et l’amour. Moi, je fais un pas en avant. Je crois que le mariage doit commencer par l’amour et que la sexualité doit également exprimer l’amour. Et les mariages homosexuels me font voir presque prophé-tiquement que la chose la plus importante est l’amour. Les couples homosexuels ne peuvent certes pas faire un enfant dans l’acte sexuel, mais ils peuvent désormais le faire dans leur vie d’amour. Il y a déjà la possibilité de l’adoption. Aujourd’hui, de nouvelles possibilités d’aide médicale existent déjà pour les couples hétérosexuels. Sur cela, l’Eglise a une posi-tion rigide, elle a réagi trop vite. J’admire les couples homosexuels qui, à partir de leur amour, ont eu recours à la fécondation in vitro.

Vous qui avez appartenu à la Congrégation pour la Doctrine de la foi, pensez-vous que la théologie pourrait encore évoluer sur la ques-tion de l’homosexualité ?

Selon moi, la théologie doit absolument se confron-ter aux gender studies. Mais pour l’instant, l’Eglise ne parle que d’idéologies ou de lobby gay qui voudraient nous faire changer de sexe ! Mais moi je ne veux pas changer de sexe, je suis heureux d’être un homme ! La vision des catholiques est caricaturale : je n’ai pas rencontré d’auteurs de gender studies qui nient le sexe biologique. Il existe par exemple une théologie queer mais les chercheurs en théologie qui s’inté-ressent à ces questions sont ignorés, voire persécu-tés. Pour moi, le Christ donne de l’espace à toute per-sonne, indépendamment de son orientation sexuelle. Le projet de Dieu n’est pas la complémentarité entre l’homme et la femme, mais la réalisation de l’amour entre les personnes.

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BOUALEM SANSAL

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Sansal2084 La fi n du monde

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« Ce livre choc est un combat. Avec 2084. La fin du monde, l’écrivain algérien publie une foisonnante fable orwellienne sur fond de dictature islamiste. »

Marianne Payot, L’Express

« George Orwell avait écrit 1984. Boualem Sansal en imagine la suite. Effrayant et virtuose. »

Pierre Vavasseur, Le Parisien

qu’on ne peut pas se « guérir » ou se « soigner » ! Cette fermeture est irrationnelle. Mes recherches étaient toutes cachées. Si j’avais publié quelque chose sur ces questions, j’aurais été condamné comme héré-tique ou infidèle. J’ai constaté que je ne voulais plus servir ce mensonge. Mon coming out était aussi une forme de protestation. J’ai voulu dire qui j’étais.

On vous a reproché de mener deux combats à la fois : la reconnaissance de l’homosexualité et la fin de l’obligation de célibat pour les prêtres. Quel lien existe-t-il entre ces deux sujets ?

Je pense que l’obligation de célibat comme renoncia-tion au mariage et donc, une vie asexuelle imposée de fait aux prêtres, est inhumaine. Si cela pouvait être autrefois compréhensible, la psychologie et la sexolo-gie devraient aujourd’hui suffire à y mettre fin. Dans l’Eglise orientale catholique, un candidat au sacerdoce peut choisir s’il se marie ou s’il reste célibataire. Moi, je n’avais pas cette possibilité. En plus, ce célibat qu’on m’imposait était lié à l’« hétérodictature » de l’Eglise : on enseigne aux séminaristes de renoncer à une femme ! C’est bon, j’y ai renoncé !

Vous avez aussi dénoncé une certaine « hypo-crisie » de l’Eglise et affirmé par ailleurs qu’il y avait beaucoup d’homosexuels dans le clergé...

Oui c’est une hypocrisie, et cela touche aussi des prêtres hétérosexuels qui vivent avec leur partenaire malgré leur vœu de célibat ! Dans l’Eglise, il y a une règle officieuse : tu fais vœu de célibat, mais, au fond, tu peux faire ce que tu veux sur le plan sexuel, il suffit que personne ne le sache, que tout soit caché, que cela ne devienne pas public. J’ai été suspendu parce que j’ai dit publiquement que j’étais gay et que j’ai présenté mon compagnon. L’Eglise est celle qui sollicite et per-met la double vie des prêtres. Beaucoup d’évêques fer-ment les yeux. Peut-être parce qu’ils craignent de se retrouver sans prêtres ! Certains cherchent juste le plaisir sexuel, car ils ne peuvent pas avoir une relation d’amour saine et stable. Beaucoup d’autres ont de fan-tastiques relations d’amour avec des hommes ou des femmes, sont fidèles, mais se cachent. Pour ma part, je ne dirais pas que j’ai eu une double vie, mais une période d’évolution. Eduard, mon compagnon, m’a aidé à me libérer de mes peurs. J’étais terrorisé. En faisant mon coming out, je me suis libéré d’une façon extraordinaire au niveau spirituel et sentimental. C’est ma relation qui m’a donné cette force. Une telle rela-tion peut faire du bien à un prêtre, l’aider à s’ouvrir aux réalités des hommes et des femmes. On peut aussi être de formidables prêtres célibataires, mais cela ne peut être imposé à personne.

Le catéchisme de l’Eglise catholique considère les actes homosexuels comme « intrinsèque-ment désordonnés ». Comment interprétez-vous ce que dit la Bible sur l’homosexualité ?

L’Eglise ne tient pas compte de l’avancée des études actuelles sur ce thème. Il y a un réel statu quo. Sa vision de l’homosexualité n’a pas évolué depuis cinquante ans. A l’époque de la Bible, on n’avait aucune idée de ce qu’était le concept d’orientation sexuelle. D’ailleurs, la Bible parle très peu d’homosexualité masculine, et

l’homosexualité féminine en est absente. Dans l’An-cien Testament, le passage sur Sodome et Gomorrhe est complexe. Les exégèses modernes ont montré qu’il ne désigne pas l’homosexualité, mais le manque d’hospitalité. Dans le Lévitique, il ne s’agit pas d’une interdiction des actes homosexuels, mais des actes homogénitaux : c’est-à-dire, indépendants de l’orien-tation sexuelle. Cela concerne deux hommes hété-rosexuels qui ont une pulsion sexuelle, comme cela arrive parfois, dans les prisons par exemple, ou bien aux marins qui voyagent longtemps en mer, ou dans des environnements isolés.

Aujourd’hui, l’Eglise demande aux homo-sexuels de vivre « dans la chasteté », parce qu’elle considère les actes homosexuels comme « contraires à la loi naturelle » étant donné qu’ils « ferment l’acte sexuel au don de la vie ». Comprenez-vous cette lecture des textes ?

L’Eglise se réfère au Livre de la Genèse (« Dieu créa l’homme à son image, [...] homme et femme il les créa ») pour parler de « complémentarité », et ce mot doit fermer tout débat ! Tout le problème part du sens que donne l’Eglise catholique à la sexualité. Le mariage et la sexualité n’étant vécus que dans l’hété-rosexualité, ils ne servaient que pour la procréation. Aujourd’hui, l’Eglise a changé pour une part sa conception. Le mariage a deux fins : la procréation et l’amour. Moi, je fais un pas en avant. Je crois que le mariage doit commencer par l’amour et que la sexualité doit également exprimer l’amour. Et les mariages homosexuels me font voir presque prophé-tiquement que la chose la plus importante est l’amour. Les couples homosexuels ne peuvent certes pas faire un enfant dans l’acte sexuel, mais ils peuvent désormais le faire dans leur vie d’amour. Il y a déjà la possibilité de l’adoption. Aujourd’hui, de nouvelles possibilités d’aide médicale existent déjà pour les couples hétérosexuels. Sur cela, l’Eglise a une posi-tion rigide, elle a réagi trop vite. J’admire les couples homosexuels qui, à partir de leur amour, ont eu recours à la fécondation in vitro.

Vous qui avez appartenu à la Congrégation pour la Doctrine de la foi, pensez-vous que la théologie pourrait encore évoluer sur la ques-tion de l’homosexualité ?

Selon moi, la théologie doit absolument se confron-ter aux gender studies. Mais pour l’instant, l’Eglise ne parle que d’idéologies ou de lobby gay qui voudraient nous faire changer de sexe ! Mais moi je ne veux pas changer de sexe, je suis heureux d’être un homme ! La vision des catholiques est caricaturale : je n’ai pas rencontré d’auteurs de gender studies qui nient le sexe biologique. Il existe par exemple une théologie queer mais les chercheurs en théologie qui s’inté-ressent à ces questions sont ignorés, voire persécu-tés. Pour moi, le Christ donne de l’espace à toute per-sonne, indépendamment de son orientation sexuelle. Le projet de Dieu n’est pas la complémentarité entre l’homme et la femme, mais la réalisation de l’amour entre les personnes.

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