22
Extrait de la publication

Extrait de la publication · 2018. 4. 12. · destinéeJe neplussais sisingulière l'on trouveraitque celledansde nosMarivaux.Lettres uneIl s'agit là d'un écrivain qui connut beaucoup

  • Upload
    others

  • View
    3

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: Extrait de la publication · 2018. 4. 12. · destinéeJe neplussais sisingulière l'on trouveraitque celledansde nosMarivaux.Lettres uneIl s'agit là d'un écrivain qui connut beaucoup

Extrait de la publication

Page 2: Extrait de la publication · 2018. 4. 12. · destinéeJe neplussais sisingulière l'on trouveraitque celledansde nosMarivaux.Lettres uneIl s'agit là d'un écrivain qui connut beaucoup

Extrait de la publication

Page 3: Extrait de la publication · 2018. 4. 12. · destinéeJe neplussais sisingulière l'on trouveraitque celledansde nosMarivaux.Lettres uneIl s'agit là d'un écrivain qui connut beaucoup

Extrait de la publication

Page 4: Extrait de la publication · 2018. 4. 12. · destinéeJe neplussais sisingulière l'on trouveraitque celledansde nosMarivaux.Lettres uneIl s'agit là d'un écrivain qui connut beaucoup

Extrait de la publication

Page 5: Extrait de la publication · 2018. 4. 12. · destinéeJe neplussais sisingulière l'on trouveraitque celledansde nosMarivaux.Lettres uneIl s'agit là d'un écrivain qui connut beaucoup

MARIVAUX

Page 6: Extrait de la publication · 2018. 4. 12. · destinéeJe neplussais sisingulière l'on trouveraitque celledansde nosMarivaux.Lettres uneIl s'agit là d'un écrivain qui connut beaucoup

Je ne sais si l'on trouverait dans nos Lettres unedestinée plus singulière que celle de Marivaux. Ils'agit là d'un écrivain qui connut beaucoup moinsde succès que d'échecs; dont les succès ne furentjamais des triomphes; à qui tel membre de l'Aca-démie reprochait de détruire la langue française;que tel autre, en l'y recevant, louait de son boncœur plus que de ses œuvres; et qu'enfin les mieux dis-posés ne tinrent que pour un petit-maître. Or sagloire, depuis cinquante ans surtout, n'a cessé degrandir; non pas une gloire qui se fût attachée àson nom seul, une gloire de manuel ou de Panthéonil attire et il inquiète, il irrite et il enchante, il vit.

Voici donc l'un de nos auteurs les plus fameux.Mais connu, pleinement connu? C'est une autreaffaire. Je ne parle pas seulement du romancier,que l'on juge, si l'on y est allé voir, sur une cen-taine de pages. Plus favorisé, sans doute, plusrépandu, plus goûté, l'auteur dramatique ne l'esttoutefois que partiellement. On salue en lui le créa-teur d'un genre, ce qui n'est pas si commun; maison assimile son génie à une recherche d'analyse etd'expression, qui ne saurait le définir, qui même

Extrait de la publication

Page 7: Extrait de la publication · 2018. 4. 12. · destinéeJe neplussais sisingulière l'on trouveraitque celledansde nosMarivaux.Lettres uneIl s'agit là d'un écrivain qui connut beaucoup

MARIVAUX

nous abuse dès qu'on la nomme marivaudage. Jene dis point que tous les traits soient faux, où l'onreconnaît aujourd'hui sa figure; ils ne l'en tra-hissent pas moins dans la mesure où ils se trouventisolés et nous dérobent les autres.

Encore ne peut-on se former de Marivaux unejuste image, si l'on ne parcourt ses journaux etessais, qui ne sont ni sans longueurs ni sans com-plaisance, mais qui tantôt, par une scène, un por-trait, une historiette, prolongent son théâtre ou sesromans; et maintes fois, offrant libre cours à sonesprit et à son cœur, nous replacent dans les condi-tions où il écrivit ses œuvres capitales.

C'est pourquoi, si j'aborde tour à tour en Mari-vaux le romancier, l'auteur dramatique et l'essayiste,je voudrais faire à tout instant sentir, parfois aurisque d'une répétition, leur mutuelle dépendance.De même, loin de séparer l'homme de son œuvre,je souhaiterais de les éclairer l'un par l'autre et deles découvrir en même temps.

Car enfin, qu'aime-t-on au mieux chez Mari-vaux ? Sa grâce, ses charmantes manières, sa subti-lité, ses mots du cœur qui ont tant d'esprit, unmélange de badinage et d'émotion, une intime fraî-cheur sous le raffinement de la parure. Et l'on parlede Watteau, d'une élégance, d'une discrétion, d'unemesure bien françaises. Sans doute. Mais on neV épuise pas pour autant. Si précieux que puissentêtre ces caractères, ils ne suffisent pas à expliquerla place que Marivaux tient en nous, qui peut-êtreest profonde, en tout cas singulière, que nous sen-tons bien, mais que nous sommes parfois étonnés

Page 8: Extrait de la publication · 2018. 4. 12. · destinéeJe neplussais sisingulière l'on trouveraitque celledansde nosMarivaux.Lettres uneIl s'agit là d'un écrivain qui connut beaucoup

MARIVAUX

de sentir, et que nous n'osons pas toujours avouer.« C'est délicieux, c'est exquis », et l'on sourit, etc'est encore le sourire de l'enchantement, mais déjà

celui de la pudeur et de la crainte d'être dupe.Comme si, pour nous séduire, il avait usé de sor-tilèges illicites.

C'est qu'il n'y a pas d'écrivains qui, sous uneforme plus nette, soient au fond plus ambigus. Cemoraliste, cet honnête homme, cet homme de bienpeut s'abandonner, hors de toute morale et de toutecharité, au seul plaisir d'être lucide. Ce tendre peutêtre l'un de nos écrivains les plus cruels. Ce délicatsuit avec complaisance, au cours de trois cents pages,la carrière d'un garçon qui doit aux femmes, et àde vieilles femmes, sa fortune. « J'ai guetté dansle cœur humain, dit-il, toutes les niches différentesoù peut se cacher l'amour. » Mais il ne s'est pasmoins soucié des différences sociales, de la vieouvrière ou bourgeoise, des mille scènes de la rue,et des intrigues dévotes. Il est schématique et on-doyant. C'est l'esprit le plus brillant et le plusprécieux; c'est aussi un homme sensé, un obser-vateur, dont les réjiexions vont loin sans jamaisvouloir paraître profondes. Il se laisse aller, joue,bavarde, nous lasse; mais il sait être, s'il le veut,maître du trait précis, du mot révélateur, de lascène rapide et ferme. On croit flotter en pleineinvraisemblance, on se résigne à un conte de féesou à une allégorie; soudain, un mot, un geste, unsoupir le plus intime et le plus chaud du cœurvient colorer ces Arlequins ou ces bergères; et quefaire, comment réagir? Nous sommes émus.

Extrait de la publication

Page 9: Extrait de la publication · 2018. 4. 12. · destinéeJe neplussais sisingulière l'on trouveraitque celledansde nosMarivaux.Lettres uneIl s'agit là d'un écrivain qui connut beaucoup

MARIVAUX

Il faudrait en user avec lui comme en usent mu-tuellement ses amoureux. Presque toujours, dès leurpremière rencontre, tout est fait; mais tout reste àcomprendre et à dire. Tout est fait pour nous àl'égard de Marivaux, pour nous j'entends pourceux qui l'aiment; reste à pouvoir nous dire, commeSilvia « Ah! je vois clair dans mon cœur. »

Page 10: Extrait de la publication · 2018. 4. 12. · destinéeJe neplussais sisingulière l'on trouveraitque celledansde nosMarivaux.Lettres uneIl s'agit là d'un écrivain qui connut beaucoup

PREMIÈRE PARTIE

LES ROMANS

Extrait de la publication

Page 11: Extrait de la publication · 2018. 4. 12. · destinéeJe neplussais sisingulière l'on trouveraitque celledansde nosMarivaux.Lettres uneIl s'agit là d'un écrivain qui connut beaucoup

Extrait de la publication

Page 12: Extrait de la publication · 2018. 4. 12. · destinéeJe neplussais sisingulière l'on trouveraitque celledansde nosMarivaux.Lettres uneIl s'agit là d'un écrivain qui connut beaucoup

L'homme qui de nos jours a le mieux servila gloire de Marivaux du moins la gloiredu romancier c'est un homme qui nel'avait pas lu. L'anecdote est fameuse; ondemandait à Gide « Quels sont nos dixmeilleurs romans, ceux que vous emporteriezdans une île déserte? » Gide énumère la Char-

treuse de Parme, les Liaisons dangereuses, laPrincesse de Clèves. Parvenu au dixième

« Ah! pour le dernier, s'écrie-t-il, emportonsquelque nouveauté celle-ci, par exemple,que je rougis de ne pas connaître encorela Marianne de Marivaux. » Boutade, pru-dence ou divination cet autel élevé « à un

dieu inconnu » fit plus pour l'auteur deMarianne qu'un long dithyrambe.

Je ne dis pas que depuis lors les lecteurs aienttafflué. Mais la question restait posée. C'estbeaucoup, s'agissant de Marivaux, qui nefut jamais très lu. Il semble que le succès deson théâtre, succès d'ailleurs partiel, ait dé-tourné l'attention de son œuvre romanesque.Devant un auteur qui cultive des genres aussi

Extrait de la publication

Page 13: Extrait de la publication · 2018. 4. 12. · destinéeJe neplussais sisingulière l'on trouveraitque celledansde nosMarivaux.Lettres uneIl s'agit là d'un écrivain qui connut beaucoup

MARIVAUX

différents, on se trouve pris de méfiance.Marivaux surtout, comment le croire si riche,lui dont on a déjà réduit les trente-quatrecomédies à cinq ou six pièces d'un mêmeesprit et d'une même forme? Pourtant il suf-fit de lire Marianne et le Paysan parvenu pourleur trouver autant d'importance et d'origi-nalité qu'à son théâtre. De tous les maîtresdu roman français, Marivaux, me semble-t-il,reste le plus méconnu.

Il fut d'abord romancier. Car on peut né-gliger sans dommage la comédie qu'il écriviten vers, à dix-huit ans, pour la belle sociétéde Limoges. Quelques années plus tard, ilcomposait son premier roman Pharsamonou les Folies romanesques. Des cinq romans deMarivaux, seuls les deux derniers sont devrais et beaux romans. Mais si l'on peut tenirles autres pour des jeux ou des exercices, ilsne me semblent pas négligeables, d'abordparce qu'on y trouve çà et là l'esprit et déjàla « manière » de Marivaux, mais surtoutparce qu'ils nous aident à comprendre com-ment il parvint à ses chefs-d'œuvre.

En 1712, quand, à sa façon, il devient ro-mancier, il a vingt-quatre ans. Il est né d'unpère normand, qui appartenait à une petitenoblesse de robe, et d'une mère au nommodeste Marie Bulet. Son enfance, il l'a

Extrait de la publication

Page 14: Extrait de la publication · 2018. 4. 12. · destinéeJe neplussais sisingulière l'on trouveraitque celledansde nosMarivaux.Lettres uneIl s'agit là d'un écrivain qui connut beaucoup

LES ROMANS

passée à Riom, où son père était directeurde la Monnaie, puis à Limoges, où nousl'avons vu parodier Molière. Il a fait desétudes de droit. Le voici à Paris, jeune, spiri-tuel, assez joli garçon et pourvu d'une bonneaisance. « Dans sa jeunesse, écrit d'Alem-bert, il avait senti vivement les passions. »Mais parlons-nous déjà de cette jeunesse?Nous savons qu'il fut toujours d'une extrêmesensibilité; nous savons aussi qu'il connut,très tôt, de petites déceptions amoureuses;il raconte l'une d'elles, dans le Spectateurfrançais elle fait honneur à son innocence,comme à son goût de la franchise. Il aimaitune jeune fille qu'il jugeait « belle et sage,belle sans y prendre garde ». Cela se passaità la campagne. Un jour qu'il venait de quitterl'ingénue, il s'avise qu'il a perdu son gant,revient et voit la charmante enfant, un mi-roir à la main, tout absorbée dans l'étude,le jeu et le perfectionnement de ses grâces« Elle s'y représentait à elle-même dans tousles sens où, durant notre entretien, j'avaisvu son visage. » Du coup, plus d'amour« Je viens de voir, Mademoiselle, les ma-chines de l'opéra il me divertira toujours,mais il me touchera moins. » Oui, marquonsdès à présent la passion de Marivaux pourla vérité, mais aussi la comédie qu'il se donneavec les mille grâces du mensonge.

De tels mécomptes ont bien leur prix; ilsaiguisent le cœur, et glissent dans la voix,

Page 15: Extrait de la publication · 2018. 4. 12. · destinéeJe neplussais sisingulière l'on trouveraitque celledansde nosMarivaux.Lettres uneIl s'agit là d'un écrivain qui connut beaucoup

MARIVAUX

quand elle parle de l'amour, un accent plussecret. Il ne semble pas que l'esprit de Mari-vaux ait connu d'abord pareilles mésaven-tures. Ce qu'il rencontre à Paris, c'est cequ'il souhaitait, son milieu naturel. De làsans doute ces longues années où il se con-fond avec l'époque, sans pressentir ce qu'illui doit apporter.

Il rencontre La Motte, et surtout Fon-tenelle, qui l'aime et souvent prendra sadéfense. Il les rejoint chez Mme de Lambert,en même temps que d'Argenson, l'abbé deSaint-Pierre, Montesquieu, le président Hé-nault, Mlle Delaunay. C'est l'élégance etla délicatesse de l'hôtel de Rambouillet, etmême une préciosité voisine; mais un espritplus libre, une vivacité piquante, surtoutun goût de fronde qui s'en prend aux An-ciens comme à leurs défenseurs. Chez Mme de

Tencin, qui va bientôt l'accueillir, le tonse fera plus libre encore, et l'attaque plusaudacieuse, dans la mesure où la préciositéfait place à la philosophie. Ce commerceaimable, cette finesse, ces grâces et cetteaudace tout ensemble, nul doute que Mari-vaux ne s'en trouve d'abord enchanté; ily reconnaît ou croit y reconnaître la vraiepatrie de son esprit, sinon celle de son cœur.Vingt ans plus tard, quand il introduit Ma-rianne dans un cercle analogue, il lui prêteses premières impressions « Ce ne fut pointà force de leur trouver de l'esprit, dit Ma-

Page 16: Extrait de la publication · 2018. 4. 12. · destinéeJe neplussais sisingulière l'on trouveraitque celledansde nosMarivaux.Lettres uneIl s'agit là d'un écrivain qui connut beaucoup

LES ROMANS

rianne, que j'appris à les distinguer; pour-tant il est certain qu'ils en avaient plus qued'autres et que je leur entendais dire d'ex-cellentes choses; mais ils les disaient avecsi peu d'effort, ils y cherchaient si peu defaçon, c'était d'un ton de conversation siaisé et si uni, qu'il ne tenait qu'à moi decroire qu'ils disaient les choses les plus com-munes. Ce n'étaient point eux qui y met-taient de la finesse, c'était de la finesse quis'y rencontrait. »

Une société si affinée paraît faite pourassouplir un esprit et une langue. Se prête-t-elle aussi bien à la formation d'un roman-

cier ? L'époque tout entière semblait d'ailleurss'y refuser; les pastorales héroïques du grandsiècle gardaient encore des fervents; on lisaitTélémaque; la Princesse de Clèves restait sanspostérité; il est vrai que le Diable boiteuxvenait de paraître mais c'est moins unroman qu'un ensemble de croquis, d'anec-dotes et de nouvelles. Un vrai roman, jeveux dire une fiction puissante, des êtresde chair et d'âme, un auteur qui croit à sespersonnages et partage leurs aventures, quiest ému et ne redoute pas de montrer sonémotion rien n'eût semblé plus étrangedans le salon de Mme de Lambert; on yeût trouvé de l'indécence, pour le moinsquelque naïveté. Et Marivaux n'est pas mûrpour tant d'audace. C'est en province sansdoute qu'il a conçu, et même partiellement

2

Extrait de la publication

Page 17: Extrait de la publication · 2018. 4. 12. · destinéeJe neplussais sisingulière l'on trouveraitque celledansde nosMarivaux.Lettres uneIl s'agit là d'un écrivain qui connut beaucoup

MARIVAUX

écrit, ses deux premiers romans; ils traduisentà la fois l'influence de ses lectures et la réac-

tion qui l'en doit libérer; mais ils ne setrouvent pas opposés à l'esprit d'un salon quise piquait de mépriser le romanesque.

On a trois fois réédité Pharsamon sous le

titre de le Don Quichotte moderne. L'œuvre deMarivaux est en effet la parodie de DonQuichotte, qui déjà se proposait comme uneparodie. Nous sommes en pleine littérature.A vrai dire, Pharsamon est plus encore uneimitation qu'une parodie; et non seulementde Cervantès, mais de Charles Sorel, l'au-teur du Berger extravagant. Je ne sais si Mari-vaux lut son livre, chez Mme de Lambert;

il en était si mal satisfait qu'il attendit vingt-cinq ans pour le publier; et même il fallutqu'on lui forçât la main. L'oeuvre ne connutjamais grand succès; Grimm la jugeait dé-testable. Je suis loin de la trouver excellente;mais elle ne me semble nullement ennuyeuse,malgré sa longueur, et ses longueurs.

Don Quichotte est ici un beau garçon dedix-huit ans, qui ne veut aimer qu'une hé-roïne, et l'aimer en chevalier. Ainsi de Cli-ton, son domestique transformé en écuyer.En face d'eux, Cidalise et Fatime sa suivante,qui veulent elles-mêmes courir les bellesaventures des romans. Cette disposition despersonnages maître et valet, maîtresse etsuivante, cette parodie des maîtres par leurs

Extrait de la publication

Page 18: Extrait de la publication · 2018. 4. 12. · destinéeJe neplussais sisingulière l'on trouveraitque celledansde nosMarivaux.Lettres uneIl s'agit là d'un écrivain qui connut beaucoup

LES ROMANS

domestiques, ce jeu de miroirs déformants,cette figure de ballet voilà qui nous pré-pare aux comédies de Marivaux. Mais com-ment conter les aventures de ces quatrepersonnages? On se rencontre dans un bois,et chacun découvre l'objet de son attente;Pharsamon combat pour sa dame, Clitonà l'office pour la sienne, quand survient lamère de Cidalise, qui jette dehors les deuxguerriers. Il faut revenir au logis, subir lasemonce de l'oncle et de la nourrice, brûlerles chers livres d'aventures. Et puis l'onrepart; on est accueilli dans un châteauperdu par un solitaire, qui raconte aussitôtson histoire. Un solitaire? Une solitaire, unefille malheureuse, mais qui l'est moins à lavue de Pharsamon, de même que sa sui-vante à la vue de l'écuyer. Ces deux nou-veaux couples hors du monde, c'est unefois encore, chez Marivaux, un point dedépart pour maintes comédies; c'en est mêmel'atmosphère, dont l'irréalité rend si pré-cises les vives nuances du cœur. Car soudain

Marivaux ne songe plus qu'il fait une paro-die, il ne se moque plus ou se moque àpeine il s'agit d'amour! et déjà unsoupir, une blessure, une attente. Mais non,c'est bien une parodie, à présent celle dulivre de Joseph et du quatrième chant deY Enéide; Pharsamon et Cliton se dérobent;leurs fougueuses amantes les poursuivent;quelle bataille! Échappés aux furies, nos

Page 19: Extrait de la publication · 2018. 4. 12. · destinéeJe neplussais sisingulière l'on trouveraitque celledansde nosMarivaux.Lettres uneIl s'agit là d'un écrivain qui connut beaucoup

MARIVAUX

aventuriers retrouvent enfin leurs premièresamours. C'est lui! c'est elle! On se pâme;l'écuyer baise la pantoufle de la suivante; lapantoufle est crottée Cliton, qui n'a pasde mouchoir, s'essuie le visage avec les mains,puis les mains sur la blanche robe de sonamoureuse. Et la mère surgit de nouveau;nouvelle mêlée, nouvelle fuite. C'est la nuit;les amants partent sous la lune, un peutremblants, un peu égarés, mais si heureuxqu'ils ne parlent plus que par gestes ou parsoupirs. Ainsi parviennent-ils à une maisonoù l'on célèbre un mariage; cette fois l'écuyers'empare du premier rôle, déclenche à lacuisine une bataille de titans, fait irruptiondans la salle du banquet, réveille les jeunesépoux dans leur lit, exige que tout le per-sonnel des cuisines vienne implorer son par-don, et là-dessus, avec une verve cocasse,complaisante certes, mais savoureuse et nondénuée d'une bizarre poésie, expose tout aulong les hauts faits de son enfance. Quantà la fin, hélas! elle n'en finit plus; c'estencore une histoire particulière, celle d'unetroisième héroïne, sauvée par Pharsamon.On bâille, on tourne les pages. Marivauxs'est le premier lassé de son histoire.

Il n'a pas encore trouvé sa langue, ni sonstyle; la forme dont il use est aisée, nulle-ment disgracieuse, mais presque toujoursimpersonnelle. Pourtant il nous arrive dedécouvrir dans Pharsamon un peu de la déli-

Extrait de la publication

Page 20: Extrait de la publication · 2018. 4. 12. · destinéeJe neplussais sisingulière l'on trouveraitque celledansde nosMarivaux.Lettres uneIl s'agit là d'un écrivain qui connut beaucoup

LES ROMANS

catesse et de la subtilité psychologique oùl'on est convenu de reconnaître sa marque.Et même quelques impressions de natureassez fraîches, par exemple quand il dit (jecrois qu'il ne le répétera jamais) « Onn'entendait là que le bruit des oiseaux; undoux et léger zéphyr agitait les feuilles desarbres; il y régnait un calme qui passaitjusqu'à l'âme. »

Si sa fantaisie est trop souvent appuyéeet laborieuse, elle laisse prévoir certains traitsde son théâtre, non les plus fins, mais ceuxqu'il prête à ses valets « Il me demandaencore, dit Cliton, si je voulais venir aveclui. Je lui répondis que je le voulais bien,et, comme vous voyez, nous le voulûmesbien tous deux. » C'est parfois un simplecomique de consonance «J'attendais, ré-pondit Pharsamon, que vous vinssiez m'ai-der à descendre. Ah! parbleu, répliqual'écuyer, je ne croyais pas que vous vousressouvinssiez de la cérémonie. » Précisément,tous les valets de Marivaux se trouvent

ébauchés en Cliton; écoutez-le discourircette vivacité et cette enflure, cette drôleriequi va jusqu'à l'extravagance, c'est déjàl'Arlequin du Jeu et celui du Triomphe del'Amour, le Lépine du Legs, le Trivelin dela Fausse Suivante. Mais ne peut-on direqu'en peignant Pharsamon lui-même, l'au-teur apprend à peindre la préciosité gro-tesque de ses valets?

Extrait de la publication

Page 21: Extrait de la publication · 2018. 4. 12. · destinéeJe neplussais sisingulière l'on trouveraitque celledansde nosMarivaux.Lettres uneIl s'agit là d'un écrivain qui connut beaucoup

Extrait de la publication

Page 22: Extrait de la publication · 2018. 4. 12. · destinéeJe neplussais sisingulière l'on trouveraitque celledansde nosMarivaux.Lettres uneIl s'agit là d'un écrivain qui connut beaucoup

Extrait de la publication