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Comment les protestants sont perçus Le magazine de la Fédération des Églises protestantes de Suisse Nº 2 / 2010 4 L’ENTRETIEN L’image du protestantisme suisse 8 DES ÉTUDES RÉCENTES Quand et comment les journa- listes médiatisent le religieux 15 LA POSITION DE L’ÉGLISE SUR LE MARCHÉ Comment l’Église fait face à la situation de compétition 21 UNE NOUVELLE CONFESSION DE FOI À la recherche d’une référence fiable 25 DES RÉFORMÉS GLOBALISÉS La fondation de la Communion mondiale d’Églises réformées 28 PORTRAIT L’écrivain Peter Bichsel, un croyant récalcitrant sek · feps bulletin

FEPS bulletin 2/2010

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bulletin - le magazine de la Fédération des Églises protestantes de Suisse. No 2/2010: Comment les protestants sont perçus.

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Comment les protestants sont perçus

Le magazine de la Fédération des Églises protestantes de Suisse

Nº 2/2010

4 L’ENTRETIEN

L’image du protestantisme suisse

8 DES ÉTUDES RÉCENTES

Quand et comment les journa- listes médiatisent le religieux

15 LA POSITION DE L’ÉGLISE SUR LE MARCHÉ

Comment l’Église fait face à la situation de compétition

21 UNE NOUVELLE CONFESSION DE FOI

À la recherche d’une référence fiable

25DES RÉFORMÉS GLOBALISÉS

La fondation de la Communion mondiale d’Églises réformées

28PORTRAIT

L’écrivain Peter Bichsel, un croyant récalcitrant

sek · fepsbulletin

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2 bulletin Nº 2 / 2010

Fédération des Églises protestantes de SuisseCase postale 3000 Berne 23Téléphone 031 370 25 25Fax 031 370 25 [email protected]

Parution :3 fois l’an

Tirage :6000 ex. en allemand, 1000 ex. en français

Directeur de la communication :Simon Weber

Administration :Nicole Freimüller-Hoffmann

Rédactrice :Maja Peter

Graphisme/Layout :Meier MediadesignSilvan Meier

Traduction :André Caruzzo tradapt/Sabine DormondIrène Minder

Correction :Monique Lopinat

Impression :Schläfli & Maurer AG, Interlaken

Couverture :KEYSTONE/Alessandro Della Bella

ÉDITORIAL C’est quoi ton scoop ?Chère lectrice, cher lecteur

« C’est quoi ton scoop ? » Cette question, j’ai eu à l’affronter à chaque conférence de rédaction durant ma carrière journalistique. Et chaque fois que je proposais un sujet d’article, il fallait que je puisse raconter une histoire pour convaincre mes collègues de la pertinence ou de la valeur récréative du sujet proposé. Sans cette histoire, je n’écrivais tout simple-ment pas l’article.

Raconter une histoire, c’est reprendre le fil d’une expérience collec-tive, c’est aussi créer un lien entre des personnes, des univers ou des époques, c’est enfin réveiller des sentiments. L’Église protestante dispose d’un riche fonds d’histoires, et pas seulement dans la Bible. Toutes celles et tous ceux qui ont reçu le baptême, qui ont confirmé, qui se sont mariés à l’église ou qui ont participé à une cérémonie funèbre ont une histoire en commun avec un pasteur, avec une pasteure, avec la commu-nauté ou l’institution ecclésiale.

Un exemple : j’ai demandé à mes collègues du Secrétariat de la FEPS qui était prêt à me fournir une photo de confirmation pour le présent bulletin. Le lendemain, je n’ai pas seulement trouvé une quantité d’images sur mon pupitre, mais j’ai aussi récolté d’innombrables histoires à leur sujet, qui ont rempli plus d’une pause café. Ces histoires sont de celles qui ne sont considérées comme porteuses que par les radios et les feuilles locales, et encore. Pourtant, ce sont de véritables trésors lorsqu’il s’agit d’entretenir des relations avec les membres de l’Église et avec celles et ceux qui ne le sont plus. Car l’Église a un immense privilège : elle côtoie les personnes dans les moments émotionnellement les plus intenses de leur vie et par conséquent dans des situations qui génèrent des histoires à écrire. Les protestants ne devraient donc pas avoir trop de difficultés à adopter certaines des recommandations formulées par les spécialistes de la communication et les théologiens. Le présent numéro de notre magazine se fait le relais d’un certain nombre de ces recommandations, notamment de celle qui permet de faire valoir un trésor d’expérience unique du protestantisme : avoir des histoires à raconter.

Je vous souhaite une agréable lecture.

Maja PeterRédactrice

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L’ENTRETIEN

«La participation à la vie de l’Église n’est que trop rarement perçue comme une activité plaisante» Entretien de Maja Peter avec le professeur Thomas Schlag

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COMMUNIQUER

La religion mise en scène par les médias Par Vinzenz Wyss

12UNE QUESTION, DEUX

RÉPONSES

Les Églises réformées doivent-elles s’efforcer activement de recru- ter des membres ou suffit-il de garder les portes ouvertes ? Par Frank Worbs et Heinz Fäh

15

ECCLÉSIOLOGIE

L’Église sur le marché Par Albrecht Grözinger

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INSTANTANÉ L’histoire de Noé. Par Robert Crumb

21

UNE PROCÉDURE DE

CONSULTATION DE LA FEPS

Dire notre foi aujourd’hui Par Félix Moser

25COMMUNION MONDIALE

D’ÉGLISES RÉFORMÉES

Une organisation mon-diale pour les réformés. Par Serge Fornerod

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PORTRAIT

« Raconter est le chemin du silence » Entretien de Stephanie Riedi avec l’écrivain Peter Bichsel

31POINT FINAL

La manière de voir et ses proches parents : le credo, la confession de foi, le status confessionis Par Silvia Pfeiffer

3Sommaire

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4 bulletin Nº 2 / 2010

– L’entretien« La participation à la vie de

l’Église n’est que trop rarement perçue comme une activité plaisante »

PAR MAJA PETER *

Quelle est, selon vous, l’image des réfor-més ?

L’Église réformée présente plusieurs images d’elle-même elles dépendent du

degré de proximité de la personne qui l’observe.

Quelle est l’image donnée aux personnes qui en sont éloignées ?

Cette image est dominée par les hypothèses, tous plutôt négatifs : l’Église réformée est ennuyeuse, vieillotte, rigide, fortement réglementée, sclérosée. Si une personne proche de l’Église ou une ministre s’ex-prime dans un langage compréhensif, conforme à notre époque et agrémenté d’un peu d’humour, ces per-sonnes sont étonnées. L’Église reste associée au XIXe siècle. Ces préjugés sont rapidement relégués lorsque des personnes peu familières de l’Église entrent en contact avec des pasteurs au fait de l’actualité.

Et quelle est l’image de l’Église selon celles et ceux qui en sont proches ?

L’Église ne ménage pas ses efforts, dans les deux sens du terme : elle fait des efforts pour lancer des réformes et pour interpeller les paroissiens. Il n’est tou-tefois pas rare que ces efforts soient ressentis comme étant pénibles aux yeux des personnes impliquées. Participer aux activités de l’Église n’est que très rare-ment perçu comme une tâche plaisante et que trop souvent comme quelque chose de pénible.

L’Église a-t-elle la prétention d’être quelque chose de plaisant ?

Je l’espère bien ! L’Église devrait être un lieu dont les personnes qui la fréquentent disent qu’elles aiment s’y tenir, car il y règne une certaine atmosphère : une sociabilité de bon aloi, un certain niveau intellectuel, mais aussi de la gaieté et un esprit de fête. L’Église de-vrait être perçue comme un apport utile à la vie, dans les bons comme dans les mauvais moments.

Et vous, comment voyez-vous l’Église réformée ?Sur le marché, elle fait face à une sérieuse concur-

rence. Son atout est la longue tradition dont elle peut se prévaloir. Il faut toutefois se demander si cette réfé-rence à la tradition est réellement un avantage ou si elle est synonyme de passéisme. Je constate que les pasteurs sont nombreux à chercher des voies nouvelles pour atteindre les paroissiens. Mais je constate aussi que le défi est presque impossible à maîtriser, vu que les groupes cibles sont de plus en plus hétérogènes et que les fossés entre les groupes sociaux se creusent. Une personne n’est pas en mesure de relever seule un tel défi. Selon moi, les structures existantes de l’Église atteignent leurs limites.

Les limites sont-elles aussi d’ordre financier ?De l’argent, il en reste relativement beaucoup,

surtout si l’on compare avec l’étranger. Je reviens des États-Unis où certaines Églises sont menacées dans

Pour Thomas Schlag participer aux activités de l’Église est souvent perçu comme quelque chose de pénible. Le professeur de l’Université de Zurich, cofondateur et directeur du nouveau Centre de développement ecclésial

(Zentrum für Kirchenentwicklung ZKE) propose moins de loyauté face aux traditions et davantage d’audace expérimentale. Il montre aussi

en quoi les pasteures et pasteurs peuvent s’inspirer des artistes.

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leur existence. Ces institutions considèrent cette me-nace comme une étape nécessaire sur la voie d’un re-nouveau. Et elles se plaignent moins que nous.

À quoi ce renouveau ressemble-t-il ?Les institutions se disent que si elles ne réagissent

pas, elles disparaîtront du marché, et c’est le message qu’elles font passer à leurs membres. Par conséquent, les membres se sentent personnellement responsables de leur paroisse locale, dans la mesure où il n’existe pas de superstructure dispensatrice d’impôts ecclésiastiques ou d’autres formes de ressources. Il faut se demander si un tel scé-nario ne menace pas, à moyen terme, l’Église réformée d’ici.

Les gens ne sont pas moins religieux qu’autrefois, des études sont là pour le prouver. Pourquoi l’Église réformée ne parvient-elle pas à satisfaire le besoin de spiritua-lité de ses membres ?

L’Église demande davantage d’engagement que les

autres types d’offres de spiritualité, dans la mesure où l’individu est théologiquement lié à la communauté à laquelle il doit être prêt à adhérer. Dans une Église, l’individu est toujours la partie d’un tout plus vaste, déterminé par Dieu. Par conséquent, les membres sont tenus de s’en tenir à certaines règles.

Des exemples ?Par exemple consentir à participer à une liturgie

ou tout simplement à une prédication. Aujourd’hui, nombreux sont celles et ceux qui refusent de se laisser

dire quoi que ce soit par une institution ou par ses représen-tants. Un cas classique ? Une famille souhaite faire baptiser son enfant, mais tient à ce que le culte ait lieu un samedi après-midi, à l’exclusion du public. Une telle demande est compréhensible à première

vue, dans la mesure où il s’agit d’une fête de famille. Mais au-delà, le baptême représente aussi l’entrée dans une communauté. Appartenir à cette communauté,

L’entretien 5

Thomas Schlag encourage l’Église à mieux soigner le contact avec ses paroissiens. Jusqu’à ce jour lui-même n’a jamais été contacté par sa paroisse de domicile.

« L’Église ne ménage pas ses efforts. Dans les deux sens

du terme.»

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au-delà des préférences personnelles, est un aspect qui pèse à beaucoup de personnes.

Quelle attitude préconisez-vous pour l’Église ?Il s’agit d’accorder à celles et à ceux qui re-

cherchent leur propre spiritualité suffisamment de marge de manœuvre pour qu’ils parviennent à vivre cette forme de spiritualité au sein de l’Église. De mon point de vue, le dogme, de nos jours, se résume à faire entrer la théologie dans le débat. Elle doit être ouverte à diverses interprétations. Il est illusoire de penser qu’il est possible d’évoquer la foi et les traditions bi-bliques de manière exclusive et univoque.

Vous dites qu’il s’agit de faire entrer la théologie dans le débat. Or, dans un culte, il n’y a pas de débat.

Certes, mais la prédication peut, non, doit être ouverte à différentes manières d’entendre et de com-prendre. De plus, il existe diverses formes de partici-pation telles que le dialogue après un culte ou la prépa-ration d’un culte à plusieurs. Ces formes de débat demandent du temps, mais la forme clas-sique où une personne placée devant l’assemblée dit ce qu’il en est, n’est plus d’actualité. Et les pasteurs sont de plus en plus nombreux à pratiquer d’autres formes de débat.

Lorsque quelqu’un qui ne va pas à l’Église participe à un baptême ou à un mariage et que cette per-sonne a la malchance de tomber sur un ministre de la vieille école, cette personne sera perdue pour l’Église pour plusieurs années.

Les actes pastoraux sont des moments passion-nants, mais aussi risqués, le risque étant à prendre au sens positif : le ou la pasteure a la chance, dans ces moments, de pouvoir convaincre des gens qui ne sont pas des habitués de l’Église. En même temps, le risque existe de confirmer des préjugés.

Sur la corde raideUn autre cas classique ? La cérémonie funèbre.

Dans l’entretien de préparation, des proches expliquent par exemple à la pasteure que la chanson préférée de la personne défunte était « I can’t get no satisfaction » des Rolling Stones ces proches aimeraient faire entendre ce titre dans la cérémonie. Faut-il, oui ou non, satis-faire ce désir ? L’essentiel n’est pas là, l’essentiel est d’aborder cette question franchement. En opposant un refus catégorique, on bloque la situation et tout autre échange devient impossible, y compris l’accompagne-

ment spirituel. En réalité, un tel vœu constitue une chance formidable pour l’Église, car il montre que les proches accordent une grande importance à la céré-monie et qu’ils la prennent au sérieux.

Comment l’Église réformée peut-elle agrandir le cercle de ses membres ?

Les pasteurs devront davantage que jusqu’ici contacter des personnes situées dans un milieu qui n’est pas proche de l’Église, par exemple les artistes, les musi-ciens, mais aussi les entrepreneuses, sans parler des au-torités politiques des communes, tout comme les gens très simples, qui, à première vue, n’ont ne se sentent pas concernées. Ce contact doit permettre d’entamer un dialogue sur les questions de foi, ainsi que d’évoquer les possibilités d’intégrer les compétences spécialisées de toutes ces personnes dans les activités de l’Église. Il existe à Chicago une paroisse composée de membres de la haute bourgeoisie, très cultivée cette paroisse est confrontée à des difficultés majeures. Pour y remédier,

la pasteure a instauré un cercle d’artistes qui se penchent en-semble sur les questions de foi.

Qu’est-ce que les acteurs culturels peuvent apprendre aux pasteurs ?

Les pasteurs restent très attachés à la Parole réformée. Au contact des artistes, ils ap-

prennent à élargir leur mode d’expression. La théologie doit avoir le courage d’expérimenter, pas nécessaire-ment dans le temple. Il importe plutôt d’aérer l’esprit et d’abandonner un certain conservatisme dans le langage. Beaucoup de pasteures ne savent pas raconter, peut-être parce qu’ils ne s’intéressent pas assez aux multiples styles d’expression et linguistiques qui ont cours au-jourd’hui. Or, la théologie a besoin des ressources ver-bales et de l’aptitude à savoir formuler de manière poin-tue par l’intermédiaire de la littérature.

Dans une grande ville, il est difficile de repérer les personnes éloignées de l’Église.

Les pasteurs sont appelées à appréhender ce qui se passe autour de leur église. Les choses se mettent en place si on prend la peine d’aiguiser ses sens. C’est au catéchisme que j’ai par exemple appris un jour que le père de l’un de mes catéchumènes était illustrateur de livres pour enfants. Lorsque l’occasion s’est présentée, je lui en ai parlé. Aux États-Unis, les pasteurs sont for-més à observer ce qui se passe dans leur paroisse et dans leur territoire social. Ils disent à ce sujet : « There is a difference between congregation and communi-

« Le culte réformé est un genre extrêmement exigeant,

probablement le plus exigeant des discours publics. »

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L’entretien 7

ty », il y a une différence entre paroisse et communauté sociale. Toutefois, ils ne font pas de ségrégation selon le modèle européen, qui distingue sphère terrestre et sphère divine, mais considèrent le territoire comme un espace social commun, marqué par la politique comme par la spiritualité.

Dans un même espace social, on trouve les gens les plus divers. Au culte, l’ouvrière est assise à côté de l’intellectuel, et le message doit s’adresser aux deux. S’agit-il d’un problème insoluble ?

Il est bien clair que les diverses personnes présentes à l’église se caractérisent aussi par des niveaux de ré-flexion différents. L’employé moyen attend autre chose que l’universitaire qui parcourt le monde à longueur d’année. On ne saurait attendre de la pasteure qu’elle couvre tous les besoins dans un culte. Il est indispensable de prévoir des manifestations orientées vers les différents groupes cibles. La relativisation des différences sociales et intellectuelles intervient lorsqu’il s’agit de questions fondamentales telles que le sens de la vie et la mort. Le discours doit alors toucher les valeurs élé-mentaires et existentielles.

Vous n’éviterez pas que certaines personnes se sentent exclues malgré tout.

Le culte réformé est un genre extrêmement exigeant, probablement le plus exigeant des discours publics. Le président de commune ne doit pas nécessairement faire en sorte que son public revienne l’écouter. Le pasteur est tributaire de cette fidélité. Heureusement, le culte com-porte plusieurs parties, si bien qu’un jour, une personne se sentira interpellée par un cantique ou par une prière d’intercession, et la fois suivante par l’exégèse.

Nous évoquons uniquement le petit cercle de celles et de ceux qui se rendent à l’église. Comment atteindre les personnes qui sont sorties de l’Église ?

Il conviendrait de se concentrer sur un aspect : éviter que des membres quittent l’institution. Il ne faut parfois pas plus d’une seule rencontre pour que quelqu’un se sente repoussé, ou qu’une personne n’ait jamais été accueillie explicitement. Pour avoir changé de quartier l’année dernière à Zurich, je sais par expé-rience que le pasteur n’a jamais songé à me contacter. Une institution doit prendre soin de ses membres.

Comment ?Par exemple en instaurant un service de visite.

Dans les paroisses où j’ai œuvré, ce sont les lettres d’an-

niversaire qui ont fait mouche. Elles ne s’adressaient pas seulement aux personnes très âgées, mais aussi à celles et à ceux qui atteignaient la majorité civique, ou qui fê-taient leurs trente, etc. C’est un moyen de dire aux pa-roissiennes que nous nous soucions de leur existence.

Si vous faites une telle proposition à un membre de la commission de paroisse, il vous répondra que les ressources manquent pour un tel service.

Je ne connais pas en détail la clé de répartition des ressources financières dans les paroisses suisses. Ce que je sais, c’est qu’il règne dans les organes internes de l’Église une culture de la séance marquée par la déme-sure. Je me demande par conséquent s’il ne serait pas plus utile d’utiliser ce temps pour le travail effectué sur le terrain. Je plaide en faveur de la réduction du nombre des organes internes et pour une redéfinition des priorités. Je vois aussi une solution supplémen-taire : aux États-Unis, les bénévoles sont nombreux dans les Églises. On pourrait demander à une profes-

sionnelle de la littérature de rédiger une telle lettre d’anni-versaire.

Il n’existe pas de culture du bénévolat comparable en Suisse.

Les mentalités doivent changer. L’Église multitudiniste de demain ne fonctionnera plus

comme Église pourvoyeuse de services. Elle doit mettre en place des structures participatives pour les membres. Si le nombre de réformés continue de diminuer comme au cours des quinze dernières années, non seulement nous serons une Église minoritaire, mais de plus, nos structures actuelles vont se dépeupler. L’existence de l’Église n’est assurée que si des personnes se sentent res-ponsables et participent à sa vie. C’est un phénomène biblique : il faut que les charges soient réparties entre tous les membres et pas seulement entre les autorités et les employés cette prise de conscience se fera – je l’es-père du moins – chez chacune et chez chacun. Je trouve par exemple problématique que la distribution du cour-rier paroissial ou le travail bénévole soient rémunérés.

* THOMAS SCHLAG est professeur de théologie pratique à l’Université de Zurich, cofondateur et directeur du centre de développement ecclésial (Zentrum für Kirchentwicklung ZKE) nouvellement créé. MAJA PETER est rédactrice du bulletin.

« L’Église multitudiniste de demain ne fonctionnera plus comme Église pourvoyeuse

de services. »

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Bien que Margot Kaessmann ait démissionné en février 2010 de ses fonctions de présidente du Conseil de l’Église protestante d’Allemagne (Evangelische Kirche Deutschland), une agence photographique américaine envoie dans le monde entier une photo d’elle prise lors de la journée œcuménique des Églises de mai 2010. Il semble qu’une évêque conduisant en état d’ébriété intéresse davantage les médias que l’œcuménisme en soi.

– Communiquer dans le domaine religieux

La religion mise en scène par

les médias

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Communiquer dans le domaine religieux 9

Un jeune Suisse de 26 ans, Gibril Muham-mad Zwicker, converti à l’islam il y a deux ans, veut devenir capitaine à l’armée. Voi-là une nouvelle porteuse aux yeux des

journalistes, voilà un projet qui ne pouvait manquer d’irriter. Or, l’irritation est le moyen privilégié qui per-met aux journalistes de capter l’attention du lectorat.

Le journalisme se fait le relais de faits et d’événe-ments qui dérangent ou qui menacent effectivement ou potentiellement l’ordre social attendu. Une irrita-tion telle que celle qui est provoquée par l’aspirant offi-cier barbu est facile à construire : il suffit par exemple de lui prêter un conflit de conscience lors des inter-views, notamment en lui demandant comment il se comporterait en sa qualité de capitaine de l’armée s’il se trouvait confronté à une attaque terroriste perpétrée par des islamistes. Par ce biais, les médias mettent en scène un conflit potentiel entre l’armée, garante de la sécurité, et un officier musulman, membre du très contesté Conseil central islamique suisse qui plus est, qui déclare publiquement vouloir être un serviteur inconditionnel d’Allah.

Des révélations récentesDans l’article mentionné, la manière d’insinuer la

thématique religieuse est typique. Nous apprenons par exemple en quoi consiste le sens de la vie selon Gibril Muhammad Zwicker, ou encore que ce dernier n’envi-

sage pas de concentrer les cinq prières quotidiennes en une seule, comme le prévoit le guide de l’armée consa-cré au traitement des recrues non chrétiennes. Là en-core, ce ne sont ni la religiosité, ni les pratiques reli-gieuses qui sont au centre du débat, mais le conflit entre la sécurité (menacée) et le fondamentalisme (menaçant).

La religion elle-même ne trouve que rarement le chemin des médias. C’est la conclusion de deux études suisses récentes, consacrées au compte rendu de thèmes religieux et aux stratégies de mise en scène journalistiques, qui sont dues à la Haute École zuri-choise de sciences appliquées et qui ont été réalisées avec le soutien financier du Fonds national suisse. Pendant une année, Carmen Koch, chercheuse spécia-lisée en sciences des médias, a procédé à une analyse du contenu d’articles et de contributions à thématique religieuse dans les quotidiens suisses et dans les émis-sions d’information. En complément de cette étude, j’ai procédé, avec la collaboration de Guido Keel, en-seignant à la même haute école, à l’interview de 35 journalistes des mêmes médias suisses concernant leur manière de traiter l’information consacrée aux thèmes religieux.

L’information dominée par le catholicisme Les deux volets de l’étude le montrent : les comptes

rendus consacrés aux communautés et aux théma-

Le catholicisme et l’islam l’emportent très largement sur le protestantisme pour ce qui est de la fréquence de leur présence dans

les médias suisses. C’est ce que révèlent de récentes études sur les comptes rendus consacrés à des thèmes religieux. Ce résultat n’en

demeure pas moins une source d’enseignements pour la stratégie de communication future des réformés.

PAR VINZENZ WYSS *

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tiques religieuses sont dominés par le catholicisme et l’islam. La part des contributions qui évoquent le pro-testantisme est dérisoire. Selon Carmen Koch, cette disparité pourrait être due au fait qu’il manque aux protestants « une personnalité meneuse, telle que le catholicisme le connaît en la personne du pape ». La chercheuse constate en outre que le protestantisme n’est pratiquement jamais cité en rapport avec « des scandales, des conflits ou des positions extrêmes ». La présence imposante de l’Église catholique s’explique en effet par l’existence des scandales et des conflits dont la presse se fait l’écho : de nombreux comptes rendus té-moignent des affaires de prêtres pédophiles. De telles révélations attirent l’attention des médias de par ce qu’on pourrait pratiquement qualifier de réflexe condi-tionné, lorsque le ou la journaliste se trouve en pré-sence d’acteurs religieux qui transgressent les prin-cipes de l’éthique qu’ils propagent.

La religion n’est pas un sujet porteurIl résulte de l’analyse scientifique de Carmen

Koch que les sujets religieux ne sont en principe por-teurs qu’à condition d’être liés à un aspect politique. Cette règle vaut tout particulièrement pour l’islam, mais aussi pour le bouddhisme. Les sujets abordés concernent avant tout les conflits, les crises et les guerres, ou les groupes religieux impliqués, et sont traités dans les rubriques « Nouvelles du monde ». Les aspects intrinsèquement religieux, liés à des contenus, ne font que rarement les titres de l’actualité.

Cette constatation de Carmen Koch est confir-mée dans une large mesure par l’étude qualitative de Wyss/Keel : les journalistes ne connaissent que rare-ment les contenus associés au terme de religion. Le traitement du sujet se limite le plus souvent aux institutions reli-gieuses. La situation est résumée comme suit par un rédacteur : « Le terme de religion englobe tout ce qui a trait à l’Église, en d’autres termes, tout ce qui concerne la religion institution-nalisée. » Dès que la religion est citée en rapport avec la notion de transcendance, les journalistes affirment que de tels aspects n’ont pas de rapport avec l’actualité et qu’ils ne sont guère communicables par voie journalistique. Par conséquent, seulement 4, res-pectivement 11 pour cent des journalistes suisses in-terrogés dans le cadre de l’étude affirment être très sou-vent, respectivement souvent en contact avec la thématique religieuse. Dans ce contexte, il est intéres-sant de connaître l’appartenance religieuse des profes-

sionnels contactés : 32 pour cent sont protestants, 31 pour cent catholiques le plus grand groupe est celui des sans confession, soit 34 pour cent.

La religion n’est pas un sujet «sexy»Les journalistes interrogés estiment également

que la religion en tant que telle n’a pas l’étoffe d’un fait d’actualité. « C’est un sujet qui fait bâiller », explique le rédacteur d’un émetteur de télévision commerciale quant au rédacteur en chef d’un journal gratuit, il dé-clare que la religion n’est tout simplement pas un sujet « sexy ». Les entretiens menés confirment aussi que les thèmes religieux peuvent devenir attrayants pour les journalistes lorsqu’un lien existe avec l’actualité poli-tique, économique, juridique, artistique, sportive, pé-dagogique ou scientifique, ou, pour reprendre les termes d’un rédacteur : « Les sujets religieux font mouche quand ils sont couplés à des affaires de sexe ou de violence, ou encore à des questions touchant à l’éducation, à l’école ou à l’État. Les questions pure-ment religieuses intéressent beaucoup moins. » Cet énoncé rejoint exactement ce qu’en sciences des mé-dias nous appelons la pertinence du système majori-taire : la logique journalistique implique qu’il est op-portun de traiter d’un sujet lorsque ce dernier a un impact sur plusieurs secteurs de la société à la fois, de même lorsqu’il déclenche un écho ou un effet connexe.

Une bonne intrigueL’alliage entre les thèmes religieux et d’autres

thèmes n’est pas une démarche additive. Les journa-listes introduisant leurs thèmes dans une structure narrative, il faut que les divers aspects déterminants, par exemple la religion et la violence, aient un rapport

conflictuel ou du moins irritant pour intéresser les journalistes. L’histoire du Suisse converti à l’is-lam qui souhaite devenir capitaine à l’armée illustre ce phénomène de manière exemplaire.

La mise en scène de la réalité par les médias résulte d’une contrainte professionnelle, à savoir celle qui demande à réduire la com-plexité d’un fait. Le meilleur moyen

d’y parvenir, pour les journalistes, consiste à présenter les événements et les faits sur le mode narratif et d’en faire une « histoire ». La narratologie a produit des ré-sultats dont la validité s’étend au compte rendu journa-listique pour le domaine religieux et qui ont été confir-més par les études mentionnées ci-dessus. Car, selon les journalistes interrogés, la probabilité qu’un fait reli-gieux devienne un sujet médiatique augmente s’il suit

Une personne interrogée estime que la religion devient intéressante

« lorsqu’elle entre en conflit avec des normes »

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un schéma narratif, en d’autres termes, si le fait à dé-crire peut être coulé dans le moule chronologique (avec un début et une fin potentielle), si les actrices et acteurs (archétypiques) sont clairement identifiables et si l’action décrite s’inscrit dans un niveau de signifi-cation d’ordre général.

Des têtes et encore des têtesL’analyse qualitative a permis de constater que les

bouddhistes et les juifs étaient le plus souvent victimes de représentations qui mettent en scène des réalités connotées négativement. Les musulmans et plus parti-culièrement les chiites sont souvent présentés comme les auteurs ou les complices. Dans les contributions analysées, le potentiel de personnification joue un rôle essentiel. L’un des journalistes interrogés résume ainsi la situation : « Il faut soit une personnalité très connue, comme le dalaï lama, le pape, un cardinal suisse, ou alors une personne inconnue telle que la baptiste de Fribourg, qui offre un effet de surprise. »

Les thèmes religieux ne présentent un intérêt que lorsqu’ils perturbent l’ordre politique, économique, scientifique ou naturel escompté, ou l’inverse. « Lorsqu’un conseiller fédéral monte en chaire à la ca-thédrale de Berne au moment des obsèques de recrues suisses tuées dans une avalanche, l’apport religieux est très demandé. » Parmi les sujets qui font mouche, les journalistes mentionnent les prêtres catholiques pédo-philes, mais aussi le champ de tension entre religion et société laïque. L’une des personnes interrogées estime que la religion devient intéressante «lorsqu’elle entre en conflit avec des normes». Elle cite comme exemples l’interdiction de constructions à vocation religieuse ou de rituels religieux controversés, les prescriptions ves-timentaires imposées par l’État, les tensions entre Église et État ou encore les conflits entre une paroisse et son évêque.

Des stratégies pour les protestantsQuelles sont les conclusions qu’une communauté

religieuse, et plus particulièrement la communauté protestante, peut tirer de ces deux études ? Les autori-tés protestantes savent désormais qu’elles ont des chances de placer leurs thèmes dans les médias si elles allient leur prise de position sur la religion ou sur la foi à un aspect sociétal qui titille. À titre d’exemple, men-tionnons les articles consacrés aux salaires des ges-tionnaires, au secret bancaire, à l’ouverture dominicale des magasins, au changement climatique, à l’interdic-tion de la burka ou aux migrations, qu’on peut avanta-geusement assortir de perspectives morales et éthiques formulées par les représentants de telle ou telle reli-gion. Il importe dans un tel contexte de nommer la

perspective religieuse par son nom et de lui conférer une dimension éthique (dignité humaine, solidarité, tolérance, etc.). Par ailleurs, il faut que la structure narrative de l’article en question soit évidente.

Les spécialistes de la communication devront donc apprendre à prendre en compte dans leur travail la structure narrative des faits journalistiques et à adopter leur rôle (archétypique) de représentante d’une religion dans la narration principale, en confé-rant à ce rôle la connotation la plus positive possible. Là encore, ce sont des têtes qu’on attend : il s’agira donc de personnaliser les arguments, même si, de ce point de vue, le rôle de l’Église catholique est plus facile. À cet égard, les cartes de la Fédération des Églises protes-tantes de Suisse et du pasteur Thomas Wipf à la prési-dence sont favorables. <

Pour tout complément d’information :Vinzenz Wyss/Guido Keel : Stratégies de mise en scène journalistiques des sujets religieuxCarmen Koch : *Comment les médias suisses rendent compte de la religion. Les deux articles ont paru dans la revue «Communi-catio Socialis», 4/2009.

* VINZENZ WYSS est professeur de journalisme et de sciences des médias à l’Institut de science appliquée des médias de la Haute École zurichoise de sciences appliquées à Winterthour.

Communiquer dans le domaine religieux 11

La pertinence n’est pas le facteur déterminant dans le contexte de la télévision. L’exotisme d’une Suissesse voilée de la tête aux pieds suffit pour que la TV offre une plateforme à un groupuscule représentant une infime minorité.

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12 bulletin Nº 2 / 2010

– Une question, deux réponses

Les Églises réformées doivent-elles s’efforcer de recruter activement des membres ou suffit-il de garder les portes ouvertes ?

perçu par le public. L’Église ne peut pas éviter ainsi les apparitions publiques.

S’inspirer du vendeur de voituresIl faut accorder plus d’attention au membre indivi-

duel, spécialement au plus distant, à celui qui sollicite peu de prestations et qui ne participe pas à la vie ecclé-siastique. Cela permettrait par exemple d’enregistrer son histoire avec l’Église, ses impressions personnelles et ses souvenirs de l’Église de façon beaucoup plus consciente et minutieuse dans le marketing des membres. À vrai dire, c’est là que réside notre force : dans un monde de plus en plus interpénétré par les ré-seaux virtuels, nous nous approchons encore des gens de manière très personnelle : par exemple lors des vi-sites, des baptêmes, des confirmations, des mariages. Mais loin des yeux, loin du cœur.

Sur ce plan, les Églises peuvent s’inspirer de la ma-nière dont un bon garagiste fidélise sa clientèle. Alors que celui-ci se rappelle à son client au bout d’une année ou l’invite à passer pour un service, qu’il lui propose une nouvelle voiture au bout de cinq ans et qu’il ajuste pré-cisément toutes ses démarches sur le cycle de vie du

client, il est rare que les paroisses s’adressent personnellement à leurs membres pour renouer avec des événements positifs vécus en-semble. Vingt ans après la confir-mation ou dix ans après le mariage seraient par exemple de bonnes occasions de le faire. Soigner la re-lation avec nos membres, la per-

sonnaliser en l’adaptant aux événements marquants de leur vie, est l’une des nombreuses possibilités que l’Église n’envisage pas encore. Semper reformanda – ce dicton est aussi valable pour la manière réformée d’en-tretenir des relations. <

* FRANK WORBS est pasteur et directeur de la Communication de l’Églises réformée argovienne.

Il faut accorder plus d’attention au membre

individuel.

Frank Worbs *

Si seulement les Églises réformées gardaient les portes de leurs églises ouvertes ! Ce serait déjà ça de gagné. Les portes fermées des églises ne sont qu’un exemple de la manière dont les

Églises réformées peuvent parfois passer à côté des sou-haits et des besoins de leurs membres. Si elles veulent continuer à se prétendre Église multitudiniste et pas seulement Église confessante, c’est-à-dire accepter aussi la tradition, l’ouverture, la solidarité ou d’autres valeurs en tant que motifs de rallie-ment, elles ont encore quelques le-çons à tirer des découvertes du marketing.

Les Églises et paroisses réfor-mées ont beaucoup appris ces dix dernières années : à travailler soigneusement avec les médias, à utiliser différents moyens de communica-tion, à s’orienter vers des groupes cibles clairement définis ou à lancer des campagnes susceptibles de tou-cher le grand public. Mais elles doivent encore évoluer. Dans notre société matraquée d’informations, il ne suffit pas d’influencer positivement l’image média-tique de l’Église ou de formuler une nouvelle profes-sion de foi en tant que «texte de référence » pour être

Page 13: FEPS bulletin 2/2010

Quelques gens d’Église se baignent peut-être encore dans l’illusion que le rapport à l’Église multitudiniste est une évidence et partent du principe que les gens se com-

portent vis-à-vis de l’Église comme les patients avec le médecin, à savoir qu’ils vont déjà bien venir quand ils auront besoin de quelque chose.

Les pasteurs qui demandent, légèrement rési-gnés ou même vexés, pourquoi le sermon soigneu-sement formulé du dimanche n’intéresse plus per-sonne n’ont pas encore compris que, de nos jours, l’Église doit aller vers les gens de manière plus of-fensive, plus créative, plus ouverte au dialogue, si elle veut simplement être perçue. Il ne suffit plus de laisser les portes ouvertes. Nous devons retraduire ce que cela signifie, dans la Suisse urbaine du XXIe siècle, que d’inviter des gens que l’on trouve au bord des haies ou des enclos ou justement au bord de la route. Si nous réussissons à les interpeller sur diffé-rents canaux de communication avec le message de l’immuable Évangile, de nouvelles personnes vien-dront. Peut-être pas celles que nous avons appelées. Peut-être réclameront-elles une autre langue et de nouvelles formes de l’être Église. La question est de savoir si les Églises et les paroisses sont prêtes à se développer en consé-quence.

La campagne «Credo» est un bon exemple : l’Église évangé-lique réformée de Bâle-Ville a eu la bonne idée de procéder en trois temps. Elle a d’abord posé en in-terne la question des racines de la foi biblique et du lien qu’elles créent, puis présenté au public un livre de prières (épuisé en un rien de temps) et finalement envoyé un tram ecclésiastique sillonner la ville pour encou-rager les gens à réintégrer l’Église. Est-ce là une mé-thode invasive ? Peut-être. Mais pas plus invasive

– Une question, deux réponses

Les Églises réformées doivent-elles s’efforcer de recruter activement des membres ou suffit-il de garder les portes ouvertes ?

que la sonnerie des cloches et pas plus missionnaire qu’une campagne de Greenpeace.

À bien des endroits, l’Église réformée trouve pourtant encore et toujours plus confortable de déplorer la diminu-tion progressive du nombre de fidèles plutôt que de créer des offres cohérentes et crédibles et de les communiquer de manière convaincante. Or, c’est précisé-ment là que résiderait la compé-tence essentielle des actuels gens d’Église. <

* HEINZ FÄH est pasteur à Rapperswil-Jona et membre du Conseil synodal de Saint-Gall.

Nous devons retraduire ce que cela signifie, dans la Suisse urbaine du XXIe siècle, que d’inviter des gens que l’on trouve au bord des haies ou des

enclos ou justement au bord de la route.

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Heinz Fäh *

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Les Églises protestantes sont en concurrence avec d’autres

communautés religieuses. L’une des réponses, dans cette situation, est la publicité : en haut à gauche,

la campagne des Églises du nord-ouest de la Suisse, à droite

l’exemple de Neuchâtel et en bas un tram de Bâle.

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– Ecclésiologie

L’Église sur le marché

L’Église ne peut pas choisir l’endroit où elle se trouve. Elle fait partie d’une société pluraliste qui renvoie les religions et idéologies sur la place du

marché. Les Églises peuvent continuer à y revendiquer leur place, unique-ment si elles se laissent guider par les besoins de leurs clients.

Le marché et le marketing n’ont pas bonne presse auprès des théologiennes et des théo-logiens. Le mot «marché» évoque pour beau-coup un capitalisme de prédateurs, un enri-

chissement éhonté à coups de bonus, un fossé toujours plus profond entre pauvres et riches. Qui voudrait seu-lement se sentir bien dans un tel lieu ? Quant au terme «marketing», il suggère la nécessité de se plier et s’adapter justement aux lois de ce lieu inhabitable. Mais ce préjugé ne reflète pas la nature véritable du marché, ni des théories réfléchies d’un marketing. L’Église et la théologie doivent néanmoins s’attendre à des fourberies et à des traquenards si elles se rendent sur le marché et si elles veulent orienter leur action en fonction du marketing. Le seul moyen de relever les défis lancés par le marché et le marketing se situe à mon avis entre un rejet teinté de préjugés et une adap-tation irréfléchie.

Au culte ou au centre de fitness ?Notons d’abord que l’Église se trouve déjà sur le

marché. Elle n’a pas le choix. Nous vivons maintenant dans une société du pluralisme idéologique et reli-gieux. Que cela nous plaise ou non, c’est sur le marché que ce pluralisme se négocie. Sur les rayons des librai-ries, des ouvrages de réflexion théologique côtoient des guides new age plus ou moins sérieux. Sur les mêmes rayons, il n’y a pas la religion chrétienne

unique, mais aussi l’islam et les religions d’Extrême-Orient et il n’est pas rare que celles-ci occupent davan-tage de place, ce qui en dit long sur leur valeur mar-chande. Nos cultes entrent en concurrence avec les heures d’ouverture des musées, des centre de fitness et, de plus en plus aussi, des galeries marchandes.

Choisir sa religion sans contrainteQuiconque ouvre les yeux voit que le marché est

là. Et il voit aussi que les Églises agissent sur ce marché, quelles que soient les réserves. Qu’elles se sont organi-sées sur le marché de la même manière que ceux qui critiquent l’économie de marché. En général, ceux-ci le critiquent d’ailleurs très adroitement, puisqu’ils arri-vent à y placer leurs critiques.

Les considérations précédentes ne signifient pas que je veuille glorifier le marché. Il s’agit pour moi de poser un constat objectif et de relever que l’Église et la théologie se trouvent depuis toujours sur le marché des religions et idéologies. Même les plus grands cri-tiques du marché n’aimeraient pas renoncer à ce plura-lisme idéologique et religieux. Car il ne signifie rien d’autre que la liberté – la liberté de choisir sans contrainte une religion et une idéologie. L’abolition de ce pluralisme aurait un prix élevé : le prix de la liberté même. C’est pourquoi nos constitutions démocra-tiques protègent ce pluralisme et tous ses mécanismes de régulation, y compris le marché. De nos jours, on

PAR ALBRECHT GRÖZINGER *

15

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16 bulletin Nº 2 / 2010

n’a encore trouvé aucun moyen de régler le pluralisme idéologique et religieux autrement que par le biais du marché.

L’Église trahit-elle sa mission ?Il y a maintenant une objection de taille à la pré-

sence de l’Église et de la théologie sur le marché : s’en référer aux lois du marché, cela ne revient-il pas pour l’Église à trahir sa mission ? La question mérite d’être prise au sérieux. Et c’est précisément le marketing qui nous enseigne qu’on peut et doit y répondre par la né-gative. Voici quelque temps, les Églises catholiques et reformées ont confié à la chaire de marketing et à la chaire de théologie pratique de l’Université de Bâle le mandat de produire une étude de l’Église. Il en est ré-sulté un processus d’apprentissage intéressant pour tous les participants. Lors des premiers entretiens, c’étaient surtout les représentants de la chaire de mar-keting qui questionnaient sans cesse les Églises sur leurs thèmes et objectifs. L’une des choses que le mar-keting nous a alors enseignées est que seuls ceux qui ont une offre spécifique peuvent subsister sur le mar-ché. Il ne s’agit pas de lorgner sur le marché, ni d’adap-ter sa réaction au marché, mais de rendre son offre identifiable. Car seuls ceux qui ont quelque chose à offrir peuvent exister sur le marché.

Exister sur le marché est toutefois une affaire déli-cate. Cela implique au fond de changer de perspec-tives. Les Églises ne peuvent plus se prévaloir d’une position de monopole en matière de religion, mais doivent s’orienter sur la résonance que leur offre sus-cite auprès des clients. En clair : ce ne sont pas les gens d’Église, ni les experts en théologie qui définissent la portée de l’action ecclésiastique, mais les gens qui sol-licitent cette action, que ce soit passivement, par une participation active ou par un mélange des deux. Mais cette façon de se concevoir est-elle si étrangère aux Églises protestantes ? À vrai dire non. Les protestants sont coutumiers du fait que le pouvoir de définition n’est pas entre les mains des prêtres, en vertu du «sa-cerdoce universel des chrétiens», pour reprendre une célèbre formulation de la tradition du protestantisme.

C’est le client qui détermine l’offreCe changement de perspectives ne peut que faire

du bien à l’Église. Ce ne sont pas les enquêtes empi-riques sur ce que les gens attendent des Églises qui manquent dans l’espace germanophone. Les réponses sont étonnament homogènes. Les gens attendent de l’Église qu’on y célèbre des cultes, que la tradition chré-tienne soit transmise de génération en génération et qu’on vienne en aide aux personnes dans le besoin. On a souvent l’impression que les gens «du dehors» ont

une idée beaucoup plus précise de ce qu’est l’Église que plus d’un professionnel à l’intérieur de l’Église. De ce point de vue aussi, l’Église et la théologie n’ont pas à redouter le marché.

Ceux qui s’engagent dans ce changement de pers-pective (renoncer à celle du prestataire de service pour adopter celle du client) doivent avoir un intérêt fonda-mental pour les clients. Car ce sont eux qui décident de faire usage d’une offre plutôt que d’une autre. Là aussi les sondages sont édifiants. Les gens ont manifes-tement une bonne intuition de ce qu’est une offre sé-rieuse sur le marché des religions. Sinon, les églises resteraient vides le dimanche on n’y célébrerait ni mariage, ni funérailles. Les offres ecclésiastiques jouissent donc toujours d’un grand capital de confiance, l’Église en tant qu’institution peut-être un peu moins. Cette confiance atteste que ce que fait l’Église sur le plan religieux est efficace et réfléchi.

L’Église ne va donc exister sur le marché que si elle conserve les connaissances empiriques cultivées au fil des siècles. La qualité de son action déterminera son existence future. Celui qui voit ce rapport n’a cer-tainement pas à craindre le marché sur le plan théolo-gique. Les plaisanteries, les stupidités et les offres su-perficielles qu’il y a toujours eu et qu’il y aura encore ne sont justement pas le résultat du marketing de la religion, mais de son contraire. L’Église ne peut exister sur le marché ni par la camelote et le kitsch religieux, ni en louchant sur le gag superficiel. Elle existera à tra-vers des collaboratrices et collaborateurs qualifiés et par la qualité de ses offres. Le marketing renvoie juste-ment l’Église à sa mission quotidienne : aménager l’Évangile dans les contextes les plus différents, de sorte que les hommes le perçoivent comme étant au service de la vie. <

* ALBRECHT GRÖZINGER est professeur de théologie pratique et doyen à l’Université de Bâle.

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La Fédération des Églises protes-tantes de Suisse : 2,4 millions de protestantes et protestants sous le même toitLa Fédération des Églises protestantes de Suisse FEPS rassemble en Suisse 24 Églises protestantes canto-nales, l’Église méthodiste et l’Église évangélique libre de Genève. Ainsi, la FEPS représente 2,4 millions de protestantes et protestants. Elle prend position sur des thèmes politiques, économiques et sur des questions de foi et elle est entre autres l’interlocutrice du Conseil fédéral.

La Fédération des Églises protestantes de Suisse FEPS parle au nom de ses Églises membres et les re-présente au niveau national et international. Au niveau politique, la FEPS en tant que représentante du protes-tantisme suisse, est entre autres l’interlocutrice des autorités fédérales. Sur le plan religieux, elle représente ses Églises membres auprès de l’Alliance réformée mondiale ARM, de la Communion d’Églises protes-tantes en Europe CEPE, de la Conférence des Églises européennes KEK et du Conseil œcuménique des Églises COE. En Suisse et à l’étranger, la FEPS entretient

des relations avec les Églises partenaires, avec les com-munautés israélites et musulmanes, avec la Confé-rence des évêques, ainsi qu’avec les œuvres d’entraide et les organisations missionnaires.

De l’énergie pour la communautéLa FEPS prend position dans le domaine politique

et elle s’exprime dans ses propres publications sur des sujets théologiques et éthiques actuels. La FEPS met à disposition des publications d’actualité au sujet de la Cène, du baptême, de la globalisation, de la recherche sur l’être humain, de l’assistance au décès, des droits humains, des Églises de la migration. Elles peuvent être téléchargées et commandées sur le site www.feps.ch

Votre avis nous intéresse ! Avez-vous des sugges-tions, des critiques ou des vœux ? Écrivez-nous et donnez votre avis à [email protected]

Le bulletin dans votre boîte aux lettresNous nous ferons un plaisir de vous faire parvenir gratuitement le bulletin dans votre boîte aux lettres. Commandez le magazine de la FEPS, avec son portrait, son histoire, ses interviews, ses débats il se font l’écho des Églises membres, des universités et de la FEPS.

Pour ne manquer aucun numéro, veuillez envoyer un courriel en indiquant votre adresse et en mentionnant « bulletin », à l’adresse suivante : [email protected], ou encore en téléphonant au 031 370 25 25.

bulletinLe magazine de la Fédération des Églises protestantes de Suisse

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– InstantanéL’histoire de Noé

L’illustrateur et artiste underground Robert Crumb livre une narration pleine d’humour et riche en détails du

Livre de la Genèse et réserve une place de choix aux personnages féminins. Cet ouvrage de 219 pages est paru

chez Denoël Graphic. Il coûte CHF 50.90

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20 bulletin Nº 2 / 2010

Confirmation 1897 : Bonstetten ZH

Confirmation 1961 : Les méthodistes de Lucerne

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Les protestants suisses souhaitent obtenir une entente à propos des confessions de foi. Au lieu des différentes pratiques actuelles, il est

prévu de définir un cadre obligatoire avec des eux aussi obligatoires, par exemple pour ce qui est de la confirmation. Le projet de livre-outil

«Recueil de confessions» entre dans la phase de consultation.

– Une procédure de consultation de la FEPS

Dire notre foi aujourd’hui

21

Quelle est la situation particulière qui nous incite à dire notre foi ?

2. Ce qui frappe de prime abord en ouvrant le livre outil, ce sont les grandes marges. Dans cet ouvrage, deux réalités sont im-

portantes : le texte et les marges. Le texte, car une confession de foi ne se crée pas ex nihilo, elle s’inscrit dans une généalogie et s’enracine dans une histoire commune. Le groupe de travail a examiné avec pas-sion, mais aussi de façon critique, ces reformulations successives élaborées au cours de l’histoire souvent tourmentée de nos Églises. Les commentaires in-diquent à chaque fois les raisons qui ont amené à la rédaction de telle ou telle confession de foi ils sont sui-vis de questions suscitant des réactions des lecteurs et invitant au débat et à une réécriture. Et cela nous amène à l’utilité des grandes marges qui permettent d’annoter et de réagir face au texte consulté. Les au-teurs aimeraient permettre aux Église locales d’entrer

PAR FÉLIX MOSER *

Pour introduire cet ouvrage, il me semble utile de raviver l’esprit qui a guidé les rédac-teurs. Les remarques qui suivent n’ont d’autres ambitions que d’amener à un bon

usage du livre outil autour des confessions de foi ainsi que de donner envie d’entreprendre un travail de réap-propriation créative de ces textes.

1. Face aux objections de principe qui gardent toujours une part de légitimité, il faut garder en mémoire une distinction utile mise en

exergue par les post-réformateurs. Ces derniers dis-tinguent la fides qua creditur, qui est le mouvement de confiance fondamental de tout croyant, l’acte de foi, de la fides quae creditur, qui s’intéresse au contenu de la foi. On ne peut et ne doit forcer personne à confesser sa foi, mais l’histoire nous enseigne qu’il est nécessaire de reprendre personnellement et ecclésialement une réflexion fondamentale sur les questions suivantes : en vue de quoi et de qui nous déclarons-nous chrétiens ?

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22 bulletin Nº 2 / 2010

dans un processus commun de réécriture. Une confes-sion de foi est toujours contextuelle, elle est le reflet d’une situation sociopolitique et religieuse donnée. De plus, un texte de confession ou de déclaration de foi traduit les questions essentielles que se posent les communautés qui s’interrogent sur leur foi et leurs engagements dans la société.

3.Ce nécessaire travail de réécriture pose toute la question de l’articulation de la tra-dition et de l’innovation. La tradition est indispensable, car elle est le lieu de l’ins-

cription de nos histoires personnelles et locales dans une histoire plus longue et plus vaste. Elle nous ouvre également la conscience de l’oikumené. L’innovation est indispensable, car les mots pour dire le christia-nisme sont devenus lourds, chargés de malentendus. En termes techniques, on dira qu’ils sont souvent connotés négativement. Ce travail de réinterprétation comporte une dimension herméneutique : il en va de dire le christianisme sans le réduire ni le vider de sa

substance. Il en va de redire l’Évangile sans en gommer son caractère provocant.

4.Toute confession de foi se donne à lire comme le résultat d’une difficile négocia-tion. La mise en commun autour de ce qui constitue l’essentiel de la foi chrétienne se

joue toujours à la fois sur le mode du consensus et sur celui du dissensus. Le genre littéraire des confessions de foi et leur contenu sont le résultat d’un long proces-sus de discussions. On rappellera ici les deux légendes qui circulent autour de la naissance du symbole des apôtres. Une première légende affirme que chacun des douze apôtres a pu dire la phrase qui était la plus im-portante pour lui la confession de foi devient alors l’expression de l’addition de toutes les sensibilités. Une autre légende soutient que le symbole des apôtres constitue un texte long et complexe, parce que les par-ticipants n’arrivaient pas à se mettre d’accord sur ce qui était vraiment essentiel. Cette thèse soulève une inter-rogation primordiale pour la vie de toutes les Églises.

Confirmation 1970 : Bienne BE

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Une procédure de consultation de la FEPS 23

Du point de vue du langage et des représentations qu’il véhicule, qu’est-ce qui nous lie véritablement (Verbin-dlichkeit) ? Cette question de l’appartenance et de l’im-portance que l’on doit lui accorder se dévoile comme un lieu important du débat œcuménique.

5. L’énonciation de la confession de foi dans le langage liturgique renvoie à l’usage des pronoms personnels, en particulier à ceux des premières personnes du singulier et

du pluriel. Le vocabulaire de l’incorporation (Zu-gehörigkeit) pose la question de l’adhésion aux repré-sentations que véhicule une confession de foi. En effet, la confession de foi comporte une dimension person-nelle, mais elle renvoie aussi à une dimension collec-tive : elle ne dépend pas que des sentiments individuels et des états d’âme, mais elle fait appel à un acte com-munautaire indiquant ce que chacun peut croire.

L’énonciation des confessions de foi dans la litur-gie nous rend attentifs au fait que le cercle herméneu-tique du croire et du comprendre est trop limitatif. La

confession de foi opère dans une liturgie, et, dans ce cadre, elle doit faire son œuvre en nous de la même manière qu’une œuvre d’art fait son chemin dans nos vies, indépendamment de ce que nous en saisissons rationnellement. Le langage de la confession de foi ne peut pas être complètement objectivé. C’est pourquoi les initiateurs du projet proposent au groupe de travail de ne pas négliger, dans leur travail rédactionnel, l’as-pect liturgique des confessions de foi. L’esthétique et la brièveté peuvent être au rendez-vous.

6.La confession de foi comporte aussi une dimension éthique, d’abord individuelle puis communautaire. Que suis-je prêt à défendre de telle sorte que ma vie en dé-

pende ? Au nom de qui et de quoi sommes-nous prêts à nous engager, au besoin en nous démarquant des idéologies dominantes ?

La participation au groupe d’initiative nous per-met de conclure avec ces mots : une communauté de travail est toujours récompensée, lorsqu’elle entre-

Confirmation 1983 : Bonstetten ZH

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24 bulletin Nº 2 / 2010

prend un travail théologique de fond. En l’occurrence, la relecture critique des confessions de foi du passé ainsi que le questionnement autour de ces textes pati-nés par le temps et mis à l’épreuve dans des circons-tances difficiles ravivent notre courage et la persévé-rance si nécessaire aujourd’hui pour demeurer pleinement dans notre société moderne en sachant que nous vivons aussi pleinement avec Dieu. <

* FÉLIX MOSER est professeur ordinaire en théologie pratique à l’Université de Neuchâtel et membre du groupe d’initiative de www.ref-credo.ch et du livre-outil « Recueil de confessions ».

Confirmation 2009 : Malans GR

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– Communion mondiale d’Églises réformées

Une organisation mondiale pour les réformés À la fin juin 2010 a été fondée au Michigan (États-Unis) la Communion mondiale

d’Églises réformées CMER. La réunion de deux branches des Églises réformées donne

ainsi naissance à la plus grande organisation d’Églises réformées au monde. Cet

évènement constitue un jalon dans l’histoire de l’œcuménisme. Son identité ecclésio-

logique permettra à la nouvelle organisation de jouer un rôle plus important dans

le dialogue œcuménique mondial et de défendre des positions communes en faveur

d’une plus grande justice dans l’économie mondialisée.

La création de la Communion mondiale d’Églises réformées CMER est à la fois un témoi-gnage réjouissant pour l’unité

des Églises réformées et un signal impor-tant pour l’œcuménisme. L’histoire des Églises issues de la Réforme est en effet marquée par une succession ininterrom-pue de divisions. Cependant, l’intérêt de la fondation de la plus grande organisa-tion d’Églises réformées au monde ne ré-side pas seulement dans l’objectif qu’elle poursuit, mais aussi dans la manière adoptée : la recherche d’unité ne se traduit pas par l’absorption du plus petit par le plus grand, mais prend la forme d’un nou-vel organisme doté d’une base juridique et théologique commune. La transforma-tion d’une « Alliance » et d’un « Conseil » en une « Communion d’Églises » repré-

sente un progrès qualitatif (voir l’enca-dré).

Des fondements théologiquesL’affirmation de cette communion

apparaît dans plusieurs éléments de la constitution de la CMER : – Le préambule rappelle tout d’abord

l’enracinement dans l’Église unique du Christ par la formule : « Les Églises de la Communion mondiale d’Églises réformées sont rassemblées au nom du Dieu un, Père, Fils et Saint-Esprit. Sous l’autorité de ce Dieu souverain, avec les disciples du Christ dans le monde entier, partageant un seul baptême, les membres de la commu-nion font partie de l’Église une, sainte, universelle et apostolique. »

– L’article II précise que : « La Commu-

nion mondiale d’Églises réformées s’attache à incarner une identité réformée telle qu’elle s’exprime dans les confessions réformées historiques, les symboles œcuméniques de la première Église et telle qu’elle se poursuit dans la vie et le témoignage de la communauté réformée », réaffirmant ainsi le lien avec l’Église universelle et en particulier l’Église d’avant la Réforme.

– La CMER définit encore à l’article III sa conception de la Communion : « La CMER est une communion d’Églises qui proclame les dons de l’unité en Christ par la reconnaissance du baptême, de la qualité de membre, de la communion de chaire et de célébration de la Cène, du ministère et du témoignage. » Jamais jusqu’ici,

PAR SERGE FORNEROD *

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26 bulletin Nº 2 / 2010

dans l’histoire des Églises réformées, une définition aussi précise n’avait été donnée de ce qui fait l’unité de l’Église. Les Églises membres de l’Alliance réformée mondiale ARM vivaient cette unité dans la pratique, mais il n’existait pas de reconnaissance mutuelle formellement déclarée.

Le dialogue œcuménique est renforcé

Les Églises réformées pourront dé-sormais mieux vivre la communion d’Églises, puisque les échanges et les par-tenariats seront facilités. La nouvelle Communion d’Églises renforce égale-ment le dialogue œcuménique, grâce à

une base théologique commune à toutes les traditions réunies dans l’Alliance ré-formée mondiale et dans le Conseil œcu-ménique réformé COR et formulée de manière à être compatible avec la Concorde de Leuenberg. Il existait un obstacle au dialogue œcuménique entre l’Alliance réformée mondiale et la Fédé-ration luthérienne mondiale et entre l’ARM et l’Église catholique romaine : l’absence, dans les documents officiels de l’ARM, d’une référence claire à la tradi-tion de l’Église et une définition de ce qui, sur le plan ecclésiologique, est commun à toutes ces Églises par-delà la référence à la Trinité, à Jésus-Christ sauveur et à la Bible comme Parole vivante de Dieu. La

CMER sera maintenant mieux armée pour poursuivre les discussions et négo-ciations visant à l’unité des Églises, en particulier avec la tradition luthérienne.

La fusion de l’ARM et du COR a été célébrée de manière festive et solennelle à Grand Rapids, dans le Michigan. La suite, pour être moins festive, n’en sera pas moins importante : il va s’agir maintenant de mettre en œuvre l’unité dans la pra-tique quotidienne. L’affirmation contenue dans les articles constitutionnels men-tionnés ci-dessus est avant tout un pro-gramme, une déclaration de principe. La constitution de la CMER témoigne de la volonté de vivre sous le signe de cette définition. Mais il y aura encore des dis-cussions à avoir sur la conception du mi-nistère et de la Parole, et sur les implica-tions concrètes, notamment pour le libellé des constitutions des Églises membres.

L’apport de la FEPS La délégation de la Fédération des

Églises protestantes de Suisse se réjouit de la fusion de l’ARM et du COR. La FEPS a participé activement à la rédac-tion de la constitution de la nouvelle Communion d’Églises et a fait en sorte, avec les Églises réformées d’Europe, que l’accent y soit mis sur la concrétisation, en une communauté vécue, de la déclara-tion de principe. L’expérience de la Com-munion de Leuenberg a joué un rôle moteur dans cette initiative. La FEPS tire également un bilan positif de sa collabo-ration au sein de l’ARM depuis l’assem-blée d’Accra en 2004. Le représentant de la FEPS au présidium de l’ARM, Gott-fried W. Locher, élu prochain président du Conseil de la FEPS, a beaucoup fait

L’Alliance réformée mondiale ARM a été fon-dée en 1970. Elle était déjà le produit de la fusion de deux organisations, l’une créée en 1895 et regroupant des Églises presbyté-riennes, l’autre en 1891 pour réunir surtout des Églises congrégationalistes. Au sein de l’ARM se trouvent également d’autres cou-rants réformés, comme des Églises unies, hus-sites et vaudoises. Au total, ce sont actuelle-ment 214 Églises et environ 75 millions de fidèles dans 107 pays.

De son côté, le Conseil œcuménique réformé COR a été créé en 1946 sous le nom de Synode réformé œcuménique, en réaction à la fondation du Conseil œcuménique des Églises, jugé trop libéral. Il regroupe surtout

des Églises réformées liées au mouvement de la seconde Réforme hollandaise. Les deux tiers environ de ces Églises sont également membres de l’ARM. Le COR compte actuelle-ment environ 41 Églises et cinq millions de fidèles dans 25 pays.

En 2007, les deux organisations ont dé-cidé de fusionner, pour créer ainsi la plus grande organisation d’Églises issues de la Ré-forme. Dans l’une et l’autre, les membres se trouvent en grande majorité dans les pays du Sud. Il existe encore de nombreuses autres Églises réformées dans le monde, qui sont partiellement intégrées à l’Alliance évangé-lique mondiale, de tendance plus conserva-trice et fondamentaliste.

80 MILLIONS DE RÉFORMÉS PAR LE MONDE

Les acteurs du regroupement

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Communion mondiale d’Églises réformées 27

GRAND RAPIDS

Premiers résultats À l’Assemblée générale de la Communion mondiale d’Églises réformées CMER

– Le pasteur Jerry Pillay, Secrétaire général de l’Uniting Presbyterian Church in Southern Africa, a été élu comme le tout premier président de la CMER

– Les vice-présidents Lu Yueh Wen (Taiwan), Yvette Noble Bloomfield (Jamaïque), Bas Plaisier (Pays-Bas) et Helis Barraza Diaz (Colombie) rejoignent Pillay dans le présidium de la CMER.

– Le conseiller synodal bernois et président désigné de la FEPS Gottfried Locher est nommé trésorier.

– Deux autres membres européens siègent au comité exécutif : Cheryl Meban de la Presbyterian Church of Ireland et Peter Bukowski, modérateur du Reformierter Bund en Allemagne.

– L’Assemblée a recommandé aux Églises de la CMER de se joindre à la « Déclaration œcuménique sur l’eau comme droit de l’homme et bien public » des Églises protestantes et catholique de Suisse et du Brésil. La déclaration veut inciter les gouvernements à garantir par des lois appropriées le droit de l’homme à l’eau, à déclarer l’eau bien public et à garantir l’accès de toute la population à l’eau potable.

pour que, dans la commission de l’ARM pour le dialogue entre luthériens et réfor-més, la question de l’episkopé trouve la meilleure solution possible. Dans le do-maine de la justice sociale et économique, la FEPS et ses Églises membres ont fourni un travail important pour la mise en œuvre de la Déclaration d’Accra.

La FEPS a préparé pour l’assemblée de Grand Rapids une première version de son document « Fair Play in the Global Arena ». Elle a aussi contribué à la diffu-sion de la « Déclaration œcuménique sur l’eau », signée par les Églises de Suisse et du Brésil. Avec le projet « calvin09 », en-fin, la FEPS a donné à la famille réformée des instruments (documents, publica-tions, portail Internet) qui valorisent au-jourd’hui la pensée du réformateur.

La délégation de la FEPS et des Églises membres

La FEPS a encore un autre motif de se réjouir, c’est l’intérêt rencontré par l’as-semblée constituante de la CMER, du 18 au 27 juin 2010 à Grand Rapids. Pour la première fois, les Églises de Suisse ont mis trois « stewards » à disposition de l’assemblée. En outre, trois théologiennes ont participé au séminaire de théologie organisé par l’ARM en marge de l’assem-blée. La délégation, conduite par Thomas Wipf, président du Conseil de la FEPS, comprenait Serge Fornerod, directeur du Département Églises en relation, des pré-sidentes ou membres de conseils syno-daux des Églises membres (Verena Enz-ler, de Soleure, Lini Sutter, des Grisons, Jean-Michel Sordet, Vaud), le pasteur de la paroisse des vaudois du Piémont de Zurich, Matthias Rüesch, une jeune étu-diante en théologie de Berne, Silvianne

Bürki, et – ce qui est aussi une première – un représentant des Églises de migrants en Suisse, Joseph Mudimba Kabongo, président de la Conférence des Églises africaines de Suisse. <

* SERGE FORNEROD, pasteur, est directeur du Département Églises en relation de la FEPS. Il a été membre de la délégation de la FEPS à Grand Rapids.

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E– Portrait

« Raconter est le chemin du silence »

Beaucoup considèrent Peter Bichsel comme un écrivain intellectuel. Mais au fond de lui-même, c’est une personne très croyante.

Son recueil de textes qui vient de paraître en allemand sous le titre « Über Gott und die Welt » en livre un témoignage.

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Peter Bichsel est doué pour se taire. Lauréat de nombreux prix, cet écrivain connaît la valeur du silence comme celle du langage et sait que l’un dépend de l’autre et réciproquement. Il

faut avouer qu’en ce lundi matin, le silence est d’abord empreint d’une certaine froideur – la veste bleu nuit reste boutonnée, le regard erre vaguement d’un en-droit à l’autre du bistrot soleurois «Kreuz». Mais le café accompagné d’un profond soupir fait fondre la glace. La réserve éloquente cède la place à un silence amical. Ou, comme l’écrit Bichsel : « Raconter est une manière particulière de se taire, raconter est le chemin du si-lence. »

La phrase est tirée de son dernier ouvrage, « Über Gott und die Welt », une œuvre passée étonnamment inaperçue dans le tourbillon médiatique de ces der-nières semaines qui a entouré son 75e anniversaire et la sortie du film documentaire « Zimmer 202 » consacré au poète. L’oubli est pour le moins étonnant lorsqu’on sait que ce livre mouvementé réunit histoires, chro-niques, essais, discours et prédications dans lesquels Bichsel se confronte à la foi en nous faisant partager ses doutes, ses colères, sa confiance. Un sujet explosif qui fait d’ordinaire le régal des chroniqueurs et des cri-tiques littéraires. D’autant plus que Bichsel est consi-déré comme l’incarnation de l’intellectuel politique-ment motivé, qui peut même s’enorgueillir d’avoir été fiché. Or il se trouve que le socialiste est également un chrétien déclaré. Un chrétien dont le rapport à l’Église et à la piété n’est pas sans difficulté, mais un chrétien qui a aussi reconnu qu’il « n’a pas besoin de Dieu pour survivre », mais « pour pouvoir vivre ».

Cet aveu de foi explique d’une certaine manière l’attirance de Bichsel pour le silence. Bien qu’il soit – ou peut-être précisément parce qu’il est – salué depuis près d’un demi-siècle comme un « génie de la langue », un « véritable poète », voire « le plus célèbre et le plus populaire des écrivains suisses », Bichsel est profondé-ment attaché à la méditation : il considère et traite le langage comme un outil de recueillement intérieur.

On le constate à la concision, la brièveté de ses textes, mais aussi à des allusions récurrentes : « On ne peut pas parler de n’importe quoi aujourd’hui », écrit-il par exemple dans son conte de Noël « 24. Dezember ». Bichsel confère de la dignité à ses protagonistes en fai-sant intuitivement savoir à Otto et à Peter quand il convient de respecter les insuffisances de la langue. Paradoxalement cela sonne avec beaucoup de no-blesse, même lorsque les mots sont avalés dans un bis-trot avec un demi de rouge au lieu d’être évoqués bigo-tement sous le sapin de Noël.

À travers cette prière fictive et arrosée se dévoile le rapport de Bichsel à la foi, à l’Église et à la religion. À Bali, il fit la connaissance d’une spiritualité em-preinte de pragmatisme, et cette expérience fut quasi-ment une révélation pour lui. À l’époque, un jeune employé d’hôtel lui permit de découvrir l’hindouisme. La parfaite égalité de traitement entre homme et femme qui règne jusque dans les temples l’impression-na profondément. Tout comme l’attitude très sponta-née des hindouistes vis-à-vis de Dieu et des rites reli-gieux. Un jour qu’ils étaient tous deux en chemin et que son compagnon de route désirait faire ses prières, Bichsel l’aida avec des cigarettes et un briquet. Les Ba-linais offrent à Dieu des offrandes d’eau, de fleurs et de fumée – peu importe sous quelle forme. C’est ainsi que des volutes de fumée bleue furent envoyées au ciel de-puis la Pampa. Bichsel en fut tellement touché, boule-versé même, qu’après deux semaines, il dut partir pré-cipitamment. « Je craignais de devenir hindou. »

Cette vive émotion n’avait rien de romantique. Selon Bichsel, elle prenait ses origines « dans les an-nées d’abstinence religieuse » et les « signes de se-vrages » qui se sont soudainement manifestés à Bali.

L’écrivain soleurois Peter Bichsel aime faire silence. Il aime observer sans être ob-servé. On le retrouve souvent au restaurant « Kreuz », où sa pensée vagabonde entre Dieu et les hommes. « Über Gott und die Welt », tel est d’ailleurs le titre de son plus récent ouvrage consacré à la foi.

PAR STEPHANIE RIEDI *

PETER BICHSEL

Né en 1935 à Lucerne, Peter Bichsel a grandi à Olten. Après avoir suivi l’école normale, il touche le cœur de ses lecteurs avec son ouvrage «Eigentlich möchte Frau Blum den Milchmann kennenlernen» (traduit sous le titre « Le laitier »). Ses histoires très brèves sur le monde quotidien petit-bourgeois ont été saluées même au-delà de nos frontières comme des miniatures poétiques. Suivront d’autres textes et de nombreuses distinctions, dont le titre de docteur honoris causa décerné en 2004 par la faculté de théologie de l’Université de Bâle. De 1974 à 1981, Bichsel fut le conseiller personnel et l’auteur des discours du conseiller fédéral Willy Ritschard. Il habite à Bellach près de Soleure. Il est veuf, père de deux enfants et grand-père de trois petits-enfants.

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30 bulletin Nº 2 / 2010

« Une sorte de besoin biologique s’est fait ressentir, qui serait au romantisme un peu ce que la sexualité est à l’érotisme. »

Ici, dans cette pièce donnant sur la rue principale de Soleure, ce lieu rempli de souvenirs et patiné par la fumée, le romancier se sent dans son élément. Il al-lume avec délice une Parisienne et montre de la tête une bibliothèque où trône une bible en deux exem-plaires, un fac-similé de l’édition originale de Guten-berg. Il avoue nourrir le soupçon que les lettres sont de nature religieuse. Bichsel, à qui la faculté de théologie de Bâle a attribué le titre de docteur honoris causa en 2004, qualifie le christianisme, le judaïsme et l’islam de « religions littéraires » ayant donné des écrits d’une puissance inouïe. Il cite comme exemple l’œuvre d’Au-gustin, le philosophe et théologien algérien de l’Anti-quité chrétienne tardive. « Les Confessions restent va-lables aujourd’hui encore. »

Enfant, Bichsel lisait chaque jour des versets de la Bible. Le petit Peter avait des ambitions missionnaires. « Je voulais partir dans les contrées sauvages, en Afrique. Je voulais transformer les sauvages en chré-tiens. » C’était son émancipation. À la maison, on ne parlait pas de religion, on ne récitait pas de prière à table. Le père et la mère croyaient en la bienséance et la discrétion. Mais le jeune était enclin à « devenir un chrétien révolté ». Ce qui échoua complètement. « Au fond, j’étais extrêmement peureux et soucieux tout comme mes parents de paraître brave et gentil. » Mais toujours est-il que : « Le pieux gamin que j’étais m’a fait écrivain. »

Le jeune Bichsel devint membre d’un cercle de lecture biblique, le « Hoffnungsbund » de la Croix-Bleue, il dirigea le cercle de jeunesse, et plus tard l’école du dimanche. Protestant, il envisagea un temps de se convertir au catholicisme. « J’étais fasciné par le re-cueillement, le silence, la paix ». Il assistait à la messe catholique dominicale et devint plus tard professeur à l’école du dimanche.

Cet intense intérêt pour la religion et la théologie finit par exiger son tribut : Bichsel se distancia émo-tionnellement de l’Église et se tourna vers la politique. « Peut-être que je cherchais au Parti socialiste – en étant très souvent déçu ces derniers temps – ce que l’Église avait représenté pour moi dans ma jeunesse, la découverte de la minorité alternative, la découverte d’une Gegenwelt, d’un monde à part. » Bichsel déplore la réduction du christianisme à la morale et à l’éthique, et il accuse l’Église d’être une « halbstaatliche Anstän-digkeitsinstitution », une « institution semi-étatique de la bienséance». Il estime que le christianisme, fonda-mentalement, est une idée révolutionnaire et le Christ un novateur. Mais « la rébellion, la révolution, l’opposi-

tion et l’alternative ne se laissent manifestement pas institutionnaliser ».

Le Jésus purificateur du temple correspond déjà mieux au goût de cet esprit combatif. Bichsel ressent chez lui comme une « parenté ». Il admire le sermon sur la montagne, « une idée incroyablement effrontée » qui, de par sa conception sociale, vient « frapper au visage » le droit romain. Il y voit également la tentative de briser le cercle vicieux du monde − la quête de sé-curité qui n’aboutit qu’à l’exploitation, à l’égoïsme, au vol et au meurtre. Selon Bichsel, le désir de sécurité trouve en fin de compte son fondement dans l’angois-sante insécurité de notre propre condition de mortel. « Seul mon propre destin m’empêche de prendre au sérieux le destin de l’autre, et mon propre destin, c’est la mort. »

Les mots de Bichsel résonnent dans le silence. On n’entend plus que le cliquetis du briquet. Les mots touchent juste, parce qu’ils nous concernent tous. Et parce qu’il n’y plus rien à dire, car «raconter mène fina-lement au silence ». <

* STEPHANIE RIEDI est journaliste indépendante.

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– Point final

La manière de voir et ses proches parents : le credo, la confession

de foi, le status confessionis

Avec sa couverture vert espoir, le livre « Reformierte Be-kenntnisse » nous invite à une réflexion sur le point de

vue et ses formes apparentées que sont le credo, la confession de foi, le status con-fessionis. Édité au Theologischer Verlag Zürich par un groupe d’initiative sous la direction de Matthias Krieg, cet ouvrage retrace l’histoire des confessions de foi de la chrétienté en apportant un éclairage sur le contexte historique, culturel, ecclé-siologique et théologique de leur genèse. Ce « livre vert » doit inciter les Églises membres de la FEPS à mener une réflexi-on sur une confession de foi du protes-tantisme suisse, dans le cadre d’une pro-cédure de consultation élargie (cf. p. 21).

Dans l’acception moderne du terme, la plupart des confessions de foi de l’histoire conciliaire devraient être consi-dérées comme des « status confessionis »,

car elles servaient en général à marquer une délimitation par rapport à l’hérésie et à asseoir la prétention hégémonique des puissants à détenir la vérité. Comme en témoignent les documents historiques, les premiers conciles consacrés à des points de litige christologiques et trini-taires et les confessions correspondantes ont déclenché des discussions très vives, qui se poursuivaient jusque dans la rue, chez le boulanger ou le boucher. Pour les personnes vivant à cette époque, les ques-tions théologiques étaient d’une impor-tance existentielle et divisaient les esprits : « Qui n’est pas avec moi est contre moi ! » (Évangile de Luc).

Les confessions de foi ont existé de-puis toujours et aujourd’hui encore, les êtres humains ressentent le besoin d’exprimer leur foi intérieurement et exté-rieurement, de la professer pour soi-mê-me et pour les autres. Ils veulent être re-

connaissables, identifiables et souhaitent confesser leur union et appartenance in-ternes. Or les réformés de l’époque actuelle ont plutôt de la peine à élaborer une con-fession commune. Ils se déclarent en fa-veur de la liberté de confession mais pas de l’absence de confession. Ils ne procla-ment pas leurs confessions de foi mais les habillent en préambules et en leitmotivs. « Gott feiern, Menschen helfen », peut-on lire par exemple à côté du préambule de la constitution de l’Église évangélique-réfor-mée du canton de Schaffhouse.

À présent, le protestantisme suisse s’engage sur la voie d’une confession de foi commune, d’un credo il s’attelle à un « processus confessionis » qui vise à s’interroger sur ce que doit être notre tex-te de référence commun. Puisse ce pro-cessus se présenter sous un bon jour et la bénédiction de Dieu nous accompagner dans cette démarche. Credo : je crois. <

PAR SILVIA PFEIFFER présidente du Conseil d’Église de Schaffhouse et membre

du Conseil de la FEPS

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« La théologie doit avoir le courage d’expérimenter. » Thomas Schlag, professeur PAGE 6

« Les sujets religieux font mouche quand ils sont couplés à des affaires de sexe ou de violence, ou encore à des questions touchant à l’éducation, à l’école ou à l’État. Les questions purement religieuses intéressent beaucoup moins. » un rédacteur PAGE 10

« Nous devons retraduire ce que cela signifie, dans la Suisse urbaine du XXIe siècle, que d’inviter des gens que l’on trouve au bord des haies ou des enclos ou justement au bord de la route. » Heinz Fäh, pasteur PAGE 13

« Une sorte de besoin biologique s’est fait ressentir, quiserait au romantisme un peu ce que la sexualité est à l’érotisme. » Peter Bichsel, écrivain PAGE 30

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