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Frederick Winslow Taylor (1856-1915) 166

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Frederick Winslow Taylor (1856-1915)

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Christine Frederick.

Le Taylorisme chez soi (1913)

Christine Frederick

L - Agencement et pratique de la cuisine. Le taylorisme, on le sait, a eu son heure de gloire de la fin de la Première Guerre mondiale au début de la Seconde, Fruit des observations de Taylor (mort en 1913) il est lié au développement de la grande industrie entre les deux guerres. Il repose sur

' le perfectionnement de l'outillage - la spécialisation des tâches - leur parcellisation et la rationalisation de leur exécution. Il permet des économies de temps et de main d'œuvre et trouve son expression la plus

< p(frfaite dans le travail à la chaîne. Mais il déshumanise le travail, le rend épuisant et monotone. Il a donc des limites d'applications assez étroites^ C'est cette doctrine, néanmoins, que Christine Frederick s'efforce d'adapter aux tâches ménagères. Tous les jours, après un grand repas, je lavais jadis quarante-huit pièces de porcelaine, vingt-deux d argent, dix objets ayant servi à la préparation des mets, soit quatre-vingts en tout. L'égouttoir de mon évier était à gauche, mais je ne suis pas gauchère. L évier lui-même était trop bas. Il manquait de profondeur, il était surmonté d'un placard à vaisselle placé de telle façon que je m'y cognais le front à chaque mouvement brusque. En quarante-cinq minutes, je lavais (mal) quatre-vingts assiettes. En surveillant; mes gestes et en déplaçant quelque peu ce qui en avait besoin, j'ai réussi à gagner un quart d'heure. J'aurais fait mieux encore si l'architecte qui avait été chargé d'agencer la cuisine avait scellé l'évier à une meilleure hauteur, et prévu des plans de travail (table ou autre) également à une hauteur correspondant à la taille moyenne des femmes. Heureusement, la rationalisation des opérations de lavage ne dépendant que de nous, il y a là matière à économie de temps. Voici le déroulement que je propose : Premier temps: remplir les casseroles d'eau contenant du produit pour laver la vaisselle, remplir le bac de lavage de l'évier (je conseille toujours un évier à double bac) d'eau chaude additionnée de lave-vaisselle. Les assiettes sont empilées dans le premier bac. Second temps : laver et disposer dans l'égouttoir. Laver et sécher immédiatement verres et couverts. Laver les casseroles pendant que les assiettes sèchent seules. Naturellement, le recours à la machine à laver la vaisselle supprime toutes ces opérations. Mais cela impose d'autres servitudes. Cette machine n'est utile que pour des quantités importantes de vaisselle et de couverts. Pour cette opération comme pour toutes les autres, il faut de temps en temps faire son travail très lentement, en décomposant les gestes et en les analysant. On découvre très vite les corrections à apporter aux gestes traditionnels. Il en va de même pour les opérations de nettoyage que l'on doit analyser soigneusement pour les rationaliser. On découvre très vite que les gains de temps sont substantiels si on ne fait pas tout, le même jour, en suivant. Il faut faire les vitres à part et pour toute la maison, passer l'aspirateur dans les mêmes conditions, faire l'argenterie et autres bibelots à jour fixe. On voit ainsi disparaître le nettoyage à fond qui est si lassant, le gain de temps est d'au moins vingt minutes. Le blanchissage n'est plus ce qu'il était depuis la généralisation des machines à laver, mais il faut apprendre à les utiliser dans les meilleures conditions. Le repassage aussi gagne à être entrepris méthodiquement, les tissus demandant le même repassage et le même degré d'humidité devant être groupés. Il est inutile de repasser les tissus synthétiques à base de nylon, tergal, etc. On ne peut qu'abîmer les objets repassés.

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Mais aucun gain de temps n'est possible si l'emplacement des outils de travail, à la cuisine ou à la lingerie, n'a pas été soigneusement prévu. Le recours aux robots, mixers et autres couteaux électriques ne doit pas être considéré comme une fantaisie coûteuse, mais comme un moyen de travailler mieux, plus vite. Toutefois, avant d'acquérir ces machines, il est bon de se demander si on en a vraiment besoin. Le rouleau à repasser, par exemple, n'a d'intérêt que si on repasse beaucoup de pièces plates (draps, nappes, etc.). Mais cette étude critique ne doit pas nous détourner d'utiliser des perfectionnements d'outillages justifiés. Ainsi du four auto-nettoyant. On entend parfois dire que les opérations d'auto-nettoyage sont dispendieuses. Ce n'est pas exact. D'autant plus que les produits de nettoyage nécessaires à l'entretien des fours ordinaires sont chers eux aussi. C'est un calcul à faire, et à faire honnêtement. On écartera ainsi l'outillage inefficace ou inapproprié. Il ne faut pas donner une importance exagérée à l'outillage au point de négliger la méthode de travail. Je crois fermement que ce qui pourra libérer la femme de certains travaux, c'est moins les instruments modernes que l'amélioration des méthodes. D'ailleurs, tout le monde n'a pas les moyens d'acquérir ce qui se fait de plus élaboré en matière d'appareils ménagers, mais tout le monde peut rendre son travail moins pénible en l'organisant, en le systématisant, en utilisant son esprit d'observation et son expérience pour parvenir à une "normalisation des gestes". L'agencement d'une cuisine est une meilleure source de rationalisation que le recours aux nouveaux procédés de travail, au nouvel outillage. Qu'est-ce à dire Tout le monde a entendu parler de cuisine fonctionnelle, mais que faut-il entendre par là? D'abord que les appareils usuels: meubles de rangement, cuisinières, réfrigérateurs, etc., doivent être installés de telle façon qu'on n'ait pas besoin de parcourir la cuisine en tous sens, mille fois pour aller de l'un à l'autre. Pour commencer, et contrairement à ce qu'on croit souvent, une cuisine n'est pas forcément plus fonctionnelle parce qu'elle est grande. L'important, c'est qu'elle soit carrée, bien éclairée, de dimensions moyennes. Dans une telle cuisine, on finit, si on analyse soigneusement ses gestes et ses travaux par diviser son ouvrage en deux grands groupes : celui de la préparation des repas et celui du lavage-rangement. Cette constatation doit présider à l'agencement de la cuisine et à l'emplacement des meubles ou ustensils conformément à la suite logique des tâches. Les ustensiles et meubles nécessaires au groupe I sont : réfrigérateur (ou/et congélateur), plan de travail, cuisinière, coin repas). Pour le groupe II on aura : plan de travail, égouttoir, évier à double bac et/ou machine à laver la vaisselle, meuble de rangement. Dans tous les cas, tout doit se trouver à bonne hauteur pour éviter fatigue et mouvements inutiles. Une attention particulière doit être accordée aux sources de lumière (naturelle ou artificielle), l'éclairage doit tomber sur l'objet du travail, non aveugler le travailleur. Les meubles de rangement doivent être compris rationnellement et prévoir de nombreuses alvéoles pour les petits ustensiles. Une place pour chaque chose et chaque chose à sa place épargne plus de pas et de fatigue qu'on ne le croit. Enfin, s'agissant d'une cuisine, il faut donner une attention particulière à la ventilation. De grandes fenêtres bien placées, permettant un maximum d'ensoleillement, de luminosité, d'aération, c'est bien. Ce n'est toutefois pas assez. Des hottes aspirantes, des échangeurs d'air, et autres systèmes de ventilation sont indispensables. C'est grâce à tous ces adjuvants que non seulement on évite l'accumulation d'odeurs dans la cuisine, mais qu'on évite aussi d'embaumer toute une maison. Car, par une mystérieuse alchimie, le merveilleux parfum de canard à l'orange qui a séduit vos invités à leur arrivée, se transforme en une odeur beaucoup moins plaisante une fois le repas terminé. Il faut ajouter d'ailleurs qu'aucun système de ventilation ne suffira si la cuisine n'est pas scrupuleusement propre. Ce qiii impose des meubles lavables (tubes métalliques et matière plastique), un sol carrelé, des murs en céramique, des plafonds et encadrements de fenêtres ou de portes revêtus de peinture vernie lavable. L'idéal serait qu'une cuisine puisse être rendue stérile comme une salle d'opération. On réalise rarement son idéal mais on peut toujours s'efforcer de s'en rapprocher au maximum. C'est dans cette cuisine presque idéale que nous allons pouvoir rassembler un outillage rationnel. C'est-à-dire des accessoires parfaitement au point et d'une indiscutable utilité.

Les magazines, les journaux, les Salons, les catalogues sont pleins d'offres

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alléchantes. Il faut savoir choisir. Il est aussi absurde d acheter tout et n'importe quoi que de ne rien acheter sous prétexte "qu'on se passait de tout cela du temps de nos grand-mères". L'achat de l'outillage doit être considéré comme un investissement. Il doit figurer, mentalement, dans l'esprit de la ménagère, au chapitre des frais généraux. Ce qui compte c'est donc non seulement son prix et sa qualité, mais le besoin qu'on en a et l'intelligence de sa conception. Par exemple, une casserole basse, large, à fond plat économise de la chaleur, c'est donc un bon achat. Un gaufrier est en soi un bon achat, sauf si votre famille déteste les gaufres et que vous n'en faites jamais. Un appareil ménager doit être maniable, commode, facile à entretenir, solide et d'aspect plaisant. Mais il ne faut pas sacrifier les autres éléments à l'aspect. L'émail décoré certes est charmant. Toutefois, il vaut souvent mieux un bon aluminium solide et indéformable. Ne jamais oublier que l'entretien de l'outillage est un poste important. Non seulement parce qu'un appareil bien entretenu fonctionne mieux, mais aussi parce qu'il fonctionne beaucoup plus longtemps. Or il est à la fois plus rationnel et plus satisfaisant de ne pas devoir tout le temps remplacer les ustensiles de cuisine. En acheter de nouveaux qui vous manquaient ou qu'on a introduits depuis peu sur le marché est bien préférable. A quoi reconnaît-on qu'un ustensile de cuisine est adapté à sa tâche 1 A ce qu'il répond à un certain nombre de critères qui sont l'économie de combustible, de peine, de travail ou de temps. Etant donné l'importance des questions d'énergie, les appareils qui économisent le combustible sont particulièrement précieux. Mais les autres qualités que nous venons d enumérer ne sont pas indifférentes. Et les autocuiseurs, par exemple, satisfont à plusieurs de ces critères. Ce sont donc des ustensiles particulièrement nécessaires. Il en va de même pour les fours à hublot, les ustensiles qui conservent la chaleur grâce à leur isolement thermique, les plaques de cuisson modernes, etc. Naturellement, tous les robots épargnent du temps. Il faut simplement choisir ceux qui accomplissent des tâches qui reviennent souvent dans nos activités. Les robots et autres instruments qui font le travail à la place des mains humaines sont légions. Mais une bonne maîtresse de maison ne les achète pas tous. A elle de savoir ce qui lui manque vraiment, ce qui est d'un emploi conforme à ses besoins, ce qui est d'un maniement facile, d'un entretien commode, ce qui constitue ce qu'on appelle aujourd'hui d'une façon hideuse et barbare, "un bon rapport qualité-prix". Ce qui convient à l'une ne convient pas à l'autre. Tout entre en ligne de compte : le nombre de personnes vivant au foyer familial, leur âge, leurs besoins, la fréquence des réceptions et leur ton, enfin le temps que la maîtresse de maison ou ses aides bénévoles (mari, enfants, etc.) consacrent aux soins ménagers.

IL- La ménagère dans l'activité économique. La ménagère "moderne" doit donc maîtriser le phénomène de la distribution des marchandises et de la formation des marchés. Car elle peut avoir une influence décisive sur les^écanismes commerciaux, notamment sur ce mécanisme délicat ^ntre tous qu'est la formation des prix. C'est une erreur encore trop répandue de croire que les prix sont calculés en fonction d'un coût de production immuable, alors que ce coût lui-même dépend, en partie de l'importance du marché. Or, dans le choix que fait la ménagère, entrent des facteurs multiples (aspea de l'objet, sa qualité, son utilité, etc.) alors que ce choix est capital pour la formation du marché et la variation des prix. La difficulté tient en grande partie à ce que ce choix n'est pas toujours raisonné ou raisonnable. Mais enfin, de plus en plus souvent, il répond à des critères parfaitement identifiables. Prenons, par exemple, le développement de la vente par correspondance. Pour une femme qui travaille au-dehors tout en tenant sa maison, choisir sur catalogue et acheter par correspondance constitue un gain de temps et une économie de fatigue. Elle ne peut le faire, toutefois, que pour des articles d'usage courant comme les torchons de cuisine par exemple, et à condition de pouvoir faire confiance à l'entreprise qui pratique ce genre de vente. Il est impératif qu'en qualité et en quantité, les objets livrés correspondent à ce qui est commandé. Donnée cette condition, il saute aux yeux que si la cliente gagne temps et fatigue, le fournisseur, lui, fait l'économie d'intermédiaires et d'agencement des points de vente.

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Une réfutation de Christine Frederick De l'éducation normalisée (Système Taylor) de l'esprit de système et autres caricatures du bon sens*.

"Et le raisonnement en bannit la raison." "Car (disait Gargantua) la plus vraie perte de temps qu'il sçeust était de compter les heures. Quel bien en vient-i l} Et la plus grande ruserie du monde était soi gouverner au son d'une cloche et non au dicté du bon sens et de l'entendement." Systématique, je définirais l'esprit de système à la mode des mathématiciens. Je préfère vous présenter quelques fanatiques de l'Organisation (système Taylor généralisé). Après les avoir contemplés dans leur travail aussi varié qu'ahurissant, vous serez d'avis que l'esprit de système est la caricature du bon sens. Etre en tout et pour tout partisan du système Taylor, prouve une merveilleuse aptitude intellectuelle à la Bocherie. Aussi bien pour nos réformateurs il ne s'agit pas d'organiser; comme toujours en

* Ext ra i t de la préface à "L'Optique géométrique élémentaire", 1917 . Par Henri Bouasse.

Tout le monde doit donc trouver son compte à cette forme de commerce qui, pour certains articles connaît en effet un grand développement. C'est également une forme de distribution qui contribue à la vogue des "produits de marque", la marque étant alors une garantie d'uniformité. On achète les serviettes éponges de X parce qu'on sait d'avance ce que l'on achète. Cela paraît naturel, mais c'est en réalité un phénomène assez nouveau et qui se perfectionne tous les jours. La marque, c'est d'abord un "label", une étiquette, qui garantit à peu près l'uniformité de l'article. Au fur et à mesure que la loi et la pratique commerciale se précisent et se font plus exigeantes, s'ajoutent à la marque des indications nouvelles : matières employées, utilisation, date optima d'utilisation, usage qu'on peut attendre, etc. Ainsi, certains produits alimentaires annoncent-ils leur fraîcheur (date limite de vente), leur composition (colorants ou produits de conservation), leur facilité d'emploi (cuisson ou présentation) ; des vêtements indiquent qu'on peut les laver (ou non), les repasser (ou non) et de quelles fibres ils sont tissés. Ces garanties nouvelles facilitent la vente. Le vendeur doit savoir qu'il offre un produit d'origine et de composition connue, l'acheteur doit reconnaître ce que ces appellations ajoutent à la marque. Une ménagère avisée en tiendra compte et saura si elle a intérêt à payer plus cher un produit complètement identifié ou moins cher un produit dont certaines qualités lui demeurent inconnues. Certains vendeurs tiennent énormément à leur marque et aux énonciations qu'ils couvrent de cette marque. Ils font alors appel à la protection de la loi, pourchassant tout imitateur. D'autres, au contraire, sont totalement indifférents aux imitations de leur marque. Ils estiment que le coût de la protection légale (dépôt de marque, brevet ou identification de modèle) est trop élevé pour le profit qu'ils en tirent. C'est ainsi qu'un certain grand maroquinier de luxe laisse se multiplier les imitations de ses articles, estimant même que cette multiplication d'objets ressemblant à ceux qu'il vend lui assure une diffusion publicitaire parfaitement rentable. Une ménagère avisée se demandera alors si elle paie surtout le snobisme de marque ou si elle est garantie par la qualité du produit. Et elle choisira en conséquence. La plupart du temps, elle tiendra à la marque ou à l'appellation d'origine où elle verra, souvent non sans raison, une garantie d'égalité de qualité. Mais qu'elle s'en tienne à une marque connue, qu'elle trouvera en dépôt dans de nombreux points de vente, ou qu'elle demande - sans autre précision - un sac ou des chaussures dépend de son budget, de son expérience, de son goût. Notamment, elle devra se résoudre à ne pas bénéficier d'un prix uniforme où qu'elle achète. C'est souvent cette tentation du prix uniforme qui fait l'attrait d'une marque pour la cliente. Son choix est donc, comme toujours, capital pour la formation du marché et par là du prix. Une ménagère ne fait pas plus une clientèle qu'une hirondelle ne fait le printemps, mais un groupe important de ménagères peut avoir une influence décisive sur la formation des prix. On se souvient du temps où les associations de ménagères américaines décidèrent que le beurre et la viande de bœuf à grillades avaient subi des augmentations exagérées à leurs yeux et décidèrent de boycotter ces articles. Elles obtinrent rapidement une baisse substantielle de prix. Peut-être dira-t-on que c'est là un exemple extrême et c'est probablement vrai. Tous les prix ne varient pas sous l'influence d'une pure spéculation. Dans ce cas, la grève des achats demeure sans effet ou d'un effet limité - soit dans le taux, soit dans le temps - mais au moins la maîtresse de maison a-t-elle la satisfaction de savoir qu'elle a joué son rôle, un rôle actif, dans la formation du prix de détail. Ce qui nous conduit à une question connexe et souvent débattue : que faut-il penser des soldes, ventes à prix exceptionnel, rabais, escomptes et autres méthodes pour attirer la cliente en lui affirmant qu'elle va profiter de circonstances exceptionnelles 1 Tout le monde sait que c'est parfois vrai, mais pas toujours. C'est donc là un domaine où la maîtresse de maison avisée doit réfléchir et faire preuve de sagacité. Parfois, le rabais offert est aussi réel qu'important. Parfois, ce n'est que de la poudre aux yeux. Parfois encore il s'agit d'un piège qu'il faut savoir éventer. Admettons que le vendeur offre un rabais sérieux uniquement pour écouler au plus vite un certain produit et augmenter son fond de roulement. Si le produit vendu est de bonne conservation ou s'il s'agit d'un article dont la ménagère fait une grande utilisation, elle peut avoir intérêt à profiter des soldes. Le savon, par exemple, se garde très bien, sèche un peu, mais fait ainsi

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France, il s'agit de faire un Cours sur l 'Organisat ion et de proc lamer qu'on organisera. Donner des conseils et s'admirer, voilà de quoi nos tayloristes sont uniquement capables. Pour qu'on ne m'accuse pas de dénigrer "systématiquement", j 'ut i l ise un v o l u m e récemment paru : Organisation scientifique, principes et applications. Il doit nous sortir du gâchis par l'emploi du chronomètre comme universelle règle de conduite. J'espère que le lecteur comprendra quelle sottise, quelle ignorance foncières, recouvrent ces méthodes soi-disant scientifiques. La méthode Taylor est excellente dans certains cas : appliquée à notre vie tout entière, elle est grotesque dans son emphatique puérilité. SYSTEMATISER, C'EST GÉNÉRALISER SOTTEMENT.

En parlant de la méthode Taylor et de l'esprit de système je ne sors pas de mon rôle de professeur. Si la méthode Taylor est bonne, mon ense ignement d iscurs i f et d igress i f est déplorable. Comme il représente la tradition française, cette tradition ne vaut rien. A u risque de chagriner les sectaires de la méthode Taylor, je ne laisserai donc pas abrutir les Français par une systématisation aussi ridicule que vaine. JE NE SAIS Q U N BON SYSTÈME : APPRENDRE SON MÉTIER. JE NE SAIS QU'UNE BONNE MÉTHODE : LE TRAVAIL.

Est-il besoin de prévenir que j'ai pour l'organisation américaine la plus sincère admiration .-̂ Que nous l'imitions, c'est fort bien. Mais pour nos charlatans il ne s'agit que d'ajouter un cours théorique supplémentaire à tous ceux dont nous crevons. Organiser est le cadet de leur souci; pérorer sur l'organisation, voilà qui est bien français, bien universitaire, bien académique! Un mauvais physicien n'en finit jamais de commencer ses expériences; il veut toujours doter ses appareils de quelque amélioration supplémentaire. Le temps passe: avec des boniments il persuade que c'est très fort de dire ce qu'on ferait... si l'on était capable de travailler. Certains pontifes ont le toupet d'imprimer des plans et projets d'expériences. A u lieu de les conseiller aux autres, que ne les font-ils eux-mêmes ? Ils ont bien le temps de toucher des jetons de présence. Ont-ils si grand-peur, en essayant, de prouver qu'ils sont incapables ? Espèrent-ils qu'on croira difficile de bâcler des projets } Ils comptent sur la jobarderie française qui prend Nadar et Jules Verne pour des précurseurs et ne distingue pas le fœtus de l'homme fait. Je regrette de ne pouvoir transcrire tout le mémoire de Mistress C. F.*, mémoire qui est une des perles du riche écrin récemment publié. Son anonymat met à l'aise ma galanterie bien connue. A u reste, puisque les femmes se mêlent de tout, elles n'ont plus droit aux ménagements que motivait la présomption de leur faiblesse. Nos égales, ô belles dames ! n'exigez plus qu'on vous traite en femmes ! Proclamez des âneries : nous dirons que ce sont des âneries. Votre manège déplaît qui consiste à supplanter les hommes par l'emploi de vos mérites féminins. Vous raisonnez comme des savates : on parle cependant de vous conf ie r l 'éducat ion intellectuelle des mâles. Ça sera gentil comme résultat ! Il s'agit de la Tenue scientifique de la maison ; c'est un manuel à l'usage de vos épouses, ô jeunes hommes ! L'auteur veut fixer l'évolution de la femme, normaliser les mouvements opératoires, les conditions ambiantes et les procédés essentiels ; elle veut normaliser l'horaire. Son mémoire se décompose en deux parties : l'une est absurde, l'autre puérile. Voici quelques exemples : Liste des temps nécessaires à diverses opérations

plus d'usage. En acheter "en réclame" peut donc être "une bonne affaire" si on peut en vérifier la marque et la qualité, si donc le produit offert est vraiment bon marché. L'huile d'olive en bonbonne, dans une maison où on en utilise beaucoup peut aussi constituer une bonne affaire. Les choses changent quand il s'agit d'une denrée périssable dont la ménagère consomme de faibles quantités, risquant ainsi de devoir jeter des provisions inutiles. Alors, il lui faut calculer à quel prix réel revient ce qu'elle a vraiment utilisé. Cela peut être encore bénéfique mais ce n'est pas certain. Dans certains cas, le vendeur offre des conditions de prix réellement avantageuses parce qu'il écoule des articles dont il ne lui reste pas une gamme suffisante (des souliers, par exemple, dont il ne reste que quelque paires dans des pointures peu courantes). Là aussi, c'est à la maîtresse de maison de prendre sa décision. Il se peut qu'elle ait intérêt à acheter, si elle trouve vraiment "chaussure à son pied", il se peut également que la pointure ne lui convienne pas tout à fait, alors elle ne doit pas se laisser entraîner. Dans d'autres cas, le vendeur consent un rabais parce qu'il veut "lancer" un produit, le faire connaître. Mais parfois aussi, il fait ce que l'on appelle du "dumping", il consent un rabais pour éliminer une concurrence. Ce n'est pas forcément une mauvaise affaire pour l'acheteur, bien que le plus souvent alors ce ne soit qu'un état précaire. Une fois le marché conquis, le fabricant laisse monter ses prix. Enfin, il arrive que le vendeur ne baisse le prix d'un article que pour attirer la clientèle et lui vende en même temps d'autres articles dont elle n'a guère besoin ou sur lesquels il compte réaliser de très gros bénéfices, le payant de sa baisse apparente. L'incitation psychologique à des achats inutiles revêt mille visages et il faut à la ménagère avisée beaucoup de caractère et de sagacité pour profiter de la vente avantageuse sans tomber dans le piège des achats supplémentaires. A la limite, on peut se trouver en face d'une "tromperie" sur la qualité du produit vendu, ou sur le prix. Le produit, dans ce cas, ne correspond pas à ce qui est annoncé. Il n'est bon marché qu'en apparence. Il ressemble à un article de bonne qualité, mais à l'usage, il se révèle médiocre. Pour employer une expression à la mode, "le rapport qualité-prix" n'est pas ce dont il a l'air. La femme d'intérieur moderne doit savoir examiner l'article, sa marque, les indications de qualité pour ne pas acheter ce qui ne sera qu'un objet inutile ou de peu d'intérêt. Le commerçant subtile joue sur une équivoque. Il a peut-être tort, parce que la cliente bernée ne retournera pas chez lui. Tout ici est affaire de sagacité de part et d'autre. Il faut savoir que très souvent on ne peut acheter un article à bas prix qu'en s'entourant de renseignements qui ne sont pas toujours faciles à obtenir. Un des arguments le plus souvent employé dans ce cas, c'est que l'article n'est pas d'une marque connue et que son bon marché s'explique par le fait que le fabricant " ne fait pas de publicité". Cet argument a souvent du succès, tant l'acheteur est convaincu que le prix (souvent élevé) de la publicité se retrouve dans le prix de vente. Ce peut être vrai, cela ne l'est pas toujours. Un vendeur peut avoir intérêt à ne pas répercuter dans le prix les dépenses de publicité qu'il espère répartir sur un grand nombre de vente d'un article déterminé ou de plusieurs articles de marque. Au fond, pour la ménagère, ces éléments de formation du prix ne sont pas d'une importance capitale. Ce qu'elle doit savoir c'est si elle paie trop cher, c'est-à-dire si, pour un prix moindre, elle pourrait avoir un autre objet, de qualité comparable, de marque également satisfaisante. Ce n'est pas toujours facile à déterminer, mais le métier de maîtresse de maison n'est pas toujours facile à exercer. Restent, parmi d'autres, deux éléments dont on entend beaucoup parler: vaut-il mieux acheter dans un grand magasin ou chez un petit détaillant ? La mode est-elle l'occasion de gâchis et de dépenses inconsidérées ? Naturellement, les grands magasins, qui achètent en quantités considérables, ont un gros débit, peuvent vendre moins cher que les petits détaillants et souvent le font. Une mépagère avisée en profitera. Mais elle se souviendra que les petites boutiques sont parfois plus près de chez elle, dirigées par des gens qui connaissent ses goûts et ses besoins, et offrent souvent des produits qu'on ne trouve pas ailleurs. Leurs jours et heures d'ouverture sont aussi parfois plus pratiques. Tout cela doit entrer en ligne de compte, et il n'est pas de l'intérêt d'une bonne ménagère de ne jamais acheter chez les petits commerçants détaillants. Tout cela, cependant, est affaire de proportion. Une femme d'intérieur doit garder un certain équilibre. Quant à la mode, c'est un perpétuel sujet de controverse. Les uns prétendent que les clientes sont difficiles, changeantes, inconstantes, réclament toujours du nouveau et obligent les commerçants à de perpétuelles transformations qui

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Baigner bébé: 15 mn. Faire les tartines: 12 mn. Préparer la salade : 15 mn. Faire un pâté : 10 à 12 mn. Balayer et ranger 5 chambres par jour : 30 mn. Nettoyer l'argenterie : 40 mn. Laver la salle de bain : 20 mn. Je m'arrête pour me tuyauter auprès de ma cuisinière Gertrude. "Gertrude, lui dis-je, combien faut-il de temps pour laver la salade ? - Monsieur veut r i r e ! Cela dépend. Si les feuilles sont lisses, comme la laitue, la salade est plus facile à laver que pour les feuilles tortillées comme la frisée. Je ne peux donc pas répondre à la question de Monsieur. - Mais vous, Gertrude, combien mettez-vous de temps, pour la frisée, par exemple ? - Monsieur pose mal la question. Il faut s'entendre. Si Monsieur lave la salade, il saura que le mieux est de la laisser tregiper, mettons, une demi-heure. En passant, Monsieur l'agitera. A u bout d'une demi-heure. Monsieur n'aura quasiment plus qu'à l'égoutter, ce qui lui prendra bien 2 ou 3 minutes. Monsieur voit qu'il lui faut une demi-heure au moins, mais que Monsieur peut faire autre chose en même temps. - Que pensez-vous, Gertrude, d'une dame déclarant qu'il faut 15 minutes pour préparer la salade ? - Oh ! Monsieur, je dis qu'elle apprit la cuisine au lycée. J'étais en service chez une jeune mariée qui avait un bien gentil mari. Pour se mettre en ménage, elle fit des provisions. Ayant appris la cuisine au lycée, elle crut bon d'acheter une livre de pommes de terre, mais un kilo de poivre. Avec son gentil mari, elle n'en avait pourtant pas besoin... - Assez, Gertrude ! je veux qu'on respecte le mur de la vie privée!" Là-dessus je reprends la lecture de Mistress C.F. Recommandons aux femmes qui font la cuisine de réunir, avant de commencer la confection d'un mets, tous les ustensiles qui leur seront nécessaires ; à celles qui repassent, de séparer le linge plat de l'autre afin de repasser à la suite toutes les pièces semblables ; à celles qui lavent, de séparer le linge taché de celui qui ne l'est pas ; à toutes de ne pas interrompre leur travailpour en faire un différent. Dans un autre but, qui n'est plus de supprimer les temps mais les efforts inutiles, les cuisinières s'assoiront pour disposer leurs plats ou éplucher leurs légumes. Sous un dehors scientifique, c'est niais ou puéril. Toute cuisinière s'assied pour éplucher des pommes de terre ou écosser des pois : le conseil est puéril. Dans la cuisine bourgeoise, la disposition des plats exige si peu de temps que s'asseoir serait une peine inutile ; le conseil est bête. Etc., le reste-à l'avenant, NDLR

coûtent cher et se retrouvent dans le prix de vente des articles de mode. Les autres accusent les commerçants ou les fabricants eux-mêmes de créer des besoins artificiels en "démodant" les articles, pour inciter à Tachât. Les deux sont probablement partiellement vrais. En tout cas, lesprit humain est ainsi fait qu'il recherche en même temps le changement et la continuité. La vie des affaires reflète simplement cet état de choses. C'est le privilège et le devoir de la femme qui possède l'arme puissante de l'achat de contribuer à un certain équilibre économique. Les rapports économiques de la femme avec le reste du monde sont une terrible réalité et une véritable responsabilité. Elle doit en prendre conscience, apprendre suffisamment d'économie politique pour jouer un rôle utile dans l'équilibre des forces en présence.

* Il s'agit évidemment de Christine Frederick

LE TAYLORISME CHEZ SOI, extrait de "The new house keeping, efficiency studies in home management by Christine Frederick." Traduaion des chapitres III, IV et X I V par Anne Laurens.

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