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~ Wilhelm Jensen – Gradiva ~ ~ p.130, depuis « Zoé Bertgang avait dit cela… » à fin du récit, p.135 ~ -commentaire linéaire -

Gradiva - Wilhelm Jensen (analyse)

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Une courte dissertation/commentaire liniaire sur les dernieres 6 pages du recit "Gradiva", depuis "Zoe Bertang avait dit cela" jusqu'a la fin du recit.

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Page 1: Gradiva - Wilhelm Jensen (analyse)

~ Wilhelm Jensen – Gradiva ~~ p.130, depuis « Zoé Bertgang

avait dit cela… »à fin du récit, p.135 ~

- commentaire linéaire -

Etudiante: Alexandra Marina Cornea

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Wilhelm Jensen est un écrivain allemand, né le 15 février 1837 à Heiligenhafen, Holstein et mort le 24 novembre 1911 à Munich, dont le nom est notamment connu grâce à l’étude de Sigmund Freud, Le délire et les rêves dans la « Gradiva » de W. Jensen. Cet étude est né de « la curiosité de s’occuper de rêves qui n’ont jamais été rêvés, qui ont été créés par des écrivains et attribués à des personnages imaginaires dans le cadre d’un récit »1.

Le récit Gradiva – fantaisie pompéienne met en scène l’archéologue Norbert Hanold, qui est tombé amoureux d’une effigie représentant une femme en train de marcher, bien qu’il ne sache pas quoi l’attire tellement à cette œuvre. Sa vie entière tourne autour de cette représentation: il lui donne un nom, « Gradiva », c'est-à-dire « celle qui marche en avant », il commence à s’imaginer le contexte dans lequel elle avait vécu, mais il n’arrive pas à justifier un réel intérêt archéologique pour la sculpture. Lorsqu’il se rend compte que la démarche de Gradiva a quelque chose d’attirant, il s’élance dans des recherches. Il observe la démarche d’autres femmes et finit par en être déçu, car il ne trouve pas la même manière de marcher aux femmes de son époque et il l’attribue au caprice du sculpteur.

Une nuit, il rêve qu’il se trouve à Pompéi, le 24 août 79, le jour de l’éruption du Vésuve. Il aperçoit là sa Gradiva, qui s’assied sur une marche et attend tranquillement la mort. Il essaie de la sauver, il crie pour l’avertir du danger, mais il ne réussit pas de l’arrêter. Norbert s’éveille, effrayé et confus, en regrettant qu’il n’avait pas aperçu la démarche de Gradiva. Parmi la foule qui bouge dans la rue, il a l’impression d’avoir saisi cette démarche particulière et il y descend, habillé des vêtements de nuit. Mais il faut abandonner l’idée de la suivre, car les hommes commencent à se moquer de lui.

Poussé par un fort instinct, il prend le chemin de l’Italie, afin, dit-il, « d’en tirer profit au point de vue scientifique ». Dégouté à Rome des couples d’amoureux, il s’éloigne de plus en plus de son pays. Il arrive à Naples, où l’histoire se répète, ainsi qu’il s’enfuit à Pompéi, lieu évité par ces couples-ci. Ici, ses seuls ennemis sont les mouches, qui lui semblent être des Augustes et des Gretes. Convaincu qu’il avait fait une sottise en venant à Pompéi, il décide d’en tirer un avantage scientifique en visitant les fouilles de la ville ensevelie.

Au moment où les gens retournent aux hôtels pour prendre le déjeuner, Pompéi prend « un visage tout à fait différent » et dans ce cadre il aperçoit sa Gradiva, mais, cette fois-ci, il ne rêve pas, tout est réel. Il la suivit dans la Casa di Meleagro, dans laquelle il la trouve assise devant lui. Il lui s’adresse en grec et en latin, mais la jeune fille lui répond en allemand. Lorsqu’il lui demande de s’allonger de nouveau comme elle l’avait fait dans son rêve, la fille disparaît sans rien dire. Etonné de ce qui lui vient d’arriver, Norbert se met à examiner et écouter les paroles des hommes attablés dans les restaurants des hôtels, mais il arrive à la conclusion qu’aucun d’entre eux n’avait rencontré une Pompéienne morte il y a deux milles ans. L’idée que sa Gradiva pourrait être une touriste ne lui avait jamais effleuré l’esprit.

Le deuxième jour, il la rencontre de nouveau, au même endroit, et il lui offre un asphodèle, la fleur du monde souterrain. Gradiva lui dit son vrai nom, Zoé, qui signifie « la vie ». Norbert lui demande de marcher pour lui, et Gradiva lui fait ce plaisir. Mais Zoé doit bientôt partir. Elle lui avoue qu’il lui sera possible de revenir encore une fois dans cet endroit, le jour suivant. En se promenant alentours, il rencontre un homme qui chasse des lézards, dont le visage lui semble connu et qui s’adresse à lui d’un ton très familier. Avant retourner dans sa chambre, Norbert visite un troisième héberge, l’Albergo del Sole, où il achète une fibule qu’il croit avoir appartenue à Zoé-Gradiva. Mais il devient jaloux lorsqu’il s’imagine que sa Gradiva avait été

1 Freud , Sigmund – Le délire et les rêves dans la « Gradiva » de W.Jensen, Ed. Gallimard, Paris, 2009, p. 139

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trouvée à côté d’un jeune homme. Pendant la nuit, il fait un dernier rêve, dans lequel Zoé-Gradiva chassait des lézards avec un brin d’herbe, rêve qu’il trouve très stupide.

Le troisième jour, avant de partir rencontrer Zoé, en se souvenant qu’une voix lui avait dit qu’on offrait des roses au printemps, il en cueillit quelques-unes. Arrivé parmi les décombres de l’ancienne ville, il commence à la chercher. La jalousie lui envahit encore une fois, à la pensée qu’autres peuvent la voir aussi. Enragé, il entre dans la Casa di Meleagro, et ses premiers mots lui demandent si elle est seule. Mais il la trouve comme d’habitude, seule et assise devant lui. Ils partagent un petit pain et Norbert se convainc que Zoé est une apparition matérielle lorsqu’il tape sa main en essayant de tuer une mouche: sa main ne rencontre pas le vide, mais la chaleur de la chair. Des lèvres de la jeune fille s’échappent l’étonnement et le nom Norbert Hanold. En entendant son nom, il se lève d’un bond, « encore plus terrorisé ». En même temps, une jeune dame salue Zoé et commence à jacasser avec elle, ce qui lui permet de s’enfuir. Zoé, sous prétexte qu’elle doit rencontrer son père, s’en va pour chercher Norbert.

Norbert, après avoir erré quelque temps parmi les ruines pour revenir chez lui, en entrant dans la « Villa de Diomède », la trouve assise sur les blocs de pierre. Il essaie de s’enfuir de nouveau, mais la voix de Zoé l’arrête. Le brouillard qui avait envahi son esprit disparaît lorsque Zoé Bertgang, son ancienne amie d’enfance, prit la parole. Elle lui reproche de l’avoir oubliée au détriment de l’archéologie, elle lui avoue l’amour qu’elle a pour lui et son étonnement lorsqu’il l’avait prise pour « un être sorti de terre et revenu à la vie ». Maintenant, il en se souvient, et il se rend compte que son nom, Bertgang, a le même sens que Gradiva: « celle qui brille par sa démarche ». Lorsque Norbert lui dit que Gisa, la jeune fille qu’elle vient de rencontrer, est « sympathique » et qu’elle avait été « la première à lui plaire vraiment », Zoé devient à son tour jalouse et lui prie de l’excuser, car elle doit partir.

Norbert remarque, pour la première fois, une petite différence entre l’effigie et son ancienne amie: la joue de Zoé possède une petite fossette. Par un truc bizarre, il baise sa joue et puis, ses lèvres, truc auquel Zoé ne s’oppose pas. L’amour regagné pour Zoé lui fait oublier son mépris envers les couples des Augustes et de Gretes qui font leurs voyages de noces en Italie, et il lui propose d’y faire le leur aussi. Avant regagner l’hôtel, il la contemple encore une fois marcher de son façon « paisible et alerte ».

L’extrait que nous a été proposé pour l’analyse concerne la fin du récit, plus précis, la partie où Zoé Bertgang se prépare à partir, mais elle est arrêtée par Norbert, qui se sert en ce sens-ci d’un truc bizarre. Il prétend avoir vu une mouche sur sa joue et il essaie de l’attraper avec ses lèvres. Mais, le moment où l’ainsi dite « mouche » s’assied sur les lèvres de Zoé, il la baise, sans qu’elle s’oppose. Cependant, elle doit partir, et, malgré le fait que Norbert est effrayé de l’avis de son père, il décide de l’accompagner pour le déjeuner. Zoé l’assure que son père ne sera pas de tout fâché, puisqu’elle n’est pas « une pièce irremplaçable dans sa collection zoologique ». Norbert oublie toute sa colère contre les couples qui font leurs voyages de noces en Italie, et il propose à Zoé d’y faire le leur aussi, en devenant ainsi, eux-mêmes, un nouveau couple d’Augustes et de Gretes. Il lui demande encore une fois de marcher pour lui, afin de pouvoir contempler sa démarche « paisible et alerte ».

A travers cet extrait, on voit un Norbert transformé, métamorphosé par l’amour qu’il vient de regagner. Le nouveau Norbert Hanold semble entièrement détaché de son passé, de son ancien soi. Je me propose de répondre, par cette étude, à la question suivante: quelles sont les antithèses révélées par l’auteur, entre l’« ancien » Norbert et le  « nouveau » jeune homme qu’il devient?

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L’extrait commence par l’exposition de la manière dans laquelle Zoé, envahie à son tour de jalousie envers Gisa, son amie, que Norbert vient de caractériser de « sympathique » et de la nommer « la première à lui plaire vraiment », s’était excusée et lui avait dit d’« aller retrouver Gisa Hartleben […] pour lui apporter l’aide de la science quant au but de son séjour à Pompéi  »: « Zoé Bertgang avait dit cela du ton très aimable mais en même temps indifférent d’une jeune femme de la bonne société ». L’antithèse « ton très aimable mais en même temps parfaitement indifférent » suggère aussi l’antithèse qui se trouve à l’intérieur d’elle: après avoir connu, il y a quelques pages avant, ses sentiments pour Norbert (« je m’étais habituée à ressentir pour vous une affection à vrai dire étrange, je croyais que jamais je ne trouverais sur terre un ami plus agréable » - page 126), il semble bien difficile à croire qu’elle exprime ses vrais sentiments. Ses actions, ses gestes-mêmes de lui répondre ironiquement et de s’enfuir la trahissent, bien qu’elle essaie de dissimuler ses émotions. Egalement, elle se cache derrière les bonnes manières de l’époque.

Sa démarche particulière, élément récurant dans le récit qui, chaque fois, suscite en Norbert le même plaisir, est décrite de nouveau: « avançant le pied gauche, selon son habitude, pendant que la plante du droit se dressait presque à la verticale ». Les plusieurs occurrences de cette description nous permet d’envisager Norbert comme un fétichiste du pied. La pluie qui vient de s’arrêter s’avoue favorable au fétichisme de Norbert, car « le sol […] très mouillé » oblige la jeune fille de soulever le bas de sa robe de la main gauche: « c’était exactement le portrait de Gradiva ». Il y aperçoit clairement la représentation fidèle de l’effigie: ce n’est pas un rêve, ce n’est pas son imagination, mais la pure réalité. On retrouve dans ce passage-ci l’apogée de la redécouverte de son for intérieur, de la révélation. Il arrive, finalement, à se rendre compte que le bas-relief de Gradiva avait attiré son attention parce qu’il ressemblait parfaitement à Zoé, son amie d’enfance qu’il n’avait pas reconnue dès le début. L’image refoulée de sa petite amie, après avoir essayé plusieurs fois de s’échapper de l’id sous la forme des rêves, réussit finalement de regagner son place dans l’ego. Tout devient clair, le brouillard qui avait enténébré son jugement se dissipe, en cédant la place à l’amour infantile qu’il vient de regagner.

Les deux points qui coupent le discours servent à introduire une information nouvelle (« pour la première fois, Norbert […] remarqua une toute petite différence »). L’adverbe « pour la première fois » marque l’entrée dans un autre espace temporel. Jusqu’ici, on était le spectateur du délire de Norbert; maintenant, on quitte l’espace temporel du délire et on marche, finalement, au présent, au temps réel. Revenu à la réalité, Norbert perçoit la vraie Zoé, sans être plus influencé par le bas-relief de Gradiva. Lucide, il remarque « une toute petite différence » entre Zoé et Gradiva, qui sont opposées par les périphrases « la femme vivante » et « la femme sculptée ». On pourrait dire, et on ne se trompera pas, que la différence est petite du point de vue visuel, lorsqu’il s’agit d’une fossette, mais grande en tant que signifiance. Norbert prouve, encore une fois, par cette découverte, qu’il a regagne sa santé mentale, car, après tout, il arrive à distinguer Zoé de Gradiva, c'est-à-dire, la réalité de la fiction, du délire, de l’imagination. La « netteté particulière » dont elle lui apparaît devient le trait caractéristique du nouveau Norbert, libéré des ténèbres par la puissance de l’amour.

Mais il faut noter que la différence n’est pas nommée immédiatement. D’abord, elle est périphrasée par la construction « quelque chose que la seconde (c'est-à-dire Gradiva) n’avait pas ». Ainsi, Gradiva, envisageant la perfection dans les yeux de Norbert, est surpassée de Zoé, par ce petit artifice qui est la fossette. On dit que celle-ci est l’empreinte laissée par la flèche de Cupidon. Le jeune archéologue, en voyant ce petit signe d’Eros, peut agir de la manière dont il

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va agir sans craindre les conséquences. Le discours de Zoé, auquel on ajoute cette empreinte discrète, le convainc de l’amour qu’elle garde encore pour lui. Le symbolisme même de la joue, en tant que partie du visage qui trahit des sentiments, des émotions temporaires (en rougissant, par exemple) nous fait penser à cette interprétation. Métaphoriquement, la joue est envisagée comme « le théâtre d’un événement infime et impossible à décrire ». Cette comparaison renforce l’idée qu’on vient d’exprimer, car le théâtre est un lieu, un endroit où on exprime, on transmet des messages, par des paroles, par des gestes, même par le décor.

La différence majeure qui se trace entre les deux femmes est la capacité d’avoir et de transmettre des sentiments. Gradiva n’en dispose pas, en temps que chaque partie du corps de Zoé exprime quelque chose. Même un « infime », « petit pli » pinçant sa joue exprime « la contrariété aussi bien qu’une envie de rire contenue, ou peut-être bien les deux ensemble ». Norbert est fasciné par la découverte, il « y tenait son regard attaché », comme s’il avait peur qu’elle se soit anéantie, comme il arrive souvent avec les rêves.

L’« illusion d’optique » dont le texte parle ensuite n’est point réelle, elle est jouée, elle est utilisée en tant que truc, artifice (« quoiqu’il eût entièrement retrouvé la raison, comme on venait de le lui certifier, ses yeux furent encore une fois victimes de ce qui paraissait une illusion d’optique »). Le verbe que l’auteur a choisi d’utiliser, paraître, confirme ce qu’on vient de dire. Le ton dont il s’exclame « La voilà encore, la mouche! » n’est pas en concordance avec le mépris et la colère qu’il avait éprouvé il y a quelques jours pour ces ennemis ailés: « il mourait de désir de posséder une tapette-à-mouches » (p.60). Il est donc évident que la mouche n’existe pas, qu’elle est seulement un truc duquel Norbert se servit pour baiser Zoé. La mouche cesse d’être un ennemi, elle devient en ce cas-ci son complice. Elle n’est pas une « découverte », comme l’extrait nous l’indique, mais plutôt un projet. Ça explique « le ton singulièrement triomphal et fier » de ses paroles, parce que Norbert est déjà sûr de ses résultats. Le fait que la mouche existe seulement dans la tête de Norbert est renforcé par l’étonnement que Zoé épreuve, et la question qu’elle lance « involontairement ». Egalement, l’idée du projet, du truc nous est révélée quelques lignes plus bas, par le mot « entreprise ». Conscient du temps qui est passé et qui avait effacé l’amour entre lui et Zoé, il agit maintenant rapidement, spontanément, pour le récupérer, comme nous montre l’adverbe « soudain » dans la phrase « il passa soudain un bras autour de son cou » et le complément « à la vitesse d’éclair ». Ce fragment qu’on vient de commenter, on pourrait le caractériser de double-antithétique. D’abord, il y a l’antithèse entre Norbert en tant qu’un personnage qui déteste les mouches et le nouveau Norbert, en tant que personnage qui, bien qu’il ait été abhorré par ces insectes, essaie de les « attraper avec les lèvres », lorsque son but lui demande ce sacrifice, soit-il fictif ou non. Il y a aussi une opposition évidente entre le délire inconsciente du début et le délire contrôlé qu’il joue à travers ces lignes, pour parvenir à son but.

« Et, chose curieuse », Zoé, périphrasée comme « la Gradiva en chair et en os » n’oppose aucune résistance. Le début de la phrase est éloquent, parce qu’il suggère une certaine attitude pessimiste, sceptique du narrateur en ce qui concerne l’entreprise de Norbert. Bien que le jeune archéologue en ait été sûr, l’auteur en doutait. Mais ses doutes sont réfutés par la tranquillité dont Zoé accepte le geste de Norbert (« la Gradiva en chair et en os n’opposa cette fois pas la moindre résistance »). La phrase « elle ne déclara pas après avoir retrouvé la parole: ‘Tu es réellement fou, Norbert Hanold’ », contredit de nouveau les expectations du narrateur, comme le ton étonné nous le montre. Contrairement, le sourire « plein de séduction » qui apparaît sur ses lèvres témoigne « qu’elle était encore plus assurée de ce qu’il avait recouvré toute sa santé mentale ». Si on s’imagine un syllogisme, on arrivera à la conclusion que, pour Zoé, la maladie signifie le

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fait de l’avoir oublié et la santé mentale est équivalente à la redécouverte de l’amour qu’il avait un jour pour elle:

P1: Après avoir reçu son geste, elle est « plus assurée de ce qu’il avait recouvré toute sa santé mentale. »

P2: Le geste de Norbert consiste en lui prouver son amour.C: Zoé est plus assurée de ce qu’il avait recouvré toute sa santé mentale après avoir reçu

son geste. Le deuxième paragraphe place le lecteur dans un espace temporel rétrospectif, « deux

milles ans plus tôt », pour le faire ensuite retourner à présent. Seul l’endroit reste le même. Quant au reste, les circonstances sont entièrement opposées, opposition qui est soulignée par les antithèses « heure tragique », « scène atroce à voir et à entendre » - « des événements qui pour l’œil comme pour l’oreille n’avaient absolument rien de propre à inspirer la terreur ». L’auteur joue avec les mots, il crée une sorte de parallélisme, pour mieux montrer l’opposition: «  au cours d’une heure » - « durant une heure », « à voir et à entendre » - « pour l’œil comme pour l’oreille ». Malgré ces conjonctures favorables, un inconvénient s’impose, comme nous la montre la conjonction « cependant », qui exprime une opposition, une restriction: « Cependant il arriva un moment où une réflexion fort raisonnable s’imposa […] contre son vœu profond et sa volonté ». Le complément « contre son vœu profond et sa volonté » confirme une antithèse entre le désir de Zoé de rester plus avec Norbert et son devoir d’accompagner son père. Elle aimerait mieux passer son temps avec Norbert qui, à la différence de son père qui lui-aussi l’avait abandonnée pour la science, a réussi à s’en détacher pour la regagner. L’adverbe « réellement », mis en évidence par l’emploi des italiques, souligne la fin du délire de Norbert. Les propos de la jeune fille mêlent l’ironie, la jalousie et la reconnaissance pour la femme qui lui avait appris comment faire l’amour (« je crois qu’aujourd’hui tu peux renoncer à déjeuner en compagnie de Gisa Hartleben, puisque tu n’as plus rien à apprendre d’elle »). L’importance de cet enseignement est soulignée dans le paragraphe suivant: « un précieux enseignement ».

Dans la réponse de Zoé à la question « Ton père… qu’est-ce qu’il va...? » que Norbert lui adresse effrayé, « l’ironie se mêle à l’amertume »1, il y a là « un avertissement en quelque sorte au fiancé de ne pas se conformer trop fidèlement au modèle selon lequel la femme aimée l’a choisi »2. Elle désire fortement que son père en soit d’accord et, à cet égard, elle lui dévoile différentes stratégies et elle y devient même complice: « Tu n’as qu’à aller passer deux ou trois jours à Capri. Tu y attrapes avec un nœud coulant fait d’un brin d’herbe – pour savoir comment t’y prendre, tu pourras t’entraîner son mon petit doigt – un lacerta faraglionensis […]. Après quoi il n’y aurait qu’à le laisser libre de choisir entre le lézard et moi ».

Le cinquième paragraphe souligne encore une antithèse entre ce qui était Norbert et ce qu’il vient de devenir. On se rappelle comment il était jaloux en pensant que sa Gradiva pouvait être vue et entendue par d’autres gens aussi. Après avoir été convaincu que Zoé-Gradiva est entièrement à lui, il regrette qu’il n’y ait personne « à la surface de la terre pour faire quelques remarques sur la voix et l’intonation de Gradiva […], ce mélange de perfection et d’humour » auquel on ajoute « un charme extraordinaire ». Amoureux, il aimerait chanter son amour au monde entier, se vanter avec sa fiancée mais, « malheureusement », il n’a pas à qui le faire.

Le sixième paragraphe emporte le dernier, mais le plus important changement de son caractère. Tombé amoureux à son tour, il ne dédaigne plus les couples des Augustes et des Gretes qu’il avait méprisés avant. Par la magie de l’amour et « emporté par un élan de lyrisme »,

1 Freud , Sigmund – Le délire et les rêves dans la « Gradiva » de W.Jensen, Ed. Gallimard, Paris, 2009, p. 1782 Idem

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il devient, lui aussi, un Auguste, désireux de faire son voyage de noces en Italie et à Pompéi. Dans son exclamation passionnante, l’apostrophe « Zoé » est immédiatement suivi du complément « ma joie de vivre et de jouir du présent », par lequel il périphrase la femme aimée.

Le paragraphe qui suit s’ouvre par un commentaire du narrateur, qui résume et confirme la transformation de Norbert: « Voilà qui apportait une belle confirmation à ce qu’enseigne l’expérience, à savoir que le changement de circonstances peut produire chez l’homme une transformation du cœur et entraîner en même temps un affaiblissement corrélatif de la mémoire ». La deuxième proposition subordonnée complétive soutient ironiquement cette dernière transformation que Norbert avait subie, en la comparant métaphoriquement à une perte de mémoire. En ce qui concerne la première, on peut y observer un changement des rôles: Norbert devient un Auguste, la paire d’une Grete, en méritant ainsi le mépris de « compagnons de voyage grincheux et misanthropes ». Dans le syntagme par lequel le narrateur choisit de caractériser ces compagnons, on peut facilement reconnaître l’ancien Norbert Hanold. Les deux phrases qui suivent sont l’argument de ce détachement du passé. Le passé ne lui intéresse plus, lorsqu’il vient de comprendre l’importance du présent. Son nouvel état d’esprit semble être dicté par l’adage Carpe diem: le moment actuel, le présent, voilà ce qui existe de plus important.

La joie du couple se répand sur la nature aussi, qui en jouit à son tour. Elle joue le rôle d’un miroir qui reflète l’intériorité du personnage principal. Donc, la transformation de Norbert est immédiatement et obligatoirement suivie par celle de la nature. A la page 66, par exemple, le champ lexical de la mort, de l’immobilité dont le narrateur se sert pour décrire les alentours suggère la mort intérieure de Norbert (« Pas de tout un air vivant: c’est à ce moment-là seulement que la ville paraissait se pétrifier tout entière en une immobilité de mort. Il en émanait comme l’impression que la mort se mettait à parler […] »). Après avoir été témoin à cette histoire d’amour, la nature brille, elle sourit, elle se couvre en or, en diamants et en perles et le Vésuve s’empanache « d’une large couronne vaporeuse ». Tous ces mots, on pourrait les considérer comme appartenant au champ lexical de la richesse, mais il s’agit ici non pas d’une richesse matérielle, mais d’une richesse spirituelle, acquise en aimant.

« La belle réalité a désormais triomphé du délire, mais celui-ci va recevoir un dernier hommage avant que les deux amoureux ne quittent Pompéi »1, écrit Freud dans son étude. En se servant d’un nouveau truc (« S’il te plaît, traverse ici! »), Norbert espère de contempler encore une fois la démarche « paisible et alerte » de Zoé. Cette fois-ci, la fille comprend l’allusion, car elle lui répond avec « un sourire joyeux et complice ». L’emploi du verbe italien « rediviva », qui signifie « revenir à la vie » suggère que, dans les yeux de Norbert, Gradiva s’était incarnée en Zoé Bertgang. L’adjectif « auréolée » souligne le caractère merveilleux, voire divine, de Zoé.

Avant de conclure, il faut s’arrêter un peu sur la construction « son ami d’enfance, lui aussi en quelque sorte exhumé et sauvé de l’ensevelissement », qui justifie le choix de Pompéi en tant que lieu où la révélation se passe. Il y a une analogie entre l’oublie qui a embrouillé la mémoire de Norbert et l’enterrement de cette ancienne ville. Dans ce premier cas, l’archéologue est personne d’autre que Zoé, qui « entre dans le délire de l’archéologue, dont elle lui fait révéler toute l’ampleur, sans jamais le contredire »2. Patiemment, exactement comme un de ces-ci aurait fait, elle enlève la poussière qui avait couvert ses souvenirs d’enfance, afin de les mettre au jour.

En ce qui concerne Norbert Hanold, il nous rappelle du personnage mythique Pygmalion, qui tombe amoureux d’une sculpture à tel point qu’il demande à une déesse de lui donner vie. Dans ce récit-ci, la sculpture est inconsciemment reliée au souvenir de Zoé, bien que Norbert ne

1 Freud , Sigmund – Le délire et les rêves dans la « Gradiva » de W.Jensen, Ed. Gallimard, Paris, 2009, p. 1792 Freud , Sigmund – Le délire et les rêves dans la « Gradiva » de W.Jensen, Ed. Gallimard, Paris, 2009, p. 156

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s’en rende compte dès le début, et le retour à la réalité, la redécouverte de son amie d’enfance correspond à la requête de Pygmalion, dans le sens qu’elles servent à donner vie à l’effigie. A la différence du mythe de Pygmalion et de Galatée, il n’y a pas une identité parfaite entre la sculpture et Zoé, car Zoé n’est pas Gradiva, mais plutôt Gradiva est Zoé.

Gradiva de Wilhelm Jensen met en scène une captivante histoire d’amour dont la puissance transformatrice et révélatrice a été bien mise en relief par l’étude que Freud a consacré à l’analyse de cette ouvre. Sa fin correspond à la révélation, et, à son tour, la révélation est accompagnée des transformations que Norbert Hanold subit. Ces changements-ci sont soulignés dans ce dernier extrait qui nous a été proposé pour l’analyse par la série des antithèses, par la différence entre le nouveau Norbert et l’ancien, qui se trace au fur et à mesure que la réalité se révèle. Le Norbert qu’on avait rencontré à travers les premières pages n’est pas le même jeune homme qui nous apparaît à la fin du récit. On trouve dans les dernières pages un Norbert métamorphosé, grâce au amour qu’il vient de redécouvrir.