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Contrôle qualité Du soleil et du vent en bo îte Une équipe de l’EPFL a conçu une batterie capable de stocker l’électricité des énergies renouvelables De gauche à droite: le professeur Hubert Girault, le docteur Heron Vrubel, Véronique Amstutz, doctorante, et Chris Dennison. CHANTAL DERVEY Des portables sur les arbres pour sauver la for êt L a tribu autochtone des Tembé vit dans une petite parcelle de forêt amazo- nienne entourée de tous les côtés par des pâturages déboisés. Ses membres ont fondé leurs espoirs de survie sur une idée invraisem- blable: ils espèrent pouvoir sauvegarder leur habitat forestier et leur mode de vie millénaire en fixant de vieux smartphones sur les arbres. Les Tembé se sont associés à Rainforest Connection, une organisation à but non lucratif basée à San Francisco qui a conçu un appareil capable de détecter les bruits pouvant révéler la présence d’exploitants illégaux, comme les moteurs de camions et de tronçonneuses. Le dispositif, une invention originale de Topher White, un physicien qui est devenu un fervent défenseur des forêts, ressemble à une marguerite. Il est composé d’un téléphone portable à l’épreuve des intempéries autour duquel sont installés des panneaux solaires qui assurent son alimentation. Dissimulé dans la canopée, il capte et transmet les sons ambiants à un nuage informatique (cloud). Un logiciel conçu pour reconnaî- tre le vrombissement d’une tronçonneuse envoie ensuite des alertes en temps réel aux rangers lorsque de tels bruits sont détectés. L’appareil a déjà été testé en Afrique de l’Ouest et en Indonésie, où il a permis de mettre un terme à l’exploitation forestière illégale dans une petite réserve créée Topher White, fondateur de Rainforest Connection. RAINFOREST CONNECTION Algues versus pollution R emplacer le pétrole par des algues pour fabriquer du plastique? Rémy Lucas, qui a fondé Algopack il y a cinq ans, a remporté le Grand Prix Business durable chimie verte Total-BFM 2014 avec cette idée. Bouchons d’emballage, Livebox (Sagem- com), coques de téléphone (Orange) ou jetons de chariots de supermarché (Leclerc): les usages de ce matériau produits à partir d’extraits d’algues de Bretagne sont multiples. La ressource existe en quantités infinies à l’état naturel et peut se cultiver dans le respect de l’environnement: l’algue séquestre du CO 2 et rejette de l’oxygène, qui favorise la biodiversité marine. Les produits finis se décomposent en douze semaines en terre, contre quatre à dix siècles pour les matières plastiques, et cinq heures en mer. Un atout quand on sait que près de 269 000 tonnes de plastique polluent la surface des océans. Le procédé va même contribuer à débarrasser les Antilles et la Guyane de la pollution par les algues sargasses, qui les envahit de façon inhabi- tuelle actuellement. Ce dernier a également été testé avec succès sur plusieurs continents (Asie, Afrique et Amérique). Toujours en phase pilote, Algopack va passer à une production industrielle en 2016. D’où la levée de fonds actuellement en cours. Caroline de Malet France, «Le Figaro» pour protéger les gibbons, l’une des espèces de primates les plus menacées au monde. M. White estime toutefois que les enjeux sont encore plus impor- tants dans le cas des Tembé, dont la réserve se trouve dans l’État brésilien de Pará, l’épicentre de la lutte pour la protection de l’Amazonie. «C’est la différence entre se battre contre l’anéantissement et lutter contre la destruction de l’environ- nement», assure M. White. «La plupart des gens avec qui nous travaillons sont plutôt passionnés lorsqu’on parle d’environnement, mais le sentiment d’urgence des Tembé est palpable.» Astrid Christophersen Brésil, Sparknews Tribune de Genève | Samedi-dimanche 20 - 21 juin 2015 27 Environnement Sophie Davaris Suisse, «Tribune de Genève» C omment stocker l’énergie renouvelable? C’est l’un des grands défis de la tran- sition énergétique. Une équipe de l’Ecole polytech- nique fédérale de Lau- sanne (EPFL) travaille depuis quatre ans au développement et à la construction d’un système de stockage. Installé en ville, il permettrait d’emmagasiner l’énergie en cas de surplus de production et de la restituer lors des pics de consom- mation. «Un container pourrait approvi- sionner une centaine de ménages en élec- tricité», imagine le professeur Hubert Gi- rault, dont le laboratoire d’électrochimie physique et analytique a conçu un proto- type, installé à Martigny, en Valais, de- puis le printemps 2014. «Actuellement, la seule énergie re- nouvelable stockable en grande quantité est l’énergie hydraulique. Cela se fait par le pompage-turbinage, rappelle Heron Vrubel, docteur en électrochimie et ma- nager du site de Martigny. Le soleil et le vent sont des sources d’énergie intermit- tentes. Ces variations de production ont un effet sur le réseau. Lorsque l’on pro- duit davantage que ce que l’on con- somme, on risque de surcharger le ré- seau et de provoquer un black-out. Notre projet consiste à fabriquer une pile capa- ble de stocker l’énergie solaire et éo- lienne, afin de réguler le réseau et de jouer un rôle tampon entre production et consommation.» Réaction chimique Stocker l’énergie renouvelable dans des batteries, cela se fait déjà. Mais la techni- que rencontre des limites, liées à l’en- combrement, au prix et à la durée de vie des piles. La thèse de Véronique Amstutz, membre de l’équipe, repose sur l’idée de fabriquer une nouvelle forme de batterie, dont la capacité serait augmentée. «Le point de départ consistait à utiliser une batterie redox», explique la doctorante de 29 ans. Ces batteries, développées par la NASA dans les années 70 et commer- cialisées aujourd’hui dans l’industrie, stockent l’énergie sous une forme li- quide. La batterie se compose d’une solu- tion, mélange de sel de vanadium (un métal) et d’eau, qui permet de stocker de l’énergie. «J’ai pensé que l’on pourrait utiliser cette énergie pour produire de l’hydrogène», indique Véronique Am- stutz. C’est toute l’originalité du projet: en faisant passer la solution de vanadium dans une poudre, une réaction chimique produit de l’hydrogène. Cette production d’hydrogène ôte son énergie au liquide, qui revient donc déchargé dans la batte- rie. «Ce procédé augmente la capacité de la pile, qui présente bien d’autres avanta- ges: peu chère, elle dure plus longtemps qu’une batterie au lithium et comporte moins de dangers.» Le prototype installé à Martigny offre une puissance de 10 kW et une capacité de 40 kWh. C’est encore modeste, mais l’équipe de l’EPFL travaille sur une deuxième batterie de 200 kW, qui pour- rait alimenter une trentaine d’apparte- ments, selon Heron Vrubel. «Pour autant que l’immeuble soit équipé de panneaux solaires, bien isolé et ventilé, cette batte- rie pourrait le rendre indépendant dans sa production et dans sa consommation d’énergie.» Désormais, l’objectif consiste à chan- ger de dimension, non pas en fabriquant des batteries de plus grande capacité, mais en produisant à large échelle des modules de 100 kW, qui s’assemble- raient à volonté selon la capacité néces- saire. A terme, le laboratoire du profes- seur Girault imagine que l’on pourrait disposer de containers en ville, dans le sous-sol des immeubles, par exemple. Les chercheurs en sont conscients: ce n’est pas pour tout de suite. Il faudrait, d’une part, se montrer beaucoup plus ambitieux dans la construction écologi- que de logements et, d’autre part, déve- lopper l’installation de panneaux solaires et d’éoliennes. Volume impressionnant En attendant, le projet de l’EPFL doit encore s’améliorer. Avec ses 2 mètres de large, 4 de long et 2,5 de haut, le proto- type de Martigny occupe un volume im- pressionnant. «C’est le point négatif, ad- met Heron Vrubel. Il faut beaucoup d’eau pour constituer la solution de vanadium. Cela prend de la place. Mais la produc- tion d’hydrogène permet de réduire la taille de la batterie et d’améliorer sa per- formance par rapport à une batterie re- dox classique.» Malgré cet inconvénient, l’équipe est convaincue de tenir entre ses mains «une solution d’avenir». Comment situer ce programme parmi les recherches menées dans d’autres uni- versités sur le même thème? «C’est un projet innovateur qui complète bien l’in- térêt grandissant pour la recherche sur les batteries redox, estime Véronique Amstutz. D’autres moyens de stockage des énergies renouvelables sont étudiés, comme le stockage sous forme d’air com- primé ou les batteries sodium-sulfure, chaque technologie étant associée à des applications différentes, selon sa capa- cité et sa puissance.» La prochaine étape? Convaincre les distributeurs d’énergie d’investir dans ce projet. C’est presque fait: la thèse de Vé- ronique Amstutz a été financée par EOS Holding. Cette société, qui regroupe les principales entreprises électriques ro- mandes, vise à promouvoir les énergies renouvelables. Des discussions sont en cours avec plusieurs partenaires pour financer une start-up autour de son idée.

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Contrle qualitDu soleil et du vent en boteUne quipe de lEPFL a conu une batterie capable de stocker llectricit des nergies renouvelablesDe gauche droite: le professeur Hubert Girault, le docteur Heron Vrubel, Vronique Amstutz, doctorante, et Chris Dennison. CHANTAL DERVEYDes portables sur les arbres pour sauver la fortLa tribu autochtone des Temb vit dans une petiteparcelle de fort amazo-nienne entoure de tous les cts par des pturages dboiss. Ses membres ont fond leurs espoirs de survie sur une ide invraisem-blable: ils esprent pouvoir sauvegarder leur habitat forestier et leur mode de vie millnaire en fixant de vieux smartphones sur les arbres.Les Temb se sont associs Rainforest Connection, une organisation but non lucratif base San Francisco qui a conu un appareil capable de dtecter les bruits pouvant rvler la prsence dexploitants illgaux, comme les moteurs de camions et de trononneuses.Le dispositif, une invention originale de Topher White, un physicien qui est devenu un fervent dfenseur des forts, ressemble une marguerite. Il est compos dun tlphone portable lpreuve des intempries autour duquel sont installs des panneaux solaires qui assurent son alimentation. Dissimul dans la canope, il capte et transmet les sons ambiants un nuage informatique (cloud). Un logiciel conu pour reconna-tre le vrombissement dune trononneuse envoie ensuite des alertes en temps rel aux rangers lorsque de tels bruits sont dtects.Lappareil a dj t test en Afrique de lOuest et en Indonsie, o il a permis de mettre un terme lexploitation forestire illgale dans une petite rserve cre Topher White, fondateur de Rainforest Connection. RAINFOREST CONNECTIONAlgues versus pollutionRemplacer le ptrole par desalgues pour fabriquer duplastique? Rmy Lucas, qui afond Algopack il y a cinq ans, a remport le Grand Prix Business durable chimie verte Total-BFM 2014 avec cette ide. Bouchons demballage, Livebox (Sagem-com), coques de tlphone (Orange) ou jetons de chariots de supermarch (Leclerc): les usages de ce matriau produits partir dextraits dalgues de Bretagne sont multiples.La ressource existe en quantits infinies ltat naturel et peut se cultiver dans le respect de lenvironnement: lalgue squestre du CO2 et rejette de loxygne, qui favorise la biodiversit marine. Les produits finis se dcomposent en douze semaines en terre, contre quatre dix sicles pour les matires plastiques, et cinq heures en mer. Un atout quand on sait que prs de 269 000 tonnes de plastique polluent la surface des ocans. Le procd va mme contribuer dbarrasser les Antilles et la Guyane de la pollution par les algues sargasses, qui les envahit de faon inhabi-tuelle actuellement. Ce dernier a galement t test avec succs sur plusieurs continents (Asie, Afrique et Amrique). Toujours en phase pilote, Algopack va passer une production industrielle en 2016. Do la leve de fonds actuellement en cours.Caroline de MaletFrance, Le Figaropour protger les gibbons, lune des espces de primates les plus menaces au monde.M. White estime toutefois que les enjeux sont encore plus impor-tants dans le cas des Temb, dont la rserve se trouve dans ltat brsilien de Par, lpicentre de la lutte pour la protection de lAmazonie.Cest la diffrence entre se battre contre lanantissement et lutter contre la destruction de lenviron-nement, assure M. White. La plupart des gens avec qui nous travaillons sont plutt passionns lorsquon parle denvironnement, mais le sentiment durgence des Temb est palpable.Astrid ChristophersenBrsil, SparknewsTribune de Genve|Samedi-dimanche 20-21 juin 2015 27EnvironnementSophie DavarisSuisse, Tribune de GenveComment stocker lnergierenouvelable?Cestlundes grands dfis de la tran-sitionnergtique.Unequipe de lEcole polytech-niquefdraledeLau-sanne (EPFL) travaille depuis quatre ansaudveloppementetlaconstructiondunsystmedestockage.Installenville,ilpermettraitdemmagasinerlnergie en cas de surplus de productionet de la restituer lors des pics de consom-mation. Un container pourrait approvi-sionner une centaine de mnages en lec-tricit, imagine le professeur Hubert Gi-rault, dont le laboratoire dlectrochimiephysique et analytique a conu un proto-type,installMartigny,enValais,de-puis le printemps 2014.Actuellement,laseulenergiere-nouvelable stockable en grande quantitest lnergie hydraulique. Cela se fait parlepompage-turbinage,rappelleHeronVrubel, docteur en lectrochimie et ma-nager du site de Martigny. Le soleil et levent sont des sources dnergie intermit-tentes. Ces variations de production ontun effet sur le rseau. Lorsque lon pro-duitdavantagequecequeloncon-somme,onrisquedesurchargerler-seau et de provoquer un black-out. Notreprojet consiste fabriquer une pile capa-bledestockerlnergiesolaireeto-lienne,afindergulerlerseauetdejouer un rle tampon entre production etconsommation.Raction chimiqueStocker lnergie renouvelable dans desbatteries, cela se fait dj. Mais la techni-querencontredeslimites,lieslen-combrement, au prix et la dure de viedes piles. La thse de Vronique Amstutz,membre de lquipe, repose sur lide defabriquer une nouvelle forme de batterie,dontlacapacitseraitaugmente.Lepoint de dpart consistait utiliser unebatterie redox, explique la doctorantede 29 ans. Ces batteries, dveloppes parla NASA dans les annes 70 et commer-cialisesaujourdhuidanslindustrie,stockentlnergiesousuneformeli-quide. La batterie se compose dune solu-tion,mlangedeseldevanadium(unmtal) et deau, qui permet de stocker delnergie.Jaipensquelonpourraitutilisercettenergiepourproduiredelhydrogne,indiqueVroniqueAm-stutz. Cest toute loriginalit du projet:en faisant passer la solution de vanadiumdans une poudre, une raction chimiqueproduit de lhydrogne. Cette productiondhydrogne te son nergie au liquide,qui revient donc dcharg dans la batte-rie. Ce procd augmente la capacit dela pile, qui prsente bien dautres avanta-ges: peu chre, elle dure plus longtempsquune batterie au lithium et comportemoins de dangers.Le prototype install Martigny offreune puissance de 10 kW et une capacitde 40 kWh. Cest encore modeste, maislquipedelEPFLtravaillesurunedeuxime batterie de 200 kW, qui pour-raitalimenterunetrentainedapparte-ments, selon Heron Vrubel. Pour autantque limmeuble soit quip de panneauxsolaires, bien isol et ventil, cette batte-rie pourrait le rendre indpendant danssa production et dans sa consommationdnergie.Dsormais, lobjectif consiste chan-ger de dimension, non pas en fabriquantdesbatteriesdeplusgrandecapacit,maisenproduisantlargechelledesmodulesde100 kW,quisassemble-raient volont selon la capacit nces-saire. A terme, le laboratoire du profes-seurGiraultimaginequelonpourraitdisposer de containers en ville, dans lesous-soldesimmeubles,parexemple.Leschercheursensontconscients:cenest pas pour tout de suite. Il faudrait,dunepart,semontrerbeaucoupplusambitieux dans la construction cologi-que de logements et, dautre part, dve-lopper linstallation de panneaux solaireset doliennes.Volume impressionnantEnattendant,leprojetdelEPFLdoitencore samliorer. Avec ses 2 mtres delarge, 4 de long et 2,5 de haut, le proto-type de Martigny occupe un volume im-pressionnant. Cest le point ngatif, ad-met Heron Vrubel. Il faut beaucoup deaupour constituer la solution de vanadium.Cela prend de la place. Mais la produc-tiondhydrognepermetderduirelataille de la batterie et damliorer sa per-formance par rapport une batterie re-dox classique. Malgr cet inconvnient,lquipe est convaincue de tenir entre sesmains une solution davenir.Comment situer ce programme parmiles recherches menes dans dautres uni-versitssurlemmethme?Cestunprojet innovateur qui complte bien lin-trt grandissant pour la recherche surlesbatteriesredox,estimeVroniqueAmstutz.Dautresmoyensdestockagedes nergies renouvelables sont tudis,comme le stockage sous forme dair com-primoulesbatteriessodium-sulfure,chaque technologie tant associe desapplicationsdiffrentes,selonsacapa-cit et sa puissance.Laprochainetape?Convaincrelesdistributeurs dnergie dinvestir dans ceprojet. Cest presque fait: la thse de V-ronique Amstutz a t finance par EOSHolding. Cette socit, qui regroupe lesprincipalesentrepriseslectriquesro-mandes, vise promouvoir les nergiesrenouvelables.Desdiscussionssontencoursavecplusieurspartenairespourfinancer une start-up autour de son ide.