1
99 LE NOUVEL OBSERVATEUR 19 SEPTEMBRE 2013 - N° 2550 DOSSIER INTERNATIONALE HYMNE À LA JOIE En Belgique, la Ligue des Optimistes, dont font partie Emmanuelle Béart et Elio Di Rupo, s’entraîne au bonheur en chantant « La montée avant le “u”, y a pas de problème, c’est après le “u” que ça ne va pas. Bon, on reprend page septante- deux… » Comme tous les jeudis soir, la répétition a démarré à 8 heures pétantes. « Ah là, ça fait un peu pétard mouillé ce que vous m’avez chanté. Allez, on recommence… » Autour de Sté- phane, professeur de chant, catogan et lunettes noires, assis droit comme un i derrière le piano à queue, une trentaine de chemises bleues et de blouses fleu- ries s’essaient au « Judas Maccabée », l’oratorio en trois actes de Haendel. « Et un, et deux ! Les sopranes, n’attendez pas trop, sinon vous serez en retard. » Au rez-de-chaussée de cette villa Art déco, qui a servi d’atelier au peintre Paul Del- vaux et a appartenu au médecin du dic- tateur africain Mobutu, n’importe quel curieux peut assister aux prestations du Chœur d’Optimistan. Il suffit de pousser la porte, sans tenir compte du papier punaisé : « Attention, la son- nette ne marche pas. » C’est ici, avenue Alfred-Solvay, dans la « chiquissime » commune de Water- mael-Boitsfort, au sud de Bruxelles, que la Ligue des Optimistes du Royaume de Belgique a élu domicile depuis sa création, il y a huit ans. Cinq mille adhérents, dont quelques célébri- PAR NATHALIE FUNÈS tés comme l’écrivain Eric-Emmanuel Schmitt, le moine bouddhiste Mat- thieu Ricard, l’actrice Emmanuelle Béart ou le Premier ministre belge, Elio Di Rupo… Des « filiales » un peu partout dans le monde (aux Pays-Bas, en Alle- magne, en Suisse, au Bénin, bientôt en Norvège, au Maroc, au Rwanda…), une structure internationale, Optimistes sans Frontières, une lettre hebdo- madaire, des cycles de conférences et puis des parapluies, des pin’s, des bou- tons de manchettes, un parfum, tous estampillés « Ligue des Optimistes ». Sans oublier, donc, la chorale, compo- sée uniquement d’amateurs, qui se pro- duit en public une fois l’an. Derrière, un seul homme : Luc Simonet, 60 ans depuis quelques semaines, sourire jovial, front dégarni, ongles rongés et homme à tout faire. A la fois président, propriétaire des locaux, employé poly- valent, secrétaire, standardiste… Il a eu l’idée de fonder la Ligue des Optimistes du Royaume de Belgique par un jour de mauvais temps d’août 2005. « Nous passions des vacances en Toscane, il pleuvait des cordes et ma fille a commencé à râler, raconte-t-il. Je lui ai rétorqué : arrête de te plaindre, il faut au contraire s’enthousiasmer : “Quel beau jour de pluie !” On devrait même créer des parapluies où serait marquée cette inscription. Ma fille m’a mis au défi de concrétiser mon idée. Et voilà… » Luc Simonet est alors un avocat d’affaires fiscaliste, qui croule sous les clients et multiplie les publications juridiques. Mais il commence à s’ennuyer ferme et se désintéresse de plus en plus de ses dossiers. Décision est prise de prendre le large. Il réunit ses collaborateurs et leur annonce qu’il leur cède (« gratui- tement ») le cabinet. Vingt-neuf années fructueuses au barreau de Bruxelles l’ont visiblement mis à l’abri du besoin pour longtemps. Son congé sabbatique devait durer un an. Il entame déjà son « deuxième septennat ». Mais ses journées, assure-t-il, n’ont jamais été aussi remplies. Luc Simonet aimerait maintenant créer un nouvel Etat, l’Optimistan, un pays méta- phorique dont les optimistes seraient les citoyens, dûment munis d’un pas- seport. « C’est le fameux état de conscience du théologien et philosophe Pierre Teilhard de Chardin. Il disait que plus le monde deviendrait complexe, plus il faudrait en élever l’état de conscience. » La première pierre sera ce Cercle d’Optimistan qu’il compte ins- taller dans une immense villa néogo- thique du début du siècle dernier qui a abrité le dernier gouverneur du Congo et dont il est propriétaire (en plus du bâtiment Art déco de l’avenue Alfred- Solvay). Les ouvriers s’activent pour y créer un restaurant, un cercle de confé- rences, des salles de réunion, un espace de concert. Les cotisations versées par les futurs adhérents devraient per- mettre à la Ligue des Optimistes du Royaume de Belgique d’embaucher un employé et à Luc Simonet de prendre un « vrai » congé sabbatique. n La Ligue véhicule sa philosophie à travers différents événements (photos) et ambitionne de créer un nouvel Etat : l’Optimistan. GUY GOOSSENS/DR

INTERNATIONALE HYMNE € LA JOIE

  • Upload
    others

  • View
    8

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: INTERNATIONALE HYMNE € LA JOIE

99 LE NOUVEL OBSERVATEUR 19 SEPTEMBRE 2013 - N° 2550

DOSSIER

INTERNATIONALE

HYMNE À LA JOIEEn Belgique, la Ligue des Optimistes, dont font partie Emmanuelle Béart et Elio Di Rupo, s’entraîne au bonheur en chantant

« La montée avant le “u”, y a pas de problème, c’est après le “u” que ça ne va pas. Bon, on reprend page septante-deux… » Comme tous les jeudis soir, la répétition a démarré à 8 heures pétantes. « Ah là, ça fait un peu pétard mouillé ce que vous m’avez chanté. Allez, on recommence… » Autour de Sté-phane, professeur de chant, catogan et lunettes noires, assis droit comme un i derrière le piano à queue, une trentaine de chemises bleues et de blouses fleu-ries s’essaient au « Judas Maccabée », l’oratorio en trois actes de Haendel. « Et un, et deux ! Les sopranes, n’attendez pas trop, sinon vous serez en retard. » Au rez-de-chaussée de cette villa Art déco, qui a servi d’atelier au peintre Paul Del-vaux et a appartenu au médecin du dic-tateur africain Mobutu, n’importe quel curieux peut assister aux prestations du Chœur d’Optimistan. Il suffit de pousser la porte, sans tenir compte du papier punaisé : « Attention, la son-nette ne marche pas. »

C’est ici, avenue Alfred-Solvay, dans la « chiquissime » commune de Water-mael-Boitsfort, au sud de Bruxelles, que la Ligue des Optimistes du Royaume de Belgique a élu domicile depuis sa création, il y a huit ans. Cinq mille adhérents, dont quelques célébri-

PAR NATHALIE FUNÈS

tés comme l’écrivain Eric-Emmanuel Schmitt, le moine bouddhiste Mat-thieu Ricard, l’actrice Emmanuelle Béart ou le Premier ministre belge, Elio Di Rupo… Des « filiales » un peu partout dans le monde (aux Pays-Bas, en Alle-magne, en Suisse, au Bénin, bientôt en Norvège, au Maroc, au Rwanda…), une structure internationale, Optimistes sans Frontières, une lettre hebdo-madaire, des cycles de conférences et puis des parapluies, des pin’s, des bou-tons de manchettes, un parfum, tous estampillés « Ligue des Optimistes ». Sans oublier, donc, la chorale, compo-sée uniquement d’amateurs, qui se pro-duit en public une fois l’an. Derrière, un seul homme : Luc Simonet, 60 ans depuis quelques semaines, sourire jovial, front dégarni, ongles rongés et homme à tout faire. A la fois président, propriétaire des locaux, employé poly-valent, secrétaire, standardiste…

Il a eu l’idée de fonder la Ligue des Optimistes du Royaume de Belgique par un jour de mauvais temps d’août 2005. « Nous passions des vacances en Toscane, il pleuvait des cordes et ma fille a commencé à râler, raconte-t-il. Je lui ai rétorqué : arrête de te plaindre, il faut au contraire s’enthousiasmer : “Quel beau jour de pluie !” On devrait même

créer des parapluies où serait marquée cette inscription. Ma fille m’a mis au défi de concrétiser mon idée. Et voilà… » Luc Simonet est alors un avocat d’affaires fiscaliste, qui croule sous les clients et multiplie les publications juridiques. Mais il commence à s’ennuyer ferme et se désintéresse de plus en plus de ses dossiers. Décision est prise de prendre le large. Il réunit ses collaborateurs et leur annonce qu’il leur cède (« gratui-tement ») le cabinet. Vingt-neuf années fructueuses au barreau de Bruxelles l’ont visiblement mis à l’abri du besoin pour longtemps. Son congé sabbatique devait durer un an. Il entame déjà son « deuxième septennat ».

Mais ses journées, assure-t-il, n’ont jamais été aussi remplies. Luc Simonet aimerait maintenant créer un nouvel Etat, l’Optimistan, un pays méta-phorique dont les optimistes seraient les citoyens, dûment munis d’un pas-seport. « C’est le fameux état de conscience du théologien et philosophe Pierre Teilhard de Chardin. Il disait que plus le monde deviendrait complexe, plus il faudrait en élever l’état de conscience. » La première pierre sera ce Cercle d’Optimistan qu’il compte ins-taller dans une immense villa néogo-thique du début du siècle dernier qui a abrité le dernier gouverneur du Congo et dont il est propriétaire (en plus du bâtiment Art déco de l’avenue Alfred-Solvay). Les ouvriers s’activent pour y créer un restaurant, un cercle de confé-rences, des salles de réunion, un espace de concert. Les cotisations versées par les futurs adhérents devraient per-mettre à la Ligue des Optimistes du Royaume de Belgique d’embaucher un employé et à Luc Simonet de prendre un « vrai » congé sabbatique. n

La Ligue véhicule sa philosophieà travers différents événements (photos) et ambitionne de créer un nouvel Etat : l’Optimistan.

GU

Y G

OO

SSEN

S/D

R