21
Une passade de Donata de Jean Sibil Un grand salon avec un escalier, les volets sont baissés (fermés). Un couple en tenue de ville, Xavier et Irène Gevrais, elle la trentaine, lui la quarantaine; un homme en tenue plus décontractée, la trentaine, Robert. 1. Xavier : En haut ? Robert : Elle va descendre. Irène : Elle va d'abord nous faire attendre. Jusqu'au moment où on sera exaspérés. Je connais ses raffinements. Robert : Elle a changé. Xavier (railleur) : C'est une grande actrice; Donata change souvent. Robert : Elle a renoncé à son art. Irène : Foutaise. Xavier : Vous nous avez bien annoncés comme je vous avais dit ? Robert : Oui oui. Je ne connais pas votre nom de toute façon. "L'homme à l'impeccable complet." Irène : Et mon chapeau ? Vous lui avez parlé de mon nouveau chapeau ? (Il est très élégant et sobre; rien de comique.) Robert : A une époque où l'on n'en porte plus guère, je n'aurais eu garde d'oublier. Curieusement cela a semblé l'amuser, excusez-moi de ce terme, et je crois que c'est ce détail qui l'a décidée à descendre. Irène : A nous faire poireauter. J'aurais préféré un "non", alors je serais montée. Robert : Voilà Donata. Irène (stupéfaite) : Vraiment ? Xavier (à mi-voix) : En ce cas vous avez accompli un miracle. (Donata paraît en haut de l'escalier, dans une longue robe noire. C'est une très belle jeune femme blonde, d'une trentaine d'années, aux traits réguliers; très fine; la fragilité est dans son attitude, ses gestes, mais de sa personne émane une énergie rare; une increvable santé perce sous l'apparente faiblesse. Elle commence de descendre lentement, dans le silence, comme ailleurs, perdue. Une fois presque au milieu, d'une voix basse, très douce: ) Donata : Excusez-moi si je vous ai fait attendre... Je crois que je n'aurais pas dû venir... Je... Oh, mon Dieu, je me sens si perdue... si incertaine de tout... Je ne savais que décider... Robert m'a encouragée à descendre, alors je suis descendue. Robert (doucement) : Mais bien sûr; pourquoi pas ? Viens. (Donata reprend sa descente lente, précautionneuse. A deux trois marches du bas : ) Donata (aux Gevrais) : Pourquoi ne m'avez-vous pas laissée ? Donata, en moi, était morte; j'étais heureuse. (Un silence. Elle descend les dernières marches.) Irène (rompant le silence et l'embrassant) : Très réussie ta descente d'escalier, ma chérie. Xavier (l'embrassant à son tour) : Après deux mois de répétition, tu as été à la hauteur. Donata (indignée, s'animant) : Mais je n'ai pas joué !

Jean Sibil Une Passade de Donata

  • Upload
    ferkes

  • View
    216

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

  • Une passade de Donatade

    Jean SibilUn grand salon avec un escalier, les volets sont baisss (ferms). Un couple en tenue de ville,Xavier et Irne Gevrais, elle la trentaine, lui la quarantaine; un homme en tenue plus dcontracte, la trentaine, Robert.

    1. Xavier : En haut ?Robert : Elle va descendre.Irne : Elle va d'abord nous faire attendre. Jusqu'au moment o on sera exasprs. Je connais ses raffinements.Robert : Elle a chang.Xavier (railleur) : C'est une grande actrice; Donata change souvent.Robert : Elle a renonc son art.Irne : Foutaise.Xavier : Vous nous avez bien annoncs comme je vous avais dit ?Robert : Oui oui. Je ne connais pas votre nom de toute faon. "L'homme l'impeccable complet."Irne : Et mon chapeau ? Vous lui avez parl de mon nouveau chapeau ? (Il est trs lgant et sobre; rien de comique.)Robert : A une poque o l'on n'en porte plus gure, je n'aurais eu garde d'oublier. Curieusement cela a sembl l'amuser, excusez-moi de ce terme, et je crois que c'est ce dtailqui l'a dcide descendre.Irne : A nous faire poireauter. J'aurais prfr un "non", alors je serais monte.Robert : Voil Donata.Irne (stupfaite) : Vraiment ?Xavier ( mi-voix) : En ce cas vous avez accompli un miracle.(Donata parat en haut de l'escalier, dans une longue robe noire. C'est une trs belle jeune femme blonde, d'une trentaine d'annes, aux traits rguliers; trs fine; la fragilit est dans son attitude, ses gestes, mais de sa personne mane une nergie rare; une increvable sant perce sous l'apparente faiblesse.Elle commence de descendre lentement, dans le silence, comme ailleurs, perdue. Une fois presque au milieu, d'une voix basse, trs douce: )Donata : Excusez-moi si je vous ai fait attendre... Je crois que je n'aurais pas d venir... Je... Oh, mon Dieu, je me sens si perdue... si incertaine de tout... Je ne savais que dcider... Robert m'a encourage descendre, alors je suis descendue.Robert (doucement) : Mais bien sr; pourquoi pas ? Viens.(Donata reprend sa descente lente, prcautionneuse.A deux trois marches du bas : )Donata (aux Gevrais) : Pourquoi ne m'avez-vous pas laisse ? Donata, en moi, tait morte; j'tais heureuse.(Un silence.Elle descend les dernires marches.)Irne (rompant le silence et l'embrassant) : Trs russie ta descente d'escalier, ma chrie.Xavier (l'embrassant son tour) : Aprs deux mois de rptition, tu as t la hauteur.Donata (indigne, s'animant) : Mais je n'ai pas jou !

    {C0A8C59 F- 6E8F -43c 4-8 453 -65D 208 276 F4 0}{ 766 444 2A-75 95- 4FF8- 9C79 -0BB2B97 887AE} {C0A8C5 9F-6E8 F-4 3c4- 845 3-6 5D20 827 6F40}

  • Robert : Bien sr que non !Xavier ( Robert) : Elle a le jeu dans le sang, elle ne peut pas s'en empcher.Donata : C'est faux !Irne ( Donata) : Que dis-tu de mon nouveau chapeau ?(Donata a un petit rire. Puis: )Donata : Il faut le porter lgrement inclin sur la gauche. (Changeant elle-mme la position.)Voil.Xavier (en connaisseur) : Oui, c'est mieux.Irne : Vraiment ? Il y a un miroir quelque part ?Robert : Donata les a tous cachs sous des tissus de diverses couleurs.Xavier (amus) : De petits rideaux de thtre ?Irne : Un bout de tissu, a s'arrache, o y en a-t-il un ? L ? (Elle avise un morceau de tissu rouge ple qui n'attirait pas l'attention dans la tapisserie patchwork mais lgante. Elle tire d'un coup sec. On voit apparatre un portrait de Donata.Un silence.Irne va vers un autre grand morceau de tissu, vert ple, tire avec moins de conviction; c'est un miroir.Tous s'y regardent un instant.)Donata (mettant ses mains sur ses yeux) : Je ne veux pas !Robert (doucement, la prenant dans ses bras) : Tu peux bien tre plusieurs et mme innombrable, ma chrie, dans des tableaux, dans des miroirs, je retrouverai toujours ma Donata parmi toutes les autres. La vraie.Donata : Alors, la seule.Robert : La seule vraie.Xavier (ironique) : Moi j'aime beaucoup la mienne.Irne ( Robert) : Vous la verriez avec un chapeau. Quelle classe elle a ! Tu as raison, chrie, il faut que je l'incline gauche.Donata (satisfaite) : Ah.2. Robert ( voix basse, Donata) : Qui sont ces gens ?Donata : Ah oui, tu ne les connais pas. (Railleuse.) Ce sont les Givrs.Irne (faussement scandalise) : Oh.Xavier (tendant la main Robert) : Irne et Xavier Gevrais, a,i,s. Mais le surnom ne me dplat pas.Irne (serrant la main de Robert) : Et vous, Robert Vidal, je sais.Donata (perfide) : Tu le sais comment ?Robert (logique) : Il a bien fallu qu'ils connaissent mon nom pour trouver l'adresse.Donata (perfide) : Oui, mais comment ?(Irne rit.)Xavier (tranquillement) : La mme agence de dtectives que d'habitude. On peut s'asseoir ? (S'asseyant, Robert.) Ils se sont spcialiss en Donata : protection, recherche... et discrtion.Donata : C'est toujours Henri mon chien de chasse ?Xavier : Toujours.Irne (enlevant son chapeau qu'elle va poser sur un buffet) : Il te remercie du cadeau pour le baptme de sa petite dernire. Sa femme y a t galement trs sensible.Donata : La petite va bien ?Xavier : Naturellement.Irne : Toute leur famille bnficie d'une clatante et insolente sant.Donata (mlancoliquement) : Je n'ai pas eu cette chance.(Petit rire d'Irne.)

  • Xavier (faussement srieux) : Irne, ne glousse pas, s'il te plat, quand Donata parle de sa sant dlicate.Irne (se rasseyant, faussement confuse) : Je m'excuse, poux vnr. Mon inconduite me fait honte.Robert (qui ne comprend pas) : Ben quoi, qu'est-ce qu'il y a ? Etre de sant dlicate n'a rien de risible.Irne (dramatique) : Comme vous avez raison. Je suis une affreuse criminelle.(Donata coute, amuse.)Xavier ( Robert, avec curiosit) : Vous avez dj vu notre Donata malade ?Robert : ... Pas prcisment.Irne : Pourtant avec tout l'alcool et les drogues qu'elle a ingurgits... d'autres sont au cimetire pour moins que a.Xavier ( Robert) : Qu'est-ce qui vous donne penser que notre Donata adore serait de sant dlicate ?Robert (navement) : Ben... elle me l'a dit.(Irne pouffe.)Xavier (faussement svre) : Madame notre pouse, de la tenue ! Enfin !... (A Robert, gaiement.) Et vous l'avez crue !Irne (en joie) : Depuis la maternelle que j'ai envie de la soigner. Elle a toujours exig le rle du docteur !Donata (soudain rieuse, marchant sur Irne) : Tais-toi ou je te fais une coiffure l'iroquoise !Irne (joyeusement) : Au secours ! (Se dbattant contre Donata qui lui attrape les bras, Robert.) Elle a vraiment commis ce crime, savez-vous. Au lyce. Elle m'a moiti tondue ! J'ai d, et c'tait la premire fois, porter un chapeau... pour qu'on ne se fiche pas de moi !Donata (lui donnant de petites tapes) : Tu te tais maintenant.Irne : Oui, matresse. Je me tais.Donata : Promis ?Irne : Promis.(Donata de laisse tomber assise ct d'Irne.)Robert (tonn, Donata) : ... Toi rieuse, je n'en reviens pas.Xavier : Y a rien lamper ni becqueter, hein ?Robert : C'est--dire...Irne (suppliante) : J'ai si faim. J'ai si soif.Xavier : Elle vous a dit de jeter l'alcool bien sr, pour son rgime sec. Vous avez regard sous l'vier de la cuisine, au fond droite ? C'est l qu'elle planque l'ultime rserve d'habitude.(Robert regarde Donata qui obstinment ne le regarde pas. Tout d'un coup il fonce vers la cuisine, au fond du salon. Grimace de Donata.)Irne (critique, son mari) : C'est malin. Pourquoi tu lui as dit ?3. Xavier : Pour qu'il s'en aille. Donata, ma chrie, je ne suis pas venu pour du tourisme. Plus de deux mois recluse, loin des mdias, ou tu rentres ou tu es finie. On a parl de ta disparition, puis, comme il n'y avait plus rien dire et crire, on a commenc de t'oublier. A toi de dcider, mais fais vite. C'est maintenant.Irne (pour attnuer) ; Il t'aime beaucoup, tu sais, mais l'amiti pour Xavier est lie aux affaires. Il est comme a.Xavier : Le film qu'on te propose te propulsera du niveau de vedette nationale celui de vedette internationale. Voil en gros le scnar...Donata (criant, mettant les mains sur ses oreilles) : Je n'entends pas ! Je suis sourde !Irne (pour attnuer l'effet, Xavier) : Elle te fait confiance pour le scnario. Elle t'a toujours fait confiance.

  • 4. Robert (revenant avec la bouteille et deux verres, Donata) : Je n'ai pris que deux verres, pour tes amis, mais peut-tre en aurait-il fallu un troisime ? Donata : Non. Ne sois pas mchant... J'avais oubli cette bouteille.(Robert la dbouche.Silence.)Robert (pour meubler, regardant le portrait) : Quand j'ai vu ce portrait dans une galerie, j'ai eu l'impression de te dcouvrir, de voir l'artiste derrire ses masques dans les films et les pices. Les autres, y compris les photos, ne te montrent que comme une femme ravissante.Donata : ... "Ah vraiment ? Je n'en ai pas vu un seul qui me plaise."Irne : Oh, l'exigeante !Xavier (amus) : Pirandello.Irne (se souvenant) : Ah oui.Robert (leur prsentant leurs verres) : Comment ?Irne : Merci.Xavier (rassrn et joyeux) : Si ce n'est qu'une crise pirandellienne, alors a va.Irne : Sa crise hugolienne a t terrible, tu te rappelles ? (A Robert.) Elle voulait se suicider avec...Xavier (lui coupant la parole) : Et grignoter ? Ma femme a une faim !Irne (surprise) : Quoi ?Xavier (svre) : Tu as faim.Irne : Ah oui. (Hurlant.) J'ai faim !(Donata rit.)Robert (les regarde, puis) : Je vais chercher des amuse-gueule.Irne : Oui. Des gros !(Robert sort, remportant la bouteille.)5. Xavier ( Donata) : Tu crois tre redevenue comme les autres, avec tes fentres fermes et tes volets baisss alors qu'on est encore en t ? que le ciel est d'un bleu magnifique ? Tu ne seras jamais normale. Oublie oui. Normale jamais. Tu t'es mise dans un tombeau. Il en aura vite marre.Donata : Marre, lui ? Non !Xavier : Alors, pourquoi est-ce qu'il nous a laisss entrer ?Irne : Le fait est qu'on n'a pas eu beaucoup insister.Xavier : Il est au bout de son dvouement l'amour. Il ne le sait pas encore. Mais il cherche ouvrir les fentres et la porte.Donata : Il ne me trahira pas.Xavier : Vous tes ici coups du monde, enferms, comme dans une tombe. Vous tes des morts-vivants. Mais tu seras la morte et il restera vivant. Donata : Il m'a sauve de la drogue, il me retient la vie, je vis par lui.Xavier : Il fatigue te retenir au-dessus du gouffre. Il a aim une vedette et tu en es de moins en moins une.Irne : Quand tu te seras efface des mmoires des autres, tu commenceras de t'effacer dans la sienne, alors mme que tu seras devant lui.Robert (rentrant avec une assiette charge) : Et voil le service pour affams.Xavier (prenant un biscuit) : Merci. Parfait. (A sa femme qui n'y pense pas.) Eh bien, mange !Irne : Ah oui. (Elle prend un biscuit qu'elle croque. A Robert.) Mon estomac, monsieur Vidal, vous gargouille merci.Xavier ( Robert) : Vous avez des projets d'avenir ou vous avez l'intention de rester clotrs?Robert (firement) : Nous allons bientt renouer avec la nature. Nous allons devenir fermiers.Xavier (le biscuit en l'air, regarde Donata) : Fermiers ? Donata fermire ? (Elle regarde dans le vide.)

  • Irne : Quand on tait au collge on a eu un stage la ferme toutes les deux. (En confidence Robert.) On n'tait pas trs doues pour les tudes, ni l'une ni l'autre. La paysanne a dcid de nous apprendre traire une vache. (Donata a un petit rire ce souvenir et cache sa bouche de sa main.) Cette vache n'tait pas contente, elle parlait tout le temps mais elle avait un tel accent paysan qu'on ne comprenait rien. (Nouveau petit rire de Donata; mme jeu de la main.) Le paysan est venu aider sa femme dialoguer avec la vache. Ils faisaient un barouf tous les trois ! Ah les sauvages ! On a pris la poudre d'escampette, on a couru jusque chez nous, on ne s'est pas retournes. (Donata et Irne rient, Xavier sourit, Robert est perplexe.)Robert : Pourtant Donata adore les fermes. Elle m'a dit avoir jou une fermire dans un tlfilm, que je ne connais pas, quoique j'aie cru les avoir tous vus... (Xavier et Irne semblent chercher mais ne trouvent pas.) Elle adorait le village en bois autour de son tang...Irne (qui a l'illumination) : Ah oui ! Le village de Marie-Antoinette Versailles ! (A Xavier qui visiblement ne se souvient pas.) Elle a jou Marie-Antoinette, ses tout dbuts, son deuxime ou troisime tlfilm. C'tait avant toi.Xavier (mprisant) : La priode o elle cultivait les navets.Robert (choqu mais revenant son ide) : ... On a parl longuement des choix effectuer, car on doit tre ralistes, ne pas se lancer en nafs de la ville. Nous allons apporter notre contribution dans la lutte contre les pesticides et pour une nourriture saine.Irne : Vous avez parl tous les deux ou elle a seulement cout ?Robert : Elle a une manire d'couter qui est parlante.Xavier (perfide) : Elle ne vous a pas dit ? Nous lui avons prsent une contre-proposition.Robert (inquiet, regardant Donata) : Une contre-...Xavier : Un film avec un grand ralisateur. Qui la rendra tout fait clbre.Robert (bafouillant un peu) : Elle n'aime pas la clbrit. (Il regarde Donata.) N'est-ce pas ?Donata : Je ne l'ai pas cout.Irne : Elle a jou la sourde. (Criant et mettant les mains sur ses oreilles.) Je suis sourde !Xavier (perfide, Robert) : C'est pour a qu'elle semble couter si bien.Donata (elle se lve brusquement; Robert) : Ma vie passe est derrire toi. Ne t'carte pas.Robert (qui ne comprend pas) : Comment "derrire moi" ? Ta vie toi est derrire toi-mme, je pense...Donata : Je t'ai mis entre elle et moi. a me fait moins peur que de la sentir dans mon dos; prte m'agresser... me tuer. Tu me protges, tu me sers de rempart. J'irai avec toi o tu voudras.Robert (gar) : Mais nos projets... sont... ensemble...(Xavier sort son smartphone et parat trs occup. Irne regarde dans le vide comme si elle voyait le vide.)Donata : Je t'ai dit ce qui te ferait plaisir.Robert : Oui... mais quand mme ! Marie-Antoinette !...Donata : C'est tout ce que je connaissais... Et puis ce tlfilm n'tait pas si mauvais... On devrait le ressortir dans les "Vidos la demande".Robert (berlu) : Je croyais que tu ne pensais plus ... tout a.Donata : Bien sr, chri, je n'y pense plus... Mais il m'a vexe l'autre, l, ce n'tait pas du tout un navet.(Aucune raction de Xavier trs occup avec son tlphone.)Irne (se levant) : Vous permettez que j'ouvre, je me sens claustrophobe. (Sans attendre de rponse elle a pouss le bouton qui actionne un volet, lequel commence de s'ouvrir. La lumire du soleil entre peu peu. Elle reste devant la fentre, elle regarde le jardin luxuriant qui apparat.)Robert ( Donata) : Es-tu sre que tu es une femme pour moi ?

  • Donata (lgrement) : Je suis sre que tu es un homme pour moi, chri, n'est-ce pas la mme chose ?Robert : ... Qui es-tu Donata ? Je croyais le savoir. Je ne le sais plus.Donata : Qu'est-ce que tu aimes en moi ?Robert (railleur) : J'ai toujours apprci les grandes blondes fines, aux traits rguliers, aux belles formes rondes. A la Botticelli, Lippi, Bellini...Donata (impatiente) : Tu aimes qui, eux ou moi ?Robert : Ben, eux ils sont morts... (Donata rit et lui donne des tapes. Il rit en reculant. Elle se met dans ses bras.) Qui es-tu Donata, quand on te dpouille de Hugo, Corneille, Ibsen... Pirandello... etc... All ? Il y a quelqu'un en-dessous de ces oripeaux ?Donata (trs chatte) : Il y a Donata.Robert : Y est-elle vraiment ? J'ai peur qu'il ne reste pas grand chose les vtements enlevs.Donata : Ce n'est pas parce que tu ne m'as pas trouve que je n'existe pas.7. Xavier (regardant son smartphone) : Il y a plus grave que vos petits problmes de narcissiques nvross.Robert : Je ne suis ni narcissique ni nvros.Xavier : Plus de trois cents morts dans un accident d'avion...Irne (se dtournant de la fentre) : O cela ?Xavier : Pas bien loin d'ici. Aux contreforts des Alpes.(Donata et Robert s'cartent.)Irne : O est la tl ? Sous du tissu, je suppose ? L ? Non... Ah ! Elle fonctionne au moins ? (Irne prend la tlcommande ct, appuie sur un bouton, change de chane... On voit une scne de dsastre, un appareil disloqu, des fragments de corps; le commentaire du journaliste renseigne sur la destination : Naples, sur l'heure du dpart : 10 h; incertitude sur le nombre exact de passagers...)Robert (trs choqu) : Pauvres gens.Irne : La descente quand tu sais que tu vas t'craser, ce doit tre affreux.Xavier : Ils sentent arriver la mort de tous leurs rves.(Donata ne regarde pas l'cran, elle est alle s'asseoir et lui tourne presque le dos.)Robert (s'en apercevant, Donata) : Tu ne viens pas voir ?... Tu ne dis rien ?(Donata ne rpond pas.)Irne (dans un souffle, Robert) : Ne la tourmentez pas.Robert (impatient) : J'attends juste d'elle qu'elle dise qu'elle plaint ces gens !Irne ( mi-voix) : Ne la brusquez pas.Robert (gar) : Quoi ?Xavier (fort) : Elle ne peut pas comme nous se protger du drame par des banalits. (Regardant Robert bien en face.) Elle ne peut pas rester l'extrieur de ce qu'elle voit. Tout l'affecte "directement", ne le savez-vous pas ? A quoi vous a donc servi tout ce temps pass avec elle ? C'est surtout pour cette raison qu'elle se drogue.(Donata reste sans raction, elle regarde vers la fentre.)Irne ( Donata) : Quel bel effet ce soleil dans le feuillage des arbres.Donata (d'une voix un peu lointaine) : Un soleil immuable.Irne : Avec toute la flotte qu'on a reue sur le crne avant-hier, Xavier et moi, et Marseille encore, on ne peut pas prtendre a.Donata (revenant, presque intresse) : Alors, il a plu ?Irne : Oh que oui. Que d'eau, que d'eau !Xavier : Emmne-la voir les fleurs. Il faut que je parle Robert.Irne : Oui. (A Donata.) Viens, on va voir le jardin.(Elle lui a pris la main et tire doucement.)Donata (se laissant entraner) : Le jardin est fleuri ? Je ne le savais pas.

  • (Elles sortent sans que Donata se retourne.Xavier arrte la tlvision.)8. Robert (perdu) : Qu'est-ce qu'elle a ? Elle m'en veut ?Xavier : L'indiffrence, pour Donata, c'est, comme disent les policiers, crer un primtre de scurit.Robert (perdu) : Autour du drame ?Xavier : Non, autour d'elle. Pour elle... Parce que si on est trop sensible, on est victime.Robert (croyant comprendre) : Ah, l'empathie...Xavier : Mais non, l'empathie c'est quand on a des frontires, des barrires franchir pour se rapprocher des autres, et il en reste toujours. Elle n'a pas de barrires.Robert : Je ne comprends pas.Xavier : Imaginez un tre sans contours fixes, des contours qui se modifient suivant ce qui les approche; cet tre change de forme, d'aspect, il semble ne plus tre lui-mme aux autres, et parfois lui-mme ne se retrouve plus. Donata est ainsi.Robert : Avec moi, elle a toujours t trs... ordinaire.Xavier : Avec vous, elle a t comme vous. Avec nous elle est comme nous. Etc... Personne n'est "ordinaire", et elle est moins "ordinaire" que personne.Robert : Je ne vous crois pas. Vous voulez nous sparer.Xavier : Vous avez forcment lu les dtails de sa vie ? Son accident de voiture et les heures attendre les secours avec le conducteur mort ct d'elle, les mois d'hpital et de rducation, le refus de sa mre de la revoir, le premier amour de sa vie s'est suicid quand elle l'a quitt en crivant que c'tait cause d'elle, ses compagnons finissent tous par la tromper, deux dpressions, trois cures de dsintoxication... et j'en passe.Robert (irrit) : Des ragots de magazines scandales !Xavier : Elle vous a dit a ?Robert : ... Non... Quand on voque son pass, elle a des propos si... bizarres... cyniques, oui. Je ne la reconnais plus.Xavier (railleur) : Quand elle redevient elle-mme, vous ne la reconnaissez plus ?9. (Irne et Donata rentrent.)Irne : Superbes ces fleurs qui ne connaissent pas le jardinier.Donata (s'est arrte; timidement Robert) : Je suis triste pour ces gens, moi aussi.Robert (gn, sans bouger) : On ne peut pas consoler leurs proches, on ne peut malheureusement rien.Donata (sans bouger) : Tu m'en veux ?Robert (sans bouger) : Non, bien sr que non... Moi je ragis trop vite.Xavier (intervenant) : Et de faon superficielle.Irne (pour changer de sujet) : Quand Donata sera fermire, elle aura un jardin magnifique.Donata (s'avanant au centre de la scne) : Irne m'a sermonne. (Souriant.) Mais je n'en avais pas besoin. (Comme perdue.) Le monde est revenu vers moi.Robert (dsignant les Gevrais) : Ils sont arrivs trop tt. Nous l'aurions redcouvert ensemble. Il aurait t trs diffrent.(Un silence.Donata sa rassied en prenant grand soin de tourner le dos la tlvision.)Donata (lentement et d'un ton neutre) : Quel drame... Quelle horreur.Robert (tristement) : Oui. Ah...Donata (cette fois avec tristesse) : Quel drame... Quelle horreur.Robert : Eh oui. (Avec conviction et vhmence.) Oh si Dieu existe, comment, comment peut-il...!Donata (avec conviction et vhmence) : Quel drame !... Quelle horreur !Robert (tonn) : Pourquoi rptes-tu ces mots ?

  • Donata : C'est moins vrai si on les rpte ?Robert : On dirait une... que tu te moques de ces gens !Donata : Non. Quelle curieuse ide. Je suis sincre.Irne : Donata est toujours sincre.Xavier ( Donata) : Bravo, chrie, en trois essais tu as trouv le ton juste. (A Robert.) Ce n'est pas si facile, voyez-vous. Essayez de dire : Quel drame... Quelle horreur...Robert : On n'est pas au cinma !Irne : Donata tait sortie de scne, elle vient d'y rentrer.(Un silence. Robert regarde les uns et les autres. Il semble rflchir.)Donata (assise; sans bouger) : Qui es-tu Donata ?... Autrefois je me suis beaucoup cherche et quand je me suis trouve, je n'ai pas vraiment t ravie de la dcouverte. Alors l, pas vraiment. J'ai essay de... m'amliorer. J'ai eu recours Corneille, Feydeau, Hugo, Molire, Ibsen, etc.; tous voulaient m'aider. Et force d'amliorations en somme, je me suis un peu perdue de vue. Je suis devenue innombrable; et o est Donata ? Je ne sais pas... Le cinma m'a prise dans ses images. Je suis devenue image. Une image anime. Je me suis place en face de moi et je me suis regarde. Celle en face tait si riche de ralits, j'tais la pauvre. Ma vie m'a fait piti. Si ma vie quotidienne tait bien la mienne, seule celle de mes images valait la peine d'tre vcue... La presse et les rseaux sociaux ont commenc de m'inventer, je me suis regarde apparatre. J'ai vu la naissance de Donata... Elle est ne de l'art et des mdias, elle est l'art et les mdias qui ont pris une forme peu peu devant moi, cette forme tait moi, cette forme est Donata... A certains moments je crois pourtant tre quelqu'un d'autre. Je suis persuade qu'il y quelqu'un d'autre en moi. Je me demande : O est la vraie Donata ?... Mais je ne le sais pas.Robert : C'est pour a la drogue ?Donata (sans bouger et sans le regarder) : La porte et les fentres fermes, tu avais arrt le temps pour moi. Nous aurions pu vivre ternellement sans que rien ne change. Rien ne pouvait plus nous toucher. Nous n'avions besoin ni de drogues ni de l'indiffrence... Donata tait sortie de moi, elle tait partie, je l'ai sentie partir. J'tais libre. Libre d'elle. Il aurait suffi que tu ne rouvres jamais la porte et les fentres. J'avais tellement confiance en toi. (Un temps.)Tu as commenc de t'ennuyer avec moi. Je l'ai compris, je m'en dsolais, j'esprais quand mme. Et tu as ouvert. La vie est revenue. Donata est revenue. Je l'ai sentie revenir en moi. Elle reprend possession de mes mains, elle reprend possession de mes bras, elle reprend possession de mes yeux, elle reprend possession de mes pas... (Se levant brusquement et marchant avec une lgret nouvelle.) Regarde-la marcher ! Ces pas ne sont pas les miens; (Se plaant devant le miroir.) ce visage n'est pas le mien; le son de cette voix n'est pas le mien ! Je les reconnais, ce sont ceux de Donata... Je me sens disparatre. (Regardant Robert.) Tu m'as perdue ! perdue ! Je ne reviendrai jamais ! J'avais tellement confiance en toi !(Un silence. Robert semble atterr. Irne compatissante. Xavier lointain.)Xavier (brusquement) : Si on djeunait ? Il est midi pass.Robert (berlu) : Comment ?Xavier : La cuisine, par l ? Montrez-moi... Montrez-moi ! (Il le tire sans mnagement. Robert hsite et se laisse entraner. Xavier sa femme qui ne bougeait pas et pensait rester.)Non, viens aussi, toi. Laisse-la seule... (Sortant avec Robert et trouvant une justification.) On a besoin de toi pour la cuisine.(Irne hsite et le suit.)10. (Donata seule regarde lentement autour d'elle, puis elle court la fentre, regarde par la fentre, se retourne; elle rit joyeusement. Soudain elle effectue une sorte de danse sauvage. Elle s'effondre sur le canap.)Donata : Salut, toi... Salut, moi... Bienvenue la maison... Je suis de retour... Qu'est-ce que tu as fait tout ce temps ?... Y a-t-il des mondes parallles o vivent les tres fantmes comme toi

  • ?... (Se prenant dans ses bras.) Jure-moi que nous ne nous quitterons plus... Les hommes sont dcevants, ils ne devraient pas avoir le droit de sparer une femme de son fantme... Tu sais que nous allons devenir fermire ?... (Un silence. Donata, redevenue srieuse, rflchit.)Passons aux choses importantes. (Elle va jusqu' un meuble sur lequel se trouve son ncessaire pour se vernir les ongles, approche la table basse du canap, y pose le ncessaire, s'assied sur le canap, pose les pieds sur la table et commence de s'occuper de ses ongles.)Mes pauvres, elle vous a laisss dans un tat ! Oh. Vous si mignons. Je suis trs choque. (Elle va accomplir avec soin tous les travaux indispensables selon le grand art. Chantonnant: )Petits Franais, petits Franais,Y a plus d'sous, y a plus d'foin, y a plus rien;Petits Franais, petits Franais, Fait' cuire vot' pain !(Elle s'arrte, regarde l'tat gnral des ongles.)Garde vous !(Chantonnant et commenant de vernir.)Petits enfants de la patri-i-i-e,Le jour de gloire est arriv...(Changeant tranquillement de ton et passant la chanson de P. Perret.)Tout, tout, tout sur le zizi, Des grands, des gros, des moyens, des p'tits.(S'arrtant brusquement, le pinceau en l'air.)Ah oui, le drame ! L'avion !... Il faudrait que je trouve de bonnes paroles pour qu'il soit content... (Riant.) Pas de bavures, Donata ! (Se remettant peindre ses ongles. Ton grave: )Mes condolances les plus sincres. (D'un ton lger: ) Le problme c'est que je n'ai pas de texte... Je ne voudrais pas qu'il me juge immorale, inconsquente, insensible, des trucs la con comme a... (De mauvaise humeur.) Des drames, y en a tout l'temps. Il faudrait tre sinistre tout l'temps ! (Professorale, le pinceau en l'air.) Ce qu'il faudrait, c'est une rduction significative du nombre de drames. (Finissant son oeuvre, ton grave: ) Je suis profondment touche du sort impitoyable de ces malheureuses personnes qui n'avaient pas mrit de mourir ainsi. (Satisfaite, on ne sait s'il s'agit de la phrase ou des ongles termins.) Oui-i-i.11. (Entre Irne.)Irne : La crise est passe ?Donata : Ecoute a : Je suis profondment touche du sort impitoyable de ces malheureuses personnes qui n'avaient pas mrit de mourir ainsi.Irne : Ah, la phrase de "Il pleut toujours quelque part" o tu jouais le maire de la ville. Aprs l'incendie.Donata : Tu crois que Robert sera content ?Irne : S'il connat le film, probablement pas.Donata (mcontente) : Ah... Lui aussi est un cas difficile. (Avec un peu d'apprhension: ) Ils te suivent ?Irne : Non. Leurs talents de cuisinier sont en grande discussion.Donata : Y a qu'des choses rchauffer.Irne : Tu connais Xavier, il faut assaisonner.Donata : Ah oui. (Elle rit.)Irne : Tu penses au film ?Donata : Non.Irne (ironiquement) : Alors c'est fini ?Donata : Quoi ?Irne : La scne, le public, le cinoche...

  • Donata (prise de panique) : Hein ?... (Mettant les mains sur les oreilles et criant.) Je suis sourde ! Je suis sourde !Irne : Calme-toi. Ce n'est pas Xavier, ce n'est que moi.Donata (se levant et bien en face) : Robert et moi nous allons nous marier !Irne : Bon. Pourquoi pas ? Des tas de gens se marient. Y a pas d'mal a.Donata : Et il m'aimera toujours.Irne : Bien sr... Il a de l'argent pour te verser une bonne pension alimentaire ?Donata : On ne se quittera jamais.Irne : Bien sr... Tu lui as expliqu en dtail qui est Donata ?Donata : Tu m'as entendue, non ? Ou tu es sourde aussi ?Irne : J'ai entendu quelques gnralits. Il y a loin des gnralits la vie quotidienne, surtout avec toi.Donata : Il m'a vue compltement sous l'emprise de la drogue quand nous sommes arrivs ici.Irne (s'asseyant) : C'est encore dans ces moments-l que tu es la plus supportable.Donata (indigne) : Oh !Irne : Et c'est ton unique amie qui te le dit.Donata (vertement) : Eh bien, sa remarque, elle peut la garder.Irne : Tu veux que je lui fournisse tous les renseignements ncessaires ?Donata : ...Irne : Il faut qu'il sache avant que tu te dcides au sujet du film.Donata : Il m'a change.Irne : Tu tais de sortie de toi-mme, tu es revenue.Donata : Youpi.Irne : Il a le droit de savoir avant d'pouser. Tu avais prvu de le lobotomiser d'abord ?Donata (amuse) : Le pauvre chri, pourvu que a ne lui fasse pas mal. (Prenant un ton insinuant et perfide.) Il te plat, hein ? J'ai vu a dans ton oeil. Mais chasse garde, la givre, compris ?Irne (riant) : Givre toi-mme. Moi je ne la suis que par copie.Donata (amuse) : La petite escargot imite la cigale.Irne : Moins la drogue, chrie !Donata : Un peu quand mme.Irne : Dame escargot sait s'arrter, elle est quelqu'un de raisonnable.Donata : Et ta limite est toujours fascine par le hors limite ?Irne : Tu es mon rve, Donata, tu le sais bien. Mon rve ne va pas s'enfermer ici ?Donata (brusquement joyeuse) : Alors on danse ?Irne (riant d'avance) : Comme autrefois ?Donata (criant et se lanant) : Imite si tu peux !(Sa danse est spectaculaire, avec une marche en cercle grandes enjambes - penche en avant et les bras balancs violemment -, sauts virevoltants, succession de petits pas rapides, reprise des grandes enjambes etc...Irne la suit de prs, parfois elle a un peu de retard dans les mouvements et les gestes mais elle russit redevenir presque synchro.)12. Xavier (rentrant avec Robert; ils portent des assiettes et des plats) : La srnit a vaincu le dragon ? Les courageux peuvent revenir ?(Irne s'effondre sur le canap, essouffle.)Donata (pas essouffle, levant une jambe et mettant firement un de ses pieds sous les yeux de Robert) : Hein ?Robert (qui ne comprend pas) : Oui...Donata (due) : Ah...(Elle va s'asseoir prs d'Irne qui s'allonge et pose la tte sur ses genoux.)

  • Xavier : Plats arrangs maison. Jambon moutarde. Jambon sauce tomate. Et mirabelles.(Robert distribue les assiettes.)Donata (estomaque) : Je croyais que vous faisiez rchauffer des plats ?Xavier : On n'a pas russi se mettre d'accord sur les plats rchauffer. Il y en a tellement dans son conglateur.Irne : Et la boisson ?Robert : Ah oui. (Il sort.)Donata : Qu'est-ce que vous avez fabriqu tout ce temps ?Xavier : On a discut... cuisine.Donata (ironique) : Cuisine ?Xavier : La cuisine est l'apptissante image du monde, manger, dguster; mais le monde, pouah; bref quand on parle de l'une on parle aussi de l'autre.Irne : Une tranche de monde, chri; nature.Donata : Pour moi avec mlange des sauces.(Robert rentre avec deux bouteilles d'eau et des verres.)Robert : Remplies au robinet juste avant consommation. Garantie fracheur.(Il distribue des verres et les remplit.Les autres mangent avec leurs doigts.)Donata (avec effort) : Tu veux remettre la tlvision, chri, s'il te plat ?(Effet.)Robert (touch) : Vraiment ?Donata : Puisque je te le demande...(Robert va appuyer sur la tlcommande, puis grignote comme les autres.)Voix la tlvision : On ignore encore s'il s'agit d'un acte terroriste, d'une erreur humaine ou d'un accident d la mto. Et maintenant, voici des suggestions de sortie pour votre week-end...(Robert arrte la tl.)Robert : C'est indcent, cette succession...Xavier : Franchement, y avait-il un enchanement possible ? Vous avez une transition proposer ?Robert : ... Quand mme !Irne ( Donata) : Soif.Donata : Tu peux courir. Bb est assez grand pour boire tout seul.Irne (se dressant et prenant son verre) : Boh...Robert (aux autres) : Enfin, vous ne trouvez pas ?Xavier : On ne peut qu'tre indcent, tout le temps.Donata : Robert a choisi d'tre rvolt.Robert : Mais parfaitement.Xavier (mangeant) : Etre impuissant avec bonne conscience.Robert : On peut lutter... sur tous les fronts !Xavier : En fermant porte et fentres ?Robert : a, c'est Donata. Mais on allait ouvrir... un jour ou l'autre.Xavier : C'est fait. (Railleur.) Luttez, je vous regarde.(Rire de Donata.)Robert ( Donata) : Qu'est-ce que tu as ?Donata : Pas de systme sans profiteurs du systme. Tu parles ici trois profiteurs.Robert (tonn) : Toi ?Donata : La russite n'est-elle pas un masque sduisant de l'injustice ? J'en ai bnfici. Donata est de l'injustice vivante.Irne (ironique) : Elle rtablit un semblant de justice en picolant et en se droguant.

  • (Donata se lche les doigts puis finit de les essuyer sue Irne -sans traces-, laquelle ne ragit aucunement.)Xavier : Sauter du quatrime tage n'empche pas l'ascenseur d'y monter.Donata : Au Cours Florent, une fille et moi nous ressemblions assez. Les autres en plaisantaient. Au casting du tlfilm qui m'a lance : "Le mari seul", elle tait en comptition avec moi. Il s'en est fallu d'un rien que ce ne soit moi qui lui ressemble assez.Irne : Un rien indfinissable mais essentiel.Xavier : Le "je-ne-sais-quoi" qui fascine.Robert : Et qu'est-elle devenue ? Tu t'en es soucie ?Donata : Oui, mon gosme s'en est souci... Elle est tombe sous la coupe d'un type qui l'apousse, ou force, accrotre la ressemblance par chirurgie esthtique, pour tourner des films pornos... C'est comme si j'avais deux vies, une russie, et une manque. Une valorisante, celle-ci, et une autre qui paie en humiliations pour mes triomphes... Si je n'tais pas venue in extremis ce casting, amene par Jean-Louis qui s'tait fch... mon ami de l'poque... et moi a ne me disait rien, je ne voulais pas venir... elle aurait eu le rle. Tu comprends ?... Je revois son regard quand on m'a annonc devant les autres, sans mnagements pour elles, que j'tais choisie. Ah, ce regard. Dsespr. Elle avait besoin de ce rle... Elle n'tait plus qu'une copie. Dfinitivement.Robert (perdu) : Tu n'aurais pas pu... l'aider ?Donata : Comment ?Robert : Je ne sais pas, moi ! L'aider...Donata (qui attend) : ... ?Xavier : C'est au "comment" que l'on attend les indigns.Irne : En gnral ils s'arrtent l.Donata : Les gueules casses du mtier paient pour les autres, et on retrouve a partout. Je suis une profiteuse innocente.13. (Sonnerie du tlphone de Xavier. Il prend la communication, coute.)Xavier : Ah...(Il remet le tlphone dans de ses poches.Il semble proccup.Un temps.)Irne (s'impatientant) : a ne concerne que toi, je suppose ? Xavier (regardant Donata, avec hsitation) : Marc tait dans l'avion, on vient de me prvenir. (Donata le regarde fixement, sans bouger, les yeux lgrement agrandis. Un temps.) ... Oui. Ce Marc-l.Irne : ... Mais, parfois, dans ces accidents, il y a des rescaps...Xavier (nettement) : Non.Robert (perdu) : ... Il s'agit de l'un de vos amis, naturellement. Trs proche sans doute ?Xavier (mettant les points sur les i) : Marc Allirel, on ne peut pas s'intresser Donata et ne pas savoir qui c'est... c'tait.Irne : Son compagnon durant quatre ans. Et producteur de plusieurs de ses films. (Xavier la regarde avec humeur; elle se tait.)(Un silence.Donata semble ailleurs. Ayant fini son assiette, elle prend celle d'Irne qui y avait peine touch, et se remet manger.)Robert ( Donata) : Mais... dis quelque chose au moins.Xavier ( voix basse, Robert) : Il vaudrait mieux la laisser tranquille.Robert (d'une voix forte, criant presque) : Pourquoi ? On est ensemble ou pas ? Si on est encore ensemble, on partage les peines !

  • Donata (d'une voix lente, lointaine, sans marquer d'motion) : Il tait dj mort. Il a suicid notre couple.Irne (bas, Robert) : Vous savez, avec la belle Isidorette ?Robert ( Donata) : Et alors a ne te peine pas ? Tu l'as aim pourtant ?Donata : Tu as raison d'employer le pass... compos. Il appartient au pass; c'est la Donata du pass qui a de la peine, pas moi... Et on ne va pas le recomposer pour un dcs.Xavier (approuvant) : Ce serait absurde, chrie.Irne : Compltement absurde.Xavier : Un mort est mort, pas de quoi affoler les cimetires.Irne : Il a rat son atterrissage de retour parmi nous.Robert (stupfait) : Mais... ils osent plaisanter ! (Airs coupables de Xavier et Irne. A Donata: ) Enfin, quatre ans vivre ensemble... coucher ensemble...Donata : Oh... (Ton de la Donata des Givrs.) surtout lui avec moi. (Xavier et Irne pouffent.)Robert (hors de lui) : Silence, les gugusses !Irne ( mi-voix) : Je crois qu'il est fch.Xavier ( mi-voix) : Allons dans le jardin.(Ils sortent en punis.)Robert : A se demander quel est le pire des trois. (Donata lve la main.) Quoi ?Donata : C'est moi, chri ador... La pire.Robert : Toi ? Mais je t'aime.Donata (qui n'a pas boug) : Tu n'as mme pas admir comme j'ai remarquablement verni mes ongles de pieds. (Elle le regarde et se lve.)Robert (perdu) : Il y a un rapport ?Donata : ... J'aurais trop de peine, je ne veux pas avoir de peine du tout... Si je ferme les yeux, je vois ma vie en dbris parpills sur des kilomtres... mle ... tout et n'importe quoi... Ignoble. Et tu ne me protges pas !Robert : Mais il faut bien regarder la ralit !Donata (sombre) : Non. Moi je la joue. On me regarde, moi.Robert : Quand nous aurons des enfants, tu leur rpondras a ?Donata (lointaine) : Des enfants ?Robert : Oui, on en a parl, tu en voulais.Donata (lointaine) : Oh... a dpend des jours...Robert : Comment, "a dpend des jours" ! Les enfants existent en continu, pas de temps en temps !Donata (l'air ennuy) : Eh oui... Quelle journe !15. (Irne rentre, un tlphone la main.)Irne ( Donata, lui tendant le tlphone) : La veut te parler. (Donata reste fige.) Prends. (Elle lui met le tlphone dans les mains. A mi-voix: ) Elle nous entend l.Donata ( mi-voix, la main sur le micro) : Mais pourquoi lui as-tu dit que tu es avec moi !Irne ( mi-voix) : Elle voulait absolument savoir o tu tais. Elle se sent perdue !Robert (voix ordinaire) : Qui est La ?Irne : La femme, la veuve, de Marc.Robert (mu) : Dans ce cas, videmment...(Donata le regarde fixement.Un silence.Elle enlve sa main du micro et se dirige lentement vers la cuisine.)Donata : All ?... Oui, c'est moi...(Elle entre dans la cuisine.)16. Xavier (rentrant et jetant un rapide coup d'oeil pour savoir si Donata est l) : Elle tlphone ? Elle s'est dcide ?

  • Robert : Quels sont ses rapports avec cette La, femme de Marc ?(Un temps.)Irne (hsitante, en regardant Xavier) : Aprs l'pisode Isidorette...Xavier : Gros scandale.Irne : Il a fallu reconstruire une faade.Xavier : Vous en avez forcment entendu parler, ne faites pas l'innocent.Robert : Je ne fais pas l'innocent et j'en ai entendu parler. Je n'ai pens qu' la dtresse de Donata.Irne (touche) : Vous l'aimiez dj...Xavier : Isidorette, vous comprenez le prnom ?Robert : Non... Qu'est-ce qu'il y a comprendre ?Irne (lui soufflant) : Un travesti.Robert (choqu) : Oh.Xavier : L'entourage de Donata devait redevenir acceptable pour le public.Irne : On a command un sondage d'opinion comme pour un Prsident de la Rpublique.Xavier : Il tait moins une.Irne : Donata a coopr et a dcid La. A pouser Marc.Robert : Qui est donc La ? Dites-le moi !Irne (aprs avoir regard Xavier) : La et Donata se sont beaucoup drogues ensemble.17. (Donata revient, un verre la main, moiti vide, visiblement il ne s'agit pas d'eau.)Donata (l'air hargneux; regardant Robert) : Fait !... Quelle pleurnicheuse... Elle croyait qu'on allait le pleurer ensemble... On croirait vraiment qu'elle ne l'a pas eu pour mari lors d'un dstockage.Robert (sidr) : Un quoi ?Donata (sans tenir compte de l'intervention, regardant son verre) : Pas bon, ce truc. La fois prcdente j'en avais planqu du meilleur. Je croyais moins mon amour, aussi; cette fois j'tais tellement sre. Il suffisait de ne pas ouvrir. Pas-ou-vrir !Robert : Calme-toi. Tu es secoue par tout a, je comprends. Nous en parlerons tous les deux quand ils seront partis. Mais tu assumes tes responsabilits, c'est bien.Donata (stupfaite) : Mes responsabilits ? (Elle finit son verre d'un coup. Furieuse: ) J'ai pas fait s'craser l'avion, j'ai pas fait que Marcouse soit d'dans, j'ai pas fait que... J'y suis pour rien ! pour rien ! Qu'on me fiche la paix ! Voyez l'auteur !Irne (aimablement, Robert) : Elle est odieuse comme a parce qu'elle vient juste de se remettre boire. a ira beaucoup mieux quand elle aura vomi.Xavier : Elle ne supporte pas l'alcool, enfin, elle ne le retient pas, ce qui revient au mme.Donata : Salet de Givrs. Si t'as un revolver, Robert, descends-les. Pan ! Pan ! (Elle rit.)(Un temps.)Robert ( Donata) : Pourquoi as-tu voulu te saouler ?Donata : Pour ne pas faire pire.Robert : Mais des gens meurent, on les pleure, on aide leurs proches... et la vie continue.Donata : La vie passe. (Se marrant.) L elle est passe en avion... Boum... a passe vite. Vroum.Robert : Tu es cynique maintenant ?Donata : ... J'ai t chaste et puis je ne l'ai plus t; j'ai t sobre et puis je ne l'ai plus t; j'ai t ftarde et puis je ne l'ai plus t; j'ai t pauvre et puis je ne l'ai plus t; j'ai t riche et puis je ne l'ai plus t; j'ai t prudente et puis je ne l'ai plus t; je suis cynique, dis-tu, et bientt je ne le serai plus. Donc pourquoi y attacher de l'importance ?Robert (stupfait) : ... Est-ce toi, Donata ?Donata (posant son verre et s'asseyant calmement sur un fauteuil, change) : Je ne sais pas... Je ne suis pas saoule, j'ai juste fait semblant.

  • Robert : Tu as jou ?... Pourquoi ?Donata : Pour ne pas me mettre boire pour de vrai.Xavier : Excellente raison.18. (On entend passer un hlicoptre. Airs surpris de Xavier et Irne.)Robert (pour expliquer) : C'est rare mais il y a des villas de gens trs riches pas loin et une aire d'atterrissage d'hlicoptres.Irne : Pas de plaintes d'un dirigeant colo ?Donata (amuse) : C'est lui le dirigeant colo.Irne (avec un air faux-cul volontaire) : Je condamne fermement les hlicoptres !Xavier (idem) : Bravo !Donata (amuse) Que moi je chante avec les cigales, personne ne s'en tonnera, mais vous deux...Xavier : Tu feras rpter Irne. Elle au moins finira par y arriver.Irne : Je vais travailler dur.Robert (agac, Donata) : Alors tu as jou ?Donata (jouant la coupable repentante) : Oui, chri.Robert : Tu voulais que j'aie peur ?Donata (idem) : Oui chri.Robert : Et pourquoi ?Donata (idem) : Oui chri.(Les Gevrais pouffent.)Robert (fch) : Si tu veux juste les amuser, je peux cder la place !Donata (se levant et allant lui) : Non !... Ne sois pas mchant...Robert : Alors ? Je ne comprends pas...Donata : Tu tais tout coup des milliers de kilomtres de moi. Des milliers. J'ai regard autour de moi, tout tait devenu tranger dans cette cuisine. Je me suis sentie tellement seule... Tu le sais, je ne supporte pas d'tre seule.Robert : Voyons, j'tais dix mtres ! C'est ton imagination...Donata : Mme en imagination je ne supporte pas.Robert : Et en ce cas donc, tu as recours ...Donata : J'ai d'abord les mots.Robert : Les mots ?Donata : ... Ils viennent m'entourer, ils se liguent en phrases, pour m'arracher l'attirance du vide, au vertige. Ils prennent ensuite un aspect; celui de personnages, celui de fantmes qui m'offrent de les habiter... Sans eux, et sans toi, j'aurais sombr. Je ne sais pas vivre sans eux. Je me cache en eux, dans leurs drames ou leurs ridicules, et je suis bien.Robert : Et nous deux ensemble a ne vaut pas tous ces mots ?Donata : Si... Mais ds que tu t'loignes un peu, pour moi c'est comme des milliers de kilomtres.Robert : Alors ?Donata (comme hallucine) : ... Je les appelle.Xavier (narquois) : Et ils sont venus.Irne (renchrissant) : Xavier les a apports lui-mme, un vrai Hercule. Dis-lui le scnar, chri.Xavier ( Donata) : Tu n'es plus sourde ?Donata : Non, mon tat empire.Xavier : Eh bien, voil : Une belle femme nue de papier glac vit vieille et sans sa beaut.Donata (railleuse) : Donc habille.Xavier : Dans un reportage la tl elle se voit sur le mur d'un homme interview au sujet de... peu importe.

  • Donata (s'amusant) : Oui, peu importe. Parle-moi de moi.Xavier : Elle dcide d'aller l o elle existe encore vraiment, o elle est encore elle-mme.Irne : Elle va voir le type.Xavier : Elle veut savoir qui il est, pourquoi il a fait d'elle sa compagne, pourquoi, pendant tant d'annes, il lui a t, en quelque sorte, fidle.Donata (attentive) : Enferms ensemble, quoi ? vingt ans ? trente ans ?Xavier : Longtemps elle cache qui elle est.Donata : Ne me dis pas la fin... Laisse-moi rver...Irne : Le film raconte sa vie, il y a de longs retours en arrire sur les moments-clefs avec un autre homme, l'homme de sa vie, l'homme de sa vie qui ne la faisait pas chapper au temps.Donata : Celui qui l'a laisse vieillir. Il ne l'aimait pas assez. Toutes les portes et toutes les fentres taient ouvertes...Xavier : Tu joues trois ges : celui de la photo, avec toute l'histoire de cette unique photo de nu intgral dans sa carrire de mannequin, celui de son amour avec l'homme de sa vie, celui de la vieille dame chez cet inconnu.Donata : ... Il y a deux rles masculins importants...Xavier : Jous par Charles Gabin et Toulouse Mitchum.Donata (impressionne) : Vraiment ?Xavier : Ils signent si tu signes.Irne (insinuante) : Ils signeront sans doute de toute faon.Xavier : Ils prfrent jouer avec toi.Irne : Tu es la meilleure possible pour ce rle.Donata : J'ai un peu peur de jouer en vieille. Et si je restais vieille ?Irne ( Robert, amuse) : Notre Donata est assez superstitieuse. (A Donata.) Mais sois tranquille, chrie, on trouvera des gris-gris pour conjurer la vieillesse.(Donata rit.)Xavier : Enfin voil la proposition. Je te laisse rflchir un moment. Il me faut la rponse avant de repartir. Dfinitive. Attention, il n'y aura pas de possibilit de marche arrire. Si tu dis non maintenant, c'est non. (A Irne.) Retournons visiter le jardin. (Irne hsite. Insistant: )Viens.(Elle le suit. La porte du dehors reste ouverte.)Un temps.)19. Robert : Tu es tente ?Donata (vasive) : Je reconnais simplement que c'est tentant.Robert : ... Et moi ?Donata (tonne) : Toi, tu es l.Robert (la prenant dans ses bras) : Est-ce que je suis toujours seul tre l ? Je ne compte pas les Givrs.Donata (la tte sur son paule) : Des fantmes sont entrs. Il en arrive d'autres chaque minute.Robert : Je ne les vois pas.Donata : Ils sont encore imcomplets, quelques mots, des bouts de phrases, ils m'appellent, ils m'implorent...Robert : Que veulent-ils ?Donata : Mon corps.(Un temps.)Robert (taquin) : Serais-je un fantme ?Donata (riant et s'cartant) : Tu tais mon tueur de fantmes. Tu as accompli une hcatombe parmi eux. Ils t'en veulent.Robert (de nouveau srieux) : Tu vas te laisser tenter ?

  • Donata : Dieu seul le sait.Robert (railleur) : a m'tonnerait qu'il vienne te le dire.Donata : Et pourquoi pas ?Robert : Ah oui. Dieu te parlerait toi ! Et pourquoi Dieu viendrait-il te parler ?Donata (grands yeux et battements de cils) : Pour se changer du pape ?(On entend Irne s'esclaffer.)Robert (amus) : Donata ou les vacances de Dieu. Oh. Pourquoi dis-tu des choses pareilles !Donata : Parce que a ne se dit pas.Robert : En voil une raison.Donata : Toute petite dj, quand il y avait une belle flaque de pluie viter, il fallait absolument que je saute pieds joints dedans. J'adorais a. J'ai gard le meilleur des plaisirs de mon enfance.Voix d'Irne (cri) : Sauter dans les flaques, y a pas mieux.Donata (criant) : On n'coute pas aux portes !Voix d'Irne (cri) : Je n'coute pas, j'entends !Robert ( Donata) : Tu veux que je ferme la porte ?Donata (avec humeur) : C'est trop tard.Robert : Enfin il ne s'agit pas d'un rle religieux. Heureusement.Donata (se rebiffant) : Comment, "heureusement" ? On en connat bien une qui a eu une vie pire que la mienne et qui a jou Jeanne d'Arc, avec succs... Tout le monde, aprs avoir vu le film, a regrett qu'on ne m'ait pas propos le rle.Robert (ironique) : Dieu ne t'avait pas choisie.Donata (mcontente) : J'tais pas assez saoule, j'ai fait des manires, alors il a bais avec l'autre.Robert (stupfait) : Oh.Donata (lance) : Si tu dois trouver une pucelle pour jouer Jeanne d'Arc, cherche ailleurs que dans le monde du cinma.Robert (scandalis) : Ah bravo; tu tiens la forme. Pourquoi dis-tu des atrocits pareilles ?!Donata : Pour qu'elles soient dites. Les pauvres, elles ne peuvent pas compter sur toi, n'est-ce pas ? Mais maman est l, petites atrocits ! Seulement votre beau-pre ne vous aime pas.20. Xavier (rentrant brutalement) : Alors, ma dcision ?Irne (derrire lui, mi-voix) : Ne la brusque pas.(Donata a pris un air but, ferm.)Robert : On attend ta... sentence, chrie.(Donata se laisse tomber assise par terre et contemple ses ongles de pied.)Irne ( mi-voix) : Hou, a se gte.Donata ( ses ongles de pied, presque gaiement) : Vous tes trs bien. J'ai au moins russi quelque chose dans ma vie.(Un temps.)Xavier : Tu as russi aussi quelques films, ceux produits pas moi. (Avec effort.) Et mme un ou deux produits par Marc. (Irne, admirative devant une telle concession, l'embrasse sur la joue.)Irne ( mi-voix, Donata) : Tu te rends compte jusqu'o il est all pour l'hommage au mort !(Donata ne rpond pas, elle a fini d'examiner ses ongles de pied et semble rver.)Xavier ( Donata) : C'est non ?Donata : ... Pauvres petits. (Airs mduss des trois autres.) Mais moi je suis avec vous. Je ne vous laisserai pas tomber.Xavier ( tout hasard) : C'est oui ?Donata : Je suis comme vous. Je suis une des vtres. Infiltre parmi les humains... Je suis un pan-go-lin. Ils doivent cesser de nous faire du mal. Le combat pour la libert continue !

  • (Airs ahuris de Xavier et Irne. Robert baisse la tte avec un demi-sourire crisp.)Irne ( Robert) : Vous comprenez ce qu'elle veut dire ? (Acquiescement de la tte de Robert.)Xavier : Qu'est-ce que c'est qu'a, un pangolin ?Donata (au bord des larmes) : Je suis une dame pan-go-lin. Et je me cache dans les buissons. Ils ne me trouveront pas, les humains, ils n'auront pas la peau de Donata.Robert ( mi-voix) : Une espce animale en voie de disparition. Elle avait une photo et un article sur cette bte dans son sac de voyage quand nous sommes venus nous installer ici. De temps en temps, je ne sais pourquoi, le pangolin resurgit en elle et elle rabche sur leur cause juste, parfois deux ou trois heures.Xavier (pinc) : C'est gai !Donata (toujours assise par terre) : Je suis un pan-go-lin. Vive la pangolinie libre !Xavier (ironique) : Bravo. (A Robert.) Et qu'est-ce que vous faites dans ces cas-l ?Robert : Eh bien... rien.Xavier : Encore bravo.Robert : J'attends que a passe.Xavier ( Donata) : Tu te fous de trois cents morts dans un accident d'avion et te voil presque en larmes pour la disparition suppose d'une espce qui...Donata : Et alors ?... Humain, pouah. Mme pas une espce en voie de disparition.Xavier : Si tu veux tre utile... (Levant les yeux au ciel.) Mon Dieu, ce qu'il ne faut pas radoter ! (Prenant un ton de l'archi-arrire-grand-pre.) ... ta noble famille pangolin, (Voix normale.) ton statut de vedette t'est indispensable.Donata (frappe) : Ah.Xavier : Compris, petite ?Donata (se dressant furieuse, changeant de jeu) : Il charrie, le Belzbuth !Xavier (tranquillement, Irne et Robert) : Elle est vraiment tuer.Irne (jouant son jeu) : Je t'aiderai, chri.Xavier : L'Histoire retiendra que l'extinction de l'espce pangolin a eu lieu ici.Donata (lui envoyant coussins et objets divers la tte) : Ah, tu veux te battre ! Bataille !Irne : Dfends-toi, chri, vas-y !(Xavier renvoie les projectiles.Irne rit.Robert reste coi, stupfait.)Donata : Victoire !Xavier : Jamais de la vie !Donata (perfide) : Comment je ferai pour jouer le film si je ne gagne pas ?Xavier (riant, se laissant tomber sur le canap) : Ah, l'argument a port.(Donata rit.)Robert ( Irne) : Elle avait l'air normale quand je l'ai rencontre.Irne : Parce qu'elle tait drogue. Il faut pas mal d'aide interdite Donata pour avoir l'air comme tout le monde.Donata : Je ne suis pas comme tout le monde, je suis une vedette, je suis... exceptionnelle, oui, parfaitement, pan-go-lin et ex-cep-tion-nelle.Xavier : Donc tu rapparais pour le tournage du film ?Donata : ... Avant je me suis engage reprendre "Lucrce Borgia" de Hugo, au thtre. Au thtre Molire.(Effet sur les trois autres.)Xavier : L, la rentre thtrale ?... Comment se fait-il que personne n'en ait parl ?Donata : Joris, le directeur, tait sr que tu t'y opposerais. Alors il a choisi l'effet-bombe, du dernier moment.

  • Robert (perdu) : Mais... tu m'as dit que tu ne voulais plus d'engagements, pour te "sauver" de ce milieu qui te dtruisait...Donata (agace) : J'y pensais plus... a arrive, quoi !... J'avais oubli !Irne ( Xavier) : Elle est vraiment tuer.Xavier : Non, elle me rapporte trop.21. (Entre en coup de vent une jeune femme en deuil; tous, surpris, se taisent; elle fonce droit sur Donata et tombe dans ses bras.)Donata (stupfaite) : La !La : Ah, ma chrie, je suis dmolie, serre-moi fort !Donata : C'est plutt la spcialit de Robert ici.La : Alors, prte-le -moi un peu. C'est lui?(Elle se met dans les bras de Robert stupfait.)Donata (amuse) : Eh bien, serre, chri.(Robert s'excute, gauchement.)La : Pas mal. Peut mieux faire. (S'cartant.) Y a du rconfortant boire aussi ?Donata : Les Givrs ont commenc l'unique bouteille, je ne suis pas sre qu'il en reste.La ( Robert mdus) : Va voir, chri serreur, j'ai besoin d'un remontant.(Robert, indcis, va voir dans la cuisine.)Donata : Mais comment as-tu pu arriver si vite ?La : J'habite en face. (Montrant du doigt.) La villa en haut de la colline, l. Quand tu m'as dit o tu tais, je suis tombe des nues; j'ai pris notre hlicoptre et...Donata (farceuse) : T'y es remonte.La : Quoi ?... Oui. Le plus long a t de l'aire d'atterrissage ta cahute, je ne trouvais pas.Donata : Mais tu y es.La (s'asseyant) : Que je suis nerveuse. Ce pauvre Marc. Hein ? Oh.(Robert rentre avec un verre plein et le donne La qui ne pense mme pas le remercier et boit.)Donata ( La, adoptant un ton ad hoc) : ... Hlas, nous sommes tous mortels. (A mi-voix.) J'ai pas trouv mieux.La : Eh ben c'est pas fort. Tu viens d'arriver ? O tais-tu passe ?Xavier : Elle est l depuis deux mois.La : Non ? Et moi qui pour me dsennuyer regardait de ce ct au tlescope et voyait tout ferm ! Tu tais dedans ?Irne : Le couple seul au monde. Deux mois.La (se levant et examinant Robert) : Il n'est pas mal. Mais quand mme... pas ce point-l !Robert (un peu sec) : Donata tait au plus mal, elle tait drogue.La (berlue) : Et alors ?Robert : Il lui fallait sa dose ou l'hpital.La (pate) : Et elle vous a eu la place...Robert (firement) : L'amour gurit de tout.La : ... L'amour gurit seulement de l'amour. Aprs il faut trouver de nouvelles doses, plus fortes. Son art les lui fournit en gnral, heureusement pour elle.Xavier (railleur) : Si on pleurait encore un peu Marc ?La : Oh le pauvre. Et moi donc, toute seule. Je me sentais perdue. (A Donata.) Et je ne savais pas o te trouver ! J'tais effondre, et que faire ?Donata : Je ne sais pas non plus ce que tu pourrais faire.La : Mais deux qui ne savent pas quoi faire on se sent plus fortes. C'est joli ici.Donata : La dcoration est de Robert.La ( Donata) : Si on se remettait ensemble ?

  • Donata : Finis ton verre. (La le finit.) Assieds-toi. (La s'assied.) Et coute-moi. (La tend l'oreille de faon comique.) D'abord tu vas tre trs occupe par l'organisation de funrailles sans corps dignes de lui et par tes lamentations dans les mdias. Irne te fera rpter. Pas d'impair. Tu adorais ton mari.La (narquoise) : J'en doutais dj quand tu nous as maris.Donata : Il faut empcher les questions obtuses son sujet, tu comprends ?La : Les questions "obtuses" sur un obtus ?Donata : Tu seras sage ?La : Bisou ?Donata : Non. (De Robert.) Il n'est pas du genre approuver.La : Oh. A qui est-ce que tu vas me remarier ? A lui ? (Air scandalis de Robert. Pour lui expliquer: ) J'ai toujours eu droit aux ex de Donata, et comme votre amour m'a l'air en phase finale...Robert (furieux) : Mais qu'est-ce que c'est que cette folle !Donata (schement) : Robert, je t'en prie, son mari vient de mourir dans un accident d'avion avec environ trois cents personnes !(La se met pleurer.)Robert : Mais je m'en fous, moi ! Je regrette seulement qu'elle n'ait pas t aussi dans l'avion !Irne et Xavier (peut-tre vraiment scandaliss) : Oh...La (d'une toute petite voix) : a veut dire quil ne me serrera plus ?Donata : Mais si, ma chrie, il faut juste qu'il s'habitue. Il ne connat pas notre genre de vie.La : En deux mois il a pourtant eu le temps d'apprendre. Tu baisais tout l'temps, tu as pas eu l'temps d'l'duquer ?Donata (comme s'indignant) : Il me prend pour une idiote.Irne : Il te prend pour une idiote parce que tu fais l'idiote.Donata (changeant de ton) : J'aime bien.Robert (stupfait, regardant Donata) : Mais qui est cette femme ?22. Donata : Cette femme est Donata. (L'enlaant.) Pourquoi ne m'as-tu pas coute ? Elle ne serait pas revenue. Je me suis bien habitue elle, moi; si tu m'aimes tu t'habitueras aussi.Robert (en dtresse) : Je crois pas.(Pendant ce temps, La va jeter un coup d'oeil la cuisine, fait la moue, revient.)Donata : Je t'avais demand de n'ouvrir ni la porte ni les volets, tu as ouvert et tu t'tonnes que le monde entier entre. (La monte sans bruit et d'un pas vif l'escalier pur aller visiter l'tage.)Il tait juste attendre, l, dans le jardin, avec ses fleurs magnifiques. (Irne a l'air scandalise en voyant La monter l'escalier, hsite, puis, la curiosit tant la plus forte, la suit.) Ou on refuse tout, ou on est envahi par tout. Et par consquent, souvent par n'importe quoi. Tu aurais d m'couter.(La et Irne disparaissent l'tage. Xavier regarde le vide.)Robert : Mais c'est comme pour la drogue, il suffit d'un peu de volont... Pour rsister aux... en somme, tentations.Donata (ironique) : Un peu ?Robert : Soit, beaucoup.Donata (s'cartant) : Enormment... Robert, ta volont s'est vite puise. On s'ennuie vite. La volont est ennuyeuse. Se laisser emporter par le courant apporte chaque jour son lot de nouveauts, de distractions... Tu ne m'as pas longtemps aime assez pour ne pas t'ennuyer coup de tout. Alors tu as ouvert la maison et tout est entr. Donata est revenue.Robert : O est celle que j'aime ?Donata : Tu as d'abord aim la vedette et tu as cru trouver sa vrit dans la solitude. Tu as aim Pandore, chri, tt ou tard tu devais rouvrir la bote.

  • (Elle est prs d'un buffet ou d'un meuble assez haut. Xavier sort vivement le contrat et un stylo de la poche intrieure de sa veste. Il pose le contrat sur le meuble.)Xavier ( Robert, tout en mettant le doigt o il faut signer et donnant le stylo Donata) : "Pandore, divine Pandore", le film a t produit par moi, vous vous souvenez ?(Donata signe sans lire. Il remet vivement contrat et stylo dans la poche de sa veste.)Robert ( Donata) : Tu n'as plus qu' raconter notre histoire aux magazines people.Donata (revenant vers lui) : Elle n'est pas finie, dis, notre histoire ?(La apparat en haut de l'escalier avec un sac de voyage dbordant, suivie d'Irne.)Irne ( mi-voix, La) : Tu vas trop loin. Va remettre tout a en place.La (voix forte, descendant rapidement l'escalier) : Je ne peux pas vivre ici, c'est trop petit ! Ils n'ont mme pas un jacuzzi ! Pas de piscine, pas de sauna, etc etc.Irne (la suivant) : Tout de mme, on demande d'abord.La (arrive en bas de l'escalier) : Si j'avais demand elle aurait dit non. (A Donata.) Hein, chrie, tu aurais dit non ?Donata (amuse mais faisant la fche) : Oh, La ! Tu es insupportable !La (se blottissant contre elle) : Oui. Tu veux que je mette le serreur dans le sac de voyage ?(Pendant ce temps Irne interroge son mari des yeux. Il fait signe que oui.)Donata : Je devrais te gronder. Tu te permets tout.Xavier ( Robert) : Pour les mdias, soyez tranquille, ils sauront bien sr, ils savent tout sur elle...Robert : Qui les renseigne ?Xavier (dsignant des mains sa femme et lui-mme) : Nous. (Irne et lui rient. Puis Donata et La.) Mais notre faon. Au revoir, monsieur Vidal. (A Irne.) Je t'attends dans la voiture.(Irne a repris son chapeau, elle le pose sur la tte de Donata.)Irne : Un peu pench sur la gauche, n'est-ce pas ?La : Et moi, regarde si je suis vaillante, je porte le sac jusqu' l'hlico. (La et Irne prennent chacune une main de Donata et l'entranent tout doucement vers la porte. Donata, amuse, se laisse faire. La, Donata.) Est-ce qu'il vient avec nous ? (Donata se tourne vers Robert sans que La et Irne lchent ses mains. Robert hoche la tte ngativement. La Robert: ) De toute faon vous venez quand vous voulez, c'est juste en face... sur la colline en face.(Un temps.)Donata : La premire pour la pice est dans un mois. Tu viendras ?Robert : ... Je ne sais pas.(Donata baisse la tte. La et Irne l'entranent. Elles sortent dans la lumire.)

    FIN