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mise au point | formation La drépanocytose : une hémoglobinopathie tropicale qui devient cosmopolite La drépanocytose Introduction La drépanocytose (du grec drepanon, faucille), ou anémie à cel- lules falciformes, ou hémoglobinose S, ou encore sicklémie, est une maladie héréditaire, autosomique récessive. Elle est due à une altération de l’hémoglobine très répandue en zone tropicale. Du fait des migrations de population, cette affection s’est répan- due dans tous les pays, et pose des problèmes diagnostiques et thérapeutiques. Une anomalie de l’hémoglobine La drépanocytose a été décrite pour la première fois à Chicago par James Herrick, chez un étudiant noir de 20 ans, hospitalisé pour toux et fièvre, dont l’examen de sang montrait une anémie sévère et surtout des hématies en forme de faucille. En 1949, Linus Pauling (prix Nobel de chimie en 1954 et de la paix en 1962) (figure 1) montre qu’elle est due à une anomalie de l’hé- moglobine, qui a été décryptée en 1956, le 6 e  acide aminé de la chaîne , un acide glutamique, étant remplacé par une valine. De ce fait, il en résulte une hémoglobine dite hémoglobine S, qui cristallise en cas de manque d’oxygène, formant des fibres qui déforment le globule rouge en forme de faucille (figure 2). Les hématies du sujet homozygote ne contiennent pratiquement que de l’HbS, alors que celles des hétérozygotes contiennent une proportion variable d’hémoglobine A (normale) et d’hémoglo- bine S. Elle est surtout répandue dans les populations d’origine africaine subsaharienne, des Antilles, d’Inde, du Moyen-Orient et du bassin méditerranéen (figure 3), le nombre total de sujets atteints dans le monde étant estimé à environ 50 millions. Selon l’OMS, 300 000 enfants naissent dans le monde chaque année avec une anomalie de l’hémoglobine dont la plus fréquente est la OptionBio | mercredi 28 novembre 2012 | n° 481 15 Outre les maladies infectieuses et les difficultés climatologiques, les populations tropicales peuvent être aussi soumises à des maladies congénitales, en particulier du sang, comme la drépanocytose, maladie du globule rouge, qui entraîne un certain nombre de conséquences. | Figure 1. Linus Pauling, prix Nobel de chimie et de la paix. | Figure 2. Drépanocyte ou hématie falciforme (microscope électronique à balayage).

La drépanocytose : une hémoglobinopathie tropicale qui devient cosmopolite

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Page 1: La drépanocytose : une hémoglobinopathie tropicale qui devient cosmopolite

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La drépanocytose : une hémoglobinopathie tropicale qui devient cosmopolite

La drépanocytose

IntroductionLa drépanocytose (du grec drepanon, faucille), ou anémie à cel-lules falciformes, ou hémoglobinose S, ou encore sicklémie, est une maladie héréditaire, autosomique récessive. Elle est due à une altération de l’hémoglobine très répandue en zone tropicale. Du fait des migrations de population, cette affection s’est répan-due dans tous les pays, et pose des problèmes diagnostiques et thérapeutiques.

Une anomalie de l’hémoglobineLa drépanocytose a été décrite pour la première fois à Chicago par James Herrick, chez un étudiant noir de 20 ans, hospitalisé pour toux et fièvre, dont l’examen de sang montrait une anémie sévère et surtout des hématies en forme de faucille. En 1949, Linus Pauling (prix Nobel de chimie en 1954 et de la paix en 1962) (figure 1) montre qu’elle est due à une anomalie de l’hé-moglobine, qui a été décryptée en 1956, le 6e acide aminé de la chaîne 𝛃, un acide glutamique, étant remplacé par une valine. De ce fait, il en résulte une hémoglobine dite hémoglobine S, qui cristallise en cas de manque d’oxygène, formant des fibres qui déforment le globule rouge en forme de faucille (figure 2). Les hématies du sujet homozygote ne contiennent pratiquement que de l’HbS, alors que celles des hétérozygotes contiennent une proportion variable d’hémoglobine A (normale) et d’hémoglo-

bine S. Elle est surtout répandue dans les populations d’origine africaine subsaharienne, des Antilles, d’Inde, du Moyen-Orient et du bassin méditerranéen (figure 3), le nombre total de sujets atteints dans le monde étant estimé à environ 50 millions. Selon l’OMS, 300 000 enfants naissent dans le monde chaque année avec une anomalie de l’hémoglobine dont la plus fréquente est la

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Outre les maladies infectieuses et les difficultés climatologiques, les populations tropicales peuvent être aussi soumises à des maladies congénitales, en particulier du sang, comme la drépanocytose, maladie du globule rouge, qui entraîne un certain nombre de conséquences.

| Figure 1. Linus Pauling, prix Nobel de chimie et de la paix.

| Figure 2. Drépanocyte ou hématie falciforme (microscope électronique à balayage).

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Tableau I. Répartition régionale des décès liés à la drépanocytose (2001-2005).

Région Total des Moyenne annuelle Taux brut de mortalité

Ile-de-France 57 11,4 1,01

Martinique 37 7,4 18,87

Guadeloupe 26 5,2 11,87

Guyane 2 2,4 12,75

La Réunion 8 1,6 2,11

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drépanocytose. Sur le continent africain, le pourcentage d’hété-rozygotes varie de 1 % en Afrique du Nord à 45 % en Ouganda. Il est de 1 à 5 % en Europe du Sud. En France métropolitaine, 12 000 personnes seraient atteintes d’un syndrome drépanocy-taire majeur, 2 000 en Martinique et 1 500 en Guadeloupe. Les hématies, habituellement souples, ont perdu leur élasticité et vont obstruer les capillaires des organes, y provoquant une ischémie par manque d’apport d’oxygène, ce qui explique les crises doulou-reuses (infarctus osseux), les infarctus cérébraux, etc. Par ailleurs, ces hématies, plus fragiles, se lysent plus facilement, expliquant l’anémie hémolytique.

Le principal symptôme : des crises douloureusesLes symptômes de cette maladie apparaissent vers l’âge de deux à trois mois, le nouveau-né ayant encore de l’hémoglobine F. Ils regroupent des crises vaso-occlusives douloureuses dans diffé-rents organes (abdomen, rein, cerveau, os, rétine), une anémie hémolytique et des infections par les pneumocoques ou les ménin-gocoques. En outre, peuvent apparaître un retard de croissance, un déficit nutritionnel, un retard pubertaire, une insuffisance cardio-pulmonaire et une hypertrophie puis une atrophie de la rate ou encore une rétinopathie. De ce fait, ces enfants font de fréquents séjours en milieu hospitalier. Aux Etats-Unis, la mortalité des enfants drépanocytaires atteignait des taux de 15 % par infection ou anémie aiguë. Depuis le dépistage néo-natal, mis en place en 1970, une prise en charge précoce des enfants homozygotes par antibiothérapie et vaccinations a multiplié le taux de survie par dix.Concernant les hospitalisations, il y a environ 23 000 hospitalisa-tions par an, avec un taux annuel passé de 9,7 pour 100 000 habi-tants en 2004 à 13,8 pour 100 000 habitants en 2009. L’âge médian au moment de l’hospitalisation a été de 15 ans pour les hommes et de 21 ans pour les femmes. Le sex-ratio H/F est de 1,2 pour les moins de 20 ans et de 0,6 au-delà, en raison du suivi des grossesses. Ces sujets sont hospitalisés en moyenne 2 jours, mais ils reviennent 3 fois par an. Une analyse a été effectuée sur la mortalité due à la drépanocytose en France, entre 1981 et 2005, période pendant laquelle 698 sujets sont décédés de cette affec-tion. Le taux de mortalité est faible en métropole et nettement plus élevé dans les départements d’outre-mer (tableau I). L’âge médian au moment du décès a nettement reculé, passant de 18 ans en

1981 à 36 ans en 2001, le pourcentage de décès des moins de 24 ans étant passé de 63 % à 28 % aux mêmes périodes, mais celui de la tranche 25-44 ans est passé de 16 % à 37 % et celui de la tranche 45-59 ans est passé de 10 à 21 %. Les causes de décès ont été la drépanocytose, une affection cir-culatoire (dont des maladies vasculaires cérébrales), digestive, infectieuse ou respiratoire.

Diagnostic : présence d’hémoglobine SLe diagnostic, outre les constatations habituelles des anémies hémolytiques, est établi sur l’observation du sang frais entre lame et lamelle avec un produit réducteur montrant des héma-ties en faucilles (falciformation) (figure 4) et l’électrophorèse de l’hémoglobine détectant l’hémoglobine S. La différence entre l’hémoglobine A et l’hémoglobine S porte sur le radical R : acide glutamique -CH2-CH2-COOH et valine -CH3-CH-CH3. De ce fait, l’hémoglobine A migre plus rapidement vers l’anode (figure 5).

Dépistage des nouveau-nés « à risques »En 2010, en métropole, 31,5 % des nouveau-nés sont nés de couples « à risque » (253 466 sur un total de 805 958) et ont fait l’objet de dépistages. Ce pourcentage est en forte progression (19 % en 2000, 25,6 % en 2005). Parmi les nouveau-nés atteints de syndrome drépanocytaire majeur (SDM) recensés depuis le début du dépistage, mis en place à des dates différentes avant la généralisation à l’ensemble du territoire en 2000, la grande majo-rité est née en Ile-de-France, les autres enfants drépanocytaires sont nés, à proximité des grands centres urbains, principalement dans l’est et le sud du pays. En 2010, 341 cas de SDM ont été diagnostiqués en métropole. L’incidence moyenne de la drépa-nocytose en métropole était de 1/743 nouveau-nés testés et de 1/2364 par rapport à l’ensemble des nouveau-nés.

| Figure 3. Répartition géographique de la drépanocytose.

| Figure 4. Hématies falciformes sur frottis.

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Tableau II. Bilan du dépistage néo-natal de la drépanocytose (2010).

Nombre de Syndromes drépanocytaires Hétérozygotes Hétérozygotes

Métropole 253 466 341 6 915 1 829

DOM 38 575 68 1 985 429

Total 292 041 409 8 900 2 258

Tableau III. Incidence de la drépanocytose dans les DOM (2010).

Département Nombre de tests Incidence

La Réunion (1990-2010) 232 086 1/4 551

Guyane (1992-2010) 95 918 1/227

Mayotte (1992-2010) 91 767 1/633

Guadeloupe (1985-2010) 170 010 1/297

Martinique (1985-2010) 121 761 1/343

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En France, le dépistage néo-natal a débuté en 1985 aux Antilles, puis en 1990 à la Réunion, en 1992 en Guyane et à Mayotte et a été généralisé à tout le pays en 2000. Ce dépis-tage est ciblé aux enfants ayant au moins un parent originaire d’une zone à risque ou ayant des antécédents de drépanocy-tose dans la famille. Il se pratique dès la 72e heure de vie par prélèvement capillaire et est réalisé par deux techniques (isoé-lectrofocalisation et chromatographie liquide haute pression). Les enfants ainsi dépistés sont adressés à un centre de réfé-rence, par exemple le Rofsed (Réseau ouest francilien de soins des enfants drépanocytaires), situé à l’hôpital Necker et regrou-pant huit hôpitaux d’Ile-de-France, pour l’éducation des parents concernant les soins préventifs, la mise en œuvre d’une antibio-thérapie par pénicilline et la vaccination antipneumococcique et un suivi par Doppler des éventuels accidents vasculaires cérébraux. En 2010, 290 000 nouveau-nés ont bénéficié de ce dépistage, l’incidence globale du dépistage de la drépanocytose en métropole étant de 1/743 nouveau-nés testés (tableau II).Il est naturellement plus élevé dans les départements d’outre-mer (tableau III).

En métropole, 31,5 % des enfants ont été ciblés, le pourcentage variant selon les régions étant plus élevé dans les grandes métropoles, en raison des différences d’origine dans la popu-lation parentale : 60 % en Ile-de-France, 43,2 % en Provence-Côte d’Azur, 41,6 % en Languedoc-Roussillon, et seulement 5,5 % en Bretagne (figure 6). Le dépistage systématique, comme aux Etats-Unis ou en Angleterre, aurait un coût trop élevé, mais ce problème est actuellement soumis à l’étude de la Haute Autorité de Santé.

Traitement : antalgiques et oxygèneLa prise en charge d’un sujet drépanocytaire en phase dou-loureuse consiste à traiter les crises vaso-occlusives par les antalgiques (voire les opiacés) et l’oxygène, à prévenir les facteurs déclenchant les crises (froid, altitude, infections, dés-hydratation, efforts), à favoriser l’alimentation riche en fer), à supplémenter en folates, et à vacciner contre les pneumocoques et les méningocoques. Les transfusions sont réservées aux ané-mies profondes, mais le sang compatible n’est pas toujours facile à trouver en Europe, en sachant que la répartition des groupes sanguins est différente chez les Afro-Antillais et chez les Caucasiens. Par ailleurs, les drépanocytaires hétérozygotes peuvent donner leur sang, mais en sachant qu’une partie des hématies sera inutilisable, il est préférable d’utiliser ce sang pour le don de plaquettes ou de plasma. La greffe de moelle osseuse avec un donneur apparenté, qui entraîne une guérison complète, est probablement la solution d’avenir. L’hydroxyurée favorise la production d’hémoglobine fétale en inhibant la production d’hématies contenant de l’hémoglobine S, mais il faut éviter ce produit en cas d’anémie importante et son coût élevé en limite l’emploi dans le tiers monde.

ConclusionDans l’avenir, le diagnostic prénatal, dans le strict respect des lois de bioéthique, permettra le dépistage et l’information des familles concernant les risques pour l’enfant. Selon l’Agence de la bio-médecine, 214 cas de dépistage néo-natal de la drépanocytose ont été effectués en 2009, ayant permis d’affirmer le diagnostic dans 65 cas et entraîné une interruption médicale de grossesse dans 45 cas. Le rôle des centres de conseil génétique va devenir primordial concernant ce domaine. |

Déclaration d’intérêt : les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article.

PATRICE BOURÉE, ALIREZA ENSAFUnité des maladies tropicales

Institut Alfred-Fournier – 75014 Paris

SourceLa drépanocytose en France : des données épidémiologiques pour améliorer la prise en charge. Bull Epid Hebd 2012;27-28:311-29.

| Figure 5. Electrophorèse de l’hémoglobine A et S.

| Figure 6. Ciblage des enfants à dépister en France.