20
La laïcité La longue marche vers la laïcité québécoise... Mais laquelle? . . . . . . p. 2 Laïcité. De quoi s’agit-il au juste? . . . . . . . . . . p. 8 À qui profite le crime? Une historicité abolie. . p. 11 * * * Femmes au cœur de l’économie sociale et solidaire . . . . . . . . . . p. 15 Le modèle du girl power. L’envers de l’image . . . p. 16 Le féminisme dans tous ses états. Féministes, à vous la parole! . . . . p. 18 Carrefour d’expertises et de ressources en matière de condition des femmes Sommaire N o 39, septembre 2011 Le dossier principal du numéro annuel de la Course à Relais-femmes porte sur la laïcité. Eh oui! Vous avez bien lu, la laïcité! Relais-femmes a en effet décidé d’ajouter sa pierre à l’édification de la réflexion collective québécoise sur un sujet qui nous chamboule et nous interpelle toutes et tous d’une manière ou d’une autre. Nous avons demandé à trois collaboratrices et militantes, deux du Québec et une de la Belgique, d’écrire un article à partir de leurs expériences et de l’état de leurs réflexions per- sonnelles. Il n’était aucunement question de prendre position pour un courant ou un autre, mais bien plutôt de transmettre à nos lectrices leur manière d’appréhender ce petit mot laïcité (comme le dit une de nos collaboratrices). Grâce à la contribution de notre collaboratrice belge, nous avons accès à un regard européen sur la laïcité, question d’enrichir et d’ouvrir notre vision à d’autres références. Relais-femmes tient à remercier ces trois collaboratrices qui ont bien voulu se lancer dans cet exercice périlleux, à par- tir de la question que signifie la laïcité pour moi? Abondamment traité par divers organismes et individu-e-s (pensons seulement à la revue À bâbord!, la Gazette des femmes, le Manifeste pour un Québec pluraliste, la Déclaration des Intellectuels pour la laïcité, l’avis du Conseil du statut de la femme sorti en mars dernier), la question de la laïcité bénéficiera d’une autre tri- bune publique grâce à la publication des Éditions Écosociété, Le Québec en quête de laïcité. Sous la direction de Normand Baillargeon et de Jean- Marc Piotte, les textes des auteures et auteurs rassemblés dans cet ouvrage collectif sont pré- sentés comme une « précieuse contribution à la conversation démocratique ». Parution du livre en septembre. Relais-femmes remercie aussi les autres collabo- ratrices de ce numéro. Celles-ci nous parlent de divers sujets tels la démarche amorcée par le mouvement des femmes Le féminisme dans tous ses états, la rencontre Femmes au cœur de l’éco- nomie sociale et solidaire qui se tiendra en octobre dans le cadre d’un colloque, l’image trompeuse des jeunes filles du 21 e siècle véhicu- lée dans des revues pour les adolescentes. Les lectrices auront finalement le plaisir de voir, en un coup d’œil, les plus récentes publications chez Remue-ménage. Suzanne Biron pour l’équipe de Relais-femmes Un débat de société à poursuivre La laïcité

La laïcité - Relais-femmesrelais-femmes.qc.ca/files/Course 39.pdf · Le modèle du girl power. L’envers de l’image. . . p. 16 Le féminisme dans tous ses états. Féministes,

  • Upload
    others

  • View
    0

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: La laïcité - Relais-femmesrelais-femmes.qc.ca/files/Course 39.pdf · Le modèle du girl power. L’envers de l’image. . . p. 16 Le féminisme dans tous ses états. Féministes,

La laïcité

La longue marche vers lalaïcité québécoise...Mais laquelle? . . . . . . p. 2

Laïcité. De quoi s’agit-il au juste? . . . . . . . . . . p. 8

À qui profite le crime?Une historicité abolie. . p. 11

* * *

Femmes au cœur de l’économie sociale et solidaire . . . . . . . . . . p. 15

Le modèle du girl power.L’envers de l’image . . . p. 16

Le féminisme dans tous ses états. Féministes, à vous la parole! . . . . p. 18

Carrefour d’expertises et de ressourcesen matière de condition des femmes

Sommaire No 39, septembre 2011

Le dossier principal du numéro annuel de laCourse à Relais-femmes porte sur la laïcité. Eh oui! Vous avez bien lu, la laïcité! Relais-femmes a en effet décidé d’ajouter sapierre à l’édification de la réflexion collectivequébécoise sur un sujet qui nous chamboule etnous interpelle toutes et tous d’une manièreou d’une autre.

Nous avons demandé à trois collaboratrices etmilitantes, deux du Québec et une de laBelgique, d’écrire un article à partir de leursexpériences et de l’état de leurs réflexions per-sonnelles. Il n’était aucunement question deprendre position pour un courant ou un autre,mais bien plutôt de transmettre à nos lectricesleur manière d’appréhender ce petit mot laïcité(comme le dit une de nos collaboratrices). Grâceà la contribution de notre collaboratrice belge,nous avons accès à un regard européen sur lalaïcité, question d’enrichir et d’ouvrir notrevision à d’autres références. Relais-femmes tientà remercier ces trois collaboratrices qui ont bienvoulu se lancer dans cet exercice périlleux, à par-tir de la question que signifie la laïcité pour moi?

Abondamment traité par divers organismes etindividu-e-s (pensons seulement à la revue Àbâbord!, la Gazette des femmes, le Manifeste pourun Québec pluraliste, la Déclaration des

Intellectuels pour la laïcité, l’avis du Conseil dustatut de la femme sorti en mars dernier), laquestion de la laïcité bénéficiera d’une autre tri-bune publique grâce à la publication des ÉditionsÉcosociété, Le Québec en quête de laïcité. Sous ladirection de Normand Baillargeon et de Jean-Marc Piotte, les textes des auteures et auteursrassemblés dans cet ouvrage collectif sont pré-sentés comme une « précieuse contribution à laconversation démocratique ». Parution du livre enseptembre.

Relais-femmes remercie aussi les autres collabo-ratrices de ce numéro. Celles-ci nous parlent dedivers sujets tels la démarche amorcée par lemouvement des femmes Le féminisme dans tousses états, la rencontre Femmes au cœur de l’éco-nomie sociale et solidaire qui se tiendra enoctobre dans le cadre d’un colloque, l’imagetrompeuse des jeunes filles du 21e siècle véhicu-lée dans des revues pour les adolescentes. Leslectrices auront finalement le plaisir de voir, enun coup d’œil, les plus récentes publicationschez Remue-ménage.

Suzanne Bironpour l’équipe de Relais-femmes

Un débat de soc iété à poursuivre

La laïcité

Page 2: La laïcité - Relais-femmesrelais-femmes.qc.ca/files/Course 39.pdf · Le modèle du girl power. L’envers de l’image. . . p. 16 Le féminisme dans tous ses états. Féministes,

La longue marche vers la laïcité québécoise...

M a i s l a q u e l l e ?par Lorraine Guay

Collaboratrices pour ce numéro

Leila Bdeir

Élise Bergeron

Danielle Fournier

Lorraine Guay

Majo Hansotte

Christelle Lebreton

Alexandra Pierre

Lise St-Germain

Coordination et révision des textes

Suzanne Biron

Mise en pages et correction

Monique Moisan, d’après un concept de Tutti Frutti

Dépôt légal

3e trimestre 2011

Bibliothèque nationale du Québec, 2011

Bibliothèque nationale du Canada, 2011

ISSN 1709-7223

La réalisation de ce numéro de La course à Relais-femmes a été rendue possible grâce à la contri-bution financière du Programme d’action communautaire sur le terrain de l’éducation (PACTE) duministère de l’Éducation, du Loisiret du Sport (MELS) du Québec.

Toute reproduction est permise, à condition d’en citer la source.

la courseà Relais-femmes

2

Bienheureuses celles qui ne doutentjamais! Ce n’est pas mon cas. Je le recon-

nais d’emblée : le doute est une posture

intellectuelle « fatigante » qui oblige à

prendre en compte non seulement la posi-

tion de la « famille », mais aussi celle de

ces « autres » qui n’en font pas partie.

Par ailleurs, il faut savoir en sortir, se

décider, prendre position et agir quitte à

porter ses doutes comme on porte ses

lunettes, les enlevant de temps en temps

pour se reposer et les remettant pour con-

tinuer à se casser la tête; quitte à

accepter de vivre avec un certain chaos

intérieur… histoire de ne pas se fossiliser

dans des positions bétonnées à jamais.

Ainsi, après moult hésitations, je me suisfinalement ralliée à la position de la FFQconcernant le port de signes religieux dans lafonction et les services publics québécois(FFQ 2009), qui était aussi la position –non unanime – du Collectif D’Abord soli-daires (CDS, 2007) : je me suis laisséeconvaincre que ces positions sont plus por-teuses d’ouverture. Par ailleurs, je gardetoujours, par rapport à certains aspects,comme un arrière-goût d’inconfort difficile àvivre certains matins : est-ce que j’aimeraisque mon petit-fils non baptisé se retrouvebientôt à l’école devant des enseignant-e-sportant cornette de religieuse catholique(elles reviendront à la mode bientôt) ou cru-cifix dans le cou, ou turban sikh, ou kippajuive, ou hijab musulman, ou t-shirt avecinscription style « Dieu n’existe pas »? Pascertaine, d’autant plus qu’on l’interdit à despersonnages qu’il n’aura pas l’occasion defréquenter très souvent (juges, procureur-e-sde la Couronne, policier-ère-s, gardien-ne-s

de prison, etc.), moins en tout cas que sesenseignant-e-s qui sont tout autant respon-sables, il me semble, de symboliser la neu-tralité de l’État et d’éviter l’apparence denon-neutralité. Mais je suis tout à fait d’ac-cord que ses copains et copines de classe,dont c’est le choix des parents, fréquententla même école publique, peu importe le portde leurs signes religieux. Et je souhaite qu’ilait accès au cours Éthique et culture reli-gieuse contrairement à plusieurs groupes quien contestent la légitimité.

Cela dit, il ne m’est jamais venu à l’esprit dedéchirer ma chemise et de quitter la FFQavec fracas. Le fait d’être en désaccord avecun aspect des positions n’invalide en rienl’accord sur d’autres aspects ni encore moinsl’entièreté du travail de la FFQ. Faire partied’une organisation/mouvement suppose lacapacité de vivre avec des désaccords –même importants – et la volonté de pour-suivre les débats, capacités qui n’ont jamaismanqué au mouvement des femmes.

Accepter d’entrer dans des zones de turbulences

Discuter de laïcité, c’est accepter d’entrerdans des zones de turbulences, de tiraille-ments entre diverses allégeances, de polari-sations de positions, d’interprétationsvariées de mêmes valeurs, de déchirementsquant aux rapports aux traditions, à l’identi-té, au féminisme, etc. Signer le Manifestepour un Québec pluraliste (février 2010) oucelui Pour un Québec laïque et pluraliste(mars 2010)? Malgré la contribution immen-se que représentent ces réflexions au débatpublic, je n’ai finalement signé ni l’un nil’autre, chacun comportant des aspects avec

Page 3: La laïcité - Relais-femmesrelais-femmes.qc.ca/files/Course 39.pdf · Le modèle du girl power. L’envers de l’image. . . p. 16 Le féminisme dans tous ses états. Féministes,

Relais-femmes est un organismeféministe sans but lucratif quiœuvre dans une perspective dechangement social et de promo-tion des droits des femmes et deleurs organisations.

Relais-femmes exerce des activités

de recherche, de formation et de

consultation destinées prioritaire-

ment à ses membres.

Pour réaliser cette mission, Relais-

femmes doit :

– Répondre aux demandes de re-

cherche des membres, promouvoir

(initier, appuyer et stimuler) la

recherche axée sur leurs besoins.

Ces recherches sont élaborées en

collaboration avec les membres et

s’appuient sur une démarche de

recherche-action.

– Répondre aux demandes de forma-

tion de ses membres, mener sa

propre analyse sur les besoins de

formation et initier des formations

au regard des intérêts de ses

membres.

– Rendre accessibles les résultats

des recherches et le fruit des

formations par divers moyens,

notamment par les publications.

– Participer au fonctionnement et

au développement du Centre de

documentation sur l’éducation des

adultes et la condition féminine,

lequel est spécialisé dans les

questions relatives aux femmes.

– Maintenir un réseau de personnes-

ressources aptes à donner des

conférences ou des sessions de

formation sur divers aspects de la

condition féminine et aptes à tra-

vailler avec les groupes sur des

questions précises.

la missionde Relais-femmes

3

lesquels j’étais en accord ou en désaccord.Faut-il être pour ou contre une Charte de lalaïcité? Pour les un-e-s, elle est indispen-sable afin de baliser les rapports entre reli-gions, État et société, mais pour d’autres,elle n’ajouterait rien à l’édifice des droitsdéjà en place.

Faut-il, au nom du pluralisme, récuser touteaspiration à l’universalisme, cette « ambi-tion universelle qui serait à bout de souffle »(Fourest, 2009), ou au contraire explorer cequ’il y a d’universel dans tout particularis-me? Comment « pourrons-nous vivreensemble, égaux et différents » (Touraine,1997)? D’autres diraient « égaux parce quedifférents », la différence faisant ici référen-ce à la pluralité des rapports aux religionset croyances diverses. Mais surtout, de quel-le laïcité parlons-nous? Stricte ou ouverte?Comment y voir clair quand les tenants desdeux positions affirment que seule la leurgarantit entre autres les droits des femmes?

Rien d’étonnant ni de spécifiquement « purelaine » à ces interrogations, quand on saitque la laïcité se décline à la fois au singu-lier et au pluriel. « Au pluriel, car suivant lestraditions nationales et régionales, lesconjonctures géo-politiques, les mutationssociales dominantes, les périodes socio-historiques, différents types de laïcité s’avè-rent plus ou moins hégémoniques. La réalitéempirique est infinie et mêle des ingrédientsmultiples. […] Au singulier car, si diversessoient leurs formes, et les situations aux-quelles elles correspondent, les laïcités onttoutes en commun le fait d’articuler, defaçon plus ou moins harmonieuse, quatreprincipes. Deux portent sur les finalités : lagarantie de la liberté de conscience, l’égalitéet la non-discrimination. Deux concernent lesmoyens : la séparation du politique et dureligieux, la neutralité de l’État à l’égard desdiverses croyances. Le terme de laïcité estdonc irremplaçable, […] parce que seul il est

capable de rassembler ces quatre éléments »(Baubérot et Milot, 2011).

Ces éléments se retrouvent d’ailleurs dans laDéclaration universelle pour la laïcité au XXIe

siècle (2005), qui se veut une tentative defaire de la laïcité une valeur universelle etpartagée par des citoyen-ne-s de nombreuxpays, « et donc attachés à des projets desociété fort différents de manière à s’en-tendre sur une définition de la laïcité quiaffiche clairement les modalités communesd’un vivre ensemble moderne et démocra-tique, tout en permettant de le décliner defaçons diverses suivant les contextes histo-riques, culturels, politiques et religieux. »Beaucoup de turbulences en vue, disais-je!!!

La réappropriation « patrimoniale »de nos luttes pour la laïcisation, ladéconfessionnalisation et la sécularisa-tion de la société québécoise

Pour une large partie de son histoire collec-tive, le Québec a vécu sous la dominationd’une Église unique, d’une pensée unique etd’une relation quasi incestueuse entre lepouvoir religieux et le pouvoir politique, etce, même s’il n’y avait plus d’Église d’Étatau Canada et au Québec dès le milieu duXIXe siècle. En un temps record, la sociétéquébécoise a vécu la laïcisation de l’État, ladéconfessionnalisation de ses institutions etde nombre d’organisations (ex. : les syndi-cats) et la sécularisation de ses rapportssociaux. Ces phénomènes, tout en étant dis-tincts, s’entrecroisent et se nourrissentmutuellement. « La sécularisation est unphénomène de société qui ne requiert aucunemise en œuvre politique; c’est lorsque le reli-gieux cesse d’être au centre de la vie deshommes même s’ils se disent toujourscroyants […]. La laïcité en revanche estexplicite : c’est un choix politique qui définitde manière autoritaire et juridique la placedu religieux […] sa visibilité dans l’espacepublic » (Roy, 2005).

Page 4: La laïcité - Relais-femmesrelais-femmes.qc.ca/files/Course 39.pdf · Le modèle du girl power. L’envers de l’image. . . p. 16 Le féminisme dans tous ses états. Féministes,

4

Or, quand on parle du « patrimoine québé-cois », c’est souvent pour faire état de la tra-dition catholique, de son impact sur la culturemajoritaire et dont nous aurions hérité commepar osmose. Mais il est un autre patrimoinequ’il importe de nous réapproprier : ce sontprécisément ces luttes menées pour la laïcisa-tion, la déconfessionnalisation et la séculari-sation de la société québécoise. À preuve :

• Certes l’idée de la laïcité est antérieure auxPatriotes (1837), mais j’aime me rappelerqu’elle a été largement promue par cesrebelles dont le programme politique stipulait« Que toute union entre l’Église et l’État estpar la présente déclarée être dissoute, et toutepersonne aura le droit d’exercer librement tellereligion ou croyance qui lui sera dictée par saconscience » (Filteau, 2003). On se rappelleraqu’ils ont été écrasés par le sabre et le gou-pillon… par l’armée britannique et par l’Église catholique.

• Cent ans plus tard, le Refus global (Borduas,1948) a sonné les premiers appels à unedéconfessionnalisation de la société québécoi-se. Courageux manifeste contre l’orthodoxiereligieuse de l’époque! « Au diable le goupillonet la tuque! » n’hésitaient pas à clamer lessignataires irrespectueux et rebelles eux aussi.Ils osaient s’attaquer à l’Église catholique, auclergé et à ses institutions venus « perpétuer[…] le prestige et les bénéfices du catholicis-me malmené en Europe. Héritières de l’autoritépapale, mécanique, sans réplique, grands

maîtres des méthodes obscurantistes, nos mai-sons d’enseignement ont dès lors les moyensd’organiser en monopole le règne de la mémoi-re exploiteuse, de la raison immobile, de l’in-tention néfaste. » Et Borduas de poursuivre enmontrant comment la barricade s’est lézardée :voyages à l’étranger, échos entendus des révo-lutions outre-frontières, lectures « inter-dites ». « Des consciences s’éclairent aucontact vivifiant des poètes maudits. » Et demultiplier les critiques acerbes envers lecatholicisme : « Par-delà le christianisme, noustouchons la brûlante fraternité humaine dont ilest devenu la porte fermée. » Le catholicismequébécois est passé au crible d’une penséecritique et rebelle. Il me semble encore sentirle vent d’air frais qui avait alors commencé àsouffler…

• La Révolution tranquille a poursuivi cettelavalas1 québécoise en déconfessionnalisant etlaïcisant progressivement les grandes fonc-tions étatiques. Quand les Insolences du Frère

Untel sortent de même que les Fous crient ausecours, au début des années 1960, quand lerapport Parent réforme l’éducation, que le rap-port Castonguay fait de même en santé, qu’onprocède à la déconfessionnalisation desCommissions scolaires dans les années 1990 etque le rapport Proulx en 1999 enclenche ladéconfessionnalisation du système scolaire,c’est tout l’édifice bâti sur la pensée chrétien-ne qui se métamorphose. On commence à pen-ser qu’il est possible d’avoir un bon systèmed’éducation et de santé sans le « regard deDieu » et de ses représentant-e-s sur terrepour assurer leur gestion.

• De son côté, le mouvement laïque duQuébec aura contribué depuis le milieu desannées 1970 à maintenir ouverte, dans uncontexte de grande hostilité, l’hypothèse de lalaïcité. Leur courageux combat pour obtenirl’exemption du cours de religion – dont mesfils ont bénéficié – aura été parmi les pre-miers à oser s’en prendre au dogme et à préfi-gurer les changements que nous vivonsaujourd’hui.

• Enfin les luttes des femmes québécoisespour se dégager du joug de l’Église catho-lique, de l’emprise d’une religion qui dictaitles politiques sociales dans tous les domaines

Les Insolences du Frère Untel, publié en 1960.

Manifeste du Refus global, publié par Paul-ÉmileBorduas en 1948.

Les patriotes de 1837-1838, par Jean Cartier etGeorge Juhasz (murale centrale, métro Papineau).

Page 5: La laïcité - Relais-femmesrelais-femmes.qc.ca/files/Course 39.pdf · Le modèle du girl power. L’envers de l’image. . . p. 16 Le féminisme dans tous ses états. Féministes,

de leur vie; leurs longs combats pour l’égalitécontre les pouvoirs coalisés du politique et dureligieux (Collectif Clio, 1992; CSF, 2011) ontété déterminants pour changer radicalementl’orientation de la société québécoise, carelles ont réussi à faire s’articuler luttes pourla laïcisation et luttes pour les droits desfemmes.

Sortir de l’Orient imaginaire

Il serait sans doute fort enrichissant d’intégrerà cette mémoire des luttes d’ici celles menéesdans leur pays d’origine par un certain nombred’immigrant-e-s sur les mêmes questions. Queces personnes soient venues de pays euro-péens, latino-américains, africains, asiatiquesou arabes, peu importe l’époque de leur immi-gration au Québec, ancienne ou récente, peuimporte leur religion, ces citoyen-ne-s québé-cois-e-s ont apporté et continuent d’apporterune contribution particulière à la réflexioncollective et participent de plein droit auxprocessus de laïcisation et de sécularisationau Québec.

Mais nous connaissons hélas trop peu leurapport. Bien plus, et en particulier vis-à-visdes immigrant-e-s d’origine arabo-musulmane,nous sommes profondément marqués, en tantqu’Occidentaux, « par un faisceau d’imagescomplémentaires et contradictoires formé parl’accumulation de notre imaginaire oriental, quiexpliquent en partie les difficultés que nouséprouvons devant l’islam » (Hentsch, 1988). Il est grand temps d’en sortir.

Nous savons en effet que ces personnes immi-grantes vivent les mêmes phénomènes quantau rapport à la religion, que leur « ferveurreligieuse » n’y est pas plus grande que celledes Québécois-e-s dit-e-s « de souche », nileur demande d’accommodement d’ailleurs. LaCommission des droits de la personne et desdroits de la jeunesse (2007) a bien cerné lasituation et ouvert des perspectives fort inté-ressantes quand elle affirme : « Il est plutôtpermis de penser, à la lumière de nos résultats,que le débat sur les accommodements religieux,tout comme celui, plus large, de la place de lareligion dans l’espace public, a toutes leschances de mener à la création d’alliances“objectives” entre des individus de cultures etde religions très variées, minoritaires commemajoritaires, d’implantation ancienne commerécente. Une telle tendance a d’ailleurs pu êtreclairement observée au cours des audiences dela Commission Bouchard-Taylor. C’est ainsi que

les interventions de plusieurs musulmans d’ori-gine étrangère ayant fait l’éloge d’un modèlede laïcité ferme, voire inflexible, ou encorecelles de Québécois dits “de souche” ayantexprimé leur nostalgie d’un État ménageantune place privilégiée à la religion, de préféren-ce majoritaire, sont autant de signes indiquantqu’on ne peut réduire le débat en cours à unelutte idéologique opposant la majorité ethno-religieuse du Québec à ses minorités. »

Nous savons que des femmes musulmanesmènent aussi le combat du féminisme ici etailleurs dans le monde. « Depuis 14 siècles, ona installé dans les consciences qu’islamité égaleautocratie, enfermement et dictature. Nousdisons que nos textes sacrés présentent aucontraire les germes d’une véritable expériencedémocratique » (Yassine, 2008). Les soulève-ments dans le monde arabe ne sont-ils pas entrain d’en faire la démonstration? Et encore :« Le féminisme islamique s’est donné commedouble tâche, d’une part, d’exposer et d’éradi-quer les idées et les pratiques patriarcales pré-sentées comme islamiques – “naturalisées” etperpétuées sous cette forme – et, d’autre part,de raviver l’idée centrale en islam de l’égalitéhomme-femme (inséparable de l’égalité detous les êtres humains) » (Badran, 2006).Cela aussi fait partie de notre patrimoinecommun…

5

Abdelkader sauvant les chrétiens de Damas, par Jean-Baptiste Huysmans (1826-1906). Émir d’Algérie etgrand homme d’État, Abdelkader (1808-1883) fut un défenseur acharné du dialogue entre l’Orient etl’Occident et est universellement reconnu pour son combat en faveur de la liberté et de la tolérance.

Sour

ce :

vit

amin

edz.

com

Québécoises deboutte, une anthologie de textes duFront de libération des femmes et du Centre desfemmes (1969-1975), publiée en 1982.

Page 6: La laïcité - Relais-femmesrelais-femmes.qc.ca/files/Course 39.pdf · Le modèle du girl power. L’envers de l’image. . . p. 16 Le féminisme dans tous ses états. Féministes,

6

Nous sommes parti-e-s de très loin etnous ne sommes pas encore arrivé-e-s à destination2

La longue marche de la laïcisation n’est pasterminée… le sera-t-elle jamais? Le CSF(2011) a raison d’affirmer « que le Québecpeine à parachever son processus de laïcisationamorcé il y a plusieurs années. Pour une partiede la population, la religion catholique estencore synonyme de culture publique commune.On conserve des rituels et des signes religieuxen prétextant qu’ils représentent la culturemajoritaire à laquelle chacune et chacundevrait adhérer. » Le combat d’arrière-gardemené par le maire Tremblay de Saguenay etappuyé par un nombre significatif de sesconcitoyen-ne-s ou encore la motion unanimede l’Assemblée nationale pour garder le cruci-fix dans l’enceinte parlementaire montrent àl’évidence qu’on ne s’affranchit pas si facile-ment de la tutelle d’une religion qui repointele nez sous prétexte de « patrimoineculturel ».

On pourrait également aligner les situationsoù la laïcité est mise à rude épreuve : finan-cement des écoles privées confessionnelles,des services religieux dans les établissementsde santé, des services d’animation spirituelledans les écoles secondaires; dérogation aucalendrier scolaire ou modification du régimepédagogique en raison de motifs religieux(l’affaire Courchesne et des écoles juives de lacommunauté hassidique); congés publics sta-tutaires basés sur l’héritage chrétien/catho-lique (le dimanche, Noël, Pâques); inscriptionde la « suprématie de Dieu » dans le préambu-le de la Charte canadienne des droits; ser-ments prêtés sur la Bible, etc.

Il en est de même de la contestation du coursÉthique et culture religieuse par une certainedroite catholique devenue orpheline de sestraditionnels cours de religion à l’école. Ici lalaïcisation des institutions scolaires est per-çue comme une valorisation de l’athéisme, uneinsulte à la religion majoritaire, un parti prispour d’autres religions. Ne plus pouvoir s’enremettre aux structures de l’école pour assurercette tâche mettrait même la société en péril.

La laïcité devient une sorte de saut dans levide quant aux repères pour le vivre ensemble.Encore une fois, le Refus global avait bien dia-gnostiqué cette « peur d’être seul sans Dieu »qui nous collait aux entrailles. On pourraitparler ici de la peur d’être seul avec Dieu… en dehors de l’école.

Enfin, le gouvernement du Québec manœuvreau « pif », ballotté selon l’humeur de politi-ciens populistes, réagissant au cas par cas,sans cohérence et sans vision. Le temps d’undébat sérieux sur la laïcité est venu.

Renouveler la manière de faire desdébats de société dont celui sur la laïcité

Certains enjeux de société viennent titiller descertitudes acquises. Il en est ainsi – pour n’enmentionner que quelques-uns – du débat prosti-tution/travail du sexe, de l’interrogation sur le« mourir dans la dignité », de la procréationassistée, des organismes génétiquement modi-fiés, des choix énergétiques, etc. Plus les ques-tions sont complexes, plus les débats sont impor-tants, plus les processus deviennent cruciaux.

Le débat sur la laïcité n’a pas encore eu lieuau Québec! Ne pourrait-on innover un peu,beaucoup, passionnément concernant la façonde le faire? La Commission BT réclamait unLivre blanc : ce n’est pas exactement ce qu’onappelle un débat, puisqu’il s’agit pour le gou-vernement de produire un texte explicitant lespolitiques qu’il entend suivre. La FFQ proposeun Livre vert : il s’agit pour le gouvernementde mettre sur la table des propositions en vued’un débat public… l’initiative restant entreles mains du gouvernement. Enfin, la FFQ et le CSF et nombre d’autres organisations récla-ment une commission parlementaire pourdébattre de la question.

Nous demeurons dans le ronronnement tradi-tionnel. Voir des représentant-e-s d’orga-nismes ou des citoyen-ne-s sur une base per-sonnelle défiler à la queue leu leu, répondreaux questions de parlementaires et s’enretourner sans avoir véritablement débattuavec qui que ce soit ne représente certes pasle summum du débat public.

Sour

ce :

mes

se.f

orum

acti

f.ne

t

Procession de la Fête-Dieu sur la Côte-de-la-Fabrique à Québec en 1919.

Page 7: La laïcité - Relais-femmesrelais-femmes.qc.ca/files/Course 39.pdf · Le modèle du girl power. L’envers de l’image. . . p. 16 Le féminisme dans tous ses états. Féministes,

7

BADRAN, M. (2006) Le féminisme islamique revisité.

www.islamlaicite.org

BAUBÉROT, J. et M. MILOT (2011) Laïcités sans fron-

tières. Paris, Le Seuil. Coll. « La couleur des idées ».

BENHABID, D. (2009) Ma vie à contre-Coran. Une

femme témoigne sur les islamistes. VLB Éditeur. Coll.

« Partis pris actuels ».

BORDUAS, P.-E. (1990) Refus global et autres écrits.

Montréal. Typo 48. Éditions de l’Hexagone.

COLLECTIF D’ABORD SOLIDAIRES (2007) Pour un Québec

inclusif, riche de sa diversité et solidaire. Mémoire

présenté à la Commission de consultation sur les

pratiques d’accommodements reliées aux différences

culturelles.

COMMISSION DES DROITS DE LA PERSONNE ET DES DROITS DE LA

JEUNESSE (2007) Ferveur religieuse et demandes

d’accommodements religieux : une comparaison

intergroupe. Paul Eid, Direction de la recherche et

de la planification.

CONSEIL DU STATUT DE LA FEMME (2011) Affirmer la laïci-

té. Un pas de plus vers l’égalité réelle entre les

femmes et les hommes.

Déclaration universelle sur la laïcité au XXIe siècle.

Texte rendu public en décembre 2005 par Jean

Baubérot, professeur à l’École pratique des hautes

études (Paris), Roberto Blancarte, du Collegio de

Mexico, et Micheline Milot, de l’Université du

Québec à Montréal. www.aidh.org

FÉDÉRATION DES FEMMES DU QUÉBEC (2009) Débat sur la

laïcité et le port de signes religieux ostentatoires

dans la fonction et les services publics québécois.

Propositions et réflexions du Conseil d’administra-

tion pour l’Assemblée générale du 9 mai 2009.

Résumé des positions de la FFQ lors de l’Assemblée

générale du 9 mai 2009.

FÉDÉRATION DES FEMMES DU QUÉBEC (2010) Mémoire sur le

projet de loi 94.

FILTEAU, G. (2003) Histoire des Patriotes. Québec. Les

éditions du Septentrion.

FOUREST, C. (2009) La dernière utopie. Menaces sur

l’universalisme. Paris. Grasset.

GEADAH, Y. (2007) Droit à la différence et non diffé-

rence de droits. VLB Éditeur.

HENTSCH, T. (1988) L’Orient imaginaire. La vision poli-

tique occidentale de l’Est méditerranéen. Paris. Les

Éditions de Minuit.

HOUPANI-BERFAS, Z. (2002) Lettre d’une musulmane

aux Nord-Américaines. Montréal. Écosociété.

LE COLLECTIF CLIO (1992) L’histoire des femmes du

Québec. Montréal, Le Jour Éditeur.

LEROUX, G. (2007) Éthique et culture religieuse.

Dialogue. Arguments pour un programme. Montréal,

Fides.

LIGUE DES DROITS ET LIBERTÉS (2010) Laïcité.

Manifeste pour un Québec pluraliste (2010).

MCANDREW, M. (2007) « Pour un débat inclusif sur

l’accommodement raisonnable ». Article soumis à la

revue Éthique publique.

MILOT, M. (2011) « La laïcité confuse ». La Presse.

12 mars 2011.

MOUVEMENT LAÏQUE QUÉBÉCOIS (2007) Pour une gestion

laïque de la diversité culturelle. Mémoire présenté à

la Commission de consultation sur les pratiques

d’accommodements reliées aux différences cultu-

relles.

Pour un Québec laïque et pluraliste (2010).

PROULX, J.-P. (1999) Laïcité et religion. Perspectives

nouvelles pour l’école québécoise. Ministère de l’Édu-

cation. Québec.

ROCHER, G. (2011) « Il ne faut pas imaginer que

nous avons inventé la laïcité dans les années

2000 ». Le Devoir. Cahier de la journée de la

femme. 5 et 6 mai 2011.

ROY, O. (2005) La laïcité face à l’Islam. Paris.

Hachette littérature.

TESTART, J. (2005) « Renouveau de la démocratie

participative ». Pour changer le monde. Manière de

voir 83. Le Monde diplomatique. Octobre-novembre

2005. p. 91-93.

TOURAINE, A. (1997) Pourrons-nous vivre ensemble?

Égaux et différents. Paris. Fayard.

YASSINE, N. (2008) « Féminisme islamique ».

Entrevue parue dans le journal Alternatives, octobre

2008.

WWW.SISYPHE.ORG

Mieux vaudrait innover vraiment et expéri-menter des formules de débat participatif quise rapprochent de celles du BAPE ou de l’as-semblée citoyenne, des conférences deconsensus ou d’inventer une formule qui per-met aux citoyen-ne-s l’appropriation véritabled’un sujet controversé et de le mener à terme(Testart, 2005). Pourquoi ne pas associer àcet exercice l’expertise des groupes defemmes, des groupes en éducation populaireet en alphabétisation, tous « experts » enparticipation des plus vulnérables et des plusexclu-e-s. Le débat sur la laïcité est tropimportant pour le laisser dans les seulesmains des politiciens et des « experts » detout acabit.

Lorraine Guay Infirmière à l’Institut de réadaptation

Gingras-Lindsay, agente de recherche àl’Université de Montréal et militante

en milieu communautaire

1. Lavalas : averse ou avalanche en créole.

2. Paraphrasé du Manifeste des femmes duQuébec pour l’an 2000 d’Hélène Pedneault.

Bibliographie

Page 8: La laïcité - Relais-femmesrelais-femmes.qc.ca/files/Course 39.pdf · Le modèle du girl power. L’envers de l’image. . . p. 16 Le féminisme dans tous ses états. Féministes,

« ... Et les tribunaux de la charia que vou-draient instaurer certains? Nous sommesdans un pays laïque, Leila!! » Voilà ce quemartelait une grande amie lors de la péripé-tie des accommodements raisonnables, alorsque nous partagions un repas dans notrerestaurant préféré. « Je n’ai pas envie quemon pays change, tu comprends?! Si nouscommençons à faire des concessions àgauche et à droite, ce ne sera plus leQuébec, et moi ça me fait peur, ça! »,d’ajouter cette fille qui avait partagé unepartie importante de ma jeunesse, mais qui,à ce moment précis, semblait me parlerdepuis l’autre côté d’une grande barrière deconfusion et de peur. Étant toutes deux ori-ginaires du Moyen-Orient, nous avions étél’une pour l’autre un havre de reconnaissan-ce et de compréhension pendant ces annéescharnières qu’avaient été l’adolescence et lavingtaine. Toutefois, malgré les années pas-sées à se réconforter mutuellement face auxtiraillements culturels et générationnels quenous vivions dans le contexte de nosfamilles immigrées, la distance qui semblaitnous séparer au cours de cet échange meparaissait insurmontable.

J’avais l’habitude de confronter des femmestrès en colère face à mes positions sur laquestion du foulard ou encore sur « la placede l’Islam au Québec ». Mais jamais je n’auraisimaginé avoir ce type d’échange avec une per-sonne ayant côtoyé de si près, et pendanttant d’années, de nombreux musulmans etmusulmanes. Elle, au moins, aurait dû com-prendre que la réalité de la présence musulma-ne au Québec n’est ni uniforme, ni binaire.Pourquoi alors cette réaction? Avait-elle lesouci de se démarquer d’avec ces Autres, siimpopulaires par ailleurs? Cette discussion m’a réellement ébranlée. Elle m’a poussée àprendre acte de ce qui se passait autour de

moi à cette époque, et qui perdure encoreaujourd’hui, mais selon des termes différents :une bonne partie de la société succombait àla peur de l’Autre et de ce que sa présencepouvait signifier pour elle et pour le Québectout entier. Et à défaut de pouvoir préciser leproblème, on se référait, il y a déjà quatre ansde cela, à ce mot aujourd’hui devenu fétiche –la laïcité. Mais de quoi s’agit-il au juste?Qu’est-ce que la laïcité? Ce petit mot en estvenu à signifier tellement de choses pour tel-lement de personnes, qu’il est parfois difficiled’en retracer la signification originelle. Sansavoir la prétention d’en connaître la « réelle »signification, je profite de la tribune qui m’estofferte pour décrire ce qu’évoque la questionde la laïcité pour moi.

Je voudrais d’abord confirmer que je suis trèsheureuse de vivre dans une société où la reli-

gion ne détermine plus les affaires de l’État.Je suis soulagée de savoir que quelle que soitson appartenance confessionnelle, tout unchacun peut compter sur la protection de l’État. Originaire du Liban, je sais très bien cequi peut advenir d’une société lorsqu’elle estaux prises avec un système confessionnel.Outre les conflits armés et la corruption qu’untel système peut engendrer, les citoyens etcitoyennes sont quotidiennement confrontésaux inégalités que leur impose un système endistribuant privilèges et prohibitions selon lesrègles imposées par les 18 groupes confes-sionnels reconnus officiellement. Aucunrecours commun vis-à-vis de l’État n’est pos-sible. La laïcité est donc incontournable pourla garantie de représentativité et de protec-tion que celle-ci procure à tous et à toutes.La possibilité pour tous les citoyens etcitoyennes de jouir des mêmes droits et

8

LaïcitéD e q u o i s ’ a g i t - i l a u j u s t e ?

par Leila Bdeir

La Tour de Babel, par Pieter Bruegel (vers 1525-1569).

Sour

ce :

efs

d-hd

a.bl

ogsp

ot.c

om

Page 9: La laïcité - Relais-femmesrelais-femmes.qc.ca/files/Course 39.pdf · Le modèle du girl power. L’envers de l’image. . . p. 16 Le féminisme dans tous ses états. Féministes,

9

responsabilités, peu importe leur appartenanceconfessionnelle; voilà, à mon avis, où reposela composante cruciale du concept de laïcité.

Par ailleurs, la laïcité signifie non pas l’absen-ce du fait religieux, mais plutôt la mise àniveau de ce phénomène. Autrement dit, lalaïcité interdit de promouvoir les intérêtsd’une communauté religieuse aux dépens deceux d’une autre. Ce fonctionnement s’ap-plique également entre les communautés depersonnes adhérant à une religion et cellesqui se définissent comme athées ou agnos-tiques. Ainsi, la laïcité a-t-elle cet aspectrévolutionnaire lorsqu’elle apparaît sur lascène politique en France au siècle dernier, ence sens qu’elle permet aux groupes différentsde cohabiter au sein d’une même société sansque l’un soit privilégié par l’État ni, surtout,réprimé par cet État. Dans le contexte québé-cois, la laïcité apparaît donc comme une for-mule particulièrement appropriée, car elle per-met la gestion de la diversité religieuse, deve-nue aujourd’hui un fait sociétal indéniable.

Foulard ou laïcité : thèmes interchangeables

Il va sans dire que le sujet de la laïcité soulè-ve les passions, particulièrement lorsque ledébat est sollicité par la « question du voile ».Car il faut se le dire, aujourd’hui le débat surla laïcité est souvent synonyme du débat sur lefoulard islamique que portent certainesfemmes musulmanes. D’aucuns diront que j’enfais moi-même une fixation en abordant lesujet sous cet angle. Or, je persiste et signe :le débat sur la laïcité est difficile, car il estaussi un débat sur la place que l’on veut bienaccorder à une tranche de la société qui seréclame davantage de son identité religieuseet/ou ethnoculturelle, particulièrement lesmusulmans et les musulmanes. Bien qued’autres communautés ethnoreligieuses fassentaussi l’objet d’un examen inédit de leursmœurs et pratiques, aucun groupe ne semblesusciter une réaction aussi viscérale que lesmusulmans, et surtout les musulmanes, dontl’appartenance religieuse est davantage visible.Effectivement, pour tous les incidents dont

nous avons témoigné au cours des dernièresannées au Québec et qui avaient comme thèmecentral le foulard islamique (toutes versionsconfondues), nous avons pu constater la pré-sence d’un niveau d’émotivité très élevé. Àmon avis, il est important d’abord de recon-naître ce fait et, ensuite, de reconnaître lasource de l’incapacité à l’objectivité dont plu-sieurs font preuve lorsqu’il en question.

Le fait est que le foulard est devenu un sym-bole qui renvoie beaucoup de Québécois etparticulièrement de Québécoises à une époqueoù le joug religieux régnait sur le Québec etqui avait privé tant de femmes de la possibili-té de décider de leur propre destin. Ainsi, laprésence en masse notamment depuis lesannées 1990 de personnes dont l’appartenan-ce et la pratique religieuses jouent un aussigrand rôle dans leur vie rappelle pour bonnombre de Québécois-es dit-e-s de souche uneréalité qu’ils et elles pensaient évacuée depuisla Révolution tranquille. Cette lutte contre lamain forte de l’Église catholique n’a pas étéfacilement remportée et il est normal pour desgens, particulièrement ceux et celles qui enont été témoins, de se sentir inquiets vis-à-visde la résurgence du spectre religieux, d’autantplus qu’il viendrait « d’ailleurs ».

Voilà où se situe, à mon avis, le nerf de laguerre du débat sur la laïcité. Il s’agit d’undébat sur la façon dont nous voulons gérer ladiversité. Par contre, bien que je reconnaisse

l’importance et la validité d’un tel exercice, jeconsidère que nous avons la responsabilité col-lective, en tant que société démocratique,d’éviter de le faire sur le dos d’une communau-té en particulier, en l’occurrence la communau-té musulmane. Car aujourd’hui, le débat sur lalaïcité est régulièrement récupéré par des per-sonnes qui souhaitent interdire la pratiquevisible de certaines croyances religieuses etdes pratiques traditionnelles et/ou culturelles.

Patrimoine vs laïcité

Depuis l’époque de la Commission sur lesaccommodements raisonnables, le débat publica continué d’évoluer. D’ailleurs, plusieurs intel-lectuels ont affirmé l’urgence de définir plusclairement les composantes de l’identité qué-bécoise, de ce « Nous » originel, face, notam-ment, à la présence croissante de personnesissues de cultures et/ou religions autres. Parmiles thèmes ayant émergé, se retrouve celui du« patrimoine », en tant que référence auxbiens, qu’ils soient matériels ou non, qui déno-tent l’histoire, la culture et l’identité québé-coises. Évidemment, tout peuple se doit deprotéger son patrimoine et le Québec ne doitpas faire exception. Or, il est possible d’identi-fier, dans le contexte québécois, certainesincohérences aux conséquences considérablessur le débat sur la laïcité. Une des principalesraisons avancées par ceux et celles qui vou-draient interdire le port de symboles religieuxdits « ostentatoires » dans la fonctionpublique est le désir d’assurer la neutralité del’État. À mon avis, la neutralité de l’État nepeut être remise en cause par le fait qu’un cer-tain nombre de ses employé-e-s affichent leurappartenance religieuse tant et aussi long-temps que l’État ne fait pas, lui-même, la pro-motion de telle ou telle pratique religieuse.

Par ailleurs, ce qui est étonnant est le deuxpoids deux mesures qui s’installe de plus enplus dans ce débat. Autrement dit, autant cer-taines situations peuvent-elles susciter unegrande indignation au nom de la sacro-saintelaïcité, autant certaines pratiques qui, à monavis portent atteinte de façon beaucoup plusclaire et directe au caractère laïque de l’ÉtatSo

urce

: s

3.e-

mon

site

.com

Page 10: La laïcité - Relais-femmesrelais-femmes.qc.ca/files/Course 39.pdf · Le modèle du girl power. L’envers de l’image. . . p. 16 Le féminisme dans tous ses états. Féministes,

québécois, sont-elles tolérées et même défen-dues au nom du patrimoine. Le meilleurexemple en est sans doute le crucifix àl’Assemblée nationale. Personnellement, laprésence d’un tel symbole de la foi chrétiennen’affecte pas la confiance que j’accorde à mongouvernement en ce qui a trait à son droit deréserve face aux appartenances religieuses detous les citoyen-ne-s québécois-es. Or, cela nem’empêche pas de constater qu’il y a danscette position une réelle contradiction, voirede l’hypocrisie. Car s’il est un endroit où laneutralité ainsi que l’apparence de neutralitédoivent être maintenues, c’est bien au sein dece haut lieu de pouvoir décisionnel. Toutefois,certains défendent le maintien de la croix aunom du patrimoine. N’est-ce pas là une posi-tion particulièrement contradictoire, étantdonné qu’une des principales explications durejet du foulard islamique porté par certainesfemmes musulmanes est que la religion estune source d’oppression pour les femmes, telleque vécue par les Québécoises aux mains del’Église catholique? Comment alors justifier laprésence d’un symbole qui rappelle si explici-

tement l’emprise qu’avaient autrefois les insti-tutions de cette même Église dans un lieu quise doit de représenter tous les Québécois etQuébécoises?

Pistes pour l’avenir

En tant que féministe, je reconnais l’importan-ce d’assurer aux femmes l’accès à des recourslégaux et judiciaires indépendants des institu-tions religieuses qui gèrent les affaires deleurs communautés. Voilà un des aspects lesplus fondamentaux de la laïcité. Par contre, jene crois pas qu’il soit souhaitable, ni mêmepossible, d’utiliser ce grand outil de la démo-cratie pour évacuer le débat de société quis’impose à nous. Il est incontournable pournous de parler des changements qui s’opèrentactuellement au sein de notre société et desmodalités d’une vie collective avec ces chan-gements. Le Québec n’est plus et ne sera plusjamais un pays homogène. La diversité est unfait avec lequel nous devons apprendre à vivreet il va sans dire que cette diversité impliquenécessairement des ajustements.

D’autant plus qu’à une époque de transforma-tions et de déplacements perpétuels, il n’estpas possible de fixer de façon permanente leshabitudes d’une société. Cela implique doncqu’il y ait, de part et d’autre, une réelleouverture et un dialogue qui laissent place àdes choix différents et multiples, pour autantque les droits des uns et des autres ne soientpas bafoués. Je reconnais l’importance d’ins-taurer un certain nombre de balises afin denous permettre de cohabiter d’une façon plusharmonieuse. Or, je crois qu’il serait très dan-gereux et même futile d’utiliser la laïcitécomme moyen d’imposer la conformité qui, detoute façon, est impossible à accomplir.

Leila BdeirEnseignante au niveau collégial (Vanier),2e vice-présidente du Groupe international

d’étude et de réflexion sur la femme en Islam

10

110, rue Sainte-Thérèse, bureau 301, Montréal (Québec) H2Y 1E6Tél. : (514) 878-1212 • Téléc. : (514) 878-1060 • courriel : [email protected]

Cochez une ou plusieurs des options suivantes :

Veuillez inscrire mes coordonnées sur votre liste d’envoi.

Veuillez me faire parvenir l’information relative à l’adhésion à Relais-femmes.

Veuillez noter mon changement d’adresse ou l’ajout de mon adresse électronique.

IMPORTANT : le courrier électronique nous offre la possibilité de vous joindre à moindre coût. Portez une attention spéciale à l’inscrip-tion de votre courriel. Merci.

Nom et prénom

Adresse postale

Adresse électronique

Téléphone Télécopieur

formulaire à reproduire et à distribuer

Assurez-vous d’être au courant des dernières nouvelles en matière de condition des femmes.Remplissez cette fiche et inscrivez-vous sur la liste d’envoi de Relais-femmes.

Page 11: La laïcité - Relais-femmesrelais-femmes.qc.ca/files/Course 39.pdf · Le modèle du girl power. L’envers de l’image. . . p. 16 Le féminisme dans tous ses états. Féministes,

11

À qui profite le crime?Une h i s t o r i c i t é abo l i e

Pourquoi donc maintenant une telle polé-mique autour de la laïcité? À qui profite« le crime »?

Les couples rhétoriques à la mode – laïcitéouverte/laïcité fermée, laïcité positive/négativeou encore laïque/non laïque – laissententendre que certains seraient passéistes et« laïcards » et d’autres modernistes etouverts. Cliver de la sorte est une trahisonhistorique, car la laïcité ne se décline passelon des couples rhétoriques binaires. Ils’agit d’un terme désignant un long processushistorique d’émancipation collective. EnEurope, la séparation des églises et de l’Étatest régulièrement constitutionnelle; la volontéde distinguer les sphères personnelles, reli-gieuses et publiques ou étatiques repose surl’exigence d’échapper enfin à une Histoirecruelle, abominable et interminable, celle desguerres de religion, épouvante qui a sévi surl’Europe des siècles durant.

La laïcité ne doit pas d’abord être mise encorrélation avec des termes comme athéisme,par exemple, ou occidentalisme. Ce qui fait laracine historique du mouvement laïque, cesont les violences atroces dues à la concurren-ce entre religions, ces violences armées aucœur de l’Europe. Et n’oublions pas aussi qu’auJapon, l’article 20 de la Constitution, quiaffirme le caractère laïque de l’État, a étévoulu après la guerre par les mouvementssociaux et pacifistes, afin de tourner la pagedu passé militaro-fasciste se nourrissant dushintoïsme.

Un des ressorts essentiels de ce retour deflamme qui tend à « carboniser » la laïcité

réside dans la confrontation difficile et exi-geante avec l’Islam, à tel point qu’il seraitillusoire de penser l’une sans l’autre. Une telleconfrontation pourtant pourrait être considé-rée comme une chance, celle de réactiver desespérances du passé, en développant une fidé-lité inventive, faite de transmission et d’intel-ligence collective.

La question de la laïcité aujourd’hui est doncd’abord celle d’une fidélité inventive, renouve-lant la pensée. Comment prolonger le proces-sus d’émancipation historique, qui a arrachéles populations à la guerre et à la violencehumaine? Comment ne pas revenir à ces car-nages? Et d’abord, comment ne pas retournerà la violence des hommes, des « mâles »? Carun autre refoulement, c’est l’oubli de la vio-lence patriarcale, liée à la puissance religieu-

se, et dont les femmes forcément, hier commeaujourd’hui, sont les principales victimes.

Mais cette polémique rhétorique occulte aussiautre chose d’une autre nature : l’importancedes menaces liées à la domination financière,menaces portant sur les droits politiques etsociaux. Car l’ultralibéralisme, opposé à l’Étatde droit en tant qu’instance régulatrice, a toutintérêt à cette polémique et à cette disqualifi-cation de la laïcité.

Ainsi dans la foulée de « laïcité/non-laïcité »sont apparus les « accommodements raison-nables » dont on s’aperçoit régulièrementqu’ils imposent une vision des rapportssociaux opposée aux traditions socio-démo-crates, et très en phase avec l’ultralibéralisme.Dans un monde dominé par la finance et

par Majo Hansotte

Agnus Dei, par Francisco de Zurbarán (1598-1664).

Sour

ce :

bou

achi

ched

eveu

reux

.blo

gspo

t.co

m

Page 12: La laïcité - Relais-femmesrelais-femmes.qc.ca/files/Course 39.pdf · Le modèle du girl power. L’envers de l’image. . . p. 16 Le féminisme dans tous ses états. Féministes,

12

l’actionnariat, au détriment du salariat, nerisque-t-on pas de fragiliser les pratiques denégociations syndicales au profit de règlesvariables et partielles, susceptibles d’entraînerdes concurrences au sein des travailleurs?Ainsi pourquoi une heure pour la prière et pasune heure pour les femmes enceintes ou lespersonnes fragilisées?

« Accommodement raisonnable » renvoie auvieux temps du paternalisme patronal, du bonvouloir de l’employeur et de la soumission destravailleurs à toutes les contingences. La pré-occupation du Nous Tous, chère aux luttessociales, s’efface. Dans les entreprises, le cou-rant des « accommodements raisonnables »vient bien à point pour affaiblir les logiquessyndicales et les conventions collectives, auprofit intégral d’un patronat jouant la « laïcitéouverte ». Les clivages « laïque – nonlaïque », « laïcité ouverte – laïcité fermée »servent bien souvent de paravents à uneoffensive qui ne dit pas son nom... Une offen-sive qui « profite » de la confrontation évo-quée plus haut, pour détricoter des acquis.

Naïvetés du marché et de l’initiativeindividuelle

De nombreuses voix considèrent que pendantlongtemps, le vieux continent européen a sur-estimé son pouvoir de séduction à l’égard depopulations attachées à d’autres référencesreligieuses et en particulier à l’Islam. Pendantdes années, les nations européennes ont pariésur la force intégratrice d’un espace pacifié,ordonné par le Marché et l’initiative indivi-duelle; elles ont cru que leur modèle assimile-rait vite ces nouvelles populations.Aujourd’hui, la plupart découvrent qu’ellespéchaient par excès d’optimisme.

Pendant longtemps, une des lignes évidentesen Europe consistait à opposer Islam àIslamisme; toutefois, cette distinction trèseuropéenne commence à se brouiller. Ainsi, lechercheur français Gilles Kepel, l’un desmeilleurs spécialistes de la question, a attirél’attention depuis 1989, date selon lui de l’en-trée du monde musulman dans la géopolitique

mondiale, sur la fatwa de l’ayatollah Khomeinycontre Rushdie : par principe une fatwaconcerne un territoire circonscrit sur lequell’Imam prescripteur exerce un pouvoir poli-tique. Or Khomeiny, en visant un citoyen bri-tannique, a fait de l’Europe un territoire sousle spectre de la fatwa et l’a absorbé juridique-ment dans la sphère de l’Islam. On constatequ’à cette même époque se reconfigure lemilitantisme islamique en Europe, considérantqu’il n’y a plus vraiment d’immigrés en Europe,mais des citoyens qui doivent imposer unnouveau contrat entre l’Islam et « le mondede l’impiété ».

Un recul terrible du sens de la laïcité

Un numéro récent du périodique Marianne adonné la parole à des intellectuels d’origineturque ou maghrébine (no. 734, 14-20 mai2011). Nous emprunterons certains passagesde ce parcours. Pour ces intellectuels issus dumonde arabe ou turc notamment, l’Europedénie sa propre Histoire. Elle a oublié les vio-lences horribles, ravageant pendant des siècles

des humains en souffrance, à cause de la lutteentre le primat du religieux et l’aspiration à laliberté de conscience ou d’expression.

Est oubliée ainsi l’épreuve que fut pour depuissantes religions, comme le judaïsme et lecatholicisme, la soumission à la loi communedémocratique. Cette soumission fut particuliè-rement insupportable à l’Église catholique etjusqu’à très récemment, on garde en mémoireles combats permanents jalonnés d’affronte-ments politiques ou autres, entre aspirationde l’Église catholique à dominer le corpssocial et refus de ce même corps social.N’oublions pas que le Vatican excommunia lesdéputés ayant voté en France la loi de sépara-tion de l’Église et de l’État de 1905. Et en1920, les cardinaux de France dénonçaientencore cette horrible atteinte au « droit for-mel de Dieu ».

Aucune religion donc n’a facilement acceptéde renoncer à sa domination sur l’État ainsique sur la vie sociale, et surtout pas l’Églisecatholique, adepte de longue date du contrôlepolitique. Il a fallu des décennies pour faireadmettre ce principe de séparation, qui péni-blement, à travers de lourds sacrifices, a finipar imposer le fait que les lois démocratiquessont le fruit d’un débat entre êtres humains,qu’ils soient ou non intérieurement guidés parla religion, un fruit ne se soumettant pas àune prescription transcendante, celle d’unDieu, relayé par des institutions dominatriceset toutes puissantes. Ensuite l’Europe aaccueilli au cours du XXe siècle d’autres reli-gions, qui n’ont pas connu cette épreuve, dif-ficile mais décisive. Des épisodes historiquesfondateurs, mais refoulés, et donc non trans-mis aux arrivants... D’autant que ces arrivantsétaient considérés comme de la chair à tra-vailler...

Pourtant, il est essentiel, pour tous ceuxengagés dans l’éducation populaire, de ne pasoublier que cette non-soumission fut considé-rée comme un immense progrès, y compris etd’abord peut-être au sein du courant de ladémocratie chrétienne : exigence d’émancipa-

Supplément à l’Humanité, hebdo du samedi 10 etdimanche 11 décembre 2005.

Page 13: La laïcité - Relais-femmesrelais-femmes.qc.ca/files/Course 39.pdf · Le modèle du girl power. L’envers de l’image. . . p. 16 Le féminisme dans tous ses états. Féministes,

13

tion, acquisition de droits sociaux pour lestravailleurs, conquête de l’égalitéhomme/femme et, en Europe, instaurationd’une social-démocratie dans plusieurs pays.Pour cet immense courant de progrès humainqu’ont représenté les luttes sociales, inspiréesen partie par la démocratie chrétienne, la laï-cité se mariait profondément à l’évolution dela religion, en tant qu’intégrée à un processusd’émancipation : c’est simplement le refusd’une idéologie de la soumission. La laïcitéredéfinit la place du religieux et l’articule auxdroits sociaux et au pluralisme philosophique.

Hélas, les sociétés européennes actuelles,maîtrisant mal leur historicité, oscillent entrela naïveté et l’hostilité, là où il y aurait,d’abord et avant tout, nécessité d’éducationpopulaire et de pédagogie. Si nous voulonsque les leçons de l’Histoire, celles qui nousont permis de sortir des incroyables cruautésdues aux guerres de religion, soient respectéeset renouvelées, il faut simplement que toutereligion qui prend pied en régime démocra-tique passe à son tour l’épreuve d’humilité,celle qui a été, laborieusement et difficile-ment certes, exigée in fine du catholicismenotamment. Ni plus ni moins. Et c’est fairepreuve de paternalisme, ou de colonialisme àrebours, d’en exagérer la difficulté.

Le vrai problème, c’est l’attitude d’une Europeoublieuse de son Histoire, qui ne défend plusses valeurs fondatrices, à savoir l’humanisme,

la laïcité et l’universalité des Droits de l’hom-me. C’est ce que lui reproche l’écrivaine fran-co-iranienne Fariba Hachtroudi. L’Europesemble être lasse ou honteuse au point de nepas entendre les femmes et les hommes, trèsnombreux au sein de pays en convulsion, quirappellent combien ce trésor de la laïcité etdes valeurs démocratiques doit être protégé.

La tragique solitude des laïques

Une femme engagée, Samia Labidi, présidentede l’Association « AIME » (sa devise :« d’ailleurs ou d’ici, mais ensemble »), d’origi-ne tunisienne, dénonce l’omerta exercée partoute une intelligentsia française sur les librespenseurs venus du Maghreb ou y habitant tou-jours. Elle parle de la tragique solitude deslaïques du Maghreb face aux sociétés euro-péennes.

Pour Samia Labidi, tout se passe comme sil’Occident avait terriblement envie que lacommunauté d’origine maghrébine, dans saglobalité, soit perçue à travers le prisme del’Islam. Or pour Samia, les laïques sont lamajorité, au sein des populations issues duMaghreb par exemple.

Face au « Printemps arabe » et en particu-lier face à la révolte des jeunes Tunisienset Tunisiennes, Samia souligne combien cesjeunes ont brandi, tant et plus, des pan-cartes avec le mot laïcité écrit en gros, enrouge, dans toutes les couleurs, constam-ment et partout, et que les médias, en par-ticulier européens, ont occulté ce phénomène.

Comme si la laïcité était une propriété pri-vée occidentale et que les citoyens arabes,dans leur pays d’origine comme en Europe,étaient assignés à résidence pour l’éternitédans une identité religieuse fermée.Effrayant!

Autre femme engagée, Necla Kelek, allemanded’origine turque, se bat sur deux fronts : celuide l’incompétence des autorités allemandes etcelui des stratégies perverses des milieuxturcs. Sa spécialité : dévoiler la face sinistredu multiculturalisme, en révélant le « mondeparallèle » des familles turques. En brisant untabou allemand, par la révélation de ce mondeparallèle, celui de milliers de familles turquesinstallées en Allemagne, soustrayant leursfilles et leurs femmes à la loi commune élé-mentaire. Cette femme jette ainsi un jour crusur les pratiques de mariage forcé et l’impor-tation d’épouses.

La relative timidité des musulmans à dénoncerpubliquement l’islamisme a donc été encoura-gée par leur constat que les pouvoirs publicsoccidentaux écoutent plutôt les ultras.L’abandon par l’Europe de ses propres valeursa ainsi livré des millions d’individus à la pro-pagande. Pour Abdennour Bidar, auteur deL’Islam sans soumission (Albin Michel), il estcapital que les pouvoirs politiques européensconsidèrent les revendications portées par descroyants, quelle que soit leur appartenancereligieuse, comme non absolues, relativisableset non pas comme indiscutables. Tout croyantqui porte une revendication doit donc sedemander, avant tout, quel sera son impactsur tous les autres citoyens du pays où il vitet sur sa propre relation avec eux et avec lui-même. S’articuler à ce qui a fait avancer lespopulations en Europe : revendiquer ce qui estle plus juste pour tous et pas ce qui convientà certains. L’enjeu d’une laïcité renouvelée parles défis actuels, c’est de travailler à une nou-velle synthèse, où chacun dépasse le simplesouci d’affirmer sa particularité et fait l’effortde la rendre compatible avec les acquis démo-cratiques.

Fariba Hachtroudi.

Sour

ce :

ete

dulivr

e-m

etz.

com

Sour

ce :

tun

isie

-pre

sse.

com

Page 14: La laïcité - Relais-femmesrelais-femmes.qc.ca/files/Course 39.pdf · Le modèle du girl power. L’envers de l’image. . . p. 16 Le féminisme dans tous ses états. Féministes,

14

La démission des élites

Pour Necla Kelek, la liberté de penser a dispa-ru sous le tapis de la prière. Malgré les fatwaset les intimidations violentes qu’elle subittous les jours, à cause de son travail derecherche et de publication, Necla Kelek fusti-ge la démission d’une partie de l’élite poli-tique et médiatique occidentale face à l’inti-midation. Elle a écrit La fiancée importée en2005, Plaidoyer pour la libération de l’hommemusulman en 2006 et Le voyage dans le ciel (àparaître). Le journal Marianne relève que Neclaprononce avec flamme des mots comme« démocratie », « société civile » et « éduca-tion », mots que la plupart des Allemandsn’emploient plus ou n’emploient qu’avec unsoupçon de distance ironique.

Ces différentes réactions invitent, mesemble-t-il, à formuler une hypothèse. Cesoupçon ou ce déni portant sur la laïcitéserait le symptôme d’une société qui aperdu le sens de son histoire émancipatri-

ce, prête à se coucher devant les violencesdu Marché, à s’aplatir devant l’Argent, maislasse, si terriblement lasse, de ce qu’elleavait de meilleur.

A contrario, l’urgence est de transmettre auxgénérations jeunes, et en particulier auxjeunes d’immigration récente, la vérité com-plexe des luttes passées. Les cultures sont,dans cette démarche, à considérer dans leursens plein et pas seulement comme un assem-blage d’us et coutumes, de rites et decroyances. En explorant et en découvrant lesécrivains, poètes, urbanistes, architectes,sculpteurs, philosophes, cinéastes, peintres,photographes, dramaturges, figures histo-riques, scientifiques, inventeurs (tous ettoutes, au masculin et au féminin) dans noscultures respectives, nous découvrons dumême coup comment se dénoncent lescodes… Un interculturel critique et explora-toire, antiamnésique et patrimonial, ouinterculturel de l’émancipation, en lieu etplace d’un interculturel de l’aliénation.

L’historicité comparée est également un ressortessentiel de cet interculturel émancipateur. Ilest essentiel de découvrir que l’expansion vio-lente, l’impérialisme, l’esclavagisme, dontl’Occident est coupable, ont hélas traverséaussi le passé conquérant de la civilisationarabe, l’imposant Empire turc ou les pratiquesdures du Japon, et la liste historique risqued’être longue… Une telle exploration permet-trait de s’attacher à tous ceux qui en Occident,en Orient et ailleurs ont lutté et luttentaujourd’hui encore contre les violences des dif-férents pouvoirs arbitraires… Ainsi, l’exemplerécent de la « révolution du Jasmin » enTunisie montre qu’à l’avant-plan de cette lutte,il y a des femmes qui ont voulu la dignité pourla Tunisie. Au premier chef notamment KhadijaCherif, Sihem Bensedrine, Souhayr Belhassen,Radia Nasraoui, liées de longue date dans leurpays au combat pour les libertés de tous etpour l’affirmation démocratique et laïque desfemmes. Elles ont refusé obstinément, dansleur pratique et par leur tenue libre, la soumis-

sion aux traditions patriarcales ainsi qu’à l’ar-bitraire politique; ces deux résistances consti-tuant pour elles un tout.

À qui profite le crime? Les espérances queporte l’exigence laïque sont infiniment pré-cieuses; elles incarnent ce que les sociétés ontproduit de meilleur, à travers un haut degré decivilisation. Les détricoter représente non seu-lement une tragique trahison des luttes pas-sées, mais aussi un abandon en rase campagnede toutes ces femmes, de tous ces jeunes, detous ces humains qui partout dans le mondecroient « follement » dans cette espérance etla renouvellent sous des formes inédites.Avons-nous le droit de leur opposer notremolle lassitude et notre relativisme dolent?

Majo Hansotte Formatrice en éducation populaire, elle estl’auteure d’un ouvrage intitulé Les intelli-

gences citoyennes (De Boeck, 2e édition,2005). Pour la Direction Générale de la

Culture et le Bureau International jeunesse dela Communauté française de Belgique, elle est

chargée d’une mission portant sur la partici-pation citoyenne en Wallonie et à Bruxelles,

en lien avec l’Europe et la francophonie.

Necla Kelek.

Sour

ce :

hfj

s.eu

Page 15: La laïcité - Relais-femmesrelais-femmes.qc.ca/files/Course 39.pdf · Le modèle du girl power. L’envers de l’image. . . p. 16 Le féminisme dans tous ses états. Féministes,

15

Femmes au cœur de l’économiesociale et solidaire

Un rendez-vous le 17 octobre 2011

Pourquoi organiser une activité femmesdans le cadre du Forum international del’économie sociale et solidaire? Parce que lesfemmes représentent plus de 50 % de l’hu-manité, fournissent 67 % des heures de tra-vail, mais ne gagnent que 10 % du revenumondial et possèdent moins de 1 % de lafortune mondiale1. Parce qu’elles sont lespremières touchées par la mondialisation etles crises économiques. Parce que la pauvre-té et la précarisation de l’emploi s’accordentau féminin.

L’économie sociale et solidaire se veut une desréponses à la crise économique de mêmequ’un modèle de développement plus égalitai-re et équitable. Les femmes sont au cœur desgroupes d’économie sociale et solidaire à tra-vers le monde. Elles occupent une placeimportante comme travailleuses, membres,participantes et usagères des groupes, promo-trices. Nous avons intérêt à rendre visible l’ap-port important des femmes sur le terrain, àentendre leurs analyses concernant les avan-cées, les obstacles et défis à l’amélioration deleur autonomie et sécurité financières. Nousavons aussi tout intérêt à apprendre de nosexpériences mutuelles pour faire de l’économiesociale et solidaire un vecteur pour la sécuritééconomique des femmes.

Les femmes se réuniront donc le 17 octobreprochain lors d’un après-midi de partage d’ex-périences concrètes et d’analyses féministesde l’économie sociale et solidaire afin dedégager des pistes et des perspectives pourl’avenir. L’accent sera particulièrement mis surcomment l’économie sociale et solidaire peutêtre un outil pour l’amélioration de la sécu-rité économique des femmes. À quellesconditions? Quel rôle pour les politiquespubliques? Par ailleurs, cette journée offriraune occasion toute particulière de soulignercollectivement la Journée mondiale pour

l’élimination de la pauvreté, une date signifi-cative pour les féministes dans le cadre desactions de la Marche mondiale des femmes.

Cet atelier tracera un portrait des projets éco-nomiques gérés par des femmes, par le biaisdes témoignages de femmes du Nord et du Sudprésentés en capsules vidéo. Nous verronscomment celles-ci ont amélioré leurs condi-tions de vie et partagerons la perception deleur travail dans leurs communautés respec-tives. Des activités participatives et deséchanges entre des femmes d’ici et d’ailleurspermettront d’approfondir en quoi l’économiesociale et solidaire peut améliorer les condi-tions de vie des femmes. De plus, des confé-rencières de différentes régions du mondeapporteront leurs regards et analyses et déga-geront des pistes et perspectives pour l’avenir.

L’activité Femmes au cœur de l’économie socia-le et solidaire est ouverte aux femmes qui par-ticipent au Forum. Il est également possiblede s’inscrire uniquement à cette activité direc-

tement sur place, au coût de 20 $. Toutefois,une inscription pré-activité vous donneraaccès au document préparatoire. Y serez-vous?

Vous pouvez vous inscrire à Femmes au cœurde l’économie sociale et solidaire au momentde votre inscription au Forum international del’économie sociale et solidaire (http://www.fiess2011.org/inscriptions/) ou vous inscrireuniquement à cette activité en écrivant à[email protected].

Danielle Fournier et Lise St-Germain pour le Comité organisateur de l’activitéFemmes au cœur de l’économie sociale

et solidaire

1. Marche mondiale des femmes, Lettre auxdirigeants de la Banque mondiale et du Fondsmonétaire international, octobre 2000, p. 7.

Sour

ce :

for

umm

icro

fina

ncer

hone

alpe

s.or

g

Page 16: La laïcité - Relais-femmesrelais-femmes.qc.ca/files/Course 39.pdf · Le modèle du girl power. L’envers de l’image. . . p. 16 Le féminisme dans tous ses états. Féministes,

16

Le modèle du girl powerL’ enve r s de l ’ image

Les acquis féministes ont eu cela de bon :les filles d’aujourd’hui se voient proposerdans les médias des images d’elles-mêmespositives, où l’ambition professionnellecôtoie le dynamisme, le non-conformismedes choix de carrière, une affirmation de soidans les relations amoureuses et mêmesexuelles (quoique moins explicitement).Les médias projettent une image des fillesen contrôle d’elles-mêmes, de leurs objec-tifs, conscientes de leurs intérêts et prêtesà investir temps et énergie pour accomplirleurs ambitions… C’est ce qu’on nomme legirl power.

Cette image, pour séduisante qu’elle soit,mérite qu’on s’y arrête un moment. Lesfemmes n’en sont pas à leur première expé-rience face à l’habileté des médias quand ils’agit d’exploiter leurs rêves et leurs idéaux àdes fins marchandes. L’adolescente dynamiquedevant qui s’ouvre un avenir radieux, fait dedéfis et d’accomplissements, rappelle étrange-ment la mythique superwoman des années1980. Les obstacles réels que les filles vontrencontrer une fois adultes ne font pas partiedu tableau brossé par les médias. Ce queceux-ci n’annoncent pas aux filles, c’est lecoût physique, psychologique et matériel deleur triple performance quotidienne à venir :maternité, carrière et partenaire sexuelle.L’analyse des revues pour adolescentes menéerécemment1 montre que derrière cette imagede la jeune fille performante à l’avenir pro-metteur, se profilent toujours le couple et lamaternité. Le girl power y est LE modèle prin-cipal, qui fait de la séduction LA source dupouvoir des filles et des femmes. La romanceamoureuse et l’embellissement physique sontdes thèmes principaux et omniprésents dansces revues.

Voici l’analyse des articles des revues pouradolescentes (de 12 à 18 ans) dont les thèmesoffrent un intérêt du point de vue des enjeuxsociaux reliés à la diversité culturelle.Mentionnons en premier lieu que ces thèmessont marginaux dans les revues, le thème desvoyages et autres cultures représente seule-ment 14 articles sur plus de 1 200 (articles etpublicités) analysés.

Deux articles proposent de suivre une jeunepersonnalité québécoise dans son voyage auGuatemala, avec des photos de paysages etdes données historiques et géographiques surce pays. La revue Filles clin d’œil propose 12articles répartis dans deux rubriques. Une pre-mière rubrique suggère aux lectrices desmoyens pour aller vivre une expérience de vieà l’étranger, pour y prendre des vacances, pourparticiper à un projet coopératif, pour amélio-

rer leurs compétences linguistiques et enfinpour garder des enfants à l’étranger. Unedeuxième rubrique décrit le contexte histo-rique et géographique et la vie quotidienne dejeunes filles d’autres pays : « Village global.Avoir 16 ans au … » Les témoignages d’ado-lescentes de pays aussi divers que leHonduras, le Kosovo, l’Allemagne, l’Italie, leMali et le Paraguay informent les lectrices desconditions de vie des jeunes filles de leur âgeet des rêves qu’elles nourrissent. Ces articlesprennent la forme de questions/réponses.

Les questions tendent à mettre en évidenceles similitudes entre les lectrices et les jeunesfilles interrogées. Ces similitudes se trouventcependant limitées aux goûts et aux intérêtsromantiques. Ainsi, les goûts communs pour lamode et la musique sont inévitablement souli-gnés. En dépit des réponses qui laissent par-

Sour

ce :

coo

kiec

utte

rgir

l.co

m

Page 17: La laïcité - Relais-femmesrelais-femmes.qc.ca/files/Course 39.pdf · Le modèle du girl power. L’envers de l’image. . . p. 16 Le féminisme dans tous ses états. Féministes,

fois entrevoir le fossé qui sépare les inter-viewées des lectrices du point de vue de leursconditions d’existence et de leurs possibilitésd’avenir, aucune analyse ne vient compléterl’entrevue. Par exemple, la réponse de la jeuneMalienne à la question « As-tu des animaux decompagnie? » indique que les famillesmaliennes pratiquent l’élevage domestiquepour leur alimentation et non pour la compa-gnie. Les jeunes filles du Paraguay et duHonduras soulignent la piètre condition desfemmes dans leur pays respectif. Elles insis-tent en particulier sur la dépendance écono-mique des femmes vis-à-vis du mari. Loin desouligner ces différences essentielles, l’articleles fait disparaître. Les questions qui portentsur les relations amoureuses des jeunesfemmes interrogées, comme « À quel âgecrois-tu que tu te marieras? », « Tu aimeraisavoir des enfants? », sont systématiques. Eneffet, toutes les jeunes filles se voient poserdes questions qui leur permettent d’affirmerleur croyance en l’importance de fonder unefamille, de vivre en couple, d’avoir desenfants, etc., y compris celles qui ont souli-gné le manque d’indépendance et d’autonomiedes femmes dans le couple hétérosexuel(Honduras, Mali, Paraguay) ainsi que la faibleaccessibilité à l’éducation pour les femmes.

De façon générale, les enjeux sociaux et poli-tiques qui touchent à la condition des femmessont rarement abordés dans ces revues. Oncompte seulement 12 articles rédactionnels et9 publicités qui promeuvent des associations

de services aux personnes en difficulté. J’aiconstaté que les sujets potentiellement d’inté-rêt majeur, compte tenu des expériences quo-tidiennes des adolescentes, sont toujours pré-sentés de manière évasive et évitent systéma-tiquement, voire consciencieusement, d’abor-der les enjeux sociopolitiques qu’ils soulèvent,par exemple le harcèlement sexuel et les vio-lences faites aux femmes. Ainsi, à l’exceptiond’un article portant sur la violence dans lesrelations intimes entre garçons et filles, laquestion des violences faites aux femmes estabordée de manière marginale et surtout n’estjamais nommée comme telle. Les textes ontrecours à la pathologisation des conduitesmasculines violentes, c’est-à-dire qu’on en faitun problème individuel qui tient à une peurou à un manque de confiance en soi des gar-çons. Ces conduites ne sont jamais exposéesde telle manière que les lectrices puissententrevoir leur nature sociopolitique. Le harcè-lement sexuel auquel recourent parfois lesgarçons est légitimé par l’amour qu’ils portentà une jeune fille. Il est désigné par l’expres-sion « gars collants », et n’est pas dénoncédans les articles. Plusieurs articles rapportentla violence psychologique subie par des lec-trices, du dénigrement au contrôle du tempset des ami-e-s, de la part de leur partenaire,sans que ce qu’elles vivent soit présentécomme de la violence masculine. Les diversesformes d’abus sexuel que sont susceptiblesd’expérimenter les lectrices sont égalementabsentes, à l’exception d’une mention dans uncourrier des lectrices.

En conclusion, l’ouverture à d’autres culturesest inexistante dans les revues pour adoles-centes. En dehors de quelques données fac-tuelles, les enjeux sociopolitiques internatio-naux sont absents du contenu. Les effets de lamondialisation économique sur les pays duSud ne trouvent aucun écho dans les articlesconsacrés à la vie quotidienne de jeunes fillesissues de ces pays. Les enjeux reliés à lacondition des femmes, d’ici et d’ailleurs, sontégalement absents. Les rares mentions de pra-tiques sexistes et discriminatoires à l’encontredes femmes ne sont pas réinsérées dans lecontexte social, mais sont souvent réduites àdes pratiques individuelles. Bref, on voit diffi-cilement comment une solidarité entre lesfemmes d’ici et d’ailleurs, Québécoises oud’autres cultures, pourrait naître chez les ado-lescentes si les médias qui s’adressent à ellesne leur donnent à voir que le couple et lamaternité comme destin commun de toutesles femmes, dans le fumeux « village global ».L’omniprésence du modèle du girl power, c’est-à-dire de la jeune fille performante, dans lesrevues pour adolescentes a pour contrepartiele détournement, la marginalisation ou l’ab-sence des contenus susceptibles de confronterl’idéologie de l’égalité déjà acquise chère auxmédias de masse.

Christelle LebretonDoctorante en sociologie (UQAM)

et militante à Relais-femmes

1. Christelle Lebreton, Analyse sociologique dela presse québécoise pour adolescentes(2005/2006) : entre hypersexualisation et con-sommation, Mémoire de maîtrise en sociologie,Université du Québec à Montréal, 2008.

17

Sour

ce :

coo

kiec

utte

rgir

l.co

m

Page 18: La laïcité - Relais-femmesrelais-femmes.qc.ca/files/Course 39.pdf · Le modèle du girl power. L’envers de l’image. . . p. 16 Le féminisme dans tous ses états. Féministes,

18

Les 27 et 28 mai derniers, plus de 250Québécoises se sont réunies pour entamerun projet ambitieux et passionnant : desétats généraux de l’action et de l’analyseféministes. Le féminisme dans tous ses étatsse veut un temps de réflexion pour faire lepoint ainsi que pour renouveler les prioritéset les stratégies du féminisme québécois.

Le pari de l’ouverture

Pour donner le coup d’envoi, la Fédération desfemmes du Québec, initiatrice des états géné-raux, a fait le pari d’une organisation ouverte,souple et participative. Ainsi, la soiréepublique du vendredi réunissait 12 panélistesde divers horizons, avec des visions diffé-rentes du féminisme, parfois divergentes, maistoutes avec des pensées des plus stimulantes.De plus, les ateliers du samedi ont été l’occa-sion de bâtir une analyse commune de la

société québécoise et de l’état du féminisme :pas « d’expertes », ni de présentations magis-trales, mais la place à la parole de toutes lesparticipantes présentes.

Le défi de la fin de semaine : faire que le pro-jet soit porté par le mouvement et non seule-ment par le comité provisoire, responsable dece premier rendez-vous. Dans ce sens, uncomité d’orientation, formé de 24 femmes etd’une vingtaine de substituts, a été élu par les16 ateliers sur autant de sujets. Ce comité estdonc composé de femmes ayant une diversitéde perspectives; c’est lui qui supervisera toutela démarche des états généraux jusqu’en 2013.Les tensions créatrices qui ont parcouru cettefin de semaine ont mis en lumière la capacitédu mouvement féministe de construire à partirde ce qu’il est, c’est-à-dire pluriel. On pouvaitsentir l’enthousiasme pour le projet!

Déconstruire le mythe

Au cours des ateliers et en séance plénière,les participantes ont déploré l’idée trop répan-due que l’égalité est atteinte. Dans les faits,des inégalités persistent et des libertés res-tent à conquérir. Elles ont insisté sur lanécessité de faire de cette égalité une réalitépour toutes. Malgré les gains obtenus, les par-ticipantes ont rappelé de manière fort perti-nente que plusieurs problématiquesperdurent : l’image corporelle stéréotypée,

la ségrégation sexuelle de l’emploi, le plafondde verre, le racisme et la xénophobie combi-nés au sexisme qui enferment des femmesdans des rôles peu reluisants, les salaires tropbas, la violence chez les adolescent-e-s etdans les jeunes couples, la pauvreté chez lesaînées, la surmédicalisation, etc.

Ce n’était qu’un début : les états généraux se poursuivent…

La première réunion du comité d’orientation aété fixée en septembre, à Trois-Rivières. Toutau long de la démarche, plusieurs événementsseront organisés tels des assembléespubliques, des tournées régionales et desoutils d’éducation populaire. Les Québécoisesseront aussi invitées à participer à laréflexion, notamment en commentant destextes et des vidéos qui seront diffusés via lesmédias sociaux.

Dès aujourd’hui, il est d’ailleurs possible departiciper à ce grand remue-méninges en sui-vant Le féminisme dans tous ses états surFacebook et sur la page web du www.ffq.qc.ca.Le féminisme de demain NOUS appartient!

Alexandra PierreCoordonnatrice des états généraux

Le féminisme dans tous ses étatsFédération des femmes du Québec

Le féminisme dans tous ses étatsF é m i n i s t e s , à v o u s l a p a r o l e !

Les membres du comité d’orientation élues par les ateliers pour superviser la démarche des états généraux jusqu’en 2013.

Phot

o :

Isab

elle

Lan

gloi

s, F

FQ

Page 19: La laïcité - Relais-femmesrelais-femmes.qc.ca/files/Course 39.pdf · Le modèle du girl power. L’envers de l’image. . . p. 16 Le féminisme dans tous ses états. Féministes,
Page 20: La laïcité - Relais-femmesrelais-femmes.qc.ca/files/Course 39.pdf · Le modèle du girl power. L’envers de l’image. . . p. 16 Le féminisme dans tous ses états. Féministes,

Le conseil d’administration et l’équipe de Relais-femmes

vous souhaitent une

excellente rentrée 2011 !

Illu

stra

tion

: S

onio

Ben

venu

to