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René BLEUZEN Le port de Bénodet au début du XX e siècle Nous avons déjà eu l’occasion, dans nos précédents bulletins, d’évoquer l’importance grandissante du port de Bénodet au fil des temps. Les archives de la Marine font état des mouvements de bateaux qui touchent le port, transportant des marchandises diverses, telles que poissons séchés ou fumés vers Nantes, La Rochelle ou Bordeaux, et rapportant notamment du vin pour les chais quimpérois, après une petite escale à Pors Gwin pour attendre la marée, ou, lorsque la traversée avait été longue, pour refaire le niveau qui avait baissé dans les barriques… Plus tard, un trafic important s’établit avec l’Angleterre : les navires partent avec des chargements de poteaux de mine à destination surtout de Cardiff, et rapportent des marchandises diverses, en particulier du charbon pour les négociants quimpérois. On trouve encore dans la commune quelques bénodétois qui sont nés ou ont vécu dans les années 10 ou 20 près du port, et dont la mémoire a conservé des images de cette époque. Yvon COSQUER est de ceux-là : il a grandi à Kerlidou et dans le voisinage de l’estuaire, sensibilisé aux choses de la mer par son père, Corentin, que tout le monde appelait « Tin ». Il a bien voulu évoquer pour nous quelques souvenirs. « Je suis né à Bénodet en 1910 ; jusqu’à mes douze ans, mes parents habitaient près du port, dans l’actuelle rue de Kercréven. Ils se sont installés ensuite dans une maison qu’ils avaient achetée à Kerlidou., 200 mètres plus haut. Mes yeux d’enfant n’ont donc connu que le port de Bénodet, et mon père, dont toute l’existence a été consacrée aux métiers de la mer, m’a de très bonne heure associé à certaines de ses activités. Mon père, Corentin, que tout le monde appelait « Tin », était un vrai marin. Il avait navigué sur les grands clippers, les voiliers cap-horniers ; il nous racontait ses voyages, certains interminables, pour aller au Chili et en rapporter des cargaisons de salpêtre pour la Compagnie Borda, de Nantes. Il avait touché les ports australiens, franchi six fois le Cap Horn. Il lui était arrivé de ne retrouver Bénodet qu’après une année entière d’absence. Il avait également embarqué sur les caboteurs qui allaient en Angleterre. Et puis, lassé de ces longues périodes de navigation, il a décidé de se consacrer à la pêche, à Bénodet, et il a fait construire son propre bateau. Mais à la maison, il n’était toujours question que de la mer, des bateaux, des marins… Encore enfant, j’étais attiré par le bateau paternel. Je pleurais pour y embarquer. A ma mère inquiète, mon père répondit un jour : « Laisse-le : il sera malade, et n’en parlera plus ! » 1/8

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René BLEUZEN

Le port de Bénodet au début du XXe siècle Nous avons déjà eu l’occasion, dans nos précédents bulletins, d’évoquer l’importance grandissante du port de Bénodet au fil des temps. Les archives de la Marine font état des mouvements de bateaux qui touchent le port, transportant des marchandises diverses, telles que poissons séchés ou fumés vers Nantes, La Rochelle ou Bordeaux, et rapportant notamment du vin pour les chais quimpérois, après une petite escale à Pors Gwin pour attendre la marée, ou, lorsque la traversée avait été longue, pour refaire le niveau qui avait baissé dans les barriques… Plus tard, un trafic important s’établit avec l’Angleterre : les navires partent avec des chargements de poteaux de mine à destination surtout de Cardiff, et rapportent des marchandises diverses, en particulier du charbon pour les négociants quimpérois. On trouve encore dans la commune quelques bénodétois qui sont nés ou ont vécu dans les années 10 ou 20 près du port, et dont la mémoire a conservé des images de cette époque. Yvon COSQUER est de ceux-là : il a grandi à Kerlidou et dans le voisinage de l’estuaire, sensibilisé aux choses de la mer par son père, Corentin, que tout le monde appelait « Tin ». Il a bien voulu évoquer pour nous quelques souvenirs. « Je suis né à Bénodet en 1910 ; jusqu’à mes douze ans, mes parents habitaient près du port, dans l’actuelle rue de Kercréven. Ils se sont installés ensuite dans une maison qu’ils avaient achetée à Kerlidou., 200 mètres plus haut. Mes yeux d’enfant n’ont donc connu que le port de Bénodet, et mon père, dont toute l’existence a été consacrée aux métiers de la mer, m’a de très bonne heure associé à certaines de ses activités. Mon père, Corentin, que tout le monde appelait « Tin », était un vrai marin. Il avait navigué sur les grands clippers, les voiliers cap-horniers ; il nous racontait ses voyages, certains interminables, pour aller au Chili et en rapporter des cargaisons de salpêtre pour la Compagnie Borda, de Nantes. Il avait touché les ports australiens, franchi six fois le Cap Horn. Il lui était arrivé de ne retrouver Bénodet qu’après une année entière d’absence. Il avait également embarqué sur les caboteurs qui allaient en Angleterre. Et puis, lassé de ces longues périodes de navigation, il a décidé de se consacrer à la pêche, à Bénodet, et il a fait construire son propre bateau. Mais à la maison, il n’était toujours question que de la mer, des bateaux, des marins… Encore enfant, j’étais attiré par le bateau paternel. Je pleurais pour y embarquer. A ma mère inquiète, mon père répondit un jour : « Laisse-le : il sera malade, et n’en parlera plus ! »

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J’ai effectivement été malade, mais cela ne m’a pas découragé. Le jeudi, jour de congé scolaire, nous allions pêcher la sole dans la rivière, ou le rouget qui se vendait bien. Nous pêchions aussi la crevette qui abondait dans les algues ; mon père la nettoyait et la cuisait à l’eau de mer. Il faisait livrer sa pêche à ses clients quimpérois, poissonniers et restaurateurs, par le transporteur Caoudal. Cela n’allait pas quelquefois sans contestations de clients qui prétendaient ne pas avoir reçu la quantité indiquée, mon père soutenant qu’il mettait toujours « bon poids ». La différence avait-elle disparu en cours de route ?

Les douaniers étaient nos ennemis jurés : ils prétendaient nous interdire de prendre de l’eau de mer pour nettoyer les crevettes ! Mes parents devaient déjouer leur vigilance pour aller en chercher. Je m’imaginais que leur seule fonction était de nous empêcher de prendre cette eau qui nous était nécessaire. Cependant, le métier de marin pêcheur était pénible et d’un maigre rapport : il fallait faire autre chose pour assurer la subsistance. Pendant l’hiver, mon père fabriquait donc des casiers pour la pêche à la crevette, au homard, à la langouste. Il en vendait à ses collègues marins de l’île de Sein, d’Audierne, du Pays Bigouden. Pour cela, il achetait le bois nécessaire à Clohars, chez les châtelains, de Kergos ou de Jacquelot, ou encore au Pérennou en Plomelin, et dans le bois de Sainte-Barbe. J’ai souvent aidé mon père à couper les jeunes pousses de châtaignier à Plomelin. Nous y allions le lundi et prenions pension au bistrot de Kerfram jusqu’au samedi où nous redescendions à Bénodet. Le bois était mis en fagots et porté au bord de la rivière : c’est ensuite Bourbigot qui le transportait à Bénodet sur son sablier (qui servait aussi au transport de glaise ). Les pousses de châtaigniers étaient ensuite débarrassées de leur écorce, et comme elles étaient flexibles, on les ployait pour obtenir les formes des casiers. Ceux-ci étaient alors garnis de grillage, et passés au coaltar. Ces pousses de châtaigniers avaient aussi d’autres usages : pour ce chantier de Plomelin, mon père était associé à monsieur Queffélec, de Parc an Groas, qui en faisait des cercles de barriques.

Pendant l’été, les pêcheurs étaient souvent tentés de répondre aux demandes des vacanciers, et de se mettre à leur disposition, ce qui rapportait plus d’argent que d’aller traquer le poisson, en étant moins fatiguant.

Le port de Bénodet que j’ai connu dans mon enfance était bien différent de celui que nous connaissons aujourd’hui. Bien entendu, le vaste terre-plein actuel, qui est de création récente, n’existait pas. A marée haute, l’eau arrivait à la limite des propriétés riveraines ; un sentier étroit permettait cependant aux piétons de suivre la berge.

Cette disposition fut à l’origine d’une affaire qui mit tout Bénodet en émoi. Madame Marinier, dont la propriété bordait la rivière sur une bonne longueur, prétendit être aussi propriétaire de ce sentier, qu’elle fit barrer par deux portes métalliques solidement scellées. Corentin Goardet, qui utilisait journellement le sentier pour aller du bateau qui lui servait d’habitation à celui qui lui servait pour la pêche, prit une barre à mine et enleva les deux portes. Madame Marinier le fit citer en justice, mais elle fut déboutée, et le sentier demeura libre et ouvert au public. Il existait alors, au droit de l’actuelle « Voile d’Or », une petite cale pour les embarcations légères, avec une rambarde de protection. Près de l’actuelle cale d’embarquement se trouvait le local des douaniers, une petite construction en dur, couverte d’ardoises, meublée d’une table-bureau, d’un lit de repos, d’un poêle pour le chauffage.

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Contre ce bâtiment, une guérite en bois permettait à l’occupant de surveiller le port. Deux autres guérites réservées au même usage se situaient, l’une à hauteur de la « rue des Sœurs », l’autre devant la propriété Dauchez, avec vue sur la rivière et sur l’anse de Penfoul. Des douaniers de l’époque : Rio, Gouil, Despierrois, Guirriec

Monsieur Caoudal était un personnage important sur le port de Bénodet. Avec ses voitures à chevaux, il assurait la liaison Bénodet-Quimper. Il faisait aussi des charrois de toute nature, par exemple du sable pris sur la plage pour les entrepreneurs du bâtiment. Il disposait de belles voitures de louage pour les touristes, notamment les clients du Grand Hôtel ; des voitures à quatre roues avec timon attelé de quatre chevaux et un bel habitacle, dont une « victoria » qui fut à l’origine d’un amusant quiproquo entre le loueur et une cliente anglaise, l’une et l’autre maniant la langue française aussi approximativement. La cliente désirait louer une voiture découverte sur laquelle elle avait jeté son dévolu, le propriétaire regrettant que ce n’était pas possible, cette voiture étant « fermée » l’après-midi. La plaisanterie n’est accessible qu’aux bretonnants, qui savent que « fermée » (écriture phonétique) signifie louée en breton !

Enfant, j’allais souvent dans les écuries de Monsieur Caoudal, et il lui arrivait de me jucher sur le dos de l’un ou l’autre de ses chevaux pour les conduire à la baignade dans l’eau de mer, près de la cale. L’hiver, il les mettait en pension dans des fermes où ils étaient utilisés aux travaux agricoles

Joseph Caoudal était un « homme de cheval ». Sa première activité, au début du siècle, avant son installation à Bénodet, fut celle de cocher et à l’occasion de jockey. On le voit ici en plein effort, à l’hippodrome de Quimper : casaque et tocque glazik !

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Caoudal était un homme entier, que les gens appelaient communément « le chamaillard » : sans doute à cause des nombreux démêlés qu'il avait avec ses voisins ou ses clients

Un vieux bateau échoué sur la grève servait de logement à la famille Goardet. Tout jeune, j'y allais souvent, car j'étais en bons termes avec la fille, Anne-Marie Jos Goardet avait ramené ce bateau des « Vire-court », où il avait fait naufrage, et l'avait aménagé intérieurement pour pouvoir y habiter. Les enfants dormaient dans des sortes de niches garnies de paille. Aux grandes marées, le bateau se trouvait dans l'eau et on ne pouvait y accéder à pied sec.

Vers 1920, Jos Goardet a fait construire une maison sur la grève, près de son bateau. Toutes les pierres de cette maison, qui existe toujours, viennent de la côte de la pointe Saint-Gilles. Souvent, le jeudi, avec mon copain Marcel Monfort, je suis allé aider à transporter ces pierres, dans une chaloupe généralement chargée à ras bord. Tandis que Jos remontait la rivière à la rame, nous revenions tous deux à pied. Pierre-Marie Le Goff, maçon, a monté la maison.

Il y avait beaucoup d'activité dans ce quartier du port, très commerçant. D'abord, le Grand Hôtel, tenu par les époux Boissel, qui recevait les touristes fortunés, les yachtmen anglais dont nous admirions les bateaux ; (le Grand Hôtel est devenu « L'Abbatiale »).De l'autre côté de l'église, à l'emplacement actuel des bureaux des « Aigrettes », un restaurant appartenant à Monsieur Alavoine était tenu par une fouesnantaise, l'épouse du facteur Alain Cosquéric. Monsieur Alavoine était un personnage en vue, très soigné de sa personne. Chose rare à l'époque, il se teignait les cheveux, ce qui lui valut d'être appelé « l'oiseau bleu » par les bénodétois. Sa fille s'est mariée à Maurice Bouilloux-Lafont, que j'ai très bien connu par la suite. A droite, la boulangerie-café Monfort, avec sa pompe à essence, la première à Bénodet; puis le café Caou.dal, le café Jeannès en saillie ( en face un hangar abritait un jeu de quilles ). Côté gauche, le restaurant-café Quinquis, le bureau de tabac-café Dénès ( puis Toullec ), le restaurant-café Le Clinche, le Grand Hôtel: Un quartier où on ne risquait pas de mourir de soif! On distingue dans le fond le poste des douanes et sa guérite.

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Il y avait encore, tout près du port, le restaurant Quinquis, le café Jeannès, dont le tenancier était aussi le propriétaire du bac à rames assurant le passage entre les deux rives de l'Odet. Madame Pouliquen, couturière remariée au douanier Toquet, tenait un commerce de mercerie à l'enseigne « A la Pensée ». Ce quartier était alimenté en eau potable par un puits situé au bas de l'actuelle rue Kerguélen. Dans cette rue, à noter encore l' « H ôtel des Bains de Mer » exploité par les époux Pennec. dpbjbb édpddl l

A droite, les « Galeries de l'Odet », alimentation - mercerie - bazar. Puis la boucherie-café tenue par les époux Guyader ; plus haut, les maisons Furic, Nicolas, Haas, Le Moigne. La partie gauche de la rue était en grande partie occupée par les dépendances du Grand Hôtel.

Dans la rue de l'Église, une autre mercerie-bazar-alimentation, « Les Galeries e l'Odet », dont la tenancière se remaria à Louis Tirilly qui devait devenir par la suite l'un des rincipaux mareyeurs de Concarneau; Jean-Marie Guyader et son épouse avaient une oucherie-bistrot, et servaient les repas de noces. Plus haut, la famille Haas dont le mari, ardinier à l'occasion, était bedeau, et la femme lavandière et chaisière à l'église ; puis la oulangerie Pétillon ( par la suite Corporeau ), et la boucherie-bistrot Guillou : le patron, un el homme à fortes moustaches, cumulait aussi les activités de forgeron.

Le pardon de Bénodet, le premier dimanche de septembre, était le grand vénement de l'année : pendant trois jours, une grande animation régnait autour du port. Le imanche était réservé à la fête religieuse ; chacun revêtait ses plus beaux atours pour la rocession avec croix et bannières. Le lundi se déroulaient les réjouissances profanes: courses e bateaux, à la rame et à la godille, pour concurrents masculins et féminins (dans cette ernière catégorie, les femmes de Sainte-Marine étaient sans rivales) ; course au canard, pour es fins nageurs; mât de cocagne sur l'eau.

Sur terre, diverses courses pour toutes catégories: course à la valise, course à 'oeuf, course à la brouette, etc.

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