LA PHILOSOPHIE MORAL Monique Canto Sperber Ruwen Ogien

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    LA PHILOSOPHIE MORAL Monique Canto Sperber Ruwen Ogien

    Introduction

    Les individus se posent constamment, propos des choses les plus triviales comme lesplus graves, des questions du type : Que dois-je faire ? Quaurais-je d faire ? Quelles

    sont les limites de mes actions ? Jusquo puis-je aller ? Naurais-je pas mieux fait

    de... ? Il est difficile de concevoir une dlibration, une rflexion, une dcision, un

    jugement mme, pour peu quils entretiennent un rapport mme loign avec laction

    humaine, qui ne soient guids par ce genre de questionnement.

    2Lorsque nous agissons, que nous dlibrons sur nos actions, que nous prenons des

    dcisions, nous sommes en qute de justifications, nous cherchons montrer que

    ctait la meilleure chose faire, en tout cas la moins mauvaise. De telles justifications

    prennent videmment en compte les fins de ces actions (ce que nous voulons faire, ce

    qui leur donne de la valeur), les moyens appropris ces fins et les voies que nous

    pourrions utiliser pour les atteindre.

    3Lorsque les finalits de nos actions ainsi que les moyens que nous avons de les

    raliser deviennent les objets de ce questionnement, lorsque la dlibration suppose la

    capacit psychologique de prendre une certaine distance par rapport la situation o

    nous nous trouvons, dadopter un recul critique lgard des besoins et dsirs les plus

    immdiats, ce questionnement devient moral. Par exemple : est-ce bien la fin

    souhaitable, est-ce que les moyens sont lgitimes, quelles sont les consquences, est-ce

    que je remplis lobligation particulire que jai lgard de cette personne ?

    4Ces questions prennent sens par rapport lexistence prsume de rgles

    communes. Ces rgles peuvent ne pas tre explicites, ne pas tre universelles. Elles

    peuvent rester non formules, simplement gnrales, correspondre ce qui se passe le

    plus souvent, elles peuvent tre aussi plurielles. Mais, mme ainsi, leur prsence

    structure lespace des actions possibles, car de telles rgles permettent de discriminer

    entre ce qui est et nest pas lgitime, justifi et moral, entre ce qui est plus ou moins

    lgitime.

    5Quel que soit le contenu quon donne la moralit et mme si lon veut quelle soit

    un artifice, il est difficile de nier que toute vie humaine socialise suppose lexistence de

    ce genre de rgles, appeles normes : lhomme est un tre normatif.

    6Mais lhomme est aussi un tre qui value. Dans les plus simples conversations,nous ne nous contentons jamais de transmettre simplement des informations, nous ne

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    nous contentons pas dexprimer des croyances sur les choses, les vnements ou les

    personnes, mais nous exprimons, implicitement ou explicitement, nos faons de sentir,

    considrer, apprcier les faits ou les opinions que nous rapportons.

    7Nos jugements moraux se prsentent sous ces deux aspects : normatif et valuatif.Sans cette possibilit de juger, on ne pourrait justifier ce qui motive et justifie lemploi

    dun vocabulaire moral lorsque nous disons que certaines actions, situations ou

    personnes sont bonnes ou mauvaises, justes, injustes. On ne pourrait expliquer non

    plus que nous ressentions de la culpabilit ou de lindignation au vu de certaines

    actions ou que nous considrions comme lgitime de les approuver ou de les

    dsapprouver. Peu importe ce stade quel est le contenu de ces normes ou valuations

    et ce qui les justifie, peu importe quelles soient les mmes pour tous ou quelles

    puissent tre en conflit.

    8On peut comprendre une grande partie du comportement humain comme

    lexpression de cette relation aux normes et aux valeurs. Lintriorisation des normes et

    des valeurs implique ladoption dune sorte dattitude interne (laquelle consiste

    reconnatre la valeur, prouver les sentiments appropris, ressentir la rprobation).

    Une telle disposition ne signifie pas un manque dautonomie. La raison en est que la

    norme laquelle se rapporte tel ou tel acte donne souvent une ressource rationnelle

    pour valuer cet acte, laccepter de faon autonome et lui reconnatre une valeur

    propre.

    I. MORALE, THIQUE, DONTOLOGIE

    9La morale est constitue, pour lessentiel, de principes ou de normes relatives au

    bien et au mal, qui permettent de qualifier et de juger les actions humaines. Ces normes

    peuvent tre des lois universelles qui sappliquent tous les tres humains et

    contraignent leur comportement. Il sagit, par exemple, du respect d ltre humain

    en tant quhomme, de lobligation de traiter les individus de manire gale, du refus

    absolu de la souffrance inflige sans raison. De telles normes constituent le socle

    commun des cultures dmocratiques librales. Certaines dentre elles ont t codifies

    dans des systmes juridiques, elles ont t traduites dans des lois ou principes

    juridiques dont la base est clairement morale. Dautres ont gard leur nature propre de

    rgles morales. Ce qui distingue ces dernires des lois juridiques proprement dites est

    le fait quelles sont non pas tant publiques et consignes dans des codes que connues de

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    tous et intriorises. La contrainte quexerce la morale se traduit par le fait que la

    violation de ses rgles suscite le trouble de la conscience, la dsapprobation ou le

    jugement moral ngatif, plutt que des sanctions publiques administres par des corps

    organiss.10Le caractre relativement stabilis de ce systme de normes morales ne doit

    toutefois pas faire ignorer que, sil correspond pour une part laspiration universelle

    des tres humains discriminer entre les comportements moralement admissibles et

    ceux qui ne le sont pas, il rsulte aussi de lhistoire. Notre rapport moral au monde

    provient de la superposition de plusieurs traditions morales qui informent encore la

    manire dont nous valuons les ralits et les actions. Les valeurs hrites du monde

    antique, et surtout du stocisme, sont encore parmi nous. Leur influence se traduit par

    le prix que nous accordons lautonomie rationnelle, la vie intellectuelle, la

    recherche de la perfection et la russite de la vie personnelle. Lhritage du

    christianisme faonne lui aussi profondment notre existence morale. Lexigence

    dgalit morale entre les tres humains, indpendamment de leur naissance ou de

    leurs talents, la reconnaissance de la valeur immense accorde la vie humaine en

    rsultent. Les morales du devoir, que la philosophie de Kant a incarnes de manire

    excellente, ont mis au premier plan le caractre impratif des commandements

    moraux, et limportance des principes duniversalit et dimpartialit. Elles sont

    dterminantes de notre vision du monde. Les morales utilitaristes ont elles aussi

    contribu former en nous une exigence dattention aux consquences, qui est au cur

    des thiques modernes de la responsabilit.

    11Ces diffrents hritages coexistent dans la morale contemporaine. Ils forment une

    culture commune dans laquelle des engagements, comme le respect de lhomme,

    lgalit entre les humains, limpartialit et le caractre universel des jugements sont

    premiers. Mais dans notre culture morale commune figurent aussi des valuationsmorales inspires des ides de perfection et de russite de la vie (hrites des morales

    antiques), ainsi que le souci gnral dune responsabilit humaine en face des autres

    hommes et du monde. Pareille pluralit de valeurs ne compromet aucunement le

    caractre commun et partag de notre exprience morale.

    12Par rapport cette dfinition gnrale, les sens des termes morale et thique

    tendent se confondre. Il est vrai que, dans lusage qui en est fait aujourdhui, une

    diffrence daccent sest peu peu tablie entrer ces deux expressions. La moraledsigne le plus souvent lhritage commun des valeurs universelles qui sappliquent aux

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    actions des hommes. Do la connotation un peu traditionaliste qui reste attache ce

    terme. Par contraste, le terme thique est plus souvent employ pour dsigner le

    domaine plus restreint des actions lies la vie humaine. En ce sens, il demeure

    indemne des reproches de conformisme ou de moralisation ports contre le terme morale . Mais il ne faut pas exagrer la diffrence de sens entre ces termes qui peuvent

    tre dans la plupart des cas employs indiffremment.

    13Le fait que morale et thique associent rgles universelles dactions et normes du

    comportement individuel, le fait aussi quil existe une part de la rflexion thique

    relative laccomplissement de la vie personnelle ne doivent toutefois en aucun cas

    laisser penser que la morale et lthique sont une affaire de prfrences individuelles.

    Elles ne relvent pas non plus dune conception strictement personnelle de ce qui est

    bien ou mal. Elles ne consistent aucunement laisser chacun se forger son propre

    systme de valeurs ou de principes quil serait alors en droit de qualifier lgitimement

    dthique. Lthique nest pas le lieu de larbitraire de chacun. Lthique se formule

    partir de principes universels, de rgles communes, de rfrents partages qui forment

    la base solide et collective des valuations et des jugements.

    14Toutefois, dans tout domaine dactivit spcifique, ces rgles et valeurs prennent

    souvent une expression particulire. la morale commune est ainsi associe une

    morale professionnelle. Quil existe une morale propre une profession parat une

    vidence ds quon considre que les pratiques poursuivent un bien particulier. Dans le

    cas de la magistrature, ce bien consiste, en principe, en lexercice de la justice (il

    sagirait de la sant pour la mdecine, ou de lducation pour le professorat). La morale

    professionnelle est suppose faire valoir une exigence gnrale dintgrit et de

    cohrence de la pratique. Elle est aussi cense prendre en compte les intrts des

    individus non professionnels qui y sont confronts. On lui demande, de plus, de fournir

    une orientation gnrale pour rgler les situations, voire les dilemmes moraux quesuscitent parfois les conflits entre les obligations des professionnels et les rquisits

    gnraux que peuvent leur opposer lensemble des citoyens. Par exemple, il peut arriver

    que la rgle de secret professionnel entre en conflit avec des valeurs recommandes par

    la morale commune ou par une autre thique professionnelle. Il peut arriver aussi

    quelle cause un prjudice un tiers ou lensemble de la socit. La morale

    professionnelle serait la traduction concrte du fait que les professions, et cest au plus

    haut point le cas pour la magistrature, sont sous-tendues par des valeurs et desprincipes.

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    15Le terme dontologie , cr par Jeremy Bentham en 1834 (dans le titre donn

    son ouvrage :Deontology or the Science of Morality), vient du terme grec deonta, les

    devoirs, ce qui est d ou requis (officia en latin), et sest trouv depuis communment

    employ pour dsigner ltude de ce quil convient de faire dans une situation socialedonne, en particulier lensemble des devoirs lis lexercice dune profession. Tout

    personne en position dexercer une profession, en raison de son savoir ou de sa

    fonction, est invitablement place dans une situation de pouvoir exorbitante par

    rapport lusager qui est sous sa dpendance. Do la ncessit de rgles exprimes de

    faon formelle et explicite, dont la transgression soit passible davertissements et de

    rappels lordre, voire de sanctions. Pareille formalisation de la dontologie la

    distingue de la morale professionnelle plus diffuse et plus intriorise, sexprimant

    surtout par la dsapprobation et la critique.II. PHILOSOPHIE MORALE : MTA-THIQUE, THIQUE NORMATIVE,

    THIQUE PRATIQUE

    16Le dveloppement de la philosophie morale au cours du XXe sicle est all de pair

    avec la revendication dautonomie. Cette ligne de recherche a t amorce par le

    philosophe britannique G. E. Moore, auteur de louvrage qui est lorigine de la

    philosophie morale contemporaine,Principia Ethica, publi en 1903. Lautonomie que

    Moore revendique pour la rflexion thique dcoule directement de la reconnaissance

    du fait que la morale est sui generis et que les jugements moraux ne peuvent faire

    lobjet dune description ou dune justification qui vaudraient galement pour les

    propositions dautres disciplines philosophiques. Les concepts majeurs de lthique

    sont dune nature telle que les propositions o ils sont employs se distinguent

    nettement des propositions des sciences naturelles ou sociales, mais aussi de celles de

    la thologie et de la mtaphysique.

    17Cette spcificit reconnue lthique entrane linstauration dune priorit entre

    les diffrentes investigations dont elle peut tre lobjet. Avant ltude de toute question

    substantielle, portant sur le contenu des concepts moraux, il faut savoir comment les

    concepts fondamentaux de lthique sont employs et compris. Cette exigence devait

    devenir la thse centrale de la philosophie morale des cinquante premires annes

    duXXe sicle. Aucune thorie morale conue dans les dcennies qui ont suivi ne semble

    avoir dout de cette spcificit des questions morales ou, ce qui en est certes une des

    consquences possibles mais doit en tre distingu, de lirrductibilit des valeurs aux

    faits. Sous le nom de mta-thique, ce type de recherches devait dominer pendant undemi-sicle la philosophie morale.

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    18Par ailleurs, linfluence exerce par le style philosophique de Moore, par sa

    volont de dtermination claire des questions, par son exigence de ne parvenir la

    dfinition des notions morales et lvaluation de leur vrit quau terme dune

    dmarche rgressive, permettent de comprendre limportance dont sest trouve dotela mthode analytique applique ltude des principaux concepts thiques et du

    langage de la morale.

    19La mta-thique sest donc en quelque sorte spare de la philosophie pratique,

    dfinie comme la rflexion sur laction morale. La force des critiques adresses

    aujourdhui aux thories morales formelles est en rapport direct avec lexclusivit qui a

    marqu jusque dans les annes 1950 la domination de la mta-thique.

    20Une premire attaque contre la mta-thique a t porte par des philosophes,

    ElizabethAnscombe, Geoffrey Warnock, Philippa Foot, qui sopposaient rsolument

    lide que linvestigation philosophique en morale se limitt la mta-thique. Ils

    refusaient galement dadmettre le caractre absolu de la distinction entre fait et

    valeur. Surtout, en contestant la thse (commune la plupart des philosophes de cette

    premire moiti du XXe sicle) qui reconnat lexistence dune distinction logique entre

    les descriptions factuelles et les valuations morales, ils levaient linterdiction de rendre

    compte des jugements normatifs laide dlments descriptifs.

    21 la thse qui veut tablir une distinction nette entre ordre normatif et ordre

    descriptif, ils objectaient quil existe de nombreux termes, comme ladjectif courageux

    ou le nom pre , qui ont un sens la fois factuellement descriptif et moralement

    valuatif. Il est difficile de nier quil y aurait quelque tranget logique entendre dire

    sans ironie : Ce serait courageux, mais ne le faites surtout pas ou Il est son pre,

    mais son devoir nest pas de laider [1] [1] Philippa Foot, Moral Beliefs, Proceedings

    of the Aristotelian...

    suite.22Paralllement, partir de 1960, on cessa de se consacrer exclusivement

    lanalyse des prdicats moraux pour revenir llaboration de conceptions morales

    dotes dun contenu rel. Ce mouvement avait t prpar par la critique du philosophe

    amricain W. V. O. Quine (exprime dans larticle fameux Les deux dogmes de

    lempirisme [2] [2] W. V. O. Quine, Les deux dogmes de lempirisme (version...

    suite) qui, en contestant la distinction tablie entre diffrentes formes dnoncs

    synthtiques (selon que la vrit peut en tre ou non prouve par lexprience) etlopposition affirme entre les noncs synthtiques et les vrits analytiques,

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    ruinait lide essentielle au projet de la mta-thique dune sparation radicale

    entre les faits et les valeurs. Lentreprise consistant tenter de justifier les noncs

    normatifs, qui sont des jugements synthtiques non vrifiables empiriquement, comme

    on justifie les vrits empiriques et les noncs analytiques, ne paraissait plus aussiradicalement prive de sens.

    23Un tel retour lthique substantielle na pas pour seule consquence le refus de

    considrer que les jugements moraux se caractrisent surtout par telle ou telle forme

    logique ou linguistique ; il entrane aussi ladmission que ces jugements sont dots dun

    contenu substantiel spcifique. Geoffrey Warnock, un des plus brillants dfenseurs du

    point de vue selon lequel la moralit a un contenu dfinissable, soulignait, au terme de

    la brve histoire quil a consacre la philosophie morale de ce sicle, que les

    dfenseurs de la mta-thique ne staient jamais proccups dtudier ce que sont

    rellement les jugements moraux ou dexpliquer ce que ces jugements disent ou veulent

    dire[3] [3] G. J. Warnock, Contemporary Moral Philosophy, Londres,...

    suite.

    24Aprs avoir renonc considrer que les arguments moraux prsentent des

    caractristiques formelles spcifiques, aprs avoir revendiqu un objet pour la morale,

    la tche considrable consistant dfinir cet objet restait accomplir. Quel type de

    considrations permettront didentifier une question comme une question rellement

    morale, quel ensemble de phnomnes pourra lui confrer une porte thique ? La

    diversit des rponses apportes ces questions, qui, pour la plupart, ont voulu

    souligner la spcificit des objets propres aux jugements moraux, contribue expliquer

    la pluralit des courants de la philosophie morale contemporaine.

    25 partir des annes 1960, la radicale transformation des murs prives et des

    mutations politiques dune ampleur considrable (lextension de la dmocratie, la

    dcolonisation, le mouvement des droits civiques) amnent le public philosophique exiger davantage dexplicite et de justification dans les principes moraux. Les

    philosophes se sont alors trouvs de plus en plus sollicits pour clairer les dbats

    thiques que suscitaient les consquences des progrs scientifiques et technologiques et

    les nouvelles donnes de la vie sociale ou personnelle. Beaucoup dentre eux, en

    Amrique du Nord et en Grande-Bretagne, mais aussi en Allemagne et en Italie, ont

    accueilli avec intrt ces demandes sans prcdent adresses la philosophie et ont t

    lorigine de ce quon appelle aujourdhui lthique applique (applied ethics). Sur desquestions aussi diverses que celles dont traite la biothique (lavortement, leuthanasie,

    http://www.cairn.info/article.php?ID_ARTICLE=PUF_CANTO_2006_01_0003&DocId=63115&Index=%2Fcairn2Idx%2Fcairn&TypeID=226&HitCount=1&hits=913+0&fileext=html#no3%23no3http://www.cairn.info/article.php?ID_ARTICLE=PUF_CANTO_2006_01_0003&DocId=63115&Index=%2Fcairn2Idx%2Fcairn&TypeID=226&HitCount=1&hits=913+0&fileext=html#no3%23no3http://www.cairn.info/article.php?ID_ARTICLE=PUF_CANTO_2006_01_0003&DocId=63115&Index=%2Fcairn2Idx%2Fcairn&TypeID=226&HitCount=1&hits=913+0&fileext=html#no3%23no3
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    la rglementation de la procration assiste, le paternalisme mdical), mais aussi sur

    lthique des affaires, la discrimination ou la libert de la presse, beaucoup de

    philosophes ont eu loccasion soit de publier essais ou articles soit de travailler au sein

    dune commission officielle [4] [4] Bernard Williams a dirig ainsi les travaux duCommittee...

    suite.

    26Une question se pose pourtant propos de ces nouveaux objets offerts la

    philosophie morale. Lexamen des cas concrets a parfois contribu au dveloppement

    dune discipline qui, se dsignant comme thique , prtend lindpendance. Dote

    de ses propres experts et spcialistes qui se dnomment eux-mmes thicistes afin

    de se distinguer des philosophes travaillant sur les questions morales[5] [5] Lexemple

    le plus significatif en est le recueil de Albert...

    suite, cette nouvelle discipline quon ose peine reconnatre comme thique veut

    tre une forme de casuistique rationnelle dispense de toute rflexion philosophique

    portant, par exemple, sur la dfinition du bien ou sur lusage des termes moraux. Mme

    si cette activit na pour ainsi dire plus rien voir avec la philosophie morale, une forme

    aussi dgrade de lintervention philosophique doit amener prciser en quoi la

    rflexion des philosophes sen distingue et ce qui peut lgitimer lintervention de ces

    derniers propos de questions concrtes. La question se pose de faon dautant plus

    aigu que la participation des philosophes ce type de dbats moraux a t parfois

    vivement critique et a donn lieu une vritable querelle des experts : les

    problmes thiques ne sont-ils laffaire de tout le monde et les philosophes qui sen

    occupent ne font-ils le plus souvent quappliquer une thorie[6] [6] Cf. Stephen

    Toulmin, How Medecine Saved the Life of Ethics,...

    suite?

    27Il est difficile de nier que par leur habitude de la pense argumentative, par leurtravail sur les formes de consensus et leurs recherches sur la normativit, les

    philosophes sont sans doute bien prpars aborder les questions dthique. Il parat

    en revanche trs douteux que la forme defficacit parfois reconnue leur participation

    dans la discussion de tel ou tel cas concret dpende de la thorie dont ils disposent et

    quils auraient ainsi applique avec succs. Il faut du reste souligner que trs peu de

    philosophes ont justifi leur intrt pour ces questions concrtes dthique par la

    possibilit de leur appliquer une thorie morale capable de les rsoudre. On voit mal dureste en quoi lapplication dune thorie morale un cas prcis, celle-ci ft-elle

    http://www.cairn.info/article.php?ID_ARTICLE=PUF_CANTO_2006_01_0003&DocId=63115&Index=%2Fcairn2Idx%2Fcairn&TypeID=226&HitCount=1&hits=913+0&fileext=html#no4%23no4http://www.cairn.info/article.php?ID_ARTICLE=PUF_CANTO_2006_01_0003&DocId=63115&Index=%2Fcairn2Idx%2Fcairn&TypeID=226&HitCount=1&hits=913+0&fileext=html#no4%23no4http://www.cairn.info/article.php?ID_ARTICLE=PUF_CANTO_2006_01_0003&DocId=63115&Index=%2Fcairn2Idx%2Fcairn&TypeID=226&HitCount=1&hits=913+0&fileext=html#no5%23no5http://www.cairn.info/article.php?ID_ARTICLE=PUF_CANTO_2006_01_0003&DocId=63115&Index=%2Fcairn2Idx%2Fcairn&TypeID=226&HitCount=1&hits=913+0&fileext=html#no5%23no5http://www.cairn.info/article.php?ID_ARTICLE=PUF_CANTO_2006_01_0003&DocId=63115&Index=%2Fcairn2Idx%2Fcairn&TypeID=226&HitCount=1&hits=913+0&fileext=html#no6%23no6http://www.cairn.info/article.php?ID_ARTICLE=PUF_CANTO_2006_01_0003&DocId=63115&Index=%2Fcairn2Idx%2Fcairn&TypeID=226&HitCount=1&hits=913+0&fileext=html#no4%23no4http://www.cairn.info/article.php?ID_ARTICLE=PUF_CANTO_2006_01_0003&DocId=63115&Index=%2Fcairn2Idx%2Fcairn&TypeID=226&HitCount=1&hits=913+0&fileext=html#no5%23no5http://www.cairn.info/article.php?ID_ARTICLE=PUF_CANTO_2006_01_0003&DocId=63115&Index=%2Fcairn2Idx%2Fcairn&TypeID=226&HitCount=1&hits=913+0&fileext=html#no6%23no6
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    couronne de succs, permettrait den prouver la vrit, ou permettrait en tout cas de

    montrer la faillite des autres thories.

    28Certaines thories morales semblent sopposer entre elles de faon irrductible ;

    cest le cas, par exemple, du consquentialisme ou du dontologisme. On sattendraitdonc ce que, si lon a recours ces thories pour rsoudre des problmes concrets,

    leur valeur respective puisse aisment se mesurer en fonction de ce que valent les

    solutions opposes quelles avancent. Or, lorsquil sagit dinspirer des dcisions, les

    thories opposes saccordent souvent sur une ligne de conduite que la dmarche

    rflexive commune ces thories, au lieu des doctrines que chacune delles dfend,

    permet datteindre. Il faut en effet distinguer dans chaque thorie morale entre le

    systme thique (qui dfinit la notion de bien) et la procdure de dcision rationnelle

    (ou la dlibration qui justifie lacte). Des systmes thiques opposs peuvent ainsi

    justifier une mme dcision.

    29Par ailleurs, toutes les thories morales ne sont pas aptes au mme degr pour

    instruire des cas dthique concrte ou pour justifier des dcisions. Une thorie morale

    qui met au premier plan des principes de cohrence, qui consiste en lexplicitation du

    langage moral ou qui fournit des rgles de raisonnement sera sans doute mieux arme

    pour aborder des cas particuliers difficiles. Une thorie morale (comme lutilitarisme ou

    le consquentialisme) qui sattache dfinir la valeur morale dun type daction en

    fonction des consquences que cette action entrane apparatra souvent plus mme

    daborder lexamen dun cas concret. En revanche, on peut concevoir quune thorie

    intuitionniste, au sens trivial du terme, faisant appel aux intuitions morales et au

    consensus, se trouvera en dfaut dans des cas tels leuthanasie, lavortement,

    lexprimentation mdicale sur lembryon, o la conviction morale est de nature

    problmatique et o il ny a que peu de consensus. Certaines thories ont des

    reprsentants trs actifs dans les domaines de lthique applique ; cest le cas desthories lies la prfrence rationnelle, des thories dontologiques, des thories de

    lautonomie. Diffrentes thories morales peuvent tre sur certains points compatibles

    entre elles, et il est frappant de constater combien, en dpit de divergences initiales,

    lorsque la discussion porte sur des cas concrets, des formes de consensus peuvent tre

    atteintes[7] [7] Anne Fagot-Largeault, Normativit biologique et normativit...

    suite. La confirmation de sa thorie nest donc sans doute pas le premier avantage

    quun philosophe peut attendre de son intervention sur des questions concrtesdthique. Son ambition serait plutt de produire un accord fond sur des

    http://www.cairn.info/article.php?ID_ARTICLE=PUF_CANTO_2006_01_0003&DocId=63115&Index=%2Fcairn2Idx%2Fcairn&TypeID=226&HitCount=1&hits=913+0&fileext=html#no7%23no7http://www.cairn.info/article.php?ID_ARTICLE=PUF_CANTO_2006_01_0003&DocId=63115&Index=%2Fcairn2Idx%2Fcairn&TypeID=226&HitCount=1&hits=913+0&fileext=html#no7%23no7http://www.cairn.info/article.php?ID_ARTICLE=PUF_CANTO_2006_01_0003&DocId=63115&Index=%2Fcairn2Idx%2Fcairn&TypeID=226&HitCount=1&hits=913+0&fileext=html#no7%23no7
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    considrations rationnelles et des principes daction peu prs unanimement

    reconnus.

    30Lorsquelle aborde ce type de questions thiques, la philosophie morale devrait y

    intervenir de faon rgulatrice en sorte que ses principes puissent tre reformuls etrorients par ltude des cas et par lexamen des convictions. La mthode dite de l

    quilibre rflchi (reflexive equilibrium)[8] [8] Quon trouve expose chez John

    Rawls, Thorie de la...

    suite, qui permet la thorie et aux convictions de se modifier rciproquement

    pourrait tre un bon modle pour penser ce type de rflexion thique. Elle ne serait

    donc plus conue comme l application dune thorie mais plutt comme

    linformation rciproque de la rflexion philosophique et des descriptions et

    valuations de cas concrets. Il faudrait alors exiger des thories morales une complexit

    interne telle que le systme de principes fondamentaux quon y trouve puisse tre

    reformul et rorient par ltude des cas et des convictions.

    31Mais la modestie oblige des thories morales lorsquelles sont confrontes des

    situations concrtes ne suffit aucunement justifier lexistence dune expertise thique

    affranchie de ces thories et indpendante de toute considration philosophique. Une

    des tches que les philosophes vont tre appels accomplir dans les prochaines

    annes sera de dfinir des formes dintelligibilit et de comprhension permettant

    dclairer des questions difficiles, sans que la complexit de la chose fasse que certains

    dentre eux renoncent y voir une responsabilit philosophique et sans permettre non

    plus un recours de simple convenance la philosophie. Pour reprendre ce propos une

    remarque fameuse sur la faon dont les hommes politiques se servent des statistiques,

    il serait fcheux que, dans les dbats portant sur des questions dthique concrte, on se

    serve des philosophes comme un homme saoul se sert dun lampadaire, non pour y voir

    plus clair mais simplement pour sy appuyer.NOTES

    [ 1]Philippa Foot, Moral Beliefs, Proceedings of the Aristotelian Society, vol. 59,

    1958-9, p. 83-104.

    [ 2]W. V. O. Quine, Les deux dogmes de lempirisme (version remanie,

    1953), in Pierre Jacob, De Vienne Cambridge. Lhritage du positivisme logique

    de 1950 nos jours, Paris, Gallimard, 1980, p. 87-112.

    [ 3]G. J. Warnock, Contemporary Moral Philosophy, Londres, MacMillan

    Education Ltd, 1967, p. 2-3.

    http://www.cairn.info/article.php?ID_ARTICLE=PUF_CANTO_2006_01_0003&DocId=63115&Index=%2Fcairn2Idx%2Fcairn&TypeID=226&HitCount=1&hits=913+0&fileext=html#no8%23no8http://www.cairn.info/article.php?ID_ARTICLE=PUF_CANTO_2006_01_0003&DocId=63115&Index=%2Fcairn2Idx%2Fcairn&TypeID=226&HitCount=1&hits=913+0&fileext=html#no8%23no8http://www.cairn.info/article.php?ID_ARTICLE=PUF_CANTO_2006_01_0003&DocId=63115&Index=%2Fcairn2Idx%2Fcairn&TypeID=226&HitCount=1&hits=913+0&fileext=html#retournoteno1%23retournoteno1http://www.cairn.info/article.php?ID_ARTICLE=PUF_CANTO_2006_01_0003&DocId=63115&Index=%2Fcairn2Idx%2Fcairn&TypeID=226&HitCount=1&hits=913+0&fileext=html#retournoteno2%23retournoteno2http://www.cairn.info/article.php?ID_ARTICLE=PUF_CANTO_2006_01_0003&DocId=63115&Index=%2Fcairn2Idx%2Fcairn&TypeID=226&HitCount=1&hits=913+0&fileext=html#retournoteno3%23retournoteno3http://www.cairn.info/article.php?ID_ARTICLE=PUF_CANTO_2006_01_0003&DocId=63115&Index=%2Fcairn2Idx%2Fcairn&TypeID=226&HitCount=1&hits=913+0&fileext=html#retournoteno3%23retournoteno3http://www.cairn.info/article.php?ID_ARTICLE=PUF_CANTO_2006_01_0003&DocId=63115&Index=%2Fcairn2Idx%2Fcairn&TypeID=226&HitCount=1&hits=913+0&fileext=html#retournoteno2%23retournoteno2http://www.cairn.info/article.php?ID_ARTICLE=PUF_CANTO_2006_01_0003&DocId=63115&Index=%2Fcairn2Idx%2Fcairn&TypeID=226&HitCount=1&hits=913+0&fileext=html#retournoteno1%23retournoteno1http://www.cairn.info/article.php?ID_ARTICLE=PUF_CANTO_2006_01_0003&DocId=63115&Index=%2Fcairn2Idx%2Fcairn&TypeID=226&HitCount=1&hits=913+0&fileext=html#no8%23no8http://www.cairn.info/article.php?ID_ARTICLE=PUF_CANTO_2006_01_0003&DocId=63115&Index=%2Fcairn2Idx%2Fcairn&TypeID=226&HitCount=1&hits=913+0&fileext=html#retournoteno1%23retournoteno1http://www.cairn.info/article.php?ID_ARTICLE=PUF_CANTO_2006_01_0003&DocId=63115&Index=%2Fcairn2Idx%2Fcairn&TypeID=226&HitCount=1&hits=913+0&fileext=html#retournoteno2%23retournoteno2http://www.cairn.info/article.php?ID_ARTICLE=PUF_CANTO_2006_01_0003&DocId=63115&Index=%2Fcairn2Idx%2Fcairn&TypeID=226&HitCount=1&hits=913+0&fileext=html#retournoteno3%23retournoteno3
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    [ 4]Bernard Williams a dirig ainsi les travaux du Committee on Obscenity and Film

    Censorship en 1977, et Mary Warnock ceux du Committee on Human Fertilisation and

    Embryologyen 1982. Cest la biothique qui a profit le plus de cet apport

    philosophique. Des centres dtudes se sont constitus (le Hastings Center en 1969,le Kennedy Institute en 1971, The Society for Health and Human Values qui publie

    depuis 1975 leJournal of Medecine and Philosophy. LAmerican Philosophical

    Association a form en 1974 un Committee on Medecine and Philosophy).

    [ 5]Lexemple le plus significatif en est le recueil de Albert Jonsen, Mark Siegler et

    William Winslade :Clinical Ethics, New York, Macmillan Publishing Company, 1982.

    [ 6]Cf. Stephen Toulmin, How Medecine Saved the Life of Ethics, Perspectives in

    Biology and Medicine, 25, no 4, 1982, p. 736-750.

    [ 7]Anne Fagot-Largeault, Normativit biologique et normativit sociale,

    in Fondements naturels de lthique, Paris, Odile Jacob, 1993, p. 191-226.

    [ 8]Quon trouve expose chez John Rawls, Thorie de la justice (1971), trad.

    C. Audard, Paris, Le Seuil, 1987, p. 47-48. Pour une dfense de la capacit de la

    thorie utilitariste dinstruire des cas concrets, cf. Richard Hare, Why do applied

    Ethics ?, in Joseph DeMarco et Richard M. Fox, New Directions in Ethics : The

    Challenge of Applied Ethics, New York - Londres, Routledge & Kegan, 1986, p. 225-

    237.PLAN DE L'ARTICLE

    I. Morale, thique, dontologie

    II. Philosophie morale : mta-thique, thique normative,

    thique pratiquePOUR CITER CET ARTICLE

    Monique Canto-Sperber et Ruwen OgienLa philosophie morale, P.U.F. Que sais-je ?

    , 2006 (2ed.), p. 3-18.

    http://www.cairn.info/article.php?ID_ARTICLE=PUF_CANTO_2006_01_0003&DocId=63115&Index=%2Fcairn2Idx%2Fcairn&TypeID=226&HitCount=1&hits=913+0&fileext=html#retournoteno4%23retournoteno4http://www.cairn.info/article.php?ID_ARTICLE=PUF_CANTO_2006_01_0003&DocId=63115&Index=%2Fcairn2Idx%2Fcairn&TypeID=226&HitCount=1&hits=913+0&fileext=html#retournoteno5%23retournoteno5http://www.cairn.info/article.php?ID_ARTICLE=PUF_CANTO_2006_01_0003&DocId=63115&Index=%2Fcairn2Idx%2Fcairn&TypeID=226&HitCount=1&hits=913+0&fileext=html#retournoteno6%23retournoteno6http://www.cairn.info/article.php?ID_ARTICLE=PUF_CANTO_2006_01_0003&DocId=63115&Index=%2Fcairn2Idx%2Fcairn&TypeID=226&HitCount=1&hits=913+0&fileext=html#retournoteno7%23retournoteno7http://www.cairn.info/article.php?ID_ARTICLE=PUF_CANTO_2006_01_0003&DocId=63115&Index=%2Fcairn2Idx%2Fcairn&TypeID=226&HitCount=1&hits=913+0&fileext=html#retournoteno8%23retournoteno8http://www.cairn.info/article.php?ID_ARTICLE=PUF_CANTO_2006_01_0003&DocId=63115&Index=%2Fcairn2Idx%2Fcairn&TypeID=226&HitCount=1&hits=913+0&fileext=html#s1n2%23s1n2http://www.cairn.info/article.php?ID_ARTICLE=PUF_CANTO_2006_01_0003&DocId=63115&Index=%2Fcairn2Idx%2Fcairn&TypeID=226&HitCount=1&hits=913+0&fileext=html#s1n3%23s1n3http://www.cairn.info/article.php?ID_ARTICLE=PUF_CANTO_2006_01_0003&DocId=63115&Index=%2Fcairn2Idx%2Fcairn&TypeID=226&HitCount=1&hits=913+0&fileext=html#s1n3%23s1n3http://www.cairn.info/article.php?ID_ARTICLE=PUF_CANTO_2006_01_0003&DocId=63115&Index=%2Fcairn2Idx%2Fcairn&TypeID=226&HitCount=1&hits=913+0&fileext=html#retournoteno8%23retournoteno8http://www.cairn.info/article.php?ID_ARTICLE=PUF_CANTO_2006_01_0003&DocId=63115&Index=%2Fcairn2Idx%2Fcairn&TypeID=226&HitCount=1&hits=913+0&fileext=html#retournoteno7%23retournoteno7http://www.cairn.info/article.php?ID_ARTICLE=PUF_CANTO_2006_01_0003&DocId=63115&Index=%2Fcairn2Idx%2Fcairn&TypeID=226&HitCount=1&hits=913+0&fileext=html#retournoteno6%23retournoteno6http://www.cairn.info/article.php?ID_ARTICLE=PUF_CANTO_2006_01_0003&DocId=63115&Index=%2Fcairn2Idx%2Fcairn&TypeID=226&HitCount=1&hits=913+0&fileext=html#retournoteno5%23retournoteno5http://www.cairn.info/article.php?ID_ARTICLE=PUF_CANTO_2006_01_0003&DocId=63115&Index=%2Fcairn2Idx%2Fcairn&TypeID=226&HitCount=1&hits=913+0&fileext=html#retournoteno4%23retournoteno4http://www.cairn.info/article.php?ID_ARTICLE=PUF_CANTO_2006_01_0003&DocId=63115&Index=%2Fcairn2Idx%2Fcairn&TypeID=226&HitCount=1&hits=913+0&fileext=html#retournoteno4%23retournoteno4http://www.cairn.info/article.php?ID_ARTICLE=PUF_CANTO_2006_01_0003&DocId=63115&Index=%2Fcairn2Idx%2Fcairn&TypeID=226&HitCount=1&hits=913+0&fileext=html#retournoteno5%23retournoteno5http://www.cairn.info/article.php?ID_ARTICLE=PUF_CANTO_2006_01_0003&DocId=63115&Index=%2Fcairn2Idx%2Fcairn&TypeID=226&HitCount=1&hits=913+0&fileext=html#retournoteno6%23retournoteno6http://www.cairn.info/article.php?ID_ARTICLE=PUF_CANTO_2006_01_0003&DocId=63115&Index=%2Fcairn2Idx%2Fcairn&TypeID=226&HitCount=1&hits=913+0&fileext=html#retournoteno7%23retournoteno7http://www.cairn.info/article.php?ID_ARTICLE=PUF_CANTO_2006_01_0003&DocId=63115&Index=%2Fcairn2Idx%2Fcairn&TypeID=226&HitCount=1&hits=913+0&fileext=html#retournoteno8%23retournoteno8http://www.cairn.info/article.php?ID_ARTICLE=PUF_CANTO_2006_01_0003&DocId=63115&Index=%2Fcairn2Idx%2Fcairn&TypeID=226&HitCount=1&hits=913+0&fileext=html#s1n2%23s1n2http://www.cairn.info/article.php?ID_ARTICLE=PUF_CANTO_2006_01_0003&DocId=63115&Index=%2Fcairn2Idx%2Fcairn&TypeID=226&HitCount=1&hits=913+0&fileext=html#s1n3%23s1n3http://www.cairn.info/article.php?ID_ARTICLE=PUF_CANTO_2006_01_0003&DocId=63115&Index=%2Fcairn2Idx%2Fcairn&TypeID=226&HitCount=1&hits=913+0&fileext=html#s1n3%23s1n3