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Irish Review (Dublin) La Réponse de Georges Moore àsa Cousine Germaine, une Carmélite Depuis 23 ans qui lui a demandé de Brûler ses Livres Author(s): George Moore Source: The Irish Review (Dublin), Vol. 1, No. 3 (May, 1911), pp. 124-127 Published by: Irish Review (Dublin) Stable URL: http://www.jstor.org/stable/30062678 . Accessed: 16/06/2014 22:03 Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at . http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp . JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact [email protected]. . Irish Review (Dublin) is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to The Irish Review (Dublin). http://www.jstor.org This content downloaded from 195.78.108.105 on Mon, 16 Jun 2014 22:03:10 PM All use subject to JSTOR Terms and Conditions

La Réponse de Georges Moore à sa Cousine Germaine, une Carmélite Depuis 23 ans qui lui a demandé de Brûler ses Livres

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Irish Review (Dublin)

La Réponse de Georges Moore àsa Cousine Germaine, une Carmélite Depuis 23 ans qui lui ademandé de Brûler ses LivresAuthor(s): George MooreSource: The Irish Review (Dublin), Vol. 1, No. 3 (May, 1911), pp. 124-127Published by: Irish Review (Dublin)Stable URL: http://www.jstor.org/stable/30062678 .

Accessed: 16/06/2014 22:03

Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at .http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp

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La Reponse de Georges Moore a sa Cousine Germaine, une Carmelite Depuis 23 ans qui lui a demand de Brtiler ses Livres.

MA CHhRE COUSINE, Ta bonne et gentille lettre m'a fait plaisir et j'y ai

song6 longtemps. Sans que tu t'en doutes je songe t toi et t

ta destinee si 6trange, si romantique ; car il n'y a rien de plus romantique que de s'enfermer dans un cloltre pour 6chapper h la vie ; a moins qu'il ne soit encore plus romantique de s'6chapper d'un cloitre pour se reconcilier avec la vie.

Ma chore cousine, ta lettre, comme l'6glantine dans le bois, respire ton ame pieuse et exalt6e et je vois que 23 ans dans un cloitre ne t'ont pas rendue moins femme ; tes sentiments ont pris un autre tour, voilh tout. 11 me semble que le couvent a meme conserv6 ton coeur, ii est frais, tendre et spontan. . . . Je suis attir6 'a toi que je n'ai jamais vue et que je ne verrai jamais. Chere petite cousine, je te vois au fond de ton cloitre frangais avec les yeux bruns de ta soeur, et j'entends encore dans ta voix un lCger accent anglais. Ta lettre me montre que tu n'as pas oubli6 ton anglais, et si je t'6cris en frangais c'est parceque je causerai plus 't mon aise avec toi sous le voile d'une langue 6tran- gere; et si je te tutoie c'est pour 't peu pres la m6me raison. Nous habitons des spheres diff6rentes; nous sommes aussi 6loignes l'un de l'autre que l'oiseau du poisson. Mais quoique nos mentalites ne soient pas les memes nos ames sont germaines; nous sommes les deux r&veurs d'une famille peu rtveuse; les deux qui ont su faire des sacrifices--toi pour Dieu, moi pour l'Art. Qu'importe le sacrifice pourvu qu'on se sacrifie !

Chbre cousine ne crois pas pour un instant que je me per- mette la moindre ironie. Je te parle du fond de mon coeur et si je te dis des choses qui te semblent 6tranges c'est parceque chacun porte en soi sa verit6 et que ce qui est vrai pour l'un est

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LA REPONSE DE GEORGES MOORE

faux pour l'autre. Tu n'accepteras pas cette doctrine; je le sais; mais puisque le mot doctrine m'a 6chapp6 il faut que je dise que ta lettre contient une h6resie. L'Eglise Romaine admet que le salut est possible pour le protestant pourvu qu'il soit de bonne foi; mais tu ajoutes qu'il n'y a pas de salut pour l'apostat. Qui te l'a dit ? Pas ton confesseur ? L'Eglise Romaine a canonis6 bien des saints, mais elle a toujours 6vit6 de damner formellement ses ennemis. J'ai ou'i dire que Judas est une exception, mais tout de mtme le catholique peut esp6rer que la bont6 de J6sus-Christ est telle qu'il a pu pardonne au traltre.

L'histoire de Saint Brandan est parmi les plus anciennes de nos legendes. Dans son voyage vers le nord, vers le ptle nord, le saint vit un homme aux cheveux roux; il crut d'abord voir J6sus-Christ, mais lorsque sa barque s'approcha du glacier il comprit que le visage sinistre ne pouvait 6tre que celui de Judas. Judas lui raconta qu'une fois par an, pour une heure, il lui 6tait permis de quitter l'enfer et de soulager ses bruilures au contact de la glace, et cette grace lui fut accord6e parcequ'il avait jete son manteau sur un lCpreux mourant ' Jappa. Tu vois, chere cousine, que la misericorde de Dieu est plus grande que tu ne le croyais. Je ne te demande pas d'accepter cette douce 16gende comme une verit6 ; mais elle d6montre combien l'Eglise Romaine est peu disposee croire qu'il y ait des ames qui brilent La lCgende va trop loin peut-&tre, mais en tout cas tu 6nonces une heresie quand tu dis pas de salut pour I'apostat. Interroge ton confesseur, et il te dira que j'ai raison. Mais voilh assez de theologie. Revenons a l'Art--h mon ami Huysmans. Com- ment as-tu su qu'il 6tait mon ami ? Sait-on donec tout dans les couvents? Huysmans fut mon ami pendant de longues anntes, mais tu te trompes quand tu dis qu'il a bruil6 ses livres avant sa mort. D'abord ce n'6tait pas possible; ses livres appartiennent en partie a ses 6diteurs et a ses parents, et puis il 6tait trop artiste pour brtiler autre chose que ses brouillons. II n'a pas voulu que les choses inachevees fussent publi'es

apr's sa mort.

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THE IRISH REVIEW

Si nous laissons de c6t6 la valeur artistique de ses 6crits mon cas est le meme. D'abord il faudrait racheter tous les droits, et

puis faire venir ici 40, 50, peut-&tre 6o,ooo volumes. Un livre ne se brdle pas facilement. Le poele de cuisine ne suffirait pas; un seul livre est assez pour 6teindre le feu. Alors il faudrait les r6unir, les entasser les uns sur les autres dans mon jardin, et verser quelques barriques de p6trole sur le tas. Songe donc au feu que cela ferait !-les flammes montant plus haut que les maisons, les vitres brisbes par la chaleur, les voisins empestes par la fumte. On ne pourrait finir d'emblie; l'incendie que tu me

proposes durerait plusieurs jours et plusieurs nuits. La police interviendrait, on me dresserait une contravention; j'aurais des

proces de mes voisins r6clamant des dommages et intr&ets. Ma fortune y fondrait.

Une fle dans le lac de Cara est le seul endroit propice a l'holocauste litt6raire que tu souhaites. Les pierres d'un r6duit des anciens guerriers serviraient au brasier, et en y mettant le

temps et beaucoup d'huile on arriverait sans doute 't d6truire toute ma litterature. Mais!-il y a un mais-tu ne voudrais pas qu'un bon livre p6risse avec les mauvais, avec les moins bons, car je ne peux admettre qu'aucun de mes livres soit mauvais. Un critique tres avis6 a dit que pour faire Esther Waters j'ai pris les b6atitudes comme motifs et que le livre en est un beau

developpement. Je ne me soucie pas de d6fendre cet 6loge temeraire, mais il est certain que mon oeuvre suscite la com-

passion dans les coeurs pas trop endurcis pour les filles meres, et

qu'elle fait venir des donations h l'asile qui porte le nom de mon roman. Ton coeur est trop tendre et tu connais trop bien les

paroles du Christ pour vouloir brdiler le livre qui a cr6e cette maison charitable et qui la soutient. Non plus tu ne voudrais pas que je brtilasse Sister Teresa puisqu'en 6crivant j'ai rvev tris souvent

t ton cloitre, et en cr6ant l'me de Soeur V6ronique je n'ai song6 qu'at toi. Comme toi, elle n'a quitt6 l'6cole que pour passer au noviciat. Comme toi, elle n'a jamais regrett6 le choix de son chemin. Comme toi elle fut parfaitement heureuse. Tu

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LA REPONSE DE GEORGES MOORE

me dis dans ta lettre que tu l'es et qu'il n'y a pas un bonheur

plus parfait que de vivre avec Dieu et les sacrements. Moi, je puis dire que je suis parfaitement heureux avec mon Art; il

remplit ma vie d'un bout t l'autre. Je te l'ai djft dit, nous sommes les deux reveurs d'une famille peu rtveuse. Nous sommes les heureux vraiment. Au lieu de nous fatiguer en vains efforts de vivre nous nous sommes content&s de r&ver. Qu'importe le reve pourvu qu'on reve !

Maintenant chore cousine, accepte ma sympathie et mon admiration pour ta vie de sacrifice, si semblable 'a la mienne, quoique si diff6rente, et sois sure que j'aurai toujours plaisir ta recevoir de tes nouvelles.

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