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www.histoire.presse.fr 3:HIKLSE=WU[WUX:?k@d@h@f@k; M 01842 - 375 - F: 6,20 E Delacroix et le malheur grec Voyageurs à Rome au temps des Lumières Génocide rwandais : nouvelle enquête ÉLECTION PRÉSIDENTIELLE : SARKOZY FACE À L’HISTOIRE LA SYRIE DEPUIS 5 000 ANS Ougarit, carrefour des empires Damas, capitale des Omeyyades Du mandat français au clan Assad MENSUEL DOM/S 7,20 € TOM/S 950 XPF TOM/A 1 600 XPF BEL 7,20 € LUX 7,20 € ALL 7,90 € ESP 7,20 € GR 7,20 € ITA 7,20€ MAY 8,70 € PORT. CONT 7,20 € CAN 9,99 $CAN CH 12 ,40 FS MAR 60 DH TUN 6,80 TND ISSN 01822411

La Syrie depuis 5000 ans

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La Syrie est l’un des plus vieux pays du monde. Mais c’est aussi une jeune nation, aux mains d’un clan depuis 1970 : les Assad. Les clés pour comprendre les enjeux d’une révolte peut-être plus compliquée qu’ailleurs.

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M 01

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Delacroix et le malheur grec

Voyageurs à Romeau temps des Lumières

Génocide rwandais :nouvelle enquête

ÉLECTION PRÉSIDENTIELLE : SARKOZY FACE À L’HISTOIRE

LA SYRIEDEPUIS 5 000 ANS

Ougarit, carrefour des empires

Damas, capitale des Omeyyades

Du mandat français au clan Assad

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’SOMMAIRE

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’ACTUALITÉon en parle18 La vie de l’édition - La femme en vue - En tournage

portrait 20 Michel Ciment, ou l’esprit « Positif » Par Michel Winock

expositions 22 Livres peints Par Juliette Rigondet

24 La casquette de Bugeaud Par Séverine Nikel

25 Le goût des phares Par Bruno Calvès

bande dessinée 26 Un Romain à Tokyo Par Pascal Ory

livres 28 Vous avez dit « sérendipité » ? Par Jacques Berlioz

30 Les mensonges de Robert Faurisson Par Valérie Igounet

31 Internet : les sites du mois

anniversaire 32 On a tué le président ! Par Amaury Lorin

33 Agenda : les rencontres du mois

médias 34 « Iron Men » Par Olivier Thomas

cinéma 36 11 ans en Chine en 1975 Par Antoine de Baecque

’FEUILLETONles grandes heures de la presse86 La libération de Florence Aubenas Par Jean-Noël Jeanneney

’GUIDEla revue des revues88 La Russie dans les yeux - Tous obèses - Arsenic et gros sabots

les livres90 « On a retrouvé l’histoire de France » de Jean-Paul Demoule Par Maurice Sartre

91 La sélection du mois

le classique96 « Mazarin » de Pierre Goubert Par Joël Cornette

’CARTE BLANCHE98 Votez Hugo ! Par Pierre Assouline

COUVERTURE : Relief funéraire datant du IIIe siècle provenant de Palmyre (Damas, Musée national ; Collection Dagli Orti).

RETROUVEZ PAGE 38 LES RENCONTRES DE L’HISTOIRE

ABONNEZ-VOUS PAGE 97Ce numéro comporte trois encarts jetés : Le Magazine littéraire (abonnés), L’Histoire (kiosques France et export, hors Belgique et Suisse) et Edigroup (kiosques Belgique et Suisse).

’ÉVÉNEMENT8 Nicolas Sarkozy face à l’histoire Guy Môquet, « l’homme africain », la colonisation… : quel sens donner au discours de Nicolas Sarkozy sur l’histoire de France ? Et en quoi se distingue-t-il de celui de ses prédécesseurs ? Enquête.

www.histoire.presse.fr10 000 articles en archives.Des web dossiers pour préparer les concours.Chaque jour, une archive de L’Histoire pour comprendre l’actualité.

N°375-MAI 2012

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’DOSSIER PAGE 40

LA SYRIED’Ougarit au

clan Assad

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’RECHERCHE

72 Rome, ville des Lumières Par Gilles Montègre Ville sainte, ville-musée, ville momifi ée ? La Rome du xviiie siècle fut au contraire une capitale cosmopolite, au cœur de l’Europe des Lumières.

78 Rwanda. L’attentat et le génocide Entretien avec Laure de Vulpian Une nouvelle expertise judiciaire livre des éléments déterminants sur l’attentat contre l’avion du président Kagame, le 6 avril 1994.

82 Delacroix philhellène ? Par Marie-Christine Natta Les Massacres de Scio fi rent scandale au Salon de 1824.

Le dernier vendredi de chaque mois à 9 h 05 « La Fabrique de l’histoire » d’Emmanuel Laurentin Retrouvez la séquence « L’atelier du chercheur » en partenariat avec L’Histoire (cf. p. 72)

GIL

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42 Au carrefour des empires Par Françoise Briquel-Chatonnet

44 Une autre Grèce Par Maurice Sartre

48 Au pays des premiers chrétiens Par Françoise Briquel-Chatonnet

50 Siméon le Stylite 52 La province capitale Par Gabriel Martinez-Gros

54 Saladin le Syrien Par Anne-Marie Eddé

58 « L’État du toujours moins » Par Elizabeth Picard

64 Qu’est-ce qui fait tenir Bachar ? Par Nora Benkorich

66 La dynastie Assad 68 Baath : fi n de partie ?

69 Pour en savoir plus

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’événement Élection prÉsidentielle

L’ H i s t o i r e N ° 3 7 5 m a i 2 0 1 2 8

I l existe traditionnellement un rapport obligé entre le président de la république française et l’histoire. Le fondateur de la Ve république

s’y référait constamment : « En mille ans d’histoire, disait-il, la France a connu des hauts et des bas, elle a montré au monde qu’elle était un grand peuple, et elle s’est vautrée dans sa bauge. Ce que j’essaie de faire depuis un quart de siècle, c’est de pratiquer l’affirmation de la France au nom des Français1. » La politique du général de Gaulle était ainsi fon-dée sur une vision de l’histoire : son pays était ca-pable du meilleur et du pire, il fallait le sauver de la décadence.

Le regard sur le passé de François mitterrand n’était pas celui de Charles de Gaulle, mais le pré-sident socialiste aussi n’a cessé de puiser dans l’his-toire son inspiration. Les deux guerres mondiales et leurs conséquences, notamment, lui ont dicté la plus claire de ses convictions : la nécessité de construire l’europe.

Nicolas sarkozy est assurément convaincu qu’un président des Français, si accaparé soit-il par les impératifs du présent, ne peut se couper du monde d’hier. Les références historiques, ve-nues de lui-même ou soufflées par ses conseillers, n’ont pas manqué au long de son discours de can-didat et de président. mais l’histoire l’invite-t-elle, comme dans le cas d’un de Gaulle ou d’un mitterrand, à se construire une vision du monde et à lui insuffler une action ? on peut légitime-ment en douter quand on observe l’usage qu’il fait de l’histoire, réduite à un stock d’images, de personnages, plus rarement d’événements qui lui servent d’exemples à sa rhétorique ou à des coups d’éclat sans lendemain.

on peut objecter à ce constat qu’il n’est pas le premier homme politique à instrumentaliser l’his-

toire. Qu’à l’étranger, il serait courant de rencon-trer des chefs d’État ou de gouvernement ignorant l’histoire de leur pays. Cette originalité française ne rend-elle pas le poids du passé un peu trop encombrant ?

La spécificité de Nicolas sarkozy est de recou-rir aux évocations du passé sans se sentir obligé par lui. « L’histoire est une sibylle à laquelle on fait dire tout ce qu’on veut », écrivait montherlant. on pour-rait dire aussi un marché aux puces d’où l’on tire des photos jaunies, de vieux disques rayés, ou des images d’Épinal. Nicolas sarkozy y trouve les sour-ces d’émotion aptes à exalter l’union nationale. il convoque les bustes de la gauche républicaine et socialiste pour illustrer sa volonté d’« ouverture ». en campagne, il exalte la France qui n’est pas acca-blée, elle, du passé de l’allemagne ; mais cinq ans plus tard il fait de notre voisin germanique l’exem-ple à suivre. a alger, il médite sur les méfaits du co-lonialisme, mais à Dakar il rejette l’homme africain dans les limbes de la Préhistoire. Du 11 Novembre, il veut faire une journée de commémoration de toutes les victimes de toutes les guerres. Désireux de laisser une trace dans la pierre, il lance le projet d’une maison de l’histoire de France. où est la co-hérence de tous ces discours et de tous ces actes ?

un enfant de la télé« La revanche personnelle d’un cancre ». C’est

ainsi qu’alain Garrigou, professeur de droit à Paris-X, intitule en février 2009 une tribune dans laquelle il dénonce l’attitude de Nicolas sarkozy envers le monde universitaire. L’article à charge reprend le fil des études du président, qui ne plai-dent pas en faveur d’une excellence académi-que, notamment un cursus inachevé à sciences Po. Nicolas sarkozy n’est clairement pas un in-tellectuel, pas plus dans le domaine historique qu’ailleurs. « Il n’a pas de culture des sciences humai-nes, juste une grande intelligence », estime l’histo-rienne annette Wieviorka. Nicolas sarkozy mani-feste une méfiance envers les élites traditionnelles et le monde de la culture.

il a néanmoins vite compris quels bénéfices po-litiques il pouvait tirer de l’histoire. en 1994, alors qu’il n’est encore que ministre du Budget, il publie une biographie de Georges mandel, homme poli-tique et résistant assassiné en 1944. il recherchait une grande figure de droite martyre de la seconde Guerre mondiale. son Georges Mandel, le moine

nicolas Sarkozy face à l’histoire

L’histoire, en France, est une référence obligée pour un président de la République. Nicolas Sarkozy s’est plié à la contrainte. Mais ses initiatives ont souvent provoqué les polémiques : Maison de l’histoire de France, discours sur « l’homme africain qui n’est pas entré dans l’histoire », lecture de la lettre de Guy Môquet dans les lycées. Qu’y a-t-il derrière ces gestes et ces propos ? Simple opportunisme ou réelle vision du monde ? Décryptage.

leS auteurS Aïcha Akalay, Cecilia Boukrédéra, Viviane Clermont, Justine Corbillon, Hugo Leenhardt, Laura Orosemane, Raphaël Pasquier, Adrien Pécout, Marie Telling, Ruolin Yang, étudiants en master de journalisme à Sciences Po Paris.

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L’ H i s t o i r e N ° 3 7 5 m a i 2 0 1 2 9

de la politique (Grasset) doit beaucoup à l’histo-rien Jean-michel Gaillard (par ailleurs coauteur avec lui d’un scénario sur le général Leclerc pour la télévision). L’ouvrage sur mandel traduit égale-ment ce qu’Éric roussel, biographe de Pompidou et de mendès France, appelle le « rapport senti-mental » du président à l’histoire. Nicolas sarkozy entend raconter la vie « admirable » d’une « person-nalité exceptionnelle ».

son approche de l’histoire reste, dans l’ensem-ble, assez schématique, comme ont pu le remar-quer les historiens conviés à déjeuner à l’Élysée en septembre 2011. emmanuel de Waresquiel, qui en était, a été frappé par sa vision de la révolution française : « Il y a la bonne et la mauvaise Révolution, celle qui se termine avec les “bouchers” et le procès de Marie-Antoinette2. »

Nicolas sarkozy réagit en « enfant de la télé », comme en témoigne sa référence à la série « Borgia » dans son intervention télévisée d’octobre 2011 pour évoquer la situation diplomatique au xvie siè-cle. on sait également qu’il apprécie les romans historiques : il a recommandé en conseil des minis-tres Le Soldat oublié de Guy sajer, et Limonov d’em-manuel Carrère. mais on l’a également aperçu avec Une histoire de France d’alain minc sous le bras lors d’un Conseil européen en 2008.

Est-il gaullistE ?Parmi ses références historiques obligées, celle

de De Gaulle. « Être jeune gaulliste, c’est être révolu-

tionnaire, révolutionnaire pas à la manière de ceux qui sont des pro-fessionnels de la manif. » C’était en juin 1975, à la tribune du congrès de l’UDr à Nice. Du haut de ses 20 ans, Nicolas sarkozy s’exprimait ainsi devant les mi-litants du mouvement. il avait adhéré l’année précédente au

parti gaulliste et faisait alors ses premiers pas (re-marqués) en politique. De l’UDr au rPr fondé par Jacques Chirac, plus jeune maire de France élu à Neuilly en 1983, président de l’UmP en 2004, il a toujours affiché les couleurs du gaullisme. en est-il pourtant l’héritier ?

Lors de la cérémonie pour les 40 ans de la mort du Général, le 9 novembre 2010, il a justifié son « hyperprésidence » que beaucoup voient comme une dérive de la Constitution en évoquant le fon-dateur de la Ve république. « Le général de Gaulle n’a jamais reculé devant la nécessité de décider parce qu’il savait qu’en repoussant les décisions, les souffrances seraient plus grandes encore. » michel Winock rectifie : si de Gaulle dirigeait d’une main de fer la politique étrangère, militaire et les grands axes stratégiques de la France, il savait aussi délé-guer à ses ministres. aujourd’hui, au contraire, les Français ont l’impression que Nicolas sarkozy s’oc-cupe de tout, que matignon est inféodé à l’Élysée et qu’on ne fait plus « la différence entre le frivole et la substance comme disait le cardinal de Retz ».

Notes1. a. Peyrefitte, C’était de Gaulle, t. i, De Fallois-Fayard, 1994, p. 280.2. Cité par e. de Waresquiel, « Un déjeuner avec Nicolas sarkozy », Libération, 20 septembre 2011.

Sera-t-il crédité d’avoir inventé le gaullisme pragma- tique ?

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’ACTUALITÉ livre

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Notes1. P. Van Andel, D. Bourcier, De la sérendipité dans la science, la technique, l’art et le droit, Chambéry, L’Act Mem, 2009.2. Amir Khosrow Dehlavi, Les Trois Princes de Serendip, traduit du persan par Farideh Rava et Alain Lance, Hermann, 2011.

Un mot étrange tend de jour en jour à s’im-poser en France : celui de « sérendipité ». Il est pourtant d’aspect barbare, peu facile à

prononcer et à mémoriser. Il ne fi gure pas encore dans les dictionnaires mais son entrée en est im-minente : après un ouvrage général1, les actes d’un colloque à Cerisy-la-Salle tenu en 2009, publiés par Danièle Bourcier et Pek Van Andel viennent de paraître sous le titre La Sérendipité. Le hasard heureux (Hermann, 2011).

Si l’on reprend la définition de Danièle Bourcier (chercheuse au CNRS), ce mot désigne le don de faire des trouvailles ou la faculté de dé-couvrir, d’inventer ou de créer ce qui n’était pas recherché. Dans le monde anglo-saxon comme en Italie, le mot (serendipity, serendipità) a eu davan-tage de succès. L’écrivain et sémiologue italien Umberto Eco l’emploie souvent et lui a consacré en 1998 un essai (en anglais) paru à New York : Serendipities. Language and Lunacy. Le Nom de

la rose doit d’ailleurs beaucoup à cette idée d’exploiter des in-dices découverts supposément par hasard.

Mais d’où vient ce mot ? A l’origine, il y a un conte : Les Pérégrinations des trois fi ls de Serendip d’Amir Khosrow Dehlavi (1253-1325), poète de langue persane. Dans ce texte – qui forme le deuxième récit de son recueil Hasht Bihisht (Les Huit Paradis, écrit en 1302)2 et précédé par plusieurs lé-gendes arabes –, lorsque le roi de Serendip (mot persan pour Ceylan, aujourd’hui Sri Lanka), île au sud-est de l’Inde, de-mande à ses fi ls de lui succéder, ceux-ci refusent. Il les expulse de son royaume et les trois gar-çons partent à pied explorer le monde. Un jour, ils rencontrent un Africain qui a perdu son cha-meau. Les frères se mettent alors

à décrire ce qu’ils n’ont pourtant pas vu. Le cha-meau, disent-ils, est borgne ; il lui manque une dent ; il boite et est chargé d’huile d’un côté, de miel de l’autre et d’une femme enceinte.

Stupéfait de l’exactitude de cette description, le chamelier croit qu’ils ont volé son chameau. Le verdict du roi de la contrée est sollicité, au cours duquel les frères avouent avoir inventé une des-cription qui s’est révélée exacte. Ils sont jetés en prison. Le chameau étant bientôt retrouvé – et l’innocence des frères prouvée –, le roi leur de-mande alors comment ils ont pu décrire ce qu’ils n’avaient point vu.

Leurs réponses le stupéfi ent : seule l’herbe si-tuée à gauche de la trace, dit l’aîné, était broutée ; il en a conclu que le chameau était borgne de l’œil droit. Des morceaux d’herbes mâchées tombés de sa bouche étaient de la taille d’une dent de cha-meau : ce dernier a perdu une dent, dit le cadet. Les traces d’un pied du chameau étaient moins marquées dans le sol : il boite, en a déduit le ben-jamin. D’un côté du chemin, des fourmis ramas-saient de la nourriture, et de l’autre, abeilles et guêpes s’activaient autour d’une substance col-lante : le chameau était chargé d’un côté de beurre et de l’autre de miel. Le cadet a remarqué des em-preintes de sandales d’une femme. De plus, une

De récentes publications font la fortune d’un mot dont l’origine remonte à un conte

persan du xive siècle.

Vous avez dit « SÉRENDIPITÉ » ?

Détail du Mémorial des saints de Farid al-Din Attar (miniature de 1650, musée d’Art turc et islamique).Ci-contre : les trois princes de Sérendip.

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Louis de Mailly, Les Aventures des trois princes de Serendip, suivi de Voyage en sérendipité par Dominique Goy-Blanquet, Marie-Anne Paveau et Aude Volpilhac, éditions Thierry Marchaisse, 2011.

D. Bourcier et P. Van Andel (dir.), La Sérendipité. Le hasard heureux, Hermann, 2011.

Amir Khosrow Dehlavi, Les Trois Princes de Serendip, traduit du persan par Farideh Rava et Alain Lance, Hermann, 2011.

trace humide qu’il huma fi t « monter son désir à ébullition » ; des marques de mains montraient que la femme s’en était servi pour se soulever du sol : elle était donc enceinte.

Le roi, devant tant de perspicacité, les cou-vre de richesses, leur o� re un splen-dide logement à l’intérieur du sérail. Mais l’aventure ne se termine pas là. Après un bon repas, les frères échan-gent leurs impressions : le vin contenait du sang humain, la brebis avait du sang de chienne dans les veines, et le roi est le fi ls d’un cuisinier. Celui-ci, qui a tout entendu, cherche à comprendre : il apprend que le vignoble était auparavant un cimetière, que la brebis avait été allaitée par une chienne. Et sa mère lui avoue qu’elle a cédé aux avances d’un cuisinier dont il est le fi ls ! Les frères s’expliquent à nouveau : le vin rendait triste ; la brebis avait le goût du sang. Quant au roi, il ne parlait que de mets et de pain : il était donc issu « d’un moule à pain plutôt que d’un trône ». Ces réponses satisfont le roi et les frè-res regagnent leur royaume.

Le conte des trois princes de Serendip a eu un grand succès en Occident. Il a été traduit au xvie siè-cle en italien (Béroalde de Verville en donne une adaptation française en 1610), puis aux siècles suivants dans les diverses langues européennes. Le Chevalier de Mailly le traduisit en français en 1719. D’autres versions du conte, plus anciennes, ont également circulé en Occident. Voltaire, qui le reprit en 1748 dans Zadig ou la destinée (avec une chienne et un cheval au lieu d’un chameau), s’est sans doute inspiré, de seconde main, de la version de l’historien arabe Tabari (mort en 923).

Le mot de « serendipity » est tardif puisqu’il est forgé en 1754 par l’écrivain anglais Horace Walpole à partir d’une version anglaise du conte persan. Dans une lettre à Horace Mann, ambas-sadeur britannique à Florence – qui n’est édi-tée qu’en 1833 –, il souligne que les princes de Serendip découvraient toujours ce qu’ils ne cher-chaient pas, « par accidents et sagacité ». Évoquant comment l’un de ces princes déduit que le cha-meau est borgne, il écrit : « Est-ce que, main-tenant, vous comprenez serendipity ? » Le mot connaît dès lors un petit succès dans le monde scientifi que anglo-saxon. Le sociologue améri-cain Robert K. Merton l’introduit en 1949 dans les sciences humaines : « La “serendipity”, écrit-il dans Social Theory and Social Structure, se rap-porte au fait assez courant d’observer une don-née inattendue, aberrante et capitale qui donne l’occasion de développer une nouvelle théorie ou d’étendre une théorie existante. »

La sérendipité n’est donc pas seulement le ta-lent de trouver ce que l’on ne cherche pas, mais de faire suivre une observation surprenante d’un rai-sonnement scientifi que correct. Par déduction, ou, comme le disent les logiciens, par abduction (de l’étude des faits, découle une hypothèse, ou une théorie). La méthode n’est pas éloignée de celle d’un Sherlock Holmes : la curiosité du chercheur et sa faculté de répondre à l’imprévu sont sollici-tées. Voltaire comme plus tard Walpole louaient la sagacité, ce profond et subtil discernement qui découvre « mille di� érences où les autres hommes ne voient rien que d’uniforme ». Zadig s’inspire d’ailleurs de la science de son temps pour lire dans le « livre de la nature » et interpréter les indices : il

sait reconnaître, en expert de l’orfèvre-rie, les marques laissées par l’or du mors et l’argent des fers du cheval.

Les découvertes par « sérendipité » sont nombreuses, du stéthoscope au Viagra, de l’aspartame au Velcro… Si la notion a aujourd’hui du succès, c’est

qu’elle renvoie à une inquiétude répandue chez les chercheurs : celle de voir la science planifi ée et corsetée dans des programmes de recherches limités dans le temps et dans leurs objectifs. La sé-rendipité ouvre à une recherche émancipée, à la liberté de profi ter de l’inattendu, loin d’une orga-nisation trop rigide de la recherche.

Jacques Berlioz Directeur de recherches au CNRS

Un mot forgé en 1754

par Horace Walpole

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20.04.2012  31.08.2013

UN ART DE L’ILLUSION PEINTURES MURALES ROMAINES EN ALSACE

Page 8: La Syrie depuis 5000 ans

’DOSSIER syrie

L’ H i s t o i r e N ° 3 7 5 m a i 2 0 1 2 64

La ténacité du soulèvement populaire syrien, né le 15 mars 2011 dans la ville de Deraa, ne parvient pas à satisfaire l’une des princi-

pales revendications des contestataires : la chute du régime. malgré les épreuves auxquelles il a été confronté – volte-face de son ancien allié turc, sanctions économiques de la communauté inter-nationale assorties de condamnations verbales, mutineries dans les rangs de l’armée et des for-ces de sécurité, militarisation de la résistance –, le pouvoir baathiste résiste.

Qu’est-ce qui fait tenir le président Bachar al-assad ? La loyauté des « amis » du régime ? assurément, l’intan-gibilité des veto russe et chinois, qui fait obstruction à toute résolu-tion contraignante du Conseil de sécurité de l’oNU contre Damas, a laissé le champ libre au prési-dent syrien pour tenter d’étouf-fer la contestation selon ses pro-pres méthodes. sans compter le soutien de l’axe « chiite » iran-Hezbollah libanais, renforcé par le maillon irakien, dont il est encore difficile d’évaluer l’exacte nature.

mais les « printemps » tunisien, égyptien et li-byen illustrent bien la fragilité des alliances in-ternationales qui ne suffisent pas à consolider les régimes autoritaires dans des contextes de crise de légitimité populaire. La répression alors ? instrument tentaculaire de la dictature syrienne, l’appareil coercitif1 permet certes d’atomiser les bastions de la contestation – comme Deraa, Hama

ou Homs – pour éviter le scénario d’un « Benghazi » en Libye. mais l’ampleur des « manifestations-fu-nérailles » montre à quel point l’usage de la vio-lence peut se révéler contre-productif. rappelons que l’insurrection de Deraa, berceau de la révolte, est née sur le sang de victimes de la répression, lors des obsèques de martyrs.

Pour opérantes qu’elles soient, les dimensions diplomatique et coercitive n’expliquent pas tout. en aval, le régime s’appuie sur une stratégie tripartite, inspirée du principe « Divide et impera » (« Diviser pour mieux régner »). elle consiste à : 1) rallier les

minorités ethniques et confes-sionnelles (soit 30 à 40 % des 23 millions de syriens) ; 2) es-sentialiser les insurgés en les as-similant à des fondamentalistes à la solde de l’étranger ; 3) redo-rer l’image du régime, présenté comme favorable aux réformes.

RallieR les minoRités Le premier volet de cette stratégie consiste

à rallier les minorités, qu’elles soient ethniques ou confessionnelles, aux desseins du régime. Comment ? en leur faisant croire que leur survie dépend de celle du pouvoir. a côté de la majorité arabe sunnite (entre 60 et 70 % de la population), cohabite une mosaïque complexe de minorités confessionnelles (alaouites, confession du prési-dent et d’un pan de son clan au pouvoir, chrétiens de rites variés, ismaéliens, duodécimains et dru-zes) et ethniques (assyriens, Kurdes, tcherkesses,

Qu’est-ce qui fait tenir Bachar ?

Un an après les premiers soulèvements en syrie, le régime baathiste ne s’est toujours pas écroulé. La violence de la répression n’explique pas tout. retour sur un demi-siècle de régime baathiste.

Par Nora Benkorich

l’auteuRAttachée de recherche et d’enseignement (Ater) à la chaire d’histoire contemporaine du monde arabe du Collège de France et doctorante à l’EHESS sous les directions de Hamit Bozarslan et Henry Laurens, Nora Benkorich achève sa thèse sur la Syrie baathiste (depuis 1963). Elle est lauréate du prix Michel-Seurat 2011 délivré par le CNRS.

Le régime fait croire aux minorités religieuses et ethniques que leur survie dépend de celle du pouvoir

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Pro-AssadManifestation pro-Assad à Damas, le 15 mars 2012. Sur le portrait : « Nous te prêtons serment d’allégeance pour l’éternité. » Bachar dispose encore de nombreux soutiens, y compris au sein de la majorité arabe sunnite.

Répression. La ville de Homs bombardée par le régime, mars 2012.Unité. « Liberté, liberté pour les musulmans et les chrétiens », affiche à l’entrée d’une église de Homs.

Force armée. L’artillerie du régime syrien défilant à Hama le 10 août 2011.

Déserteur. Un soldat déserteur qui a rejoint l’Armée libre syrienne montre sa carte de l’armée régulière.

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’RECHERCHE ROME AU XVIIIe SIÈCLE

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I l faut corriger une idée reçue. Rome au xviiie siècle n’est pas

cet antre du fanatisme et de l’ignorance décrit par le chevalier de Jaucourt dans l’Encyclopédie ou par Voltaire dans son Épître aux Romains. Que l’on se souvienne plutôt de Goethe lors-que, au soir du 3 dé-cembre 1786, un mois après avoir franchi les portes de la Ville éter-nelle, il confi e dans les pages de son journal de voyage : « A cet endroit se rattache toute l’his-toire du monde, et je date une seconde naissance, une vraie régénération du jour où j’ai foulé le sol de Rome. » Ce choc culturel aussi brutalement mis à nu n’est pas l’expression isolée d’un génie littéraire. Pour toute une génération d’Européens nés

dans la première moitié du xviiie siècle, le voyage à Rome et la découverte de son passé antique s’impo-sent comme une expérience essentielle qui confi ne à la quête initiatique.

Fils d’un arpenteur du Bordelais, le naturaliste François de Paule Latapie écrit lui aussi dans l’un des quatorze cahiers qui détaillent son périple ita-lien entre 1774 et 1777 : « Dès l’âge de 14 ans, c’est-à-dire dès les premiers temps que j’ai lu l’histoire ro-maine avec intérêt, j’ai soupiré pour l’Italie. Aussi, le moment où je suis entré dans Rome n’a-t-il ressemblé à aucun autre des moments de ma vie. »

Rome a certes attiré vers elle pèlerins et voya-geurs bien avant la seconde moitié du xviiie siècle.

Mais au Moyen Age, le voyage à Rome se faisait surtout dans une perspective dévotionnelle. A partir du xvie siècle les Anglais inaugurent la pratique du Grand Tour, voyage visant à parfaire l’éducation des jeunes nobles, dont les grandes capi-tales italiennes constituent des étapes in-contournables et qui se di� use au cours des xviie et xviiie siècles au sein des élites européennes.

Dans la deuxième moitié du siè-cle des Lumières, l’a� ux des étrangers en Italie atteint une ampleur inégalée grâce à la paix qui règne dans la pénin-sule depuis la signature du traité d’Aix-la-Chapelle en 1748 jusqu’aux guerres révolutionnaires. Le cardinal de Bernis, ambassadeur de France auprès du Saint-Siège entre 1769 et 1791, a� rme ainsi en 1784 dans l’une de ses dépêches di-plomatiques : « Depuis quinze ans révo-lus que j’habite Rome, je n’y ai jamais vu pendant la semaine sainte une si grande foule d’étrangers de toute nation. » Forte

de cette présence étrangère massive et constam-ment renouvelée, la Rome de la seconde moitié du xviiie siècle s’ouvre aux idées nouvelles et aux so-ciabilités des Lumières.

UN NOMBRE INÉDIT DE VOYAGEURS A cette époque, Rome est une ville de taille

moyenne à l’échelle du continent européen. La muraille aurélienne, qui a fi gé au iiie siècle les limites de la capitale millionnaire des Césars, constitue une châsse bien trop grande pour les quelque 150 000 Romains du xviiie siècle, dont l’habitat s’est replié dans la boucle du Tibre et le quartier du Trastevere (cf. p. 75). Capitale de l’État ecclésiastique, Rome est alors gouvernée par des papes dont l’infl uence décline inexora-blement sur la scène diplomatique internatio-nale. Sous la pression des monarchies française

Rome, ville des Lumières Passion pour l’antique, quête de savoirs millénaires…

Dans la seconde moitié du xviiie siècle, Rome s’impose comme un laboratoire pour l’Europe artistique et scientifi que.

Par Gilles Montègre

DécryptageEn travaillant sur les réseaux savants français à Rome au xviiie siècle, Gilles Montègre a retrouvé la trace d’un certain François de Paule Latapie, naturaliste bordelais qui a consacré quatorze cahiers au récit de son périple italien entre 1774 et 1777. Il a croisé cette source inédite avec d’autres journaux savants, avec les documents diplomatiques et les archives des institutions culturelles romaines. Il montre ainsi que l’image, souvent attachée à Rome, de ville sainte ou de ville-musée dissimule la réalité d’une capitale cosmopolite qui participe étroitement aux dynamiques et circulations internationales caractérisant l’Europe des Lumières.

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L’AUTEURGilles Montègre est maître de conférences en histoire moderne à l’université Grenoble-II. Spécialiste du XVIIIe siècle, il a publié La Rome des Français au temps des Lumières (École française de Rome, 2011) et coécrit Les Circulations internationales en Europe, 1680-1780 (Atlande, 2011).

Vendredi 27 avril à 9 h 05,

dans l’émission

« La Fabrique de l’histoire »

d’Emmanuel Laurentin, retrouvez

Gilles Montègre pour la séquence

« L’atelier du chercheur » et découvrez les dessous

du travail de l’historien.

En partenariat avec L’Histoire.

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et espagnole, Clément XIV se voit ainsi contraint en 1773 de supprimer la toute-puissante Compagnie de Jésus. Pour faire face aux réformes de l’empe-reur Joseph II visant à limiter l’infl uence de l’Église sur la so-ciété, Pie VI entreprend quant à lui en 1782 un voyage à Vienne, qui se solde par un échec re-tentissant. Mais cet a� aiblisse-ment de la papauté n’empêche en rien la ville de Rome d’être a� ectée par de puissantes dy-namiques circulatoires, dont le rayon d’action se mesure à une échelle internationale, et qui touchent aussi bien les person-nes que les biens de consomma-tion culturelle ou les pratiques de sociabilité.

Chaque année, donc, entre les mois de janvier et d’avril, la population romaine s’accroît brusquement par la venue de plusieurs milliers de visiteurs, successivement attirés par les ré-jouissances du carnaval romain, coïncidant avec la période de réouverture des théâtres, puis

par la pompe attachée aux cé-rémonies religieuses du carême et de la semaine sainte. Pour ces étrangers, la ville promise revêt alors tous les caractères d’une terre d’accueil.

Prenant conscience que les exigences de confort de ces voya-geurs ne sont plus celles des pè-lerins chichement logés dans la zone du Campo dei Fiori, la papauté a favorisé le dévelop-pement d’un nouveau quar-tier dévolu à l’hébergement des étrangers de passage à Rome. Situé dans la zone de la place d’Espagne, facilement accessible depuis la porte du Peuple – par laquelle les voyageurs venant du nord entrent dans la ville –, ce quartier voit se propager au fi l du siècle quantité d’auberges et d’hôtels garnis aux enseignes

Au centre : François de Paule Latapie, dont les Éphémérides, retrouvées chez ses descendants et inédites à ce jour, présentent un tableau vivant de l’Italie des Lumières, depuis le départ du voyageur de Bordeaux en 1774 jusqu’à sa visite à Voltaire à Ferney en 1777. En bas : enseigne de la librairie Bouchard et Gravier, l’un des vecteurs de la di� usion des livres des Lumières à Rome (peut-être peinte par Anicet Charles Gabriel Lemonnier entre 1774 et 1784).

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« Le moment où je suis entré dans Rome n’a ressemblé à aucun autre des moments de ma vie » (Latapie)