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L’analyse de rentabilité en ligniculture Le peuplier hybride en France Depuis plusieurs décennies, la culture du peuplier hybride a pris beaucoup de place en Europe, particulièrement en France. Ce pays se classe d’ailleurs au troisième rang mondial après la Chine et l’Inde quant aux superficies reboisées en peuplier. Il compte 250 000 ha de plantations de peuplier, soit 1,4 % du territoire forestier, qui produit 4 % de la récolte totale de bois au pays et 25 % du bois d’œuvre feuillu après le chêne et le hêtre. Compte tenu de leur qualité, de leur productivité à l’hectare et de leur courte rotation, les peupliers hybrides constituent l’essence la plus rentable en France avec un taux annuel hors inflation qui oscille entre 6 et 8 %. Au Québec L’industrie forestière québécoise a commencé à s’intéresser à la populiculture vers 1996. Quelques industriels ont débuté des programmes de plantations principalement en milieu agricole. L’autorisation de reboisement sur les terres agricoles devenant de plus en plus difficile, les industriels ont dû se tourner vers les plantations en milieu forestier. À ce jour, quelque 10 000 hectares de plantations de peuplier hybride ont été réalisés au Québec en milieux agricole et forestier. Saviez-vous que... Une simulation proposant une conversion de 10, 20 et 30 % des cultures agricoles en plantations de peuplier hybride a été réalisée pour le bassin versant de la Lower Minnesota River aux États-Unis. Pour une conversion de l’ordre de 30 %, le débit annuel de la rivière serait diminué de 9 %, la charge en sédiments de 28 % et l’apport en azote de 15 %. En considérant d’autres bénéfices, comme la séquestration du carbone et la protection des peuplements naturels de peupliers faux-tremble, des bénéfices économiques totaux de l’ordre de 44 à 96 $/ha sont envisagés selon le taux de conversion et les marchés. Le concept de valeur économique La valeur économique d’une plantation à croissance rapide est complexe à établir. Elle tient compte de l’ensemble des bénéfices marginaux qu’apportent à la société ces plantations dont voici quelques exemples : • création d’emplois ; • augmentation de la rentabilité des entreprises ; bénéfices environnementaux (crédits carbone, biodiversité, etc.) ; • qualité du paysage ; • augmentation de la productivité des forêts ; • etc. Aspect visuel d’une plantation de peuplier hybride de 6 ans au Bas-St-Laurent REMARQUE Dans une évaluation de rentabilité, on ne doit tenir compte que des frais associés directement au projet. Toute dépense dont le niveau ne sera pas affecté par le nouveau projet ne fait partie, en aucune façon, des flux monétaires des projets sous analyse.

L’analyse de rentabilité en ligniculture · L’analyse de rentabilité en ligniculture Le peuplier hybride en France Depuis plusieurs décennies, la culture du peuplier hybride

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  • L’analyse de rentabilitéen lignicultureLe peuplier hybride en FranceDepuis plusieurs décennies, la culture du peuplier hybride a pris beaucoup de place en Europe, particulièrement en France. Ce pays se classe d’ailleurs au troisième rang mondial après la Chine et l’Inde quant aux superfi cies reboisées en peuplier. Il compte 250 000 ha de plantations de peuplier, soit 1,4 % du territoire forestier, qui produit 4 % de la récolte totale de bois au pays et 25 % du bois d’œuvre feuillu après le chêne et le hêtre. Compte tenu de leur qualité, de leur productivité à l’hectare et de leur courte rotation, les peupliers hybrides constituent l’essence la plus rentable en France avec un taux annuel hors infl ation qui oscille entre 6 et 8 %.

    Au Québec

    L’industrie forestière québécoise a commencéà s’intéresser à la populiculture vers 1996. Quelques industriels ont débuté des programmes de plantations principalement en milieu agricole. L’autorisationde reboisement sur les terres agricoles devenant de plus en plus difficile, les industriels ont dû se tourner vers les plantations en milieu forestier.À ce jour, quelque 10 000 hectares de plantationsde peuplier hybride ont été réalisés au Québec en milieuxagricole et forestier.

    Saviez-vous que... Une simulation proposant une conversion de 10, 20 et 30 % des cultures agricoles en plantations de peuplier hybride a été réalisée pour le bassin versant de la Lower Minnesota River aux États-Unis. Pour une conversion de l’ordre de 30 %, le débit annuel de la rivière serait diminué de 9 %, la charge en sédiments de 28 % et l’apport en azote de 15 %. En considérant d’autres bénéfi ces, comme la séquestration du carbone et la protection des peuplements nature ls de peupl iers faux-tremble, des bénéfi ces économiques totaux de l’ordre de 44 à 96 $/ha sont envisagés selon le taux de conversion et les marchés.

    Le concept de valeur économiqueLa valeur économique d’une plantation à croissance rapide est complexe à établir. Elle tient compte de l’ensemble des bénéfi ces marginaux qu’apportent à la société ces plantations dont voici quelques exemples :

    • création d’emplois ;• augmentation de la rentabilité des entreprises ;• bénéfi ces environnementaux

    (crédits carbone, biodiversité, etc.) ;• qualité du paysage ;• augmentation de la productivité des forêts ;• etc.

    Aspect visuel d’une plantation de peuplier hybride de 6 ans au Bas-St-Laurent

    REMARQUE

    Dans une évaluation de rentabilité, on ne doit tenir compte que des frais associés directement au projet. Toute dépense dont le niveau ne sera pas affecté par le nouveau projet ne fait partie, en aucune façon, des fl ux monétaires des projets sous analyse.

    RLQ_fiche_rentabilite.indd 1RLQ_fiche_rentabilite.indd 1 10/03/10 08:48:0910/03/10 08:48:09

  • REMARQUE

    Pour évaluer un projet, il faut considérer toutes les recettes et tous les déboursés directement imputables à la plantation pendant toute la rotation.

    DÉFINITION DES CRITÈRES D’ÉVALUATION

    La VAN est la valeur actualisée de tous les fl ux monétaires (entrées et sorties d’argent) directement reliés au projet actualisé à un taux équivalent au coût d’opportunité du capital. Dans le cas présent, un taux d’actualisation de 4 % a été utilisé.

    Le TRI est le taux d’actualisation pour lequel la valeur actuelle nette (VAN) est égale à zéro. Par exemple, un placement de 1 000 $ dans des obligations gouvernementales comportant un taux d’intérêt de 5 % aura un taux de rendement interne (TRI) de 5 %. Lorsque le taux de rendement interne d’un projet est égal à son coût d’opportunité du capital (taux d’actualisation), le projet ne crée ni ne perd de valeur. Son rendement est suffi sant compte tenu du rendement qu’on en exige.

    Plantation de peuplier hybride de 7 ans en Estrie

    Critères d’évaluation de la rentabilité d’un projet d’investissement

    La rentabilité d’une plantation est plus simple à établir. Il suffi t d’évaluer quels seront les coûts et les revenus directement reliés au projet. L’analyse de rentabilité consiste à comparer ces coûts et ces revenus et ramener les fl ux monétaires à une année de référence (souvent l’année de prise de décision) à l’aide d’un taux d’actualisation approprié.

    Pour évaluer l’investissement d’un projet, trois critères sont couramment utilisés :• la valeur actuelle nette (VAN) ;• le taux de rendement interne (TRI) ;• le rapport avantages/coûts (A/C).

    L’analyse avantages/coûts (A/C) est utilisée pour les analyses dont l’objectif est le bien-être de la population car elle permet de tenir compte de l’ensemble des retombées générées par le projet, tant tangibles qu’intangibles (bénéfi ces environnementaux, création d’emplois, etc.). Lorsqu’on évalue le point de vue d ’un invest isseur ou d ’un producteur forest ier préoccupé par les revenus et les dépenses d’un projet (sa rentabilité fi nancière), la VAN et le TRI sont les outils d’analyse appropriés.

    Le taux d’actualisation

    Le taux d’actualisation est le taux de rendement minimum d’un projet pour qu’il soit acceptable, donc pour créer de la richesse. Il est basé sur le coût d’opportunité, c’est-à-dire le coût des ressources qui auraient pu être utilisées à d’autres usages. Les taux recommandés pour les projets publics varient énormément dans le monde (de 3 % à 8 %). En France, pour les projets de longue durée, le taux d’actualisation varie de 4 % à 2 % en utilisant un taux de 4 % en début de projet pour atteindre graduellement 2 % en fi n de projet.

    Mesurage d’un DHP de peuplier hybride de 8 ans à Lavaltrie (20,5 cm)

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    V

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  • REMARQUE

    On ne doit pas tenir compte des frais rattachés au mode de fi nancement p a r t i c u l i e r q u ’ o n a l ’ i n tent ion d ’adopter pour mettre le projet en marche, car ces frais ne représentent pas le coût réel du fi nancement (ex : frais d’intérêt d’une marge de crédit) . En effet, le coût réel du financement est le coût d’option du capital (taux d’actualisation). C’est par l’actualisation des flux monétaires que l’on tient compte des charges fi nancières.

    Coûts, revenus et taux d’actualisation

    Les coûts ont été évalués à partir d’un sondage réalisé auprès de plusieurs industriels œuvrant tant en forêt publique que privée.

    Les revenus ont été établis à partir d’un sondage réalisé auprès de cinq syndicats de producteurs de bois au Québec.

    Le prix net moyen versé au producteur forestier a été établi à 33,76$/m3solide pour du peuplier de qualité trituration.

    Le taux d’actualisation utilisé est de 4 %.

    Scénarios sylvicoles

    Sans aide fi nancière Financés à 80%, sauf fertilisation et coupe fi nale

    Année Travaux réalisés Coûts / ha 1 2 3 4 5 6

    0 Préparation de terrain1 627,28 $ • • • • • •1 Plantation2 427,62 $ • • • • • •1 Fertilisation 443,41 $ • • • • • •2 Entretien3 963,00 $ • •3 Taille de formation 300,00 $ • •4 Entretien3 963,00 $ • •

    15 ou 20 Coupe fi nale 14,00 $* • • • • • •

    L’évaluation de six scénarios sylvicoles

    Nous avons réalisé une étude de rentabilité de six scénarios sylvicoles dans des plantations de peuplier hybride en envisageant 8 niveaux de productivité variant de 8 à 22 m3/ha/an. Comme le décrit le tableau suivant, les scénarios 1, 2 et 3 considèrent que le promoteur assume tous les coûts des travaux sylvicoles. Les scénarios 4, 5 et 6 sont identiques aux trois premiers sauf qu’une aide financière de 80 % est accordée au promoteur pour la majorité des travaux sylvicoles, hormis la fertilisation et la récolte finale qui sont entièrement à ses frais. Les scénarios 1 et 4 sont considérés intensifs, car on y réalise deux entretiens de plantation (an 2 et an 4) ainsi qu’une taille de formation (an 3).

    1 TTS 3 passages / 2 825 tiges/ha / 3 Débroussailleuse

    -2000,00 $

    Scénario 5

    Scénario 6

    Scénario 4

    Scénario 2

    Scénario 3

    Scénario 1

    -1000,00 $

    0 8 10 12 14 16 18 20

    1000,00 $

    2000,00 $

    3000,00 $

    VALEUR ACTUELLE NETTE DES 6 SCÉNARIOS ÉTUDIÉS

    Rotation de 20 ans

    Rotation de 15 ans

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  • Rédaction : Francis Gaumond, ing.f., M.Sc.

    Pour citation : Gaumond, F. 2010. L’analyse de rentabilité en ligniculture. Réseau Ligniculture Québec. Fiche d’information. 4 pages.

    Pour conclureSi le promoteur doit assumer la totalité des coûts du projet, il semble que les scénarios les moins intensifs soient une solution intéressante dans la mesure où la croissance sera d’au moins 9 m3/ha/an. S’il désire effectuer plus de travaux sylvicoles, il devra s’assurer d’un gain d’accroissement supérieur aux coûts supplémentaires encourus.

    Si le promoteur obtient de l’aide financière, il a tout intérêt à réaliser un scénario intensif car il augmentera ses chances d’obtenir une meilleure rentabilité pour son projet. Tous les scénarios avec aide fi nancière analysés obtiennent une VAN positive à partir d’un accroissement de 6,6 m3/ha/an selon le scénario.

    DOCUMENTS SOURCES :Bigué, B., A. Bouchard, A. Cogliastro, G. Lambany et P. Périnet.

    2006. La populiculture - Rapport de mission en France. Réseau Ligniculture Québec. 32 p.

    Ordre des ingénieurs forestiers du Québec. 2009. Manuel de foresterie, 2e édition. Ouvrage collectif, Éditions MultiMondes, Québec, 1544 p.

    Lapointe, M.-A. 2008. Évaluation des projets sylvicoles : Le choix du taux d’actualisation. 24 p.

    Page, J.P. 2002. Gestion fi nancière et création de valeur ajoutée”, Les Éditions DTR, 900 p.

    Updegraff, K., M.J. Baughman et S.J. Taff. 2004. Environmental benefits of cropland conversion to hybrid poplar: economic and policy considerations. Biomass & Bioenergy, Vol. 27, n˚ 5 : 441-428.

    PAVILLON C.-E.-MARCHAND1030, AV. DE LA MÉDECINEUNIVERSITÉ LAVAL, QUÉBEC (QUÉBEC) G1V 0A6

    www.rlq.uqam.ca

    plantation à l’année 2 et ainsi motiver l’investissement, ce traitement doit permettre d’augmenter l’accroissement de la plantation à 13,1 m3/ha/an. L’ajout d’un deuxième dégagement à l’année 4 doit permettre d’obtenir un accroissement de près de 18 m3/ha/an pour justifi er les coûts de cette intervention.

    Discussion

    Dans les scénarios où le promoteur assume entièrement les coûts du projet (scénarios 1, 2 et 3), la rentabilité a un lien plus étroit avec l’accroissement de la plantation. Les scénarios 2 et 3 (scénarios extensifs sans entretien) atteignent la rentabilité à un accroissement de 9 m3/ha/an, alors qu’il faut un accroissement de 19 m3/ha/an pour le scénario 1 qui considère deux dégagements de plantation et une taille de formation. On atteint un taux de rendement interne de 7 % et plus (soit 3 % de plus que le taux minimal exigé pour un tel investissement) dans les scénarios 2 et 3 lorsque le taux d’accroissement atteint 14 m3/ha/an.

    Quant aux scénarios avec aide fi nancière, ils présentent tous une valeur actuelle nette (VAN) positive oscillant entre 397,29$ et 778,10 $/ha, ainsi que des taux de rendement interne (TRI) allant de 5,9 % à 9,5 %, et ce, lorsqu’on considère un accroissement annuel moyen de seulement 8 m3/ha/an. Un tel accroissement est relativement conservateur, particulièrement dans les régions les plus au sud du Québec. Pour un accroissement de 14 m3/ha/an, la VAN varie entre 1 438 $ et 1 818 $/ha, et le TRI varie de 9,2 % à 13,9 %.

    Valeur actuelle nette des 6 scénarios étudiés

    La rentabilité semble peu sensible à la variation de la densité de plantation. En effet, tous les niveaux de productivité qui ont une VAN positive à 825 tiges/ha demeurent positifs à une densité de 1 100 tiges/ha bien qu’il y ait une légère tendance à la baisse.

    Dans le scénario 2 (sans aide financière), où la rentabilité est acquise à un accroissement de 9 m3/ha/an, pour justifi er l’ajout d’un dégagement de

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