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Distillerie Cazottes
LAURENT CAZOTTES,
LE DISTILLATEUR NATURE
L a veille de la rentrée des classes, comme les écoliers, on était un peu excités. Le lendemain, pas de salle de
classe en vue pour nous, mais un ren-dez-vous avec Laurent Cazottes. Chez lui Ă Villeneuve-sur-VĂšre, entre Albi et Cordes-sur-Ciel. Sâil est plutĂŽt discret, le distillateur-liquoriste nâen est pas moins talentueux. ParticuliĂšrement expressives, ses eaux-de-vie et ses liqueurs ont le pou-voir de sĂ©duire les amateurs les plus exi-geants et mĂȘme les plus grands chefs.
On les retrouve dans une quarantaine de tables 3 Ă©toiles, aux quatre coins de la planĂšte. Ăa situe le personnage, non ? Mais en ce dĂ©but de mois de septembre, plusieurs dĂ©partements du Sud-Ouest sont placĂ©s en vigilance orange : des orages risquent dâĂ©clater et pourraient ĂȘtre localement violents. Bref, le âpro-grammeâ nâest pas trĂšs rassurant. On se demande si on pourra faire les images
que lâon souhaite ; on se dit surtout que le distillateur-liquoriste risque dâĂȘtre un peu tendu. Si les poires Williams et les Reines Claude dorĂ©es ont toutes Ă©tĂ© cueillies, le raisin nâa pas encore Ă©tĂ© ven-dangĂ©. La saison des tomates nâest pas terminĂ©e et les coings sauvages sont loin dâĂȘtre arrivĂ©s Ă maturitĂ©. Autant dire que si la grĂȘle est de la partie, les consĂ©-quences seront dramatiques sur le mil-lĂ©sime 2015. Finalement, il a plu toute la nuit et le ciel semble habitĂ© mais le soleil nous accompagnera toute la jour-
Câest entre Albi et Cordes-sur-Ciel que Fine Spirits Magazine est parti Ă la dĂ©couverte des eaux-de-vie de fruits et des liqueurs de Laurent Cazottes. OĂč il est question de terroir, de nature, de
biodynamie, de tradition, mais surtout de produits dâexeption prĂ©sents sur les plus grandes tables. CĂ©cile Fortis vous emmĂšne Ă la rencontre du distillateur-liquoriste.
Laurent Cazottes devant sa parcelle de mauzac rose, un cépage autochtone avec lequel il produit une magnifique eau-de-vie depuis 2002.
Par CĂ©cile Fortis
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nĂ©e. Quant Ă Laurent, il semble parfai-tement dĂ©tendu. Conscient des risques bien sĂ»r, concentrĂ©, mais confiant. Pour-tant, lâhistoire de ses eaux-de-vie et de ses liqueurs commence Ă la vigne, dans le verger et les haies champĂȘtres qui bordent ses parcelles.
Une question de terroir et dâidentitĂ©
Ă peine arrivĂ©s, le distillateur-liquoriste nous rappelle dâailleurs quâil est avant tout paysan et câest avec son terroir que les prĂ©sentations dĂ©butent : «Mon pĂšre Ă©tait bouilleur ambulant : jâai repris son alambic en 1998. Câest lui qui mâa tout appris. Il mâa Ă©galement transmis sa culture paysanne. Avec ma femme, Marina, nous exploitons 18 hectares : 3 hectares de vignes et les vergers, 600 poiriers et 200 pruniers. Il y a aussi les haies champĂȘtres avec les prunelliers, les guigniers, les sureaux et les coings
sauvages ; les plantes aromatiques mĂ©-dicinales comme le thym, le romarin, la sauge, la lavande ou encore lâestragon pour lâĂ©laboration des eaux florales et des huiles essentielles, des cĂ©rĂ©ales et le tournesol. Sans oublier les 1 300 chĂȘnes truffiers et le safran. On a tendance Ă privilĂ©gier les cĂ©pages autochtones et les fruits de la rĂ©gion. Câest important que cela ait du sens !», raconte-t-il avec une certaine fiertĂ©. La fiertĂ© de ceux qui aiment travailler la terre, respectent la nature et entretiennent un rapport par-ticulier avec le terroir. Ce nâest pas par hasard si Laurent, qui a fait des Ă©tudes de viticulture, dâĆnologie et dâagrono-mie, a pris le parti de lâagriculture biolo-gique mention Nature et ProgrĂšs et de la biodynamie. «Venez, on va aller voir les vignes. Mais il faut mettre des bottes : aujourdâhui, la terre est amoureuse», prĂ©-vient-il. Câest vrai : elle est un peu⊠carrĂ©-ment collante !
«Nous sommes sur un terroir qui sâap-pelle le plateau cordais. Il a la particu-laritĂ© de se composer de 25 Ă 30 cm de terre argileuse trĂšs riche et, en dessous, de 70 % de calcaire actif. Câest ce qui offre Ă nos fruits un caractĂšre trĂšs Ă©picĂ© et un peu salin», explique-t-il devant sa parcelle de mauzac rose, un cĂ©page au-tochtone avec lequel il produit une ma-gnifique eau-de-vie depuis 2002. Une parcelle qui a vu le jour grĂące Ă Bernard Plageoles, installĂ© Ă Cahuzac-sur-VĂšre. Avec la complicitĂ© dâun pĂ©piniĂ©riste, Laurent a rĂ©ussi Ă multiplier les bois sĂ©lectionnĂ©s chez son copain vigneron. Alors, il en prend soin de cette vigne : Ă©bourgeonnage au printemps, ven-dange en vert en Ă©tĂ© et passerillage des raisins. Dâici quelques jours, il pourrait en effet les ramasser mais il prĂ©fĂšre âpin-cerâ ses mauzacs et patienter encore un peu. Cette technique consiste Ă Ă©craser la tige pour que la sĂšve ne circule plus
dans le raisin. Lâobjectif de ce passeril-lage sur souche ? Obtenir une concen-tration maximum en sucre et en arĂŽmes. Une concentration qui se retrouve bien sĂ»r Ă la dĂ©gustation de sa goutte de mauzac rose. Dâautant quâavant de la distiller, il prend soin de conserver les sucres rĂ©siduels grĂące Ă une fermenta-tion naturelle incomplĂšte. Mais il nây a pas que le mauzac rose qui a droit Ă un traitement de faveur. Ici, tous les fruits sont bichonnĂ©s, choyĂ©s avec beaucoup dâattention et, chacun, selon ses spĂ©cifi-citĂ©s. Pour le distillateur-liquoriste, «Ce qui est important, câest de comprendre chaque fruit pour exprimer au mieux son identitĂ©, son terroir et son millĂ©sime. Pour cela, quâil sâagisse de production, de fermentation ou de distillation, il faut se poser les bonnes questions.» Et des ques-tions, Laurent sâen est beaucoup posĂ© lorsquâil a repris lâalambic de son pĂšre.
Il sâen pose encore aujourdâhui dâautant quâil aime tenter de nouvelles expĂ©-riences. Mais sâil est douĂ© pour âdomp-terâ les fruits, il y en a tout de mĂȘme un qui lui a rĂ©sistĂ©. La chĂątaigne. Dans sa liqueur, il imaginait retrouver le goĂ»t des chĂątaignes grillĂ©es au coin du feu. Il a beau les avoir Ă©pluchĂ©es, broyĂ©es et laissĂ©es longuement macĂ©rer, le rĂ©sultat nâĂ©tait pas Ă la hauteur de ses attentes. Bilan : sa liqueur de chĂątaigne nâa jamais vu le jour. Pas de quoi le dĂ©courager pour autant : cette annĂ©e, il fait un essai avec les abricots. Comme tous ses fruits en macĂ©ration, ils vont patienter jusquâĂ douze mois Ă lâextĂ©rieur, dans des cuves exposĂ©es aux caprices du temps et des saisons. Des diffĂ©rences de tempĂ©ra-tures qui sont bĂ©nĂ©fiques estime-t-il.
La poire Williams, une signatureDirection le verger Ă prĂ©sent. «Il nây a quâavec les poires Williams que nous
ne sommes pas totalement autonomes. Nous produisons jusquâĂ 5 tonnes par an de poires bios et nous en achetons envi-ron 15 tonnes de vergers non dĂ©sherbĂ©s mais qui nâont pas lâagrĂ©ment bio. Nos poires bios sont toutes petites : nous les ramassons une fois quâelles sont par terre. Il faut quâelles soient les plus mĂ»res pos-sibles mais, bien sĂ»r, elles ne mĂ»rissent pas toutes au mĂȘme moment. Les autres sont cueillies sur les arbres. Nous les lais-sons surmĂ»rir ce qui implique un travail de sĂ©lection et de tri quotidien. Ensuite, nous enlevons les queues, câest-Ă -dire le bois ; les calices, ce qui correspond aux feuilles ; et les pĂ©pins, lâĂ©quivalent de lâhuile ; ainsi que toutes les parties attaquĂ©es par les champignons. Ă ma connaissance, nous sommes les seuls Ă faire cela. Une fois que les poires sont prĂȘtes, elles passent au fouloir : cela donne une sorte de purĂ©e qui va fer-menter en cuve bĂ©ton pendant deux
Ce qui est important, câest de comprendre chaque fruit pour exprimer au mieux son
identité, son terroir et son millésime.
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Ă gauche : Laurent et Marina Cazottes au milieur des cagettes de poires Williams.Ă droite : Un coing sauvage qui sera âchassĂ©â une fois arrivĂ© Ă maturitĂ©.Les poires Williams, dĂ©barrassĂ©es de leurs queues, calices et pĂ©pins, passent au fouloir.
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mois uniquement grĂące aux levures indigĂšnes», raconte Laurent. Lorsquâon produit en bio, on est bien sĂ»r nature sur toute la ligne ! «Je ne comprends pas pourquoi il nây a pas davantage de spi-ritueux bios. Il y a un Ă©norme dĂ©calage avec la tendance des vins natures. Les pesticides, câest un peu comme le nuage de Tchernobyl : ils ne sâarrĂȘtent pas au pied de lâalambic. Jâai mĂȘme tendance Ă considĂ©rer que lâalambic est un concen-trateur. Et, Ă mon avis, ce nâest pas va-lable que pour les arĂŽmes et lâalcoolâŠÂ» Vous lâaurez compris, Laurent Cazottes est un homme engagĂ© et nâa pas peur dâexprimer ses opinions. Si le distillateur-liquoriste a dĂ©butĂ© avec lâeau-de-vie de poire Williams, qui sâimpose toujours comme sa signature, une vĂ©ritable carte de visite qui lui a ouvert la porte des plus belles tables en France mais Ă©galement Ă lâĂ©tran-ger, aujourdâhui, sa gamme sâest bien
Ă©toffĂ©e. Ce mois-ci, il va vendanger ses raisins. En octobre et novembre, ce sera le moment de âchasserâ les coings sauvages et les prunelles. En janvier, il faudra sâoccuper des cĂ©drats de BĂ©nĂ©-dicte et Michel Bachez, les pĂ©piniĂ©ristes de gĂ©nie, spĂ©cialisĂ©s dans les agrumes. En avril et mai, câest lâheure de la rĂ©colte des fleurs de sureaux. En juin, ce sont les guignes qui entrent en scĂšne suivies des noix ramassĂ©es Ă la Saint Jean. En juillet, il faut cueillir les Reines Claude dorĂ©es et, en aoĂ»t, les poires Williams. Il y a aussi les 87 variĂ©tĂ©s de tomates qui donnent naissance Ă une liqueur de dingue, tout simplement unique, quâil faut surveiller de prĂšs de fin juin Ă fin septembre. Sans oublier les plantes aro-matiques, les cĂ©rĂ©ales, le tournesol, les truffes et le safran. On lâaura compris, Ă Villeneuve-sur-VĂšre, Marina et Lau-rent vivent au rythme de la nature et le travail ne manque pas. Dâautant que les
rĂ©coltes sont exclusivement manuelles et quotidiennes. Toujours cette ques-tion de maturitĂ© ! Quel que soit le fruit, elle doit ĂȘtre optimale. Pour accepter un tel rythme, il nây a pas de secret : il faut ĂȘtre guidĂ©s par la passion. Aussi, lorsquâon leur demande quand est-ce quâils peuvent sâaccorder quelques jours de repos, leur rĂ©ponse ne nous Ă©tonne pas vraiment : «Toutes les nuits !»
Le respect de la nature et des traditions
Dans la famille Cazottes, on nâa jamais eu peur de travailler dur. Le premier Ă se lancer dans lâaventure de la distil-lation, câest Jean en 1959. «Je revenais de lâarmĂ©e et jâai trouvĂ© une place dâap-prenti chez un distillateur ambulant de Valence dâAlbi. Jâai travaillĂ© avec lui pendant sept ans avant dâacheter mon propre alambic. Six mois par an, dâoc-tobre Ă mars, jâĂ©tais en dĂ©placement :
jâinstallais mon alambic sur les places des villages, prĂšs du lavoir pour avoir accĂšs Ă lâeau. Mes clients arrivaient le plus souvent Ă cheval et ils portaient le bois pour faire fonctionner lâalambic. Je distillais principalement de la poire et de la prune mais aussi du marc de raisins. Ă lâĂ©poque, tout le monde avait des vignes mais personne ne mettait ses eaux-de-vie en bouteilles», raconte le pĂšre de Laurent, toujours partant pour donner un coup de main quâil sâagisse de rĂ©colte, de participer au travail tita-nesque rĂ©alisĂ© sur les fruits ou encore de distillation. «Nous, on est comme les mĂ©decins : on a des clients centenaires», ajoute-t-il en rigolant avant de sâĂ©clipser. On veut bien le croire : les fruits, câest bon pour la santĂ©, non ? Aujourdâhui, les temps ont changĂ© : cela fait bien longtemps que lâalambic ne quitte plus Villeneuve-sur-VĂšre. Les fruits sont Ă©queutĂ©s, Ă©pĂ©pinĂ©s ou dĂ©-
noyautĂ©s, et les eaux-de-vie sont em-bouteillĂ©es. Mais, chez les Cazottes, le respect de la nature et des traditions est restĂ© intact. Dâailleurs, il est tou-jours question dâeaux-de-vie de marc. Mais pas nâimporte quels marcs⊠«Jâai motivĂ© plusieurs vignerons comme Pascal Verhaeghe Ă Cahors, Christine Dupuy Ă Madiran, Michel Issaly Ă Gaillac, Bertrand Jousset Ă Montlouis-sur-Loire ou encore MichĂšle AubĂ©ry-Laurent du domaine Grame-non. Ils me portent leurs marcs que je distille», raconte le distillateur-liquo-riste. Quant Ă lâalambic, il est toujours fidĂšle au rendez-vous mais, depuis dix-sept ans, Laurent distille Ă sa façon : «Il sâagit dâun alambic Ă entraĂźnement qui envoie de la vapeur dans trois vases en sĂ©rie de 600 litres. Au bout, il y a la colonne de rectification qui permet de faire monter les arĂŽmes et les alcools
qui sont refroidis par un serpentin pour donner naissance Ă lâeau-de-vie. Les trois vases, comme trois cocottes-minute, permettent de ne pas perdre de temps : avant, câĂ©tait important. Pendant quâun vase chauffait, mon pĂšre remplissait le deuxiĂšme et le troi-siĂšme coulait. Ă lâĂ©poque, on devait ĂȘtre efficace mais je pense quâil est important faire fonctionner son alambic douce-ment. De bien le connaĂźtre aussi ! Je fais Ă©galement attention Ă Ă©carter les tĂȘtes et les queues pour ne conserver que le cĆur de chauffe qui se situe autour de 66 Ă 68%». Vu le boulot rĂ©alisĂ© avec les fruits, on comprend aisĂ©ment quâil ne garde que le meilleur. Quant aux rĂ©ductions de ses eaux-de-vie embouteillĂ©es Ă 45%, il utilise exclusivement de lâeau fraĂźche de pluie qui est filtrĂ©e. Un autre âca-deauâ de la nature Ă lâimage des eaux-de-vie de Laurent Cazottes. âą
JâĂ©carte les tĂȘtes et les queues pour ne conserver que le cĆur de chauffe qui
se situe autour de 66 Ă 68%.
Ă gauche : Lâalambic Ă entraĂźnement composĂ© de trois vases en sĂ©rie de 600 litres.Jean Cazottes, ancien bouilleur ambulant, qui a transmis Ă son fils tout son savoir.Laurent Cazottes, devant sa maison, au milieu des plants de tomates.
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