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Le cavalier qui venait de la mer
Le cavalier
qui venait de la mer Texte de Jose t t e Gon t i e r
Illustrations de Chr is tophe Besse
Hachette *'
@ Hachette, 1990, pour le texte et les illustrations.
Soir de tempête L'ouragan se déchaînait, ce soir-là, sur la
lande. Un vent aigre, qui venait du large, jetait son haleine glacée sur la terre couverte d'une herbe rase. Seuls les tamaris pliaient sous la bise, en geignant comme âmes en peine. Au bas de la falaise, les vagues venaient mourir sur une plage de sable fin. La marée montait, la grande marée d'équinoxe qui engendre la tempête, et, d'un moment à l'autre, les rochers s'avançant dans la mer seraient recouverts par les flots. La plage ne serait plus alors qu'une bande de sable entre la falaise et les gerbes d'écume.
Comme drapée dans le velours d'une aile de chauve-souris, une ombre frêle marchait
péniblement sur la grève. Celle d'un enfant de douze ans. Yann avait quitté la ferme de la Renardière à la tombée de la nuit. Là-bas, on
l'employait à surveiller les vaches. Certes, le travail était dur mais, sous leur rudesse apparente, le maître et la maîtresse avaient bon cœur. Par tous les temps, les bidons et son seau de fer-blanc dans la brouette, un sac
de jute sur la tête quand il bruinait, il s'en allait traire dès le point du jour.
Toute la journée, l'ouvrage ne manquait pas, mais le soir, un bol de soupe fumante embaumait, tandis que l'on se retrouvait dans la salle, devant un feu de tourbe. Les jours de fête, des galettes de sarrasin venaient améliorer l'ordinaire.
Hélas ! le maître avait dû signifier son congé à Yann. Une saison trop mauvaise... Bref, le gamin devait chercher fortune ailleurs. Heureusement, le soir même, on l'attendait à la Gerfleur pour remplacer un petit vacher.
La claque puissante du vent s'abattait sur Yann, et il se courbait, pour n'être point renversé. Vingt fois, le souffle coupé par un tourbillon plus violent, il faillit rebrousser chemin. Non ! Il n'allait pas renoncer parce que la nuit se faisait de plus en plus menaçante ! Réprimant un frisson qu'il s'empressa de mettre sur le compte de la fraîcheur de cette soirée d'hiver, Yann poursuivit sa route...
Afin de ne pas laisser mille pensées effrayantes envahir son esprit tourmenté, il tenta de fixer son attention sur quelque chose de rassurant, ou de familier. D'un geste nerveux, il chercha dans la poche de sa pèlerine le coquillage dont il ne se séparait jamais ; il lç serra de toutes ses forces, puis joua, pendant quelques instants, avec le bouton qui fermait son habit.
Allons ! Quand on a douze ans, on n'est plus tout à fait un enfant ! On fait fi des
légendes qui hantent cette terre d 'eau et de
sel que le vent harcèle et ronge sans repos !
Ici, un rien peut donner naissance à une
légende... Une touffe d'ajonc, frémissant dans la pénombre, un froissement d'ailes, sous la
lune, les yeux d 'un animal furtif qui luisent entre deux rochers...
Ici, on dit que la lande est traîtresse, qu 'on s'y égare facilement, les nuits sans lune, et
Yann sait bien, pour l'avoir parcourue tant de
fois sous le soleil, qu'elle ouvre sur une falaise haute comme une cathédrale.
On dit aussi que les soirs de grand vent, lors des marées d'équinoxe, un étrange cavalier drapé de noir, dont nul n'a jamais vu le visage, traverse la plage en poussant des cris d'un autre monde. Il vient de la mer, monté sur un cheval noir dont les yeux étincellent comme deux brasiers.
Alors, les gens du pays se terrent chez eux, se serrent autour de l'âtre, parlent plus haut, comme pour couvrir les cris qui montent de la plage. Ces soirs-là, personne ne sort.
Depuis la nuit des temps, les gens d'ici redoutent de rencontrer le cavalier qui vient de la mer. Il annonce le malheur.
Une présence dans la nuit
Yann sentait tous ces souvenirs qu'il croyait enfouis au fond de sa mémoire l'envahir peu à peu. Il faut dire qu'il avait entendu tant d'histoires fantastiques, le soir à la veillée ! Il en avait tremblé, mais il en avait ri, aussi.
Empruntant l'ancien chemin des douaniers qui descendait sur la plage en zigzaguant le long de la falaise, il sentait les cailloux rouler
sous ses sabots garnis de paille. Lorsqu'il aurait traversé la vaste bande de sable fin
qu'il savait en contrebas, il s'engagerait sur le chemin menant à la ferme de la Gerfleur.
Soudain, il eut l'irhpression qu'une sorte de tension quasi insupportable emplissait l'atmosphère. A ce sentiment de malaise succéda bientôt l'intuition d'une présence. Quelqu'un, il en était persuadé, se cachait dans les ténèbres.
Là, tout près, comme le bruit d'une respiration haletante. Celle de quelque monstre qui aurait effectué une longue course pour venir à la rencontre de l'enfant.
Yann sentit la terreur l'envahir et il
Une légende raconte que les soirs de tempête, un étrange cavalier venu de la mer galope sur la plage, mêlant ses cris aux mugissements du vent. Nul ne l'a jamais vu, car personne ne se hasarde sur la lande ces nuits-là...
Mais quand on a douze ans, on n'est plus tout à fait un enfant, on fait fi des légendes. Et puis, ce soir, Yann n'a pas le choix : il doit absolument se rendre à Gerfleur.
Inédit A partir de 8 ans.
H HACHETTE Jeunesse
32/0375/9 lOI Ir 49-9511 du 16 lullel 1949 sur les pubbcatons desll"ees a la jeunesse
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