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Les Memoires d'un Footeux

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"Je suis passé il y a peu à Rungis où je n' avais pas mis les pieds depuis fort longtemps. La ville a beaucoup changé! Le stade, théâtre de mes exploits d'antan ..."

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A mes complices du ballon rond et néanmoins amis,

Pierrot, Antoine, Nanec, Milou, Gilbert, Michel,Bob et tous les autres

Qui ont supporté stoïquement mon mauvais caractère...Pendant tant d’années !

Michel Cagniart

LES MÉMOIRES D’UN FOOTEUX

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Préface

Je suis passé il y a peu à Rungis où je n’avais pas mis les pieds depuis fort long-temps. La ville a beaucoup changé ! Le stade, théâtre de nos exploits d’antanest transformé. Un beau bâtiment s’élève maintenant à la place de nos anciensvestiaires vétustes. La pelouse du terrain d’honneur est entretenue, des tribunesl’entourent. Le second terrain maintenant en terre battue, comporte un revête-ment stabilisé plus résistant.En centre ville, le café des sports existe toujours. La façade a été rénovée. Jepousse la porte ; le bar occupe toujours le même emplacement. Le baby foot a dis-paru, mais j’aperçois dans l’arrière salle le billard qui trône comme jadis. Lespropriétaires ont changé, bien sûr. Mon regard est attiré par une photo accrochéeau mur C’est une ancienne équipe de l’union sportive où je figure. Tous les visa-ges des joueurs qui m’entourent me sont familiers, mais à ma grande honte, jene me remémore pas certains noms et même certains prénoms. Plus de quaranteans se sont écoulés ! Les uns ont déménagé, les autres ont hélas disparu. Je m’as-sois et commande un verre, puis un autre. La nostalgie m’envahit, j’essaie de me

souvenir, mais ces vers insistants trottent dans ma tête et perturbent mes efforts :“Mon verre est plein d’un vin trembleur comme une flamme, écoutez la chansonlente d’un batelier qui raconte avoir vu sous la lune sept femmes, tordre leurscheveux verts et longs jusqu’à leurs pieds”. Alors, je me lève à nouveau pourcontempler la photo. Concentres-toi, me dis-je !

Les souvenirs affluent enfin, en vrac ! Oui, ça y est, je me souviens...

J’ai intitulé ce petit livre, “Mémoires d’un footeux”.On m’a fait remarquer que footeux était un terme péjoratif. Je le trouve moi,plutôt glorieux ! D’ailleurs, ça rime…J’aurais pu titrer “Mémoires d’un footballeur” mais c’eût été banal ! Ou“Mémoires d’un manchot” comme nous appellent les rugbymen, ces faux frèresculs-de-jatte. Pourquoi pas “Pingouins”, pendant qu’ils y sont…Ils n’ont pourtant pas à nous donner de leçons, eux qui poussent le vice à joueravec un ballon ovale, alors que la terre est ronde ! Imaginez un peu la tête dutennisman qui devrait pratiquer son jeu avec des petites balles jaunes de la mêmeforme ! Ce serait cocasse...Nos ennemis héréditaires d’outre-manche, disent que “le rugby est un sport devoyous pratiqué par des gentlemen (je conteste) et que le football est un sport degentlemen (exact) pratiqué par des voyous !”(c’est faux)

Moi, je crie haut et fort que le football est le plus beau des sports, et je n’endémordrai pas !

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P R E M I È R E P A R T I E

Chapitre I

Mes débuts - Cachan

Nous habitions, mes parents, mon frère et mes deux sœurs dansla banlieue sud de Paris, plus précisément à Cachan, au deuxième étaged’un immeuble ancien dans un appartement de deux pièces, avec toi-lettes collectives dans la cour de l’immeuble, sans salle d’eau (commeon disait alors), et une toute petite cuisine. Nous nous chauffions avecun poêle, qu’on appelait Salamandre (probablement du nom de sa mar-que). On l’alimentait avec des boulets de charbon qu’il fallait allerchercher à la cave mal éclairée. Je dormais dans la salle à manger avecmon grand frère, mon ainé de six ans, dans un lit cage qu’on pliait lajournée et dépliait la nuit en raison du manque de place. Comme il secouchait souvent après moi, il se faisait un malin plaisir à se réchaufferles pieds sur mes mollets, malgré mes protestations.

Les ressources de la famille étaient, vous l’avez compris, plus que

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modestes. Mon père exerçait le dur métier d’éboueur (à l’époque, lescamions avec levage automatique des poubelles n’existaient pas), tra-vaillait en partie de nuit ce qui fait que je le voyais peu et ma mères’occupait de la marmaille. Malgré tout, nous ne manquions de rien ouplutôt, nous étions habitués à cette vie modeste et avions d’autres occu-pations et motivations que les enfants d’aujourd’hui. Pas de télévision,mais une radio (on disait TSF à l’époque) que j’écoutais assez souvent,notamment lorsque les feuilletons de la mi-journée (avec Zappy Maxou Francis Blanche ) étaient diffusés. J’avais une autre passion, c’étaitla lecture.

Cependant, comme nous avions peu de place dans cet apparte-ment, nous vivions beaucoup à l’extérieur lorsque le temps le permet-tait. A proximité de notre immeuble se trouvait un terrain vague(endroit béni qui n’existe pratiquement plus aujourd’hui) où nous pou-vions nous exprimer librement et satisfaire nos rêves de cow-boys oud’indiens, et où nous fumions parfois des lianes avec les gamins du voi-sinage. Bien sûr, il y avait parfois quelques différents que nous réglionscomme des grands sans aller pleurnicher auprès de nos parents.

Sur ce terrain vague avait été aménagé sommairement un espacepour le football comportant deux buts, sans filets bien évidemment. Sasurface était plane, non herbue, mais recouverte de mâchefer, matériauplus résistant qu’une pelouse .C’est à cet endroit que j’ai fait mes pre-miers pas de footballeur. Nous jouions pendant des heures, organisantdes matches avec goals volants, quand nous étions en nombre suffisantet que l’un d’entre nous possédait un ballon qu’il voulait bien partager.

Le dimanche après-midi, mon béret sur la tête, avec mes binocles(j’étais alors affligé d’un strabisme qui disparut tout seul lorsque jegrandis) et mon cache-col (c’est comme cela qu’on appelait alors uneécharpe) accompagné de mon voisin de palier, j’allais assister aux mat-

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ches de football de l’équipe locale disputés dans le stade communal quise trouvait non loin de notre domicile.

J’étais âgé de sept ou huit ans, et brûlais de jouer moi-même dansune véritable équipe. J’ai signé ma première licence l’année suivantedans un club de patronage (dit de curés) appelé la St jean de Cachan.Notre terrain était petit, plein de faux rebonds et nous portions desmaillots de couleur verte. J’étais pupille mais jouais dans la catégoriesupérieure, c’est à dire en minimes, faute de combattants dans la caté-gorie inférieure.

J’étais frêle, maigre mais très résistant.D’ailleurs, je me déplaçais constamment en trottinant, ou en

galopant. Nous avions un accompagnateur dévoué, discret et bénévolebien entendu, que je remercie mille fois aujourd’hui, car sans lui, notreéquipe n’aurait pu continuer à exister. Je soupçonne ce brave hommed’avoir souvent mis la main à la poche pour nous payer limonade ettickets de bus lorsque nous nous déplacions.

Nous avons déménagé pour habiter Rungis dans le Val de Marnelorsque j’atteignis mes onze ans.

J’intégrai le lycée mixte Claude Monet situé à Paris 13ème carmon instituteur de cours moyen deuxième année de l’école Paul Bertde Cachan, considérant mes excellents résultats scolaires, était inter-venu auprès de mes parents et avait obtenu en ma faveur une boursepour que je puisse poursuivre mes études dans le secondaire.

En classe de troisième, je quittai Claude Monet pour cause demixité (à ce niveau de cours, nous étions trop grands pour cohabiteravec les filles) et intégrai le lycée Henri IV. Je suis très reconnaissant àmes parents et plus spécialement à ma mère qui prit les choses enmains, des efforts consentis pour me donner cette chance.

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Chapitre II

Le matériel - La logistique

Les buts :C’est à dire les poteaux et la barre transversale étaient en bois et

rectangulaires. Plus tard, à la suite de litiges (la balle avait elle pénétréeou non ?), on les construisit en métal, et de forme cylindrique. Quantaux filets, il n’y en avait pas toujours, et parfois ils étaient troués !

Les vestiaires Souvent, c’était de simples cabanes sans eau courante. Un baquet

à l’extérieur rempli d’eau, nous permettait de nous laver le bout dunez, et les semelles de nos chaussures. Nous rapportions notre tenue àla maison pour nettoyage. Nos mamans étaient très heureuses, surtoutpar temps de pluie !

Le ballonEn match officiel, il était en cuir, composé de panneaux rectan-

gulaires, et pour le gonfler, il y avait une fente assez large qui se fer-mait à l’aide de lacets en cuirs. Il n’était pas imperméabilisé et quandil pleuvait, il s’imbibait rapidement, devenait lourd et les tirs loin-tains, avec nos cannes de serins, étaient inexistants.

J’entends maintenant, ça et là, se plaindre certains joueurs pro-fessionnels des trajectoires flottantes, et cela me fait bien rire. Quand,par malheur, nous recevions ce ballon dans le visage du côté de la fer-meture avec lacets en cuir, nous étions tatoués pour quelques jours !Ensuite est apparu le ballon à dix huit panneaux circulaires avec unevalve ronde qui en permettait le gonflage. Progrès considérable, maisil n’existait pas encore de couche plastique imperméabilisant le cuir.

Avec les rencontres disputées en nocturne, (bien plus tard) lesballons blancs ont enfin fait leur apparition. Maintenant, c’est un véri-table plaisir de frapper dans la balle et nous pouvons voir d’excellentstireurs la propulser de très loin avec force.

Les chaussures :Le bout du pied était rigide, et le cuir montait assez haut autour

des chevilles en guise de protection, ce qui ne facilitait pas la souplessede la cheville, essentielle pour le contact avec le ballon, et la variété destouches. La semelle était équipée de crampons en cuir qu’on fixait enles clouant. Puis, est apparue la semelle moulée en caoutchouc ou enplastique, plus confortable sur les terrains secs. Le bout dur a disparu,et la forme laissait enfin une plus grande liberté à la cheville.Aujourd’hui, les crampons métalliques ou en plastique (en fonction del’état de la pelouse, on peut en adapter de plus ou moins longs), visséssous la semelle grâce à des pas de vis, ont remplacé les crampons encuir. Ainsi, lorsqu’ils sont usés, on peut en changer facilement.

Je rêvais de cette merveille, et un soir, j’eus la grande joie de voirmon père rentrer à la maison avec une paire de souliers à la semelle

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moulée. Ils n’étaient pas neufs, mais encore en bon état. Il les avaittrouvés dans une poubelle au cours de sa tournée quotidienne. Mais, ilsétaient bien trop grands pour moi, et nous dûmes en bourrer les extré-mités avec du papier journal ce qui n’en facilitait pas l’usage… Bienlongtemps après cette époque, mon ami Pierre et moi découvrîmes lachaussure idéale pour évoluer sur terrain sec. Elle était basse, compor-tait une semelle en caoutchouc avec des barrettes rectangulaires dispo-sées tantôt dans un sens, tantôt dans l’autre pour mieux tenir au sol etétait fabriquée en toile et en cuir ce qui lui conférait confort et sou-plesse. Ces chaussures avaient pour nom “Rasante” !

Les protèges-tibias :Ils étaient épais, encombrants, difficiles à fixer et donc peu utili-

sés pour ces raisons.

Les arbitres :La plupart du temps, l’arbitre de champ était le dirigeant de

l’équipe visiteuse. Quant aux juges de touches, il y en avait rarement,d’où contestations pour les positions de hors jeu, règle délicate prêtantà confusion.

Voilà… malgré tous ces handicaps, notre passion de gamins pource sport restait entière.

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d e u x i è m e p a r t i e

Chapitre III

Rungis-Plage - Mon club de cœur

Au fur et à mesure que je tente d’évoquer ces souvenirs de foo-teux, je m’aperçois que je ne peux passer sous silence certains épisodesde ma vie d’homme, car ils sont étroitement liés avec ma trajectoiresportive. Cela me gène, par pudeur, mais aussi parce que je ne veux sur-tout pas trop dévier du sujet principal.

J’avais douze ans lorsque nous arrivâmes à Rungis, petit villagequi comptait cinq cents habitants, trois rues principales, une épicerie,un prieuré et … trois cafés.

Quatre familles importantes de cultivateurs exploitaient les ter-res entourant le village, dont Mr Luez, le maire. Les moyens de com-munication étaient difficiles car les halles n’étaient pas encore implan-tées. La bretelle reliant l’autoroute du sud à l’aéroport d’Orly, n’existait

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pas non plus.Notre maire la joua finement parce qu’il réussit à faire donner à

ces nouvelles halles remplaçant celles de Paris, le nom de Rungis, alorsque l’essentiel de la superficie se trouve sur les communes de Chevilly-Larue et de Thiais. Il fit valoir que le nom de Chevilly-Larue était biencompliqué à prononcer et que Thiais était déjà connu pour son cime-tière régional. Cette dénomination constituait et constitue toujoursune manne pour la commune.

Le supérieur du prieuré, un bénédictin, le père Jean de Féligondeavait créé un ordre nouveau mi-contemplatif, mi-séculaire. C’est à direque les frères et pères le composant (au nombre d’une vingtaine)aidaient les curés des paroisses des alentours et du village même, auxaffaires quotidiennes et se retiraient le soir au prieuré pour y manger,y dormir et prier .L’ordre avait cédé un terrain à la commune dans lebut d’y faire construire un certain nombres de pavillons (28 exacte-ment) en constituant une association de type “castors”, les sociétairesse chargeant des travaux d’excavations des fondations, des conduitessanitaires, des fosses septiques notamment et donc de l’aménagementdu terrain. Notre venue en masse (pensez donc, 100 nouveaux habi-tants environ) rompit la tranquillité des anciens qui mirent un certaintemps avant de nous adopter.

Les pavillons (parfois jumelés), simples mais construits avec desolides matériaux, comportaient un garage, trois niveaux, cinq piècesprincipales, cuisine, toilettes, et salle de bains. Le luxe, quoi ! Ilsétaient entourés d’un terrain de 500 m2 environ. Mon père en utilisaune partie pour créer un potager.

Mon frère ainé se maria alors et fut suivi rapidement par magrande sœur si bien que mes parents, ma petite sœur et moi-même dis-posions d’une chambre particulière, progrès considérable par rapportau taudis occupé auparavant à Cachan.

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Cependant, il fallait bien rembourser les montants empruntéspour l’acquisition de la demeure, et nous devînmes famille d’accueilpour des enfants de la DDASS ou organisme assimilé.

Pendant plusieurs années, je partageai donc ma chambre avecBernard, mon cadet de quelques années, qui a fondé une famille auTexas où il vit maintenant. Ma petite sœur accueillit, elle, une nom-mée Miriem, dégourdie coquine et maligne. Nous avons encore, denombreuses années après, des relations épisodiques avec eux.

Toutefois notre emménagement dans la nouvelle demeure futprécédé de quelques péripéties. Mes parents avaient donné congé denotre appartement de Cachan, et comme la construction de notre mai-son avait pris du retard, nous dûmes d’abord transiter dans une maisonsituée à L’Hay les Roses, prêtée aimablement par un ami de la famille,puis loger à Rungis dans le clocher de l’église du prieuré où les pèresévoqués précédemment nous hébergèrent (qu’ils en soient mille foisremerciés) car les travaux n’étaient toujours pas terminés. Mon frère etmoi, à cause du manque de place, dormions dans deux chambres duprieuré meublées sommairement.

A une centaine de mètres de notre maison, se trouvait une plaineentourée de buttes où l’on avait tracé deux terrains de football, etappelé pompeusement cet endroit, stade municipal Lucien Grelinger,du nom d’un résistant originaire de la commune, déporté, et mort àBuchenwald. Autour du terrain d’honneur, il y avait une main cou-rante, et une construction sommaire faisant office de vestiaires, adosséeà une mini tribune. Pour l’anecdote, les buttes entourant cet espacerenferment des canalisations d’eau importantes construites par lesromains. L’eau provient, m’a-t- on dit de l’Yonne. Depuis Rungis situésur un plateau, on pouvait donc alimenter Paris, nommé Lutèce dansces temps là, grâce à un aqueduc d’un étage surmonté plus tard par unsecond lors du règne de la reine Marie de Médicis, œuvre grandiosequ’on peut découvrir encore à Arcueil/Cachan dans la banlieue sud pro-

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che de la capitale. Je pense que sous le terrain de football, il doit y avoirune cavité qui assure un drainage naturel, si bien que même par fortesprécipitations la pelouse est rarement impraticable.

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Chapitre IV

Les responsables

Le maître des lieux, était le président du club “l’Union Sportivede Rungis” et s’appelait Fernand Laborie. C’est grâce à ce genre de per-sonnage dévoué au possible, (tonte de l’herbe, traçage des terrains ledimanche matin, lavage par son épouse des bas et maillots, gestion deslicences, etc...) juché sur son éternelle bicyclette que la vie d’un clubest rendue possible. Il consacrait tellement de temps à cette activitéque son petit fils était convaincu que le stade appartenait à son pépé !

Nous devons cependant le développement du club de foot à unpersonnage haut en couleurs qui sut, avec l’arrivée de familles qui habi-tèrent d’autres cités pavillonnaires ou qui achetèrent des appartementsdans deux résidences immobilières construites entre temps, et qui, biensûr, comportaient des enfants, utiliser cette main d’œuvre (ou plutôt ce

“pied d’œuvre”) pour constituer un vivier qui alimenta d’abord les équi-pes de jeunes, puis les seniors.

Il s’appelait Mr Niquet, et nous le surnommions le père Niquet! Il était brigadier de police mais travaillait de nuit, ce qui lui laissaitdu temps pour s’occuper des garnements footeux que nous étions. Je lerevois encore, vêtu d’une salopette bleue, imposant, son éternelle cas-quette vissée sur la tête, chaussé de baskets, avançant digne et imper-turbable avec ses filets contenant les ballons. Il avait un don pour don-ner des surnoms, et avait baptisé le père d’un copain qui boitait bas,“jambe de laine”, sobriquet qui lui resta.

Il avait deux fils, Michel et Jean- pierre, qui jouaient avec nous,bien entendu. On surnomma le second “gasoil ”, car il avait fait le pleinde son solex avec ce carburant qui anéantit séance tenante le moteur dece pauvre deux roues, à la fureur de son papa. On a longtemps cham-bré JP à ce sujet !

Au début, le père Niquet nous entrainait comme il pouvait, for-mait les équipes, nous trouvait des matches à disputer le jeudi, grais-sait les ballons, bref s’occupait de tout. En grandissant, beaucoup d’en-tre nous prirent une licence à l’US Rungis, dont les couleurs étaient etsont encore “bleu et or”. Les rencontres étaient disputées le dimanche.J’avais deux ans de plus que la plupart de mes compagnons et joueurspréférés, et opérais dans l’équipe des cadets, tandis qu’eux formait uneéquipe de minimes redoutable qui inscrivit plus de cent buts dans uneseule saison ! Si bien que, le père Niquet avait réussi (malgré la modes-tie de notre club) à le faire participer à un tournoi international deminimes disputé par plusieurs nations, (allemands, autrichiens, suisses,italiens) souvenir émouvant pour ceux qui disputèrent les rencontres.Plus âgé que mes copains, j’assistai avec envie à leurs performances.

J’ai peu de souvenirs de ma période “cadets” mis à part une anec-

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dote inoubliable. Il avait beaucoup plu et nombre de terrains étaientimpraticables. Le nôtre, en revanche était jouable. Dans la semaine, lesdirigeants de Draveil téléphonèrent pour demander l’annulation de larencontre prévue sur notre terrain le dimanche suivant, s’appuyant surune recommandation de la ligue qui avait annulé nombre de matches.Nous acceptâmes le report ! Mais ces bandits, il n’y a pas d’autre mot,vinrent sur place à l’heure et au jour dit, constatèrent que personne nese trouvait au stade, et remplirent une feuille de match qu’ils envoyè-rent à la ligue de Paris pour nous déclarer “forfait”, à la grande fureurdes nos dirigeants. En effet, cela signifiait pour nous, match perdu etaucun point inscrit !

Lors de la rencontre retour jouée sur le terrain de Draveil, lematch fut arbitré par l’incontournable père Niquet, car, comme je l’aiindiqué plus haut, dans les équipes de jeunes, il y avait rarement desarbitres officiels et la tradition voulait que l’équipe visiteuse soit dési-gnée pour arbitrer.

Revanchards, nous nous battîmes comme des lions et tînmes lescore à égalité jusqu’à quelques minutes de la fin .C’est alors que reten-tit un coup de sifflet implacable sur une action très anodine, et le pèreNiquet, imperturbable, désigna le point de penalty pour une sanctionen notre faveur. Notre avant centre ne se fit pas prier et transforma lecoup de pied de réparation sous les protestations véhémentes de nosadversaires.

Comment appelle-t-on cela, le coup de pied de l’âne, n’est-ce pas ?Impénétrable, le père Niquet n’avoua jamais son forfait, mais je visbien dans son regard briller une petite lueur de satisfaction.

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Chapitre V

Quelques portraits de mes co-équipiers,mes anciens complices

Je fis connaissance de Pierre, sur la pelouse ou plutôt sur l’herbedu stade municipal. Il devait avoir douze ou treize ans, et on l’appelaitcommunément Pierrot et plus familièrement rase-mottes, car même àl’âge adulte, il ne fut jamais très grand. J’étais son ainé de près de deuxans. Il jouait dans l’équipe des minimes et moi, dans celle des cadetsde l’US Rungis.

Pierre possédait un ballon 18 panneaux qu’il entretenait avecsoin. Nous avons tapé inlassablement dans cette balle, parfois seuls ouaccompagnés d’autres jeunes. Nous organisions alors de petits matches.Quand nous étions tous les deux, l’un de nous se mettait dans les butset l’autre le sollicitait.

Un jour, un grand gaillard, à l’évidence antillais, attiré par le

bruit de nos frappes et qui passait là par hasard, nous demanda la per-mission de jouer avec nous, ce qui lui fut accordé. Il se plaça dans lesbuts et nous nous aperçûmes rapidement qu’il avait de grandes quali-tés, si bien que nous le bombardâmes copieusement. Ravi de sa séanced’entrainement, il nous remercia, nous complimenta en s’étonnant dufait que nous jouions dans un petit club, et nous dit qu’il était gardiende buts professionnel au Red Star. Il s’appelait Miredin ! J’ai retenu sonnom, car c’était la première fois que nous échangions des balles avec unprofessionnel. Je suivis quelque temps sa carrière dans les journaux etconstatai que ses prestations étaient souvent bien notées.

Pierre possédait des qualités de vitesse et de résistance au dessusde la moyenne, mais il était surtout adroit et coordonné dans ses mou-vements, en outre, c’était un très bon tacleur (le tacle est une glissade,un ou deux pieds en avant, destinée à chiper le ballon à l’adversaire).Ainsi, il pouvait jouer avec bonheur à tous les postes, y compris celuide gardien de but. Il excellait dans tous les sports, notamment tenniset ping-pong.

En dehors du sport, il avait des avis personnels et atypiques surles gens et les choses qui me surprenaient souvent, mais qui, à l’usage,se révélaient souvent judicieux. Il avait notamment une expressionsavoureuse qui remplaçait “c’est bien fait pour lui”, lorsque quelqu’unest puni par un sort contraire, par “ça lui apprendra à écouter aux por-tes”. En fait, il avait un tempérament bohème et d’artiste. Un jour ilse présenta avec des chaussures de foot teintes en blanc (à l’époque lenoir était la couleur traditionnelle) car il trouvait que c’était plus joli !Dans le sous-sol de la maison de ses parents, il avait installé un petitlaboratoire de tirages de photos où il m’avait entrainé. Son père, Tony,sympathique mais déroutant, artiste peintre à ses heures perdues,confirme l’adage que “les chiens ne font pas des chats” car à l’évidenceil a transmis à Pierre son côté fantaisiste.

Mais je reviens au football ; mon ami possédait tous les atouts du

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joueur moderne. Il aimait notamment frapper le ballon en demi volée(on dit aussi en drop) parce que la force s’en trouve décuplée, et il pos-sédait aussi une technique en mouvement irréprochable qui lui per-mettait d’amortir le ballon de la cuisse en pleine course, trompant ainsil’adversaire éventuel, tout en mettant la sphère devant lui, prête à êtreutilisée.

Nous avons joué plus tard en seniors dans l’équipe première deRungis et nous nous entendions comme larrons en foire. Il partitensuite dans un club voisin qui évoluait dans une division supérieureoù il devint rapidement un élément prépondérant. Au début, je pris cedépart comme une trahison, mais il faut dire que je m’étais marié, etque j’avais des centres d’intérêts que Pierre, célibataire, n’avait pas for-cément.

Je le voyais moins, et après quelques saisons, j’appris qu’il s’étaitgravement blessé au genou gauche en retombant, après un bond, enporte à faux. Les grands pontes consultés diagnostiquèrent une entorse,mais en fait, il s’agissait d’une rupture des ligaments croisés qui, tar-divement opérée, avec phénomène de rejet l’obligea à arrêter complè-tement le football. Quel dommage ! Il avait largement la qualité pourêtre professionnel….

Nous avons renoué récemment avec plaisir. Pierre et sa compagnehabitent toujours Rungis et il est le père de deux charmantes jeunesfilles.

Edmond lui, surnommé Nanec, car sa mère polonaise d’origine,l’appelait ainsi quand il était petit, (il parait que cela veut dire l’ainé)fréquentait le patronage de la paroisse où se trouvait un petit terrainoù nous jouions des heures entières au football. Son père, fait prison-nier lors de la dernière guerre, tenta de s’échapper à trois reprises, futrepris à chaque fois et versé dans un camp disciplinaire où il rencontraet tomba amoureux de la future maman de Nanec, qu’il épousa et fitvenir en France à la fin des hostilités.

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Costaud et viril, il s’imposa comme un bon avant centre et nousmarqua nombre de buts. Courageux et rugueux, bon de la tête, il pou-vait aussi jouer arrière central. Bien que droitier, il avait un bon piedgauche, acquis à la suite d’une légère blessure au pied droit qu’il nepouvait utiliser pour frapper ce qui ne l’empêchait pas de disputer acti-vement nos rencontres habituelles sur le petit terrain du patronage. Ilaimait bien chambrer ses adversaires et lorsqu’il réussissait un petitpont (passer la balle entre les jambes de l’adversaire), il lui lançait riantcomme un bossu, “la prochaine fois, tu mettras du grillage”, ce quirendait son adversaire, honteux et confus, fou furieux. Une autre fois,à la lutte avec le défenseur adverse, tous deux culbutèrent. Nanec sereleva le premier et fit mine d’aider l’autre à se relever, mais en fait, ille saisit par les petits cheveux placés sur la tempe. C’est douloureux, etle malheureux bouscula notre coéquipier, ce qui lui valut un avertisse-ment de la part de l’arbitre. Nanec, le machiavélique s’éloigna, un sou-rire goguenard aux lèvres.

Il faut dire aussi qu’il ne fallait pas lui marcher sur les pieds ! Ilprenait des coups mais les rendait généreusement. Il avait un principequ’il m’exposa une fois, affirmant qu’il valait mieux taper le premieren cas de différent, car il n’avait pas vocation de victime. D’ailleurs, jene résiste pas à vous narrer une anecdote à l’appui de sa thèse ! Nousavions disputé un match que nous avions remporté sur le terrain deMontgeron, et Bob, joueur talentueux et plus jeune que nous, avaitchambré le joueur entraineur adverse, qu’il connaissait pour avoir jouéavec lui en CFA (3ème division de l’époque) en poussant des bêlementsde chèvre (sa grande spécialité), à chaque fois qu’il le croisait. Injuresuprême, car cet animal n’est pas vraiment réputé pour ses talents defootballeur ! A la fin de la rencontre, l’insulté n’avait pu s’empêcher demettre un coup de pied au derrière de notre coéquipier. S’ensuivit uneéchauffourée durant laquelle un dirigeant de Montgeron, véritablecolosse, se mêla, pour soudain s’écrouler en geignant.

Notre Nanec, furtivement, lui avait mis le doigt dans l’œil, sa

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botte de Nevers. A la sortie des vestiaires, le blessé voulait me faire unmauvais sort, car il pensait que j’étais le coupable. L’épouse du vrai fau-tif, véritable titi parisienne lui criait, “il ne te l’a pas crevé ton œil ...!”. Des gens intervinrent et nous nous éclipsâmes en riant sous cape.C’est beau le sport, n’est-ce pas ?

Ceci étant, Edmond, affreux Jojo sur les terrains, est charmant,sérieux, bon père de famille, maintenant rangé des voitures, dans la viede tous les jours.

Antoine survint inopinément dans notre existence. Plus âgéd’une dizaine d’années, il avait emménagé dans une résidence prochedu stade composée d’immeubles. Nous voyant de sa fenêtre, Pierrot etmoi, taper dans le ballon, il ne put résister à l’envie de se joindre ànous. Il ne refusait pas les contacts physiques, se dépensait sans comp-ter sur le terrain, et était très sympathique. Dans le privé, c’était un tri-bun remarquable. Un jour, arrêté par la maréchaussée parce qu’ilconduisait trop vite, il convainquit le pandore en lui affirmant que safemme l’attendait de toute urgence. Interrogé, il répondit effronté-ment qu’elle lui avait mitonné un bon petit repas qui ne pouvait sup-porter le moindre retard. Le représentant de la loi, ébahi, le laissa filersans verbaliser. Ce qui prouve que la gastronomie, comme la musique,adoucit les mœurs !

Il convient de signaler qu’il était représentant dans une entre-prise qui vendait caméras et appareils de photos d’une marque japo-naise bien connue maintenant, si bien qu’il possédait un bagout de cir-constance qui le conduisit rapidement à gravir des échelons et devenirdirecteur commercial de cette société.

Il me demanda de l’appuyer pour prendre une licence, et il fut lebienvenu au sein de l’équipe fanion, où je devais jouer également dèsle mois de septembre suivant notre premier contact. Il devint ensuitepour moi un grand frère et me prit sous son aile, sur le terrain et endehors.

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Je l’ai surnommé quelque temps (par dérision et ironiquement),“Monsieur un but par match” à l’instar de Josip Skoblar, excellentjoueur yougoslave et buteur de l’Olympique de Marseille, car notrecher Antoine avait marqué deux dimanches consécutifs contre soncamp, depuis sa position d’arrière latéral droit. Je bats ma coulpe, car,moi aussi, j’inscrivis une fois, un but contre mon camp !Consécutivement à un penalty tiré contre mon équipe et heurtant labarre transversale, je fus le plus prompt et adressai une passe en retraitaérienne à Gilbert, notre gardien encore accroupi après sa tentative deparade. Le ballon le loba, à ma grande confusion, frappa à nouveau labarre transversale et retomba derrière la ligne.

Mais Antoine avait aussi une feinte remarquable que j’appelais“feinte de balayeur”, lorsque, poursuivi par l’attaquant adverse, il fon-çait vers notre but, faisant mine de transmettre la balle en retrait à songardien, puis passant sa jambe gauche au dessus du ballon, repartaitdans l’autre sens pour contre attaquer, trompant à chaque fois sonopposant.

Son rôle de protecteur à mon égard, lui joua un jour un vilaintour puisqu’il fut exclu du terrain. Nous jouions contre le PL 5 sur sonstade de la porte de Choisy, et mon adversaire direct (yougoslavecomme Skoblar), milieu de champ comme moi, furieux d’être trim-ballé, m’insultait copieusement et me cracha même dessus, ce qui enfut trop pour Antoine qui l’empoigna. L’arbitre les sépara alors et lesexpulsa tous les deux. Antoine trouva l’aventure saumâtre, me fit labouille quelques jours, puis son amitié pour moi reprit le dessus etgénéreusement, il me pardonna.

Mon souvenir le plus drôle le concernant reste cependant celui-ci : lors d’une rencontre disputée à domicile, Antoine se prit de becavec un joueur adverse pour des vétilles, je pense, et l’altercation ver-bale se poursuivit à la pause sur le chemin des vestiaires. Les deuxjoueurs n’avaient pas la langue dans leur poche et la femme de l’adver-

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saire intervint sans se faire prier.Antoine, à bout d’arguments, montrant sa propre épouse, Liliane,

belle et grande blonde au maintien très digne, qui se tenait stoïque-ment à l’écart, tel un gosse se bagarrant avec un autre dans le bac àsable, lui déclara d’une façon péremptoire “d’abord, ma femme est plusbelle que la tienne” ce qui mit fin aux débats. J’en ris encoreaujourd’hui.

J’ai relaté des anecdotes peu reluisantes pour mon ami, mais jetiens à le glorifier aussi ! Lors d’une rencontre de notre équipe de vété-rans, il inscrivit un but d’anthologie à la Uwe Seeler (buteur allemandréputé), en reprenant le ballon d’un retourné acrobatique depuis laligne des 18 mètres. Il était incroyablement heureux et ce fut certaine-ment son plus grand exploit sur un terrain de football.

Gilbert, vaillant portier, garda les buts de l’US Rungis pendantde nombreuses années. D’abord ceux de l’équipe fanion puis ceux del’équipe des vétérans. Il était grand, bon dans les sorties aériennes, cou-rageux dans celles au sol, mais était surtout doté d’une grande vitessede bras sur sa ligne. En revanche, son jeu au pied était médiocre et sesdégagements laissaient beaucoup à désirer.

Dans la vie, c’était vraiment un chic type, toujours prêt à rendreservice. Il nous a quitté depuis peu, laissant sa gentille femme Mireilleet son fils Titi qui flambait jadis dans les équipes de jeunes. Lorsquenous organisions des fêtes, Gilbert se dépensait sans compter avecMilou (notre trésorier), Jojo (un vrai dévoué), et Michel Nicolle, tou-jours disponible qui devint ensuite le complice de Gilbert comme diri-geant pendant de nombreuses années. Je me souviens avec émotiond’une phrase que Gilbert, petite moustache au vent, sortait souventavec sa délicatesse coutumière lorsqu’il demandait à quelqu’un de l’ai-der ; “sans te commander, pourrais-tu faire ceci ou cela…”. Il nousmanque beaucoup.

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Bob, de son vrai prénom Michel, était un gaucher exclusif. Al’évidence son pied droit ne lui servait qu’à monter dans l’autobus ! Ilétait plus jeune que nous autres, mais non moins talentueux. Il parti-cipa aux présélections des cadets de Paris, mais l’origine modeste deson club le desservit. Il tenta sa chance à Juvisy qui évoluait en 3èmedivision et réussit à s’imposer à l’aile gauche, au détriment du titulaireblessé, qui, rétabli, essaya de blesser notre camarade à l’entrainementpour retrouver sa place. Écœuré, Bob préféra revenir au bercail où il sesentait dans son élément. Personne ne s’en plaignit, car il nous apportasa grande classe. En position d’intérieur gauche, il nous marqua nom-bre de buts, car il possédait une frappe sèche et précise, à l’instar descélèbres Puskas et Piantoni. En tant qu’homme, il possédait des valeursde modestie, de respect et de discrétion, comme son oncle Milou(récemment disparu) et son frère Guitou, milieu de terrain élégant ettechnique.

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Chapitre VI

La technique

Je n’ai pas la prétention de prodiguer des cours magistraux, cardes spécialistes compétents l’ont fait avant moi. Cependant, je compterappeler ici certains principes fondamentaux qui me tiennent à cœur,même si ce paragraphe paraitra rasant à certains. Il s’agit de football,n’est-ce pas ?

Le pied est la partie essentielle du footballeur mais peut être uti-lisé de différentes façons selon la surface de contact avec le ballon, grâceà la cheville dont la souplesse est indispensable. Ainsi, l’intérieur dupied sert surtout à la précision des passes car le tir effectué de cettefaçon, notamment sur balle arrêtée, manque de force. On peut brosserla balle en la caressant avec l’intérieur ce qui donne une trajectoire ren-trante à la balle. L’extérieur, peu utilisé en général, (le joueur allemand

Beckenbauer en était un expert reconnu), engendre une passe à trajec-toire surprenante pour le défenseur, ou des tirs difficiles à arrêter parles gardiens de but car le ballon possède alors une trajectoire sortanteavec effet.

Cependant la partie noble est constituée par le cou de pied, dontl’utilisation permet de frapper fortement le ballon. Le talon estemployé pour des courtes passes en arrière. La pointe, elle, provoquedes tirs puissants mais imprécis parce que la surface de contact estréduite.

La reprise en demi volée ou de volée, demande une grandeadresse, une bonne appréciation des trajectoires et nécessite une par-faite position du corps.

Pendant tout un été, avec Pierre, nous travaillâmes ce geste surles centres d’un noir africain venu étudier en France, et issu probable-ment d’une bonne famille, nommé Pascal. Nous étions pieds nus, pourmieux sentir le ballon et le reprendre de façon idéale. Pascal était gen-til, bien élevé et joua une saison dans l’équipe première comme ailierdroit. Il disparut un jour sans crier gare, et je ne fus pas trop triste deson départ, car il semblait porter beaucoup d’intérêt à mon épouse, uneblonde, vous pensez !

J’ai indiqué que la position du corps était essentielle pour lesreprises de volée. Il en est de même pour les tirs ! Le pied d’appel doitêtre proche de la balle, et si l’on souhaite que celle-ci ne s’élève pas, ilconvient de se pencher en avant, en arrière si l’on veut une trajectoireenlevée.

La tête est de plus en plus utilisée du fait de la qualité des bal-lons modernes, et devient un élément prépondérant pour marquer desbuts, surtout suite à des coups de pieds arrêtés. Il convient de bienapprécier la trajectoire du ballon, de sauter au bon moment car ladétente ne fait pas tout. A ce propos, j’ai une anecdote révélatrice : lorsd’une rencontre avec le club de Gif sur Yvette où évoluait comme avant

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centre le recordman de France de saut en hauteur, notre petit Bob,1m70 tout mouillé, le devança systématiquement dans le jeu de tête .Au cours de ce même match, je fis un petit pont à Tracanelli (cham-pion olympique de saut à la perche), donc athlète confirmé et censé êtrerapide, puis récupérai le ballon de l’autre côté sans coup férir, à sagrande honte. Ce qui prouve qu’on ne s’improvise pas aisément foot-balleur. Pour frapper correctement de la tête, il faut surtout utiliser lefront, et essayer de garder les yeux ouverts le plus longtemps possible,pour une précision maximale.

Voilà ! Mais toutes les autres partie du corps sauf les bras et lesmains peuvent et doivent servir. L’amorti peut se faire avec la poitrineou même la cuisse. Le geste consiste à aller à la rencontre du ballondans un premier temps, puis de se retirer au dernier moment.

Il y a aussi l’importance du contrôle (refrain préféré de MichelPlatini) qui permet de se rendre maître indiscutable du ballon pourmieux l’utiliser, et la couverture de balle qui protège son utilisateur dela cupidité de l’adversaire. Enfin, la conduite de balle en pleine coursepermet de conserver la maîtrise de la sphère. Certains joueurs courentaussi vite avec le ballon que sans. Si, en plus il leur colle au pied, ilsdeviennent irrésistibles ! On l’a vu récemment avec Messi, l’argentinévoluant à Barcelone.

En fait, l’impact dans la balle a les mêmes caractéristiques qu’aubillard. Jeu auquel nous nous consacrâmes Antoine, Pierrot et moi,dans le Café des Sports de notre village, sous la houlette de vieux spé-cialistes. Si l’on souhaite effectuer un rétro, il convient de prendre laboule en dessous et de donner un coup sec avec le poignet, geste queles enfants effectuent notamment lorsqu’ils jouent au cerceau. Si, aucontraire, on veut faire rouler la boule au maximum, il faut la prendreen haut et au centre, coup qu’on appelle “bille en tête”. Si on souhaitediriger la boule vers la gauche après impact avec une boule ou la bande,

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il faut la frapper sur le côté gauche et droit si l’on veut aller à droite.Nous avons joué à ce jeu des heures et des heures, rentrant parfois tar-divement à la maison et donnant comme prétexte à nos femmes l’em-prise du travail. Mais celles-ci, à coup sûr, malgré nos dénégations nese trompaient jamais, ce que nous ne comprenions pas, car nous ne sen-tions pas la fumée et que nous nous lavions soigneusement les mainsdu bleu révélateur… Jusqu’au jour où l’une d’elles craqua et nousavoua que nos chaussures étaient marquées d’un petit rond, le caout-chouc de l’embout de la queue que nous posions sur nos pieds entredeux coups. Les fines mouches !

La tactique

A mon humble avis, elle est plus importante que la technique.Que comprend-elle ?

D’abord le positionnement des joueurs sur le terrain.Ensuite, l’analyse des forces et faiblesses de l’adversaire, faite

avant ou pendant la rencontre.Ensuite, le “coaching” mot anglais barbare qui indique le choix

des joueurs pour disputer le match, et les remplacements éventuelsfaits pendant la rencontre sur blessures ou défaillances. L’entraineurpeut aussi décider de renforcer l’une de ses lignes suivant les circons-tances.

Lorsque j’ai débuté, les équipes, en général, positionnaient lesjoueurs suivant le schéma W M, c’est à dire que les pointes de ces let-tres indiquaient la place des dix joueurs de champ.

Ainsi le haut du W représentait la ligne des attaquants, un avantcentre épaulé par ses deux ailiers, et sa base deux intérieurs soutenantles trois pointes.

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Quant au M, il représentait en haut deux demis (appelésaujourd’hui milieux de terrain), et en bas la ligne des trois arrières, undemi centre (maintenant arrière central), flanqué de deux latéraux.

Certains entraineurs prônèrent la défense en ligne dans le but demettre les attaquants adverses hors-jeu, et de positionner ainsi toutel’équipe plus haut, de façon à la rendre plus compacte. La grandeéquipe de Nantes utilisa cette tactique sous la houlette de son chantreJosé Arribas. Mais la pratique de la ligne reposait sur une cohésion par-faite des défenseurs, car au cas où un seul élément trainait un petit peu,l’alignement n’était plus respecté et un attaquant adverse pouvait alorsse positionner dans l’intervalle sans être signalé hors jeu d’autant plusque tout reposait sur le jugement humain du juge de touche.

En 1 958,lors de la coupe du monde disputée en Suède ,l’équipedu Brésil, où figurait le futur “Roi Pelé âgé de 17 ans” , vainqueur dela compétition après avoir éliminé une superbe équipe de France com-prenant les Kopa, Fontaine, Piantoni et autres en demie finale, surpritle monde du football, en instaurant le 4-2-4 , c’est à dire en position-nant ainsi sa formation. Quatre joueurs devant, deux au milieu et qua-tre derrière !

Pour l’anecdote, l’équipe de France joua de malchance puisqueson demi-centre (l’arrière central) Robert Jonquet eut la jambe fractu-rée, et les remplacements n’étaient alors pas permis. L’équipe dût doncjouer à dix, une bonne partie de la demi-finale.

Ensuite le 4-2-4 se transforma en 4-3-3 (seulement 3 avants, 3 aumilieu et 4 derrière), puis en 4-4-2.Deux avants uniquement !

Aujourd’hui, certaines formations alignent un seul avant enpointe, soutenu par 4 ou 5 milieux au choix, deux ou trois joueurs dumilieu de terrain se consacrant à la récupération du ballon, les deuxautres considérés comme meneurs de jeu soutenant l’avant de pointe.

Dans les années 70/80, l’Inter de Milan dont l’entraineur s’appe-lait Herrera, mit au point un système consistant à positionner l’équipe

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entière, pratiquement, très bas sur la pelouse avec un arrière centrallibre de tout marquage (en italien le “libero”) et un seul attaquant detrès grande classe qui se nommait Mazzola. Cette position basse, incitel’adversaire à jouer haut et partant, à libérer des espaces, ce dont profi-tait, en contre attaque, le brillant Mazzola. On appela cette stratégie,peu emballante au niveau du jeu, mais très efficace, le “catenaccio” (enfrançais le cadenas).

Je voudrais insister sur la complémentarité des paires, ce que per-dent souvent de vue les entraineurs. Ils réunissent leurs meilleursjoueurs, qui ne sont pas forcément complémentaires et qui parfois semarchent un peu sur les pieds.

Ainsi, un joueur rapide mais brouillon peut former un bon tan-dem placé à côté d’un autre calme et technique, alors que deux joueurstechniques peuvent manquer d’agressivité.

Un exemple vécu, était constitué dans la grande équipe duBayern Munich, par la paire Schwartzenbeck / Beckenbauer, qui offi-ciait en défense centrale. Le premier allait vaillamment au charbon,tandis que le second ramassait les marrons du feu.

Cependant, au milieu du terrain, deux joueurs évoluant en tantque meneurs de jeu dans le même registre peuvent très bien s’accorders’ils possèdent la classe et s’ils sont soutenus par une paire de milieuxdéfensifs ! Enfin, c’est mon avis ! J’ai une anecdote à vous narrer à cesujet.

Après un match à Bordeaux, opposant les girondins qui gagnè-rent largement contre l’OM, et au cours duquel Johann Micoud écla-boussa la rencontre de son talent, j’eus l’occasion de rencontrer le sélec-tionneur national, Roger Lemerre, qui était descendu dans le mêmehôtel. Je lui dis qu’il était vraiment dommage de se priver d’un teljoueur en équipe de France. Il me répondit qu’il ne pouvait le mettreà la place de Zidane. Mais, en toute modestie, je crois que ma remar-que avait fait son chemin dans son esprit, car peu de temps après, lorsd’une rencontre amicale, il les fit jouer l’un à côté de l’autre avec réussite.

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Ensuite, Micoud fut sélectionné pour la coupe du monde dispu-tée en Corée. Il joua peu et l’équipe de France y fut décevante.

Au niveau du coaching, puisqu’il faut l’appeler ainsi pour se fairecomprendre, des erreurs importantes ont parfois été commises.Notamment deux, ayant eu de lourdes conséquences pour l’équipe deFrance, et qui me sont restées sur le cœur. Je vais vous les narrer.

Lors de la demi finale de la coupe du monde jouée à Séville en1982, et opposant l’Allemagne à la France, deux nations majeures del’époque, avec une superbe formation française comptant dans ses rangsles Platini, Giresse, et Tigana, Patrick Battiston fut agressé par le por-tier allemand, ce dingue de Tony Schumacher sans conséquence pourson équipe avec la complicité d’un arbitre hollandais manifestementplus proche des Teutons que des Gaulois, et dût sortir gravementblessé. Cette brute de Schumacher déclara ensuite avec plein d’arro-gance : “Si je lui ai cassé une dent, je suis prêt à lui payer une cou-ronne”.

Michel Hidalgo, l’entraineur/sélectionneur fit alors entrerChristian Lopez, arrière central de Saint-Etienne, car c’était une desseules possibilités restantes.

Pendant la prolongation, la France mena 3 buts à 1, et tout lemonde pensait que l’affaire était dans la poche ! C’était sans comptersur la hargne des allemands et la lucidité de leur entraineur qui fitentrer un attaquant de classe, le nommé Rummenigge, qui légèrementblessé avait été ménagé. Les Français étaient très fatigués au milieumais surtout en défense, et plutôt que de les aider, Lopez caracolaitdevant sans grande efficacité. Rummenigge réduisit le score, puisl’avant centre Fischer égalisa ce qui … entraina les tirs au but pourdépartager les deux équipes.

On connaît hélas, la triste issue de la séance !Quelques années plus tard, lors d’un colloque sur le management

tenu à Monaco que Michel Hidalgo animait, je lui posai la question du

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placement inapproprié aux avants postes du remplaçant. Etonné, il meprit par l’épaule et répondit :

- “C’est la première fois qu’on me pose cette question, et vousavez raison, c’est à cause de ça que nous avons raté la qualification enfinale. Sur le bord de la touche, nous hurlions à Lopez de venir soute-nir sa défense mais, peut-être déçu de ne pas avoir été choisi au débutde la rencontre comme titulaire ou tout simplement parce qu’il pensaitpouvoir aggraver le score, il n’obéit pas”.

Je m’étonnai alors du manque de réaction de Platini, réputé fintacticien, et il m’avoua que celui-ci était complètement cuit, aveuglé,le nez dans le guidon.

Plus récemment, notre Domenech national, au cours de la finalede la Coupe du Monde qui opposait la France à l’Italie en 2006, man-qua singulièrement de jugeote.

Il se glorifia d’avoir conduit l’équipe de France en finale, mais enfait, il aurait dû l’emporter avec un peu de bon sens ! Malgré l’exclu-sion de Zidane pour son fameux coup de tête sur le provocateurMaterazzi, et la sortie sur blessure de Vieira très bien remplacé parAlou Diarra qui fit un grand match, les français qui jouaient donc àdix, dominaient largement des transalpins épuisés qui gagnaient dutemps et dont le seul objectif était de parvenir à la séance des tirs aubut. J’étais vraiment persuadé que nous allions l’emporter et qu’un peude sang neuf allait être décisif. Or, Domenech effectua bien trop tardi-vement le changement attendu, en faisant entrer Trézeguet et Wiltordqui piaffaient d’impatience sur le banc.

Je considère qu’il fit ce jour là (et ensuite d’autres) une véritablefaute professionnelle. La stratégie, Monsieur, ça ne se commande pas !

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T R O I S I È M E P A R T I E

Chapitre VII

Une rencontre,un amour... La femme de ma vie

Nous devons notre rencontre à un petit moustachu d’origineautrichienne qui, se prenant pour Napoléon, mit l’Europe à feu et àsang, il y a quelques décennies.

Walter, originaire du nord-ouest de l’Allemagne, marié sansenfant, boulanger de métier âgé de 26 ans, et qui ne demandait rien àpersonne, fut mobilisé en 1939 comme la plupart de ses compatriotesavec trois de ses frères. Il en perdit deux dans le conflit, le plus jeunequand l’armée allemande dès le début de la guerre, pénétra enBelgique.

En effet, les envahisseurs ne passèrent pas par la Lorraine avecleurs gros sabots, mais par le nord avec leurs grandes autos et donc àtoute vitesse (ce fut la Blitz Krieg - la guerre éclair), alors que nos

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généraux avait cantonné principalement nos troupes à l’est, sur la ligneMaginot réputée infranchissable, où on attendit en vain l’ennemi. Lesecond de ses frères, l’ainé, tomba trois ans après en Russie.

Walter fut incorporé dans la Whermacht comme chauffeur, et,dans cette fonction parcouru l’Europe en transportant avec son camiondifférentes fournitures dont du carburant pour la Luftwaffe (l’aviation). En Hollande, il se fit un grand ami batave qu’il fréquenta aprèsguerre. En Sicile (les Italiens de Mussolini étaient alliés des allemands,le fameux Axe de fer), il fut cantonné chez des paysans avec qui il sym-pathisa. Nous fîmes connaissance ultérieurement de cette famille, lorsd’un voyage sur cette belle île, mais ceci est une autre histoire.

Walter fut fait prisonnier à plusieurs reprises : une fois enSardaigne par des communistes italiens en désaccord avec le Duce, puisà Berlin par les Américains (coup de chance) qui le libérèrent quelquetemps après, car le pays avait besoin de bras pour être reconstruit. Onlui demanda de présenter ses mains pour preuve de son aptitude auxtravaux manuels, et ses deux battoirs de boulanger convainquirentimmédiatement ses geôliers. Son certificat de dénazification en poche(alors qu’il n’avait jamais été inscrit au parti nazi), il rentra à la maisonoù il fut accueilli à bras ouverts par sa tendre épouse qui lui donna rapi-dement une jolie petite fille. L’heureuse maman déclara souvent que lanaissance de son enfant unique fut le plus beau jour de sa vie.

Mais avant d’en arriver là, mon futur beau-père visita notre beaupays de France et y fut cantonné avec sa compagnie, dans le prieuré deRungis dont je vous ai parlé plus haut. En face de ce prieuré, il y avaitune grande cour où se trouvaient plusieurs maisons rurales bordant larue principale du village, occupées par des familles françaises. Le chefde famille de l’une d’elles était d’origine belge, de Flandre plus préci-sément, et avait engendré trois filles.

Il s’appelait Prosper et fut par la suite l’un de mes professeurs es-billard, jeu dans lequel il excellait. Il avait l’habitude de dire lorsqu’un

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joueur ratait un point de peu “beau gosse, mais pas veinard !”Dans le nord de l’Allemagne existe un dialecte, le “plattdeutsch”,

mélange d’anglais et d’allemand, compréhensible pour un flamand, cequi permit à Walter, naturellement ouvert, de communiquer avecProsper, autant qu’on peut le faire en temps de guerre lorsqu’on occupeun pays étranger. Il tissa donc des liens amicaux avec cette famille, etpromit de la revoir après le conflit “Ach guerre gross malheur”.

Pour l’anecdote, mon brave futur beau-père fut témoin et com-plice d’un massacre sanglant ! Un troupeau de moutons paissait tran-quillement dans les prés entourant le village, et excita la convoitise dejeunes affamés. Par une nuit sans lune, beaucoup de ces innocentescréatures du bon dieu payèrent un lourd tribu à la guerre et à la faminequ’elle provoquait. Nombre de ces animaux périt sous le couteau desvillageois.

Il faut souligner que Walter prit un gros risque en fermant lesyeux sur ce carnage et qu’il avait d’autant plus de mérite qu’il n’aimaitpas la viande de mouton ! La Gestapo enquêta sur la disparition sus-pecte des animaux, mais toutes les traces du forfait avaient été digéréesdepuis longtemps par des Rungissois rassasiés.

Les allemands décampèrent ensuite et Walter fut très mal récom-pensé car, ralenti par la roulante dont il avait la charge, il fut canardépar des résistants de la dernière heure.

Courageusement, de retour au pays, il y fonda pour la troisièmefois une boulangerie. Sa fille unique grandit donc dans cette provincedu nord, la Niedersachsen, et choisit d’apprendre le français au lycée.Son père lui parlait parfois des gens qu’il avait rencontrés en France etelle se dit que ce serait plus efficace de s’y rendre pour se perfectionner.

Elle écrivit donc à cette famille française de Rungis pour luidemander de bien vouloir l’accueillir deux ou trois semaines et obtintune réponse positive.

Elle arriva par le train à la Gare du Nord tandis que des membres

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de la famille partis pour l’accueillir faisaient chou blanc à la Gare del’Est, reproduisant l’erreur de nos généraux en 1940 qui attendirent envain l’invasion germanique sur la frontière Est.

Emi, on l’appellera ainsi par anticipation, décontenancée, eut latentation de prendre le train de retour pour son “Vater Land” ( sa patrie), mais du haut de ses quinze ans, rassemblant son courage et sesconnaissance de notre langue (le cordonnier répare les chaussures) se ditqu’il était vraiment stupide d’avoir fait tout ça pour rien, et expliquatant bien que mal son problème au service de renseignements de lagare. On lui commanda un taxi qui la conduisit à toute allure (à sagrande frayeur) à l’adresse indiquée. La quasi-totalité de son argent depoche disparut pour payer la course.

Quelques jours plus tard, je fis sa connaissance. Elle était accom-pagnée de Micheline la cadette des filles de ses hôtes, et venait chezmoi sous le motif fallacieux de chercher du persil. Je trouvai la demoi-selle charmante.

Quelque temps après, moi qui ne sortais jamais, victime consen-tante d’un complot familial, j’échus sur une piste de danse dans sesbras.

Toute la soirée, je lui écrasai consciencieusement les pieds, et jepeux vous dire que cela crée des liens étroits !

Mon frère qui avait épousé la fille ainée de cette famille avaitramené de son service militaire passé outre Rhin, trois jeunes bergersallemands (décidément). Un des chiens avait été donné à sa bellefamille et une chienne, ma gentille Tany, à la nôtre. Nous prîmes l’ha-bitude, avec Emi, de promener nos animaux ensemble et ainsi de faireplus ample connaissance. Je devins son professeur de français particu-lier. L’élève était douée et fit des progrès fulgurants. Il faut reconnaîtretoutefois que le professeur était excellent. Avant qu’elle ne reparte chezelle, nous décidâmes d’entretenir une correspondance suivie.

L’année suivante elle revint comme convenu, et je l’attendis avec

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Michel, mari d’Odette la deuxième fille de Prosper, qui possédait unemagnifique traction avant, à la Gare du Nord (pas d’erreur cette fois).

Elle était devenue une vraie femme, superbe, et je fus ébloui défi-nitivement. Je pris sa main que je tiens encore plus de quarante ansaprès.

Nous eûmes deux enfants à deux ans de différence, deux garçons,qui, bon sang ne saurait mentir, devinrent également footballeurs. Plustard, à l’âge adulte, ils jouèrent même ensemble avec bonheur dansl’équipe première de Brie Comte Robert qui évoluait en première divi-sion de district. L’aîné dans les buts, le cadet comme milieu défensif.

Si je me suis livré à cette longue digression intime, c’est pourvous expliquer que l’accomplissement de ma passion égoïste du foot-ball, n’a pu se réaliser que grâce au sacrifice de mon épouse, qui me sui-vit pendant de longues années sur les stades des alentours avec nosenfants, qu’il pleuve ou qu’il vente.

Je lui adresse donc aujourd’hui un grand coup de chapeau, jedirais même un “hat trick” (en anglais, le coup du chapeau, expressionemployée quand un seul joueur marque trois buts consécutivementdans un même match).

C’est un peu tard, c’est vrai “quarante ans de retard, je sais, maisj’ai trouvé mes allumettes dans une rue du Massachussetts !”, commedit la chanson.

Aujourd’hui, je me donne bonne conscience en me disant que lesgamins, au lieu de s’ennuyer ou de traîner n’importe où, se dépensaientsans compter sur les terrains annexes sous la surveillance de leursmaman dévouées, profitaient du grand air et rentraient à la maisoncrottés mais fatigués sainement.

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Q U A T R I È M E P A R T I E

Chapitre VIIl

Ma carrière - Mes différents clubs

Dans mon club de cœur, l’U.S. Rungis, il n’y avait pas d’équipede catégorie junior. De cadet, je suis donc passé directement, comptetenu de mes qualités, à l’équipe première des seniors, à l’âge de 17 ans.

Dès le premier match de championnat disputé sur un des terrainsde la Croix de Berny, contre l’équipe de l’AC Auto (Citroën), j’inscri-vis un but extraordinaire ! Sur le dégagement du gardien adverse, petitgabarit bondissant, la balle retomba devant moi sur le rond central…Dans ma mémoire, le temps s’arrête à cet instant ! J’entends encoremon capitaine, le valeureux Mimile me crier “tape !”. Et, illico prestoje frappe fort dans le ballon qui lobe le portier imprudent à plus de 40m. Il court désespérément en vain après la sphère qui roule devant laligne avant de pénétrer dans son but.

Cet exploit me permit de suite d’être admis dans cette équipe de

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vieux briscards, moi, le petit jeunot. Cette saison là, en position d’in-térieur droit (on dirait maintenant numéro 8), j’inscrivis 23 buts.

J’ai loupé le coche à ce moment là ! Au crédit Lyonnais où je tra-vaillais, j’avais fait un ami nommé Jacky Pauly qui, venant du Stade deVanves, jouait en équipe première des juniors du Stade Français. Ilavait été “pistonné” par un professionnel de ce club, appelé Girard. AuParc des Princes, en lever de rideau dans un stade comble, j’ai assisté àla finale de la coupe Gambardella (Coupe de France des juniors), àlaquelle participait le Stade Français et donc, mon ami Jacky. J’auraisdonné beaucoup pour être à ses côtés ! Jacky me présenta à son entrai-neur qui assista à l’une de mes prestations, convaincante selon lui, etqui était d’accord pour m’intégrer à son équipe. Mais, il y avait deuxentrainements par semaine au bout du monde. Mes parents ne possé-daient pas de voiture, je poursuivais des études absorbantes, et j’ai dûdécliner avec regret. J’appris ensuite que mon gentil Jacky avait subien jouant une grave fracture de la jambe et qu’il était retourné àToulouse d’où il venait. Il s’était reconverti au rugby, le traître, parait-il.

J’ai évoqué le Stade Français qui, sponsorisé par son président,également président de l’entreprise Pernod/Suze, fan inconditionnel defootball, avait monté une équipe séduisante censée damner le pion auRacing club de Paris. Elle comprenait les Carnus (gardien superbe del’Equipe de France), Charly Loubet (professionnel à quinze ans), Stako(un défenseur solide), Alba (le technicien hors pair recruté à Nice) etdeux suisses placés en attaque Pottier et Eschmann. J’allais souventvoir jouer cette équipe qui jouait en alternance au Parc des Princes avecle Racing Club de Paris. Elle disparut, hélas, de la circulation, car sonprésident avait tapé abondamment dans la caisse de son entreprise poursatisfaire sa passion.

Je reviens égoïstement à un cas qui m’intéresse au plus hautpoint, le mien ! Je n’étais pas très rapide, mais résistant, doté d’une

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bonne technique, d’un bon jeu de tête, (on m’appela ensuite “la Tour”)d’une excellent frappe du pied droit, du sens du placement et d’unebonne vision du jeu. Mon style, m’a-t-on dit, ressemblait, en toutemodestie, à celui d’Yvon Douis, qui fit partie de la grande équipe deFrance de 1958, lors de la coupe du monde en Suède. Je ne me souvienspas de tous les buts marqués lors de ma première saison en équipefanion, mais seulement de quelques uns.

Parmi les plus marquants (si j’ose dire !) : contre Noiseau, je suisplacé sur la ligne des 16 mètres, légèrement du côté droit, et l’onm’adresse une passe depuis l’aile droite. Devant moi, se trouve l’arrièrecentral adverse, le ballon saute sur le terrain bosselé, je le fais passer audessus de la tête de mon opposant (le coup du “sombrero”) et le reprendde volée du pied gauche. Il passe entre les bras levés du gardien (toutde noir vêtu), surpris par la soudaineté du tir, frappe la barre transver-sale, rebondit sur sa nuque et pénètre dans les buts.

Contre Draveil, nous sommes copieusement dominés, maistenons un score vierge. Peu de temps avant la fin de la rencontre, jereçois du milieu gauche, le subtil petit Ahmed (retourné ensuite dansson pays l’Algérie, sans tambour ni trompette, pour y défendre sesconvictions), une passe transversale en profondeur. Je pars à la limitedu hors jeu, poursuivi par un grand échalas, l’arrière central adverse,arrive devant le gardien de buts sorti à ma rencontre, et juste avantd’être rejoint, lui glisse d’une pichenette sur son côté droit le ballonqui roule doucement, puis frappe le poteau avant d’entrer. Le “holdup”parfait !

Contre Longjumeau, sur un terrain court et étroit, si bien que lestiges métalliques tenant les filets de la cage étaient placées tout prèsdes poteaux, je reprends la balle d’un tir croisé puissant à raz de terrequi pénètre dans les buts. L’arbitre se retourne et désigne le centre duterrain, mais le ballon frappe à l’intérieur de la cage la barre de soutienmétallique avec un bruit caractéristique (gamelle), et ressort à grandevitesse. Les défenseurs adverses et le gardien (avec une mauvaise foi ini-

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que) protestent et prétendent que la balle a heurté le poteau.L’arbitre, dans l’incertitude, annule donc sa décision première, à

ma grande consternation. A la fin de la partie, en rentrant aux vestiai-res, le gardien me glisse à l’oreille “on t’a bien eu !”. Vive l’esprit spor-tif….

A la rentrée de septembre, nous jouons en coupe de Paris àChâtillon sous Bagneux qui opère deux divisions au-dessus de la nôtre.Dans ma mémoire, c’est un festival de couleurs ! La pelouse, refaite àneuf, est d’un vert éclatant. Nos adversaires ont une tenue orange, lanôtre est bleue et or ! Le ballon tout neuf est d’un blanc immaculé, letemps est magnifique. Le ciel est bleu, le soleil brille. Irrésistibles,emmenés par un Guy éblouissant, nous leur passons cinq buts, enencaissons seulement deux et nous qualifions donc pour le tour suivant.Quel bonheur….

Guy avait une grande spécialité, le jeu de tête. Il sautait haut,mais lorsque son opposant redescendait, il donnait un coup de rein quilui permettait de rester plus longtemps en l’air, ce qui lui donnait sou-vent un avantage décisif.

Et puis, après deux saisons en équipe première, aux côtés dejoueurs beaucoup plus âgés que moi, j’ai enfin été rejoint par mes com-pagnons d’enfance, les Pierrot, Nanec, Guitou et autres…Nous avonsalors constitué une belle équipe, jouant un très bon football, avonsobtenu des résultats et, je le pense, pris beaucoup de plaisir. Les fem-mes des joueurs qui étaient mariés s’entendaient très bien et contri-buaient à créer une bonne ambiance. Ils nous arrivaient parfois d’orga-niser des dîners dans le bâtiment jouxtant les vestiaires.

Dès la première saison, nous sommes montés dans la catégoriesupérieure et avons même été couronnés champions de Paris. A l’épo-que, en effet, les premiers de chaque groupe de la même division serencontraient pour sacrer le champion. Je n’ai pas disputé la finale, carj’accomplissais mes obligations militaires, mais on m’a raconté l’ex-

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ploit. L’incontournable Nanec, sur le terrain transformé en cloaque deChaville, profitant d’une flaque d’eau opportune, ajouta un but à saliste et consacra ainsi notre équipe.

Pendant ce temps, affecté dans l’artillerie, je faisais mon devoirde citoyen et crapahutais par monts et par vaux. Mon régiment, le 68ème Rald était caserné à Trèves, (en allemand Trier) jolie ville prochedu Luxembourg, où plusieurs milliers de bidasses américains et fran-çais étaient cantonnés. Bien entendu, nous avions une équipe de foot-ball qui disputait le championnat militaire des FFA (forces françaisesen Allemagne)) et qui tenait la route. En défense centrale un nomméKukma qui était titulaire à Giraumont (CFA ex 3ème division), ungardien venant de Sedan, un ailier gauche, mon ami Léon, Ch’timi deValenciennes, et Tater brillant milieu de terrain titulaire en juniors àReims. Mais à Trèves, le régiment de blindé (CIDB) était imbattable.Son colonel, un fondu de football recrutait dans les clubs profession-nels, des joueurs d’avenir qui n’avaient pas été retenus par le centre deformation de Fontainebleau. L’équipe du CIDB que nous rencontrâmescomptait notamment dans ses rangs un avant centre talentueux,Guicci, un ailier gauche venu de Valenciennes, Goutorbe, et un latéralgauche Bègue issu de Lens. Nous livrâmes une belle performance maisperdîmes cependant cinq buts à deux.

Sur la touche, un ami d’enfance, affecté dans ce régiment de blin-dés, Jacques Coppier, me prodiguait ses encouragements. Arrière cen-tral à Fontainebleau (CFA), il n’avait pourtant pas été retenu ce jour-làdans l’équipe de son régiment !

Au cours d’un entrainement ayant lieu sur un terrain extérieur àla caserne, nous eûmes un jour, la visite d’un bidasse ne payant pas demine qui nous demanda s’il pouvait se joindre à nous. Nous organisâ-mes un petit match et il évolua en milieu de terrain comme récupéra-teur. Il était toujours en action, infatigable, et avait tous les contrespour lui.

Nous l’aurions bien embauché, mais c’était impossible car il

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n’appartenait pas à notre régiment. Il s’appelait Daniel Bourgeois etavant d’être appelé sous les drapeaux, jouait en réserve professionnelleà Strasbourg. Je l’ai suivi ensuite en lisant la presse sportive, et il aeffectué une carrière remarquable, jouant plus de trois cents matchesdans l’équipe pro du Racing Club de Strasbourg, et il fut même sélec-tionné à plusieurs reprises en équipe de France B. Cette anecdote méri-tait d’être contée !

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Chapitre lX

Retour de l’armée

Libéré, je revins à mes amours rungissois !Nous avions toujours une belle formation et, bien que renforcés

par Marcel, un arrière central d’expérience, (naïf, je croyais qu’il étaitvenu chez nous pour nos beaux yeux, mais j’appris plus tard qu’il per-cevait quelques sous), nous étions encore bien tendres, car nous avionsaccueilli dans nos rangs deux juniors : Bob, un excellent gaucher etJean-Pierre, le fameux “gasoil” !

Nous jouions un bon football, mais les différentes équipes adver-ses étaient plus rudes et plus expérimentées. Ma chair se souvientencore d’un match mémorable disputé sur le terrain d’un des préten-dants à la montée, à Athis Mons, où nous avions gagné brillamment.Au coup de sifflet final, un adversaire particulièrement excité vint versmoi et me porta un coup de tête sur l’arcade sourcilière qui éclata et

me couvrit de sang, pour un motif futile.

A cette époque, déjà, la violence existait ! C’est beau le sport,n’est-ce pas ?

Nos performances étaient toutefois irrégulières, et à la fin decette saison là, nous devions absolument gagner à l’extérieur, plus pré-cisément à La Ferté Alais, pour nous maintenir.

Le terrain était petit, sec et bosselé. A quelques minutes de la finde la partie, nous étions encore à égalité, lorsque je dribblai leur gar-dien sur le côté droit de la surface de réparation et adressai une passe àBob, seul devant le but vide. Nonchalamment, il poussa le ballon duplat de son pied gauche, et nous attendions tous qu’il franchisse laligne….C’était sans compter sur un grand escogriffe chaussé de basketsà cause du terrain sec, qui surgit soudain à toute allure et tapa déses-pérément en dessous de la balle qui rebondissait alors, pour la propul-ser sous la barre transversale. Le ballon revint en jeu, nous fîmes matchnul, et descendîmes en division inférieure. Quelle guigne….

Cette rétrogradation provoqua le départ de certains joueurs etl’arrêt d’activité de certains autres. Je restai fidèle à mon club une oudeux saisons encore, puis sollicité par le nouvel entraineur de ChevillyLarue, localité voisine qui avait un projet sportif intéressant et ambi-tieux (nouveau stade en construction), je décidai de tenter l’aventure.

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Chapitre X

La trahison

L’équipe de football de Chevilly stagnait dans les divisions infé-rieures. Le nouvel entraineur Claude Camensuli venu d’Antony quiopérait en division d’honneur battit le rappel de ses anciens coéquipierslibres de signer dans un autre club. Il faut savoir, en effet, que lesmutations d’un club à l’autre sont réglementées dans le monde ama-teur. Ainsi, un joueur ayant opéré l’année précédente dans un autreclub, peut changer de club, mais alors il a une licence estampillée“mutation”. Chaque formation alignée dans un match donné, ne peut(remplaçants y compris) compter plus de deux licences dites “muta-tion”. Il en est de même pour les joueurs de nationalité étrangère. Dansl’équipe en constitution, nous réunissions quatre étrangers, et plus dedeux mutations (dont la mienne). Mais ce conglomérat constitué devieux briscards et de jeunes joueurs était fort riche !

Dès la première saison, nous accédâmes à la division supérieuresans perdre un seul match.

Notre entraineur avait été professionnel et joué à Grenoble (divi-sion II) où il avait été victime d’une double fracture tibia péroné quis’était mal ressoudée. Il boitait légèrement en marchant, mais couraitnormalement, et depuis son aile gauche débordait souvent ses adversai-res grâce à un passement de sa jambe gauche plus courte que l’autre quiles mystifiait.

Nous montâmes également les deux saisons suivantes.Cependant, j’ai assez peu joué en équipe première, en raison de masituation de muté, et parce qu’au tout début, j’ai eu le nez cassé suiteà un coup de tête involontaire lors d’un match de coupe et ai dû atten-dre d’être rétabli.

Comme l’équipe gagnait, suivant l’adage “On ne change pas uneéquipe qui gagne”, j’ai dû souvent faire banquette. Je n’ai pas regrettémon choix, car j’ai croisé et joué avec d’excellents joueurs et, souvenirimpérissable, avec Raymond Kopa mon idole de jeunesse, en personne.

Il était venu lors d’un entrainement, pour nous vendre des équi-pements, dans le cadre de sa fonction de représentant pour Adidas.Après l’entrainement, nous sommes tous allés boire un pot, et j’ai puconverser avec mon héros, lui ai rappelé le match de Reims contreAustria de Vienne au Parc des Princes pour la coupe d’Europe auquelj’assistai, et au cours duquel il avait inscrit trois buts !

L’année suivante, bien que revenu au sein de l’ U.S. Rungis, je fussélectionné dans l’équipe régionale et invité par Claude Camensuli àdisputer une rencontre en nocturne contre Chevilly Larue renforcé parRaymond Kopa, à l’occasion de l’inauguration du nouveau stade enfinterminé. Moment magique où le “petit Napoléon”, c’est comme ça queles anglais appelaient Kopa, fit la démonstration de son talent malgréses quarante ans passés.

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Avec l’élan de Chevilly, j’ai d’autres bons souvenirs ! En Coupede Paris, j’ai inscrit trois penalties lors d’un match contre L’Hay lesRoses, derby animé et heurté ; deux dans le temps réglementaire et unen prolongation. Tous tirés de la même façon en décroisé à mi-hauteursur la gauche du gardien.

Contre les Arméniens d’Alfortville, nous étions menés deux butsà zéro, lorsque l’arbitre sous les huées du public siffla un penalty ennotre faveur parfaitement justifié. Notre petit avant centre vietnamienVan Tran, vif argent pétri d’expérience, fut chargé d’exécuter la sen-tence. Il dût s’y reprendre à trois fois sur les injonctions de l’arbitre quiregrettait son courage. Il transforma ses trois coups de pied par unepichenette croisée identique dans le petit filet avec un sang froid éton-nant. Cet exploit nous stimula et nous avons remporté la rencontre.

A l’issue de la seconde saison, nous avons été sacrés Championsde Paris après avoir remporté la finale contre le CA 14 (club du 14 èmearrondissement) sur le terrain du Plessis Robinson. Ce jour là,Moumousse, notre petit “beur” sympathique et souriant, fit un festivalet inscrivit deux buts.

A ma grande surprise, sans rien demander à personne, je reçusdans ce club argenté, un beau jour, une prime de cent francs. Ce quim’amène à soulever le problème de l’argent dans le football “dit ama-teur”. Il parait qu’aujourd’hui, certains clubs de division d’honneur(5ème degré dans l’échelon inférieur), rémunèrent leurs meilleursjoueurs à hauteur de 1 500 euros par mois, sans fiche de paye évidem-ment. Comment font leurs dirigeants ?

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Chapitre Xl

Le Retour

Dans le paragraphe précédent, j’ai évoqué mon retour à Rungis,pressé par Mr Niquet et mon ami Antoine. L’équipe était tombée bienbas, beaucoup de joueurs étaient partis et il me fallu rebâtir une forma-tion tenant la route !

Cependant, deux joueurs au moins me paraissaient avoir leniveau souhaité. Michel Fraissinet, stoppeur intransigeant, que jeconnaissais bien pour avoir déjà joué longtemps avec lui, et un petitarrière latéral gauche farouche, de nationalité portugaise, AfonsoPinto. Michel amena au club un copain prénommé Bernard, très dyna-mique, que je positionnai en arrière latéral droit. Jean, le frère deNanec, jouait autrefois en réserve en qualité de gardien de but, et je luifis confiance. La suite me prouva que j’avais bien fait. Quant à moi, je

pris le poste d’arrière central libre (libero), et ainsi me semblait-il,j’avais constitué une solide défense.

Devant, je fis avec les moyens du bord ! Je composai ma ligned’attaque avec un jeune très rapide prénommé Théo qui confirma sesbonnes dispositions, Yousse marocain attachant à l’aile droite, Jean-Pierre Clavière, garçon fantasque et son frère Michel. Restait à fournirle milieu de terrain, et j’eus beaucoup de chance ! A Chevilly Larue,j’avais connu un algérien Mohammed El Moussaoui, grand et maigre,d’une modestie et d’une correction exemplaire qui débutait. Il avaitune technique rudimentaire mais était doté d’un cœur énorme et d’unedétente aérienne exceptionnelle. En une année, il avait fait des progrèsstupéfiants, et j’avais été très ému devant la joie qu’il manifesta le jouroù on lui avait remis, en début de saison, une paire de chaussures tou-tes neuves.

Or, pendant un léger entrainement que je dirigeais, en fait unerevue d’effectifs, j’entendis qu’on m’appelait par mon prénom depuisla main courante. Surprise, c’était mon Mohammed qui me demandatimidement s’il pouvait signer une licence à Rungis, car il ne se sen-tait plus très bien à Chevilly et m’appréciait. Je sautai bien évidem-ment sur l’occasion et je recrutai ainsi un excellent milieu de terrain,qui, en outre me présenta un de ses cousins bon footballeur lui aussi.

Ma mémoire est encore chargée d’un but extraordinaire inscritpar Mohammed. Sur un centre puissant venu de la gauche, d’un bondfantastique, il reprit la balle d’un coup de boule magistral pour la pro-pulser dans les filets adverses. Action superbe !

Dès la première saison, nous montâmes d’une division malgré lesnombreux traquenards tendus par les clubs de l’Essonne. En effet, laligue avait organisé les différents championnats en tenant compte desnouveaux départements. Mais nous, bien que Val de Marnais, nousfûmes rattachés à l’Essonne pour faire le nombre, du fait que nousétions les plus proches de ce département.

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Je me souviens notamment d’un match particulièrement tendudisputé à Bruyère le Châtel, gagné par notre équipe grâce à un penaltyparfaitement justifié, mais qui déclencha une sorte de folie dans lesrangs des spectateurs locaux, des bouseux chauvins. Certains, rentrantde la chasse, avaient même le fusil en bandoulière. Le président de ceclub de l’Essonne péta les plombs, et asséna un coup de drapeau de tou-che sur la tête de notre juge de ligne, ce qui lui valut une suspension àvie.

La saison suivante, le succès appelant le succès, Nanec et Bobrevinrent au bercail, constituèrent avec moi un triumvirat d’entrai-neurs et notre équipe de vieux briscards poursuivit victorieusement saroute, d’autant plus qu’un renfort inopiné en la personne de Simon,relation d’Antoine, nous rejoignit. Celui-là, alors, impossible de luipiquer le ballon quand il le tenait. Il le conservait et en était agaçant,mais obtint un nombre important de coups francs qui nous arrangèrentbien.

A l’issue d’une rencontre disputée à domicile contre RisOrangis, postulant lui aussi à la montée, nous gagnâmes et accédâmesencore à la division supérieure. Le capitaine adverse pleurait à chaudeslarmes à la fin du match, car il avait 37 ans et il arrêtait sa carrière surun échec. Mon bonheur en était affecté ! En arrivant au Café des Sports,je fus porté en triomphe par nos fidèles supporters portugais. Afonso,en effet, avait une galerie importante de compatriotes enthousiastesqui nous suivaient par tous les temps, à domicile comme à l’extérieur.

Cependant, le match le plus marquant fut celui disputé sur notreterrain en coupe de France contre l’Amicale de Maisons Alfort qui évo-luait en 3ème division. Leur entraineur était Mr Mercier, qui entrainaitaussi l’équipe de France des Juniors. Nous réalisâmes une performanceremarquable, malgré l’absence de Simon qui arriva en retard, car il fai-sait les marchés et avait été retenu. Nous perdîmes avec honneur cinqbuts à deux, en ayant tenu la dragée haute à l’Amicale jusqu’à vingt

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minutes de la fin. Puis, un élément expérimenté de leur formation, unnommé Bézenet, nous planta trois buts en contre, car nous nous étionsdécouverts pour tenter de marquer. Mr Mercier craignait ce match,pensant que nous jouerions rudement, vu notre niveau inférieur, et ilnous rendit hommage.

La saison suivante, Mohammed nous quitta, sans explications, cequi ne correspondait pas à son comportement habituel. Je pense qu’ilavait dû partir loin sur un autre chantier, ou rentrer dans son pays.Dommage !

A Arpajon, sur un terrain gelé, donc dangereux, nous n’avionspas de goal de métier, et Michel Clavière se porta volontaire. Avant larencontre, pendant l’échauffement, car il faisait un froid de canard, ilse luxa malencontreusement un doigt. Chaoul notre petit dirigeantpied noir dévoué, se précipita pour le manipuler et lui démit un seconddoigt, provoquant les hurlements du blessé. En tribune, un poivrotmourut de congestion. Bref, ce fut une journée mémorable….

En Coupe de Paris, à domicile, nous jouâmes contre MorangisChilly qui opérait alors dans la même division que nous, mais qui avaitdes ambitions et qui avait monté une forte équipe emmenée par leurtalentueux entraineur joueur Marc Berthon. Dans ses rangs évoluaitnotamment un jeune milieu de terrain nommé Pilorget qui fit ensuiteles beaux jours du Paris Saint Germain. Sans être ridicules, nous fûmestoutefois éliminés.

En matière d’installations, nous étions vraiment dépourvus, sur-tout l’hiver où il n’était pas aisé de s’entrainer. J’avais un collègue assu-reur, Alain Vicaire, qui me parla un jour de son beau frère ingénieurélectricien, spécialisé dans l’éclairage public. De fil en aiguille, j’obtinsun rendez-vous avec cet homme de l’art, qui étudia pour notre stade lapossibilité d’un éclairage pour nocturnes, au moindre coût. Je soumisl’estimation à notre maire qui l’entérina. Il y eut six poteaux en bois

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disposés autour du terrain avec un éclairage suffisant pour effectuer nosentrainements et même des matches. Progrès considérable qui changeanotre vie ! Merci encore à cet ingénieur qui travailla bénévolement età notre maire qui fit réaliser ce projet !

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Chapitre XIl

Le commencement de la fin

La troisième année, nos dirigeants firent appel à un entraineurjoueur, Yves Pinon que je connaissais car il avait débuté, lui aussi, à laSaint Jean de Cachan. Il avait joué en réserve professionnelle au Racingclub de Paris et me raconta une anecdote. Lors d’un entrainement,Joseph Ujlaki, surnommé Monsieur Joseph, d’origine hongroise, lemaître à jouer de l’équipe première, barré en sélection par Kopa, luitendit des chaussures neuves et lui dit : “dis, petit, tu peux me les cas-ser ?” . C'est-à- dire, que Yves devait les porter pour les assouplir.

Le jeudi, souvent, je me rendais au Parc des Princes pour voirjouer le Racing (bien que préférant le stade de Reims), et je fus témoind’une scène assez drôle. Ce jour là, le Racing rencontrait Nice, et l’unde ses joueurs, Alba, commit le sacrilège de faire un petit pont (action

qui consiste à passer le ballon entre les jambes de son adversaire) àMonsieur Joseph. Celui-ci, vexé comme un pou, essaya toute la partiede lui rendre la pareille. Finalement, Alba, technicien hors pair,accepta de se laisser faire.

Yves ne réussit pas à devenir titulaire au Racing, mais partit àSaint Germain en Laye où il devint meilleur buteur de CFA (3èmedivision).

Les frères Sotocca, Toc-Toc et Jean- Marc, excellents footballeurs,vinrent également nous renforcer lors de cette troisième année, et à l’is-sue d’un match mémorable disputé sur le terrain de Dourdan, au coursduquel Afonso Pinto, la tête enrubannée suite à un choc violent avecun adversaire, fit l’admiration de sa galerie de supporters portugais,nous gravîmes encore un échelon. Jean-Marc, garçon bohème maisavant centre adroit des deux pieds, possédait un tir lourd et surpuissantdu pied droit. Quand il tirait des coups francs, le mur adverse avaittendance à se fissurer. Lors d’un match, le gardien qui avait eu l’impru-dence de s’opposer au projectile déclenché par Jean-Marc, en eut lesmains retournées !

Nos succès attirèrent de nombreux joueurs de clubs voisins, allé-chés par notre nouveau statut, qui signèrent une licence chez nous.Mais, comme je l’ai précisé auparavant, deux mutés seulement pou-vaient jouer en équipe première. Bien évidemment, ceux qui étaientsur le banc ou devaient jouer en réserve, n’admettaient pas toujours lechoix de l’entraineur, ce qui, peu à peu, créa des clans et détériora l’am-biance.

L’âge commençait à me peser, mais je réussis encore quelquesbons coups !

Je me souviens, notamment d’avoir marqué trois buts de la têteau cours d’une rencontre disputée contre les cheminots de Villeneuvele Roi. Cependant, je n’étais plus un titulaire indiscutable….

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A 35 ans, l’âge requis, je dus me rendre à l’évidence et rejoignisnotre équipe de vétérans, qui animée par Gilbert et Michel Nicolle,attendait mon renfort avec impatience.

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Chapitre XIIl

Le supplément du Lundi

Mais avant d’évoquer mon passage chez les vétérans qui duraquand même une dizaine années, je vais revenir sur mon activité paral-lèle corporative, qui ne plaisait pas beaucoup à mon épouse. Il faut lacomprendre ! En effet, je jouais le dimanche après-midi avec l’USRungis, et le lundi avec l’équipe de mon employeur, La Semeuse deParis, établissement financier qui comptait plus de cent commerciaux,dont l’âge tournait autour de la trentaine. Notre travail consistait àvisiter des clients à leurs domiciles pour leur proposer des crédits sousforme de bons et des assurances, sur toute l’Ile de France. Bienentendu, monter des étages était notre lot quotidien, et entretenaitnotre condition physique.

Nous avons formé facilement une équipe (le choix était grand), etavons commencé dans la division la plus modeste. Notre formation

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était constituée de joueurs jouant le dimanche en compétition, l’un en3ème division à Juvisy, un autre en promotion d’honneur à Dammarieles Lys, et trois autres en première division. Ceux qui restaient savaient,eux aussi, manier le ballon rond, mais avaient abandonné le sport pourdes raisons diverses.

Nous sommes montés durant trois années sans coup férir, car leniveau de nos adversaires était assez modeste. Nous jouions la plupartdu temps, sur les terrains de Pershing (près du bois de Vincennes), etparfois à Choisy le Roi sur l’espace départemental. A cet endroit, laquatrième année, nous sommes tombés sur un os ! L’équipe de la police(unité de CRS basée à Bourg la Reine), qui comptait dans ses rangsdeux joueurs évoluant en équipe nationale de la police. Nous n’étionspas habitués à pareille opposition… Ça nous a fait tout drôle ! On ena pris sept, ce jour là, mais nous avons sauvé l’honneur.

Cependant, l’exigence de notre tache professionnelle, le vieillis-sement des participants, ont fait que nous avions de plus en plus demal à réunir onze joueurs. Nous avons disputé notre dernière rencon-tre à Saint-Denis, avant de raccrocher. Je m’en souviens très bien. Nousn’étions que huit (nombre minimum permis), et nos adversaires,grands seigneurs, nous proposèrent de nous prêter des joueurs et dedisputer une rencontre amicale pour du beurre ! Nous déclinâmes etgagnâmes un but à zéro, après avoir ouvert le score en début de partiegrâce à notre seul avant, puis résisté jusqu’au bout, à la grande hontede nos opposants.

Je me souviens aussi d’un match amical disputé à Pershing, dansune équipe incomplète qui m’avait demandé de jouer dans ses rangs,car notre adversaire du jour avait déclaré forfait. A mes côtés, évoluaitCarlos Monin, professionnel au Red Star qui faisait quelques piges lelundi. Le bougre était rugueux, et à la fin de la rencontre, avec unaccent sud-américain prononcé, il me demanda de signer chez eux, cequi m’était impossible. J’étais quand même flatté !

J’étais donc devenu chômeur du Lundi, mais un copain, tavernier

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de son état, qui jouait dans l’équipe de la coiffure évoluant en divisiond’honneur, me demanda de venir le rejoindre (deux éléments hors cor-poration étaient autorisés). Dans la formation, figuraient trois joueursde l’Equipe de France corporative du lundi : François Merveille, unmilieu de terrain à la chevelure rousse et les frères Latapie. Nous pra-tiquions un très bon football et avions pour terrain celui de la porte deMontreuil. Je n’ai joué dans cette équipe qu’une saison, car mon cama-rade recruteur avait décidé d’arrêter. J’eus toutefois le temps d’inscrire,sur une reprise de volée à 25 mètres de la cage adverse, un but d’antho-logie, analogue à celui du stéphanois Jean Michel Larqué, en finale dela Coupe de France contre Lens… Hélas, pour une raison obscure, l’ar-bitre ne l’accorda pas. C’est vraiment frustrant !

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C I N Q U I È M E P A R T I E

Chapitre XIV

Les tournois de sixte

Ces joutes ont lieu après les épreuves officielles, coupes et cham-pionnats, à partir du mois de mai.

Les rencontres se disputent sur des moitiés de terrain (sens de lalongueur), avec des buts normaux, et une ligne tracée à cinq mètres deceux-ci, sur toute la largeur. La règle du hors jeu n’est pas appliquée !Ce qui modifie la stratégie, car un avant peut rester près du gardien debuts adverse pour le gêner.

La durée normale des matches est de six minutes, en deux mi-temps de trois minutes. Les formations sont constituées de six joueurs,sans l’obligation d’être licenciés, dont un gardien, qui peut utiliser lamain sur toute la largeur, dans la surface tracée à cet effet.

Chaque formation (le groupe peut être composé d’un nombresupérieur à six membres qui tournent éventuellement match après

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match), inscrit autant d’équipes qu’elle le souhaite, ce qui lui donneautant de rencontres à jouer au premier tour, donc autant de chancesde se qualifier pour le tour suivant. L’inscription est payante, car deslots sont mis en jeu, et l’organisateur n’a pas vocation de sponsor.L’épreuve commence généralement à neuf heures du matin, et se ter-mine parfois à la nuit, en fonction de l’importance de la participation.Nous avons disputé certains tournois qui comptaient trois cents équi-pes inscrites ! Dans ce cas, les organisateurs instituent la règle de l’éli-mination au premier but marqué (et parfois même du premier cornerconcédé), lors des premiers tours pour activer l’organisation. En casd’égalité après six minutes de jeu, les équipes se départagent aux tirsau but. Le premier penalty raté vaut élimination. Bien entendu, plu-sieurs terrains sont utilisés (souvent quatre) et les matches se déroulentsimultanément.

Dans ces manifestations, il y avait une ambiance festive formida-ble ! Du mouvement, des couleurs chatoyantes, de l’animation…

Les annonces des rencontres se faisaient au micro depuis la tri-bune réservée aux organisateurs qui diffusaient aussi de la musique.Bien sûr, il y avait tout à côté, un bar qui servait boissons et nourritureaux participants et aux spectateurs. Les joueurs étaient souvent accom-pagnés de leurs familles et se groupaient à l’écart des autres compéti-teurs. Ils montaient même parfois des tentes pour y placer leurs affai-res et s’y reposer entre les rencontres.

Les formations inscrites étaient constituées bien souvent decopains qui ne jouaient pas forcément dans des clubs, ce qui au premierabord était éminemment sympathique, mais qui se révélait parfoisdangereux. En effet, certains étaient plutôt maladroits, et la fatigueaidant, se comportaient brutalement dans un excès d’enthousiasme.

Ainsi, pressé par un petit portugais que je qualifierais de “bour-rin”, je subis une entorse compliquée de la cheville droite qui me gênapendant plusieurs années.

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Il y avait aussi de belles équipes attirées par l’aspect ludique deces tournois, où figuraient même des professionnels.

Nous croisâmes ainsi la route des Farias (argentin qui fit lesbeaux jours de Strasbourg et du Red Star), Michel Pech (Montrouge,Malakoff, puis FC Nantes), Samper, Ricard (meilleur buteur de Melunalors en 2ème division), Delachet (goal qui joua ensuite à Marseille etqui fut même sélectionné en équipe de France) et Moreira, garçon sym-pathique, qui jouait en pro dans les buts du Red Star. J’ai marqué unbut aux deux derniers cités, de la même façon, en les lobant d’unepetite pointe subtile.

Je suis très fier de cet exploit ! Tous ne se conduisaient pas de façon exemplaire. Lors d’un tour-

noi organisé par notre club, plusieurs éléments de Corbeil Essonnes(CFA) se présentèrent, dont un ex international français qui jouait danscette équipe et l’entrainait, un nommé Charley Rouillon. Il commitune véritable agression heureusement sans grave conséquence à l’en-contre de mon ami Pierre qui lui en faisait voir de toutes les couleurs.Le vieux birbe fut copieusement hué par les spectateurs qui avaient prisfait et cause pour notre équipe de jeunots.

Avec sept ou huit copains, nous formions une équipe soudée, etje peux dire, sans forfanterie, que nous écumions les tournois de sixtedes environs. Nous avions pris le nom de “trompe-la-mort”, jouions enblanc, et avions rapidement mis au point une stratégie appropriée. Ungoal libre, deux éléments en défense, deux au milieu, et un avant depointe chargé de gêner le gardien adverse et de conclure. Pour écono-miser nos efforts, nous n’engagions que six équipes, car la journée étaitlongue et éprouvante. Nous avons remporté certains tournois, maisfigurions souvent parmi les ultimes participants.

Je me souviens, notamment, de notre performance accomplie ennocturne à Dourdan.

Notre cher Léon Calecki, un dirigeant dévoué, nous avait emme-nés là- bas dans sa Citroën DS commerciale avec laquelle il livrait les

journaux. Léon était assez maladroit mais adorait le football. Je mesouviens qu’un jour, lors de notre échauffement où il s’était mêlé enchaussures de ville, il fit une reprise de volée stupéfiante du pointu. Ilnous a, hélas quittés, victime dune longue et cruelle maladie, commeon dit. Ce soir là, nous fûmes éliminés dès le deuxième tour du tour-noi principal, mais qualifiés pour la consolante.

Au bout de la nuit, en finale, nous rencontrâmes une formationconstituée de membres de l’UA 16 qui avait disputé, peu de tempsavant, la finale de la coupe Gambardella. Nous l’emportâmes grâce àun but de Michel Niquet qui, s’échappant du milieu de terrain,conclut sa course d’un pointu somptueux, crucifiant le portier adverse.Lors de cette nuit mémorable, j’ai inscrit un but qui illumine encoremes insomnies. En position d’intérieur droit, je déclenche une frappecroisée puissante du coup de pied, et le ballon blanc file inexorable-ment vers la lucarne du but adverse. Ce qui est extraordinaire c’est que,dès que le ballon part, je sais qu’il va finir sa course au fond des filets,tel un missile lumineux. C’est beau, hein ?

Cependant, c’est sur les terres de notre ennemi favori, à Orly quenous avons écrit notre plus belle page de gloire ! Mon ami Pierrot m’aenvoyé récemment une gentille petite lettre pour me rafraichir lamémoire, et je le cite : “Pour amener de l’eau à ton moulin, il merevient un souvenir cocasse. De vaillants Rungissois, à Orly, ont gagnéaprès d’âpres batailles, un mouton vivant, gros lot du tournoi. Il a fallul’emmener avec nous (dans ma deux pattes), et l’installer chez Jean-Pierre qui habitait un pavillon vétuste à La Fraternelle. Il y avait unpeu de gazon que le mouton a pu déguster, avant de se faire égorger parle boucher de Rungis qui était aussi dirigeant. J’ai été le seul à lui don-ner un coup de main ; tous les courageux se sont sauvés… Après ledépeçage, grillade partie au stade, suivie de viandes saoules, beuveries,et des lendemains qui déchantent !

Je compléterai cet épisode charmant en revenant à l’aspect spor-

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tif. En finale, l’opposition était talentueuse et comptait dans ses rangs,Robert Jacques (professionnel à Troyes), Garnier licencié à Orly qui enpleurait presque de rage (comme buteur, il fit ensuite les beaux joursde Dunkerque et de Reims) et un gardien de but officiant au Red Stardont j’ai oublié le nom. Nous avons disputé cette finale sur un nuage,de façon euphorique, comme cela existe rarement dans un sport collec-tif. Ce soir là, nous étions invincibles, nous : les Pierrot, Bob, Nanec,Guitou, Jean-Pierre, et moi-même !

Plus haut, j’ai évoqué certains professionnels qui ont croisé notreroute, mais le joueur qui m’a le plus impressionné avait pour nom GuyKedim. Il était robuste, rapide, possédait une détente fantastique, etun jeu de tête remarquable. Lorsqu’il filait vers le but adverse, son pas-sement de jambes le rendait irrésistible. Nous l’avons souvent croisélors de ces tournois, et il disputa à l’occasion quelques matches dansnos rangs, car il appréciait notre façon de jouer. Il me confia un jour,d’une voix grave aux accents banlieusards marqués, bien que d’originemarocaine, qu’il aurait pu franchir le “Rubicon” et devenir profession-nel. Il avait été sollicité, notamment par Saint-Étienne, mais il ne vou-lait pas sacrifier sa qualité de vie pour des chimères. Il avait un métiersolide, aimait sortir, et refusait donc d’éventuels déplacements longs etfatigants. Ce malin passait donc d’un club à l’autre, parmi ceux de labanlieue sud évoluant au plus haut niveau amateur : Malakoff, Juvisy,Paris Joinville, Choisy le Roi, en encaissant à chaque fois, des primes àla signature.

Mais, petit à petit, les tournois de sixte en Ile de France ont vuleur niveau s’abaisser. Les saisons officielles étaient plus longues, lesbons joueurs avaient d’autres compétitions, les éventuels organisateursétaient moins compétents, c’était la porte ouverte à des individus sansfoi ni loi. A Rungis, notre tournoi du 1er mai, s’est terminé par unebataille rangée à cause de voyous venus d’Orly. La maréchaussée a dûintervenir, notre courageux Jojo a mis de l’ordre à coups de manche de

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pioche, et notre président a sagement décidé de ne plus organiser cegenre de manifestation.

L’année précédente déjà, j’avais été pris à partie par une équiperendue furieuse par une décision d’arbitrage prise à leur encontre (eneffet, certains joueurs volontaires officiaient comme arbitres pour aiderau déroulement des rencontres). Entouré par la meute, serré unmoment par le plus virulent, je le vis s’écrouler et rester à terre, ce quimit fin à l’échauffourée. Mon père, discret, les mains dans le dos, medit : “Alors, comme çà, tu te laisses insulter !...”. Ancien boxeur pro-fessionnel, il m’avait vengé en plaçant un crochet magistral au bouc del’excité.

Dans un autre domaine, pour tenter de compléter la subventionde la mairie, les rentrées enregistrées par les billets d’entrée aux mat-ches et les consommations prises à la buvette par les spectateurs, nousavons organisé pendant plusieurs années des bals dans la salle munici-pale prêtée gracieusement par notre maire, Alain Balland, un ami d’en-fance. Là encore, des voyous venus des environs, entraient subreptice-ment et semaient la pagaille.

Nous organisâmes ces fêtes sur invitations, en mettant en placeun service d’ordre, mais rien n’y fit, les gredins venaient au cours de lanuit par petits groupes dans le seul but de mettre la zizanie. A regret,nous dûmes aussi cesser ces manifestations sympathiques.

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Chapitre XV

Les Arbitres

C’est vraiment une fonction difficile ! Il y a parmi eux des genscompétents, des incapables, des autoritaires, des mous, mais aussi cer-tains malhonnêtes. Dans cette dernière catégorie, j’ai rencontré à deuxreprises un certain Mr Néant, nom prédestiné s’il en est.

Comme disait ma mère, quand je l’ai vu pour la première fois, j’aitout de suite pensé “qu’il avait une tête à coucher dehors avec un billet delogement” !

Cela se passait à Bagneux, qui ambitionnait comme nous, demonter en division supérieure. Cet arbitre a sifflé trois penalties injus-tifiés contre nous en vingt minutes. J’étais frais émoulu, donc docile,et pourtant, en croisant l’homme en noir, je n’ai pu m’empêcher de luidire que s’il continuait à être injuste, il y aurait des blessés. Il m’ex-pulsa pour jeu dangereux ! Ce fut la seule fois, de toute ma carrière…

Dans une ambiance exécrable, l’épouse de notre capitaine, ce cherMilou, femme réservée et distinguée, s’énerva quelque peu et jouamême du parapluie contre certains spectateurs excités.

Plusieurs années après, Gilbert, notre gardien de buts, en compa-gnie d’autres vétérans, prit en stop cet arbitre, le reconnut et l’emmenaboire un verre dans notre repaire, le Café des Sports. Eméché, le misé-rable avoua qu’il avait été payé par les dirigeants de Bagneux. Laseconde fois que je rencontrai cet individu, ce fut dans un match cor-poratif du lundi, en finale de coupe, opposant la Semeuse de Paris (monéquipe) à la Samaritaine. Il commença par me refuser un but, alors quel’entraineur adverse (un nommé Dilinger, meilleur buteur de divisiond’honneur, jouant à Champigny), placé derrière la cage, affirmait quele balle avait bien passée la ligne, puis à la fin de la rencontre, alors quej’avais dribblé le goal dans sa surface de réparation et qu’il m’avait prisà bras le corps, estima qu’il n’y avait pas faute. Pauvre type !

Une autre fois, lors d’une rencontre à domicile, un junior quidébutait chez nous en équipe fanion, se rendit coupable d’un tacle dan-gereux et fut exclu normalement par l’arbitre, du genre psycho rigide.Or, vers la fin du match (bien que jouant à dix, nous menions au score),je décidai de remplacer, en tant que capitaine, un équipier qui trainaitla patte. Refus de l’homme en noir qui déclara qu’un exclu ne pouvaitêtre remplacé ! Je lui fis remarquer que nous continuerions pourtant àjouer avec un joueur en moins. Rien n’y fit ! Alors, comme le règle-ment le stipule, lors de l’arrêt de jeu suivant, je déposai auprès de luien bord de touche, des réserves techniques.

Après la rencontre, convoqué dans son vestiaire, il me supplia aubord des larmes, car il s’était rendu compte de sa bourde, de ne pasconfirmer ma réclamation. Il devait être porté à arbitrer en divisionsupérieure, et craignait que cette faute compromette sa promotion.Bon gars, j’acceptai en lui demandant de ne pas être trop sévère dans

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son rapport vis-à-vis de mon joueur. Il promit, mais convoqué à laligue, j’appris qu’il avait demandé, au contraire, une sanction exem-plaire. La confiance, il n’y a que ça de vrai !

A Villeneuve saint Georges, en Coupe de Paris, après une récep-tion offerte par notre maire, nous n’étions pas très frais, mais l’actionnous permit de nous sentir de mieux en mieux. Sur un centre judi-cieux, je repris la balle de la tête et elle allait pénétrer dans le but,lorsqu’un arrière la détourna de la main sur sa ligne. Tout le mondeavait vu la chose, sauf l’arbitre qui nous intima de continuer à jouer.Bien entendu, nous protestâmes et Bob fit le tour de l’homme en noiren bêlant de façon insistante. Celui-ci saisit son petit carnet pour ynoter le numéro de l’insolent ! J’avoue que d’un petit revers de la maincensé être involontaire, je fis tomber dans la boue le document, si bienque l’arbitre se ravisa, et ne prit aucune sanction. Ouf !

En matière d’arbitrage, à ma grande honte, nous eûmes aussi àpâtir des excès d’un de nos dirigeants. Roger était capable et dévoué,et officiait souvent comme juge de touche, hélas ! Je le revois encore,le bas de son pantalon relevé pour ne pas le salir quand le terrain étaitboueux, lever son drapeau pour signaler des hors jeu, souvent inexis-tants, de l’adversaire. Il se faisait vilipender par les joueurs et specta-teurs lésés, mais restait de marbre. Bien entendu, l’arbitre de champcomprenait au bout d’un moment son manège, et agissait en consé-quence comme nos adversaires indignés. En fait, son chauvinisme seretournait contre nous. Il était connu dans toute la région !

Beaucoup de joueurs confirmés, amateurs ou professionnels, neconnaissent pas toutes les subtilités des règles du football. Ainsi, iln’est pas rare que certains s’insurgent à tort lorsque l’arbitre siffle horsjeu contre un attaquant inscrivant un but alors qu’un arrière replié estpositionné sur sa ligne. Cela arrive parfois quand le gardien est sorti

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imprudemment et qu’il se trouve au-delà de l’avant ! En fait, il fautdeux joueurs (dont la plupart du temps le goal), entre l’attaquant et laligne de but, pour que celui-ci ne soit pas en position illicite.

Demandez également, si un penalty peut être tiré à deux joueurs ?On vous répondra probablement par la négative. Or, si le premier

tireur pousse la balle vers l’avant d’au moins 70 cm (la circonférence duballon), un partenaire venu de l’arrière peut s’emparer légalement de lasphère et dribbler le gardien de buts.

De même, si un arrière, lors d’un coup de pied dit des six mètres,passe en retrait à son gardien qui, distrait, est en train de rêvasser etque la balle franchit la ligne, que doit siffler l’arbitre ?... Valider le but ?Que nenni…

Il y a corner, car la balle n’a pas été jouée, personne ne l’ayant tou-chée, et a franchi les limites du terrain frappée par un défenseur !

J’ai longtemps été capitaine, et me faisais un devoir de posséderles règles de notre sport.

Cependant, il faut bien reconnaître que le métier d’arbitre consti-tue une tache ardue. Tellement, que notre ligue parisienne, en mal derecrutement, exigea des clubs qu’ils fournissent des candidats.

Deux d’entre nous se sacrifièrent. Qu’ils en soient remerciés sin-cèrement… Mon ami Christian qui se prit au jeu et officia pendantsplusieurs années, était calme et imperturbable, qualités qui en impo-sent aux joueurs. Il dût cependant renoncer ensuite, car son métier dekinésithérapeute était particulièrement exigeant. Jean-Claude, lui, selivra sans retenue pendant longtemps dans cet apostolat. Il me racontacertaines mésaventures et notamment la fois où il dût s’enfermer dansson vestiaire pour échapper à une horde de spectateurs particulière-ment chauvins originaires du fin fond de la Seine et Marne.

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Chapitre XVl

Les blessures - Les drames

Mis à part l’entorse de ma cheville droite relatée plus haut, je n’aipas eu personnellement à déplorer de graves blessures. Le nez cassé àdeux reprises et quelques côtes enfoncées (ça fait mal et c’est long àguérir). Mes genoux, articulation fragile pour les footballeurs, ont étéépargnés. Je n’étais pas un joueur violent, ne savais pas bien tacler, etcomptais surtout sur l’interception et le jeu de tête.

J’ai toutefois, comme Alphonse Halimi, champion du monde deboxe, vengé Jeanne d’Arc ! Cela s’est passé au stade Charléty, contre lePUC (Paris Université Club), en coupe de Paris. Il faisait une chaleurtorride, notre adversaire évoluait plusieurs divisions au dessus de lanôtre, et j’occupais le poste de libero. Mon opposant direct, avant cen-tre remuant de nationalité anglaise, faisait feu de tous bois, car nousvenions d’ouvrir le score en prolongations par l’inévitable Nanec. Sur

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un centre aérien, le britannique bondit tel un diable sorti de sa boîte,pour placer un coup de boule qu’il pensait décisif. J’en fis de mêmepour le devancer, et nous ratâmes tous deux le ballon… mais pas noscrânes respectifs ! Je le touchai à l’arcade sourcilière qui éclata commeun fruit mûr. J’appris ensuite qu’on avait dû lui faire douze points desuture et j’étais vraiment désolé, car c’était un adversaire valeureux etcourageux. Nous nous qualifiâmes cette fois là. Deux années après, entribune, je le reconnus et allai vers lui. Il arborait une superbe cicatrice,et la lui montrant du doigt, puis touchant mon front, je lui dis“remember” et lui fis comprendre que j’en étais à l’origine. Fair Play(habituellement les anglais le sont quand ils gagnent), il s’esclaffa etme tapa dans la main !

Moins gravement, au cours d’un match de vétérans, alors qu’undéfenseur protégeait le ballon pour que son gardien puisse le saisir, jepassais astucieusement le pied entre ses jambes écartées de façon àprendre la balle en dessous pour la faire sauter et pouvoir éventuelle-ment la reprendre. Las, la boucle du lacet de ma chaussure se prit dansla main de l’infortuné portier qui hurla de douleur. Je lui avais cassé undoigt, et il se lamentait, car ouvrier manuel dans le civil, il savait quesa blessure entrainerait une incapacité.

A Ris Orangis, Patrick, petit milieu de terrain actif, se fit malen-contreusement une rupture des ligaments croisés du genou. Chaquelicence comporte une assurance de groupe de la ligue, mais ce margi-nal vivait aux crochets de sa mère et n’était pas assuré social, conditionnécessaire pour que les garanties en cas d’accident soient prises encharge. L’US Rungis, club où l’aspect humain était respecté, lui versaune sorte de pension mensuelle le temps de sa convalescence.

En vétérans, sur le terrain de Bonneuil, touché à la cheville defaçon non volontaire par un adversaire alors qu’il démarrait, Alain eutune rupture du tendon d’Achille. Artisan, l’arrêt consécutif à cette

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blessure lui causa un préjudice financier important, et mit fin à sonactivité footballistique !

Dans le domaine de l’insupportable, c’est toutefois ce match jouésur le terrain gras d’Aulnay sous Bois contre les “Bouchers” (nomauthentique de ce club), en championnat corporatif du lundi qui rem-porte la palme. Je reçois la balle en position d’avant centre et la glisseà mon ailier gauche en position idéale. Il lanterne un peu avant de tirer,et au moment où il tape de toutes ses forces, un petit arrière, la baveaux lèvres, le tacle violemment les deux pieds en avant. A cet instant,je fixe le ballon qui heurte le poteau, et qui revient sur moi. Je lereprends, et je frappe la barre transversale. La sphère revient à nouveauen jeu et un coéquipier tire à son tour sur l’autre poteau avant qu’ellene sorte. J’entends alors mon ailier qui crie “j’ai la jambe cassée !”. Eneffet, il tente de se relever en vain. Je m’approche, et vois l’indicible…Son tibia brisé à traversé son bas.

Curieusement, il ne ressent pas encore la douleur, et nous appe-lons les secours. Nous aurions dû arrêter le match, mais probablementchoqués, nous avons continué à jouer alors que le bourreau criait à quivoulait l’entendre “à qui le tour ?”. Notre collègue a été arrêté pendantprès d’un an, car il s’agissait d’une mauvaise fracture en biseau, et quel’os se ressouda mal. Je regrette encore aujourd’hui de ne pas avoirmolesté l’abruti responsable !

Il se prénommait Denis, et était monté à Paris depuis sa Bretagnenatale, pour y trouver du travail dans une société industrielle. Il y ren-contra Gérard, notre avant centre d’alors, et ils jouèrent tous deux lesamedi dans l’équipe corporative de leur employeur. Gérard le convain-quit de signer dans notre club de Rungis pour y jouer le dimanche.Denis évoluait au milieu de terrain, était infatigable, récupérait denombreux ballons et était de surcroît un coéquipier charmant. Il res-semblait quelque peu à Adamo et nous présenta sa jolie fiancée, origi-

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naire du même endroit. En fin de saison, sous la douche, j’aperçus aumilieu du dos de Denis sur sa colonne vertébrale, un vilain kyste quisuppurait. Interrogé, il m’indiqua qu’il devait le faire enlever bientôtavant d’épouser sa promise qui attendait un bébé. Nous apprîmesensuite par Gérard qu’il avait dû sortir du terrain au cours d’un matchcorporatif en raison de violentes douleurs au ventre. Il fut hospitaliséd’urgence, mais le chirurgien resta impuissant car le mal avait pro-gressé d’une façon fulgurante, et Denis succomba quelques jours après.Il avait vingt cinq ans et nous fûmes tous consternés. Sa malheureusefiancée l’épousa à titre posthume pour donner son nom à leur enfant.Quelle injustice !

Nous eûmes aussi à déplorer la mort accidentelle de MichelMoreau, un gentil garçon, dans un accident automobile. Il était sortiavec trois de ses amis un samedi soir, et le chauffeur avait confondul’autoroute du sud, avec un circuit de Formule I. Il avait vingt trois ans !

Et puis, notre ami Claude, attaquant vétéran moustachu, perditégalement sa belle et charmante épouse sur la route. Percutée violem-ment, sa voiture prit feu, et elle succomba. Détail scabreux, parmi lespompiers qui la relevèrent, se trouvait l’un de nos joueurs. Quelle tris-tesse !

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S I X I È M E P A R T I E

Chapitre XVII

Les Vétérans

A 35 ans, j’ai intégré notre équipe de “vieux” car je ne me sen-tais pas encore prêt à remiser au clou mes belles chaussures de foot

J’ai donc retrouvé avec plaisir de vieux complices commeGilbert, Michel Nicolle, Riton et Antoine plus âgés que moi. Sur malancée de l’équipe fanion, je pense avoir amené, en toute modestie, un“plus” incontestable dans la qualité du football pratiqué. Il est vrai quel’ambition principale consistait à s’amuser et tous les protagonistesavaient conscience que faire du sport, se dépenser, était un véritableprivilège.

Rapidement toutefois, Gilbert et Michel me demandèrent departiciper à la composition de l’équipe. Lourde responsabilité, car nousétions une vingtaine de postulants, et certains ronchonnaient lorsqu’ilsn’étaient pas choisis.

Alors, en accord avec la majorité d’entre nous, pour optimiser nosrésultats, je décidai de faire entrer comme remplaçants les plus faibles,dans deux cas de figure : si nous menions largement au score, ou aucontraire si nous n’avions plus aucun espoir de revenir dans la partie.

Dès la première année, nous sommes montés dans la divisionsupérieure. Notre équipe type n’était pas vilaine ! Dans les bois, lefidèle Gilbert évoluait en maître, en position de latéral droit MichelNicolle ou Jean Marti, un petit espagnol bedonnant mais vif, veil-laient, en défense centrale Paul, le guadeloupéen, bel athlète, essayaitd’égaler Thuram, Mimile le secondait et relançait de façon judicieuse.Au milieu, avec Riton, marathonien un tantinet caractériel, Jean, petitvietnamien d’origine, charmant et juvénile (comme tous les asiatiquesil paraissait quinze ans de moins et nos adversaires demandaient sou-vent de voir sa carte d’identité), et moi-même, formions une lignecomplémentaire et solide. En attaque, Antoine qui se bonifiait avecl’âge comme le bon vin, et Claude le moustachu, assistés par MichelClavière essayaient de causer des ravages au sein des défenses adverses.Je citerai aussi les Léon, Roland, Roger, Dante et compagnie.

Au cours des ans, qui pesaient insidieusement sur nos épaules,nous avons été renforcés par Nanec (une seule saison), Alain, charmantcamarade buteur et Serge (aujourd’hui disparu) que j’avais connus àChevilly Larue. Puis, Mahmed Hamidi vint également nous apportertout son talent !

L’histoire de ce dernier mérite d’être contée. Originaired’Algérie, de Kabylie plus précisément, il vint en France vers l’âge dedix huit ans. Il maîtrisait mal notre langue et n’avait jamais joué dansune véritable équipe de football. Il m’expliqua que pour bien s’inté-grer, il évita de trop fréquenter ses compatriotes, et se plongea de suitedans sa nouvelle vie française. C’est un beau et grand garçon aux yeuxbleus. Il est charmant et respectueux. En fait, c’est un gars bien,

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comme on dit. Il s’inscrivit dans le club de foot de Viry Châtillon, etses qualités athlétiques de vitesse et de détente le firent rapidementremarquer. Son président avait du nez, et il lui offrit un travail de sur-veillant pour le conserver. Après quelques saisons, il fut titularisé enéquipe première qui évoluait alors en CFA (3ème division) et en devintle meilleur buteur. Le conte de fée ne s’arrête pas là ! Il rencontra etépousa une jolie nordiste qui lui donna deux enfants. Puis, nous lerecrutâmes comme entraineur joueur, et il s’intégra parfaitement.

Nous avons grimpé les échelons pour parvenir enfin en divisiond’honneur. Mais hélas, il y eut alors une refonte des groupes, si bienque nous sommes restés en promotion d’honneur. Les équipes, cepen-dant, avaient un niveau intéressant. Ainsi, nous avons eu comme adver-saire, l’équipe du Racing, qui comptait dans ses rangs, FrançoisHeutte, un véritable gentleman, Bruno Bollini aussi teigneux quejadis, tous deux ex internationaux, Francis Magny et Schmitt ancienspros du Racing Club de Paris, et une vieille connaissance de tournoisde sixte, Maurice Hageman international en FSGT (fédération dissi-dente). Nous les battîmes au moins une fois, et je me souviens surtoutd’une méchante béquille que me porta Bollini, et qui m’obligea à sor-tir.

Personnellement, durant toutes ces années, je marquais réguliè-rement six à sept buts par saison au sein d’une formation dont l’am-biance était remarquable. A la fin d’un match que nous gagnâmes aisé-ment, je reçus de la part de mon opposant direct, un bon joueur plusâgé que moi, le plus beau compliment qui soit. Il me dit qu’il avaitrarement vu un joueur de mon gabarit posséder un jeu aussi subtil ! Jelui ai alors expliqué que je n’avais pas toujours été aussi enveloppé etque, petit, j’étais frêle et malingre, si bien que j’avais dû développerd’autres qualités que la force. J’étais ravi par cette remarque élogieuse,et j’ai passé un excellent dimanche !

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Petit à petit de jeunes vétérans (35 ans tout juste), rejoignaientles équipes de vieux et élevaient le niveau. Cependant, nous en avonscroisé de très âgés ! Louis Finot, ex international, avec ses 71 ans et tou-tes ses dents disputa une partie de match contre nous. Il courait encorebien, le bougre !

Chaque fin de match était ponctuée par la troisième mi-tempstraditionnelle, c'est-à-dire l’apéritif, puisque les matches étaient dispu-tés le dimanche matin. Au cours de ces moments de détente, nousrefaisions le match et Jean Marti, notre espagnol de service, volubile etvantard, ponctuait ces propos de fréquents “pero” mot qui veut dire“mais” en espagnol, si bien que l’un d’entre nous particulièrementtaquin, lui demanda : qui c’est ce Pero dont tu parles tout le temps ?Et Jean qui ne maitrisait pas parfaitement notre langue mais qui avaitbien compris la moquerie, lui lança : moi, j’y cause mieux français quevous, et je vous merde !. Ce qui déclencha l’hilarité générale.

Notre fonction de dirigeants :J’étais au club depuis de nombreuses années, possédais de l’expé-

rience et avais démontré mes capacités d’organisateur. J’intégrai doncl’équipe de dirigeants constituée du président Fernand Laborie, du tré-sorier Emile Ritaine, dit Milou, intransigeant gestionnaire, du secré-taire Michel Nicolle, de Gilbert nommé vice président et de Jojo, piednoir farouche et dévoué. Nous formions une bonne équipe concernée etefficace.

Pourtant les loups sont entrés, non pas à Paris, comme le chantesi bien Serge Reggiani, mais à Rungis. En effet des jeunes aux dentslongues tentèrent un putsch pour déboulonner notre vieux présidentqu’ils trouvaient légèrement cacochyme. Ils étaient emmenés par uncertain Marc, nouveau venu qui venait d’ouvrir un restaurant dansnotre localité. Il présentait bien et il avait des idées. Nous fîmes bloccontre les intrus, car nous savions que le départ de notre vieux prési-dent causerait sa perte. Avec le recul, je pense que nous avons eu rai-

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son, car ces jeunes velléitaires manquaient alors d’expérience. Nousavions une gestion rigoureuse, utilisions la subvention de la mairie defaçon parcimonieuse, malgré le nombre important de nos licenciés,environ cent cinquante. Les joueurs des équipes pupille, minime etcadet, ne payaient pas leurs licences et avaient les chaussures fournies.D’ailleurs, leurs parents avaient une fâcheuse tendance à croire quenous étions une sorte de garderie du dimanche après-midi !

De notre équipe de dirigeants, il ne reste plus aujourd’hui queMichel et moi-même. Tous les autres nous ont quittés. Qui sera le pro-chain ?

J’ai appris que Marc était enfin devenu président du club et qu’ilse débrouillait très bien. Honneur lui soit rendu !

Chapitre XVIII

Nos rencontres internationales

Pendant de nombreuses années, nous avons passé en famille nosvacances en Allemagne, plus précisément à Cuxhaven, port de la merdu Nord situé à l’embouchure de l’Elbe, où nous étions reçus commecoqs en pâte chez les beaux parents. J’ai alors lié connaissance avec unvoisin, Norbert Kula, passionné de football et pratiquant assidu.

Policier, il jouait à la fois dans l’équipe de sa corporation, maisaussi dans un club d’une localité jouxtant la ville principale, une sta-

tion balnéaire du nom de Duhnen. Bien entendu, il m’emmenait régu-lièrement aux entrainements, et j’ai même disputé des rencontres ami-cales et noué des amitiés. Là-haut, j’ai retrouvé certaines caractéristi-ques du football allemand que j’avais découvert lors de matches ami-caux pendant mon service militaire : à savoir de la rigueur, de laconviction, de l’engagement, de la simplicité, de l’efficacité ! Le vice-président de Duhnen, un certain Mr Schildt, ancien marin peu loquacemais tellement dévoué, très intéressé par un voyage de son club versParis, me sollicita.

Après une préparation intense et une participation absorbante demon épouse, interprète brillante, et de nombreux coup de téléphone deHerr Schildt qui ne payait pas les communications (il était employé dece service), un bus entier de Teutons débarqua à Rungis. Je leur avaistrouvé un hôtel peu coûteux à Paris, et ils purent donc faire du tou-risme. Notre maire sut se montrer à la hauteur et les accueillit propre-ment dans notre salle des fêtes, avec discours et libations appro-priés……Les germains supportent mal le Ricard, et quelques uns ren-trèrent à l’hôtel à quatre pattes, après avoir pris une bonne raclée surnotre pelouse.

L’année suivante, ce fut à notre tour de nous rendre chez eux, laplupart des participants furent hébergés chez l’habitant et nouèrent àleur tour de solides amitiés, car l’obstacle de la langue ne résistait pasaux gestes, au schnaps et aux bonnes bières locales. Les célibataires,eux, avaient trouvé refuge dans la caserne des marins, et provoquèrentla colère du commandant du régiment, en enivrant la sentinelle quiabsorba sur leur insistance une demi-bouteille de Ricard sans le mélan-ger avec de l’eau. Pauvre type, il ne savait plus comment il s’appelait !

Nous avons encore gagné et profité de leurs installations confor-tables. Il y eut les deux années suivantes d’autres échanges mémora-bles. Aujourd’hui, certains joueurs ayant connu ces aventures, medemandent de relancer mes contacts ! Mais beaucoup de dirigeants,aussi bien allemands que Rungissois ont disparu, et nous devons nous

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contenter de nos souvenirs.

Seul, Norbert est resté fidèle, et a organisé il y a quelques années,pour certains ex joueurs de Duhnen, un séjour avec match contre lestchèques de Marienbad, station thermale célèbre, où jadis les empe-reurs austro-hongrois allaient se refaire une santé. Il y possède une mai-son. Avec Emi, nous fûmes, bien sûr, invités ! Ce séjour nous a laisséd’excellents souvenirs ! Pourquoi la Tchéquie ? Norbert Kula est origi-naire de la Silésie, aujourd’hui polonaise, qu’il dû fuir précipitammentavec sa mère venue le chercher à la sortie de l’école à la fin de la secondeguerre mondiale, devant l’avancée menaçante des Russes qui ne fai-saient pas de quartiers. Il faut les comprendre, compte tenu des souf-frances endurées par leur peuple !

Les deux fugitifs marchèrent pendant des jours entiers versl’ouest et trouvèrent enfin répit dans un camp situé précisément àMarienbad. Norbert se promit de retourner un jour dans cet endroitbéni et il tint parole ! Il n’eut jamais plus de nouvelles de son père dis-paru dans la tourmente.

J’ai évoqué plus haut un épisode historique avec les russes pouracteurs. Il se trouve que mon ami Alain avait joué à Chevilly la Ruecontre des soviétiques de l’ambassade située à Paris, et avait conservédes contacts. Comme un grand, il a relancé ceux-ci, et nous avonsconclu une rencontre amicale à Rungis entre nos équipes de vétérans.Exotisme garanti, moments inoubliables contre des adversaires coria-ces et talentueux, et rencontre couronnée par une réception à la mairieoù nous avons échangé champagne contre vodka. Leur commissairepolitique, qui n’avait pas l’air de plaisanter, fit un discours dans unfrançais parfait, bien que muté depuis peu à Paris.

Le football est un sport, je dirais un jeu, pratiqué dans le mondeentier. Chaque peuple a ses qualités, ses défauts, mais tous sont pas-

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sionnés.J’ai joué avec ou contre des allemands, des russes, des espagnols,

des anglais et même s’il y a des exceptions, les particularités subsistent.Ainsi on peut dire que les portugais sont teigneux, que les arabes sontrésistants, que les noirs sont rapides et déconcertants, et que les italienssont habiles mais truqueurs, très agaçants quand ils deviennent cham-pions du monde contre nous en l’emportant aux penalties. A Rungis,nous avons eu beaucoup d’émigrants italiens attirés par le travail etfuyant le fascisme, et nombre de leurs enfants ont usé leurs cramponssur les pelouses de nos terrains de football. J’aime ces gens ! Ils sontgais comme des “italiens qui savent qu’ils auront de l’amour et du vin”,comme dit la chanson. En plus, ils sont beaux à l’image de la splendideMonica Bellucci. De mon temps, la beauté de leurs femmes était plu-tôt représentée par Gina Lollobrigida ou Sophia Loren qui soulevaientles fantasmes des jeunes gens !

Pour l’anecdote, j’ai un souvenir ancien (plus de cinquante ans),concernant un de leurs compatriotes. Lorsque j’étais cadet, j’allais assis-ter aux rencontres de l’équipe fanion quand je le pouvais. Le goal titu-laire, un italien du nom de Matrudo, gardait nos cages. Il était specta-culaire, plongeait à tout va, à l’image de Vignal (international françaisfantasque et téméraire), mais était extrêmement colérique. Lors d’unmatch, abandonné par ses défenseurs, il fit un arrêt fantastique. Puis,se redressant, il les invectiva : “cretini, ma che e non possibile”, puistel un condottiere majestueux, propulsa d’un tir vengeur le ballon dansses propres buts, à la stupéfaction générale. C’est ça, la fierté….

Je citerai en vrac les César, Louis, Robert, François, Nicolas,Bruno, Dominique, Fulvio, Sergio, Elie, Dante, Nicolas, Franco etcompagnie avec qui j’ai passé de très bons moments.

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Chapitre XIX

Triste fin

Ma carrière de footeux s’est terminée en “queue de poisson” à laQueue en Brie, endroit prédestiné.

En taclant désespérément un attaquant adverse qui filait versnotre but, je me suis fait une rupture quasi-totale du grand droit, c'est-à-dire le muscle ischio-jambier qui se trouve sous la cuisse.

Il faut préciser qu’à l’époque j’avais déjà quelques kilos de trop,ce qui explique probablement l’accident. J’ai boité bas pendant plu-sieurs mois, suis allé consulter un grand spécialiste, le professeurSaillant à l’hôpital de la Salpétrière, qui a refusé d’intervenir car la bles-sure se trouvait proche du nerf sciatique, ce qui rendait une interven-tion trop risquée.

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J’ai essayé de rejouer, mais je ne pouvais pas courir librement, etfinalement je me suis rendu à la raison, la fois où Riton m’a traitéméchamment de “chèvre”. Je suis allé voir jouer plusieurs fois mescamarades, les ai arbitré, et finalement ai raccroché mes souliers auclou, car je supportais difficilement cette situation. J’avais quarantecinq ans, et me suis dit qu’il valait mieux que cela m’arrive à cet âge,plutôt qu’à vingt cinq ans.

On ne peut pas être et avoir été, comme dit un jour un enquiqui-neur à Pierre Dac qui lui répondit du tac au tac “si, monsieur, on peutavoir été con, et l’être toujours”. Ce jugement définitif concernantgrandeur et décadence, peut cependant être corrigé par une notion :l’espoir… Il parait qu’il fait vivre !

A son sujet, un autre humoriste, Alphonse Allais que j’adore, eutun jour ces propos empreints de dérision : “quand je serai riche, ce quine saurait tarder, car je le mérite, j’achèterai une grande propriété avecdes arbres centenaires”. Puis, après un temps de réflexion “s’il n’y en apas, j’en planterai !”.

L’espoir pour moi, consistait à refaire du sport. En effet, les pre-miers dimanches ont été pénibles. Je ne pouvais plus jouer au footballà cause des chocs ou des réceptions aléatoires sur des terrains difficiles,car c’était trop dangereux. Mais, j’avais besoin de bouger car l’embon-point me guettait. Alors je me suis tourné vers le tennis et ai eu lachance de trouver un partenaire plus âgé que moi, ancien professionnelde football qui courait encore comme un lapin. Nous nous sommesbien amusés, mais l’ambiance d’équipe est irremplaçable, et je l’aibeaucoup regrettée.

Voilà ! J’ai essayé dans cet ouvrage, d’être le plus précis et hon-nête possible, mais certains acteurs qui me liraient pourraient avoir desavis différents. C’est normal car ce sont mes propres souvenirs ! Les

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témoignages de cette nature sont personnels et manquent donc souventd’objectivité.

Brie, mars 2010Michel Cagniart

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Edité à 30 exemplaires - Avril 2010