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UNIVERSITÉ CATHOLIQUE DE LOUVAIN FACULTE DE DROIT ET DE CRIMINOLOGIE ÉCOLE DE CRIMINOLOGIE DES USAGES, DES DISCOURS ET DES REGARDS UNE ANALYSE DU DÉBAT PARLEMENTAIRE BRÉSILIEN SUR LA ()CRIMINALISATION DE LA CONSOMMATION DE STUPÉFIANTS, DANS LE CADRE DE LA RÉFORME DE LA LOI PÉNALE (2002 2006) Promoteur : Dan Kaminski Mémoire présenté en vue de l’obtention du grade de Master en Criminologie par Marco Aurélio BASTOS DE MACEDO Louvain-la-Neuve, août 2011

Memoire bastos

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Page 1: Memoire   bastos

UNIVERSITÉ CATHOLIQUE DE LOUVAIN

FACULTE DE DROIT ET DE CRIMINOLOGIE

ÉCOLE DE CRIMINOLOGIE

DES USAGES, DES DISCOURS ET DES REGARDS

UNE ANALYSE DU DÉBAT PARLEMENTAIRE BRÉSILIEN SUR LA

(DÉ)CRIMINALISATION DE LA CONSOMMATION DE STUPÉFIANTS , DANS LE

CADRE DE LA RÉFORME DE LA LOI PÉNALE (2002 – 2006)

Promoteur :

Dan Kaminski

Mémoire présenté en

vue de l’obtention du

grade de Master en

Criminologie

par Marco Aurélio

BASTOS DE MACEDO

Louvain-la-Neuve, août 2011

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UNIVERSITÉ CATHOLIQUE DE LOUVAIN

FACULTE DE DROIT ET DE CRIMINOLOGIE

ÉCOLE DE CRIMINOLOGIE

DES USAGES, DES DISCOURS ET DES REGARDS

UNE ANALYSE DU DÉBAT PARLEMENTAIRE BRÉSILIEN SUR LA

(DÉ)CRIMINALISATION DE LA CONSOMMATION DE STUPÉFIANTS , DANS LE

CADRE DE LA RÉFORME DE LA LOI PÉNALE (2002 – 2006)

Promoteur :

Dan Kaminski

Mémoire présenté en

vue de l’obtention du

grade de Master en

Criminologie

par Marco Aurélio

BASTOS DE MACEDO

Louvain-la-Neuve, août 2011

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3

A Josi, cette femme « addictive »

qui me conduit tous les jours à l’overdose de bonheur

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4

Je tiens à remercier…

… Riccardo, pour tout (il n’y a pas de place pour tout dire

et je ne trouve pas de mots pour le remercier)

… Dan, mon promoteur (et psychologue !), pour la liberté presque dangereuse avec laquelle il m’a laissé conduire cette recherche, tout en m’encourageant et

en me soutenant pendant les crises et les angoisses avec des commentaires toujours très sages

… mes parents, Inês et Eduardo, pour leur soutien ; sans eux, cette idée folle de venir étudier en Belgique resterait encore un rêve

… ma sœur Mariana et mon frère Augusto, pour avoir compris mes absences et supporté ma mauvaise humeur pendant la période d’écriture de ce texte

… Celso, Felipe, Lorena, João, Leonardo, Maria José, Pollyanna, Tatiana, Thaiane, Thays, Renato et les autres membres du Groupe de

Recherche en Criminologie, où tout cela a commencé

… Mme Jeanine Zaorsky-Bedynek, pour l’attention et la gentillesse qu’elle a toujours montrées à mon égard

… Alvaro Pires, pour les contributions directes et surtout indirectes qu’il a apportées à ce travail

… Joao et Celso, pour les discussions interminables et la compagnie chaleureuse pendant le (très) froid hiver canadien

… tou(te)s les collègues du Master en Criminologie et de l’UCL

… Mariana Raupp, Camille Dessurault, Louis-Philippe, Carmen Fullin, José Roberto Xavier, et tout(es) les ami(e)s du Canada

… Sergio Giorgi, Nathalie Alessi, Mylène Schiltz, Jonathan Samyn, Karen Bähr, Virginie De Baeremaecker, Laurianne Dewale

et tou(te)s les ami(e)s de Belgique

… Maria Victoria, François Houtart, François Polet, Bernard Duterme, Laurent Delcourt et tou(te)s les ami(e)s du CETRI

... Jamile, Verena, Manu, Kiko, Jhon, Paulo, Cândido, Lilian, Rodrigo, Eder, Monique, Lívia, Núbia, Larissa, Mirna et tou(te)s les ami(e)s que j’ai

au Brésil, pour m’avoir accompagné, chacun(e) à sa façon, dans cette aventure en terres étrangères

...les compagnons du PSOL, pour me faire (encore) croire que l’on peut (et l’on doit) changer les choses,

et, enfin,

…les drogues prises pour la réalisation de ce travail, notamment la caféine et la ritaline

(heureusement, l’épreuve académique ne soumet pas au test contre le dopage)

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« Nous sommes voués historiquement à l’histoire, à la patiente construction de discours sur les discours, à la tâche d’entendre ce qui a déjà été dit. »

Michel Foucault - Naissance de la clinique.

Page 6: Memoire   bastos

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TABLE DES MATIÈRES

INTRODUCTION 8

PREMIÈRE PARTIE

Les discours parlementaires sur l’usage de drogues et la construction d’une recherche 13

1. UNE « PRÉHISTOIRE » DE LA RECHERCHE : DU VOCABULAIRE DES LOIS AUX SIGNIFICATIONS DES DISCOURS 13

2. LES DROGUES, CES « CHOSES » DONT ON PARLE... 18

3. LA PROBLÉMATIQUE DE RECHERCHE 22

4. LES OPTIONS MÉTHODOLOGIQUES 26

4.1. La récolte des données 26

4.2. L’analyse des données 30

DEUXIÈME PARTIE

Les débats parlementaires : positions politiques, r egards sur les drogues et discours justificatifs 33

1. LES POSITIONS PARLEMENTAIRES EN MATIÈRE DE L’USAGE DE

DROGUES

34

1.1. Une première opposition : « décriminalisation » vs « maintien de

la criminalisation » 34

1.1.1. Les discours « non prohibitionnistes » 34

1.1.2. Les discours « prohibitionnistes » 36

1.2. Une deuxième opposition: « décarcéralisation » vs « maintien de

l’emprisonnement » 38

1.2.1. Les discours « pro-décarcéralisation » 38

1.2.2. Les discours « pro-emprisonnement » 41

Page 7: Memoire   bastos

7

2. LES DIFFÉRENTES FAÇONS DE CONSTRUIRE L’USAGE DE

DROGUES COMME UN PROBLÈME 45

2.1. Les représentations du problème 46

2.1.1. Les représentations des drogues 46

2.1.2. Les représentations de l’usage de drogues 48

2.2. Les perceptions de l’usager de drogues 54

2.2.1. Les mots utilisés pour désigner l’usager de drogues 54

2.2.2. Les affirmations positives : « l’usager de d rogues est… » 55

2.2.3. Les affirmations négatives : « l’usager de d rogues n’est pas… » 57

3. TROIS MANIÈRES DE TRAITER LA PROBLÉMATIQUE DE L’USAGE

DE DROGUES 59

3.1. Le regard « manichéen » 61

3.2. Le regard « médical » 65

3.3. Le regard « garantiste-libéral » 67

3.4. Remarques conclusives 70

3.4.1. Un noyau : les représentations de la drogue 72

3.4.2. La subjectivation de la drogue 72

3.4.3. Une nuisance absolue 74

4. CHERCHER « L’INNOVATION » DANS LE « CONCUBINAGE » : UNE

BRÈVE RÉFLEXION SUR LES RÉSULTATS DE CETTE RECHERCHE 76

4.1. Criminalisation, symptomatologisation, périlli sation 77

4.2. Les « regards » brésiliens et le concubinage d es logiques 79

CONCLUSION 83

BIBLIOGRAPHIE 86

ANNEXES 89

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8

INTRODUCTION

Ce travail porte, de façon très large, sur les « manières de penser » l’usage de

drogues et d’y répondre. Il s’agit, plus spécifiquement, d’un effort de mieux

comprendre des décisions politiques prises à l’égard de ce phénomène, à partir

de l’analyse des représentations et des arguments présents dans les discours

parlementaires qui les justifient. L’objet de cette recherche est donc constitué

par le contenu des discours parlementaires, dans lesquels les représentants

politiques prennent une position par rapport au « problème » de l’usage de

drogues, tout au long de la période de débats qui précédent la création d’une loi

sur cette thématique.

Depuis à peu près un siècle, l’usage de drogues est, sauf de très rares

exceptions, légalement interdit partout au monde. Dans l’immense majorité des

pays, l’on sanctionne même ce crime par la peine de prison, avec une durée

plus ou moins élevée selon le cas.

En réaction, des voix contestataires se lèvent pour critiquer une telle posture

répressive de la part des États et exiger plus de tolérance à l’égard de cette

conduite (Beauchesne, 1991). Les propositions de changement du modèle de

réaction sociale à l’usage de drogues peuvent être très diverses : la prévision

de peines moins lourdes ; l’application de mesures alternatives ; l’exclusion de

l’emprisonnement ; la décriminalisation de l’usage de certaines ou de toutes les

drogues ; la légalisation et la régulation étatique de la production, de la vente et

de la consommation de certaines ou de toutes les drogues, entre autres.

Normalement, ces propositions rencontrent une opposition très forte et le conflit

s’instaure, sa solution pouvant aller tant dans le sens d’une répression accrue

que d’un assouplissement de la prohibition.

De temps en temps, des acteurs politiques engagés arrivent à faire passer

l’idée que le cadre juridique de l’Etat concernant les drogues est obsolète ou

inadéquat par rapport aux conflits et aux problèmes de l’époque. Alors, un

processus de réforme des lois en matière de drogues voit le jour, afin de

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produire une nouvelle législation qui soit plus appropriée à la réalité du moment.

Cette recherche s’intéresse pourtant moins à ce processus proprement dit

qu’aux discours tenus pendant qu’il se développe. Il s’agit plutôt d’une occasion

intéressante pour observer la façon dont les parlementaires font leur propre

usage des drogues (Kaminski, 2003), en touchant à ce sujet et en prenant (ou

non) une « position » à cet égard. Ce travail cherche ainsi à analyser comment

les parlementaires, à l’occasion d’une réforme légale, construisent des discours

justificatifs de leur prise de position par rapport à l’usage de drogues.

D’après Foucault (1963, vii), un discours est toujours produit à partir d’un regard

posé par un sujet sur un objet. Il représente l’association, au ras du langage,

entre une « manière de voir » et une « manière de dire ». La façon de regarder

cet objet est alors constitutive de la façon dont le sujet en parle. La situation de

production discursive constitue donc un « rapport de situation et de posture »

entre celui qui parle et ce dont on parle.

Dans ce sens, il est possible de concevoir la production d’un discours comme le

fait d’une médiation entre « un sujet qui parle » et « un objet dont il parle » au

travers d’un « regard », c'est-à-dire, d’une manière particulière et contextuelle

de voir cet objet pour en dire quelque chose. Pour ce travail, analyser les

significations des discours parlementaires sur les drogues implique alors de

comprendre le(s) « regard(s) » posé(s) sur l’objet « drogue » par les sujets

«parlementaires» dans le but spécifique de répondre au problème de l’usage

des drogues.

Dans la perspective de la découverte et de la sélection d’un terrain

d’observation de ces manifestations parlementaires, le travail de Pires et

Cauchie (2007) sur la nouvelle loi brésilienne sur les drogues (la loi 11.343, du

23 août 2006) s’est révélé assez important pour faire naitre « l’étonnement »

nécessaire à la formulation du problème (Javeau, 2003, 29). En effet, cette loi

présente un caractère inédit et inusité par rapport au contrôle pénal de drogues

établi au Brésil jusque-là: tout en maintenant la criminalisation de l’usage de

drogues, l’emprisonnement a été légalement exclu des sanctions autorisées au

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juge en réponse à ce crime. Pour les auteurs, la nouveauté représente

l’occasion de réfléchir sur les réactions possibles des systèmes juridiques et

politiques à l’égard de cette « innovation accidentelle » en matière de peines

(Pires et Cauchie, 2007). Pour ce mémoire, il sera question de chercher dans

les travaux préparatoires de cette loi et dans les discours parlementaires

formulés à cette occasion, des éléments de compréhension des choix

favorables et défavorables à la criminalisation de l’usage de drogues et

notamment favorables et contraires à la « décarcéralisation » de l’usager.

Pour ce faire, la méthodologie adoptée fut celle de la « théorie fondée » à partir

des données (« grounded theory »), proposé par Glaser et L. Strauss (1967). Je

cherche ainsi à faire émerger des discours les représentations des

parlementaires par rapport à deux catégories centrales de l’analyse,

empruntées à Cappi (2011) : « les représentations du problème » et « les

perceptions de l’usager de drogues ». Les discours sont donc travaillés à partir

de la « manière de voir » qu’ils révèlent, mise en relation avec les positions

prises, ou encore les « manières de répondre » au problème. Finalement, le

travail aboutit à la construction de « discours-types » sur les « manières de

traiter » la problématique de l’usage de drogues, les « regards

parlementaires », englobant la « manière de voir » et la « manière de

répondre ».

Ce mémoire est composé de deux parties. La première consiste en une

présentation des différentes décisions de nature épistémologique et

méthodologique qui ont « donné forme » à la présente recherche. Au premier

chapitre, la présentation d’une « préhistoire » permet de rendre claire

l’importance de certaines décisions, prises antérieurement à la formulation de la

question de recherche, pour la constitution de la présente problématique.

Je propose ensuite une introduction à la thématique de la recherche, en

consacrant le deuxième chapitre au dévoilement des significations que l’on

donne au mot « drogue ». Le troisième chapitre présentera au lecteur la

problématique de ma recherche, centrée sur les débats dans lesquels les

parlementaires prennent une position par rapport au « problème » de l’usage de

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drogues, au cours de la période pendant laquelle est discutée et formulée la loi

brésilienne 11.343/2006. A la fin de cette première partie, un chapitre

méthodologique clôture l’exposé de ces décisions préliminaires, prises avant

(ou au moment même) de passer à l’acte de la recherche.

La deuxième partie est, à son tour, consacrée aux résultats obtenus à partir de

l’analyse des discours. Pour commencer, j’aborde les différentes « positions

parlementaires », manifestées au sein des discours, à l’égard de la réponse

politique à établir face à la problématique de l’usage de drogues ; ceci constitue

la matière du premier chapitre de cette deuxième partie. Ensuite, au deuxième

chapitre, je m’éloigne momentanément des positions rencontrées, afin de saisir

les discours comme un ensemble de représentations mobilisées pour construire

discursivement l’usage de drogues comme un « problème ». A ce moment,

deux catégories sont analysées en particulier : « les représentations du

problème » et « les perceptions de l’usager de drogues ».

Après avoir exposé ces « manières de voir » l’usage et l’usager de drogues, je

montrerai, au troisième chapitre, comment les différentes représentations

trouvées dans les manifestations parlementaires peuvent être croisées et

regroupées pour constituer des « discours-types » sur la façon de regarder le

problème et d’y proposer de réponses : on y parlera de « regards

parlementaires ». Enfin, ces regards parlementaires seront discutés à la lumière

des approches théoriques formulées par Nicolas Carrier (Carrier et Quirion,

2003 ; Carrier, 2008) : le quatrième chapitre de cette deuxième partie sera

ainsi consacré à une mise en perspective théorique des résultats de la

recherche.

Avant de clôturer cette introduction, il me semble encore important d’expliquer

un choix particulier : l’écriture de cette recherche en première personne du

singulier. Même conscient du personnalisme et du subjectivisme (parfois

excessif) que l’usage du « je » peut entraîner, il s’agit d’une limitation que je n’ai

pas su (ou voulu) dépasser, pour trois raisons au moins que j’exposerai tout de

suite.

Page 12: Memoire   bastos

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Tout d’abord, n’étant pas d’origine francophone, la langue française constitue

un univers linguistique dans lequel je ne suis entré que très récemment. Ainsi,

l’utilisation de la première personne du singulier s’avère plus proche de la

langue orale, avec laquelle je me sens plus familiarisé, ce qui rend moins

pénible la tâche d’écrire un mémoire dans une langue étrangère.

En même temps, s’il est vrai que l’écriture au pluriel permet une sorte de

modestie, renforce l’idée d’une « prise de distance » et rend le texte plus

formel, l’usage du « je » me semble produire une plus grande vraisemblance de

« ce que je suis en train de raconter » par rapport à « ce que j’ai fait ».

D’ailleurs, même si certaines personnes ont eu une large influence sur les

aspects épistémologiques et méthodologiques de la recherche, les décisions

les plus importantes ont été basées sur des choix individuels, qui sont le fruit de

mes inquiétudes à l’égard de ce sujet et de ma façon de le construire.

Cette manière d’écrire démarque enfin la posture constructiviste que je soutiens

dans l’élaboration du présent travail. Les résultats obtenus dans cette

recherche ne sont donc pas une description objective de la réalité qui se

donnerait à connaître par l’activité d’investigation, mais plutôt une construction

du chercheur, c’est-à-dire la mienne, à partir de ce que je perçois dans cette

réalité et des « grilles de lecture » (Debuyst, 1985) que j’utilise pour l’observer.

Ceci dit, il est important d’éviter un « je » vaniteux et narcissique, raison pour

laquelle j’essaierai d’utiliser également, dans les limites du possible, la voix

passive ou des formulations à la troisième personne pour la rédaction de ce

travail.

Il me semble enfin important de souligner que cette recherche n’a aucunement

la prétention de construire un « bâtiment » théorique, ni peut-être même un

« étage » de savoir. Elle ne sert qu’à ajouter une petite pierre à la

« construction » de la connaissance sur l’usage que l’on fait de drogues, en

particulier son usage pénal (Kaminski, 2003).

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PREMIÈRE PARTIE

Les discours parlementaires sur l’usage de drogues et la

construction d’une recherche

Cette première partie du travail se destine à présenter au lecteur le processus

de construction de ma recherche. Il sera question ici d’exposer un ensemble de

décisions prises avant de passer à l’exercice de recherche proprement dit.

Cette partie est divisée en quatre chapitres. D’abord, j’effectue une présentation

de la recherche par une sorte de « préhistoire ». J’y expose le début d’un

parcours de chercheur et son lien avec le présent mémoire, ainsi que

l’importance de cette « préhistoire » pour la construction de la problématique de

la recherche. Ensuite, le deuxième chapitre se destine à introduire le sujet de la

recherche par une discussion terminologique sur les sens que l’on attribue

socialement au mot « drogue ». Il s’agit d’expliciter de quoi l’on parle lorsque

l’on utilise ce mot.

Le troisième chapitre, à son tour, est consacré à la présentation de cette

problématique, élaborée à partir des décisions prises dans la « préhistoire » et

de la lecture d’un article intrigant de Pires et Cauchie (2007). Une fois construite

la problématique, cette première partie sera enfin bouclée par un chapitre

méthodologique, synthétisant les processus de récolte et d’analyse des

données.

1. UNE « PRÉHISTOIRE » DE LA RECHERCHE : DU VOCABULAIRE DES

LOIS AUX SIGNIFICATIONS DES DISCOURS

Il me semble important de reconstituer un parcours préliminaire à ma recherche

proprement dite, lequel représente une sorte de « préhistoire » de ce mémoire,

pour que le lecteur puisse comprendre les premières décisions prises, que je

considère essentielles à la formulation définitive du présent travail.

En effet, cette recherche est le résultat (encore partiel et inachevé) d’un long

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processus d’apprentissage méthodologique et épistémologique sur

l’investigation scientifique en criminologie. Ses origines remontent à 2008,

moment de la constitution du Groupe de Recherche en Criminologie à

l’Universidade Estadual de Feira de Santana, au Brésil, sous la coordination du

professeur Riccardo Cappi.

A cette époque, après avoir terminé un travail de fin d’études en Droit sur les

rapports entre la psychiatrie et le droit pénal dans la construction sociale des

« délinquants malades mentaux »1 (Macedo, 2008), je me suis consacré, avec

une certaine liberté méthodologique, à une étude exploratoire sur l’historique

des lois brésiliennes criminalisant les conduites liées à l’usage, la production et

la commercialisation de certaines substances désignées comme « drogue ».

Au début, la recherche se penchait, de façon très large, sur ce que j’appelais à

ce moment-là le « contrôle pénal des drogues au Brésil», c’est-à-dire les

différentes manières formulées par l’Etat brésilien de répondre pénalement au

« problème de la drogue ». Plus particulièrement, je considérais la distinction

des réponses proposées par la loi, à l’égard des consommateurs et des

commerçants des produits qu’elle interdisait, un enjeu très important pour

l’observation.

La méthode d’analyse était très simple et visait notamment à l’exploration des

documents légaux. En suivant la proposition de Cappi (2011), les textes des

différentes lois ont été codés et regroupés selon trois catégories centrales : 1)

la représentation du problème ; 2) la perception de l’usager, et ; 3) la

conception des réponses2. Ensuite, les « modalités » relevant de chacune de

ces catégories ont été regroupées et une première observation a été réalisée.

Ce faisant, j’ai remarqué des variations significatives en ce qui concerne les 1 Ce travail discute les processus de définition qui se produisent dans le cadre de l´élaboration des sentences et expertises, respectivement par des juges et des psychiatres du Tribunal de Justice pénale de l´Etat de Bahia au Brésil. 2 L’analyse des données, à partir de ces trois « catégories de second ordre », a été inductivement élaborée par Cappi (2011, 134) dans sa recherche de doctorat sur les discours parlementaires à l’égard de l’abaissement de l’âge de la majorité pénale au Brésil. Cette méthode accompagne d’ailleurs, avec quelques modifications, le développement méthodologique du présent travail.

Page 15: Memoire   bastos

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mots utilisés pour expliciter quelle situation-problème liée à la drogue motivait

l’élaboration d’une loi : par exemple, la « toxicomanie », la « consommation »,

l’« usage abusif », la « dépendance », la « production », la « contrebande », le

« trafic illicite », etc. Pareillement, la façon de nommer les sujets changeait

significativement d’une législation à l’autre : « toxicomane », « drogué »3,

« dépendant », « usager », « infracteur », telles ont été des expressions

rencontrées dans les lois pour faire référence à celui qui fait un usage, abusif

ou non, d’une substance interdite.

Et, finalement, nous avons pu constater qu’au Brésil le modèle de réponse

légalement proposée pour faire face au « problème de la drogue » s’est

fortement modifié au cours du XXe siècle. En effet, il était possible d’observer,

en termes généraux, la transition d’une régulation initiale plutôt administrative et

encore faiblement pénale (décret-loi 891/1938) vers des choix législatifs allant

dans le sens de la légitimation de la « guerre à la drogue » (lois 5.726/1971 et

6.368/1976), jusqu’à une certaine « mitigation » du caractère pénal en la

matière (initié par la loi 10.409/2002 et renforcé dans la loi 11.343/2006).

Essentiellement exploratoire, cette recherche a eu l’importance de permettre un

premier contact avec la problématique de la criminalisation des drogues au

Brésil, ainsi qu’une familiarisation du chercheur avec des techniques de

recherche qualitative. Néanmoins, pendant la réalisation d’un Séjour d’études

en Belgique (avril 2009), les commentaires critiques formulés par le professeur

Dan Kaminski à l’égard des projets présentés par ledit Groupe de recherche en

criminologie m’ont fait apercevoir les limitations d’un travail d’investigation

centré uniquement sur le contenu des textes de loi4.

3 Je traduis ici par « drogué » le terme « viciado » dont la traduction en langue française s’avère difficile. En effet, le substantif portugais « vício », duquel l’adjectif « viciado » dérive, transmet en même temps l’idée de « dépendance » et celle de « vice », à connotation clairement plus moralisante, dont je ne trouve pas l’équivalent en français. Pour la traduction de cette même expression dans les discours parlementaires, j’ai préféré utiliser le terme « accro », dont l’usage oral et informel me semble plus proche du sens de l’idée de « viciado ». Je n’y utilise donc le terme « drogué » que pour traduire l’adjectif « drogado ». 4 Le texte présenté ici est une version librement adaptée des commentaires proférés oralement, de façon informelle et non structurée, par le professeur Kaminski. Son discours à l’égard de la recherche qualitative ayant pour objet les textes de loi a été enregistré en format vidéo par les membres du Groupe de recherche en Criminologie et transcrit par moi-même. Il reste à dire que

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Tout d’abord, une loi est un texte qui « n’a pas de sens » à lui seul. Afin de

constituer des normes générales et abstraites, l’écriture juridique cherche

l’objectivation la plus parfaite – autant que possible – des énoncés d’une loi,

laquelle est codée en telle façon que tous les sens s’en soient disparus. L’enjeu

de l’élaboration de la loi est donc celui de faire disparaitre toute signification qui,

en quelque sorte, pourrait attacher directement le texte à une réalité sociale

spécifique ou concrète.

Par contre, il y a lieu de nuancer ce qui vient d’être dit. En effet, les lois ont

nécessairement un vocabulaire, ce qui permet d’ailleurs la réalisation d’une

analyse comparative. En 1938, par exemple, celui qui fait un usage abusif de

certaines substances est appelé « toxicomane » ; par contre, dans le texte de la

loi 11.343/2006, on l’appellera « dépendant ». Un chercheur peut donc faire une

analyse par comparaison de la signification de ces vocabulaires qui, à des

époques différentes, sont présentés comme objectifs. Ainsi, il est possible

d’analyser des textes légaux qui ont peut-être des manières différentes

d’objectiver une réalité, mais ce travail se limite à l’analyse du vocabulaire

employé. Les résultats de la recherche sont, à priori, plus adéquatement valides

en termes de description que de compréhension du phénomène étudié.

Alors, si l’on veut approcher le sens, la signification d’un dispositif légal, il faut

aller voir ailleurs que dans son texte. En reprenant la métaphore évoquée par

Kaminski (enregistrement, 2009), à moins que ce soit leur mise en œuvre ce

qui nous intéresse, les lois sont des textes déjà morts, « ce sont des cadavres,

rigidifiés. Même si elles sont encore en application. (…) Une loi, en tant que

texte, n’est paradoxalement vivante que tant qu’elle n’est pas adoptée. C’est la

vie intra-utérine de la loi qui est intéressante (…) »5. Pour lui, « la loi est le

résultat codé (et le plus souvent un compromis) d’une discussion conflictuelle,

ce texte n’a aucune prétention de reproduire tout le contenu de ce discours et vise uniquement à en reprendre quelques idées centrales. 5 Bien sûr, il peut également être important d’étudier l’application d’une loi, laquelle constitue sa « vie extra-utérine ». Dans ce cas, il s’agit d’aller toujours voir ailleurs que dans son texte, puisque l’application de la loi englobe, en plus du texte (voire même contre lui), des ressources institutionnelles, organisationnelles, professionnelles et celles produites au moment même de l’interaction entre les acteurs qui se trouvent devant une situation inédite ou particulière. (Lascoumes, 1990a ; Kaminski, enregistrement, 2009).

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interne à la société ou à ses représentants politiques. Donc la signification de la

loi ne peut se trouver que par l’examen des conflits et de leurs résolutions

progressives ».

Ces constats ont fait basculer le projet initial. Même si je n’avais pas encore

une « question de recherche » précisément formulée, il m’a semblé très limitant

de restreindre l’analyse au vocabulaire des textes de loi sur les drogues. C’était

plutôt leurs significations qui m’intéressaient. Ainsi, si je cherchais des

significations, des éléments de réflexion qui pourraient éventuellement

m’apporter une compréhension du phénomène du « contrôle pénal des

drogues » dans la réalité brésilienne, les lois – ces cadavres rigides – n’étaient

pas la source adéquate pour les fournir. Il fallait donc aller à la rencontre d’une

« scène » où des choses « significatives » pourraient se passer. Dans ce cas,

les travaux préparatoires d’une loi sont apparus comme un matériau intéressant

à observer.

J’ai alors choisi une nouvelle source pour la (nouvelle) recherche : les débats

parlementaires concernant l’élaboration des lois sur les drogues. En effet, ceux

qui ont parlé et participé à la production de la loi ont en même temps mobilisé

des catégories, des représentations et des arguments dans leurs discours pour

justifier une idée ou une position prise à l’égard des questions en jeu. Il y a

donc là, à l’intérieur de ces discours, des significations dont l’analyse peut

aboutir à des résultats plus expressifs pour la compréhension du phénomène

« contrôle pénal des drogues » que la simple comparaison des vocabulaires

utilisés dans les lois. J’ai donc pris la décision d’abandonner les discours légaux

comme objet d’étude, en me tournant vers l’analyse des discours

parlementaires formulés autour du sujet de la drogue, à l’occasion de

discussions sur une réforme légale.

Par contre, si je savais déjà vers quelle « scène » diriger le regard, il fallait

encore préciser « quoi » observer dans les travaux parlementaires, ainsi que

décider « où » et « comment » le faire. Autrement dit, il était avant tout

nécessaire de formuler une question de recherche. Mais celle-ci n’était que le

point de départ d’une série de décisions sur les contours de l’objet et la

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18

méthodologie pour l’observer : je devais encore délimiter le champ

d’observation, échantillonner les discours, les récolter et finalement en définir

une méthode d’analyse6. Les défis d’une recherche venaient à peine de

commencer.

2. LES DROGUES, CES « CHOSES » DONT ON PARLE...

Avant de passer à la construction du problème de recherche, il me semble

important d’interroger les mots utilisés pour désigner l’objet de la recherche et

les significations qui peuvent lui être attribuées. En effet, de quoi parlons-nous

lorsque nous évoquons l’idée d’un « problème de la drogue » ? Qu’est-ce que

cette expression peut vouloir dire ? Et, même avant cela, qu’est-ce que c’est

qu’une « drogue » ? Évidemment, le mot « drogue » n’est pas univoque,

pouvant se référer à des produits ou des groupes de produits assez différents,

récréatifs ou médicinaux, interdits ou non…

D’après le Dictionnaire de la langue française Le Robert (2006, p. 416), les

acceptions contemporaines du terme « drogue » sont : « 1. Médicament dont

on conteste l’utilité, l’efficacité ou dont on condamne l’usage. Toutes les

drogues que lui ordonne son médecin lui font plus de mal que de bien. 2. LA

DROGUE : toxiques, stupéfiants (cocaïne, morphine, L.S.D., etc.). Trafic de

drogue. ». Sur le site du Centre National de Ressources Textuelles et

Lexicales7, il est possible de retrouver des définitions plus complexes :

« 1. Matière première d'origine animale, végétale ou minérale, employée pour la préparation des médicaments magistraux et officinaux ; substance utilisée en teinture et employée à divers usages ménagers. 2. Anciennt. Se disait spécialement d'un remède préparé de façon artisanale. Auj., parfois péj. Remède, médicament. Administrer, prendre des drogues. Avez-vous pris votre drogue ? 3. Généralement au singulier. La drogue, nom donné à l'ensemble des substances naturelles ou synthétiques, comme la cocaïne, la morphine, l'héroïne, les dérivés du chanvre indien, les amphétamines, dont certaines sont utilisées en thérapeutique, mais dont l'usage illégal et répété, à la recherche d'une évasion du réel, crée la dépendance et conduit à la toxicomanie. Les drogues peuvent avoir des effets hallucinogènes ou 6 Il est important de souligner que ces étapes sont des processus intellectuels différents qui apparaissent au début de la recherche, mais pas nécessairement dans cet ordre temporel. Dans ce travail, elles se sont plus ou moins imbriquées temporellement, ce qui pose parfois des difficultés pour les expliquer séparément et à postériori. 7 Référence trouvée à l’adresse virtuelle : http://www.cnrtl.fr/definition/drogue.

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19

stupéfiants. Drogue dure, drogue douce, dont les effets immédiats sont plus ou moins graves. L'accoutumance aux drogues douces peut conduire à l'usage de drogues dures. La vente de la drogue est strictement règlementée dans la plupart des pays. Les fabricants, les trafiquants de drogue. La lutte contre la drogue. La douane a saisi une cargaison de drogue. Par ext. Fam. Le café est sa drogue quotidienne. Fig. et péj. Ce qui intoxique l'esprit, ce dont on ne peut se passer. Le jeu peut devenir une drogue. » (Nous soulignons). Malgré son étymologie obscure, l’origine du mot « drogue » semble venir du

néerlandais « droog » qui veut dire « plante sèche réservée à la pharmacie ou à

la cuisine ». Nous retrouvons également une influence douteuse du celtique

« drwg » : « chose mauvaise »8.

A partir de ces définitions, il y a lieu de postuler deux significations différentes

du mot « drogue ». La première, plus générale et « neutre », fait référence à

« drogue » comme une substance utilisée en teinture, à la cuisine ou

notamment en médicine. Il est question de voir la « drogue » ici plutôt comme la

source d’un médicament, « substance spécialement préparée pour servir de

remède » (Le Robert, 2006, p. 819), pouvant faire du bien mais aussi produire

un mal selon l’usage que l’on en fait.

La deuxième signification, plus spécifique à certains produits, conçoit « la

drogue » comme un « stupéfiant » :

« Substance euphorisante (opium, morphine, cocaïne…) entraînant généralement une accoutumance et un état de stupeur. => drogue . Trafic de stupéfiants » (Le Robert, 2006, p. 1270). « (Substance toxique) qui agit sur le système nerveux en provoquant un effet analgésique, narcotique ou euphorisant dont l'usage répété entraîne une accoutumance et une dépendance. (…) Produit naturel ou synthétique dont l'usage est sévèrement réglementé tant dans sa prescription médicale que dans son emploi, afin de contrôler et d'interdire le trafic de ces produits et leur usage conduisant à la toxicomanie » (CNRTL9).

Dans ce deuxième sens, l’usage que l’on fait du mot « drogue » est déjà chargé

de certaines connotations morales. Plusieurs éléments semblent donc lier « la

drogue » à l’idée d’une « chose mauvaise » : d’un côté, son usage

8 Référence trouvée à l’adresse virtuelle du Dizionario Etimologico Online: http://etimo.it/?term=droga&find=Cerca, et confirmé par les analyses de Bertolotti (1958). 9 Référence trouvée à l’adresse virtuelle : http://www.cnrtl.fr/definition/stupefiant.

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20

« généralement entraîne » l’état de stupeur10, l’accoutumance11, la

dépendance12, voire la toxicomanie13 ; de l’autre côté, la référence fréquente au

« trafic », « commerce plus ou moins clandestin, honteux et illicite » (Le Robert,

2006, p. 1347), indique une production et une commercialisation marginales,

échappant à la régulation et au contrôle étatiques.

Il est dès lors possible de remarquer une distinction, au niveau terminologique,

entre « drogue », produit ou substance que l’on prend comme une sorte de

« remède », et « la drogue », stupéfiant qui entraîne la dépendance et dont

l’usage, le commerce et la production sont souvent interdits.

Au plan concret, cette distinction s’avère moins évidente. D’abord, les

« remèdes » peuvent aussi entraîner une dépendance et leurs usages peuvent

bien être motivés par « la recherche d’une évasion du réel ». De façon

identique, certains produits comme l’alcool et le tabac14 conduisent également

(et même davantage) à la toxicomanie sans que leur usage soit pour autant

interdit.

Par ailleurs, un stupéfiant (« la drogue ») peut tout de même « servir de

remède », « en provoquant un effet analgésique, narcotique ou euphorisant »

(CNRTL). Selon Bucher (1989, p. 18), « la drogue » a encore une fonction

rassurante et anxiolytique très ancienne, en permettant à son usager

10 « 1. Incapacité totale d’agir et de penser (due à un trouble, à un choc moral, psychologique, à des substances chimiques). 2. Etonnement profond. => stupéfaction . Je suis resté muet de stupeur. » (Le Robert, 2006, p. 1271). Du latim stupor: l’état de l’âme de celui qui, en voyant des choses merveilleuses, reste muet (Référence trouvée à l’adresse virtuelle du Dizionario Etimologico Online: http://etimo.it/?term=stupore&find=Cerca). 11 « 1. Le fait de s’habituer, de se familiariser. (…) 2. Processus par lequel un organisme tolère de mieux en mieux un agent extérieur (…). – Etat dû à l’usage prolongé d’une drogue (désir de continuer, etc.). => dépendance. » (Le Robert, 2006, p. 11). 12 « 1. Rapport qui fait qu’une chose dépend d’une autre => corrélation. Dépendance entre des faits. 2. Le fait pour une personne de dépendre de qqn ou de qqch. => assujettissement, servitude, sujétion. Être dans, sous la dépendance de qqn. (…) – Asservissement à une drogue. 3. Etat d’une personne qui n’est pas ou n’est plus autonome dans la vie quotidienne. » (Le Robert, 2006, p. 360). 13 « Habitude de consommer régulièrement des substances ou des médicaments toxiques (opium, cocaïne, haschisch, hypnotiques), créant un état de dépendance psychique et physique. => intoxication . » (Le Robert, 2006, p. 1345). 14 Plusieurs produits se trouvent dans la même situation, comme la Salvia Divinorum dont l’usage, la production et la commercialisation ne sont pas interdits dans certains pays, comme le Brésil.

Page 21: Memoire   bastos

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d’échapper à la conscience de la fugacité de l’existence et à l’angoisse que cela

entraîne. Pour Nowlis (1975, p. 53),

« on cherche dans l’usage de stupéfiants cinq effets pharmacologiques principaux : 1) soulager la douleur (…) ; 2) essayer de réduire une activité ou une sensation qui atteint un niveau désagréable ou indésirable, comme l’anxiété, la frousse, l’insomnie, l’hyperstimulation… (…) ; 3) essayer d’augmenter le niveau d’activité et la sensation de puissance, ou de réduire la sensation de fatigue, de dépression, de somnolence. (…) ; 4) essayer d’avoir des modifications dans la façon habituel de perception de l’individu face à son propre moyen physique et social, c’est-à-dire, explorer, sortir de soi-même, avoir des nouvelles intuitions, augmenter sa créativité, augmenter l’intensité des expériences sensorielles et esthétiques et le plaisir que l’individu en tire ; 5) essayer d’atteindre plusieurs degrés d’ivresse, d’hallucination, d’euphorie, des sensations d’être en train te flotter ou de vertige… » Alors, il nous semble qu’une caractéristique fondamentale pour distinguer « la

drogue » des autres « drogues »15 est le fait de son interdiction légale. Il y a

même lieu de soutenir que « la drogue » porte ce nom en raison de la

normativité pénale à laquelle elle est indexée (Kaminski, 2003, 15). Autrement

dit, ce qui différencie les « stupéfiants » des produits comme les médicaments,

l’alcool ou le tabac est essentiellement le processus de criminalisation16 que les

premiers ont subi.

Bien que la criminalisation de certaines drogues et de leur usage soit le résultat

d’un processus historique très récent (Guillain, 2009, 458-459), il est possible

d’observer l’existence aujourd’hui d’un quasi-« amalgame » entre « la drogue »

15 Cette distinction terminologique sera partiellement soutenue dans l’écriture du présent travail. Ainsi, lorsque j’écris « les drogues » (au pluriel), je veux faire référence à l’ensemble des substances qui, introduites dans l’organisme, affectent le système nerveux et en modifient le fonctionnement habituel, jusqu’à entrainer (ou non) la dépendance. Par ailleurs, l’utilisation d’expressions comme « stupéfiant » (ou « stupéfiants ») ou « la drogue » (au singulier) désigne spécifiquement les produits pénalement interdits. Finalement, pour indiquer le groupe des produits dont l’usage, le commerce et/ou la production sont autorisés et régulés par l’Etat, je ferai l’usage de l’expression « drogues licites ». 16 La criminalisation consiste en un processus d’interdiction légale d’un comportement par l’attribution (ou la menace) d’une peine à son auteur (Robert, 2005). Ce processus se réalise en deux moments distincts : le premier, que l’on appelle la « criminalisation primaire », consiste essentiellement dans les étapes de la production de la loi pénale, et le deuxième, nommé « criminalisation secondaire », consiste dans le travail effectif des agences (la police, le parquet, la magistrature, le service pénitentiaire…) qui opèrent la mise en œuvre de cette loi. Il est important de dire que la criminalisation secondaire est relativement autonome par rapport à l’incrimination légale : un comportement peut être criminalisé par le législateur sans que pour autant des gens soient arrêtés, poursuivis, jugés, condamnés et emprisonnés. Tout dépend du fonctionnement et des objectifs de certaines agences du système pénal : la police, le parquet et la magistrature opèrent un « filtrage » des conduites (et/ou des personnes) qui sont les cibles prioritaires de leur travail, parmi l’ensemble des comportements criminalisés (et de toutes les personnes qui passent à l’acte – à la limite même sans le faire), en soumettant effectivement à une peine ceux qui ne disposent pas des moyens d’y échapper.

Page 22: Memoire   bastos

22

et le droit pénal. Si depuis longtemps les sociétés inscrivent l’usage de drogues

dans leurs contextes les plus divers – économique, médical, religieux, rituel,

culturel, psychologique, esthétique, voire militaire (Bucher, 1989, p. 18) – sans

que cela fasse l’objet d’aucune forme de sanction punitive, au tournant du XXe

siècle17, la drogue commence à être publiquement problématisée et sa

construction pénale apparaît comme « la » réponse. Depuis ce moment, la

réaction sociale prépondérante à l’usage d’un produit stupéfiant est devenue,

jusqu’à aujourd’hui, la menace d’une peine.

3. LA PROBLÉMATIQUE DE RECHERCHE

Dans un papier publié dans la revue électronique Champ Pénal18, Pires et

Cauchie (2007) analysent « une modification hyper improbable concernant les

peines », présente dans une nouvelle loi en matière de drogues : la loi

brésilienne nº 11.343, du 23 août 2006, actuellement en application. Il s’agit de

l’article 28 qui se trouve dans le chapitre III de cette loi (« Des crimes et des

peines »). Voici le texte de cet article :

« Art. 28 : Quiconque achète, garde, a en dépôt, transporte ou amène sur soi, pour la consommation personnelle, des drogues sans autorisation ou à l’encontre d’un dispositif légal ou règlementaire sera soumis aux peines suivantes : I. Avertissement sur les effets des drogues ; II. Prestations de services à la communauté ; III. Mesure éducative de participation à un programme ou cours éducatif. § 1° Les mêmes mesures s’appliquent à quiconque, po ur sa consommation personnelle, sème, cultive ou cueille des plantes destinées à la préparation d’une petite quantité de substance ou de produit susceptible de causer une dépendance physique ou psychique. § 2° Pour déterminer si la drogue est destinée à la consommation personnelle, le juge tiendra compte de la nature et de la quantité de substance appréhendée, du lieu et des conditions où l’action s’est passée, des circonstances sociales et personnelles, aussi bien que de la conduite et des antécédents judiciaires de l’individu. § 3° Les peines prévues dans les points II et III d e l’en-tête de cet article seront appliquées pour une durée maximale de 5 (cinq) mois ». 17 C’est en effet à cette époque qu’émerge, notamment aux États-Unis, un discours de diabolisation des drogues (l’alcool y compris) et de stigmatisation de leurs usagers, porté d’une part, par les ligues de tempérance, et d’autre part, par les milieux médicaux. Pour les premiers, il s’agit de représenter la drogue comme « le symptôme d’une dégénérescence sociale », tandis que ces derniers veulent opérer un contrôle monopolisé de sa circulation (Guillain, 2009, 490). Le racisme à l’égard des Chinois, des Noirs et des Mexicains, auxquels on associait l’usage de l’opium, de la cocaïne et de la marijuana respectivement, a aussi joué un rôle dans la promulgation des premières lois prohibant l’usage de stupéfiants (Beauchesne, 1991, 107-119). 18 Disponible à l’adresse électronique suivante : http://champpenal.revues.org/1541.

Page 23: Memoire   bastos

23

Pour les auteurs, ce dispositif légal constitue un évènement « improbable » et

« accidentel », présentant cinq dimensions qui lui donnent, plus ou moins selon

le cas, un caractère « surprenant » :

1) la peine de prison est exclue comme sanction autorisée au juge à l’égard des crimes qui y sont prévus;

2) il est rare de voir un article de loi qui constitue des crimes prévoir en même temps des peines autres que la mort, le châtiment corporel, l’emprisonnement ou l’amende ;

3) les peines prévues dans cet article n’ont pas usuellement le statut juridique de peines dans les lois criminelles, d’habitude elles ne sont pas usuellement des peines indépendantes des peines de prison, et ne sont pas des peines valorisées par les théories modernes de la peine19 ;

4) les peines sélectionnées ne correspondent pas de façon optimale au concept de peine qui exige de la part de l’autorité l’intention visible de vouloir infliger une souffrance ou une blessure au coupable;

5) les peines prévues dans cet article ne correspondent pas non plus de façon optimale aux peines auxquelles la doctrine criminelle pense lorsqu’elle soutient que « le crime se définit par la peine »20 (Pires et Cauchie, 2007, s.p.).

Les auteurs mentionnent que, suite à l’approbation de la loi, cet article sui

generis a engendré plusieurs débats entre les pénalistes brésiliens sur les

conséquences juridico-pénales d’une telle réglementation. Ces discussions se

centraient autour de la question de savoir si l’article analysé avait ou non

effectué une « décriminalisation » ou une « dépénalisation » de l’usage de

drogues au Brésil. Toutefois, en s’attachant à une discussion conceptuelle sur

le caractère potentiellement innovateur de « cet élément perturbateur » pour les

19 D’après Pires (2009), les théories modernes de la peine (rétribution, dissuasion, neutralisation et le premier paradigme de la théorie de la réhabilitation) sont souvent articulées les unes aux autres, en constituant un système d’idées fermé qu’il appelle la « rationalité pénale moderne ». Cette « manière de penser » la justice pénale et le rapport crime-peine défend essentiellement la (sur)valorisation des sanctions afflictives ou carcérales, la valorisation de la sévérité ou de la durée de la peine, l’obligation de punir et la « dévalorisation des sanctions pénales non afflictives ». Autrement dit, la « rationalité pénale moderne » considère « l’inflicction intentionnelle d’une douleur » au coupable (Christie, 2005) comme la réponse nécessaire au « mal » qu’il a causé au travers de son crime. 20 Dans ce sens, l’article premier du Décret-loi 3.914, du 09 décembre, 1941 – Loi d’introduction au Code Pénal brésilien, prévoit : « Art. 1er. L’on considère crime l’infraction pénale à laquelle la loi commine la peine de réclusion ou de détention soit isolément, soit alternativement ou cumulativement à la peine d’amende ; l’on considère contravention, l’infraction pénale à laquelle la loi commine, isolément, la peine de prison simple ou d’amende, ou les deux, alternativement ou cumulativement ».

Page 24: Memoire   bastos

24

systèmes politique et de droit criminel, Pires et Cauchie ne s’intéressent pas

aux aspects qu’il comporte au regard du thème spécifique des drogues21.

A partir de la lecture de cet article, j’ai décidé de suivre la piste implicitement

laissé par ses auteurs et de réaliser ce qu’ils n’ont pas fait. Ainsi, au lieu de me

pencher sur les conséquences de cet « évènement accidentel » sur les

« manières de penser » le rapport crime-peine, il m’a semblé pertinent d’étudier

les « manières de voir » cet « élément perturbateur » par ceux qui l’ont formulé.

Autrement dit, il pourrait être intéressant d’observer comment cette idée –

l’incrimination de l’usage de drogues n’ayant pas la prison comme peine – a été

discutée par les parlementaires brésiliens, dans le cadre spécifique de la

réforme de la loi sur les drogues. J’ai donc décidé d’analyser le débat sur la

« décriminalisation », la « dépénalisation » et la « décarcéralisation », non pas

après l’approbation de la loi 11.343/2006, mais pendant le processus de son

élaboration et tel qu’il se présente dans l’enceinte parlementaire.

Ce faisant, il serait possible d’identifier les différentes positions prises par ces

parlementaires en ce qui concerne la réponse juridico-pénale à attribuer au

phénomène de l’usage de drogues, ainsi que la façon dont on construit et

justifie ces positions. En conséquence, j’ai formulé une question de recherche

pouvant être énoncée de la manière qui suit : « A l’occasion de l’élaboration de

la loi brésilienne nº 11.343/2006, quelles ont été les différentes positions

parlementaires à l’égard des réponses étatiques face à l’usage de drogues ? »

L’objectif de cette recherche est donc de comprendre certains enjeux

spécifiques au processus de réforme de ladite loi de drogues brésilienne, ainsi

que des « manières de penser » le problème de l’usage de drogues en général

et, par conséquent, d’y répondre. Je cherche ainsi « à réfléchir sur les

implications d’une décision politique, (…) à comprendre plus nettement

comment certaines personnes appréhendent un phénomène et à rendre

visibles certains fondements de leurs représentations » (Quivy et Van

21 D’après eux, « le statut ‘improbable’ de ce changement aurait en effet été le même si cette modification avait porté sur un autre crime » (Pires et Cauchie, 2007).

Page 25: Memoire   bastos

25

Campenhoudt, 2006, 19).

Ceci dit, il est important de rappeler au lecteur que le processus d’élaboration

d’une norme pénale n’est pas que le résultat de débats parlementaires. En

effet, selon Lascoumes (1990b), l’analyse de la prise de décision politique

conduisant à la création de la loi pénale doit se faire de façon séquentielle, en

intégrant une pluralité d’acteurs interreliés et impliqués dans des formes

d’action diversifiées. Ainsi, cet auteur propose de distinguer quatre groupes de

« définisseurs », c’est-à-dire des acteurs qui luttent pour ou contre la définition

de problèmes et pour ou contre la nécessité de leur traduire pénalement :

1. les acteurs qui représentent une revendication collective ou la défense d’intérêts de certains groupes (mouvements féministes, anti-homophobie, pour la légalisation des drogues, par exemple) ;

2. des groupes corporatistes ou lobbies professionnels qui interviennent directement auprès des groupes parlementaires ou de l’exécutif gouvernemental :

3. les acteurs technocratiques, très proches des centres de décision mais faiblement visibles (les fonctionnaires du parlement, des ministères, etc.) ;

4. enfin, les acteurs politiques, agissant en fonction de ce qu’ils perçoivent de leur électorat passé ou futur.

Dans le processus d’élaboration ou de réforme d’une loi, il est possible de

retrouver des conflits, des ajustements, des compromis et des rapports de force

entre ces différents groupes. Comprendre ce processus implique donc de

prendre en compte l’action de tous ces acteurs sur la scène politique et même

dans ses coulisses.

Dans cette recherche, je ne centre mon analyse que sur l’action discursive de

membres du dernier de ces groupes : les acteurs parlementaires. Ainsi, le point

névralgique de mon problème n’est pas en soi le processus d’élaboration de la

loi 11.343/2006, mais plutôt comment les parlementaires (députés et sénateurs)

construisent et justifient, au moment de la réforme légale, les réponses

politiques et juridico-pénales à donner au problème de l’usage de drogue.

Page 26: Memoire   bastos

26

Le moment de la réforme n’est donc pas étudié pour lui-même, mais il est

considéré dans mon travail comme le contexte d’émergence des discours que

je désire analyser. La sélection de ce contexte particulier se justifie dès lors ici

par le fait qu’il est plus probable d’y trouver des discours qui proposent des

réponses concrètes pour le problème diagnostiqué et non seulement des

options normatives abstraites.

4. LES OPTIONS MÉTHODOLOGIQUES

4.1. La récolte des données

La constitution du corpus empirique de cette recherche est le résultat de deux

étapes distinctes : 1) la création d’une base de données reprenant tous les

documents et discours produits au sujet de la drogue pendant le processus

d’élaboration de la loi 11.343/2006 et 2) la réalisation d’un échantillonnage

qualitatif pour sélectionner les discours qui seraient effectivement retenus pour

l’analyse.

En ce sens, la spécificité de l’objet choisi inscrit le présent travail dans la

technique de recherche que Quivy et Campenhoudt (2006, p. 201-205)

appellent la « récolte des données préexistantes », étant donné que les

discours proférés par les parlementaires existent préalablement et

indépendamment de l’analyse.

La récolte des discours utilisés dans la présente recherche a été réalisée au

moyen des sites internet de la Chambre des Députés22 et du Sénat Fédéral23

du Brésil. À travers ces sites, il a été possible de retrouver des documents

divers liés au processus de réforme de la loi sur les drogues, parmi lesquels :

- les lois 10.409, du 11 janvier 2002, et 11.343, du 23 août 2006 ;

- différents projets de loi :

22 Adresse électronique : http://www.camara.gov.br. 23 Adresse électronique : http://www.senado.gov.br

Page 27: Memoire   bastos

27

o le projet 6108/2002, élaboré par le Président de la République, à l’époque M. Fernando Henrique Cardoso, suite au véto partiel opposé à la loi 10.409/2002 ;

o le projet 115/2002, élaboré par un groupe de travail du Sénat, intitulé « Crime organisé, narcotrafic et blanchiment d’argent », et ;

o le projet substitutif 7134-B, élaboré par la Chambre des Députés, sur base de l’analyse simultanée des deux autres projets ;

- les « avis » prononcés par les rapporteurs des projets mentionnés ci-dessus dans les commissions où ils ont transité :

o l’avis sur le Projet 6108/2002, émis par Vicente Arruda (PSDB-

CE), à la Commission de Sécurité Publique et Combat au Crime Organisé (CSPCCO) de la Chambre des Députés ;

o l’avis sur les Projets 6108/2002 et 115/2002 et sur l’élaboration du Projet Substitutif 7134-B, de Paulo Pimenta (PT-RS), à la Commission de Constitution, Justice et Rédaction (CCJR) de la Chambre des Députés ;

o l’avis du Projet Substitutif 7134-B, établi par Sérgio Cabral (PMDB-RJ), à la Commission des Affaires Sociales (CAS) du Sénat Fédéral, et ;

o l’avis du Projet Substitutif 7134-B, formulé par Romeu Tuma (PFL-SP), à la Commission de Constitution, Justice et Citoyenneté (CCJC) du Sénat Fédéral ;

- et, enfin, tous les amendements proposés par différents députés et

sénateurs.

Par la suite, sur les sites de chacune des Commissions parlementaires

mentionnés au-dessus, j’ai pu retrouver les discussions qui y ont eu lieu, en

rapport direct avec les dispositifs de la nouvelle loi sur les drogues.

Une fois ces documents téléchargés, une première lecture en a été faite, dans

le but de mieux approcher le processus d’élaboration de la loi et les enjeux qui

s’y présentaient à première vue. Ce faisant, j’ai pu constater que ces

documents étaient assez riches en détails sur les débats liés à la pertinence et

à la rédaction adéquate de plusieurs dispositifs légaux réglementant la

thématique des drogues dans le pays.

Cependant, dans leur grande majorité, ces textes ne présentaient que des

points de vue très ciblés à l’égard de la matière sous examen (par exemple, la

durée de la peine pour le crime de blanchiment d’argent en rapport avec le

Page 28: Memoire   bastos

28

trafic de drogues ; les types de sanctions à appliquer à l’usager de drogues ; la

responsabilité étatique pour l’organisation des communautés thérapeutiques,

etc.). Il y manquait donc l’expression plus fouillée des représentations des

parlementaires à l’égard du problème, susceptibles de m’aider à comprendre

les choix opérés ou les propositions défendues.

En conséquence, j’ai décidé de réaliser une nouvelle recherche sur les mêmes

sites, afin d’y trouver les discours prononcés à la tribune de l’assemblée

plénière, tant de la Chambre que du Sénat, pendant toute la période de la

réforme légale24. L’intérêt de ces discours réside dans le fait que les députés et

les sénateurs peuvent s’y exprimer librement, sur les thématiques qui leur

conviennent le plus et qui sont portées normalement à l’agenda politique du

moment.

En introduisant dans le moteur de recherche des sites officiels le terme

« droga » (en français, « drogue »), il a été possible de retrouver les

transcriptions de toutes les manifestations parlementaires émises, sur le sujet,

à la tribune de la Chambre et du Sénat. Après la lecture de ces textes, j’ai

téléchargé les documents jugés pertinents pour ce travail25.

Ensuite, j’ai construit une base de données à l’aide du logiciel Microsoft Access,

contenant tous ces textes téléchargés : j’ai classé par orateur, date, chambre

et lieu de Production (assemblée plénière ou commissions). Cette base de

données contient 609 entrées, soit une quantité suffisamment importante pour

« l’épuisement » du problème mais en même temps trop importante, étant

donné le temps et les ressources dont je disposais, pour effectuer l’analyse

subséquente. Ce paradoxe a rendu impératif et nécessaire la réalisation d’un

échantillonnage pour constituer le groupe des discours sur lequel mon analyse

24 Cette période s’étend du 22 février 2002, date du renvoi du Projet 6108/2002 à la Chambre par le Président Fernando Henrique Cardoso, jusqu’au 23 août 2006, date à laquelle la loi 11.343 a été signée par le Président Luís Inácio da Silva (Lula). 25 En effet, des discours dans lesquels le mot « drogue » était utilisé ne parlaient pas du tout du « problème de la drogue ». Le moteur de recherche a donc sélectionné des discours sur des thématiques diverses, comme par exemple la situation économique du Brésil, à propos de laquelle un député se prononçait en disant : « Notre pays est une drogue ». Ces discours n’avaient donc aucune pertinence pour cette recherche. De façon identifique, d’autres discours dans lesquels la place de la question « drogue » dans l’ensemble du discours était trop réduite ont été directement exclus.

Page 29: Memoire   bastos

29

porterait effectivement.

A partir de cette base de données reprenant tous les discours prononcés sur le

sujet de la drogue pendant la période d’élaboration de la loi 11.343/2006, j’ai

décidé de centrer l’analyse sur les discours au sein desquels les parlementaires

discutaient spécifiquement la question de la (dé)criminalisation de la drogue ou

de la (dé)pénalisation de l’usager. En utilisant le moteur de recherche du

logiciel Microsoft Access, j’y ai introduit les mots-clés suivants : « *criminaliz* »

ou « *legaliz* » ou « *penaliz* » (en français, « *criminalis* » ou « *légalis* » ou

« *pénalis* »26). Ce critère de sélection a retenu 67 discours, groupe dont j’ai

encore exclu cinq discours qui ne touchaient pas directement aux questions

visées27. Mon échantillon (corpus empirique analysé dans la présente

recherche) est, donc, composé de 62 discours28.

De cet ensemble, 31 discours ont été prononcés à l’occasion des travaux

préparatoires de la loi, dont quatre sont les présentations des avis par les

rapporteurs ; 17 discours ont été tenus oralement dans des événements

organisés par des commissions parlementaires pour discuter sur les problèmes

liés à l’usage de drogues ; 14 discours constituent des manifestations « libres »

des parlementaires tenues oralement à la tribune. 34 discours ont été

prononcés à la Chambre et 28 au Sénat.

La structure de ces discours est enfin très diversifiée : ils peuvent varier d’une à

cinq pages ; traiter du sujet de la drogue en général ou cibler une question

spécifique (la durée de la peine, par exemple), fournir des informations de 26 Pour le lecteur moins familiarisé avec les techniques de « recherche » dans une base de données, il est peut-être important de souligner que cette façon de réaliser des recherches à l’aide de l’astérisque (« * ») vise à trouver des mots ou des passages qui contiennent l’information souhaitée, quelle que soit l’inflexion initiale et/ou finale du signifiant recherché. Dans ce travail, cette méthode a permis de retrouver tous les discours dans lesquels les parlementaires se sont exprimés en termes de « criminalis ation », « décriminalis ation », « criminalis er », « légalis ation », « dépénalis é », etc. 27 Ces discours contenaient les expressions recherchées, mais ils ne portaient pas sur le sujet espéré, parlant de la « légalisation des armes » ou d’une conférence sur l’abus de drogues, entre autres. Les cinq discours suivants sont concernés : Alice Portugal, PC do B-BA, 10/09/2003 ; Edna Macedo, PTB-SP, 22/10/2003 ; João Campos, PSDB-GO, 15/05/2003 ; Magno Malta, PL-ES, 21/06/2006, et ; Marçal Filho, PMDB-MS, 24/04/2002. 28 Le lecteur trouvera en annexe deux listes complètes des discours répertoriés à la Chambre des Députés et au Sénat Fédéral, présentés par date de dépôt, par parti et État du parlementaire qui en est l’auteur.

Page 30: Memoire   bastos

30

degrés très divers (n’exposer qu’un argument pour soutenir une position, en

exposer plusieurs, exposer des représentations sur la drogue ou seulement sur

l’usager, etc.).

4.2. L’analyse des données

Une fois délimité le corpus empirique de la recherche, il se révèle important de

fournir des informations à l’égard des méthodes utilisées pour effectuer

l’analyse des discours parlementaires.

Initialement, pour ce qui est du tracé de la recherche, la problématique formulée

m’a conduit à privilégier une démarche inductive, puisque l’objectif du présent

travail est notamment de générer des hypothèses, à partir de l’observation des

discours parlementaires. Ainsi, au départ, je ne cherche pas à vérifier dans ces

discours la pertinence d’une théorie spécifique, mais plutôt à générer, au

travers du processus de recherche, une ébauche de théorisation qui puisse

rendre compte de ce que je peux y observer. Par contre, à la fin du travail, des

éléments de déduction sont utilisés pour comparer les résultats de cette

recherche avec ceux d’autres auteurs.

La méthode d’analyse sur laquelle ce travail s’appuie est essentiellement la

« théorie fondée » (« grounded theory »), telle que proposée par Glaser et

Strauss (1967). Cette approche prévoit la génération d’une théorie à partir de la

codification, de la catégorisation et de la mise en relation des « unités de sens »

retrouvées dans les discours qui font l’objet de l’analyse29. Comme aucune

recherche ne peut être strictement inductive, le stéréoptype d’ancrage de ma

recherche (son présupposé en quelque sorte) se tient dans le postulat de la

cohérence interne des discours entre une position soutenue par l’orateur et les

« catégories » qu’il mobilise pour construire son propos.

Ainsi, dans un premier temps, j’ai lu attentivement les discours qui composent

29 Etant donné les limites du présent travail, il ne sera pas question d’expliquer chacune des étapes à suivre dans la démarche proposée par la « théorie fondée ». Je ne ferai donc référence qu’aux procédures qui sont directement utiles à rendre raison des opérations que j’ai réellement réalisées dans l’analyse des discours.

Page 31: Memoire   bastos

31

le corpus empirique, en y cherchant des manifestations sur les différentes

réponses juridico-pénales soutenues par les parlementaires à l’égard de l’usage

de drogues. Ce premier moment d’imprégnation a permis un contact initial avec

les discours, ainsi que la prise en compte des positions parlementaires, ayant

émergé pendant l’élaboration de la loi 11.343/2006.

Ensuite, pour réaliser la codification de ce matériel, j’ai observé – ligne par

ligne – ces mêmes discours, dans le but de faire ressortir des mots, des

expressions ou de courtes phrases représentant des idées, des significations,

des sens attribués par les parlementaires aux éléments évoqués pour discuter

la problématique de l’usage de drogues. Comme je n’avais à ce moment

aucune théorie pour guider la codification, j’ai fait émerger toutes les « unités de

sens » qui me paraissaient significatives et qui pourraient avoir une importance

pour l’élaboration des catégories de l’étape suivante.

En effet, le travail de catégorisation a consisté en l’attribution, aux « unités de

sens », d’« étiquettes » qui classifiaient les caractéristiques du phénomène par

des codes qui les représentent. Les catégories sont donc plus larges, plus

englobantes, que les codes initiaux (Glaser et Straus, 1967). A ce stade,

puisque j’avais obtenu un nombre très large et diversifié de catégories, il a été

nécessaire de restreindre la recherche, en analysant seulement certaines

catégories. Je me suis donc inspiré du travail de Cappi (2011) en lui empruntant

(pour l’adapter à mon sujet) l’idée de me centrer sur des classes de catégories

plus larges, telles que les « représentations de l’usage de drogues » et les

« perceptions de l’usager de drogues ». Cette « grille de lecture » des discours

a permis d’éviter la multiplication de « va-et-vient » requis par une induction

absolue ; elle fournit un « raccourci » pour calibrer la recherche dans des

proportions « réalistes ».

Ensuite, la mise en relation des diverses « modalités » pertinentes de chacune

de ces catégories a été réalisée, dans le but de trouver des « affinités » et des

« oppositions » dans le contenu des discours. A partir de ces deux grandes

catégories, englobant des sous-catégories, et des positions dégagées au début

de l’analyse, j’ai pu élaborer une schématisation des discours par

Page 32: Memoire   bastos

32

l’interprétation des sens attribués au phénomène analysé. Ce faisant, il a été

possible de construire des « discours-types », qui représentent les différentes

manières parlementaires de regarder et de traiter la problématique de l’usage

de drogues.

Il improte enfin de préciser que l’analyse des discours a été matériellement

facilitée par l’utilisation du logiciel libre WEFT-QDA, développé pour permettre

l’analyse de textes dans l’esprit de la théorie fondée. Ce programme permet de

créer et de modifier des catégories attribuées à des séquences textuelles ; il

rend également possible le comptage, le tri et la visualisation de l’ensemble des

séquences répertoriées sous une même catégorie et la recherche de mots dans

les textes.

Page 33: Memoire   bastos

33

DEUXIÈME PARTIE

Les débats parlementaires : positions politiques, r egards sur

les drogues et discours justificatifs

Dans cette deuxième partie, il sera question de présenter les résultats de

l’analyse empirique des discours parlementaires. Tout d’abord, j’exposerai au

premier chapitre les différents choix politiques des parlementaires indicatifs de

la réaction au « problème de l’usage de drogues » qu’ils préconisent. Il s’agira,

dans une premier temps, de dévoiler les postures politiques des parlementaires

sur la question de l’espace normatif où placer la question de l’usage de

drogues, c’est-à-dire à l’intérieur ou à l’extérieur du droit pénal. Dans un second

temps, la tâche sera de faire émerger les propositions de réponse au problème,

en ce qui concerne une option pénale spécifique : la peine d’emprisonnement.

Au deuxième chapitre, je laisse temporairement de côté les différentes positions

retrouvées dans les discours et je les rassemble, pour en extraire certaines

représentations à l’égard du problème auquel ils s’attachent. Ainsi, pour

montrer la façon dont les parlementaires construisent l’usage de drogues

comme un problème, je présenterai successivement leurs « représentations du

problème », ainsi que leurs « perceptions de l’usager de drogues ».

Le troisième chapitre se destine à la construction de « discours-types » sur les

manières de traiter la problématique débattue. J’y exposerai les différents

regards parlementaires sur l’usage de drogues, englobant les représentations,

les positions et les propositions de réponse. J’y présenterai également

certaines conclusions étonnantes que la construction de ces regards a fait

émerger.

Finalement, un effort de théorisation des résultats de cette recherche est réalisé

dans le quatrième chapitre, par l’intégration de ces conclusions à des

propositions théoriques préexistantes concernant les logiques de contrôle de

l’usage de drogues.

Page 34: Memoire   bastos

34

1. LES POSITIONS DES PARLEMENTAIRES EN MATIÈRE DE RÉPONSE À

L’USAGE DE DROGUES

Dans ce premier chapitre de la deuxième partie, je cherche à élucider deux

sortes d’opposition présentes dans les discours : le choix entre la

décriminalisation et le maintien de la criminalisation des drogues, ainsi que la

décision portant sur la décarcéralisation ou le maintien de l’emprisonnement de

l’usager de drogues.

1.1. Une première opposition : « décriminalisation » vs « maintien de la

criminalisation »

En ce qui concerne les positions des parlementaires, le premier point

d’observation des discours a été le choix qu’ils portaient sur le lieu où situer

l’intervention étatique en matière d’usage de drogues : dans ou hors du droit

pénal. J’ai donc analysé la nature (pénale ou non) de la réponse que les

parlementaires envisageaient d’attribuer à la conduite de la consommation de

stupéfiants.

Ceci dit, déjà à partir de l’échantillonnage réalisé, je cherchais à vérifier

l’existence d’une première opposition entre les discours parlementaires

favorables et défavorables à la criminalisation de l’usage de drogues . Pour

ce faire, j’ai lu attentivement les 62 discours sélectionnés, en les séparant en

deux modalités : « décriminalisation » et « maintien de la criminalisation ».

1.1.1. Les discours « non prohibitionnistes »

Je me suis penché initialement sur les discours qui prenaient une position pour

la décriminalisation de l’usage de drogues et que j’ai par conséquent

appelés les discours «non prohibitionnistes » . Leur trait d’affinité consistait

en la proposition, directe ou indirecte, de la « décriminalisation », de la

« légalisation » ou de la « libération » de l’usage de stupéfiants. Autrement dit,

ils proposaient que cette conduite ne doive pas être sanctionnée par le droit

pénal. Le plus souvent, ces discours défendaient également la régularisation de

Page 35: Memoire   bastos

35

la vente et le contrôle étatique du marché de la drogue comme la voie qui

devrait découler de sa décriminalisation.

Cela a été le cas pour 16 discours, prononcés par 7 parlementaires30. De cet

ensemble, seulement 4 discours ont été formulés aux occasions spécifiques

des votations du projet de loi et ce, à l’intérieur des Commissions de

Constitution et Justice où il a transité. Tous les autres ont eu lieu dans des

circonstances diverses, à l’intérieur d’évènements organisés par les

Commissions parlementaires (8 discours), et à l’occasion des discours libres à

la tribune de l’Assemblée plénière, tant de la Chambre (1 discours) que du

Sénat (3 discours). Aucun de ces discours ne constituait une Présentation

d’Avis concernant le projet de loi.

Cela m’a permis d’inférer un caractère « timide » de la prise de position

publique pour la décriminalisation de l’usage des drogues31. Il s’agissait en fait,

pour ces orateurs, de « commencer à discuter (…) s’il n’est pas l’heure de

décriminaliser la drogue »32, de chercher au moins « la meilleure stratégie pour

aborder la question des drogues et de leur décriminalisation »33, de « créer un

grand débat national sur la libéralisation et la décriminalisation de la drogue »34,

et ce, afin de penser et de défendre « la légalisation des drogues, avec des

procédures diverses »35 , « la décriminalisation des drogues »36 ou « la

décriminalisation de l’usage de drogues »37. Il pouvait être également question

de vouloir « légaliser le cannabis »38, « libéraliser la drogue et en maintenir

30 Les députés : Aloysio Nunes Ferreira, PSDB-SP; Fernando Gabeira, Sans Parti-RJ ; Guilherme Menezes, PT-BA ; et Vicente Arruda, PSDB-CE. Les sénateurs : Eduardo Suplicy, PT-SP ; Jefferson Péres, PDT-AM ; et João Batista Motta, PSDB-ES. 31 A titre d’information, il est intéressant de remarquer que, pendant la période analysée (2002-2006), au moins 596 parlementaires ont siégé au Congrès National brésilien, seulement 4 députés et 3 sénateurs ayant pris la parole pour soutenir ouvertement une proposition de décriminalisation à l’égard des drogues. De façon identique, d’un total de 609 discours constituant notre champ d’analyse, seulement 16 ont été centrés sur l’abandon de la répression pénale comme modèle de gestion de la drogue. 32 Jefferson Péres, PDT-AM, 18/05/2006. 33 Guilherme Menezes, PT-BA, 17/03/2003. 34 Vicente Arruda, PSDB-CE, 19/03/2003. 35 Eduardo Suplicy, PT-SP, 26/04/2004 36 Eduardo Suplicy, PT-SP, 19/04/2004. 37 Aloysio Nunes Ferreira, PSDB-SP, 11/02/2004. 38 Fernando Gabeira, Sans Parti-RJ, 26/03/2003.

Page 36: Memoire   bastos

36

sous contrôle la vente et l’accès au pays »39, pour ensuite « commencer à créer

des restrictions (...): on ne peut pas conduire drogué, on ne peut pas travailler

drogué à l’hôpital (…) »40.

1.1.2. Les discours « prohibitionnistes »

En ce qui concerne la deuxième modalité, les discours « prohibitionnistes »

qui prenaient une position pour le maintien de la criminalisation de l’usage de

drogues, ce groupe était composé par 44 discours, prononcés par 25 orateurs.

Cette quantité expressive a permis une analyse plus en profondeur afin de

mieux comprendre une opposition secondaire présente à l’intérieur de ce

groupe. En effet, parmi ceux qui ont pris la parole pour s’opposer à la

« décriminalisation », à la « légalisation » ou à la « libéralisation » de l’usage de

stupéfiants, il a été possible de distinguer trois sous-groupes :

1) l’ensemble des discours qui, tout en étant favorables au maintien de la criminalisation de l’usage, étaient contraires à l’emprisonnement de l’usager de drogues (14 discours) ;

2) les discours qui voulaient garder la peine d’emprisonnement comme une possibilité de réponse dont disposerait le juge, parmi d’autres, pour punir l’usager (23 discours), et ;

3) un petit sous-groupe de discours opposés à la décriminalisation et qui ne touchaient pas à cette deuxième opposition (7 discours).

Je reviendrai plus en détails, dans le point suivant, sur cette opposition

présente à l’intérieur des discours « prohibitionnistes », raison pour laquelle je

ne me concentre maintenant que sur le troisième sous-groupe.

Ces 7 derniers discours, prononcés par 7 parlementaires différents41, ne se

positionnaient pas à l’égard de la peine d’emprisonnement pour le crime de

l’usage de stupéfiants. Ils constituaient en fait un groupe hétérogène de

manifestations contraires à la décriminalisation de l’usage de drogues en

général , ou spécifiquement de la marijuana, ainsi que de propositions 39 Vicente Arruda, PSDB-CE, 19/03/2003. 40 João Batista Motta, PSDB-ES, 31/05/2006. 41 Les députés : Denise Frossard, PPS-RJ; Gonzaga Patriota, PSB-PE ; Laura Carneiro, PFL-RJ; Marçal Filho, PMDB-MS; Neucimar Fraga, PL-ES; Valdenor Guedes, PP-AP. La sénatrice : Heloísa Helena, PSOL-AL.

Page 37: Memoire   bastos

37

concernant des changements dans la politique de répression à la drogue. Ces

discours présentaient une position opposée tant à la décriminalisation de

l’usage qu’à la légalisation des drogues :

« Je pense que nous pourrions même penser à la décriminalisation des drogues si la mesure était mondiale . Si tous les pays l’adoptaient en même temps, le problème serait résolu. »42 « Je demande à votre Excellence d’éclaircir votre position à l’égard de la Convention de Vienne, de laquelle le Brésil est signataire, en se compromettant à criminaliser l’usage , en se réservant seulement au droit de déterminer la peine de l’usager de la drogue. Nous n’avons pas fait de réserve. »43 « Je pense que légaliser les drogues dans un seul pays conduirait au chaos (...). J’ai des doutes à l’égard de la libéralisation des drogues (…). »44 « Il s’agit de montrer notre faiblesse de réaction devant un problème si sérieux auquel le pays fait face. Si à chaque fois que nous rencontrons un problème aussi grave que la question des drogues, nous agissons de cette manière, d’ici peu de temps nous devrons légaliser le crime organisé du pays (...). »45 « Nous ne sommes pas du tout d’accord, car nous savons que la marijuana , en plus d’être hautement préjudiciable à la santé, est le tremplin pour l’usage de d’autres stupéfiants , d’autres substances toxiques. »46 « C’est logique (...) que la marijuana ait un aspect médicinal. Mais si nous regardons l’autre aspect, les problèmes de santé découlant de son usage sont astronomiques. (…) Dans ce pays [Pays-Bas], M. le Président, Ms. les Députés, à cause de la légalisation de l’usage des drogues, le s problèmes sociaux ont augmenté , les problèmes juridiques ont augmenté astronomiquement, les problèmes familiaux et ceux pour la santé aussi. »47 « Il ne s’agit donc pas d’investir plus d’argent dans la même politique, mais de changer la politique de répression aux drogues. (…) Il ne s’agit pas d’abolir la répression aux drogues, mais d’éviter qu’une telle répression serve à leur donner un glamour, spécialement aux yeux des jeunes. (…) Je répète : il ne s’agit pas de décriminaliser les drogues, mais de savoir que sa criminalisation n’aide pas à les combattre . »48

Finalement, 2 autres discours49 ne se prononçaient pas à l’égard de cette

première opposition observée dans toutes les autres manifestations

parlementaires. Bien qu’ils aient utilisé l’expression « décriminalisation », ils

faisaient référence seulement à la « décriminalisation (sic) de l’usager », 42 Laura Carneiro, PFL-RJ, 19/03/2003. Même si cet extrait ne parait pas en première vue favorable à la décriminalisation des drogues, il s’avère en fait contraire, puis que son auteure propose le maintien de la criminalisation dans le pays jusqu’au moment où tous les autres pays au monde décident ensemble que les drogues peuvent être légalisées. C’est une position faussement « progressiste », puisqu’elle remet la possibilité de tenter une « innovation » à l’égard de la question à l’existence d’une décision consensuelle et accordé pour toutes les nations au monde. Cela représente encore une façon de reporter le problème à une future distante… 43 Denise Frossard, PPS-RJ, 11/02/2004. 44 Heloísa Helena, PSOL-AL, 18/05/2006. 45 Neucimar Fraga, PL-ES, 19/03/2003. 46 Marçal Filho, PMDB-MS, 11/04/2002. 47 Valdenor Guedes, PP-AP, 04/09/2003. 48 Gonzaga Patriota, PSB-PE, 25/06/2002. 49 Fátima Cleide, PT-RO, 03/06/2004, et Luiz Alberto, PT-BA, 15/04/2003.

Page 38: Memoire   bastos

38

signifiant en réalité sa « décarcéralisation » et ne fournissaient pas d’autres

éléments qui pourraient expliciter une position favorable ou contraire à

l’incrimination de l’usage de drogues. Ces discours seront analysés dans le

point suivant, avec les discours prohibitionnistes favorables à la

décarcéralisation.

1.2. Une deuxième opposition: « décarcéralisation » vs « maintien de

l’emprisonnement »

Comme je l’ai mentionné dans le point précédent, à l’intérieur des discours

prohibitionnistes, j’ai constaté l’existence d’une deuxième opposition. Même si

ces parlementaires étaient d’accord en ce qui concerne le maintien de la

criminalisation de l’usage de stupéfiants, il y avait une confrontation au plan

discursif entre une position contraire à l’emprisonnement de l’usager de

drogues et une autre posture qui défendait le maintien de la possibilité légale de

son emprisonnement.

1.2.1. Les discours « pro-décarcéralisation »

Les discours « pro-décarcéralisation » sont en nombre de 16, prononcés par

11 parlementaires différents50. Dans cette position, il était question d’éviter au

maximum la peine de prison pour l’usager de drogues, même si sa conduite

devrait rester criminalisée. Pour une partie de ces orateurs, puisque le

consommateur de stupéfiants ne serait plus emprisonné, il s’agissait en fait de

soutenir l’option de la « décriminalisation » de l’usager, voire même de la

décriminalisation de l’usage de drogues.

« (…) nous savons que le domaine de la santé lutte pour la décriminalisation de l’usager . L’usager mérite, c’est du traitement, il mérite des ressources pour qu’il soit vraiment traité comme une personne qui, pendant un certain temps, est atteinte d’une maladie ». 51

50 Les députés : Antônio Carlos Biscaia, PT-RJ; Dr. Hélio, PDT-SP; Elcione Barbalho, PMDB-PA ; Fernando Ferro, PT-PE; Luiz Alberto, PT-BA; Ronaldo Cezar Coelho, PSDB-RJ; Paulo Pimenta, PT-RS (Rapporteur-CCJR); Zelinda Novaes, PFL-BA. Les sénateurs : Augusto Botelho, PDT-RR; Fátima Cleide, PT-RO; Sérgio Cabral, PMDB-RJ (Rapporteur-CAS). 51 Fátima Cleide, PT/RO, 03/06/2004.

Page 39: Memoire   bastos

39

« Ce que l’on a vu à la télésérie [Le Clone]52 a constitué un plaidoyer pour la décriminalisation et aussi pour la dépénalisation d e l’usager . Je vous demande de faire une réflexion sur cette phrase : un pays qui pénalise le malade est un pays de barbares (…). »53 « Nous ne voyons pas une politique adéquate, correcte, mais la criminalisation des dépendants de drogues et de stupéfiants en général. Alors, je crois qu’il faut changer cette conception. »54 « Ce que nous voyons avec satisfaction dans les question débattues sur les drogues, c’est la volonté politique de regarder le consommateur de drogues, non pas comme un criminel , mais comme quelqu’un qui a besoin de soin, d’attention et de temps. Mais nous réaffirmons que nous devons continuer à regarder le trafiquant, le vendeur de marijuana, de cocaïne, d’ecstasy comme un criminel. »55 « Nous sommes toujours, je ne dirais pas généreux, mais peut-être réalistes, par rapport à la décriminalisation de l’usager . Je suis même d’accord et je fais écho dans le sens où la décriminalisation doit être pénale et non pas morale. »56 « La loi antérieure agissait comme si l’on prenait une personne parce qu’elle avait tuberculose ou avait le Sida et l’arrêtait. (…) Alors, c’est un pas très grand qui nous sommes en train de faire en arrêtant de criminaliser la détention de drogues . »57 « Il ne s’agit pas d’une critique de la qualité ou de la pertinence intrinsèque au programme qui doit être adopté par le Ministère de la Santé ; ce que l’on questionne est ce qui soutient en fait l’initiative de décriminaliser l’usage de drogues et principalement les effets pratiques d’une telle mesure. »58 La distinction entre la position de ces orateurs et celle que j’ai retrouvée dans

les discours non prohibitionnistes se tient dans les propositions à l’égard de la

vente et de la production de la drogue. Autrement dit, s’ils étaient d’accord sur

l’idée de ne pas punir l’usager de drogues, voire même de ne pas criminaliser la

conduite de l’usage de stupéfiants, les orateurs non prohibitionnistes voulaient

également ôter tout caractère pénal des conduites liés à la commercialisation et

à la production, ce qui n’est pas du tout le cas pour ces parlementaires-ci. Cette

posture reste donc prohibitionniste à l’égard de l’usage de drogues, puisqu’elle

vise quand même à empêcher la consommation de stupéfiants par la

répression, toutefois concentrée uniquement sur l’offre de ces produits (seule la

demande bénéficie d’un changement de perspective).

Par contre, tout en soutenant la même proposition – ne pas envoyer l’usager de

52 La télésérie (en portugais, « novela ») Le clone (2001/2002) à laquelle fait référence la sénatrice Elcione Barbalho, a été largement suivie au Brésil : elle aborde le phénomène de la toxicomanie, à partir de l’histoire de Mel, une jeune fille riche qui souffre de sa dépendance à la cocaïne. 53 Elcione Barbalho, PMDB-PA, 25/06/2002. 54 Fernando Ferro, PT-PE, 26/03/2003. 55 Zelinda Novaes, PFL-BA, 24/06/2003. 56 Ronaldo Cezar Coelho, PSDB-RJ, 19/04/2004. 57 Augusto Botelho, PDT-RR, 03/06/2004. 58 Luiz Alberto, PT-BA, 15/04/2003

Page 40: Memoire   bastos

40

drogues en prison – d’autres parlementaires se refusaient expressément de

définir leur position en termes de « décriminalisation ».

« (…) la grande vertu de la proposition est l’élimination de la possibilité de la prison pour l’usager et le dépendant. (…) Nous soulignons que nous ne sommes d’aucune façon en train de décriminaliser la conduite de l’u sager – le Brésil est même signataire de conventions internationales qui prohibent l’élimination de ce délit ». 59 « (…) dans la mesure où nous avons ‘décarcéralisé’ l’usager, c’est-à-dire, nous avons éliminé la possibilité de la peine privative de liberté, la peine de prison, la peine de taule. Nous avons avancé. Nous n’avons pas décriminalisé l’usage , nous avons ‘décarcéralisé’, je répète, l’usager et nous avons établi une politique de santé publique à l’égard de l’usager ou du dépendant ».60 « Il a été trouvé une formule par laquelle la conduite qui inclut l’usage et la possession de la drogue n’a pas été décriminalisée . Je pense que les conventions internationales desquelles le Pays est signataire empêchent la libéralisation de l’usage ou de la possession de drogues au Brésil. (…) Au Brésil, si la loi est approuvée, l’usager, qui est une victime des drogues, n’ira en prison même pas au cours de la phase initiale [de la procédure criminelle]. Toutefois, cela ne signifie pas la libéralisation (…). »61 « Nous n’avons pas adopté la décriminalisation de l’u sage , encore moins la libéralisation de la drogue au Brésil. »62 « (…) oui, il existe un changement de paradigme. Il n’y a pas de décriminalisation , mais la distinction entre l’usager de drogues et le trafiquant, celui qui utilise ce moyen illicite pour s’enrichir. Ce sont deux situations bien différentes. »63 Cette deuxième posture s’est révélée plus cohérente d’un point de vue

terminologique. Tandis que pour la première, l’exclusion de l’emprisonnement

enlèverait automatiquement, ou dans la pratique, l’aspect « criminel » de la

conduite, cette position-ci représente la prise en compte de deux moments

différents dans le processus de criminalisation : le choix de la conduite à

incriminer et la décision ultérieure sur la peine adéquate pour la sanctionner.

Par ailleurs, le fait que ces derniers discours aient tous été prononcés aux

moments du vote du projet de loi en séance plénière de la Chambre semble

indiquer que la « négation » de la décriminalisation pouvait fonctionner comme

une stratégie de défense, par rapport aux éventuels attaques de la position

directement opposée, c’est-à-dire les discours prohibitionnistes « pro-

emprisonnement ». Il s’agissait peut-être de bien démarquer une position

intermédiaire entre la « légalisation des drogues » et le maintien d’un modèle 59 Paulo Pimenta, PT-RS, 10/02/2004 (Présentation de l’Avis-CCJR). 60 Paulo Pimenta, PT-RS, 11/02/2004. 61 Antônio Carlos Biscaia, PT-RJ, 11/02/2004. 62 Antônio Carlos Biscaia, PT-RJ, 12/02/2004. 63 Dr. Hélio, PDT-SP, 12/02/2004.

Page 41: Memoire   bastos

41

où le juge aurait la possibilité d’emprisonner l’usager de drogues.

De toute façon, ces différences terminologiques (ou stratégiques) n’arrivent pas

à défaire l’accord central existant dans ces discours : quelle que soit la façon

dont ces orateurs aient appelé la proposition, ce qu’ils voulaient en fait, c’était

l’exclusion légale de la possibilité attribuée au juge d’emprisonner quelqu’un du

fait de l’usage ou de la possession d’une drogue interdite.

Et pourtant, il est intéressant de remarquer que, lorsque l’on passe des

positions abstraites aux propositions concrètes, la possibilité d’emprisonnement

n’est pas tout à fait exclue, mais plutôt éloignée… Par une complexe

construction juridique, la prison pour l’usager de drogues reste encore possible,

quoique comme une sorte d’ultima ratio pénale. C’est ce qu’il est possible

d’inférer de l’exposé oral des avis « pro-décarcéralisation » :

« Qu’est-ce qui se passe pourtant, si l’usager ne rend pas les services à la communauté ou ne comparaît pas au programme ou à la formation selon la détermination du juge ? Les peines restrictives de droit énumérées à l’art. 43 du Code Pénal peuvent lui être appliquées. S’il ne purge pas non plus la peine restrictive de droits imposée, il sera coupable du crime de désobé issance, prévu à l’art. 330 du Code Pénal. »64 « Ce qui nous faisons, c’est seulement de modifier les types de peines pouvant être appliquées à l’usager, en excluant la privation de la liberté comme peine principale. Cependant, pour que le condamné ne puisse pas se soustraire de purger les peines restrictives de droits prévues dans le (Proj et) Substitutif que nous sommes en train de présenter, nous établissons la p ossibilité de la condamnation de l’usager par les peines de l’art. 3 30 du Code Pénal en vigueur. »65 Alors, même la « décarcéralisation » défendue oralement par les députés et

sénateurs n’arrive à échapper complètement à la peine de prison, en cherchant

plutôt à la constituer comme la dernière ressource offerte au juge pour

contraindre l’usager à se soigner ou à arrêter la consommation.

1.2.2. Les discours « pro-emprisonnement »

S’opposant à la fois aux discours non-prohibitionnistes et aux discours pro-

décarcéralisation, il a été possible de constituer un groupe de 23 64 Sérgio Cabral, PMDB-RJ, 03/06/2004 (Présentation de l’Avis-CAS). 65 Paulo Pimenta, PT-RS, 10/02/2004 (Présentation de l’Avis-CCJR).

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manifestations, prononcées par 10 parlementaires66 qui proposaient le maintien

de l’emprisonnement de l’usager de drogues.

La plupart de ces discours apparaissait d’abord comme une réaction frontale

aux propositions, parlementaires ou non, de décriminaliser, légaliser ou

libéraliser l’usage de drogues. Tandis que les manifestations « pro-

décarcéralisation » nuançaient en quelque sorte la possibilité de

décriminalisation, ce groupe-ci faisait une critique radicale et exaltée de cette

idée :

« Un des arguments qui émergent admet la décriminalisation de quelques types de drogues. Néanmoins, la tentative de libéraliser n’importe quelle drogue , soit l’alcool, soit la marijuana ou l’ecstasy, ou sa publicité, doit être répudiée . »67 « Je pense, par exemple, que décriminaliser les drogues, c’est presque mettre fi n à la société . Pourquoi ? Parce que si nous décriminalisons les drogues, s’il est vrai qu’il y aura toujours celui qui va les offrir, il [l’usager] va chercher quelque part. Alors, positivement, cela ne me semble pas adéquat. »68 « M. le Président, ma parole vient répondre à l’appel présent dans des centaines de courriels que j’ai reçus en fonction de l’entretien du Ministre de la Justice (…), dans lequel S. Exe. défend une position non seulement antipathique, mais aussi indécente à l’égard de la société qui subit l’action d’un Etat-bandit qui s’est installé dans l’Etat de Droit. Dans cet entretien, le Ministre de la Justice dit qu’il est favorable à la légalisation non seulement de la mar ijuana (…), mais de toutes les drogues . »69 « Faites bien attention, messieurs les pères de famille qui sont en train de regarder la télévision du Sénat : le Gouvernement est en train de vivre une telle tur bulence, et un Ministre du Gouvernement s’adresse aux médias po ur défendre la légalisation des drogues (…). »70 « Et nous ne devons légaliser la drogue qu’au jour où nous aurons la conscience que nous allons rentrer dans un avion dont le pilot e renifle de la cocaïne et, pour nous, tout est tranquille . Et que le garçon qui conduit la voiture renifle de la cocaïne et va amener notre enfant à l’école, et tout va bien. Je pense que ce jour-là, nous serons préparés pour la légaliser. »71 De plus, ces discours attaquaient, avec une exaltation pareille, les propositions

de décarcéralisation ou de dépénalisation de l’usager de drogues :

« Nous devons respecter tous les types d’arguments, m ême l’argument de ceux 66 Les députés : Costa Ferreira, PFL-MA; Jéfferson Campos, PMDB-SP ; João Campos, PSDB-GO ; Magno Malta, PL-ES (député jusqu’à 2002); Moroni Torgan, PFL-CE ; Ramez Tebet, PMDB-MS ; Vicente Arruda, PSDB-CE (Rapporteur-CSPCCO). Les sénateurs : Álvaro Dias, PSDB-PR ; Demóstenes Torres, PFL-GO ; Magno Malta, PL-ES (sénateur à partir de 2003); Romeu Tuma, PFL-SP (Rapporteur-CCJC). 67 Costa Ferreira, PFL-MA, 02/04/2002. 68 Ramez Tebet, PMDB-MS , 31/05/2006. 69 Magno Malta, PL-ES, 10/04/2002. 70 Magno Malta, PL-ES, 31/05/2005. 71 Magno Malta, PL-ES, 31/05/2006.

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qui veulent légaliser les drogues, de ceux qui pens ent que le ‘pauvre petit’ usager ne peut pas être puni. Il n’existe pas de ‘p auvre petit’ usager. (…) Il y a le trafiquant parce qu’il y a le consommateur. Il y a le trafiquant parce qu’il y a l’usager. Ils disent : - Non. Augmente la peine du trafiquant. Est-ce que le trafiquant s’en fout de la peine maximale? (…) M. le Président, une peine rigide pour le trafiquant ? Le trafiquant n’existe que parce qu’il y a des usagers. »72 « Ainsi, dépénaliser, c’est détruire tout le travail de prév ention et continuer à suivre par le chemin de l’équivoque . En réalité, dit-il [un juge qui a parlé au député], le problème n’est pas légal, c’est l’exécution. Et il suit comme ça, il argumente : C’est logique, dit-il, que la peine de l’usager ne peut pas être égale ou similaire à celle du trafiquant. (…) Maintenant, dit-il, décriminaliser, comme le veulent plusieurs, ou dépénaliser, comme dans la proposition qui est disc utée au Sénat Fédéral, c’est consacrer, d’un coup, l’irresponsabilité . Je vous demande : quel policier fera une intervention pour réprimer l’usage de drogues quand il saura qui tout ce qu’il va faire ne sera qu’une perte de son temps ? »73 Alors, en tenant compte des propositions d’assouplissement de la réaction

pénale en la matière, il s’agissait bien de faire rentrer la peine

d’emprisonnement quelque part, comme une des possibilités données au juge

pour sanctionner l’usager de drogues. Pour ces orateurs, on ne pouvait pas

s’en passer, raison pour laquelle il faudrait trouver une formule qui puisse

représenter un « accord » entre la possibilité d’appliquer des mesures

alternatives et le maintien de l’emprisonnement :

« Il y a même eu une suggestion à la Commission de Sécurité Publique et de Combat contre le Narcotrafic allant dans le sens de ne pas décriminaliser, mais de consacrer effectivement le dispositif suivant : la peine de six mois sera convertie, obligatoirement, en ceci ou cela, mais e n prévoyant la peine . On met une série de mesures de caractère éducatif, comme il a déjà été abordé, sans la prévision de la peine. Même pour que le juge puisse faire purger ces mesures éducatives, il n’aurait pas de mécanisme ou d’instr ument légal, parce qu’il n’y aurait pas de peine. S’il n’y a pas de peine, il n’ est pas possible de priver de la liberté quelqu’un qui n’en a pas été condamné. »74 « Cependant, nous avons quelques innovations qui pourraient être discutées, y compris la Justice thérapeutique. Cela ne signifie pas la décriminalisation de l’usage de drogues . Plusieurs personnes disent le suivant : ‘Non, c’est décriminalisé parce qu’il n’y a pas de peine de prison’. Je crois que non. Je crois qu’au lieu d’un crime, c’est une contravention . Nous pouvons dire, techniquement, décriminalisation, mais c’est une contravention qui exige l’application d’une peine moindre. »75 « Il paraît que vous avez maintenu la peine de crimin aliser (sic). J’ai déjà dit et je répète que je suis pour cela, mais si ça va en plén ière pour engendrer une discussion, cette loi ne passe pas à la Semaine de la Sécurité. Nous devons avoir un projet, non pas pour négocier, mais pour dire qu’il est bon, synthétique et analysé. (…) Nous devons avoir le projet déjà négocié, il doit être plus ou moins fermé. Puisqu’il existe un courant favorable à la libérali sation et à la décriminalisation, 72 Magno Malta, PL-ES, 31/05/2006. 73 Álvaro Dias, PSDB-PR, 31/05/2006. 74 João Campos, PSDB-GO, 14/05/2003. 75 Moroni Torgan, PFL-CE, 13/05/2003.

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je trouve difficile de maintenir le texte actuel de l’art. 22. Nous devons montrer que nous sommes arrivés au moyen terme, et le moyen terme est de le faire devenir contravention. »76 La « contraventionnalisation » de l’usage de drogue s’avérerait alors un

compromis exprimant un changement de statut de l’infraction qui permet de ne

pas exclure la prison des peines susceptibles d’être appliquées à l’auteur.

Les présentations orales des avis « pro-emprisonnement » sont tributaires d’un

raisonnement pareil. Malgré la reconnaissance du besoin de trouver des

mesures plus adéquates pour répondre à l’usage de drogues, les Rapporteurs

des projets de loi font référence explicite à la nécessité de maintenir la peine

privative de liberté parmi ces mesures :

« J’ai laissé la possession pour son propre usage comme co nduite criminalisée, face aux difficultés naturelles qui empêcheraient l e combat contre le commerce illicite de stupéfiants, si était maintenue la libé ralisation indiscriminée de l’usage , laquelle, d’après le Projet 6.108/2002, deviendrait une simple infraction administrative, hors même de la portée de la Justice criminelle (…). Donc, l’usage ou la conduite assimilée à une infraction administrative ne pourrait faire l’objet d’appréciation par la justice criminelle, à laquelle ne serait pas permis d’appliquer à l’agent ni même les mesures thérapeutico-éducatives que le Projet préconise. »77 « Dans l’article 22, (…) nous avons changé l’expression ‘la peine appliquée peut être substituée’ pour ‘sera substituée obligatoirem ent’. Le juge n’as plus l’option ou la faculté de substituer la peine appliquée à l’ usager de la drogue . En même temps, si l’usager répond et obéit aux mesures thérapeutiques adoptées, il ne sera pas considéré comme récidiviste, et son acte ne sera même pas enregistré dans son casier judiciaire. De cette façon, nous évitons un problème très grave, celui de laisser l’accomplissement de la mesure thérapeutique à la volonté de l’usager. N’étant pas un crime, le juge ne pourrait pas appliquer et exiger qu’il purge les mesures thérapeutiques. Ainsi, le juge pourra rétablir la peine de détention . »78 « Tant le texte du Sénat que celui du [Projet] Substitutif avancent beaucoup sur la question de la sanction pénale dirigée à l’usager de drogues, notamment si on les compare à la législation en vigueur. Les textes envisagent de poursuivre le processus de ‘décarcéralisation’ de l’usager de dro gues. La prison n’est pas la place pour l’usager de drogues. Il doit recevoir de s mesures de caractère éducatif, et non pas l’emprisonnement. (…) Cependant, il serait le cas de faire quelques ajustements de rédaction, sans lesquelles le § 5 de l’art. 22 du texte original perdrait toute l’efficace juridique. En comptant sur les suggestions des Sénateurs Demóstenes Torres, Magno Malta et Eduardo Suplicy, nous avons introduit deux incises qui prévoient l’application de ‘peines restrictives de droit’ et de ‘détention, de six mois à deux ans’. En effet, la non-exécution des mesures éducatives a mènerait, successivement, à la réprimande verbale, à la peine d’amende, aux peines restrictives de droits et, en dernier instance, à l a peine privative de liberté . »79 « Le système pénitentiaire réalimente le crime. Les Sénateurs Magno Malta,

76 Moroni Torgan, PFL-CE, 15/05/2003. 77 Vicente Arruda, PSDB-CE, 29/05/2002 (Présentation de l’Avis-CSPCCO). 78 Vicente Arruda, PSDB-CE, 19/06/2002. 79 Romeu Tuma, PFL-SP, 25/05/2006 (Présentation de l’Avis-CCJC).

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Demóstenes Torres et moi, nous avons fait une nouvelle proposition de changement de la Loi Antidrogues. Nous avons accepté de faire cet amendement dans le but de ne pas laisser impuni l’usager de la drogue. Je pen se que c’est la pression contre l’usage ce qui inhibe la production de la dr ogue . »80 Finalement, une fois le projet voté et approuvé dans les Commissions, des

orateurs « pro-emprisonnement » ont pris la parole pour le défendre, afin de

soutenir que le modèle de criminalisation de l’usage de drogues continue à être

en vigueur:

« (…) je réaffirme ce que quelques Parlementaires ont déjà dit : le projet ne décriminalise pas l’usage de drogues au Pays. Ce so nt les médias qui sont en train de le décriminaliser . (…) Ce qui le Congrès est en train de faire – et il y a presque un consensus dans ce sens, malgré que l’usage de drogues continue à être un crime au Pays – c’est de donner un traitement différencié à l’usager et au dépendant. »81 « En réalité, la législation établit un traitement plus souple et différencié à l’usager. Elle cherche à protéger sa santé et à le défendre par rapport au trafiquant. Mais la consommation de drogues continue à être criminalisé e, avec des mesures adéquates à cette nature criminelle : des avertissements, des mesures éducatives, la prestation de services à la communauté, avec la possibilité, s’il n’y a pas d’exécution, d’appliquer des mesures restrictives de droit et, finalement, même la détention pour désobéissance. Cela reste très clair dans le projet. » 82 En résumé, cette première observation des discours m’a permis de constater

une diversité de manières de formuler une réponse juridico-pénal au

phénomène de l’usage de drogues qui ont pu être rassemblées dans trois

grandes positions parlementaires: une posture favorable à la décriminalisation

de la drogue – les discours non-prohibitionnistes – et deux autres opposées à

la décriminalisation : les discours prohibitionnistes favorables à la

décarcéralisation de l’usager, et les discours prohibitionnistes pour le maintien

de son emprisonnement.

2. LES DIFFÉRENTES FAÇONS DE CONSTRUIRE L’USAGE DE DROGUES

COMME UN PROBLÈME

Dans ce chapitre, il sera question d’exposer les « manières de voir » des

législateurs en ce qui concerne le problème de l’usage de drogues et le sujet

usager de drogues. Ces deux « catégories de second ordre » ont été reprises

80 Romeu Tuma, PFL-SP 28/06/2006. 81 João Campos, PSDB-GO, 12/02/2004. 82 João Campos, PSDB-GO, 12/02/2004.

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de Cappi (2011) pour servir comme « grille de lecture » des discours, grâce à la

difficulté d’observer toutes les catégories formulés après leur codage initial.

L’exposé commencera par « les représentations du problème de la drogue »

révélées dans les discours parlementaires ; ensuite, je traiterai des

« perceptions de l’usager de drogues » manifestés dans ces discours.

2.1. Les représentations du problème

En analysant la manière par laquelle les parlementaires faisaient référence au

« problème » de l’usage de drogues, j’ai remarqué qu’il y avait deux façons d’en

parler : soit ils touchaient directement à la drogue (« la drogue est… »), soit

l’accent était mis sur le phénomène de la consommation de drogues et leurs

conséquences (« l’usage de drogues fait que… »). J’ai donc décidé de scinder

l’observation des représentations parlementaires du problème à résoudre dans

ces deux sous-catégories : « les représentations des drogues » et « les

représentations de l’usage de drogues ».

2.1.1. Les représentations des drogues

La première catégorie observée dans les discours a été axée sur la façon dont

les parlementaires se représentaient les drogues et les expressions qu’ils

utilisaient pour les désigner. A cet égard, la modalité qui est apparue le plus

souvent a été la représentation de la drogue comme un « mal » : « le plus

grand des maux de l’humanité, à côté de la faim et de l’insécurité »83 ; « un mal

qui alimente l’insécurité urbaine »84 ; « un des pires maux de notre société, la

drogue »85 .

L’idée de « mal » est aussi présente sous la forme d’autres expressions de

connotation indubitablement négative, comme « enfer », « fléau », « misère »

ou « cancer »86:

83 Elcione Barbalho, PMDB/PA, 25/06/2002. 84 Elcione Barbalho, PMDB/PA, 25/06/2002. 85 Gonzaga Patriota, PSB/PE, 25/06/2002. 86 « Cancer » est un mot intéressant, puisqu’il semble envisager la maladie, mais à l'échelle

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« Seulement celui qui accompagne une famille avec un usager de drogues ou un dépendant connait ce qui est l’enfer des drogues . »87 « (…) les drogues qui sont le plus grand fléau de la Nati on brésilienne d’aujourd’hui ! La cause de cette violence, ce sont les drogues et son engrais est l’impunité. On casse cette logique maligne et maléfique qui attribue au fils du pauvre, du chômeur, du maçon, de la veuve pauvre, de la laveuse, le fait de produire cette misère dans la société . »88 « (…) ce cancer qui ruine la société brésilienne et qui détruit l’honneur de la famille, que sont les drogues »89. La deuxième modalité la plus retrouvée a été celle reliant directement les

drogues à la notion de « maladie » :

« Logiquement il y a plusieurs facteurs – sociaux, génétiques – qui amènent la personne vers ce chemin. (…) Il faut combattre les vecteurs de la maladie . Nous n’arrivons pas à traiter la dengue, mais nous arrivons à tuer son moustique transmetteur. Le dépendant, nous le traitons comme nous pouvons, et nous allons essayer d’arrêter les trafiquants »90. « (…) je trouve que la chose la plus ridicule au monde est la distribution de seringues en prison. (…) La distribution parmi la population, je la trouve déjà compliquée. Regardez que nous serions en train de stimuler l’usage de cocaïne qui peut tuer à la première dose. (…) C’est-à-dire, nous stimulerons le sujet à être atteint d’une maladie qui peut tuer à la première dose , pour le préserver d’une autre où il peut se passer 20 ans avant que le contaminé vienne à décéder »91. « (…) dans le monde, 700 millions de personnes souffrent de la maladie de l’alcoolisme »92 Une troisième modalité présentait la drogue comme une « marchandise » :

« L’expérience de la ‘Loi Sèche’ aux États-Unis a déjà démontré, depuis le début du siècle passé, que peu importe de réprimer l’offre : tant qu’il y ait des consommateurs, la prohibition sert seulement pour enrichir les criminels qui ont le courage de dealer la néfaste marchandise »93. « La drogue n’est pas qu’une marchandise (…)»94. Il a encore été possible d’observer des représentations, qui apparaissaient dans

un seul discours, qui proposaient une vision moins connotée moralement, dans

lesquelles la drogue est présentée comme un « symptôme » ou un « objet

inanimé » .

sociétale ou collective. Le cancer n'est pas ici la maladie du corps du toxicomane, mais du corps social qui contient des toxicomanes et des drogues. Pour cette raison, ce mot se lie plutôt à l’idée de « mal » qu’à celle de « maladie » que j’évoquerai ensuite. 87 Marçal Filho, PMDB-MS, 11/04/2002 88 Magno Malta, PL-ES, 31/05/2005. 89 Magno Malta, PL-ES, 31/05/2006. 90 Augusto Botelho, PDT-RR, 03/06/2004. 91 Moroni Torgan, PFL-CE, 13/05/2003. 92 Guilherme Menezes, PT-BA, 17/03/2003. 93 Gonzaga Patriota, PSB-PE, 25/06/2002. 94 Fernando Gabeira, Sans Parti-RJ, 04/11/2003

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« Les drogues sont le symptôme de quelque chose de pl us sérieux (…). »95 « Le problème de la drogue n’est pas celui d’être con tre l’objet. Si nous sommes contre quelque chose d’inanimé, nous pouvons perdre l’essentiel de la question. » 96 Finalement, il a été intéressant de remarquer que certains discours effectuaient

une sorte de « subjectivation » de la drogue , en lui attribuant un pouvoir

d’action, comme si le produit était quelque chose d’animé, comme s’il avait un

pouvoir ou une vie propre :

« Plus l’on évite de faire face au problème, plus les drogues s’approchent de nos foyers, de nos enfants . »97 « (…) la drogue a envahi les condominiums , les appartements de luxe. »98 « (…) toutes les recherches montrent que l’alcool tue beaucoup plus que la cocaïne et les autres drogues . Beaucoup plus. »99 « Ce n’est pas possible de discuter avec des souls, ou avec des drogués de n’importe quel genre, car leurs cerveaux sont dirigés par une substance étran ge, ayant un effet cumulatif. »100 « (…) des jeunes pères qui attaquent leurs propres fils comme des bêtes, complètement hors contrôle, tourmentés, possédés par le pouvoir destructeur des drogues . »101 2.1.2. Les représentations de l’usage de drogues

D’après la plupart des parlementaires, l’usage de drogues est, pour des motifs

divers, nuisible. Il peut nuire tantôt à l’usager, tantôt à la société.

En ce qui concerne l’usager, la modalité centrale par laquelle l’usage de

drogues est un problème, est le fait que ces produits sont nocifs à la santé

de l’individu , pouvant entraîner des maladies physiques et notamment

psychiques.

« C’est urgent de discuter sans préjugés l’influence des drogues (…) dans la dissémination de maladies comme le SIDA et l’hépati te B et C (…). »102 « J’ai déjà entendu un professeur dire la bêtise que la marijuana n’est pas un grand problème. (…) d’après des estimations techniques et scientifiques, la marijuana est

95Gonzaga Patriota, PSB/PE, 25/06/2002. 96 Fernando Gabeira, Sans Parti/RJ, 14/08/2003. 97 Guilherme Menezes, PT-BA, 17/03/2003. 98 Magno Malta, PL-ES, 31/05/2005. 99 Heloísa Helena, PSOL-AL, 18/05/2006. 100 Costa Ferreira, PFL-MA, 02/04/2002. 101 Zelinda Novaes, PFL-BA, 24/06/2003. 102 Guilherme Menezes, PT-BA, 17/03/2003.

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quatorze fois plus cancérigène que le tabac . »103 « Les drogues stimulantes sont celles qui font que le cerveau humain travaille plus rapidement ; les dépressives sont celles qui retardent ou diminuent la vélocité d’action du cerveau ; et les hallucinogènes, comme vous pouvez imaginer, produisent la folie totale dans la tête de l’usager . C’est le cas du cannabis, de la marijuana, qui maintenant est en train d’être vendue dans les drogueries de plusieurs pays. »104 « Le problème est que, lorsqu’on parle des drogues avec leurs usagers, la logique n’est pas suffisante. Car les drogues affectent l’homme justement dans son ce ntre de logique qui est le cerveau . » 105 La dépendance aux produits et les abus qui en découlent est la modalité qui

vient ensuite, parfois même reliée aux problèmes de santé mentionnés au-

dessus :

« La dépendance chimique est une maladie, pratiquemen t incurable . Il est difficile que celui qui est dépendant se soigne complètement. Il arrive à s’équilibrer. »106 « (…) l’usager ne peut pas être traité comme un criminel, puisqu’il est, en réalité, dépendant d’un produit, comme la dépendance de l’alcool, des tranquillisants, du tabac, entre autres. (…) Vous savez combien le vice de la drogue est un prob lème grave (…). » 107 « Les conséquences délétères du vice sont partout, en détruisant des vies sans respecter l’âge (…). Le vice de la nicotine est aussi difficile à abando nner que le vice de l’héroïne ; l’alcool, lui aussi, est une drogue hautement dommageable, comparable à la cocaïne. Comme ça, ce serait bien plus logique de restreindre l’usage de l’alcool et du tabac à les légaliser, comme quelques-uns le veulent. »108 « Cela démontre combien, parmi les maux – malheureusement de plus en plus nombreux – de la société brésilienne, apparaît le problème de l’addiction. Et il apparaît tant pour son effet dévastateur sur l’accr o (…) que par la répercussion insoupçonnée et énorme du mal au sein de la société brésilienne (…). »109 En outre, l’usage de drogues « vient à affecter la conscience des hommes, en

les conduisant à la dépendance et en réduisant leur capacité de travailler et

de sentir l’affection »110. A la limite, « la recherche des voyages par les

drogues détruit le système nerveux et le caractère »111.

Enfin, l’usage de drogues est problématique pour l’usager, car il l’amène à la

mort :

« (…) nous serions en train de stimuler l’usage de cocaïne qui peut tuer à la

103 Moroni Torgan, PFL-CE, 25/06/2002. 104 Valdenor Guedes, PP-AP, 04/09/2003. 105 Costa Ferreira, PFL-MA, 02/04/2002. 106 Augusto Botelho, PDT-RR, 03/06/2004. 107 Sérgio Cabral, PMDB-RJ, 03/06/2004. 108 Costa Ferreira, PFL-MA, 02/04/2002. 109 Elcione Barbalho, PMDB/PA, 25/06/2002. 110 Aloysio Nunes Ferreira, PSDB-SP, 11/02/2004. 111 Costa Ferreira, PFL-MA, 02/04/2002.

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première dose . Si une personne fait une overdose, elle va vraiment mourir (…) C’est un peu compliqué de comprendre de quelle réduction de méfaits on parle. ‘Non, il ne va pas mourir de Sida’. Mais il va mourir d’overdose de cocaïne . » 112 « Pourtant, M. le Président, pire que la lutte des communautés thérapeutiques, c’est le dur combat mené par les familles qui (…) ont non seulement perdu leurs enfants et même leurs pères pour le monde irréel des drogue s, mais aussi plusieurs vies . »113 « Les usagers sont traités avec une drogue tellement puissante que l’héroïne, la méthadone, qui a un pouvoir d’action de 10 a 15 heures. La personne va mourir dopée, défoncée. Le Gouvernement a encouragé le vice et maintenant il doit s’occuper de ces dépendants. » 114 « Ils n’ont jamais eu la sensibilité de vivre ou de vouloir vivre ensemble avec une mère qui pleure des larmes chaudes à l’aube pour son fils drogué arrêté ou pour un fils qui est déjà mort, qui a été enlevé rapidement par ce m al, ce cancer qui ruine la société brésilienne et qui détruit l’honneur de la famille, que sont les drogues. »115 D’après les parlementaires, l’usage de drogues est également nuisible à la

société. A cet égard, la modalité de représentation qui est apparue le plus

souvent a été « l’engendrement de la violence et de l'insécurité ». Dans ce

sens, certains parlementaires considèrent que l’usage de drogues a une

influence « dans l’augmentation de la criminalité et de la violence »116, « (…)

implique, presque toujours, un contact précoce avec le monde de l’illégalité et

de la violence (…) »117, et peut même « (…) transformer un citoyen tranquille en

un potentiel meurtrier (…) »118. Ces extraits sont particulièrement évocatifs en

ce sens :

« La violence galopante et ténébreuse qui s’empare de la société de l’Espírito Santo et du Brésil m’amène à cette tribune. Je veux révéler ma préoccupation et celle d’une partie significative de l’opinion publique qui souffre tous les jours à cause de l’avancée écrasante des drogues , de leur usage et de leur abus. (…) Aujourd’hui, la drogue et cette sensation d’impunité sont l’engrais de la violence dans laquelle vit la société brésilienne. » 119 « Sénateur Motta, Sénateur Motta, je récupère des drogués dans votre Etat, dans notre Etat, ils sont des milliers que je retire de la rue et pour chaque drogué que je retire d’une rue à Espírito Santo, je protège un ci toyen de votre ville de la possibilité d’un viol, d’une séquestration, d’un vo l de voiture, d’un cambriolage de maison . (…) Et nous savons que l’usage, la consommation, l’abus des drogues est sans aucun doute le pilier le plus significatif de cette violence qui se trouve dans la société. »120

112 Moroni Torgan, PFL-CE, 13/05/2003. 113 Zelinda Novaes, PFL-BA, 24/06/2003. 114 Valdenor Guedes, PP-AP, 04/09/2003. 115 Magno Malta, PL-ES, 31/05/2006. 116 Guilherme Menezes, PT-BA, 17/03/2003. 117 Paulo Pimenta, PT-RS, 10/02/2004. 118 Heloísa Helena, PSOL-AL, 18/05/2006. 119 Magno Malta, PL-ES, 31/05/2005. 120 Magno Malta, PL-ES, 31/05/2006.

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En plus de produire directement l’augmentation de la violence, comme

conséquence de la consommation du produit stupéfiant, l’usage de drogues est

aussi tenu comme responsable du « soutient/ maintient du trafic de

drogues » . En effet, pour beaucoup de parlementaires, c’est « l’usager qui

maintien vivant le trafiquant »121, qui « est en train d’alimenter quelqu’un qui va

produire [la drogue] »122, et donc, c’est l’usager qui « finance ce commerce

désorganisé, ce marché qui a tellement grandi »123

« (…) en réalité, c’est l’usager qui soutient la violence de la socié té (…) ; parce que c’est le consommateur, l’acheteur, qui soutient le trafic , qui assure la bonne vie du trafiquant, qui fournit l’argent des armes, de la corruption policière, maintien le système débout, et un petit sac de cocaïne qui arrive dans la main d’un ‘pauvre garçon’, qui ne renifle que le vendredi soir, un seul petit sac, pour que ce sac arrive dans sa main, imaginez-vous combien de corruptions il a fallu aux frontières, combien de chauffeurs morts, d’orphelins sur le chemin, pour qu’un petit sac arrive dans la main de quelqu’un. »124 « Peut-être la seule manière de mettre fin au narcotrafic (…) c’est de commencer à discuter (…) s’il n’est pas l’heure de décriminaliser la drogue, parce que la seule manière de tuer le narcotrafic est d’arrêter le tub e d’oxygène qui l’alimente . M. Beira-Mar sera au chômage au jour même où l’on décriminalise les drogues. Il perd sont emploi et va devenir braqueur de banque, parce que le narcotrafic n’existera plus. »125 « Nous avons accepté de faire cet amendement dans le but de ne pas laisser impuni l’usager de drogue. Je pense que c’est la pression contre l’usage qui inhibe la production de la drogue. Sans l’argent pour l’acheter, (…) il n’y aura pas d e production. » 126 A cause de toutes les nuisances qui viennent d’être exposées, les

parlementaires considèrent que l’usage de drogues engendre de la

« souffrance pour les familles » :

« L’usage abusif de drogues implique, presque toujours, un contact précoce avec le monde de l’illégalité et de la violence et laisse parfois un héritage de souffrance et de vulnérabilité sociale pour l’individu et sa famille . »127 « Les conséquences délétères du vice sont partout, en détruisant des vies sans respecter l’âge et en désagrégeant les familles dans toutes les strate s sociales. »128 « Seul celui qui accompagne une famille avec un usage r de drogues ou un dépendant connait ce qui est l’enfer des drogues . »129

121 Magno Malta, PL-ES, 31/05/2005. 122 Romeu Tuma, PFL-SP, 25/05/2006. 123 Ronaldo Cezar Coelho, PSDB-RJ, 19/04/2004. 124 Magno Malta, PL-ES, 31/05/2006. 125 Jefferson Péres, PDT-AM, 18/05/2006. 126 Romeu Tuma, PFL-SP, 28/06/2006. 127 Paulo Pimenta, PT-RS, 10/02/2004. 128 Costa Ferreira, PFL-MA, 02/04/2002. 129 Marçal Filho, PMDB-MS, 11/04/2002

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« (…) alors, la séparation de l’usager et de l’accro est devenue claire, celui qui boit socialement et celui qui boit pour se saouler et faire du mal à la famille . »130 Une modalité également importante, qui se trouvait dans plusieurs discours,

pointait le fait que l’usage de drogues licites pose aussi des problèmes ,

parfois plus graves que ceux causés par l’usage de drogues illicites. Par

exemple, « les drogues licites tuent beaucoup plus. Toutes les recherches

montrent que les personnes alcoolisées tuent plus que les personnes qui sont

sous l’effet des autres drogues. »131

« Les drogues illicites tuent aux États-Unis 20000 pe rsonnes par année, tandis que seulement l’alcool, à la même période, tue 1000 00 personnes (…). Encore aux États-Unis, des calcules montrent que l’on arrive à 506 morts par 100000 usagers de drogues licites et 166 morts par 100000 usagers de drogues illicites . »132 « Mmes et Mrs Les Parlementaires, pendant longtemps les fabricants des cigarettes ont associé leurs produits à la santé, à la jeunesse, au plaisir ; on disait même que le tabac augmentait la vigueur. Aujourd’hui ce mythe est dépassé, mais la publicité continue à engendrer le vice, des maladies et des m orts, non seulement chez les fumeurs actifs mais aussi chez les passifs. La même chose peut être dite de l’alcool, lequel tue non seulement les accros, mais également ceux qui croisent leur chemin, à pied ou en voiture. »133 « Il suffit de considérer l’alcool et le tabac : ils sont des causes majeures, directement et indirectement, de l’accroissement de la population funéraire brésilienne et de l’augmentation de la taille du tuyau par lequel passent des millions de reais134 pour le traitement et la récupération des dépendants chimiques, des malades et des victimes de la violence du trafic routier et des armes à feu, généralement associés à ces ‘drogues licites’. »135 Etant étonné de ne retrouver que des aspects négatifs associés à l’usage de

drogues, j’ai réalisé une relecture de plusieurs discours afin de voir si les

parlementaires faisaient mention d’un élément positif quelconque qui pourrait

expliquer le fait que les gens fassent l’usage de ces produits. Je n’ai rencontré

que deux discours qui se référaient à des aspects bénéfiques de l’usage de

drogues. Cependant, ils mentionnaient seulement des idées d’autres

personnes, lesquelles étaient tout de suite déplorées au nom des « graves

problèmes » posés par l’usage :

« Plusieurs personnes défendent les drogues en disant qu’elles ouvrent supposément les portes de la perception et servent ainsi d’instrument de

130 Romeu Tuma, PFL-SP, 28/06/2006. 131 Heloísa Helena, PSOL-AL, 18/05/2006. 132 Guilherme Menezes, PT-BA, 17/03/2003. 133 Costa Ferreira, PFL-MA, 02/04/2002. 134 Le « real » est le nom de la monnaie brésilienne. Au pluriel, « reais ». 135 Zelinda Novaes, PFL-BA, 24/06/2003.

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progression spirituelle ; d’autres disent qu’elles sont un raccourci pour le plaisir de l’humanité. La recherche des voyages par les drogues détruit le système nerveux et le caractère. Un simple coup d’œil dans n’importe quel journal démontre l’étendue maléfique que les drogues produisent. C’est le ‘bon marché’ qui finit par être trop cher. »136. « C’est logique (...) que la marijuana a un aspect mé dicinal. Mais si nous regardons l’autre aspect, les problèmes de santé dé coulant de son usage sont astronomiques . »137 Finalement, trois discours, tout en mentionnant des problèmes liés à la

consommation de stupéfiants, prenaient distance des autres manifestations

pour soutenir que l’usage de drogues constitue un droit de la personn e, soit

le droit à la vie privée, qui se rapporte au droit plus large à la liberté individuelle.

« Parmi les principes fondamentaux de notre ordre juridique, on retrouve le respect à la vie privée, à la sphère individuelle de la perso nne humaine, laquelle est non susceptible de l’intervention de l’Etat. De la même façon que je ne peux pas donner un traitement criminel à l’automutilation, je ne peux pas donner un traitement criminel à une conduite qui ne fasse du mal à personne, qui s’épuise dans le domaine de ma stricte intimité. »138 « Par ailleurs, il est question de se demander si nous avons le droit de priver une personne adulte – pas les mineurs – de faire ce qu’ il veut de sa vie, y compris de consommer la drogue ? »139 « Je trouve que c’est un équivoque grand, tragique. Parce qu’en premier lieu, cela viole un droit inaliénable de la personne humaine, celui qu’ a un être adulte de faire ce qu’il veut de sa vie, y compris de consommer des dr ogues, y compris d’enlever sa propre vie . C’est pour cela que le Code Pénal ne reconnait pas, comme un délit, la tentative de suicide. Si le citoyen essaye de se suicider et il n’arrive pas, il ne va subir aucune pénalité, pourquoi ? Parce que sa vie lui appartient. C’est la même chose s’il veut consommer de la drogue, c’est son problèm e. »140

136 Costa Ferreira, PFL-MA, 02/04/2002. 137 Valdenor Guedes, PP-AP, 04/09/2003. 138 Aloysio Nunes Ferreira, PSDB-SP, 11/02/2004. 139 Jefferson Péres, PDT-AM, 18/05/2006. 140 Jefferson Péres, PDT-AM, 31/05/2006.

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2.2. Les perceptions de l’usager de drogues

En ce qui concerne les « perceptions de l’usager de drogues », l’observation

des discours parlementaires à partir de cette deuxième catégorie a révélé trois

aspects distincts, lesquels sont devenus des sous-catégories pour notre

analyse :

1) les mots employés pour faire référence au sujet qui consomme des drogues ;

2) les affirmations à l’égard de ce sujet (« il est un … »), et ; 3) les négations (« il n’est pas un… »).

2.2.1. Les mots utilisés pour désigner l’usager de drogues

Dans les discours analysés, j’ai remarqué que les parlementaires utilisaient des

mots différents pour se référer à la personne qui fait l’usage d’un produit

stupéfiant. En effet, il pouvait s’agir, selon le cas, d’un « usager », d’un

« consommateur », d’un « drogué », d’un « dépendant » ou bien d’un « accro ».

« (…) le trafic de drogues s’est visiblement étendu. Proportionnellement à l’expansion de ce commerce illégal, le nombre d’usagers s’élève. »141 « Je doute que S. Exe. ait accompagné la souffrance d’un usager de drogues . »142 « (…) tant qu’il y ait des consommateurs , la prohibition sert seulement à enrichir les criminels qui ont le courage de dealer la néfaste marchandise. »143 « Quand le trafic de drogues apparaissait comme un problème isolé des favelas et des quartiers pauvres brésiliens et l’image des consommateurs se confondait avec celle de la majorité noire exclue de notre pays, la question de la drogue était traitée rigoureusement. »144 « J’ai visité une sorte de camp de concentration de drogués . »145 « Alors, c’est ça ce que je voulais dire : félicitations parce que nos patients ne seront plus arrêtés du fait qu’ils sont des dépendants chimiques. »146 « Nous qui travaillons sur la récupération des dépendants de drogues savons cela. »147 « Cela ne signifie absolument pas que les accros ne doivent pas être traités dignement moyennant les ressources des cliniques, ni même que l’on ne doit prévenir la rechute des ex-drogués par le moyen des groupes de support (…). »148

141 Costa Ferreira, PFL-MA, 02/04/2002. 142 Magno Malta, PL-ES, 10/04/2002. 143 Gonzaga Patriota, PSB-PE, 25/06/2002. 144 Luiz Alberto, PT-BA, 15/04/2003. 145 Valdenor Guedes, PP-AP, 04/09/2003. 146 Augusto Botelho, PDT-RR, 03/06/2004. 147 Jefferson Campos, PMDB-SP, 12/02/2004. 148 Elcione Barbalho, PMDB-PA, 25/06/2002.

Page 55: Memoire   bastos

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Certains discours effectuaient une distinction entre ces expressions149, d’autres

par contre les prenaient comme étant des synonymes ou, au moins, comme

des termes interchangeables.

« A Amsterdam, j’ai pu voir la marijuana et l’héroïne en train d’être vendues. Là-bas, des milliers de personnes sont tout à fait dépendantes de l’héroïne. Les usagers sont traités avec une drogue aussi puissante que l’héroïne, la méthadone, qui a un pouvoir d’action de 10 a 15 heures. »150 « L’usager ou dépendant de drogues , avant de constituer un infracteur, doit être vu comme une personne avec des vulnérabilités d’origine individuelle et sociale (…). »151 « Le ‘pauvre petit’ usager – et je parle cela comme quelqu’un qui connait l’autre côté de l’histoire : 25 ans à récupérer des drogués , à retirer des gens de la rue, à retirer des gens de la prison et à les mettre dans ma maison, en en faisant mes enfants. »152 « Ce n’est pas parce que nous sommes favorables à donner un traitement différencié au drogué que nous allons tolérer la drogue. Quand même, il ne suffit pas d’être tolérant avec le consommateur de drogue. » 2.2.2. Les affirmations positives : « l’usager de d rogues est… »

La grande majorité des affirmations formulées par les parlementaires sur

l’usager de drogues révélait une sorte de « sympathie » à son égard. J’y ai

d’ailleurs retrouvé la reconnaissance d’un traitement social injuste que le

consommateur de stupéfiants subi. Certains discours affirmaient donc que

« l’usager de drogues est socialement stigmatisé ».

« Le changement du regard sur cette question spécifique ne commence à se transformer que lorsque des jeunes et des adolescents des classes moyenne et supérieure, principalement en fonction de la marijuana, commencent à subir le stigma qui pèse sur les usagers . »153 « Logiquement nous voulons tous qu’ils arrêtent d’user des drogues, qu’ils reviennent à une vie considérée comme normale entre nous, mais c’était inadéquat de les arrêter, car leur famille était aussi stigmatisée, ils souff raient tous à la maison . C’était une souffrance très grande. »154 « Un exemple louable (…) est la proposition d’instituer des peines moins stigmatisantes pour l’usager, comme celles prévues dans les paragraphes de l’article 28. Nous ne pouvons pas ignorer que la criminalisation de l’usage des stupéfiants représente la punition d’un individu qu’en dernier analyse, serait en train de commettre un mal à soi-même. (…) Le renvoi de l’usager au Tribunal Spécial Criminel suit la logique de la non-stigmatisation et de l’efficiente résolution des conflits de

149 Ces discours seront présentés au point 2.2.3. Les affirmations négatives : « l’usager de drogues n’est pas… ». 150 Valdenor Guedes, PP-AP, 04/09/2003. 151 Paulo Pimenta, PT-RS, 10/02/2004 (Présentation d’Avis). 152 Magno Malta, PL-ES, 31/05/2006. 153 Luiz Alberto, PT-BA, 15/04/2003. 154 Augusto Botelho, PDT-RR, 03/06/2004.

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puissance offensive moindre . »155 L’usager de drogues est, de pareille façon, considéré « une victime » . On dit,

par exemple, qu’il est une « victime de la réaction pénale » :

« En comparant le nombre d’emprisonnements d’usagers avec le nombre d’emprisonnements de trafiquants, nous verrons qu’il y a un nombre plus grand d’emprisonnements d’usagers que de trafiquants. Il y a encore le risque de la corruption, de l’outrage et de la violence que l’on commet contre cet usager . »156 « (…) il ne suffit pas d’être tolérant avec le consommateur de drogue. Une recherche faite par le Ministère de la Santé avec 85000 usagers de drogues injectables pointe que 80% d’entre eux ont déjà étét arrêtés au moins une fois par la police (…). »157 « Je ne crois pas que le traitement pénal soit adéquat pour une question de principe : je pense que l’on ne peut pas donner un traitement pénal à un cr ime qui n’a pas de victime, à un crime dont la victime serait, à la limite l’usager lui-même . »158 L’usager est également vu comme une « victime des drogues » 159 et une

« victime du narcotrafic » 160.

Par ailleurs, dans une autre modalité, le consommateur de drogues est

considéré comme « un malade » .

« L’usager mérite un traitement, il mérite des ressources pour qu’il soit vraiment traité comme une personne qui, pendant un certain temps, est att einte d’une maladie . »161 « Les accros ne doivent être vus ni comme des criminels ni comme impliqués dans une aura de charme ; c’est pourtant ainsi que la société se divise dans l’opinion qu’elle a à l’égard de ces malades . »162 « Il n’y a pas de valvule qui permette l’utilisation, sous contrôle médical, de drogues illicites, avec l’objectif de délivrer le malade de la dépendance des drogues dur es, démarche proposée dans la littérature médicale, avec un succès indiscutable. »163 « Ce n’est pas juste d’arrêter un dépendant de l’alcool, lequel est aussi un dépendant chimique. Ce n’est pas juste d’arrêter une personne qui est porteuse d’une maladie infectieuse – c’est plus ou moins comme ça qu’ils faisaient : ils criminalisaient le fait que la personne soit malade . »164 Finalement, une dernière modalité pertinente à cette sous-catégorie a été

retrouvée dans un seul discours, percevant l’usager de drogues comme « un

trafiquant en devenir ». 155 Romeu Tuma, PFL-SP, 31/05/2006 (Présentation d’Avis). 156 Sergio Cabral, PMDB-RJ, 19/04/2004. 157 Zelinda Novaes, PFL-BA, 24/06/2003. 158 Aloysio Nunes Ferreira, PSDB-SP, 11/02/2004. 159 Aloysio Nunes Ferreira, PSDB-SP, 11/02/2004; Antonio Carlos Biscaia, PT-RJ, 11/02/2004. 160 Antonio Carlos Biscaia, PT-RJ, 12/02/2004 161 Fátima Cleide, PT-RO, 03/06/2004. 162 Gonzaga Patriota, PSB-PE, 25/06/2002. 163 Aloysio Nunes Ferreira, PSDB-SP, 11/02/2004. 164 Augusto Botelho, PDT-RR, 03/06/2004.

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« (...) celui qui est usager est à un pas de devenir trafiquant demain . Parce que sa capacité économico-financière finit, il devra vendre pour pouvoir faire l’usage (…). »165 2.2.3. Les affirmations négatives : « l’usager de d rogues n’est pas… »

La modalité la plus retrouvée parmi toutes les différentes perceptions

parlementaires de l’usager de drogues a été celle suggérant qu’il « n’est pas

un criminel » .

« (…) l’accro est un dépendant, il a besoin d’aide ; il n’est pas un criminel (…). »166 « Je vous demande de faire une réflexion sur cette phrase : un pays qui pénalise le malade est un pays de barbares, plus encore une nat ion qui le considère comme un criminel – qu’il y ait des prisons pour les fumeurs et les alcooliques qui utilisent des drogues libéralisées. »167 « Les accros ne doivent être vus ni comme des crimine ls ni comme couverts d’une aura de charme (…). »168

En proposant que l’usager « n’est pas comme le trafiquant », les

parlementaires font également une distinction entre celui qui fait l’usage de

drogues et celui qui les vend.

« Il n’y a pas de décriminalisation, mais la distinction entre l’usager de drogues et le trafiquant, celui qui utilise ce moyen illicite pou r s’enrichir . Ce sont deux situations bien différentes. »169 « Il faut combattre les vecteurs de la maladie. Nous n’arrivons pas à traiter la dengue, mais nous arrivons à tuer le moustique transmetteur. Le dépendant, nous le traitons comme nous pouvons, et nous allons essayer d’arrête r les trafiquants . »170 « (…) il s’agit d’un projet qui va à la rencontre du souhait de la société, qui va à la rencontre de la paix, de la sécurité, et vise à séparer le bon grain de l’ivraie . On n’est pas en train de jouer avec cette thématique ; au contraire, on est en train de prendre au sérieux la matière, dans le but de réprimer de plus en plus le trafic de drogues. L’intention est de conférer à l’usager de drogues une autre vision, en ne permettant pas qu’il soit puni comme s’il était un trafiquant. L’usager de drogues subira des peines, mais des peines alternatives. Quant au traf iquant, il subira des peines plus dures. »171 « Je crois, oui, je fais une distinction entre l’usager et le trafiq uant. Oui, je fais une distinction. Je crois que l’usager mérite du traitement, il mérite que l’Etat lui donne une attention toute spéciale, car il est une person ne capable de se récupérer, il

165 Romeu Tuma, PFL-SP, 25/06/2006. 166 Elcione Barbalho, PMDB-PA, 25/06/2002. 167 Elcione Barbalho, PMDB-PA, 25/06/2002. 168 Gonzaga Patriota, PSB-PE, 25/06/2002. 169 Dr. Hélio, PDT-SP, 12/02/2004. 170 Augusto Botelho, PDT-RR, 03/06/2004. 171 Sérgio Cabral, PMDB-RJ, 03/06/2004 (Présentation de l’Avis-CAS).

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est très différent d’un trafiquant. »172 « Nous devons faire face au trafiquant, au bandit, au délinquant, avec beaucoup de fermeté, et, en quelque sorte, sans décriminalis er, nous devons offrir un traitement différencié à l’usager, au dépendant. Cela est prévu dans la loi d’une façon très claire, objective et avec beaucoup de sûreté juridique. »173

Il y a aussi des orateurs qui distinguent l’usager du dépendant. Cette manière

de représenter l’usager de drogues correspond à l’idée selon laquelle « il n’est

pas toujours dépendant » .

« Et la grande majorité de la demande des produits chimiques, laquelle alimente la mafia dans les favelas, est constituée d’usagers occasionnels. Ils ne sont pas dépendants. En cas d’absence du produit, ils n’ont pas de crises d’abstinence. »174 « Il doit y avoir plus de rigueur pour le trafic, évidemment, mais la dépendance chimique est une maladie, et en tant que telle, elle mérite un traitement, principalement si l’usager n’est pas encore un dépe ndant. L’usager éventuel doit avoir un traitement différencié et non pas être sim plement puni par le Droit Pénal . (…) S’il s’agit d’un dépendant chimique, on le renvoie vers le traitement; s’il s’agit d’un usager éventuel, on l’applique une peine qui ne soit pas privative de liberté, mais une mesure socio-éducative comme celles qui sont prévues ici. »175 « Le projet en votation ne libéralise d’aucune façon l’usage de drogues. Pour la première fois, on présente une séparation adéquate entre la condition d’usager et celle de dépendant , celui-ci étant une victime du narcotrafic croissant. »176 « (…) alors, la séparation de l’usager et de l’accro est devenue claire, celui qui boit socialement et celui qui boit pour se saouler et faire du mal à la famille . »177 Enfin, une dernière affirmation négative à l’égard de l’usager de drogues

prétend qu’il « n’est pas une victime innocente » .

« Nous devons respecter tous les types d’arguments, m ême l’argument de ceux qui veulent légaliser les drogues, de ceux qui pens ent que le ‘pauvre petit’ usager ne peut pas être puni. Il n’existe pas de ‘p auvre petit’ usager. (…) J’ai dit à ce père-là que, s’il savait combien de malheur se passe dans les frontières – de la corruption, des camions volés, des chauffeurs morts, des enfants orphelins, de la police corrompue – pour que la drogue arrive aux mains de son fils le samedi, il ne m’aurait pas parlé cela ; pour qu’un ‘petit joint’ arrive aux mains de cet ‘innocent’, il ne m’aurait pas parlé cela »178

172 Ramez Tebet, PMDB-MS, 31/05/2006. 173 João Campos, PSDB-GO, 12/02/2004. 174 Elcione Barbalho, PMDB-PA, 25/06/2002. 175 Antonio Carlos Biscaia, PT-RJ, 13/05/2003. 176 Antonio Carlos Biscaia, PT-RJ, 12/02/2004. 177 Romeu Tuma, PFL-SP, 28/06/2006. 178 Magno Malta, PL-ES, 31/05/2006.

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3. TROIS MANIÈRES DE TRAITER LA PROBLÉMATIQUE DE L’USAGE DE

DROGUES

Après l’observation des catégories concernant les représentations du problème

et les perceptions de l’usager présentées par les parlementaires dans leurs

manifestations discursives, l’étape suivante a consisté en une tentative de

regroupement des discours suivant les affinités qu’ils semblaient avoir. Ensuite,

le travail a été réalisé à l’intérieur des « groupes de discours » ainsi constitués,

par la constitution de « sous-groupes », lorsqu’ils révélaient des points

d’opposition significatifs.

Finalement, ces groupes et leurs éventuels sous-groupes – établis sur base des

différentes « manières de voir » le problème et ses personnages principaux –

ont été mis en relation avec les positions prises par les parlementaires en

matière de réponse législative ; des nouvelles affinités ont ainsi pu être

observées. L’observation minutieuse des « manières de voir » la drogue, son

usage et ses usagers croisées avec les « manières de répondre » exprimées

dans les positions parlementaires a donc abouti dans la construction de trois

types de discours sur le problème de la drogue,

Cette étape s’est révélée un des moments les plus difficiles de la recherche. Au

tout début, étant donné le nombre de catégorisations réalisées, il n’était pas du

tout évident d’envisager quelles catégories pourraient être significatives pour

faire le regroupement des discours et leur distinction ultérieure. Après une série

de tentatives – et un certain temps – de croisements effectués à l’aide du

logiciel WEFT-QDA et des classeurs Excel, j’ai trouvé dans les modalités

concernant les « représentations de la drogue » un point d’ancrage pour la

constitution d’une typologie des affinités entre les différents discours

parlementaires.

Premièrement, j’ai isolé tous les discours formulés par les parlementaires qui

présentaient l’idée de « mal » pour se référer à la drogue, en constituant le

premier groupe. Ensuite, j’ai regroupé les discours qui entendaient la drogue

comme une sorte de « maladie », à l’exception de ceux qui étaient déjà dans le

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60

premier groupe. Après, j’ai rassemblé dans un troisième groupe les discours qui

effectuaient une « objectivation » de la drogue, en la présentant soit comme un

« objet », soit comme une « marchandise », et qui ne se trouvaient pas dans les

deux autres ensembles de discours déjà constitués.

J’ai alors essayé de constituer un quatrième groupe en utilisant les discours qui

réalisaient une « subjectivation » de la drogue, mais j’ai remarqué qu’ils étaient

déjà éparpillés entre les trois premiers groupes, alors j’ai laissé de côté cette

catégorie, au moins provisoirement.

Finalement, j’ai pris les discours restants et j’ai essayé de vérifier s’ils

présentaient d’éventuelles affinités avec un des trois premiers groupes. En

effet, ces derniers discours présentaient tous des points de proximité avec les

idées des autres groupes ; aucune opposition significative ne pouvait justifier la

constitution d’un quatrième groupe.

Ainsi, les discours qui touchaient à la question du combat contre les drogues,

faisant référence directement ou implicitement à une lutte contre le « mal »

qu’elles représentent ou produisent, ont été ajoutés au premier groupe, lequel a

été appelé le regard « manichéen ».

A l’intérieur de ce regard, j’ai vérifié une opposition incontournable : il y avait

des variations significatives entre les discours qui parlaient de la drogue

exclusivement en termes de « mal » et ceux qui nuançaient en quelque sorte

cette représentation par l’évocation simultanée d’autres représentations

possibles (la drogue est un « mal », mais également une « maladie » ou

également une « marchandise »). En conséquence, j’ai aperçu l’existence d’un

regard « manichéen modéré » qui prenait une certaine distance par rapport

au regard « manichéen radical ».

Par ailleurs, certains discours faisaient référence à l’usage de drogues comme

une question prioritairement de santé publique ; d’autres utilisaient

emphatiquement des expressions fort liées à un contexte médical telles que

« diagnostic » et « cure » pour présenter les idées. Ces discours ont alors été

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61

reliés à ceux qui rattachaient la drogue à la notion de « maladie » pour

composer le regard « médical ». Je n’y ai pas rencontré des variations

significatives qui pourraient engendrer la création de sous-divisions.

J’ai enfin cherché d’autres discours qui pourraient être additionnés au troisième

groupe mais je ne les ai pas retrouvés. Grâce aux éléments d’opposition

présents dans ces discours par rapport à ceux qui constituaient les deux autres

ensembles, ce groupe a été baptisé le regard « garantiste-libéral ».

Ces trois différents regards relient des aspects distincts des « manières de

voir » révélées par les parlementaires dans leurs discours et permettent de

saisir un lien plausible entre ces « manières de voir » l’usage de drogues et les

« manières d’y réagir ». Ils seront présentés en détails tout de suite.

3.1. Le regard « manichéen »

Dans ce groupe de discours parlementaires, le regard porté sur l’objet drogue

par les parlementaires produit un discours qui évoque centralement l’idée d’un

« mal » auquel il faut faire face. Une analyse des significations de ce mot peut

aider à comprendre cette façon « manichéenne » de voir la drogue.

D’abord, le terme « mal », en tant que substantif, vient du latin malus signifiant

« ce qui est mauvais, nocif, blessant »179. D’ailleurs, le CNRTL présente des

définitions très éclairantes à l’égard de ce mot.

« Mal. I. − Tout ce qui fait souffrir, physiquement ou moralement. (…) II. − P. ext. [Fréq. avec le partitif] Tout ce qui est contraire au bien-être, à l'épanouissement; tout ce qui est mauvais, dommageable, néfaste (aux êtres ou aux choses). (…) III. −Au sing. Tout ce qui est contraire au bien. »180 Il est donc possible de conclure que définir quelque chose en termes de « mal »

implique déjà une « manière de penser » le problème qui passe par la

179 Référence trouvée à l’adresse virtuelle du Dizionario Etimologico Online: http://etimo.it/?term=male&find=Cerca. 180 Référence trouvée à l’adresse virtuelle : http://www.cnrtl.fr/definition/mal.

Page 62: Memoire   bastos

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construction d’une dichotomie : si le « mal » existe, ce ne peut être qu’en

opposition à autre chose qui serait le « bien ». Cela entraine également

l’existence d’une dispute, d’un combat éternel, où il faut prendre une position. Il

y aurait donc un bon côté – « antidrogue »181, représenté par la société, la loi

morale, la santé, le travail, et « le mauvais côté, le mauvais sens » (ca 1170), le

« tort » (ca 1100) 182: la drogue. L’extrait qui suit constitue une bonne

illustration de cette logique:

« Encore une fois, nous nous trouvons au carrefour entre le bien-être d’une société d’un côté, et les drogues de l’autre. C’est une lutte que nous avons menée depuis des années, mais malheureusement, tout indique, semble-t-il, que nous avons perdu du terrain. Non pas par manque de courage ou d’actions, mais simplement parce que le pouvoir existant de l’autre côté a été beaucoup plus fort. »183

Revenons aux discours qui révèlent ce regard. La drogue y est présentée

comme la cause d’une « souffrance morale » (ca 1155) et d’une « souffrance

physique » (ca 1100)184, en plus de la « souffrance psychique ». C’est d’ailleurs

seulement dans les discours « manichéens » que sont retrouvées des

formulations telles que les « drogues détruisent le système nerveux et le

caractère »185 et « la marijuana est (…) cancérigène »186.

La drogue est aussi une mauvaise, dommageable et « néfaste

marchandise »187 qui empêche le bien-être individuel et social, puisqu’elle

entraine « la dépendance »188, « l’addiction »189, « l’abus »190 (des expressions

utilisées pour se référer aux problèmes de consommation), ainsi que le

181 Vicente Arruda, PSDB-CE, 29/05/2002 (Présentation d’Avis); Magno Malta, PL-ES, 31/05/2006; Romeu Tuma, PFL-SP, 31/05/2006 et 28/06/2006. 182 Ces expressions appartiennent à l’histoire étymologique du mot « mal ». Référence trouvée à l’adresse virtuelle : http://www.cnrtl.fr/etymologie/mal. 183 Elcione Barbalho, PMDB-PA, 25/06/2002. 184 Ces expressions appartiennent à l’histoire étymologique du mot « mal ». Référence trouvée à l’adresse virtuelle : http://www.cnrtl.fr/etymologie/mal. 185 Costa Ferreira, PFL-MA, 02/04/2002. 186 Moroni Torgan, PFL-CE, 25/06/2002. 187 Gonzaga Patriota, PSB-PE, 25/06/2002. 188 Vicente Arruda, PSDB-CE, 29/05/2002 (Présentation d’Avis) et 19/06/2002; João Campos, PSDB-GO, 14/05/2003; Gonzaga Patriota, PSB-PE, 25/06/2002; Romeu Tuma, PFL-SP, 31/05/2006 (Présentation d’Avis); Magno Malta, PL-ES, 25/06/2002. 189 Elcione Barbalho, PMDB-PA, 25/06/2002. 190 Magno Malta, PL-ES, 31/05/2005; Magno Malta, PL-ES, 31/05/2006; Romeu Tuma, PFL-SP, 31/05/2006 (Présentation d’Avis).

Page 63: Memoire   bastos

63

« vice »191, cette « disposition habituelle au mal »192. Ce produit « qui est

néfaste, qui nuit» (2e moitié xe s.)193 amène son usager catégoriquement à la

mort : « la personne va mourir dopée, défoncée ».

Ce regard manichéen représente encore une façon radicale de réduire la

complexité du phénomène à une « essence » qui couvrirait tous les autres

aspects, y compris les éventuels bénéfices. S’il est un seul « regard » à

mentionner sur les finalités positives de l’usage de drogues, il n’est destiné qu’à

rappeler que rien ne peut attendrir le caractère maléfique de la drogue.

« (...) il y a quelques jours la presse mondiale a annoncé que la marijuana est vendue maintenant dans les pharmacies de quelques pays. L’allégation relative au motif spécial de cette vente est le fait qu’elle a des buts médicamenteux et thérapeutiques. Je n’en doute pas, mais pour fonder mon propos, je veux citer un extrait de la Bible , au livre du Prophète Isaïe, chap. 5 : 20, qui dit : « Malheur à ceux qui appellent le mal bien, et le bien mal, Qui changent les ténèbres en lumière, et la lumière en ténèbres, Qui changent l'amertume en douceur, et la douceur en amertume! »194 Si la drogue est un mal, son usager « n’est pas une victime innocente »195 : il

est un « accro »196 qui « soutient la violence de la société »197 et « à un pas de

devenir un trafiquant »198.

Par conséquent, il n’est pas étrange de supposer que les parlementaires,

« auto-placés » du côté du « bien », jugent qu’il faut impérativement faire face à

ce mal qu’est la drogue et à l’individu qui la touche, en utilisant tous les moyens

disponibles pour les combattre. Il n’est donc pas question de penser d’une

façon nouvelle : depuis longtemps, on sait que la meilleure réponse à un

191 En portugais, les mots « vice » et « addiction » peuvent constituer des synonymes. Ont utilisé cette expression : Costa Ferreira, PFL-MA, 02/04/2002; Elcione Barbalho, PMDB-PA, 25/06/2002; Valdenor Guedes, PP-AP, 04/09/2003 ; Magno Malta, PL-ES, 31/05/2005; Romeu Tuma, PFL-SP, 31/05/2006 (Présentation d’Avis). 192 Référence trouvée à l’adresse virtuelle : http://www.cnrtl.fr/definition/vice. 193 Cette expression appartient à l’histoire étymologique du mot « mal ». Référence trouvée à l’adresse virtuelle : http://www.cnrtl.fr/etymologie/mal. 194 Valdenor Guedes, PP-AP, 04/09/2003. 195 Magno Malta, PL-ES, 31/05/2006. 196 Costa Ferreira, PFL-MA, 02/04/2002; Elcione Barbalho, PMDB-PA, 25/06/2002; Gonzaga Patriota, PSB-PE, 25/06/2002; Moroni Torgan, PFL-CE, 25/06/2002, 13/05/2003 et 15/05/2003; Ramez Tebet, PMDB-MS, 31/05/2006. 197 Magno Malta, PL-ES, 31/05/2006. 198 Romeu Tuma, PFL-SP, 25/05/2006.

Page 64: Memoire   bastos

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« mal » est l’attribution d’un « mal » plus grand pour le contrer199 ou, dans les

mots de Christie (2005, p. 19), « la livraison intentionnelle de la douleur ». Ainsi,

la grande majorité des parlementaires qui posent ce « regard manichéen » sur

la drogue est favorable non seulement au maintien de l’interdiction de l’usage

de drogues, mais également à l’emprisonnement des usagers.

La seule façon de modérer la radicalité de ce regard semble être

l’attendrissement du manichéisme par la présentation simultanée200 d’autres

représentations. Autrement dit, les discours qui ont échappé au « manichéisme

radical », en en constituant une version « modérée », parlaient encore de la

drogue comme d’un « mal » mais mentionnaient également qu’elle est « le

symptôme de quelque chose de plus sérieux »201, que sa consommation « n’est

qu’une maladie »202 qu’elle « est une marchandise »203 ou constitue « un

marché »204 et que « la seule porte que la société offre pour l’entrée [d’un

adolescent] dans la vie adulte est la porte de la consommation »205.

Ainsi, ce regard « manichéen modéré » est capable de voir différemment

l’usager de drogues : il « n’est pas un criminel », pouvant être considéré « une

victime » une personne « stigmatisée », voire même « un malade », devant en

quelque sorte « être traitée avec dignité »206.

En conséquence, ces discours qui laissent entrevoir un « regard manichéen

modéré » à l’égard des drogues prennent tous une position contraire à la

décriminalisation de leur usage, mais soutiennent en même temps le besoin de

retirer l’usager de drogues de la prison.

199 D’après Pires (2008), cette idée est un des piliers de la « rationalité pénale moderne », que l’on peut retrouver aussi bien chez Beccaria (1764) que chez Kant (1785), auteurs traditionnellement considérés comme opposés dans leur philosophie pénale. 200 C’est cette simultanéité qui permet de saisir la différence avec le regard médical, qui, comme il sera présenté ensuite, abandonne la représentation de l’usage comme essentiellement mauvais. 201 Gonzaga Patriota, PSB-PE, 25/06/2002. 202 Elcione Barbalho, PMDB-PA, 25/06/2002. 203 Gonzaga Patriota, PSB-PE, 25/06/2002. 204 Ronaldo Cezar Coelho, PSDB-RJ, 19/04/2004. 205 Zelinda Novaes, PFL-BA, 24/06/2003. 206 Elcione Barbalho, PMDB-PA, 25/06/2002.

Page 65: Memoire   bastos

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3.2. Le regard « médical »

Une deuxième « manière de voir » le phénomène de l’usage de drogues

consiste en un regard qui le relie fortement à la notion de « maladie ». Dans

cette perspective, la drogue « est une maladie »207 ou « entraîne des

maladies »208 ; elle est également présentée comme « un problème de santé

publique »209 plutôt que de droit pénal. Il s’agit en quelque sorte de prendre la

drogue comme une « cause externe » qui provoque l’« altération de l'état de

santé se manifestant par un ensemble de signes et de symptômes perceptibles

directement ou non »210.

Parmi les significations du mot « maladie », dont l’origine vient de « mal »211, il

est possible de retrouver : « a) Ce qu'il y a d'anormal chez quelqu'un ou qui

paraît tel, ce qui perturbe son comportement, ses facultés morales ; b) Manie,

obsession, goût immodéré »212. Ainsi, regarder la drogue comme « une sorte de

maladie » implique encore de la considérer comme une « chose mauvaise » qui

amène les individus à la souffrance.

Toutefois, il ne s’agit plus ici du « mal néfaste » auquel il faut faire face à tout

prix : j’observe dans ce regard un effort de dépassement du caractère

dichotomique et subjectif du premier par une prise de distance à travers un

« diagnostic » du problème qui permette la formulation de réponses basées sur

des critères scientifiques.

« Il faut croire qu’il est possible de changer cette logique avec des mesures intelligentes et avec des actions courageuses axées sur des bases scientifiques. Il faut entendre ce qu’en ont à dire nos spécialistes. »213

Ainsi, si la drogue est une maladie, il est important de l’étudier, afin de 207 Guilherme Menezes, PT-BA, 17/03/2003; Antonio Carlos Biscaia, PT-RJ, 13/05/2003; Augusto Botelho, PDT-RR, 03/06/2004; Fátima Cleide, PT-RO, 03/06/2004. 208 Guilherme Menezes, PT-BA, 17/03/2003; Antonio Carlos Biscaia, PT-RJ, 13/05/2003; Augusto Botelho, PDT-RR, 03/06/2004; Fátima Cleide, PT-RO, 03/06/2004. 209 Paulo Pimenta, PT-RS, 11/02/2004. 210 Référence trouvée à l’adresse virtuelle : http://www.cnrtl.fr/definition/maladie. 211 Référence trouvée à l’adresse virtuelle : http://www.cnrtl.fr/etymologie/mal: « Étymol. et Hist. (…) 2. 1050 «maladie» (…);(…) ». 212 Référence trouvée à l’adresse virtuelle : http://www.cnrtl.fr/definition/maladie. 213 Guilherme Menezes, PT-BA, 17/03/2003.

Page 66: Memoire   bastos

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l’expliquer et proposer des réactions adéquates qui puissent soigner l’usager.

« Nous ne pouvons pas mettre dans le projet l’esprit d’amour, de dévouement et d’attention, mais c’est cet esprit – et S. Exe., en tant que médecin, sait combien ces sentiments sont importants – allié au traitement scientifique, qui peut permettre à l’usager de se libérer du problème. »214

Dans ce sens, le « regard médical » s’intéresse au problème`et à la personne

objectivés par la science, plutôt que saisis dans une perspective morale

dichotomique. L’accent de ces discours est donc mis sur l’usager de drogues,

considéré avant tout « un malade »215 et une « victime »216. On dit également

qu’il « n’est pas un criminel »217, « n’est pas un trafiquant »218 et « n’est pas

toujours dépendant »219 de la drogue.

De même, ces discours s’attachent plus aux dommages individuels de l’usage

des drogues, parmi lesquels la nuisance à la santé220 et la possibilité d’aller en

prison221, qu’aux conséquences sociales ou morales d’une telle conduite. Ce

regard est d’ailleurs le seul à ne pas mentionner l’idée que l’usage de drogues

est le responsable du soutien du trafic.

En réaction au problème, le regard « médical » propose, à l’exception d’un seul

214 Sérgio Cabral, PMDB-RJ, 03/06/2004 (Présentation de l’Avis-CAS). 215 Antonio Carlos Biscaia, PT-RJ, 13/05/2003; Augusto Botelho, PDT-RR, 03/06/2004; Fátima Cleide, PT-RO, 03/06/2004. 216 Antonio Carlos Biscaia, PT-RJ, 13/05/2003, 11/02/2004 et 12/02/2004; Paulo Pimenta, PT-RS, 10/02/2004 (Présentation de l’Avis-CCJR) ; Sérgio Cabral, PMDB-RJ, 19/04/2004. 217 Fernando Ferro, PT-PE, 26/03/2003; Antonio Carlos Biscaia, PT-RJ, 13/05/2003 et 12/02/2004; Paulo Pimenta, PT-RS, 10/02/2004 (Présentation de l’Avis-CCJR) et 11/02/2004; Dr. Hélio, PDT-SP, 12/02/2004; Sérgio Cabral, PMDB-RJ, 19/04/2004 et 03/06/2004 (Présentation de l’Avis-CAS) ; Augusto Botelho, PDT-RR, 03/06/2004. 218 Antonio Carlos Biscaia, PT-RJ, 13/05/2003; Paulo Pimenta, PT-RS, 10/02/2004 (Présentation de l’Avis-CCJR) ; Dr. Hélio, PDT-SP, 12/02/2004; Augusto Botelho, PDT-RR, 03/06/2004; Sérgio Cabral, PMDB-RJ, 03/06/2004 (Présentation de l’Avis-CAS). 219 Antonio Carlos Biscaia, PT-RJ, 13/05/2003 et 12/02/2004; Paulo Pimenta, PT-RS, 11/02/2004. 220 Guilherme Menezes, PT-BA, 17/03/2003; Antonio Carlos Biscaia, PT-RJ, 13/05/2003 et 14/05/2003; Paulo Pimenta, PT-RS, 10/02/2004 (Présentation de l’Avis-CCJR) et 11/02/2004 ; Augusto Botelho, PDT-RR, 03/06/2004; Fátima Cleide, PT-RO, 03/06/2004; Sérgio Cabral, PMDB-RJ, 03/06/2004 (Présentation de l’Avis-CAS). 221 Fernando Ferro, PT-PE, 26/03/2003;Antonio Carlos Biscaia, PT-RJ, 13/05/2003, 14/05/2003, 11/02/2004 et 12/02/2004; Paulo Pimenta, PT-RS, 10/02/2004 (Présentation de l’Avis-CCJR) et 11/02/2004; Antonio Carlos Biscaia, PT-RJ, 11/02/2004; Sérgio Cabral, PMDB-RJ, 19/04/2004 et 03/06/2004 (Présentation de l’Avis-CAS) ; Augusto Botelho, PDT-RR, 03/06/2004; Fátima Cleide, PT-RO, 03/06/2004.

Page 67: Memoire   bastos

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discours222, le maintien de la criminalisation de l’usage de drogues. Cependant,

puisqu’il s’agit d’une maladie, il ne faut pas arrêter l’usager de drogues, mais le

traiter. La réponse pénale à ce crime doit donc être formulée en excluant

l’utilisation de la peine de prison pour l’usager ou, en tout cas,

l’emprisonnement ne peut apparaître que comme dernier recours pour assurer

l’application des mesures alternatives.

L’extrait qui suit reprend, enfin, de façon synthétique la plupart de ces éléments

évoqués par rapport au « regard médical », raison pour laquelle je le transcris :

« Par rapport au crime d’usage de drogues, la grande vertu de la proposition est l’élimination de la possibilité de la prison pour l’usager et le dépendant. Conformément aux constatations scientifiques, l’emprisonnement des usagers et des dépendants n’apporte pas de bénéfices à la société, car, d’un côté, cela les empêche de recevoir l’attention nécessaire, y compris un traitement efficace et, de l’autre, cela les amène à vivre avec des auteurs de crimes beaucoup plus graves. Nous soulignons que nous ne sommes d’aucune façon en train de décriminaliser la conduite de l’usager – le Brésil est même signataire de conventions internationales qui prohibent l’élimination de ce délit. Ce qui nous faisons est seulement modifier les types de peine applicables à l’usager, en en excluant la privation de la liberté comme peine principale. » 223 3.3. Le regard « garantiste-libéral »

Finalement, une troisième « manière de voir » l’usage de drogues le constitue

avant tout comme une question économique et juridique. Il s’agit du regard

« garantiste-libéral », pour lequel la drogue n’est pas un mal à combattre, ni une

maladie à guérir. Elle est considérée ici comme « un objet inanimé »224 ou une

« marchandise »225, qu’il faut surtout mieux contrôler226.

D’abord, la représentation de la drogue comme « un objet » permet une prise

de distance à l’égard de toute connotation morale préconçue sur le produit

222 En fait, le discours prononcé par Guilherme Menezes, PT-BA, 17/03/2003, est le seul qui présente un « regard médical » et qui ne propose pas le maintien de la criminalisation de l’usage de drogues. Il cherche plutôt « la meilleure stratégie pour aborder la question des drogues et de leur décriminalisation ». 223 Paulo Pimenta, PT-RS, 10/02/2004 (Présentation de l’Avis-CCJR). 224 Fernando Gabeira, Sans Parti-RJ, 14/08/2003. 225 Fernando Gabeira, Sans Parti-RJ, 04/11/2003. 226 Vicente Arruda, PSDB-SP, 19/03/2003; Fernando Gabeira, Sans Parti-RJ, 26/03/2003, 04/11/2003, 19/04/2004; Eduardo Suplicy, 19/04/2004, 26/04/2004, 18/05/2006, 25/05/2006 et 31/05/2006; Jefferson Pères, PDT-AM, 31/05/2005; João Batista Motta, PSDB-ES, 31/05/2006.

Page 68: Memoire   bastos

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qu’est la drogue. Lorsque l’on parle d’« un objet », il n’y a pas de jugement sur

ce qui est observé : cela peut être aussi bien que mal, voire même les deux en

même temps. La signification de ce mot fait référence à « tout ce qui est doté

d’existence matérielle »227, « tout ce qui, animé ou inanimé, affecte les sens,

principalement la vue »228. Un objet n’est donc qu’une « chose », un « produit »

du regard d’un « sujet ».

Ensuite, en ajoutant au mot « objet » l’adjectif « inanimé », on veut dire que cet

objet « par nature, n’a pas de vie ». Cela suppose de le considérer comme une

« chose » sans âme, sans esprit, sans volonté. Si la drogue est un « objet

inanimé », elle ne peut pas être un mal, ni une maladie : elle n’est qu’un

« machin » dont on se sert pour en faire quelque chose : produire, vendre ou

faire l’usage, par exemple.

Parler de cet objet en tant que « marchandise » implique enfin de mettre en

évidence la dimension « commerciale » de ce dont on parle : une marchandise

est « tout produit (…) susceptible d’être acheté ou vendu, en gros ou au

détail »229, « ce qui est meuble et objet de commerce », négoce ou trafic230. La

drogue est donc un objet que l’on vend et que l’on achète, que l’on produit et

que l’on consomme.

Cependant, la consommation de ce produit pose certains problèmes. Dans ce

regard, l’usage de drogues peut nuire231 à l’usager car il entraine « la

dépendance aux drogues dures, à l’exemple du crack »232. Il réduit encore chez

l’individu « la capacité de travailler et de sentir l’affection »233. Malgré cela,

l’usage de drogues reste ici un droit individuel: la personne adulte doit toujours

avoir la liberté de décider ce qu’elle fait de sa vie privée, y compris d’user ou

227 Référence trouvée à l’adresse virtuelle : http://www.cnrtl.fr/etymologie/objet. 228 Référence trouvée à l’adresse virtuelle : http://www.cnrtl.fr/definition/objet. 229 Référence trouvée à l’adresse virtuelle : http://www.cnrtl.fr/definition/marchandise. 230 Référence trouvée à l’adresse virtuelle : http://www.cnrtl.fr/etymologie/marchandise. 231 La nocivité est ici une possibilité et non pas un caractère intrinsèque du produit ou une conséquence nécessairement liée à son usage, comme dans les perspectives antérieures. 232 Aloysio Nunes Ferreira, PSDB-SP, 11/02/2004. 233 Aloysio Nunes Ferreira, PSDB-SP, 11/02/2004.

Page 69: Memoire   bastos

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non de produits stupéfiants234.

Grâce à ce « droit inaliénable de la personne humaine » 235 – la liberté – même

l’interdiction légale n’est pas capable d’empêcher la demande et l’offre de la

drogue : « (…) tant qu’il y a des consommateurs de drogue – et il y aura

toujours – il y aura quelqu’un pour vendre des drogues. Il n’y a aucune armée

au monde qui puisse empêcher cela ».236

Par ailleurs, si la drogue est un objet, le jugement moral sur ses utilisateurs est

aussi mis à distance. En effet, ces discours, comparés à ceux qui relèvent des

deux autres regards, fournissent peu de représentations à l’égard des usagers

de drogues, lesquels sont le plus souvent appelés « consommateurs ». On

affirme encore ici qu’ils sont « stigmatisés »237, notamment les « jeunes noirs

qui habitent dans les périphéries »238. Sur le mode de la négation, les

parlementaires répètent que le consommateur « n’est pas un criminel »239 ; qu’il

« n’est pas comme le trafiquant »240 et qu’il « n’est pas toujours dépendant »241.

Dès lors, ce qui pose problème ici, ce n’est pas tellement la drogue en tant que

telle, mais la réaction pénale adressée au marché sur lequel cet objet circule. Si

l’usage de drogues nuit à la société, c’est du fait qu’il soutient et enrichi le trafic

de drogues. Autrement dit, la criminalisation de la drogue, au lieu de produire la

réduction de la demande et de l’usage, crée un marché illégal très lucratif

(puisque le contrôle étatique y est absent), et très violent (car il est clandestin et

souvent lié au trafic d’armes à feu242).

La réaction associée dans les discours qui soutiennent cette « manière de

voir » la drogue est donc la décriminalisation de l’usage de drogues, pour que

234 Aloysio Nunes Ferreira, PSDB-SP, 11/02/2004; Jefferson Péres, PDT-AM, 18/05/2006; Jefferson Péres, PDT-AM, 31/05/2006. 235 Jefferson Péres, PDT-AM, 31/05/2006. 236 Jefferson Péres, PDT-AM, 18/05/2006. 237 Luiz Alberto, PT-BA, 15/04/2003; João Batista Motta, PSDB-ES, 31/05/2006. 238 Luiz Alberto, PT-BA, 15/04/2003. 239 Luiz Alberto, PT-BA, 15/04/2003; Fernando Gabeira, Sans Parti-RJ, 04/11/2003. Aloysio Nunes Ferreira, PSDB-SP, 11/02/2004; João Batista Motta, PSDB-ES, 31/05/2006. 240 João Batista Motta, PSDB-ES, 31/05/2006. 241 Aloysio Nunes Ferreira, PSDB-SP, 11/02/2004; Eduardo Suplicy, PT-SP, 25/05/2006. 242 Vicente Arruda, PSDB-CE, 19/03/2003.

Page 70: Memoire   bastos

70

l’Etat puisse en assumer le contrôle :

« On permettrait la fabrication par les laboratoires et la vente dans les pharmacies. Alors, s’occuperait des conditions légales de cette vente, l’ordonnance médicale ou quelque autre sorte de règle étant nécessaire. Des limites seraient créées. Si l’on fait une vente irrégulière, que l’on puisse punir l’infraction, mais elle ne serait plus un crime. Ce faisant, la vente de la drogue sort de la sphère de la marginalité. »243 En résumé, ce regard « garantiste-libéral » propose la légalisation de l’usage de

drogue pour garantir le contrôle de cette marchandise qu’est la drogue, puisque

les citoyens ont le droit d’utiliser cet objet dans leur vie privée et, s’ils le veulent,

ils continuent à exercer ce droit malgré l’existence et l’interdiction de la loi

pénale.

3.4. Remarques conclusives

Sur base de la construction de ces trois manières de regarder l’usage de

drogues, à partir des discours parlementaires prononcés sur la réponse juridico-

pénale à apporter à cette conduite, j’ai pu élaborer un tableau qui synthétise

ces trois « regards » sur la drogue, confrontés aux différentes catégories

observées dans les discours. Ce tableau est présenté à la page suivante.

La construction de ce tableau m’a permis d’observer les discours en

perspective et d’y retrouver des aspects que j’ai jugés sensiblement étonnants.

L’apparition de certaines « manières de voir » dans des discours inattendus et

le choix des mots employés pour parler de la drogue ont engendré l’élaboration

de quelques hypothèses, lesquelles seront présentées ci-dessous.

Dans ce chapitre, il sera question de présenter les « étonnements » les plus

importants que l’élaboration de ce tableau a produits. Je propose donc de

reprendre ici quelques éléments significatifs, synthétisés dans le tableau,

concernant les « représentations de la drogue », catégories centrales de la

construction des « regards », avant de passer aux discussions théoriques sur

ces manières de traiter la problématique de l’usage de drogues.

243 Eduardo Suplicy, PT-SP, 19/04/2004.

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71

Tableau 1 : Les regards parlementaires sur les drog ues et leurs représentations

REGARD MANICHÉEN Radical Modéré

MÉDICAL GARANTISTE- LIBÉRAL

Représentation du problème

un mal un mal une maladie une sorte de

maladie

un symptôme une marchandise une marchandise

La drogue est…

un objet, une chose inanimée

nuit à l’usager : =>nuit à la santé physique et psychique; => entraine la dépendance, l’abus, le vice; => entraine la perte du caractère ; => amène à la mort.

nuit à l’usager : =>nuit à la santé psychique; => entraine la dépendance, le vice, l’addiction ; => amène à la mort.

nuit à l’usager : =>nuit notamment à la santé psychique; =>entraine la dépendance ; =>peut amener à la mort.

peut nuire à l’usager : =>peut entrainer la dépendance ; =>réduit l’affectivité et la capacité de travailler.

nuit à la société : =>engendre la violence et l’insécurité ; =>maintient / soutient le trafic ; =>engendre de la souffrance pour les familles.

nuit à la société : =>engendre la violence et l’insécurité ; =>maintient / soutient le trafic ;

nuit à la société : =>engendre la violence et l’insécurité ; =>engendre de la souffrance pour les familles.

nuit à la société : =>maintient / soutient le trafic.

a des aspects positifs

L’usage de drogues…

est un droit Perception du sujet

usager usager usager usager consommateur consommateur consommateur consommateur drogué drogué dépendant dépendant dépendant dépendant

Les mots pour le désigner

accro accro stigmatisé stigmatisé stigmatisé une victime une victime un malade un malade

L’usager de drogues est…

un trafiquant en devenir

un criminel un criminel un criminel comme le trafiquant

comme le trafiquant

comme le trafiquant

comme le trafiquant

toujours un dépendant

toujours un dépendant

toujours un dépendant

toujours un dépendant

L’usager de drogues n'est

pas…

une victime innocente

POSITION criminalisation décriminalisation Proposition de réponse

maintien de la peine de prison

décarcéralisation

légalisation/ régularisation/

contrôle

Page 72: Memoire   bastos

72

3.4.1. Un noyau : les représentations de la drogue

Tout d’abord, la disposition du tableau ci-dessus montre bien que les

représentations de la drogue constituent le noyau de la façon selon laquelle les

parlementaires voient la problématique de l’usage de drogues et y proposent

des réponses. Autrement dit, elles constituent le trait central de distinction des

« regards » sur la drogue.

Si la drogue est vue comme un mal, il faut la combattre, avec tous les moyens

et ressources disponibles : l’interdiction pénale, la répression de l’offre et

l’emprisonnement de l’usager pour dissuader la demande; si la drogue n’est

pas qu’un mal, il est possible de nuancer cette position. Par contre, si la drogue

est une maladie, il est nécessaire avant tout de soigner l’usager, la prison

n’apparaissant pas comme une réponse adéquate. Si la drogue est, enfin, une

marchandise et l’usager perçu avant tout comme un consommateur, il vaut

mieux réglementer autrement ce marché, pour éviter les violations récurrentes

des droits individuels auxquelles le régime actuel expose.

3.4.2. La subjectivation de la drogue

Toutefois, un point que le tableau ne permet pas d’observer, relie toutes ces

« manières de voir » la drogue. Il s’agit d’une façon de parler de ce produit qui

se cache dans certains discours appartenant aux trois types de « regard » : la

« subjectivation » de la drogue.

Comme je l’ai mentionné auparavant244, certains orateurs représentent la

drogue comme une sorte d’être animé, doté d’un pouvoir d’action. La drogue y

est, en quelque sorte, le sujet - et non pas l’objet - de la phrase et de l’idée que

l’on veut transmettre. Ainsi, dans cette perspective, « la drogue tue »245, elle

« commande les cerveaux »246, « envahit les condominiums » 247 et

244 A la partie finale du point 2.1.1. Les représentations des drogues et au début du chapitre 3. 245 Heloísa Helena, PSOL-AL, 18/05/2006. 246 Costa Ferreira, PFL-MA, 02/04/2002. 247 Magno Malta, PL-ES, 31/05/2005.

Page 73: Memoire   bastos

73

« s’approche de nos enfants » 248. Qui plus est, « la drogue est une sorte de

Protée, elle a mille faces, mille têtes »249.

La drogue est alors, pour une partie des discours qui composent les trois

différents regards, quelque chose qui « arrive » aux personnes, sous la forme

d’un mal, d’une maladie ou d’une marchandise, en produisant

l’assujettissement de l’individu. Par conséquent, l’usager de la drogue, possédé

par ce mal250, atteint par cette maladie251 ou victime des effets nocifs de cette

marchandise produite et vendue illégalement252, ne fait que subir l’action nocive

de la drogue. Il n’est donc pas considéré comme un sujet à part entière, doté du

pouvoir de prendre la décision de toucher ou non à une drogue, titulaire de

l’envie de continuer ou non d’en faire un tel usage. Sauf pour lui attribuer une

responsabilité pénale, les parlementaires ne prennent pas souvent en compte

le fait que, dans la grande majorité des cas, c’est l’usager qui part à la

rencontre du produit.

Ainsi, puisque la « manière de voir » le produit constitue le point d’ancrage de la

construction des regards présentés ci-dessus, le fait qu’une « subjectivation »

de la drogue soit présente dans tous ces regards peut représenter un trait

commun des manifestations parlementaires à l’égard de la drogue.

Dans le même sens, à l’égard des représentations de l’usage de drogues, les

trois « regards » construits à partir des discours parlementaires analysés

affirment qu’il « entraîne » ou « peut entrainer la dépendance ». La drogue est

ici également mise dans une condition de « sujet » de l’action : elle est la

responsable d’un abus dans sa relation avec l’usager et de l’addiction de ce

dernier au produit qu’il acquiert253.

248 Guilherme Menezes, PT-BA, 17/03/2003. 249 Vicente Arruda, PSDB-CE, 19/03/2003. 250 Zelinda Novaes, PFL-BA, 24/06/2003. 251 Costa Ferreira, PFL-MA, 02/04/2002; Elcione Barbalho, PMDB-PA, 25/06/2002; Guilherme Menezes, PT-BA, 17/03/2003; Antônio Carlos Biscaia, PT-RJ, 11/02/2004; Augusto Botelho, PDT-RR, 03/06/2004; Fátima Cleide, PT/RO, 03/06/2004. 252 Fernando Gabeira, Sans Parti-RJ, 04/11/2003 et 14/08/2003; Aloysio Nunes Ferreira, PSDB-SP, 11/02/2004; Eduardo Suplicy, PT-SP, 19/04/2004 et 25/06/2006. 253 D’après le psychanalyste Eduardo Mendes Ribeiro (2003, p. 15), parler de la drogue comme un « sujet » constitue une façon très courante, quoique problématique, de parler de ce sujet. « celle-ci est une question centrale : aucune drogue ne cause la dépendance. Ce sont les

Page 74: Memoire   bastos

74

3.4.3. Une nuisance absolue

Une autre caractéristique commune des représentations de l’usage de drogues

dans les discours analysés a été l’absence presque complète de références à

des aspects positifs ou à des bénéfices que l’usage de drogues pourrait

apporter à l’individu ou à la société. D’après les parlementaires, même ceux qui

conçoivent l’usage de drogues comme un droit privé de la personne254, la

consommation de stupéfiants est toujours nuisible.

Il est ainsi très étonnant de remarquer que les seuls discours mentionnant les

possibles bienfaits de la drogue soient justement ceux que j’ai qualifiés de

« manichéens radicaux », qui s’opposent à toute forme de libéralisation. S’ils

évoquent des aspects positifs, ce n’est donc que pour les balayer ensuite du

revers de la main : ces parlementaires se donnent en effet pour tâche de

démontrer que n’importe quel bénéfice envisageable ne sera jamais capable

d’atténuer le mal qu’est la drogue et les maléfices qu’elle cause.

Cette absence de discours « sympathiques » pour l’usage de drogues est peut-

être explicable par le contexte dans lequel ces discours ont été prononcés. Il

me semble qu’à l’occasion d’une réforme de la loi sur les drogues au Brésil, il

serait politiquement assez dangereux de prendre la parole à la tribune pour

proposer une « manière de voir » la drogue à laquelle le public et les médias ne

sont pas du tout habitués.

personnes qui éventuellement deviennent dépendantes d’une drogue. (…) C’est toujours un sujet qui décide de faire l’usage d’une drogue et peut ou non choisir de poursuivre cette relation. Bien sûr qu’il y a des sujets dont les circonstances leur amènent à un plus grand risque dans cette relation avec la drogue, mais les drogues ne font rien, elles sont des substances inertes. (…) Personne ne met pas en question l’existence de la dépendance aux drogues mais il fait beaucoup de différence qui est le sujet de la phrase. Dire que les drogues causent la dépendance est différent de dire que les personnes deviennent dépendantes des drogues. Ce que j’affirme c’est que, pour établir une dépendance, quelqu’un a décidé de prendre des drogues. Et c’est cette motivation et l’histoire de la relation du sujet avec la drogue, dans le contexte le plus ample de ses circonstances, ce qui va définir s’il deviendra un dépendant – ou non. » 254 Aloysio Nunes Ferreira, PSDB-SP, 11/02/2004 et Jefferson Péres, PDT-AM, 18/05/2006.

Page 75: Memoire   bastos

75

Il est alors possible que les parlementaires les plus progressistes à cet égard

aient évité de s’exprimer de cette façon pour ne pas voir leur image associée à

l’usage de drogues, pour ne pas perdre la sympathie du public et, en

conséquence, les voix de leurs électeurs. La posture « défensive » de la plupart

des parlementaires « garantistes-libéraux » renforce cette hypothèse.

« Mon opinion est que la simple consommation de drogues ne doit pas être soumise au traitement pénal. Je ne suis pas favorable, bien au contraire, à la consommation de drogues ou de quoi que ce soit qui affecte la conscience des hommes, en les amenant à la dépendance et en réduis ant leur capacité de travailler et de sentir de l’affection . Mais criminaliser cette conduite n’est pas la meilleure manière de décourager la consommation de drogues. »255 « (...) toute cette violence existante au Brésil, c’est de la faute au trafiquant, à celui qui vend, ce n’est pas la faute de celui qui fait l’usage. Ma famille n’a aucun drogué, je ne suis pas un drogué, Dieu merci, il n’y en a aucu n dans ma famille. »256 « Par ailleurs, il est question de se demander si nous avons le droit de priver une personne adulte – pas les mineurs – de faire ce qu’il veut de sa vie, y compris de consommer la drogue ? Je ne sais pas. Je n’ai jamais consommé de la drogue, je n’ai pas d’enfant qui consomme de la drogue, j’ai h orreur des drogues, mais je pense qu’il est déjà temps que nous commencions à discuter de cela (…)»257 « Je suis tout à fait favorable à la légalisation des drogues, je sais, je répète, je suis un extraterrestre, un martien tombé sur la terre, t out à fait, je suis en train de lutter contre un tabou social, je suis en train de me risquer, je suis tout à fait favorable à la légalisation des drogues. (…) Je ne suis pas un consommateur de drogues, je ne l’ai jamais été, je n’ai pas d’enfan t qui le soit, je n’ai aucun problème familier avec les drogues, j’ai horreur de s drogues , mais la vérité est qu’il existe des personnes ayant une tendance à consommer des drogues, il y en a toujours eu, il y aura toujours. (…) Je vais donc voter contre ce Projet de Loi qui ratifie seulement une erreur tragique de toutes les sociétés du monde. Mais je suis le seul soldat du bataillon à marcher du bon pas, je ne veu x pas être arrogant, je dois avoir tort , M. le Président. »258 L’expression la plus « avancée » à l’égard de l’usage de drogues que j’ai pu

trouver a donc été celle qui considérait que, même si l’usage de drogues est

nuisible, il reste quand même un droit privé de l’individu. Pour ces

parlementaires, c’est à chacun de décider sur les produits que l’on consomme

et sur le mal que l’on est supposé se faire à soi-même.

En conclusion, l’analyse du tableau permet d’affirmer que, malgré les

différences et les spécificités qui les constituent, les trois « regards »

parlementaires sur les drogues présentent plusieurs traits en commun, dont le

255 Aloysio Nunes Ferreira, PSDB-SP, 11/02/2004. 256 João Battista Mota, PSDB-ES, 31/05/2006. 257 Jefferson Péres, PDT-AM, 18/05/2006. 258 Jefferson Péres, PDT-AM, 31/05/2006.

Page 76: Memoire   bastos

76

plus remarquable est la représentation de la drogue ou de son usage comme

quelque chose de nuisible. Qu’on la considère comme un mal, comme une

maladie ou comme une marchandise, la consommation d’un produit stupéfiant,

d’après les parlementaires, ne peut produire que des conséquences négatives

pour son usager et pour la société.

4. CHERCHER « L’INNOVATION » DANS LE « CONCUBINAGE » : UNE

BRÈVE RÉFLEXION SUR LES RÉSULTATS DE CETTE RECHERCHE

Après avoir exposé les principaux résultats de cette recherche sur les discours

parlementaires prononcés au cours la réforme de la loi 11.343/2006, je

consacrerai ce dernier chapitre à un effort (inachevé) consistant à confronter

ces résultats avec des formulations théoriques que la littérature fournit à l’égard

de ce sujet. Par ailleurs, à l’appui de ce dialogue théorique, je reviendrai sur le

« mystère », sur le caractère inattendu et inédit de l’art. 28 de la loi de

11.343/2006 (Pires et Cauchie, 2007), exposé dans la problématique, pour

formuler à son égard une dernière hypothèse.

Dans cette première tentative visant à confronter théoriquement ces

constructions (les regards parlementaires sur les manières de traiter la

problématique de l’usage de drogues), je mobiliserai deux travaux de Nicolas

Carrier (Carrier et Quirion, 2003 ; Carrier, 2008). Je voudrais avant tout justifier

le choix de me concentrer sur ces deux publications en particulier. En effet, le

premier travail de Nicolas Carrier, réalisé en compagnie de Bastien Quirion

(2003), a également abouti à une « trilogie » des manières de penser et d’agir à

l’égard du phénomène étudié ; cette triade typifie plus précisément les « modes

de contrôle de l’usage de drogues illicites ». Il m’a donc semblé intéressant

d’établir une discussion entre cette « triade » et celle qui a été produite dans la

présente recherche. La deuxième publication (Carrier, 2008) consiste en un

travail plus récent qui procède à une réflexion frontale sur la « politique de la

stupéfaction », cœur névralgique de la « pérennité » de la criminalisation de

l’usage de drogues.

Page 77: Memoire   bastos

77

4.1. Criminalisation, symptomatologisation, périlli sation

En analysant la nature du langage que porte la politique de « réduction des

méfaits », Carrier et Quirion (2003, 2) suggèrent qu’il est actuellement possible

d’observer trois manières institutionnalisées d’exercer un contrôle sur l’usage

de drogues au Canada : la « criminalisation » ; la « symptomatologisation » et

la « périllisation ».

La criminalisation, modalité de contrôle relevant de la logique prohibitionniste,

propose l’interdiction des conduites associées à l’usage non-autorisé de

substances stupéfiantes, telles que la possession, le trafic, la culture et

l’importation/exportation. Elle opère, à travers le « crime », une distinction

« licite/illicite » entre des substances, qui seront par conséquent autorisées ou

interdites, sans pourtant tenir compte des habitudes d’usage des individus

(quantité, fréquence et autres modalités). « Le législateur autorise ainsi le

recours à l’incarcération – la mesure pénale la plus sévère dont il dispose –

pour sanctionner toute infraction » (Carrier et Quirion, 2003, 4).

A la recherche d’un monde libéré des usages non médicaux des drogues, la

logique prohibitionniste appelle donc la répression pour tenter de limiter à la fois

l’offre et la demande des produits stupéfiants. En prenant le cas de la

prohibition de l’usage du cannabis, Carrier (2008, 271-275) soutient que cette

logique repose sur six motifs de criminalisation.

1. L’usage est cause de crime ; 2. L’usage cause la dépendance ; 3. L’usage conduit à la consommation d’autres drogues ; 4. L’usage cause des problèmes psychologiques et sociaux ; 5. L’usage peut causer des problèmes de santé ; 6. L’usage nuit à la société.

A la seule exception du troisième motif, lequel semble être lié directement à

l’interdiction du cannabis, les autres cinq motifs s’avèrent vraisemblablement

applicables à la criminalisation des stupéfiants en général. Par contre, même si

ces motifs constituent des raisons pour lesquelles l’usage de drogues constitue

Page 78: Memoire   bastos

78

un problème, cela n’explique pas nécessairement le choix, pour y répondre, de

la criminalisation de ce comportement.

De plus, la mise en œuvre de cette logique de « guerre à la drogue » conduit

souvent à des abus, tels que la corruption, la discrimination et la violation des

droits et libertés de la personne. Par conséquent, les auteurs avancent que ce

mode de contrôle « ne dépend que de la résistance du cadre législatif devant

les critiques, fortes et multiples, qui sont déployées depuis le dernier tiers du

vingtième siècle par les antiprohibitionnistes » (Carrier et Quirion, 2003, 3).

La symptomatologisation, à son tour, est « la méthode » de la logique

thérapeutique. Elle « trouve sa représentation la plus éclatante dans la notion

de toxicomanie et se manifeste, entre autres, dans l’appréhension de l’usage

comme symptôme d’exclusion sociale, de troubles intrapsychiques ou de

pathologie biomédicale » (Carrier et Quirion, 2003, 3).

Les auteurs se réfèrent à cette logique comme une sorte de « médicalisation

de la déviance », opérant sur un registre « normal/pathologique » à l’égard du

sujet usager et pouvant proposer des modèles de réponse qui vont de

« l’abstinence » complète jusqu’à la « prescription médicale » de certaines

drogues, en passant par le développement d’un « usage approprié ».

Enfin, la périllisation apparaît comme une nouvelle option, constituée à partir de

la logique de réduction de méfaits, et totalement indépendante des principes

axiomatiques des deux autres logiques. Cette stratégie est orientée par

l’attribution d’un risque (bio)corporel à certaines pratiques liées à l’usage de

drogues (telles que l’injection) et vise à l’abolition des périls que ces pratiques

font courir. Pour ce faire, la périllisation propose des programmes d’échange de

seringues et des lieux d’injection de drogues illicites, par exemple (Carrier et

Quirion, 2003, 3-6).

Bien que les espaces discursifs de ces trois logiques soient bien délimités et

autonomes, les auteurs avancent que, dans les interactions sociales, il est

possible de vérifier un « concubinage des logiques ». Cela implique que

Page 79: Memoire   bastos

79

« l’usage peut être signifié de façon concomitante par les trois logiques sans

que soit disqualifié l’un ou l’autre des langages en acte » (Carrier et Quirion,

2003, 6). Ils mettent alors en question l’idée que la réduction de méfaits

représenterait en elle-même une « solution de rechange » (une alternative) aux

deux autres logiques. Au contraire, ils concluent que :

« la réduction des méfaits ne propose pas de remplacer l’opération des logiques de criminalisation et de thérapeutisation, mais s’accapare un espace-temps de contrôle de l’usage à l’intérieur du cadre prohibitionniste, dans lequel se maintient la construction de l’usage sous l’angle du symptôme. Les logiques traditionnelles ne sont pas abandonnées au profit d’un nouveau ‘paradigme’ triomphant. Les trois logiques s’accommodent de leur concubinage et chacune peut récupérer à son compte (…) les produits discursifs des autres » (Carrier et Quirion, 2003, 8). 4.2. Les « regards » brésiliens et le concubinage d es logiques

Cette synthèse des travaux de Carrier et Quirion favorise une première mise en

perspective théorique des résultats obtenus dans la présente recherche. En

effet, l’idée d’un « concubinage de logiques » permet de formuler des nouvelles

hypothèses à l’égard des similitudes trouvées dans les différents « regards »

sur l’usage de drogues.

Tout d’abord, à l’égard de la logique prohibitionniste, les motifs de

criminalisation que Carrier (2008, 271-275) présente sont bien équivalents aux

modalités relevant de la catégorie « représentations de l’usage de drogues » de

cette recherche. En revenant au tableau 1, il est possible de remplacer

adéquatement les modalités empiriquement observées dans les discours par

les motifs proposés par Carrier, et de produire le tableau synthétique suivant.

Le lecteur peut facilement remarquer que toutes les représentations de l’usage

de drogues censées de justifier la criminalisation de cette conduite sont

présentes dans les regards manichéen et médical. Puisque ces cinq motifs de

prohibition y sont présents, il n’est pas étrange que ces deux regards (ces deux

manières de voir la problématique de l’usage de drogues) proposent en

réponse la criminalisation de cette conduite.

Page 80: Memoire   bastos

80

Tableau 2 : Les motifs de criminalisation de l’usag e de drogues confrontés aux regards parlementaires REGARD MANICHÉEN

Radical Modéré MÉDICAL GARANTISTE

- LIBÉRAL est cause de crime est cause de crime est cause de

crime

cause la dépendance

cause la dépendance

cause la dépendance

peut causer la dépendance

cause des problèmes psychologiques et sociaux

cause des problèmes psychologiques

cause des problèmes psychologiques

cause des problèmes sociaux

peut causer des problèmes de santé

peut causer des problèmes de santé

peut causer des problèmes de santé

L’usage de drogues…

nuit à la société nuit à la société nuit à la société nuit à la société

Le regard garantiste-libéral, à son tour, reste quand même proche d’une logique

prohibitionniste dans sa façon de représenter l’usage, ne s’en éloignant que par

l’absence de deux motifs (et par la promotion d’autres arguments : la défense

du droit à la liberté individuelle et la nécessité de contrôler le marché clandestin

de la drogue).

Ensuite, la prise en compte de la logique thérapeutique, centrée sur la vision de

la drogue comme un symptôme et sur la pathologisation de son usager, peut

regrouper le regard médical et le regard manichéen dans sa version modérée.

Ce sont réellement les deux regards qui représentent la drogue comme une

maladie, étant aussi les seuls à considérer l’usager de drogues comme un

malade.

Une observation plus attentive révèle encore que ces regards manichéen

modéré et médical ont plus d’affinités que de discordances. Ainsi, hormis les

représentations de la drogue comme un mal et comme une marchandise et

l’utilisation (par les manichéens modérés) des mots « drogué » et « accro »

pour désigner l’usager de drogues, ces regards restent très proches dans

toutes les autres modalités, notamment la proposition de décarcéralisation de

l’usager.

Finalement, même si la politique de réduction de méfaits n’a pas fait l’objet

d’une analyse plus détaillée dans cette recherche, il a été possible d’en

Page 81: Memoire   bastos

81

rencontrer des mentions dans les trois types de regard259. Dans ce sens, même

si les garantistes-libéraux sont ceux qui évoquent le plus la réduction de méfaits

et sa logique de périllisation, ces dernières sont également intégrées dans des

regards qui soutiennent prioritairement les logiques de criminalisation et de

symptomatologisation.

En croisant ces trois logiques de contrôle empruntées à Carrier et Quirion avec

les regards que j’ai construits et les positions qu’ils soutiennent, il est possible

d’obtenir un nouveau tableau qui synthétise bien le « concubinage » sous

examen.

Tableau 3 : Le « concubinage » des logiques de cont rôle présentes dans les regards parlementaires REGARD MANICHÉEN

Radical Modéré MÉDICAL GARANTISTE-

LIBÉRAL Criminalisation Criminalisation Criminalisation

Symptomatologisation LOGIQUE DE CONTRÔLE

Périllisation Périllisation Périllisation Périllisation POSITION Criminalisation décriminalisation

Proposition de réponse

Maintien de la peine de prison

Décarcéralisation

Légalisation/ Régularisation/

Contrôle

Mon dernier effort d’élaboration d’hypothèses à l’égard des résultats de cette

recherche consiste à me pencher à nouveau sur la question qui a émergé

pendant la construction de la problématique. Je voulais en effet étudier les

différentes positions prises pendant la réforme de la loi 11.343/2006, ainsi que

les représentations sur lesquelles ces positions se basaient, pour essayer de

mieux comprendre ce qui pourrait représenter, du point de vue des

parlementaires, la construction juridico-pénale de la conduite de l’usage de

drogues en tant qu’un crime pour lequel les sanctions autorisées excluent la

peine de d’emprisonnement.

L’élaboration du tableau 3 (ci-dessus), à partir des résultats empiriques

259 Dans le regard manichéen radical : Romeu Tuma, PFL-SP, 25/05/2006 (Présentation de l’Avis-CCJC) ; dans le regard manichéen modéré : Elcione Barbalho, PMDB-PA, 25/06/2002.; dans le regard médical : Guilherme Menezes, PT-BA, 17/03/2003 et Fernando Ferro, PT-PE, 26/03/2003; dans le regard garantiste-libéral : 20030326 - CDHM Fernando Gabeira, Sans Parti-RJ, 26/03/2003, 14/08/2003 et04/11/2003 ; Aloysio Nunes Ferreira, PSDB-SP, 11/02/2004.

Page 82: Memoire   bastos

82

confrontés aux questions théoriques soulevées par Carrier et Quirion, me

permet maintenant de proposer l’hypothèse selon laquelle l’« évènement

accidentel » (Pires et Cauchie, 2007) que constitue la décarcéralisation de

l’usager de drogues au Brésil s’éclaire également par une sorte de

« concubinage » entre les différentes logiques de contrôle, engendrées par les

« manières (distinctes) de voir » le problème de la drogue.

Ainsi, l’article 28 de la loi brésilienne 11.343/2006 semble être le fruit d’un

compromis qui s’est avéré majoritaire260 entre, d’une part, un regard manichéen

modéré qui voit la drogue, parmi d’autres choses, comme un mal, et contribue

toujours à une logique de criminalisation ; et, d’autre part, un regard médical qui

n’échappe pas non plus entièrement à cette logique, mais qui met en avant la

logique de symptomatologisation pour rendre prioritaire (par rapport à la

punition) le traitement du malade qu’est l’usager. De plus, des éléments du

langage de périllisation, représentés par les discours défendant la politique de

réduction de méfaits, apparaissent dans ce compromis, révélant la capacité de

ce langage et de la logique qui l’inspire de s’adapter à chacun des trois regards

et de cohabiter tranquillement avec les autres logiques.

Ainsi, pour ceux qui ont proposé la décarcéralisation, il semble que la

prohibition des drogues s’avère nécessaire, mais il faut avant tout soigner

l’usager et contrôler les risques que l’usage de drogues encourt et/ou fait

encourir. L’emprisonnement de l’usager de drogues n’apparaît donc pas

comme la meilleure option pour répondre aux comportements de ce

« malade ».

260 Tout en reconnaissant que le vote d’une loi n’est pas qu’affaire de concubinage intellectuel mais repose sur la construction de majorités quantitatives, il n’est pas question pour ce travail d’analyser les raisons pour lesquelles ce concubinage l’a emporté sur un autre compromis. Cependant, il me semble que la construction d’un quasi-consensus entre les parlementaires (révélé dans les discours qui n’ont pas constitué le corpus empirique de cette recherche) a joué un rôle très important pour la constitution de cette majorité.

Page 83: Memoire   bastos

83

CONCLUSION

A partir du questionnement proposé dans cette recherche, j’ai voulu, tout au

long de ce mémoire, analyser les différentes manières de penser le

« problème » de l’usage de drogues et d’y répondre. Pour ce faire, j’ai choisi

d’opérer une analyse des représentations et des arguments centraux présents

dans les discours parlementaires prononcés à l’occasion d’une réforme de la loi

pénale sur les drogues.

C’est ainsi que j’ai décidé d’analyser les discours parlementaires tenus pendant

le processus d’élaboration de la loi brésilienne 11.343/2006, notamment en ce

qui concerne les discussions sur la « (dé)criminalisation » de l’usage de

drogues et sur la « (dé)carcéralisation » de l’usager. Mon intention était celle de

relier certains éléments discursifs, tels que les « représentations du problème »

et les « perceptions de l’usager de drogues », aux positions prises par les

parlementaires en réaction au phénomène analysé. En suivant une démarche

de type inductif, j’ai observé un corpus empirique de 62 discours, pour en

dégager les catégories d’analyse.

En ce qui concerne les positions parlementaires, j’ai pu retrouver trois sortes de

postures : d’abord, une timide position favorable à la décriminalisation des

drogues, proposant la régularisation et le contrôle de la consommation, de la

production et de la vente des substances stupéfiantes ; ensuite, une position

massive favorable au maintien de la criminalisation de l’usage de drogues ; au

sein de cette position, on rencontre une divergence quant à la réponse à

réserver à l’usager en matière de privation de liberté. Ainsi, cette posture

prohibitionniste pouvait aller dans le sens de la « décarcéralisation » de l’usager

ou du maintien de son emprisonnement.

En laissant provisoirement de côté ces positions parlementaires, je me suis

consacré à l’étude des représentations présentes dans l’ensemble des

discours. Il a été alors question d’observer ce que les parlementaires avaient à

dire sur les objets qu’ils traitaient, soit d’identifier quelles étaient leurs

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« représentations de la drogue », leurs « représentations de l’usage de

drogues » et leurs « perceptions de l’usager de drogues ». Le regroupement de

ces catégories en fonction des « affinités » et des « oppositions » manifestées a

abouti à l’élaboration de « discours-types » sur les manières de traiter la

problématique de l’usage de drogues : le « regard manichéen », centré sur la

vision de la drogue comme un « mal » ; le « regard médical », pour lequel la

drogue est avant tout une sorte de maladie ; et le « regard garantiste-libéral »

qui voit la drogue comme une marchandise et son usage comme un droit. La

représentation de la drogue apparaît donc comme une sorte de « noyau »,

capable d’influencer considérablement les représentations de l’usage de

drogues et les perceptions de l’usager.

J’ai pu également constater qu’au « regard manichéen » dans sa version

« radicale » correspond une posture prohibitionniste favorable au maintien de

l’emprisonnement de l’usager de drogues ; s’il se présente dans sa version

« modérée », ce regard demeure favorable à la criminalisation des drogues,

mais s’oppose à l’emprisonnement de l’usager. Cette dernière position est la

même que celle avancée par le « regard médical ». Le « regard garantiste-

libéral » est, enfin, celui que manifestent les orateurs qui proposent la

légalisation ou la décriminalisation de l’usage de drogues.

Une autre conclusion qui a émergé de l’analyse des discours concerne le

processus récurrent de « subjectivation » de la drogue. Dans les trois types de

regard, il est possible de retrouver des manifestations dans lesquelles la drogue

est conçue comme un être animé ou comme le sujet d’une action. De la même

manière, tous les discours considèrent la drogue comme une chose nuisible, ne

pouvant entrainer aucun bienfait pour son usager. Si des aspects bénéfiques de

son usage sont envisageables, le « mal » qu’est la drogue les annule tout de

suite dans un basculement complet.

Une mise en perspective théorique de ces conclusions avec les travaux de

Carrier (2003 et 2008) m’a permis enfin de mettre les résultats en perspective

et de formuler de nouvelles hypothèses à leur égard. En effet, le croisement

entre les « regards brésiliens » et les logiques de contrôle de l’usage de

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stupéfiants (Carrier et Quirion, 2003) a révélé que la proposition de

décarcéralisation de l’usager de drogues est le produit d’un « concubinage »

entre les logiques de criminalisation, de symptomatologisation et de périllisation

de l’usage de drogues, expliquant, dans le registre rationnel, l’existence d’un

compromis entre les orateurs exrpimant des regards pourtant divergents.

Cependant, ce travail pose plus de questions qu’il n’apporte de réponses. Si

d’un côté, la naissance de ces nouvelles questions affaiblit en partie la force de

ses conclusions, d’un autre côté, elle engendre l’envie d’approfondir ces

résultats dans le cadre de recherches futures, voire d’une thèse de doctorat.

Je considère encore qu’une des grandes limitations de ce travail se tient dans

la restriction de l’analyse à la problématique de l’usage de drogues, excluant les

représentations à l’égard du trafic de drogues et du sujet « trafiquant ». J’ai dû

opérer cette restriction à cause des limitations temporelles de cette recherche,

mais je la vois comme une limite handicapante puisque, pour beaucoup

d’orateurs, la réponse à attribuer à l’usage de drogues est pensée en fonction

de la façon dont ils se représentent la commercialisation illégale de ces

produits. Je pense que des travaux ultérieurs sur cette thématique doivent

porter leur attention sur cette connexion des représentations.

J’espère, finalement, avoir pu atteindre l’objectif que je me suis donné pour le

présent mémoire, lequel a été annoncé dans l’introduction : poser une petite

pierre dans la construction de la connaissance sur cet usage particulier de la

drogue que constitue son usage pénal.

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BIBLIOGRAPHIE BEAUCHESNE L. (1991), La légalisation des drogues : pour mieux en prévenir les abus, Montréal : Méridien, Coll. Repères. BERTOLOTTI L. (1958), L'etimologia popolare in latino e nelle lingue romanze, Brescia, Paideia. BUCHER R. (1989), Prevenção ao uso indevido de drogas, Brasília : Editora da Universidade de Brasília. CAPPI, R. (2011), Motifs du contrôle et figures du danger : l’abaissement de l’âge de la majorité pénale dans le débat parlementaire brésilien, Thèse de Doctorat en Criminologie, Université Catholique de Louvain, Louvain-la-Neuve. CARRIER N. (2008). La politique de la stupéfaction : pérennité de la prohibition des drogues, coll. « Le sens social », Rennes : Presses Universitaires de Rennes. CARRIER N., QUIRION B. (2003), « Les logiques de contrôle de l’usage des drogues illicites : la réduction des méfaits et l’efficience du langage de la périllisation », Drogues santé et société [En ligne], Vol. 2, nº 1, Consulté le 15 mai 2010. URL: http://www.drogues-sante-societe.org/vol2no2/DSS_v2n2_art4.pdf CHRISTIE N. (2005). Au bout de nos peines, Trad. Dan Kaminski, Bruxelles, Perspectives criminologiques. DEBUYST Ch. (1985), Modèle éthologique et criminologie, Liège, Mardaga Éditeur. FOUCAULT M. (1963). Naissance de la clinique : une archéologie du regard médical. Paris : Presses Universitaires de France, pp. v-xv. GLASER, B. G., STRAUSS, A. L. (1967), The discovery of grounded theory: strategies for qualitative research, New York, Aldine Pub. Co. GUILLAIN, C. (2009), Les facteurs de criminalisation et les résistances à la décriminalisation de l’usage de drogues en Belgique : du contrôle international aux préoccupations sécuritaires, Thèse de Doctorat en Criminologie, Facultés Universitaires Saint-Louis, Bruxelles. JAVEAU, C. (2003). Petit manuel d’épistémologie des sciences du social. Bruxelles : La Lettre Volée. LASCOUMES, P. (1990a), «Normes juridiques et mise en œuvre des politiques publiques», L’Année sociologique, vol. 40, pp. 43-71.

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87

LASCOUMES, P. (1990b), «Pluralité d’acteurs, pluralité d’actions dans la création contemporaine des lois », in Coll., Acteur social et délinquance : une grille de lecture du système de justice pénale, Liège/Bruxelles, Mardaga, pp. 145-163. LE ROBERT, (2006), Dictionnaire de la langue française, nouvelle édition enrichie dirigée par Alain Rey. Paris. KAMINSKI, D. (ed.) (2003), L’usage pénal des drogues, Bruxelles, De Boeck et Larcier. MACEDO, M. A. B. (2008), Os discursos da medida de segurança: uma análise das relações entre direito penal e psiquiatria no controle social da loucura, Mémoire de fin d’études en Droit, Universidade Estadual de Feira de Santana, Feira de Santana. NOWLYS, H. (1975), La drogue démythifiée : drogue et éducation, Paris : Unesco. PIRES A. P. (1998), Aspects traces et parcours de la rationalité pénale moderne, in DEBUYST C., DIGNEFFE F., PIRES A. P., Histoire des savoirs sur le crime et la peine. Vol. 2 : la rationalité pénale et la naissance de la criminologie, Ottawa, De Boeck Université, pp. 3-52. PIRES A. P. (2001), « La rationalité pénale moderne, la société du risque et la juridicisation de l’opinion publique », Sociologie et sociétés, Vol. 33, n. 1, pp. 179-2004. Disponible en ligne : URL : http://id.erudit.org/iderudit/001562ar. PIRES, A. P., (2009), «Une théorie sur le système d’idées formé par les théories de la peine : la rationalité pénale moderne», Congrès de la Société Canadienne de Criminologie, Université d'Ottawa, 1-2 octobre. PIRES A. P., CAUCHIE J.-F. (2007), « Un cas d’innovation ‘accidentelle’ en matière de peines : une loi brésilienne sur les drogues », Champ pénal / Penal field, nouvelle revue internationale de criminologie [En ligne], Séminaire Innovations Pénales, Le système de droit, mis en ligne le 28 septembre 2007, Consulté le 11 mai 2010. URL : http://champpenal.revues.org/1541 QUIVY R., VAN CAMPENHOUDT L. (2006), Manuel de recherche en sciences sociales, Paris, Dunod, 3ème éd. RIBEIRO, E. M. (2003), « A toxicomania e os paradoxos da liberdade », Revista da Associação Psicanalítica de Porto Alegre, n. 24, pp. 09-18. ROBERT, P. (2005). La sociologie du crime, Paris : La Découverte, Coll. Repères.

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Sites internet http://www.camara.gov.br (site de la Chambre des Députés brésilienne) http://www.cnrtl.fr/etymologie (site du Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales - CNRTL). http://www.etimo.it (site du Dizionario etimologico della lingua italiana) http://www.senado.gov.br (site du Sénat brésilien)

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ANNEXES

Liste des discours analysés tenus à la Chambre des Députés

Liste des discours analysés tenus au Sénat Fédéral

Liste des États de la République Fédérale du Brésil

Liste des partis

Liste des lieux de production des discours analysés

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Liste des discours analysés tenus à la Chambre des Députés

Date Orateur Parti Etat Lieu 1 2/04/2002 Costa Ferreira PFL Maranhão Plénière 2 10/04/2002 Magno Malta PL Espírito Santo Plénière 3 11/04/2002 Marçal Filho PMDB Mato Grosso do

Sul Plénière

4 29/05/2002 Vicente Arruda PSDB Ceará CSPCCO 5 19/06/2002 Vicente Arruda PSDB Ceará CSPCCO 6 25/06/2002 Elcione Barbalho PMDB Pará Plénière 7 25/06/2002 Moroni Torgan PFL Ceará Plénière 8 25/06/2002 Gonzaga Patriota PSB Pernambuco Plénière 9 17/03/2003 Guilherme Menezes PT Bahia Plénière

10 19/03/2003 Neucimar Fraga PL Espírito Santo CSPCCO 11 19/03/2003 Vicente Arruda PSDB Ceará CSPCCO 12 19/03/2003 Laura Carneiro PFL Rio de Janeiro CSPCCO 13 26/03/2003 Fernando Gabeira Sans Parti Rio de Janeiro CDHM 14 26/03/2003 Fernando Ferro PT Pernambuco CDHM 15 15/04/2003 Luiz Alberto PT Bahia Plénière 16 13/05/2003 Moroni Torgan PFL Ceará CSPCCO 17 13/05/2003 Antonio Carlos

Biscaia PT Rio de Janeiro CSPCCO

18 14/05/2003 Antonio Carlos Biscaia

PT Rio de Janeiro CCJR

19 14/05/2003 João Campos PSDB Goiás CSPCCO 20 15/05/2003 Moroni Torgan PFL Ceará CSPCCO 21 24/06/2003 Zelinda Novaes PFL Bahia Plénière 22 14/08/2003 Fernando Gabeira Sans Parti Rio de Janeiro CREDN 23 4/09/2003 Valdenor Guedes PP Amapá Plénière 24 4/11/2003 Fernando Gabeira Sans Parti Rio de Janeiro CSPCCO 25 10/02/2004 Paulo Pimenta PT Rio Grande do Sul CCJR 26 11/02/2004 Aloysio Nunes

Ferreira PSDB São Paulo Plénière

27 11/02/2004 Paulo Pimenta PT Rio Grande do Sul Plénière 28 11/02/2004 Denise Frossard PPS Rio de Janeiro Plénière 29 11/02/2004 Antonio Carlos

Biscaia PT Rio de Janeiro Plénière

30 12/02/2004 Jefferson Campos PMDB São Paulo Plénière 31 12/02/2004 Antonio Carlos

Biscaia PT Rio de Janeiro Plénière

32 12/02/2004 Dr. Hélio PDT São Paulo Plénière 33 12/02/2004 João Campos PSDB Goiás Plénière 34 12/02/2004 João Campos PSDB Goiás Plénière

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Liste des discours analysés tenus au Sénat Fédéral

Date Orateur Parti Etat Lieu 1 19/04/2004 Eduardo Suplicy PT São Paulo CCJC 2 19/04/2004 Sérgio Cabral PMDB Rio de Janeiro CCJC 3 19/04/2004 Demóstenes Torres PFL Goiás CCJC 4 19/04/2004 Fernando Gabeira Sans parti Rio de Janeiro CCJC 5 19/04/2004 Ronaldo Cezar Coelho PSDB Rio de Janeiro CCJC

6 26/04/2004 Eduardo Suplicy PT São Paulo CCJC 7 3/06/2004 Fátima Cleide PT Rondônia CAS 8 3/06/2004 Sérgio Cabral PMDB Rio de Janeiro CAS 9 3/06/2004 Augusto Botelho PDT Roraima CAS

10 31/05/2005 Magno Malta PL Espírito Santo Plénière 11 31/05/2005 Jefferson Péres PDT Amazonas Plénière 12 18/05/2006 Heloísa Helena PSOL Alagoas Plénière 13 18/05/2006 Eduardo Suplicy PT São Paulo Plénière 14 18/05/2006 Jefferson Péres PDT Amazonas Plénière 15 25/05/2006 Romeu Tuma PFL São Paulo CRE 16 25/05/2006 Eduardo Suplicy PT São Paulo CRE 17 31/05/2006 Magno Malta PL Espírito Santo Plénière 18 31/05/2006 Álvaro Dias PSDB Paraná CCJC 19 31/05/2006 João Batista Motta PSDB Espírito Santo CCJC 20 31/05/2006 Ramez Tebet PMDB Mato Grosso do Sul CCJC

21 31/05/2006 Magno Malta PL Espírito Santo CCJC 22 31/05/2006 Eduardo Suplicy PT São Paulo CCJC 23 31/05/2006 Jefferson Péres PDT Amazonas CCJC 24 31/05/2006 Magno Malta PL Espírito Santo CCJC 25 31/05/2006 Romeu Tuma PFL São Paulo CCJC 26 31/05/2006 Romeu Tuma PFL São Paulo CCJC 27 31/05/2006 Demóstenes Torres PFL Goiás CCJC 28 28/06/2006 Romeu Tuma PFL São Paulo Plénière

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Liste des États de la République Fédérale du Brésil 261

AC Acre AL Alagoas AP Amapá AM Amazonas BA Bahia CE Ceará DF Distrito Federal ES Espírito Santo GO Goiás MA Maranhão MT Mato Grosso MS Mato Grosso do Sul MG Minas Gerais PA Pará PB Paraíba PR Paraná PE Pernambuco RJ Rio de Janeiro RN Rio Grande do Norte RS Rio Grande do Sul RO Rondônia RR Roraima SC Santa Catarina SP São Paulo SE Sergipe TO Tocantins

261 Les États indiqués en gras sont ceux d’où proviennent les parlementaires dont les discours ont été analysés dans la présente recherche.

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Liste des partis 262

PC do B Partido Comunista do Brasil PDT Partido Democratico Trabalhista PFL263 Partido da Frente Liberal PL264 Partido Liberal PMDB Partido do Movimento Democratico Brasileiro PP Partido Progressista PPS Partido Popular Socialista PSB Partido Socialista Brasileiro PSC Partido Social Cristão PSDB Partido da Social-democracia Brasileira PSOL Partido Socialismo e Liberdade PT Partido dos Trabalhadores

262 Etant donné le nombre élevé de partis politiques au Brésil, je n’indique ici que ceux auxquels appartiennent les parlementaires dont les discours ont été analysés dans la présente recherche. 263 Ce parti s’appelle actuellement « Democratas – DEM ». 264 Ce parti s’appelle actuellement « Partido da República – PR».

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Liste des lieux de production des discours analysés

1) Plénière 2) Commissions: Chambre: CCJR Commission de Constitution, Justice et Rédaction Chambre

des Députés

CDHM Commission des Droits de l’Homme et des Minorités Chambre des Députés

CREDN Commission des Relations Extérieures et de la Défense Nationale

Chambre des Députés

CSPCCO Commission de Sécurité Publique et Combat contre le Crime Organisé

Chambre des Députés

CAS Commission des Affaires Sociales Sénat Fédéral

CCJC Commission de Constitution, Justice et Citoyenneté Sénat Fédéral

CRE Commission des Relations Extérieures Sénat Fédéral

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DES USAGES, DES DISCOURS ET DES REGARDS

UNE ANALYSE DU DÉBAT PARLEMENTAIRE BRÉSILIEN SUR LA

(DÉ)CRIMINALISATION DE LA CONSOMMATION DE STUPÉFIANTS , DANS LE

CADRE DE LA RÉFORME DE LA LOI PÉNALE (2002 – 2006)

Marco Aurélio B ASTOS DE MACEDO

Ce mémoire est consacré à l’analyse des arguments dont les parlementaires

brésiliens ont fait usage pour contribuer ou s’opposerà une réforme récente de

la loi sur les drogues, ayant conduit à la décarcéralisation de l’usage(r) de

stupéfiants. Au terme de l’analyse, trois discours-types sont différenciés, leurs

points communs étant tout autant mis en relief : le regard manichéen, le regard

médical et le regard garantiste-libéral. Cette typologie des discours, confrontée

à d’autres apports théoriques, permettra d’élucider partiellement le « mystère »

de cette réforme inédite. Elle constitue modestement une pierre à la

construction de l’usage pénal des drogues.