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Ardèche Archéologie n° 25 - 2008 ParYanik LE GUILLOU (1) Autour de la première dame de l'art préhistorique Ardèche Archéologie n° 25 - 2008 3 Introduction Recherchez sur Internet les sites traitant de la grotte Chauvet. Écartez ceux ayant un objet commercial, notamment la promotion touristique, ainsi que ceux qui concernent les travaux et publications des préhistoriens. Trois thèmes focalisent alors l'intérêt du public. Le troisième, le principal à mon sens, est celui sur lequel la découverte de la grotte Chauvet a opéré une véritable révolution. Son impact ne cessera de s'étendre et de s'approfondir. Il tient au fait que désormais les plus anciennes réalisations artistiques connues dans l'histoire de l'humanité sont tout aussi complexes et tout aussi abouties sur le plan de la recherche esthétique et de la richesse graphique que celles qui nous sont contemporaines. Le deuxième se trouve dans la présence d'une représentation pariétale féminine, dénu- dée, imposante. Sa localisation au coeur des œuvres pariétales lui confère une position tout à fait particulière. La présence de cette femme dans ce contexte ne pouvait que faire réagir notre monde moderne où le débat sur la place et l'image de la femme comporte de fait une composante structurante concernant son his- toire et sa genèse (2). Le premier, celui sur lequel se concentre le plus d'intérêt, concerne la présence possible d'une représentation d'homme/taureau qui est, de plus, en relation étroite avec la représenta- tion féminine. Resurgissent ici les questionne- ments liés à la place du taureau dans notre imaginaire et à la pérennisation des mythes. Je n'aborderai que ces deux derniers thèmes. J'ai eu le privilège, un jour d'automne 2000, de découvrir la représentation féminine et d'en faire état quelques temps plus tard (3). J'ai de même découvert quelques dessins situés à proximité et qui lui sont peut-être liés. Le panneau orné tortueux et complexe incluant ce dessin de femme a été réalisé il y a 32 000 à 35 000 ans. Il est désormais connu sous le nom de "Pendant du Sorcier" (4). C'est un ensemble de tracés et de motifs paléoli- thiques dont quelques éléments graphiques ont fait l'objet de présentations, de descrip- tions, ou d'analyses de la part de collabora- teurs de l'équipe (5) scientifique de la grotte. Il me paraissait intéressant de regrouper en une seule notice la description de cet ensemble, agrémentée de quelques réflexions sur les débats et analyses qu'il génère. Cette présentation de tout le Pendant prend la forme d'un inventaire des représentations, qu'elles soient figuratives ou non. Je tenterai d'identifier quelques liens pouvant unir les divers dessins inventoriés. Dans quelques cas, j'esquisserai l'identification de relations plus larges entre le Pendant ou les figures qui s'y trouvent et d'au- tres oeuvres pariétales de la grotte. Historique des découvertes Le "sorcier" avait été vu le 24 décembre 1994 dès la découverte de la salle : J.-M. Chauvet et al, 1995, p. 50 : "...sur une retombée de la voûte, une figure à tête de bison et corps d'homme que remarque notre ami Daniel (6) nous apparaît comme un sorcier qui...". Dans le même ouvrage (p. 102), ce terme de "sorcier" est utilisé par J. Clottes : "Cet extraordinaire personnage ne manque pas d'évoquer les "sorciers" des Trois-Frères dans l'Ariège et de Gabillou en Dordogne". Dans une description, sur laquelle il reviendra plus tard suite à la découverte du reste de la composition peinte, J. Clottes utilise le terme de sorcier, sans y mettre de majuscule, et uni- quement par le biais d'une comparaison avec d'autres œuvres déjà ainsi nommées dans la littérature. Il me semble que, dans ce cas, ce terme réfère au fait que le dessin est interprété comme celui d'un être composite, mi-homme, mi-animal. De plus, la situation excentrée du dessin par rapport aux autres oeuvres parié- tales a pu conduire à l'utilisation de ce terme. Mais en aucun cas il n'y a référence, même implicite, à une fonction sociale ou une activité de l' "individu" représenté, c'est-à-dire à un sor- cier (7). L'appellation de "Pendant du Sorcier" s'est ensuite progressivement imposée, alors que, parallèlement, la progression de nos travaux invitait à s'interroger sur l'utilisation du terme de sorcier. J'ai choisi de conserver le nom de "Pendant du Sorcier" afin de maintenir l'uniformité de terme avec les publications de ces dix dernières années. Qu'il s'agisse des découvreurs de la salle du Fond, de ceux qui par la suite ont réalisé les aménagements de la grotte, ou de ceux qui en ont entrepris l'étude, tous ont choisi de privilé- gier la conservation des sols archéologiques, vierges dʼimpacts modernes. Ce choix a inter- dit pendant quelques années de prendre connaissance de certaines faces du Pendant. Les lectures de son ornementation et son inter- prétation, car nous ne maîtrisons pas de lecture de l'art pariétal paléolithique qui ne soit interprétative, présentent donc deux étapes distinctes. La première date de la connais- sance partielle du Pendant. La seconde suit la réalisation de clichés photographiques de 1 - UMR 5608 du CNRS – Ministère de la Culture – 32 rue de la Dalbade – 31000 – Toulouse. Je remercie tout particulièrement Frédéric Maksud (SRA Midi-Pyrénées), Magali Peyroux (Doctorante UMR 5199, PACEA) et Françoise Prud'homme (Musée régional de Préhistoire d'Orgnac) pour leur collaboration. 2 - On peut consulter l'ouvrage de C. Cohen : La femme des origines. 3 - La Vénus du Pont d'Arc, INORA n° 29. 4 - Le "Pendant du Sorcier" sera désigné sous le terme raccourci et moins évocateur de Pendant. 5 - Constituée en 1998 sous la direction de J. Clottes, l'équipe scientifique de la grotte Chauvet, dont j'ai l'honneur de faire partie, est constituée de plusieurs préhistoriens et spécialistes de disciplines connexes. En 2002, J. Clottes en a transmis la direction à J.-M. Geneste. 6 - Il s'agit de Daniel André, qui en serait donc l'"inventeur" pour utiliser le terme juridiquement consacré. 7 - Le sorcier pratique une magie primitive, dans un cadre présentant une composante secrète, voire illicite.

Mise en page 1 - Freearcheologies.free.fr/partage/doc.ill/lg01.pdf6 ArdècheArchéologien°25-2008 La première face du Pendant, opposée à l'axe de pénétration dans la galerie

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Ardèche Archéologie n° 25 - 2008

Par Yanik LE GUILLOU (1)

Autour de la première damede l'art préhistorique

Ardèche Archéologie n° 25 - 2008 3

Introduction

Recherchez sur Internet les sites traitantde la grotte Chauvet. Écartez ceux ayant unobjet commercial, notamment la promotiontouristique, ainsi que ceux qui concernent lestravaux et publications des préhistoriens. Troisthèmes focalisent alors l'intérêt du public.

Le troisième, le principal à mon sens, estcelui sur lequel la découverte de la grotteChauvet a opéré une véritable révolution.Son impact ne cessera de s'étendre et des'approfondir. Il tient au fait que désormaisles plus anciennes réalisations artistiquesconnues dans l'histoire de l'humanité sonttout aussi complexes et tout aussi aboutiessur le plan de la recherche esthétique et dela richesse graphique que celles qui noussont contemporaines.

Le deuxième se trouve dans la présenced'une représentation pariétale féminine, dénu-dée, imposante. Sa localisation au coeur desœuvres pariétales lui confère une position toutà fait particulière. La présence de cette femmedans ce contexte ne pouvait que faire réagirnotre monde moderne où le débat sur la placeet l'image de la femme comporte de fait unecomposante structurante concernant son his-toire et sa genèse (2).

Le premier, celui sur lequel se concentre leplus d'intérêt, concerne la présence possibled'une représentation d'homme/taureau qui est,de plus, en relation étroite avec la représenta-tion féminine. Resurgissent ici les questionne-ments liés à la place du taureau dans notreimaginaire et à la pérennisation des mythes.

Je n'aborderai que ces deux derniersthèmes. J'ai eu le privilège, un jour d'automne

2000, de découvrir la représentation féminineet d'en faire état quelques temps plus tard (3).J'ai de même découvert quelques dessinssitués à proximité et qui lui sont peut-être liés.Le panneau orné tortueux et complexeincluant ce dessin de femme a été réalisé il y a32 000 à 35 000 ans. Il est désormais connusous le nom de "Pendant du Sorcier" (4). C'estun ensemble de tracés et de motifs paléoli-thiques dont quelques éléments graphiquesont fait l'objet de présentations, de descrip-tions, ou d'analyses de la part de collabora-teurs de l'équipe (5) scientifique de la grotte.

Il me paraissait intéressant de regrouperen une seule notice la description de cetensemble, agrémentée de quelques réflexionssur les débats et analyses qu'il génère. Cetteprésentation de tout le Pendant prend la formed'un inventaire des représentations, qu'ellessoient figuratives ou non. Je tenterai d'identifierquelques liens pouvant unir les divers dessinsinventoriés. Dans quelques cas, j'esquisserail'identification de relations plus larges entre lePendant ou les figures qui s'y trouvent et d'au-tres oeuvres pariétales de la grotte.

Historique des découvertes

Le "sorcier" avait été vu le 24 décembre1994 dès la découverte de la salle :J.-M. Chauvet et al, 1995, p. 50 : "...sur uneretombée de la voûte, une figure à tête debison et corps d'homme que remarque notreami Daniel (6) nous apparaît comme un sorcierqui...". Dans le même ouvrage (p. 102), ceterme de "sorcier" est utilisé par J. Clottes :"Cet extraordinaire personnage ne manquepas d'évoquer les "sorciers" des Trois-Frères

dans l'Ariège et de Gabillou en Dordogne".Dans une description, sur laquelle il reviendraplus tard suite à la découverte du reste de lacomposition peinte, J. Clottes utilise le termede sorcier, sans y mettre de majuscule, et uni-quement par le biais d'une comparaison avecd'autres œuvres déjà ainsi nommées dans lalittérature. Il me semble que, dans ce cas, ceterme réfère au fait que le dessin est interprétécomme celui d'un être composite, mi-homme,mi-animal. De plus, la situation excentrée dudessin par rapport aux autres oeuvres parié-tales a pu conduire à l'utilisation de ce terme.Mais en aucun cas il n'y a référence, mêmeimplicite, à une fonction sociale ou une activitéde l' "individu" représenté, c'est-à-dire à un sor-cier (7). L'appellation de "Pendant du Sorcier"s'est ensuite progressivement imposée, alorsque, parallèlement, la progression de nostravaux invitait à s'interroger sur l'utilisation duterme de sorcier. J'ai choisi de conserver lenom de "Pendant du Sorcier" afin de maintenirl'uniformité de terme avec les publications deces dix dernières années.

Qu'il s'agisse des découvreurs de la salledu Fond, de ceux qui par la suite ont réalisé lesaménagements de la grotte, ou de ceux qui enont entrepris l'étude, tous ont choisi de privilé-gier la conservation des sols archéologiques,vierges dʼimpacts modernes. Ce choix a inter-dit pendant quelques années de prendreconnaissance de certaines faces du Pendant.Les lectures de son ornementation et son inter-prétation, car nous ne maîtrisons pas delecture de l'art pariétal paléolithique qui ne soitinterprétative, présentent donc deux étapesdistinctes. La première date de la connais-sance partielle du Pendant. La seconde suit laréalisation de clichés photographiques de

1 - UMR 5608 du CNRS – Ministère de la Culture – 32 rue de la Dalbade – 31000 – Toulouse. Je remercie tout particulièrement Frédéric Maksud(SRA Midi-Pyrénées), Magali Peyroux (Doctorante UMR 5199, PACEA) et Françoise Prud'homme (Musée régional de Préhistoire d'Orgnac) pourleur collaboration.2 - On peut consulter l'ouvrage de C. Cohen : La femme des origines.3 - La Vénus du Pont d'Arc, INORA n° 29.4 - Le "Pendant du Sorcier" sera désigné sous le terme raccourci et moins évocateur de Pendant.5 - Constituée en 1998 sous la direction de J. Clottes, l'équipe scientifique de la grotte Chauvet, dont j'ai l'honneur de faire partie, est constituéede plusieurs préhistoriens et spécialistes de disciplines connexes. En 2002, J. Clottes en a transmis la direction à J.-M. Geneste.6 - Il s'agit de Daniel André, qui en serait donc l'"inventeur" pour utiliser le terme juridiquement consacré.7 - Le sorcier pratique une magie primitive, dans un cadre présentant une composante secrète, voire illicite.

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l'ensemble du Pendant. En 1999, nous avonsréalisé un programme de prospection systé-matique des parois, voûtes et pendantsrocheux dont les surfaces sont inaccessiblesau regard à partir des zones de circulation bali-sées. Le système bricolé, que j'avais conçu,consistait en une perche télescopique, soli-darisée en son extrémité avec une rotulemultidirectionnelle. Sur cette rotule étaitinstallé un appareil photo numérique, trèsléger, équipé dʼun système de mise au pointdans lʼobscurité, dʼun flash incorporé, dʼunretardateur de déclenchement et dʼun mini-écran de contrôle (fig. 1). Le principal handicapdu procédé était la faible définition des photo-graphies, inhérente aux appareils de l'époque.Toutes les surfaces inaccessibles de la grottefurent ainsi balayées au hasard. Les photosétaient ensuite visionnées et triées sur ordina-teur (8) au camp de base de l'équipe. Nuldoute qu'à terme, une troisième étape delecture apparaisse lorsque l'accès direct auxparois concernées permettra de déchiffrer ledétail des tracés pariétaux et de leurs imbri-cations.

La partie basse du Pendant, celle qui étaitaccessible à la main paléolithique, est ornée.Certaines faces du Pendant ont déjà étédécrites. Dès 1995 (9), J. Clottes en présentequelques éléments, puis en 1999 (10),

J. Clottes, B. Gély et moi-même listonsquelques représentations périphériques.L'inventaire sera complété en 2001 par moi-même (11) et surtout dans l'ouvrage collectifsous la direction de J. Clottes (12). En 2005,B. Gély et M. Azéma à propos des mam-mouths (13), ainsi que J. Clottes et M. Azémaà propos des félins (14), rajoutent quelquesdescriptions.

Progressivement, la lecture des oeuvresdu Pendant a évolué au fil des découvertes,mais aussi en fonction du regard des diverschercheurs qui ont travaillé dans la grotte ou àpartir des publications.

Situation du Pendant dans lagrotte et dans la salle du Fond

Le Pendant se situe dans la partie pro-fonde de la salle du Fond, à lʼextrémité nord dela grotte (fig. 2). Les études entreprises jusqu'à

présent, en particulier les travaux (15) des géo-logues et sédimentologues, membres del'équipe, indiquent que lʼaccès paléolithique dela grotte se situait dans la salle dʼEntrée, à lʼex-trême sud-ouest du réseau. Depuis cetteentrée primitive, plus de 200 mètres de pro-gression relativement aisée étaient néces-saires pour atteindre le Pendant. Il se situedans les parties profondes de la cavité, maispas à l'extrême fond. Au-delà du Pendant,quelques dessins sont présents sur les parois.C'est le cas dans la Sacristie (16), à titremoindre dans la galerie du Belvédère, ainsiqu'après le Pendant, dans la salle du Fondproprement dite. Certaines approches structu-ralistes de l'art pariétal se contentent d'unelecture linéaire des œuvres paléolithiques.Dans cette perspective, le Pendant n'estdonc pas à l'extrême fin, ou au tout début dela décoration.

Le tiers central de la salle du Fond (fig. 3)présente un sol presque horizontal, avec unetrès légère pente descendante en direction dufond. Le Pendant se situe à son extrémité,juste avant le couloir d'accès à la Sacristie. Ledernier tiers de la salle du Fond est un impor-tant soutirage dont la configuration n'a guèredû varier depuis les occupations préhisto-riques. De grosses ponctuations rouges,présentes sur une grande colonne stalagmi-tique qui en occupe le centre, en sont letémoignage.

Bien que situé dans la moitié gauche de lagalerie (dans le sens de la progression), lePendant y occupe une position centrale. Cetteposition ne concerne pas le dispositif pariétal,pas plus que la localisation topographique enplan. Mais il concerne ce point essentiel qu'estcelui de la circulation humaine. Toute personnequi progresse en direction de l'extrême fond dela grotte arrivera directement face au Pendantet à sa décoration. Que cette personne longela riche décoration de la paroi gauche de lasalle du Fond, qu'elle marche au centre ou surle côté droit de la galerie, elle obliquera auto-matiquement vers le Pendant afin d'éviter ladescente très brusque dans le soutirage termi-nal. Cette démarche de circulation humaineautomatique avait d'ailleurs amené les décou-vreurs de la grotte à bifurquer sur la gauche età buter sur le Pendant.

Il était donc aisément accessible lorsqu'ilfut orné. Sous un éclairage adapté, il pouvaitêtre visible de loin, depuis l'entrée de la salledu Fond. Il devait s'offrir au regard bien plus

Fig. 1 - Y. Le Guillou et son système quidécouvrit la vénus

(cliché "Équipe Chauvet").

08 - En 1999, l'ordinateur portable, qui permet désormais de travailler directement sur le terrain, n'avait pas encore remplacé les gros ordi-nateurs de bureau.09 - Clottes J. (postface). La grotte Chauvet à Vallon-Pont-d'Arc, 1995.10 - Clottes J. & al., 1999, INORA n° 23 et INORA n° 24.11 - Le Guillou Y., 2001, INORA n° 29.12 - Le Guillou Y.. L'Art des Origines, 2001, p. 167-171.13 - Gély B. et Azéma M., 2005.14 - Clottes J. et Azéma M., 2005.15 - Debard E. & al., 2002.16 - Le Guillou Y., 2001.

Fig. 2 - Plan de la grotte Chauvet aveclocalisation des emplacements mentionnés.En vert : situation des panneaux ornés.Topographie Y. Le Guillou et F. Maksud.En hommage à François Rouzaud.

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Ardèche Archéologie n° 25 - 2008 5

qu'il ne le fait aujourd'hui, les contraintesactuelles étant induites par notre préoccupa-tion de conserver les sols. Ainsi, nous ne pou-vons y accéder directement en longeant laparoi gauche de la salle du Fond. Aucunemesure directe n'a donc été possible sur lesdeux tiers du Pendant.

Description du PendantPartout dans la salle, les voûtes sont trop

hautes pour être accessibles, exception faitede ce pendant calcaire, véritable barrerocheuse descendant du plafond pour se ter-miner en pointe à environ 1,10 m du sol.Plusieurs raisons invitent à considérer que,dans cette partie centrale de la salle du Fond,la hauteur du sol n'a guère évolué depuis laréalisation des dessins. Les empreinteshumaines ont disparu, preuves de remanie-ments superficiels. Mais, regroupés ici et là parde micro-circulations d'eau superficielle, denombreux petits charbons de bois sont pré-sents, preuves de la faible intensité de ces per-turbations. Par ailleurs, la hauteur au sol despeintures de la paroi gauche de cette salle suitde façon régulière la légère pente du sol. Celaest vrai depuis le premier panneau des Grandsfélins jusqu'au proche panneau des Lionsinclus. Cette situation des oeuvres est équiva-lente à celle concernant le Pendant. Elle a per-duré depuis l'Aurignacien. Les tracés s'intè-grent dans le champ manuel d'un adultedebout. Le sol ne s'est pas modifié sur plusde quelques centimètres d'épaisseur. Toutcomme la majeure partie de la grotte Chauvet,la salle du Fond et le Pendant ont globalement

conservé leur morphologie du Paléolithiquesupérieur.

Le Pendant peut être aisément circons-crit : c'est une sorte d'excroissance de la paroigauche de la salle du Fond en direction dumilieu de la galerie. Cette option, proposée en2005 par J. Clottes et M. Azéma (17), consisteen premier lieu à isoler le Pendant du reste desparois ornées de la salle. Je partage tout à faitcette approche, argumentée par l'aspect de lamorphologie de la voûte et de ses pendants.En suivant la paroi gauche de la salle (fig. 2),on s'enfonce en direction du "panneau desQuatre lions" (18) et de la Sacristie, évitantainsi le Pendant. Ce dernier est donc perpen-diculaire au grand panneau orné de la grotteChauvet. À la différence de la paroi gauche, lePendant est caractérisé par la présence d'unearête rocheuse inférieure qui limite vers le basl'extension des dessins.

Dans le même ouvrage, J. Clottes etM. Azéma présentent le Pendant (19) commepouvant être "divisé" en quatre parties. Cettedivision est moins flagrante, bien qu'elleemporte mon assentiment. Dans leur partiehaute, les deux faces les plus à gauche paraî-traient nettement moins séparées si nousavions la possibilité de circuler sur les sols pré-servés d'où les artistes ont réalisé et vu leursœuvres. De même, l'identification et la lecturedes tracés pariétaux semblent montrer quetoutes les arêtes qui séparent les quatre facesont été localement franchies par certains traits.Mais, visuellement, il est certain que ces arêtesprovoquent des ruptures qui imposent au "lec-teur" des déplacements pour obtenir une vued'ensemble. Et surtout, nous verrons que ces

arêtes ont été utilisées, de façons diverses,dans la construction graphique de certainsdessins.

Les tracés pariétaux

Les faces du Pendant sont présentées dedroite à gauche. Les première et deuxièmefaces sont visibles et aisément accessiblesdepuis l'aire moderne de circulation. La troi-sième face (le coeur du Pendant) est partielle-ment visible, mais son proche accès n'est paspossible. Les possibilités d'observation en sontrestreintes. La quatrième face est la plus éten-due. Elle n'est pas visible et n'a pu être appro-chée que par le biais des photographies indi-rectes que j'ai réalisées. La variabilité dans lespossibilités d'accès aux divers dessins et tra-cés fait que le type de lecture des œuvres et saprécision ne sont pas homogènes. Dans l'in-ventaire qui suit, j'ai opté pour une identifica-tion d' "entités graphiques". Il s'agit des ensem-bles de tracés que je regroupe en tant qu'"entité" sur la base de critères variables. Cechoix, dont je n'ai pas la paternité, a bien desavantages. Entre autres, il permet d'écarterl'écueil de l'interprétation, il permet de ne pass'éterniser sur d'insolubles questionnementsvisant à savoir si tel trait doit ou non être asso-cié à tel autre. Il offre l'illusion d'une cohérencedans l'inventaire. Il a, par contre, les inconvé-nients de ses avantages. Il donne l'illusion dene pas interpréter. De plus, en produisant unréférentiel non homogène, il rend très com-plexe, voire parfois récusable, l'usage de lastatistique. J'ai ainsi, selon le cas, définicomme "entité" :

- Un ensemble de tracés qui composentune figure animale réaliste, tel le mammouthde la première face.

- Un ensemble de tracés qui composentune figure animale réaliste auxquels on ajoutedes tracés qui paraissent directement asso-ciés, qu'ils soient interprétés comme figuratifsou pas, tels l'ovibos et la ligne ondulée jointive.

- Un ensemble de tracés qui paraissentassociés en une composition géométriquerythmique, tels les tracés noirs présents dansle corps du mammouth de la quatrième face.

- Un ensemble de tracés entremêlés etnon déchiffrés, telles les diverses traces noireset blanches de la deuxième face.

- Un tracé simple, trait ou ponctuation à lafois graphème et entité graphique, tel l'ultimetrait noir de la quatrième face.

- Un ensemble de tracés séparés quiparaissent associés en une composition thé-matique, tels le triangle pubien et les deuxjambes.

Fig. 3 - Vue du Pendant et de la paroi ornée de la salle du Fond.On devine à droite l'amorce du soutirage et dans le fond l'entrée du couloir d'accès à la Sacristie

(clichéY. Le Guillou).

17 - Clottes J. et Azéma M., 2005, p. 80.18 - Clottes J. et Azéma M., 2005, p. 82.19 - Clottes J. et Azéma M., 2005, p. 80.

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6 Ardèche Archéologie n° 25 - 2008

La première face du Pendant,opposée à l'axe de pénétrationdans la galerie.

Un et probablement deux mammouths

Au-dessus de la première face duPendant, sur la surface haute d'un dièdre dontl'arête présente une dominante horizontale,B. Gély et M. Azéma (20) ont inventorié deuxmammouths dont un serait restreint à une sim-ple ligne cervico-dorsale verticale (fig. 4). Ils endonnent une description :

Mammouth 73 : "Gravé à 2,30 m, ce profilgauche est vertical, tête en bas, afin de secadrer dans une cavité étirée en hauteur. Il selimite à la cervico-dorsale (env. 70 x 20 cm),tête conique à front plat, garrot et nuque peumarqués. Cette gravure a le même aspect quela suivante."

Mammouth 74 : "Ce mammouth, quirecoupe le précédent, est hors du champmanuel à 2,10 m du sol. Finement gravé il estdifficile à voir. Ce profil gauche (env. 90 x90 cm), incliné vers l'avant, exploite les défautsd'une concavité chaotique fissurée dont unbord évoque une tête. La nuque arrondie et lecreux des reins sont dans des dépressions ; legarrot sur un relief est plus haut que la têteconique penchée. Le chignon correspond àune reprise du tracé. L'orbite est exagérée. Lalèvre est pendante et la joue prononcée. Lescourtes défenses sinueuses sont de part etd'autre de la trompe. Celle-ci, courbe et pen-dante, est ouverte. Elle atteint une fissure. Il enest de même des défenses, de la longuequeue tombante dont l'attache est massive, etde l'extrémité croisée du membre antérieur. Labrève ligne ventrale est rectiligne. Le membrepostérieur, avec l'indication du pli du grasset,est projeté sur l'arrière dans une cavité, ce quidonne un certain dynamisme. La sole presquefermée atteint le bord de voûte. Au niveau dela fesse, une nette inflexion marque le scro-tum, ce qui renvoie au mammouth n° 65 decette salle ; de même pour le contraste entre ledéfilé de la cervico-dorsale et l'aspect angu-leux de la partie inférieure."

L'altitude au sol de la partie inférieure deces dessins (plus de 2 m) en rend la lecture dif-ficile. Il n'a pas été possible de repérer le sensdes tracés et l'impact des amorces de tracés.Le sillon incisé est plus proche d'une forme enU qu'en V. Les traits sont uniformes. Largeur etprofondeur de l'incision sont régulières. La pre-mière mesure environ 3 mm et la seconde2 mm, ce qui est exceptionnellement profond àla grotte Chauvet. L'outil utilisé est dur. Il aincisé la roche au-delà de la pellicule superfi-cielle et tendre. Le dessin est tracé à distance,peut-être à l'aide d'un outil emmanché sur unbâton. La trop faible résistance d'une extrémité

en bois, n'aurait pas permis une incision aussirégulière tout au long du tracé. Cette régularitésemble maintenue malgré les changementsd'orientation et lors des ruptures dans la linéa-rité des traits. L'extrémité de l'outil pourraitdonc être de forme cylindrique, légèrementappointée. Les pointes en silex n'induisent pasces stigmates. Il pourrait s'agir d'une piècefaçonnée en os, ivoire ou bois de cervidé, telleune sagaie.

Pour l'artiste, le tracé du mammouth leplus complet n'a pas été aisé. Les options detracé retenues étaient complexes. Par exem-ple, un unique trait inclut la défense inférieure,la bouche, l'arche du cou et la face avant de lapatte avant. Le trait est fréquemment saccadé.Probablement à cause de la hauteur et de ladistance, il était difficile de garantir la régularitéet la fermeté de la pression de l'outil. Au som-met de la tête, il a dû heurter une fissure et neplus exercer, sur une dizaine de centimètresde long, de pression suffisante pour marquer laparoi. Plusieurs repentirs ou reprises de tracéssont envisageables. Le trait qui, tracé de hauten bas, indiquait la face arrière de la patte pos-térieure, a été recouvert, sur sa partie infé-rieure, d'un autre trait permettant de bouleter laforme du pied. Le trait qui semble doubler lesommet de la tête est peut-être un repentir.

Indépendamment, j'intègre par défaut etsans conviction la lecture d'une double courbeen tant que ligne cervico-dorsale d'un secondmammouth (21).

Malgré une situation topographique qui a

tendance à intégrer ces figures au Pendant,deux caractéristiques les en éloignent. En pre-mier lieu, il s'agit des seuls tracés inscrits dansun registre supérieur véritablement dissocié detoutes les autres figures. Par ailleurs, ces deuxentités graphiques ont été réalisées par uneincision fine et très profonde qui n'est utiliséepour aucun des autres tracés présents sur lePendant. Indépendamment, ces gravures,dans le style, le thème et la mise en situation,sont à mettre en relation avec au moins deuxautres mammouths gravés de la salle du Fond(22). Il est à noter que ces quatre mammouthssont dissociés des autres représentations decette salle, à la fois par la technique du tracé,mais aussi parce que ce sont les seules oeu-vres figuratives réalisées en partie hors duchamp manuel. En tout état de cause, cemammouth peut être topographiquementperçu comme extérieur au Pendant.

Tracés noirs sur les mammouths

À hauteur du corps du mammouth, sur luiou a proximité, une dizaine de courts traitsnoirs ont été tracés (fig. 4). Ils sont tous simi-laires, plutôt horizontaux, tracés de droite àgauche par effleurement de l'extrémité d'unelongue baguette mal carbonisée. N'étant pascirconscrits à l'intérieur de l'animal, ils ne peu-vent être assimilés à une représentation sché-matique et simplifiée du pelage. Leur caractèrerépétitif et leur localisation exclusive en cetendroit font qu'il ne peuvent être accidentels etcorrespondent à une démarche originale.

20 - Gély B. et Azéma M., 2005, p. 70-71 : mammouths n° 73 & 74.21 - N° 73 de l'inventaire de B. Gély et M. Azéma.22 - Mammouths n° 65 & 67 de l'inventaire de B. Gély et M. Azéma.

Fig. 4 - Le(s) mammouth(s) gravé(s) sur le haut de la face nord du Pendant.On peut noter les traits noirs sur la paroi (cliché F. Maksud).

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Un cheval

La première entité graphique véritable-ment inscrite sur le pourtour du Pendant estnaturaliste. C'est un cheval tracé en noir (fig. 6& 7), restreint à la tête et à l'encolure. Il esttourné vers la gauche. L'œil est indiqué par unsimple court trait noir. La tête, assez fine, allon-gée, est de forme et de proportion tout à faitsimilaires à celles de la plupart des chevaux dela grotte. À l'instar de ces derniers, sa crinièreest très marquée, épaisse et portée versl'avant. Cette épaisseur est matérialisée par undouble tracé. Le trait principal, celui qui se pro-longe par l'encolure et l'amorce de la ligne dedos, est dessiné de gauche à droite. Il com-mence, sur le dessus de la tête, par un originaltracé en zigzag. Le tracé de la tête, détaillédans la forme du naseau, de la bouche, de lajoue, est agrémenté de reprises et peut-être delégers repentirs.

En plusieurs emplacements du tracé, desfrottements volontaires ont affecté le trait. Cesfrottements paraissent réalisés au doigt. Ilssont précis, presque soignés. Je ne sauraisdire s'il s'agit de gestes destinés à amoindrirl'intensité du pigment noir, à épaissir le trait ouà y inscrire une sorte de dégradé allant du noirau gris. Cette technique affecte nettement lezigzag de la crinière où chaque excroissanceest ainsi traitée.

À l'intérieur de la tête et du corps de l'ani-mal on remarque plusieurs traces de frotte-ments de doigts. Il y en a au moins quatregroupes. Elles sont réalisées de haut en bas,chaque fois en un seul geste, par le passaged'une seule main, la main droite probablement.

Le cheval est logé dans une concavitédont il suit les contours. La base des traits setermine sur l'arête inférieure du pendant. Ledessin fait environ 60 cm de large pour unehauteur à peine supérieure. C'est ainsi la plusgrande tête de cheval de la grotte Chauvet.

Un ou deux félins

J. Clottes et M. Azéma inventorient (23)deux félins (fig. 6) en contact avec le cheval :

"Félin n° 64 : Sur le côté du pendant, fai-sant face aux grands bisons noirs, c'est-à-direà l'opposé du "Sorcier", à 0,10 m au-dessousde la patte antérieure d'un mammouth gravé età ≈ 1,40 m du sol, un félin noir tourné vers ladroite a été sommairement esquissé enoblique au-dessus d'un autre pareillementorienté. Seuls sont matérialisés la tête, avec labouche ouverte, le mufle et un œil rond, et laligne de dos qui suit la courbure de la roche.L ≈ 1,10 m."

"Félin n° 65 : L'autre félin a une ligne dedos identique et parallèle à celle du précédent,si ce n'est que le relief de l'omoplate est mar-qué. Il a donc une position oblique, la tête tour-née vers le haut. Il est doté d'une queue termi-née en pinceau. Il comprend davantage dedétails que le n° 64 : avant-train avec oreille enarceau et ligne d'épaule onduleuse se prolon-geant pour déterminer la face interne de lapatte antérieure, dont l'autre face est matériali-sée par le prolongement du poitrail. Fait avecune extrémité de torche, cet animal présentedonc des gravures, surtout sur l'avant, et destraces noires. La ligne de ventre est érodée.Situé à ≈ 1,10 m du sol ; L ≈ 1,20 m ; l ≈ 0,40 m."

La queue bifide (en pinceau) est en faitcelle du félin supérieur (fig. 7). La branche infé-rieure de la fourche est tracée en premier,dans le même geste que la ligne de dos. Labranche supérieure est ensuite rajoutée. Puis,probablement au doigt, le remplissage internede la queue est réalisé par frottement et étale-ment du pigment noir des deux traits. Dans lagrotte Chauvet, une seule autre queue de félinest en pinceau. C'est celle d'un (24) des qua-tre félins superposés du proche panneau desQuatre lions. En limite de cette face duPendant, à gauche de l'extrémité des queues,se trouvent deux traces noires arrondies quenous avons tenté d'associer à la queue desfélins. Mais elles ne sont pas dans la strictecontinuité de leur tracé, et surtout elles ne relè-vent pas d'un même mode d'application dupigment noir. Contrairement au tracé desfélins, il s'agit de simples taches apparemmentfrottées pour étaler du pigment et on n'y décèleaucune épaisseur de matière picturale.

Bien que décalé vers l'avant et vers le bas,il est possible qu'un trait marque le poitrail dufélin supérieur ; en tout état de cause, sa fac-ture est similaire aux tracés des félins. On peutnoter que pour le félin intérieur, le tracé du traitd'épaule est un tracé ultime : postérieur audos, au ventre, au poitrail, et à la patte avant àmoins qu'il n'en soit partiellement partie pre-nante.

Sur cette face du Pendant des élémentsde chronologie relative sont lisibles au vu de lasuperposition des tracés. Le cheval a été des-siné avant le félin intérieur car le tracé du ven-tre de ce dernier se termine en recouvrantlégèrement la crinière du premier. C'est

Fig. 5 - La tête de cheval(lecture d'après photo :Y. Le Guillou).

23 - Clottes J. et Azéma M., 2005, p. 80.24 - Félin n° 68 de l'inventaire de J. Clottes et M. Azéma.

Fig. 6 - Les deux profils de félin et le cheval logés dans les concavités dela face nord du Pendant (cliché F. Maksud).

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comme si l'artiste traçant le félin avait choisid'arrêter son tracé pour conserver l'intégrité ducheval mais avait levé la main un instant troptard et ainsi légèrement détruit la crinière enl'effleurant. Il est possible d'identifier une chro-nologie des tracés entre les deux félins. Letracé du félin intérieur est postérieur à celui dufélin supérieur. À l'extrémité haute de l'animal,la seconde oreille du premier recouvre le men-ton du second. À l'extrémité basse, la queuedu félin intérieur recoupe celle du félin supé-rieur. Les deux tracés de félins sont réalisésdans le même sens : du haut vers le bas, c'est-à-dire de la tête vers la queue. Ils sont demême facture, stylistique et technique. Ils sontprobablement dessinés avec de largesbaguettes de bois dont seule l'extrémité estlégèrement carbonisée. En effet, presque tousles "coups de crayon" qui impriment une tracenoire se prolongent, et se terminent, par uneempreinte où la teinte noire est absente.Parallèlement, certaines reprises de tracéparaissent justifiées par le seul fait de "réap-provisionner" l'outil en manque de pigmentnoir.

Qu'il s'agisse du cheval ou des félins,chaque motif est localisé dans une des deux

légères concavités de cette face du Pendant. Ily est soigneusement centré et y occupe toutl'espace.

Le regroupement des tracés de plusieurstêtes et lignes dorsales parallèles de félins, oud'autres animaux, est fréquent dans la grotte.J. Clottes et M. Azéma inventorient plusieursde ces regroupements de félins dans la salledu Fond (25). Nous nous sommes fréquem-ment interrogés pour savoir s'il s'agissait deplusieurs animaux représentés côte à côte, oud'un mode de représentation du volume d'unseul animal, ou d'une façon de représenter lemouvement d'un animal unique. J. Clottes (26)se pose cette question au sujet des têtes etlignes de dos des rhinocéros du panneau cen-tral de la salle du Fond qui présentent le mêmetype de composition. C'est une question quen'abordent pas C. Fritz et G. Tosello (27) à pro-pos des quatre têtes et lignes de dos de che-vaux du panneau des chevaux. Ils les considè-rent comme quatre animaux différents alorsque, dans le même esprit d'inventaire, ils inter-prètent le bison (28) qui leur fait face commeun animal unique à contours multiples.M. Azéma (29) y lit la représentation d'un ani-mal en mouvement.

Quelle qu'en soit l'interprétation, il s'agitd'un mode de représentation exceptionnel etoriginal. La lecture de ces dessins encastrésles uns dans les autres, exige de notre part ungros effort d'abstraction. Cette transcription enplan d'un volume, d'un mouvement ou d'unnombre n'est pas dans nos automatismes.Nous avons donc eu tendance, me semble-t-il,à nous orienter chaque fois vers la réponse laplus aisée, à savoir celle qui correspondait lemieux à la fois au plaisir des yeux et à l'effortd'abstraction le moins intense. Nous avonsobtenu ainsi une diversité de réponses.

Je ne suis pas certain que cette diversitéde lecture corresponde à une réalité de latranscription aurignacienne. Il est vrai que lesartistes de la grotte Chauvet ont prouvé larichesse de leur capacité d'abstraction. Mais ilest délicat d'envisager qu'un mode de repré-sentation en plan, aussi original et complexe,ait pu être appréhendé et utilisé simultanémentpour transcrire des concepts aussi différentsque le mouvement, le volume, la quantité. Ils'agit de démarches différentes et je doutequ'elles puissent converger simultanémentvers une solution graphique apparemmentunique. Si cela devait être le cas, nousdevrions alors caractériser ce qui, de façonsystématique, dissocie ces démarches dans lerésultat graphique final.

Pourtant, dans le cas présent, pour la moi-tié avant du corps des félins, j'aurais tendanceà conserver l'identification de deux entités gra-phiques différentes. A contrario, pour la partiearrière, le tracé multiple des queues m'incite àpenser à l'expression d'un mouvement encoup de fouet (fig. 7). Les multiples reprises dutracé des queues donnent une impression desaccade ; les ondulations du tracé y participentaussi. Le fait qu'elles s'entrecroisent accentuele mouvement. Enfin, l'anomalie anatomiquequ'est la queue en pinceau pourrait n'être enfait qu'une représentation de mouvement parle biais d'un double trait extérieur et d'uneestompe intérieure.

Sur la partie basse de cette face duPendant, à droite des queues, un ours a laisséla trace d'un coup de griffe vertical dont laforme en S de l'impact est induite par les légersrenflements et creux de la roche.

La deuxième face du Pendant

Cette face du pendant est très légèrementbombée (fig. 8). Elle a la forme d'un triangleisocèle assez fermé dont la pointe est orientéevers le bas. Les arêtes qui séparent cette facede la suivante et de la précédente sont trèsmarquées, presque à 90°. Cette forme renddifficile toute lecture simultanée de deux deces trois faces du pendant, et elle impose pourcela de se déplacer.

Cette face présente de nombreux traits ettraces, soit noirs, soit sous la forme d'incisionsplus ou moins larges, et peu profondes. L'étatde conservation de tous ces tracés est nette-ment moins bon que celui de la plupart des tra-cés des trois autres faces.

À cheval sur cette face et sur la précédente,nous avions un temps pensé à une représenta-tion vue de face, "...tête d'animal indéterminénoire, en position frontale, de part et d'autre del'arête du pendant..." (30), dans une composi-tion similaire à celle de proches têtes de bisonde la salle du Fond (31). Nous n'avons pasrepris cette interprétation. En 2001 (32), j'avaisinclus certaines de ces traces noires diffusesdans l'identification de la figure d'homme/bison.Je ne retiens plus cette lecture. Seuls les tracésde gauche, noir intense, sont à intégrer dans lesreprésentations figuratives de la face suivantedu Pendant.

La figure 9 inventorie les divers impacts rele-vés sur la paroi. Certains sont causés parl'homme, d'autres par l'ours. Pour l'heure, l'entitégraphique qu'ils composent n'est pas interprétée.

25 - Clottes J. et M. Azéma M., 2005, p. 57 : selon l'interprétation : 2 ou 3 félins ainsi imbriqués. Id., p. 58 : 3 autres félins de même associés.Id. , p. 62, photo de plusieurs félins dont certains présentent le même type d'imbrication.26 - Clottes J., L'Art des Origines, 2001, p. 137.27 - Tosello G. et Fritz C., 2004.28 - Fritz C. et Tosello G., L'Art des Origines, 2001, p. 111.29 - Azéma M., 2004.30 - L'Art des Origines, 2001, p. 142.31 - L'Art des Origines, photo p. 137.32 - Le Guillou Y. L'Art des Origines, p. 170.

Fig. 7 -Détail des queues de félin entremêlées.En marron : pigments noirs appartenant à une

phase d'activité antérieure(lecture d'après photo :Y. Le Guillou).

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Fig. 8 - La deuxième face du Pendant et la partie droitede la face centrale. On entrevoit la complexité des différents

types d'impact qui ont affecté cette zone(cliché F. Maksud).

Fig. 9 - Relevé des traces du bas de la deuxième face du Pendant.En marron : pigments noirs appartenant à une phase d'activité antérieure.En noir : pigments noirs appartenant probablement au tracé de la jambede la femme. Détourés au trait noir : griffures d'ours toutes postérieures

au dépôt de pigment (lecture d'après photo : M. Peyroux).

La troisième face ou facecentrale, cœur du Pendant

Contrairement aux deux faces précé-dentes, celle-ci et surtout la suivante nous ontété mal ou pas accessibles. Elle a la formed'une pyramide inversée, légèrement bombéeet aux modelés très arrondis. C'est là que sejuxtaposent les deux entités graphiques lesplus mystérieuses de la grotte : une femme, oudu moins une moitié de femme, et un bison, oupeut-être un homme/bison.

Une représentation féminine

En 2001 (33), j'avais utilisé le terme de"vénus". Tout un chacun a conscience que l'uti-lisation de ce terme est délicate et qu'il fautdonc modérer les amalgames. Vénus est unedéesse : rien n'assure que cette femme le soit.Les "vénus" sont, par essence, de très bellesfemmes : rien n'indique que cette femme l'aitété. Les vénus ne sont pas les déesses-mèresde certaines sociétés néolithiques : il n'est pasimpossible que cette femme ait disposé de

certaines de leurs attributions. Je ne récusepas ce terme pour autant. Il ouvre sur notreimaginaire, tout comme le fait la représentationféminine découverte sur le Pendant, et commele faisait certainement ce même Pendant àl'adresse de l'imaginaire des Aurignaciens.

Cette entité graphique est l'oeuvre "prin-ceps" du Pendant. Elle l'est parce qu'elle estune femme, la femme de la grotte Chauvet.Elle l'est aussi par sa localisation à la base duPendant, isolée à l'extrémité d'un ensembleorné, tout en faisant face à tout visiteur quivient directement buter sur elle.

L'œuvre (fig. 10), en vue de face, est réali-sée autour et de part et d'autre d'une arêterocheuse arrondie. Seule la moitié inférieurede la femme est dessinée, presque grandeurnature. La partie supérieure du corps estabsente, et n'a probablement jamais été repré-sentée. La représentation est réduite au dessindes jambes et du triangle pubien.

Ce dernier, de taille nettement excessivepar rapport à celle des jambes, paraît être le

coeur de la représentation. Il est situé à hauteurdes yeux de l'artiste ou du proche spectateur.

Un tracé incurvé en limite le contoursupérieur. Deux traits non jointifs à la baseindiquent les deux plis de lʼaine. La jonctionsupérieure de ces tracés, effective à gauchedu dessin, nʼexistait probablement pas àdroite, comme si le soin de finition nʼétait pasune préoccupation. Un second trait horizon-tal incurvé, parallèle au premier et juste souslui, compartimente lʼintérieur du trianglepubien. Postérieurement au tracé descontours, un remplissage noir a été effectuépar estompage et étalement de pigment.Cette coloration est centrée préférentielle-ment sur la partie basse du triangle, y délimi-tant une zone plus sombre et donnant peut-être ainsi une impression de volume. Lesillon vulvaire, représenté dans un troisièmetemps, est nettement indiqué par un traitvertical gravé dʼune incision suffisammentmarquée pour ôter à la fois le pigment noir etla pellicule superficielle jaune de la roche. Ilapparaît en blanc. Fine et profonde, cette

33 - Le Guillou Y., 2001, INORA n° 29.

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incision de 4 cm de longueur est faite avecun outil pointu.

Les jambes, aux cuisses généreuses, seterminent en sifflet. Les pieds ne sont pasreprésentés. La différence de conservationexistant entre lʼextrémité inférieure et lereste du pendant explique certainement lʼim-portante diffusion du pigment dans la partiedu dessin située à hauteur des chevilles. Ledessin des cuisses et mollets des deuxjambes révèle des reprises multiples dutracé. Elles pourraient indiquer la recherched'une représentation correcte du galbe(fig. 11).

Aucun trait ne relie les jambes et le trian-gle pubien. L'étroit espace de roche bruteainsi préservé met en valeur le triangle etaccentue l'impression de relief et de volumedu ventre. En bas à droite, un trait parallèleà la face externe du mollet paraît de mêmefacture que celui de la jambe. Ce tracé nesemble pas lié à ceux inventoriés sur la faceprécédente du Pendant. Il ne fait probable-ment pas partie de l'entité graphique situéeau-dessus et à droite de la femme. Sa teinte,sa texture et son état de conservation invi-tent à l'associer à la femme. Il peut corres-pondre à un tracé du mollet erroné et doncabandonné.

Les Aurignaciens ont représenté quatreautres triangles pubiens sur les parois de lagrotte. Ils y sont isolés de tout autre segmentanatomique. Trois sont gravés et un dessinéen noir. Ils sont très similaires. Tous tracés à

environ 1,80 m au-dessus du sol, leursdimensions sont voisines, légèrement plusgrandes que nature. Les spécificités dutriangle du Pendant s'y retrouvent. Le mêmetype de tracé incurvé en limite le contoursupérieur. Un trait continu ou deux traits nonjointifs à la base indiquent le pli de lʼaine. Lamême absence de finition caractérise lesjonctions supérieures des côtés du triangle.Le sillon vulvaire est nettement indiqué. Ceséléments sont exclusifs de tout autre dans lecas des triangles gravés. Le second trianglepeint présente les mêmes caractéristiquesque celui du Pendant : un remplissage noircentré préférentiellement sur la partie basseet un sillon vulvaire blanc nettement incisé. Ilexiste une grande homogénéité entre cescinq dessins. Cette uniformité de choix et deforme des traits pour un même thème révèledes stéréotypes déjà profondément ancrés.Ils semblent perdurer à travers lePaléolithique supérieur d'après les simili-tudes entre les pubis de la grotte Chauvet, etceux, par exemple, des sites de LaFerrassie, de Pergouset, de Cazelle, duRoc-aux-Sorciers, ou de Micolón.

Les nus féminins paléolithiques sontconnus. Les femmes aux proportions opu-lentes, comme semble l'être celle duPendant, se retrouvent fréquemment dans lastatuaire gravettienne, comme à Willendorf.En Europe occidentale, l'anomalie la plussystématique est l'absence de pieds. Lesexplications fonctionnelles qui avaient étéavancées pour la statuaire (fragilité des

pieds, utilisation sur un réceptacle à l'instardes amphores) sont récusées par les oeu-vres pariétales. Dans lʼart pariétal paléoli-thique, les femmes du Roc-aux-Sorciers,bien que magdaléniennes, paraissent êtreles plus proches de celle du Pendantcompte tenu de leurs proportions, des élé-ments de style, et de la sélection des élé-ments anatomiques représentés. Le plussurprenant me paraît être l'absence de toutvêtement ou parure. Ces éléments sontpourtant indispensable pour caractériserune personne particulière, une fonctionsociale, une appartenance ethnique. Cettedonnée récurrente ne doit pas être oubliéedès qu'est abordée la question de l'interpré-tation.

Sur le pubis, deux épais traits noirs(fig. 10 & 11), verticaux et contigus, ont ététracés dans un dernier temps. Ils sont peut-être nettement postérieurs au tracé de lafemme, voire sans rapport avec elle. Maissʼils lui sont associés, ils ont certainementune signification. Il ne s'agit pas, par exem-ple, de l'impact volontaire ou accidentel dedeux brandons jointifs d'une torche unique.Deux gestes similaires, précis ont été effec-tués. Deux tracés volontaires, plutôt jointifs àla base et légèrement écartés au sommet.Plus sombres, ils ne sont pas tout à fait de lamême teinte noire que le reste du pubis. Ilpeut s'agir d'un symbole, ou d'un élémentréaliste non identifié, représenté sur lepubis. Cela peut être aussi l'impact d'ungeste rituel réalisé sur le triangle pubien.

Fig. 10 - La représentation féminine(lecture d'après photo : M. Peyroux).

Fig. 11 - La femme vue de gauche. La tête de félin visible en secondplan est extérieure au Pendant (clichéY. Le Guillou).

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Un bison ... ou un homme/bison

Au-dessus du dessin de la femme, setrouve une entité graphique (fig. 12) corres-pondant à une partie du "sorcier" puisquel'autre partie des tracés qui étaient intégrésdans son identification est désormais attri-buée à la représentation féminine.

Si la tête de bison est évidente à tous,des lectures différentes invitent à lui attribuerou pas des éléments anatomiques humains.Afin de tenter de sérier ce qui, dans le tracéde cette entité graphique, peut ne pas rele-ver d'une représentation de bison, j'ai choiside comparer ce dessin avec le bison quidans la grotte me paraissait le plus sembla-ble (fig. 13). Cet animal est situé dans leregistre supérieur du panneau central de lasalle du Fond.

Ces deux bisons ont en commun l'ab-sence d'arrière-train. Dans les deux cas, latête est dessinée, assez détaillée. Le poitrailest représenté. La bosse est amorcée ; plu-sieurs tracés, plus ou moins contigus oujointifs, servent à en dessiner le contour. Lesdétails de la tête sont presque toujours simi-laires. L'estompe, visant au remplissage dela tête, est présente, moins noire toutefoissur le Pendant où elle amalgame plus claire-ment le pigment avec la couche superficiellemolle de la paroi. Sur le Pendant, les cornessont en lyre. Sur les deux dessins elles par-tent exactement du même endroit. L'oeil,l'oreille, le chignon sont également situés aumême endroit. Le contour de l'oeil est trèsirrégulier. La pupille est un simple point noir.Réalisé à l'aide d'un détourage blanc encer-

clant presque celle-ci, le blanc de l'oeil prendl'apparence d'une réserve dans l'étalementdu pigment. À l'avant du mufle, les reliefsdes naseaux, de la bouche et du mentonsont indiqués dans les deux cas. Sur lePendant, le chanfrein présente une bossequi n'apparaît pas sur le dessin de compa-raison. Tous les tracés correspondant à laganache, au cou, au poitrail et à la patteavant (faces antérieure et postérieure), pré-sents sur le bison du Pendant, se retrouvent,avec de légères variantes de longueur etd'orientation, sur le bison de la salle duFond.

À l'extrémité de la patte avant, les tracesprésentes ne sont plus tout à fait équiva-lentes entre les deux bisons. Sur le bison decomparaison, les deux faces de la patte seresserrent à hauteur du canon puis s'éva-sent brusquement pour dessiner un sabotassez schématique à l'aide de quelquestraits rayonnants (fig. 13). Sur le Pendant, lalecture est beaucoup plus difficile, surtoutparce que les tracés concernés interfèrentavec le dessin de la jambe de la femme.Quatre fins traits, légèrement incisés, pig-mentés, à peu près parallèles, prolongent lapatte en s'incurvant vers le bas. En 2001(34), j'écrivais : "... Le bras est humain, pro-longé par une main avec de longs doigts quipendent vers le bas..." et en note : "Cettedisposition est caractéristique des représen-tations humaines préhistoriques telles que le« Dieu cornu » qui domine le sanctuaire dela grotte des Trois-Frères en Ariège, oulʼhomme de la grotte de Sous-Grand-Lac enDordogne." Ces tracés pourraient aussi être

interprétés comme le dessin trop schéma-tisé ou mal tracé d'un sabot équivalent àcelui du bison de comparaison. Il est aussipossible que ces traces soit exclusivementle résultat accidentel d'un geste d'efface-ment volontaire. Les traces peuvent corres-pondre à un seul geste, dirigé du haut versle bas, entraînant avec lui de petits frag-ments de charbon de bois qui marquentsuperficiellement la paroi. Ce pigment pro-viendrait plus probablement du dessin de lafemme que de celui du bison.

Je suis ainsi en présence de trois hypo-thèses. L'une, classique, est celle d'un bisondont le dessin du sabot, bien que mal sché-matisé, reste crédible. L'autre, avancéejusqu'à présent, est celle d'un être compo-site, bison dont la patte avant est prolongéepar une main humaine. La troisième, la plus"technique", est celle d'un bison sans sabot,les traces prolongeant la patte n'étant que laconséquence involontaire d'un geste de frot-tement. Aucune n'emporte ma conviction etje ne dispose pas d'éléments pour trancher.

Les deux petites taches noires situéesdevant les naseaux du bison ne s'offrent pasà une interprétation réaliste évidente. Ellessont peut-être accidentelles ou liées à d'an-ciens tracés, comme bien d'autres vestigesprésents sur le Pendant. Elles sont peut-êtrevolontaires. Dans ce cas, rien de précisn'était présent dans le geste qui a procédé àleur réalisation. Dans le cadre de la compa-raison avec le bison de la salle du Fond, ilfaut noter que les traits visibles devant latête de ce dernier ne sont pas liés à l'animal :

Fig. 12 - Le bison ou homme/bison. Le trait sur le corps n'en fait pasnécessairement partie. Les marques rouges sont liées à un frottement

(lecture d'après photo : M. Peyroux).

Fig. 13 - Bison de la salle du Fond présentant certainessimilitudes avec celui du Pendant

(clichéY. Le Guillou).

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ils lui sont antérieurs et participent probable-ment de la destruction d'œuvres encore plusanciennes.

Sur la bosse du bison, sur son cou etson poitrail, un gros frottement volontaireaffecte presque tout l'intérieur du corps. Lefrottement fut intense, suffisamment soignépour ne pas déborder des limites du bison,assez vigoureux pour ne laisser aucunetrace de ce qui se trouvait antérieurementsur la paroi. En bordure droite de la zonefrottée, un court trait noir est conservé. Jene pense pas qu'il s'agisse d'un prolonge-ment de la ligne de dos du félin de la facesuivante du Pendant. Sur le frottement, desdoigts ocrés ont laissé leur marque(fig. 12) : deux courtes traces en bas àdroite et une sur le haut. Il est peu probableque ces impacts s'apparentent à des gra-phismes intentionnels.

Indépendamment du tracé de cetteentité graphique et de la précédente, onnote un trait incisé assez surprenant. Iln'est pas le fruit d'un coup de patte d'ours.Partant du bas de l'oeil du bison pour seterminer au centre du triangle pubien, sevoit une incision blanche, fine, nette etassez profonde. Réalisé probablementavec un silex, ce trait volontaire et fermelacère la tête du bison et le triangle pubiende la femme. Ce type de trace n'est pasidentifié ailleurs sur le Pendant. Si on envi-sage de l'associer à un geste de destruc-tion ou de dénégation, il ne peut être quesymbolique : une véritable destruction toutaussi rapide et aisée, aurait été bien plusefficace. Il est tracé de haut en bas en unseul geste mais avec une vigueur variantselon l'emplacement de l'impact. La pres-sion de l'outil est forte sur le bison, faiblevoire localement inexistante entre les deuxdessins, puis forte à nouveau sur le trianglepubien. C'est un des rares cas où, derrièrele geste, peut se rechercher l'homme, c'est-à-dire l'état d'esprit et le discours de l'au-teur. On peut entrevoir un commentaire(pensé ou dit) de l'auteur du trait. Il parle dela tête du bison en la rayant d'un traitferme, puis après une fraction de secondede pause dans la pression du geste commepeut-être dans le discours, mais en conti-nuité de mouvement avec une orientationlégèrement différente, il poursuit son com-mentaire en rayant le triangle pubien. Il n'ya rien de serein dans cette gestuelle perçueaujourd'hui comme plutôt destructrice. Ilétablit un lien sémantique entre les deuxoeuvres. Mais ce lien peut être différent decelui établi par les auteurs des œuvres. Eneffet, bien que paléolithique comme toutesles traces anthropiques de la grotte, le traitincisé est clairement postérieur à la réalisa-tion des dessins qu'il commente.

Composition femme + homme ouhomme/bison

Dès la publication de 1995, dans l'im-portante postface qu'il rédige, J. Clottesnote p. 102 : " …un pendant rocheuxporte…une créature noire, debout, légère-ment penchée en avant, dont le haut ducorps est celui dʼun bison et le bas du corpscelui dʼun humain, avec les deux jambesbien indiquées. … En avant du corps a étépeint une sorte de triangle plein, pointevers le bas, à base fortement concave sou-lignée dʼun trait." Il illustre cette descriptiond'une photographie en pleine page (p. 114).

Par ce biais et par d'autres, cette pho-tographie a fait le tour du monde : celui despréhistoriens, spécialistes ou amateursdʼart pariétal ; mais aussi au-delà, vu l'im-portance de la découverte de la grotteChauvet et du fait de la nature de cetteoeuvre et de sa place dans la grotte.

Pas une fois, venant de quelque ama-teur ou spécialiste que ce soit, ne nous estparvenu lʼécho dʼun regard interprétant cetriangle comme pouvant représenter lesexe d'une femme. Pas une fois nousn'avons entendu mentionner que le triangleet la jambe pourraient être ceux dʼun indi-vidu unique dissocié du bison. Nous avionspourtant débattu à de multiples reprises,regardant la photo, ou l'original, pour savoirs'il s'agissait vraiment d'un être composite,si la jambe était bien humaine où s'il nes'agissait que d'une patte de bison mal des-sinée.

J. Clottes décrit un triangle pubien, telqu'il en décrirait bien d'autres dans l'artpariétal, mais il ne le lit pas comme tel. Etnous avons tous fait de même. Je ne pensepas qu'une sorte de pudibonderie collectivesoit à l'origine de cette errance de notreregard. Deux facteurs en sont peut-être lasource.

En premier lieu, nos automatismes delecture n'étaient pas adaptés. Acquis dansl'expérience, ils nous offrent une connais-sance pratique des thèmes et des formesde l'art pariétal qui nous permet, au-delà delectures rapides et ciblées, d'aller directe-ment à l'essentiel. Nous n'y disposions pasde référent pouvant nous orienter automati-quement vers la lecture d'une scèneincluant une relation homme/animal.

En second lieu, nous nous sommesfocalisés sur une mauvaise question : bisonou homme/bison ? Question qui ne nousinvitait pas à rechercher une femme. Nousl'avons sexué d'office, refermant ainsi unpeu plus notre regard. Dans sa descriptionde 1995, J. Clottes parle d'un humain, et

pas d'un homme. Quelques lignes plus bas,avec l'utilisation du terme de "sorcier", l'in-dividu devient masculin.

Pendant cinq ans, biaisés par cette lec-ture et cette question, nul n'a entrevu l'évi-dence. Cela montre, en tout état de cause,que malgré notre prudence nous avonsd'énormes difficultés à dégager notreregard des sentiers balisés. En 2000, par lalecture d'une photographie prise presqueau hasard, le sorcier s'est transformé enune femme nue surmontée, suivant l'inter-prétation, par un bison ou par unhomme/bison (fig. 14). Cette nouvelle lec-ture est due à la découverte de la secondejambe.

En 2001, dans " L’Art des Origines ",J. Clottes écrit p. 141-142 : "… et lʼon dis-tingue un avant-train de bison surmontantce qui a été interprété comme des jambeshumaines. Le tracé noir épais est identiquepour le haut et le bas. Un même lissageinterne a été opéré sur la bosse et sur lacuisse. On ne constate pas de lissage com-parable sur le reste du panneau. Ce per-sonnage fut interprété comme une créaturecomposite, mi-bison par le haut du corps,mi-humain par lʼattitude générale debout etpar le bas du corps. Entre sa tête et songenou, un grand triangle noir a remplissageinterne, barré par une petite gravure verti-cale sur la pointe inférieure, ressemblebeaucoup aux triangles pubiens … quecette vulve nʼétait pas isolée, mais quʼelleétait associée à deux jambes pour évoquerle bas du corps dʼune femme …".

La lecture de la représentation fémininesemble aujourd'hui globalement acceptéepar la communauté scientifique. Il en va demême de la tête et de la bosse du bison. Laprésence du bras et de la main, qui fontévoluer ce dernier de simple bison enhomme/bison, est sujette à discussion.Quant à envisager la lecture d'une relationfigurative, probablement narrative, reliantces deux entités graphiques, la même com-munauté scientifique peine à s'y engager.Et, à mon sens, cela se comprend.

Au-delà d'une lecture entité par entité,tout un chacun s'interroge sur les liensentre la femme et le bison. Identifier unescène, qu'elle soit narrative d'un mythe,d'une histoire ou d'un fantasme, qu'elle soitou non figurative et réaliste, exige de carac-tériser des liens qui soient autres qu'unesimple localisation. Les œuvres pariétalesdu Paléolithique supérieur dans leurimmense majorité se juxtaposent ou s'entre-mêlent sans représenter de scène évidente.La statistique présuppose donc l'absence descène. Son existence doit donc être argu-

34 - Le Guillou Y., L'Art des Origines, p. 170.

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mentée (35). Ce point me paraît essentielcar la présence même d'une scène modifieprofondément le cadre interprétatif d'unensemble structuré de tracés : introduisantle réalisme dans les liens associant des enti-tés graphiques, elle révèle une démarchedes auteurs tout à fait spécifique.

L'archéologue dispose d'éléments per-mettant de relier deux dessins.

Un premier volant se trouve dans l'ob-servation et l'analyse des tracés : l'imbrica-tion des traits, les superpositions ouréserves volontaires, les effacements, maisaussi les analyses comparatives de pig-ment, les recherches d'auteurs par leurschoix sélectifs de détails anatomiques ou

par le rythme et la puissance de leur coup decrayon. Nous n'avons pas réalisé d'analyse.Les études rapprochées n'ont pas encore eulieu. Deux relations argumentées lient lafemme au bison ou homme/bison. Il y a eudestruction volontaire, localisée (36) et soi-gnée, d'une petite partie du triangle pubienpour dessiner le poitrail de l'animal. La paroia été frottée soit pour la préparer avant dedessiner le bison, soit pour détourer la têtede ce dernier. Ce frottement, qui a blanchi lasurface de la roche, a délicatement suivi lecontour supérieur du triangle pubien en pre-nant soin de ne pas l'abîmer.

Un second volant se trouve dans les com-paraisons. G. Bosinski (37), s'interrogeant àpropos de la grotte du Gabillou et de la com-

plexité apparemment symbolique de son dis-positif pariétal, recherche dans l'art paléoli-thique des associations entre"homme/taureau" et femme. Outre celle qu'ilétablit au Gabillou, il n'identifie que l'exemplede la grotte Chauvet. La comparaison avec lesfemmes du Roc-aux-Sorciers peut aussi êtreavancée. Là, l'imbrication entre les sculpturesféminines et celles de bisons paraît évidente,notant toutefois qu'au Roc-aux-Sorciers il nes'agit pas d'hommes/bisons. Sur des milliersd'œuvres figuratives du Paléolithique supé-rieur, la présence de ces trop rares associa-tions, qui plus est parfois discutées, invite à nepas s'appuyer sur la comparaison identifiéepour établir, sur le Pendant de la grotteChauvet, un lien entre le bison et la femme.

On ne peut, par ailleurs, avancer l'argu-ment du réalisme descriptif dans l'associationentre la femme et le bison. À mon avis, l'ar-chéologue n'est pas en mesure d'établir, entreces deux entités graphiques du Pendant, delien suffisamment cohérent pour y lire la narra-tion d'une scène.

Cela n'interdit pas de rechercher des clefsde lecture ailleurs que dans l'archéologie.Certains l'ont fait par la psychanalyse (38), s'in-téressant au fantasme de l'homme/bison oupar l'ethnographie des Indiens des grandesplaines américaines (39). D'autres (40), plusfréquemment, ont cherché, dans la Grèceancienne, la comparaison avec la relationentre Pasiphaé et un grand taureau blanc,relation dont naquit le Minotaure. Peut-être,dans ce type de démarche, avons-nous le sen-timent de toucher du doigt une filiation de plusde 30 000 ans, ou une certaine universalité.Mais dans cette démarche, l'archéologuedevrait, me semble-t-il, rester assez réservé.

En termes de filiation, tout dans nosconnaissances invite à l'écarter. AuPaléolithique supérieur, de fortes secoussesculturelles, telle la disparition du Solutréen,interrogent sur la pérennisation du contenu(le sens en l'occurrence) de l'art pariétal,même si les thèmes (le contenant) ont pourla plupart perduré. Il y a 12 000 ans, lesMagdaléniens n'avaient peut-être conservéque bien peu des Aurignaciens, leurs ancê-tres de 20 000 ans. Et depuis 12 000 ans,que de cultures balayées. Elles ont pu l'êtreen douceur : désuétudes, réminiscencesparfois, puis oubli. Elles ont plus l'être vio-lemment lors d'invasions "barbares" ou lorsde destructrices invasions "civilisatrices". Dela disparition des chasseurs de renne aux

35 - Je suis ainsi très réservé quant à l'interprétation "automatique" du panneau central de la salle du Fond en tant que scène de chasse entreune meute de lions et un troupeau de bisons, ainsi qu'à l'interprétation de deux rhinocéros imbriqués du panneau des Chevaux en tant querhinocéros affrontés (Fritz C. et Tosello G., 2000).36 - En 2001 (INORA n° 29), j'avais noté qu'un effacement localisé des fesses de la femme pouvait avoir eu lieu. Aujourd'hui, suite à desobservations plus approfondies, je préfère écarter cette hypothèse.37 - Bosinski G. & H., 2003.38 - Chapelier J.B. et Costes A., 1981, p. 45.39 - Lévi-Strauss C., 1968, p. 270.40 - Curtis G., 2006 ; Elalouf J.-M., 2007 ; Robinson J., 2007 ; et plus de 100 sites sur Internet.

Fig. 14 - Vue plongeante de la face centrale du Pendant (clichéY. Le Guillou).

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premières cités grecques, les révolu-tions/évolutions se sont succédé, tant sur leplan matériel (nouveaux outils, pierre polie,céramique, bronze, fer, ...), que sur la rela-tion au monde (agriculture, domestication,sédentarisation, cité, ...). Il en va de mêmede la vie spirituelle, perceptible, après la dis-parition de l'art paléolithique, dans les trans-formations radicales et répétitives des pra-tiques funéraires. Chercher une pérennitépar filiation entre les thèmes de l'art paléoli-thique et les mythes de la Grèce ancienneest totalement illusoire.

En termes d'universalité, effectivementle thème, voire peut-être le mythe, del'homme-animal, a propension à se retrouverdans bien des cultures "anciennes", qu'ellesconcernent des populations d'éleveurs oudes chasseurs-cueilleurs. Ce thème est pré-sent dans l'art paléolithique et dans la Grèceancienne. Mais la comparaison s'arrête là. Iln'induit pas impérativement de relation avecune femme. Cette comparaison souffre dedeux faiblesses structurelles. En premierlieu, l'assimilation du bison au taureau(aurochs) est le fruit d'un regard moderne denaturaliste. En second lieu, dans l'imaginairede l'antiquité hellénique, anatolienne, oumoyen-orientale, le taureau a une place quine peut pas être celle du bison dans lemonde du Paléolithique supérieur européen.Dans le monde néolithique tardif, le taureauest la puissance animale par excellence. Ilest la force, mais il est la force maîtrisée,rebelle parfois mais domptée quand même,domestiquée. Il est, dans certaines sociétésd'éleveurs, le symbole extrême de la prisedu pouvoir de l'homme sur la nature (lemonde animal). Le jeu de Pasiphaé avec letaureau relève de cette relation passionnelleavec la puissance domptée. A contrario, lebison paléolithique est un animal sauvageparmi d'autres, pas plus dangereux qued'autres tels le lion ou l'ours des cavernes,moins fort que d'autres comme le mam-mouth ou le rhinocéros. Il est plus repré-senté que certains et moins que d'autres,sans disposer plus que d'autres d'une miseen situation privilégiée au cœur du bestiaire.De plus, il n'y a aucune universalité de laplace dominante du taureau dans la religionou dans le mythe des sociétés néolithiques.

Pourtant, combien d'entre nous, préhis-toriens ou amateurs d'art pariétal, ont le sen-timent qu'une telle composition, femme<->bison ou femme<->homme/bison ne peutêtre accidentelle ou anecdotique. Je pensehonorable la position de G. Curtis (41). Ilintègre le fait que l'archéologie n'établit pasde lien entre la femme et le bison et n'ava-lise pas la pérennité du thème. Puis, il laisse

entendre qu'il est parfois préférable, etagréable, de laisser faire son imaginaire etde considérer que le mythe de l'accouple-ment de l'homme et de l'animal est déjà ins-crit sur le Pendant de la grotte Chauvet.

La quatrième facedu Pendant

À la différence des faces précédentes,qui ont la forme de panneaux verticauxappointés à la base et évasés au sommet,cette dernière face ressemble à un bandeauhorizontal, rectangulaire, dont l'arête quiforme le bas se situe à 1,50 m du sol(fig. 15). Dans l'Art des Origines, J. Clottesécrit p. 142 : "... Enfin quatre animaux ont étéesquissés sur la face cachée du Pendant, envis à vis du rhinocéros marqué de rouge. Ilsʼy trouve deux lions noirs incomplets, unavant-train de mammouth et un bœuf mus-qué complet, noir lui aussi, identifiable à sacorne recourbée vers le bas, ainsi que desgravures non déterminées...".

Les deux félins ont été inventoriés parJ. Clottes et M. Azéma ; le mammouth l'a étépar B. Gély et M. Azéma. Tout comme moi,ils n'y ont jamais correctement accédé devisu. Ils n'ont pas eu d'autre choix que secontenter d'une description à partir desdocuments photographiques que je leuravais transmis.

Félin

J. Clottes et M. Azéma ont publié unecourte description (42) de ce félin : " Félinn° 63 : À 1,50 m du sol, un avant-train defélin noir assez massif, lion probable, esttourné vers la gauche, comme les autresanimaux de cette face. Son poitrail arrive enlimite de l'arête. Il est surchargé par le hautde la tête (oreilles) et le départ de la ligne dedos du n° 62, ainsi que par un animal indé-terminé. La tête est baissée et le dosarrondi. Les deux oreilles, reliées de part etd'autre de la ligne du dos, ont été noircies.L'oeil est détaillé, avec un double arc au-dessus d'un cercle noir, prolongé par lestraits habituels vers le bas. le mufle est bienmarqué au-dessus d'une bouche ouverte."

Ce félin (fig. 16) est dans le style de ceuxdu panneau central de la salle du Fond :menton en galoche, double tracé à l'intérieurde la bouche qui correspond peut-être à lalangue, et surtout ce dessin si particulier del'oeil avec, en noir, deux arcs supérieurs etun arc inférieur. Les trois traits blancs sur lajoue de l'animal invitent à quelques ques-tions. Ils sont plus récents que le tracé noirde l'oeil et que celui de la bouche. Il peuts'agir d'un coup de griffe animal dont lehasard a placé le point d'attaque sur le noirde l'oeil. Ou ce pourrait être une reprise cor-rectrice, répétitive et exagérée, du tracé del'arc inférieur.

41 - Curtis G., 2006.42 - Clottes J. et Azéma M., 2005, p. 80.

Fig. 15 - Vue latérale des faces centrale et gauche du Pendant.Les dessins sont organisés en frise ou en bandeau (clichéY. Le Guillou).

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Certains ont pu envisager que le tracéexterne de la cuisse gauche de la représen-tation féminine soit, en fait, la ligne ventralede ce félin. Cette option ne me paraît pascrédible : ni la jonction entre le poitrail et leventre de l'animal, ni la forme qu'aurait lapatte arrière du félin ne seraient cohérentes.

Réalisée par des reprises successivesde traits jointifs, la ligne dorsale recoupe unedes cornes du bison et lui est postérieure.

Félin

Ce félin est situé à l'intérieur du corps duprécédent. Ici aussi, J. Clottes et M. Azémaen ont publié (43) une courte description : "Félin n° 62 : Assez haut sur la paroi du pen-dant rocheux, face à la paroi gauche, unesilhouette très incomplète de félin noir estreconnaissable à ses deux oreilles en vuefrontale, reliées par un arc et prolongées parla ligne du dos. Partiellement superposée àla corne du bison/Sorcier. Animal tourné versla gauche."

Cet animal (fig. 16) présente une parti-cularité qui le différencie de tous les autresfélins de la grotte : ses deux oreilles sont ali-gnées, en continuité avec la ligne de dos. Letout est réalisé en un seul trait. Ce n'estjamais le cas dans la grotte où la nuque desfélins est toujours marquée par une disconti-nuité dans le tracé. On pourrait imaginer êtreen présence de l'amorce d'une tête vue deface ou de dos, dans le prolongement d'un

corps de profil ; mais il s'agirait alors d'uncas d'espèce. Je pense plutôt à une erreurdans la représentation de la différence deplan entre les deux oreilles. Cette erreuraurait pu entraîner l'abandon de la poursuitedu dessin.

Ce dessin recoupe effectivement letracé de la corne gauche du bison. Toutcomme le félin précédent, celui-ci a été tracéaprès le bison.

L'attaque du trait au niveau de l'oreilledroite de l'animal, et le relâchement de lapression lorsque le tracé rencontre celui dubison, indiquent que le félin est dessiné de lagauche vers la droite, du sommet de la têtevers le dos.

Mammouth

B. Gély et M. Azéma ont publié (44) unecourte description de ce mammouth :"Mammouth n° 72 : à 1,50 m du sol, ce pro-fil gauche noir est érodé (env 80 x 80 cm) ;le tracé supérieur de la cervico-dorsale, latrompe et l'arche ventrale apparaissent enclair. Le dos est rectiligne et la nuque arron-die. La tête conique, dont l'orbite est sail-lante, a la lèvre et la joue charnues. Commele membre antérieur, la trompe pendanteouverte atteint le bord de voûte."

Ni le ventre, ni l'arrière-train de l'animal nesont dessinés. Les défenses sont absentes cequi n'est pas une exception dans la grotte

Chauvet. Il pourrait donc s'agir d'un très jeuneanimal. Il n'est pas certain que le tracé, quej'interprète comme la face postérieure de lapatte avant (fig. 17) et qui inclut de plus l'archeventrale, appartienne à l'animal. La ligne dedos semble recouper la nuque du plus completdes deux félins. Le mammouth a donc été des-siné après ce dernier.

Traits noirs sur le mammouth

Quelques traits noirs, tracés à l'empla-cement de la patte avant du mammouth(fig. 17), ne semblent pas, sur le plan anato-mique, faire partie de l'animal. Ils ont été tra-cés antérieurement à la patte. Il paraissentassez structurés : un petit arc de cercle,deux traits horizontaux convergeant avecune légère courbe descendante, un trait ver-tical.

Ovibos ou bœuf musqué

C'est l'ultime représentation figurative duPendant (fig. 18 & 19). Lorsqu'en 1999 nousdécouvrions ensemble la photographiede cet animal sur un écran d'ordinateur,J. Clottes s'exclamait : "mais cʼest un ovi-bos", soulevant notre scepticisme à tous.Quelques jours plus tard, P. Morel, regardantla photographie numérique que j'avais puprendre d'un animal difficilement accessiblede la salle du Crâne (fig. 20), devait s'écrier :"mais c'est un autre ovibos". Mes doutes

Fig. 16 - L'un dans l'autre :Les deux félins de la face gauche du Pendant

(lecture d'après photo : M. Peyroux).

Fig. 17 - Le mammouth et les tracés annexes situés au niveau du ventreet des parties haute et arrière de la patte de l'animal

(lecture d'après photo : M. Peyroux).

43 - Clottes J. et Azéma M., 2005, p. 80.44 - Gély B. et Azéma M., 2005, p. 70.

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s'étaient alors levés ainsi que progressive-ment ceux d'autres membres de l'équipe(45). Cette espèce est ainsi présente à deuxexemplaires dans la grotte Chauvet. Leregard porté sur les deux dessins permetd'identifier les éléments graphiques quicaractérisent l'attribution taxonomique.

Ces deux dessins offrent un traitement"technique" bien différent. Mais on trouve degrandes similitudes dans l'attitude des ani-maux, dans les proportions relatives desdiverses parties du corps, dans la sélectiondes éléments anatomiques représentés.

La ligne cervico-dorsale de l'animal partdirectement de la base du front, puis, parfai-tement régulière et sans aucune marque dechignon, de nuque ou de cou, elle se ter-mine au centre du dos de l'animal, reliantainsi directement le front et le garrot. Cetracé dessine ainsi une bosse unique, à chi-gnon volumineux, portée très en avant sur latête de l'animal. La ligne de dos se terminepar une queue tout juste visible. On peutnoter que chez lʼovibos actuel, la queue nʼaque quelques centimètres et qu'elle n'estpas visible car elle disparaît totalement dansla fourrure.

Sur l'exemplaire du Pendant, seules lespattes du premier plan sont représentées.Mais cette particularité est très fréquentedans les dessins de la grotte, y compris pourle mammouth contigu. La patte avant se ter-mine en pointe ; probablement serait-elle enX si les deux traits avaient été prolongés. Lapatte arrière est ouverte. Sur les deux exem-plaires, la gorge est nettement marquée parune arche très creuse tout comme est indi-

quée une "cassure" dans le tracé du chan-frein, caractéristique de cet animal. La corneest représentée disposant d'une assiselarge au centre du front, puis s'affinant et seprolongeant en boucle vers le bas, tournéevers lʼavant. Sur le dessin de la salle duCrâne, elle est indiquée en blanc, couleurnaturelle chez lʼovibos.

Le traitement de la pilosité est surpre-nant. Sur le dessin du Pendant, la longuefourrure que lʼon remarque de prime abordsur le poitrail et lʼarrière-train de lʼespèceactuelle nʼest pas dessinée. Il peut sʼagirdʼune absence intentionnelle : la représenta-tion du poil des animaux est rare dans lagrotte. Mais ce peut être aussi un élémentde saisonnalité ou une caractéristique delʼespèce européenne préhistorique.

La ligne ondulée qui traverse le corps dechacun des deux animaux laisse penser àune donnée anatomique. Elle prend nais-sance sous lʼaisselle, ce qui pourrait l'assi-miler à une ligne ventrale, à l'instar du Mventral interne au corps de certains dessinsde chevaux. Mais ainsi interprétée, elles'avère incompatible avec l'emplacement dela ligne cervico-dorsale ou avec celui de lapatte arrière.

À la différence de l'animal de la salle duCrâne, celui du Pendant présente deuxautres lignes ondulées, parallèles à la pre-mière. Lʼune se situe juste au-dessus de lapremière, et lʼautre légèrement au-dessusdu corps de lʼanimal. Lʼintégration de cesdeux traits dans le tracé de l'ovibos demeureincertaine. Il peut s'agir de tracés erronés etdonc repris, ou de données anatomiques qui

nous échappent. Ce peut être l'expressiond'un mouvement (46), ou des tracés totale-ment dissociés de l'ovibos. En tout état decause, la présence d'une ligne ondulée surl'animal de la salle du Crâne valide l'intégra-tion d'au moins une des lignes ondulées dudessin du Pendant.

Si cette identification "positive" n'étaitpas suffisante, une identification "négative"serait tout aussi parlante. En effet, s'il s'agitd'animaux, et si ce ne sont pas des ovibos,ce ne pourrait être que des bisons. Maisaucun des bisons de la grotte Chauvet neprésente de ligne ondulée à l'intérieur duventre. Tous les bisons dessinés ont lescornes remontant sur ou au-dessus de latête. Tous présentent un décrochement plusou moins marqué entre le chignon et ledépart de la bosse. Aucun ne présente unearche très marquée à hauteur du cou.Lorsque la queue est indiquée, elle est tou-jours longue.

Lʼovibos ou bœuf musqué, survivantaujourdʼhui dans les régions arctiques, étaitdéjà connu dans l'art paléolithique, maisrarement identifié avec certitude si ce n'estdans de rares cas comme pour une têtesculptée à Laugerie-Haute et un bas-reliefau Roc-de-Sers. La grotte Chauvet offredésormais deux exemplaires bien caractéri-sés de cet animal peu emblématique et ainsibien souvent oublié dans le bestiaire paléo-lithique.

Tracé en noir, sans aucun remplissage,l'ovibos du Pendant est tourné vers lagauche. Il est dessiné dans le prolongementdu mammouth précédent, mais légèrement

Fig. 18 - L'ovibos du Pendant(lecture d'après photo : M. Peyroux).

Fig. 19 - L'ovibos et le trait noir qui le précède. On entrevoit en arrière plan unepartie du panneau des 4 lions (clichéY. Le Guillou).

45 - Fritz C. et Tosello G., 2007, p. 400-401.46 - À l'instar des lignes de dos multiples de certains bisons telles qu'elles sont interprétées en 2004 par M. Azéma.

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plus haut, et sans superposition (fig. 15).Inaccessible, il n'a pas pu être mesuré pré-cisément : il est de petite taille, moins de40 cm de long.

Autres tracés

À proximité du dessin de l'ovibos, ainsi quede celui du mammouth, se trouvent de nom-breuses traces linéaires, de teinte plus blancheque la paroi. J'ai retenu de les regrouper enune entité graphique unique. Elles sont tou-jours antérieures au dessin des animaux. Ellessont anthropiques et ont pu être réalisées aubâton ou au doigt. Elles s'inscrivent dans lapellicule superficielle de la roche qui est relati-vement molle et de teinte jaune ocré. Lors dela découverte de l'ovibos, nous nous sommesinterrogés sur ces tracés, y recherchant unelecture figurative. Nous y avons tour à tourdéchiffré un poisson, puis tournée vers ladroite, une tête de cervidé avec un port desbois un peu surprenant. Mais ils présentent unmanque dʼhomogénéité apparent des types(ou modes) dʼincision. Il n'est de plus pas pos-sible d'établir de continuité réelle entre lesdivers traits concernés. Il pourrait s'agir desortes de raclages, peut-être préparation deparoi, ou peut-être test de l'état de surface dela paroi.

J'ai retenu de mentionner ici un trait hori-zontal noir (fig. 19), situé nettement à gauchede l'ovibos et à hauteur de ce dernier. Bienqu'extérieur au Pendant, cette sorte de traitd'union le relie à l'ornementation de la paroigauche de la salle du Fond. Il n'a été vu quepar le biais des photographies indirectes.

Le dispositif pariétalJ'ai sérié une quinzaine d'entités gra-

phiques. J'ai constaté la difficulté d'identifica-tion de certaines de ces entités, et probable-ment pas des moindres sur le plan de la valeursymbolique. J'ai bien connaissance de l'hété-rogénéité de cet inventaire et de la possibilité,assez arbitraire, de regrouper certaines entitésen une seule ou d'en diviser certaines en deuxvoire plus. Il y a par exemple peu de points com-muns entre le regroupement du triangle pubienavec les deux traits noirs qui le recouvrent, et leregroupement des diverses traces d'apparenceblanchâtre présentes sous ou à proximité desanimaux de la quatrième face du Pendant.

Le dispositif pariétal est ainsi une compila-tion brute d'entités identifiées sur la base dechoix qui relèvent de causes différentes. Ainsigénéré, il est défini au mieux comme "l'ensem-ble des entités graphiques déchiffréesaujourd'hui sur la paroi". C'est dû aux distor-

sions inhérentes à l'identification des "entitésgraphiques" en tant que regroupement de gra-phèmes. C'est aussi dû au fait que cet inven-taire ne présuppose en rien un regroupementpaléolithique d'entités graphiques à unmoment donné. Toute utilisation analytique dudispositif pariétal doit alors être abordée avecles réserves les plus fortes. Faute de quoi, onaboutit inévitablement à des solutions interpré-tatives simplistes. Elles peuvent considérerque le dispositif pariétal significatif (porteur desens) est celui présent lors de l'abandon del'activité graphique par les artistes paléoli-thiques (47). Elles peuvent considérer que cedispositif est en évolution constante lors dechaque nouveau rajout d'entité graphique (48).

Toutefois, on pourrait, théoriquement, rai-sonner à l'inverse et partir de notre connais-sance supposée de la structure d'un dispositifpariétal paléolithique pour l'identifier. Maisjusqu'à présent aucun schéma structural pro-posé n'a démontré sa fiabilité.

Il me paraît, qu'avant toute analyse, quelque soit le degré de structuration de l'art parié-tal paléolithique que l'on présuppose, il estnécessaire de transposer le dispositif "d'au-jourd'hui" à un dispositif paléolithique (ou plu-sieurs). Cette transposition doit être argumen-tée sur la base de critères nombreux, variés etindépendants les uns des autres, afin de vali-der au mieux cette identification en tant quepaléolithique. Ces critères doivent être autresque ceux qui président à l'identification du dis-positif "actuel" à savoir la localisation topogra-phique. Faute de quoi, on produit un raisonne-ment circulaire qui aboutit à une transpositionde fait interdisant toute validation.

Sur le Pendant, j'ai, à l'instar de bien d'au-tres, établi un lien entre la représentation fémi-nine et le bison ou homme/bison. J'ai argu-menté l'existence de ce lien à partir de la situa-tion graphique parallèle de certains tracés(pour le premier la cuisse, pour le second lapatte avant ou bras), mais surtout d'après ladestruction volontaire d'autres tracés. Ainsi, jepropose l'existence d'un dispositif pariétalvolontairement construit par les Aurignaciens.Pour aller au-delà, il est nécessaire d'utiliserd'autres critères pour caractériser des liens.

Un premier point consiste à préciser enquoi les entités graphiques inventoriées iciconcernent un espace clairement délimité dela grotte Chauvet, et en quoi ces limites pou-vaient avoir une réalité paléolithique. Cettequestion a été précédemment abordée enidentifiant, sur le plan de sa morphologie et desa situation topographique, la spécificité duPendant dans la grotte et dans la salle duFond. Ces caractères me paraissent suffisam-ment marqués pour l'isoler du reste de la salle,même si la décoration pariétale le jouxte ducôté droit comme du côté gauche. Le Pendant

Fig. 20 - L'ovibos de la salle du Crâne (clichéY. Le Guillou).

47 - C'est peu ou prou le schéma abordé par des théoriciens tels que A. Leroi-Gourhan ou G. Sauvet.48 - C'est le type de schéma revendiqué par des chercheurs tels que D. Vialou.

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a donc propension à être abordé en tantqu'ensemble autonome, à la fois dans sacomposition graphique et dans sa fonctionou son sens. Toutefois, cela n'interdit pasque tout ou partie du dispositif pariétal duPendant soit structurellement inséparablede tout ou partie de l'ornementation du restede la cavité.

Un second point consiste à identifier deséléments de cohérence interne au dispositifpariétal du Pendant.

Les chronologies relatives etabsolues

La chronologie relative entre lesdiverses entités graphiques est une desdonnées essentielles à maîtriser pour abor-der toute analyse du dispositif pariétal quisoit autre que l'inventaire linéaire et descrip-tif des tracés.

En termes de chronologie absolue à lagrotte Chauvet, une cinquantaine de dates14C (49) obtenues sur du charbon de boisindiquent une fréquentation aurignacienneet gravettienne. Les seules dates obtenuesdirectement sur des pigments pariétaux attri-buent ces derniers à lʼAurignacien. Malgrédes avis qui peuvent diverger entre nous surquelques points particuliers, aucun membrede lʼéquipe ne s'inscrit, fut-ce partiellement,dans les options extrêmes avancées parcertains collègues (50).

Dans le cadre d'un complexe considérésur la base des datations 14C comme auri-gnaco-gravettien, plusieurs articles (51)publiés par des membres de l'équipe ontabordé la question des chronologies rela-tives. Ils traitent cette question par le biaisde la lecture conjointe des superpositions,des états de surface des parois, des états deconservation des pigments. Ils tentent par-fois d'y rajouter quelques données théma-tiques ou stylistiques.

Aujourd'hui, nous nous orientons versun schéma qui propose :

- Une fréquentation gravettienne quin'aurait pas ou que très peu concerné lʼartpariétal. Son identification reposerait sur desdonnées stylistiques n'affectant que les che-vaux (52).

- Une phase aurignacienne "récente"(53) à laquelle appartient la masse desgrands panneaux ornés qui ont fait la noto-riété de la grotte. Toutes les dates directes(54) obtenues sur les pigments pariétauxappartiennent à cette phase.

- Une phase aurignacienne "ancienne".Elle est identifiée tant dans la Sacristie qu'àl'entrée du couloir des Mégacéros ou dans lasalle du Crâne.

- Une intense activité des ours qui s'estintercalée entre les deux phases aurigna-ciennes. Dans le même temps, des phéno-mènes de dégradation ou de mauvaiseconservation ont affecté les pigments auri-gnaciens et les états de surface de nom-breuses parois.

- Une phase aurignacienne à dominanterouge qui, en tout état de cause serait anté-rieure à la phase aurignacienne récente.

Sur le Pendant, la phase à dominanterouge n'est pas identifiée. Les deux autresphases aurignaciennes y sont représentées.

La phase ancienne n'y paraît conservéequ'à l'état résiduel. Elle est présente sur ladeuxième face du Pendant. Elle déborde surla troisième face et sur la première, auniveau des queues des félins. Elle est carac-térisée par la mauvaise conservation du pig-ment, la faible épaisseur de la matière pictu-rale, les impacts des ours qui l'affectent etpar quelques superpositions.

Sur la base des états de surface et deconservation, toutes les autres entités gra-phiques pourraient participer de la phaseaurignacienne récente, hormis peut-être lestracés blancs sous-jacents à l'ovibos et aumammouth de la quatrième face. D'autrescritères vont dans le sens de cette attributionchronologique.

L'ovibos de la salle du Crâne fait partie,me semble-t-il, de la phase aurignaciennerécente. Il est postérieur à tous les autrestracés et aux phénomènes de destructionnaturelle, anthropique et animale qui ontaffecté le panneau où il se trouve. La raretédes représentations de cette espèce, et lesfortes similitudes entre les deux ovibos de lagrotte, invitent à orienter l'attribution de l'ovi-bos du Pendant vers la même phase dedécoration.

Les similitudes repérées entre le dessindu bison ou homme/bison et celui du bisonde comparaison (fig. 13) sont suffisammentétroites pour proposer une attribution à lamême phase aurignacienne, à savoir laphase récente car le bison de comparaisony appartient probablement.

Dans la grotte Chauvet, sur quelquepanneau que ce soit, les dessins imbriquésles uns dans les autres me paraissent réfé-rer à la phase aurignacienne récente (55).Les deux félins de la première face duPendant pourraient donc y être associés.

La localisation du (ou des) mam-mouth(s) incisé(s) de la première face duPendant, jointe à la localisation des autresmammouths similaires de la salle du Fond,invite à considérer qu'ils sont postérieurs àl'essentiel de la décoration de cette salle. Ilssont tracés hors de portée de main, au-des-sus des autres dessins et sans les toucher.Je les considère donc comme postérieurs oucontemporains de la phase aurignaciennerécente.

Sur la première face du Pendant, lessuperpositions indiquent que le cheval estantérieur aux deux félins, et le félin supé-rieur est antérieur au félin intérieur. Par ail-leurs, les mammouths gravés sont certaine-ment postérieurs aux autres entités. Maisaucun lien chronologique n'est suffisammentserré pour indiquer une concordance d'in-tention dans le tracé de ces diverses entités.

Il en va différemment des troisième etquatrième faces du Pendant. En premier

49 - Valladas H. & al., 2005, p. 110.50 - Alcolea-Gonzalez J. et Balbin-Behrmann R., 2007 ; Züchner C., 2007. Parmi les arguments qu'ils avancent, ces chercheurs considèrentque les dates 14C ne seraient pas fiables pour cause de méthode et de pollutions ; que, même si les dates étaient fiables, les peinturesauraient été réalisées ultérieurement en utilisant des charbons plus anciens ; que le style des oeuvres n'est pas compatible avec les sché-mas chronologiques qu'ils utilisent. Ces constats leur permettent de réfuter toute prise en compte de la grotte Chauvet. Ce type de raisonne-ment pourrait permettre à tout un chacun de récuser tout intérêt archéologique à tout site orné qui ne lui conviendrait pas.51 - Baffier D. et Feruglio V., 2001 ; Le Guillou Y., 2001 ; Feruglio V. et Baffier D., 2005 ; Feruglio V. et Baffier D., 2007.52 - J'avais avancé cette hypothèse pour les dessins au doigt du fond de la galerie des Croisillons (Le Guillou Y. L'Art des Origines, p. 105)et pour une tête de cheval de la Sacristie (Le Guillou Y., 2001, p. 28). Mais la restriction thématique au seul cheval m'invite à rester trèsréservé sur ces tentatives d'attribution.53 - Lʼutilisation ici des termes de récent et ancien pour les phases de décoration de la grotte Chauvet nʼa rien à voir avec lʼacception destermes dʼAurignacien ancien et dʼAurignacien récent utilisés pour caractériser des phases plus générales des temps aurignaciens.54 - Valladas H. & al., 2005, p. 110.55 - Ce pourrait être le cas des chevaux du panneau des Chevaux, postérieurs (Tosello G. et Fritz C., 2004) aux rhinocéros datés, ou despremiers félins du panneau central de la salle du Fond, superposés aux ponctuations de la phase rouge, ou du panneau des Quatre lionsdont un des dessins au vu du traitement du détail de la tête est probablement du même auteur qu'un félin du panneau des Chevaux attribuéà la phase récente.

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lieu, se pose la question de savoir si le des-sin des jambes de la femme est directementen phase chronologique avec celui du trian-gle pubien. C'est probable car les jambes dela femme s'inscrivent dans la forme naturelledu Pendant, et donc font partie de l'imageque l'artiste a projetée sur le Pendant avantde la matérialiser avec son pigment noir.

Du plus ancien au plus récent, les super-positions des entités graphiques invitent à lachronologie suivante : triangle pubien -> bisonou homme bison -> félin (le plus grand desdeux) -> mammouth. Ces trois derniers des-sins sont tournés vers la gauche et se succè-dent à la fois dans l'espace orné et dans letemps de réalisation. Cet ensemble de 3 à 5entités graphiques (selon qu'y soit ou non inté-gré le petit félin) offre un référentiel un peu res-treint pour en tirer des conclusions. On pourraitenvisager d'y intégrer l'ovibos. Il est situé dansle strict prolongement du mammouth, tant surle plan topographique qu'altimétrique. Il pour-rait ainsi être perçu comme succédant chrono-logiquement à ce dernier, et clôturant ainsi unefrise, tant dans l'espace que dans le temps deréalisation.

Nous serions donc en présence d'unechronologie latéralisée et orientée. Elle inviteainsi à entrevoir une démarche présentant unecomposante linéaire (fig. 15). Elle irait d'unesource qu'est la représentation féminine vuede face, voire la forme naturelle de l'excrois-sance du Pendant, jusqu'à l'ovibos, seul ani-mal de cette face du Pendant présentant unarrière-train.

La conservation des tracés

Pour identifier un dispositif paléolithique, ilest nécessaire d'appréhender le rapport exis-tant entre ce qui a été représenté sur les paroiset ce qui nous avons déchiffré, à savoir ce quis'est conservé.

On a vu que l'action des ours et probable-ment celle de phénomènes naturels avaientfortement abîmé une partie du Pendant cen-trée sur la deuxième face. Ces dégradationsont affecté la phase aurignacienne anciennede l'ornementation.

Parallèlement, dans la partie basse de latroisième face, à hauteur des genoux, molletset chevilles de la femme, des migrations gravi-taires ont affecté le pigment, probablementsuite à des concentrations plus fortes de ruis-sellements d'eau. Il est peu probable que cesdégradations naturelles aient détruit les tracésau point de faire disparaître des entités gra-phiques, mais elles ont interdit des lecturesdétaillées. Cette dégradation a aussi affecté laphase aurignacienne récente.

On peut globalement considérer que lestracés de la phase aurignacienne anciennesont presque totalement détruits et en tout étatde cause illisibles. Par contre, les oeuvres de

la phase aurignacienne récente sont à peuprès intégralement conservées.

La morphologie

La morphologie du Pendant n'a guère ten-dance à lui attribuer une unité. La premièreface est faite de grandes concavités. Lesdeuxième troisième faces sont bombées ettriangulaires. La quatrième face a l'apparenced'un bandeau ascendant, terminé par uneconcavité. Lors du dessin, les contraintes etintégrations des volumes y sont, de proche enproche, très différentes. Ces différences et rup-tures pourraient inciter à chercher une cohé-rence dans la division du Pendant en quatrefaces distinctes. Elles orientent ainsi vers unelecture de quatre dispositifs autonomes.Toutefois, les tracés pariétaux débordent plu-sieurs fois d'une face sur l'autre. Pas de façonsuffisante toutefois pour établir de lien, saufpeut-être dans entre le grand félin et le bisonou homme/bison.

Le champ visuel

Le champ visuel de l'artiste, ainsi que celuidu spectateur, peuvent fournir des indicationsinvitant à lier entre elles certaines entités gra-phiques et à en éloigner d'autres. Il est impos-sible d'englober dans un seul regard la totalitédes œuvres du Pendant

Il est nécessaire de marcher autour duPendant pour y voir (lire) la totalité des oeu-vres. Le découpage induit par le champvisuel s'impose de façon encore plus forteque celui lié à la morphologie du Pendant. Ilest tout juste possible de regrouper entreelles deux faces contiguës. Jamais troisfaces ne peuvent être associées dans un

même regard. Les vues globales depuis lasalle du Fond (fig. 15, 21, 22) intègrent diffi-cilement plus d'une face du Pendant.

Les scènes naturalistes

Hormis l'hypothèse qui consiste, dans lecas des lignes de dos de félins de la pre-mière face, à lire deux animaux cheminantcôte à côte, il n'y a aucune autre relationréaliste figurative sur le Pendant.

Les constructions esthétiques

Un autre type de lien, plus délicat à inter-préter car il nʼest pas forcément porteurdʼune dimension sémantique, est celui quiassocie plusieurs dessins dans une forte etindiscutable recherche esthétique.Symétries, effets miroirs, répétitions, aligne-ments, rythmes, rien n'apparaît clairementdans l'association graphique entre entitésgraphiques. Les seules symétries patentessont internes au dessin de la femme. Lesassociations esthétiques fortes, et presquesystématiques sur le Pendant concernentl'intégration des dessins dans des volumeset formes naturelles. Le cheval est logédans l'intérieur d'une conque dont il suit lescontours. Il en va de même des deux lignesde dos de félin (fig. 6). La femme s'intègreentièrement dans le bombement du relief. Le"défilé" d'animaux suit et couvre le bandeauqu'est la quatrième face du Pendant.

Le style

La diversité du bestiaire concerné rendpresque impossible toute comparaison interne

Fig. 21 - Vue permettant d'entrevoir à la fois la face nord et la seconde face du Pendant(cliché F. Maksud).

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au Pendant. Ni les mammouths, qui sontdeux ou trois, ni les félins, qui sont trois ouquatre, ne présentent de caractéristique sty-listique suffisamment étroite pour les lierentre eux. Seuls deux animaux sont com-plets : le mammouth gravé de la premièreface et l'ovibos. Les fesses, les pattesarrière et la partie arrière du ventre sontabsents chez tous les félins, le mammouthnoir et le bison.

Tout élément de style suffisammentétroit pour permettre, au-delà d'une attribu-tion chrono-géographique, d'identifier unauteur, est absent du Pendant.

Les techniques

Les vestiges de tracés noirs rattachés àla phase aurignacienne ancienne sont tropaltérés pour tenter une identification de tech-

nique ou d'outil. Aucune gravure ou incisionne paraît attribuée à cette phase.

L'estompe, étalement par frottement dematière pigmentée préalablement déposée,n'est vraiment présente que pour le remplis-sage de la tête du bison ou homme/bison.

La représentation féminine offre un tracéplus large que celui des autres entitésnoires. Le pigment y est plus dense, plusépais. Le tracé ne semble pas avoir incisé laparoi. Sur ce point, la femme ne paraît pasliée aux autres dessins.

Toutes les autres représentations figura-tives animales sont réalisées avec unemême technique. Un bâtonnet dont l'extré-mité est carbonisée a fortement marqué laparoi, l'incisant presque systématiquement.Il a déposé du pigment noir quand la pres-sion était suffisamment forte et quand suffi-

samment de charbon était conservé à sonextrémité. Les stigmates des tracés noirssont fréquemment prolongés d'une simpleincision de même largeur quand l'extrémitécarbonisée venait à faire défaut. Les fins detrait sont de même simplement incisées carla pression exercée sur le bâtonnet n'étaitplus suffisante pour en arracher de lamatière noire.

La technique consistant à épaissir letrait, ou à en amoindrir l'intensité, par frotte-ment probablement au doigt, n'est utiliséeque sur le cheval de la première face, ce quipourrait isoler ce dessin des autres. Lesdeux traits noirs qui recouvrent le trianglepubien sont d'une teinte et d'une texture par-ticulière. On a vu que les deux mammouthsde la première face sont d'une incision finetout à fait spécifique. Les quelques incisionsfines et fermes rajoutées sur certains des-sins sont peut-être à dissocier.

Les dessins abandonnés

Il est rare, dans l'art pariétal paléoli-thique, d'émettre l'hypothèse d'être en pré-sence d'un dessin entamé puis abandonnéet ainsi écarté de tout dispositif éventuel. Il ya quelques exemples à la grotte Chauvet, telun cervidé fermement effacé en haut àgauche du panneau des Rennes (56).

Sur le Pendant, le petit félin de la qua-trième face (fig. 16) pourrait relever de cetype de démarche. Le dessin est réduit àquelques tracés où le mufle est absent alorsqu'il caractérise tous les autres félins de lagrotte. L'abandon pourrait éventuellementêtre lié à un mauvais positionnement, ou àune possible erreur dans le tracé de lanuque de l'animal. Nous serions alors enprésence d'une entité graphique intégréedans notre lecture du dispositif alors qu'elleen aurait été exclue par l'auteur, à l'instar detout trait parasite sur lequel ni le regard nil'esprit ne s'arrêtent.

Les interruptions de tracés

Tout tracé interrompu afin d'éviter unesuperposition entre deux traits appartenantà des entités graphiques différentes est defait le témoin d'un lien volontairement établi.Quelques interruptions de divers types sontprésentes dans la grotte, telles cellesconcernant un félin en pointillé, sous-jacentà des chevaux du panneau des Chevaux.Mais rien de semblable n'est évident sur lePendant. Au contraire, des superpositionsde traits ont tendance à caractériser la conti-guïté entre entités graphiques.

Fig. 22 - Vue de la première face du Pendant, opposée à la face centrale(clichéY. Le Guillou).

56 - Fritz C. et Tosello G., 2007, croquis p. 398.

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Les destructions volontaires

Les destructions volontaires d'entitésgraphiques ou de graphèmes antérieure-ment tracés témoignent d'un lien, fut-il néga-tif. Ces destructions sont fréquentes dans lacavité (57). Elles sont liées à une nouvellephase de dessin et leur raison d'être estpeut-être esthétique et probablement tech-nique (préparation d'un état de paroi). Ellessont fréquemment peu soignées. Des frag-ments de dessins antérieurs apparaissentencore en périphérie des dessins ensuiteréalisés. Dans ces cas, lʼartiste sʼest désin-téressé de la question de lʼintégration ou dela non intégration des dessins préexistantsdans l'éventuel dispositif qu'il mettait enplace.

Des destructions volontaires sont pré-sentes sur le Pendant. Il ne semble pas queles traces blanches sous-jacentes auxfigures réalistes de la quatrième face puis-sent leur être assimilées. En revanche, on avu que des destructions multiples etdiverses étaient présentes dans le procheenvironnement de la femme et de l'hommeou homme/bison et qu'elles reliaient cesdeux entités graphiques. Les impacts diverset désordonnés qui ont affecté la deuxièmeface du Pendant ne s'apparentent pas à desdestructions volontaires.

L'examen des éléments apportés parces différentes observations ne génère pasde faisceau de données suffisamment clairpour identifier un dispositif pariétal paléoli-thique global concernant les quatre faces duPendant. Écarter les traces conservées dela phase aurignacienne ancienne ne suffitpas à modifier ce constat. Regrouper lesdessins du Pendant en un ensemble uniquene peut sʼenvisager que dans une perspec-tive exclusivement descriptive.

Un faisceau de données invite à regrou-per les entités graphiques des troisième etquatrième faces du Pendant dans ce quipourrait être perçu comme un dispositifpaléolithique. Cela pourrait indiquer que l'as-sociation de la femme et du bison ouhomme/bison ne pourrait être lue sans yintégrer certaines entités graphiques de laquatrième face du Pendant : le grand félin etle mammouth. L'intégration éventuelle dupetit félin est moins évidente, tout comme,pour d'autres raisons, celle de l'ovibos et dutrait noir situé au-delà.

Lectures et interprétations

Au sujet du Pendant, et surtout de sacomposition centrale, bien des choses ont étédites, et bien des rêves peuvent être écrits.Quel que soit le niveau de lecture, ils s'articu-lent autour de la femme, placée au coeur dela réflexion. Puis ils la lient à son contexte,contexte soit anthropisé (les dessins qui luisont proches ou plus lointains), soit naturelmais intégré par l'homme paléolithique (mor-phologies du Pendant ou de la grotte, situa-tion de l'oeuvre dans la grotte).

Sur ce dernier point, on a vu précédem-ment que la situation du Pendant au fond dela salle du Fond ne peut que retenir l'atten-tion. Celle de l'homme moderne à coup sûr ;et peut-être celle de l'homme paléolithique.Parallèlement, les autres représentations detriangles pubiens (58) de la grotte Chauvetsont situées dans la partie profonde duréseau orné, dans cette galerie qui inclut suc-cessivement la galerie des Mégacéros et lasalle du Fond. On peut choisir de les considé-rer comme réalisés à lʼentrée des diverticuleset galeries adjacents à l'axe principal.

La femme du Pendant et des autresreprésentations féminines montrent que lamorphologie générale de la grotte Chauvet etles morphologies locales des galeries sontsoit intégrées dans un dispositif pariétalpaléolithique, soit l'induisent. Localisés sur lePendant ou ailleurs dans la grotte, ces trian-gles pubiens occupent une position topogra-phique privilégiée, qu'il est possible, selonl'emplacement de notre regard, de considérercomme centrale ou périphérique. Il nʼy a pasdʼantagonisme entre ces deux situations :dans un dispositif pariétal, une position privi-légiée, peut-être structurante, nʼimplique paspour autant qu'elle soit centrale. Elle nʼinterditpas non plus lʼexistence dʼautres dispositifs,quʼils soient concomitants, ou chronologique-ment successifs, sans autre relation entre euxque le choix du lieu.

J'ai proposé l'identification d'un dispositifpariétal paléolithique. Il est intéressant denoter que sur le Pendant, les avant-trainsd'animaux emboîtés les uns dans les autresconcernent trois espèces différentes : bisonou homme/bison, félin, mammouth. C'est leseul cas dans toute la grotte Chauvet. Cettesélection de trois thèmes est peut-être por-teuse de sens. Associés à la femme, cesavant-trains ouvrent sur plusieurs schémas

interprétatifs. Ils semblent présenter un panellisté et ordonné d'animaux (?) émergeant à lafois de la paroi et de la femme/trianglepubien. La latéralisation des animaux, et doncla succession graphique et chronologiqueallant de la femme au mammouth, et peut-être à l'ovibos, pourraient ainsi avoir un sens,non pas en tant que profil gauche ou droit,mais en tant qu'indicateur d'un sens de lec-ture. Il ne s'agit en aucun cas d'extrapolercette linéarité très restreinte et exceptionnellequi n'est peut-être que conjoncturelle, fruit dela rencontre entre un lieu, une forme naturelleet une vision graphique. L'art pariétal de lagrotte Chauvet et l'art paléolithique dans sonensemble n'ont pas propension à s'inscriredans des perceptions aussi simplistes de l'es-pace et du temps que celles qui induisent des"écritures" chrono-linéaires.

Parce qu'à la base du Pendant, peut-êtreà l'origine d'une décoration, parmi les plusanciennes connues dans l'histoire de l'huma-nité, se trouve une femme nue, il est alorsbien évidemment aisé d'y laisser courir sonimagination ou d'y puiser ses convictions.Certains ont pu y voir l'expression de fan-tasmes, liés à la nudité, au refoulement ou àl'œdipe. Cela me paraît peu probable car sic'était le cas il s'agirait de démarches d'unindividu référant à lui-même. La thématiquede l'art paléolithique ne réfère pas à l'intime.Elle a une pérennité publique de 25 000 ans.Elle est sélectionnée, gérée, habillée par lacollectivité. Si des actes individuels qui relè-vent d'une sexualité refoulée devaient s'yexprimer, et il est possible que ce soit le cas,il faudrait les chercher ailleurs que dans lathématique. Certains y ont recherché l'imaged'une place sociale de la femme, image soitpositive, soit négative, selon l'interprétation.D'autres y ont vu l'expression de rites, liés àla chasse, à la pluie ou à la fécondité.D'autres encore y ont vu l'expression demythes liés à certaines créations ou genèses.

Malgré la forte symbolique qui semblel'occuper, avec cette femme à la fois majes-tueuse, schématisée et hypertrophiée, etavec ces avant-trains d'animaux emboîtés lesuns dans les autres, le Pendant, à l'instar dela grotte Chauvet, nous offre, avec des des-sins tels le cheval, des oeuvres qui sont cellesdu plaisir et de la passion des formes et dubeau.

57 - L'Art des Origines, 2001 : Fritz C. & Tosello G., p. 112 ; Baffier D. & Feruglio V., p. 118.58 - Le Guillou Y.. L'Art des Origines, 2001, p. 167.

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