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Mélanie Gomez MUE URBAINE École Boulle Paris, 2016

MUE URBAINE

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Mélanie Gomez

MUE URBAINE

école BoulleParis, 2016

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DSAA Territoires Habitésécole BoulleParis, 2016

Mélanie Gomez

Mue urbaine

Mémoire dirigé parArlette Cailleau et Valérie de Calignon

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Sommaire

PRéfAcE 9

DIAGNOSTIC Bilan de santé des centres-villes 15

Le commerce : un organe urbain vital 17

Les nouveaux « centres » : symptômes de la dévitalisation ? 23

Les Trois-Soleils : une cellule lésée 31

Les Trois-Soleils : une cellule à réparer 37

PRESCRIPTION(S)Les outils de la revitalisation 47

La mobilité : un remède contre la dévitalisation 49

La mixité fonctionnelle : mode opératoire 55

La réhabilitation : opération essentielle du processus de revitalisation 63

POSTfAcE 71

ANNEXES 73

BIBLIOGRAPHIE 93

REMERcIEMENTS 99

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PRéfAcE

Historiquement, le commerce est une fonction qui compose l’urbanisme dans son sens spatial, c’est-à-dire une fonction qui participe à la transformation du tissu urbain et qui est créatrice de nouvelles morphologies urbaines. Dire que le commerce transforme le tissu urbain c’est mettre en évidence sa capacité de faire la ville ou de la défaire. Dans les années 60, sous l’effet conjugué des transformations de l’appareil commercial, de la société de consommation et de la mobilité des consommateurs, le commerce de centre-ville, jusqu’alors acteur principal de « centralité » urbaine, tend à s’affaiblir. Si le phénomène d’étalement urbain, dont le développement du commerce périphérique est un facteur de premier plan, fait décliner l’attractivité des centres-villes, c’est parce qu’il fonde le paradoxe de l’apparition de « centralités » hors des « centres » anciens. La redistribution de certaines fonctions urbaines hors des « centres » historiques met fin à la structuration monocentrique des villes. La « centralité » devient alors moins géographique que fonctionnelle. Dans le milieu des années 70, les activités polarisantes (comme le commerce) opèrent un mouvement de retour vers les centres-villes afin de pallier leur dévitalisation. Les centres commerciaux s’implantent dans les « centres » anciens et adaptent leur offre et leur format au mode de commerce du centre-ville sans parvenir, toutefois, à freiner l’expansion commerciale périphérique. Depuis une dizaine d’années l’urbanisme durable interroge la viabilité des mégastructures commerciales périurbaines, zones de « centralité » excentrées. Afin de modérer la dispersion des éléments de centralité, la tendance est donc au retour du commerce de proximité intra-urbain. Toutefois, le foncier disponible étant rare, cet actuel renouveau de l’urbanisme commercial implique la nécessaire réhabilitation d’un parc commercial existant mais vieillissant. Aujourd’hui, les premières unités commerciales de centre-ville – implantées il y a plus de quarante ans – constituent des « centres » géographiques mais ne participent pas à la

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reconstruction de la « centralité » des cœurs de ville. Ces anciens ensembles commerciaux, pour certains désaffectés, perpétuent le dysfonctionnement des quartiers centraux et menacent leur vitalité fragile. Partant du potentiel urbain que représentent ces lieux désaffectés, on pourrait s’interroger sur leur capacité à être partie prenante d’une redynamisation de quartier.

Je m’interrogerai, dans ce mémoire, sur le rôle et la place d’un de ces lieux singuliers, central sans être acteur de centralité : l’équipement mixte (commerces et bureaux) des Trois-Soleils, à Rennes. Cet équipement souffre, avant tout, de désaffection commerciale. Par conséquent, pour pérenniser le retour de la « centralité » en centre-ville rennais, il faut soigner cette lésion du tissu urbain. Il convient d’établir en amont un diagnostic des atouts et des faiblesses de l’appareil commercial. Puisque la ville peut être pensée comme un organisme vivant, dont le centre-ville est son cœur, les voies de circulation un réseau d’artères et les espaces verts des poumons, ce diagnostic devra permettre d’établir en quoi le commerce se révèle être un organe urbain vital. Il faudra aussi considérer les différents paramètres qui font la vitalité d’un quartier et vérifier qu’ils existent, ou peuvent potentiellement exister, dans le secteur des Trois-Soleils. Avant d’engager le diagnostic proprement dit et d’envisager des prescriptions à suivre, je clarifierai le paradoxe fondé par l’étalement urbain. Je veux parler de l’opposition des « centres » géographiques et des « centres » fonctionnels. Par ailleurs, si retracer l’historique de la sédentarisation du commerce et de l’évolution de la société de consommation s’avère nécessaire pour analyser la situation actuelle et construire cet essai, il ne s’agira pas d’en faire un exposé exhaustif, mais plutôt d’évoquer succinctement les phases significatives de ces transformations successives afin d’interroger « ce qui fabrique la ville ». Enfin, ce diagnostic débouchera sur des prescriptions concrètes visant la redynamisation des Trois-Soleils.

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DIAGNOSTIC Bilan de santé des centres-villes

diagnostic n.m. : Art d’identifier une maladie d’après ses signes, ses symptômes.

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Le commerce : un organe urbain vital

Concentrer, v. t. : réunir en un centre

Qu’est-ce qu’un « centre » ? Le centre est d’abord un concept géométrique et physique. Les figures géométriques planes simples (cercles et polygones réguliers dont tous les côtés ont la même longueur et les angles la même mesure) possèdent toutes un centre qui se définit selon des rapports de distance. Le centre d’un cercle est le point intérieur équidistant à tous les points qui constituent le contour du cercle. Le centre d’un polygone régulier est le point intérieur équidistant à tous les sommets du polygone.

La définition mathématique usuelle fait donc du centre un point équidistant des extrémités d’une ligne, des sommets d’une figure plane ou d’un solide, en somme le « point par rapport auquel tout point de la figure a un point symétrique » : le milieu. En ce sens, qui est le plus courant, le concept de centre est réduit au caractère d’équidistance alors qu’en physique, le centre est interdépendant du concept de gravité – phénomène d’attraction des corps les uns envers les autres – c’est précisément pourquoi cette définition m’intéresse davantage. Le centre de gravité est défini comme le « point d’application de la résultante des forces de pesanteur s’exerçant sur tous les points d’un corps », soit le « point où le corps se tient en équilibre » et par extension – au sens figuré – le centre de gravité est un « point, [un] lieu particulièrement important, vital ».

Nos villes occidentales s’organisent en cercles concentriques autour d’un centre ancien, le « centre de [ces] villes est toujours plein : lieu marqué, c’est en lui que se rassemblent et se condensent les valeurs de la civilisation : la spiritualité (avec les églises), le pouvoir (avec les bureaux), l’argent (avec les banques), la marchandise (avec les grands magasins), la parole (avec les agoras : cafés et promenades) » 1. Le centre, a

1. Roland Barthes, L’empire des signes, Seuil, Paris, 1970, pp.47-49.

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priori simple repère spatial, devient alors un espace signifiant dans l’esprit du citadin. Le plan concentrique, qui traduit la croissance historique des villes occidentales, s’oppose à celui des « villes quadrangulaires » qui « blessent en nous [occidentaux] un sentiment cénesthésique de la ville qui exige que tout espace urbain ait un centre où aller, d’où revenir, un lieu complet dont rêver et par rapport à quoi se diriger ou se retirer, en un mot s’inventer » 2. À partir de ces remarques, je vais interroger la relation qu’entretiennent les villes concentriques et le commerce puisqu’il s’agit d’une activité fondamentale de la ville.

Les échanges marchands produisent des situations de rassemblement urbain et les villes se sont développées proportionnellement à l’intensité des trafics de leurs activités commerçantes. Le commerce, activité restée longtemps nomade, s’est peu à peu sédentarisé afin de capter les f lux de chalands et il accompagne le développement urbain à travers l’édification des lieux du commerce. Dès lors, quelles ont été les conséquences de la sédentarisation du commerce sur la ville ?

Au début du XIXe siècle, le passage couvert est le premier espace à sédentariser le commerce. Il se développe en centre-ville, où se concentrent les populations, essentiellement à Paris et dans quelques villes de taille moyenne, et « innove tant au niveau de sa forme architecturale que de son rôle social » 3. Il y a une poésie du passage, il est « le lieu de l’éphémère comme son nom l’indique » 4, un lieu propice à la f lânerie, j’y reviendrai. Le passage a la particularité de réunir plusieurs fonctions. Tout d’abord, en tant que raccourci couvert qui traverse les îlots urbanistiques, il ménage des espaces de promenade entièrement dédiés aux piétons et transforme les cheminements dans la ville.

2. Ibid., p.47.3. Carol Maillard, 25 centres commerciaux, Le Moniteur, Paris, 2007, p.10.4. Karlheinz Stierle, La capital des signes, Paris et son discours, Éditions de la maison des sciences de l’homme, Paris, 2001 [1993], p.14.

La Galerie de bois du Palais-Royal, construite en 1786, est composée

de deux galeries bordées de quatre rangées de

boutiques, qui en font l’ancêtre des passages

couverts. En 1829, elle est remplacée par

la galerie d’Orléans, construite en pierre.

Palais-Royal, Paris.Photo de Eugène Atget,

vers 1900. Musée Carnavalet.

Source : http://www.parisenimages.fr/fr/galerie-

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20 21

« Les passages sont une forme paisible de la foule. Elle s’y possède mieux, elle s’y allonge ; elle s’y réchauffe en se frottant aux parois. L’allure des piétons ne se recourbe pas plus humblement, comme le lierre des chênes sur la file des voitures. Ils ne pataugent plus dans la boue, ni dans les forces. Le passage les abrite et les enveloppe d’une douceur presque domestique. » 5

Ensuite, systématiquement bordé de boutiques en pied d’immeuble, le passage est le premier espace qui intègre le commerce à une culture de consommation. Mais s’il constitue déjà une innovation dans la façon de commercer,il n’en reste pas moins que la création des grands magasins, dans la seconde moitié du XIXe siècle, poursuit la révolution commerciale. Ceux-ci se distinguent des passages par leur taille – des milliers de mètres carrés de surface commerciale organisés en rayonnages – et par l’instauration de nouvelles pratiques commerciales – prix fixe, marchéage et production de masse. C’est ce que Gilles Lipovetsky, philosophe-sociologue français, auteur d’essais sur les l’hypermodernité et la société de consommation, nomme la « phase 1 du capitalisme de consommation » 6. Dès lors, l’évolution des échanges marchands et de l’architecture commerciale et la mutation de la société de consommation sont interdépendantes. Les méthodes commerciales, instaurées par les grands magasins au XIXe siècle, s’affirment avec l’apparition, dans les années 50 aux états-Unis, d’un nouveau modèle d’urbanisme commercial : le centre commercial. Dix ans plus tard, les centres commerciaux s’importent en France et se multiplient en dehors du schéma traditionnel du paysage urbain de nos villes, en marge.

5. Jules Romains, Puissances de Paris, Eugène Figuière & Cie, Paris, 1911.6. Gilles Lipovetsky, « Formes urbaines – Regards économiques », conférence prononcée au séminaire de réflexion des élus de Rennes, 2 avril 2010 , consultée sur http://www.audiar.org/scot/seminaires-de-reflexion-des-elus le 27 mars 2015.

Invention parisienne, les premiers passages

couverts furent édifiés à la fin du XVIIIe

siècle. Premiers lieux à sédentariser le

commerce, les passages ont connus un essor particulier jusqu’au

milieu du XIXe siècle. Ce sont des lieux de rencontre et d’achats

qui ont connus une désaffection avec la création des grands magasins et qui ont

été détruits, en grande partie, lors des grands travaux d’Haussmann.

Passage de Choiseul, Paris. Photo de Eugène Atget,

vers 1907. Musée Carnavalet.

Source : http://www.parisenimages.fr/fr/galerie-

collections

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Les nouveaux « centres » : symptômes de dévitalisation

Excentrer, v. t. : déplacer le centre

Puisque le commerce favorise les échanges sociaux, il a contribué à la sédentarisation des populations autour d’un centre mais il a aussi, paradoxalement, contribué à l’apparition des premiers noyaux urbains hors-centre, j’y reviendrai. Toutefois, à la question de savoir si la centralité dépend de l’attractivité de l’appareil commercial ou si, à l’inverse, la centralité est à l’origine de l’attractivité de l’activité commerciale j’apporterais, dès à présent, une réponse nuancée : la centralité est la combinaison d’activités socio-économiques, culturelles et politiques polarisantes où la fonction commerciale tient un rôle prépondérant mais l’intensité de l’activité commerciale dépend du choix d’implantation des activités dans le tissu urbain. Une dépendance réciproque et équitable unit donc la centralité à l’activité commerciale.

Si « la notion de centre est géométrique et recouvre dans sa définition une volonté de structurer et d’organiser l’espace » 7 c’est aussi, selon la définition des sciences régionales (ou urbanistiques), « le point où convergent des actions diverses et où se produit un grand mouvement » 8. Le centre est, de ce point de vue, un lieu de concentration de population et d’activités économiques et/ou culturelles et ne peut donc être identifié par le seul critère de distance. La définition géométrique détermine un centre unique, auquel s’opposent de façon complémentaire les périphéries, tandis que la définition des sciences régionales identifie des centres qui peuvent être situés à la périphérie. Cette seconde définition recouvre à la fois les acceptions géométriques et physiques du concept de centre qui suggèrent respectivement une position privilégiée a priori et

7. Arnaud Gasnier, « Centralité urbaine et recompositions spatiales : l’exemple du Mans », in Norois, vol. 151, 1991, p.269.8. Ibid., p.269.

Aristide Boucicaut, fils de chapelier, était en 1848 vendeur de

châles dans le magasin Au Bon Marché.

Dès 1852, il devient associé du magasin et

amorce un changement des méthodes

commerciales. Il rompt avec la logique

marchande de l’époque (à savoir vendre au prix

le plus élevé possible) ce qui effraie ces associés.

Les frères Videau, vendent leur part à

Aristide Boucicaut, qui devient ainsi, en 1863,

l’unique propriétaire du Bon Marché.

Les magasins du Bon Marché, Paris. Vers 1875.

Source : http://www.parisenimages.fr/fr/galerie-

collections

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un lieu qui concentre des activités polarisantes qui structurent l’espace et captent les f lux de population. Ainsi, « l’oxymore, figure rhétorique consistant à rapprocher deux mots de sens opposé pour les rendre plus expressifs, ne joue plus son rôle lorsqu’il est question de « centres périphériques » » 9 et la notion de « centralité » ne dépend plus alors d’un élément qui est au centre mais « du pouvoir d’attraction ou de diffusion » 10 d’un élément.

Si le commerce est une fonction qui « fait » la ville et compose l’urbanisme dans son sens spatial – c’est-à-dire qu’il participe à la transformation du tissu urbain et crée de nouvelles morphologies urbaines – l’émergence, dans les années 60, de nouvelles stratégies d’implantation commerciale, qui répondent aux besoins d’une nouvelle société de consommation, « défait » la ville. Après les privations de la Seconde Guerre mondiale, on entre – selon les termes de Gilles Lipovetsky – dans la phase 2 du capitalisme de consommation : « c’est le moment où [...] les ménages vont s’équiper et où les objets emblématiques de la consommation de masse vont se répandre.  [...]  Là où en même temps que se développent les objets-phares de la consommation, va se diffuser une nouvelle culture, la culture hédonistique. » 11 Le modèle de localisation périphérique du commerce, synthèse du centre commercial nord-américain et des innovations nationales, qui apparaît dans les années 60 répond à cette transformation de la société de consommation dite de « masse ». La consommation devient un moyen de différenciation et non plus d’unique satisfaction

9. Jacques Levy et Michel Lussault, ouvrage collectif sous la direction de, Logiques de l’espace, esprit des lieux, Géographies à Cerisy, Belin, Paris, 2000, p.169.10. Françoise Choay et Pierre Merlin, Dictionnaire de l’urbanisme et de l’aménagement, PUF, Paris, 1988, p.118.11. Gilles Lipovetsky, « Formes urbaines – Regards économiques », conférence prononcée au séminaire de réflexion des élus de Rennes, 2 avril 2010, consultée sur http://www.audiar.org/scot/seminaires-de-reflexion-des-elus le 27 mars 2015.

Le centre commercial est un concept nord-

américain qui fait son apparition au début des

années 50. Ce modèle s’est matérialisé sous

deux formes de zones commerciales : le retail park, où s’accumulent

et s’alignent des magasins indépendants

autour d’un parc de stationnement, ou le mall, immense espace marchand clos. Localisés en

périphérie des villes, ces centres commerciaux

participent à l’essor de la société de

consommation de masse.

Centre commercial Southdale. Edina, Minnesota, 1956.

Source : http://www.flickr.com

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et se caractérise par l’abondance. « Logique d’excès » 12 chez Lipovetsky ou bien « évidence du surplus » 13 chez Baudrillard, ces termes connotent un certain jugement critique sur la société de consommation de masse. En 1970, Baudrillard donne « une définition de la « consommation » comme consumation, c’est-à-dire comme gaspillage productif » 14. Or, l’architecture de cette seconde révolution commerciale est elle-même « consommatrice » d’espace, les implantations commerciales se mettent à cibler les zones étendues et peu denses où l’investissement immobilier se fait à moindre coût. En raison du manque de foncier dans les centres urbains, on construit des centres commerciaux excentrés. Ces surfaces commerciales non centrales – j’entends ici le rapport géométrique à l’organisation spatiale des villes – participent à l’étalement urbain alors que les choix historiques, en matière d’urbanisme commercial, concentraient la densité commerciale en centre-ville exclusivement.

La ville traditionnellement monocentrique devient alors polycentrique. Ce sont précisément ces phénomènes d’étalement urbain et de polycentrisme qui ont conduit au déclin urbanistique, social et économique des centres-villes et transformé le tissu urbain à la fin du siècle dernier. C’est pourquoi « l’urbanisme durable interroge la viabilité des mégastructures commerciales autonomes, isolées au milieu d’immenses parkings, génératrices de trafic automobile et repliées sur elles-mêmes pour repenser l’avenir des rues et des places commerçantes d’une ville à reconstruire vers l’intérieur » 15.

12. .Ibid.13. Jean Baudrillard, La société de consommation, Denoël, Paris, 1970. p.19.14. Ibid., p.50.15. Marta Alonso-Provencio et Antonio Da Cunha, « Qualification de l’espace public, commerce et urbanisme durable : notes sur le cas lausannois », in Revue Géographique de l’Est, vol. 53, septembre 2013, publié le 05 juillet 2014, consulté le 18 octobre 2015.

Les centres commerciaux Cap 3000,

près de Nice, et Parly 2, près de Versailles

sont inaugurés respectivement le 21 octobre et le 4

novembre 1969. Ils s’inspirent du modèle

américain et constituent les premiers centres

commerciaux régionaux français et européens.

Centre commercial Cap 3000, chantier de construction. Saint

Laurent du Var, 1969.Source : http://archives.

nicematin.com/

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« Une loi de l’avenir de la ville sera la polycentralité, la multiplication des centres, leur diversification, mais la conservation de l’idée de Centre. Il n’y a pas d’urbanité sans centre » 16, écrivait Henri Lefebvre, philosophe-sociologue et géographe français, en 1986. Or, comme le dit Jean-Christophe Bailly, docteur en philosophie et professeur à l’école nationale supérieure de la nature et du paysage de Blois, « les métropoles n’ont plus de « centre », n’ont rien qui puisse vraiement être appelé ainsi » 17. Prenant l’exemple de Paris pour attester du bien fondé de cette assertion, il montre que « son développement en cercles concentriques autour du noyau d’une île primitive » la destinait à garder un centre de cette nature. Mais la dynamique même de ces cercles, ainsi que l’entrecroisement complexe d’un réseau ancien, labyrinthique, et d’un second réseau fait de grands axes rectilignes qui le recouvre, ont produit une dissémination active, de telle sorte qu’« à la stricte opposition centre/périphérie, Paris intra-muros réplique par une une fine articulation de points de condensation et de zones repliées, quitte à repousser au lointain la situation périphérique et à se composer comme un tout, comme une sorte de pelote de centres » 18. Autant dire que les villes qui atteignent de grandes dimensions, les métropoles, sont en rupture avec le système d’organisation spatiale fondé sur l’opposition centre/périphérie et se caractérisent par leur polycentrisme. Le polycentrisme permet une répartition des centres d’activités et un développement territorial équilibré. À Rennes, le concept de la « ville archipel » implique précisément une vision polycentrique du développement de la métropole. Afin d’équilibrer le développement de son territoire, la ville a dû, dès la fin des années 60, repenser son centre pour pallier une dévitalisation certaine.

16. Henri Lefebvre, « Hors du centre, point de salut ? », in Espaces Temps, n°33, 1986, p.19.17. Jean-Christophe Bailly, La ville à l’œuvre, Les éditions de l’imprimeur, Paris, 2001, p.45. 18. Ibid., p.45.

Dès les années 60, Louis Arretche étudie

le « dessin » du futur quartier du Colombier.

Le projet combine, à l’origine, trois tours

de logements plantées au milieu d’une

dalle piétonne, petits immeubles de bureaux,

magasins et parkings sous-terrain. Si le

projet initial prévoyait la construction de trois

immeubles de grande hauteur, seul la tour de

l’éperon fut finalement construite en 1975.

Colombier, maquette du projet, vers 1975.

Vue aérienne, 1983.Source : archives de Rennes

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Les Trois-Soleils : une cellule lésée

Recentrer, v. t. : ramener de la périphérie vers le centre

À partir de la fin des années 60, les grandes villes françaises engagent de grandes opérations de rénovation urbaine qui répondent avant tout à un besoin de salubrité. La démolition d’anciens îlots insalubres permet la reconstruction des quartiers anciens des centres historiques, que les collectivités locales souhaitent revitaliser, et l’adaptation du tissu urbain à la circulation automobile, la production automobile étant en plein essor. Puisque ces rénovations impliquent de démolir pour pouvoir reconstruire, les urbanistes repensent alors la relation entre la ville et le commerce et les programmes multifonctionnels rassemblant une grande diversité d’équipements publics et privés sont privilégiés. « La fonction commerciale se [voit] conférer un rôle de revitalisation et de restructuration de l’espace urbain » 19 et s’ouvrent alors, en centre-ville, de grands ensembles commerciaux.

À Rennes, l’opération de réaménagement du Grand Colombier – quartier du centre-ville rennais – s’est étendue de la fin des années 60 jusqu’aux années 80 et répond à ce schéma de reconstruction totale. Cette opération, dirigée par Louis Arretche, urbaniste conseil de la ville, couvre une surface d’environ vingt et un hectares opérationnels et doit donc permettre à la ville d’assainir le quartier tout en faisant de ce secteur un centre régional moderne et attractif. C’est pourquoi la fonction résidentielle cède le pas aux autres fonctions : les fonctions commerciales, administratives et culturelles, qui permettent de fabriquer la ville à travers une diversité de populations et d’usages. En 1971, s’est ouvert – en marge de la ceinture rennaise – le centre Alma, troisième centre commercial à voir le jour en France, qui s’est rapidement inscrit comme une centralité régionale en Bretagne. Afin de

19. Mireille Bachelard, « Les centres commerciaux intégrés en centre-ville », in Bulletin de l’Association de géographes français, vol. 64 n°3, juin 1987, p. 272.

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faire de la place du centre-ville le premier pôle commercial de Rennes, sous l’impulsion des collectivités locales et des promoteurs spécialisés, la rénovation du Grand Colombier prévoit alors la construction de deux pôles commerciaux en centre-ville : un grand magasin à vente multiple et Colombia, un complexe commercial de grande envergure – avec plus de 20 000 m² dédiés aux surfaces de vente – accessible depuis la dalle du Colombier, forum piéton où prennent déjà place, en pied d’immeuble, commerces et restaurants. Pour des raisons économiques, le projet substitue à la formule du grand magasin la construction d’un centre mixte de bureaux et commerces : les Trois-Soleils. Si notoriété et qualité de l’offre commerciale justifient l’implantation d’un grand magasin, on est en droit de s’interroger sur les raisons qui ont conduit les acteurs de la rénovation urbaine à envisager, à la fin des années 70, la construction des Trois Soleils dans le même périmètre que Colombia qui devait être inauguré moins de dix ans plus tard.

Cette décision d’implanter des commerces aux Trois-Soleils a fait polémique dès le lancement des travaux. François Richard, journaliste à Ouest France affirme : « Ce n’est pas un mystère. Jusque là, les commerces se sont fait tirer l’oreille pour venir au Colombier. Des cellules sont encore vides sur les dalles. » La rénovation du quartier ne semble pas attirer les commerçants alors, « était-il opportun de créer un tel complexe ? » 20 s’enquiert le journaliste. Dans un second article, paru peu de temps avant l’inauguration du centre mixte, François Richard s’interroge sur la capacité de l’unité commerciale à « faire battre enfin le cœur de ce nouveau quartier » 21. Pendant dix années, parce qu’il constituait le seul pôle commercial du centre-ville et qu’il était situé sur le passage des intenses f lux de mobilités entre le centre historique et le quartier du Blosne au sud, le centre commercial des Trois-Soleils est parvenu

20. François Richard, « Les 3-Soleils au Colombier », in Ouest France, 9 octobre 1976.21. François Richard, « Les Trois Soleils, ouverture le 6 septembre », in Ouest France, 10 août 1978.

La transformation de l’esplanade Charles

De Gaulle, confiée à l’architecte Nicolas

Michelin, constitue la principale mutation urbaine du centre-

ville de Rennes de la décennie. Les projets

de construction et de rénovation des équipements qui

encadrent l’esplanade parachèvent la

transformation de ce qui était un vaste

parking en une place culturelle majeure de

la ville.

Esplanade Charles de Gaulle. Rennes, 2004, 2006 et 2010.

Source : http://www.pss-archi.eu/

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à relever le défi d’attirer le chaland. Mais, aujourd’hui, le site des Trois-Soleils est considéré comme vieillissant, tant du point de vue du bâti, des aménagements internes que de son offre commerciale, par les principaux acteurs de la ville qui souhaitent sa revitalisation. La désaffection du site – où désaffection est à entendre à la fois au sens fonctionnel et au sens de perte d’affection – se confirme d’ailleurs auprès des Rennais.

Le centre commercial des Trois-Soleils totalise trente sept locaux commerciaux (dont trois vides) équivalents à 9 350 m² de surfaces de vente. Ainsi, répond-il à la définition du CNCC – conseil national des centres commerciaux – qui précise qu’un centre commercial se définit comme « un ensemble d’au moins vingt magasins et services totalisant une surface utile minimale de 5 000 m² ». Toutefois, eu égard à sa composition : commerces en sous-sol, rez-de-chaussée et rez-de-dalle et trois étages de bureaux, n’oublions pas que l’immeuble des Trois-Soleils est un immeuble à usage mixte. D’ailleurs, si la désuétude fonctionnelle de l’activité commerciale est avérée, l’activité de bureau, quant à elle, fonctionne correctement. Afin de souligner ce fait, ne convient-il pas alors de dire que le site est « sous-affecté » – au plan fonctionnel – plutôt que désaffecté ? Au regard du bon fonctionnement de l’activité de bureau où « malgré un phénomène intensif de turn-over, le taux de vacation est faible » 22, la nouvelle programmation interrogera davantage le devenir de l’activité commerciale. Rennes est une des rares villes françaises à compter, aujourd’hui encore, son centre-ville comme premier pôle commercial de l’agglomération. La ville souhaite donc affirmer cette place du centre-ville dans l’armature commerciale. L’enjeu de conforter ce pôle commercial s’avère d’autant plus essentiel que le programme de la ZAC Eurorennes prévoit la création de 20 000 à 40 000 m²

22. POPSU 2, Rennes Rapport final : « Gares, pôles d’échanges et leurs quartiers », mai 2014, p.92.

de commerces. Ce développement considérable du parc commercial risque de « déséquilibrer une offre commerciale existante [déjà] fragilisée (centre commercial des Trois-Soleils notamment) » 23. Des travaux s’imposent afin de pallier les dysfonctionnements des Trois-Soleils et « faire peau neuve » permettra de renouveler l’image du bâtiment.

23. Ibid., p.67.

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Les Trois-Soleils : une cellule à réparer

En architecture, on utilise la métaphore de la peau depuis les années 90 pour désigner la façade, qui s’est dissociée de sa fonction porteuse pour devenir une membrane qui enveloppe librement le bâtiment. L’intérêt de cette métaphore, au plan sémantique, est de renvoyer – sans équivoque – à la peau humaine et à ses pores. La peau habille le bâtiment et crée son identité, comme la peau d’un corps. C’est une icône qui permet au bâtiment de s’inscrire dans son époque, de se démarquer ou de s’intégrer à l’environnement. Et c’est bien ce qu’il manque aux Trois-Soleils.

Tout d’abord, poreuse, elle assure le rapport entre un « dedans » et un « dehors », elle devient l’interface entre l’intérieur et l’extérieur du bâtiment. Elle peut alors refléter les activités du bâtiment en révélant à quels usages il est affecté. C’est le cas notamment de l’Institut néerlandais de l’image et du son, conçu par Willem Jan Neuteling et Michiel Riedjik et réalisé en 2006. En effet, la façade en verre, composée de milliers de plaques de verre, sur lesquelles sont imprimées en relief des images en couleur selectionnées parmi les archives de la télévision néerlandaise, en transmettant le bombardement quotidien des médias, indexe la fonction du bâtiment tout en exprimant la critique d’un monde saturé d’images. Cette double fonction de communication, à la fois informative et critique, s’inscrit directement et de manière manifeste sur la peau du bâtiment et devient intelligible pour les citadins. Ensuite, la peau peut exprimer la relation entre le bâtiment et son contexte, par exemple en reflétant le « dehors » pour mieux manifester son rapport avec lui. C’est le cas du nouveau MOCA, musée d’art contemporain de Cleveland, conçu par le studio FMA (Farshid Moussavi Architecture) et réalisé en 2012. Les architectes ont conçu un prisme dont les six faces latérales, couvertes de centaines de plaques en acier inoxydable noir, agissent comme un miroir et reflètent l’environnement

Institut néerlandais de l’image et du son, Willem Jan Neuteling et Michiel

Riedjik.Hilversum (Pays-Bas), 2006.

Source : http://www.neutelings-riedijk.com/index.

php?id=13,37,0,0,1,0

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naturel et construit alentour. Suivant les heures du jour et de la nuit, les saisons, le MOCA offre de nouvelles images de lui-même.

Enfin, le parti-pris esthétique, en donnant un nouveau visage à l’architecture, inscrit le bâtiment dans son époque et peut en faire l’emblème du renouveau d’un quartier, voire d’une ville comme l’a été, en son temps, le musée Guggenheim à Bilbao. Conçu par l’architecte américano-canadien Frank Gehry et achevé en 1997, le musée Guggenheim a permis de réactiver le tissu économique de l’ancien quartier portuaire en déclin qui portait encore les cicatrices de la crise industrielle de 1980 (décadence du système industriel, hauts indices de chômage, dégradation du tissu urbain,...). édifié dans la courbe du f leuve, le bâtiment joue avec les hétérogénéités du site. Il intègre dans sa composition le pont de la Save, lien entre la ville ancienne et ses quartiers périphériques. Par ailleurs, Gehry tire parti de la déclivité du terrain pour établir l’accès en contrebas, depuis une nouvelle place publique, encourageant ainsi les déplacements piétons entre le Musée Guggenheim et le Musée des beaux-arts, situé à quelques centaines de mètres. On voit bien en quoi la peau en titane du bâtiment, « vaisseau » amarré le long de la berge, lui donne son identité, comme elle peut aussi transformer l’identité, voire l’image, du quartier.

Bien entendu, la peau du bâtiment possède bien d’autres fonctions : fonction de protection face aux intempéries, capacité à recevoir lumière et chaleur à travers sa modularité, respiration, fonction structurelle, … Ce que nous retenons ici n’est qu’une esquisse de cette peau neuve qui pourrait transformer l’image du bâtiment tout en la projetant sur son environnement.

Kevin Lynch, architecte et urbaniste américain, en étudiant la perception (surtout visuelle) de la ville, a mis en évidence son importance. Il a posé, dans L’Image de la cité, le problème de la morphologie urbaine, en termes de signification. Par la mise en valeur de points signifiants, la lisibilité de l’espace

MOCA, Farshid Moussavi Architecture.

Cleveland (états-Unis), 2012.Source : http://www.

farshidmoussavi.com/node/3

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urbain devrait être plus intelligible et par conséquent, son organisation plus satisfaisante. Son concept d’« imagibilité » est lié à la lisibilité de l’espace, à la facilité avec laquelle nous reconnaissons les éléments d’un paysage, les décodons, les interprétons et les organisons en un schéma cohérent. L’« imagibilité », nous dit-il, c’est « la qualité grâce à laquelle [un objet physique] a de grandes chances de provoquer une forte image chez n’importe quel observateur » et « cela pourrait aussi s’appeler « lisibilité » ou « visibilité », pris dans un sens élargi de qualité des objets qui ont non seulement la possibilité d’être vus, mais aussi l’aptitude à se présenter au sens d’une manière aiguë et intense ».24 En d’autres termes, l’« imagibilité » repose sur la capacité d’un espace urbain à véhiculer une image forte à un observateur, à marquer la perception des usagers. L’idée directrice développée par Lynch est la suivante : l’image d’une ville se bâtit à partir d’un certain nombre de composantes types, d’éléments tangibles de la ville susceptibles de structurer la représentation mentale d’un observateur. Parmi ces éléments, je retiendrai « les points de repères » qui « se détachent sur le contexte comme uniques ou mémorables » et « deviennent plus faciles à identifier » 25. Ajoutons que, la « qualité de la forme » 26 et la « composition d’ensemble » 27 de ces éléments participent également à l’élaboration de l’image de la ville. Enfin, Lynch ajoute que « nous avons besoin d’un milieu qui ne soit pas seulement bien organisé mais aussi chargé de poésie et de symbolisme » 28. C’est cette dimension « symbolique et poétique » qui pourrait être développée, notamment à partir de la « peau » du bâtiment et de la promenade.

Puisque la structuration d’une image mentale chez l’observateur dépend d’un certain nombre d’éléments, le

24 . Kevin Lynch, L’image de la Cité, Dunod, Paris, 1969, p.9.25. Ibid., p.92.26 . Ibid., p.123.27 . Ibid., p.145.28 . Ibid., p.140.

Guggenheim, Franck Gehry.Bilbao (Esapagne),1997.

Source : http://www.farshidmoussavi.com/node/3

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concept de Lynch pourrait valoir pour un quartier, voire pour un bâtiment en tant qu’objet inscrit dans un système urbain, à condition de revoir l’échelle de ces éléments. Je voudrais montrer ici comment mobiliser le potentiel symbolique, urbain et architectural d’un lieu sous-affecté pour participer au dynamisme retrouvé du centre-ville rennais. Devenu un endroit remarquable et « bien soudé », le quartier Colombier-Charles de Gaulle pourrait fournir un terrain au regroupement et à l’organisation de significations et d’associations d’idées. Ce qui rehausserait toutes les activités humaines qui s’y exercent et favoriserait le dépôt d’une empreinte dans le souvenir, étape essentielle à un « revenir ». L’immeuble des Trois-Soleils, quant à lui, pourrait (re-)devenir une cellule active de l’organe commercial en centre-ville. Véritablement lisible, l’espace fournirait aux usagers une autre image du quartier et du centre commercial. Il y aurait alors un plaisir particulier à participer à ce spectacle de la ville, en y faisant ses courses ou en y f lânant… Pour filer la métaphore, au sens médical du terme, les cellules souches contribuent au renouvellement naturel des tissus adultes ou à leur réparation en cas de lésion. En ce sens, le site des Trois-Soleils ne pourrait-il pas devenir une « cellule souche » qui manifeste une capacité à se renouveler d’une part et à réparer le tissu urbain d’autre part ? Je tenterai de répondre à cette question dans la seconde partie de cet essai.

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PRESCRIPTION(S)Les outils de la revitalisation

prescription n.f. : Indication, conseil, ordre donné par un médecin, soit oralement, soit par écrit sur une ordonnance.

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La mobilité : un remède contre la dévitalisation

Depuis le milieu du siècle dernier, la périurbanisation a entraîné une dispersion des zones d’habitat d’une part et des zones d’activités d’autre part. Cette dispersion des fonctions qui fabriquent la ville s’accompagne logiquement d’un accroissement des f lux de mobilité entre le centre ancien et les périphéries. Pendant les Trente Glorieuses, on constate un essor considérable de la production automobile : l’automobile se démocratise. Objet emblématique de la consommation, elle a eu un impact remarquable sur les modes de vie en général et plus particulièrement sur les déplacements et l’organisation du territoire. Le sociologue britannique John Urry constate que son utilisation croissante a eu pour effet de « délier les territoires du domicile, du travail et des loisirs, qui étaient historiquement étroitement intégrés » 1. Mais, si la démocratisation de l’automobile et la construction d’infrastructures routières constituent une force de dispersion qui a participé à l’étalement urbain et à la création des centralités hors-centre, la mobilité ne peut-elle pas être envisagée, aujourd’hui, comme force de concentration ? Je montrerai, dans cette partie, qu’il convient d’interroger conjointement les questions de l’intermodalité et de la piétonnisation – atouts pour la revitalisation du commerce en centre-ville – pour pallier les dysfonctionnements des Trois-Soleils.

Un pôle intermodal, parce qu’il permet de capter les f lux de population et de faciliter les déplacements, renforce l’accessibilité et l’attractivité des équipements qui se situent à proximité. Pour créer une polarité il est donc nécessaire de coupler un pôle d’activités à un pôle de transports. À Lyon, par exemple, cohabitent dans le quartier de la Part Dieu logements, bureaux, commerces, hôtels et équipements

1. John Urry, « The System of Automobility », in Theory, Culture & Society, n°21, octobre 2004, p.28.

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culturels et l’élément moteur de l’attractivité du quartier est, incontestablement, le centre commercial. Ce centre commercial, super régional 2, draine, depuis sa création, un important f lux de consommateurs et étend sa zone de chalandise en dehors de la ville. Toujours en cours, les opérations de rénovation du quartier, qui incarnaient jusque là l’urbanisme de dalle prévalant dans les années 60, valorisent la gare et le centre commercial, atouts majeurs de la Part Dieu. Le projet prévoit l’agrandissement de la gare, plate-forme intermodale (tramway, métro, bus, TER, TGV). Deux fois plus grande, la gare pourrait alors multiplier les f lux de déplacement. Les acteurs de la rénovation du quartier pensent alors la transformation du centre commercial au regard de la transformation de la gare qui va assurément renforcer son attractivité, ils prévoient la création d’une extension et de nouvelles entrées.

À l’instar du projet de la Part Dieu à Lyon, le projet urbain Eurorennes prévoit la rénovation du pôle gare et de ses alentours à l’horizon 2030. Toutefois, le quartier du Colombier étant limitrophe du périmètre de projet, aucune rénovation des centres commerciaux vieillissants de la dalle (Colombia et Trois-Soleils) n’est envisagée. Les Trois-Soleils sont déjà accessibles à pied, à vélo, en voiture, en bus et en métro. Les infrastructures permettant le stationnement – parkings Colombier (1300 places) et Charles de Gaulle (650 places) – sont des atouts complémentaires à l’accessibilité. Si le projet Eurorennes renforce les pratiques intermodales, celles-ci pourraient effectivement pallier les dysfonctionnements inhérents au site, à condition de s’intégrer à une réflexion plus complète sur les outils de la revitalisation.

Conjuguée à l’intermodalité, la piétonnisation des centres-villes est en vogue parce qu’elle relance l’activité commerciale.

2. Selon le CNCC, un centre commercial super régional se définit comme un ensemble d’au moins cent cinquante magasins et services totalisant une surface commerciale utile minimale de 80 000 m2.

Aujourd’hui, les abords des Trois-Soleils – encadrés par l’esplanade Charles de Gaulle à l’est et le forum du Colombier à l’ouest – sont des zones piétonnières. De plus, les orientations d’aménagement du PLU de Rennes précisent les actions d’aménagement que la commune souhaite entreprendre, sur le secteur Colombier-Charles de Gaulle, afin d’améliorer le plateau piéton. Premièrement, l’agglomération rennaise souhaite « atténuer [le] caractère routier » 3 de la rue d’Isly qui crée la limite entre les Trois-Soleils et l’esplanade. Deuxièmement, parmi les objectifs à atteindre, l’enjeu majeur est de créer une liaison entre l’esplanade et la place du Colombier. Je pense que cette liaison ne pourra être effective dans sa totalité qu’en intégrant les f lux piétons traversant les Trois-Soleils.

Depuis l’invention des passages jusqu’à celle des centres commerciaux, les espaces marchands « (a-)ménage[nt] » 4 la promenade selon le terme emprunté à Bruno Sabatier, docteur en géographie. En effet, ils se construisent selon une métrique piétonne, définissent le tracé des cheminements piétons et sont architecturalement couverts. Je voudrais, à travers la rénovation des Trois-Soleils, renouer avec la poétique des passages qui offrent « des lieux de f lânerie à l’abri des intempéries et de la circulation » routière et qui ont su « réadapte[r] la promenade aux contraintes de leur époque pour y rassembler des magasins de nouveautés et des échoppes spécialisées, recomposant de fait la promenade en un lèche-vitrines » 5. L’expérience client, qui accompagne l’acte d’achat, devient un paramètre omniprésent dans les préoccupations actuelles en termes d’urbanisme commercial. La f lânerie est une pratique qui peut rejoindre ces préoccupations. Walter Benjamin, philosophe et historien de l’art allemand, nous dit que « la ville est le

3. PLU, dossier A, doc. 3 : orientations d’aménagement par secteurs, pp.28-33.4. Bruno Sabatier, La fonction piétonne des espaces marchands intérieurs, Géographie et cultures [en ligne], publié le 12 février 2013, consulté le 26 mars 2015, p.2.5. Ibid., p.4.

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terrain véritablement sacré de la f lânerie » 6 et que la figure du f lâneur naît au début du XIXe siècle à l’époque où la ville s’est suffisamment agrandie et complexifiée pour étonner ses habitants. C’est Baudelaire, le premier, qui fait émerger la figure du f lâneur. écoutons le :

« La foule est son domaine, comme l’air est celui de l’oiseau, comme l’eau celle du poisson. Sa passion et sa profession, c’est d’épouser la foule. Pour le parfait f lâneur, pour l’observateur passionné, c’est une immense jouissance que d’élire domicile dans le nombre, dans l’ondoyant, dans le mouvement, le fugitif et l’infini. Être hors de chez soi, et pourtant se sentir partout chez soi. » 7

Les passages, premiers espaces marchands et lieux d’innovations architecturales, sont propices à la f lânerie parce qu’ils aménagent la promenade et contiennent la foule. Ils renouvellent le tissu urbain et transforment la pratique de la ville qui devient plus fonctionnelle et plus animée. Cette capacité à inscrire le commerce dans la ville et dans une pratique piétonnière me semble digne d’intérêt, au regard de ma réflexion concernant une nouvelle dynamique des Trois-Soleils.

Par ailleurs, le passage a la particularité de concentrer plusieurs fonctions : « chacun des passages était à lui seul une ville dans la ville » 8, nous dit Patrice de Moncan, historien français. « Habitat, travail, commerce et loisirs s’y côtoyaient » 9. C’est un lieu à forte mixité fonctionnelle. C’est précisément le sujet de la mixité fonctionnelle, dans sa capacité à relancer une certaine attractivité, qui retiendra mon attention dans la partie suivante.

6. Walter Benjamin, Paris, Capitale du XIXe siècle. Le livre des passages, Éditions du Cerf, Paris, 1989, p.439.7. Charles Baudelaire, « Le peintre de la vie moderne », in Le Figaro, 26 novembre 1863.8. Patrice de Moncan, Les passages couverts de Paris, Les Éditions du Mécène, Paris, 1996, p.34.9. Ibid., p.34.

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La mixité fonctionnelle : mode opératoire

La mixité fonctionnelle 10 s’oppose au concept urbain de « zoning » qui consiste à séparer les fonctions qui font la ville afin de limiter les conflits d’usage. Le zonage fonctionnaliste, parce qu’il sépare les fonctions, est consommateur d’espace. Il favorise l’étalement urbain et efface la centralité en centre-ville. La mixité fonctionnelle pourrait-elle lutter contre ces dangers ?

En centre-ville, lorsqu’il est question de transformer le tissu urbain, l’espace disponible pour intervenir est restreint. Dès lors, on ne saurait négliger la possibilité d’instaurer la mixité qui favorise la convergence des f lux et des activités (résidentielles et socioéconomiques) d’une part et structure la ville tant à l’échelle du quartier (mixité horizontale) qu’à l’échelle de l’immeuble (mixité verticale). La desserte en transports en commun ou en modes actifs (circulations douces) crée les conditions favorables à une mixité des usages car elle facilite l’accessibilité aux logements et équipements. Les déplacements actifs, par ailleurs, favorisent l’animation des espaces publics et l’efficacité de la mixité. Les questions de mobilité et de mixité sont donc interdépendantes et doivent, dans la mesure du possible, être traitées simultanément. éviter l’étalement urbain, réduire les déplacements, animer l’espace public, tous ces avantages liés à la mixité fonctionnelle permettent de rentabiliser les investissements des communes (pour les équipements et réseaux). Ils minimisent également les dépenses publiques, c’est pourquoi les acteurs de la ville conseillent aux opérateurs du réaménagement urbain de mixer les usages.

Si la mixité fonctionnelle peut se mesurer selon le degré de proximité et d’imbrication des programmes, c’est la mixité au

10. Notez que, pour éviter la répétition, le terme « mixité » sera parfois employé seul mais sera toujours à entendre au sens de « mixité fonctionnelle ».

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Immeuble mixte, ZAC Lustucru. Grenoble, 2004.

Source : http://www.herault-arnod.fr/projets/logement/

article/immeuble-mixte

sein d’un même édifice (mixité verticale) qui a retenu mon attention parce qu’elle correspond à la typologie de l’immeuble des Trois-Soleils. Dans les villes qui se construisent en hauteur, les villes américaines et asiatiques, on observe une propension à superposer en toute simplicité des programmes variés dans un seul bâtiment.

« Du premier au douzième étage, l’ascension à l’intérieur du Downtown Athletic Club correspond à une progression dans la subtilité et l’originalité des programmes proposés par chacune des plates-formes. Les cinq niveaux suivants sont consacrés aux repas, à la détente et aux contacts sociaux ; ils contiennent des salles de restaurant, pourvues de diverses annexes : cuisine, salons, et même une bibliothèque. […] Du vingtième au trente-cinquième étage, le club ne contient que des chambres à coucher. » 11

La mixité fonctionnelle « serait, en quelque sorte, un état naturel de ville » 12. En effet, le principe de mélange urbain est inhérent au développement historique des villes qui font se côtoyer lieux d’habitat, lieux de travail, établissements d’enseignement et grands équipements de culture et de loisir. Mais, en France, la reconstruction massive – après la Seconde Guerre mondiale – a favorisé l’urbanisme fonctionnel. Cependant, dans un contexte où le foncier vient à manquer et où les exigences environnementales sont un enjeu de premier plan dans l’aménagement de nos villes du XXIe siècle, envisager la mixité fonctionnelle dans les récentes opérations d’aménagement est inévitable. La réticence française à imbriquer diverses activités dans un bâtiment unique – exercice difficile s’il en est – est donc progressivement remise en cause. La mixité est aujourd’hui un « état qu’il s’agirait de maintenir, de restaurer [ou] d’atteindre » 13 selon les projets. Quel degré d’imbrication programmatique faut-il alors privilégier pour

11. Rem Koolhaas, New York délire, Parenthèses, Marseille, 2002 [1978].12. Julien Damon, Thierry Paquot, Les 100 mots de la ville, PUF, Paris, 2014, p.47.13. Ibid., p.47.

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Immeuble mixte, Résidence Playtime. Nantes, 2007.

Source : http://www.tetrarc.fr/projet-habitat-23-8

garantir le bon fonctionnement d’un immeuble mixte ? Cette question ne peut être posée hors contexte. Il y a autant de réponses à cette question que de projets qui interrogent des besoins programmatiques mixtes variés et des échelles différentes.

À Grenoble, l’agence Hérault Arnod Architectes conçoit l’immeuble mixte de la ZAC Lustucru. « Le parti architectural de ce projet est très politique, il exprime la nécessaire mixité sociale et fonctionnelle de la ville en fondant son identité sur l’assemblage des différences », peut-on lire sur le site de l’agence. Aucune ambiguïté quant à l’affectation du bâti, l’immeuble affiche la mixité en façade. Chaque élément du programme – commerces, parking public et logements – est identifié comme une strate horizontale d’un ou plusieurs niveaux.

À Nantes, l’opération Playtime superpose des logements – cinquante sept studios étudiants, trente huit appartements et huit maisons duplex – à un ERP qui comprend un centre de remise en forme et une école de sport, constituant le socle de l’immeuble. L’agence Tetrarc, maître d’œuvre du projet, considère que la mixité programmatique verticale doit contribuer à la diversité des formes urbaines. Les volumes de l’immeuble multiprogramme sont donc signifiants, ils diffèrent selon les usages.

À Montpellier, au Campus Comédie, cohabitent cent quarante huit logements – dont cent dix-sept pour les étudiants – et 3 000 m² de bureaux. Cette fois, le parti pris architectural ne s’appuie pas sur la mixité fonctionnelle. Le studio A+Architecture crée un volume, à l’allure monolithique, qui confère une unité au bâtiment et ne permet pas de distinguer les bureaux des logements.

Tout d’abord, au regard des immeubles mixtes que je viens de présenter succintement, force est de constater que le déploiement d’une activité structurante, génératrice de f lux

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Immeuble mixte, Campus Comédie. Montpellier, 2013.

Source : http://www.aplus-architecture.com/projet-

realisation/habitat/campus-comedie/

importants (comme un pôle commercial ou un équipement), permet aux autres activités socio-économiques de profiter de son achalandage. Du fait de l’échelle restreinte des Trois-Soleils, le bâtiment propose une mixité d’activités peu commune. Le programme associe commerces et bureaux alors que les opérateurs de la mixité préfèrent associer des activité(s) socio-économique(s) et /ou culturelle(s) à des logements afin d’assurer l’animation diurne et nocturne du site. Repenser l’imbrication programmatique des Trois-Soleils ne semble pas être la solution. En effet, l’activité de bureaux se porte bien et si l’activité commerciale peine, quant à elle, à fonctionner, elle pourrait être réactivée et devenir l’activité structurante nécessaire au bon fonctionnement de la mixité. De ce fait, ne peut-on pas repenser l’offre commerciale en tenant compte de la proximité immédiate des employés de bureaux, principaux usagers de la galerie ? En d’autres termes le projet devra interroger la nature et la forme des commerces qu’il convient d’établir en ce lieu.

Ensuite, l’analyse des différentes typologies de mixité verticale montre l’importance de l’expression architecturale dans la conception d’immeubles mixtes. Soit l’enveloppe du bâtiment est traitée en mille-feuille, de manière quasiment signalétique, afin de souligner les différentes fonctions ; soit, au contraire, elle est uniforme et ne signifie pas la différence. Or, j’ai déjà souligné la dépréciation physique des Trois-Soleils auprès des habitants, si bien qu’en termes de « revitalisation », il faudra s’interroger sur l’écriture architecturale propre à cette requalification.

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La réhabilitation : opération essentielle du processus de revitalisation

La vitalité commerciale n’est pas la seule cause de la dévitalisation du site des Trois-Soleils  ; on constate, en effet, une dés-affection – au sens de perte d’affection – des habitants pour l’objet architectural lui-même. L’immeuble des Trois-Soleils, inauguré en 1978, a besoin de faire peau neuve pour modifier l’appréciation, aujourd’hui négative, des Rennais envers le bâtiment. Si j’ai prescrit précédemment de traiter le site par une plus-value de mixité, de piétonnisation et d’intermodalité, la revitalisation ne se fera que si l’aspect architectural du bâtiment et les usages internes du socle commercial sont, eux aussi, modifiés.

Habituellement, l’intégration de commerces en pied d’immeuble favorise l’interface avec la rue, améliore l’accessibilité aux piétons et participe à l’animation de l’espace public. Ce qui fait défaut aux Trois-Soleils, malgré son socle commercial, c’est son absence de relation avec l’espace public : des entrées et commerces difficilement identifiables, peu de vitrines sur rue et un manque d’intégration aux cheminements piétons. L’enjeu identitaire n’est donc pas l’unique enjeu de la requalification. Celle-ci devra aussi faciliter l’identification des entrées commerciales et offrir des espaces de vitrines en façade. En effet, aujourd’hui, les commerces de la galerie des Trois-Soleils ne possèdent, pour la plupart, aucune vitrine visible depuis la rue. Les nouveaux usages et la nouvelle façade de ce petit équipement de centre-ville devront imposer une image résolument contemporaine aux usagers pour favoriser un regain d’intérêt. Si, comme nous l’avons vu, le caractère routier de la rue d’Isly est atténué, alors le bâtiment devra s’ouvrir davantage sur l’esplanade Charles de Gaulle, devenue une place culturelle incontournable de Rennes. Par ailleurs, la liaison avec le forum du Colombier pourrait permettre la création d’un itinéraire marchand en centre-ville. Mais cette

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hypothèse ne serait envisageable qu’à condition de proposer une offre commerciale différenciée entre les Trois-Soleils et Colombia. Le parti pris d’ouvrir le bâtiment sur l’Esplanade Charles de Gaulle, à l’ouest, et le forum du Colombier, à l’est, devrait favoriser le développement des relations entre le bâtiment et l’espace public. Ainsi, les Trois-Soleils pourraient s’inscrire dans le prolongement des espaces piétonniers et devenir un trait d’union entre les deux places. La restructuration du bâtiment pourrait alors servir de levier à la relance du tissu commercial en centre-ville. Outre la question d’une revitalisation d’usage, l’enjeu du projet est d’interroger l’identité architecturale de ce bâtiment qui n’a plus l’estime des Rennais.

Si l’affirmation des Trois-Soleils, en tant qu’objet architectural, repose sur l’ouverture de l’équipement sur son environnement et le réaménagement de ses espaces intérieurs, elle repose aussi sur l’attractivité d’une nouvelle façade. Mais, s’il est opportun d’envisager une modification de la façade, dans quelle mesure une telle transformation est-elle structurellement envisageable ? L’analyse des plans nous indique que le système constructif est de type poteaux-poutres, avec contreventement latéral par les cages d’escalier. Une trame régulière de poteaux porte de grands plateaux libres qui se prolongent en porte-à-faux. Cette technique est largement répandue dans la construction de bâtiments à usages tertiaires car elle permet une implantation libre des cloisons, l’installation de programmes variés, ainsi qu’une réversibilité des usages. Ce système constructif permet, dans le cas des Trois-Soleils, de proposer à la fois des plateaux libres et cloisonnés de bureaux dans les étages supérieurs et des géométries variées de commerces dans les étages inférieurs. Le système poteaux-poutres et dalles portant le bâtiment, nous nous trouvons ici face à un exemple parfait de « façade libre » au sens corbuséen du terme et les « fonctions (structure porteuse, isolation, étanchéité, vue, finition, ornement), qui auparavant étaient pincées et fusionnées dans une même épaisseur, un même plan vertical [...] ont pu être séparées et

désolidarisées » 14. La façade est ici constituée de matériaux de faible masse et se décompose en une ossature métallique, support de surfaces verticales, associée à des éléments de remplissage, vitrages fumés fixés à l’armature de métal. Ainsi composée, elle est emblématique des années 70. Les matériaux utilisés, aujourd’hui surannés, renforcent l’image négative du bâtiment qui influe, par effet de réciprocité, sur son attractivité. Ce « mur-rideau » léger, qui ne participe pas à la stabilité de l’édifice, autorise une transformation aisée de la façade sans impact sur les porteurs. La façade n’est pas une simple enveloppe qui rend le bâtiment imperméable aux intempéries, aux bruits et aux regards, elle joue aussi un rôle majeur dans la manière de percevoir le bâtiment. Premier élément visible d’un bâtiment, la façade en est donc l’élément le plus signifiant. C’est un objet privilégié d’expérimentation pour les architectes. Elle « s’offre au regard en devenant un signe social et urbain, ce que l’on voit de loin et dont on se souvient » 15, nous dit Stéphane Vial, philosophe contemporain français, spécialiste du design. « La façade finit par définir à elle seule l’identité publique et sociale d’un bâtiment, dont elle devient l’image qui en résume la totalité » 16, ajoute-t-il. Si bien que l’attrait d’un édifice dépend, donc, en grande partie, du traitement architectural de sa façade. Or, « plus que jamais l’architecture est affaire de communication » 17, affirme Valéry Didelon, architecte, critique et historien. Dans son article, « L’architecture crève l’écran », il revient sur la proposition des architectes américains Robert Venturi et Denise Scott Brown de « classer les édifices du passé et du présent en « canards » et en « hangars décorés » » 18 ouvrant ainsi « une discussion […]

14. Sandrine Amy, Les nouvelles façades de l’architecture [en ligne], Appareil, publié le 30 juin 2008, consulté le 29 décembre 2015.15. Stéphane Vial, « Habiter les interfaces : usages de la façade et pratiques de la fenetre en architecture », in Les Annales de la Recherche Urbaine, n° 106, Puca, juillet 2010, p.163.16. Ibid., p.163.17. Valéry Didelon, « L’architecture crève l’écran », in Criticat, n°5, mars 2010, p.111.18. Ibid., p.111.

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sur les moyens qui s’offrent aux architectes pour communiquer avec le public » 19. Les architectures « canards » – ainsi nommées en référence à une boutique de Long Island « en forme de canard qui abrite précisément un commerce de ces palmipèdes » 20 – ne « visent pas les bâtiments figuratifs » mais les bâtiments aux formes symboliques, sculpturales, dont l’enveloppe architecturale ne tient compte ni de la structure, ni des programmes. Au contraire, structure et espace restent au service du programme dans les « hangars décorés » et l’ornementation en est totalement indépendante. S’il est certain que la requalification de l’enveloppe des Trois-Soleils est nécessaire à sa revitalisation, quel pourrait être le rapport entre la façade et le bâtiment lui-même et entre la façade et son environnement ?

Aux Trois-Soleils, le vaste espace du toit terrasse offre, comme la façade, un potentiel évident pour la revitalisation du bâtiment. Plan et horizontal, espace caché à ciel ouvert, il semble disponible pour prolonger les activités déployées à l’intérieur du bâtiment. Ce sera un autre enjeu du projet que de s’interroger sur le traitement de cette « toiture » envisagée comme une véritable cinquième façade accessible.

19. Ibid., p.111.20. Ibid., p.112.

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POSTfAcE

L’urbanisme fonctionnel qui a, depuis la moitié du XXe siècle, séparé les fonctions urbaines et favorisé l’accroissement des villes en périphérie n’est pas durable. Aujourd’hui, afin de conforter et pérenniser un retour de la centralité en centre-ville il convient, comme nous l’avons vu, de revitaliser les équipements centraux tombés en désuétude.

J’ai conçu, dans cet essai, la ville comme un organisme vivant et le commerce comme une partie de cet organisme : un organe urbain vital. Par analogie, les unités commerciales sont comparées à des cellules, unités de structure des organes. Comme nous l’avons vu, de façon générale, le développement de cellules périphériques a affaibli les cellules centrales plus anciennes. À Rennes, l’immeuble des Trois-Soleils est identifié comme une cellule dysfonctionnelle qu’il faut traiter afin qu’elle conforte le rétablissement du centre-ville. Pour autant malgré des signes d’affaiblissement (désuétude fonctionnelle de la galerie marchande), l’immeuble des Trois-Soleils, en raison de sa situation d’exception, a tous les atouts pour participer au dynamisme renaissant du quartier. L’objectif de ce projet est de réactiver cette cellule vitale du centre-ville et les prescriptions énoncées ici engagent le processus de revitalisation.

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ANNEXES

Les Trois-Soleils, l’esplanade Charles de Gaulle et la dalle du Colombier en images.

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À peine a-t-on quitté la très centrale gare de Rennes que l’on arrive sur la vaste esplanade Charles de Gaulle. De l’autre côté de la place, on entrevoit timidement les Trois-Soleils.

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Plus on s’approche, plus on capte les images fragmentées du quartier réfléchies par la façade ondulante.

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Lorsque l’on emprunte l’entrée principale de la galerie marchande, on remarque les quelques rares vitrines.

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À l’intérieur, on suit le tracé défini de la promenade. Les boutiques soclent l’immeuble sur trois niveaux.

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On parcourt les étages, on traîne devant les vitrines. Si l’on monte, la sortie se fait sur le forum du Colombier. Si l’on descend, on accède au métro ou on regagne l’esplanade.

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Vue d’ensemble de l’extérieur des Trois-Soleils.

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Vue d’ensemble des accès et de l’intérieur des Trois-Soleils.

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Vue d’ensemble de l’esplanade Charles de Gaulle.

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Vue d’ensemble du forum du Colombier et du centre commercial Colombia.

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BIBLIOGRAPHIE

Ouvrages

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Revues

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Colloques et conférences

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Autres

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Sites internet

Site du projet urbain EuroRennes, http://www.eurorennes.fr/

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Mille mercis à Arlette Cailleau et Valérie de Calignon pour le suivi de ce mémoire, leur disponibilité, leurs lectures attentives et leurs conseils.

Erwan Le Bourdonnec et Bruno Rosenzweig pour le suivi du projet et leur accompagnement parallèle à la rédaction de ce mémoire.

Tous les intervenants de la ville de Rennes qui se sont montrés disponibles et m’ont apporté une aide précieuse.

Clotilde, Corentin, Lisa, Manuel, Marine, Margaux, Marlène, Maude, Mégane, Ondine et Salomé sans qui l’aventure DSAA n’aurait pas été la même.

Ma famille et mes amis pour leur soutien.

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