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Médecine palliative Soins de support Accompagnement Éthique (2013) 12, 268—270 Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com NOTES DE LECTURE Déjà-presque-mort mais encore-si-terriblement- vivant, J. Fabrizi. L’Harmattan (2012). 193pp, ISBN: 978-2296961982 Le livre commence par une citation tirée de Vita Nuova, XV de Dante Alighieri : « Lo viso mostra lo color del core ». Cette citation constitue aussi bien un point de départ pour les considérations qui vont suivre que leur résumé. En effet, l’auteur, médecin exerc ¸ant depuis 30 ans, réfléchit aux implications du regard dans la relation soignant—soigné, notamment dans le cadre des soins palliatifs. « Comment l’appréhender, comment le penser, comment approcher son caractère énigmatique et découvrir ce qui se joue à tra- vers lui ? » (p. 10), « peut-il être considéré comme soin ? » (p. 14), « comment regardons-nous les malades qui relèvent des soins palliatifs [. . .] ? » (p. 20), se demande l’auteur. Étymologiquement, « regarder » vient du verbe « esgarder » signifiant « faire attention à ». Par exten- sion, faire attention à son patient, à sa maladie, à ses émotions et à ses sentiments. Selon l’auteur, le regard est « l’instant premier qui préside à toute relation nouvelle » (p. 17). En effet, « avant le verbe, il y a la conversation des regards » (p. 21). Le dialogue entre le soignant et le soigné se tisse donc par l’entremise du regard : à travers celui du soignant, le patient essaye de décrypter son devenir alors qu’à travers celui du patient, le soignant lit son état d’âme. Toutefois, autant que le regard joue un rôle prépondérant dans toute relation, il ne devrait pas remplacer définitivement la parole. Bien au contraire, il est souhaitable de « rechercher une attitude qui accepterait le regard comme prélude à la parole, puis comme catalyseur de cette dernière » (p. 53). Néanmoins, il se peut que la personne en fin de vie « préfère rester sans le non-dit et se réfugier dans le silence, un silence pesant, assourdissant » (p. 39). À ce moment-là, « il ne reste plus que le regard » (p. 40). Il dit l’indicible : il témoigne de la disponibilité, de l’intérêt et de la compassion du soignant. Le regard reflète la lumière intérieure de l’individu. Pour pouvoir s’ouvrir à l’autre, en l’occurrence son patient, le soignant devrait se détacher de soi-même. En effet, « ce regard sur soi, sur son intériorité, sur son intimité est une étape préliminaire nécessaire pour aborder l’autre, pour regarder l’autre. Il s’agit d’appréhender son propre espace intérieur afin de pouvoir le confronter à l’espace intérieur de l’autre (p. 55). Pour affiner ses réflexions, l’auteur fait référence à la peinture de Jean Rustin. Cette peinture, à travers la représentation des corps, dévoile une souffrance infinie, la souffrance qu’on cache ou oublie habituellement. En effet, « face à une toile de Jean Rustin, on sent monter en soi hos- tilité, stupeur, dégoût, nausée, malaise, devant ces êtres dont on espère qu’ils appartiennent à une autre planète, mais qui sont malheureusement si terriblement humains » (p. 105). Il remarque une indéniable similitude entre ces per- sonnages et les patients en fin de vie. Cette comparaison nous renvoie à notre condition humaine, à une nécessaire prise de conscience, à notre rapport à nous-mêmes et aux autres. C’est une « incontestable exhortation au question- nement intérieur, une véritable incitation à la recherche du sens de la vie et du mystère de l’existence » (p. 123). Martyna Tomczyk a,,b a Laboratoire d’éthique médicale et médecine légale, université Paris Descartes, Sorbonne Paris Cité, ED 262, EA 4569, 45, rue des Saints-Pères, 75006 Paris, France b Chaire et clinique de médecine palliative, université des sciences médicales K. Marcinkowski, Pozna´ n, Pologne Laboratoire d’éthique médicale et médecine légale, université Paris Descartes, Sorbonne Paris Cité, ED 262, EA 4569, 45, rue des Saints-Pères, 75006 Paris, France. Adresse e-mail : [email protected] Disponible sur Internet le 24 mai 2013 http://dx.doi.org/10.1016/j.medpal.2013.04.002 Toute vérité est-elle bonne à dire ?, Aïda N’Diaye. Les Éditions de l’Opportun (2012) Quand Pierre Desproges (1939—1988), humoriste franc ¸ais, mourait d’un cancer, sa femme et les médecins ont décidé de ne pas l’informer sur la gravité de la maladie. Cette histoire constitue, pour l’auteur, une source d’inspirations pour les réflexions sur la vérité. Qu’est-ce que la vérité ? À qui la dire ? Comment la dire pour qu’elle reste « bonne » ? Toute vérité peut-elle être dite à condition de trouver la forme adéquate ? Faut-il se méfier de la vérité en elle-même ou seulement de 1636-6522/$ see front matter

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Qu’est-ce que la vérité ? À qui la dire ? Comment la dire

Déjà-presque-mort mais encore-si-terriblement-vivant, J. Fabrizi. L’Harmattan (2012). 193pp,ISBN: 978-2296961982

e livre commence par une citation tirée de Vita Nuova,V de Dante Alighieri : « Lo viso mostra lo color del core ».ette citation constitue aussi bien un point de départ pour

es considérations qui vont suivre que leur résumé. Enffet, l’auteur, médecin exercant depuis 30 ans, réfléchitux implications du regard dans la relation soignant—soigné,otamment dans le cadre des soins palliatifs. « Comment’appréhender, comment le penser, comment approcher sonaractère énigmatique et découvrir ce qui se joue à tra-ers lui ? » (p. 10), « peut-il être considéré comme soin ? »p. 14), « comment regardons-nous les malades qui relèventes soins palliatifs [. . .] ? » (p. 20), se demande l’auteur.

Étymologiquement, « regarder » vient du verbe esgarder » signifiant « faire attention à ». Par exten-ion, faire attention à son patient, à sa maladie, à sesmotions et à ses sentiments. Selon l’auteur, le regard est

l’instant premier qui préside à toute relation nouvelle »p. 17). En effet, « avant le verbe, il y a la conversationes regards » (p. 21). Le dialogue entre le soignant et leoigné se tisse donc par l’entremise du regard : à traverselui du soignant, le patient essaye de décrypter sonevenir alors qu’à travers celui du patient, le soignant liton état d’âme. Toutefois, autant que le regard joue unôle prépondérant dans toute relation, il ne devrait pasemplacer définitivement la parole. Bien au contraire, il estouhaitable de « rechercher une attitude qui accepterait leegard comme prélude à la parole, puis comme catalyseure cette dernière » (p. 53).

Néanmoins, il se peut que la personne en fin de vie préfère rester sans le non-dit et se réfugier dans le silence,n silence pesant, assourdissant » (p. 39). À ce moment-là,

il ne reste plus que le regard » (p. 40). Il dit l’indicible : ilémoigne de la disponibilité, de l’intérêt et de la compassionu soignant.

Le regard reflète la lumière intérieure de l’individu. Pourouvoir s’ouvrir à l’autre, en l’occurrence son patient, leoignant devrait se détacher de soi-même. En effet, « ceegard sur soi, sur son intériorité, sur son intimité est unetape préliminaire nécessaire pour aborder l’autre, pouregarder l’autre. Il s’agit d’appréhender son propre espace

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Pour affiner ses réflexions, l’auteur fait référence àa peinture de Jean Rustin. Cette peinture, à travers laeprésentation des corps, dévoile une souffrance infinie, laouffrance qu’on cache ou oublie habituellement. En effet,

face à une toile de Jean Rustin, on sent monter en soi hos-ilité, stupeur, dégoût, nausée, malaise, devant ces êtresont on espère qu’ils appartiennent à une autre planète,ais qui sont malheureusement si terriblement humains »

p. 105). Il remarque une indéniable similitude entre ces per-onnages et les patients en fin de vie. Cette comparaisonous renvoie à notre condition humaine, à une nécessairerise de conscience, à notre rapport à nous-mêmes et auxutres. C’est une « incontestable exhortation au question-ement intérieur, une véritable incitation à la recherche duens de la vie et du mystère de l’existence » (p. 123).

Martyna Tomczyka,∗,b

a Laboratoire d’éthique médicale et médecinelégale, université Paris Descartes, Sorbonne Paris

Cité, ED 262, EA 4569, 45, rue des Saints-Pères,75006 Paris, France

b Chaire et clinique de médecine palliative,université des sciences médicalesK. Marcinkowski, Poznan, Pologne

∗ Laboratoire d’éthique médicale et médecinelégale, université Paris Descartes, Sorbonne Paris

Cité, ED 262, EA 4569, 45, rue des Saints-Pères,75006 Paris, France.

Adresse e-mail : [email protected]

Disponible sur Internet le 24 mai 2013

ttp://dx.doi.org/10.1016/j.medpal.2013.04.002

Toute vérité est-elle bonne à dire ?, Aïda N’Diaye. LesÉditions de l’Opportun (2012)

uand Pierre Desproges (1939—1988), humoriste francais,ourait d’un cancer, sa femme et les médecins ont décidé de

e pas l’informer sur la gravité de la maladie. Cette histoireonstitue, pour l’auteur, une source d’inspirations pour leséflexions sur la vérité.

our qu’elle reste « bonne » ? Toute vérité peut-elle êtreite à condition de trouver la forme adéquate ? Faut-ile méfier de la vérité en elle-même ou seulement de

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ses conséquences ? Qu’est-ce que le mensonge ? Qu’endisent les philosophes ? Ce sont des questions essentiellesauxquelles l’auteur tente de répondre à travers son œuvre.Bien que ses réflexions ne se réfèrent pas directement à lapratique médicale, elles peuvent être d’une grande utilitépour tout praticien, surtout en médecine palliative. Eneffet, la question de la vérité intrinsèquement liée à cellede l’information du patient constitue un élément primordialdans le colloque singulier soignant—soigné. Le problèmeest d’autant plus complexe que le Code de déontologiemédicale, bien qu’il accorde une importance majeure audevoir du médecin de délivrer au patient une information« loyale, claire et appropriée », a dit [jusqu’en 2012,disposition abrogée par décret n◦2012-694 du 7 mai 2012 -art. 2http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexteArticle.do;jsessionid=631DECB2711C92C46000E09A4B0F8C56.tpdjo13v3?cidTexte=JORFTEXT000025823844&idArticle=LEGIARTI000025833717&dateTexte=20130320&categorieLienid#LEGIARTI000025833717] également qu’« un malade peutêtre tenu dans l’ignorance d’un diagnostic ou d’un pronosticgrave » et même qu’« un pronostic fatal ne doit être révéléqu’avec circonspection ». Cela montre bien des élémentsd’ambiguïté de la vérité, et par-là même des difficultésrelevant de l’information du patient. Ce livre permet doncde penser l’autre, penser soi-même en tant que soignant ethomme, penser ses relations avec le malade.

Comme souligne l’auteur, « la vérité n’est pas dangereuseen elle-même, mais seulement dans la mesure où elle estdite » (p. 6). En effet, une source nuisible de la vérité résidedans une soudaineté de son dévoilement : quand on passede l’ignorance de la vérité à la confrontation directe avecelle. L’auteur conseille donc que le dévoilement de la véritésoit plutôt un processus qu’un instant. En effet, « dire lavérité, c’est extérioriser ce qu’on le sait ». Donc, cela nepeut être limité à « un simple copier/coller de la véritéintérieure » (p. 22). Ainsi, faut-il penser la préparation etl’accompagnement nécessaires. C’est d’autant plus impor-tant que la vérité ne doit pas seulement être dite, mais aussientendue, comprise et acceptée par celui à qui elle est dite.

La complexité de la vérité tient au fait qu’il estimpossible de se prononcer sur elle de facon universelle :« Comment savoir quelles vérités peuvent être dites etquelles vérités doivent être cachées ou ne peuvent êtrerévélées qu’avec précaution ? Et si nous acceptons que toutevérité n’est pas bonne à dire parce qu’elle peut nous nuire,n’est-ce pas renoncer à un idéal de sincérité au nom denotre intérêt particulier ou collectif ? N’est-ce pas par fai-blesse ou par lâcheté que nous reculons lorsqu’une vériténous paraît difficile ou risquée à dire ? » (p. 10), réfléchitl’auteur.

L’auteur, en se référant aux idées de Blaise Pascal présen-tées dans les Pensées, souligne que dire la vérité de facondélicate, à l’opposé de dire le mensonge, est très utile àcelui qu’il l’entend car elle lui permet de travailler sur lui-même. En revanche, « c’est désavantageux à ceux qui ladisent, parce qu’ils se font haïr » (p. 10).

L’auteur remarque également que ne pas dire la véritépeut être mentir, mais aussi se taire peut être mentir.

Mais seule « la véracité est indispensable à la confiancequi peut exister entre les individus » (p. 11) et « manifestenotre humanité, quoi qu’elle nous coûte » (p. 15). En effet,

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e secret, en supposant des initiés et des non-initiés, etar-là même, une inégalité entre ceux qui connaissent laérité et ceux qui ne la connaissent pas constitue unentrave à la confiance. En revanche, cacher la vérité, c’estéresponsabiliser l’autre face aux décisions qu’il pourraitrendre s’il la connaissait (p. 16). Autant cette attitudeeut être justifiée dans certains cas (ex. enfant ou maladencapable de prendre une décision), autant elle est totale-ent inacceptable dans d’autres (p. 17). Pour exemplifier

es considérations théoriques, l’auteur revient à l’histoiree Pierre Desproges et se demande comment il aurait puivre ses derniers mois de vie s’il avait connu la vérité suron état.

Après avoir analysé les propos kantiens sur la vérité,’auteur constate finalement : « Toute vérité est toujoursonne à dire, juste moralement mais aussi utile sociale-ent et même individuellement. Toute vérité est toujoursoralement bonne à dire, toute vérité doit être dite, duoins dans le cas où je suis mis en demeure de parler.ans cette perspective, mentir pour protéger autrui c’est,n somme, préférer un individu à l’humanité toute entière. . .]. Cela n’enlève rien au fait, toutefois, que dire la véritérutalement, sans réflexion ni préparation, la rend inaudiblet inefficace » (p. 19). En effet, bien que l’auteur accordene grande importance à la vérité, elle n’en fait pas unevoir absolu et inconditionnel. Loin de trouver une réponsexacte, elle se réfère aux idées d’Hans Jonas présentéesans le livre Le Droit de mourir. Ce philosophe allemandropose aux médecins d’utiliser leur intuition et de « sentir »e que veut véritablement le patient.

L’auteur présente également la bibliographie et leséflexions à ce sujet de quatre philosophes (Platon, Kant,ietzsche et Sartre), tout en soulignant la subjectivité deon choix.

Platon (428—348 av. J.-C.) fait de la vérité une finbsolue : toute vérité doit être dite, le mensonge ayantour but de protéger l’autre est exclu. En effet, selonlaton, seule la connaissance de la vérité permet de maî-riser correctement la réalité et d’affronter la situation. Enevanche, le mensonge est « une absurdité qui repose surne méconnaissance de la véritable signification de la jus-ice et du bien. C’est espérer obtenir un bien avec un mal »p. 30).

Kant (1724—1804), quant à lui, avance, de facon absolue,nconditionnelle et universelle, que toute la vérité est bonne

dire, malgré les conditions et les conséquences qu’ellest susceptible d’entraîner. Quant au mensonge, il en dis-ingue deux types : celui extérieur et celui intérieur. Il réfuteatégoriquement et définitivement les deux : par le premier

l’homme se rend méprisable aux yeux d’autrui » tandis quear le second « il se rend méprisable à ses propres yeux etttente à la dignité de l’humanité en sa propre personne »p. 33).

Contrairement à Platon et à Kant, Nietzsche (1844—1900)st loin de faire de la vérité une valeur absolue ou un devoir.l trouve, bien au contraire, que « les vérités sont des illu-ions dont on a oublié qu’elles le sont », donc, toute vérité’est pas bonne à dire. Cela ne signifie pas pour autant que

ietzsche incite l’individu à mentir : il lui propose de se ser-ir de sa raison afin de bien évaluer la situation et adopter

la meilleure attitude » (p. 39).

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Sartre (1905—1980) évoque « un double devoir de vérité »p. 40) : d’abord, un devoir de vérité envers soi-même,nsuite un devoir de vérité envers les autres. Néanmoins,

ne pas mentir ne signifie pas toujours dire la vérité »p. 41). En effet, une alternative au mensonge est le silence.ais le silence a aussi un prix à payer. C’est pourquoi, au

ieu d’imposer une solution supposée bonne, Sartre trouveu’il est nécessaire de « faire le choix le plus cohérent et de’assumer » (p. 43).

Martyna Tomczyka,∗,b

a Laboratoire d’éthique médicale et médecinelégale, université Paris Descartes, Sorbonne Paris

Cité, ED 262, EA 4569, 45, rue des Saints-Pères,75006 Paris, France

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Notes de lecture

b Chaire et clinique de médecine palliative,université des sciences médicalesK. Marcinkowski, Poznan, Pologne

∗ Laboratoire d’éthique médicale et médecinelégale, université Paris Descartes, Sorbonne Paris

Cité, ED 262, EA 4569, 45, rue des Saints-Pères,75006 Paris, France.

Adresse e-mail : [email protected]

Disponible sur Internet le 24 mai 2013

ttp://dx.doi.org/10.1016/j.medpal.2013.04.003