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Médecine palliative Soins de support Accompagnement Éthique (2014) 13, 323—324 Disponible en ligne sur ScienceDirect www.sciencedirect.com NOTES DE LECTURE Qu’est-ce que mourir ?, J.-C. Ameisen, D. Hervieu-Léger, E. Hirsch (Eds.). Le Pommier/EPPDCSI, Paris (2010). 391 pp., ISBN: 9782746504981 Qu’est-ce que la mort ? Comment la définir ? Quelles sont ses représentations ? Existe-t-il une frontière exacte entre vie et mort ? Enfin, qu’est-ce qui a changé dans les rapports de l’homme à la mort au cours des décennies ? Quelle est la différence entre mourir et mort ? À la lumière de la biologie, de la philosophie, de la science des religions, de l’histoire, sept chercheurs essaient d’apporter des éléments de réflexion à ce mystérieux sujet qu’est la mort. Les réflexions sont développées dans trois perspectives assez différentes mais inséparablement liées en constituant ainsi un outil indispensable pour tous, soi- gnants et non-soignants. Toutefois, il est regrettable que la différence entre mourir et mort ne soit pas suffisamment développée, d’autant plus que le titre évoque le terme de mourir. Certains auteurs mentionnent cette différence, sans pour autant l’expliciter, alors que d’autres emploient ces deux termes comme synonymes. Donc, qu’est-ce que la mort en ce début du troisième millénaire ? C’est un mystère. . . Depuis les temps les plus écoulés, la mort est avant tout « un mystère indéchiffrable » (p. 10), « le mystère le plus absolu » (p. 76), « l’impensable et l’indicible » (p. 70). Le progrès en médecine, en biologie et en sciences humaines et sociales, au lieu d’apporter des clarifications, révèle plutôt les inter- rogations et les inquiétudes nouvelles. Les éléments de réponse, y compris médicaux, semblent brouillés. En effet, la mort « ne se présente plus comme une réalité directement constatable, mais comme un fait dont il faut établir, le plus certainement possible, la plausibilité » (p. 13). « Autrefois unique, la mort est aujourd’hui plurielle jusque dans la fac ¸on de la nommer » (p. 60). C’est un suicide cellulaire. . . Étant donné que nous sommes tous constitués de plusieurs dizaines de milliers de milliards de cellules, toute interro- gation sur la mort devrait commencer par une interrogation sur la mort des cellules qui nous composent. En effet, la disparition de nos cellules, comme notre propre disparition, est un phénomène beaucoup plus complexe que l’on ne le pensait pendant longtemps. Comme l’explique Jean- Claude Ameisen, professeur d’immunologie, les cellules ont la capacité d’autodestruction et de renouvellement. Ainsi, sommes-nous, « à tout moment, pour partie en train de mou- rir et pour partie en train de renaître. Et les territoires qui un temps persistent en nous sont aussi fragiles que ceux qui disparaissent et renaissent chaque jour » (p. 31). Notre pérennité dépend donc d’un équlibre permanent entre ces deux capacités. C’est un décès de la personne. . . Comme le souligne Bernard-Marie Dupont, professeur de philosophie et médecin, « la définition de la mort, y compris juridique, est médicale. C’est la mort médicale qui dit le décès de la personne » (p. 59). Et là, les choses deviennent un peu confuses. En effet, depuis quelques dizaines d’années, la définition médicale de la mort a changé : de cardio-vasculaire, elle est aujourd’hui devenue cérébrale. « Autrefois unique, la mort par arrêt du cœur fai- sait de cet organe le référent, le point de passage obligé. Sans assistance, sans ventilation mécanique, le décès ne pouvait qu’être rapide dans le temps et dans l’espace : unité de temps, de lieu et d’action. Avec la mort cérébrale, cette unité est brisée. La démonstration qui doit être faite pour affirmer légalement le décès repose sur la triade constata- tion, élimination et persistance » explique-t-il (p. 67). Est-ce que la disparition de la conscience permet de considérer légalement l’être humain comme mort ? Est-ce une nouvelle forme du dualisme âme versus corps ? C’est une absence, une disparition. . . Comme l’avance Jean-Claude Ameisen, la mort est un « basculement d’une présence qui soudain devient absence » (p. 77), « une absence dont la nature et le moment précis demeurent insaisissables » (p. 78), « un constat d’une dis- parition » (p. 78). Une personne était et elle n’est plus . . . « Pourtant, pourrait-on dire d’une personne en train de mourir qu’elle est en train de disparaître ? Et les morts peuvent-ils être des disparus ? » (p. 105), réfléchit Patrick Baudry, professeur de sociologie. http://dx.doi.org/10.1016/j.medpal.2014.08.003 1636-6522/

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Médecine palliative — Soins de support — Accompagnement — Éthique (2014) 13, 323—324

Disponible en ligne sur

ScienceDirectwww.sciencedirect.com

NOTES DE LECTURE

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Qu’est-ce que la mort ? Comment la définir ? Quelles sontses représentations ? Existe-t-il une frontière exacte entrevie et mort ? Enfin, qu’est-ce qui a changé dans les rapportsde l’homme à la mort au cours des décennies ? Quelle est ladifférence entre mourir et mort ?

À la lumière de la biologie, de la philosophie, de lascience des religions, de l’histoire, sept chercheurs essaientd’apporter des éléments de réflexion à ce mystérieux sujetqu’est la mort. Les réflexions sont développées dans troisperspectives assez différentes mais inséparablement liéesen constituant ainsi un outil indispensable pour tous, soi-gnants et non-soignants. Toutefois, il est regrettable que ladifférence entre mourir et mort ne soit pas suffisammentdéveloppée, d’autant plus que le titre évoque le terme demourir. Certains auteurs mentionnent cette différence, sanspour autant l’expliciter, alors que d’autres emploient cesdeux termes comme synonymes. Donc, qu’est-ce que la morten ce début du troisième millénaire ?

C’est un mystère. . .

Depuis les temps les plus écoulés, la mort est avant tout « unmystère indéchiffrable » (p. 10), « le mystère le plus absolu »(p. 76), « l’impensable et l’indicible » (p. 70). Le progrès enmédecine, en biologie et en sciences humaines et sociales,au lieu d’apporter des clarifications, révèle plutôt les inter-rogations et les inquiétudes nouvelles. Les éléments deréponse, y compris médicaux, semblent brouillés. En effet,la mort « ne se présente plus comme une réalité directementconstatable, mais comme un fait dont il faut établir, le pluscertainement possible, la plausibilité » (p. 13). « Autrefoisunique, la mort est aujourd’hui plurielle jusque dans lafacon de la nommer » (p. 60).

C’est un suicide cellulaire. . .

Étant donné que nous sommes tous constitués de plusieursdizaines de milliers de milliards de cellules, toute interro-gation sur la mort devrait commencer par une interrogationsur la mort des cellules qui nous composent. En effet, la

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http://dx.doi.org/10.1016/j.medpal.2014.08.0031636-6522/

isparition de nos cellules, comme notre propre disparition,st un phénomène beaucoup plus complexe que l’on nee pensait pendant longtemps. Comme l’explique Jean-laude Ameisen, professeur d’immunologie, les cellules ont

a capacité d’autodestruction et de renouvellement. Ainsi,ommes-nous, « à tout moment, pour partie en train de mou-ir et pour partie en train de renaître. Et les territoires qui

un temps — persistent en nous sont aussi fragiles que ceuxui disparaissent et renaissent chaque jour » (p. 31). Notreérennité dépend donc d’un équlibre permanent entre ceseux capacités.

’est un décès de la personne. . .

omme le souligne Bernard-Marie Dupont, professeur dehilosophie et médecin, « la définition de la mort, yompris juridique, est médicale. C’est la mort médicaleui dit le décès de la personne » (p. 59). Et là, les choseseviennent un peu confuses. En effet, depuis quelquesizaines d’années, la définition médicale de la mort ahangé : de cardio-vasculaire, elle est aujourd’hui devenueérébrale. « Autrefois unique, la mort par arrêt du cœur fai-ait de cet organe le référent, le point de passage obligé.ans assistance, sans ventilation mécanique, le décès neouvait qu’être rapide dans le temps et dans l’espace : unitée temps, de lieu et d’action. Avec la mort cérébrale, cettenité est brisée. La démonstration qui doit être faite pourffirmer légalement le décès repose sur la triade constata-ion, élimination et persistance » explique-t-il (p. 67). Est-ceue la disparition de la conscience permet de considérerégalement l’être humain comme mort ? Est-ce une nouvelleorme du dualisme âme versus corps ?

’est une absence, une disparition. . .

omme l’avance Jean-Claude Ameisen, la mort est un basculement d’une présence qui soudain devient absence »p. 77), « une absence dont la nature et le moment précisemeurent insaisissables » (p. 78), « un constat d’une dis-arition » (p. 78). Une personne était là et elle n’est plus

à. . . « Pourtant, pourrait-on dire d’une personne en traine mourir qu’elle est en train de disparaître ? Et les mortseuvent-ils être des disparus ? » (p. 105), réfléchit Patrickaudry, professeur de sociologie.
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’est une absence transformable enrésence. . .

a mort est loin d’être une absence absolue : il est tout àait possible de transformer cette absence en présence. Et’est à nous, aux survivants, de le faire. En effet, le seul lieuù nos êtres chers morts peuvent être convoqués, c’est laémoire. Elle est à construire, jour après jour. Elle est une

ontinuité toujours nouvelle. Finalement, elle fait naîtrene culture. « C’est un remaniement des places dans unehaîne intergénérationnelle » (p. 114) que la mort convoque.

’est une absence-présence. . .

omme le remarque Patrick Baudry, les morts sont là et « pareur absence incernable » (p. 105), ils obligent les vivants

prendre des précautions multiples. En effet, les morts demeurent autrement en relation avec nous » (p. 107). . .

On aurait tort de sourire des nombreux soucis que se fontes sociétés avec les défunts. Le cas des revenants ou desorts fantômes est particulièrement révélateur de l’enjeu’une organisation des rapports entre vivants et défunts. . .]. Le monde des morts n’est jamais capable d’une par-aite autonomie » explique-t-il.

’est une angoisse. . .

l’idée de notre propre absence à venir, nous éprouvonsne angoisse. . . La mort des autres fait réveiller en nous

Notes de lecture

ne angoisse également. . . En effet, « nous pressentons que’incompréhensible arrive parmi nous, que ce qui excède laensée vient à la pensée qui oblige au silence » (p. 110).

’est une condition inéluctable etécessaire de la vie. . .

t il faut qu’elle soit percue comme telle par les vivants.aradoxalement, c’est justement la mort qui (re) donneu sens à notre vie terrestre. Comme le souligne Danièleervieu-Léger, directrice du Centre d’études interdiscipli-aires des faits religieux, directrice d’études à l’EHESS, « ilaut que la mort, arrachée à l’absurde et au non-sens, soitntégrée, d’une facon ou d’une autre, à la logique même dea vie individuelle et collective » (p. 121).

Martyna Tomczyka,∗,b

a ED 262, EA 4569, laboratoire d’éthique médicaleet médecine légale, université Paris Descartes,

Sorbonne Paris Cité, 45, rue des Saints-Pères,75006 Paris, France

b Chaire et clinique de médecine palliative,université des sciences médicalesK. Marcinkowski, Poznan, Pologne

Disponible sur Internet le 3 octobre 2014