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Parcours personnalisés : Pourquoi ? Comment ? Actes des journées d’étude des 3 et 4 février 2011 Maison des Arts Saint-Herblain (Loire-Atlantique)

Parcours personnalisés Pourquoi Comment · A Rosine Cadier, Marie-Claude Ségard, et Yvon Rivoal, qui ont contribué à la saisie, à la relecture et à la mise en page de ces actes

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Parcours personnalisés : 

Pourquoi ? Comment ?  

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Actes des journées d’étude des 3 et 4 février 2011  

Maison des Arts Saint-Herblain (Loire-Atlantique)

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Conservatoires de France – Février 2011 – Parcours personnalisés : pourquoi ? Comment ?  

 

Sommaire 

 

Introduction  .................................................................................................................................................  5 

Susciter le désir d’apprendre et différencier l’enseignement   ....................................................................  7 

Débat   ..........................................................................................................................................................  9  

Du continuum au capharnaüm : quand les nouvelles technologies modifient  l’accès à la culture et à la connaissance,  et transforment les rapports sociaux  .....................................................................  13 

Les parcours individuels des élèves sont‐ils destinés à rester hors‐normes s’ils ne peuvent s’adapter aux normes des institutions éducatives ?  .................................................................................  19 

Débat   ........................................................................................................................................................  33 

Projet de l’élève, parcours personnalisés,  projets personnels : questions de vocabulaire  .....................  41 

Le Certificat d’Etudes Musicales,  ou comment quitter un conservatoire en tant que  musicien après dix ans d’études ?  ...........................  45 

Débat   ........................................................................................................................................................  53 

La personnalisation des apprentissages dans l'école de musique :   pour des élèves pleinement acteurs de leur formation   ...........................................................................  57 

Synthèse   ...................................................................................................................................................  67 

Conclusion   ................................................................................................................................................  74 

Présentation des intervenants et des communications ..............................................................................  75 

Liste des participants  .................................................................................................................................  75 

 

 

 

 

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Conservatoires de France – Février 2011 – Parcours personnalisés : pourquoi ? Comment ?  

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Remerciements

A Rosine Cadier, Marie-Claude Ségard, et Yvon Rivoal, qui ont contribué à la saisie, à la relecture et à la mise en page de ces actes.

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Conservatoires de France – Février 2011 – Parcours personnalisés : pourquoi ? Comment ?  

 

 

Jeudi 3 février 2011 Modérateur : Estelle LABARTHE, journaliste (assistée de Marie-Claude SEGARD)  

Dans son chaleureux discours de bienvenue, Monsieur Charles Gautier, maire de Saint-Herblain, nous fait part de ses préoccupations quant à l’accès aux arts et à la culture de l’ensemble de la population de Saint-Herblain. Il nous raconte l'aventure des années nécessaires à la réflexion, la conception, la mise en œuvre des différents projets et établissements culturels de la Ville : Tout d’abord l’ouverture du théâtre EPCC ONYX / LA CARRIERE, puis la Médiathèque HERMELAND, et enfin l’inauguration de la Maison des Arts qui nous accueille aujourd’hui, nouvel établissement municipal entièrement dédié aux pratiques artistiques, plus particulièrement dans les domaines des musiques et arts plastiques. Il souligne l'importance du temps de cette évolution : une ville-dortoir de ZUP qui devient une ville à part entière. Il nous décrit des projets culturels fédérateurs et porteurs de sens, indispensables pour créer une identité à cette ville neuve dont 80% des habitants de soixante-dix nationalités viennent d’ailleurs. Il est bien question ici de « parcours personnalisés », de « pédagogie de projet » à l'échelle d'une ville.

Introduction

Jean-Yves FOUQUERAY, Président de Conservatoires de France Avant toute chose, je tiens à remercier Jean-François Fourichon, directeur de la Maison des Arts de Saint-Herblain, pour son accueil dans cet équipement flambant neuf, remerciements auxquels j’associe toute son équipe administrative et technique. Je tiens à manifester également ma satisfaction de constater l’intérêt porté à ces journées de Conservatoires de France : tant bien même la Folle Journée de Nantes aurait contribué à attirer certains d’entre vous, près de 170 participants rassemblés pendant deux jours au conservatoire de Saint-Herblain, cela dépasse nos espérances et montre combien la question des parcours personnalisés est d’actualité. Avec l’accroissement de leurs fonctions et la diversification de leurs publics, les établissements d’enseignement artistique doivent répondre à des attentes toujours plus nombreuses. Ainsi, le principe d’un cursus unique reposant sur un modèle formaté par l’Histoire est devenu inadéquat. C’est dans ce contexte que c’est développée l’idée, aujourd’hui inscrite dans les textes, d’une personnalisation de l’enseignement artistique.

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Conservatoires de France – Février 2011 – Parcours personnalisés : pourquoi ? Comment ?  

Offrir à chaque élève la possibilité de réaliser son propre chemin, c'est aussi prendre acte de la grande diversité des pratiques artistiques d'aujourd'hui et s'inscrire résolument dans un paysage qui ne cesse de changer. Mais c'est sans doute plus facile à dire qu'à faire… Comment maintenir la cohérence du projet artistique et pédagogique ? Comment éviter que cette personnalisation n’engendre de nouvelles formes d’inégalité ? Quelles nouvelles compétences pour les enseignants ? Quelle organisation globale de l’établissement ? Personnaliser les cursus, offrir des parcours différents, permettre à chacun de trouver un enseignement qui réponde à ses aspirations, à ses projets, à la façon dont il envisage sa future pratique artistique, quel qu'en soit le statut, c’est donc à la fois un nouvel enjeu et un nouveau défi pour les établissements d'enseignement artistique. Comment le dire, et comment le faire, ce sont les questions que nous allons nous poser pendant ces journées, en débattant à partir des communications de nos six invités, dont la présentation figure dans le dossier qui vous a été remis. Je remercie de sa présence Jésus Aguila, musicologue, professeur à l’université de Toulouse-Le Mirail, qui a accepté de tenir le rôle de « grand témoin », et qui synthétisera demain les échanges de ces deux journées. J’ajoute pour terminer que les interventions et les débats seront animés par les journalistes Estelle Labarthe et Pascal Massiot, et retransmis sur Jet FM, radio associative qui émet sur le 91.2 à Saint-Herblain/Nantes et sur tout le département de Loire-Atlantique.  

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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Conservatoires de France – Février 2011 – Parcours personnalisés : pourquoi ? Comment ?  

Susciter le désir d’apprendreet différencier l’enseignement

Jacques ANDRÉ, maître de conférences honoraire en sciences de l’éducation, Université de Poitiers Enseigner n’est pas automatiquement faire apprendre. Ce n’est pas parce que l’enseignant enseigne que forcément l’apprenant apprend ou refuse d’apprendre. « Je ne peux rien lui enseigner, il ne m’aime pas », disait Socrate. On peut dire aussi que, sans que l’enseignant enseigne, l’apprenant peut apprendre ; chacun trouvera facilement des exemples. La confusion enseigner-apprendre Les mots pensent pour nous et le langage révèle la confusion entre ces deux termes. Quand je dis « Je lui apprends à nager », le verbe est mal employé ; il montre que je m’approprie le problème de l’apprentissage qui appartient essentiellement à l’apprenant.Les préjugés sociaux confortent ce point de vue : on conçoit difficilement que l’on puisse apprendre en dehors d’une école et sans un moniteur. Or on apprend beaucoup par imitation, par imprégnation, par osmose. Ainsi on pourrait dire comme Ivan Illich1 que l’école nous a surtout appris qu’on ne pouvait pas se passer d’elle et que tournant sur elle-même, pour elle-même, elle sert surtout l’intérêt de ceux qui y exercent leur profession : administrateurs et enseignants, comme l’a montré également Michel Lobrot2 dans son livre décapant : « La pédagogie institutionnelle ».

Logique d’enseignement, logique d’apprentissage Au début des années 1980, au moment de la propagation de « la pédagogie par objectifs », on disait que l’intérêt majeur de cette technologie était de faire entrer l’enseignant dans une logique d’apprentissage. On se centrait sur les objectifs à faire atteindre par les élèves et on mettait ainsi l’enseignant au service de l’apprentissage. Enseigner (on l’avait oublié !) c’est faire apprendre. L’intention était certes honorable. Cependant dès que nous plaçons un apprentissage dans le cadre institutionnel avec ses programmes, examens, normes, rituels…, nous le faisons, plus ou moins consciemment, dépendre de l’enseignement. Un autre obstacle au passage dans la logique d’apprentissage est d’ordre psychologique. Il concerne le besoin profond, puissant et légitime qui anime l’enseignant : celui d’être utile, d’avoir la maîtrise de l’élève, des progrès et de                                                             1 Ivan Illich, Une société sans école (1971), Ed. du Seuil 2 Michel Lobrot, La pédagogie institutionnelle (1966), Ed. Gauthier Villars 

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l’évaluation. Il a acquis un savoir, c’est bien pour exercer, à son tour, un pouvoir, et c’est aussi pour délimiter et préserver son territoire. Ainsi, enseigner c’est encore trop souvent informer plutôt que communiquer (mettre en commun) et donner du sens. Les programmes à boucler par les professeurs passent avant les objectifs à faire partager et atteindre par les élèves. La logique d’enseignement se retrouve encore dans le fait de considérer les élèves comme identiques (mythe identitaire) et de négliger les représentations mentales (croyances) que les élèves se font sur un apprentissage ou une activité. Cette logique ne prend pas encore assez en compte le contexte présent et passé, et en particulier, le parcours "expérientiel". Elle néglige aussi les interactions avec les autres, à la source des réussites ou des échecs. Cette vision réductrice de l’enseignement conduit encore à ne considérer l’élève que comme un être cognitif, sans états affectifs, coupé du contexte social. L’apprentissage apparaît alors peu signifiant pour les apprenants qui ont besoin de sens et de respect pour être motivés.

La priorité à l’acte d’apprendre Antoine Prost3 nous dit que « les savoirs ne se transmettent pas, ils se reconstruisent et chacun le fait pour son propre compte, à sa façon et suivant son propre rythme ». Il faut dire et répéter que :

- l’on apprend partout tout au long de sa vie - il existe, en effet, un apprentissage par l'expérience et un apprentissage

formel - personne ne peut se mettre à notre place pour apprendre - les temps et les lieux où l’on apprend dépassent largement le cadre

scolaire, et l’on doit en tenir compte pour centrer notre attention sur la manière dont on apprend pour mieux préparer l’indispensable apprendre à apprendre

- si nous désirons tous savoir, nous avons souvent peur d’apprendre - apprendre, c’est prendre des risques, et, pour cela, il faut disposer d’un

plateau de sécurité - apprendre c’est chercher des informations en fonction d’un qui fait sens

pour nous - l’essentiel dans le monde moderne est d’apprendre à apprendre.

Pour un enseignement différencié De toutes ces données, on retiendra qu’il faut chercher à calquer l’enseignement sur l’apprentissage. L’enseignant n’est pas un enseigneur mais un facilitateur, un accompagnateur d’apprentissage. Pour ce faire, il s’agit de favoriser les conditions permettant de combiner au mieux l’apprentissage expérientiel et l’apprentissage formel (auto-hétéro-didaxie). Cela peut s’effectuer par un environnement institutionnel (parcours personnalisés), psychologique et didactique incitateur et facilitateur.

 3 Antoine Prost, Eloge des pédagogues (1985), Ed. du Seuil 

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Conservatoires de France – Février 2011 – Parcours personnalisés : pourquoi ? Comment ?  

Si on souhaite la réussite personnelle de tous les élèves (réalisation de soi), il convient de différencier l’enseignement. «Différencier c’est mettre en place des processus différenciés d’appropriation des savoirs, respectueux des identités des élèves et de leur hétérogénéité, mais se donnant comme objectif l’acquisition par tous des outils linguistiques et conceptuels permettant de construire le monde.»4

Il n’est pas question de réduire les exigences, mais de donner à tous les moyens pertinents pour y répondre. Pour ce faire il convient de partir des différences. Il y a différents chemins pour aller au sommet de la montagne. Il apparaît essentiel, dans le domaine de l’art surtout, que les identités soient respectées et que l’enseignement ne rabote pas les différences et ne robotise pas les individus sous l’influence de l’univers technicien. « L’autre nous est précieux dans la mesure où il nous est dissemblable. »5

Débat Eric Sprogis Dans le prolongement de votre intervention je voudrais revenir sur le rôle des institutions et la manière dont l'enseignement y est cadré. En ce qui concerne les matières artistiques qui s'enseignent dans les conservatoires, deux choses les caractérisent : d'une part c'est un enseignement facultatif, et d’autre part c'est un enseignement qui, pendant quasiment deux siècles, n'a pas été institutionnalisé.En effet il n'y avait aucun texte, aucune directive nationale, aucun règlement, aucune pédagogie officielle, même si un modèle a été créé au début du XIXe siècle par le Conservatoire de Paris : un modèle professionnel qui a fonctionné de manière latente et marqué profondément les esprits, et qui est remis en cause depuis quelques décennies. Il y a donc un formatage réel dans notre secteur, lié à ce modèle professionnel. Mais en même temps, il ne correspond pas à la réalité institutionnelle de ces trente dernières années ! Jacques André [...] C'est pour cela que tout à l'heure je disais que vous étiez "en marge". Malgré tout, je pense qu'il ne faudrait pas prendre le système scolaire comme un modèle pour tout, sans nuances. Eric Sprogis Mais votre intervention entre en résonance avec ce que nous connaissons. Nous ne nous sentons pas automatiquement aux antipodes de ce qui est exprimé, voire dénoncé ici. C’est pourquoi je pose la question : en quoi ces réflexions-là peuvent-elles s'appliquer aussi à notre secteur ? Avec justement cette '"mode" (pas au sens péjoratif du terme), cette orientation forte aujourd'hui - inscrite dans les textes d'ailleurs - de la nécessité, de proposer aux élèves des parcours personnalisés.

                                                            4 Philippe Meirieu, Cahiers pédagogiques n°239 (1985) 5 Albert Jacquard, Eloge de la différence (1978), Ed. du Seuil 

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Conservatoires de France – Février 2011 – Parcours personnalisés : pourquoi ? Comment ?  

Jacques André Ce que je craignais, ce que je crains, d'une façon générale, pour le système scolaire et pour tout le monde, pour toute notre société, c'est l'évaluation. Nous sommes dans le culte de la performance et du rendement. Et donc on ne va pas prendre en compte les différences. [...] Mais on va passer son temps à évaluer ! Je suis sidéré de voir qu'à tous les niveaux, il y a évaluation, et une évaluation très simpliste [...] C’est un retour en arrière au niveau pédagogique. Et cette idée m'agace profondément. Parce que ce qui m'intéresse ce n'est pas évaluer, c'est éduquer. J'étais dernièrement dans le marais poitevin pour une conférence aux parents. Un paysan parent d'élève a pris la parole [...] et a dit : « Ce n'est pas parce qu'on pèse son cochon tous les jours que pour autant on le fait grossir ». J'ai trouvé çà génial. Estelle Labarthe Ce que vous nous avez exposé semble concerner aussi l'enseignant : qui est-il ? À quel titre l'a-t-on "positionné" comme enseignant ? Reconnait-on sa capacité à aider à apprendre ou est-ce sa "posture d'enseignant" qui valide sa technicité et sa compétence? [...] Il me semble que - je parle en novice du monde de l'enseignement artistique - dans l'enseignement de la musique on a, en général, des gens qui ont une maîtrise de l'instrument excessivement poussée et qui, dans la construction de leur méthode pédagogique, doivent être aussi dans l'attente d'une technicité. Jacques André Oui, il s'agit bien de la "posture" de l'enseignant. C'est ce que nous essayions de faire passer dans les IUFM. Actuellement dans les CEFEDEM, les pôles supérieurs, qui préparent au DE, il y a des formations très intéressantes, pourvu qu'elles durent... Elles peuvent changer la posture des futurs enseignants, les amener à changer de posture. Thierry Perrout, conservatoire du Pays de Montbéliard Plutôt que de parler de l'enseignant à la manière d'un maître unique, pourquoi ne parlons-nous pas des enseignants? Et pourquoi ne parlons-nous pas de l'identité et de l'hétérogénéité des enseignants et pas seulement de l'identité et de l'hétérogénéité des élèves ? Jacques André Oui, bien sûr. Mais je suis embarrassé pour vous répondre car l'enseignant enseigne, en plus, ce qu'il est ! « Puisque inconsciemment, il est », disait le psychanalyste. Et cela va très loin, mais il faut quand même des règles générales pour une formation, ce sont des principes de base. Je revois ma propre carrière pédagogique : à une époque je m'étais approprié l'apprentissage (si je le critique si bien, c'est que j'étais en plein dedans). Et petit à petit j'ai pris du recul. Ce processus concerne un peu tout le monde. Ensuite, chacun enseigne d'une manière qui lui est personnelle. Je crois que c'est ce que vous voulez dire et je suis tout à fait d'accord avec vous : si vous voulez respecter l'identité des élèves, respectez votre propre identité. Thierry Perrout Dans notre profession, on a tendance à cloisonner les disciplines. Or, particulièrement dans l’idée de différenciation des parcours, il est souhaitable de penser à l’élève entouré d’une équipe d’enseignants.

Estelle Labarthe Du coup la responsabilité est collective dans la réussite de l’apport. José Richaud, professeur de théâtre au conservatoire d'Angoulême

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Conservatoires de France – Février 2011 – Parcours personnalisés : pourquoi ? Comment ?  

On n'échappe pas au modèle Education Nationale pour se définir, y compris dans les établissements d'enseignement artistique. Dans ce cas-là, la personne qui est en formation, en général jeune, n'a pas une grande expérience de la vie. Et donc sa mission va être d'enseigner sans avoir vraiment de référents d'expérience. Alors effectivement, si on pose la question : qui est l'enseignant ? (en tenant compte de la diversité des enseignants), il y a, à côté de la maîtrise de la discipline - particulièrement dans ma spécialité évidemment, encore "jeune" en conservatoire - un champ d'expériences préalables à la posture d'enseignant, qui n'est pas tout à fait le même pour les musiciens, les danseurs, les gens de théâtre, d'où des diversités multiples. Quelqu'un parlait tout à l'heure de la responsabilité collective d'une équipe d'enseignants : est-ce que la pluridisciplinarité ne serait pas une des pistes permettant de sortir de cette situation bipolaire? [...] Quant aux champs d'apprentissages plus ou moins importants et au risque de formatage évoqué par Eric Sprogis, je pense que celui-ci peut exister dans nos conservatoires à partir du moment où un certain nombre de nos enseignants ne seraient qu'enseignants, enseignants-artistes bien sûr, mais ayant vocation à être enseignants très jeunes. Cela se produit déjà en musique et en danse, et se produira bientôt en art dramatique. On se retrouve là face à un système, quelle que soit la volonté des enseignants et la réalité de leur parcours artistique, qui pourrait ressembler assez vite à ce qui se passe à l'Education Nationale. Pascale Pic, conservatoire de Lille Je voudrais revenir sur la phrase d'Eric Sprogis : « il n'y a pas de réalité institutionnelle dans notre domaine ». Du coup je pose la question : n'est-il pas plus difficile, du fait même que nous n'avons pas de réalité institutionnelle, de se dégager ? Quand les choses ne sont pas formalisées, il est encore plus difficile de les transgresser, de les contester. Et nous nous retrouvons dans un rapport à cette formalisation qui nous empêche d'avancer. Jacques André Si j'ai compris votre propos, il n'y a pas assez "d'institué" dans votre domaine et donc vous ne pouvez pas contester l'institué et vous inscrire dans "l'instituant". [...] Pour instituer vous-même, il faudrait qu'il y ait déjà quelque chose d'institué. Or vous êtes dans une zone floue dans laquelle vous avez du mal à évoluer, c'est bien çà ? Eric Sprogis Ce que disait Pascale c'est que, du fait qu'il n'y a pas de démarches officielles instituées par des textes, la culture [...] et l'idéologie du milieu professionnel sont à l'œuvre, ont été en tout cas très longtemps à l'œuvre. Il est donc beaucoup plus difficile de se poser, de s'opposer éventuellement à cela. J'aimerais recentrer le débat sur les parcours personnalisés. Je provoque un tout petit peu : l'enseignement d'un conservatoire est au service des élèves, bien sûr, et tout ce que nous avons entendu est évidemment très pertinent. Mais en même temps on attend du conservatoire qu'il soit au service de la musique, de la danse, du théâtre, c'est-à-dire que l'activité du conservatoire serve à alimenter la vie artistique. Donc qu'elle serve à produire - j'utilise volontairement un terme un peu trivial - produire des gens capables de jouer de la musique, faire de la danse et du théâtre au service de ces arts et indépendamment de leur intérêt individuel. C'est vraiment la question centrale qui est posée par les parcours personnalisés auxquels on croit tous : comment rendre cohérents ces deux objectifs qui sont, de fait, sinon antagonistes, en tout cas contradictoires et en tension permanente ?

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Conservatoires de France – Février 2011 – Parcours personnalisés : pourquoi ? Comment ?  

Estelle Labarthe Ils le sont forcément selon vous? Eric Sprogis Obligatoirement. [...]. Pour faire vite : si on concentre tout sur l'intérêt de l'élève, à la limite peu importe ce qu'on va trouver au bout du compte. D’un autre côté, si on centre tout sur la discipline artistique, à la limite, peu importe que l'élève souffre un peu, qu'on soit très sélectif, si, au bout du compte, on a de bons serviteurs, des serviteurs super compétents de la musique, de la danse et du théâtre. Et je pense que l'enseignement artistique est passé de l'un à l'autre avec, parfois, des allers et retours plus ou moins rapides. Estelle Labarthe Mais si on observe que d'un côté la discipline fait qu'on perd les élèves et que de l'autre côté l'apprentissage, avec une image de soi plus valorisante, produit des artistes, peut-être n'y a-t-il pas tellement d'antagonisme ? Eric Sprogis C'est pour cela que j'ai rectifié, et dit que c'était contradictoire. C'est-à-dire que je pense qu'il y a un dépassement de cette contradiction, mais je pense aussi que c'est bien l'enjeu de notre débat de cet après-midi. Viviane Serry, conservatoire de Nantes Il ne faut pas oublier qu'il y a un autre acteur de cette tension, ce sont les parents. Et quand on parle de parcours personnalisés, une des tensions supplémentaires c'est cette crainte, de certains parents, d'une orientation précoce. Parce que parcours personnalisé cela veut dire qu'on ne va pas donner à leur enfant la même chose qu'à un autre. Et çà c'est une crainte avec laquelle nous devons aussi travailler. Jacques André Tout à fait. [...] A partir de certaines expériences que j'ai suivies, je pense de plus en plus que nous avons trop tendance, moi le premier, à oublier les parents. C'est au centre de mon livre A l'origine de la réussite, des parents motivants6.Vous avez tout à fait raison, la plupart du temps, ce ne sont pas les enfants qui sont en difficulté, ce sont les parents. Il faudrait essayer de conscientiser les parents et votre travail serait facilité considérablement. Car, pour moi, les gens les plus motivants dans la vie d’un être humain, ce sont les parents, par leur manière d’être. Jean-Marie Colin, conservatoire de l'Aveyron Comment se fait-il que, malgré tous les travaux des plus grands chercheurs depuis des années, l’institution soit toujours autant en contradiction avec ce qu’il faudrait faire ? Comment se fait-il qu’on n’arrive pas à la faire bouger ? Jacques André Comment se fait-il que l’école n’évolue pas ? Pourquoi Célestin Freinet a-t-il proposé pour l’enseignement primaire des choses qui ne sont jamais passées ? Comment se fait-il que tout ce que peuvent dire les théoriciens n’entre pas en ligne de compte ? Pour moi, enseigner c’est résister et cela donne du sens à ma vie. Et puis, une goutte d’eau dans un océan, c’est au moins une goutte d’eau…

                                                            6 Jacques André, A l’origine de la réussite, des parents motivants (2009) Ed. L’Harmattan 

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Conservatoires de France – Février 2011 – Parcours personnalisés : pourquoi ? Comment ?  

 

Du continuum au capharnaüm : quand les nouvelles technologies modifient

l’accès à la culture et à la connaissance, et transforment les rapports sociaux

Yves AUBIN, directeur de La bibliothèque, ville de Saint-Herblain

La technique, en devenant le passage obligé des pratiques culturelles, en modifie l’usage. La multiplication des sources et des moyens a fait voler en éclats une consommation qui est passée du collectif au singulier, de l’expertise des clercs au narcissisme des choix. Des pratiques fragmentées modifient les assurances de la transmission, de la continuité des cultures vers des juxtapositions et des collages qui, dans leurs discontinuités, reconstituent peut-être de nouveaux corpus. L’arrivée de la culture de masse et de la reproductibilité des supports s’est accompagnée dans le même temps du passage d’une hiérarchie de l’art à une hiérarchie des cultures. S’inventent alors des parcours détachés des valeurs classiques et peut-être producteurs de nouvelles voies de création. La figure de l’amateur est revisitée par une économie de la contribution en alternative à la production des industries culturelles. Il reste à s’interroger sur les dispositifs d’accès à la mémoire, sans captation du symbolique par des instances de pouvoir, qui permettraient que perdure l’idéal démocratique. La culture avec un petit “c” ou un grand “c” ? La question culturelle est propre aux sociétés industrielles. Les sociétés industrielles modernes ont produit des hiérarchies intégrées pour toutes les composantes culturelles en les différenciant par des marqueurs qui servent à se reconnaître entre membres d'un même groupe et visent à maintenir des hiérarchies sociales. Le discours d'une disparition des différences culturelles, d'une égalisation des valeurs, est en partie illusoire dans un monde où les différences sociales sont de plus en plus marquées. « Dans ces sociétés, une minorité de la population bénéficie d'un enseignement supérieur... Le reste de la société, qui est exclu de cette formation, constitue, au sens strict, les masses. Voilà un premier problème, car, si l'on considère que la division entre haute et basse culture s'estompe, ou si l'écart entre les deux se réduit, c'est que la division sociale change ; en second lieu, cette distinction est très importante pour l'étude des conflits sociaux, mais pas du point de vue esthétique, artistique, intellectuel, car dire qu'un produit relève de la haute ou de la basse culture ne renseigne en rien sur sa qualité.»7 À l'époque antique ou du temps de

                                                            7  José  Luis  Pardo,  Esto  no  es música :  Introducción  al malestar  de  la  cultura  de masas  (2007), Galaxia Gutenberg Círculo de Lectores, Barcelona 

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Shakespeare, Molière ou Cervantès, cela n'avait pas de sens de dire qu'ils appartenaient à la haute culture. Cette diffusion économico-culturelle a utilisé le mirage d'une liberté de choix et celui d'idéaux universels pour des productions pour le plus grand nombre ─ confusion entretenue entre culture de masse et culture populaire ─ en les opposant au dogme et à la rigidité de la haute culture. Les produits de la culture pop américaine (d'Andy Warhol au pop surrealism californien), qui se sont diffusés dans le monde entier, participent de cette illusion qui a surtout servi les industries culturelles au travers de ce que l'on nomme la culture mainstream. « La prolétarisation, c'est historiquement la perte du savoir du travailleur face à la machine qui a absorbé ce savoir. Aujourd'hui, la prolétarisation, c'est la standardisation des comportements à travers le marketing et les services, et la mécanisation des esprits par l'extériorisation des savoirs. Aujourd'hui la culture populaire, pour ce qu'il en reste ou ce qui en tient lieu c'est la télévision, c'est l'industrie culturelle de masse, est populaire ce qui fait de l'audience, du chiffre. Pour le meilleur et pour le pire. »8

Au XIXe et au XXe siècle se mettent en place de nouvelles hiérarchies : une sacralisation de l'art que l'on peut observer dans le respect pointilleux des œuvres. Un opéra sera représenté dans sa langue originale, une partition est exécutée fidèlement aux notations du compositeur (à la Révolution on invente les beaux-arts pour les différencier des arts libéraux et des arts mécaniques), et les musées présentent des collections où sont ordonnées, séparées les catégories d'objets à conserver, à montrer ; ces mêmes musées mettent en avant le concept d'œuvre originale, en un seul exemplaire, en l'opposant à la reproduction, au chromo. Dans le même temps la culture populaire intègre les valeurs démocratiques, traduites, par exemple, dans la littérature romanesque ou, en musique, dans le jazz et dans la montée des folklores (contes et légendes). Dans les années soixante-dix les écomusées tentent de rendre compte de la vie industrieuse dans une approche documentaire qui valorise et montre le réel subi en différence de l’art qui, lui, construit une fiction qui invente le réel. Cette mise en place s'est traduite par la production de codes de comportement qui ont balisé les usages. Ainsi de la distribution spatiale des salles de spectacles, du silence des spectateurs dans les salles de concerts, d'y faire autre chose que de regarder et écouter : il y est interdit de fumer, boire, manger ou discuter avec ses voisins (aujourd'hui les téléphones portables y sont indésirables) et aussi de savoir quand et comment applaudir, manifester son enthousiasme ou sa réprobation. Les musées ont également éduqué leurs visiteurs : ne pas toucher les œuvres, ne pas trop s'approcher, ne pas courir, ne pas s'invectiver, sans évoquer les bibliothèques qui ont su aussi ériger leurs codes d'usage. Contraindre les corps est aussi une marque du caractère sacré de l'endroit. Des cercles, sociétés informelles, artistes, intellectuels et journalistes déterminent ce qui relève de la haute ou de la basse culture en se tenant éloignés de la politique, de l'économie, de la morale et de la religion. Sélection de genres et sélection formelle différencient la culture appartenant au régime de l'art, donc de l'universel, de celle connotée par le divertissement, l'entertainment anglo-saxon. Le régime de l'art, par la figure des avant-gardes, continue pourtant de produire encore quelques exemples. À l'image du tango, né d'un mouvement en partie                                                             8 Bernard Stiegler, Ce qui fait que la vie vaut la peine d'être vécue (2010), Ed. Flammarion  

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protestataire ou pour le moins différencié des travailleurs pauvres des banlieues de Buenos-Aires, qui a été intégré dans nos cultures communes au point de devenir un des emblèmes du peuple argentin, le hip-hop, né dans la rue, porteur d'une revendication sociale exprimée par le corps, le mouvement, une esthétique décalée des codes de la danse de salon ou de plateau, rejoint aujourd'hui ces mêmes plateaux où il rencontre un public large, loin des cités et des banlieues de ses origines. Cette danse, importée des États-Unis dans les années 80 repose sur la performance et la recherche de nouvelles figures chorégraphiques. Danse démonstrative, elle a l'énergie de la liberté qui l'anime et, bien qu'aujourd'hui reconnue par des chorégraphes institutionnels (Kader Attou à La Rochelle, Jérémie Bélingard, danseur étoile de l'Opéra de Paris, invité à Suresnes), a conservé sa dimension de création collective en ne devenant pas une danse d'auteur à l'image de ces compagnies qui ne désignent pas un créateur attitré de leurs spectacles. Ce même retour que l'on retrouve dans les collectifs de théâtre. La survalorisation de l’auteur trouve ses limites dans ces dispositifs du collectif plus proches des références populaires. Cet exemple que l'on pourrait rapprocher des expositions sur les esthétiques du mouvement punk à la Villa Medicis ou du graph à la fondation Cartier, montre que le mouvement d'intégration des cultures se poursuit, que la différenciation entre haute et basse culture, puisque c'est l'interrogation qui sous-tend ces exemples, ne se résout pas aussi facilement. Le mélange, en grande partie artificiel, entre art, culture, marché de l'art joue toujours de la dénonciation consumériste (à l'image de Jeff Koons) et de la nostalgie qui peut être aussi perçue comme un recyclage. La revanche des arts mécaniques L'arrivée massive des machines numériques, l'accès facile à l'Internet, ont amené une prolifération des productions et des expressions de toutes natures. Énumérer, au risque d'oublis, tous les supports, conduirait à tenter un classement par genre : les appareils de communication, les appareils de restitution, les appareils de production. Ce classement pourrait ne refléter que des usages anciens liés aux machines analogiques. Le saut technique du passage au numérique a fondu les productions dans une seule prothèse que la polyvalence des outils tend à unifier et à mélanger. Cette fracture a rendu le monde plus proche et plus lointain. Les distances sont abolies et le temps subit les effets d'une accélération nouvelle. L'interface modifie la perception et la représentation du réel en est perturbée. « Il y a trois murs : du son, de la chaleur et de la lumière. Les deux premiers ont été franchis. Le mur du son, c'est l'avion supersonique et hypersonique. Le mur de la chaleur, c'est la fusée qui permet d'exorbiter un homme et de le faire atterrir sur la Lune. Le troisième, le mur de la lumière, on ne le passe pas, on rentre dedans. C'est ce mur du temps auquel l'histoire est affrontée maintenant. Le fait d'avoir atteint le mur de la lumière, de la vitesse de la lumière, est un événement historique qui désoriente l'histoire et qui désoriente le rapport de l'être au monde. »9

                                                            9 Paul Virilio. Vitesse et information : alerte dans le cyberspace, in Le Monde diplomatique (août 1995) 

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Aujourd'hui la culture de l'écran concerne, au quotidien, plus de la moitié des Français. Près de 70% de la population se connecte à l'Internet (hors télévision). Ces nouvelles techniques ont en point commun la rapidité, l'instantanéité, la fluidité, la prolifération. Elles donnent un accès au monde basé sur le pouvoir et sur le pouvoir que l'on a sur ce monde. Par cela elles déclassent toutes les autres formes préexistantes – la perte de centralité du livre et de l'écrit en est un des exemples – et produisent des réflexes de masse, réactions homogènes et formatées qui facilitent la diffusion des productions industrielles et celle des opinions collectives de masse. Se souvenir et vivre Dans la terminologie classique de l'art, la création passe par un retour sur la tradition (les humanités), puis par une séparation, un écart, une nouvelle création, une modernité, avant que celle-ci ne constitue une nouvelle jurisprudence qui l'inclura dans le classique et l'intégrera en refondant la tradition. Or pour que cela se passe il faut, sensiblement et intellectuellement, connaître, expérimenter et éprouver les œuvres existantes. « Il est sans doute urgent de maintenir les dispositifs d'accès à la mémoire qui donnent accès au monde sans captation des instances de pouvoir, ce qui conserverait l'idéal démocratique.»10 Si la maîtrise de la mémoire risque d'être bientôt réservée à une minorité éduquée, il y a nécessité à repenser les mécanismes de la transmission. Il ne s'agit pas seulement de donner accès à un savoir, une information. La seule transmission de l'information est insuffisante pour transmettre, si l'on entend que l'acte de transmission met en jeu au moins deux personnes et que cette relation décide du sort des significations transmises. Informer, aujourd'hui, équivaut à être tenu au courant, une façon de s'inscrire dans un flux, une liquidité mouvante, en temps réel, sans outils critiques, sans repères au risque d'être emporté. Au nom de la liberté de choix, de l'autonomie, de la neutralité, l'information propage cette idée de l'équivalence des idées et des choses, rompt la chaîne intergénérationnelle. Or la transmission est aussi cette manière de dire aux nouvelles générations ce qui a été important dans le passé, les valeurs acquises, les symboliques qui relient les existences entre elles et donnent du sens à notre propre vie. Il serait moins à rechercher une adaptation permanente aux changements du monde que l’adoption d'un héritage pour porter une liberté de l'esprit qui est la seule possible. Comment faire émerger dans le présent et rendre visible et actuel ce qui a déjà existé ? Cet héritage qui est le désir de poursuivre, fut-ce en l'interrogeant, une histoire commencée avant soi. « Latransmission est au cœur du “vivre” ensemble des générations différentes. »11 Ce qui pourrait constituer le premier degré de la diversité culturelle.

« Dans la société pré-moderne, avant la grande industrie, le présent reliait au moins trois générations car le monde ne changeait guère entre celui du grand-père et du petit-fils, et le premier pouvait encore transmettre son savoir-vivre et ses

                                                            10 Alain Badiou, In Le rôle politique du livre aujourd’hui, conférence donnée à la médiathèque de Saint‐Herblain le 3 mars 2009 11 Catherine Chalier, Transmettre de génération en génération (2008), Ed. Buchet‐Chastel 

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valeurs au second. Dans la haute modernité, la première moitié du XXe siècle, il s'est contracté à une seule génération : le grand-père savait que le présent de ses petits-enfants serait différent du sien. Il n'avait plus grand-chose à leur apprendre, les nouvelles générations devenaient les vecteurs de l'innovation, c'était leur tâche de créer un nouveau monde, comme en Mai 68 par exemple. Cependant dans notre modernité tardive, de nos jours, le monde change plusieurs fois en une seule génération. .../... Le présent raccourcit, s'enfuit, et notre sentiment de réalité, d'identité, s'amenuise dans un même mouvement. »12

Populaire, l'éducation ? À côté de l'enseignement s'est développée cette éducation populaire dont la paternité est attribuée à Condorcet, dans le projet de poursuivre l'instruction des citoyens « pendant toute la durée de la vie ». Il ne s'agit pas seulement de pallier et prolonger le cursus scolaire mais de mettre en place une « éducationpopulaire, politique et critique »13. L'éducation populaire ne cherche pas à transmettre des savoirs mais à donner des outils qui rendent lisibles les rapports économiques, sociaux, politiques et par conséquent les rapports culturels. Il pourrait s'agir là de compléter et de rechercher une alternative au consensus de l'action culturelle. L'objectif est bien de réinventer ce que Jacques Rancière nomme le « partage du sensible » en redonnant les outils qui permettront au plus grand nombre de se saisir des manifestations de l'art et de se libérer de la domination de la culture officielle et/ou marchande. Cette piste nous invite à revisiter des pratiques où l'institution peut retrouver une dimension de partage avec tous.

Et l'amateur ? Les pratiques culturelles, en passant par les techniques numériques, ont multiplié les expressions individuelles que ce soit sur l'internet ou à domicile. La part consacrée à la production d'images par les appareils photos numériques, les caméscopes et maintenant les téléphones portables concerne 60% de la population et les pratiques d'activités en amateur sur ordinateur 23 %. L'émergence de nouvelles formes d'expression et de diffusion a profondément bouleversé ces pratiques en amateur. Mais cette notion d'amateur ne se limite pas à la nomenclature des mesures statistiques. Cette notion de pratique amateur couvre des champs différents : est amateur celui qui aime, dans la position du fan de ou du spécialiste exerçant sa passion mais aussi celui qui développe une expertise dans un domaine donné et celui qui, un peu à la manière du bénévole, investit dans la création textuelle, graphique ou musicale. Naturellement ces activités peuvent être le jardin secret que l'on cultive pour soi-même ou être diffusées dans l'espace public et contribuer à la réflexion commune. Cette économie de la contribution que l'on a vu émerger dans les logiciels libres, dans wikipédia, s'affranchit des circuits traditionnels de diffusion.

                                                            12 Hartmut Rosa, In Le Monde magazine (29 août 2010) 13 Franck Lepage, De l'éducation populaire à la domestication par la “culture”, In Le Monde diplomatique (mai 2009) 

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Ainsi se forgent de nouveaux codes d'interprétation ; des nouvelles procédures de collage, de mixage sont expérimentées, qui ne relèvent pas des pratiques transmises. Toutes les données sont disponibles et elles constituent un matériau, une chose-monde. Se mettent en place des dispositifs partagés dans des communautés d'interprétation qui pourraient ressembler à ces «arts du faire» (Michel de Certeau). Il pourrait s’agir d’une voie pour s’inventer le monde, être acteur de sa propre subjectivité individuelle et collective en sortant de la représentation de l’objectivation documentaire. Il y a développement, à côté des experts, de compétences qui réaffirment la capacité de penser de chacun. Débarrassé des effets de la légitimité et de l'autorité, l'expert professionnel a à inventer une nouvelle relation avec ces nouveaux interlocuteurs. En sortant du champ des pouvoirs, les relations entre l'expert institutionnel et l'amateur s'affranchissent de l'affect et peuvent retrouver la confrontation des rationalités. Peut-être une manière de réinvestir la sphère démocratique ?

Bibliographie complémentaire :

François Bégaudeau, Joy Sorman, Parce-que ça nous plaît : l’invention de la jeunesse (2010), Ed. Larousse

Patrice Flichy, Le sacre de l’amateur : sociologie des passions ordinaires à l’ère numérique (2010), Ed. du Seuil

Lawrence W. Levine, Culture d’en haut, culture d’en bas : l’émergence des hiérarchies culturelles aux États-Unis (2010), Ed. La découverte

Frédéric Martel, Mainstream : enquête sur cette culture qui plaît à tout le monde (2010), Ed. Flammarion

Jacques Rancière, Et tant pis pour les gens fatigués (2009), Ed. Amsterdam

Hartmut Rosa, Accélération : une critique sociale du temps (2010) Ed. La Découverte

 

 

 

 

 

 

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Les parcours individuels des élèves sont-ils destinés à rester hors-normes s’ils ne peuvent

s’adapter aux normes des institutions éducatives ? Alain BOULVERT, professeur de philosophie au lycée Aristide Briand de Saint-Nazaire L’instruction est obligatoire mais l’apprentissage ne se décrète pas. En matière d’éducation, il n’est pas d’issue si l’on s’en tient et si l’on s’enferme dans l’affrontement de volontés opposées : celle de l’enseignant et celle de l’apprenant. On ne fait alors que renforcer le sentiment d’échec et d’exclusion. Afin d’éviter ce sentiment d’exclusion, il faut donner à l’élève les moyens de se dégager d’une image négative et sclérosante dans laquelle il a pu s’enfermer, et lui permettre d’échapper à sa solitude. L’immense difficulté, c’est que cela doit passer par le renoncement à certains préjugés et à des points de vue insuffisamment critiqués, sans pour autant que cette ouverture à une certaine forme d’universalité soit ressentie comme un renoncement à son parcours propre, à son histoire et son expérience personnelles. Il faut donner aux jeunes les moyens de se retrouver semblables en dépit de leurs différences de parcours. Une formation éducative, quelle qu’elle soit, n’a-t-elle pas en effet pour finalité de sortir certains jeunes de leurs obsessions et de leurs errances pour donner ou redonner à tous, au-delà de leurs caractéristiques personnelles, le sentiment d’appartenance au monde humain ? Je disais « se retrouver semblables en dépit de leurs différences de parcours ». N’est-il pas possible plutôt d’imaginer se retrouver semblables en reconnaissant et en assumant ces différences ? Comment faire en sorte que les parcours de certains jeunes ne les maintiennent pas dans une errance ou une solitude aliénante, et qu’ils restent ainsi irréductibles à toute forme de reconnaissance et d’intégration ? Je partirai d’une réflexion sur les notions de normalité et par là-même de hors-norme(s), de l’évolution des significations linguistiques et sociales de ces termes, puis de leur résonance sur l’éducation. Je prolongerai et j’approfondirai cette question en m’appuyant sur la fondation en 1982 du lycée expérimental de Saint-Nazaire et sur son fonctionnement. Enfin je m’efforcerai d’en dégager quelques enseignements et de mettre en valeur les principes et modalités de fonctionnement essentiels et éventuellement transférables. Introduction à la notion de normalité C’est une introduction un peu technique, mais je voudrais montrer l’incidence de l’évolution sémantique des notions de norme et de normal sur la conception sociale de l’idée de normalité : comment les mots influencent les faits.

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• Notions de norme, normal, normatif

Le latin norma signifie d’abord équerre, c’est au départ un terme de géométrie et d’architecture. On le joint souvent à regula, c’est-à-dire règle, autre terme de géométrie. L’adjectif normalis a également un sens géométrique de fait à l’équerre, et l’adjectif composé abnormis signifie au propre comme au figuré irrégulier.

Très progressivement, regula va accroître ses significations et prendre le sens figuré de règle sociale et morale et contaminer ainsi celui de norma qui va progressivement signifier modèle, règle, idéal, par rapport auxquels seront portés des jugements de valeur.

Nous allons retenir deux acceptions majeures pour le terme normal. D’abord, selon son étymologie, une signification géométrique : perpendiculaire, qui ne penche ni à droite ni à gauche, qui se tient dans un juste milieu. Et une signification statistique : qui se rencontre dans la majorité des cas, qui constitue la moyenne d’un caractère mesurable. Ainsi Durkheim peut-il affirmer qu’« un fait social est normal pour un type social déterminé, considéré à une phase déterminée de son développement, quand il se produit dans la moyenne des sociétés de cette espèce ». A la fin du XVIIIe et au XIXe siècle, le sens figuré et moral va s’accentuer et prendre le pas sur ces deux significations premières, et normal va signifier « qui est tel qu’il doit être, conforme à la règle de droit, régulier » et il est alors synonyme de juste et équitable. Il est ainsi ce qui sert de règle et de modèle : on parle « de cours normaux, d’établissements normaux, et d’écoles normales, etc. »

• Confusion entre faits et valeur attribuée à ces faits. A partir de ce moment, le terme normal va devenir très équivoque, car il va renvoyer indistinctement à un fait, ou un ensemble de faits, ou à une valeur attribuée à un fait. Cette équivocité du terme normal va encore être aggravée dans la mesure où ce terme subit l’influence de son opposé anormal qui, lui, est confondu avec anomal. En effet, à la suite de l’assimilation de norma à nomos, anomal (c’est-à-dire quis’écarte de la règle générale, formé d’après le grec nomos qui signifie loi, coutume, règle) est confondu avec anormal, contraire à la norme : anormal va alors être pris à tort pour l’adjectif correspondant à anomalie et va ainsi prendre le sens de « ce qui échappe à la loi, ce qui s’y oppose ».

Pourtant les caractéristiques d’un fait n’impliquent nullement que ce fait soit bon ou désirable.

Les notions de normal et d’anormal souffrent donc d’une ambiguïté ; le normal, concept quantitatif de plus grande fréquence, est contaminé par celui de norme, concept qualitatif de règle, de modèle, de bien, de vrai. La norme va alors désigner non seulement ce qui est habituel, mais aussi va finir par désigner le parfait et l’idéal. Par voie de conséquence, on va considérer qu’un individu est bien relié à son milieu s’il y est adapté ; et réciproquement, l’inadaptation est alors l’incapacité de s’accorder à un milieu donné.

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• Cela nous amène à retenir deux sens pour le concept de norme : En premier lieu, un sens descriptif : être conforme à la majorité ou à la moyenne des cas. Ce qui est dit normal est ce qui est fait habituellement, ce qui est conforme aux usages majoritaires. En second lieu, un sens normatif : la norme prend ici une valeur impérative. Elle est la règle qui s’impose, le principe, le modèle. L’adjectif qui lui correspond n’est alors plus normal, mais normatif qui désigne ce qu’il faut faire et respecter. Ce qu’il faut noter, c’est que toute société a ainsi tendance à imposer à ses membres ce qui se fait majoritairement, ce qui explique le glissement continuel du sens descriptif au sens prescriptif et normatif.

La qualité de normal est accordée, dans la vie quotidienne, sur le mode de l’évidence, ce qui implique un consensus implicite. Le normal se fonde sur la moyenne des fréquences d’un comportement, d’une situation ; mais cette norme statistique fondée sur un simple constat, s’impose aussi comme fonction normative : tout en se donnant comme constat, la norme agit comme prescription. L’expression « normes sociales » présente ainsi une double acception : ce qui se fait, et ce qui doit se faire, c’est-à-dire les convenances, habitudes et pratiques dont on ne saurait s’écarter.

En outre, c’est la familiarité de l’expérience, et donc sa compréhension, qui vont rendre tel comportement, telle situation ou position, acceptable, légitime, normal(e) : ce qui est familier apparaît comme normal, a contrario ce qui est rare dénote, voire dénonce ou trahit l’anormalité.

Le normal, c’est ce qui est habituel, fréquent, qu’on l’utilise ou qu’on le subisse. Il est alors constat de fait, mais des faits admis tels quels, sans qu’ils soient aucunement confrontés à ce qui pourrait être, ou à ce qui devrait être. On verse dans un conformisme à une normalité de la fréquence, à une toute puissance de l’état de fait, sans que l’on s’interroge véritablement sur ce passage du fait à la valeur, c’est-à-dire le passage de l’être au devoir-être. Anomalie et anormalité Se conformer à une norme n’est pas une détermination totale. Il ne s’agit pas pour un individu de reproduire avec une similitude absolue ce que la norme prescrit. Celle-ci exprime une règle générale, or il n’est de comportements que particuliers. L’individu, qui n’échappe jamais à la référence à des normes, n’est cependant réductible à aucune. Se conformer totalement à une norme serait se nier soi-même et renoncer à soi en tant que personne, notion essentielle sur laquelle nous allons revenir. Nous avons vu qu’il y avait une tendance à assimiler les termes d’anomalie et d’anormalité. Ces deux termes indiquent précisément des écarts, des décalages, voire des déviances par rapport à la norme. L’anomalie exprime bien une non-conformité avec la loi de fonctionnement qui était attendue, et on ne sait pas pourquoi ce que l’on attendait conformément aux règles n’est pas réalisé. Mais tant que l’anomalie, ou ses multiplications, ne remettent pas en cause le fonctionnement d’ensemble d’une institution, elle reste de l’ordre d’un dysfonctionnement occasionnel, contingent, et donc secondaire. Elle ne reflète

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qu’un écart partiel avec l’ensemble de l’institution et elle n’empêche donc pas la continuité de l’exercice de la régularité normative, qui continue ainsi à faire référence. En revanche, à la différence de l’anomalie, l’anormalité est un écart, non plus partiel, mais global du système par rapport à la norme qui est censée le régir. Le terme anormal ne signifie plus une simple irrégularité, mais une opposition radicale et directe avec normal. Cependant, si cette définition a une pleine signification dans les domaines biologique ou génétique par exemple, cela ne veut pas dire qu’on peut qualifier aussi aisément un être social d’anormal. En effet, appliqué à un être humain, ce terme introduit d’autres paramètres comme celui de la non-reconnaissance de l’autre en tant qu’être humain semblable à soi, et par conséquent il peut être facteur d’exclusion. Un comportement qui dérange, à cause de sa marginalité, sera facilement taxé d’anormal si on ne prend pas en compte, en amont, ce qui a pu l’engendrer, et donc ce qui pourrait permettre de le comprendre, de le prendre en considération, voire d’élaborer des facteurs d’intégration. Ainsi la violence urbaine, par exemple, est certes un comportement anormal, mais il faut prendre en considération l’ensemble des paramètres qui ont pu conduire à de tels comportements : le sentiment de rejet, l’ostracisme, l’absence d’avenir réel ou supposé tel, etc. Cela peut même conduire, par la critique et le rejet du bien-fondé des règles, à la revendication de l’anormalité par refus d’une normalité jugée inadéquate et injuste. La transgression de la norme et l’anormalité qui en découle, et dont les exemples se multiplient, sont alors revendiquées comme refus et dénonciation des normes institutionnelles.

Il y a donc un caractère subversif de l’inadaptation et des situations d’exclusion. Cela explique que l’anormalité soit perçue comme une tare et comme un danger. Cela explique aussi peut-être pourquoi on a tendance à employer des euphémismes pour la caractériser, tel celui de « hors-norme », que j’emploie moi-même : mais utiliser des euphémismes, n’est-ce-pas la marque d’un déni, d’un refus de la réalité ? Et par là-même la notion de hors-norme ne renvoie-t-elle pas également au caractère sélectif outrancier et à un certain manque de sens de nos institutions éducatives qui sont facteurs d’exclusion ? De l’hétéronomie comme norme à une forme d’autonomie : ou le paradoxe de l’injonction à la liberté et à devenir soi-même comme normes nouvelles. On tient la normalité pour signe d’adaptation réussie : être normal, c’est être bien adapté à son entourage, à son milieu, à la société dans laquelle on vit, à ses mœurs… Mais celui qui s’adapte, n’est-ce-pas aussi celui qui se soumet aux normes et à l’ordre de la société dans laquelle il vit ? Rappelons le paradoxe, dont l’expression est volontairement provocante, relevé par l’ethnopsychiatre Georges Devereux : jusqu’en avril 1945, disait-il, la tâche du psychiatre allemand était accomplie le jour où son patient adhérait au parti nazi ; en mai 45, elle s’achevait le jour où son patient s’engageait dans le parti chrétien démocrate s’il vivait à l’Ouest, ou au parti communiste s’il vivait à l’Est. Il faut donc admettre que parfois l’adaptation peut être le signe d’une soumission

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maladive de l’individu à la société, société qui peut être elle-même sous la coupe d’une idéologie dominante perverse. Les exemples du siècle passé ne manquent pas. Aujourd’hui, force est de reconnaître que les valeurs de notre société sont centrées sur l’individualité, le rendement, la compétition, la rentabilité et une tentation toujours accrue de remplissage et d’accélération du temps. Pour mémoire rappelons que les latins avaient d’abord inventé le terme otium pour signifier le loisir et l’oisiveté, avant de construire par sa négation nec, le terme nec-otium, pour signifier négoce, commerce, et par extension pour désigner une forme de travail. Imaginons aujourd’hui un individu qui se présenterait pour un emploi et demanderait de définir d‘abord son temps de loisir avant de déterminer quels seraient son travail et ses obligations ? Les individus considérés comme normaux sont ceux qui réussissent professionnellement, voire matériellement, les individus considérés comme anormaux sont ceux qui nient ces valeurs et critères de réussite, par leur comportement affiché, ou encore de façon implicite ou inconsciente. L’individu normal reconnaît les codes et la hiérarchie de sa société, il dégage certaines caractéristiques : force, maturité, conviction, rationalité et maîtrise ; l’individu considéré hors-norme est irrespectueux, insoumis, faible, immature, changeant, irrationnel. D’autre part, par rapport à une large première moitié du siècle dernier, notre société s’est largement complexifiée. Jusqu’aux années 1960-70 en effet, les traditions structuraient l’existence individuelle et normaient les comportements par des interdits, qui pouvaient et devaient certes être discutés, mais qui, de fait, fixaient des bornes et des limites qui servaient de repères. Aujourd’hui, l’individu paraît plus libre, rien n’est vraiment interdit ; en revanche il est confronté à une profusion de repères auxquels il est censé se référer, mais ces repères sont tellement nombreux et de sources si diverses, qu’il est le plus souvent dans l’incapacité de se déterminer. L’individu est alors sommé de choisir, mais il se trouve dans l’incapacité d’effectuer ses choix.

Il devait jusqu’alors se déterminer entre ce qui était interdit ou autorisé ; la société lui impose maintenant de trancher lui-même : la loi est moins extérieure et il s’agit moins de s’y conformer que de prendre appui sur ses compétences personnelles, sur sa capacité à formuler des projets, à légitimer ses motivations. L’individu ne peut choisir lui-même ses modes de régulation, puisque d’une situation d’hétéronomie, où la loi était imposée de l’extérieur, il se retrouve dans une situation pour le moins paradoxale : situation d’autonomie, mais d’autonomie obligatoire et forcée, qui est la nouvelle norme commune.Et l’individu est sommé de s’y plier sous peine d’être mis en marge de la société et d’être déclaré « hors-norme ». La norme est aujourd’hui moins la conformité à la loi que l’esprit d’initiative, mais une initiative normée puisqu’elle est obligatoire. J’en viens ainsi à l'Ecole et au rapport au hors-norme. Nos institutions éducatives ne sont pas en reste et elles participent à cette procédure de marginalisation et d’exclusion.

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Ecole et « hors-norme » Le système scolaire est ainsi construit sur le pouvoir du mérite. Chaque élève doit s’engager dans un parcours compétitif sanctionné par une reconnaissance de l’institution : passage d’une classe à l’autre, du collège au lycée, aboutissant éventuellement à des études supérieures évaluées par un diplôme, etc. Seulement, il nous faut rappeler que moins de 6% d’enfants issus des milieux populaires accèdent à un second cycle des universités. Et que, d’autre part, les derniers chiffres de l’OCDE (organisation de coopération et de développement économique) montrent que l’on est passé en France de 15% à plus de 20% d’élèves en très grande difficulté. La norme du succès vaut pour tous, et celui qui n’est pas parmi les meilleurs va connaître le redoublement, des orientations subies, et des choix d’études par défaut. La plupart sont alors orientés négativement et le sentiment d’échec qui en résulte peut engendrer découragement et renoncement, mais aussi des comportements de rejet et de violence. La reconnaissance du mérite scolaire est présentée comme la possibilité du salut pour les plus défavorisés, mais on sait que la reproduction sociale est très élevée : la méritocratie transforme, de fait, les inégalités sociales injustes en inégalités scolaires qui paraissent justes puisque qu’elles se fondent, en apparence, sur le seul mérite scolaire des élèves. D’autre part il y a globalement une hiérarchie des diplômes qui correspond à une hiérarchie des rémunérations, et cette « équivalence » diplôme/emploi exacerbe les sentiments d’échec et d’exclusion. La non-réussite, le sentiment de ne pas être concerné par les contenus, par les apprentissages que propose l’école, engendrent le désintérêt, le décrochage, l’absentéisme…, et plus gravement l’exclusion, la violence et parfois la délinquance. Il y a quelques années encore, la scolarisation beaucoup plus courte des élèves les plus en difficulté, et la légitimité qui entourait l’école, et par conséquent les principes d’enseignement et ceux d’ordre et de discipline, tout cela, de fait, protégeait le système scolaire et la société elle-même. Aujourd’hui, la violence du système méritocratique, qui prolonge les inégalités, est passée d’un état tacite à un état exprimé et reconnu : si l’on peut concevoir, en théorie, que les inégalités économiques engendrent des inégalités scolaires et culturelles, il n’est pas légitime que les inégalités scolaires déterminent totalement les inégalités sociales. Et pourtant, le système normatif de l’institution scolaire filtre, hiérarchise, sanctionne, sélectionne à tous les échelons du parcours de l’élève, et celui qu’elle ne reconnaît pas se retrouve alors marginalisé.

La prise en considération du hors-norme et de l’exclusion : création du lycée expérimental de Saint-Nazaire. C’est pour l’ensemble de ces raisons que nous avons décidé, en juin 1981, sous l’impulsion de Gabriel Cohn-Bendit et d’André Daniel, de nous lancer dans l’aventure de ce qui allait devenir le lycée expérimental de Saint-Nazaire.

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• Le lycée expérimental de Saint-Nazaire - Un peu d’histoire Tout est parti de l’élection présidentielle de François Mitterrand en 1981 et de la nomination d'Alain Savary comme Ministre de l’Education Nationale. Ce dernier était un homme d’une très grande intégrité, qu’on avait pu déjà mesurer, pendant la guerre d’Algérie, alors qu’il était au gouvernement. Gaby lui adressa une lettre ouverte, le 20 mai, dans Libération, dans laquelle il proposait l’ouverture d’un lycée différent, dans le cadre de l’Education Nationale, pour des élèves et des enseignants volontaires. Les tractations furent longues tant les résistances étaient nombreuses, et se cristallisaient autour du refus d’ouvrir un établissement avec un statut particulier, fondé sur une entière liberté pédagogique et de fonctionnement ; décision qui pouvait être interprétée comme l’ouverture d’une brèche au sein du système monolithique de l’Éducation Nationale. De septembre 81 à janvier 82, nous avions déjà jeté les bases de ce que pouvait être ce futur lycée en commençant à fonctionner à Saint-Nazaire dans une vieille cure retapée. Nous avions comme interlocuteur privilégié Jacques Giffard, qui avait lancé, une dizaine d’années auparavant, les stages d’insertion. Cela était déjà un indicateur sur le type de public-élèves que nous aurions à « gérer », c’est-à-dire des jeunes qui pouvaient être considérés « hors-norme ». Enfin, après six mois et de multiples réunions, le feu vert était donné le 1er février 1982. Le Ministère, pour cette première année réduite à un semestre, avait limité le nombre d’inscrits à soixante élèves. Et nous étions vingt dans l'équipe éducative. - Les objectifs Un des premiers objectifs, dégagé et affiché, était de redonner à ces jeunes une initiative, un rôle actif, à l’intérieur comme à l’extérieur du lycée, alors qu’ils avaient été maintenus dans des normes qui avaient engendré une passivité puis une démission scolaire et parfois sociale. Il s’agissait donc de leur redonner confiance dans leurs potentialités pour qu’ils puissent recouvrer et mettre en œuvre leurs capacités d’autonomie et leur responsabilité. En 1982, ces jeunes, de fait, n’étaient plus scolarisés, et nous avons fait le constat qu’ils étaient nombreux dans ce cas, mais de façon parfois occulte. Cela ne suffisait cependant pas pour effectuer nécessairement la démarche d’intégrer le lycée expérimental. Il fallait connaître son existence et oser franchir le pas. L’information est aussi un privilège et parfois un luxe. Nous avions donc carte blanche, ce qui était une opportunité extraordinaire ! Mais il y avait tout à faire, trouver des locaux (quatre lieux différents en trente années), ce qui n’était pas une mince affaire, trouver des logements pour des jeunes qui venaient parfois de très loin, et bien sûr construire une école à partir de parcours individuels multiples, qu’il s‘agissait d’intégrer à des principes et à un fonctionnement collectifs qui restaient entièrement à définir. C’était là l’objectif majeur. Il faut aussi prendre en considération le fait que nous avions une période probatoire d’abord de six mois (février 82-juillet 82), puis de trois ans (septembre 82-juillet 85) à l’issue desquelles un bilan devait décider de la continuation de « l’expérience ».

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Ces échéances, auxquelles nous devions faire face, nous obligeaient à ne rien négliger, ni de ce qui se passait à l’intérieur du lycée, ni sur ce que nous disions à l’extérieur, dans les médias par exemple, ni pour ce qui était du comportement de nos élèves « en société ». Il n’est pas question de traiter chronologiquement toutes les étapes de l’évolution qui ont conduit à ce qu’est devenu le lycée expérimental, mais davantage de dégager les principes fondateurs qui émanent à la fois de convictions politiques, de volonté théorique, mais aussi de réalités empiriques avec lesquelles il a fallu composer. Je vais prendre quelques exemples de ces résistances qu’il nous a fallu gérer. Les premières années, nous avions accepté, auprès de l’office du logement HLM de St-Nazaire, d’être parrains ou marraines d’un appartement occupé par quatre ou cinq élèves. Très vite, nous fûmes débordés par les appels au secours de tous ordres, évidemment surtout la nuit, nous remplacions de fait les parents. Sans compter que l’été venu, nous devions jouer les peintres et vitriers de service pour redonner au logement un état qu’il n’aurait jamais dû quitter... C’est à partir de telles expériences, auxquelles nous étions confrontés, que progressivement nous avons pu affiner nos pratiques de suivi (en l’occurrence ici, suivi d’intégration sociale) et également préciser le type de relations que nous devions entretenir ensemble. Nous nourrissions également quelques illusions. Entre autres, celle de croire qu’il suffirait de définir un projet commun avec des élèves, pour qu’il fût appliqué. Nous avions ainsi instauré ce que nous nommions « la libre fréquentation » ; dans nos esprits d’adultes. C’était le fait d’effectuer librement le choix de venir au lycée et de participer aux activités. Hélas, dans l’esprit de pas mal d’élèves, c’était plutôt compris comme autorisant la fréquentation à la carte. Cette attitude résultait, entre autres raisons, du vécu des nuits, dont nous parlions précédemment, pendant lesquelles les jeunes, et parfois nous-mêmes, refaisions le lycée et aussi le monde ! - La dialectique des principes et des modalités Un postulat qui s’est imposé d’emblée, c’est qu’un jeune, a fortiori hors-norme, ne va jouer le jeu d’une structure institutionnelle que s’il a les moyens de s’y re-trouver en y inscrivant ses propres marques. Sinon, il se retrouve, de fait, dans une situation de marginalité. C’est une des raisons qui a fait du partage du pouvoir le principe fondateur du lycée expérimental. Ce partage du pouvoir s’exerce aussi bien dans les institutions politiques, c’est-à-dire des lieux de décisions qui engagent le fonctionnement du lycée, qu’au sein des institutions pédagogiques. Pour de nombreux élèves, compte tenu de la façon dont ils avaient vécu l’école auparavant, il était impossible de se retrouver confrontés à des décisions prises sans eux, ou à des structures de fonctionnement installées sans qu’ils soient partie prenante. Parallèlement l’éducation à la citoyenneté et la prise en charge du projet de formation de l’élève par lui-même ne prennent forme et sens que si l’élève est acteur, à part entière, du fonctionnement du lycée, dans l’ensemble des institutions. Les élèves et les membres de l’équipe éducative fonctionnent et prennent donc les décisions paritairement tant dans les instances politiques que pédagogiques :

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a - fonctionnement politique Le lycée est dirigé par un conseil d’établissement où siègent les représentants des deux collèges : équipe éducative et élèves. Ses décisions constituent les règles de fonctionnement du lycée. Tous les projets, de caractère structurel, pédagogique ou d’ordre gestionnaire, sont discutés dans chacun des collèges, dans le même temps horaire, puis la décision émane du conseil d’établissement, où les représentants des élèves et des enseignants disposent d’un pouvoir décisionnel identique.

b - gestion du lycée Le lycée est géré par des « groupes de base » rassemblant une vingtaine d’élèves et trois membres de l'équipe éducative, qui, sur une quinzaine, prennent en charge les activités de service du lycée : secrétariat, restauration, bibliothèque, entretien des locaux…, chaque groupe de base a la charge du lycée trois fois dans l’année. Il ne s’agit pas simplement de gérer pour gérer ; mais pour chaque élève, c’est l’exercice d’une prise en charge individuelle et collective. Là encore, chaque tâche requiert la mise en œuvre effective de capacités multiples et joue pleinement son rôle éducatif. Répondre au courrier, au téléphone, prévoir et préparer les repas, aider les élèves dans leur recherche de documents, accueillir les visiteurs… Tout cela participe à l’éducation et à la formation.

c - institutions pédagogiques Les élèves viennent au lycée avec l’objectif d’acquérir une formation générale, et la préparation aux examens se fait dans ce cadre. Ce qui est essentiel, c’est que la mise en place des activités pédagogiques se fait à partir d’une co-programmation. Le fait que les élèves soient à l’origine de leurs activités est une condition incontournable de leur adhésion et de leur participation réelles. L’activité majeure est l’atelier qu’on peut définir ainsi : un groupe, un sujet, un temps. L’atelier porte sur un thème pluridisciplinaire, il est animé par deux enseignants sur dix demi-journées, donc il s’étale sur une quinzaine. Quelques exemples de thèmes : la couleur, l’atome, la pudeur, une œuvre dans son contexte historico-politique ou d’un double point de vue esthétique et philosophique, l’inné et l’acquis, l’enfermement, masculin/féminin, la BD et l’Histoire, réalisation d’un court-métrage, atelier théâtre… Le décloisonnement du temps est un choix essentiel. En effet le découpage du temps, dans le système classique, permet difficilement l’appropriation, par les élèves, du sujet étudié, et le développement d’une réelle autonomie. Le découpage en heures accentue la maîtrise de l’enseignant, et en outre, à mon sens, favorise plutôt les élèves les mieux armés. « Étaler » ainsi une étude thématique sur une quinzaine favorise l’acquisition de méthodes de travail transférables et, sur le plan des contenus, permet le croisement des disciplines.

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Les disciplines scolaires (voire artistiques) sont tellement cloisonnées dans leur enseignement qu’elles enferment ceux qui apprennent dans une vision des savoirs et savoir-faire étroitement spécifique, et les élèves ne cherchent pas à dégager les liens qui les relient. Cela dit, ce n’est pas parce que l’on insiste sur ce décloisonnement qu’on est forcément entendu. J’ai le souvenir d’un élève, au lycée expérimental, qui passait un bac L option cinéma. Je l’avais suivi dans sa soutenance de mémoire qui portait sur « la guerre du Vietnam à travers le cinéma américain ». Par un pur hasard, il se trouve que je surveillais sa salle d’examen le jour de l’épreuve de philo. Le sujet choisi portait sur le sens de la création artistique. Je jette un coup d’œil sur sa copie, à l’issue de l’épreuve : il n’y avait pas un mot sur la création en matière de cinéma ! Pour lui, la philo était programmée le lundi, et l’épreuve de cinéma trois jours plus tard ! Depuis huit ans, j’ai une classe de terminale « littéraires musiciens, danseuses, acteurs de théâtre », et je rencontre les mêmes difficultés. J’insiste pourtant auprès d’elles et eux à profiter des autres expressions artistiques qui traitent de leur activité artistique privilégiée : ainsi récemment un groupe nazairien cinéphile proposait « Les chaussons rouges », film de Mickaël Powell, sur la difficile conciliation de la vie et de son art pour un artiste ; mais il m’a été très difficile de les convaincre d‘assister à la projection, alors que cela les concernait au premier chef. Cela dit, n’est-ce pas vrai aussi pour les adultes que nous sommes ? Au lycée expérimental, l’atelier a donc vocation à faire converger et se rencontrer différents regards disciplinaires centrés sur un même thème, d’autres activités étant programmées par les enseignants dans une finalité plus directe d’examen ; d’autres encore programmées par les élèves et plus centrées sur des suivis de savoir-faire. Le point sur la participation et l’intégration de chacun(e) est fait par quinzaine au sein du groupe de base ; sur le plan pédagogique, cela a lieu aussi par quinzaine, dans le groupe de suivi, qui est un sous-groupe du groupe de base, c’est-à-dire celui qui assure à tour de rôle la gestion du lycée. A l’issue de chaque quinzaine, il y a une présentation des ateliers sous la forme d’une production qui peut prendre des aspects multiples : expression théâtrale, musicale, picturale, réalisation d’une vidéo… ou encore sous une forme explicative plus théorique ; la finalité est double : informer l’ensemble de la collectivité du travail réalisé, et parvenir à une production, qui est en quelque sorte une synthèse de l’atelier, et déjà une forme d’évaluation individuelle et collective. Ce qui me paraît essentiel, c’est que l’élève a la possibilité, avec la formule de l’atelier, d’être véritablement acteur de sa formation, dans la mesure où il en est à l’origine, lors de la programmation, du fait qu’il intervient quotidiennement durant la quinzaine, sous forme d’exposés, d’enquêtes, et d’une prise de paroles active…, puis dans la réalisation de la production finale qui est l’illustration du travail individuel et collectif. Non seulement son parcours individuel s’inscrit dans une démarche et une finalité collectives, mais ses aspirations, ses centres d’intérêt, qui lui

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appartiennent et font partie de son histoire personnelle, sont moteurs dans la construction de l’atelier.

d - Un point essentiel : de la prise en considération de l’histoire personnelle à la notion de personne. Il y a bien sûr les principes théoriques politiques et pédagogiques, mais il y a aussi et peut-être surtout l’intégration du parcours individuel de chacun et la reconnaissance à part entière de la personne. Les élèves du lycée expérimental peuvent être hors-normes, soit socialement (ce qui est le plus rare), soit familialement (ce qui est très fréquent), soit scolairement (ce qui est quasiment le cas de tous). On a fait le constat que l’éclatement de la cellule familiale est quantitativement le premier facteur de la désagrégation du parcours scolaire. Mais même sans cela, il se produit des rejets du système et à cause du système. Nous avons rencontré nombre de jeunes cassés par le système scolaire, impitoyable pour ceux et celles qui ne parviennent pas à s’y adapter. Ces jeunes pouvaient parfois afficher une haine pour l’institution et ceux qui l’animent. Combien de fois par exemple n’ont-ils pas entendu, voire intégré l’idée que « nul en maths » équivalait à « bon à rien » ! Et il me semble que c’est ce qui marque le plus à l’arrivée au lycée expérimental : « tu n’es pas bon en ceci ou cela, ce n’est pas grave, cela va s’arranger, et puis ce n’est pas l’essentiel… » L’essentiel, c’est que ce n’est plus un élève, mais une personne à part entière qui est prise en considération. Et surtout, ce rapport nouveau entamé avec le monde des adultes n’est pas seulement théorique, mais il s’incarne à travers l’ensemble des pratiques politiques, pédagogiques et de gestion. L’adulte doit être un référent, un modèle, mais au lycée expérimental, c’est parfois le modèle à ne pas suivre. Dans les tâches de cuisine par exemple, c’est tel membre de l’équipe qui projette de cuire les moules dans une marmite remplie d’eau ou tel autre qui rate inévitablement sa mayonnaise ; dans les activités pédagogiques, c’est le « second » en atelier qui révèle ses lacunes, ses difficultés de compréhension… Les élèves découvrent alors, - Horresco referens ! - que les membres de l’équipe éducative ne sont pas bons en tout, et même mauvais en quelque chose ! A partir de là, on en finit avec la dichotomie : monde des adultes, des profs qui savent / monde des jeunes, des élèves, monde de l’ignorance ; on fait partie de la même planète, avec nos capacités, mais aussi nos manques et nos insuffisances. Il est essentiel de pouvoir dire à un jeune : « je ne sais pas ! », ou « sur ce point, demande plutôt à Untel, plus qualifié ou mieux informé que moi ». La co-programmation permet d’allier un prof plutôt spécialiste et un second naïf qui bute (parfois) autant que les élèves sur les difficultés, et qui cherche avec eux les solutions aux problèmes qui se posent. C’est là à la fois un principe et une méthode du lycée expérimental : faire-avec, chercher ensemble, peiner ensemble, et parfois trouver et résoudre ensemble.

e – bilan et enseignements D’abord sur le plan des résultats scolaires. Certains élèves réussissent à obtenir le baccalauréat, d’autres sont admis à des concours divers (éducation

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spécialisée, assistance sociale…), d’autres encore aux Beaux-arts… Au départ, le Ministère nous avait dit : « un reçu au bac sera un reçu de plus », dans la mesure où, quand ils arrivaient au lycée, certains élèves étaient très loin d’envisager ce projet. D’autres élèves également retrouvent les forces nécessaires pour retourner dans le système classique avec un certain bonheur. Parmi les réussites notables, c’est le retour de la confiance en soi qui se cristallise par la capacité à l’expression orale ; ce sont aussi la capacité à créer et le développement de l’autonomie : le savoir-être est largement favorisé. Indiscutablement la majorité de ces jeunes semble mieux armée pour affronter la vie en société. Je vous donne quelques exemples de parcours : directeur du parc animalier de Branféré (dans le Morbihan), libraire, éclusière, reporter sportif, photographe, éducateur, professeur, monde du spectacle... Mais je n’oublie pas pour autant ceux et celles qui ont eu du mal à s’insérer et sont restés dans la souffrance. L’analyse que j’en fais, cependant, c’est qu’on ne se débarrasse pas si facilement des schémas traditionnels. L’expression orale, au lycée expérimental, est certes largement valorisée, ce qui fait que les activités artistiques qui permettent justement une certaine libération le sont, par voie de conséquence. Mais la médaille a son revers : les activités traditionnelles et théoriques sont alors consciemment ou inconsciemment (?) dépréciées au détriment d’activités comme le théâtre, le cinéma, etc. Les premières font figure de formation antique et sont suspectes. Et ce sont les élèves qui pratiquent les disciplines artistiques qui deviennent les nouveaux bons élèves : on recrée dans une certaine mesure le schéma classique mais en quelque sorte inversé. On ne se débarrasse pas si aisément de la méritocratie ! D’autre part, la proximité profs/élèves présente le mérite de largement participer à la restauration de la confiance. Mais il faut absolument veiller à la préservation de l’identité de l’adulte et du jeune en formation. Il faut éviter l’assimilation et la confusion. En corollaire, il faut éviter que le lycée ne devienne un lieu chaud, une sorte de refuge, voire un ghetto coupé du monde et qui se ressentirait, en outre, comme détenteur de la vérité. Enfin je ne vais pas omettre l’absentéisme et la participation en pointillé de certains jeunes qui, pour toutes les raisons déjà évoquées, parviennent très difficilement à une autonomie et responsabilisation suffisantes pour intégrer une structure institutionnelle où ils doivent être acteurs à part entière. Le fonctionnement du lycée expérimental se révèle finalement très exigeant, et y « réussir » demande des efforts soutenus de la part des élèves.

f - peut-on en retirer quelques principes transférables pour les diverses structures éducatives ? En premier lieu, même si tout apprentissage est social et s’inscrit dans le collectif, il faut donner et se donner les moyens d’une reconnaissance du parcours individuel de chacun et veiller à inscrire le singulier dans le collectif. Sortir de l’impasse norme/hors-norme, c’est reconnaître et favoriser l’éclosion de sujets à l’initiative des élèves eux-mêmes : donner du sens, c’est insérer un projet individuel dans un projet collectif et réciproquement enrichir le collectif des

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projets particuliers. Il faut ainsi développer des activités pluridisciplinaires, comme les Travaux Personnels Encadrés, dans l’Education Nationale, qui allient les temps de définition et d’élaboration du projet, les temps de recherches, de choix des documents et d’orientation de la problématique, puis de synthèse, qui soient à la fois individuels et collectifs et surtout qui permettent une appropriation par l’élève qui va pouvoir se reconnaître à travers une production où il aura pu enfin investir ses capacités propres, et aussi ses expériences personnelles à travers son histoire, ses goûts propres. D’autre part, et c’est essentiel, il faut parvenir à instaurer une relation pédagogique équitable : l’équitable n’est pas l’identique. Le juste, ce n’est pas nécessairement l’égalité de traitement. Il ne s’agit pas de « donner », de proposer à tous autant, ni les mêmes choses; mais il faut essayer d’ajuster les interventions en « donnant » peut-être davantage et surtout différemment à ceux et celles qui s’intègrent le moins aisément. Il faut s’efforcer de développer une évaluation qualitative et pas seulement quantitative : évaluer les progrès et pas seulement l’état final de l’activité. Certes l’un des problèmes majeurs, c’est que toute théorie pédagogique institutionnalisée, par exemple l’évaluation et la validation des connaissances, n’est justement que théorique et que sa mise en pratique pose problème, précisément parce que l’on a affaire à l’humain avec toutes ses composantes sociales, affectives, consécutives à un vécu irrémédiablement singulier. Favoriser le passage des capacités (possibilités, potentialités à exécuter une tâche) à des compétences (capacités effectivement éprouvées en situation) évaluables puisque mesurables à l’exécution de la tâche, et à la qualité du résultat, mais en privilégiant toujours les progrès et la progression. Il est donc indispensable que le jeune puisse clairement se référer à un adulte, établir une relation duelle fondée sur une confiance mutuelle pour parvenir à finaliser un parcours personnalisé : aider ainsi l’élève à s’organiser à partir de projets mettant en œuvre différentes compétences. C’est-à-dire les ressourcesdont dispose une personne pour accomplir une tâche dans diverses situations : compétences liées à la capacité d’autonomie, d’organisation, de maturité, compétences liées à la capacité réflexive de l’élève sur sa propre activité, aussi bien sur ce qu’il apprend, que sur ses méthodes et ses rythmes d’apprentissage… Ici l’on voit qu’il est indispensable d’associer pleinement l’élève au processus d’évaluation. Il apparaît clairement que ce qui ressort, lorsque les jeunes se sentent engagés sur la voie de l’autonomie, c’est la confiance qu’on leur a manifestée. Confiance dans leur capacité à prendre des décisions, à assumer leurs choix et à les prolonger par leurs actes, mais toujours en prenant en considération leurs expériences et leur vécu propres, antérieurs et présents. Il ne s’agit donc pas de se conformer à une normalité où la toute puissance du fait, simplement justifiée par la fréquence et l’habitude (ce que nous disions en amont) serait totalement déshumanisante, car elle dénierait toute possibilité de penser, d’agir et donc de créer. En revanche des normes fondées sur des valeurs clairement comprises ne sont pas nécessairement coercitives, elles peuvent être ce qui règle et oriente des désirs singuliers vers une intégration dans un collectif.

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Conservatoires de France – Février 2011 – Parcours personnalisés : pourquoi ? Comment ?   A la question initiale, il faut donc proposer comme solution des principes, sans jamais oublier que ces principes ne vaudront que par les modalités d’application appropriées pour les mettre en place : le passage de la théorie à la pratique est semé d’embûches, mais il reste le seul chemin pour des jeunes en mal d’intégration, par incapacité jusque-là à la prise en compte de leur expérience singulière. Le récent classement de l’OCDE (organisation de coopération et de développement économiques) à partir du test PISA (programme international pour le suivi des acquis des élèves) a mis en valeur deux pays, au vu de leurs résultats en matière de scolarité : la Finlande et la Corée du Sud. Mais les commentaires qui accompagnent ces résultats très favorables sont éloquents. En Finlande, l’accent est mis sur la restauration de la confiance. L’élève peut choisir le chemin qu’il considère comme le plus favorable pour lui, sur ce qu’il peut faire et sait déjà faire. On valorise ses forces. On encourage ses démarches d’investigation, et c’est là-dessus qu’il est évalué. Cette étude relève que presque 20% des élèves finlandais en difficulté étaient aidés personnellement, alors que la moyenne de l’OCDE n’est que de 6%. En Corée du Sud, le système est dur et fondé sur la compétition. La journée de cours va de 7h30 à 16h, mais peut durer jusqu’à 23h. La moyenne du temps de sommeil est de 4h à 5h par nuit, les cours pendant les temps de vacances et les châtiments corporels font partie des supports de l’institution. Aucune visée d’épanouissement personnel, pas d’activité extrascolaire : la réussite par et pour l’école est un devoir national. Sans aller jusqu’à ces excès, on sait que certains élèves et étudiants sont capables d’évoluer dans des structures fondées sur la concurrence et la compétition. Mais que propose-t-on à ces jeunes qui, pour toutes les raisons que nous venons d’évoquer, ne présentent pas les forces, les capacités, ou simplement les envies requises pour affronter une évaluation seulement normative, avec une mise en concurrence et des rythmes de travail drastiques ? J’oserai une interrogation : vos espaces de créativité, en accueillant ce type d’élèves, ont-ils intérêt à reproduire certaines caractéristiques normatives par trop similaires aux structures scolaires que précisément ces jeunes ont déjà rejetées ? Comment garantir et privilégier ce que recherchent d’abord ces jeunes, c’est-à-dire le plaisir et la reconnaissance ? Ils n’ont peut-être pas, pour mille raisons, le profil de premier de la classe, mais ils existent, en tant que personnes, essentiellement à travers ce qu’ils aiment et ce qui les touche. Il faut sans doute inventer des espaces et modes de fonctionnement valorisants où ces élèves auront l’opportunité de développer leurs envies et leur créativité. On demande en effet à ces jeunes d’être autonomes, et cela de plus en plus tôt, mais dans le même temps, on ne cesse de vouloir les encadrer, les contrôler et les évaluer. La validation des acquis de l’expérience peut être une voie à suivre pour la reconnaissance des capacités à partir de la transversalité, dont la non-prise en

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Conservatoires de France – Février 2011 – Parcours personnalisés : pourquoi ? Comment ?  

considération est une des failles criantes aussi bien de nos systèmes professionnels que de nos structures éducatives : on enferme l’individu dans des carcans qui pénalisent autant l’institution que l’individu lui-même. Il faut être capable de reconnaître et de valider le chemin parcouru par chacun, sa progression, et cesser d’occulter les différences : « Le but dernier de l’éducation est de faire de l’éduqué un éducateur, éducateur de lui-même autant que de tous ceux qui ont besoin d’éducation » (Eric Weil). Nous avons sans nul doute autant à apprendre de ces jeunes qu’eux-mêmes apprennent de nous et avec nous. Mon propos se veut cependant modeste et prudent, au sens ancien de sage, tant j’ai pu mesurer, au cours de ma carrière, toute la difficulté de l’acte pédagogique. Toutefois, la vraie question n’est-elle pas autant dans nos propres têtes, que chez ces jeunes eux-mêmes, à travers nos difficultés à penser différemment leur éducation et par là-même à les reconnaître, à les accepter et à leur proposer des opportunités à partir de leur réalité propre, et de ce qu’ils sont essentiellement ? Comme aimait à le répéter Rousseau dans L’Emile : « Je vois de petits polissons jouer sur la neige, violets, transis et pouvant à peine remuer les doigts. Il ne tient qu’à eux de s’aller chauffer, ils n’en font rien ; si on les y forçait, ils sentiraient cent fois plus les rigueurs de la contrainte qu’ils ne sentent celles du froid ».

Débat

Estelle Labarthe Dans tout ce que chacun vient d’exposer, je perçois un enjeu dominant centré sur ce que l'enseignant et l'apprenant ont à construire ensemble.Je constate qu'on parle de parcours individualisé, personnalisé, et que cela nous ramène au « construire ensemble » avec ce que les uns les autres ont à s'apporter mutuellement. Est-ce de cela que peut découler la confiance, l'autonomisation de l'apprenant ? Alain Boulvert C’est l’un des paramètres essentiels : il s'agit bien de sortir du cloisonnement. Quand cela se passe (faire venir des personnes extérieures, échanger, croiser les gens et les pratiques...) cela donne du sens à l'ensemble. Le cloisonnement est abrutissant. Un autre élément important concerne le travail en équipe, le « travailler ensemble ». On le sait bien, les résistances sont là, on a souvent très peur ! Le groupe de travail est fondamental. Ce qui n'exclut pas de se retrouver parfois seul pour intégrer des choses, pour apprendre, pour réinscrire le savoir. Mais il faut travailler ensemble. Et enfin, je voudrais revenir sur une notion déjà évoquée : l'auto-évaluation. Il est indispensable de faire en sorte que l'élève soit le plus possible associé à son évaluation : qu'il comprenne ce qu'on lui demande, qu'il puisse avoir prise sur elle, qu'il puisse être partie prenante de cette évaluation.

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Jacques André Voilà comment Jules Lagneau définissait l’homme cultivé : « l’homme cultivé, ce n’est pas une question d’avoir, non, c’est une question d’être ». Lagneau disait que l’homme cultivé était :

• celui qui avait appris à apprendre : je verrais bien cela comme une des finalités de l’école, apprendre à apprendre ;

• celui qui avait appris à juger : les philosophes parlent de juger, c’est-à-dire développer l’esprit critique, où développera-t-on l’esprit critique si on ne le fait pas dans les écoles ?

• celui qui avait appris à aimer.

Eric Sprogis Je voudrais à nouveau revenir sur le sujet de notre débat : les parcours personnalisés. Parce que d'une part, on sent bien que c'est aujourd'hui qu'il faut se poser ces questions-là et d'autre part les parcours personnalisés sont dans les textes officiels et le schéma d'orientation pédagogique. Il y aurait deux conceptions de ce qu'on pourrait appeler un parcours personnalisé dans un établissement artistique. Dans quelle mesure sont-elles conciliables? La première conception, c’est accompagner l'élève dans la construction de son parcours. Donc avec un résultat (pour l'élève) imprévisible, a priori en tout cas. L'autre conception, c’est que chaque élève puisse construire son itinéraire en tenant compte de ce qu'il est, dans un ensemble de contenus et d'articulations de ces contenus qui, eux, sont proposés, voire imposés par l'institution. Dans ce cas, le résultat global est identique, normé et correspondant à un projet général de l'établissement. Je ne saurais pas répondre pour savoir s'il faut aller dans tel sens ou dans tel autre. La question est vraiment posée. Le schéma d'orientation pédagogique, lui, d'une certaine manière, a tranché. Il définit les parcours personnalisés comme une structuration modulaire des enseignements, autre que le cursus organisé. Pour aboutir à un résultat qui sera identifié comme semblable à celui d'un cursus organisé par l'institution. Il précise également que les rythmes de ces itinéraires peuvent être différents. Enfin, j'aimerais parler d'une particularité spécifique à l'enseignement instrumental (dont la voix) : il y a dans notre enseignement, une tradition bicentenaire « d'enseignement individuel », qui est unique. Il n'y a pas un seul dispositif d'enseignement, quelle que soit la discipline, au moins en France, qui repose sur ce principe d'une relation unique entre un individu-élève et un individu-professeur dans le cadre du cours d'instrument.

Ludovic Potié, conservatoire de La Roche-sur-Yon Je voudrais revenir au lycée de Saint-Nazaire. Avez-vous eu des retours des élèves qui sont passés dans le lycée, et quels sont-ils » ? Alain Boulvert C'est un peu impressionniste ce que je vais vous dire... Je pense d'abord à ceux qui « n'ont pas réussi », qui sont restés dans la souffrance, pour ne pas dire plus. Pour les autres, on a un peu tous les cas de figure et l'avenir professionnel est déterminant pour leur bien-être : l'un d'eux est devenu directeur d’un parc zoologique, d'autres sont éclusier, professeur, journaliste, photographe, acteur et bien d'autres métiers.

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Dans l'ensemble, ce qui a vraiment marché, c'est au niveau de la confiance et de l'objectif de socialisation des individus. Mais il y a toujours une part de pertes, des jeunes qui ne vont nulle part et qui s'enferment, qui s'enferrent. Jean-Luc Sazio, conservatoire de Dieppe Pour vous, dans votre parcours personnel d'enseignant, après ce lycée, qu'en est-il resté dans votre façon d'enseigner? Alain Boulvert Cela fait huit ans que je suis parti et fondamentalement ce qui reste c'est le respect de la personne. Au lycée Aristide Briand (3 000 élèves), qui est un lycée un peu privilégié à Saint-Nazaire, un groupe, une équipe de direction, des équipes de direction, des gens ont impulsé çà. J'y ai retrouvé ce respect à part entière. Étant parti depuis plus de vingt ans du système traditionnel, je trouve que les choses ont évolué dans le bon sens : il y a une reconnaissance de la personne, une réciprocité vraiment importantes. D'un autre côté, il m'a fallu retrouver une certaine distance par rapport à l'élève. C'est important de retrouver la distance. Les élèves, eux, la prennent d'eux-mêmes, compte tenu de la différence d'âge. José Richaud Ce n'est pas une question, mais un témoignage. J'ai vécu dix-huit ans à Saint-Nazaire, j'ai travaillé et fait du théâtre dans les quartiers de Saint-Nazaire et j'ai eu l'occasion de croiser les élèves du lycée expérimental, pas de façon institutionnelle mais justement parce qu'ils habitaient un quartier où il se passait quelque chose. Je voudrais parler de la « maison lycée expérimental ». Ce dont je me souviens, c'est qu'il y a eu, il y a sûrement toujours, un effet de rayonnement. Le fait que le lycée expérimental existe à Saint-Nazaire, que cette maison existe comme une sorte de « conservatoire de la liberté », peut-être un peu dangereux ou perçu comme un peu dangereux, çà a bougé ! Et je me demande si la cité scolaire Aristide Briand n'a pas bougé aussi... Je sais que beaucoup de choses ont bougé à Saint-Nazaire parce qu'il existait. Y compris d'ailleurs dans ce que l'on pouvait percevoir des manques ou du terrain difficile sur lequel vous étiez. En termes de rayonnement, il s'est vraiment passé quelque chose.

Alain Boulvert En 81, le lycée expérimental s'est construit « contre » le lycée Aristide Briand. C'était une vraie opposition. Il y avait des restes de 68 qui avaient beaucoup marqué, et une fracture énorme entre les individus. Et puis, petit à petit, avec le temps, cela s'est beaucoup mieux passé, les élèves du lycée expérimental ont été accueillis, il y a eu des échanges, des activités communes, etc. Et maintenant le lycée expérimental fait quasiment partie à part entière, non pas du lycée Aristide Briand (il y a toujours une tutelle administrative différente) mais d'un ensemble. Un signe par exemple : on vient de fêter le cinquantenaire du lycée Aristide Briand ; est sorti un livre dans lequel on trouve un très long développement sur le lycée expérimental, et le précédent proviseur a beaucoup insisté pour que toute la place soit faite au lycée expérimental, avec la volonté de travailler différemment, avec d'autres idéaux, etc. Donc, oui, il y a eu intégration et cela a rejailli sur le lycée Aristide Briand. C'est un point très positif. Mais il y a un point négatif : cela reste toujours le ghetto. Il aurait fallu, à mon avis, un lycée expérimental au moins par académie.

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José Richaud Vous avez parlé tout à l'heure des ateliers artistiques et de leur importance dans votre dispositif pédagogique. Dans le cadre de mon travail de comédien, au Festival théâtral de Guérande, nous proposions des exercices d'élèves ouverts à tous les lycées (ils étaient quinze). Les exercices d'élèves du lycée expérimental dépassaient vraiment de l'ensemble par leur aspect formel, leur aspect novateur, y compris dans leur gaucherie. Ils apportaient quelque chose d'autre, différent de ce que les artistes à l'école, dont je fais partie, pouvaient introduire [...]. Il y avait là une vraie rencontre. Et je me souviens de trois ou quatre choses vraiment atypiques qui faisaient beaucoup penser au cartel14. Valérie Louis Aujourd'hui, je travaille dans l'enseignement spécialisé de la musique mais pendant longtemps j'étais dans l'Education Nationale et spécifiquement dans la pédagogie Freinet, à Nantes. Je connais assez bien l'histoire du lycée expérimental de Saint-Nazaire, notamment parce nous les avons toujours invités dans les salons Freinet organisés à Nantes tous les ans. Ils venaient témoigner de ce qu'ils vivaient au jour le jour et c'était extrêmement convaincant. Donc je me sens en profonde connivence avec tout ce que vous venez de dire et avec vous aussi, Monsieur André, puisque nous partageons ce monde de l'enseignement et du militantisme ainsi qu’une idéologie très forte, ancrée dans nos pratiques. Je voudrais témoigner, moi aussi, sur ce que gardent les élèves de ce genre d'expériences. Dans l'école Freinet où je travaillais, nous avons fait des enquêtes pour voir ce qu'il en reste au-delà des acquisitions purement théoriques, formelles, des savoir-faire, des compétences, etc. Nous avons donc suivi d'assez près, pendant pas mal d'années, toutes les évaluations d'entrée au collège pour tous ceux qui avaient passé quelques années à l'école. Et puis on a - de manière très naturelle - conservé des contacts avec les élèves. Ils venaient très souvent nous voir, spontanément, le samedi matin pour nous parler de ce qu'ils vivaient, faire un retour, etc. Pour moi, bien au-delà de tout ce qu'ils ont pu véritablement acquérir - d'autant que nous les accueillions assez jeunes c'était donc plus facile que pour vous, ils n'étaient pas encore en perdition comme certains de vos élèves - c'était aussi une expérience qu'on ne pourrait jamais leur enlever, et qui leur avait permis de se construire vraiment sur le plan identitaire. Et c'était quelque chose de très important parce qu'ils savaient que cela pouvait exister d'être respecté, d'être accompagné, de (re)découvrir le désir d'apprendre et le plaisir d'apprendre à plusieurs, mais de manière personnalisée. Toutes ces idées que vous avez développées, il faudrait qu'elles soient mises en œuvre dès le début. C'est très difficile de retrouver le goût de l'apprentissage quand il a été cassé, brimé, normé ! Je plaide pour une cause éducative qui commence dès le plus jeune âge dans ce sens-là, bien entendu. De toutes les façons, ce qu'on ne peut pas leur enlever, c'est cette expérience vécue. Très souvent, c'est quelque chose qui est remis en cause en disant « oui, mais le jour où ils vont retomber dans la vraie vie »... Eh bien oui, cela fera référence, ils auront vécu quelque chose d'humainement très important qui fera autorité en termes de valeurs pour le reste de leur existence.

                                                            14 Le cartel ou Cartel des quatre est une association créée en 1927 par quatre metteurs en scène et directeurs de théâtre parisiens : Louis Jouvet, Charles Dullin, Gaston Baty et  Georges Pitoëff 

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Maurice Bolze, siemar de Roanne On parle de l'école élémentaire, on parle du lycée. Mais qu'en est-il au collège? Alain Boulvert Une remarque : pour moi, le lycée, c'est un peu tard. Il faudrait prendre les choses en amont. Oui, il y a des collèges expérimentaux qui fonctionnent, mais le problème vient toujours de la structure qui encadre : quelle est la marge de manœuvre qu'on lui laisse ? Nous, nous avions la chance d'avoir une entière liberté. Pour en revenir au fonctionnement du lycée expérimental, je pense à une autre difficulté, qui est l'absentéisme. Il existe dans l'enseignement traditionnel mais nous en avions également. Il y avait un système de « libre fréquentation », que les élèves traduisaient par : « je suis libre de venir, je viendrai peut-être demain... » Alors que, pour nous, c'était plutôt : libre de venir, une obligation qu'on se donne à soi-même. Maurice Bolze Derrière ma question, il y avait l'institution des collèges en France. Peut-on en parler ? Il se passe pas mal de choses à l'école élémentaire, il y a des exemples, la pédagogie Freinet, etc. Et il me semble que, au collège, c'est la catastrophe. Jean-François Fourichon, maison des arts de Saint-Herblain Si je peux me permettre, je voudrais mettre un petit bémol à la « catastrophe ». Depuis trois ans maintenant, nous vivons une expérience intéressante avec un collège qui est juste à côté de la Maison des Arts. C'est expérimental, oui, peut-être. Mais çà veut dire que nos structures peuvent aussi jouer un rôle dans le cadre de partenariats qu'on peut monter. Le projet s'appelle « Courants d'art chez Ernest » (le collège s'appelle Ernest Renan). Le principe, c'est d'essayer de donner du sens et d'illustrer les programmes de l'Education Nationale par de l'action culturelle en touchant l'ensemble des élèves à un moment ou à un autre. On sent maintenant que c'est quelque chose qui est extrêmement porté par l'équipe enseignante du collège. Ce n'est pas du prêt-à-porter, c'est du sur-mesure, c'est-à-dire qu'il faut être capable d'aller chercher les « bonnes personnes ». En termes de ressources humaines et de suivis de projets, cela implique d'avoir plusieurs personnes à plein temps qui s'occupent de coordonner cette action culturelle. Et je pense que nos établissements ont un rôle à jouer. Moi, je revendique le fait qu’ils ne doivent plus être seulement des établissements d'enseignement. C'est très important. Maurice Bolze D'accord mais nous savons bien que les collèges ne sont pas de la compétence des communes. Jean-François Fourichon On a établi une convention. Donc, c'est possible. Malo Gervais, conservatoire de Quimperlé Quelle est la part d'investissement financier de l'Education Nationale?

Jean-François Fourichon C'est une bonne question...

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Jean-Marie Colin, conservatoire départemental de l’Aveyron A propos des compétences des communes, des départements et des régions, c'est ce que la technocratie nous renvoie. La compétence des communes, en l'occurrence, porte sur le bâtiment, sur les équipements, pas du tout sur la pédagogie. Une collectivité peut décider d'investir le terrain éducatif dès l'instant que l'Education Nationale est d'accord, quel que soit le niveau qu'elle investit. Cela devient alors de sa compétence. Par ailleurs, je suis tout à fait d'accord avec Jean-François pour dire que, si nous, établissements d'enseignement artistique, investissons le terrain de l'école, du collège ou du lycée, en proposant et mettant en œuvre des processus pédagogiques ou des contenus différents de ceux auxquels les enfants sont confrontés, l'institution est obligée de bouger. Je vis cela actuellement avec la mise en place de classes à horaires aménagés dans un collège.

Jacques AndréJe suis tout à fait d'accord avec l'idée que vous ne devriez pas être uniquement dans l'enseignement. Vous êtes là pour instruire, pour faire en sorte que les élèves construisent des savoir-faire, mais vous êtes là surtout pour leur épanouissement personnel, pour leur personnalité. Revenons un instant aux neurosciences et prenons les trois étages du cerveau. Le premier étage du cerveau, c'est le cerveau reptilien. Il concerne tous les besoins physiologiques, tous les besoins de sécurité, tous les besoins corporels. Au-dessus vous avez le cerveau limbique, zone d'affectivité. Et au-dessus le cortex ou néocortex, siège de la pensée rationnelle, logique, scientifique, mathématique. Tous les spécialistes des neurosciences, aussi bien ma collègue de La Rochelle, Hélène Trocmé-Fabre qui a travaillé là-dessus et a écrit un très beau livre J'apprends, donc je suis15, que les Québécois, nous montrent qu'il n'y a un plein fonctionnement cortical que dans la mesure où tout ce qui touche le corps et les affects est premier. C'est-à-dire les zones profondes du cerveau : reptilienne et limbique. Donc, ce qui est essentiel à l'école maternelle et primaire, c'est travailler sur le corps. Et le corps par la danse, le théâtre, la musique. Pas par le sport - le sport devient de plus en plus inhumain et fabrique des robots humains - mais plutôt par l'expression corporelle et tout ce qui va toucher le corps, le faire vivre et ressentir. Ensuite les affects. Tout ce qui est affectivité. N'oublions pas que corps et affects sont très reliés. Et là vous êtes très bien placés pour agir ! Ce n'est qu'à partir de là que vont se greffer les apprentissages cognitifs, tout ce qui est de l'ordre du cognitif. Et les élèves vont être nettement meilleurs... Tous ces élèves handicapés sur le plan psychologique dont parlait Alain Boulvert tout à l'heure, sont certainement en état d'insécurité profonde sur le plan relationnel. Finalement, je crois que les disciplines essentielles à l'école sont les disciplines corporelles et artistiques, au moins dans les petites sections : on est tout de suite dans le relationnel. Et cela aura pour conséquence l'épanouissement de la personne. Je voulais aussi vous parler du livre d'un psychologue et journaliste américain : L'intelligence émotionnelle16 dont l'idée principale me parait très bonne. Il montre que les gens qui réussissent bien ne le doivent pas du tout - et le devront de moins en moins à l'avenir - aux résultats, aux performances cognitives, aux diplômes, aux

                                                            15 Hélène Trocmé‐Fabre, J’apprends, donc je suis (2009), Editions d’organisation 16 Daniel Goleman, Emotional Intelligence : Why It Can MatterMore Than IQ (1995) ‐  traduction française : Intelligence émotionnelle : comment transformer ses émotions en intelligence (1997), Ed. Robert Laffont 

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titres, etc. mais à leur aisance relationnelle, quelles que soient les réussites. Ce sont des gens qui se connaissent bien : très bonne connaissance de soi, contrôle de soi, très bonne aisance dans la relation à l'autre, etc. Il a établi que la réussite, dans son ensemble, dépend pour 80% de tout ce qui n'est pas intellectuel, de tout ce qui est affectif, corporel, relationnel. Ce qui veut dire qu'il faudrait complètement transformer le système éducatif !

Viviane Serry Tout ce qui est corporel n'est pas forcément absent de tout ce qui va être normatif. Et dans ce domaine, ce n'est pas parce que c'est différent du sport que ce n'est pas aussi normatif ! Je me sens d'autant plus à l'aise pour dire cela que je suis danseuse moi-même. On sait très bien que, dans l'apprentissage très jeune de la danse, il peut y avoir des choses qui sont tout aussi catastrophiques que dans d'autres apprentissages normatifs. Donc, certes, le corps en premier, mais en sachant toujours pourquoi, comment, quels sont nos objectifs. Jacques André Je suis tout à fait d'accord. D'ailleurs la citation de Rousseau va dans le même sens. Mireille Poulet-Mathis, école départementale de l’Ardèche Dans votre témoignage sur Saint-Nazaire, j'ai été frappée par l'implication des élèves dans la définition de leurs objectifs et la construction de leurs parcours. Et je me demande si cela ne pourrait pas être un axe d'évolution dans nos écoles de musique, de danse et de théâtre. C'est-à dire construire avec les élèves, y compris les petits, avoir des conseils d'élèves, travailler ensemble sur les bilans, les objectifs, etc. Nos structures ont la chance d'être autonomes, sans la pesanteur de l'Education Nationale. Je pense que nous pourrions aisément mettre cela en place, ce qui aiderait vraiment au changement.

Alain Boulvert Il est essentiel de bien prendre en compte ce constat fondamental : les jeunes qui n'adhèrent pas au système sont ceux qui se rendent compte qu'ils doivent fonctionner dans un système qui a été décidé avant eux et sans eux. A tous les niveaux, même au niveau pédagogique. Eric Sprogis En cette fin d'après-midi, j'aimerais mettre en perspective toutes nos interventions ainsi que les réponses de Jacques André et Alain Boulvert, mais aussi les développements d'Yves Aubin. Comment prendre en compte cette conception de l'enseignement telle qu'elle a été développée par Alain Boulvert et Jacques André avec le fait, en ce qui nous concerne, que nos domaines (en particulier la musique et tout ce qui procède du visuel) sont aussi des « objets » soumis à une marchandisation, une modélisation, pour lesquels on aurait une « soi-disant liberté de choix » comme le soulignait Yves Aubin, alors qu'il s'agit simplement de trouver les meilleures solutions pour se couler dans les moules culturels proposés par la société d'aujourd'hui. Je crois qu'il y a là un sacré défi et qui n'est pas simplement une réflexion sur l'éducation ou sur les parcours ou sur l'organisation des établissements. Mireille avait raison de souligner le paradoxe de nos établissements. Sur le papier, nos établissements sont autonomes. Nos directives nationales (le schéma d'orientation pédagogique) nous disent : « Faites des parcours personnalisés, tenez

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compte des envies, des demandes des élèves car nous savons que tous n'ont pas les mêmes backgrounds sociaux, familiaux »... Nous avons donc une complète liberté pour individualiser les parcours, mettre en place les groupes, les faire travailler en collectif. Mais il me semble qu'on oublie de parler de « l'objet » de l'enseignement et du rapport avec la situation d'aujourd'hui : la diffusion des produits culturels, les références et les identifications sociales, je ne parle pas d'intimidation sociale évidemment... Suzy Marceau, FNAPEC Je pense qu'il n'est pas antinomique, pour les conservatoires, de prévoir des parcours déterminés, avec un certain nombre de formations et en même temps d'accompagner les élèves dans ces parcours pour qu'ils soient plus personnalisés. Cela nous renvoie à des questions de recherche de sens : pourquoi les conservatoires existent-ils ? Pourquoi faudrait-il toujours des conservatoires ? Cela me parait d'une grande actualité car j'ai entendu récemment au forum organisé par la DRAC de la région PACA sur « la culture pour chacun », beaucoup d'inquiétudes sur ce dont vous parliez tout à l'heure, Monsieur Aubin, quant aux expériences personnelles si importantes pour les jeunes dans le domaine du numérique. Certes ces expériences sont indispensables pour les adolescents et très nombreuses. Mais les jeunes ne sont pratiquement pas accompagnés dans ce qu'ils vivent dans ce domaine. C'est une grande inquiétude quant à leur avenir. La question posée au forum et que je vous pose à vous, directeurs de conservatoires, est la suivante : est-ce que les conservatoires ne peuvent pas avoir un rôle d'accompagnement dans une offre plus personnalisée ? Pour que les jeunes puissent se dire : « tiens, là, il y a un lieu où je peux trouver un accompagnement de ma pratique particulière » ? Voire même, pourquoi pas, aller les chercher.

Marie-Claude Ségard Avant de clore cette journée, j'aimerais souligner ce qui m'a particulièrement frappée dans les trois interventions. J'y ai trouvé un point commun intéressant et important - et souvent oublié - c'est la question de la norme et de la normalité. Et quelle normalité ? Qui nous impose cette normalité ? Les trois intervenants ont un discours critique par rapport à la norme, certains en sont même sortis. Finalement, nos parcours personnalisés, c'est un peu çà : sortir de la norme. Ce qu'ils nous ont montré, c'est beaucoup d'efforts, beaucoup de volonté, beaucoup d'engagement, beaucoup de passion. Mais à aucun moment ils n’ont évoqué ce que deux d’entre eux m’ont dit avant de commencer cet après-midi : « Evidemment, il faut intégrer le doute ». Cela doit nous encourager.

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Conservatoires de France – Février 2011 – Parcours personnalisés : pourquoi ? Comment ?  Vendredi 4 février 2011 Modérateur : Pascal MASSIOT, journaliste (assisté de Eric SPROGIS)

Projet de l’élève, parcours personnalisés,projets personnels : questions de vocabulaire

Jean-Marie COLIN, directeur du conservatoire départemental de l’Aveyron

Si l’on en juge par les vifs débats qui ont eu lieu au sein du conseil d’administration de Conservatoires de France lors de la préparation de ces journées d’étude, il semblait en effet nécessaire de clarifier le sens des mots, des expressions qui encadrent notre activité, et, probablement, en faisant ces clarifications, de retrouver notre richesse (et notre plaisir), en peaufinant toujours et toujours la réflexion sur le cœur même de nos missions (au risque de compliquer le débat, je pourrais dire : notre mission). Au-delà de l’ambition fondamentale de Conservatoires de France qui est d’inciter et d’aider à préciser LES lieux où il serait possible de se rendre et, de manière responsable, d’envisager tous les chemins qui pourraient être empruntés en suggérant peut-être ceux qui nous semblent préférables, nous entendons aussi partir des idées qui nous sont proposées par les uns et par les autres, des documents qui nous sont soumis (et parfois imposés) par nos tutelles ou par nos partenaires pour porter la réflexion au plus haut niveau de nos capacités. Ce faisant, nous sommes amenés à constamment repréciser ce que nous, enseignants et directeurs, entendons faire de nos établissements et comment nous proposons d’inscrire leurs missions dans les territoires sur lesquels nous sommes censés rayonner. Mais à quoi sommes-nous donc confrontés ? Comment peut-on envisager, dans un même établissement, d’aider (on pourrait déjà engager une querelle de mots : d’accompagner ?) dans un même contexte, avec les mêmes moyens, les mêmes dispositifs, un élève qui voudrait simplement jouer la partie de grosse caisse de telle œuvre de Haydn et – on pourrait presque dire à l’opposé – celui qui voudrait interpréter ce concerto de Ligeti ? Il arrive même que nous rencontrions dans nos établissements des étudiants originaux qui ne veulent jouer aucune musique déjà écrite mais qui prétendent vouloir l’inventer… Pardonnez-moi si à ce niveau je n’évoque ni le théâtre ni la danse. On ne s’étonnera donc pas que, face à de tels écarts de pieds ou de mains, il s’avère parfois difficile de s’y retrouver, de se positionner, d’envisager une pédagogie qui puisse être maîtrisée et partagée par un maximum de personnes. Et que, au gré des rencontres et des difficultés, nous soyons amenés à tenter d’inventer des dispositifs dont la seule raison d’être est de répondre à des situations que nous sommes censés rencontrer (et peut-être certains d’entre nous les ont-ils déjà rencontrées ?) et que nous puissions néanmoins nous y retrouver et surtout (peut-être) répondre de manière sinon rassurante du moins efficace à ces élèves (et à leurs parents) quant à leur avenir parmi nous.

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Conservatoires de France – Février 2011 – Parcours personnalisés : pourquoi ? Comment ?  

Commençons donc cet inventaire de mots censés baliser la complexité de cet écartèlement, dont j’espère qu’il ne sera pas un inventaire à la Prévert. D’abord le mot parcours. Ce terme apparaît au XIIIe siècle. Il n’est pas inintéressant de remarquer que son anagramme est procuras. Un dictionnaire plutôt bien fait propose une liste d’analogies que j’exposerai par ordre alphabétique : accident, ascendant, combattant, course, descendant, détour, déviation, divaguant, fléchage, formule, obstacle, passavant, passe-avant, sans faute, traçable, trajet, vitesse… Le même dictionnaire propose à notre ignorance médusée (en tous cas à la mienne) la description d’un sport dont, ma foi, j’ignorais l’existence. A ce propos, je me suis demandé si nous ne pourrions pas faire valider comme pratique sportive, en quelque sorte variante de celle que je vais vous décrire, nos activités instrumentales ou vocales (à nouveau je n’ose ni mettre la danse ni le théâtre sans avis autorisé…). Ceci nous permettrait peut-être de tordre, une bonne fois pour toutes, le cou à ce conflit récurrent entre sport et culture. Je reviens donc au parkour, sport consistant à se déplacer le plus rapidement et le plus efficacement possible à travers les obstacles de l’environnement (en milieu urbain ou en milieu naturel) en ayant recours à divers types de sauts et de mouvements. Enfin on nous propose quelques cooccurrences et nous trouvons pêle-mêle : le parcours professionnel, le parcours initiatique, le parcours scolaire, le parcours du combattant, et même l’accident de parcours. Nous avons donc d’emblée, sans même aller plus loin, tous les ingrédients susceptibles d’alimenter les vifs débats auxquels je faisais allusion. On pourrait même ajouter que ce débat devrait inévitablement s’enrichir du marasme intellectuel dans lequel je vous ai peut-être d’ores et déjà plongés, mais aussi de la perplexité (je pèse mes mots) de quelques enseignants confrontés à des textes qui semblent vouloir leur imposer des marches à suivre, qui, évidemment, ne font qu’alimenter le souvenir parfois encombrant de l’enseignement reçu – que ce soit dans un sens positif ou dans un sens négatif -, la volonté de quelques autres de se distinguer en ne faisant référence à aucune méthode, aucun manuel, ou « grand maître » dûment référencés, le souci – peut-être du plus grand nombre – d’éviter de se distinguer de quelque manière que ce soit en adoptant, au contraire, une méthode, un guide, et une certaine forme de rigueur consistant à prendre le livre-méthode, c’est-à-dire à le commencer par la page une pour le clore (si l’élève tient le choc) à la dernière page, en faisant parfois quand même quelques timides incursions dans des œuvres du répertoire. Sans avouer qu’on trouvera même quelques fantaisistes qui prennent le livre à partir d’une page au hasard, ou carrément à rebours en commençant par la dernière page. Et je garderai sous silence absolu ceux qui font acheter le livre mais ne l’ouvrent jamais, en proposant des photocopies d’autre chose. Voilà donc bien des parcours ! Les qualifierons-nous de professionnels ? D’initiatiques ? Du combattant ? Sont-ils scolaires ? Evitons quand même d’aborder trop tôt la probabilité d’accidents… Mais ces parcours sont-ils pour autant personnels ? Avant d’aller plus loin, je ne voudrais pas quitter le parcours sans vous soumettre les définitions que nous propose le Robert de ce mot qui se révèle d’ores et déjà magique. D’abord celle du XIIIe siècle : il s’agissait « d’une convention entre habitants de deux seigneuries leur permettant de résider dans l’une ou l’autre

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sans perdre leur franchise ». Vous remarquerez que nos rédacteurs du schéma d’orientation pédagogique, probablement très érudits, ont peut-être réinsufflé (à moins que ce ne soit par simple intuition), en y ajoutant la notion de « personnel » ou de « personnalisé » (je refuse de choisir entre les deux notions devant vous !), cette idée de choix, en l’occurrence de résidence. « Voilà où je veux résider, et ce choix constitue mon parcours ». Au XVe siècle, le parcours devient le droit qui permettait de faire paître son bétail sur la vaine pâture de la commune voisine (il y a donc notion de liberté, de pragmatisme probablement, mais le parcours est inscrit comme un droit : on ne peut s’y opposer). Enfin, au milieu du XIXe siècle, on rencontre la définition qui est officiellement celle d’aujourd’hui : il s’agit du chemin pour aller d’un point à un autre. Il nous appartiendra peut-être d’enrichir ce sens de préoccupations artistiques et pédagogiques de manière à trouver enfin le vrai sens de ce que serait un parcours personnalisé, lequel permettrait, par le choix d’un parcours personnel, de décider du chemin pour se rendre quelque part. Mais où me direz-vous ? Peut-être est-ce le moment d’évoquer le projet. D’après le Robert, projet a deux sens : d’abord « l’image d’une situation, d’un état que l’on pense atteindre », ensuite « un travail, une rédaction provisoire ». Deux sens qui, en définitive, peuvent nous concerner, mais qui sont bien différents, en tous cas fortement nuancés, et peut-être source de malentendus. Le dictionnaire nous dit que le terme apparaît au XVIe siècle. Montaigne, entre autres, utilise le terme : « Et si ne m’excuse pas, d’oser mettre par escrit des propos si bas et frivoles que ceux-cy. La bassesse du sujet m’y contrainct. Qu’on accuse si on veut mon project, mais mon progrez, non. » Je n’ai pas eu le temps de chercher à quoi Montaigne fait ainsi allusion dans ce texte, l’amenant à opposer, ce qui justement nous questionne, projet et progrès. Pas d’anagramme recensée pour projet. Les analogies sont relativement décevantes. Dans l’ordre : accoucher (avec ces précisions : la montagne accouche d’une souris, un projet ambitieux produit des résultats décevants), contre-projet, qualification (ce qui pourrait nous intéresser un peu plus, la qualification étant l’ensemble de ce qui constitue un niveau de capacité, de formation d’un travailleur, ou la qualification professionnelle qui est une procédure selon laquelle une personne physique ou morale est tenue de produire des documents établissant qu’elle est capable de réaliser un projet donné). Cela pourrait nous intéresser en effet, même si le sens que le dictionnaire donne à ces expressions nous éloigne en réalité des considérations artistiques qui guident en général nos actes. Autre analogie, la tête : une idée derrière la tête, qui est une bonne idée, un projet original qu’on a tenu secret (derrière la tête : le chef d’orchestre que le public voit de dos devra se méfier ; le public peut partager ses bonnes idées alors que les musiciens qui lui font face peuvent au mieux les deviner…). Enfin, dernière analogie, l’utopie qui est un projet, un rêve qui paraît irréalisable, une conception imaginaire : entretenir une utopie, se bercer d’utopies, un projet qui relève de l’utopie… Bien évidemment l’utopie nous intéresse beaucoup. Pierre Goguelin, dans son ouvrage de référence intitulé Projet professionnel, projet de vie17, résume à la fois nos interrogations en y apportant ses réponses

                                                            17 Pierre Goguelin, Projet professionnel, projet de vie (2001), ESF 

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autorisées : « Un projet, c’est d’abord un avenir imaginé, souhaité, qui n’a de force que s’il puise son inspiration au plus profond de l’individu. Comme le rêve, il s’alimente à ses pulsions et à ses besoins. (…) Un projet est aussi l’image mentale d’une situation dont on attend qu’elle se réalise : moins précis qu’un but, il n’est ni une prédiction ni un passage à l’acte. Comme le désir, il se heurte au principe de réalité (…), il exige de regarder la réalité en face ». On remarquera, pour l’utile mais aussi pour l’agréable, d’intéressantes juxtapositions qui vont heureusement enrichir les analogies proposées par notre dictionnaire : avenir, imaginer, souhait, inspiration, profondeur de l’individu, rêve, pulsions, besoins, but, prédiction, passage à l’acte, désir, principe de réalité, regarder la réalité en face… N’avons-nous pas ici tous les ingrédients de la pédagogie ?

Etant par nécessité presque au terme de mon intervention, je constate comme vous que je n’ai même pas cité tous les mots que nous avions préalablement évoqués. J’ai peut-être même botté en touche par crainte de m’enfermer dans un schéma trop directeur. J’ai préféré privilégier les orientations. Ainsi je n’ai pas parlé d’enseignement, ni d’évaluation, à peine d’accompagnement, ni de cursus et encore moins, naturellement, de hors cursus ! Je n’ai pas parlé de modules d’enseignement, ni de réalisation, ni de production, ni de spectacle… Je ne sais si, à travers ces diverses considérations, j’aurai réussi à éclairer votre lanterne. Je ne suis même pas sûr d’avoir éclairé la mienne ! Mais je voulais quand même pour finir évoquer la sanction en apparence définitive d’une des enseignantes de « mon » conservatoire (au demeurant plutôt sympathique et à mon avis fort compétente) sur la question des parcours personnalisés : elle affirmait que « quand même » (ce sont ses termes), par rapport aux cursus diplômants, le parcours personnalisé est une « voie de garage ». Faire ainsi ce parallèle est, à y bien réfléchir, peut-être plus flatteur qu’on ne croit. En effet, la voie de garage est l’environnement nécessaire au repos bienfaiteur du wagon immobilisé pour un temps incertain, parfois même de manière définitive. Relevons d’ailleurs que le wagon qui serait immobilisé sur une voie de circulation est à la merci d’une erreur d’aiguillage… Cette enseignante voulait-elle assimiler la voie de garage à l’immobilisme ? J’avoue que je l’ai pensé sur le moment. Or, on pourrait tout au contraire y voir l’évocation quasi poétique de l’homme au repos (Le Penseur de Rodin, par exemple, ne serait-il pas sur une voie de garage ?) lui permettant de réfléchir enfin, donc de mener à bien au moins intellectuellement, de rêver son projet personnel avant peut-être de le définir et de s’y engager matériellement. Sans vouloir vous influencer, et selon le sens que vous donnerez à cette « voie de garage », en choisissant de vous y engager, ou au contraire en refusant de vous y enfermer, je souhaite laisser à chacun le soin de choisir sa destination et son chemin, s’il veut donc, tel le poète, décider de son destin mais surtout l’imaginer, que ce soit pour les timides et les inquiets dans un cadre connu, ou au contraire pour les aventuriers, les plus courageux peut-être, dans un cadre imaginaire. Rappelons-nous qu’on dit – ce qui n’est pas stupide, ce cela nous appelle à la tolérance (il me semblait bien qu’on parlait de pédagogie) – qu’il faut « de tout pour faire un monde ». Pour ce qui nous concerne, car, n’est-ce pas, nous sommes par force dans le même vaisseau que nos élèves (je n’ai pas dit wagon !), nous sommes le monde à nous tous. Si nous avons cette capacité d’entraîner ou d’accompagner nos collègues, nos élèves (et leurs parents quand ils en ont encore !), nos amis, voire la terre entière, eh bien nous pourrons considérer que Conservatoires de France aura une fois de plus joué son rôle !

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Le Certificat d’Etudes Musicales, ou comment quitter un conservatoire en tant que

musicien après dix ans d’études ?

Ludovic POTIE, directeur du conservatoire de La Roche-sur-Yon Vous m'avez demandé d'intervenir sur le Certificat d'Études Musicales (CEM) à La Roche-sur-Yon18. Je me sens à la fois impressionné de vous parler, et touché. Parce que je sais que d'autres conservatoires ont mis en place le même type de CEM, en particulier Poitiers qui l'a mis en place un ou deux ans avant nous. Je suis aussi heureux de partager notre démarche avec vous pour avoir votre retour, entendre vos remarques et critiques, ce qui nous permettra d'affiner ce que nous faisons déjà depuis déjà trois ans (nous arrivons à la 4ème année en mai). Je ne parlerai pas directement du Certificat d’Etudes Théâtrales(CET), pour lequel le schéma d'orientation nous a beaucoup inspirés, parce que je trouve qu'il est bien fait. Il se concrétise différemment : il est validé par un projet et une équipe pédagogique qui suit l'élève jusqu'à la fin, donc il n'y a pas vraiment d'examen. Ni du Certificat d’Etudes Chorégraphiques (CEC), qui demande de faire face à d'autres problématiques, notamment techniques (studio, plateau...). Nous l'avons abordé, mais autrement, à La Roche-sur-Yon. Je serai pragmatique dans mon intervention. Je me situerai sur le terrain du « comment on fait » avec tous et surtout avec nos élèves, dans un conservatoire de la taille du nôtre. En précisant d'entrée de jeu, que peut-être le projet fonctionne parce que c’est un établissement de cette taille ! Pour vous en parler j’utiliserai le plan suivant :

• d’abord un constat sur ce que nous avions avant, constat très rapide car vous le connaissez aussi très bien.

• ensuite la problématique posée avec les enseignants dans les très nombreux débats que nous avons eus ensemble.

• enfin les modalités de fonctionnement tout simple de ce CEM Je terminerai par les bilans, les points à améliorer et ce qui se révèle vraiment positif.

                                                            18 En 2011 le conservatoire comptait 1030 élèves inscrits en musique, danse, théâtre dont 10 présentaient le CEM toutes disciplines confondues. 

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En préalable, ce que je ressens depuis trois ans : Les expériences, les "innovations" (on n'innove jamais : il y a toujours quelqu'un, à quelques kilomètres, qui a innové de la même manière) sont souvent poussées fortement, en tout cas le directeur les encourage... On fait un peu le dos rond devant ceux qui ne veulent pas en entendre parler et qui critiquent. Et là, pas du tout, elles sont totalement acceptées. Je ne vois pas, d'ailleurs, comment on pourrait revenir en arrière. Constat sur les difficultés rencontrées avec le « CFEM », comme cela s'appelait avant On invitait un jury spécialisé dans l'instrument qui attribuait un CFEM avec la mention Très Bien. Ce terme de « très bien » n'était pas très adapté, la prestation n'étant jamais très bien... On arrivait même parfois, avec des jurys pointus, à ne pas donner de CFEM. La plupart des jurys, par contre, comprenait que ce terme dépassait la notion même de « très bien » dans la prestation mais correspondait à ce qu'on attendait en fin de cycle 3.Nous sentant bloqués, j'ai rajouté la mention « Bien ». Sinon nous n'arrivions pas à le donner à assez de monde. En tant que président de jury, cela commençait à me « travailler » fortement, j'étais vraiment en porte-à-faux avec ce système. Je trouvais qu'il n'y avait plus de sens ni pour l'élève, ni pour nous et je ne voyais plus quel rôle on jouait quand on disait à un élève après dix ans d'accompagnement pédagogique : « Non, tu n'as pas ton certificat. Par contre on peut t'établir une attestation pour confirmer que tu as travaillé dix ans avec nous »... Moi qui ai eu aussi des difficultés en tant qu’élève dans les conservatoires où je venais la peur au ventre, où j'ai été souvent déçu, je comprends très bien ce que pouvait ressentir un élève sortant ainsi « sans rien ». De plus, je pense que ce système entraîne une déresponsabilisation de certains enseignants qui souhaitent, même inconsciemment, « montrer un bon niveau » au jury en choisissant des textes parfois trop difficiles techniquement. Et qui laissent à celui-ci la responsabilité de décider... Et j'ai envie de dire : « Non, nous avons la responsabilité ensemble, dans l'établissement, de dire si notre élève est bien dans son niveau et a terminé un beau parcours ». D'ailleurs les parcours sont tellement différents que dire « réussi - pas réussi » me parait bien trop compliqué ! Il était donc urgent de changer de formule... Et nous sommes partis sur l'idée de projet personnel de fin d'études.  

Les débats pédagogiques avec les enseignants Vous savez très bien que lorsqu’on pose une problématique à un moment donné, dans une équipe, on ne peut pas la déconnecter de tout ce qui a existé avant, de tout ce qu'on a vécu dans l'établissement. J’y suis depuis douze ans, et depuis

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huit, dix ans, nous avions mené différentes expérimentations pédagogiques (je n'aime pas trop le mot mais je n'en ai pas d'autre), nous nous étions lancés dans des tas de choses, en alimentant nos réflexions avec différents intervenants. Il y a dix ans, est venu Jacques André que nous avons entendu hier. Il a fait un effet considérable chez nous, professeurs, élèves, mais aussi parents ! Valérie Louis, qui est ici aujourd'hui, est venue deux fois. Avec elle nous avons travaillé sur les évaluations, chaque fois avec un groupe de professeurs différents parce qu'elle est venue à deux, trois ans de distance. C'est ainsi que tout doucement se déposent des choses, que certains verrous lâchent, que cela se détend à certains endroits, que certains se rassurent. Et cela permet d'aller chaque fois un peu plus loin. Il faut savoir que chez nous, les deux filières du 3ème cycle : cycle 3 amateurs et cycle spécialisé sont deux voies différentes. C'est clarifié depuis longtemps, et pour ma part, j'en suis un partisan farouche. Il n'y avait donc plus personne pour dire : « il faut obtenir çà pour aller là ». Tout était clair et très confortable. Et les questions ont pu être formulées :

• Quelle valeur attribuons-nous au CEM ? • Ce CEM doit-il finaliser un cursus en tenant compte des capacités de

l'élève ou sanctionner une technicité ? • Qu'évaluons-nous à la fin ? • Où plaçons-nous le niveau instrumental et le niveau technique dans

l'examen ? • Comment construire la préparation des élèves ? • Quelle doit être la place de leur autonomie ? • Quel système d'accompagnement, de tutorat pour les élèves qui vont se

présenter, avec les professeurs, avec la direction ? Et certains nous ont relancés : « Oui, d'accord, mais s'il existe un projet personnel à ce stade des études, on ne peut pas décréter tout d'un coup qu'il y a une pédagogie de projet à ce niveau-là. Il faudrait peut-être, en amont, penser à mettre en place ce même fonctionnement ». Remarque tout à fait judicieuse. On parle aussi du temps de l'élève, temps qui est au centre de nos complexités !

• De quel temps dispose l'élève ? Quel est son rythme de travail ? Quel sera son rythme de préparation en rapport avec le projet qu'il présentera ?

La problématique des jurys extérieurs : qui invitons-nous ? Je leur ai dit au départ : « On n'invite plus de spécialistes de l'instrument ». Et là le débat a été très animé, car le sujet est un point fort, essentiel ! J'ai vu des professeurs réagir fortement et je sentais qu'il y avait une peur derrière, la peur de ne plus avoir ses repères, de ne plus compter sur quelqu'un qui prendra la responsabilité de dire, un « père » qui viendra nous conforter ou mettre le doigt sur quelque chose qui ne fonctionne pas, un spécialiste qui dira si les compétences attendues sont là...

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Un élément important dans l’organisation de nos évaluations a permis de rassurer tout le monde : la mise en place de bilan de mi-cycle. Et, à la Roche, comme dans le précédent établissement que j’avais dirigé, j'ai mis en place ce système de bilan de mi-cycle qui a toujours été accepté : bilan de mi-cycle 1, mi-cycle 2 et bilan chaque année pour les cycles 3. Et cela a toujours fonctionné. J'ai donc dit aux professeurs : « Si quelqu'un est angoissé, si quelqu'un a peur de ne pas savoir si son élève est prêt, il met son bilan avant le CEM, avec tous les autres élèves. Il aura un jury spécialisé et éventuellement un retour sur ce qui va ou ne va pas ». On s'en sert très peu d'ailleurs. Alors nous sommes partis sur le principe d'un jury que je ne veux pas dire généraliste parce que les personnes invitées sont aussi spécialistes dans l'un ou l'autre domaine, mais ce sont des gens généralistes dans leur pensée, dans leur façon de voir les choses. Le jury c'est primordial. Comme dans tous les établissements, une partie des professeurs était motivée par l'idée du projet personnel, une partie hésitante, craignant la « baisse de niveau » et l'absence de jury spécialiste et une partie vraiment angoissée et un peu perdue. La chance que j'avais à La Roche, c'est que j'avais une majorité de professeurs prêts à « y aller » et cela a facilité le jeu. Pour rassurer les inquiets, j'ai dit : « Écoutez, le niveau c'est nous qui le donnons. En tout cas quand l'élève entre en cycle 3. Et c'est ce passage du cycle 2 au cycle 3 qui va garantir le niveau de l'élève ». Pendant ce temps de réflexion - c'était un hasard - j'ai été invité au jury de Poitiers dans ce même type de formule de CEM. Et là, étant du côté du jury et ayant vu et ressenti les choses, je suis revenu convaincu. Déterminé et convaincu. Cela correspond à quelque chose que je ressens très fortement : en tant que président de jury de mon établissement, je ne pouvais plus laisser perdurer cette situation de non-sens avec l'élève. Et quand on est profondément déterminé, les gens le sentent et le « combat » mis en route est plus facile. Les modalités du CEM. Ce que nous avons souhaité mettre en place.

(Certes tout ne s'est pas mis en place comme nous voulions, mais je tenais à l'exprimer). Pour obtenir le CEM, il y a trois modules que vous connaissez : 1 - Le module de formation musicale générale (FMG), sanctionné par le brevet de fin de cycle 2 en FM plus une validation de pratique culturelle (concerts, spectacles conseillés par les professeurs...) que l'on inscrit dans le carnet de suivi de l'élève. Cette validation n'est pas encore tout à fait bien intégrée par tout le monde.

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2 - Le module de musique d'ensemble : validation de sessions de musique de chambre, de pratique d'orchestre et de pratique vocale, notées, elles aussi, dans le carnet de suivi. Avant, cette validation se faisait par examen. Ensuite on a dit « On fait six sessions ». Et cela devenait très compliqué à suivre et gérer. A la Roche-sur-Yon tout le monde fonctionne bien par projets et les élèves sont donc très sollicités. Nous nous sommes donc dit : « Inscrivons toutes ces participations dans leur parcours puisqu'elles ont un intérêt pédagogique ». Et nous nous sommes également positionnés plus clairement sur les sollicitations extérieures : nous n'acceptons un projet venu de l'extérieur que s'il présente un intérêt pédagogique car nous ne sommes pas prestataires de services ! Sinon, on ne s'en sort pas, trop sollicités pour faire jouer tel ou tel groupe ici ou là ! Et nous avons décidé de faire confiance aux élèves. « Ils sont tous dans des projets ? Qu'ils décrivent eux-mêmes ceux qu'ils ont fait et nous les validerons ». De toutes les façons, on les voit, on les connaît ; on les entend car la taille de l'établissement le permet. C'est un élément important qui rend possible cette validation. 3 - Le module de "projet personnel", l'examen terminal publicIl s'agit de réaliser sur scène une prestation personnelle de vingt minutes dans sa dominante en invitant les élèves, s'ils le souhaitent, à aller rencontrer les élèves de danse, de théâtre, pour illustrer ou soutenir leur projet. Et nous leur rappelons : « Attention, c'est la dominante que vous mettez en valeur, c'est votre instrument. Votre prestation doit être conçue autour de votre dominante ». Ce projet personnel se réalise, sauf exception, en 2ème année de cycle 3. Et nous sommes très clairs entre nous maintenant : cet examen terminal, (donc de fait, ce CEM) se passe quand l'élève quitte l'établissement. Parce qu'il s'agit vraiment d'une sortie. Et une sortie, ce n'est pas si facile quand on est resté dix ans dans un conservatoire ! On est attaché à l'établissement, à l'équipe des professeurs, à l'administration, on connaît... Et on sent l'élève un peu triste. Donc autant faire un concert public porté par lui-même ! L'accompagnement des élèves et le tutorat Nous souhaitions que deux professeurs s'associent avec le professeur référent pour accompagner l'élève dans sa préparation de projet personnel. Nous n'y arrivons pas : encore un peu la peur de partager un élève qui est resté longtemps avec un professeur... Ce n'est pas encore facile mais je sais qu'à Poitiers ils le font. Et je fais confiance aux professeurs. Pour le moment, nous recevons régulièrement les élèves au cours de leur préparation. Le jury La prestation se fait donc en public et dure vingt minutes. Et le jury est dans le public. Il est composé de deux invités extérieurs, des professeurs présents, du directeur et du directeur-adjoint.

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Quant aux prestations, nous avons eu de tout et vu toutes sortes de personnalités : un solo de hautbois avec un danseur, une projection de voyage, quelquefois des choses très simplistes, ou des choses plutôt classiques, ou plutôt jazz... Certains ont besoin de supports, d'autres souhaitent inviter des amis pour former un quatuor... Je dis à l'élève : « il faut surtout que ce soit approprié. Si vous voulez que ce soit vraiment classique, par exemple, défendez votre projet et cela se sentira sur scène ». Bien sûr, dans les présentations nous aurons différents niveaux, mais peu importe, du moment que ce qu'on entend est vraiment approprié et voulu par l'élève. Et nous veillons aux contenus, à ce que la dominante soit toujours bien présente et forte, pour éviter les dérives (j'en parlerai dans les bilans). Il s'agit d'une forme de contrat : l'élève fait son parcours, et réalise son projet personnel. S'il n'y a pas d'arrêt toutes les cinq minutes, ni de grosse catastrophe, en retour il obtient son CEM (les deux autres modules ont été validés avant la prestation terminale). La deuxième partie, très intéressante, de l'examen terminal concerne l’échange avec le jury. Nous nous retrouvons souvent en rond avec les deux membres du jury invités, tous les élèves qui ont participé aux prestations et tous les professeurs. Au préalable j'ai, bien sûr, annoncé aux élèves leur « résultat » (module obtenu dans la discipline dominante). Ils sont donc détendus, n'ayant plus le souci « de l'avoir ou pas ». Les jurys invités prennent la parole dans une sorte de séance de « critique de disques » : ce que j'ai aimé, ce que je n'ai pas aimé, ce que je regrette... Et nous sommes ailleurs, dans l'échange, dans l'intérêt. Par exemple : « tu as présenté une pièce baroque et il n'y avait pas de clavecin. Pourquoi ? » Et l'élève défend son propos ou s'aperçoit qu'il n'avait pas vu les choses sous cet aspect-là. Mais aussi on peut mettre le doigt sur un moment particulier où la personnalité de l'élève s'est clairement révélée, par exemple dans une composition personnelle, et lui dire qu'il aurait pu aussi la faire exister dans son interprétation. Nous nous détachons des remarques habituelles connues, même si des points très précis sont abordés : justesse, mise en place, décalages, etc. Il s'agit d'un échange entre artistes après une présentation sur scène, ce qui change beaucoup les choses. Donc énormément de sujets passionnants sur lesquels discuter... Il y a également le temps d'auto-évaluation des élèves eux-mêmes. Cela nous fait découvrir d'autres choses encore, et, comme vous le savez, les élèves sont souvent plus durs avec eux-mêmes que les personnes extérieures. Les professeurs présents font également un commentaire. On détend ainsi complètement ce retour de jury et on s'éloigne de la notion de résultat. On n'est plus dans le résultat d'ailleurs, mais dans la créativité, la réalisation, la notion de scène aussi. Cela change complètement les données.

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Conservatoires de France – Février 2011 – Parcours personnalisés : pourquoi ? Comment ?  

Les critères d'appréciation Certains jurys m'ont dit : « c'est bien mais en ce qui concerne les critères, ce n'est pas très clair ». J'ai trouvé la remarque intéressante, mais qui était embêté par les critères ? A la Roche, nous avons fait le pas : la notion de « niveau » n'intervient pas dans l'évaluation. Je me sens soulagé, tranquille... et cela ne change rien quant à ce fameux « niveau » ! Les élèves répètent beaucoup plus, parce que « c'est leur chose », l'auditorium est prêté pendant les week-ends, pendant les vacances. Il y a vraiment un intérêt à préparer sur scène une prestation personnelle. Et les critères restent : la qualité musicale de la prestation, le respect des textes choisis (çà, on n'y coupe pas !), l'interprétation, la cohérence de la proposition artistique du candidat, la présence sur scène... En fait, tout ce qui fait que « ça passe ou pas » pour le public. Et on le sent bien tous ! Les bilans, les points à améliorer et les points vraiment positifs 1 - Les points à améliorer

• la part d'autonomie de l'élève dans la préparation de son projet. Les élèves sont tous différents, ils ont tous été accompagnés différemment par leurs enseignants. Ceux-ci ont plus ou moins l'habitude de ce nouveau dispositif, les ont mis plus ou moins en situation. C'est très perceptible, mais nous ne portons pas de jugement sur les uns et les autres. Parce que tout doucement les choses bougent, et l'exemple des autres facilite les évolutions et les transformations des démarches pédagogiques des uns et des autres. • le suivi et l'habitude d'utiliser le carnet de suivi. Comme je l'ai dit déjà, ce n'est pas encore facile. Les habitudes prennent du temps à s'installer. • les difficultés inhérentes aux contraintes techniques des lieux. Le souci principal vient de la mise en cohérence des moyens logistiques de l'établissement et des souhaits de l'élève (installations, lumières, équipements, horaires...).Il est indispensable de savoir cadrer les souhaits et les demandes pour que les choses n'aillent pas dans tous les sens. Sinon la charge de travail est trop lourde pour tout le monde, élèves, professeurs mais aussi équipes techniques et administratives • améliorer l'accompagnement pédagogique des élèves et le tutorat. Dans cette conception de projet personnel, la question du tutorat n'est pas encore bien éclaircie chez nous. Mais comme j'ai une très grande confiance dans chaque professeur, la communication passe bien avec le professeur référent. Par contre il faut absolument qu'il soit rejoint par d'autres professeurs. Comme le disaient les deux intervenants hier, il est important de travailler ensemble, de se « lâcher » sous le regard de l'autre. Et on réalise quel bien cela procure et les choses avancent.

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2 - Les points positifs

• Des élèves motivés : Pour moi, c'est très clair, l'acquis le plus positif concerne la motivation des élèves. C'est vraiment là que la différence entre le CEM d'avant et ce nouveau CEM est la plus remarquable. Un retour d'un membre de jury : « la formule nécessite que l'élève soit acteur de son projet artistique ». Je vous ai parlé des nombreuses répétitions en amont par exemple. Mais aussi en rendant l'élève responsable de son projet, on voit son attitude changer, il devient un élève engagé. D'ailleurs on sent très vite celui qui est coaché par les professeurs ou celui qui mène son projet.

• Des élèves « prêts » : On n'envoie pas au casse-pipe des élèves qui ne sont pas prêts ! Çà c'est vrai. Personne n'a envie de faire du mauvais travail car tout le monde a envie d'être excellent sur la scène. Les élèves aussi !

• La collaboration avec d'autres : Je pense que la mise en œuvre d'une prestation publique avec d'autres permet à l'élève de se former en prenant des responsabilités. Cela déclenche un processus qui se prolongera au-delà du concert dans sa vie de musicien. • L'échange très riche avec le jury dans le retour : J'en ai déjà parlé longuement tout à l'heure, je n'y reviens pas. • La/les transversalité(s) : J’ai parlé tout à l'heure de la transversalité avec d'autres élèves de théâtre, de danse. Mais, pour donner une forme au concert, il faut explorer d'autres axes, faire des recherches : scénographie, prise d'espace, lumières, décors et costumes... plus ou moins adroitement, c'est vrai. Et pour cela s'asseoir autour d'une table avec les personnes qui ont en charge ces domaines-là. Avec eux confronter ses envies aux réalités et aux limites du lieu et des équipements. Et prendre des décisions (autonomie). A nous, accompagnants d'être vigilants pour que la découverte du volet logistique n'en vienne à freiner l'élève : il faut laisser la flamme de l'envie, de la création, du désir. Un autre retour d'un membre de jury : « cela fait des élèves artistiquement polyglottes ». • Les soirées des CEM : Elles sont maintenant bien repérées dans l'année et attendues par un public impatient de voir ce que vont nous proposer les élèves. Il peut y en avoir une, deux ou trois selon le nombre d'élèves. • Une nouvelle façon d'apprendre : La mise en œuvre d'un projet personnel permet aussi à l'élève d'apprendre d'une manière qui lui est propre et qui est respectée par cette formule, apprendre à partir de ce qui a du sens pour lui - on en parlait hier justement - et de percevoir l'usage qu'il pourra en faire par la suite. On le voit bien : cela déclenche des ouvertures, leur donne des perspectives...

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Ce mode d'évaluation donne vraiment la place à la créativité de l'élève, à sa capacité de réaliser un projet qui lui est personnelle et lui permet de quitter l'établissement en gardant un excellent souvenir. Pour moi, c'est primordial. J'ai tellement souffert personnellement que je voudrais que les élèves sortent en ayant envie tout le temps de pratiquer. Et envie de revenir. Nous l'avons testé l'an dernier. Sur une proposition des professeurs de cordes, nous avons invité tous nos anciens élèves. Ils sont tous revenus et ont eu grand plaisir à répéter dans le conservatoire. On a créé une petite formation de trente musiciens et monté en trois séances de trois heures la symphonie N° 29 en la majeur de Mozart. Superbe. Nous avons l'intention d'amplifier ce retour des anciens élèves qui contrebalancerait une de nos difficultés : étant en CRD, nos élèves partent très tôt dans les « grands » conservatoires ou ailleurs pour faire des études. Nos orchestres se voient donc régulièrement amputés d'une partie de leurs effectifs et cela nous empêche souvent d'aborder le grand répertoire. Certes c'est parfois frustrant mais c'est comme ça, on l'accepte. En guise de conclusion je voudrais dire ceci : pour nous pédagogues c'est vraiment un plaisir et cela nous touche profondément de découvrir tous ces projets différents révélant les personnalités des élèves, leurs facultés de création et d'invention. Et combien c'est gratifiant! Je terminerai par une petite phrase de György Sebök, grand pianiste et pédagogue génial qui enseignait à Bloomington (Université de l'Indiana) : « Le plaisir n'est pas d'enseigner mais de voir l'élève apprendre ».

Débat Viviane Serry Il ne faut pas croire que, si dans ce type de parcours, la responsabilité principale incombe à l'élève, cela veut dire laisser faire, s'en détacher. Bien au contraire, pour l'avoir expérimenté à Grenoble, en particulier pour le DET, cela demande beaucoup plus de temps et d'investissement de la part de l'établissement. Si nous voulons que l'élève puisse aller jusqu'au bout de son projet, laisser de la place à sa créativité, cela implique des moyens de tous ordres. Or les établissements n'ont pas des moyens « extensibles »! Il n'est pas question de limiter l'expression artistique finale de l'élève - puisqu'il s'agit bien d'expression artistique -, il faut au contraire prendre le temps de travailler avec lui pour chercher des pistes qui permettent de trouver les solutions aux problèmes qu'il doit résoudre tout seul. Par exemple se procurer ce que l'établissement ne peut lui fournir : décors, costumes, voire éclairages... Mais aussi l'aider à inclure tout cela dans son projet.

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Tu as évoqué la transversalité entre élèves. Je pense moi aussi qu'il est important que la transversalité ne se passe pas seulement entre les élèves mais aussi entre les enseignants des différentes disciplines, l'équipe d'encadrement, l'équipe de direction. Tous doivent être impliqués dans le projet, d'où beaucoup plus d'investissement pour un établissement mais aussi que de richesse! Eric Sprogis Ce n'est pas inatteignable.

Ludovic PotiéJe voudrais revenir sur le travail entre enseignants. Nous savons que ce n'est pas simple et qu'il y a sûrement des verrous à faire sauter! Souvent le travail axé sur un résultat fige le processus pédagogique et la qualité de la transmission relationnelle de l'instant présent qui doit être tout entier dans l'échange pédagogique et artistique. Dans la situation du nouveau CEM, la notion de résultat n'est plus de mise : l'élève va quitter l'établissement, normalement il obtient son CEM. Le « lâcher prise » est donc très fort, tant pour l'élève que pour l'enseignant qui se détend aussi et le regard entre eux change beaucoup les choses Je trouve qu'il vaut mieux se focaliser sur le voyage plutôt que sur la destination : plus on est attentif à la qualité du moment et plus on oublie la notion de résultat. Et les résultats ne se font pas attendre... ils sont là les résultats, c'est étonnant. L'important c'est de lâcher : c'est bien la personne qui fait un parcours personnalisé, avec ses professeurs qui sont tous des individualités. Il faut donc partir d'eux et construire avec eux au lieu de mettre en place un système dans lequel on « case » le parcours personnel. Sinon on n’y arrivera pas parce qu'on se fait toujours avoir par les systèmes. Et je suis d'accord avec Eric, ce n'est pas tant de travail que cela! On suit les choses différemment, c'est tout.

Viviane Ben Attar, école de musique de Ludres Je découvre tout cela avec beaucoup d'intérêt et j'ai une question : vous parlez du cycle 3 mais qu'en est-il des autres cycles? Le fait de préparer le CEM de cette façon-là a-t-il une influence sur les 1er et 2ème cycles?

Ludovic PotiéJe pense que l'influence est déjà sensible : cela change l'esprit de l'école.

Christian Guillonneau, CIM des Olonnes Le dispositif dont Ludovic Potié vous a parlé, nous l'avons également mis en place depuis dix ans. Nos élèves ont la durée du cycle 3 pour présenter leur projet. Ils le préparent en totale autonomie. Il s'agit pour eux d'organiser un concert d’une heure. La préparation est encadrée mais ils doivent gérer eux-mêmes leurs répétitions, faire leurs affiches, etc. Nous avons vraiment découvert des élèves grâce à cela et pour eux c'est un enrichissement fabuleux. Certains grands élèves ont été fantastiques. Je confirme que c'est une belle solution pour finir un cursus d’études. .Eric Sprogis Y a-t-il par ailleurs un examen avec décision?

Christian Guillonneau Non.

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Eric Sprogis On est donc bien dans le même type de processus.

Maurice BolzeJ'aimerais savoir quels sont les critères d'évaluation du spectacle.

Ludovic PotiéIl n'y a pas de critères particuliers. Le spectacle est une évaluation en lui-même face au public, comme tout spectacle.

Marie-Claude Ségard Sur quels critères sont choisis les jurys?

Ludovic PotiéJ'ai parlé tout à l'heure déjà de leur esprit d'ouverture, de la qualité de leur regard. Il y a une personne d'un conservatoire régional et une personnalité extérieure. Dans ma recherche de jurys, je multiplie les échanges. Car j'attends de la personne qu’elle soit bienveillante et non complaisante, qu'elle sache marquer les choses. Nous ne voulons pas de jugement au rabais : les prestations se doivent d'être de qualité, donc le jury doit avoir un regard précis, une habitude, une expérience et une grande exigence artistique. Jean-Marie Colin Je voudrais revenir sur la notion du temps qui a été évoquée. Par exemple, quand Ludovic dit qu'il faut plus s'intéresser au parcours qu'au résultat, cela me renvoie à une interrogation que j'ai souvent eue en observant des cours ou des organisations de cursus : on se pose assez peu la question du temps pendant lequel on aura un élève dans sa classe, en termes d'années. Evidemment si on se polarise sur un certain résultat à atteindre, cela peut être infini. J’ai toujours été frappé de voir que les enseignants évitent de se poser la question de la durée de ce temps-là quand ils accueillent un nouvel élève par exemple. Et pourtant je pense que cette durée conditionne beaucoup de fonctionnements ou de non-fonctionnements. José Richaud Je suis très en accord avec ce que j'entends ici et je trouve important que la transversalité soit utilisée comme vecteur dans ce dispositif. On a beaucoup parlé du parcours, plus important que le moment final. On vient de parler longuement du moment final qui reste donc un objet important. Les modalités peuvent être différentes, mais il y a un temps final auquel on s'intéresse toujours énormément. Et on s'éloigne un peu du corps de la personne. Pour faire vite : on est acteur de son projet, on est auteur de son projet et pour cela on a affaire à des gens, toutes disciplines confondues (avec des historiques différents entre la musique, le théâtre et la danse), qui demandent de plus en plus à être auteurs, qui revendiquent complètement cette posture d'auteur. Et je m'interroge sur la réponse que nous donnons quant à l'interprétation, cette « chose » qui permet d'aller dans le corps de l'autre, ou dans le corps du texte, ou dans le corps de l'œuvre, ou dans l'Autre et de réaliser quelque chose dans l'Autre. Car l'une des difficultés de nos enseignements, il me semble, c'est de proposer ce pas de côté vis-à-vis de soi Dans ce type d'évaluation de projet personnel - qui, par ailleurs, est éminemment positif - il me semble qu'il faut aussi poser les questions : où est l'interprétation? Où est l'interprète?

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Laurent Berthomier, CEFEDEM Bretagne – Pays de la Loire Mon intervention est une façon de payer une dette vis-à-vis de Ludovic qui m'avait sollicité pour témoigner en tant que membre de jury sur ce dispositif. Je peux donc confirmer que j'ai pu analyser, percevoir et apprécier les qualités qui ont été décrites. La réflexion associée serait : « Dans quelle mesure peut-on envisager l'extension de ces considérations au cursus spécialisé en sachant que les qualités et compétences développées à travers ces évolutions sont des compétences et qualités que l'on souhaiterait voir chez de futurs musiciens professionnels et, en ce qui me concerne, futurs professeurs de musique ». 

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La personnalisation des apprentissages dans l'école de musique :

pour des élèves pleinement acteurs de leur formation

Valérie LOUIS, professeur associé en sciences de l’éducation au CNSMD de Lyon L’avènement de la notion de « parcours personnalisé » dans les cursus des conservatoires est récent puisqu'elle est mentionnée pour la première fois dans le Schéma d'orientation pédagogique de 2008. Si elle a surgi, c’est qu’une nécessité a émergé : celle de permettre - et d’inscrire de manière institutionnelle - la possibilité de différencier les itinéraires pour apprendre à jouer de la musique, pour apprendre à danser, faire du théâtre. Cette possibilité existait déjà sous une certaine forme, et de longue date, au niveau du 3ème cycle dans la distinction entre les parcours amateurs et préprofessionnels. Mais l’on sait bien que le cursus amateur, loin d'être véritablement valorisé, fut pendant longtemps davantage un choix par défaut, dédié à ceux qui « ne pouvaient ou ne souhaitaient poursuivre des études préprofessionnelles » plutôt qu'une véritable filière valorisée en soi, définie par un projet spécifique. Au niveau des cycles précédents, les divers parcours possibles étaient relativement uniformes. Sans doute cela partait-il d’une intention louable : éviter de creuser les écarts d’emblée entre les élèves favorisés et ceux qui l’étaient moins. Probablement l'expression d'un idéal républicain tel qu'il fut mis en œuvre à l'école : en donnant à tous la même chose, on permettrait à chacun de réussir. Comme si « l'indifférence aux différences », évoquée par Bourdieu, était le meilleur moyen d'obtenir une égalité de résultats. Pour mieux comprendre l'émergence des parcours personnalisés dans l'enseignement spécialisé de la musique, permettez-moi un petit détour par l'enseignement général. Roger-François Gauthier, inspecteur général de l’éducation nationale et consultant à l'UNESCO, s'exprimait ainsi très récemment au sujet de la refonte des contenus au collège : « Dans beaucoup de pays, quand les sociétés ont admis, dans la seconde moitié du XXe siècle, que leur développement économique et social impliquait celui de l’instruction pour tous, on s’est trop souvent imaginé qu’il suffisait d’ouvrir l’accès d'une école [...] à telle catégorie d’enfants qui n’y accédait pas auparavant, pour agir aussitôt et directement dans un sens d’efficacité scolaire comme de

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promotion et de justice sociale. » En parallèle à cette réflexion, demandons-nous si le fait d'ouvrir grandes les portes des conservatoires, de multiplier l'offre sur le territoire, et d'augmenter la capacité d'accueil des structures a toujours suffi pour assurer une formation efficace/efficiente de musiciens amateurs autonomes, ayant un sentiment de réussite à propos de leur parcours et si leur formation leur a permis de conquérir une forme de légitimité sociale. Continuons notre détour par l'enseignement général au niveau secondaire... La loi pour l’instauration du collège unique, initiée en 1975 par René Haby, ministre de l'Education sous le mandat de Valéry Giscard d'Estaing, fut pour un temps le symbole de la démocratisation de l'enseignement et de l'égalité des chances d'accès à l'université. Trente-cinq ans après, le constat est assez douloureux : c’est à peu près un tiers d’une tranche d’âge que l’on ne retrouvera pas au bac et environ un jeune sur cinq qui quitte le collège avec des acquisitions très insuffisantes. Je cite à nouveau Monsieur Gauthier au sujet du collège unique : « Presque partout il a fallu déchanter. Et on commence à comprendre qu'en matière scolaire l'accès ne fait pas le succès, que des systèmes en principe chargés d’éduquer peuvent très facilement devenir des machines à produire de l’échec et de la discrimination. Si échec il y a, c’est notamment parce qu’on n’a pas reconsidéré les finalités des enseignements, les contenus de l’école et les modesd’évaluation. J’en suis arrivé à dire qu’il n’est jamais possible, à moins de s’illusionner, d’ouvrir les portes d’une école si on ne la reconstruit pas depuis les fondations jusqu’au faîte du toit. Parce qu’on en change le sens social. »

Serions-nous peu ou prou concernés par cette réflexion dans l'enseignement spécialisé de la musique ? Que « l'accès ne fasse pas le succès » est assez peu contestable si l'on étudie le taux d'abandon des élèves dès la fin du 1er cycle. Les conservatoires produisent-ils de l'échec et de la discrimination, comme les collèges ? Il est difficile de répondre non... même si l'on reconnait également leur part de succès grâce au travail remarquable mené par nombre d'enseignants et d'établissements pour œuvrer dans le sens d'une véritable démocratisation de l'enseignement de la musique, de la danse, du théâtre et si l'on constate l'expansion effective du public qui fréquente les nombreux établissements. La question que l'on peut alors se poser est la suivante : avons-nous reconsidéré suffisamment en profondeur les finalités des enseignements que nous offrons ? Avons-nous réétudié les contenus de savoir qu'il conviendrait de proposer pour être en cohérence avec ces finalités ? Avons-nous radicalement transformé les modalités d'évaluation pour quitter définitivement ce que Mme Bonicel, maître de conférences en psychologie sociale clinique, appelle « une évaluation mal-faisante qui morcelle » au profit « d'une évaluation bien-faisante, créatrice de liens et qui contribue à l’élaboration d’un monde commun » ?

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Finalement, c'est bien le sens social des missions des conservatoires qui a été bouleversé en quelques décennies ; avons-nous su « reconstruire la maison depuis les fondations jusqu'au faîte du toit » ? En tentant de promouvoir un égalitarisme, le collège unique a, en réalité, maintenu l'inégalité. D’après la dernière enquête PISA, sur les 30 pays de l'OCDE comparés, la France est celui où l’écart de résultats entre les élèves de statut favorisé et défavorisé est le plus important - de l’ordre du double de celui du Japon, du Canada, ou de la Finlande : la France se trouve dans la situation la plus défavorable de l’OCDE du point de vue de l’équité scolaire. Et le caractère inéquitable du système scolaire français tend à s’aggraver. Que dire ? Que le collège n’a pas véritablement réussi à s’adapter à son nouveau public. Qu’il n’a pas radicalement transformé ses façons d’enseigner, alors même que la répartition sociologique des familles des élèves s'est profondément transformée. La massification de l’accès au collège n’a pas engendré une massification de la réussite. Elle a même généré beaucoup de souffrance tant pour les enseignants que pour les élèves. Le collège est au sein de l'Education nationale, le lieu où l'on souffre le plus. Comme le mentionne le rapport déposé par la commission des affaires culturelles et de l'éducation en conclusion des travaux sur la mise en œuvre du socle commun de connaissances et de compétences au collège : « C’est bien l’incapacité structurelle du collège à gérer l’hétérogénéité de ses élèves qui explique son désarroi identitaire, ballotté entre sa démocratisation et le relatif élitisme de son enseignement ». François Dubet, sociologue, a parfaitement mis en évidence ce malaise : « Le collège est un lieu improbable dont l’imaginaire est celui du lycée bourgeois alors qu’il accueille les classes du certificat d’études ». Voyez-vous des analogies, même partielles, avec ce qui se passe parfois aujourd'hui dans nos conservatoires ? Par exemple, l'apparente égalité entre les cursus proposés produit-elle de l'égalité en termes de réussite ? Ces résultats sont-ils en rapport avec l'origine sociale et le capital culturel des élèves ? L'imaginaire des enseignants-musiciens est-il en congruence avec toutes les catégories socioprofessionnelles des familles aujourd'hui accueillies dans les conservatoires ? Historiquement c’est le lycée qui a piloté les destinées de l’enseignement secondaire. Il plane au-dessus des collèges une sorte de modèle surplombant qui, du coup, définit le collège comme un « petit lycée », une antichambre qui prépare au lycée et au baccalauréat. Ne constatons-nous pas également dans l'histoire de la création des conservatoires l’ascendant d’une structure supérieure qui modèle et formate ce que doivent être celles qui y préparent et permettent d’y accéder… Mais la nuance, qui est de taille, est que dans le cas qui nous intéresse, un très faible pourcentage d’élèves des conservatoires aura la possibilité d’accéder à un établissement supérieur.

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La question pourrait donc se poser ainsi : aujourd'hui, que signifie véritablement former un élève musicien, danseur ou comédien quelle que soit la durée de son parcours ? Comment les aidons-nous à bâtir un projet qui soit véritablement le leur ? Comment garantir à la fois cette personnalisation des apprentissages et la poursuite d'objectifs communs et de pratiques partagées ? Pour être au clair sur le sens des mots, il convient de les définir : les termes pédagogie différenciée, individualisation, personnalisation ont envahi tous les débats pédagogiques et fondent aujourd'hui un certain nombre de dispositifs dans toutes les structures d'enseignement et de formation. Mais préalablement, gardons à l'esprit qu'il existe dans tout processus d'apprentissage des rapports indissociables et de fortes interactions entre individuel et collectif. Si tout apprentissage nécessite que l'apprenant se mobilise, si l'appropriation du savoir constitue bien une activité qui engage la personne dans toute sa singularité, pour autant cette activité prend appui sur des savoirs « socialement construits », c’est-à-dire construits en interaction avec un contexte social. En outre, les apprentissages se réalisent dans des situations toujours plus ou moins collectives et qui engagent un « autre ». En milieu scolaire, la pédagogie différenciée et l'individualisation sont des modes d'organisation pédagogique permettant la mise en œuvre du processus de personnalisation. En France, la pédagogie "différenciée" semble avoir été inventée par Louis Legrand, ancien directeur de l'Institut National de Recherche Pédagogique. Inspiré par le courant de l'Education nouvelle et ses grands pédagogues notamment Célestin Freinet et John Dewey, il rédigea en 1982 un rapport intitulé « Pour un collège démocratique » et le remit à Alain Savary, Ministre de l'époque, en réponse à l'insatisfaction générale concernant le fonctionnement du collège unique. Parmi nombre de réflexions, l'une de ses propositions centrales fut d'aménager des temps de travail en groupes d'élèves de niveau hétérogène, et aussi des temps en groupes de même niveau ; il proposa également de mettre en place un tutorat destiné à aider les élèves dans leur travail et leur vie scolaire, ce qui devait amener une redéfinition du service hebdomadaire des enseignants. L'application de la réforme se faisant sur la base du volontariat, sa diffusion s'en trouva hélas considérablement réduite. La mise en œuvre effective de son projet aurait été une véritable révolution pédagogique si elle avait abouti. Mais l'on connait bien la résistance au changement, chronique dans le monde de l'enseignement! Ensuite ce fut Philippe Meirieu qui donna une plus large audience à la pédagogie différenciée à travers nombre de ses ouvrages, notamment en 1984, sa thèse de doctorat intitulée « Itinéraire des pédagogies de groupe 19», ou bien en 1985 son ouvrage réputé « Apprendre...oui, mais comment ?20 » ou encore, la même année, « L'Ecole, mode d'emploi. Des méthodes actives à la pédagogie différenciée 21».                                                             19 Philippe Meirieu, Itinéraire des pédagogies de groupe, Lyon, Chronique sociale, 7ème édition (2000) 20 Philippe Meirieu, Apprendre… oui, mais comment ? Paris, ESF, 21ème édition (2009) 21 Philippe Meirieu, L’Ecole, mode d’emploi. Des méthodes actives à la pédagogie différenciée, Paris, ESF, 14ème édition (2004) 

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Conservatoires de France – Février 2011 – Parcours personnalisés : pourquoi ? Comment ?   L'idée centrale de la pédagogie différenciée est que toute situation didactique proposée ou imposée uniformément à un groupe d'élèves est inévitablement inadéquate pour une partie d'entre eux. D'où la définition de Philippe Perrenoud, un autre chercheur en sciences de l'éducation : « Différencier, c'est organiser les interactions et les activités de sorte que chaque élève soit constamment ou du moins très souvent confronté aux situations didactiques les plus fécondes pour lui. » Il distingue deux cas de figure : d'une part la différenciation restreinte, si l'on vise les mêmes compétences pour l'ensemble des élèves mais à travers des chemins divers ; d'autre part la différenciation étendue si l'on ne vise pas les mêmes compétences pour chacun et que l'on répartit les élèves en filières, en parcours personnalisés, en groupes de niveaux, en cours à options, dotés chacun d'un curriculum spécifique. Halina Przesmycki, qui a écrit un ouvrage de référence sur ce thème : « LaPédagogie différenciée22 » la définit comme :

1) « une pédagogie individualisée » qui reconnaît l'élève comme une personne ayant ses représentations propres de la situation de formation

2) « une pédagogie variée qui propose un éventail de démarches selon des rythmes d'apprentissage différents, dans des durées variables, par des itinéraires diversifiés, sur des supports différents et dans des situations non identiques. »

Passons maintenant à la définition de l'individualisation, indissociable de la pédagogie différenciée. Il s'agit cette fois d'un mode d'organisation pédagogique dans lequel l'élève travaille de manière individualisée, en fonction de ses acquis et de ses besoins, avec l'aide d'un plan de travail et de consignes lui permettant d'effectuer les tâches scolaires en autonomie, pendant un temps donné, avec si nécessaire des ressources qui lui sont fournies ou qu'il va chercher. Les objectifs d'apprentissage sont les mêmes pour tous, mais acquis dans des temps ou selon des modalités diverses. L'enseignant intervient en appui, il soutient, explicite, conseille, encadre, etc. Cette forme de travail est fréquemment utilisée en pédagogie différenciée, c'est aussi une modalité complémentaire du travail en groupe classe. Attention de ne pas confondre le travail individualisé avec le travail individuel pour lequel on demande aux enfants de faire seuls, en même temps, un travail identique pour tous. Dans le travail individualisé, tous les enfants ne font pas la même chose en même temps, ce qui nécessite de s'équiper d'outils pédagogiques adaptés. Pour oser une comparaison vestimentaire, on pourrait dire que l'individualisation c'est le prêt-à-porter : le même vêtement choisi pour tous, mais à la disposition de chacun quand il le désire ou quand il en a besoin. Enfin, troisième terme, la personnalisation. Elle est davantage considérée comme un processus. Chaque enfant est pris en compte en tant que personne. Il s'agit de mettre en œuvre des situations éducatives qui contribuent à la

                                                            22 Halina Przesmycki, La pédagogie différenciée, Hachette Education (2004) 

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Conservatoires de France – Février 2011 – Parcours personnalisés : pourquoi ? Comment ?  

construction de l'enfant, de l'élève en tant que sujet. Elles visent le développement de sa personnalité, de son identité, et de son autonomie pour lui permettre d'apprendre dans des contextes divers et à mettre en œuvre des stratégies efficaces. Il y a en permanence une dynamique de construction et d'ajustements dans sa progression. Pour reprendre la même comparaison vestimentaire, nous dirons qu'ici, nous sommes dans le domaine du sur-mesure : un seul vêtement spécifique fait pour une seule personne. C'est dans ce cadre que l'enfant se construit en tant que membre d'une collectivité mais aussi en tant que personne distincte des membres de cette communauté. La personnalisation est en fait au cœur d'un double processus, un processus dit d'individuation et un processus de socialisation. Individuation grâce à l'accès à une plus grande autonomie, responsabilisation, estime de soi... Socialisation par le développement de la coopération et de la solidarité entre les individus. Maintenant, allons un peu plus loin. Philippe Perrenoud soutient que « lorsqu'on propose d'individualiser les parcours de formation, on suggère implicitement qu'ils sont ordinairement standardisés pour l'ensemble des élèves d'une même génération dans le même système scolaire ». Il y aurait un cursus type suivi par les élèves traversant le système éducatif. Or, dit-il, il n'en est rien, qu'il s'agisse d'un système éducatif centralisé ou non. « Si nombre d'élèves semblent avoir la même carrière, au sens de la statistique scolaire, ont-ils pour autant suivi le même parcours de formation ? [...] Dans les systèmes éducatifs décentralisés (comme en Suisse ou aux USA), les lois nationales ne prescrivent que des programmes-cadres, que les régions, voire les communes ou les établissements, adaptent aux circonstances particulières. » Il existe donc de fait une diversité considérable des parcours de formation selon les contextes géographiques, les établissements, les classes. Et si l'on considère de manière plus fine le parcours de chacun comme une suite d'expériences singulières vécues, « le curriculum réel est [toujours] personnalisé, deux individus n'ont jamais exactement le même parcours éducatif, même s'ils se tiennent par la main durant des années ». Cette diversification de fait est-elle un gage de personnalisation des parcours ? La réponse est non, si la personnalisation que nous évoquons désigne « l'adaptation délibérée et pertinente des parcours éducatifs aux caractéristiques, aux possibilités, aux projets, aux besoins différents des individus ». Quel est alors l'enjeu d'une institutionnalisation des parcours diversifiés ? Plutôt que d'être soumis au jeu des hasards et des opportunités, des différences non régulées, non voulues, parfois non sues, il s'agit pour les enseignants de contrôler cette personnalisation dans le sens le plus fécond, de l'organiser et de la mettre au service d'une politique de l'éducation. Car là est bien l'enjeu primordial : quelle politique éducative souhaitons-nous mettre en œuvre au travers de cette personnalisation des parcours ? Lorsque les grands pédagogues du mouvement de l'Education nouvelle ont, au cours du XXe siècle, et de manière collective, centré leur attention sur l'enfant en tant que sujet, c'était en réponse et en insurrection aux conceptions éducatives

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de l'École républicaine instaurée depuis peu, qui posait comme condition de sa réussite l'éradication des différences. Ce qui caractérise les pédagogies centrées sur le sujet, c'est leur insistance à affirmer que c'est l'individu qui est l'auteur et l'acteur de son propre développement. Cette centration sur l'enfant, plutôt que sur les savoirs et le maître, a été l'objet d'une formule célèbre d'Edouard Claparède23 en 1919 : « Les méthodes et les programmes gravitant autour de l'enfant, et non plus l'enfant tournant tant bien que mal autour d'un programme arrêté en dehors de lui, telle est la révolution copernicienne à laquelle la psychologie invite l'éducateur ». Ce renversement de perspective généra cependant deux courants distincts dans l'histoire de la pédagogie : l'un qui se centra sur l'activité de l'individu et donna la priorité au développement individuel, et un autre qui, au contraire, insista davantage sur le groupe, soit dans sa dimension socio-affective, soit dans sa dimension politique, soit encore dans sa dimension religieuse ou spirituelle. Certains de ces pédagogues ont tenté des synthèses. Parmi eux, et sans doute l'un des plus importants d'entre eux, Célestin Freinet, a tenté d'effectuer une synthèse entre ce courant centré sur l'individu et le courant centré sur le groupe. Pour lui, le rôle de l'enseignant était d'abord de faire naître le désir de savoir chez chacun, car l'apprentissage ne se décrète pas. « On ne fait pas boire un cheval qui n'a pas soif » disait-il. Il faut donc créer des situations où les savoirs de chacun deviennent nécessaires à une réalisation collective. Cette articulation fine entre la garantie des acquisitions de chacun au travers d'un parcours différencié et la mise en jeu d'une dynamique collective pour finaliser et donner sens aux apprentissages est le cœur d'une véritable démarche de personnalisation. Dans le Schéma d'orientation pédagogique, les parcours personnalisés font leur apparition à partir du 2ème cycle et sont décrits comme un mode d'organisation « plus souple, concerté entre l'équipe pédagogique et les élèves concernés, afin de s'adapter aux acquis, aux profils et aux projets de certains élèves ». Si l'on en reste à la description faite dans les principes généraux sur les cursus, on comprend qu'il existe d'une part les cursus à visée diplômante et d'autre part les parcours personnalisés. Mais en continuant une exploration fine du texte, on découvre dans la partie qui décrit le 2ème cycle que les parcours personnalisés devraient remplacer ce que l'on appelait jusque-là le hors cursus, et qu'ils ne sont pas diplômants « sauf si la capitalisation d'un certain nombre de modules répond au cahier des charges de la fin du 2ème cycle. » Une porte s'entrouvre donc et se confirme dans la description du 3ème cycle de formation à la pratique amateur ; ce cursus est composé « d'un ensemble cohérent de modules suivant un cahier des charges défini en concertation entre l'établissement et l'élève, il prend la forme d'un parcours personnalisé de formation. »

                                                            23 Edouard Claparède (1873‐1940), médecin neurologue et psychologue suisse 

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Il est donc possible d'élaborer des cursus personnalisés diplômants ou non diplômants. Souhaitons que cette ambiguïté de formulation dans les textes sur la notion de parcours personnalisé ne réduise cette belle idée à la seule possibilité de faire des parcours non-diplômants, pour des raisons pratiques qui ne seraient pas forcément bonnes par ailleurs. Mais soyons fous quelques instants : et si tous les parcours de formation étaient personnalisés ? Et si chacun pouvait faire certifier ses acquisitions à travers des itinéraires vraiment singuliers et originaux ? Et si le parcours d'un musicien s'écrivait, comme chez les plasticiens, sous forme d'un portfolio visuel et sonore ? Il comprendrait des travaux de l'élève, faisant foi de ses progrès sur une période donnée, en montrant des traces pertinentes de ses réalisations (fichiers MP3, CD, DVD, photos, traces écrites d'inventions, textes divers... ?) Bon, je dérape complètement... oui, oui, je sais, ce serait trop compliqué à gérer avec tous ces élèves si différents, tous ces horaires tellement restreints, tous ces parcours trop éclectiques, toutes ces obligations administratives déjà assommantes... Pardonnez-moi, je vais me reprendre... A moins que... comme cette idée n'en surprendra pas un certain nombre d'entre vous, cette perspective ne soit pas totalement utopiste ! Il faut alors la construire de façon raisonnée. En effet, actuellement la certification d'une fin de cycle suppose d'avoir acquis une somme attendue de compétences relativement identiques pour tous les élèves (il existe encore des morceaux imposés dans certaines régions...). Mais serait-il imaginable d'accepter des profils d'élèves assez différents, faisant la preuve de compétences diversifiées les uns par rapport aux autres, et qui pour autant manifesteraient des acquisitions relevant du diplôme auquel ils prétendent ? Permettre cette diversification des parcours nécessite, comme le dit Monsieur Gauthier, de « reconstruire la maison » ; je le cite : « ce n’est effectivement pas facile, parce que cela implique de remettre à plat non seulement des aspects fonctionnels, relevant de l’organisation des systèmes, mais aussi des aspects substantiels et symboliques : les finalités des enseignements et leurs contenus. Et l'on entre, partout, dans un monde de tabous ! Et la France, qui a cru pouvoir faire la démocratisation du collège sans toucher aux contenus n’a hélas pas échappé à la triste série. » Nous posons-nous suffisamment cette question des contenus ? Que faisons-nous apprendre à nos élèves ? Quelles compétences, quelles connaissances, quelles notions, quels concepts considérons-nous incontournables, et pourquoi ? Pendant longtemps les conservatoires ont eu une vision de l'enseignement, très digne, qui a privilégié des contenus qui correspondaient aux besoins d'une petite frange sociale favorisée ; c'est-à-dire une certaine culture valorisant ce que l'on appelle la musique savante et le «grand répertoire». Cela correspondait à des objectifs politiques et sociaux clairement définis pour ceux à qui ils s'adressaient. Si l'on repense les savoirs que l'on souhaite faire apprendre, que l'on cherche à les diversifier et à les réconcilier avec les compétences attendues, si l'on réorganise et personnalise les parcours, il devient nécessaire que chaque

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enseignant, ou mieux chaque équipe, commence par clarifier ses objectifs généraux d'apprentissage pour chaque fin de cycle, de manière explicite et opératoire, sans pour autant les atomiser ; il faut aussi en informer les élèves chemin faisant, les initier à cette démarche pour leur permettre de développer la conscience de ce qu'ils apprennent. Que souhaitons-nous qu'ils sachent véritablement faire à l'issue de chacun des cycles ? Dans quelles conditions spatio-temporelles et dans quels contextes ? Et quel est le niveau d'exigence attendu ? Cette clarification des visées de la formation, la définition explicite des apprentissages à faire permettra que l'on puisse à la fois diversifier les cheminements et assouplir les planifications. Il faut bien sûr réfléchir aux fondations, aux soubassements techniques des apprentissages que l'on veut permettre à l'élève de faire, ce qui, de manière corollaire, permet de réviser les modalités d'évaluation, ainsi que les attentes que l'on peut formuler à l'issue d'un cursus. Mais simultanément, il faut travailler sur les fondements de l'apprentissage, c’est-à-dire le projet d'apprentissage qui est en jeu. Jouer d'un instrument, c'est bien sûr maîtriser un certain nombre d'habiletés techniques, mais c'est aussi s'exprimer musicalement à quelque niveau que ce soit par le développement d'un maximum de compétences artistiques diversifiées. Fonder un projet d'apprentissage, c'est donc travailler à la fois et dès le début sur les fondations et les fondements. Il ne peut en aucun cas s'agir d'un nivellement par le bas, ni même de la programmation d'une baisse du niveau d'exigence. Non ! C'est au contraire en permettant à chacun de se donner des défis personnels, réalisés avec d'autres sous une forme contractualisée, c’est-à-dire négociée entre l'élève et son enseignant, voire ses enseignants, que l'on permettra une différenciation effective des itinéraires, donc une amélioration de la définition et de la construction identitaire de chacun. C'est ainsi que des personnalités se forgent et que des savoirs se construisent, grâce à des expériences didactiques musicales choisies et accompagnées de manière individualisée. Enfin, notons que des dérives importantes peuvent se manifester sous couvert des meilleures intentions du monde. En particulier que la logique qui nous pousse à porter attention au parcours individuel de chacun se fasse au détriment de la logique sociale qui doit orienter et orchestrer sans relâche les parcours de formation. Philippe Meirieu nous dit : « Il existe chez les penseurs de l'Education nouvelle (Ferrière et Claparède en particulier) une sorte de darwinisme pédagogique plus ou moins explicite qui les amène à inscrire leurs propositions dans la perspective d'un repérage et d'une promotion plus efficace des futures élites. Dans cette perspective, on voit que la notion d'individualisation n'est pas intrinsèquement liée à celle de démocratisation et qu'il faut se garder de faire ici une assimilation rapide. »

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Prenons donc garde à ce que les parcours personnalisés dans les conservatoires ne deviennent pas les outils d'une logique libérale qui accentuerait les écarts, que ces modalités nouvelles d'organisation ne soient pas reléguées au destin de « programme du pauvre ». Pour finir je citerai une dernière fois Philippe Meirieu : « Je crois que la tendresse devant l'humain qui s'ébauche est une vertu cardinale du pédagogue ». Mais précisément, l'humain n'est pas seulement un ensemble de données, de déterminations sociologiques, de pathologies, de symptômes scolaires. C'est la possibilité d'esquisser un geste qui vienne de soi. De soi vraiment. L'attention à la personne doit donc être une des composantes essentielles de l'action pédagogique, mais à la personne en constitution, à la personne qui découvre que les savoirs la libèrent de tous ses enfermements et de tous ses préjugés. L'élève est une personne précisément parce qu'il n'est pas une personne achevée, parce qu'en lui - comme en moi – le même et l'autre s'entremêlent pour donner naissance à quelque chose comme un sujet. La pédagogie différenciée n'est pas une pédagogie qui prend les élèves pour des personnes achevées, c'est une pédagogie qui leur permet de se construire leur différence en leur donnant les moyens de se découvrir partenaires de la même humanité. Je nous souhaite à tous beaucoup de tendresse... Merci.

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Synthèse

Jesus AGUILA, musicologue, professeur à l’université de Toulouse le Mirail Je suis ici en qualité de témoin. Un témoin, c'est silencieux et voyeur en même temps. Pour ceux qui ne me connaissent pas, je suis à la fois extérieur et bien sûr à l'intérieur. Je suis à l'extérieur parce que je suis un enseignant de l'université. J'enseigne à Toulouse. Je suis enseignant-chercheur et vice-président de cette université, chargé de la culture. Par ailleurs je suis responsable de la partie pédagogique de la formation au diplôme d'état.

Ma mission, c'est de faire une synthèse, c'est-à dire de remettre en présence simultanément. Pour cela j'ai utilisé un logiciel de cartes mentales, logiciel gratuit que n'importe qui peut utiliser très facilement. En tant que témoin, je suis chargé de restituer ce que vous avez dit, de le mettre en ordre et en même temps, évidemment, il me revient de relancer le débat par mon propre regard. Certains d'entre vous ont évoqué leurs difficultés quotidiennes. C'est vrai qu'on sort parfois avec plus de questions que de réponses. Mais en même temps on voit que les autres se posent les mêmes questions et cela nous donne une grille d'analyse. D'abord, pourquoi ? Vous avez envie de changer le monde, vous ne l'acceptez pas exactement tel qu'il est et vous avez envie de réaliser une utopie, en sachant que Utopie, c'est le lieu qui n'existe pas mais qu'on va faire advenir. Donc une société meilleure. Et vous vous êtes souciés - parce que cette histoire de parcours personnalisés c'est aussi se soucier - de ce que l'élève fera après le conservatoire, sinon, ce n'est pas la peine de se poser cette question. Et accompagner le développement de l'individu. La question que je soulèverai, c'est :

A la demande de qui ? Qui vous demande de personnaliser ces parcours, et pour qui ? Je constate que vous avez eu le souci de confronter les inégalités avec les valeurs démocratiques qui sont les vôtres. C'est-à-dire des inégalités sociales, culturelles, géographiques ; et aussi des inégalités qui sont musicales et artistiques de façon plus générale : c'est-à dire l'idée qu'il faut introduire une relativité, il faut accepter les différences de capacités entre élèves et respecter l'élève en tant que personne. Cela renvoie à la question des normes que je ré-évoquerai tout à l'heure. Si vous dites : « voilà, on se pose la question de la démocratie », vous considérez que vous êtes là, d'une certaine façon, pour remédier, tempérer. C'est la première chose qui vous réunit.

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Accepter les différences c'est accepter les différences à la fois entre individus et entre cultures - Les différences entre individus Que fait-on de ceux qui ne sont pas dans les normes ? Comment les accompagner ? Cela a encore été évoqué ce matin avec l'histoire des CEM. Comment leur apprendre - et c'est peut-être le plus difficile - à ne pas être le premier et accepter qu'il y ait un premier ? Et à être bien dans le fait de ne pas être forcément « le premier ». Il y a donc une question de mise en œuvre. Et puisque Meirieu a été souvent cité, il y a un concept qui n'est pas apparu, un concept auquel je suis très attaché, celui d'éducabilité : c'est de notre responsabilité de considérer que chaque élève est éducable, éducable artistiquement je dis bien, pas seulement éducable, savoir compter, lire, etc. les fondamentaux, bon... évidemment, bien sûr... mais aussi dans le domaine artistique et de manière aussi importante. Cette question-là est à la base d'un positionnement politique. Je ne me projette pas dans l'autre comme étant mon semblable mais réellement je prends l'autre dans sa différence qui fait qu'il n'est pas exactement formaté comme moi. - Les différences entre cultures Le but n'est pas simplement de reproduire le comportement de certaines élites sociales et culturelles. On constate pourtant une réappropriation de la musique classique par une classe socialement dominante. Vous, vous êtes convaincus qu’il faut accompagner la réappropriation des cultures populaires. Avec des formules auxquelles j'ai été très sensible : aider le peuple à redevenir sujet, c'est-à-dire être conscient de ce qu'il est lui-même, et de s'approprier lui-même, décider lui-même, de ce qu'est sa culture. Un certain nombre de formes d'expressions artistiques ont été évoquées et il a été rappelé aussi que, dans beaucoup de cultures populaires, on a affaire à des phénomènes collectifs. C'est-à-dire que la créativité est quelque chose qui se partage et qui s'élabore à plusieurs. C'est une notion qui, quand on l'introduit dans l'établissement, nous donne énormément à réfléchir. Repenser les rapports entre culture de l'élite, culture populaire, culture des masses - ce qui n'est pas la même chose que populaire - et les porosités - qu'il faut accepter comme étant fondamentales - entre les cultures savante et populaire. Je reviendrai là-dessus parce que tout le travail entre amateurs et professionnels est aussi lié implicitement à ce débat entre savant et populaire. Et suivant la représentation qu'on se fait du savant et du populaire, on en arrive à concevoir un établissement complètement différemment. La pratique sociale de l'art en amateur Derrière cela, il y a la notion de vivre ensemble, au-delà de l'individualisme, de la performance, du développement personnel de l'individu (on souhaite que l'individu s'épanouisse, développe ses capacités personnelles). D’abord, vous l'avez dit, l'individualisation des parcours ne passe pas uniquement par des cours individuels et par des pratiques individuelles. Elle peut passer aussi par le collectif.

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Ensuite, une formule vraiment pertinente c'est « donner aux gens des outils pour le partage du sensible », ave, derrière, cette notion d'apprendre à aimer. Les pratiques sociales de l'art en amateur nous obligent à nous interroger sur les formes de sociabilité artistique à la fois dans notre société et aussi pour la société de demain. C'est dans vos établissements que se construit la sociabilité à travers l'art, la sociabilité à travers la pratique de la musique, celle de la danse, du théâtre, des arts plastiques, etc. Elle se construit par la sociabilité des jeunes entre eux au sein de l'école. Et c'est là qu’on voit le ratage : notre pays, qui a le plus fort taux de scolarisation dans des établissements d'enseignement spécialisé, n'est pas celui qui est en tête des pratiques musicales, des orchestres, le quatuor à la maison le dimanche, etc. Il y a là un grave hiatus qui montre – et vous en êtes conscients parce que je lis vos publications depuis pas mal de temps. Pourtant ces pratiques collectives entre musiciens comme dans les arts plastiques ou dans la danse, sont essentielles pour retrouver des formes de sociabilité artistique. Et en même temps c'est parce que les jeunes ont appris à jouer, à chanter, à danser, à monter des choses inter-média, inter-artistiques qu’ils auront envie ensuite, ils auront ce besoin, cet appétit qu'on retrouve chez les trentenaires et les quadras, d'avoir une pratique artistique, d'aller dans une ville où il y a des lieux de vie artistique. C'est finalement à ce moment-là que ré-émergeront ces pratiques que vous avez initiées. Cette sociabilité artistique, c'est l'enjeu le plus important. Mais si l’on améliore l’enseignement pour ceux qui viennent dans les conservatoires, où sont les autres, ceux qui n'y viennent pas ? Vous ne choisissez pas vos élèves, ils viennent vers vous. Vous êtes sous la tutelle de collectivités territoriales qui ont ce souci d'aller vers les gens; mais il n'empêche que les questions sont là : quels sont les publics qui bénéficieront de ces dispositifs ? Comment? C’est lié aux finalités. Voici les réponses qui sont sorties de ces deux journées. Personnaliser :

• en motivant les élèves, • grâce à un projet pédagogique et artistique cohérent, • en apportant de nouvelles compétences aux enseignants, • en réorganisant les établissements.

Il faut évidemment prendre en compte la question de l'évaluation, en élaborant des dispositifs d'évaluation pertinents de ces nouvelles pratiques.

• Motiver les élèves Comment agir sur les ressorts de la motivation ? En identifiant les moteurs de l'apprentissage, en suscitant le désir d'apprendre, débarrassé de celui d'avoir à plaire à autrui, au professeur, aux parents…

• Etre dans un climat de liberté pour apprendre Faire en sorte que l'enseignement artistique ait du sens pour l'élève, que les acquisitions de compétences prennent du sens (dans sens il y a sensible), soient sensibles, que l'élève sente bien qu'il est dans un dispositif qui progresse.

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Pour qu'un élève progresse, il faut qu'il s'estime capable, qu'il ait confiance, qu'il ait une image positive de lui-même.

• Créer une balance positive entre coût (travail et effort) et bénéfice (plaisir) Le bénéfice doit être nettement plus important que le coût. C'est le bénéfice qui va motiver l'élève pour travailler. Il faut un recensement permanent, élève par élève. S’il doit y avoir une pédagogie différenciée, elle doit s'appuyer là-dessus.

• Avoir l’estime de soi

• Avoir le désir d'apprendre et apprendre de manière autonome, sans avoir à rendre des comptes, à plaire à autrui.

• Avoir la liberté pour apprendre La liberté pour apprendre, c’est le titre de l’ouvrage de Carl Rogers24 dont on nous a parlé hier. Il vaut mieux, d'abord, passer par un apprentissage qui a été nommé comme étant expérientiel, c'est-à-dire passer par l'expérience, ce qu'on peut appeler la démarche inductive. C'est-à-dire je commence par pratiquer, par tester, etc. J'en déduis, en fait j'en induis un certain nombre de principes et après, en passant par l'apprentissage formel, je peux les appliquer et les transposer à d'autres situations.

• Apprendre en dehors du conservatoire Ce que j'ai appris, ce que je sais faire, je le dois au conservatoire mais je le dois aussi à ce que j'ai fait contre le conservatoire ou ailleurs qu'au conservatoire, chez moi avec mes propres expériences.

• Faire en sorte que l'enseignement ait du sens pour l'élève Encore faut-il que l'enseignant sache quel sens il donne à cette tradition qu'il a reçue et qu'il essaie de transmettre.

• S'estimer capable de faire ce que l'on demande Nous devons tous, nous qui avons des responsabilités avec nos enseignants et nos enseignants avec leurs élèves, nous protéger d'une pédagogie qui met l'accent sur l'erreur, sur l'incompétence, etc. donc éviter les pédagogies négatives et mettre l'accent sur les capacités qui sont à construire et qu'on a plaisir à voir émerger. Savoir respecter, écouter sans intervenir. Respecter la musicalité de l'élève, la faire émerger. Faire en sorte que l'acte d'enseignement soit un acte musical et pas un acte de construction de bouts de phrase, de bouts de mouvement et de bouts sans leur globalité, c'est-à-dire sans expression musicale.

• Associer liberté pour apprendre avec désir d'apprendre, désir qu'il faut faire émerger.

Projet pédagogique, projet artistique

Différencier l'enseignement, c'est aussi différencier les établissements. Vous êtes implantés dans des lieux socialement très différents. Vous êtes sous la tutelle de collectivités territoriales qui ont nettement plus de poids que ne l'a actuellement le ministère de la culture.

                                                            24 Carl Rogers, La liberté pour apprendre (1972), Ed. Dunot 

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Sil y a évanescence ou retrait du ministère de la Culture, cela signifie que cette différenciation s'accentue en fonction des politiques, au sens plein du terme, que cherchent à développer les collectivités, les élus, etc. La diversification des établissements implique une diversification de l'offre nationale. C'est une question qui mériterait que vous y travailliez en profondeur. Parce que nous sommes sur des principes généraux, mais dans la réalité les déclinaisons de toutes ces propositions sont complètement différentes selon les contextes.

Personnaliser les parcours Ils seront centrés sur l’élève, pas sur les programmes. Prendre l’élève où il en est présuppose qu’on sache où il en est. Quel est le dispositif, aujourd'hui – c'est du ressort des établissements – qui permet de repérer exactement où l'élève en est ? Interrogeons-nous là-dessus. Car si on n'est pas capable, quand on est enseignant, de repérer exactement où il en est, je ne vois pas trop comment on peut personnaliser le parcours!

Prendre en compte le milieu social local

Accepter la diversité de la notion de parcours Dans parcours, il y a « intégrer l'accident », la notion de fléchage, des indicateurs, on n'a pas à se demander à chaque carrefour où on va. Le chemin est tracé avant. Se pose la question de la méthode. Réussir son parcours, c'est être capable de passer par-dessus les obstacles. Et ces obstacles, il faut avoir plaisir à les passer. Parce que si on fait un 110 mètres haies et qu'on déteste les haies, on ne le fait pas. Il y a un plaisir de sauter et chaque fois de ne pas accrocher et quand on accroche, se dire « la prochaine fois je n'accrocherai pas ». Accompagner le parcours d'obstacles est peut-être une des belles définitions de notre métier de pédagogue.

La notion de parcours initiatique Qu'y a-t-il d'initiatique là-dedans ? C'est le fait de chercher à transmettre. Dans l'idée, comme dans le roman initiatique, c'est quelqu'un qui transforme son paysage intérieur, ses représentations, etc. et qui arrive à un stade de connaissance. Toute démarche initiatique, c'est passer à un autre stade de conscience. Transmettre les exigences de la création artistique nous oblige à nous interroger sur ce qu’un conservatoire doit conserver, sans polémique. Nous sommes les héritiers de quelque chose, et si nous sommes les héritiers de ce quelques chose, nous avons pour mission de le transmettre, le transmettre pour que les gens se l'approprient. Pour être dans l'innovation, il faut connaître ses racines, et être fort dans ses racines. A partir du moment où je suis fort, je n'ai pas peur de changer. On peut innover parce qu’on a confiance dans la tradition ou le capital culturel dont on est l'héritier, les valeurs, les pratiques, je dirais plutôt les expériences sensibles. Il faut se donner les moyens d'actualiser les conditions de ré-émergence de ces expériences sensibles fondatrices pour nos élèves. C’est là qu’est l'aspect initiatique.

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La distance critique par rapport aux normes Les programmes : cela a été très bien expliqué, cette chaîne entre programme didactique et examen. L'examen devient le but puisqu’il est au bout de la chaine. Donc le programme est construit en fonction de l'examen. Mais « au fait, pourquoi ? » Merci de cultiver cette distance critique.

Ne pas confondre normes et niveau « Ah oui mais si on fait çà on va perdre le niveau » ! La première fois que l'expression « le niveau baisse » a été relevée, c'était en 1882, dans les premiers rapports d'inspection. Vers quels métiers ? Nos établissements, comme l'Education Nationale, ont un gros effort à faire dans le domaine de l'orientation. Comment personnaliser si on ne sait pas où on va, si on ne sait pas quels sont les métiers possibles ? Intégrer le projet de l'élève, le projet de soi

• Partager le pouvoir Est-ce qu'on peut choisir son ou ses professeur(s) pour faire son parcours ? Comment négocier çà, comment arranger çà ? Je sais que c'est un casse-tête pour vous, parce vous êtes responsables et que vous devez réguler les flux. C'est la contradiction que vous devez gérer. Il y a tout un travail de contractualisation, avec l'élève, avec la famille qui est à construire. Pas de différenciation de parcours sans cette réflexion.

• Différencier les modes d'apprentissage Enseigner n'est pas apprendre et le plaisir d'enseigner c'est de voir l'élève qui apprend. C'est une belle formule qui concerne les pédagogues. Chaque élève a son mode d'apprentissage parce que c'est lui qui construit les savoirs. Ne pas confondre travail personnel avec travail personnalisé, c'est-à-dire différenciation du travail à donner.

• Respecter les rythmes d'apprentissage Qu'est-ce qui différencie les élèves ? C'est moins le goût que la vitesse d'acquisition. La véritable réflexion pédagogique dans les contenus, c'est « A chacun son rythme ».

• Comment éviter la comparaison ? Non pas celle que l'enseignant doit éviter de faire, mais celle des élèves entre eux. Comment gérer cela? C’est l’une de ces contradictions qui doivent nourrir le débat pédagogique. Jusqu'où peut-on aller dans la différenciation sans que cela n'ait des conséquences négatives sur la comparaison entre les élèves ?

• Introduire des transversalités Il s’agit bien sûr de transversalité entre disciplines artistiques. Pour que ce projet soit cohérent, il faut aussi le rendre lisible pour le rendre attractif. Et donner les moyens à l'élève de se produire quand il est au meilleur de sa forme, au meilleur de ses moyens.

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Conservatoires de France – Février 2011 – Parcours personnalisés : pourquoi ? Comment ?  

Les nouvelles technologies Les nouvelles technologies, donc le numérique, ce sont des prothèses facilitatrices. Ces « prothèses » facilitent la créativité ; or nos établissement ne les exploitent pas suffisamment sur le plan pédagogique. Cela permet de s'approprier des matériaux artistiques, en musique comme en photographie ou avec des bouts de films. C'est ce que j'appelle la culture du mix. Nous n'avons pas intégré la culture du mix, nous avons toujours la culture de la partition, la culture du modèle, etc. et non la culture de l'appropriation ludique.

Alors comment ? Eh bien c'est aussi en apportant de nouvelles compétences aux enseignants et il me semble que c'est le moment de structurer – vous êtes nombreux, dynamiques –, de mettre en réseau recherches et expérimentations. Je pense que cette circulation permanente des expériences peut permettre de faire évoluer les choses. Changer les représentations et les postures des enseignants Quand on est à la tête d'un établissement, comment changer les représentations et les postures des enseignants, tout en les acceptant tels qu’ils sont ? Ces enseignants deviennent des accompagnateurs d'apprentissage(s). Il y a tout ce travail de formation mutuelle et de dynamique interne : formations réciproques entre collègues, en équipe, dans lesquelles, au fond, l'identité de chacun est respectée. Et, du coup, accepter la co-construction des parcours, co-construction entre les élèves, les familles et les professeurs, à condition d’être informés sur les perspectives professionnelles à long terme. Cela a des conséquences évidemment sur la formation initiale et continue des enseignants.

La réorganisation des établissements On ne réforme pas une culture professionnelle par décret. On a besoin d’un minimum de sécurité financière pour tenter l’aventure. Mais si on veut réformer, il faut surtout savoir faire des choix. Et choisir c'est renoncer. ll faut se donner les moyens en temps pour faire des parcours différenciés. Cela veut dire : accepter des stratégies de « redéploiement ». Redéploiement signifie aussi que, si on veut aller de l'avant, inventer des choses, il faut renoncer, il faut lâcher quelque chose.

L'évaluation Il faut se protéger des effets pervers de la culture de l'évaluation. C'est un mode de contournement du débat démocratique, c'est-à-dire qu'on laisse l'évaluation faire les choix à notre place. Il faut rétablir une culture non pas de l'évaluation mais de la confiance. Parce que la culture de la confiance est beaucoup plus économique !

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Conclusion

Jean-François TALLIO, adjoint à la culture, ville de Saint-Herblain

Je ne vais pas faire la synthèse de la synthèse, mais je souhaite vous renvoyer quelques éléments parce que vous m'avez aidé à déconstruire la représentation de l'image que je me faisais de vous. Je m'explique. Pour moi, ces professionnels que vous représentez étaient des gens un peu inaccessibles, gardiens d'un savoir, sourcilleux sur la manière de le transmettre en quantité et d'une manière un peu rigide. Or vous m'avez aidé dans cette déconstruction presque à la manière derridienne et je vous en remercie parce que je vais pouvoir en être l’ambassadeur. Si on a besoin de s'interpeller, on doit aussi se faire confiance sur des objets précis. Car la confiance en soi a un intérêt relatif : sur quoi je fais confiance ? On se fait confiance sur les éléments d'évaluation qu'on va mettre en place d'une manière co-construite et, du coup, on va pouvoir se dire au fur et à mesure : « est-ce que le compte y est ? » Et pouvoir se dire les yeux dans les yeux, année après année : « eh bien non, le curseur on le bouge un petit peu ». Quand on parle de parcours personnalisés qui s'autorisent ou qui autorisent les élèves à choisir et le mode d'enseignement, et l'enseignement, et l'enseignant avec qui ils vont travailler, c'est comme cela que l'on permettra à des jeunes, un peu hermétiques à l'idée qu’ils se font des conservatoires, de retrouver le chemin de ces lieux qui sont complémentaires de ce qui se passe ailleurs dans la cité. Donc travaillons ensemble. Je vous pose juste une question qui fera peut-être l'objet d’une réflexion à venir : cette attention à l'élève, cette attention à ses parents, à son environnement, y compris dans l'exigence d'un parcours personnalisé, quelle finalité a-t-elle? Travaillons aussi la question de l'intérêt général, la question de l'investissement dans la cité au sens de : qu'est-ce qu'on a à gagner, ensemble, de faire en sorte de promouvoir cette exigence ?

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Présentation des intervenants et des communications  

Jacques André

Jacques André a été maître de conférences en sciences de l’éducation à l’Université de Poitiers et chargé de mission à l’IUFM de Poitou-Charentes. Il a été rédacteur à la revue Les Cahiers pédagogiques. Il donne actuellement des conférences auprès d’organismes de formations, d’associations, de parents d’élèves, sur le thème du développement de la motivation. Il anime aussi des journées de stage et est chargé de cours dans le module « culture pédagogique » au CNSMD de Poitiers et au PESM de Dijon.

Il a publié aux éditions de l’Harmattan :

‐ Eduquer à la motivation, cette force qui fait réussir (2005) ‐ A l’origine de la réussite, des parents motivants ! (2009)

Susciter le désir d’apprendre et différencier l’enseignement

L’enseignant enseigne, l’apprenant apprend. Mais ce n’est pas parce que l’enseignant enseigne que l’apprenant apprend. Il peut apprendre mal ou ne pas apprendre. Chacun en effet apprend pour son propre compte, à sa façon, en suivant son propre rythme.

Il convient donc de chercher à calquer l’enseignement sur l’apprentissage. C’est en suscitant avant tout le désir d’apprendre et en différenciant la pédagogie qu’on peut y parvenir. Chaque élève pourra alors construire au mieux ses savoirs et se réaliser.

Yves Aubin

Directeur de La Bibliothèque, ville de Saint-Herblain Conservateur en chef Yves Aubin a fait sa carrière dans les bibliothèques municipales. D’abord à Tours, puis à Joué-lès-Tours, avant de rejoindre Le Cateau-Cambrésis où il crée la bibliothèque. Il prend ses fonctions à Saint-Herblain pour ouvrir la médiathèque en 1994. Il intervient dans des formations et des rencontres professionnelles et participe à la réflexion sur les bibliothèques par des articles dans des revues professionnelles.

Du continuum au capharnaüm

La technique, en devenant le passage obligé des pratiques culturelles, en modifie l’usage. La multiplication des sources et des moyens a fait voler en éclats une consommation qui est passée du collectif au singulier, de l’expertise des clercs au narcissisme des choix. Une approche et des pratiques fragmentées modifient les assurances de la transmission, de la continuité des cultures vers des juxtapositions et des collages qui dans leur discontinuités reconstituent peut-être de nouveaux corpus. L’arrivée de la

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culture de masse et de la reproductibilité des supports s’est accompagnée dans le même temps du passage d’une hiérarchie de l’art à une hiérarchie des cultures. S’inventent alors des parcours détachés de la valeur et peut-être producteurs de nouvelles voies de création. La figure de l’amateur est revisitée par une économie de la contribution en alternative à la production des industries culturelles. Il reste à s’interroger sur les dispositifs d’accès à la mémoire, sans captation du symbolique par des instances de pouvoir, qui permettraient que perdure l’idéal démocratique.

Alain Boulvert

Professeur de philosophie certifié hors-classe au Lycée Aristide Briand de Saint-Nazaire depuis 1989, correspondant avec l’université de Nantes, chargé des élèves des sections littéraires et plus particulièrement de l’orientation. Membre du conseil pédagogique, en charge ces dernières années d’élèves culturellement et socialement défavorisés. Membre participant à la fondation du Lycée Expérimental de Saint-Nazaire en 1981/82, puis détaché au Lycée Expérimental jusqu’en 2003. Formateur à l’IUT de Saint-Nazaire pour le module « culture et expression » depuis 2003.

Les parcours individuels des élèves sont-ils destinés à rester hors-norme(s) s’ils ne peuvent s’adapter aux normes des institutions éducatives ?

A partir d’une réflexion sur les notions de normalité et par la même de « hors-norme » et de l’évolution de leurs significations linguistiques et sociales, puis de leur résonance en matière d’éducation, Alain Boulvert prolonge ce questionnement en s’appuyant sur son expérience de la fondation du Lycée Expérimental de Saint-Nazaire en 1981, et sur son fonctionnement. Il en tire ensuite les enseignements pour lettre en valeur les principes qui lui semblent essentiels et éventuellement transférables.

Jean-Marie Colin

Jean-Marie Colin est né en 1951. Ayant commencé la musique assez tard (après le baccalauréat), il entame des études très « classiques » au conservatoire de Rouen, comme organiste (élève de Louis Thiry). Il s’oriente vers la composition, et c’est par cette dernière activité qu’il aborde l’électroacoustique, donc les synthétiseurs, et, la reliant avec sa pratique d’organiste, il pratique assidûment l’improvisation, seul ou en ensemble. Pédagogue depuis 1976, il a été longtemps directeur de conservatoires, en province puis en région parisienne. Il est membre fondateur de l’association « Conservatoires de France ». Il a été inspecteur de la création, des enseignements artistiques et de l’action culturelle, au Ministère de la culture entre 1992 et 2007. Il est depuis 2007 directeur du Conservatoire à rayonnement départemental de l’Aveyron.

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Conservatoires de France – Février 2011 – Parcours personnalisés : pourquoi ? Comment ?  Il mène depuis longtemps de multiples activités, de concertiste, de compositeur, de recherches dans le domaine de l’informatique musicale, et de rencontres vivantes et fructueuses avec de nombreux musiciens, de toutes esthétiques. Exerçant son art dans tous les domaines de la musique, il a également collaboré avec des chorégraphes et des compagnies théâtrales.

Projet de l’élève, parcours personnalisés, projets personnels : questions de vocabulaire

Si on en juge par les débats parfois vifs qui ont émaillé l’élaboration du thème (des thèmes ?) de ces journées d’étude, il y a au moins une chose dont nous sommes sûrs : les mots n’ont pas le même sens pour tous… Ainsi, entre ce qu’ont imaginé les rédacteurs du Schéma national d’orientation pédagogique de 2008 (« parcours personnalisés sur contrat permettant d’agencer les modules et leur durée avec un encadrement adapté »), l’idée que chacun s’en fait et le croisement des diverses expériences (notamment la réalisation dans plusieurs établissements d’un « projet personnel de l’élève »), il a semblé utile, peut-être même nécessaire, de revenir sur le sens des mots et des expressions. Parcours… Projet… Projet personnel… Projet d’élève… Réalisation… Module d’enseignement… Parcours personnalisé… Evaluation du projet… Evaluation du parcours… enseignement… Accompagnement… Cursus… Hors cursus… Voie de garage… Voilà quelques mots qui suggèrent des idées qu’il faudra bien à un moment partager, peut-être en demandant conseil à Lewis Carroll :

Alice : Voudriez-vous, je vous prie, me dire quel chemin je dois prendre ? Le chat : Cela dépend en grande partie du lieu où vous voulez vous rendre.

Lewis Carroll, Alice au Pays des merveilles

Ludovic Potié

Originaire de Saint-Omer (Pas-de Calais), il a fait ses études de musicologie à Strasbourg, puis a passé huit années en Allemagne pour la direction de chœur et d’orchestre, à la Musikhochschule de Detmold.

Après avoir dirigé pendant huit ans l’école départementale de la Dordogne, il est depuis douze ans directeur au Conservatoire à rayonnement départemental de la Roche-sur-Yon.

Le CEM, ou comment quitter un conservatoire en tant que musicien amateur après dix à douze ans d’études ?

Quelles questions se pose-t-on pour organiser le CEM ? Quelle valeur lui attribue-t-on ? Doit-il finaliser un cursus en tenant compte des capacités de l’élève ou sanctionner une technicité ? Où place-t-on le niveau instrumental et le niveau technique dans l’examen ? Témoignage sur la mise en place, dans un CRD, d’une fin de parcours sous la forme d’un projet personnel en ce qui concerne la dominante instrumentale ou vocale.

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Valérie Louis

Valérie Louis occupe aujourd’hui le poste de professeur de pédagogie fondamentale, discipline optionnelle au CNSMD de Lyon, pour les étudiants engagés dans un cursus conduisant au DNSPM ou au Master d’interprète. Elle y enseigne également les sciences de l’éducation auprès des étudiants de la formation diplômante au Certificat d’Aptitude. Elle anime régulièrement par ailleurs des formations dans divers établissements relevant de l’enseignement spécialisé de la musique. Elle a commencé son parcours professionnel par vingt années dans l’Education nationale, à des niveaux d’enseignement et dans des environnements très divers, en assurant des fonctions qui ont évolué au fil du temps. C’est son engagement de longue date dans des mouvements pédagogiques qui lui donne sans cesse le courage d’aller plus loin. Sa formation de hautboïste et son expérience pédagogique diversifiée, l’ont conduite aujourd’hui à mener une recherche en sciences de l’éducation à la croisée de ses deux passions : la musique et la pédagogie. L’objet de sa recherche doctorale concerne l’évolution des pratiques pédagogiques dans les conservatoires aujourd’hui.

La personnalisation des apprentissages dans l’école de musique : pour des élèves pleinement acteurs de leur formation

L’idée d’optimiser les apprentissages des élèves grâce à une individualisation des parcours de formation ne date pas d’hier. La volonté de regrouper des élèves par classes a été un progrès en son temps, au XVIIe siècle, lorsqu’il s’agissait de rationaliser des méthodes d’enseignement en regroupant des jeunes de même niveau de connaissance, pour leur proposer, en même temps, l’apprentissage des mêmes savoirs. Mais simultanément, cette volonté a fait naître des problèmes car elle postulait qu’il était possible de considérer les élèves de façon homogène et indifférenciée ; l’aménagement de stades, séparés par des épreuves graduées, a déterminé des programmes devant se dérouler selon une démarche identique pour tous. L’évaluation des apprentissages s’est alors transformée de manière systématique en contrôles, ce qui a généré des résultats sous forme de comparaisons ordonnées entre individus. C’est pour dénoncer et s’insurger contre cet univers de contrôle visant à isoler les élèves les uns des autres, tout en les juxtaposant dans le temps de dans l’espace, que les théoriciens de l’ « Ecole Nouvelle » ont mis en œuvre, au cours du XXe siècle, une conception radicalement différente de l’école : leur caractéristique commune était de faire agir les élèves, non plus avec des connaissances enseignées, puis exercées et mémorisées, mais en les amenant à construire leurs connaissances à travers des situations spécifiques, organisées à dessein. Ce qui suppose une organisation pédagogique différente nécessitant certaines dispositions techniques : il faut organiser une forme de contractualisation des apprentissages avec chaque élève, qui implique la possibilité de procédures et de cheminements différenciés. C’est là le cœur du sujet. Comment proposer dans les écoles de musique des parcours de formation qui, au lieu de creuser les écarts entre les élèves, proposent des alternatives de telle sorte que chaque élève soit aussi souvent que possible placé dans une situation d’apprentissage féconde pour lui ? Comment fonder un système alternatif explicite qui optimise la progression de tout un chacun ?

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Liste des participants  

Jésus AGUILACécile ANDRAULT La Luciole Brest 29 Christophe ANDRIVET CRC Maisonde la musique et de la danse St Jean de la Ruelle 45 Yves AUBIN Médiathèque St-Herblain 44 Auxile AUSSEL DAC St-Herblain 44 Christine BARRERE CRI des Couevrons Evron 53Olivier BARTISSOL CRC Pontault-Combault 77 Benoît BAUMGARTNER CRR Rennes Rennes 35 Catherine BAUBIN EMMD (CRC) Rezé 44 Jean-Marie BELLEC CRR Nantes 44 Viviane Ben ATTAR Ecole de musique Ludres 54 Richard BLOCH Conservatoire municipal Mérignac 33 Céline BOGNINI CRC Bondy 93 Frédéric BOIS CRD Dieppe 76 Maurice BOLZE Siemar/CRI Roanne 42 Alain BONTE Conservatoire des Landes (CRD) Mont-de-Marsan 40 Christian BOTHE Rennes 35 Alain BOULVERTFrançois BRANCIARD Maison des Arts (CRC) St-Herblain 44Frédéric BRAND CRI Flume 35 Pascal BRASSE Sarseville 76 Philippe BREGAND Trépot 25 Anne-Claude BRISSONCédric BROSSEAU CRD Laval 53 Fabrice BRUNEAU CRD Cambrai 59 Alain BRUNIER CRR Rennes 35 Rosine CADIER Saint-Denis 93 Brigitte CALVI Prof FM-IMS / CRC Fontaine 38 Sophie CARRE CRD Laval 53 Bruno CARTON Schéma départemental CG 72 Le Mans 72Jean-Philippe CAUSSE d'Estienne CCC Charenton-St-Maurice 94 Philippe CAUX CRI Côte d'Albâtre Gany-Barville 76Jean-Bernard CHANTEUX Maison des Arts (CRC) St-Herblain 44Jean-Pierre CHARBONNEL CRD Tulle 19 Serge CHARPENTIER CRD La Roche/Yon 85 David CHARTIER EMM Chantonnay 85 Béatrice CHAUVEL Conservatoire intercommunal Lagny sur Marne 77 Isabelle CHOMET CRD St-Quentin 60 Marie-Agnès CHOPINJérémie CLOT Conservatoire des SVET de Coëvrons Evron 53Jean-Marie COLIN CRD Aveyron Rodez 12 Rémi CORBIERE CRR Nantes 44 Dominique CORMIER Espace culturel ¨Paul Fort Allonnes 72Patrice COUINEAU CRD Aurillac 15 Aurélien DAUMAS-RICHARDSON Ecole de Musique Carquefou 44Philippe DAUZIER CRC Centre O. Messiaen Champigny/Marne 94Nicole DE VAULX CRI du Pays de Château-Gontier Château-Gontier 53 Philippe DEFOSSE-HORRIDGE CRI CCSM Aubergenville 78 Marie-Pierre DELAGE Paris 75 Laurent DELANOE Conservatoire Musique et Danse (CRD) Lisieux 14 Marie DELBECQ CRC Bondy 93 Carine DELCLAUD CRR Rennes 35 Thierry DELECOURT CRD Alençon 61 Pascale DELHOMMEAU CRD Vannes Pontivy 56 Jean-François DERUY L'Ile d'Olonne 85Mathieu DESTHOMAS CRD Alençon 61 Valérie DEVY CRI Sablé-sur-Sarthe 72 Christophe DUCHENE CRR Lille 59 Thierry DUPUIS CRC Lanester 56 François DURAND Ecole municipale de musique Agde 34Martine DURAND CRD Le Mans 72 Jean DUVAL CRD Laval 53 Leila FARAUT CRR Strasbourg 67 Frédéric FAURE Ecole de Musique Draguignan 33Véronique FERRAND Juvigné 53 Anne FIARD VILEYN Rennes 35

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Conservatoires de France – Février 2011 – Parcours personnalisés : pourquoi ? Comment ?  Michel FIOLFrançois-Marie FOUCAULT CRD Laval 53 Jean-Yves FOUQUERAY CRD Vannes 56 Jean-François FOURICHON Maison des Arts (CRC) St-Herblain 44Véronique FREIBURGER CRD Le Havre 76Sylvie FRENEYJulie GAILLAND Paris 75 Jean GAILLARD CA les Portes de l'Essonne Athis-Mons 91Anne GARZUEL Musique et danse L.Atlantique Orvault 44 Mathieu GAUFFRE CRD Laval 53 J-Christophe GAUTHIER CRD Tarn Castres 81 Bernard GELINEAU CRI du Pays de Château-Gontier Château-Gontier 53 Malo GERVAIS Conservatoire Quimperlé 29 Valérie GIRBAL CRR Lille 59 Fabienne GOSSELIN Bibliothèque Martigné sur Mayenne 53Armelle GOURLAOUEN Conservatoire Pontivy 56 Christine GRAF CRR Dijon 21Vincent GRANDSERRE Ecole de musique et de danse Val-de-Reuil 76Danielle GRIGNON Ecole intercommunale de musique Louvigny 14Jean GUIBLET Maison des Arts (CRC) St-Herblain 44Grégoire GUILLARD CRD Laval 53 Christian GUILLONNEAU CIM des Olonnes Les Sables d'Olonne 85 Michel HUBERT CEFEDEM Bretagne Pays de Loire Nantes 44Hélène HUCHER Ecole intercommunale de musique Nanteuil-le-Haudouin 60 André JACQUESDidier JOSIEN CRD Lisieux Pays d'Auge Lisieux 14Véronique JOSSERAND CRC Fontaine 38 Sophie KIPFER Atelier musical de l'Oise (EIM) Choisy-au-Bac 60 Jean Marcel KIPFER CRD St Quentin 02 Franck KUNTZ CRD Quimper 29 Estelle LABARTHE 44Christine LAHORGUE CRD Tarbes 65 Denis LAPOTRE CRR Réunion Sainte Marie 97 Yannick LE BIHAN CRD Laval 53 Maurice LE CAIN Ecole musique, danse et théâtre Rians 83 Eric LE GROUX Nantes 44 Claire LE HIR CRD Brest Le Relecq Kerhuon 29 Bernard LEBON CRC Laon 02 Anne LEDRU CMRD Quimper 29 Catherine LEFAIX CRI Fougères communauté Fougères 35 André LEMASSON CRD Laval 53 Hervé LESVENAN CMAD Quimper 29 Sonia LETORE CRD Laval 53 Clotilde LETURGIE CRD Laval 53 Jacky LHIVER CRD Lorient 56 Céline LIEVRE EMMD (CRC) Rezé 44 Loïc LOISEL Ecole municipale de Musique La Flèche 72 Valérie LOUIS CNSMD Lyon 69 Florence MAILLET Maison des Arts (CRC) St-Herblain 44Suzy MARCEAU FNAPEC Sylvie MAROUARD Ecole municipale de Musique Castelginest 31 Pascal MASSIOTLydie MERLET EMMD (CRC) Rezé 44 Olivier MEROT CRD Créteil 94 Laurent MEUNIER CRC val de reuil 27Bruno MEURANT Nogent sur Marne 94 Dominique MILONET Ecole Paul Le Flem Chateaugiron 35 Jacques MOREAU Cefedem Rhône Alpes Lyon 69Carine MOTTIN CRD Laval 53 Frédéric MÜHLHÄUSER Ecole musique du Poher Carhaix 29Frédéric MULLER EMMD (CRC) Rezé 44 Patrick MUT Ecole municipale de Musique Fontenay sous Bois 94 Marie OSTER Centre Breton d'Art Populaire Brest 29Franck PATILLOT Conservatoire Collebrières 83 Sylvie PAULMIER Quimper 29 Florence PAUPERT CRD St-Quentin 02 Michel PENER CRC Villebon sur Yvette 91 Alain PERPETUE CRD du Grand Tarbes Tarbes 65Thierry PERROUT CRD Pays de Montbéliard Montbéliard 25 Pascale PIC-GRANIER CRR Lille 59 Marion PICOT CEFEDEM Bretagne (étudiante) Nantes 44Ludovic POTIE CRD La Roche/Yon 85

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Mireille POULET-MATHIS Ecole départementale de l'Ardèche Privas 07Mickaël RIBAULT CRD Laval 53 José RICHAUD Angoulême 16 Lionel RIVIERE Atelier musical de l'Oise (EIM) Choisy-au-Bac 60 Yvon RIVOAL Cordemais 44 Muriel ROBERT CRC Bondy 93 Ivan ROMEOCorinne RONSINMartine ROSSERO Carquefou 44 Virginie ROUSSELIERE MOLES Fontenay-sous-Bois 94 Yves RUSCHER CRI Alfortville 94 Armelle SADIR Ville Bouguenais 44 Jean-Luc SAZIO CRD Dieppe 76 Stéphan SCOUBART EMM Bouguenais 44 Marie-Claude SEGARD CRR Strasbourg 67 Viviane SERRY CRR Nantes 44 Jean-Pierre SEYVOSAnne SORNAY CRD Le Mans 72 Eric SPROGIS Poitiers 86 Nicolas STROESSER CRD Bourg en Bresse 01 Florent STROESSER CRD Bourgoin-Jallieu 38 Jean-François TALLIO Ville St-Herblain 44 Pierre THEBAULT CRD Vannes 56 Yann THEOPHAGE Maison des Arts (CRC) Saint-Herblain 44 Irène TOSI VERMIROSI CRD Niort 79 Solena TOUSSAINT Maison des Arts (CRC) Saint-Herblain 44 Michèle VANDENBROUCQUE L'Ile d'Olonne 85Christine VENNER FERRENBACH CRD Quimper 29Brigitte VERRIEZ Ecole de musique pays de Valois Nanteuil-le-Haudouin 60 Claire VIAL CRD Laval 53 François VIGNERON Conservatoire Grand Narbonne Narbonne 11 Anne VUILLEMIN Musique et danse Loire-Atlantique Orvault 44 Christophe WALLET CRR Tours 37 Lionel WARTELLE Dreux 28 Pierre-Jean YEME CRR Dijon 21

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