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BORÉAL JEAN-FRED BOURQUIN Paul Buissonneau en mouvement

Paul Buissonneau, en mouvement

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BORÉAL

JEAN-FRED BOURQUIN

Paul Buissonneau

en mouvement

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Les Éditions du Boréal4447, rue Saint-Denis

Montréal (Québec) H2J 2L2

www.editionsboreal.qc.ca

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PAUL BUISSONNEAU, EN MOUVEMENT

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DU MÊME AUTEUR

À quoi ça sert?, poésie, Éditions du Pontin, 1967.

Miroir des autres. Sept scénarios de films, Télévision suisse romande, 1979.

(sous la direction de) Le Pacte du futur. Économie-culture: les nouveaux réseaux d’échanges et de solidarité, essai, Éditions Zoé, 1992.

Violence, conflit, dialogue interculturel, essai, Éditions du Conseil de l’Europe, 2003.

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Jean-Fred Bourquin

PAUL BUISSONNEAU, EN MOUVEMENT

biographie

Boréal

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© Les Éditions du Boréal 2017

Dépôt légal: 2e trimestre 2017

Bibliothèque et Archives nationales du Québec

Diffusion au Canada: DimediaDiffusion et distribution en Europe: Interforum

Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales du Québec et de Bibliothèque et Archives Canada

Bourquin, Jean-Fred

Paul Buissonneau, en mouvement

Comprend des références bibliographiques

ISBN 978-2-7646-2479-1

1. Buissonneau, Paul, 1926-2014. 2. Producteurs et metteurs en scène de théâtre – Québec (Province) – Biographies. 3. Acteurs – Québec (Province) – Biographies. I. Titre.

PN2308.B83B68 2017 792.02'3092 C2017-940440-7

ISBN PAPIER 978-2-7646-2479-1

ISBN PDF 978-2-7646-3479-0

ISBN EPUB 978-2-7646-4479-9

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Avec l’aimable participation de

Gabriel Arcand

Sans doute un des acteurs les plus respectés et les plus accomplis de sa génération, avec une carrière qui s’étend sur plus de quarante ans, vingt-cinq films et au moins autant de pièces de théâtre, Gabriel Arcand est également membre fondateur du Groupe de la Veillée, créé en 1974. Il en a assumé la direction générale jusqu’en 1982.

Jean Asselin

Acteur et metteur en scène, Jean Asselin fait ses premières armes à La Roulotte de Buissonneau en 1966. Il parfait sa formation à Londres et à Prague, puis il adhère à l’école d’Étienne Decroux, à Paris, où il assiste le maître. C’est le fondateur de la compagnie Omnibus, qui fait œuvre de pionnier du théâtre corporel depuis près de cinquante ans.

François Barbeau

François Barbeau a créé le métier de costumier au Québec. Depuis son premier contact avec le théâtre à La Roulotte de Buissonneau, il a participé à plus de 600 productions au théâtre, au cinéma, à l’opéra et au ballet. Il est décédé en 2016.

Monik Barbeau

Diplômée en beaux-arts, Monik Barbeau commence son parcours par un poste de professeure en arts plastiques. Elle est ensuite enga-gée comme monitrice à la Ville de Montréal puis comme coordina-trice au Service des activités culturelles et responsable du dévelop-pement des Maisons de la culture. Chef puis compagne de Paul

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Buissonneau à compter des années 1980, Monik Barbeau a été une interlocutrice de grande valeur pour Paul. Ils se sont mariés en 2012.

Carl Béchard

Diplômé du Conservatoire d’art dramatique de Montréal en 1976, où il enseigne d’ailleurs maintenant, Carl Béchard enchaîne, depuis sa sortie de l’école, des rôles tant au théâtre qu’au petit et au grand écran. Son passage à la Ligue nationale d’improvisation (LNI) entre 1982 et 1987 est marquant et lui vaut d’être intronisé au Temple de la renommée en 2008.

Pierre Bernard

Après une formation à l’École nationale de théâtre (ENT), Pierre Bernard travaille comme attaché de presse. Puis, de 1988 à 2000, il est directeur artistique du Théâtre de Quat’Sous et se lance dans la mise en scène. Il est également comédien et travaille avec des met-teurs en scène de premier plan. Il se joint à l’équipe de Juste pour rire en tant que directeur artistique. Depuis 2002, il œuvre à l’ENT, tour à tour comme professeur, conseiller dramaturgique, juré, direc-teur d’acteurs et coach de mise en scène.

Normand Biron

Diplômé en lettres (Québec et France) et en ethnopsychanalyse (Paris), Normand Biron a réalisé, à titre de journaliste et d’auteur, plus de 300 entrevues d’artistes, d’écrivains, de poètes, de composi-teurs et de personnalités politiques et artistiques du monde entier. Critique d’art, il a été membre de plusieurs jurys et a été conserva-teur invité tant au Canada qu’à l’étranger.

Valérie Blais

Valérie Blais obtient son diplôme de l’École nationale de théâtre du Canada en 1990. Elle se taille rapidement une place intéressante, enchaînant les rôles d’abord au théâtre puis au petit écran et au cinéma. En 2014, elle lance son premier spectacle d’humour.

Lothaire Bluteau

Lothaire Bluteau est un acteur qui s’est illustré tant au théâtre qu’à la télévision ou au cinéma, au Québec comme à l’étranger, particu-

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lièrement aux États-Unis, où il séjourne la plupart du temps. Il a participé à une trentaine de films et tenu des rôles dans les très populaires séries 24 et The Tudors.

Manon Bouchard

Autodidacte, Manon Bouchard fait ses débuts professionnels à titre de régisseuse au Théâtre de Quat’Sous. Aujourd’hui, elle a à son actif une quarantaine de productions théâtrales auprès de metteurs en scène de renom. De 2005 à 2009, elle enseigne les rudiments du métier d’assistant metteur en scène aux étudiants en production de l’École nationale de théâtre.

André Brassard

Metteur en scène et réalisateur, André Brassard a créé, depuis 1968, la majorité des pièces de Michel Tremblay. Avec près de 160 créa-tions en plus de 40 ans, il est considéré comme un des plus grands metteurs en scène québécois.

Louisette Charland

Louisette Charland entre comme collaboratrice au Théâtre de Quat’Sous alors que Paul Buissonneau a déjà démissionné de son poste de directeur. Elle ne tarde pas à jouer un rôle important au sein de ce théâtre, à un point tel qu’elle est lauréate, en 2016, du prix Sentinelle Carrière, qui récompense un travailleur culturel pour son apport essentiel au développement de l’art théâtral.

Robert Charlebois

Robert Charlebois est un auteur-compositeur-interprète, musicien et acteur. En 1968, il obtient un premier grand triomphe au moment de la création du légendaire spectacle L’Osstidcho. Il a reçu, au cours de sa carrière, plusieurs prix et distinctions qui témoignent de la reconnaissance de ses pairs et de la qualité de ses milliers de spec-tacles et de sa vingtaine d’albums.

Benoît Dagenais

Benoît Dagenais fait ses études au Conservatoire d’art dramatique de Montréal et obtient son diplôme en 1977. Au fil des ans, il parti-

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cipe à plus de quatre-vingts productions théâtrales et laisse sa marque au cinéma et au petit écran. Il enseigne au Conservatoire depuis 1993 et en assume la direction depuis plusieurs années.

Yvon Deschamps

Monologuiste et humoriste, Yvon Deschamps se distingue par son humour à caractère social depuis soixante ans. C’est un des premiers à travailler dans le domaine. Il a fait partie de la première équipe de La Roulotte. Il est membre fondateur du Théâtre de Quat’Sous et l’un des instigateurs de L’Osstidcho.

Yves Desgagnés

Yves Desgagnés est acteur, auteur, metteur en scène et réalisateur. Figure connue du grand public, c’est surtout comme metteur en scène qu’il marque le monde du théâtre, avec plus de soixante-dix mises en scène audacieuses réalisées au cours des trente-cinq der-nières années.

Simon Durivage

Simon Durivage est un journaliste de télévision québécois. Il com-mence sa carrière en 1968 et se voit confier l’animation de plusieurs émissions d’affaires publiques jusqu’à sa retraite, en 2015. Il a par ailleurs occupé le poste prisé de chef d’antenne tant à Radio-Canada qu’à TVA et a été décoré de l’Ordre du Canada.

Louise Forestier

Louise Forestier étudie d’abord le théâtre puis fait son entrée dans le monde artistique grâce à la chanson. Sa participation à la création du mythique Osstidcho, en 1968, aux côtés de Deschamps, Buisson-neau et Charlebois, confirme sa place sur la scène québécoise. Depuis cinquante ans, elle nous a donné vingt-trois albums et de nombreuses chansons à succès qui ont été reprises par des inter-prètes québécois et européens.

Jean Gagnon

Jean Gagnon est né à Jonquière. Après des études de médecine à Sherbrooke et des stages dans des hôpitaux de Montréal, il s’installe

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à Saint-Gabriel-de-Brandon, dans la région de Lanaudière, où il ouvre une clinique. Il a bien connu Paul Buissonneau.

Sylvain Galarneau

Animateur de théâtre auprès de jeunes des quartiers populaires, il fait ses débuts à La Roulotte en 1978 en tant que régisseur puis comme comédien l’année suivante. En 1981, il écrit et dirige la pièce Les Musiciens de Sainte-Ursule. Durant les cinq étés suivants, il réalise les mises en scène des spectacles de La Roulotte. Au départ à la retraite de Buissonneau, il devient l’agent culturel responsable de la programmation estivale de la Ville de Montréal, dont fait par-tie La Roulotte.

Denise Guilbault

À la fois metteure en scène et pédagogue, Denise Guilbault assume la direction artistique de la section française de l’École nationale de théâtre depuis janvier 2001. De 1982 à 2000, elle a été responsable de la discipline théâtre au Collège Jean-de-Brébeuf (niveau collégial).

Éric Jean

Metteur en scène diplômé de l’Université du Québec à Montréal (UQAM), Éric Jean a fait sa marque en élaborant une méthode de création personnelle qu’il nomme «écriture vivante». Il est le fon-dateur de la compagnie Persona Théâtre. Il a dirigé le Théâtre de Quat’Sous de 2004 à 2016 et a notamment présidé à la construc-tion du nouveau bâtiment.

Andrée Lachapelle

Enfant, Andrée Lachapelle participe aux pièces de théâtre amateur de ses frères et sœurs plus âgés, puis elle étudie la diction et le théâtre au Studio XV. Comédienne de grand talent, elle se produit pour la première fois sur scène au début des années 1950 et marque le milieu théâtral et télévisuel par ses interprétations – plus de 200 – magis-trales.

Robert Lévesque

Robert Lévesque est journaliste, écrivain et critique littéraire. Son passage au Devoir, où il a œuvré pendant quinze ans, est ponctué

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d’histoires légendaires. Il est particulièrement connu et redouté pour ses critiques théâtrales jamais complaisantes. Il a publié une dizaine d’ouvrages, en majorité des essais littéraires.

Jean Marchand

Jean Marchand est diplômé du Conservatoire d’art dramatique de Montréal, promotion 1975. En plus d’être acteur et metteur en scène, il poursuit une carrière de pianiste classique comme soliste, chambriste et accompagnateur. Il a joué dans près de trente pièces et participé à plus de quinze films et à autant de séries télévisées.

Denis Marleau

Après avoir obtenu son diplôme au Conservatoire d’art dramatique de Montréal en 1976, Denis Marleau joue à La Roulotte et complète sa formation pendant deux ans en Europe grâce à des stages de mise en scène et de mime. En 1982, à son retour au Québec, il fonde UBU compagnie de création, où il élabore une œuvre théâtrale éclectique et singulière qui conjugue inventivité, rigueur formelle et transver-salité.

Raymond Massé

Son parcours débute par une formation en anthropologie à l’Uni-versité de Montréal et à l’Université Laval, puis se poursuit avec une participation à un réseau de santé publique au sein d’équipes mul-tidisciplinaires de recherche. À l’Université Laval, Raymond Massé a enseigné l’anthropologie médicale et les méthodes qualitatives. Ses travaux portent sur les rapports entre culture, santé et maladie.

Fred Mella

Fred Mella fait d’abord partie des Compagnons de la musique, un groupe vocal français, qui deviennent les Compagnons de la chan-son en 1946. Avec sa voix de ténor, il en est le soliste. Il demeure au sein de ce groupe internationalement connu jusqu’à sa séparation, en 1985. Depuis lors, il poursuit une carrière solo, parfois en com-pagnie de son frère René Mella, qui a remplacé Paul Buissonneau après le départ de ce dernier des Compagnons.

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Bernard Meney

Bernard Meney est acteur et danseur. Diplômé de l’Académie des Grands Ballets canadiens et du Conservatoire d’art dramatique du Québec, il mène une double carrière des deux côtés de l’Atlantique. En Europe, il danse notamment pour les Ballets du XXe siècle. Au Québec, il monte sur les planches du Théâtre de Quat’Sous, du Théâtre du Nouveau Monde et du Théâtre du Rideau Vert.

Pascale Montpetit

Depuis sa sortie du Conservatoire d’art dramatique de Montréal, en 1985, Pascale Montpetit a joué au théâtre ainsi que dans une vingtaine de films et de nombreuses séries télévisées. Elle s’est vu décerner des prix Jutra, Gémeaux, Génie et MetroStar.

Wajdi Mouawad

Homme de théâtre, metteur en scène, auteur, comédien, directeur artistique, plasticien et cinéaste libano-québécois, Wajdi Mouawad obtient son diplôme de l’École nationale de théâtre en 1990. Il mène depuis lors une carrière prolifique et reçoit de multiples reconnais-sances, tant au Québec qu’ailleurs dans le monde.

Ginette Noiseux

Destinée à une carrière scientifique, Ginette Noiseux abandonne peu à peu sa passion des laboratoires pour s’investir pleinement dans la recherche artistique. En 1978, elle décroche son diplôme de l’ENT en scénographie avec mention d’excellence. Depuis trente-cinq ans, elle dirige l’Espace Go, un centre de création habité par des artistes qui tentent de rendre compte des métamorphoses de la société et des recherches de leur temps. Ginette Noiseux a participé à l’aventure de La Roulotte.

Lorraine Pintal

Après des études de théâtre au Conservatoire d’art dramatique, Lor-raine Pintal devient comédienne, réalisatrice à la télévision de Radio-Canada, animatrice à la Première Chaîne, metteure en scène dans de nombreux théâtres de Montréal et, depuis 1992, directrice artistique et générale du Théâtre du Nouveau Monde.

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Marcel Sabourin

Acteur, metteur en scène et professeur de théâtre reconnu pour sa verve et son éloquence. Après avoir fait partie de la légendaire Rou-lotte de Buissonneau, Marcel Sabourin voit sa carrière prendre son envol au cours des années 1960. Depuis, il tient des rôles dans plu-sieurs productions marquantes, tant au théâtre qu’au cinéma ou au petit écran.

Chloé Sainte-Marie

Révélée par le cinéaste Gilles Carle, dont elle devient la compagne, elle reçoit le prix d’interprétation féminine au Festival du film d’aventure de Pau en 1986 pour le rôle principal dans La Guêpe. Elle poursuit sa carrière de comédienne avec la pièce de théâtre La Terre est une pizza, de Gilles Carle, présentée au Festival d’Avignon et à Paris en 1990 (mise en scène de Paul Buissonneau). Chloé Sainte-Marie se lance aussi dans la chanson avec un premier album en 1993, L’Emploi de mon temps. Elle chante ensuite des poètes québécois, récolte de nombreux prix et consacre un album à des chansons en langue innue.

Michel Tremblay

Dramaturge et romancier, Michel Tremblay est aussi conteur, tra-ducteur, scénariste de films et de pièces de théâtre ainsi que parolier pour plusieurs chanteuses. Son utilisation du parler populaire qué-bécois a marqué le théâtre au point où ce langage est désormais désigné par l’expression la langue de Tremblay.

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Préambule

Émerge autant que possible à ta propre surface. Que le risque soit ta clarté. Comme un vieux rire. Dans une entière modestie.

RENÉ CHAR

S a franchise a défié les sensibilités, sa générosité a stimulé les talents, ses conseils ont inspiré moult projets, ses réalisations ont ébloui le public, ses prises de position ont interpellé les

esprits et son authenticité a touché bien des cœurs.Celles et ceux qui ont côtoyé Paul Buissonneau ont été marqués

par des échanges et des collaborations vécus non seulement dans l’enthousiasme mais aussi dans l’affrontement. Son exigence et ses coups de gueule sont restés célèbres.

En toute chose, Paul Buissonneau a fait preuve d’insolence, d’une belle insolence créatrice, pour reprendre les termes de Loui-sette Charland. Une insolence aimante lorsqu’il observait l’éclosion des talents et les transformations profondes que vivait la société québécoise. Il encourageait les Québécois à évoluer en les houspil-lant. Ils s’en souviennent encore.

Après quelques années de tournées au sein des Compagnons de la chanson, de voyages en avion, en train et en paquebot, de passages dans des villes aux décors contrastés sur des scènes illuminées sous les yeux d’un public conquis, Paul Buissonneau a entamé, par amour pour une belle Québécoise, une nouvelle existence dans le pays de celle-ci en partageant les conditions de vie des gens modestes. Il

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aurait pu ainsi avancer sur un chemin déterminé par le marché du travail, mais en lui couvait une passion qui attendait l’occasion de s’embraser. Elle lui a été offerte à maintes reprises. Les deux plus importantes: La Roulotte puis la télévision. Un lent ouragan s’est alors levé. Son énergie, son imagination et son originalité ont entraîné dans leur sillage des dizaines, des centaines de jeunes artistes, alors que des centaines de milliers d’enfants, des millions même, puis des adultes, étaient éblouis par ses créations.

Lorsque j’évoquais ce qu’il avait apporté au théâtre québécois, Paul s’emportait. Lui qui a pris tant de place savait aussi se faire modeste. «J’ai fait ma job, c’est tout. Il n’y a rien d’exceptionnel à ça. Je n’ai été qu’un artisan, un ouvrier du théâtre qui n’a toujours utilisé que des moyens pauvres pour s’exprimer! Les artistes, ce sont eux autres! La messe est dite!» Eh bien non, Paul, la messe n’est pas dite. Nombreux, très nombreux sont les artistes qui ont désiré par-ler de toi. Et je n’ai pas pu tous les rencontrer.

La plupart ont construit de très belles carrières dans le monde du théâtre, de la musique, des arts plastiques, de la télévision et du cinéma. Sans eux, tu n’aurais pas pu t’exprimer comme tu l’as fait, et eux ne se seraient pas épanouis de la même manière sans toi. Ils le diront au fil de ces pages. Leurs témoignages, leurs souve-nirs et leurs analyses font apparaître tour à tour l’animateur de La Roulotte, le Picolo de la télévision, le fondateur du Théâtre de Quat’Sous, le metteur en scène, le directeur de théâtre, le comédien et l’ami. Tous révèlent les qualités − et les défauts! − d’un homme doué d’une imagination sans limites qui n’a pas été avare de conseils, d’encouragements, de trouvailles, de formules chocs et de débor-dements.

Montréal et le Québec, Paris, les Yvelines, Avignon ont servi de décor aux entretiens menés avec trente-six personnalités. Je les remercie. Sans leur disponibilité, ce livre n’existerait pas. Je regrette de n’avoir pas pu donner la parole à un plus grand nombre d’artistes. Au final, ce livre se lit comme une composition à plusieurs voix qui fait entendre l’histoire de la scène québécoise depuis le milieu du XXe siècle.

J’ai eu le bonheur de partager de nombreux moments d’amitié

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et d’intimité avec Paul Buissonneau et Monik Barbeau, son épouse. Depuis plusieurs années, je pressais Paul d’accepter le projet d’un livre sur ses apports au théâtre québécois et au Québec. En 2013, la décision de le réaliser a enfin été prise. Mais qui allait se charger de sa rédaction? De crainte que Paul ne renonce à l’entreprise, j’ai pro-posé d’assumer cette responsabilité. «Ah! maudit! Ce serait un beau cadeau!» Le sort en était jeté. Nos regards allaient se conjuguer tout en se portant sur le Québec et les Québécois, le théâtre d’ici et d’ailleurs, les changements accomplis et encore en cours dans ce pays et dans le monde.

Au cours de l’année 2014, plusieurs rencontres ont précisé les contours du projet et complété les conversations que nous avions eues depuis une dizaine d’années. Le 17 octobre, après un ultime bon repas, au moment où j’allais quitter Montréal pour l’Europe, rendez-vous a été pris pour janvier 2015. Nous avions le sentiment que le temps était compté. Le 29 novembre 2014, Paul nous quittait.

Un créateur ne s’exprime pas ex nihilo mais dans un contexte et sur la durée. Au cours des soixante-trois années durant lesquelles Paul Buissonneau s’est exprimé de manière si originale, le théâtre, la société, Montréal, le Québec et le monde ont changé.

La personnalité artistique de Buissonneau et ses contributions à la culture et à la société québécoise se sont immédiatement impo-sées. Pour en rendre compte, qui mieux que celles et ceux qui ont connu Paul Buissonneau en diverses circonstances, qui ont créé avec lui, qui ont été dirigés par lui et qui se sont ensuite lancés dans leur propre carrière?

Leurs témoignages et mes conversations avec Paul ont aussi convoqué quelques périodes charnières et repères importants dans l’évolution du Québec et de son théâtre, ainsi que certains grands événements dans le monde et quelques tendances de fond dans le théâtre sur le plan international et leurs incidences sur le Québec et sur ses créateurs. Beaucoup ont appelé ces mouvements de bascule des «révolutions». Tout en précisant ce que recouvre ce mot, j’ai repris cette terminologie, car elle me semblait bien scander le temps depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.

Depuis ses dix-huit ans, Paul a beaucoup écrit. Journal de bord

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au cours des tournées avec les Compagnons de la chanson, impres-sions de voyage, notes personnelles à la suite de spectacles et d’expo-sitions, souvenirs d’enfance, réflexions sur divers sujets et sur sa vie ont rempli de nombreux carnets. Quelques-uns de ces écrits sont intégrés dans les chapitres qui suivent.

Le parcours de Buissonneau épouse les contours d’une his- toire dans laquelle le théâtre a joué un rôle de révélateur. À son contact, des auteurs, des comédiens, des metteurs en scène, des scénographes, des costumiers, des mimes ainsi que des chanteurs, des danseurs et des chorégraphes se sont formés et ont puisé l’éner-gie de leur propre éclosion. Cette dynamique a indéniablement contribué à faire surgir un imaginaire, une écriture et un théâtre québécois.

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CHAPITRE 1

Je me souviens

C eux qui ont vécu la seconde moitié du XXe siècle en tout ou en partie ont de nombreuses raisons de se souvenir. À peu d’autres moments de son histoire «le pays» a connu pareils

bouleversements. Montréal en a été l’épicentre, mais dans d’autres villes – petites, moyennes et grandes – de la province, les mêmes changements sont intervenus, selon des tonalités et des rythmes divers.

À Montréal, des forces se sont conjuguées ou affrontées. Les expressions dont elles étaient porteuses ont produit des transfor-mations profondes dans les consciences et dans les modes de vie. Le Québec n’était pas seul en mouvement alors. Aux États-Unis, en Europe, en Amérique latine, en Chine, le changement était en marche. Pourtant, peu de si petits pays, en nombre d’habitants, ont suscité autant d’expériences novatrices et vu autant de créateurs émerger sur la scène internationale, au point de devenir un sujet d’étonnement et, pour certains, un modèle.

Je me souviens de 1976, grande année pour Montréal; les Jeux olympiques s’y déroulaient. La politique s’invitait à la fête. Vingt-cinq pays, essentiellement africains, boycottaient les Jeux en raison de la participation de l’équipe de rugby de la Nouvelle-Zélande à un tournoi en Afrique du Sud, pays interdit de Jeux depuis 1970, de même que la Rhodésie. Le massacre de Soweto (banlieue de Johannesburg), le 16 juin 1976, à la suite de manifestations d’élèves et d’étudiants que la police avait matées en tirant dans la foule et en faisant 600 morts, venait de raviver la question de l’apartheid et de sa condamnation. À Montréal, l’été était magnifique. La gymnaste Nadia Comaneci devenait une vedette internationale par la grâce de

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ses performances, alors que la ville prenait des airs de station bal-néaire. Le mont Royal venait de vibrer durant quatre soirs aux accents de chanteurs réunis par Jacques Normand pour les célébra-tions de la Saint-Jean-Baptiste.

C’est durant cet été-là que j’ai débarqué pour la première fois au Québec. Ma venue avait été soigneusement préparée par des amis qui avaient vécu en Europe et par des Suisses établis dans la Belle Province1. Ce que je connaissais du Québec, je le devais aux chan-teurs, aux événements politiques de 1960 et de 1970, à l’Expo uni-verselle de 1967, au hockey et à la naissance de l’Organisation inter-nationale de la francophonie en 1970.

En ce mois de juillet, alors que les Jeux venaient de débuter, j’ai passé par l’avenue des Pins et j’ai avisé un petit bâtiment un peu vieillot qu’une force intérieure semblait empêcher de chanceler. Un panneau, «Théâtre de Quat’Sous», a attiré mon attention. Comé-dien au Théâtre de l’Atelier à Genève, très imprégné des théories brechtiennes, j’avais effectué quelques incursions dans Berlin-Est pour me rendre au Berliner Ensemble.

Mes amis montréalais m’ont expliqué que ce théâtre appartenait à un personnage exceptionnel, Paul Buissonneau. Il venait d’en fêter les vingt ans d’existence en présentant La Tour Eiffel qui tue au Théâtre Port-Royal de la Place des Arts à l’occasion de l’ouverture des Jeux olympiques.

Quelques jours plus tard, le journaliste Simon Durivage m’a invité à visiter les studios de Radio-Canada. Producteur et journa-liste depuis cinq ans à la Télévision suisse romande, je voulais décou-vrir pourquoi la télévision québécoise s’appelait Radio-Canada. Dans les couloirs, au milieu de la galerie de portraits des présenta-teurs-vedettes aux sourires immaculés, j’ai aperçu un personnage qui sortait du lot, une sorte de clown, un arlequin facétieux: Paul Buissonneau. Je ne l’imaginais pas ainsi. Plus loin, une autre photo-

1. Je pense notamment à Johanne Durivage (artiste peintre et psychomo-tricienne), Alain Courvoisier (mime et comédien), Catherine Courvoisier-Jebejian (pianiste), Eric Jebejian (architecte), Jacques Savoie (musicien et écrivain) et Gilles Savoie (photographe).

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graphie. Plusieurs personnages, dont Picolo, et une mention, La Boîte à Surprise. De toute évidence, il s’agissait d’une émission des-tinée aux enfants. Ce titre m’a inspiré et, de retour en Suisse, j’ai proposé à la direction de la Télévision suisse romande une émission pour le jeune public animée par deux mimes, La Boîte à rêves.

Je me souviens de Montréal en 1983 et des rencontres des radios francophones2. Pauline Julien m’a entraîné au Théâtre de Quat’Sous, où se jouait La Résistible Ascension d’Arturo Ui (encore Brecht), mise en scène par Paul Buissonneau. Après le spectacle, au milieu de la petite foule qui prolongeait la soirée dans le bar du sous-sol, Pauline m’a présenté Paul. Il était un peu plus petit que je l’imaginais. Je me souviens de ses cheveux bouclés et de ses grands yeux derrière des lunettes imposantes. Il s’est approché de nous en souriant, l’air d’avoir envie d’entendre quelques louanges sur sa réalisation. Au contact de Pauline et à l’écoute de nos appréciations, son visage s’est illuminé encore davantage. Puis soudain: «Alors, comment va la Suisse? J’y ai tourné avec les Compagnons et Édith Piaf.» «J’étais à peine né», lui ai-je répondu. «Et Jean Villard-Gilles3, comment va-t-il?» «Il est mort l’année dernière.» «Ah merde!»

Je me souviens du 26 janvier 2015, à Goupillières, dans les Yve-lines. Fred Mella et Suzanne Avon, sa compagne comédienne qué-bécoise, m’ont reçu dans leur belle grande maison où tant d’artistes avaient séjourné, dont Paul et Monik. Soliste ténor des Compagnons de la chanson, Fred Mella a vécu toute l’histoire du groupe jusqu’aux derniers concerts, en 1985, avant d’entamer une carrière solo de chanteur, poursuivie jusqu’en 2012.

FRED MELLA. Un jour, à Genève, Édith Piaf nous a proposé d’aller écouter deux chanteurs à Lausanne, Gilles et Urfer, qui interprétaient notamment Les Trois Cloches, une chanson écrite et composée par Jean Villard-Gilles.

2. J’ai présidé la Commission culturelle des radios publiques de langue française de 1985 à 1991.

3. Jean Villard-Gilles, auteur-compositeur suisse de très célèbres chansons, notamment Les Trois Cloches et Le Bonheur.

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Quelque temps plus tard, Édith nous a conseillé d’élargir notre répertoire et d’abandonner les airs classiques et folklo-riques. L’idée de reprendre Les Trois Cloches a jailli presque instantanément. Marc Herrand, notre arrangeur, s’est mis au travail et a proposé que le groupe assure la mélodie de fond sous forme de sons de cloche – bom, bom, bom –, alors qu’en tant que soliste j’interprétais la mélodie et les paroles:

Village au fond de la vallée,comme égaré, presque ignoré.Voici qu’en la nuit étoiléeun nouveau-né nous est donné.Jean-François Nicot 4 il se nomme.Il est joufflu, tendre et rosé.À l’église, beau petit homme,demain tu seras baptisé.Etc.

Après quelques répétitions, Édith est venue nous écouter. À la fin de la chanson, elle a réfléchi et soudain a déclaré: «Je vais la chanter avec vous!» En avant-scène, Édith et moi par-tagions la mélodie et les paroles, alors que les autres «fai-saient les cloches». Édith n’aurait pas pu l’interpréter seule. À nos côtés, elle lui a donné une dimension extraordinaire: cette chanson allait faire le tour du monde. Grâce à Gilles et à Herrand, une nouvelle écriture vocale était née. Paul a vécu ce moment exceptionnel. Il a participé à la mise au point, dans les moindres détails, de l’interprétation, de la gestuelle, du rythme, des éclairages qui concouraient à l’émotion que nous, les artistes, suscitions chez les gens qui venaient nous écouter. Les Trois Cloches nous ont fait accéder au monde du music-hall, où le nom des Compagnons de la chanson s’est imposé, au même titre que celui d’Édith Piaf.

4. Il se trouve que Jean-François Nicot était un de mes collègues journalistes à la Télévision suisse romande.

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Je me souviens des Rencontres annuelles d’écrivains franco-phones que Jean-Marie Borzeix, directeur de France Culture, et moi-même avons lancées en 1986. Elles ont été l’occasion de décou-vertes et de rencontres avec des romanciers, des essayistes et des poètes québécois5. Ces émissions ont contribué à mieux les faire connaître dans les autres pays de langue française.

Je me souviens de 1992, dans la quincaillerie de Saint-Gabriel-de-Brandon. J’ai soudain entendu une voix qui plaisantait avec les vendeurs et qui faisait rire les clients, généralement engoncés dans leur politesse bourrue et leur réserve taiseuse. Paul Buisson-neau, avec sa bonne humeur contagieuse, ne passait pas inaperçu. Quelques jours plus tôt, lors d’une réception à la mairie de Mont-réal, j’avais fait la connaissance de Monik Barbeau, sa compagne.

J’étais alors en train de construire, avec mes fils Alexandre et Sébastien, une maison en bois à Mandeville, sur une colline, au milieu d’une grande vallée boisée. Plusieurs amis possédaient un chalet dans la région. Un ami de fraîche date, Normand Biron, m’a présenté Kenneth Charbonneau, un ancien bûcheron qui avait près de 100 000 acres de forêt. Normand m’a aussi conduit chez Paul. Très vite, l’atmosphère est devenue chaleureuse, festive, gueularde et pas-sionnée. Paul m’a fait visiter son royaume. Sa maison de campagne était l’occasion pour lui de travailler dans un décor grandeur nature, et sa passion pour la récupération de matériaux divers avait trouvé son espace d’expression. Il avait mis à contribution les talents de bricoleur de certains de ses amis pour agrandir sa demeure. C’est ainsi qu’à la maison et à la cuisine d’été est venue s’adosser une vaste pièce dont l’achèvement a été marqué par la pose d’un plancher centenaire provenant des anciennes douanes d’Ottawa. Les planches de vingt pieds de long, de dix-sept pouces de large et de deux pouces d’épaisseur semblaient avoir été taillées sur mesure pour entrer au

5. Notamment Monique Proulx, Denise Boucher, Suzanne Jacob, Marie-Claire Blais, Marie Laberge, Jacques Godbout, Dany Laferrière, Sylvain Tru-del, Robert Lalonde, Victor-Lévy Beaulieu, André Major, Pierre Morency, Gilles Archambault, Gaétan Soucy, Fernand Ouellette, Yann Martel, Nor-mand Chaurette, Paul-Marie Lapointe, Jacques Savoie, Roland Giguère…

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cheveu près dans l’espace construit des mois auparavant. Tout à côté, des granges offraient leur généreux volume à tous les éléments de construction, outils, matériaux divers et objets hétéroclites, qui pourraient servir un jour ou entrer dans la scénographie d’une pièce. Paul les récupérait au gré de ses pérégrinations, l’œil toujours à l’affût. «Comment crois-tu que j’ai monté tous les décors avec les scénographes?» m’a-t-il demandé sous le vitrage de sa gloriette, constitué de panneaux de verre récupérés au Palais des congrès de Montréal. Plus loin, la fameuse Roulotte attendait une nouvelle vie6.

C’est ainsi que, durant nos premières rencontres, Paul m’a emmené plusieurs fois découvrir son «musée». Comme tout bon collectionneur, il avait une anecdote savoureuse pour chaque chose.

Il affectionnait tout particulièrement les objets fabriqués par la main de l’homme. Il en connaissait la valeur et savait que l’artisan y avait mis une part de lui-même. L’ancien rembourreur ne dédai-gnait pas non plus le progrès. Chez des brocanteurs, il avait trouvé matière à constituer une collection des premiers aspirateurs de l’his-toire. Dans des magasins spécialisés dans la vente de fins de série, il avait déniché des instruments aux formes surprenantes: une machine à broyer les cubes de glace, une sorbetière, une friteuse, un engin étrange dont on ne connaissait pas très bien l’usage. «On ne s’est jamais beaucoup servi de tout ça, m’a avoué Monik, mais Paul veut que ces appareils trônent dans la cuisine et encombrent nos espaces de vie.» C’est ainsi que des rouleaux de plusieurs kilomètres d’essuie-tout et de pellicule alimentaire destinés aux collectivités trouvaient grâce à ses yeux et occupaient une place considérable dans la petite cuisine d’été. Dénicher un objet à un prix imbattable – ou, mieux encore, l’obtenir avec une réduction supplémentaire – représentait à tout coup une victoire pour Paul, le conquérant de la récup.

SYLVAIN GALARNEAU. Lorsque certains bâtiments de Mande-

6. Elle en aura une. En 2010, la municipalité de Saint-Gabriel-de-Brandon et une troupe de jeunes comédiens ont repris La Roulotte afin de la faire revivre (voir p. 57).

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ville étaient transformés ou rénovés, l’église, l’école, le pres-bytère, Paul nous mettait à contribution pour en récupérer des morceaux. Il les intégrait à sa maison ou au Théâtre de Quat’Sous. Avec Paul, on ne jetait rien, on recyclait tout, et le principal ingrédient du recyclage à la Buissonneau, c’était son imagination. Pour les besoins d’un spectacle, une passoire à spaghetti devenait un casque d’astronaute, et des parapluies pouvaient se transformer en personnages. Selon les diffé-rentes faces du parapluie présentées au public, on pouvait reconnaître tel ou tel protagoniste.

L’histoire de l’acquisition de la maison de Mandeville vaut un détour. Un jour de 1958, Paul a emmené son fils, Martin, et son ami François Barbeau à la campagne dans sa Studebaker, à la recherche d’une habitation. Tout comme sa mère, Andréa, il rêvait de posséder une maison avec un jardin.

Au bord de la route a surgi une masure en bois, visiblement fermée. Le trio s’en est approché. Pendant que Martin et François exploraient les alentours, Paul a avisé une affichette discrète portant la mention «À vendre». Quelques jours plus tard, il est revenu avec un notaire, qui a étudié le cadastre à la municipalité. Paul attendait dehors.

PAUL BUISSONNEAU. Le notaire est sorti une première fois pour me confirmer la mise en vente. Puis, il est retourné dans les bureaux de la municipalité et m’a informé que la propriété ne comportait pas seulement une maison, une grange et un jardin, mais aussi un grand terrain en contrebas, du côté de la rivière Mastigouche. C’était une excellente acquisition. Au moment de partir, le notaire s’est ravisé et est reparti consul-ter le cadastre. À son retour, il m’a annoncé que le domaine – car en quelques dizaines de minutes le petit terrain et la bicoque étaient devenus un domaine – s’étendait également de l’autre côté de la route et grimpait sur la montagne. Il y avait en tout soixante acres.

C’est ainsi que Paul est devenu propriétaire terrien et s’est

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immergé dans un monde nouveau pour lui, un pays reculé, peu visité par les gens de la ville, où les jeunes ne fréquentaient pas long-temps l’école, car il fallait travailler tôt, et où les échos du monde ne parvenaient qu’étouffés et en décalage.

C’était un pays dont les habitants utilisaient les poutres du pont couvert pour y graver les ragots du village. Amours cachées, mente-ries, tromperies et indélicatesses trouvaient là un espace de révéla-tion dont les uns et les autres allaient discrètement prendre connais-sance. Une contrée où quelques jeunes amateurs de l’effraction sévissaient. Paul en a fait les frais à plusieurs reprises, jusqu’au jour où, lassé de voir ses vitres se faire casser et ses outils disparaître, il a décidé d’installer un système de sécurité à la Buissonneau. Quelques années plus tôt, il avait acquis un petit canon qu’il pensait pouvoir utiliser dans un de ses spectacles. Il l’a fixé sous son lit, face à la porte de sa chambre. Grâce à un dispositif ingénieux de câbles fins, le mécanisme de mise à feu devait s’enclencher lorsqu’un intrus ouvri-rait la porte. Une volée de petits plombs serait projetée en direction de l’entrée sur une hauteur de deux pieds. Le procédé a fonctionné au moins une fois. Les agents de la Sûreté du Québec ont relevé des traces de sang sur le sol et ont conseillé à Paul de ne plus se servir de ce système antivol.

Paul Buissonneau a métamorphosé son chalet de Mandeville en maison du bon Dieu. Cet homme, dont l’agenda était trop petit pour contenir toutes ses activités et toute son énergie, trouvait là les moments de partage avec son fils, Martin, né en 1956. Puis, dès 1980, avec Monik et ses enfants, puis ses petits-enfants et tous les amis et parents de passage, sa sœur, Odette, ses frères Lucien, André et René, qui ont fait le voyage pour venir voir le petit dernier, le marginal de la famille, dans son nouveau monde, sans oublier son grand ami, René Lamoureux, Parisien lui aussi.

Paul a rapidement tissé des liens avec des personnages du coin. Je n’en retiendrai que trois, parce qu’ils sont emblématiques de ce lieu et d’une époque. Tout d’abord, Wilfrid Savoie, qui vivait isolé au fond d’un bois, dans une cabane au bord d’un petit lac, et qui, chaque automne, plaçait une tête d’orignal sur un radeau. En pour-rissant, celle-ci contribuait à former des asticots, qui nourrissaient les poissons. Il amassait aussi dans sa masure des branches d’arbre

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pour le jeune castor qu’il élevait. Puis, Kenneth Charbonneau7, ancien bûcheron et propriétaire de vastes forêts dans «la Grande Vallée», qui, malgré une courte scolarité, possédait un joli bagage de connaissances nourries par une curiosité insatiable. Il n’était pas rare de le voir arriver vers cinq heures et demie avec sa canette de soda et ses paquets de cigarettes. Il avait pris son repas et venait placoter et échanger sur des connaissances et certains événements du monde. Enfin, Robert Contant, sculpteur-bâtisseur, devenu le réalisateur attitré des inventions de Paul en matière de construction et d’aménagement.

Autre souvenir: à la fin d’août 1992, après deux mois de travail avec une équipe de bûcherons sous la conduite de Jean-Claude Mar-tial, l’heure était à l’inauguration de ma maison. Paul et Monik sont venus avec Fred Mella, tout juste débarqué de France avec sa femme, Suzanne Avon. À leur arrivée, le groupe de jazz du saxophoniste Charles Papasoff jouait sous une bâche blanche, car il pleuvait ce jour-là. Une cinquantaine de personnes avaient aussi fait le dépla-cement pour venir déguster le maskinongé pêché par le quincaillier de Saint-Gabriel-de-Brandon, Jean Dupuis, originaire de Suisse, et la vraie raclette au feu de bois.

De cette première fête est né un minifestival annuel, à la prépa-ration duquel ont activement participé Monik, Paul, Michel Noël, Normand Biron et Kenneth Charbonneau. L’événement s’est répété durant une dizaine d’années. Concerts, expositions, exposés et dis-cussions animaient l’espace autour de la maison et dans la grange voisine. Au fil des ans, des dizaines d’artistes plasticiens, musiciens, chanteurs, écrivains, cinéastes, universitaires, journalistes et artisans de la région se sont côtoyés au milieu de la Grande Vallée. Nous y avons accueilli Suzanne Jacob, Chloé Sainte-Marie, Gilles Carle, Charles Binamé et bien d’autres.

Parmi les moments forts de ces rencontres, les chansons à répondre qu’entonnait Jean-Claude Martial, bûcheron et construc-teur talentueux de la maison.

7. Kenneth Charbonneau est décédé le 16 mars 2016, à l’âge de soixante-dix-huit ans.

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CHAPITRE 2

Je reviendrai à Montréal

P aul Buissonneau a donné son premier concert sur scène avec les Compagnons de la chanson le 18 septembre 1946. Dès lors, sa vie s’est faite nomade au gré des spectacles et des tournées, qui

n’ont pas tardé à se multiplier. Il a noué une relation d’amitié avec un des membres du groupe, Fred Mella. Ce dernier l’a invité à l’ac-compagner en Italie pour rendre visite à sa famille dans le Piémont.

Ce voyage constitue une plongée dans une langue et une culture nouvelles pour le Parigot qu’il est. Il tient un journal qui relate par le texte et le dessin les rencontres et les événements de ce périple. Celui-ci débute gare de Lyon. Installés sur les bancs en bois de la troisième classe d’un «tacot qui fait du 20» dans lequel «les ouvriers s’extasient devant les étiquettes qui décorent nos valises», les deux artistes s’arrêtent ensuite à Biella, où ils prennent un taxi pour rejoindre le village où la famille Mella est revenue vivre en raison des problèmes de santé de la mère de Fred. San Nicolao, niché dans des collines boisées, compte alors quelques centaines d’habitants. Les deux amis vont à la messe le dimanche. «C’est à qui gueulera le plus fort. Les hommes sont absents, car ils craignent la moquerie de ceux qui ne vont jamais à la messe.»

Paul fait la connaissance du cousin Walter, «le don Juan du pays qui me dit très savoureusement qu’il sait faire pleurer les filles». Il y a aussi la fête champêtre: «Sur une colline […], les musiciens de la fanfare, fiasco [bouteille] de chianti à portée de la main, font tourner garçons et filles pendant que les vieux se régalent à la buvette en plein air sur des tables branlantes et toutes bouffées par les vers.» Après le repas du soir, le cousin Walter emmène Paul au bal pour y rencontrer les cousines. De retour dans sa chambre, Paul «regarde

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la tache que fait la lumière du bal sur les petites lumières scintillantes des maisons avoisinantes».

Le lendemain, le car emporte Fred et Paul en direction de Turin, où ils rencontreront un cousin de Fred. Puis, c’est le train et le pas-sage de la frontière. La famille Mella a rempli les valises des deux compères de victuailles diverses. «Fred tout pâle et moi verdâtre. Nous faisons semblant de manger, mais rien ne passe. Les douaniers arrivent. Fred se met un bifsteck dans la bouche pour cacher sa voix blanche. Moi, je vide une bouteille de chianti. Quand le douanier demande à Fred [quel est] le contenu de sa valise, il est tellement troublé qu’il répond: “Ce n’est que du linge de famille.” […] On a passé les filets de la douane et la crise de rire est venue en se rappe-lant le linge de corps. C’était un rire nerveux qui nous détendait après la visite des gabelous [les policiers]. Les vacances sont termi-nées. Ce soir, nous verrons Édith dans son récital. Le 1er juil-let 1948.» Quelques semaines plus tard, les Compagnons de la chan-son entament une tournée en Amérique du Nord avec la chanteuse.

Depuis le premier séjour de Paul Buissonneau à Montréal jus-qu’à son installation définitive, quatre étapes se sont inscrites dans l’existence du jeune choriste des Compagnons de la chanson. Quatre temps qui le feront avancer vers une nouvelle vie.

Premier temps

En 1948, la tournée américaine des Compagnons passe par Mont-réal. Le groupe se produit avec Édith Piaf au Monument-National. La première a lieu le 7 septembre.

FRED MELLA. À Montréal, les Français emmenaient leurs amis québécois assister au spectacle des Compagnons et d’Édith et passaient ensuite dans les loges pour nous saluer. Paul a ainsi rencontré Françoise Charbonneau, une artiste peintre, et moi, Suzanne Avon, une comédienne. Paul le titi du 13e et Fred le petit gars d’Annonay sont tombés amoureux de deux Québécoises!À Paris, Paul et moi venions d’acheter un appartement en

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commun, quai Gallieni. Nous ne nous quittions plus depuis un incident causé par Paul, point de départ de notre amitié indéfectible.En octobre 1947, à New York, nous logions tous à l’hôtel Edi-son, à Broadway, tout près du Playhouse Theatre, où nous donnions notre spectacle. Sur les bateaux et dans les hôtels, les Compagnons logeaient par deux. En tant que soliste et neuvième du groupe, je bénéficiais d’un traitement de faveur: j’étais seul en cabine et en chambre. Paul avait pour compagnon de chambrée Jean Albert, une proximité qu’il supportait de plus en plus mal. À New York, donc, il a exprimé ouvertement son malaise. Je lui ai alors proposé de partager ma chambre avec lui. Rapidement, nous avons trouvé un appartement dans un autre établissement, l’hôtel Lang well.J’ai eu de grands amis dans le monde du spectacle. Trois d’entre eux occupent une place toute particulière dans mon cœur: Georges Brassens, Charles Aznavour et Paul Buisson-neau.

PAUL BUISSONNEAU. Grâce aux tournées avec les Compa-gnons, j’ai vu de nombreux artistes, dont le fameux clown suisse Grock1 en Norvège. Tous les spectacles auxquels j’ai assisté ont nourri et coloré ceux que j’ai montés par la suite. Il ne faut pas oublier que je viens du music-hall, pas du théâtre classique!Édith Piaf a beaucoup raffiné les Compagnons et contribué à faire évoluer leur répertoire. Durant les quatre ans de notre compagnonnage, j’étais à la fois fasciné et méfiant face à Édith. Elle aimait se foutre de la gueule des gens et tout le monde rigolait. Elle n’avait pas son pareil pour mettre en boîte son interlocuteur, et toute la cour autour d’elle suren-chérissait. Lorsque quelqu’un tournait le dos, elle «l’habillait

1. Charles Adrien Wettach, dit Grock, né le 10 janvier 1880 à Loveresse, en Suisse, est mort le 14 juillet 1959 à Imperia, en Italie. Il était considéré par ses pairs comme le plus grand clown musical du XXe siècle.

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pour l’hiver». À cette époque-là, je dessinais des caricatures, notamment en lien avec ses chansons. Quand Édith Piaf arri-vait dans sa loge, elle criait: «Paul, avez-vous du nouveau?» Les chanteurs me regardaient en coin. Je lui montrais ma production, elle partait d’un rire tonitruant et les autres se demandaient dans quelle situation je les avais plantés!Je m’occupais un peu de sa petite sœur, Denise Gassion, car Édith s’appelait en réalité Gassion. Elle avait dix-huit ans. Je l’emmenais au Luna Park, faire des balades ou boire un verre. Elle m’adorait, mais rien ne s’est passé entre elle et moi, contrairement à ce que certains ont raconté. Lorsque je par-lais avec des danseuses, Édith m’avertissait, moqueuse: «Attention, Paul, je vais le dire à Denise!»

À Montréal, en 1948, le temps des amours entre Fred, Paul et leurs deux amies québécoises ne dure pas longtemps. Déjà, les Com-pagnons quittent le Québec pour se rendre à New York par le train. Le 21 septembre, Marcel Cerdan est couronné champion du monde des poids moyens au Roosevelt Stadium contre le tenant du titre, Tony Zale. Édith, dont Marcel est devenu le grand amour, présente les Compagnons au boxeur. Ensemble, ils célèbrent sa victoire et, les jours suivants, les chanteurs s’achètent des gants de boxe afin de s’essayer au noble art. Quelques jours plus tard, dans l’appartement de Fred et de Paul, Aznavour propose un combat amical à Paul. Après avoir assené un direct sur le nez de son copain Charles, Paul reçoit en retour un terrible gauche dans les côtes. Arrêt du combat. Durant plusieurs semaines, les prestations scéniques de Paul seront accompagnées de douleurs à faire grimacer les plus endurcis. Bien-tôt, un médecin diagnostique plusieurs côtes cassées.

Le mois d’octobre se passe à Hollywood, où les Compagnons donnent leur spectacle au Ciro’s. Un soir, Paul aperçoit au fond de la salle deux messieurs qui se tiennent discrètement debout près d’une entrée. Au cours de la réception qui suit le concert, les deux hommes se présentent: ils s’appellent Igor Stravinsky et Charles Chaplin.

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Deuxième temps

Le 22 novembre, retour des Compagnons pour un mois à Montréal, au Café de l’Est. Fred et Paul retrouvent alors Suzanne et Françoise.

Paul Buissonneau fait aussi la connaissance d’un homme qui va jouer un rôle décisif dans les années à venir: Paul Dandurand. C’est un homme de culture qui possède deux restaurants et qui dirige le Théâtre des Marionnettes. Il vient de proposer à l’artiste Charles Daudelin et à son épouse Louise de confectionner des marionnettes à gaine pour son théâtre. Nous y reviendrons.

La vie des troupes de théâtre et des groupes musicaux étant faite de mouvements, de lumières, d’applaudissements, de rencontres et de départs, les Compagnons reprennent la route en janvier 1949. De nouveau, les cœurs doivent se séparer, mais des plans d’avenir s’es-quissent. De retour à Paris dans leur appartement, Fred et Paul accueillent Suzanne, puis une nouvelle tournée les propulse dans toute la France, à Monte-Carlo, au Liban, en Égypte et en Syrie.

Troisième temps

À l’automne 1949, les Compagnons de la chanson reviennent à Montréal et tournent dans la Belle Province. Paul et Françoise ont décidé de se marier. La cérémonie a lieu le 18 novembre 1949 en l’église Saint-Viateur d’Outremont. Les Compagnons sont présents au grand complet. Charles Aznavour et son accompagnateur, Pierre Roche2, sont là eux aussi.

Quelques jours plus tard, Fred et Suzanne s’unissent à leur tour. Les deux couples partent en tournée au Québec avec les Compa-gnons. Tout le monde est heureux. Pour l’instant.

2. Pierre Roche a formé un duo avec Charles Aznavour de 1942 à 1949. Ensemble, ils ont composé des airs sur des paroles d’Aznavour. Roche était également pianiste, chanteur, auteur et compositeur. Il a épousé une Québé-coise, la chanteuse Aglaé, et s’est installé au Québec dans les années 1950. Il est mort à Québec en 2001.

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PAUL BUISSONNEAU. Les Compagnons de la chanson, c’était ma famille. En dehors de Paris, en tournée, les chanteurs avaient beaucoup de temps libre. Jean-Louis Jaubert et Marc Herrand, le chef musicien, avaient décrété, quelques années plus tôt, que nous jouerions au football chaque après-midi. Nous ne pouvions pas nous dérober.En 1948, nous nous sommes retrouvés à Londres au moment des Jeux olympiques. L’emploi du temps des Compagnons, en raison des contraintes footballistiques, rendait impossible la visite de la ville et des compétitions olympiques. Quelques tensions sont apparues entre les tenants du programme des Compagnons et ceux qui voulaient découvrir Londres et pointer leur nez aux Jeux.

Au début de leur mariage, Françoise vient retrouver son mari en France et le suit dans les tournées des Compagnons. Cependant, il appert rapidement que la vie de couple et celle d’une troupe itiné-rante ne se conjuguent pas facilement. Pour ne rien arranger, Paul tombe gravement malade, puis c’est le tour de Françoise.

PAUL BUISSONNEAU. Après mon mariage, je me suis senti de moins en moins bien au sein de la troupe et j’ai perçu que ma femme n’était pas la bienvenue. Puis, le projet d’une longue tournée au Japon sans pouvoir emmener Françoise m’a convaincu de me séparer du groupe.

Le 17 août 1950, quatre ans et un mois après son entrée chez les Compagnons, Paul Buissonneau quitte le groupe. Avec ses écono-mies et la prime qu’il a reçue (quatre mois de salaire), il emmène Françoise sur la Côte d’Azur, dans le petit village d’Èze, au-delà de Nice. À 430 mètres au-dessus de la Méditerranée, jouissant d’une vue exceptionnelle sur la côte escarpée et les terrasses qui s’étagent jusqu’à la mer, le couple s’offre du bon temps. Un temps qui passe paisiblement. Les tourtereaux dégustent le soleil, les mets et les vins régionaux, la mer et l’arrière-pays montagneux.

L’Europe de l’après-guerre est alors le théâtre d’un affrontement entre deux blocs: celui de l’Est, avec la suprématie soviétique qui

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étend son influence sur sept pays, et celui de l’Ouest, qui se place sous l’aile protectrice des États-Unis. Il faudra plus de vingt ans pour reconstruire l’Europe.

Winston Churchill a inventé l’expression rideau de fer pour mar-quer la délimitation entre ces deux mondes et pour mettre en garde les Occidentaux contre les risques de domination communiste sur une Europe divisée. On parle alors de guerre froide.

Les relations se dégradent entre les pays occidentaux et l’Union soviétique. La victoire de Mao Zedong et des communistes chinois en 1949 ainsi que le blocus de Berlin entre juin 1948 et mai 1949 ont déjà fait monter la tension. Au moment où sont créées l’OTAN et les deux Allemagnes, en 1949, l’attaque de la Corée du Nord contre la Corée du Sud en juin 1950 fait craindre le pire, c’est-à-dire un nouveau conflit mondial. À Montréal, les parents Charbonneau s’inquiètent et demandent à leur fille et à son mari de rentrer au pays. Paul et Françoise retournent à Paris, vendent leur appartement de Suresnes, préparent leurs bagages et annoncent aux amis leur départ imminent.

FRED MELLA. Lorsque Paul m’a parlé d’aller s’installer au Québec, je l’ai encouragé. Je pensais qu’il aurait plus d’occa-sions de faire valoir ses talents et sa créativité dans ce pays qu’en France.

Les origines sociales de Paul, la compétition à l’œuvre dans les milieux du spectacle, la sensibilité du jeune Buissonneau semblent avoir nourri le conseil de Fred.

Quatrième temps

Françoise et Paul s’embarquent pour New York au Havre, sur un des paquebots de la Compagnie générale transatlantique, avec leurs valises et leurs malles. De New York, ils prennent le train pour Mont-réal, où les attendent les parents Charbonneau et l’hiver précoce de cette année-là.

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Table des matières

Avec l’aimable participation de 7

Préambule 15

CHAPITRE 1

Je me souviens 19

CHAPITRE 2

Je reviendrai à Montréal 28

CHAPITRE 3

La Roulotte 42

CHAPITRE 4

Le berceau du 13e 68

CHAPITRE 5

Ses formations 86

CHAPITRE 6

Une première « révolution » 96

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CHAPITRE 7

Un metteur en scène est né 106

CHAPITRE 8

Une deuxième « révolution » 133

CHAPITRE 9

Le Théâtre de Quat’Sous 137

CHAPITRE 10

Une troisième « révolution » 146

CHAPITRE 11

Les hauts et les bas du Quat’Sous 163

CHAPITRE 12

Le théâtre dans le chaudron des changements sociaux 179

CHAPITRE 13

Les mises en scène marquantes 185

CHAPITRE 14

La transmission 192

CHAPITRE 15

La scène des grands changements 215

CHAPITRE 16

229

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CHAPITRE 17

248

CHAPITRE 18

Paul et les femmes 277

CHAPITRE 19

Pays en crise ? Pays en doute ? 282

CHAPITRE 20

Paul s’en va 291

Remerciements 307

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MISE EN PAGES ET TYPOGRAPHIE: LES ÉDITIONS DU BORÉAL

ACHEVÉ D’IMPRIMER EN MAI 2017 SUR LES PRESSES DE MARQUIS IMPRIMEUR

À MONTMAGNY (QUÉBEC).

Ce livre a été imprimé sur du papier 100% postconsommation, traité sans chlore, certifié ÉcoLogo

et fabriqué dans une usine fonctionnant au biogaz.

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JEAN-FRED BOURQUIN

Paul Buissonneau, en mouvementMetteur en scène, acteur, directeur de théâtre, Paul Buissonneau a marqué tout ce qu’il a tou ché de l’empreinte de son infatigable énergie et de sa rigou-reuse exigence. Ses coups de gueule, qui faisaient trembler aussi bien les murs des institutions que les acteurs, sont restés dans les mémoires, mais également son immense générosité. Il a été un éveilleur et un passeur pour une majorité d’artistes et d’artisans du théâtre québécois contemporain.

C’est pourquoi Jean-Fred Bourquin a choisi non pas d’écrire une biogra-phie traditionnelle de Paul Buissonneau, mais plutôt de faire parler ceux qui l’ont connu. Sont donc conviés à prendre la parole dans ce livre : Fred Mella, Andrée Lachapelle, Yvon Deschamps, Marcel Sabourin, Jean Asselin, Michel Tremblay, Ginette Noiseux, François Barbeau, Denis Marleau, Yves Desgagnés, Robert Charlebois, Éric Jean, André Brassard, Chloé Sainte-Marie, Wajdi Mouawad, Lothaire Bluteau et bien d’autres encore.

Orchestrant de main de maître ces voix multiples, Jean-Fred Bourquin fait revivre sous nos yeux le gamin de la banlieue rouge de Paris qui s’est joint aux Compagnons de la chanson et qui a connu le Québec alors qu’il y était en tournée avec Édith Piaf.

À partir de l’aventure de La Roulotte, qui amenait le théâtre aux enfants dans les parcs montréalais, en passant par la création du personnage de Picolo pour la télévision et par la fondation du Théâtre de Quat’Sous, à travers des centaines de mises en scène, nous suivons non seulement l’aventure person-nelle d’un créateur hors du commun, mais nous assistons également à ces multiples révolutions, tranquilles ou non, qui ont fait du Québec et du théâtre québécois ce qu’ils sont aujourd’hui.

Acteur puis journaliste, docteur en psy cho logie sociale et éditeur, Jean-Fred Bourquin a occupé des fonctions dirigeantes à la radiotélévision suisse romande et au Centre européen de la culture. Il a publié plusieurs ouvra ges. Né dans le Jura suisse, il partage son temps entre l’Europe et le Québec depuis 1976.