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1 Guy Marchand le 14 mars 2007 rue de Belleville devant la librairie « Le Presse Papier » (Photo Yves Géant) Quartiers libres Le canard du 19 ème et de Belleville N°104 Printemps-été 2007

Quartiers libres N°104 - des gens

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Guy Marchandle 14 mars 2007rue de Bellevilledevant la librairie « Le Presse Papier »(Photo Yves Géant)

Quartiers libres

Le canard du 19ème et de Belleville

N°104Printemps-été 2007

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N°104printemps-été 2007

Vous trouverez en p.31 l’essentiel de notre éditorial, malheureusement consacré aux événements qui se sont déroulés fin mars, à l’école de la rue Rampal. Sur le plan pratique, notez notre adresse électronique : [email protected] et notre téléphone 06 27 74 32 64.

L’éQUIPE

CHRONIQUE HISTORIQUE4 D’un président à l’autre ou du « dindon qui se croit un aigle » au « Nabot Léon » p.c.c Denise François et Roland Greuzat8 Belleville à tombeau ouvert : Mgr Maillet et les Petits Chanteurs à la Croix de Bois. Maxime Braquet 12 Les Justes de France à Belleville : histoires vraies pour les jeunes. Michel Fabréguet 21 Le retour du refoulé- exposition coloniale de 1931 et ses suites. Christian Eboulé

RéCITS POETIQUES ET AUTRES6 Mémoires d’un épicier de la Villette - suite 9. François Ernest Michaux – Marie et Jean-François Decraene . 17 Le mensonge d’Axelle, sortie du livre d’Arnaud Florand.28 Aimez-vous rêver ? rêver éveillé ? rêver libre ? – suite 2. Claire Joachim.

QUARTIERS LIBRES JUNIOR15 Chronique de TAMERANTONG16 Suite du conte : GAFY. Catherine Eboulé

POINTS DE VUE ET VIE LOCALE11 Un nouveau libraire rue de l’Ourcq14 Découvrez-moi, promenade sur la Butte Bergeyre avec René Minoli18 Au hasard des pas... promenade photographique dans le 19e avec Michel Brunet22 Paroles d’immigrés - suite : ALEXEI, médecin équatorien. Elisabeth Crémieu24 Le voyage de l’écriture. Dane Cuypers26 Réseau 2000, une association qui offre des réponses informatiques aux habitants et associations du 19e31 Scandale à Belleville - Bavure rue Rampal.

ARTS CULTURE ET SPECTACLES3 Chronique d’un reportage à la librairie « Le Presse Papier » - interview de Guy Marchand. Maxime Braquet7 On a écouté : un concert à la Cité de la Musique10 Visite gourmande au Musée Zadkine et recette du Pigeon aux petits pois. Jean-François Decræne.13 On a lu : « L’inconnu des Lilas » de René Minoli. Jacqueline Herfray17 On a lu : « Le mensonge d’Axelle » de Arnaud Florand et « Question de style » de Dane Cuypers. Jacqueline Herfray20 Nos Poètes : Louis-Bernard Papin : Jours heureux à Belleville et GRAM/Manège : L’abris des abus généreux, mais...pas trop.25 CASSANDRE, une revue à lire. Isabelle Abiven30 Le programme de Belleville en vue(s), notre cinéma itinérant.32 Le CIRQUE ROMANES , cirque tzigane familial.

édito

Votre journal !

Quartiers Libres créé en 1978 par des habitants de l’Est parisien est rédigé, conçu, réalisé, distribué par des bénévoles.Vous pouvez rejoindre cette équipe qui a pour projet de faire connaître le passé, le présent et l’avenir de nos quartiers, de nos associations de nos lieux de spectacles.Rejoignez-nous. Notez notre adresse électronique : [email protected] et notre téléphone 06 27 74 32 64.

Directeur de la publication : Antoinette AngénieuxCe numéro a été réalisé par : Isabelle Abiven, Antoinette Angénieux, Belleville en vue’s, Juliette Bernadac, Maxime Braquet, Michel Brunet, Elisabeth Crémieu, Dane Cuypers, Marie et Jean-François Decraene, Catherine et Christian Eboulé, Michel Fabréguet, Adelin Fiorato, Denise François, Yves Géant, Gram/Manège, Roland Greuzat, Jacqueline Herfray, Victor Hugo, Claire Joachim, Les Justes de France, Séverine Lacroix, Librairie Le Presse Papier, Guy Marchand, François-Ernest Michaux, René Minoli, Louis-Bernard Papin, Maryannig Pustoc’h, Réseau 2000, Les Romanes, Tamerantong, Ossip Zadkine.

C.P. : n° 61746 I.S.S.N. : O224-2303Imprimerie GRAPHOPRINT86 rue Blomet Paris 15ème

Avril 2007

Maquette : [email protected] 06 10 88 51 46

Sommaire

Photo Yves Géant

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Le 14 mars, ma rédac’ en chef bien-aimée, Antoinette, et moi, son humble pigiste, nous nous étions rendus à la librairie de madame Juin, Le Presse-Papier1, bien con-nue des Bellevillois, avec l’intention d’ef-fectuer un reportage de la séance de dédicace du livre Le Guignol des Buttes-Chaumont2 par son auteur, Guy Marchand, alias Nestor Burma à l’écran. Nous étions arrivés avant l’heure prévue pour le com-mencement de la fête dans l’espoir d’ap-procher Guy tranquillement et de lui poser quelques questions pour Quartiers libres. Mais un beau lot de monde nous avait précédés et l’étroite petite boutique enserrait déjà les fans de l’auteur comme des feuillets sous un... presse-papier. Guy n’était pas encore là ; le questionner deve-nait fort improbable car, dans l’attente prolongée de l’arrivée de la vedette, la foule n’arrêtait pas de s’amasser le long de la rue de Belleville, piaffant d’impatience. En guise de reportage, voici des échos de l’ambiance trottoir :« Vous ne savez pas ? il est né comme moi au 162, rue de Belleville, à la clinique d’ac-couchement du Groupe des œuvres socia-les de Belleville, chez les sœurs...– Ah bon, et en quelle année ?– 1937, ça lui fait aujourd’hui 70 ans.– Non ? Il ne fait vraiment pas son âge ! Je lui donnais autour de 60.– Il y a des tas d’autres choses qu’on apprend sur lui en lisant le livre. Tenez, qu’il avait été officier à la Légion étrangère au temps de la guerre d’Algérie.– C’est étonnant, je ne le voyais pas ainsi. J’avais plutôt, comme ça, le sentiment qu’il n’était pas très d’humeur militariste... Voire un peu anarchiste sur les bords.– Il n’est pas spécialement pour l’armée et, attendez, ce n’est pas tout. Il joue au polo, danse le tango et pilote des motos de compétition. C’est un crac dans ces domaines...– Comment fait-il tout cela en même temps que sa carrière de chanteur, de musicien et d’acteur ?– Eh oui, il n’a pas l’air comme ça,

mais c’est un sacré personnage, le Guy Marchand. Avec ses fausses allures de dilettante, ses façons de ne pas y toucher, il a bien rempli sa vie.– Et toujours simple avec ça, et gentil. Moi, je trouve que c’est un type bien. Dans son livre, on sent qu’il a des avis sur les gens et le monde, pas forcément complaisants, mais il ne les dit jamais avec méchanceté. Je me rappelle son interview piégée avec Raphaël Mezrahi, à la télé ; il aurait pu, comme d’autres, se montrer méprisant face aux questions ineptes qui lui étaient posées et, au lieu de cela, il avait presque un regard attendri sur le pauvre journaliste bidon.– C’est vrai. Son bouquin est d’ailleurs très agréable à lire. Sobre et plus profond qu’on ne peut le croire au premier abord. Pas le genre à se pousser du col, Guy, à se faire donneur de leçons sur la vie. C’est un honnête homme, quoi. »

Et puis, quand Guy, en tenue de sport, arriva enfin, précédé de la rumeur : “ Le voilà ! » :« C’est marrant, je l’imaginais plus grand que ça ! – Il est bronzé en tout cas. Il sort certaine-ment d’un tournage de film au soleil... »

Après de si bonnes et justes paroles, quel-les questions aurais-je pu encore poser ? J’en avais essentiellement préparé deux. Et je crois pouvoir imaginer ce que Guy Marchand aurait répondu si je l’avais réel-lement interviewé :– Guy Marchand, pourquoi avez-vous inti-tulé votre livre Le Guignol des Buttes-Chaumont ? Parce que, dans votre enfance, vous faisiez le guignol aux Buttes ?« J’y ai fait certainement le zouave avec les garnements de mon âge, comme sur les fortifications de la porte des Lilas. Mais ce n’est pas la raison. Vous verrez, en lisant le bouquin, que j’y relate une scène de ma jeunesse, à la Libération de Paris, en 1944, qui se passe en effet aux Buttes, près du guignol Anatole, où j’ai

été témoin, en compagnie de ma mère, de violences infligées par de prétendus résis-tants à une femme. Elle m’a profondément marqué et a déterminé pour le reste de ma vie mon rapport au beau sexe. Surtout que cette scène, je l’ai revécue en Algérie, où j’ai vu deux fatmas lâchement abat-tues par de soi-disant patriotes... C’est là une clé importante de mon, je n’aime pas employer des mots pompeux, mais, enfin, disons : mon « autobiographie ».– Guy Marchand, ne peut-on affirmer que votre enfance bellevilloise a façonné d’une manière ou d’une autre votre personnalité d’homme ? « Oui, c’est sûrement vrai. Je ne vous apprends pas que Belleville a une forte image ; c’est un village chargé d’histoire et de symboles populaires. C’est une âme, c’est une culture, toute une atti-tude, comme dirait mon compatriote le rocker Eddy Mitchell, presque mon copain de jeu et de classe car nous avions cinq ans de différence d’âge. Sa maman et la mienne se parlaient. Alors, Belleville, on l’emporte forcément avec soi quand on grandit et que les circonstances de l’exis-tence, bien sûr, vous éloignent de lui et de son univers. Regardez d’autres fils et filles de Belleville comme Piaf, Chevalier, Odette Laure, Suzy Prim, et même Michel Serrault ou Fernand Raynaud, qui ne sont pas véritablement des natifs, il y a quel-que chose dans leur port d’adultes qui se rapporte à ce que j’appellerais très volon-tiers une aristocratie populaire. Et ça, c’est la marque de Belleville. Il y a au moins une chose que ma carrière lui doit, et je l’ai écrit, c’est l’amour du cinéma, qui s’est forgé dans les salles de quartier, le Floréal, le Pathé-Belleville, le Danube, et tant d’autres cinoches, hélas, disparus. Je les ai énormément fréquentés dans mon enfance. Comme Eddy. »Merci pour tout, cher Guy.

Maxime BRAQUEt1. 97, rue de Belleville 75019 Paris.2. Ed. Michel Lafon. janv. 2007. 187 p., 18,50 euros.

Chronique d’un reportage à la librairie « Le Presse-Papier »suivie d’une interview presque réelle de Guy Marchand

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D’un Président à l’autre…

ou du “ Dindon qui se croit un Aigle ”* au “ Nabot Léon ”

récit historique

ne s’agit pas moins que de bouter hors du trône Badinguet, ce proscrit devenu l’Em-pereur à abattre, dont le crime est d’avoir, par son coup d’état, trahi la république et mystifié le peuple.

Encouragé par ma réserve prudente, il a oublié que j’étais sa seule auditrice et il harangue une foule imaginaire comme s’il répétait une leçon apprise depuis long-temps qu’il voudrait remettre au goût du jour à mon seul profit. Ma parole ! Placé devant son miroir, gageons qu’il se rase-rait chaque matin sans s’entailler la peau et pour suivra i t son monologue pour acqué-rir la conviction qu’il a rendez vous avec l’His-toire. Les mots affluent, tel un flot qui s’écoule et ne se tarit pas. Certes l’homme n’est pas un tribun, mais parions qu’il pourrait se trouver des sots assez sots pour se lais-ser prendre à ses belles paroles.

Il me conte aussi par le menu qu’il est affilié à une société secrète dont il fut en son temps l’un des membres les plus actifs au point que les amis de notre cou-sin, tous opposés au retour de Bonaparte, et sachant que tous deux sont de petite taille l’avaient surnommé par taquinerie « Nabot Léon ».En attendant, ce dernier se gargarise de discours emphatiques qui me rappel-lent justement ceux que l’on entendait après 1848, de la part des politiciens qui tenaient à séduire le suffrage universel tout récemment instauré, et briguaient eux aussi les fonctions présidentielles.« Citoyens ! Je suis un enfant naturel de la Patrie »« J’offre mon dévouement à la République, ma nourrice ».

« Ah ! Vraiment, l’agriculture est négli-gée. N’est-il pas honteux qu’il existe en France un département des Landes lors-qu’on peut le transformer en département des Prairies ? »« La Nature m’a donné des sentiments généreux, un patriotisme élevé et un cœur grand mais une petite taille. Mais je crois qu’on mesure les hommes à leur valeur personnelle, et non pas au plus ou moins de centimètres de leur stature….. »**Et dans le même temps, les agents élec-toraux du Prince Président se répandaient dans les campagnes contre son grand

rival Lamartine par eux rebaptisé « La Martine » en omettant de préci-ser qu’il s’agissait d’un homme auprès des pay-sans qui, entendant ce

nom pour la première fois, croyaient qu’il s’agissait d’une femme et s’emportaient contre cette péronnelle qui prétendait prendre le pouvoir, lequel de tous temps a été affaire d’hommes !

Brisée de fatigue par les exploits de ce cousin Léon qui se prend pour un nou-veau Brutus, j’ai fini par m’endormir dans le Voltaire face à lui. S’est-il aperçu de mon assoupissement ? Sans doute, mais me croiriez-vous si je vous conte, et ceci à ma grande confusion, que soudain j’ai senti dans mon cou un chatouillis de moustache au parfum de jasmin et telles deux limaces, ses lèvres goulues se poser sur ma peau…. Devant mon indignation et sous mon œil vengeur, il choisit de se retirer non sans s’être excusé de me quit-ter si vite. Ses amis que je ne crains pas de nommer ses acolytes préparent un nouvel attentat contre Napoléon III et il m’a fait jurer de n’en parler à personne.Mon bon cousin, je vous confie la santé

Ses amis que je ne crains pas de nommer ses acolytes

préparent un nouvel attentat contre Napoléon III

dessin : J. Bernadac

Paris le 12 décembre 1862

Mon bon cousin,

Quel Diable vous a poussé à m’envoyer Léon que j’avais tenu dans l’ignorance de mon adresse ? Vous semblez mécon-naître la nature volcanique, proche de la démence, de cet être plein de morgue et de suffisance qui se prend pour un génie de la littérature et de la politique, alors qu’il croit dur comme fer qu’une proso-popée est une demoiselle de petite vertu ! Il n’y avait que cette pauvre Alice qui soit assez naïve pour se laisser éblouir par ce fantoche ignorant et prétentieux, et accepter de l’épouser. Mais trêve de repro-ches. L’autre matin, dans les environs de huit heures, autant dire dès potron-minet, voici que le timbre de ma sonnette s’agite allègrement, je prends le temps de pas-ser une robe de pilou, un tissu suffisam-ment chaud pour affronter les froidures de l’hiver. J’entrebâille la porte et qui vois-je ? Léon ! qui se présente tout fringant, camélia à la boutonnière, la moustache frémissante, l’œil déjà allumé par l’abus du chouchen, un alcool fort prisé, dit-on, dans votre province, et après quelques moulinets exécutés d’une canne conqué-rante, il s’installe chez moi comme en ter-rain conquis, se carre dans mon meilleur fauteuil, jambes étendues, signifiant qu’il n’est pas prêt de déguerpir.

En prenant son temps et en distillant cha-cun de ses mots, il me conte l’objet de son séjour dans la capitale. Et c’est là que nous touchons à la démence, à l’obses-sion maladive du personnage. Pour lui il

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mentale de Léon. Cet homme est fou et devrait être enfermé à l’Asile. Alice est bien coupable d’avoir épousé un conspira-teur qui se moque de faire courir un dan-ger à toute la famille. Quant à moi, je ne veux plus le recevoir ni en entendre parler, il a la bouche humide et les mains moi-tes, c’est mauvais signe. Croyez à toute la tendresse de votre cousine encore sous le coup du baiser de Léon.

Denise FRANçOIS

* Adolphe Thiers à propos du Prince Président, futur Napoléon III.** Guy Breton : Extraits de « Histoires d’amour de l’Histoire de France »

Dessin de Victor Hugo(Bibliothèque Nationale)

Le Château du TaureauJanvier 1863

Ma chère cousine

Je ne sais si cette lettre vous parviendra, elle est pour moi comme une bouteille à la mer livrée au gré des courants marins. Ne vous méprenez pas sur notre bon Léon, c’est grâce à lui que nous pouvons con-tinuer à correspondre, il m’a fait parve-nir votre missive… sans heureusement en savoir le contenu… et c’est par le truche-ment d’un pauvre pêcheur lié à sa famille que ma réponse vous atteindra peut-être.

Car vous vous méprîtes sûrement sur ce bon Léon, la crème des hommes, le plus adorable des garçons. Je vous rappelle que c’est moi qui suis allé le tirer du fin fond du manoir familial dans la nécessité que nous étions de marier rapidement cette musaraigne d’Alice, souvenez-vous aussi de son infortune et de la façon superbe dont il l’a surmontée sous le regard ébahi de notre digne société de province !

Oui ma bonne, Léon est mon agent ; Léon est mon bras droit, que dis-je, ma bouche, mes oreilles !

Parce qu’aujourd’hui je suis enfermé. Oui ma cousine, enfermé, emprisonné, un paria, un proscrit, voilà ce que je suis devenu par la grâce de ce Badinguet que je hais comme je hais toute forme de tyran-nie. Autour de moi de l’eau, la mer, des roches inaccessibles, c’est cela le Château du Taureau, à l’embouchure de la rivière

de Morlaix. Cette prison a de l’avenir, il y a de la place pour tous les futurs prison-niers politiques qu’on voudra bien y met-tre*

M’évader, mais je ne pense qu’à cela, il y a en moi quelque chose de Del Dongo. Tout cela pour avoir voulu, avec quelques amis choisis, nous débarrasser de ce pal-toquet de Badinguet. Certes mon sort ne fut pas d’être démembré comme ce pau-vre Damien**, mais il est vrai que je ne projetais pas l’utilisation d’un canif mais bien plutôt d’une véritable machine infer-nale : la presse, le journalisme ! Il fau-dra vous faire à cette idée ma cousine, je me découvre à vos yeux révolutionnaire et digne correspondant de diverses socié-tés secrètes allant de l’Angleterre à l’Italie. Je m’ouvre à vous car je vous sais une tombe, je sais aussi que vous ne manquerez pas de brûler ce billet, ne pre-nez même pas le risque de le transmettre aux générations futures en espérant qu’un jour notre correspondance viendrait à être publiée, d’ailleurs quel intérêt y trouve-rait-on ?

Comment tout cela fut découvert ? N’allez pas chercher bien loin, c’est cette fieffée musaraigne d’Alice. Figurez vous que notre Léon avait cru bon de dissimuler les épreu-ves toutes chaudes de notre dernier brû-lot dans le panier à linge de la pie-grièche et, bien entendu, celle-ci n’a pas manqué de les découvrir, d’alerter la maréchaussée qui a mené rondement son enquête avant de trouver la presse à bras que j’avais dis-simulée dans une des dépendances de ma maison….. Léon heureusement est passé à travers les mailles du filet alors que pour ma part j’étais arrêté, molesté et embas-tillé sans autre forme de procès. Léon qui est un homme de ressources connaît bien les marins qui sillonnent la baie de Morlaix et plus précisément celui qui ravi-taille le château du Taureau. Je puis donc communiquer avec lui régulièrement. C’est comme cela qu’il me fit parvenir de l’encre et du papier et je vous ai concocté quel-ques textes bien polémiques et bien accu-sateurs contre notre Badinguet…. Quand bien même je sois enfermé, le Tyran n’aura pas ma plume !

Voilà comment tout s’explique, Léon, que j’ai envoyé auprès de vous, a essayé de vous faire comprendre nos visées révolu-tionnaires. Pendant que vous vous assou-pissiez il a glissé dans votre ouvrage de broderie, entre les pièces de tissu, les dernières feuilles que j’avais écrites con-tre Badinguet avec pour mission de vous confier leur acheminement en toute dis-crétion à votre ouvroir. C’est ce que Léon vous chuchotait à l’oreille et que vous prî-tes pour un empressement coupable dont, certes, le brave garçon est capable, mais auquel jamais il n’aurait osé se prêter. Je

conçois votre surprise ! A votre ouvroir, des libelles révolutionnaires ! On voit ma bonne âme que vous ne savez pas tout du monde dans lequel vous vivez, le neveu de votre chanoine est l’un des nôtres et il a installé une presse dans la cave, introduit du papier entre les piles de linge desti-nées aux Sœurs de la Miséricorde…à l’insu de son chanoine d’oncle, bien entendu. Si jamais ce dernier venait à l’appren-dre, je n’ose imaginer le scandale ! J’en rirais presque rien qu’à imaginer la tête de votre vicomtesse Pré Joyeux de Monceau-Courcelles.

Vous voilà liée désormais par un secret bien plus grave que ceux qui pouvaient nous lier lors de notre enfance. Je vous fais confiance ma bonne cousine pour jouer la

muette, j’irais même jusqu’à croire que désormais, déten-trice d’un tel secret, vous ne vous prêtiez au jeu et y trou-viez bien plus d’intérêt que dans la broderie. Quant à moi, du fond de mon tom-

beau, je n’aspire qu’à une chose, retrou-ver l’air libre pour continuer mon combat, faire sauter ces barreaux, franchir cet espace maritime pour humer à nouveau l’air de la liberté. Le Château du Taureau est ma Tour Farnèse…. Serez-vous ma Sanseverina ?

Je vous laisse ma douce cousine, lourde d’un secret certes, mais porteuse de toute l’espérance de l’homme affligé que je suis.

PCC Roland GREuzAT

*Après avoir été interné à Belle-Ile en 1848, Auguste Blanqui sera interné au Château du Taureau en 1871 (il y écrira « L’éternité par les astres » dans sa cellule de 12 m2 qui portait le nom évocateur de « Salle de Discipline »). Cette forteresse devenue prison maritime depuis 1721, vient d’être restaurée et réou-verte au public.

** En 1757 François Damien, pauvre domes-tique sans emploi, frappa Louis XV d’un coup de canif quasi anodin. Ne furent pas anodins les supplices épouvan-tables dans les-quels la Justice, pour complaire au roi, crut bon de le faire périr.

… je n’aspire qu’à une chose,

retrouver l’air libre pour continuer mon combat…

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Mémoires d’un épicier de la Villette Domestique

et ravi de l’être (suite 9)

François-Ernest Michaut (QL 103 et précédents) poursuit la relation des souvenirs de son enfance rurale confrontant sa préadolescence aux difficultés de temps incertains. Formé par les exploiteurs et les direc-teurs de conscience du conformisme social du XIXe siècle, le jeune Michaut continue de se satisfaire pres-que de son sort d’enfant exploité1.

Arr ivé au domici le de mes parents je trouve ma mère inquiète de mon retour précipité et qui me croit malade. Je lui raconte mon affaire. Elle est ennuyée au sujet de ce que va dire Madame Petit et pense qu’elle va venir me rechercher car je n’ai pas prévenu de mon départ.Je cache à ma mère que je serai debout demain à 4 heures pour attendre sur la route les hommes et les porteurs afin de savoir si j’avais quelque chance d’être embauché. Mon idée était bonne. Un fils Lamet avait une entreprise de décombres au Parc. À cette époque, on commen-çait sur les chantiers à 6 heures du matin ; je m’y rends et trouve le contremaître qui me propose de commencer tout de suite. Comme je l’avertissais que je n’avais pas de hotte, ni apporté à manger, il me répondit qu’il trouverait un arrangement.J’ai donc trouvé du travail sans perdre de temps. En absence de hotte, on faisait la chaîne avec une brouette : deux gamins pour les charger, deux hommes pour les rouler. Le soir, maman m’a questionné pour savoir comme était le travail. Le doc-teur est venu et a déclaré ne rien savoir de l’histoire de la chambre et que la cuisinière avait, seule, pris l’initiative de m’en chas-ser. Je lui lançais : « Eh bien ! Qu’elle y reste ! ». Et l’hiver passa ainsi.J’appris que ma sœur Cécile avait trouvé une place de domestique à Moret-sur-Loing auprès d’une pharmacienne. Je lui écrivis que j’avais quitté Monsieur Petit et lui en donnai les raisons tout en la sol-licitant pour une place de palefrenier. En effet, j’avais repris les extractions pénibles sur le chantier du Parc, mais la tâche se révélait sans avenir.Voici qu’au printemps, ma sœur nous arrive en me prévenant qu’elle m’emmène avec elle pour me présenter à ses maîtres parce qu’elle s’y trouve bien. Je suis ravi, surtout que je vais, pour la première fois, faire le voyage en chemin de fer pour me rendre auprès des écuries du pharmacien et soigner une jument docile. Nous pri-mes le train vers 16 heures pour aller dans la vallée de Moret où j’allais passer sept années de ma jeunesse, y faire souche jus-qu’à avoir un petit-fils, Paul, qui héritera de la maison de son père décédé en 1922. Mais ceci est une autre histoire.

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Au cours de la présentation, Madame Perret la pharmacienne me trouve un peu petit en taille. Me voilà une fois de plus vexé dans mon amour-propre ; je lui relate mon passage à la ferme, ma capacité à soi-gner les bêtes ainsi que ma courte campa-gne chez le Docteur Petit auprès duquel j’ai œuvré au bon état et du cheval et de la voiture. Cela fit rire mon nouveau patron qui me proposa : « Fais toujours un mois avec nous et nous verrons si tu peux tenir l’emploi ! ».Immédiatement, je suis installé et le soir je suis présenté aux dames et demoiselles de la maisonnée. J’avais l’air d’un «Breton du Finistère» au milieu de toutes ces élé-gantes, mais je n’avais pas honte me pré-parant, en cas d’attaques ironiques, à répondre par des répliques cinglantes.Le lendemain, je suis à l’œuvre et fais con-naissance avec Cocotte, une jument docile, belle et grasse qui partage son écurie avec une jolie chèvre poitevine aux longs poils blancs. Un laborantin de l’officine me passe les consignes. Je fais le pansage de Cocotte et en profite pour continuer avec la chèvre qui, n’ayant pas l’ha-bitude de la brosse, bêle en me donnant des coups de tête. C’est un jeu sans méchanceté. Je passais en revue le matériel, les harnais et la voiture. tout cela manquait d’entretien régulier et je me chargeais de tout faire briller. J’y mettais de l’ardeur, ne voulant pas être remercié après un mois d’essai. Je faisais quelque peu la risée du gars du laboratoire de la pharmacie, mon accoutrement campa-gnard ne correspondant pas à celui d’un ouvrier de la ville. Ceux-ci portent géné-

ralement la blouse bleue bouffante s’atta-chant dans le dos.J’avais aussi un copain chez le potard, un petit gaillard bossu qui avait la charge de tenir la pharmacie et qui me dit : «Je te mettrais à la coule quand tu auras un moment.» Il avait un sobriquet : Beuricard, potard en pharmacie, tambour de ville et colleur d’affiches.Au début, je ne voyais que très peu Monsieur Perret qui était souvent retenu à Paris. J’allais le conduire à la gare le matin et le rechercher le soir au train de minuit. Les premiers voyages, il ne me laissait pas tenir les guides. Mais lorsqu’il comprit que je connaissais les chevaux, il me laissa faire et Cocotte, très douce, se laissa conduire sans barguigner.Ces dames et demoiselles ayant vu que je m’intéressais au jardinage me confiè-rent l’entretien des plantes. Ce n’était pas un potager mais un jardin d’agrément avec deux pelouses, un gazon, des arbus-tes et quelques massifs de fleurs. Une allée en faisait le tour et une autre tra-versait les pelouses, garnie de grève de

rivière. Chaque jour je donnais un coup de râteau et ramassais les feuilles mortes en automne. Aussi ces dames me faisaient-elles compliment pour les soins que je donnais à leur séjour

favori. Il y avait, à côté de l’écurie, une vul-gaire cabane où logeaient les poules et dont la vétusté jurait avec le reste de l’en-vironnement. Je résolus de construire un poulailler plus moderne ; un fois terminé je constatais le résultat avec satisfaction. Ces dames étaient enchantées de mon ini-tiative ainsi me chargèrent-elles de petits

travaux en me félicitant de compliments qui m’allaient droit au cœur. J’étais parfai-tement satisfait, presque heureux de mon sort.Inquiet pourtant, quand arriva la fin du mois je demandais à Monsieur Perret s’il me gardait.- Pourquoi me demandes-tu cela ?- Parce que vous ne m’avez engagé que pour un essai d’un mois.Il me prit par l’oreille et me dit :- Continue de bien travailler en prenant des initiatives et l’on fera quelque chose de toi.tranquillisé, j’étais certain de demeurer en place et ne ralentis pas les petits ser-vices et les multiples corvées qui m’étaient allouées. J’étais à la maison le seul domes-tique mâle et à notre table, à l’office, s’ac-tivaient une demi-douzaine de femmes et de demoiselles : la cuisinière cordon bleu, ma sœur – la femme de chambre, Adèle – la couturière, Désirée – la lingère, Eugénie – la femme de peine pour les gros ouvra-ges, Marie.Et moi, parmi tout ce personnel féminin, le jeune coq, je me pavanais comme un paon. (À suivre).

François-Ernest MICHAUt (°1862-†1949). PCC/ Marie et Jean-François DECRÆNE.

Pour en savoir plus sur le travail des enfants au XIXe siècle, cliquer sur :http://histgeo.free.fr/quatrieme/revoind/enri.html

J’avais l’air d’un «Breton du Finistère»

au milieu de toutes ces élégantes

On a écoutéCité de la Musique. Concert « Luigi Nono, Venise »« Musique classique, moderne » 19.01.2007

A la Cité de la Musique, Porte de Pantin, deux œuvres d’un compositeur du siècle dernier, LuIGI NONO, mort en 1990 et une autre de RIHM, en hommage au pré-cédent, le tout dans le cadre d’un cycle « Venise », ville dont était originaire Luigi Nono. Quand on se risque, pour la toute première fois, à aller écouter -et voir- un concert de musique contemporaine, il faut absolument se vider les oreilles des mélo-dies et sons habituels, familiers. Premier morceau : un chef, 6 inter-prètes, uniquement des instruments de percussion, connus et inconnus, les musi-ciens se déplacent beaucoup, comme dans un ballet ou un chantier où chaque geste compte, à la seconde près, pour que

l’ouvrage soit terminé dans les meilleu-res conditions. Ici, les « ouvriers » sont tous jeunes puisque ce sont les élèves du Conservatoire National proche en fin de formation : cinq étudiants, une étudiante qui maîtrise sa «grosse caisse» avec une force et un brio surprenants : trois coups assénés violemment : elle tourne sa par-tition : que j’aimerais voir celle-ci ! Si les sons surprennent ils sont sous-tendus par une ligne musicale continue qui crée une sorte de base, de structure sur laquelle les surprises sonores ont leur place. Les ondes prolongées qui sont, autant, de la musique se mêlent parfois ou s’éteignent lentement. une merveille ! Le morceau suivant, de RIHM, est plus dis-continu : de gros éclats sonores plus diffi-ciles à lier pour des oreilles néophytes.Quant au troisième, à nouveau de Luigi Nono, composé l’année de sa mort, il plonge pendant quarante minutes sans entraîner le moindre lassitude chez les

auditeurs dans « une atmosphère sombre, morbide » dit une auditrice, mais peut-être aussi dans une épaisseur de mystère, dans une sorte de nuit profonde crevée d’éclats, de beautés, comme la lagune vénitienne en hiver ? Deux voix extraordi-naires de contraltos de mêlent aux instru-ments, se fondent dans l’ensemble.Voilà, il faut essayer d’écouter cette musi-que, si l’on n’en a pas l’habitude il faut tenter, tout neuf, on en sort ébloui.

J.H.

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Nous partirons d’ailleurs de là. Sans être forcément catholique pratiquant, chacun connaît l’existence, au 9 de la rue de la Mouzaïa, dans le secteur dit des Carrières-d’Amérique, de l’église Saint-François-d’Assise. Sa silhouette architecturale tout en béton recouvert de brique et évoquant l’art roman ombrien se remarque en effet dans le décor local. La construction de ce temple chrétien avait été décidée un peu avant la Première Guerre mondiale en même temps que la création d’une nouvelle paroisse qui, au départ, n’était pas dédiée à la mémoire de l’homme qui parlait aux oiseaux mais à celle d’un saint bien moins médiatisé, Landry. toutefois, une suite de circonstances, dont la guerre, retardèrent beaucoup les travaux de l’église, qui ne verront leur achèvement qu’en 1926. En attendant, l’archevêché de Paris fit amé-nager au 16, rue du Général-Brunet, dans un ancien atelier de serrurerie, une cha-pelle « de secours » pour que les infortu-

nés paroissiens de Saint-Landry pussent quand même bénéficier de messes.

L’aumônier de Saint-LandryA l’été de 1921, un prêtre de 25 ans tout récemment ordonné arriva ainsi dans la baraque en planches promue chapelle. Il devait s’occuper de deux patronages de filles et de garçons. Ce juvénile aumônier s’appelait Fernand Maillet. Sa désigna-tion en ce coin un peu perdu de Belleville ne tenait certainement pas du hasard. En effet, Fernand, s’il ne fut pas natif de notre colline (il a vu le jour dans le 11e arrondis-sement), a passé une bonne partie de son enfance aux portes des Buttes-Chaumont. Sa famille habitait depuis 1907 sur les hau-teurs de l’avenue Secrétan et, gosse, le futur prêtre jouait aux Peaux-Rouges sur les pelouses accidentées du grand jar-din public. Elevé dans un esprit catho-lique fervent, il fut enfant de chœur à l’église Saint-Georges, dans le bas de l’ave-

Rue du Télégraphe

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2. Mgr Maillet et l’aube bellevilloise des Petits Chanteurs à la croix de boisNotre première visite : Léon et Camille Gaumont (voir QL n° 103), aux hôtes marquants du cimetière ex-communal de Belleville nous avait reliés au monde du cinéma. Eh bien, l’arrêt que nous effectuons cette fois-ci devant la tombe de Mgr Maillet (1896-1963)1 ne nous en éloigne pas complètement. Certes, la person-nalité de ce prélat est, en dehors de sa mission religieuse, avant tout attachée à l’univers musical et plus par-ticulièrement à l’art choral. Cependant, les enfants des Petits Chanteurs à la croix de bois dont il a dirigé l’ensemble pendant plus de trente ans, ces enfants, donc, ont prêté le concours de leurs voix d’or à plu-sieurs films. Ils y ont même tenu un rôle dans l’action dramatique. La plus remarquable de ces œuvres est sans doute La Cage aux rossignols, de Jean Dréville (1945), dont Christophe Barratier a récemment réalisé un remake brillant, Les Choristes, avec Gérard Jugnot.Alors, nous n’irons pas plus loin dans le cinéma avec ce deuxième article mais nous ne nous consacrerons pas davantage à relater l’histoire des Petits Chanteurs ou la carrière de Mgr Maillet. Ce sont seulement les origines de l’une et de l’autre qui nous intéresseront, non seulement parce qu’elles se trouvent liées, mais encore parce qu’elles s’enfoncent dans notre sol bellevillois. En passant, nous nous donnerons l’occasion d’éclairer une page méconnue de la chronique de notre terroir.

Belleville à tombeau ouvert :les hôtes remarquables du cimetière de la rue du Télégraphe.

De gauche à droite :

Le jeune abbé Maillet, 27 ans,

frais nommé vicaire à l’église

Saint-Jean-Baptiste de

Belleville.(Archives des

Petits Chanteurs à la croix de bois)

Plan du cimetière

de Belleville. (Maxime Braquet)

L’église Saint-François-d’Assise

de nos jours, vue du 16,

rue du Général-Brunet

où s’ouvrait, en 1921,

une cour du patronage Saint-Landry.

(Maxime Braquet)

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nue Simon-Bolivar. Fernand était donc une manière de « régional ».Le tout neuf vicaire avait bien besoin de la foi ardente et de la fougue propres aux néophytes. On lui avait donné pour « pres-bytère » un logis étroit autant que spar-tiate au 31 de la rue du Général-Brunet et il devait crotter sa soutane pour enca-drer ses petites ouailles foulant les terrains vagues boueux qui leur servaient de cours de jeu. En ce temps-là, rappelons-le, la riante cité résidentielle quadrillée de venel-les fleuries qui s’étale aujourd’hui sur les coteaux nord-bellevillois n’avait pas encore effacé, loin s’en faut, le paysage désert et déprimé que la fermeture des vieilles car-rières de gypse avait laissé. Mais pour don-ner du cœur aux œuvres paroissiales, le sémillant abbé avait une idée. Séminariste, il avait découvert en 1917 les vertus du chant choral pour éveiller l’âme des jeunes chrétiens, cela en côtoyant une manécan-

terie de garçons de la rue Lecourbe (quar-tier Vaugirard). Cette formation, fondée dix ans plus tôt par des étudiants – dont Jean Rebuffat – et qui, dirigée par ce der-nier devenu abbé, jouissait déjà d’une solide réputation à l’échelle nationale en 1921, se nommait les Petits Enfants à la croix de bois. Si ce n’est donc pas Fernand Maillet qui la créa, contrairement à ce qu’on entend parfois, elle fut pour lui l’ins-piration décisive.A peine installé à Saint-Landry, il entre-prit de monter, avec une dizaine de gamins des rues Compans et de la Mouzaïa, une maîtrise enfantine paroissiale. Son enthou-siasme parvint même à convaincre les supérieurs dont il dépendait de donner l’autorisation de bâtir, à côté de son habita-tion, un baraquement pour les répétitions. Il participa de sa poche à la construc-tion. Naturellement, les Petits Chanteurs de Saint-Landry, titre de la jeune maî-trise, concoururent à la liturgie. Mais l’œu-vre n’eut guère le temps de se développer car Fernand Maillet, en 1923, fut rattaché à l’église Saint-Jean-Baptiste, au cœur du village historique de Belleville. Il reçut alors la charge de l’aumônerie de l’école chré-tienne des Frères du 46, rue des Solitaires2, à deux pas de la place des Fêtes.

La chance formidable de l’abbé MailletLe changement d’affectation ne décou-ragea nullement les plans de chorale du vicaire. Fort de l’appui de son curé, le chanoine Mouraux, il fonda une nou-velle maîtrise avec les élèves de l’école et les répétitions eurent lieu à côté, au 48. Rapidement, la Petite Maîtrise de Belleville fut en capacité, non seulement d’assister la chorale des adultes dans l’église Saint-Jean-Baptiste lors des messes, mais encore de donner des concerts de chants sacrés à l’extérieur.C’est là que le merveilleux intervint. Fernand Maillet n’avait pas vraiment conscience de la notoriété de son tra-vail quand, en 1924, il s’entendit formuler une offre extraordinaire. Pour situer l’évè-nement, il faut savoir que, depuis quel-ques années, la fameuse manécanterie des Petits Chanteurs à la croix de bois tra-

versait une grave crise administrative et financière. Voici donc que, de cette cho-rale chevronnée, le successeur de l’abbé Rebuffat, Jacques de Noirmont – qui tenait en haute estime son homologue du 19e arrondissement –, vint à Belleville pour « négocier » la fusion des deux maîtrises avec l’abbé Maillet et le transfert du siège de Vaugirard sur notre colline. Se jugeant indigne de l’honneur qu’on lui rendait mais tout à la fois conscient de ses obligations, le jeune vicaire accepta sur-le-champ la proposition. Peu de temps après lui échut la responsabilité centrale de la manécante-rie regroupée qui, tout en gardant le nom des Petits Chanteurs à la croix de bois, connut dès lors un second départ, l’es-sor définitif dont chacun connaît assez la grandiose épopée en France et sur tous les continents (elle se poursuit de nos jours). En 1930, sans changer de paroisse, la Mané, comme on la désignait familière-ment, déménagea au 68, rue des Rigoles (Ménilmontant), dans des locaux plus vas-tes comprenant un réfectoire.Jusqu’à la fin de 1942, les « Rigoles » demeurèrent le foyer pilote d’une œuvre qui, solidement organisée sur le modèle du scoutisme, prit en moins de dix ans la dimension d’une institution nationale. En

même temps, l’inscription bellevilloise se renforça du simple fait que les enfants – c’est bien connu – vieillissent et qu’il faut donc les remplacer ; on verra ainsi les nou-velles recrues appelées à succéder, notam-ment, aux pionniers de la chorale de Vaugirard venir pour l’essentiel des familles humbles du crû.Faut-il après tout cela s’étonner de la reconnaissance que la municipalité du 19e arrondissement témoigna à Mgr Maillet3 en 1963, dès le lendemain de sa mort, en donnant son nom au square de la place des Fêtes ? Rien de plus normal en fait. tout comme se comprend la pré-sence de la demeure ultime du vicaire de Saint-Jean-Baptiste au cimetière de la rue du télégraphe. Détail émouvant, l’abbé Roger Delsinne est enterré dans la même enceinte ; il avait été le bras droit du chef de la Mané pendant des années et prit avec compétence sa succession jusqu’en 1978. Au centre de la nécropole figure égale-ment la sépulture d’un protégé de Fernand Maillet, le Petit Chanteur bellevillois Jean Marcopoulos4 (né en 1923), qui était chef de partie soprano au sein de la patrouille Vincent-d’Indy. Les plus âgés des lecteurs de QL ont sans doute connu Jean aussi dans un tout autre registre. Rebaptisé pour la scène Marco, il fut en effet, après 1947, l’une des vedettes du légendaire orchestre de variétés de Jacques Hélian, précurseur de notre Splendid. Hélas, Jean périt tragi-quement, en 1953, fauché en pleine gloire dans un accident de voiture. Auteur de chansons, il a notamment laissé ces vers : « Il avait croqué une poignée de grains de café / Depuis il était très très très énervé / Il n’arrêtait plus de trotter à travers les rues / Il n’arrêtait plus d’chanter comme un perdu », qu’on voudra bien entendre ici afin de ne pas sortir de notre histoire de cimetière avec une tête d’enterrement.

Maxime BRAQUEt

Notes1. Repérer l’emplacement de sa sépulture sur notre plan du cimetière. De même pour les tombes de Jean Marcopoulos et de l’abbé Delsinne dont nous parlons en fin d’article.2. Il faudrait demander à l’ami Eddy Mitchell (Claude Lemoine pour les Bellevillois) si ce n’est pas à cette école qu’il fait allusion quand, dans sa fameuse chanson La Dernière Séance, il confesse : « J’allais rue des Solitaires, à l’école de mon quartier. » Si oui, cela indique que l’éta-blissement était encore en fonction au début des années 1950. Le bâtiment qui l’abritait n’existe plus depuis le début de la décennie 1980.3. Au faîte de sa renommée, l’abbé Maillet est élevé en 1951 au rang de prélat pontifical par le pape Pie XII.4. Rejeton de la communauté grecque immigrée sur notre montagne après 1915, il était appelé à devenir tailleur comme son père.

Bibliographie.• Abbé Maillet, Les Petits Chanteurs à la croix de bois, souvenirs et anecdotes, éd. Flammarion, 1946, livre repris et complété par Les Petits Chanteurs à la croix de bois d’hier et d’aujourd’hui, éd. Flammarion, 1948.

De gauche à droite :

Image souvenir de la fusion des manécanteries de Vaugirard et de Belleville en 1924. Au centre de la photo, l’abbé Maillet. (Archives des Petits Chanteurs à la croix de bois)

Tombe de Jean Marcopoulos.(Famille Marcopoulos et Maxime Braquet)

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« Je suis comme transplanté et je ne sais pas encore si c’est vrai ! Viens voir ma “folie d’Assas” et tu comprendras com-bien la vie d’un homme peut être chan-gée à cause d’un pigeonnier, à cause d’un arbre…» écrivait Ossip Zadkine à un ami lorsqu’il s’installe en 1909 avec son épouse Valentine Prax. Les pigeons viennent encore picorer sur le cerisier pourtant bien malade puis volettent entre les statues du jardin ; Ossip repose, en voisin, au cime-tière du Montparnasse (8e division). Le gourmand passe sans cesse du Cubisme à l’Abstraction, sans pour autant perdre pieds. Les lignes brisées respectent l’univers et l’harmonie des formes. Le mou-vement est présent évoqué, évocateur. La peur saisit le voyageur qui craint les bom-bardements aériens en contemplant « le torse de la Ville détruite » directement sorti du Guernica de Picasso. Le visage d’Orphée porte le désespoir du monde de ne pouvoir un jour réanimer l’être adoré et de changer le destin funeste avec sa lyre, pour enlever son amour aux ténèbres des enfers. La visite du pèlerin est facilitée par le parcours établit de manière chronologi-que. Le néophyte peut s’initier à la sta-tuaire cubiste en suivant l’évolution de l’artiste de 1908 à la sculpture architectu-rale de la « Tour penchée » en 1967. L’amateur éclairé et séduit refuse le terme de primitivisme appliqué par cer-tains critiques aux premières créations de

l’artiste. Les statues de bois évoquent, sans naïveté, des formes féminines ambiguës, aux fesses lisses, aux poitrines s’inscrivant dans des pommes, aux épaules d’éphè-bes. L’influence de son ami Modigliani est manifeste ; le buste de Jeune fille semble s’être échappé de l’atelier d’Amedeo. Aux Vendanges, l’assoiffé ne demande qu’à étancher sa pépie, provoquée par un trop plein de libations de vin nouveau, auprès de la Porteuse d’eau. Le voluptueux s’in-terroge sur la meilleure manière d’appro-cher la Vénus cariatide sans choquer sa pudeur. Le gourmet, qui varie l’agencement de ses repas en évoluant des saveurs rudes et franches vers des goûts plus souples, apprécie le parcours de Zadkine qui, des brusques lignes géométriques anguleuses, s’oriente vers la souplesse des courbes en travaillant des thèmes tirés de l’Antiquité ; il suit les Ménades, assiste en voluptueux à la Naissance de Vénus, compare les trois Grâces à celles de Mayol et suit la progres-sion, sans heurt, vers le Cubisme qui passe, comme une musique douce interprétée par le trio musical, par les Amoureux pour aboutir à l’Arlequin déjà traité par Picasso, Derain et Severini. L’aboutissement de la facture cubiste est révélé par les diffé-rents projets monumentaux à la gloire des poètes Apollinaire, Lautréamont, Jarry et Rimbaud. « Ce sont des sculptures énig-matiques, issues d’une profonde rêverie poétique, où se dressent sur des soubas-

sements tranchés en lamelles évidées des êtres hybrides, le détail anecdotique et humoristique étant réservé au seul Alfred Jarry. une grande œuvre ultérieure va découler de ces œuvres singulières » in Musée Zadkine, guide général. Le visiteur se promet d’effectuer le pèlerinage à Auvers-sur-Oise pour rendre un hommage aussi respectueux que celui d’Ossip Zadkine au génie de Van Gogh. Le monument à Vincent Van Gogh resti-tue la souffrance créatrice du peintre hol-landais ; les traits tourmentés, le regard fixe, les bras ballants expriment le désar-roi de l’artiste traversant un monde qui lui échappe. Initié aux mystères paradoxaux de la sculpture cubiste, le pèlerin reprend sa route en quittant le jardin provincial, à la découverte des œuvres de Zadkine qui parsèment les places et les jardins pari-siens.

Jean-François DECRÆNE

BIBLIOGRAPHIE SOMMAIREMarie Sellier, zadkine : Des mains pour créer, Association Paris-Musées, 2006.Hélène Manedalgo, Les Russes à Paris (1919-1939), Autrement.Raymond de Ponfilly, Guide des Russes en France, Pierre Horay, 1995.J. Grigorewa, Cuisine russe, Hachette-pra-tique, 1992.Sophie-Sarah Kolovatova, 300 merveilleu-ses recettes russes, Josette Lyon, 1995.

Visite gourmande au musée ZadkineMusée Zadkine 100bis, rue d’Assas75006-Paris01.55.42.77.20. fax : 01.40.46.84.27www.zadkine.paris.fr

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Recette pour 6 pers.- 6 pigeons- 200 g de poitrine fraîche- 10 cl de vinaigre de vin- 12 petits oignons blancs- 2 échalotes grises hachées- 2 gousses d’ail- 2 clous de girofle- 1 l de bouillon- 50 g de beurre des Deux-Sèvres- 15 g de farine de froment- 50 g de persil simple haché- 1,500 kg de petits pois écossés frais- Poivre concassé, sel fin

Farce- 6 foies de volaille- 1 œuf frais- Persil haché- Pain rassis- 100 g d’épinards- 1 gousse d’ail écrasée- 1 oignon haché- Poivre concassé, sel fin

Petit à petit la plupart des oiseaux qui font le charme du vaste jardin qu’est la ville de Paris, disparaissent sous la pression de populations prédatrices, résistantes et colonisatrices : les mouettes, les moineaux et les pigeons des rochers. Les rouges-gorges, martinets, fauvettes, mésanges, voire les hirondelles reculent devant l’im-périalisme des pigeons qui n’hésitent pas à dénicher les œufs des autres espèces pour qu’elles déguerpissent. Le gourmet a soin de ne pas chasser les envahisseurs, souillant avec joie les sta-tues et les passants. Ils sont protégés par des associations plus soucieuses du bien des volatiles que de celui de leurs sembla-bles ; il tomberait sous le coup de la loi qui n’autorise que la déportation ou la stérili-sation. Par ailleurs, porteurs de parasites et de maladies transmissibles à l’homme, sales et contaminés, il ne peuvent cons-tituer un plat raisonnable pour un gour-mand avisé. Le gastronome se fournit auprès d’un volailler sélectionné pour sui-

Un nouveau libraire !Si vous aimez la littérature, la poésie, la peinture aussi, et non ces livres -vraies ou fausses biographies de « télévisuels », de sportifs, de publicistes...qui, après s’être entassées quelque temps et un peu vendues terminent pour la plupart au pilon, vous pouvez aller en toute confiance rue de l’Ourcq. (Par le métro : ligne 7, station Crimée ; par le bus : 60, tout en bas de la rue de l’Ourcq, arrêt Curial Crimée : la librairie est juste en face, sur l’autre trottoir) • Expositions diverses : Après « Les insectes peints, vus par un naturaliste et virtuels » il y a eu Johanna Bœr, tableaux récents.• Soirées poésie ( textes et chants corses en février)Hommage à Pierre Desproges en janvier.• Accueil des enfants dans un joli petit coin qui devient, quand cela est nécessaire, salle de spectacles.• Réunions et animations diverses.Pour les mois à venir renseignez-vous auprès d’Armel Louis au 01 40 05 91 29.

vre le conseil d’Alexandre Dumas et «met-tre aux petits pois l’oiseau cher à Cypris.»

Farce Blanchir les foies de volaille et les épi-nards dans un court-bouillon au vin blanc. Faire tremper le pain rassis dans du lait frais. Hacher le persil, l’oignon et écraser l’ail. Hacher les foies et les épinards. Battre l’œuf en omelette et mélanger le tout pour obtenir une pâte homogène. Saler, poi-vrer.

Préparation et cuisson Farcir les pigeons. Flamber à l’Arma-gnac pour éliminer les duvets restants. Brider les volailles. Dans une large cocotte en fonte, faire fondre le beurre avec un trait d’huile d’olive. Dorer les pigeons sur toute les faces, retirer de la cocotte et réserver. Ajouter un peu d’huile, faire revenir les oignons et les échalotes avec la poitrine coupée en lardons. Déglacer au vinai-gre. Retirer les lardons et réserver avec les pigeons. Ajouter la farine dans la cocotte et faire un roux blond avec un peu de bouillon. Assaisonner. Remettre les lardons et les pigeons dans le roux. Ajouter le persil, l’ail et les clous de girofle. Mouiller au fur et à mesure avec le bouillon. Laisser mitonner pendant 20 minutes. Rectifier l’assaison-nement, si nécessaire. Couvrir avec les petits pois écossés. Cuire à l’étouffé pendant une demi-heure environ en tournant de temps en temps, de telle façon que les petits pois passent alternativement de la surface au fond de la cocotte. Vérifier la cuisson en fonction de la consistance des légumes qui doivent être moelleux. Dresser sur un plat chaud en parse-mant de persil frais Servir et déguster avec un vin blanc de Suresnes ou d’Argenteuil.

La lucarne des écrivains115 rue de l’OurcqLibrairie et accueil ouverts depuis sept. 2006

Pigeon aux petits poisZadkine

Le bouquet

(détail)

J.H.

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Cette cérémonie couronnait en quelque sorte la politique de mémoire du Président Chirac, inaugurée avec éclat au mois de juillet 1995 par le fameux discours sur la collaboration de l’Etat français de Vichy au processus génocidaire, qui marqua une véritable rupture avec la ligne de conduite suivie par tous ses prédécesseurs. La recon-naissance officielle de la compromission de Vichy dans le processus génocidaire ne signifie pas pour autant que la responsa-bilité principale du crime ait été perdue de vue : « Il y a 65 ans, dans l’Europe pres-que entièrement asservie, la barbarie nazie décide de l’exécution de la solution finale » a commencé par rappeler judicieusement le chef de l’Etat. Et par ailleurs la compro-mission de l’Etat français ne fut pas celle de la société dans son ensemble. Il conve-nait donc d’établir la distinction suivante : « La majorité des Juifs assassinés ont été livrés aux Allemands par Vichy et par les collaborateurs. Mais la plupart des Juifs sauvés le furent par des Français. »

En cette période de commémo-ration, les publications sur les Justes se sont multipliées à desti-nation de publics très divers. Nous nous intéresserons ici plus particulièrement à l’une d’entre elles, destinée à de jeunes enfants de 8 à 12 ans. La publication « Je lis des Histoires vraies », éditée par Fleurus Presse, a consacré son numéro 156 du mois de novembre 2006 aux Justes. Le principe qui préside à la confection des numéros est le suivant : un grand récit, abondamment illustré, sensibilise les jeunes lecteurs, à tra-vers des personnages auxquels ils peuvent aisément s’identifier, à un thème histori-que. De manière très pédagogique, le récit est complété par un lexique, par un dossier thématique et par un jeu de fiches récapi-tulatives qui permettent aux lecteurs d’ac-quérir et d’approfondir leurs connaissances historiques. Or le héros du grand récit écrit par Béatrice Guthart et illustré par Erwann Surcouf n’est autre que le bottier bellevillois Maurice Arnoult. Nous l’avions rencontré et interviewé dans le précédent numéro de Quartiers Libres (n°103, automne-hiver 2006). Les jeunes lecteurs peuvent donc s’initier, à travers l’exemple du sauvetage, entre Belleville et Savigny-sur-Orge, du

petit Joël Krolik, âgé de 11 ans au moment des faits, par Maurice Arnoult et sa com-pagne Alice, bien renseignés par l’ins-pecteur de police Legrand, à l’histoire de la grande rafle du Vel’ d’Hiv’ au mois de juillet 1942. Le récit, tout en faisant place à l’émotion (le petit Joël se retrouve définiti-vement séparé de ses parents), éveille aussi la curiosité des jeunes lecteurs, à laquelle répond le dossier thématique qui fait suite au récit, et à la confection duquel Christian Ingrao, directeur de recherches à l‘Insti-tut d’Histoire du temps Présent, a servi de conseiller éditorial. Chaque document est présenté très clairement, dans le res-pect de l’équilibre entre l’iconographie et le texte informatif. En partant de l’exem-ple de Maurice Arnoult et de Joël Krolik, le jeune lecteur est ainsi instruit de la chro-nologie des persécutions raciales en France de 1940 à 1944 et des chaînes de solidarité qui ont permis de sauver les trois quarts de la communauté juive de France, en parti-culier les enfants cachés. Madeleine Barot, militante de la Cimade installée très tôt à l’intérieur du camp de Gurs pour en faire sortir les enfants et les malades, le pas-teur André trocmé du Chambon-sur-Lignon en Haute-Loire, ou encore Serge

Klarsfeld sont, entre autres, mentionnés et bien présentés. L’angle d’analyse du dos-sier s’élargit sans cesse, puisque celui-ci se termine par la mention de quatre témoi-gnages sur des enfants cachés, qui vien-nent compléter et généraliser l’exemple bellevillois. Et finalement trois fiches vien-nent récapituler les connaissances acquises par les jeunes lecteurs sur la France occu-pée, la Résistance et la rafle du Vel’ d’Hiv’. Une publication de qualité donc, qui n’ap-pellera de notre part que deux réserves. Par souci d’édification de la jeunesse, sans doute, le récit de Béatrice Guthart tend par trop à sanctifier le personnage de Maurice Arnoult. L’entreprise était sans doute dif-ficile, s’adressant à un public de jeunes enfants, mais il n’est pas sûr que le facé-tieux et truculent Bellevillois, dont l’his-toire personnelle fut aussi tourmentée, et qui reste nourri de la plus pure tradi-tion libertaire et anticléricale du quartier, se retrouve parfaitement dans le portrait édifiant et sans aspérités d’un héros sulpi-cien. Mais le concept de Juste, forgé pour les besoins de l’Etat d’Israël et de la per-tinence duquel discutent toujours les spé-cialistes de l’histoire de la Seconde Guerre mondiale, ne pouvait qu’encourager cette réduction simplificatrice et manichéenne. On regrettera aussi que les concepteurs du dossier, mal avisés en se référant au site Internet de l’Institut Chambon, aient fait état du mythe des 5000 Juifs sauvés par le Chambon-sur-Lignon : cette référence malencontreuse détonne dans un dossier scientifique par ailleurs de bonne facture. Le Président de la République, plus mesuré dans ses propos, a fait état pour sa part de l’accueil de centaines de Juifs par le pla-teau protestant de la Haute-Loire.

Mais si la littérature à destination de la jeunesse a traité du thème des Justes, la recherche scientifi-que n’est pas demeurée non plus en reste. Nous avions fait précédem-ment état du cycle des manifestations organisées par le Mémorial de la Shoah. Les 11, 12 et 13 décembre 2006, le Centre d’Histoire de Sciences Po Paris, en colla-boration avec le CNRS, a organisé un col-loque sur les Pratiques de sauvetage en situations génocidaires, sous la direction

Les Justes de France

Suite à l’inauguration du Mur des Justes du Mémorial de la Shoah le 14 juin 2006 en hommage aux 2700 Justes officiellement

recensés en France, la République a organisé une cérémonie nationale en l’honneur des Justes de France, au Panthéon,

le 18 janvier dernier.

La revue Je lis des Histoires Vraies

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de Jacques Sémelin, de Claire Andrieu et de Sarah Gensburger. Plusieurs communi-cations ont eu ainsi l’opportunité de traiter de la problématique des sauveteurs et de leurs motivations. Les spécialistes ne sont en fait pas d’accord entre eux et les points de vue défendus restent encore assez divergents… Samuel et Pearl Oliner, dans un ouvrage déjà ancien1, ont pour leur part mis en évidence le modèle de la person-nalité altruiste des « gentils » qui sauvè-rent des Juifs pendant la Seconde Guerre mondiale. Pour Samuel et Pearl Oliner, il s’agissait de personnalités souvent solitai-res et marginales dans leur environnement social, capables d’agir en fonction de leurs convictions personnelles en faisant abs-traction de la pression de leur entourage, désintéressées dans leur dévouement au bien-être des autres, mais également assez pragmatiques et éloignées de toute idée de grandeur et d’héroïsme, agissant fina-lement de manière non préméditée et non planifiée au coup par coup. Cette analyse n’emporte cependant pas l’adhésion de la jeune historienne Camille Ménager qui, dans une communication intitulée « Rafles

et réseaux sociaux à Paris, 1940-1944 » a entrepris de la discuter. Contre les imper-fections de la thèse intentionnaliste de Samuel et Pearl Oliner, Camille Ménager a défendu une thèse qu’elle qualifie pour sa part de fonctionnaliste : les opérations de sauvetage n’ont pas été l’apanage de per-sonnalités solitaires et marginales, mais on retrouve au contraire parmi les sauveteurs des personnes appartenant à des corps de métier se caractérisant par de solides liens de sociabilité professionnelle avec les habitants d’un quartier, disposant ainsi de moyens, d’habitudes et « d’outillage men-tal » spécifiques : employés, artisans, com-merçants, concierges des immeubles ; les femmes et les membres d’organisations religieuses étaient aussi fortement repré-sentés. Cette analyse, il faut en convenir, s’adapte parfaitement au cas de Maurice Arnoult, artisan bellevillois parfaitement bien intégré dans de multiples réseaux de sociabilité, dans son immeuble comme dans son quartier, et en mesure de ce fait d’agir de manière pertinente et efficace. La question du désintéressement des sauve-teurs a également fait l’objet d’investiga-

tions renouvelées. Si dans le cas des Justes homologués comme tels la question de la recherche du profit ne se pose pas par définition, tous les chercheurs reconnais-sent par contre, à travers entre autres les témoignages d’anciens enfants cachés, que des motivations moins nobles, dictées par la recherche du profit, existèrent toujours chez une partie des sauveteurs. toutes les catégories de sauveteurs ne se résumè-rent pas aux seules personnalités altruis-tes et désintéressées, comme le reconnaît Nechama tec. Et en définitive, comme le relève Camille Ménager dans la conclusion de sa communication, les motivations des sauveteurs dépendirent de multiples para-mètres : le caractère propre des individus, leur vécu personnel, les fonctions civiles qu’ils occupaient et les marges de manœu-vre qu’elles pouvaient leur conférer.

Michel FABRéGUEt.

1. Samuel et Pearl Oliner The altruist personnality. Rescuers of Jews in Nazi Europe, New-York, 1988.

L’inconnu des LilasRené MinoliM.R. Editeur 2000

On a lu René Minoli, collaborateur f idèle de Quartiers Libres. Peut-être avez-vous fait la balade en bateau sur les canaux de l’Ourcq et Saint-Martin évoquée dans le n°101 du journal ? ou découvert dans le n° 102 la célébrité méconnue de la station « morte » du métro « Porte des Lilas » où furent tour-nés de nombreux films ( mais pas, si vous vous en souvenez « Porte des Lilas » ) ? ou bien encore, grâce au n° 103, avez-vous parcouru la promenade permettant de sui-vre la ligne du chemin de fer de « la Petite Ceinture du Canal-Saint-Denis à la Seine», long périple pour les amateurs des quar-tiers Nord, Nord-Est et Est de Paris, et aussi pour les vieilles lignes de chemin de fer ,Avec « L’inconnu des Lilas » les lecteurs s’expliquent cette passion de l’auteur pour le métro et également la richesse et la qua-lité des photos illustrant ces articles. Ce livre au titre de roman policier est à la fois fiction et réalité.La première partie permet de raconter l’histoire de la construction progressive du métro entre le début du 20ème siècle et 1954 au moyen des récits faits par Louis à un gamin de 12 ans, René, rencontré par hasard, avec lequel il fait des expéditions nocturnes grâce à Emilie, vieille motrice mise autrefois au repos dans un couloir souterrain oublié, dont le nom est celui d’une destinataire de lettres d’amour trou-vées régulièrement cachées dans l’inters-tice d’un wagon.

Les cafés, les boutiques autour de la Porte des Lilas, les luttes ouvrières de la première moitié du siècle, les guerres, tout cela défile dans les récite de Louis comme les stations de métro : Opéra- trois niveaux de pas-sage à trois hauteurs différentes pour trois lignes qui semblent se croiser sur le plan ; Oberkampf, Bastille…retour au garage au petit matin, manœuvres diverses : aiguilla-ges changés à la main, inversion du sens de la « marche », Louis, d’abord électri-cien puis conducteur du métro initie René. Et c’est ainsi que se succèdent les voca-tions, du père de Louis -bâtisseur- à son fils –conducteur, de celui-ci à René qui commencera par l’entretien des machines et finira photographe de la RAtP, beau-coup plus tard, et c’est le contenu de la deuxième partie qui se déroule jusqu’en 1997. Lui aussi raconte, son métier, les relations entre les ouvriers, entre ceux-ci et les cadres, les luttes sociales, la guerre d’Algérie…Beau trio : métro, hommes et leurs histoi-res personnelles, Histoire, les interactions entre ces trois éléments.Ce n’est pas un roman policier, ce n’est pas non plus un roman, c’est un livre plein de richesses : documents et vies d’hom-mes « faits de tous les hommes et qui les valent tous et que vaut n’importe qui »*.

J. H.

*Citation adaptée d’une phrase tirée des Mots de J.P.Sartre

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Située dans le 19ème arrondissement près des Buttes Chaumont, je suis la butte Bergeyre. L’accès est assez difficile : deux très longs escaliers gravissent mon sommet à par-tir de l’avenue Simon Bolivar et de la rue Manin. Une autre possibilité s’offre à vous, la très alambiquée rue de Lardennois, qui est la seule voie desservant la butte, elle est doublée par un escalier appelé rue Michel tagrine.Au début du XXème siècle un stade couvrait le sol, ce n’est que dans l’année 1927 que des rues furent créées et qu’une vie de vil-lage a commencé. Caché est bien le mot pour cet îlot de calme et de verdure entouré d’immeubles.L’accès de ce pain de sucre qui culmine à 90 mètres est préférable par les esca-liers bien que la montée soit rude et fati-gante. Il faut mériter le bonheur de se trouver dans ce havre de paix. L’effort permet d’évaluer à quel point la ville est bruyante et le calme de mes rues, agréable, qu’en montant les marches, le passage incessant des voitu-res fait place progressivement aux chants des oiseaux et à la lumière. Un chat vien-dra peut être vous accueillir, en tous les cas il vous observe déjà.En arrivant rue Barrelet de Ricou, vos pieds sont au cinquième étage des immeubles environnants donnant sur l’avenue Simon Bolivar. Ces constructions en forme de râteau sont là pour renforcer la tenue de cette colline, ce qui fait qu’elles ont une butte comme cour intérieure. Promenez

vous à votre guise, impossible de vous per-dre, les quatre rues donnent immanquable-ment rue Lardennois. Musardez devant les propriétés couvertes de lierre ou de vigne vierge, certaines ont une architecture clas-sique d’autres moins. Le dépaysement est total, quelquefois on a l’impression d’être devant une maison d’un pays nordique, un peu plus loin un bananier devant un mur vieux rose perturbe notre esprit en lui donnant des réminiscences de Caraïbes. Les habitants ont aussi de l’humour, sur une avancée de porte un chat s’apprête à bondir sur une souris, n’ayez crainte ils seront encore là pour renouveler leurs facéties à votre arrivée, ils sont en céra-mique. Une devanture d’épicerie subsiste pour le souvenir. Avant, la butte était un quartier à part entière avec ses commer-çants et sa vie propre, cette boutique est actuellement le siège de l’Association de la

Butte et se nomme Utopicerie, tout un programme. Une cli-nique annexe de l’hôpital de Maison-Blanche, une autre de la Fondation Rothschild créent un peu d’animation. Mais que

recherche le promeneur si ce n’est le calme et le dépaysement ? Installez-vous sur l’unique banc public pour admirer le pano-rama sur le nord de Paris, face à vous la butte Montmartre et le Sacré-Cœur, qu’il est admirable d’observer au coucher du soleil, vous n’êtes plus dans la capitale, vous pouvez rêver. En dessous de vos pieds, une vigne, c’est d’ailleurs au pied de cette vigne, rue des Chaufourniers que vous pourrez mieux vous rendre compte

de l’importance de cette colline. Une pente abrupte commence au niveau du trottoir, du moins c’est l’impression que l’on a, le vert de la vigne s’élève jusqu’à la végé-tation couvrant les murs de la villa qui se trouve face à vous, la nature se termine sur un firmament d’azur, une vision enchante-resse, une montée au ciel.

René MINOLI (texte et photos)

Si je suis proche de ma grande voisine verte et ouverte, moi je suis cachée dans un écrin comme un joyau à contempler. Mon accès ressemble à un château fort, dont la cour intérieure est insérée dans de hau-tes murailles. Je suis un village verdoyant et pittoresque protégé au centre d’une ville bruyante. Un poète faillit perdre la vie à quelques toises de moi, quelques siècles plus tard deux écrivains, un étranger et un français donnèrent leurs noms à la moitié de mes rues. Si Napoléon III est involontairement à l’origine de ma création, et que des sportifs ont foulé mon sol, phonétiquement je suis la gardienne de moutons atten-dant son Prince charmant. Mon beau prince, si vous ne m’avez pas reconnue il est grand temps que nous fassions connaissance, vous serez peut-être sous le charme en me voyant.

Promenez-vous à votre guise,

impossible de vous perdre

Découvrez-moi

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Quartiers libres

Les quartiers ne sont pas menaçants mais menacés et la jeunesse n’y est pas dangereuse mais en danger.

Pour tamèrantong!, la diversité, le métissage, et le brassage des dif-férences sont une vraie richesse et une vraie force.Spéciale dédicace à tous les quartiers debout, au théâtre vivant et à toutes les canailles qui luttent pour un monde plus juste.«Echec scolaire», «Violence urbaine», «Métissage culturel», «Ascenseur social»,

«France d’en-bas», «Périmètres obscurs»...A Tamèrantong! ça fait 15 ans qu’on est sur le terrain, et on n’a pas attendu les présiden-tielles. L’actu c’est ici qu’elle se fait.Pour montrer les « quartiers » sous un angle anticonformiste, pour montrer qu’on peut y vivre et y créer.

tamerantong, mars 2007

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Résumé des épisodes précédents :

Gafy est chargé par ses compagnons « Les guests » de la survie du groupe en trouvant une nouvelle source d’énergie car un mangeur de lumière les menace. « Les guests » vivent dans un monde parallèle au notre et se déplacent par télépathie1 grâce à la lumière. Lors d’un voyage dans notre monde, Gafy rencon-tre Lisa, une petite fille de 10 ans, habi-tante de Belleville. Il se présente et lui explique comment se déplacer par télé-pathie. Lisa accepte de l’accompagner dans son monde.

Episode N°6 : L’arrivée de Lisa

Après de longues minutes de si-lence et de flottement, Gafy de-mande à Lisa d’ouvrir les yeux. Elle n’en revient pas. Elle se trouve dans un monde qu’elle ne connaît pas.- C’est incroyable! C’est incroya-ble! Je n’en reviens pas. Je suis chez les « Guests ».Gafy la regarde avec un large sourire.- J’ai voyagé grâce à la télépathie. Ce n’est pas possible.Lisa ne trouve pas ses mots. Elle ne sait pas quoi dire d’autre car elle n’a jamais vécu cela.-C’est extraordinaire !Gafy éclate de rire.- Je te l’avais dit.- Oui mais je ne te croyais pas. Je pensais que tu me racontais des histoires.- Tu me crois maintenant.- Oui mais je n’en reviens tou-jours pas.Gafy n’a jamais vu Lisa aussi en-thousiaste2, aussi heureuse.De longues minutes s’écoulent avant que Lisa ne réalise quelle

est bel et bien dans le monde des « Guests ».Petit à petit, elle prend conscience de ce qui l’entoure. Avec un air hébété3, Lisa regarde autour d’elle. Elle s’aperçoit qu’elle est entourée d’arbres qu’elle ne connaît pas. Elle se trouve dans une clairière.Gafy lui propose de rencontrer ses compagnons.Lisa accepte de le suivre. Elle sait désormais que Gafy ne lui dit pas n’importe quoi.

Ils avancent ensemble dans la fo-rêt. Gafy lui tient la main.- N’ai pas peur, lui dit il.- Non, non, je n’ai pas peur, lui répond-elle, à peine rassurée.Gafy sourit en continuant son chemin.Il sait dans quel état est Lisa car il lit dans ses pensées mais Lisa l’a déjà oublié.

Ils marchent ensemble de longues minutes.Sur le chemin, Lisa aperçoit un animal étrange.- Gafy regarde.C’est une sorte d’oiseau à trois pattes avec des écailles.Gafy tourne la tête et aperçoit l’animal.- Oui, c’est un Duroi.- un quoi ?- un DuROI.Lisa s’arrête brusquement de mar-cher.-un DuROI, répète-t-elle bête-ment.A cet instant, elle réalise qu’elle est réellement dans un monde extraordinaire.-ça alors, personne ne voudra

croire ce que je viens de voir, s’exclame-t-elle.Gafy ne peut s’empêcher de pouffer4 de rire.-Mais Lisa, je te l’avais dit.-Oui mais je ne m’en rendais pas compte. Il est incroyable ce monde.- Et oui, c’est mon monde, le monde des « Guests »

Après quelques minutes, Gafy tire Lisa par le bras.-Il ne faut pas trop tarder car la luminosité va disparaître.-Comment cela, disparaître.-Oui, je t’avais expliqué, lors de notre première rencontre, que j’étais à la recherche d’une nou-velle source d’énergie car la notre s’épuise.

S’en est trop pour aujourd’hui, Lisa n’arrive plus à réfléchir.Elle suit Gafy sans ajouter un mot.Elle sait maintenant qu’elle n’est pas au bout de ses surprises.Il vaut mieux garder des forces pour pouvoir affronter la suite.

Suite dans le prochain numéroCatherine EBOULé

1. télépathie : Sentiment de communi-cation à distance par la pensée.

2. Enthousiasme : Emotion intense qui pousse à l’action dans la joie.

3. Hébéter :Rendre stupide.

4. Pouffer de rire : Eclater de rire.

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Nous donnons ici un fragment du dernier épisode du roman.

Arrivée à la station « Jaurès », au lieu de revenir par le quai de la Loire, Axelle des-cendit sur la berge du canal Saint-Martin.Elle avait toujours aimé cette prome-nade, silencieuse et tranquille, au bord de l’eau, cent fois parcourue avant, pendant et après Adrien; ce cadre de verdure, dis-cret, plutôt solitaire — c’est à peine si on entendait le bruit des voitures —, fami-lier presque, à cause du resserrement de la percée, de la proximité des deux ran-gées d’immeubles, certains très anciens, d’autres ultra-modernes, dont les fenêtres pouvaient se saluer d’une rive à l’autre par-dessus les arbres.Mais aujourd’hui? Le pittoresque, la séré-nité du paysage, lui faisaient mal. La mort dans l’âme et la rage au cœur, elle les ressentait comme une provocation, une insulte indécente. Elle suivit le canal, bordé de chaque côté de hauts peupliers d’Italie, filifor-mes, bientôt remplacés, après le pont Louis Blanc, par des érables et des plata-nes plus exubérants. Elle jeta un œil dis-trait aux anciens entrepôts de « Point Ephémères » et poursuivit vers les éclu-ses. Elle fut dépassée par « Le Canotier », une embarcation de la compagnie Paris Canal, qui faisait glisser sur une eau pai-sible sa cargaison de touristes, vers l’Arse-nal et le port de la Bastille. Elle détourna la tête pour ne pas avoir à répondre à leurs salutations expansives, et se dirigea vers l’écluse des Morts, entourée de son jar-dinet, où elle emmenait souvent jouer sa petite fille.Elle poussa jusqu’à la haute et grêle pas-serelle métallique, de style Baltard, qui enjambe le canal à proximité de l’hôpi-tal Saint-Louis. Elle la monta rapidement d’un pas saccadé, et arriva au point le plus élevé, hors d’haleine, tant elle avait forcé l’allure.

Au sommet de l’arche, en dos d’âne accen-tué, elle s’accouda à la rambarde. Le con-tact avec le fer glacé lui donna un frisson. Elle resta là longuement, hébétée, la tête vide, les mains crispées sur le métal froid, hostile. Elle regardait fixement l’eau glau-que, qui clapotait imperceptiblement con-tre les berges de pierre et où ondulaient à la dérive des feuilles mortes.Elle restait étrangère à la beauté de la vue : un des plus beaux sites fluviaux de la capitale, avec son petit air hollandais, la coqueluche des peintres et des met-teurs en scène amoureux du vieux Paris. Elle ne voyait plus les deux trouées ver-tes, en amont et en aval, qui faisaient un coude entre le jardin des Récollets, d’où parvenaient de joyeuses voix d’enfants, et les vieilles maisons pré-haussmanniennes qui se profilaient en direction de l’hôpital Saint-Louis.Elle fut saisie par une sorte de vertige : maintenant les feuilles rousses tour-noyaient perfidement sur le plan d’eau parfaitement immobile. Elle serra plus fort ses mains sur la rambarde et s’efforça de respirer profondément...

Soudain, elle leva les yeux, et aperçut sur sa droite, à travers le feuillage des mar-ronniers, déjà clairsemé par l’automne précoce, l’enseigne de l’Hôtel du Nord. un second tourbillon, de réminiscences cette fois, se produisit dans son esprit : « Hôtel du Nord », « Le Jour se lève », Marcel Carné, Jean Gabin. Et elle vit, avec une précision saisissante, là-haut, dans la man-sarde d’un très modeste hôtel de banlieue, François, l’ouvrier soudeur, meurtrier par jalousie, réfugié, barricadé, pris au piège comme un renard qu’on enfume dans son terrier, par les policiers qui cernaient l’éta-blissement et tenaient enfin leur proie. Il résistait avec un acharnement méthodi-que, mécanique, et, au fond, indifférent. Que pouvait-il lui arriver de pire après la lamentable débâcle de son amour?

Editions Scripta 2007

Le roman raconte l’histoire, au quotidien, de deux personnages, Axelle et Adrien, qui sortent l’un et l’autre d’une expérience antérieure éprouvante, et semblent avoir tout pour vivre une union heureuse.Adrien est organisateur d’expositions scien-tifiques pour la jeunesse. Axelle, assistante d’édition, est militante féministe et éco-logiste. Son engagement entreprenant et désintéressé lui vaut parfois des déboires.C’est ainsi qu’une malheureuse décon-venue passée rattrapera la jeune femme. Doit-elle avouer à Adrien que son ancien compagnon, Bertrand, s’est suicidé, bien après leur rupture, pour ne pas mourir... du sida ? Le silence de sa compagne et la han-tise, illusoire, de la contagion, inciteront son compagnon à prendre la fuite, quand il apprendra la chose par un pur hasard.Le récit explore, tantôt avec tendresse et émotion, tantôt avec lucidité et humour, les ballottements de deux êtres, pris entre un solide attachement réciproque et la défiance ou la rancune.

Pour toute information concernant le roman s’adresser à : Adelin FIORAtO, 45, Quai de la Seine, 75 019 PARIS. 01 40 38 90 82 [email protected] Corinne Lucas Fiorato

Arnaud Florand « Le mensonge d’Axelle »

On a lu Il s’agit du dernier ouvrage paru de Dane Cuypers. Nous aurions préféré lire « Les affo- lées » (nouvelles 2003) puisque « Parasols » (nouvelles 2001) et « Les aventures mysti-ques d’une toute petite fille » (roman 2004) s’inscrivaient, semble t-il, dans la tradition littéraire de qualité, comme nous avons pu en rendre compte dans Quartiers Libres.Ce dernier livre est un manuel d’écriture très utile, vraisemblablement, pour tous les animateurs des nombreux ateliers d’écriture existant actuellement.« Brillant, terne » pour employer un « oxy-more », nom barbare à la mode depuis quelques temps, (ou « oxymoron » » selon certains dictionnaires), désignant le rappro-chement de mots de sens opposé comme « cette obscure clarté », « ce silence assour-

dissant ». « Brillant », parce que très fourni en vocabulaire et en citations, « terne », parce que l’auteur n’y exprime pas son talent, mais ça n’était pas son propos…En quinze chapitres rassemblant différents élé-ments constitutifs de l’œuvre littéraire : nar-rateur, langage, sources de l’inspiration(le goût fait défaut parmi les cinq sens), gen-res (portrait, éloge, chronique, critique) et en proposant de nombreux exercices nous aide certainement à une meilleure compré-hension des textes et peut-être fait-on aussi se dévoiler des talents timides ou inconnus. Ces écrivains sauront-ils qu’ils utilisent des « paronomases », des « hypallages », des « épanalepses » ?... Et les nombreux journalistes et romanciers cités s’en sont-ils préoccupés ? J.H.

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Au hasard des pas…Promenade photographique dans le 19e arrondissement

Par un beau soleil de septembre, incitant à la baguenaude...et à la photographie, je suis parti en campagne à destination .... du Dix Neuvième arrondissement !

Mon dessein était de « tirer le portrait » du quartier, histoire de montrer la diversité de son habitat : vielles maisons accusant leur siècle et demi, petits pavillons perdus dans de luxuriantes végétations, immeu-bles bourgeois, maisons et cités ouvriè-res, blocs d’immeubles récents voués à la démesure.Le hasard de ma promenade en décida autrement : l’insolite de certains édifices, le voisinage du disparate et du singulier, voire du bizarre et de l’inattendu, les effets

perspectifs qu’a imposé le fort dénivelé du terrain, donc la perception indéfiniment renouvelée des points de vue, m’a fourni maintes occasions d’appuyer sur le déclen-cheur et de contribuer au côté aventureux de ma quête.Cette provende d’images n’est pas limita-tive, il s’en faut !Ce vaste arrondissement où voisinent des vestiges de l’ancien Belleville et du village de la Villette, a connu, en deux décen-nies de considérables mutations humaines autant qu’immobilières ; l’activité por-tuaire réduite au néant a entraîné, par voie de conséquence, la disparition des entre-pôts au long du Canal de l’Ourcq et du Bassin de la Villette, les abattoirs ont cédé

De gauche à droite, et de haut en bas :

Quatre balcons, suspendus dans

les airs, sur le flanc d’un gratte-ciel,

vigie devant le bas-sin de la Villette, quai de la Seine.

Au creux de la forêt vierge, des

voies ferrées qui ne mènent nulle part, sinon aux Buttes-

Chaumont.

Le halo inattendu du cliché donne

peut-être plus de mystère à

cette œuvre de la « Bouchée de

pain », perdue dans la courte rue de la

Fraternité.

Le porche de l’église

orthodoxe de la rue de Crimée…

une survivance de l’ancienne Russie,

dissimulée derrière un rideau

d’immeubles anonymes.

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la place à un parc, un musée, la Cité de la Musique et au Conservatoire ; la rue de Flandre, élargie, et sacrée « avenue » est dominée par les monumentales « Orgues de Flandre » : autant de mouvements de populations et de « changements de décors »Cette modeste enquête photographique ne peut qu’effleurer cette changeante réa-lité... et appeler d’autres manifestations du genre.Aux lecteurs de découvrir, avec un autre regard, leur paysage quotidien.

Michel BRUNEtSept 2006

De gauche à droite, et de haut en bas :

De la passerelle de la rue de Crimée ; la rencontre du bloc de béton, de la chè-vre metallique, de l’imposant système de levage du pont et de la silhouette des flux de signali-sation.

Rue Delesseux, ce singulier édifice dont on ne devine pas l’usage… n’est que le premier de toute une série, au long de la rue.

Les Orgues de Flandre ou le défi architectural aux notions de l’équi-libre.

Sur ce fragment de la rue de Crimée, entre les Buttes-Chaumont et la place des Fêtes s’étagent des édifi-ces de divers types et diverses épo-ques, accrochés à la villa Albert Robida, en escalier. Dans ses dessins fan-tastiques du Paris de demain, Robida avait-il prévu cet empilement d’édifi-ces de tous styles ?

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JOuRS HEuREuX À BELLEVILLE

La nostalgie des jours heureuxLorsque rides cernent les yeuxFait face du fond du cœurRemontant parfois sans douceur.

Aux folles années de nos printempsL’absinthe avait couleur de l’eauMais en bien plus revigorantPour la brûlure de notre peau.

Où sont passés les refrains tendresQue nous aimions toujours entendreToi et moi au coin de la rueEux aussi ont tous disparus.

Le gris que l’on roulait avant, un souvenir dénaturéL’a privé de son âcreté, Sa fumée jetée dans le vent.

Ce même vent qui emportaAmis au pays de l’absence.Pas d’avantage ne resta D’un air de guitare la présence.

Pareil au sable de la plageEntre les doigts glisse le tempsN’oublions jamais cette imageLes jours heureux en font autant.

Louis-Bernard PAPIN

L’ABRI DES ABuSGéNéREuX, MAIS… PAS TROPChics gens des beaux quartiersVous qui êtes à l’abri…et vous demandezEst-ce bien un homme que je viens de croiser ?Pitié pour les gueux, faites preuve au moins…D’un peu de générosité !Nul besoin de vous y inviter dites vousDonner à qui est dans l’embarras est dans votre natureA vous entendre vous ne rêvez… que de partage !

Pourtant…Dans ce bel élan où dans l’instant vous vous égarezQuelque chose souvent…Comme la voix d’1 conseiller qu’on ne peut qu’écouterVous dit :Ressaisissez-vous Braves gens…et gardez votre argent !Car à donner sans même compterDemain,Ne risquez vous pas de crever de faim ?Pareils à ce gueux qui pèle de froid en rongeant son freinSous un porche où la vie… obstinément l’écorche !

S’abîme qui veut dans semblable raisonnementMais que dire qui l’incite à changer à qui s’y reconnaît ?

Comme rebut abandonnéTenu pour déchet, pauvre et délaisséDans le tumulte assourdissant de l’indifférence communeSur un banc…affalé, au coeur de la villeune bouteille de mauvais vin à ma mainLe gueux triste et alcooliséCe n’est pas tant qu’il a faimN’ayant pour se nourrir…Que rognures putrides glanées au cul des bennes !Et…bien que les joues creuses et le ventre grinçantCe qui lui manqueCe qui lui manque surtout, qui lui manque avant toutC’est le goût de cet épice rare, fort et suave à la foisQu’on ne trouve plus, il faut croire…Qu’en terre lointaine !Lointaine ?...pourquoi lointaine ?Cette terre qu’on appelle…l’Amour !…sans bien la connaître

Gram ( Hiver 2006)

Nos poètes

Erratum QL 103 :Dans le n° 103, page 3, nous avons publié un poème de L. B. Papin, nous le prions de bien vouloir nous excuser pour l’erreur qui s ‘y est glissée.À BELLEVILLE PLACE DES FêTES, ligne 20 :Lire « le village a été rasé victime dela « modernité » et non de la « maternité ».

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En avril prochain, le président de la République Jacques Chirac procèdera à l’inauguration de la Cité nationale de l’his-toire de l’immigration, installée au Palais de la Porte dorée à Paris, là même où fut organisée l’exposition coloniale de 1931. Un palais qui devint en 1960, le Musée des Arts africains et océaniens, et qui a fermé ses portes avec la création du musée du Quai Branly. Conçue comme « un élément majeur de la cohésion sociale et répu-blicaine », cette Cité sera chargée, nous dit-on, « de rassembler, sauvegarder, met-tre en valeur et rendre accessible les élé-ments relatifs à l’histoire de l’immigration en France, notamment depuis le XIXe siè-cle et contribuer ainsi à la reconnaissance des parcours d’intégration des popula-tions immigrées dans la société française et faire évoluer les regards et les mentali-tés sur l’immigration en France ».

Des intentions louables à priori et des objec t if s af f ichés plutôt ambit ieux. Malheureusement, le choix de ce lieu constitue un scandale à plus d’un titre. D’abord, il symbolise l’une des pages les plus sombres de la période coloniale. Il faut quand même rappeler que les expo-sitions coloniales n’étaient autres que des manifestations à la gloire de l’empire colo-nial français, où les colonisés qui étaient au mieux des indigènes, et au pire des « bons sauvages », étaient exhibés comme des bêtes de foire pour amuser les Européens. Pour ce qui concerne notamment les popu-lations venues d’Afrique noire, il s’agissait de véritables zoos humains, c’est-à-dire des exhibitions racistes, comme l’ont très bien décrits les historiens Pascal Blanchard, Nicolas Bancel et Sandrine Lemaire1. Par ailleurs, l’immigration qui a commencé de façon massive en France au début du XIXe siècle, ne concerne pas seulement les anciennes colonies françaises. Les premiè-res vag ues d’immigrations étaient cons-tituées de paysans allemands fuyant la misère et la crise économique !

En assimilant ainsi l’histoire de l’immigra-tion à l’histoire de la colonisation, l’on con-tribue un peu plus à brouiller les choses. Sauf à considérer que l’Allemagne, l’Ita-lie, la Belgique, la Pologne, l’Espagne ou encore le Portugal, premiers pays d’immi-gration vers la France, bien avant l’Afrique noire et le Maghreb, constituaient alors des colonies françaises. Ce qui en l’occurrence n’est pas vrai. Il s’agit donc, plus vraisem-blablement, d’une façon détournée d’af-firmer consciemment ou inconsciemment, que, dorénavant, seuls sont considérés comme immigrés – terme à la connota-tion quasi-exclusivement négative désor-mais - tous les non-européens qui ont été colonisés ? Car en effet, ce lieu dont la

symbolique est pour le moins dégradante et négative, ne concerne que les anciennes colonies françaises. Pis, lorsqu’on sait que les stéréotypes, les clichés, les préjugés et la stigmatisation à l’encontre des immi-grés issus des anciennes colonies, tirent en grande partie leur force de la période colo-niale, l’on comprend mal comment un tel lieu peut contribuer à déconstruire toute l’imagerie héritée de la colonisation.

Rappelons d’ailleurs qu’en France, tou-tes les vagues d’immigration ont été confrontées à ces problèmes de stéréo-types, de discrimination, de xénophobie

et de racisme. Ce fut notamment le cas en France pour les Italiens, les Belges, les Polonais, les Juifs d’Europe centrale, les Espagnols ou encore les Portugais. L’on ne peut donc pas laisser entendre que le Palais de la Porte dorée, qui est un vestige de la colonisation, est le meilleur moyen de contribuer à la reconnaissance de la place des étrangers dans l’Histoire commune de France. N’était-il pas plus sain d’investir un nouveau lieu, avec une symbolique neu-tre, voire plus positive, afin de contribuer patiemment à ce long travail de décons-truction des imageries liés à tous les immi-grés sans exception, d’où qu’ils viennent ? Car en définitive, le choix du Palais de la Porte dorée semble plutôt révélateur d’un retour du refoulé, sur fond de regrets de la puissance perdue de l’empire colonial fran-çais.

Christian EBOULé

1. N. Bancel, P. Blanchard, S. Lemaire…(di r ) , “zoos Humains”, Pa r is , L a Découverte / Poche, 2004

Le retour du refoulé

Exposition Coloniale 1931 à ParisPhotos familiales MAA

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D’Equateur en FranceJ’étais médecin. Là-bas on n’est pas bien payé, mais je faisais un travail que j’aimais bien : chef de mission d’une association huma- nitaire qui s’occupait des Indiens, associa-tion qui recevait des bénévoles français. Je vis ici depuis 5 ans. J’ai toujours voulu faire de l‘acupuncture : j’ai trouvé une fac de médecine à Bobigny et je suis venu faire des études d’acupuncture. La première année, études de français. La deuxième année, études d’acupuncture. Mais à l’am-bassade c’est pas suffisant. Alors on a truqué les documents et l’ambassade a accepté.Le problème c’était pas le voyage, ni le visa, c’était le séjour. Parce que je ne connaissais pas le français. Mon amie (militante huma-nitaire française qu’il avait connue par son travail en Equateur) a eu une attitude spé-ciale, elle ne voulait pas me donner d’at-testation d’hébergement. Finalement la dame qui m’avait reçu à l’aéroport, je lui ai raconté mon histoire, j’ai habité avec elle un an dans un petit appartement à Clichy, elle m’a donné un matelas pliable et je dor-mais comme ça dans un coin.

Formation et travailPendant ce temps j’ai fait la formation de français à la Sorbonne. Je n’avais plus d’argent, j’ai dû chercher du travail, mais comme je ne parlais pas français c’était très difficile. Mon premier travail c’était comp-ter les voyageurs pour des entreprises de sondage. Après quand j’ai parlé français, j’ai déposé mon dossier chez Manpower, et j’ai commencé à faire de l’intérim comme aide-soignant.

J’ai atterri dans une clinique psychiatrique privée où j’ai trouvé quelqu’un qui s’est intéressé à moi et j’ai pu travailler en tant qu’infirmier.

J’ai dépensé tellement d’argent, j’ai telle-ment souffert, après avoir investi ce que j’ai investi , je veux au moins obtenir le diplôme d’acupuncteurJe ne pense pas repartir pour deux aspects : ici pour les médecins étrangers, si on fait les démarches pour obtenir l’équivalence du diplôme de médecin, on est bien payés. Dans mon pays, en 2001, le président a pris l’argent de tout le monde, on a eu 40 000 suicides. Donc je n’ai pas confiance dans le gouvernement de mon pays. Deuxième raison : depuis 5 ans, j’ai fait des liens, un groupe d’amis, un environnement

J’ai deux filles de 21 et 20 ans, c’est la dif-ficulté de les faire venir, parce qu’elles sont majeures.

Médecins étrangers en FrancePour obtenir l’équivalence, on s’est présen-tés, on était 3000 médecins, il n’y avait que 50 places ; pour le diplôme d’infirmier, on s’est présenté 1800 médecins, et il y a eu 30 places.Dans le milieu de santé, 60 % des person-nels, c’est des étrangers, parce qu’il faut travailler le week end, la nuit.Les relations avec les Français, je vois deux faces : quand les Français sont soignés ou ont besoin de nous, ça se passe très bien. Mais s’ils ne vous connaissent pas il y a une espèce de climat de discrimination, d’éloi-

gnement, de peur. Je pense qu’il y a dans la pensée de celui qui ne nous connaît pas : il vient profiter de nos richesses

Relations, amitiés, entraideJe ne côtoie pas la communauté équa-torienne ici, je n’ai que des amis fran-çais que j’ai connus en travaillant, ce sont des gens bien. Par exemple j’ai une collè-gue qui m’a appris le métier, qui est bien organisée, parce que les infirmiers doi-vent être bien organisés, elle tient à la qua-lité des soins, elle est aussi intéressée par l’aspect humain, elle a institué le café du matin. C’est une espèce de maman de tout le monde, elle vous appelle même les jours de repos, et ça part d’elle.J’ai des collègues algériens, tunisiens, marocains, libanais, chinois…on sort, on se fait un verre, un cinéma, on se passe des renseignements, parce qu’on est à peu près dans la même démarche. Un collègue m’a parlé de l’IFSI1 et j’y suis allé pour avoir le diplôme. En France, je suis infirmier.

Autorisation de travail et titre de séjourCe qui nous embête le plus, c’est la bureau-cratie parce que pour avoir un papier il faut faire des démarches pendant des semaines. Pour l’autorisation de travail, il faut dépo-ser toutes les fiches de paie (neuf) avec une attestation de présence. Des originaux avec le contrat de travail et le titre de séjour valable pour la période concernée. Et si vous voulez changer d’employeur, il faut adresser une lettre explicative plus une let-tre de l’ancien employeur. C’est l’OMI2, on n’a pas d’entretien, on laisse les papiers ori-

Alexei, médecin équatorien âgé de 45 ans, est en France depuis 2001. Sa femme et ses filles sont en Equateur. En France, il travaille comme infirmier. L’interview a été réalisée le 16 mai 2006.

AlexeiParoles d’immigrés (suite 5)Récits de vies recueillis par Elisabeth Crémieu

Sur le marché d’Otavalo

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ginaux et les copies, ils nous répondent par courrier. S’ils égarent un papier, on est fou-tus. Vous déposez aujourd’hui et vingt six jours après vous aurez l’autorisation de tra-vail. Une fois que vous l’avez, il faut passer un examen médical. Après il faut télépho-ner pour avoir un titre de séjour : si j’ap-pelle aujourd’hui (16 mai) j’aurai un ren-dez-vous en août.Le titre de séjour c’est neuf mois. Comme j’ai le diplôme d’infirmier, il faut l’enregis-trer, on a un numéro. Avec ce numéro on va à l’OMI qui vous donne un papier que vous devez faire signer à l’employeur, qui renvoie à l’OMI et vous aurez un autre titre de séjour, renouvelable tous les ans.On peut demander la nationalité française, je vais le faire, ça prend deux ans et demi.

La médecine en Equateur et en FranceCe sont deux médecines différentes, une qui s’appuie plus sur les moyens techno-logiques. L’idéal ce serait de mélanger les deux, utiliser la technologie quand il le faut Pour l’équivalence, je dois refaire la pre-mière année de médecine et refaire la der-nière année et les trois ans d’internat, cinq ans et avec la spécialité sept ans. J’ai 45 ans, j’obtiendrai mon diplôme à 52 ans.J’aime bien les métiers de santé, à côté de mes patients je vis, c’est très concret, c’est quelqu’un qui demande de l’aide, les résul-tats sont visibles.Dans le monde développé, mon diplôme de médecin n’est pas valable. Je voudrais faire de l’humanitaire avec un diplôme international.

On est vus comme si on était mal formés alors qu’il y a les mêmes défauts. C’est un a priori. C’est vrai qu’on n’est pas habitués à l’explosion des technologies. Ici on uti-lise le scanner pour tout, on fait des scan-ners pour des dépressions. Nous on essaie d’utiliser le moins possible les médica-ments parce qu’ils sont très chers, ici on utilise beaucoup les médicaments.91 % des maladies se résorbent toutes seu-les, c’est notre organisme qui résout le pro-blème. 9 % ne se résorbant pas. Dans ces 9 % beaucoup sont des maladies évitables en changeant son mode de vie, par exem-ple l’hypertension, le diabète.Le patient se fait prendre en charge.

NostalgieLa nostalgie, ça m’est arrivé deux fois. Je me suis dit : « je suis venu faire quoi ici ? mais quel con !C’est pas facile de venir, mais c’est pas facile de repartir. Retourner chez moi et dire quoi à ma femme ? »La deuxième fois c’était il y a quelque temps, j’en avais marre, ce qui me man-que le plus ici c’est que là-bas j’habite à 2800 mètres d’altitude …Là-bas on a des montagnes de 7000 mètres, ça me man-que beaucoup. La plupart de mon métier c’était à la campagne avec les Indiens, ça me manque…Ici on est plus isolés. Si notre envie c’ est de développer notre soi, c’est mieux dans les pays développés ; si notre envie c’est de développer le nous, c’est mieux là-bas.La joie c’est un piège pour faire pous-ser l’ego. La bonne question c’est pas : « qu’est-ce que je dois faire pour être heu-reux ? » c’est : « qu’est ce que je dois faire pour le mieux ? »

Le monde est divisé en deuxJe voudrais que mes filles aient la nationa-lité française, qu’elles aient un passeport français, qu’elles puissent aller là où elles veulent aller, parce qu’un passeport équa-torien, c’est pas un passeport.Le monde est divisé en deux parties, le ghetto et vous. Le tiers monde est un énorme camp de concentration avec la famine, la torture. Dans le monde déve-loppé, vous êtes des êtres humains.C’est vrai que (en Equateur) les militaires ne kidnappent plus les gens mais les mafias oui. Les partis politiques peuvent mani-fester, mais pas le peuple. Dans mon pays vous disparaissez, on sait plus jamais rien de vous. C’est pas un crime d’Etat, c’est ou les narcos, ou les mafias, ou les ban-quiers. L’Equateur est près de la Bolivie, la Colombie. En Equateur c’est là que l’ar-gent se blanchit. Dix millions d’habitants, 48 banques.Le Président ne boit pas l’eau potable du pays, il se fait tout apporter des Etats-Unis. L’Amérique latine est à la botte.

Il y a eu un article : l’Equateur, le pays d’essai ou des essais : des armes, du con-trôle de la population par la propagande, des politiques économiques, des systèmes

d’espionnage. tout ça est essayé d’abord dans mon pays.

Chaque fois qu’un leader commence à se détacher il disparaît. S’ils peuvent pas l’acheter, il disparaît.

La France et l’immigrationIl y a deux manières de s’approcher des êtes humains : pour les phagocyter ou pour leur apporter. Je suis encore en train de vivre mon expérience, je pourrai me voir vraiment dans le miroir de ma famille. Je suis dans la bataille pour réussir les épreu-ves, les papiers.

Je ne serai jamais un Français comme les autres.Les Africains au togo disent : « pour tout le monde il y a une place, mais ce n’est pas la même place ». Et c’est la même chose en France, les Français d’abord, le reste après.La France et toute l’Europe n’est pas accueillante, parce que les entreprises fer-ment, et les migrants affluent. C’est pas la France, c’est l’époque, mais dès qu’on commence le contact avec les Français, ça se passe bien. Si on parle des Français c’est pas accueillant, mais si on parle de chaque Français, ça dépend.Je suis d’accord avec Sarkozy sur cer-tains points : les Equatoriens qui viennent faire caca dans les avenues, les Algériens qui viennent cracher dans le métro, mais qui exigent que leurs filles se voilent, ça ne m’intéresse pas. Mais les Equatoriens, les Algériens, les Musulmans qui viennent apporter leur culture et s’intéresser à la cul-ture, ça m’intéresse.

Quand la France a accordé un visa à quel-qu’un, elle a le devoir de l’accueillir. Et c’est la meilleure chose qu’elle peut faire.

1. IFSI : Institut de Formation en Soins Infirmiers 2. OMI : Office des Migrations Internationales

Photos de l’équateur : Séverine Lacroix, www.aguila-voyages.com

Ce témoignage et ceux que nous avons précédemment publiés, est en ligne depuis janvier 2007 sur le site : www.abc-immigration.fr

La magie des volcans andins

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Le voyage de l’écriture

C’est quoi un atelier d’écri-ture ? Un lieu, un peu comme un bateau, où embarquent réguliè-rement des gens de tous âges et de tous profils pour faire ensem-ble le voyage de l’écriture, pour se frotter aux mots, comprendre leur pouvoir, apprendre un peu, beaucoup, passionnément, on verra ! les tours et les détours de cette magie-là.

Pourquoi écrire en atelier ? Pour sortir du journal intime, pour explorer son ima-ginaire, pour panser (et penser) ses bles-sures, pour raconter sa vie à ses petits enfants, pour être plus à l’aise en situation professionnelle, ou même dans l’espoir de publier un jour… toutes les motivations sont bonnes. Le seul moteur est le désir.

Comment ça se passe ? C’est tout simple. Un cahier, un bic. On écoute tranquille-ment, on n’est pas à l’école surtout pas ! ce qui vous est dit : un bout de poème, quelques lignes d’un texte ou pourquoi pas un morceau de musique. On prend note de la « consigne », la contrainte qui cadre, libère et supprime l’angoisse de la page blanche. Peut-être écrira-t-on sur les lieux où on a dormi, ou sur une mys-térieuse femme seule dans une île, ou bien sur cette porte qu’on vous avait pourtant bien dit de ne pas ouvrir, peut-être ira-t-on voir du côté du merveilleux ou des mauvai-ses pensées, ou encore il s’agira de choisir, parmi une série de phrases l’Incipit, c’est-

à-dire le début d’un texte qui ne demande qu’à éclore. Les femmes adorent : « Elle posa le bouquet sur l’oreiller » , les hom-mes choisissent volontiers : « Il eut un rire cassé et se tapa la cuisse droite » ! Peu importe, vous écrirez aujourd’hui ce que vous avez à écrire aujourd’hui. Vous y mettrez des morceaux de vous, de vos lec-tures, de vos émois, des éclats de vos colè-res d’enfant, une bribe de conversation saisie dans le métro, la fraîcheur d’une cas-cade en montagne, la nostalgie d’un chant sarde, la haine des sirènes, la menotte d’un bébé sur le visage de sa mère, écriture blanche ou au contraire du débordement, exploration des mots façon Michel Leiris, éloge de l’ordinaire à la Francis Ponge, écriture au vitriol ou franchement lyrique, fragments, contes, lettres d’amour ou de rage, petits récits, puis plus tard nouvelles ou peut-être prémices d’un roman, à cha-que séance sa teneur et sa couleur.

Donc on écrit ! Quinze, trente minutes, une heure, voire plus : le temps augmen-tera d’atelier en atelier. On écrit au plus près de soi et c’est fou comme on oublie tout. Mais stop ! c’est fini, il est temps de lire. Délicieux moment de partage où l’on apprend peu à peu à reconnaître la petite musique de l’autre et puis, sacré tournant, la sienne propre. Mais pourquoi j’écris toujours la même chose ? est une plainte récurrente dans les ateliers. Eh bien c’est bon signe ! Connais ton os personnel, disait l’écrivain américain thoreau : « Ronge-le, enfouis-le, déterre et ronge le encore. » Et le style dans tout ça ? On verra vite au fil des séances qu’il est lié au contenu et

qu’en travaillant l’un, on avance sur l’autre. Attention pourtant un atelier d’écriture ne navigue pas toujours en eaux tranquilles. Il faut tenir la barre et parfois ramer. Il y faut de la tenacité, de l’humour, de la modes-tie. Et de la gravité en même temps. Mais à écouter quatre fidèles des ateliers d’At-motsphère, le voyage vaudrait le coup.

Yvette, 67 ans

Elle avait huit ans quand sa mère est morte. De son enfance elle ne se souvient de rien. Il y a quinze ans, un soir, elle a com-mencé à prendre des notes sur les derniè-res 24 heures de sa mère. Pour ses 55 ans une amie lui offre un ordinateur. Depuis elle n’a jamais arrêté de se colleter avec les mots. En ateliers, en stage, en liaison avec un site. Yvette espère que son histoire sera un jour publiée, d’une façon ou une autre. En attendant elle travaille beaucoup, gour-mande de conseils, ne rechignant jamais à réécrire. L’écriture fait partie de sa vie : « J’ai à dire, c’est mon affectif qui est là-dedans ». Une nécessité qui n’exclut pas le plaisir : plaisir d’apprendre, plaisir d’être l’étudiante qu’elle n’a pas pu être jeune, plaisir de progresser. Yvette a ce qu’on appelle« l’énergie d’écrire ».

Mathilde, 29 ans

Elle est lectrice et scénariste et vient à l’ate-lier parce que ça la nourrit : « J’ai besoin et j’aime les contraintes : celles du temps ; celle du thème. Ici je suis servie ! Je me sers souvent des textes que j’ai écrits pour mon boulot, pour créer ou étoffer des person-

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nages de scénario. Récemment j’ai repêché un texte sur un poisson pour un projet de livre d’enfant. »

Gabrielle, 39 ans

Elle est journaliste. Elle a envie de sor-tir de ce style-là, carré, efficace. De trou-ver le sien. Plus il y a de contraintes dans la proposition d’écriture, plus ça lui con-vient. Gabrielle espère que cette pratique de l’atelier facilitera ses projets de livre,à la frontière de son métier et de l’écriture pure. « Déjà, dit-elle, ma façon de lire a changé : elle est plus fine, plus exigeante. »

Muriel, 52 ans

Elle est chef de projet culturel. Elle a beau-coup peint . « J’avais l’impression que la peinture m’avait pris mon langage, je suis repartie à sa conquête et ça me fait un plaisir dingue ! « Elle aime disposer de cet espace de liberté où elle peut lâcher son œil professionnel et critique. » Mais j’ai aussi envie, ajoute-t-elle, de sortir de l’in-nocence, de dépasser l’expression de soi, d’aller plus loin. »

Les ateliers d’Atmotsphère

« Atmotsphère quand les mots prennent l’air ! » ou l’écriture synonyme de liberté, d’un air vif qui réveille. Aux ateliers clas-siques viendront se greffer au printemps des jardins d’écriture dans le parc des Buttes Chaumont, un week-end d’écriture à la campagne et une randonnée d’écriture dans l’Aubrac.Ateliers réguliers les lundis soirs et samedis matins. Autres jours possibles.Cafés d’écriture destinés à ceux qui ont besoin de la rumeur du monde pour laisser aller leur plume. Cycle d’écriture dans des structures socia-les sur demande (voir l’expérience du centre Pauline Roland sur le site).

Dane CUYPERS

[email protected] site : www.atmotsphere.orgne pas oublier de taper le t !06 09 18 45 59/01 42 06 28 05

CassandreNous avons souhaité évoquer ici une revue, Cassandre, qui s’interroge sur les pratiques de l’art dans la société con-temporaine…

Cette revue existe depuis 1995. Son inté-rêt premier est d’offrir ainsi qu’ils le disent eux même « défrichage, analyse, com-mentaires venus d’autres champs que le seul monde artistique, une « nouvelle cri-tique » qui ne se contente pas de juger l’« objet » mais appréhende le geste de l’art dans une vision qui prend en compte la relation à l’histoire, aux publics et aux lieux. »« Depuis son premier numéro, Cassandre propose des entretiens avec des sociolo-gues, des philosophes ou des historiens, des dossiers thématiques sur des sujets peu ou superficiellement explorés - l’évo-lution des politiques culturelles, les nou-velles formes de résistance artistique, l’institutionnalisation-privatisation des «friches» et autres lieux alternatifs, le numérique et l’art - ainsi que des rubri-ques régulières sur la situation d’équi-pes artistiques à l’étranger, les portraits d’équipes, les parti-pris, les agora ouver-tes à des acteurs extérieurs,les chroni-ques... Le travail d’analyse et de critique n’est jamais neutre, mais relié au désir de voir l’art jouer un rôle actif parmi les hom-mes. Cassandre a réussi le pari d’être une « agora de papier « accueillant des paroles d’un haut niveau, sans craindre la polémi-que.Les lecteurs qui s’interrogent sur l’ave-nir de notre société ne se suffisent plus de revues confidentielles destinées à une « élite « ou, de l’autre côté, de magazi-nes traitant superficiellement de problè-mes graves lorsqu’ils sont à la mode. Il s’agit de développer un nouveau type de publication qui ne soit ni un magazine ni une revue au sens classique, mais un lieu éditorial d’un genre inédit qui per-mette au plus grand nombre de s’infor-mer sur des sujets a priori difficiles, mais dont la connaissance est essentielle à ceux qui sont concernés par l’idée d’une culture citoyenne. »1

On a ainsi pu découvrir un article passion-nant sur le « Local »2, dont nous parlions dans le n°103 de Quartiers Libres.

Cassandre choisit aujourd’hui d’interpeller les candidats aux élections pré-sidentielles sur la situation de l’art et de la culture, sur la notion de service public de la culture.

Voici quelques extraits de leur appel, qui se trouve en totalité sur leur site3.« … La France est le pays du monde occi-dental où, depuis la fin de la deuxième guerre mondiale, un certain nombre de combats menés par des acteurs de toutes sensibilités politiques, ont permis à un ser-vice public de la culture assez exemplaire de se développer.Ces outils culturels construits de haute lutte dans notre pays ne doivent pas être abandonnés. Ils doivent au contraire servir de courroie d’entraînement à une Europe qui ne se contente pas d’adopter une atti-tude suiviste par rapport aux états-unis d’Amérique. Dans le domaine de la démo-cratie culturelle et artistique, l’Europe porte des valeurs fondamentales qu’elle doit plus que jamais mettre en avant et notre pays doit être en première ligne. Jean Monnet le disait déjà, rapporte-t-on : « si c’était à refaire, je commencerais par la culture ».Il est essentiel aujourd’hui, face à une représentation européenne principalement soumise aux exigences de la rentabilité et au démantèlement programmé de nos ser-vices publics, de défendre avec force des valeurs, des méthodes et des institutions, qui protègent la culture et la circulation de l’art de l’emprise des critères marchands de l’actuelle « mondialisation ».La question de l’intermittence est essen-tielle… mais aussi celle de la respon-sabilité de l’état central en termes de politiques culturelles publiques, indépen-damment de toute ouverture à un secteur privé qui n’offre aucune garantie pour ce qui est de l’intérêt général.… L’absence de prise en compte de cette question majeure de civilisation nous mènerait à une perte de valeurs et à un affaiblissement irrémédiable. Cette démis-sion suicidaire nous rendrait incapables à l’avenir de défendre un point de vue non-marchand dans le domaine de la création et de l’esprit. Il est temps de prendre la mesure de cet enjeu… »

Cet appel est à signer en ligne.Cassandre doit d’être connue et soutenue ! I. A.

1 Extraits du CV de Cassandre sur le site internet de la revue, http://www.horschamp.org/.2 A Belleville, au carrefour des 10ème, 11ème, 19ème et 20ème arrondissements de Paris, Le Local est un lieu de création, de pratiques et de croisements artistiques animé par les artistes de l’association Ombre en Lumière qui présentent ponctuellement leur travail et convient d’autres artistes à venir présenter le leur.3 http://www.horschamp.org/

L’appel de

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Réseau 2000Offrir des réponses aux besoins informatiques des habitants et des associations du 19ème arrondissement

1 ménage sur 2 est connecté à Internet, le taux d’équipement informatique à domicile est en croissance constante et la France a plus que rattrapé son retard initial. Mais 1 ménage sur 2 connecté à Internet, c’est 1 sur 2 qui ne l’est pas. Et c’est à eux que s’adresse Réseau 2000. à tout ceux qui par manque de moyens ou de connaissance font encore partie de ce qu’il est devenu commun d’appeler les exclus du numérique.

Et les freins sont nombreux : coût encore prohibitif, méconnaissance de l’outil qui fait hésiter devant l’achat, manque de pra-tique qui fait douter de la nécessité, man-que de culture informatique qui fait se sentir perdu dans l’univers des nouvelles technologies, sentiment d’exclusion géné-rationnelle… Autant de freins qui con-cernent autant de publics qui bénéficient de l’action de Réseau 2000. L’association s’adresse aux demandeurs d’emploi, en leur offrant accès libre ou en leur proposant de participer à des chantiers d’insertion ; aux seniors avec des initiations gratuites qui leur sont réservées ; aux associations en leur proposant l’hébergement de leur site web et un soutien à la conception ; aux personnes non équipées qui souhaitent accéder à Internet ou encore à tous ceux

qui pour une raison ou une autre veulent découvrir les bases ou les nouveautés de l’informatique.

Réseau 2000 est une association de loi 1901 située dans le 18ème arrondissement, dont l’action est principalement centrée sur le 19ème arrondissement. Elle a à pré-sent sept années d’existence et connaît une croissance constante.Son objectif est la diffusion des nouvel-les technologies de l’information et de la communication. La lutte contre l’exclu-sion numérique et le soutien à tous ceux qui peinent à accéder aux savoirs ou aux moyens techniques informatiques sont les points centraux de son action. Ceci s’ex-prime par différentes réalisations et pro-jets, collant aux évolutions décelées et aux besoins évolutifs des exclus du numérique. Les freins changent passant de la simple inaccessibilité matérielle encore massive il y a quelques années, au retard culturel de ceux qui n’ont pas su saisir le train en mar-che. Les situations sont donc mouvantes et les besoins diffèrent ce qui mène Réseau 2000 à diversifier et adapter son action.L’association fonctionne avec quinze sala-riés mais aussi avec une trentaine de béné-voles indispensables. Les adhérents sont trois cents à ce jour et les bénéficiaires de ses actions sont chaque jour plus nom-breux. Les partenariats de Réseau 2000 sont nombreux, parmi eux notamment, la mairie de Paris, la mairie du 19ème arron-

dissement, la RAtP, les structures socia-les locales telles que la MDEE, l’ANPE, le Plie, les associations telles que Projets 19 et bien d’autres encore.

Historiquement, la première acti-vité de Réseau 2000 est l’anima-tion d’Espaces Publics Numériques. Espace offrant un accès à une ou plu-sieurs dizaines de postes informatiques et dans lequel peuvent se dérouler des for-mations. Réseau 2000 gère deux Espaces Publics Numériques : Quaiweb et l’atelier des réseaux.Ainsi, Quaiweb, installé au 47 quai de la Seine, 75019, dans l’Espace pour le Commerce et l’Artisanat propose des ini-tiations et des formations gratuites à l’in-formatique et à Internet. Ce lieu est gracieusement prêté durant le week-end par la mairie de Paris en échange de quoi, les animateurs de Réseau 2000 réalisent des formations pour les artisans et com-merçants les lundis. Le samedi, les ses-sions de formation sont dédiées au PC, à la navigation Internet, à la messagerie et à la bureautique. Les dimanches matin repren-nent les mêmes thèmes, mais sont réser-vés aux seniors. Les dimanches après-midi y sont organisées des animations autour des thèmes uniques participant de l’ac-tualité informatique ou correspondant aux demandes des bénéficiaires.À l’atelier des réseaux, situé au 47 rue d’Aubervilliers, 75018, au rez-de-chaus-sée du bâtiment hébergeant l’associa-

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tion, de l’accès libre alterne avec des ateliers. Un animateur est constamment présent et apporte son soutien aux utili-sateurs. L’adhésion annuelle varie de 10 à 20 euros selon la situation professionnelle. L’atelier des réseaux est ouvert en journée en semaine. Les ateliers sont au nombre de deux à trois par semaine et portent sur des sujets plutôt ludiques comme le mon-tage vidéo, la conversion audio, des bons plans du web… L’accès libre est princi-palement fréquenté par des demandeurs d’emplois qui peuvent faire leurs recher-ches sur Internet et imprimer annonces et CV. En juillet 2007, l’EPN va déménager et se situera à proximité de l’ancien dans un local neuf et équipé d’un plus grand nom-bre de postes. De nouveaux ateliers seront possibles, l’espace sera divisé entre un pôle d’accès libre et un pôle de formation.

La seconde activité est celle des chantiers-école et des chantiers d’insertion. Ces deux dispositifs d’in-sertion par l’activité économique sont des projets autour desquels travaillent dix à quinze personnes en insertion. Par ce biais elles reviennent à l’emploi en étant sala-riées de l’association, elles se forment et réapprennent les « savoir être profession-nels ». Ces actions visent à améliorer sur plusieurs plans l’employabilité de ses parti-cipants. Réseau 2000 fait dans ce domaine figure de précurseur puisqu’elle est l’une des seules associations à appliquer ce dis-positif à l’informatique. Ce pari, au départ risqué, s’est avéré réussi, les résultats de retour à l’emploi et de concrétisation des projets en attestent. Ainsi le chantier d’insertion Touareg, qui a connu deux sessions, a mené à la concep-tion d’un site web de tourisme alternatif dans le 19ème arrondissement. Celui-ci est

actuellement en ligne à l’adresse http://lavillette.des-gens.net et continue d’être alimenté par des rédacteurs encore en poste autour du projet. Il va continuer à s’étendre par le développement d’ateliers d’écriture dans les EPN (Espaces Publics Numériques) de Réseau 2000 autour du site et probablement aussi par la troisième session du chantier touareg.D’autres chantiers ont vu et verront le jour, comme Diniae, qui forme des assis-tants informatiques à domicile ou Digital Pathway Program qui forme à des métiers du multimédia.

Depuis mai 2006, Réseau 2000 a également un partenariat avec la RATP autour du Cyberbus. La RAtP met à disposition de l’association un ancien bus RAtP équipé de postes informatiques que l’association anime sur des journées d’actions. Généralement dans le cadre de manifestations plus larges, le Cyberbus est une base numérique mobile et modula-ble mettant en avant le propos de l’événe-ment. Il est intervenu aux 100 ans du bus de la RAtP en octobre 2006 où des liens vers les sites de la RAtP et de l’histoire du bus ont été proposés aux visiteurs. Il était également à Paris pour l’emploi en novem-bre 2006 où des liens vers les sites d’offres d’emploi, les sites de recrutement de gran-des entreprises, les sites d’information sur les métiers ou les formations ont été pro-posés aux participants du forum. Ils ont pu postuler en ligne. Réseau 2000 a par ce biais repéré des personnes méconnaissant l’outil et ayant besoin de formations qu’elle est à même de leur prodiguer. Le Cyberbus était aussi présent aux rencontres de la démocratie participative à Créteil. Le 11 février dernier, il était sur le parvis de la mairie du 19ème pour le forum des associa-

tions. Il y a offert de l’accès libre avec des sites sélectionnés par les membres de l’as-sociation. Des sites ludiques se mêlaient à des sites plus sérieux pour un panel de tout ce que l’on aime à Réseau 2000.Mais Réseau 2000, c’est aussi un pôle de ressource qui répond aux besoins exprimés par les associations et petits acteurs locaux du 19ème dans le domaine de l’informati-que. Et ce sur les savoirs ou sur les moyens techniques. Ainsi, l’association héberge des sites web associatifs ou de petits arti-sans. Elle aide également à la conception de site par de la formation ou du soutien ponctuel. Divers projets sont possibles et Réseau 2000 évolue aussi en fonction des nécessités et de ses possibilités.C’est cette volonté d’adaptation et de réponse à des demandes qui mène Réseau 2000 à fonder réseau 19, entreprise d’in-sertion d’assistance informatique à domi-cile. De plus en plus de particuliers, d’associations ou de petits entrepreneurs exprimaient le besoin d’une assistance à domicile ou au bureau. Assistance que Réseau 2000 avait la compétence, mais pas la structure d’assumer. Réseau 19 per-mettra de faire travailler des personnes en insertion et répondra à un besoin fréquem-ment exprimé.

texte et photos : Réseau 2000

Si devenir formateur bénévole dans les Espaces publics numériques vous intéresse, si vous cherchez un lieu où accéder à Internet, si vous êtes demandeur d’emploi, si vous voulez vous initier gratuitement, si vous avez un projet et avez besoin d’une expertise informatique, si vous avez besoin d’une assistance à domicile contactez Réseau 2000 au 01.40.35.54.01.

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Pour ceux qui ont raté l’épisode précédent (voir Q.L. n° 103, pages 28/29, REL 1 à 4):Elisa est une jeune femme de 27 ans. Elle a commencé sa thérapie en « Rêve Eveillé Libre »1 parce qu’elle ne parvient pas à construire un couple stable, et n’arrive pas à être elle-même sous le regard des autres. Ma proposition est de vous invi-ter à la suivre dans sa quête de mieux être. C’est en l’accompagnant dans ses aventu-res imaginaires que vous allez peu à peu comprendre comment opère cette fantas-tique méthode thérapeutique : Le « REL ». Cette fois, en plus des éclairages précé-dents, nous dirigerons notre projecteur sur le complexe d’Œdipe. Cette notion découverte par S. Freud énonce que tout enfant va, et même doit tomber amou-reux du parent de sexe opposé, avoir envie d’éliminer le parent gênant, et qu’il va en concevoir de la culpabilité jusqu’à ce qu’il retrouve les sentiments refoulés. Revenons à la cure d’Elisa. Souvenez-vous, après différentes péripéties nous l’avions laissée dans une situation périlleuse. Les derniers mots de son 4ème REL étaient : « Je tombe dans un trou, ça glisse. ». Que va trouver Elisa au fond du trou ? Va-t-elle comme Alice atterrir au Pays Des Merveilles ? Pas tout à fait, encore que…

Mais reprenons :

Les aventures d’ « Elisa Au Pays Du REL »

REL 5 : le 12/01/06Environ ¾ de page (extraits)« Je suis sur une île…c’est très scin-tillant… ». Lecteur ne sois pas déçu, car s’il ne s’agit pas du Pays des Merveilles, il s’agit de L’Île Mystérieuse ; je dirais même d’une î le magique et mystérieuse sur laquelle vont survenir des évènements étranges. Mais elle ne révèlera toute sa

magie symbolique que dans le 9ème et avant dernier rêve. Elisa est donc environnée par la Mer, cette Mer dont l’inconscient a fait un incontournable symbole de son homo-nyme : la mère. En effet dans ce rêve va se poursuivre le travail sur l’ANIMA2, la part féminine de l’être, maintenant dans son rapport direct à la mère de la rêveuse qui sera nommément présente dans ce rêve. Parallèlement, sa relation aux autres con-tinue d’évoluer:« Des gens, ils me font des signes de la main et me sourient… ». Par rapport au REL 1, il est clair que quelque chose s’amorce de la réconciliation avec les autres.«… Je porte une grande robe… avec des voiles. C’est doux, agréable et rond ». On est loin du « petit point figé » du REL 4 ; Elisa commence à intégrer son ANIMA positive.« On va dans la forêt, une jungle avec des lianes… une grosse araignée fait le tour de mon corps… Je vois ma mère, loin, sur un bateau avec des voiles blanches ». Comme dans les contes de notre enfance, cette Forêt c’est notre inconscient, le lieu où l’on va rencontrer ce que nous avons refoulé parce qu’enfant nous en avions trop peur, ici symbolisé non par le loup mais par cette grosse Araignée. Elle nous parle de l’image négative, effrayante de la mère. La Liane c’est le cordon ombilical que nous devrons tous couper afin de devenir adulte. Le Blanc, symbole de mort dans bien des traditions, rejoint le symbole de la Neige présente dans les REL 1,3 et 4. Il dit l’in-capacité à vivre ses émotions qui peut aller jusqu’à la mort d’une partie de l’âme.«…Je prends du sable, le regarde filer entre mes doigts. » Par ce simple geste, on sait que la dynamique de l’évolution par l’imaginaire progresse de façon significa-tive. Le rapport d’Elisa à sa mère évolue ; comme ces grains de Sable, tout va pou-voir se réorganiser autrement.« La plage, le lit défait, le miroir, un lus-tre en cristal. J’avance vers le miroir, je me

vois… »Elisa nous annonce qu’elle va enfin voir une partie d’elle-même jusqu’alors inconnue. tous les enfants et les poètes le savent, les Miroirs sont magiques, ils ne sauraient mentir (« Miroir, mon beau miroir, suis-je la plus belle… »), et ils n’attendent qu’une chose : « Je passe ma main dans le miroir, je vais de l’autre coté…». La rêveuse est pas-sée à travers le Miroir. Ici va s’accomplir le premier « franchissement de seuil » de la cure. C’est une des notions les plus impor-tante en REL. De même que dans le Miroir l’image reflétée est inversée, la rêveuse se donne à voir l’autre coté des choses, une part de vérité sur elle-même jugée jus-qu’alors trop douloureuse, ici la frustration d’amour maternel :« …c’est une forêt de bois mort, tous les arbres sont morts, sans feuille… nus, figés. ». Il s’agit de toute une zone morte de la psyché3. On peut d’ailleurs consta-ter que le paysage lui aussi exprime des valeurs inverses, entre la jungle proliféra-tion de la vie et la forêt de bois mort. Cette inversion s’explique physiologiquement par le passage de l’influx nerveux dans les cellules du cerveau à l’instant où est pro-duit le symbole1. Cette fois l’avancée réali-sée est irréversible. Et le travail sur l’image de la mère continue :« le chat, la sorcière… la lune en crois-sant… ». Le Chat, la souplesse, la dis-ponibilité au changement, la Sorcière évidemment ANIMA négative et la Lune en croissant au contraire puissante image de mère positive. C’est ainsi que procède le REL, par alternance de symboles oppo-sés, jusqu’à résolution complète. Ici l’avan-cée dans l’intégration de l’ANIMA positive est décisive, ce qui amène à la phrase suivante :« Dehors c’est grand soleil… Je danse… je suis très bien ». L’harmonisation de l’ANIMA à travers le croissant de Lune a favorisé celle de l’ANIMUS2, part mascu-line de l’être. Le Soleil symbole du père,

Aimez-vous rêver ? rêver éveillé ? rêver libre ?

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a perdu le caractère agressif qui lui était attribué dans les REL 3 et 4. A présent Elisa est prête à retourner dans le désert, à retrouver un de ces hommes voilés énig-matiques qu’elle avait aperçus dans son REL 4. Il va cette fois répondre à la ques-tion qu’elle se posait alors: « Je ne sais pas ce que je fais dans ce désert. »…« un Corbeau N…Je vois le regard de l’Homme Bleu…un Puits dans le Désert, il me montre le puits et me dit que c’est au fond du puits (Comme la vérité !) . Sans doute un seau avec de l’eau. Je le remonte et bois. Il rit et me prend dans ses bras… Je ris aussi ». Le Corbeau, oiseau alchimique, nous indique un début de cycle de transformation déterminant. Elisa grâce à l’Homme Bleu a trouvé ce qu’elle était venue chercher dans le Désert : l’Eau-ANIMA. La présence de ce prince du Désert signe aussi l’intégration de l’ANI-MUS, donc la réconciliation avec l’image paternelle, et invite à la réunification avec l’ANIMA, si évidente à travers les images de ce rêve. Préliminaires de réconciliation intérieur qui en amène une autre :«… Le chat, le couloir, la 1ère chambre… des gens qui portent un toast et chantent, ils sont heureux. Il ne neige plus dehors… Je porte un toast aussi, c’est du champa-gne. » Elisa reprend mot pour mot son 1er REL. Souvenez-vous : « Je me sens oppres-sée, il neige… une chambre. Je vois un chat dans le couloir des mains qui por-tent un toast… ». Nous avions noté son attitude passive, spectatrice. Elle se sen-tait alors oppressée. Aujourd’hui, à peine un mois plus tard elle porte le toast avec les autres, et en plus c’est du champagne ! Quelle belle image pour dire sa joie de participer enfin au bonheur partagé. Cette réunification entre les « opposés » mascu-lin-féminin de la psyché qui sont devenus complémentaires par la magie du symbole, favorise non seulement le contact avec les autres en général, mais aussi la rencon-tre avec l’homme dans la réalité et dans le contexte du couple. Affaire à suivre…

REL 6 : le 09/02/06Elisa me confirme durant le face à face du début de séance l’amélioration de son rap-port avec les autres et avec ses parents. C’est sans doute ce qui va lui donner la force d’affronter ce qui l’attend dans ce 6ème REL. Je vous le livre en intégralité :« Je me revois dans la maison de la plage, en face du miroir avec horreur : j’ai plein de serpents qui grouillent sur la tête, c’est horrible, hyper angoissant. La pièce est éclairée par des bougies, c’est la pénom-bre. Je mets la main sur le miroir, c’est comme de l’eau. Je prends un bâton et j’enlève tous les serpents que j’ai sur la tête. Ils tombent par terre se raidis-sent et meurent. Je prends une bougie et j’avance, il y a plein de toiles d’araignée. Je soulève des voiles et continue à avancer vers la plage. Ca va mieux, il y a la lumière du jour, je suis bien à nouveau. un bateau au loin. Je ne sais pas ce que c’est que cet endroit. J’ai une bougie à la main. Il y a du sable, du soleil, plein de lumière par-tout. Il y a encore des serpents, pas loin, nombreux. L’oiseau qui fait des ronds au-dessus. C’est un aigle. Les serpents s’en vont. Je suis très oppressée ». Elisa fond en larmes. Ce sont ses premières larmes en séance. Indice de l’ouverture de l’émotion-nel, elles confirment la dynamique de gué-rison de l’ANIMA.Ce 6ème REL pourrait avoir un titre résu-mant l’essentiel : La rencontre avec l’OM-BRE2, la part de soi-même refoulée car jugée « négative ». Pour comprendre ce qui se joue ici, il faut se rappeler le mythe Grec du personnage de Méduse : Elle fait l’affront à Athéna, Vierge Céleste, de s’unir à Poséidon dieu de la mer, dans son tem-ple. Il avait été séduit par sa longue cheve-lure, et était venu à elle sous la forme d’un oiseau. Athéna se venge en métamorpho-sant Méduse en un monstre dont la trop voluptueuse chevelure s’est transformée en serpents. Son regard aura le pouvoir de pétrifier tout être vivant qui croisera le

sien. Il faudra le courage de Persée, auquel Athéna prête son bouclier poli comme un miroir en lui recommandant de ne regar-der que le reflet du monstre, pour parvenir à lui trancher la tête. Notre patiente s’est forgée un symbole personnel à sa (dé)mesure. Nous ne pour-rons pas développer ici toute la richesse des corrélations entre sa problématique et le mythe (par ex. l’évocation très oedi-pienne de Poséidon sans doute symbole du père, la transformation en Méduse étant vraisemblablement le châtiment que la rêveuse s’inflige pour se punir de son désir à son encontre, désir incestueux venant nourrir son OMBRE.)Par la grâce d’un mythe et de quelques symboles, Elisa vient de réaliser la confron-tation avec l’OMBRE. Comme le héros du mythe elle a vaincu le monstre. Le Regard, le Miroir, les Serpents, la Mer, l’Oiseau se retrouvent dans les deux récits. Quand à la pétrification et à la métamorphose, nous savons que ce sont les deux éléments de base avec lesquels travaille le REL pour ramener à la vie ce qui s’était figé dans la problématique du rêveur. Notons égale-ment sa 2ème traversée du Miroir, cette fois de la pénombre à la pleine lumière.L’image symbolique est le langage des cou-ches profondes de la psyché. C’est pour-quoi elle transporte cette énergie créatrice de transformation absente du langage courant.Mais bien d’autres aventures fantastiques attendent notre héroïne dans ses REL. Alors ne manquez pas le prochain n° de Q.L. pour le « Happy End ».

Claire JOACHIM. tEL : 01 53 72 43 19

1. Voir Georges Romey (psychothérapeute, chercheur, écrivain, créateur du REL) : Rêver pour renaître, Robert Laffont ; Le Rêve Eveillé Libre, Albin Michel.2. Voir C. G. Jung : L’homme et ses symboles, Robert Laffont.3. Psyché : Ce qui concerne l’esprit,

Aimez-vous rêver ? rêver éveillé ? rêver libre ?

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Pour la création d’un cinéma de quartier

à Belleville

(1) Studio de l’Ermitage8 rue de l’Ermitage 75020 Paris. Mo : Jourdain ou MénilmontantBus 26 et 96

(2) La Forge de Belleville23-25 rue Ramponeau 75020 Paris. Métro : Belleville

Belleville en vue(s)Programme du 2e trimestre 2007

• Dimanche 22 avril 2007Studio de l’Ermitage (1)

Soirée spéciale élections

• Samedi 28 avril 2007La Forge (2)

Jeune cinéma polonais

• Vendredi 11 mai 2007La Forge (2)

Art Vidéo avec les artistes de La Forge

• Samedi 19 mai 2007Terrain de sports rue des CouronnesSéance de plein air

«Le bal des vampires» de Roman Polanski(avec le Conseil de Quartier de Belleville)

• Dimanche 3 juin 2007Studio de l’Ermitage (1)

« Jusqu’au Boo…llywood »

• Samedi 16 juin 2007La Forge (2)

Soirée autour du thème de l’Immigration(avec l’association Pavés et Manivelles)

Association loi 1901

01 40 33 94 [email protected]

www.bellevilleenvues.net

Installation dans le square des

Saint-Simoniensen 2006

60e anniversaire du Front populaire dans le square

du pavillon Carré-de-Beaudoin.

On attend la nuit. (IA)

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Jamais événement à Belleville n’a suscité une telle communi-cation : Internet, Radios, TV, Journalistes de Presse, mails, etc… Oubliés les 50 ans de l’Eu-rope, le conflit USA/IRAN, le SIDA, la Tuberculose, les élec-tions présidentielles…La tentative d’arrestation par la police, devant une école de la rue Rampal, d’un parent « sans titre de séjour » accompagnant un enfant a mobilisé la popula-tion locale.Puis la convocation de l’ensei-gnante qui, dans son droit, était intervenue pour que la police ne procède pas à l’arrestation devant l’Ecole et en présence des enfants… a suscité une vraie campagne.Le Maire de Paris, Le Maire du 19e ont écrit au Préfet, les répon-ses laconiques et administratives n’ont convaincu personne.En pleine campagne électorale, les citoyens ont trouvé que c’était un peu gros ! ! ! ! ! !

SCANDALE à BELLEVILLE

un collectif de cinéastes a réalisé un film court pour faire connaître au plus grand nombre la détresse des enfants et des familles.LE RESF, Réseau éducation Sans Frontières, interpelle les élus et candidats à l’élection présidentielle.

SIGNEZ, FAITES SIGNER LA PéTITION NATIONALE« LAISSEZ-LES GRANDIR ICI ! »

On la trouve sur le site de RESF :http://www.educationsansfrontieres.org/spip.php?article4633

Programme du 2e trimestre 2007

• Dimanche 22 avril 2007Studio de l’Ermitage (1)

Soirée spéciale élections

• Samedi 28 avril 2007La Forge (2)

Jeune cinéma polonais

• Vendredi 11 mai 2007La Forge (2)

Art Vidéo avec les artistes de La Forge

• Samedi 19 mai 2007Terrain de sports rue des CouronnesSéance de plein air

«Le bal des vampires» de Roman Polanski(avec le Conseil de Quartier de Belleville)

• Dimanche 3 juin 2007Studio de l’Ermitage (1)

« Jusqu’au Boo…llywood »

• Samedi 16 juin 2007La Forge (2)

Soirée autour du thème de l’Immigration(avec l’association Pavés et Manivelles)

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Les Romanes

Chapiteau du Cirque Tsigane RomanèsAu niveau de 42-44 Boulevard de Reims, (à l’angle de la rue de Courcelles ) 75017 PARIS. Métro : Porte de Champerret Réservation : 01 40 09 24 20 / 06 07 08 79 36 . E-mail : [email protected]://www.cirqueromanes.com/

Spectacle du 7 Avril au 7 Mai 2007tarifs : 20 euros (adultes),15 euros (moins de 26 ans), 10 euros (moins de 12 ans), gratuit (moins de 3 ans).

C’est un cirque familial dans la tradition des cirques tsiganes itinérants, où tous, hommes et femmes et quel que soit leur âge ont un rôle.Alexandre, le père, descendant de la famille Bouglione, possède le seul animal de ce cirque, une chèvre. Et pour repren-dre le numéro que faisait son père avec un tigre… il met sa tête dans la gueule de sa chèvre. Alexandre écrit des poèmes, écrit des livres. Son épouse Délia, elle, chante et accom-pagne avec un beau trio de musiciens tsi-ganes, tous les numéros interprétés par les autres membres de la famille. C’est elle qui accueille, organise, car suivant la tradition ce sont les femmes qui dirigent. L’atmosphère est chaleureuse, vivante ; vous vous sentez bien et avez envie de revenir. M.A.A.