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Repousser les limites LA RUÉE VERS LES GAZ ET HUILES DE SCHISTE EN PATAGONIE ARGENTINE SYNTHÈSE / MAI 2014 LE CAS DE TOTAL

Repousser les limites - La ruée vers les gaz et huiles de schiste en Patagonie argentine (cas Total)

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Basé sur les témoignages et informations récoltées lors de missions terrains, et sur un travail d’enquête, le rapport "Repousser les limites - La ruée vers les gaz et huiles de schiste en Patagonie argentine" a été produit par les Amis de la Terre France, l’Observatorio Petrolero Sur, Les Amis de la Terre Europe et Milieudefensie (Les Amis de la Terre Pays-Bas). Il fournit une vision détaillée de la problématique de l’exploitation des gaz et pétrole de schiste en Argentine, et contient des études de cas sur trois entreprises : Total, Shell et Chevron. La présente synthèse en français inclut l’étude de cas de Total.

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  • Repousserles l imites

    L A R U E V E R S L E S GA Z E T H U I L E S D E S C H I STE E NPATAG O N I E A RG E NTI N E

    SYNTHSE / MAI 2014

    LE CAS DE

    TOTAL

  • 2 / Repousser les limites - La rue vers les gaz et huiles de schiste en Patagonie argentine

    Document dit par Les Amis de la Terre France en mai 2014. Coordination et dition : Juliette Renaud (Les Amis de la Terre France) Ike Teuling(MilieuDefensie) Antoine Simon (Friends of the Earth Europe). Rdaction : Diego di Risio et Fernando Cabrera (Observatorio Petrolero Sur).Communication et relations presse : Caroline Prak 09 72 43 92 65 / 06 86 41 53 43.Imprim sur papier recycl avec encres vgtales par STIPA 01.48.18.20.50. Maquette : www.onehemisphere.se Couverture : Torchage de gaz dans la province de Neuqun, Argentine. Observatorio Petrolero Sur

    La Fdration des Amis de la Terre France est une association de protectionde lHomme et de lenvironnement, but non lucratif, indpendante detout pouvoir politique ou religieux. Cre en 1970, elle a contribu lafondation du mouvement cologiste franais et la formation du premierrseau cologiste mondial Les Amis de la Terre International prsentdans 76 pays et runissant 2 millions de membres sur les cinq continents.En France, les Amis de la Terre forment un rseau dune trentaine degroupes locaux autonomes, qui agissent selon leurs priorits locales etrelaient les campagnes nationales et internationales sur la base dunengagement commun en faveur de la justice sociale et environnementale.

    Contact : Les Amis de la Terre France - 2B, rue Jules Ferry 93100 Montreuil tl. : 01 48 51 32 22 / fax : 01 48 51 95 12 / mail : [email protected]

    Cette synthse est issue du rapport Repousser les limites - La rue vers lesgaz et huiles de schiste en Patagonie argentine rdig en mai 2014 suiteaux missions menes sur le terrain par Les Amis de la Terre France etlObservatorio Petrolero Sur. La version complte du rapport inclut destudes de cas sur Chevron et Shell, en plus de celle consacre Total.Toutes les rfrences mentionnes sont disponibles en ligne sur le sitedes Amis de la Terre : www.amisdelaterre.org/rapportargentine.

    Ce rapport est publi avec le soutien financier de lUnion europenne, dans le cadre du projet Mobilise for Extractive Industries Transformation. Le contenu de ce document relve de la seuleresponsabilit des Amis de la Terre Europe, des Amis de la Terre Pays-Bas et des Amis de la Terre France, et ne peut en aucun cas tre considr comme refltant la position de lUnion europenne.

    Repousser les l imites

  • Repousserles l imites

    L A R U E V E R S L E S GA Z E T H U I L E S D E S C H I STE E NPATAG O N I E A RG E NTI N E

    SYNTHSE / MAI 2014

    Sommaire

    Repousser les limites - La rue vers les gaz et huiles de schiste en Patagonie argentine / 3

    A. LE CONTEXTE NATIONAL 7B. LES HYDROCARBURES NON CONVENTIONNELS :

    GILET DE SAUVETAGE EN PLOMB 9C. DES ZONES LIBRES DE FRACKING ? 11

    INTRODUCTION 4

    PRINCIPALES RECOMMANDATIONS 28

    LArgentine : RESERVOIR D HYDROCARBURES 6

    A. LE CONTEXTE PROVINCIAL 13B. LES PROTAGONISTES DE LA SCNE DES NON CONVENTIONNELS 14C. LES MOUVEMENTS DOPPOSITION AUX HYDROCARBURES

    NON CONVENTIONNELS 16

    NEUQUEN ET LE BOOM DES GAZ ET HUILES DE SCHISTE 12

    A. TOTAL ET LES HYDROCARBURES NON CONVENTIONNELS NEUQUN 21

    B. AUCA MAHUIDA, AIRE PROTGE OU SACRIFIE? 22C. TOTAL ET SON AVANCE DANS UNE RGION NON EXPLOITE 25

    Total et l avance non conventionnelle 20

    LE CAS

    DE TOTAL

    LE CAS DE

    TOTAL

  • 4 / Repousser les limites - La rue vers les gaz et huiles de schiste en Patagonie argentine

    INTRODUCTION

    Repousser les l imites

    1 On dfinit par hydrocarbures non conventionnels une srie de formations rocheuses: gaz ethuiles de schiste, tight gas, gaz de couche, sables bitumineux, ptrole lourd. Bien que lArgentinecompte diverses exploitations de formations de tight gas ainsi que des rserves potentiellementexploitables de gaz de couche, les objectifs de ce rapport (sauf mention contraire) se limiteront analyser les formations de schiste, puisque ce sont celles dont le potentiel est le plus important,mais aussi parce quelles impliquent ncessairement lusage de la fracturation hydraulique.

    2 Le rapport complet inclut galement deux autres tudes de cas, sur Chevron et Shell. Il estdisponible ici: www.amisdelaterre.org/rapportargentine.

    Lengouement pour les hydrocarbures non conventionnels (HNC) tels que les sables bitumineux, gaz et huiles de schiste1 aentran une nouvelle donne gopolitique dans le secteur du ptrole et du gaz. Sinspirant de lexprience nord-amricaine,dbute il y a plus de dix ans, plusieurs pays ont adopt des mesures en vue de valoriser cette nouvelle manne, dans un contexteo la production de ptrole brut conventionnel stagne. Les consquences de cette situation pour lArgentine sont considrablespuisque, selon lAgence amricaine dinformation nergtique (EIA pour ses sigles en anglais), le pays est une puissance mondialeen termes de ressources de schiste: deuxime mondial pour le gaz et quatrime pour le ptrole. Ainsi, la formation de ptrole etde gaz de schiste de Vaca Muerta, situe dans la province de Neuqun, dans le nord de la Patagonie est considre par cette mmeagence comme la zone exploitable ayant le plus grand potentiel en dehors du territoire nord amricain.

    Limportance de ces ressources a entran un immense intrtde la part des grands groupes industriels du secteur. Chevron,Total, Shell, ExxonMobil, Wintershall, Petrobras et biendautres ont commenc diffrents projets, et de nouvellesannonces sont faites chaque jour. Les divers acteurs,fortement concentrs, ont exerc une norme pression afindobtenir des changements lgislatifs en leur faveur, audtriment du bien-tre gnral de la population :augmentation des prix, promotion des exportations ettransfert des arbitrages des tribunaux dentreprisesimplants ltranger, entre autres.

    Par ailleurs, les importations croissantes de combustibles enArgentine, dues la chute brutale de la productiondhydrocarbures conventionnels, ont conduit larenationalisation partielle dYPF, lentreprise ptrolire la plusimportante du pays. Lintervention de ltat, allie latechnologie et lapport financier des multinationales, apermis cet engouement pour les HNC, en vue de perptuerune matrice nergtique qui repose quasiment dans sonintgralit sur les combustibles fossiles.

    Cette situation a aussi t rendue possible par les videsjuridiques, ainsi que par le manque de capacit rgulatrice deltat face la mise en place grande chelle du paquettechnologique connu sous le nom de fracturation hydraulique,

    donnant ainsi davantage de facilits des entreprises commeTotal, Chevron et Shell. Enfin, lavance des HNC est lie ladoption de rformes qui rduisent la consultation publiqueet la participation populaire. Cette tendance simpose avecune violence la fois implicite et explicite, qui ne laisse aucuneplace la recherche de vritables alternatives nergtiques ni lautodtermination de la population.

    Face ce constat, un grand nombre dorganisations ont lancdiffrentes initiatives pour mettre un frein lapptit desentreprises. Il ne sagit pas dune nouveaut, mais duneralit qui remonte un sicle dexploitation conventionnelledhydrocarbures, qui a laiss des passifs environnementauxflagrants. Nanmoins, ces initiatives se dveloppentaujourdhui plus grande chelle, et les demandes citoyennesse sont concentres sur les risques environnementaux, lesbnfices locaux insignifiants obtenus de cette renteptrolire, le manque de participation et de consultation,ainsi que sur la perte de souverainet. Les processus dersistance ont pris une ampleur nationale et aujourdhui, plusde 30 rgions se sont dclares libres de fracking.

    Le cas de Total, prsent dans cette synthse,2 illustrera lesimpacts que reprsente lavance de lexploitation des HNC, etla large palette de rsistances quelle suscite.

    Bassin de stockage deau sur un territoire mapuche Neuqun. Observatorio Petrolero Sur

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    Avec le dclin de la production de ptrole conventionnel, lescompagnies ptrolires ont tendu les frontires des activitsdexploitation dhydrocarbures aux HNC. Les ptroles brutslourds, le gaz de couche, le tight gas, le gaz et lhuile de schiste,entre autres, reprsentent une large varit de possibilitstoutes plus dangereuses, polluantes, et coteuses, le tout pourun rendement nergtique infrieur celui du ptroleconventionnel, qui est dj lui-mme une source dnergie auxconsquences dsastreuses.

    Une des principales techniques dexploitation des HNC est lafracturation hydraulique, fracking en anglais, un paquettechnologique dvelopp aux tats-Unis depuis 2005. Lafracturation hydraulique, pratique en Argentine, ncessite desmillions de litres deau et de produits chimiques (dont la plupartsont toxiques) par puits, ce qui entrane une forte occupationterritoriale et produit de grandes quantits deau de reflux. Cesoprations industrielles ont par consquent un impactconsidrable sur les populations locales puisquelles prsententun risque pour la sant, augmentent la concurrence pour laccs la terre, dtruisent conomies rgionales et infrastructures etportent atteinte aux cultures locales, entre autres.

    Pour limiter laugmentation des tempratures 2 C, seuil dupoint de non retour de la crise climatique, il est ncessaire delaisser la majorit des gisements dnergies fossiles connus dansle sol. Dans un tel contexte, lexploitation des HNC reprsente unnorme risque tant donn son fort impact climatique.Diffrentes tudes rvlent ainsi que le gaz non conventionnelest une nergie plus polluante que le gaz conventionnel etmme que le charbon, principalement en raison dimportantesfuites de mthane. La ralit dmontre quil nest pas possible deconsidrer le gaz de schiste comme combustible porteur dunnouveau modle nergtique plus soutenable, ni comme unsubstitut soutenable au ptrole ou au charbon, ce queprtendent les dfenseurs de la fracturation hydraulique.

    Les consquences dramatiques observes aux tats-Unis, paysqui a le plus expriment lutilisation de cette technique, ontfait natre une opposition massive la fracturation hydrauliquedans le monde entier. Entre les pays qui ont directement interditson utilisation (la France, la Bulgarie) et ceux qui ont mis enplace des moratoires rgionaux (Qubec, New-York, etc.), lesoppositions la fracturation hydraulique ne cessent de crotre.De la mme manire, larrive des HNC en Argentine a fait natreles mmes controverses et mouvements de rsistance.

    Les impacts des hydrocarBures non conventionnels

    Ces

    oprations

    industrielles

    ont un impact

    considraBLe

    sur la sant,

    dtruisent

    les conomies

    rgionales

    et portent

    atteinte aux

    cultures

    locales.

    LE CAS

    DE TOTAL

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    LARGENTINE : RESERVOIRDHYDROCARBURES

    1

    Repousser les l imites

    Yacimientos Petrolferos Fiscales (YPF), en tant quentreprise publique argentine, a dfini une logique particulire dappropriationde la rente ptrolire. Depuis sa cration en 1929, jusqu sa privatisation en 1990, elle a quasiment monopolis le march national,et a dvelopp un fort sentiment dappartenance chez ses 50 000 employs. Sous son impulsion, des villages entiers ont t crs,mais suite la privatisation qui a pris fin en 1999 avec lachat de 98 % des actions de lentreprise par Repsol ces villages ont subide profondes crises conomiques et sociales.

    La renationalisation partielle dYPF, concrtise en mai 2012,sest appuye sur un profond sentiment national ainsi que surune forte demande populaire. Nanmoins, lobjectif de cetterenationalisation, loin de viser le bien-tre social, a t defavoriser lavance des HNC, laquelle implique de nombreuses

    multinationales prives. Ainsi, nous prsenterons dans lapremire partie de cette synthse le processus derenationalisation, le contexte qui a favoris lexploitation des HNC,et les mouvements de rsistance qui sopposent ces avances.

    Installations dYPF dans le bassin de Vaca Muerta. Les Amis de la Terre France

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    La crise nergtique

    LArgentine a connu la fin dune longue priode dexcdent de sabalance commerciale nergtique : en 2011, le pays affichait undficit de 3,4 milliards de dollars. Ce qui tait prsent commeune nouveaut tait en ralit une tendance installe depuisdes annes : lnergie, qui reprsentait une partie infime desimportations avant 2002, est passe 12,7 % du total desimportations en 2011 (Prez Roig, 2013).

    Bien quun des lments qui explique la hausse desimportations soit laugmentation de la consommation (de 30 %entre 2001 et 2011), le point essentiel reste la chute continue delextraction dhydrocarbures, alors que la matrice nergtiqueprimaire3 de lArgentine se compose presque 90 % decombustibles fossiles, et en majorit de gaz.

    Ce dclin de la production obissait non seulement lvolutionnaturelle des gisements, mais aussi leur exploitation abusivequi a donn la priorit, jusque dans les annes 1990, au marchexterne plutt quau march domestique. De 1989 2001, cedcrochage se manifeste par une production de ptrole qui aaugment de plus de 66 %, tandis que lexportation a augmentde 300 %. En ce qui concerne le gaz, lexplosion a t enregistredurant les annes qui ont suivi la construction de gazoducsddis lexportation (Prez Roig, 2013).

    Ces volutions ne sont pas fortuites : elles sont lesconsquences dun changement de logique dans le secteursuite aux rformes nolibrales du dbut des annes 1990. Avecla privatisation, les hydrocarbures ont cess dtre considrscomme une ressource stratgique, et sont rapidement devenusune commodity valoriser sur les marchs financiers.

    3 Selon de Centre latino-amricain de recherche scientifique et technique, en 2011, le gaz areprsent 50,3 % du total de la matrice nergtique, et le ptrole 36,4 % ; le reste se rpartitentre lnergie hydrolectrique (5,1 %), les renouvelables (4 %), le nuclaire (2,9 %) et lecharbon (1,3 %) (Giuliani et al., 2012:2).

    Le contexte national

    LE CAS

    DE TOTAL

    La matrice

    nergtique

    de l Argentine

    se compose

    presque

    90 % de

    comBustiBles

    fossiles, et

    en majorit

    de gaz.Site dextractionconventionnelle sur le territoire de lacommunaut mapucheGelay Ko. ObservatorioPetrolero Sur

  • 8 / Repousser les limites - La rue vers les gaz et huiles de schiste en Patagonie argentine

    Le virage nolibral

    Le dmantlement des entreprises publiques (et notammentcelui dYPF) au dbut des annes 1990 a marqu unchangement brutal dans les provinces riches en ressourcesnaturelles. Certaines estimations soutiennent que presque 85 %du personnel sur un total denviron 50 000 salaris a tlicenci avec la privatisation dYPF (Muniz Terra, 2008).

    Tout au long de cette dcennie, les entreprises prives,principalement trangres, ont pouss ladoption de rformesvisant renforcer leur rle et leur donner les fonctions deplanificatrices, rgulatrices et gestionnaires de la ressource.Dans un mme temps, en libralisant le cadre politique deshydrocarbures, la sphre publique nationale sest vue dpouillede tout mcanisme spcifique de dcision stratgique etdappropriation de la rente. Par exemple, entre 1996 et 2001, surune rente totale de 15 642 milliards de dollars, les entreprisesptrolires sen sont approprie 50 %, ltat national 29,5 %, lesprovinces 12,7 %, et les raffineries et les consommateurs 7,94 %(Mansilla, 2007). Suite la privatisation, le march sestcaractris par des situations doligopole, avec une logiqueprdatrice base sur la maximisation des profits au dtrimentde lapprovisionnement long terme de la population argentine :exportation de grands volumes de ptrole, diminution drastiquedes investissements, atteinte lenvironnement et fuite descapitaux vers les maisons-mres.4

    En 2011, 83 % du gaz tait extrait par les cinq entreprises lesplus importantes Total, Repsol-YPF, Pan American Energy,Petrobras et Pluspetrol , et 72 % du ptrole tait extrait par lesquatre plus grandes entreprises internationales prsentes dansle pays Repsol-YPF, Pan American Energy (joint-venture formepar CNOOC, Bridas et BP), Petrobras et Chevron. En matire deraffinage, les quatre premires Repsol-YPF, Shell, ExxonMobilet Oil Combustibles (Secrtariat de lEnergie) concentraientpresque 87 % de lactivit.

    Par ailleurs, en ce qui concerne les provinces, le contrle du sous-sol leur ayant t transfr, elles sont devenues lesinterlocutrices directes des entreprises du secteur. Ce sont aussiles provinces qui ont hrit du rle de police des hydrocarbures ,tant en matire de production que de protection delenvironnement. Ce transfert de comptences a eu pourconsquence une dsarticulation au niveau national et unediminution de la capacit de ngociation : les petites provincesaux budgets limits doivent saccorder avec de grandesentreprises ptrolires. Les provinces, en manque de ressourcesfinancires et ayant besoin de palier leurs dficits budgtairesrcurrents sont devenues un allier permanent des entreprisesptrolires. Il est important de noter que les royalties principalimpt provincial sur le secteur se situent entre 12 et 15 % ensortie de puits. Ce pourcentage est un des plus bas du continent.

    4 Depuis 1991, YPF est devenu le plus grand exportateur du pays ( jusquen 2006, anne odes entreprises oprant dans le secteur du soja passent au premier rang). Ainsi, partir dumoment o Repsol est devenu lactionnaire majoritaire en 1998, le groupe a men unepolitique agressive de versement des dividendes en vue dtendre son processusdinternationalisation. partir de 2008, cette tendance sest accentue et lendettement estvenu sy greffer. Par exemple, en 2011, le taux de paiement des dividendes a dpass de 16 %le bnfice net alors que lendettement a augment de 26 % (Rapport Mosconi, 2012).

    Repousser les l imites

    Principaux producteurs de gaz en Argentine (2011 )

    Total

    YPF

    Pan American Energy

    Petrobras

    Apache

    Autres

    30%

    23%13%

    9%

    7%

    18%

    Principaux producteurs de ptrole en Argentine (2011 )

    YPF

    Pan American Energy

    Petrobras

    Chevron

    Sinopec

    Autres

    Source : Secrtariat dEtat lEnergie (Argentine), 2011.

    34%

    20%7%

    6%

    5%

    28%

  • Repousser les limites - La rue vers les gaz et huiles de schiste en Patagonie argentine / 9

    5 Le reste de la composition des actionnaires se divise entre le Groupe Petersen (25,46 %), lecapital flottant en bourse (17,09 %) et Repsol (6,43 %).

    6 Cette tude, qui porte principalement sur les pays importateurs, sinscrit dans le cadre desprogrammes tats-uniens qui visent tendre globalement les HNC, comme le programme duDpartement dtat appel Unconventional Gas Technical Engagement Program (di Risio, 2012).

    7 TCF = trillion cubic feets. 1 TCF = 28 milliards de mtres cubes.8 Aprs la crise conomique de 2001 et la forte dvaluation du peso, ltat argentin a distingu le

    prix local des ressources dhydrocarbures du prix international, et a fix une valeur decommercialisation interne. Ceci a permis lconomie de ne pas dpendre des fluctuationsconomiques du prix international, mais aussi lEtat de sapproprier une partie des bnficeslis lexportation : ltat national conserve la diffrence entre le prix international et le prix local.

    9 MMBTU = milliards de British Termal Units. 1 tonne dquivalent ptrole (toe) = 39,68 millions de BTU.

    La renationalisation dYPF

    Le dficit consquent de la balance nergtique explique lechangement dorientation adopt partir de 2012. En quelquesmois et avec un soutien populaire important, le Congrs de laNation a adopt la Loi de souverainet sur les hydrocarbures (N 26.741), fruit dune initiative gouvernementale. Entre celle-ci et son dcret dapplication (1277/12), le gouvernementnational a prtendu reprendre et centraliser les processus dedcision stratgique et politique sur le secteur.

    Cet ensemble de mesures juridiques entrane troischangements essentiels. Tout dabord, il dclare le secteurdintrt public national et consacre lauto-approvisionnementcomme objectif prioritaire. Ensuite, il enterre lensemble de loisqui donnait au march une capacit dautorgulation. Enfin, ilexproprie 51 % des actions dYPF,5 avec pour objectif de mener bien les principes recteurs de la loi : atteindre lautosuffisance.

    Cependant, la sortie de la crise mentionne plus tt a connu desvolutions surprenantes voire contradictoires avec lesprit quianimait (en thorie) initialement la renationalisation. Dunepart, au-del de la recherche dautosuffisance, lobtention dequantits exportables se dfinit comme objectif stratgiqueafin damliorer la balance des paiements. Dautre part, le statutde socit anonyme ouverte est maintenu pour YPF aveclobjectif associ de gnrer des dividendes pour lesactionnaires. Enfin, ltat promeut lassociation avec dautresentreprises, sans considrer ni leur origine ni leur caractre(public, mixte, ou priv).

    Par consquent, les conflits territoriaux tout comme les plaintespour dgradation environnementale nont pas t pris en compte,et llment crucial qui entra subtilement dans la discussion a tla possibilit de dvelopper les gisements non conventionnels.

    LE CAS

    DE TOTAL

    Malgr la difficult suivre la rapide succession des faits etactions concernant les HNC, lors de cette nouvelle tape, lesgrandes entreprises nont perdu ni le leadership ni la capacit imposer des objectifs atteindre. La sphre publique sadaptecomme elle peut et, dans le meilleur des cas, ngocie la rente.

    Premires annonces publiques

    La premire annonce qui introduit timidement les HNC danslagenda public a t faite en octobre 2009 via Repsol-YPF. Eneffet, lentreprise a annonc quelle investirait dans les gaz deschiste en commenant par le gisement Loma La Lata, situdans la province de Neuqun. Un an et demi aprs, lentreprisetats-unienne Apache ralisa le forage de son premier puitshorizontal multifractur, le premier en Amrique latine(Petrotecnia, 2011a). Un lment essentiel fut alors pass soussilence par les entreprises et la presse : ces deux projets setrouvent sur des territoires appartenant des communautsautochtones mapuche, respectivement Kaxypayi et Gelay Ko.

    En avril 2011, le projet a pris une autre dimension. Ce mois-l,lEIA publia une tude6 qui plaa lArgentine au troisime rang sur 32 pays, et derrire la Chine et les tats-Unis des payspossdant des ressources techniquement exploitables de gazde schiste avec un potentiel de 774 TCF.7 En juin 2013, lEIApublia une nouvelle tude, selon laquelle Vaca Muerta constituela zone exploitable des HNC au plus grand potentiel aprs leterritoire nord amricain.

    Bien que les consultants de lEIA aient t prudents, enaffirmant que les chiffres avancs dans ltude taient lersultat dune premire tape dtude encore superficielle etgnrale, les rpercussions sur lagenda du pays ne tardrentpas se produire. Ce brouhaha passa mme sous silencecertaines tudes qui remettaient en cause ce scnariodabondance en pointant notamment du doigt les risquesenvironnementaux inhrents lexploitation des HNC.

    Un cadre lgal sur mesure pour le secteur priv

    Le secteur des hydrocarbures nest pas seulement structur pas lespossibilits du sous-sol mais galement par les dcisions qui sontprises la surface Dans ce sens, lindustrie ptrolire a demand desmesures politiques qui dfendent son autonomie, et lui permettentdobtenir des augmentations des prix,8 comme condition ncessaire leurs investissements dans les HNC. En rsum, les orientationspousses par les entreprises ont t les suivantes :

    Hausse des prix et des subventions : travers diffrentsprogrammes, les entreprises ont russi obtenir desincitations fiscales et des subventions. Aujourdhui, lenouveau prix de vente du gaz est de 7,5 dollars le milliard deBritish Termal Units (MMBTU),9 cest--dire presque 300 % deplus que lancien gaz, en raison des subventionspubliques (Scandizzo, 2014). Le prix de vente descombustibles a aussi augment.

    Les hydrocarBures non conventionnels :g ilet de sauvetage en plomB

    Equipements sur le permis de Loma Campana, dtenu par YPF et Chevron. Observatorio Petrolero Sur

  • 10 / Repousser les limites - La rue vers les gaz et huiles de schiste en Patagonie argentine

    La sphre publique : YPF S.A.

    Le processus de nationalisation dYPF mentionnprcdemment a engendr de vifs intrts pour ledveloppement de lexploitation des HNC au dtriment deprogrammes de diversification des nergies et dudveloppement des nergies renouvelables.12 Par ailleurs,aucune avance na t constate sur le plan de la rgulationenvironnementale tant donn quaucune norme na t tablieau niveau national. La lgislation locale na pas non plus tadapte aux exigences internationales en ce qui concernelobligation dapplication de la consultation libre, pralable etinforme des communauts autochtones, sur les terresdesquelles diffrents types de projets sont prvus.

    Suite lexpropriation, YPF est devenue une entreprise mixtedirige par largentin Miguel Galuccio ancien cadre deSchlumberger, lune des principales entreprises de services dusecteur, spcialise dans les HNC. Selon le plan quinquennallabor par Galuccio, lobjectif court terme dYPF est larduction des importations, puis, moyen terme,lautosuffisance. Sur le long terme, lobjectif stratgique seracelui de transformer lArgentine en exportateur net dnergie .Afin datteindre ces objectifs, lentreprise sest engage amliorer les techniques de rcupration de gisements arrivs maturit, lever la capacit installe de raffinage, tendre lesfrontires des zones risque (onshore et offshore) et enfin, dvelopper massivement des gisements non conventionnels(OPSur, 4/11/2012). Ainsi, le plan quinquennal prvoit quen2017, les investissements dans les HNC reprsentent 40 % delensemble des investissements (YPF, 2012).

    Dans son ambigut, YPF na pas seulement agi comme unepasserelle entre ltat et les entreprises prives, dont lesrelations sont souvent difficiles. YPF a galement partag lavision du secteur priv sur diffrents objectifs : elle a stimul desprogrammes de subventions, laugmentation du prix la sortiedu puits, et du prix des combustibles. En association avec lesflux de trsorerie, cette stratgie lui permettrait unfinancement de presque 70 %. La part restante proviendrait,entre autres, de lassociation avec dautres entreprises, commecela a t le cas avec Chevron (OPSur, 4/11/2012).

    En consquence, YPF est lentreprise qui a le plus avanc entermes de forages, incarnant le fleuron du dveloppement desHNC. Comme nous le verrons par la suite, la grande partie desefforts sest tourne vers le Bassin de Neuqun (CuencaNeuquina), mme si dautres forages ont t raliss ailleurs,comme sur la formation D-129 du Bassin Golfo San Jorge.

    Baisse des cots : un des goulots dtranglement delindustrie est le besoin dune disponibilit constantedquipements pour les nouvelles oprations mener. Pourcela, limpt sur limportation de biens dquipement a tlev (et ce, dans une priode de restriction montaire olimportation est rigoureusement contrle pour tous lessecteurs et types de biens). Dans cette mme logique, ltatnational sest engag investir 1 milliard de pesosargentins10 dans linfrastructure routire et les services dansle nord de la province de Neuqun.

    Baisse des retenues aux exportations : depuis 2002, lesentreprises ont russi diminuer le pourcentage desvolumes exports qui revenait au gouvernement national.

    Annulation du litige avec Repsol : la renationalisationpartielle dYPF a gnr des recours juridiques de la part deRepsol. Divers secteurs11 ont alors tabli comme prioritaire larsolution du conflit afin de sassocier avec YPF. Rcemment,le gouvernement national a autoris le paiement Repsoldune indemnisation de 5 milliards de dollars en bonus.

    Cet ensemble de mesures et de demandes dsarticules a connu unvritable tournant en juillet 2013 avec la publication du dcretnational 929 qui a formellement valid le cadre juridique exig parles entreprises. Ce dernier a donn lieu au Rgime de promotion delinvestissement pour lexploitation des hydrocarbures pour les projetsqui prvoient un investissement suprieur un milliard de dollars. Lelien est facilement fait avec laccord pass entre YPF et Chevron,sign le lendemain de la publication du dcret, mais la porte decette mesure concerne lensemble du secteur, comme le montre laratification dun projet entre Total, Wintershall et PanamericanEnergy quelques mois plus tard (Infobae, 23/10/2013).

    Les points essentiels du dcret sont les suivants :

    partir de la cinquime anne dexploitation, lacommercialisation de 20 % des quantits extraites seracote au prix international, la fois sur le march externe etdomestique. La libre disponibilit de devises est autorise,alors quil y a un fort contrle des changes en Argentinedepuis 2011. Si ces 20 % sont exports, ils sont exonrs detoute taxe douanire.

    Il cre le statut de Concession dexploitation nonconventionnelle qui nexistait pas jusqualors. Par ailleurs,la cration de nouveaux permis dexploitation nonconventionnelle est rendue possible partir du dcoupagede permis existants ou de la fusion avec dautres permis dumme titulaire : les entreprises peuvent dbuter de nouveauxprojets dextraction dHNC sans nouvel appel doffre.

    Extension automatique des priodes de concession 35 ans,violant ainsi la loi sur les hydrocarbures qui les tablit unmaximum de 25 ans.

    Enfin, face lintensification des rsistances et des remises encause des bonnes pratiques de lindustrie, le secteur a lancce que le gouverneur de Neuqun a appel une guerre decommunication , base sur une campagne publicitaire qui acot des millions de dollars, dpenss en pages web, publicitsdans les mdias de masse, ou encore en brochures.

    10 Soit 135 millions deuros selon le taux de change de lpoque.11 Ceci inclut des actionnaires de Repsol comme La Caixa et Pemex.12 Par exemple, en 2006, le Programme de gnration de ressources renouvelables (GENREN)

    a t mis en place avec lobjectif datteindre les 8 % dnergie lectrique nationale en 10 ans.7 ans plus tard, les avances restent minimes (Clarn, 08/12/2013).

    Repousser les l imites

    Membres de laMultisectorielle contrele fracking Neuqun. Multisectorial contrael fracking

  • Repousser les limites - La rue vers les gaz et huiles de schiste en Patagonie argentine / 11

    Les hydrocarbures non conventionnels sont prsents commeune obligation salvatrice dans un contexte de crise qui nepermet aucune discussion de fond ni aucune critique sur lamise en uvre de leur exploitation. Ceci a cr une raisondtre ptrolire qui a subordonn les actionnaires tatiques laccumulation de capital du secteur priv, au dtriment dedroits et de garanties, parfois travers lusage de la force.

    Nanmoins, face cette situation, un contre-mouvement sestdvelopp afin darrter lavance de lexploitation des HNC etdouvrir des scnarios alternatifs. Cette rsistance, qui na faitque crotre depuis dbut 2012, a pu se construire grce unediffusion rapide de linformation et lorganisation dunmouvement socio-environnemental reposant sur des annes delutte. Comme nous le verrons dans le cas de Neuqun,lindustrie des hydrocarbures, comme ailleurs dans le monde,comptait dj dimportantes oppositions et dnonciations quiont servi de base aux nouveaux fronts et nouvelles articulationssur le plan environnemental, autochtone et conomique.

    Des zones liBres de fracking ?

    Une des stratgies centrales du mouvement a t ladoptiondordonnances municipales qui interdisent la fracturationhydraulique : depuis la premire en dcembre 2012 dans laprovince de Ro Negro, en Patagonie, plus de 30 autres ont djt adoptes travers tout le pays.

    Un des exemples les plus loquents de lapplication de cette raison dtre ptrolire a t la rponse qui a suivilinterdiction de la fracturation hydraulique dans la ville dAllen,province de Ro Negro. Dans cette rgion, berceau de laproduction de fruits et capitale nationale de la poire, il existaitune avance considrable des forages et des infrastructures ausein mme des vergers. La population organise enassembles, en chambres de producteurs de fruits, entre autres tait parvenue faire approuver lordonnance municipale.Quelques jours aprs, la province a dpos une requte pourinconstitutionnalit auprs de la Cour Suprieure de Justice, quilui donna rapidement raison au dtriment de la volont populaire.

    Les exemples dinterdiction, de mobilisations, dactionsjuridiques, etc. se multiplient et naissent de motivations diverseset varies. Ils montrent que la lutte contre le modle extractivistene se limite pas aux cologistes, environnementalistes ou auxdfenseurs de la conservation de la nature, et quelle ne sefocalise pas non plus seulement sur les aspects conomiques.

    Annes 1990

    Fin 2009

    2010-2011

    Dbut 2011

    Mai 2012

    Dcembre 2012

    Juillet 2013

    Rformes nolibrales et privatisation dYPF, entreprise nationale argentine historique, rachete parRepsol. Chute de lextraction dhydrocarbures associe une augmentation du volume export.

    Rforme constitutionnelle : le contrle des ressources naturelles est transfr aux provinces.

    Premire annonce de Repsol-YPF concernant les gaz de schiste.

    Alors premier oprateur gazier du pays, Total devient un acteur majeur des HNC, avec 11 permis, dont 6comme oprateur.

    Perforation du premier puits multifractur, par Apache.

    Une tude de lEIA classe lArgentine au 3me rang mondial du potentiel dHNC.

    Renationalisation dYPF avec des objectifs contradictoires dautosuffisance et daugmentation des exportations.

    Le statut de socit anonyme est maintenu et les dividendes aux actionnaires aussi. De mme, lespartenariats avec des multinationales trangres sont encourags, en vue de lexploitation des HNC.

    Premire ordonnance municipale interdisant la fracturation hydraulique.

    Dcret national 929 : Rgime de promotion de linvestissement pour lexploitation des hydrocarbures,octroyant de larges avantages aux entreprises.

    Le lendemain, un accord est pass entre YPF et Chevron.

    Chronologie

    LE CAS

    DE TOTAL

  • Le Bassin de Neuqun qui stend du Sud de la province de Mendoza jusqu lOuest de La Pampa, Neuqun et Ro Negro reprsente la principale rgion productrice dhydrocarbures dArgentine. Elle est lorigine de prs de 40 % du ptrole et de 50 % dugaz produit par le pays et cest essentiellement dans cette zone que sont dirigs les nouveaux investissements dans les HNC. Il estimportant de noter que 92 % des 124 640 km du bassin correspondent la province de Neuqun.

    Comme expliqu prcdemment, selon la lgislationargentine, les provinces possdent le contrle des ressourcesdu sous-sol. En dautres termes, ce sont elles qui sont encharge de lattribution des concessions pour les zonesdexploitation. Ces dernires annes, Neuqun fait face unediminution rapide des niveaux dextraction, principalementlie lpuisement de ses gisements arrivs maturation. LesHNC se prsentent comme la solution salvatrice et legouvernement a fortement soutenu leur dveloppement, touten faisant taire les fortes critiques. Actuellement, il existe 155puits de gaz et huiles de schiste, et il est prvu le forage de 323puits non conventionnels en 2014 (Rio Negro, 28/12/1013).

    Il ne sagit en fait que de la face merge de liceberg car ce quiest en jeu dpasse la volont et les objectifs de la province.Selon ltude de lEIA de 2013, des 802 TCF13 qui sont attribus

    lArgentine, 583 TCF seraient situs dans les formations de VacaMuerta et de Los Molles. Les premiers rsultats des industrielsannoncent de bons indicateurs de profondeur, paisseur (plusdu double de Barnett, la plus importante rserve exploitable degaz de schiste aux tats-Unis), richesse organique, maturitthermale, etc. Aussi, linfrastructure dj en place de par laproduction historique du bassin ptrolier rend possible unevalorisation rapide des ressources (Crdit Suisse, 2012).

    Dans cette seconde partie, aprs une description du contexteenvironnemental, il sera question de la particularit de laprovince de Neuqun, dpendante de la productiondhydrocarbures, et nouvelle terre des HNC, promus pardiffrents acteurs, notamment le gouvernement provincial.Enfin, nous analyserons les diffrentes stratgies de rsistances.

    12 / Repousser les limites - La rue vers les gaz et huiles de schiste en Patagonie argentine

    NEUQUEN ET LE BOOM DESGAZ ET HUILES DE SCHISTE

    Repousser les l imites

    2

    Aire naturelle protge dAuca Mahuida, Neuqun. Sergio Goita

    13 TCF = trillion cubic feets. 1 TCF = 28 milliards de mtres cubes.

  • Repousser les limites - La rue vers les gaz et huiles de schiste en Patagonie argentine / 13

    LE CAS

    DE TOTAL

    Laccs linformation publique en Argentine est unparcours du combattant, spcialement Neuqun, bienque ce droit soit garanti par des normes internationales, undcret national et la lgislation environnementale. Lesrapports environnementaux des puits non conventionnelsdcrits dans ce rapport ont t obtenus grce des recoursinitis par la direction des Aires naturelles protges, parune dpute provinciale de lopposition (Beatriz Kreitman),et par des personnes affectes par les activits de Total.

    Information puBlique inaccessiBle

    Paysage et gographie

    Au sein du territoire provincial de Neuqun, deux grandsensembles naturels peuvent tre distingus : un dans la rgionorientale, lautre dans la rgion occidentale. Dans la rgionorientale, qui couvre 50 % de la province, les faiblesprcipitations associes de fortes variations dune anne surlautre, causent des annes de scheresse qui mettent endanger la productivit des petits leveurs locaux et mapuche.Cest sur ce territoire que se trouvent les formations de schiste.

    Sur le plan hydrologique, il existe trois sources principales : lesfleuves Colorado, Neuqun et Limay. Le premier forme un bassinindpendant alors quau confluent des deux autres, lextrmitEst de la province, se forme le fleuve Negro. La somme des dbitsde ces fleuves place la rgion parmi celles au plus fort potentielhydrique du pays. Laridit de la province contraste avec le vert deses frontires o se concentre la majorit des populations.

    Dun point de vue gologique, dans le bassin, il existe cinq unitsgnratrices dhydrocarbures susceptibles de contenir du schiste :Precuyano, les parties infrieures et suprieures de la formationAgrio, et les deux formations les plus importantes, Los Molles etVaca Muerta, occupant plus de la moiti de la province (Chebli, etal, 2011). Vaca Muerta, la zone plus fort potentiel, possde unetrs faible densit de population : moins de trois habitants parkilomtre carr. Malgr tout, il sagit de la zone de la province quisest le plus dveloppe ces dernires annes, et ce,fondamentalement en raison de lactivit dextractiondhydrocarbures qui fait concurrence la production traditionnellede petit btail. Dans cette rgion, aprs les rformes librales et ladrgulation des annes 1990, lavance de la production a tconsidrable. Cest Vaca Muerta que se trouvent les gisements de

    Le contexte provincial

    Lactivit

    dextraction

    dhydrocarBures

    fait concurrence

    la production

    tradit ionnelle

    de petit Btail .

  • 14 / Repousser les limites - La rue vers les gaz et huiles de schiste en Patagonie argentine

    gaz les plus importants dAmrique latine dont celui de Loma de laLata dont loprateur est YPF , et un des principaux gisements debrut du pays (El Trapial), actuellement exploit par Chevron.

    Cration dune identit et dpendance nergtique

    Ltat national a consolid son pouvoir sur le territoire la fin du XIXme

    sicle au travers dinvasions militaires sanglantes contre le peupleMapuche. Les autochtones ayant survcu ont dvelopp diffrentesstratgies pour rester sur leurs terres : proprit individuelle,occupation prcaire des terres et mise en place de colonies collectives.En parallle, dautres groupes sociaux se sont installs dans la rgionau fur et mesure du dveloppement port par ltat. Depuis 1960, lapopulation a connu une croissance ininterrompue, principalementdorigine migratoire. En 2010, la province comptait 551 000 habitants.

    Depuis le dbut des annes 1960, le parti appel MouvementPopulaire de Neuqun (MPN) jouit dune hgmonie politiquesur la province puisquil a remport toutes les lections jusqumaintenant. Le MPN dfend un discours en opposition aveccelui du pouvoir central, ce qui a driv vers la constitution dune identit neuquine (Favaro, 2001: 19).

    Avec le dveloppement du gisement conventionnel de Loma la Lata,dcouvert par YPF en 1977, la province a dfini son image, clairementassocie aux activits dexploitation dhydrocarbures14 (Favaro, 2001).Aujourdhui, les royalties provenant de ce secteur dterminent unestructure conomique qui repose sur limportance dmesureaccorde au secteur des services, et notamment ceux de ltat,puisque presque la moiti des emplois sinscrivent dans le secteurpublic (Petruccelli, 2005). En 2008, 47,6 % du produit rgional brut dela province provenait du secteur extractif, et plus prcisment deshydrocarbures (Giuliani, 2013 : 135). En raison de la prdominancedes hydrocarbures, les spcialistes dfinissent lconomie provincialedenclave, puisquelle nimplique que des liens minimes avec dautressecteurs, une faible demande de main duvre, et des bnfices quisortent de la rgion, en accord avec la logique des multinationales,les oprateurs majeurs (Giuliani, 2011). Bien que les indicateurssociaux soient meilleurs que ceux dautres provinces du pays, lesingalits persistantes justifient que certains fassent le lien avec lanotion de maldiction des ressources naturelles .

    14 Cest en 1929 que du ptrole a t obtenu pour la premire fois dans la province, dans la zone o sesitue dsormais la ville de Huincul. Depuis, la place de lindustrie ptrolire na cess daugmenter.

    15 Selon des tudes de lUS Geological Survey (USGS) (Kappel y Zoltan Szabo, 2013) et deDownstream Strategies (Hansen y Mulvaney, 2013).

    16 Si la communaut scientifique a reconnu que ces risques sismiques taient faibles (mais pasinexistants) lors de lusage de la fracturation hydraulique, le problme est tout autre pourlenfouissement du flowback. Parmi plusieurs dizaines dautres cas, il a ainsi t tabli quen novembre2011, dans lOklahoma (tats-Unis), un tremblement de terre dune magnitude de 5,7 sur lchelle deRichter, ayant dtruit 14 habitations, avait t engendr par un projet dinjection de flowback.

    Repousser les l imites

    Dans un tel contexte, une confluence dacteurs, aux relationsparfois tendues, compose la trame de lexploitationdhydrocarbures de Neuqun qui promeut le dveloppementdes HNC : ltat National et les tats Provinciaux, les entreprisesmixtes majorit tatiques, et enfin, les entreprises prives(multinationales, et dans une moindre mesure, nationales).

    Ltat Provincial

    Le premier lment prendre en compte et mentionnauparavant, est celui des comptes provinciaux qui souffrentdune importante baisse en raison de la chute des niveauxdextraction : les royalties perues reprsentaient 46 % desrevenus courants en 2007 mais seulement 28 % en 2011(Giuliani, 2013 : 174). Malgr tout, ce revenu est vital pour lesfinances de la province. La promotion des HNC, accompagnepar la nationalisation partielle dYPF, a considrablementsoulag la province qui sest transforme en une des grandespromotrices de cette solution la crise nergtique .

    En rponse aux fortes critiques environnementales, la province deNeuqun a adopt un nouveau cadre normatif pour laproduction. Lutilisation de leau, lment central lors duprocessus de fracturation hydraulique, a t rgule en aot 2012lorsquont t signes les Normes et procdures pourlexploration et lexploitation des rserves non conventionnelles (Dcret provincial N 1483). Cette norme tablit lutilisation deausuperficielle et interdit lusage deau souterraine, moins quecelle-ci ne soit pas potable. Par ailleurs, elle impose la rutilisationdes eaux de reflux (flowback) ou leur injection finale dans unpuits artificiel. Dans le mme temps, le gouvernement alargement diffus des chiffres qui minimisent limportance deleau utilise pour lexploitation : seulement 0,1 % du dbit desfleuves de Neuqun serait utilis pour la fracturation hydraulique.

    Sous couvert de rassurer la population, ce dcret cre en ralit denouveaux problmes qui ont dj t analyss par diverses tudesscientifiques. Ainsi, seuls 10 % des quelques 15 millions de litresdeau utiliss pour chaque opration de fracturation hydrauliquesont ensuite ramens la surface dans le flowback.15 Quand bienmme cette eau abondamment toxique et corrosive seraitrutilise, les besoins en eau de cette industrie resteront donc trslevs. Par ailleurs, la question de lenfouissement du flowback estgalement sujette controverse car elle serait lorigine de risquessismiques inquitants, mme dans des rgions jusqualorssismiquement inactives, comme lont montr plusieurs tudesuniversitaires amricaines indpendantes (Keranen, et al, 2013 ;van del Elst, et al, 2013 ; Ellsworth, 2013 ; Sumy, 2014).16

    Les protagonistes de la scne des non conventionnels

    Production non conventionnelle dhydrocarBures Neuqun

    Ptrole non conventionnel Gaz non conventionnel

    0%

    2%

    4%

    6%

    8%

    10%

    12%

    14%

    16%

    18%

    20%

    sep

    -12

    oct-

    12

    nov

    -12

    dec

    -12

    jan

    -13

    fv-

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    mar

    -13

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    mai

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    juil-

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    sep

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    oct-

    13

    nov

    -13

    dec

    -13

    mois / anne

    Source : Ministre de lEnergie et des Services publics, province de Neuqun, 2014.

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  • Repousser les limites - La rue vers les gaz et huiles de schiste en Patagonie argentine / 15

    Les entreprises mixtes (publiques-prives)

    Afin de retenir la rente ptrolire sous une autre forme que lesroyalties, la province a cr une entreprise dnergie quifonctionne comme une socit anonyme : Gaz et Ptrole deNeuqun SA (GyP). Lentreprise a dj sign une joint-ventureavec lentreprise allemande Wintershall et elle a conclu unaccord similaire avec lentreprise brsilienne Petrobras.

    GyP se prsente comme un acteur central dont le principal capital estla possession de permis dexploitation.17 La province cherche doncplus de rentabilit et dispose de toutes les cartes du jeu : elle lgifre,sauto-attribue des concessions, se contrle, tire les bnfices de larente et rduit la participation publique. Mais quel type de contrlepourrait-elle sappliquer elle-mme dans un contexte o desdifficults budgtaires majeures exigent des niveaux de productionplus consquents ? Cette question est dautant plus importantelorsque lon ralise que GyP a directement attribu (sous la modalitde contrat direct et sans appel doffre) des concessions desentreprises comme Total, Shell, ou encore Pan American Energy.

    En exercice depuis peu, les nouveaux dirigeants dYPF sont partis la recherche dassocis, en vue de concrtiser leur objectif dedveloppement des HNC. Selon lentreprise, 150 puits ont dj tfors Vaca Muerta, tandis que 19 machines de forage sontactives dans la zone, et que la production journalire atteint plusde 20 000 barils de ptrole et de gaz (YPF, 18/02/2014).

    La premire grande victoire des nouveaux grants dYPF a t laccordavec Chevron via lequel est tabli un nouveau cadre lgal rpondantaux demandes des entreprises. Par la suite, des accords de moindreenvergure ont aussi t conclus, notamment avec lentreprise deptrochimie Dow. De plus, YPF a rcemment achet la totalit de lacinquime entreprise productrice de gaz du pays : Apache.18 Cetteacquisition lui a permis de rejoindre Total au premier rang dans laproduction de gaz dans le pays. Cette nouvelle configuration dYPFsest consolide puisquelle est lentreprise possdant la superficie laplus importante dans le Bassin avec 15 000 km.

    Au-del de ces changements, lentreprise ptrolire na pasobtenu les investissements esprs, ce quelle a justifi par lesactions entreprises par Repsol suite lexpropriation : lobby surdautres majors du secteur et demande de ddommagement de10 milliards de dollars auprs du Centre international pour lerglement des diffrends relatifs aux investissements (CIRDI). Enfvrier 2014, laccord finalement obtenu avec Repsol supprime,selon la perspective des dirigeants dYPF, les obstacles laralisation de nouveaux investissements (Telam, 25/02/2014).

    Par ailleurs, YPF, en articulation avec le gouvernement, cherche apaiser les critiques sociales, notamment au travers delinvestissement de plusieurs millions de dollars en responsabilitsociale et environnementale (RSE), qui passe principalement par desaccords avec le gouvernement provincial.19 Ce dernier a multipli lesannonces concernant la faon dont seraient dpenss ces fonds :achat de machinerie, investissement dans linfrastructure rurale,voire mme le financement dun laboratoire de police scientifiqueplac sous lgide du FBI (Neuqun Informa, 24/02/2014) ! Ainsi, tantles fonds ddis la RSE, que la grande campagne de publicit dYPFdiffuse dans tous les mdias, tentent de faire taire les critiques...

    Plus tard, en avril 2013, la province a modifi la Loi n1875 de Prservation, conservation et dfense de lenvironnement :cette modification rend plus flexibles les conditions pour leforage des puits dHNC ; elle remplace aussi lobligation deprsenter une tude dimpact environnemental par la ralisationdun rapport dimpact environnemental (Dcret provincialn422). Dans la pratique, ces modifications signifient, entreautres, llimination des audiences publiques. Ces deux dcretsmettent en vidence des rgulations qui rpondent davantageaux besoins des entreprises qu ceux des populations.

    La diminution de la participation publique durant lapprobationdes projets se conjugue avec la prcarisation du travail dontsouffrent les employs du secrtariat dtat lEnvironnementet au dveloppement durable. Cet organisme qui exerce le rlede police environnementale ne possde pas la capacitoprative pour raliser un contrle adapt. Actuellement, 131personnes travaillent au sein de cet organisme provincial, dont106 avec des contrats prcaires, cest--dire que leurs contratsdpendent de lhumeur du gouvernement Seuls les 25employs restants font partie de lquipe permanente .

    Cependant, lExcutif provincial doit rapidement actualiser unegrande partie de sa lgislation afin de ladapter aux HNC. Ainsi,tout au long de lanne 2014, le corps lgislatif provincialdbattra trois nouvelles lois (dont les propositions nont pasencore t officiellement prsentes aux dputs) : unenouvelle Loi provinciale des hydrocarbures , une norme de Protection environnementale pour lexploration etlexploitation de rserves non conventionnelles , et enfin, la loiqui a t prsente comme la grande innovation : le Rgime deresponsabilit sociale, environnementale et communautaire via linvestissement par les entreprises dune partie de la rentepour des bnfices environnementaux et sociaux.

    Ainsi, le gouverneur de Neuqun Jorge Sapag expose firementses victoires. Lors de son discours au Club du Ptrole, qui runitdes entreprises du secteur, il a soulign que dans sa province,400 puits dhydrocarbures non conventionnels ont dj tfors, reprsentant prs de 10 % de la production provinciale deptrole (Sapag, 12/11/2013). La norme qui rgulera cetteactivit na, par contre, pas encore t discute.

    17 Courant 2013, GyP possdait 73 permis, parmi lesquels 54 taient en activit : trois via ledroit de concession dexploitation et 51 via des permis dexploration (ministre de lEnergieet des services publics, 2013).

    18 Apache oprait en Argentine depuis 2001 et tait prsent Neuqun, Ro Negro, Tierra delFuego et Mendoza. Les exploitations des permis Anticlinal Campamento et Loma Negraaffectent des territoires autochtones. Aucune concession ne fut prcde dun processus deconsultation, comme loblige la lgislation internationale (Convention 169 de lOIT). En 2001, Gelay Ko (bloc Anticlinal Campamento), Apache fora son premier puits horizontal multifractur.Actuellement, sur le permis dEstacin Fernndez Oro (localit dAllen, Rio Negro), lentrepriseexploite des gisements conventionnels et non conventionnels (tight sands). La zone affecte estune des principales rgions productrices de fruits du pays. Sur le permis dAlto Verde (Mendoza)Apache a ralis des travaux de prospection sismiques sur des vignobles.

    19 A Loma Campana, Chevron et YPF se sont engags payer une somme denviron 350 millions depesos argentins la province au titre de leur responsabilit sociale et environnementale.

    LE CAS

    DE TOTAL

    Entre du territoire de la communautmapuche Gelay Ko,Neuqun. ObservatorioPetrolero Sur

  • 16 / Repousser les limites - La rue vers les gaz et huiles de schiste en Patagonie argentine

    Les oprateurs transnationaux

    Lorientation entrepreneuriale qui a suivi la privatisation deshydrocarbures Neuqun peut tre dcrite comme un tissumulti-acteurs, divers, fortement interconnects, et dont ladirection est largement concentre et centralise au sein dunnoyau dentreprises multinationales bases sur des stratgiesdployes chelle rgionale et mondiale (Landriscini, 2008).Dans le Bassin de Neuqun, les permis haute concentrationdhydrocarbures ont t attribus des entreprisesmultinationales, dont les plus importantes sont YPF, Petrobras,Chevron, Total et Pluspetrol. Dautres acteurs se dmarquentgalement en raison de la superficie quils possdent ; leursprojets dexploitation dHNC sont, par ordre dcroissant :Pluspetrol, GyP, ExxonMobil, Azabache, Pan American Energy,Wintershall et Shell (Crdit Suisse, 2012) (voir carte p.18).

    La courte histoire de Vaca Muerta est semblable celle dautresfrontires dexploration, o de petites entreprises parviennent ouvrir et valoriser des zones exploitables pour ensuite les vendre des majors. Ainsi, toutes les grandes entreprises du secteur (Shell,Total, ExxonMobil) ont achet des actifs ou augment leurparticipation partir de 2011, ouvrant ainsi le processusdinsertion de la rgion de Vaca Muerta sur les marchs mondiaux.

    Rien ne laisse prsager que lexploitation des HNC changera cepanorama. Les acteurs qui dfinissent lavenir ptrolier sont parconsquent les grandes entreprises ptrolires, qui emploientpeu seulement 10 % des travailleurs du secteur et dont lapolitique est guide par des intrts privs.

    20 Durant la ngociation de lexpropriation, nombreux furent les fonctionnaires quiquantifirent les dgts causs par Repsol. Guillermo Coco, ministre de lEnergie, delenvironnement et des services publics de Neuqun, estima ainsi 1,5 milliards de dollarsle passif social et environnemental de Repsol-YPF (Ro Negro, 14/05/2012).

    Repousser les l imites

    Lavance des non conventionnels ne tient pas compte desimpacts passs de lindustrie ptrolire.20 Neuqun, elle faitface lopposition de trois types dorganisations htrognes :les peuples autochtones, les mouvements socio-environnementaux, et les syndicats. Dans cette provinceptrolire par excellence, un tel degr de mobilisation contrecette activit productive centrale, qui fournit des emploisdirects ou indirects, est indit.

    Ainsi, le peuple Mapuche est un des acteurs historiques quientretient des relations conflictuelles avec les oprateursindustriels, en raison de loccupation de son territoire. Suite loccupation militaire de la fin du XIXme sicle, les communautsautochtones ont t dplaces vers des zones priphriques o,souvent, laridit rend la vie extrmement difficile. Nanmoins,pour leurs activits dexploitation dhydrocarbures, les entreprisesont eu besoin doccuper galement ce territoire jusqualorsmpris. Aujourdhui, selon un bilan ralis par lObservatoire desDroits de lHomme des Peuples Autochtones, plus dun tiers descommunauts de la province sont touches par diffrentsniveaux de conflit en raison de la concession de leurs territoirespour des projets dexploitation dhydrocarbures (Scandizzo, 2014).

    Un des cas emblmatique est celui des communauts Paynemilet Kaxipayi, dont le territoire est en partie situ sur le permisde Loma de la Lata (actuellement exploit par YPF), et qui a t,jusqu la fin des annes 1990, un des principaux gisements degaz conventionnel du pays. Il reste encore un des plusimportants gisements de gaz dAmrique latine. Les membresde la communaut ont commenc se mobiliser en 1996 autravers dactions visant dnoncer la pollution de leau potable,qui prenait parfois feu en raison des hauts niveaux de drivs deptrole prsents. Avec loccupation des installations, desmanifestations ou encore des demandes judiciaires, ils ontdbut une lutte qui continue encore aujourdhui. Un recourscontre ltat a mme t introduit et la plainte est arrivejusqu la Commission Interamricaine des Droits de lHomme,et en 1998, la province de Neuqun a t dclare coupable dene fournir ni les ressources en eau adaptes ni unenvironnement sain pour les communauts.

    Durant ce long processus, le laboratoire de lUniversit nationaledu Comahue Neuqun a refus de raliser les tests visant dterminer la qualit de leau afin de conserver le financementquelle obtenait de la part de Repsol-YPF. De son ct, le ministrede la Sant de la province a dissimul les premires tudes quiprsentaient des rsultats alarmants.21 De plus, plusieursoccasions, le gouvernement a refus de raliser des recensementsoncologiques de la population (Gavald y Scandizzo, 2008). Cestgrce une lutte collective que des tudes ont finalement pu tremenes bien, dmontrant limpact ngatif sur la sant descommunauts autochtones locales.22

    Les mouvements d opposit ion auxhydrocarBures non conventionnels

    Estimations futures de la productionjournalire d hydrocarBures Neuqun

    Source : Ministre de lEnergie et des Services publics, province de Neuqun, 2014.

    Gaz conventionnel Gaz non conventionnel

    50

    40

    30

    20

    10

    02013 2014 2015 2016 2017

    Mill

    ion

    s d

    e m

    3 /d

    anne

    Ptrole conventionnel Ptrole non conventionnel

    25

    20

    15

    10

    5

    02013

    18,0

    1,2

    16,8

    19,3

    3,2

    16,1

    20,1

    5,2

    14,9

    20,4

    6,5

    13,9

    20,6

    7,7

    12,9

    44,4

    5,7

    38,7

    45,0

    7,6

    37,4

    46,1

    11,1

    35,0

    47,0

    14,5

    32,5

    47,9

    17,9

    30,0

    2014 2015 2016 2017

    Mill

    iers

    de

    m3 /

    d

    anne

  • Repousser les limites - La rue vers les gaz et huiles de schiste en Patagonie argentine / 17

    Enfin, le dernier axe est celui des demandes syndicales qui fontpartie intgrante du mouvement dopposition la fracturationhydraulique. Les syndicats ont une exprience historique dersistance contre la mise en place des politiques nolibrales et,au sein de ce secteur se dtachent tout particulirement lesenseignants et les fonctionnaires qui se mobilisent massivement.

    Les diverses perspectives dapproches ont donn lieu uneconvergence de diffrents secteurs le peuple Mapuche, desorganisations qui luttent pour une vritable nationalisationdYPF et lappropriation de la rente ptrolire des fins sociales,des fministes, des syndicats, des partis politiques, certainssecteurs religieux, des tudiants, des intellectuels, deslgislateurs etc. au travers dactivits ponctuelles,dassembles et de rseaux, comme le rseau appel Multisectorielle contre la fracturation hydraulique . Bien queces liens ne se maintiennent pas toujours dans le temps et quedes ruptures soprent en raison de diffrends parfoisinvitables, les luttes continuent. Les faons de rsister lavance des hydrocarbures non conventionnels commealternative nergtique et de dveloppement varient :occupation de puits ptroliers, mobilisations massives, adoptionde dcrets dclarant certaines municipalits libres de fracking,prsentation de recours en justice, ou encore activitsinformatives (dbats, documentaires, concerts etc.).

    Il est important de souligner que cette avance ptrolire agalement des consquences directes sur lconomie desubsistance mapuche. En effet, celle-ci repose sur llevage dechvres or, dans une rgion sche o laccs leau et auxpturages est limit, cela est difficile. Lirruption des entreprisesptrolires sur le territoire implique galement des conflits pourle droit la terre et leau, louverture de chemins et de routespour le forage des puits, tout comme le dploiement de touteune infrastructure qui gnre dforestation et augmentation duprocessus de dsertification (Scandizzo, 2014).

    Cette situation a t explique par le Rapporteur spcial sur lasituation des Droits de lHomme et des liberts fondamentalesdes populations autochtones en 2012. Dans son rapport, ilsouligne linscurit juridique des peuples autochtones sur leursterres traditionnelles , notamment face des projets agricoleset extractifs. Il a ainsi port linquitude des communautsconcernant lutilisation de la fracturation hydraulique quil aqualifie de particulirement dangereuse (Anaya, 2012).

    La problmatique dpasse la ralit locale de ces territoires.Mandat par le gouvernement de Neuqun, le Programme desNations unies pour le dveloppement (PNUD) a dtermin que65 % du territoire provincial tait affect par lexploitation deshydrocarbures. Sur la base dun calcul gnral, les dgtsoccasionns entre 1991 et 1997 ont t estims 900 millionsde dollars. De plus, lanalyse montre que les 550 000 hectares lesplus affects concernent des permis dYPF (puis Repsol YPF etaujourdhui nouveau YPF), Prez Compac (puis Petrobras) etSan Jorge (puis Chevron), et sur cette zone, le passifenvironnemental a t estim 350 millions de dollars.Latteinte lenvironnement constate, tout particulirementsur les zones ptrolires, fut si grave que le gouverneur delpoque, Felipe Sapag, dcrta pour la premire fois dans lepays, ltat durgence environnementale (Sejenovich, 2012: 80).

    Nanmoins, les consquences nfastes pour lenvironnementsont peu peu tombes dans loubli et aucune mesure concrtena t adopte. En juin 2000, le gouverneur de lpoque, JorgeSobisch, a prolong de 10 ans la concession de Repsol-YPF Loma la Lata, motivant sa dcision par limportance de cette alliance stratgique prometteuse. Plus rcemment, commementionn plus tt, lExcutif provincial a rendu plus flexiblesles contrles environnementaux.

    Le deuxime axe de rsistance la perce des HNC est celui desluttes socio-environnementales (contre les mga-projetsminiers, les OGM etc.), qui durent depuis plus dune dcennie.Celles-ci sont organises en assembles, un modle demobilisation qui a merg lors de la crise argentine en 2001 ;des conflits qui en Patagonie et Neuqun ont connu de dursmoments de confrontation.

    21 Une des tudes, qui a finalement t diffuse, tablit par exemple que Loma La Lata adclench une srie complexe dimpacts environnementaux qui ont aggrav lesconditions de vie dj difficiles de ses habitants. Ceci en raison des 40 puits fors, des 37 kmdoloducs, 20 km dlectroducs et des 50 km de pistes datterrissage. De plus, ont aussi tmis jour des quantits considrables dmissions de gaz effet de serre (50 000 m3/jour),la forte contamination des sols, des fleuves ainsi que des eaux souterraines (Lisi, 1996).

    22 Ltude ralise par la socit de conseil argentine Umweltschutz en 2001 a trouv des tauxconsidrablement levs de plomb, cadmium, arsenic et de nickel quelle lie lexploitationdes hydrocarbures. De leur ct, Falaschi et dautres (2001) ont conclu que les donnesanalyses constituent un indicateur srieux des niveaux dexposition des lments commeles hydrocarbures en gnral, mais aussi au plomb et au mercure. Ils reprsentent unemenace srieuse pour la sant physique des populations, une situation dautant plus critiqueau vu de linaction du systme de sant provincial qui nie systmatique ces informations .

    LE CAS

    DE TOTAL

    Manifestation mapuche devant un puits conventionnel dApache. Observatorio Petrolero Sur

    Il ny a pas dedveloppement dansun territoire dtruit. ObservatorioPetrolero Sur

    Maison dans lacommunaut mapucheGelay Ko. ObservatorioPetrolero Sur

  • 18 / Repousser les limites - La rue vers les gaz et huiles de schiste en Patagonie argentine

  • Repousser les limites - La rue vers les gaz et huiles de schiste en Patagonie argentine /19

    LE CAS

    DE TOTAL

  • Prsent en Argentine depuis 1978, travers sa filiale Total Austral S.A., lentreprise a t le principal producteur de gaz entre 2009 et 2012, avecpresque 30 % du volume national (secrtariat de lEnergie de la Nation). Dans les champs Aguada Pichana et San Roque, situs dans la provincede Neuqun, 9 puits non conventionnels de gaz de schiste ont t fors. Ces permis sont les atouts majeurs de Total dans le bassin de Neuqun etreprsentent 56 % de sa production en Argentine. Son deuxime ple de production se trouve dans la rgion de la Terre de Feu, en Patagonieaustrale, o lentreprise exploite des champs onshoreet offshore. Par ailleurs, elle participe la construction de rseaux de gazoducs dans la rgion.

    Dernirement, lentreprise sest oriente de manire agressive versde nouvelles contres. Au-del de lexploitation de tight gas et degaz de schiste Neuqun, Total est aussi prsent en Uruguay oelle est loprateur de deux blocs dexploration (Total, 2013). Dautrepart, Total a annonc de grands investissements venir de lordre de

    1,3 milliards de dollars pour la construction de plateformes et depuits horizontaux offshore (El Inversor Online, 23/10/2013). Cesavances sont ralises non sans de profonds dsaccords et conflitsqui, comme nous le verrons, caractrisent lavance deshydrocarbures non conventionnels.

    20 / Repousser les limites - La rue vers les gaz et huiles de schiste en Patagonie argentine

    1 On dfinit par hydrocarbures non conventionnels une srie de formations rocheuses: gaz ethuiles de schiste, tight gas, gaz de couche, sables bitumineux, ptrole lourd. Bien que lArgentinecompte diverses exploitations de formations de tight gas ainsi que des rserves potentiellementexploitables de gaz de couche, les objectifs de ce rapport (sauf mention contraire) se limiteront analyser les formations de schiste, puisque ce sont celles dont le potentiel est le plus important,mais aussi parce quelles impliquent ncessairement lusage de la fracturation hydraulique.

    2 Le rapport complet inclut galement deux autres tudes de cas, sur Chevron et Shell. Il estdisponible ici: www.amisdelaterre.org/rapportargentine.

    TOTAL ET L AVANCEE NON CONVENTIONNELLE

    Repousser les l imites

    3

    Puits non conventionnel de Total, permis San Roque, en bordure de laire Auca Mahuida. Observatorio Petrolero Sur

  • Repousser les limites - La rue vers les gaz et huiles de schiste en Patagonie argentine / 21

    23 Les formations de tight gas font partie des hydrocarbures non conventionnels, qui, par leurfaible permabilit et leur porosit impliquent lutilisation de la fracturation hydraulique.

    LE CAS

    DE TOTAL

    Lentreprise franaise sest focalise sur lextraction de gaz, et aprsYPF, elle se situe au deuxime rang au niveau de la province deNeuqun o, selon le secrtariat de lEnergie, elle a produit plus de30 % de lensemble du gaz de la province en 2013. Elle obtientpresque la totalit de son volume via les permis dAguada Pichanaet San Roque, o elle opre depuis 1997 et o elle partage laconcession avec dautres grandes entreprises du secteur : YPF, PanAmerican Energy et Wintershall. Sur ces permis, qui se dmarquentcomme tant parmi les plus importants du pays en termes deressources, Total est parvenu obtenir de larges bnfices ainsi quedes modifications lgislatives : bien que le dlai dexploitation de laconcession tait cens arriver son terme en 2017, en 2009,lentreprise parvint le prolonger de 10 ans (jusquen 2027, dcretprovincial n 235), violant la Loi nationale sur lexploitation deshydrocarbures. De plus, lentreprise est galement prsente (dansune moindre mesure), sur les permis dexploitation Sierra Chata etRincn de Aranda, tout comme sur le permis dexploration VetaEscondida (tous oprs par Petrobras). Sur les deux premiers, deuxpuits non conventionnels ont dj t fors.

    Depuis 2011, la stratgie de lentreprise pour valuer le potentielde gaz de schiste a t de renforcer linfrastructure dj installesur des permis dexploitation connus, ainsi que dtendre lesdlais de concession. Ainsi, jusqu prsent, 4 puits ont traliss San Roque et 5 Aguada Pichana (sous-secrtariat desHydrocarbures et des mines de Neuqun), et il faut ajouter 7forages pour lexploitation de tight gas.23 Dans le permisdAguada Pichana, un investissement de 400 millions de dollars at annonc, pour deux projets pilotes de gaz de schiste (un degaz humide et un autre de gaz sec) qui impliqueraient 20 puitset lensemble de linfrastructure associe (La Maana Neuqun,10/10/2013). Total espre ainsi entrer dans la phase deproduction dici la fin de lanne 2014 (Total, 2013).

    Cependant, laccent mis sur les HNC par lentreprise a dpass cespermis traditionnels et sest tendu agressivement, avantmme les premires annonces concernant lexploitation de VacaMuerta (ralise par Repsol-YPF en 2010) sur la zone exploitable Neuqun : achat de participation, au dbut de lanne 2010, surles permis La Escalonada et Rincn Ceniza, suivi en janvier 2011par lacquisition dune partie des permis dexploitation Aguada deCastro, Pampa Las Yeguas II, Cerro Las Minas et Cerro Partido(Total, 14/01/2011). Jusqu maintenant, selon les informationsrvles par le Sous-secrtariat des Hydrocarbures et des Mines,Total aurait for et fractur 7 puits sur ces concessions. Enfin,lentreprise franaise vient de vendre 42,5 % des concessionsquelle possdait sur les permis La Escalonada et Rincn Ceniza Shell, tout en en restant loprateur avec galement 42,5 % (El Inversor Online, 31/03/2014).

    Total et les HNC Neuqun

    Total

    s est tendu

    agressivement

    Vaca Muerta

    avant toutes

    les autres

    entreprises.

  • 22 / Repousser les limites - La rue vers les gaz et huiles de schiste en Patagonie argentine

    Ainsi, Total est rapidement devenu un acteur majeur :lentreprise est passe de 5 11 concessions en quelques mois,et elle est loprateur de 6 dentre elles. titre de comparaison,actuellement, son aire dinfluence, de presque 5 300 km,reprsente un peu plus de 26 fois la taille de la ville de BuenosAires, ou encore 6 % de la province de Neuqun.

    Il est important de noter que lentreprise titulaire de cesnouvelles concessions est Gas y Petrleo de Neuqun (GyP),entreprise provinciale dont on ne connat ni le fonctionnementni les comptes. En effet, la signature de contrats avec lesoprateurs se fait sans information ni appel doffre public, cestpourquoi les conditions et limites imposes par Total (oudautres oprateurs) ne sont pas rvles dans leur ensemble.Au manque dinformation de la part des organismes publicssajoute le silence de lentreprise puisque Total ne communiqueen aucun cas sur les techniques dextraction utilises ni surltendue de ses contrats dans le pays. Les seules informationsdisponibles concernent ses investissements une chelleglobale, et se trouvent sur le site internet de lentreprise, enanglais. Sur la page argentine de Total, aucune informationconcernant ses oprations lors des phases dexplorationnapparat, et laccent est mis sur sa politique de parrainage,notamment dans le domaine sportif.

    Cette difficult daccs linformation et la gestion arbitraire deTotal ont clat au grand jour avec le puits non conventionnel dePampa Las Yeguas II, ralis lintrieur mme de lairenaturelle protge Auca Mahuida. Le Nord de laire doit djfaire face une exploitation de ptrole conventionnel avec desimpacts socio-environnementaux considrables. Le forage adonc provoqu une forte opposition sociale dont la visibilit arvl les nombreuses irrgularits du rapport environnementalprsent par lentreprise.

    24 Populations dorigine europenne habitant en Amrique latine, en opposition auxcommunauts autochtones dites originaires ou indignes .

    25 Personnes habitant la rgion et vivant principalement de llevage extensif, en se dplaantavec leurs troupeaux sur de larges tendues.

    Repousser les l imites

    Auca Mahuida, a ire protge ou sacrif ie ?

    Laire protge Auca Mahuida a t cre en 1996 (dcretprovincial n 1446), mais cest seulement en 2008, anne o estadopte la loi sur les Aires nationales protges (n 2594), questofficiellement ratifie lexistence de 11 aires naturellesprotges au sein de la province. Nanmoins, la politique deconservation nest pas la priorit du gouvernement de Neuqunqui est loin de lappliquer strictement, ce quoi sajoute lapression des activits extractives qui menacent ces rserves.

    Limportance de la conservation

    Laire naturelle protge Auca Mahuida constitue un des ensemblesles plus prcieux de la steppe patagonienne de par la diversit desmammifres qui sy trouvent. La rserve est extrmement riche etelle se compose despce qui sont trs rares ou ont dj disparudans dautres parties de la province. On trouve notamment une despopulations les plus importantes de guanaco (une espce de lafamille des lamas), des pumas, des renards gris et colors, des chatssauvages, des furets et notamment des furets de Patagonie, desmoufettes, des maras (espce de rongeur), des canards siffleurs, desgrands tatous velus ou encore des chinchilla. La faune de reptiles estmconnue et il est probable quil existe de nombreuses espcesendmiques de lzards dcouvrir. Des dizaines despces doiseauxont t recenses, parmi lesquelles les nandous (espce dautruche),dont la population a diminu de plus de 80 % dans certaines zonesde Neuqun. Cette aire naturelle est galement lhabitat naturel ducondor, dont les premiers nids dans la rgion ont t dcouverts il ya peu. Cest pourquoi, laire naturelle protge dAuca Mahuida a tdclare Zone importante pour la conservation des oiseaux, et ce partir dune initiative internationale mene par les associationsBirdLife International et Aves Argentinas.

    En ce qui concerne la flore, la rserve possde une vgtationarbustive, des prairies patagoniennes dans le district de Payunia,ainsi que des fleurs typiques des hauts plateaux andins. De plus,14 espces vgtales endmiques, dont laire de rpartition estrestreinte la zone de Payunia, ont t identifies.

    Par ailleurs, le Mont Auca Mahuida est un lieu de crmonie et derituels mythologiques traditionnels pour les habitants criollos24 etmapuche. Il existe par ailleurs de nombreux sites archologiqueso lon trouve la fois des ptroglyphes et des peintures rupestres.Dun point de vue palontologique, cette aire protge prsenteune forte probabilit dabriter des fossiles de dinosaures.

    Enfin, la rserve compte galement la prsence dhabitantsainsi que des puesteros.25 Environ 9 familles vivent dans cetteaire protge et leur mode de vie repose sur llevage de chvres.

    Flore Auca Mahuida. Sergio Goita

    Faune Auca Mahuida Chat de Geoffroy. Sergio Goita

  • Repousser les limites - La rue vers les gaz et huiles de schiste en Patagonie argentine /23

    LE CAS

    DE TOTAL

  • 24 / Repousser les limites - La rue vers les gaz et huiles de schiste en Patagonie argentine

    Il est important de noter que malgr les dommagesenvironnementaux passs et prsents causs par lindustrie,son expansion se poursuit. Les techniciens interviewssoulignent que cette tendance se fait de faon irrgulire etarbitraire, comme le montre la faon dont sont raliss lesrapports environnementaux (rdigs par des consultants payspar les entreprises elles-mmes). Les experts affirment que leurssuprieurs hirarchiques ne prennent pas en compte leurs avisconcernant les mauvaises pratiques des cabinets de conseil, quine ralisent pas de travail de recherche approfondi sur le terrainet se contentent dutiliser et de copier, sans faire la moindredistinction, des informations gnriques issues dautrestravaux. Les experts de la DANP mettent galement laccent surle fait que lorganisme qui a le pouvoir de contrler les activitsde laire naturelle protge, le secrtariat lEnvironnement etau dveloppement durable, approuve systmatiquement despermis de manire conditionnelle en raison du degrderreurs et de pices manquantes. Comme lexplique lavocatspcialis en droit de lenvironnement Juan Fittipaldi, impliqusur des plaintes visant Total, cette pratique va lencontre desnormes tablies par le cadre juridique en vigueur (loi Gnralesur lenvironnement), tant donn que les rapports peuventuniquement tre totalement approuvs ou totalement rejets(Ro Negro, 5/01/2013).

    En rsum, lautorit comptente ne met pas en application demanire effective la Loi sur les aires naturelles protges dontlobjectif est la conservation long terme de la biodiversit. Les politiques de vides juridiques et le manque de moyensfinanciers illustrent les problmes qui se posent pour les airesprotges dans un contexte de boom des hydrocarbures nonconventionnels en particulier, et des hydrocarbures en gnral. Ilest vrai que lexploitation des hydrocarbures existait avant lacration de cette aire protge. Nanmoins, depuis, il ny a euaucune remise en cause, bien au contraire puisque lexploitationne cesse de stendre sur laire. Car dfendre une politique deconservation juste et adapte impliquerait daffronter unconglomrat de forts intrts, ceux de lindustrie ptrolire.

    Ptrole et procdures arbitraires

    Ce bien commun protg que sont les aires naturelles protges setrouve donc face de nouveaux dfis parmi lesquels le plusproblmatique est celui du vide juridique qui les entoure. En effet,ce vide juridique rend difficile le travail mme de lautoritcomptente, la direction des Aires naturelles protges (DANP), ence qui concerne les diffrentes missions de contrle, mais surtoutde rgulation des activits extractives prsentes sur ce territoire.

    Tout dabord, la Loi cadre sur les Aires nationales protges nepeut tre applique car elle na jamais t assortie de son dcretrglementaire, ce qui aurait d tre fait dans les 180 jours qui ontsuivi son approbation, il y a 6 ans. Le projet de dcret envoy temps par lquipe technique de la DANP et qui interdit lesactivits extractives, entre autres na jamais t trait. Dautrepart, le Plan gnral damnagement de laire a t finalis en2000 mais na jamais t approuv par lExcutif provincial. Celagnre un autre vide juridique important puisque ce documentprvoit une extension de laire protge de 77 000 120 000 hectares,de faon atteindre ses objectifs de conservation, et il tablitgalement un zonage des activits au sein de cette aire naturelleprotge. Il sagit dun lment important car si ce plan avait tapprouv, les puits limitrophes, comme ceux raliss parExxonMobil, Shell et Total ces dernires annes, se situeraient lintrieur de la rserve Auca Mahuida. Enfin, ce vide juridiqueaccrot encore davantage le manque dinformation de la part destechniciens de la DANP qui ne peuvent pas accder aux rapportsenvironnementaux des permis qui entourent laire.

    cela sajoute un vritable manque de moyens. Le personnel dudpartement technique ne possde pas les ressourcesncessaires pour mener son travail bien, comme par exempledes vhicules ou du combustible. Lensemble de laire protgecompte seulement deux gardiens, dont un en contrat prcaire. Lecontrle des activits extractives ne fait pas partie de leurstches, et ils ne reoivent pas non plus de formation adapte.Malgr cette situation, interview par les auteurs de ce rapport,un des gardes a relat les alertes quil avait faites ses suprieursconcernant limpact environnemental que gnrerait le nouveaupuits non conventionnel de Total, notamment du fait quil setrouve sur la zone de nidification des condors. Desavertissements qui nont jamais t pris en compte.

    Bien que sa capacit daction soit trs limite, la prsence duncorps technique de la DANP permet de connatre la situationenvironnementale gnrale de la zone, contrairement lagrande majorit de la rgion. Au dbut de lanne 2012, unrapport de la DANP a comptabilis 11 concessionsdhydrocarbures qui affectent directement Auca Mahuida. Ilexisterait au total plus de 69 puits - dont 6 sont situs sur lazone thoriquement intangible - ; ces puits saccompagnentdun ensemble de linfrastructure et de routes de plus de millekilomtres qui affectent la faune et la flore censes treprotges. Les entreprises impliques, comme titulaire ouoprateur, sont les suivantes : YPF, Shell, Total, ExxonMobil,Wintershall, Pan American Energy, GyP, Medanito (dont lescapitaux sont nationaux mais proviennent aussi de la Banquemondiale) et EOG Resources. Lors de linspection ralise dans lecadre de ce rapport, des infractions ont t constates sur laquasi totalit des puits, et il a donc t exig des entreprisesquelles mettent en place des mesures concrtes pour rparerles dgts causs. Plus de deux ans aprs, rien na chang.

    Repousser les l imites

    Puits Pampa las Yeguas x-1 de Total, dans laire protge Auca Mahuida. Observatorio Petrolero Sur

  • Repousser les limites - La rue vers les gaz et huiles de schiste en Patagonie argentine / 25

    LE CAS

    DE TOTAL

    En septembre 2012, Total a engag un processus pour forer etfracturer le puits PLY.x-1 sur son permis de Pampa Las Yeguas II,dans une zone jusqu prsent jamais exploite par lindustrieptrolire (qui stait concentre dans la partie Nord dAucaMahuida). Lentreprise provinciale GyP est titulaire du permistandis que les oprations sont la charge de Total. Le contratmentionne galement la participation dYPF. Le puits PLY.x-1 at un cas emblmatique en raison des nombreuses erreurs etirrgularits, commises malgr les avertissements de la trspermissive autorit en charge des contrles, le secrtariat lEnvironnement et au dveloppement durable.

    Tout dabord, ltape de fracturation na pas t approuve dansla phase initiale par le secrtariat lEnvironnement, cestpourquoi une licence temporaire a t accorde. Laprincipale raison invoque a t que lutilisation prvue de leausouterraine navait pas t habilite. En effet, ce typedutilisation nest permis que dans le cas o leau nest paspotable. Or, la qualit de cette eau ntait pas renseigne dansles documents fournis par lentreprise.

    Malgr cela, Total a annonc diffrents points dutilisation de lafameuse fracturation hydraulique. En ce qui concerne la ressource eneau, le volume hydrique ncessaire serait de 8 millions de litres. Cetteeau serait transporte en camion jusqu la zone dexploitation, puisstocke dans trois citernes australiennes dun volume global de 15millions de litres deau. Total value le volume des eaux de reflux 2,8millions de litres, qui seraient galement transports en camion puisinjects dans des puits artificiels ddis cet usage.

    Par ailleurs, Halliburton, entreprise sous-traitante spcialise dansla fracturation hydraulique, a fourni une liste des nomscommerciaux des substances chimiques utilises. La quantittotale dagents chimiques injecter nest nanmoins pasrenseigne. Parmi les produits chimiques mentionns, celui qui sedmarque en raison de sa haute toxicit est le naphtalne.LAgence internationale de recherche sur le cancer, membre delOrganisation mondiale de la sant, la class dans le Groupe C(substance potentiellement cancrigne pour lHomme).Lexposition court terme au naphtalne, absorb directement parinhalation ou par voie orale, est galement associe lanmiehmolytique, des dommages neurologiques et des atteintes aufoie. Bien quil nexiste pas de donnes sur labsorption directe chezles hommes, la dtection de ces mtabolites dans les urines destravailleurs indique que labsorption est relle.

    Enfin, limpact climatique du projet est lui aussi considrable : pourlessai seul de ce puits, il est estim que 300 000 m de gaz effet deserre seront mis dont 92 % de mthane, un des gaz leffet de serreles plus importants et la principale menace pour le climat selon leGIEC (Groupe dexperts intergouvernemental sur lvolution duclimat) dans son rapport paru en 2013. Sont galement prsents :de lthane, du propane, du butane, du dioxyde de carbone, et dunitrogne, entre autres. En ce qui concerne les fosss ddis auxoprations de torchage, les documents disponibles mentionnentquils sont dune dimension de 5 mtres de large pour 15 mtres delong et 1 mtre de profondeur.

    En plus de labsence dapprobation de ltape de fracturation,une seconde irrgularit concerne directement lautorit desaires protges, la DANP, et a des consquences globales sur sacapacit de rgulation. Sagissant dune aire protge, lavistechnique de la DANP constituait une condition indispensablepralable loctroi de la licence environnementale. Nanmoins,comme le souligne Matre Fittipaldi, laval octroy par lesecrtariat lEnvironnement a t donn avant la rception decet avis, qui de plus, sest rvl dfavorable. Ainsi, Total adbut ses oprations sans avoir lensemble de ses documentsen rgle. De plus, les avis mis par cet organisme public sontcontradictoires. Dun ct, le secteur technique composdingnieurs environnementaux, de diplms enassainissement de lenvironnement, entre autres sest opposau puits en raison du manque dinformation (concernantnotamment des donnes hydrogologiques et la faune), desnombreuses erreurs (certaines espces mentionnes dans lerapport environnemental de Total ne sont mme pas prsentessur laire protge), le manque de mesures pour viter oumitiger lensemble des impacts et la tendance les minimiser,entre autres. Le rapport technique signale que la mise en uvredun puits exploratoire de ce type garantit lavance vers unventuel schma dexploitation. Les objectifs mmes deconservation tant par consquent vous lchec. De lautre, ledirecteur provincial des Ressources naturelles, Enrique Schaljo,sous lautorit duquel est place la DANP, a approuv le projetet est pass outre toutes les considrations environnementales,mettant ainsi un terme toute possibilit de discussion.

    Total et son avance dans une rgion non exploite

    Puits non conventionnel de Total, permis de San Roque. Observatorio Petrolero Sur

  • 26 / Repousser les limites - La rue vers les gaz et huiles de schiste en Patagonie argentine

    Restriction des visites, rsistance des autorits et sanctions publiques

    Au mois de mars 2013, les employs de la DANP ont organis unevisite sur laire protge Mahuida avec pour objectif de rendrecompte de la situation la population. Quelques jours avant lavisite programme, la Direction provinciale des ressourcesnaturelles a limit laccs la rserve par mesure de scurit contre le braconnage qui affecte laire (Ro Negro, 12/03/2013).Bien que lentre de braconniers soit une problmatiquehistorique, le gouvernement navait jamais pris de mesure dunetelle ampleur. Malgr tout, la visite de laire a pu tre mene.

    La forte raction populaire qui suivit a pouss la Commission delenvironnement de lAssemble lgislative provinciale demander des informations au gouvernement concernant lecontrle de laire naturelle et annoncer une visite. La prsidentede la Commission, Graciela Muiz Saavedra (favorable augouvernement) dclara que laire devait tre sectorise et ellesouligna les interdictions tablies dans le Plan damnagementde laire (Ro Negro, 28/03/2013). Aprs ces annonces, aucunesuite concrte na t donne pour rendre effectif ce fameux Plandamnagement, qui a mis si longtemps tre adopt.

    Cette ambigut gouvernementale et le lien troit avec lesentreprises prennent donc une nouvelle dimension travers sesinteractions avec le secteur technique de la DANP. Comme celaa t mentionn, la DANP avait mis un avis dfavorableconcernant le puits envisag par Total, la fois pour des raisonsde procdures et de risques. Le fait que cet organisme fasse sontravail na pas t apprci, ni par ses autorits, ni par lesreprsentants de lentreprise.

    Lors dun entretien avec les auteurs, lquipe technique de laDANP a relat comment les fonctionnaires ont commenc harceler les employs. Au dbut de lanne 2013, quelque moisaprs avoir mis leur avis dfavorable, un processusdinstruction a t initi leur encontre (processusadministratif avec possibilit de sanction pour faute grave) : lesreprsentants de Total ont dnonc avoir t extorqus pourquun contrat soit pass avec une ONG. Laccusation fantaisisteest rejete par les employs qui expriment lisolementgrandissant auquel ils doivent faire face pour raliser leurtravail. A lheure actuelle, lenqute suit son cours.

    Par consquent, la sanction est un lment qui limite encoredavantage les employs dans lexercice rigoureux de leur travailpuisquelle porte atteinte aux objectifs mmes de leur fonctionau sein de lorganisme de conservation. Ceci constitue unepreuve claire de la volont de dvelopper Vaca Muerta dans sonensemble, en allant jusqu rduire la capacit rgulatrice de lasphre publique dans une zone aussi vulnrable que peut ltreune aire naturelle protge. Par exemple, alors que les 11 airesnaturelles protges occupent 2,6 % de lensemble du territoired