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Mémoire de master 2 de psychologie sociale de la communication et du marketing
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Rôle de l’influence sociale et de l’expertise auto-perçue dans le champ musical
Novembre 2011
Un constat :
Producteurs et directeurs artistiques des maisons de disques le concèdent : personne n'est en mesure de prévoir quel sera le prochain grand succès
Une interrogation :
Une première explication :
Salganik et al. (2006) : les consommateurs achètent plus volontiers un titre qui se vend bien, indépendamment de sa qualité intrinsèque
Les consommateurs semblent apprécier plus la musique par mimétisme que pour ses qualités intrinsèques
La notion de qualité intrinsèque en musique est donc matière à débat : les goûts sont uniformisés par l’influence sociale de la majorité
Un fonctionnement particulier du marché :
Le « Superstar Effect », ou marché du « Winner-Take-All »
Comment le succès, dans les marchés culturels,saisissante, distinct de la performance moyenne,
motivés par le profit et armés
peut-il être à la fois immédiatement et de façonet pourtant très difficile à anticiper pour des expertsd’une multitude d’études de marchés ?
Objectifs généraux
Etudier plus précisément l’influence sociale opérante dans le champ musical
Par l’étude des influences majoritaires ET minoritaires Par l’analyse du rapport que peut entretenir le consommateur de musique à l’influence sociale
et ses différentes modalités, selon qu’il est simple amateur occasionnel ou véritable audiophile
Dresser un état de l’art des processus psychosociaux intervenants dans le champ musical
Lier ces analyses au contexte actuel du marché de la musique
Supports théoriques : intégration de l’objet d’étude
Nous sommes tous mus par le désir de faire partie de groupes auxquels on s’attache ou désire s’identifier
Nous calibrons nos attitudes et réflexions par rapport aux autres, dans la volonté (consciente autant qu’inconsciente) d’obtenir des appartenances valorisées permettant ainsi de développer une identité sociale positive
L’intégration de l’individu dans des groupes permet sa socialisation et oriente sa sociabilité Les implications sociales de la musique ne sont pas exemptées de ces mécanismes
Notion de groupe de référence Sherif (1956), et fonctions de ces groupes Conformité supérieure de soi de Codol (1975) …
Mais l’aspiration à appartenir à des groupes valorisés ne s’arrête pas là : nous catégorisons pour dessiner nos environnements sociaux, ce qui oriente nos actions tout en réactualisant nos systèmes de valeurs
Principe de catégorisation sociale de Tajfel (1984), Théorie de l’Identité Sociale
Le lien entre la catégorisation sociale et la Théorie de l’Influence Sociale est très fin :
Avec cette théorie, on étudiera les processus consistants à identifier comme émanant de notre libre arbitre, ce qui est en réalité la marque d’un groupe
Large référence donc aux concepts avancés par Moscovici et issus de la théorie de l’Influence Sociale :
Notion de conformisme, de minorités actives (d’influence comme processus bilatéral, de changement social, de
production et de résorption des conflits, de norme d’originalité…), et d’influence manifeste ou latente
Apports sociocognitifs de la théorie de l’Auto-catégorisation de Turner et al. (1987) : Principe de méta-contraste, notion de dépersonnalisation de soi, notion de prototypicalité, et dynamique d’assimilation
Supports théoriques : Auto-Catégorisation et Dissociation
Modèle de la dissociation de Perez et Mugny (1993) : il faut différencier des niveaux manifestes et latents
L'influence manifeste serait l'apanage des majorités, tandis que l'influence latente serait celui des minorités
La Théorie de l'Auto-Catégorisation de Turner et al. (1987) avance d'autres hypothèses
Si l'influence procède d'une assimilation au prototype par un ajustement comparatif dépendant du contexte, l'influence sociale se traduirait différemment aux niveaux manifeste et latent
Deux principales mesures ont ainsi été prises en compte :
La mesure de l'influence manifeste a été obtenue par l’évaluation de l'appréciation d'un morceau de musique
La mesure de l'influence latente a été obtenue par l'évaluation de l'intention de téléchargement de cette même musique
Hypothèses de recherche
Au regard de ces considérations, la musique est un objet d’étude très complexe
Ainsi, l'influence sociale est envisagée ici comme indissociable et profondément dépendante des dynamiques identitaires décrites par la théorie de l'auto-catégorisation
H1 : Au niveau manifeste, le modèle de la dissociation ne suffit pas, à lui seul, à expliquer l'ensemble des processus d'influence opérants pour la musique
H2 : L'explication de cette insuffisance pourrait être apportée par la prise en compte des dynamiques mises en avant par la théorie de l'auto-catégorisation
H3 : Les dynamiques propres au modèle de l'auto-catégorisation devraient également être opérantes au niveau de l'influence latente
Expérience pilote : sélection du morceau
Support de l’évaluation de la modification de l’appréciation et de l’intention de téléchargement du morceau en fonction des différentes conditions d’influence sociale
Trois morceaux créés
4 principales considérations méthodologiques pour leur composition : Pas de style prédominant Pas de normalisation Pas de registre de fréquence particulier Nombre commun de BPM
Un seul retenu
But : obtenir un morceau dont la moyenne de l’évaluation de l’appréciation est très moyenne, et pour laquelle la dispersion des appréciations est la moins étendue possible
Expérience on-line sur 15O personnes (50 par morceaux) Evaluation de l’appréciation du morceau sur une échelle allant de 1 à 7 Modalité de registre musical recherché : « autres » Autant d’hommes que de femmes Cible jeune (de 15 à 35 ans) Perfectionnement du morceau par test/re-test
Le morceau retenu a une moyenne d’évaluation de son appréciation de 3.98 et un écart-type de 1.18 ; la réponse dominante quant au choix du registre musical est "autre" (32/50)
L’expérience
Recrutement et diffusion
Via Facebook Trois « foyers de diffusion » Participants français et francophones Diffusion par messages privés
Première page HTML (accueil et consignes)
Evite de donner les consignes dans le message Facebook Aspect professionnel, sérieux Ergonomie visuelle maximale (plein écran, charte graphique épurée…) Information de la tache expérimentale - permet l’allègement visuel de la seconde page HTML
Seconde page HTML
Lecteur Soundcloud Les 3 histogrammes : supports visuels source d’influence
Condition contrôle, la majorité des votes est massée sur la note médiane ; condition majoritaire, la majorité est massée sur la note 6 ; condition minoritaire, la majorité est massée sur la note 2
Echelle correspondant au système de notation Intégration d’un code couleur (vérification de la compréhension, renfort de l’influence,
concentration sur la partie « j’aime »)
Première page HTML
Deuxième page HTML (condition d’influence majoritaire)
Questionnaire
Appréciation du morceau Mesure de l’influence manifeste Echelle impaire en sept points correspondant à l’abscisse du graphique
Echelle d’expertise Renvoyant au fait de se sentir ou non amateur éclairé de musique Items généraux Items révélant l’imaginaire que l’on se fait de la perception d’autrui sur soi-même Items suggérant des contextes sociaux élaborés
Validation de l’échelle d’expertise
Comparaison du score d’expertise à ce critère externe de performance Mesures conatives Mesures cognitives et affectives
Test de la compréhension du message d’influence Trois questions inclusives
Variables sociodémographiques : Age et sexe
Intention de téléchargement Mesure de l’influence latente Echelle impaire en sept points correspondant à l’abscisse du graphique
Fiabilité : Alpha de Cronbach = 0.93
(r=.31, p<.001)
1
2
1
2
Questionnaire (Première page)
Echantillon
100 observations retenues par condition
Autant d’hommes que de femmes par condition
Population âgée de 15 à 32 ans (cœur de cible des annonceurs dans le champ musical)
Seuls les individus ayant bien compris le graphique ont été retenus
Recueil des données via Google Doc
Hypothèses de recherche Hypothèses opérationnelles
H1 : Au niveau manifeste, le modèle de la dissociation ne suffit pas, à lui seul, à expliquer l'ensemble des processus d'influence opérants pour la musique
H1/a : En fonction du support numérique de l'influence, le panel de résultat mis en valeur par la mesure de l'appréciation du morceau sera différent de celui classiquement observé
H2 : L'explication de cette insuffisance pourrait être apportée par la prise en compte des dynamiques mises en avant par la théorie de l'auto-catégorisation
H2/a : L'auto-évaluation de l'expertise aura un rôle modérateur dans l'effet du support numérique de l'influence sur l'appréciation du morceau
H2/b : En condition d'influence minoritaire, le score d'expertise sera corrélé positivement et significativement avec le score d'appréciation du morceau
H2/c : En condition d'influence majoritaire, le score d'expertise sera corrélé négativement et significativement avec le score d'appréciation du morceau
H3 : Les dynamiques propres au modèle de l'auto-catégorisation devraient également être opérantes au niveau latent
H3/a : En fonction du support numérique de l'influence, le panel de résultat mis en valeur par la mesure de l'intention de téléchargement du morceau sera différent de celui classiquement observé
H3/b : L'auto-évaluation de l'expertise aura un rôle modérateur dans l'effet du support numérique de l'influence sur l'intention de téléchargement du morceau
Résultats : niveau manifeste, principaux effets
Prédictions de la Dissociation :
Résultats (F(2,297)=8.23 ; p<.001) :
Validation de l’hypothèse H1
Interaction de l’expertise (F(2,294)=123.15 ; p<.001) :
Validation de l’hypothèse H2
Il semblerait que la théorie de l'auto-catégorisation puisse nous offrir des clés pour une compréhension de cette autre source d'influence
Les sujets se sentant experts en musique s'assimileraient au prototype de l'expert en musique dans un groupe d'appartenance : la minorité
Un prototype de l’expert ? Le détachement de l'opinion considérée comme général, véhiculée par les mass media dans les marchés culturels ; forte saillance de la qualité de critique dans les représentations collectives
Une vision unanimement partagée : L'opposition de la musique dite commerciale, très industrialisée, à la musique dite "non commerciale", perçue alors comme réellement « artistique »
Par opposition aux tendances dictées par le marché, les experts en musique pourraient être perçus comme amateurs de ce que peu de gens connaissent et apprécient…
… et le consommateur expert pourrait mettre en place tout un panel de défenses régies par l'identification de la menace d'une éventuelle manipulation
Les experts en musique obéiraient donc à cette vision prototypique dictée par leur groupe d'appartenance
Par une dynamique d’assimilation, ils seront donc conditionnés à suivre l'influence des minorités pour rentrer en concordance avec leur identité, revendiquée, d'expert en musique
Cette influence manifeste induite par la minorité serait donc, conformément à la théorie de l'auto-catégorisation, le produit d'une assimilation au prototype mentalement construit de
l'expert en musique, perçu comme refusant un certain « conformisme »
Résultats : niveau latent, ouverture au débat
Résultats (F(2,297)=4.40 ; p<.02) :
Validation de l’hypothèse H3/a
Cependant, ces résultats semblent plus proches du modèle de la dissociation que ce qui était attendu
Les participants intégreraient mieux le message émis par la minorité en termes d'appréciation du morceau, en le retranscrivant sur la dimension comportementale qu'est l'intention de téléchargement
A l'inverse, l'appréciation positive du morceau par la majorité est significativement moins retranscrite sur l'intention de téléchargement, la dimension latente de l'influence
Pas d'effet d'interaction entre l'expertise auto-perçue et le support numérique de l'influence
L'introduction de l'expertise auto-perçue rend l'effet du support numérique de l'influence sur l'intention de téléchargement nul
Les dynamiques propres au modèle de l'auto-catégorisation ne seraient donc pas opérantes au niveau de l'influence latente
??? Invalidation totale des logiques d’interaction entre Auto-Catégorisation et Influence Sociale ???
Vers un raisonnement alternatif :
Concernant l'appréciation du morceau, les sujets experts seraient soumis à une influence manifeste en condition minoritaire et non pas majoritaire
Or, le processus d'auto-catégorisation sous tend un fort travail cognitif effectué par les sujets
Ce travail cognitif semble très proche de celui de l'élaboration des comparaisons sociales opérant dans le modèle de la dissociation (centration sur un « conformisme » qui empêcherait d'intégrer le message de la source ; le jugement émis par la minorité ne provoquerait pas cette interférence et permettrait donc au sujet d'intégrer le message de façon latente)
Pour les individus se percevant experts en musique, ce travail de comparaison sociale se traduirait donc, non pas par un conformisme à la majorité, mais par des dynamiques d'assimilations groupales : un travail cognitif de comparaison sociale centré sur la minorité, émanant d'une comparaison sociale au prototype
Cela se traduirait par une sorte de conformisme à la minorité, induit par le sentiment d'être expert, et par la pression à revendiquer et afficher cette expertise
Ces sujets ne seraient donc pas en mesure d'intégrer profondément le message émis par la minorité, puisque leurs ressources cognitives seraient centrées sur leur assimilation à cette minorité
Les experts ne subiraient pas d'influence latente par la minorité,
puisqu'ils sont dans l'impossibilité d'intégrer son message
??? Si le travail cognitif des experts en musique est centré sur le positionnement minoritaire, ces derniers pourraient être plus à même d'intégrer profondément le message de la majorité,
ce qui induirait une influence latente de l'opinion majoritaire ???
Il est largement plus probable que, dans un tel contexte, le travail d'assimilation au prototype de la minorité inclut une comparaison avec le groupe majoritaire :
En admettant que le prototype de l'expert en jugement musical soit essentiellement défini par son opposition avec le jugement de la majorité, la nature même de l'opinion prototypique minoritaire ne prend sens qu'en comparaison avec l'opinion prototypique majoritaire
Ainsi, le travail cognitif effectué par les experts en musique serait centré à la fois sur le groupe minoritaire et sur le groupe majoritaire
L'expert en musique serait donc dans l'incapacité cognitive de traiter en profondeur le message émis par la minorité tout comme celui émis par la majorité
Le sujet expert en musique ne pourrait donc être soumis à aucune influence latente, il subirait uniquement une influence manifeste centrée sur son assimilation au prototype de son groupe
d'appartenance
D'où l'absence d'effet de l'expertise auto-perçue sur le panel d'effets de l'influence latente
Résultats : retour sur les objectifs de l’étude
Lier ces analyses au contexte actuel du marché de la musique
Des majores se devant de prendre en considération l'insertion de l’artiste dans des microsystèmes de valeurs, des tendances sociétales extrêmement mouvantes, segmentées et présentes dans tous les esprits
Des consommateurs noyés dans ce foisonnement de musique socialisée
En quelques années, les réseaux d'écoute de musique sur internet se sont tous mutés en réseaux sociaux lorsqu'ils devenaient des réseaux de distribution
La musique doit s'inscrire dans un courant qui lui confère une certaine « image de marque », que le consommateur puisse s'approprier
Apprécier une musique et vouloir la télécharger renvoient à des dynamiques différentes
Par cette étude, les résultats obtenus par Salganik ne sont que confortés ; de puissantes dynamiques identitaires sont donc à prendre en compte dans l’étude de l’influence sociale
Le triptyque appréciation – expertise – consommation n’est qu’un exemple de la nécessité de prendre en compte à la fois les dynamiques identitaires et d’influence mises en évidence par la psychologie sociale dans l’étude des perspectives de succès des musiques par des approches marketing et de communication