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Cah. Nutr. Diét., 40, 4, 2005 189 psychologie psychologie RÔLE DU PRÉAVIS PSYCHIATRIQUE DANS L’ÉVALUATION PRÉOPÉRATOIRE DES PATIENTS CANDIDATS À LA CHIRURGIE DE L’OBÉSITÉ Véronique SAVIOZ 1 , Sophie MORANDI 2 , Vittorio GIUSTI 1 L’obésité reconnue comme la maladie du siècle par l’Organisation mondiale de la Santé, devient de plus en plus un problème préoccupant de santé publi- que. En effet les enquêtes épidémiologiques ont relevé la constante augmen- tation de la prévalence de l’obésité (Index de Masse Corporelle (IMC) 30 kg/m 2 ). Depuis les années 1990, elle a augmenté d’environ 50 % aux l’États-Unis, et concerne aujourd’hui presque 20 % de la population adulte [1]. En Europe, la prévalence de l’obésité varie selon les pays entre 15 % et 25 % [2]. La Suisse ne se soustrait pas à cette situation : 26 % de la popula- tion présente une surcharge pondérale (IMC 25-29,9 kg/m 2 ), tandis que 5 % sont obèses [3]). Malgré l’importance grandissante de l’obésité, nous ne disposons pas de nos jours de traitements conservateurs efficaces. De nombreuses études ont démontré que la prise en charge de l’obésité tant diététique, pharmacolo- gique, et/ou comportementale, est insuffisante voire inef- ficace sur le long terme. En effet, 75 % des patients traités regagneraient le poids perdu après une année et environ 90 % deux ans plus tard [4-7]. L’augmentation de la pré- valence et de la sévérité de l’obésité, les échecs des traite- ments conservateurs et la demande d’une solution efficace sur le long terme ont donné à la chirurgie un rôle de plus en plus important dans la prise en charge de l’obésité [8]. Finalement, l’introduction de la chirurgie laparoscopique, au début des années 1990, a consacré la technique chi- rurgicale, comme traitement efficace et souhaitable pour l’obésité morbide (IMC 40 kg/m 2 ) et résistante aux traite- ments de type conservateur [9]. Le traitement de l’obésité morbide est donc souvent de la compétence du chirurgien. Cependant la sélection, la préparation et le suivi des patients candidats à la chirurgie sont du ressort d’une équipe multi- disciplinaire [10]. Profil psychologique du patient candidat à l’intervention Le patient présentant une obésité morbide est, dans la majorité des cas, un patient complexe, n’ayant pas sim- plement des complications métaboliques et cardiovasculai- res, mais également des troubles du comportement alimentaire et des problèmes psychologiques, voire des troubles psychiatriques. Plus de 40 % des patients ayant un IMC 35 kg/m 2 pré- sentent une hyperphagie de type boulimique [11], tandis que plus de 50 % de tous les patients obèses sont concer- nés par des troubles non spécifiés sous forme de fringales ou grignotages compulsifs [12]. Habituellement, le patient qui consulte pour un traitement chirurgical de son obésité a déjà un long parcours de régimes qui se sont soldés par une reprise pondérale. L’échec des traitements conserva- teurs confirme la présence des troubles du comportement alimentaire. En effet, chez ces patients, la prise pondérale 1. Service d’endocrinologie, diabétologie et métabolisme, Consultation d’obésité et des troubles du comportement alimentaire, CHUV-PMU, Lausanne, Suisse. 2. Service de psychiatrie de liaison, CHUV, Lausanne, Suisse. Correspondance : V. Giusti, médecin adjoint, CHUV-PMU, Bugnon 44, 1011 Lausanne. Email : [email protected]

Rôle du préavis psychiatrique dans l’évaluation préopératoire des patients candidats à la chirurgie de l’obésité

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Cah. Nutr. Diét., 40, 4, 2005 189

psychologie

psychologie

RÔLE DU PRÉAVIS PSYCHIATRIQUE DANS L’ÉVALUATION PRÉOPÉRATOIRE DES PATIENTS CANDIDATS À LA CHIRURGIE DE L’OBÉSITÉ

Véronique SAVIOZ1, Sophie MORANDI2, Vittorio GIUSTI1

L’obésité reconnue comme la maladie du siècle par l’Organisation mondialede la Santé, devient de plus en plus un problème préoccupant de santé publi-que. En effet les enquêtes épidémiologiques ont relevé la constante augmen-tation de la prévalence de l’obésité (Index de Masse Corporelle (IMC)≥ 30 kg/m2). Depuis les années 1990, elle a augmenté d’environ 50 % auxl’États-Unis, et concerne aujourd’hui presque 20 % de la population adulte[1]. En Europe, la prévalence de l’obésité varie selon les pays entre 15 % et25 % [2]. La Suisse ne se soustrait pas à cette situation : 26 % de la popula-tion présente une surcharge pondérale (IMC 25-29,9 kg/m2), tandis que 5 %sont obèses [3]).

Malgré l’importance grandissante de l’obésité, nous nedisposons pas de nos jours de traitements conservateursefficaces. De nombreuses études ont démontré que laprise en charge de l’obésité tant diététique, pharmacolo-gique, et/ou comportementale, est insuffisante voire inef-ficace sur le long terme. En effet, 75 % des patients traitésregagneraient le poids perdu après une année et environ90 % deux ans plus tard [4-7]. L’augmentation de la pré-valence et de la sévérité de l’obésité, les échecs des traite-ments conservateurs et la demande d’une solution efficacesur le long terme ont donné à la chirurgie un rôle de plusen plus important dans la prise en charge de l’obésité [8].Finalement, l’introduction de la chirurgie laparoscopique,au début des années 1990, a consacré la technique chi-rurgicale, comme traitement efficace et souhaitable pourl’obésité morbide (IMC ≥ 40 kg/m2) et résistante aux traite-ments de type conservateur [9]. Le traitement de l’obésitémorbide est donc souvent de la compétence du chirurgien.

Cependant la sélection, la préparation et le suivi des patientscandidats à la chirurgie sont du ressort d’une équipe multi-disciplinaire [10].

Profil psychologique du patient candidat à l’intervention

Le patient présentant une obésité morbide est, dans lamajorité des cas, un patient complexe, n’ayant pas sim-plement des complications métaboliques et cardiovasculai-res, mais également des troubles du comportementalimentaire et des problèmes psychologiques, voire destroubles psychiatriques.Plus de 40 % des patients ayant un IMC ≥ 35 kg/m2 pré-sentent une hyperphagie de type boulimique [11], tandisque plus de 50 % de tous les patients obèses sont concer-nés par des troubles non spécifiés sous forme de fringalesou grignotages compulsifs [12]. Habituellement, le patientqui consulte pour un traitement chirurgical de son obésitéa déjà un long parcours de régimes qui se sont soldés parune reprise pondérale. L’échec des traitements conserva-teurs confirme la présence des troubles du comportementalimentaire. En effet, chez ces patients, la prise pondérale

1. Service d’endocrinologie, diabétologie et métabolisme, Consultation d’obésité et des troubles du comportement alimentaire, CHUV-PMU, Lausanne, Suisse.2. Service de psychiatrie de liaison, CHUV, Lausanne, Suisse.

Correspondance : V. Giusti, médecin adjoint, CHUV-PMU, Bugnon 44, 1011 Lausanne.Email : [email protected]

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progressive ne repose pas simplement sur un problèmediététique, mais plutôt sur la perte de contrôle de la prisealimentaire et l’incapacité à suivre des règles de compor-tement. Il s’agit d’une vraie dépendance à la nourriture,qui peut être utilisée pour compenser des situations psy-chologiques difficiles.Plusieurs études ont montré que les patients obèses présen-tent souvent des comorbidités psychologiques. Dans un col-lectif de 98 patients opérés de gastroplastie le 32 % avaientdes antécédents dépressifs [13]. En autre, le score au BeckDepression Inventory (BDI) est significativement plus élevéchez les patients obèses et encore plus chez les obèses ayantune hyperphagie boulimique [14]. Finalement une corréla-tion entre une symptomatologie de type borderline et unpoids élevé est également connue dans la littérature [15].

Implications psychologiques de la chirurgie bariatrique

L’objectif de l’opération est d’empêcher de manger. Demanière étrange, on propose cette intervention aux patientsqui, par définition, sont habitués à manger d’énormesquantités de nourriture. Il va de soi que l’opération est loind’être un simple geste technique, au contraire, elle impli-que des changements comportementaux et psychologi-ques très importants.Les changements rapides et drastiques imposés par latechnique chirurgicale, tant sur les habitudes alimentaires,l’image corporelle, que sur le plan métabolique, psycholo-gique et social, nécessitent une approche globale et inter-disciplinaire, garantie par une équipe multidisciplinaire.Au vu de la complexité des troubles du comportement ali-mentaire compulsifs, la nécessité de cette multidisciplina-rité se retrouve de toute manière dans leur traitement,indépendamment de la question de la chirurgie [16].L’évaluation psychologique pré-opératoire intervient dansun deuxième temps, suite à un long parcours que suit lepatient à la consultation, parcours de réflexion, de prépa-ration à l’opération et de décision. Toute perte de poidsnotable entraîne des changements imposant des réajuste-ments émotionnels que le médecin doit anticiper et expli-quer à son patient [17].La consultation d’obésité et des troubles du comporte-ment alimentaire du Centre hospitalier universitaire Vau-dois (CHUV) a mis sur pied à ce titre des cours de groupeintitulés « préparation à la gastroplastie », sous forme de3 séances de 2 heures chacune. Les répercussions psycho-logiques post-opératoires notamment y sont abordées :• attentes et interrogations face à l’opération : certainspatients espèrent une résolution de leurs problèmes grâceà l’opération, ou, dans la même dynamique, imaginentretrouver leur jeunesse. Il s’agit là d’attentes magiquesface à leurs difficultés actuelles. Il est indispensable que lespatients apprennent de se projeter dans l’avenir, en anti-cipant les difficultés post-opératoires notamment et qu’ilssont invités à s’interroger quant aux effets de l’opération.• modification de l’image corporelle : la perte de poidsrapide due à l’opération provoque, à court terme, undécalage entre l’image corporelle intériorisée, qui se rap-proche d’ailleurs du corps avant l’opération, et le corpsréel après l’opération. Ce décalage est très déstabilisant.La métaphore du déménagement est d’ailleurs souventutilisée pour faciliter la compréhension de ce décalage :

lorsque l’on déménage, bien que le nouvel appartementsoit aménagé, il faut du temps pour se sentir chez soi etintérioriser ce nouveau lieu comme son domicile. Il s’agiradonc de se réapproprier un nouveau corps, aminci artifi-ciellement et rapidement par l’opération.• changement d’humeur : le poids constitue souvent une« protection » et bien des patients opérés parlent d’une plusgrande sensibilité et fragilité post-opératoires, qui se manifes-tent par des sauts d’humeurs, des sentiments dépressifs oudes angoisses. Pour certains, leur caractère ne sera plus aussijovial et convivial qu’auparavant. Cher d’autres, au contraire,on constate une euphorie face à cette perte de poids. Lepatient doit donc faire face à une plus grande sensibilité.• relations familiales : lorsqu’il y a changement de poids,c’est tout l’équilibre familial qui change. Les interactionsne sont plus les mêmes, par exemple, simplement quantà la façon de prendre les repas. Après l’opération, lepatient mange plus lentement et doit négocier avec sesproches le déroulement des repas, au risque de ressentirdes frustrations ou de provoquer des tensions.• contacts sociaux : l’obèse est souvent perçu, dans le lienà l’autre, comme quelqu’un de jovial et de gentil, sanscompétition aucune, notamment au niveau de la séduc-tion. Son aspect physique se modifiant considérablementaprès l’opération, notamment dans le sens d’une plusgrande érotisation, le corps social va nouer de nouvellestransactions avec le patient, amenant parfois une rivalitéavec ses pairs. Ceci peut déstabiliser, car ce changementdu corps et de la relation à l’autre ne sont qu’externes etnon conséquents à un processus de changement initié parle patient lui-même, et donc intériorisé ; le patient se voitainsi confronté à des changements d’attitude face à lui,alors qu’il se sent toujours le même.• vie sexuelle : l’équilibre du couple se voit modifié par lechangement corporel d’une des personnes. Le partenairea été habitué probablement depuis quelques années à sonpartenaire obèse et il n’est pas sûr qu’il soit prêt à cechangement. Dans certains cas, l’obésité a permis de mas-quer des problèmes conjugaux plus graves ; l’opérationn’est donc pas une garantie de retrouver une vie de cou-ple épanouie. Enfin, le partenaire du patient doit faireface à un nouveau regard, souvent plus érotisé, qued’autres personnes portent sur son conjoint ; ceci peutéveiller des sentiments de jalousie.• soutien sur lequel la personne peut s’appuyer : le chan-gement post-opératoire est un long chemin avec ses diffi-cultés. Il est important que le patient identifie ses ressourcesactuelles, internes ou externes, au risque ne pas pouvoirassumer le parcours à long terme.Tous ces aspects sont débattus en groupe et le patientreçoit une brochure d’accompagnement (fig. 1) que peutêtre utilisée à la maison comme rappel et surtout pour par-tager avec son entourage les sujets débattus lors du cours.Par la suite, tout patient peut, s’il le souhaite, aborder ànouveau avec le médecin les implications psychologiquesde l’intervention, sous forme de consultations individuelles.Suite à ce parcours, si le patient confirme son objectif deperte de poids par la chirurgie, une série d’examens s’ensuit, notamment l’évaluation psychiatrique pré-opératoire.

L’évaluation psychologique préopératoire

L’intervention d’un psychiatre ou psychologue, pour unpré-avis psychologique, fait partie de cette évaluation

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préopératoire. Il s’agit d’un des axes de réflexion parmiplusieurs autres, le psychiatre ou psychologue n’a pas depouvoir décisionnel suite à son intervention. En effet, ladécision finale, sur l’éventuelle opération, appartient àl’équipe multidisciplinaire et doit tenir compte autant desaspects psychologiques et sociaux que des paramètres bio-logiques et cliniques.Le but de l’évaluation est de mettre en évidence les res-sources ainsi que les fragilités d’un patient dans l’ensemblede sa situation psychologique et relationnelle actuelle.Cette évaluation aboutit à un pronostic quant à la compa-tibilité entre l’équilibre psychologique du patient d’unepart, et l’intervention chirurgicale avec ses conséquencesd’autre part.L’évaluation psychiatrique ou psychologique s’effectuelors d’un entretien semi-directif investiguant les divers axes(tableau I), d’un point de vue historique et actuel :

• cognitif : degré de scolarité et formation profession-nelle, type de profession, fonctionnement mental.• psychologique, psychiatrique : anamnèse d’hospitali-sation psychiatrique, anamnèse d’aide psychologique, sta-tus psychique actuel (symptômes psychiatriques actuels,type de communication et de relation avec l’interlocuteurpendant l’entretien, diagnostic psychiatrique selon leCIM-10 et diagnostic du fonctionnement de personnalité).• socio-relationnel : type de relations familiales (carencesaffectives pendant l’enfance, conflits familiaux actuels),intégration sociale dans l’enfance, l’adolescence, le débutde l’âge adulte et actuelle.• attitude face à la maladie et à l’opération : traite-ments antérieurs pour l’obésité et résultats, motivationclaire par rapport à l’opération, attentes réalistes ou pasface à l’opération, capacité d’anticiper les difficultés etfrustrations inhérentes à l’opération (notamment les res-trictions alimentaires), capacité d’alliance avec le médecintraitant vu la nécessité d’un suivi médical régulier aprèsl’opération, avis et attitude des proches.Sur la base de cette évaluation, il s’agit de formuler deshypothèses quant à la capacité du patient à gérer leschangements, les contraintes et les angoisses découlant del’opération.En cas de contre-indications formelles, comme un étatpsychotique floride ou la dépendance à une substancepsychoactive (drogues, alcool), l’opération sera différée etune prise en charge psychiatrique est suggérée pour favo-riser une amélioration de l’état psychique et une réévalua-tion de l’indication à la gastroplastie.Il en va de même, quoi que de façon moins absolue, pourles contre-indications relatives, que constituent unemaladie mentale non stabilisée, la présence d’un troublesévère du comportement alimentaire, une motivation peuclaire ou des attentes magiques, un entourage hostile àl’opération ou un changement de vie important et récent(divorce, deuil, maladie…). Lorsque la présence d’un ouplusieurs de ces facteurs amène des conditions peu favo-rables pour l’opération, nous proposons d’amorcer des

Figure 1.Brochure sur les implications psychologiques de la chirurgie bariatrique.

La brochure sert de support au cours préopératoire, d’aide-mémoire et de piste de réflexion. Le patient doit la compléter et la personnaliser. La bro-chure est réalisée selon des critères pédagogiques et fait recours au langage par images, facilement accessible à la majorité des patients.

Tableau I.Les quatre axes évalués lors de l’entretien semi-directif

préopératoire.L’évaluation psychologique a comme objectif le dépistage des contre-indications à l’intervention, mais également l’estimation de la capacité du patient à gérer les changements, les contraintes

et les angoisses découlant de l’opération.

Axe cognitif :– scolarité– formation professionnelle– fonctionnement mental

Axe socio-relationnel :– relations familiales– intégration sociale dans le passé– intégration sociale actuelle

Axe psychologique :– anamnèse de suivi psychologique– status psychique actuel– diagnostic psychiatrique– organisation de la personnalité

Attitude face à la maladie :– traitements antérieurs pour l’obésité– motivation par rapport à l’opération– attentes réalistes ou pas– capacité d’anticiper les difficultés– capacityé d’alliance avec le médecin

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changements en vue d’une stabilisation suffisamment satis-faisante de ces problèmes, avant l’opération. Il y a doncde manière concomitante à cette fonction d’évaluation,une fonction thérapeutique (tableau II).Premièrement, ces patients rencontrent souvent à cemoment-là la dimension psychologique pour la premièrefois. Expérimentant un espace d’écoute et de compréhen-sion, le patient peut également façonner une représenta-tion plus rassurante du psychiatre ou psychologue, ce quifacilite la demande ultérieure d’un soutien post-opératoireen cas de besoin.Deuxièmement, durant cet entretien, le patient est sensibi-lisé aux difficultés psychologiques post-opératoires. Cettesensibilisation s’effectue également par d’autres intervenantsdu service et lors des cours interdisciplinaires de préparationà la gastroplastie. Il y a là une volonté de la consultationmultidisciplinaire de pouvoir offrir une prise en charge psy-chologique complète et adéquate. Environ 5 % à 10 % despatients nécessitent un soutien psychologique post-opéra-toire, dont une partie peut être assumée par la consultation.Les principaux problèmes rencontrés sont du registre dela dépression, de la phobie des aliments suite à un pro-blème physique, des problèmes conjugaux et de la pertur-bation de l’image corporelle. L’étude prospective citéeplus haut, effectuée sur 98 patients opérés, a montré parexemple que pendant le 1er semestre, le 2e semestre et la2e année post-opératoire, respectivement 16 %, 12 % et29 % des patients déclarent avoir connu des symptômesdépressifs. Toutefois, pour les patients la perception deproblèmes psychologiques sous-jacents n’est pas toujourspossible. Il arrive souvent, lors de l’entretien psychiatriquepré-opératoire, de mettre en lumière ces problèmes rela-tionnels et affectifs, mais, les demandes de psychothéra-pie restent rares [18].

Troubles du comportement alimentaire et chirurgie bariatrique

Une des contre-indications relatives fréquemment ren-contrée, lors de l’évaluation préopératoire, est la pré-sence d’un trouble sévère du comportement alimentaire.

Ce dernier peut se manifester sous forme de grignotagescompulsifs ou sous forme de crises d’hyperphagie bouli-mique, selon la classification du DSM-IV. Son intensitépeut être moyenne ou forte, selon le degré de souffranceet de conséquences négatives qu’il génère.La présence des troubles du comportement alimentaire cons-titue une contre-indication relative car risque de contrecarrerla perte pondérale (surtout dans le cas du cerclage gastrique)et de réduire la tolérance alimentaire au montage opératoire.En effet, l’intervention du cerclage et du by-pass gastriquea la capacité de diminuer très significativement l’appétitet la faim et d’induire très rapidement les sensations derassasiement et satiété. L’effet du montage gastrique estd’une telle importance que dans certains cas le patientpeut oublier de manger n’ayant pas du tout d’appétit.Cette situation est liée à la grandeur de la neopoche gas-trique qui est d’environ 15-20 ml.Malheureusement, le patient ayant des troubles du compor-tement alimentaire mange rarement par appétit et sou-vent par envie. L’envie, bien entendu, n’a rien à faire avecles sensations physiologiques de satiété et rassasiement,mais il s’agit d’un besoin purement psychologique, notam-ment compulsif. Il va de soi que l’intervention n’a aucunimpact sur ce comportement alimentaire, caractérisé parune perte de contrôle sur la prise de nourriture de natureessentiellement psychologique. Le patient ayant ces troubles du comportement peut arri-ver à mettre en échec l’intervention car il peut manger depetites quantités de nourriture tout au long de la journée.En outre, la tolérance alimentaire au montage gastriquesera très probablement mauvaise car la prise alimentairerapide, typique de ces patients, risque de provoquer sou-vent des vomissements.La prise en charge préalable des troubles du comportementalimentaire est donc indispensable afin d’éviter des situationsdifficiles, nécessitant dans certains cas une réintervention. La consultation d’obésité et des troubles du comporte-ment alimentaire du CHUV propose fortement auxpatients présentant des troubles d’intensité moyenne,comme les grignotages compulsifs, un cours de 4 séancessur le comportement alimentaire. Le but est de favoriserune modification du comportement alimentaire par lamise sur pied de stratégies comportementales lors desrepas (manger moins vite, poser les couverts sur l’assiette,favoriser la discussion avec l’entourage…), par l’insertionde collations au quotidien afin de diminuer les sensationsde faim et, par là même, les grignotages.En cas d’hyperphagie boulimique, la consultation proposedes thérapies de groupe cognitivo-comportementale pourles patients motivés. Cette prise en charge favorise, dansun premier temps, la connaissance des mécanismes psy-chologiques sous-jacents aux crises alimentaires, par l’auto-observation de son comportement alimentaire. Dans undeuxième temps, elle permet de retrouver un contrôleface à ses pulsions alimentaires par l’apprentissage detechniques cognitives et comportementales, qui permet-tent soit de différer les crises, soit de mettre sur pied desattitudes non compatibles avec le fait de manger.

Conclusions

La prise en charge des patients obèses est complexe etnécessite l’intervention d’une équipe multidisciplinaire, ausein de laquelle le poste de psychologue revêt toute son

Tableau II.Contre-indications à l’opération.

La présence des contre-indications absolues et/ou relatives nécessite une prise en charge préalable, afin d’éviter des situations problématiques dans la phase post-opératoire,

ou même l’échec de l’intervention.

Contre-indications

Absolues Relatives– Alcoolisme ou autres dépendances– État psychotique floride

– Troubles Comportement Alimentaire– Dépression non stabilisée– Entourage hostile– Attentes magiques face à l’opération

Prise en charge : Prise en charge :Traitement préalable afin de sortirde l’état psychotique non stabiliséou de la dépence à l’alcool ou à desproduits psychotropes.

Intervention de type psychothérapeutique afind’envisager l’interventiondans de meilleures conditions.

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importance. L’évaluation psychologique de l’indication opé-ratoire, la préparation et le suivi de ces patients sont desobjectifs essentiels afin de réduire les risques opératoireset les complications et d’améliorer la tolérance à la restric-tion alimentaire imposée par la technique chirurgicale.Dans ce contexte de prise en charge multidisciplinaire, oùl’avis de chaque intervenant est complémentaire et intégrédans une évaluation globale, l’équipe médico-chirurgicalepeut ainsi mieux considérer les difficultés à venir et mettresur pied des stratégies visant à anticiper et mieux gérer leschangements post-opératoires.Le patient qui demande la chirurgie suit donc un long pro-cessus évaluatif et évolutif. L’intervention du psychologuedans ces processus se justifie pleinement. À ce titre, nousavons longuement développé l’évaluation psychiatriquepré-opératoire, qui revêt, outre son aspect évaluatif, unaspect thérapeutique, dans la même dynamique que lesinterventions thérapeutiques brèves. De part le setting etles divers axes investigués, elle peut favoriser un question-nement chez le patient, voire une prise de consciencequant à certains domaines problématiques de sa vie qu’iltentait de refouler jusqu’à ce jour. Le temps mis à disposition est néanmoins très limité etil faut demeurer modeste quant à l’impact possibled’une telle intervention. Si elle ne se fait pas dans unesprit de collaboration avec les autres membres del’équipe multidisciplinaire, le risque d’une instrumenta-lisation du psychiatre se manifeste et tout sens préventifvoire thérapeutique est dès lors impossible : l’évaluation psy-chiatrique pré-opératoire se limite du coup à l’obtentiond’un simple préavis positif à l’intervention chirurgicale.Ceci constitue un argumentaire supplémentaire en faveurde la présence d’un psychologue dans une consultationd’obésité et des troubles du comportement alimentaire : ladimension psychologique de l’obésité est ainsi prise encompte durant tout le processus de changement, que ce soitau niveau pré-opératoire ou post-opératoire, et pas seule-ment lors de l’évaluation psychiatrique pré-opératoire.

Résumé

L’augmentation de la prévalence et de la sévérité de l’obé-sité, les échecs des traitements conservateurs et lademande d’une solution efficace sur le long terme ontdonné à la chirurgie un rôle de plus en plus importantdans la prise en charge de l’obésité. L’évaluation psycho-logique de l’indication opératoire, la préparation et le suivide ces patients sont des objectifs essentiels afin de réduireles risques opératoires et les complications et d’améliorerla tolérance à la restriction alimentaire imposée par latechnique chirurgicale. Dans ce contexte de prise encharge multidisciplinaire, où l’avis de chaque intervenantest complémentaire et intégré dans une évaluation glo-bale, l’équipe médico-chirurgicale peut ainsi mieux consi-dérer les difficultés à venir et mettre sur pied des stratégiesvisant à anticiper et mieux gérer les changements post-opératoires. L’évaluation psychologique inclut le dépistagedes contre-indications formelles, l’appréciation des contre-indications relatives, l’estimation des troubles du compor-tement alimentaire.

Mots-clés : Obésité – Cerclage gastrique – By-pass gastrique– Évaluation psychiatrique – Troubles du comportement ali-mentaire.

Abstract

The increase of obesity prevalence and severity, thefailure of conservative treatment and the request for along term efficient solution have given to surgery arising role in the treatment of obesity. The psychiatricevaluation for bariatric surgery, the preparation andfollow up of the patients are essential aims to reducesurgical risks and complications and improve theeating tolerance imposed by bariatric surgery.In this context the multidisciplinary team is very impor-tant, each complementary advice allowing the settingof strategies to better anticipate and manage post ope-rative changes.The psychiatric evaluation includes the detection offormal contra-indications, the appreciation of relativeindications and the assessment of eating disorders.

Key-words: Obesity – Gastric banding – Gastric bypass– Psychiatric evaluation – Eating disorders.

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