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Région Rhône‐Alpes Observatoire des politiques culturelles Le numérique : nouvelle donne, nouvelle politique culturelle ? Concertation initiée par le Conseil régional Rhône‐Alpes en partenariat avec l’Observatoire des politiques culturelles d’octobre 2010 à mars 2011 Synthèses des ateliers Février 2011 Observatoire des politiques culturelles

Synthèse des ateliers - concertation Rhône-Alpes numérique · 2013-11-07 · Synthèse des ateliers proposés au cours des séminaires de la concertation Page 5 collaborations

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RégionRhône‐Alpes

Observatoiredespolitiquesculturelles

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Sommaire

I.QUELSCHANGEMENTSLENUMÉRIQUEENTRAINE­T­ILENTERMESDEPRATIQUES? ............ 3I.QUELSCHANGEMENTSENTERMESDEPRATIQUESARTISTIQUES?............................................................................... 41.Quelquesthématiquesabordéespendantledébat ......................................................................................................42.Quelques­unesdesquestionsrécurrentes ........................................................................................................................63.Quelquespropositionsesquisséespendantledébat ....................................................................................................7

II.QUELSCHANGEMENTSENTERMESDEPRATIQUESCULTURELLES?............................................................................ 91.Quisontlespublics?Quellesmédiationsàleurségards? ..................................................................................... 102.Laquestiondesdroits ............................................................................................................................................................ 113.Initiativesàlarencontredespublics .............................................................................................................................. 124.Propositions................................................................................................................................................................................ 13

III.QUELSCHANGEMENTSPOURLESINSTITUTIONSCULTURELLESETLESPROFESSIONNELS?...............................141.L’évolutiondesmissions,descompétences................................................................................................................... 142.Lebesoindeformation .......................................................................................................................................................... 15

II.QUELSBOULEVERSEMENTSÉCONOMIQUESLENUMÉRIQUEENTRAINE­T­ILDANSLESMONDESDEL’ARTETDELACULTURE? ....................................................................................................19I.SOUTENIRLACREATIONETLAPRODUCTIONARTISTIQUEDANSUNCONTEXTEDEREVOLUTIONNUMERIQUE .19II.DIFFUSER,COMMERCIALISER,VALORISERLESPRODUCTIONS ...................................................................................231.Quelquesthématiquesabordéesparlestémoins....................................................................................................... 232.Lasocio­économiedelacultureàl’èrenumériquesuscitedenombreusesinterrogations.................... 273.Desacteursdunumériquequimarquentleursoucid’occupationetd’inscriptiondansleterritoire 274.LerôleattendudelaRégionestenfinlonguementévoqué................................................................................... 28

III.ORGANISERLESRESEAUX ................................................................................................................................................291.Commentetpourquois’organiserenréseaux?.......................................................................................................... 292.Troisenjeuxdansl’organisationdesréseaux.............................................................................................................. 313.Quelmodèleéconomiquepourl’innovation?.............................................................................................................. 32

III.LACULTUREFACEAUNUMÉRIQUE:UNENJEUCULTURELETDEPOLITIQUEPUBLIQUE..34I.LUTTERCONTRELAFRACTURENUMERIQUE:ENJEUXAUTOURDEL’EDUCATIONARTISTIQUEETCULTURELLEAUNUMERIQUE.........................................................................................................................................................................34II.FORMERÀDENOUVEAUXMÉTIERS,S’ADAPTERETINVENTERDENOUVEAUXEMPLOIS.......................................37III.CULTURENUMÉRIQUE,LIENSOCIALETPOLITIQUESPUBLIQUES .............................................................................42IV.NUMERISATIONETVALORISATIONDESRESSOURCESARTISTIQUESETCULTURELLESDESTERRITOIRES:ENJEUXETPERSPECTIVES?....................................................................................................................................................521.Laquestiondelamiseenréseauetdel’articulationavecleterritoire ........................................................... 522.Laquestiondelapolitiquedocumentaireetéditoriale .......................................................................................... 533.Desquestionstechniquesetjuridiques........................................................................................................................... 53

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En matière culturelle, la Région Rhône-Alpes a développé depuis 2004 un ensemble de concertations spécifiques, de diagnostics et d’évaluations partagées concernant les grands champs disciplinaires de l’action artistique et culturelle. Cette action a rassemblé de nombreux acteurs culturels et a aidé la Région à redéfinir sa politique. Elle a révélé le besoin de contacts, de coopération, de régulation et de points de repère communs entre les acteurs culturels. Forte de l’adhésion des professionnels à cette démarche, la Région souhaite poursuivre cette initiative. Aujourd’hui, de nouveaux questionnements se font jour, soulignant le besoin de mobiliser une réflexion collective, large et partagée, autour de ce qu’il convient d’appeler la révolution numérique, pour mieux appréhender les changements liés aux pratiques numériques et leurs répercussions artistiques, culturelles, économiques, sociales et environnementales, mais aussi pour penser une meilleure intégration du numérique dans l’ensemble des politiques culturelles et dans les projets artistiques. Cette concertation régionale s’est donnée pour objectif d’établir un état des lieux autour de cette problématique, de valoriser les démarches et expériences artistiques et culturelles ayant recours au numérique, mais aussi de susciter des propositions de la part des acteurs afin d’alimenter la politique culturelle de la Région. Trois séminaires de réflexion et d’échanges ont été proposés d’octobre 2010 à février 2011 sur les thèmes suivants :

‐ les transformations des pratiques (des populations, des artistes, des professionnels et des institutions) ;

‐ les enjeux économiques, l’impact du numérique sur les questions de production, diffusion,... ;

‐ les enjeux que soulève la révolution numérique en termes de politiques publiques. Ce document réalisé par l’Observatoire des politiques culturelles regroupe les synthèses émanant des ateliers proposés au cours des rencontres.

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I. Quels changements le numérique entraine-t-il en termes de pratiques ?

I.Quelschangementsentermesdepratiquesartistiques?

Synthèse de Catherine Beaugrand, artiste et professeure à l’École nationale des Beaux-Arts de Lyon Atelier du 4 octobre 2010 L’atelier s’est déroulé dans une ambiance animée, ponctuée de points de vue très diversifiés, à la mesure des positionnements, des divergences et des troubles sur la notion même de numérique. En ce sens, c’est une diversité numérique qui s’est dessinée dans ce débat où chacun a parlé de là où il se situait.

1.Quelquesthématiquesabordéespendantledébat Les outils numériques sont partout, mais ils ne jouent pas le même rôle et ne sont pas utilisés de la même façon dans les différents champs de la culture. Il en va de même dans le rapport entretenu par les artistes et créateurs avec ces technologies. Dans le champ des arts plastiques, certains ne travaillent qu’avec des outils numériques dans la réalisation et la diffusion, considérant l’intermédialité numérique comme un enjeu majeur. D’autres les emploient associés à d’autres formes, en relation à la conception de leur projet plastique ou dramaturgique. Certains imaginent des interventions dans l’espace du web, ou des dispositifs d’immersion dans l’espace d’exposition, d’autres encore privilégient les interactions avec le public. L’art génératif utilise des algorithmes pour concevoir des formes artistiques se générant de manière autonome. On assiste aussi à l’émergence de nouvelles pratiques, liées aux réseaux sociaux, qui conjuguent espaces et objets numériques à l’espace réel et aux questions urbaines. Cette multiplicité d’usages et d’approches est dans la nature même du médium numérique. Depuis la seconde moitié des années 1990, il est possible d’associer sur un mode « multicouche » des images fixes, des images vidéo, des graphismes, des dessins, des textes, des animations, des représentations tridimensionnelles. Précédemment, le cinéma, l’animation, les effets spéciaux, le design graphique, la typographie identifiaient un domaine spécifique de production. Aujourd’hui, leurs techniques fondamentales, leurs méthodes de travail, leurs modes de représentation et d’expression sont devenues combinables. Les champs de réalisation autrefois séparés, identifiés par des métiers spécialisés, peuvent à présent être réunis dans un ensemble de compétences acquises au niveau individuel. Les outils numériques brouillent les frontières entre les champs artistiques et engagent à de nouveaux types de

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collaborations. Toutefois, chaque domaine conserve aussi des spécificités. Dans le domaine du spectacle vivant, les questions de production et de diffusion sont assujetties à de nouvelles donnes. L’adéquation entre les technologies et la globalité du projet dramaturgique rend possibles des expériences spatiales et temporelles inédites. L’immersion provoquée par la superposition infinie des images et les interactions avec l’environnement – le théâtre augmenté – nécessitent des salles et des rythmes de monstration adaptés. Dans le domaine de la création musicale, la démocratisation des outils et le partage des savoirs avec l’open source1, les nouvelles formes d’écriture avec les logiciels de musique sont d’une telle évidence pour certains qu’ils évoquent le fait qu’il n’est même plus nécessaire de parler du numérique. L’informatique est entrée dans les conservatoires pour la formation et l’usage des musiciens. Les sons sont travaillés librement dans des environnements polymorphes. Le développement des pratiques en amateur et l’émergence des « pro/am », notion utilisée depuis 2004 pour décrire et définir le brouillage des frontières entre professionnels et amateurs dans le champ de la programmation, mais aussi de la création (musique, écriture, films d’animation,…), les modes d’autoproduction et d’autodiffusion demandent d’autres modèles économiques qui prennent en compte les processus réels de la production. D’autre part, les responsables de structure qui désirent établir une programmation innovante insistent sur la difficulté de parvenir à identifier des genres non repérés dans des logiques commerciales, pour en saisir la nouveauté. C’est une manière de pointer la nécessité d’une continuelle veille numérique à la recherche des données diffusées dans l’espace du web, laquelle requiert un ensemble de compétences à part entière. L’usage des technologies dans la création a pour conséquence l’émergence de nouveaux métiers et une plasticité organisée par les croisements de compétences. Artistes-programmeurs, électroniciens, réalisateurs en informatique, artistes numériques, artistes-ingénieurs, web-designers,… – sont des termes évoqués pour rendre compte de la place des mises en œuvre techniques. La question d’un langage partagé entre artistes et ingénieurs, artistes et techniciens est désignée comme une des difficultés actuelles dans l’élaboration des projets. Si la pluralité des propos est induite par le médium numérique, elle est aussi à relier au fait que les termes employés ne sont pas définis de façon commune. Le numérique est ce que chacun croit qu’il est. Beaucoup de points de vue ont montré de la circonspection, du trouble, des doutes. L’accent est mis sur l’importance de ne pas négliger la dimension critique et éthique face à la relation entre la création et les technologies de l’information et de la communication.

1 Open source (source wikipedia) (au Québec : « code source libre ») s'applique aux logiciels dont la licence respecte des critères précisément établis par l'Open Source Initiative, c'est-à-dire la possibilité de libre redistribution, d'accès au code source et de travaux dérivés. Souvent, un logiciel libre est qualifié d'« open source », car les licences compatibles open source englobent les licences libres selon la définition de la FSF. Le terme open source est en concurrence avec le terme « free software » recommandé par la FSF. Le terme « freeware » (gratuiciel) désigne des logiciels gratuits qui ne sont ni nécessairement ouverts, ni libres.

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2.Quelques‐unesdesquestionsrécurrentes Est-ce que travailler avec les outils numériques, c’est produire de la culture numérique ? Y a-t-il un type d’art numérique qui ouvre à des pratiques que l’art ne faisait pas avant ? Comment ne pas être berné par un certain émerveillement devant des interactions techniques ? Ne peut-on pas parler d’imposture dans la relation à la technique ? Comment éviter que le savoir informatique ne devienne un pouvoir ? La formation aux outils suffit-elle ? Est-ce qu’il n’y a pas confusion entre création et culture ? Si certains au cours de l’atelier affirment que « le virtuel ébranle les certitudes », d’autres trouvent là de nouvelles convictions. Les artistes sont vus comme particulièrement aptes à poser des questions sur des usages nouveaux et de nouveaux langages. Comment faire alors pour ne pas déconnecter l’art du public ? Comment former un public à de nouvelles pratiques musicales, théâtrales et artistiques ? « Démocratiser l’accès au numérique » passe par des modalités de médiation de plusieurs natures. Il s’agit de considérer autant la formation aux outils, aux interfaces, aux langages informatiques que la reconnaissance de l’histoire du numérique, laquelle rencontre plusieurs disciplines. Les avant-gardes des années 1960 ont mis en place des interdisciplinarités et produit des œuvres souvent revisitées actuellement dans une autre dynamique économique et sociale. Le monde technique et culturel des technologies de l’information et de la communication poursuit la première cybernétique née à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Les premières œuvres par satellite datent des années 1980 tout comme le premier cybercafé. L’internet s’est ouvert au grand public vers 1994. Les microprocesseurs et les réseaux de communication ne sont qu’une partie du développement exponentiel du web. L’internet est à la fois le résultat et l’infrastructure de nouvelles manières d’organiser des actions collectives, rendant possibles la création et la maintenance de biens culturels mis en commun. La culture numérique est aujourd’hui dans une nouvelle phase. On peut dire qu’il ne s’agit plus vraiment de construire des outils, mais d’imaginer comment ils vont être utilisés. L’internet des objets et l’internet mobile vont transformer directement les espaces de vie. Si la logique de la mondialisation a été mise en avant au début du web, il y a aujourd’hui un très fort retour à l’usage de réseaux de proximité. C’est à l’échelle de la ville et du territoire que s’imaginent des réseaux porteurs de projets et de sens. Il y a une hybridation entre les communautés virtuelles d’échelles différentes et les échanges organisés dans les lieux réels. Cette dimension a été évoquée par la nécessité de repérer clairement toutes les initiatives en matière de création numérique dans les différents domaines et par l’importance de mutualisations. La plupart des participants à cet atelier attendent beaucoup de ces journées de concertation afin qu’existe en Rhône-Alpes une politique culturelle active en faveur de la création numérique permettant la coordination des actions et leur visibilité. En effet, il existe dans la région de très nombreuses associations et des initiatives d’échelles variées qui rendent possible la mise place d’une

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dynamique territoriale. La question de l’économie de la création numérique a été soulevée de manière récurrente, non seulement face à ce qui est décrit comme un manque de moyens actuels mais aussi sur la nécessité d’inventer de nouveaux cadres économiques correspondants véritablement aux nouvelles donnes discutées dans cet atelier. Les pratiques numériques sont en pleine maturation et offrent de nombreux débouchés à la mesure des nouveaux usages. On notera qu’il n’a pas été question dans l’atelier du secteur – pourtant très actif dans d’autres régions – de l’écriture et de la poésie depuis l’hypertextualité, ni des recherches sémiologiques, sémantiques et philosophiques sur le web et les TIC.

3.Quelquespropositionsesquisséespendantledébat Une fédération régionale des associations et acteurs de la création numérique L’initiative a débuté depuis quelques mois avec la création du réseau des arts numériques en Rhône-Alpes (ANRA, www.reseau-anra.org). Il s’agit de repérer sur le terrain ce qu’il est nécessaire d’apporter afin de mettre en place des pistes sur des formes de financement adaptées aux statuts des créations et de leurs auteurs. Les ordinateurs sont devenus moins coûteux que les compétences et le temps nécessaire à la production. Les créateurs fabriquent les outils et les dispositifs en fonction de chaque projet. Cette économie du prototype ne s’accommode pas de la reproduction ou de la réutilisation, mais elle suppose la diffusion de l’œuvre. Les pratiques étant de plus en plus interdisciplinaires, les financements devraient pouvoir être transversaux. Une fédération de salles de spectacles Les salles ou les lieux de représentation qui se prêtent au théâtre augmenté sont plutôt de petite jauge. Il s’agit de mettre en place un réseau entre les régions pour faire circuler ces œuvres. Une fédération de tels types de lieux permettrait un mode de production lié à la multidiffusion. Un lieu dédié au numérique La nécessité d’un tel lieu n’est pas envisagée comme un simple lieu de plus, mais comme un « espace-passerelle » où seraient regroupées des informations qui permettraient de structurer ressources et moyens, un espace de mutualisation et de visibilité, un lieu où les différents niveaux de production pourraient coexister, un lieu de rencontre des publics. Les festivals La forme de festivals ou manifestations ponctuelles et régulières est vue comme un vecteur de familiarisation du public dans tous les champs considérés. Ce type d’événements serait à mettre en réseau avec des festivals existant ailleurs.

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La question de la formation artistique Celle-ci se pose à tous les niveaux depuis la maternelle. Il existe de nombreuses initiatives dans les écoles, collèges et lycées. Néanmoins, Il ne s’agit pas seulement de former aux outils, aux interfaces et au langage informatique, mais aussi à l’histoire culturelle et artistique du numérique, qui reste très spécialisée. La question de la recherche Le développement d’activités de recherches interdisciplinaires dans une région particulièrement riche en laboratoires de recherche universitaire et en écoles d’arts devrait se voir renforcé, de même que la possibilité d’inventer des formes de diffusion accessibles au public. Le lien avec les industries culturelles Les compétences croisées convoquent art, programmation et industrie. Cette donnée est multidirectionnelle. Elle concerne aussi le secteur de la formation et notamment la recherche. L’art dans l’espace public L’ouverture du 1% artistique aux pratiques numériques existe déjà dans d’autres régions (collèges, lycées). L’espace public urbain peut offrir des opportunités de familiarisation avec des œuvres numériques. Des artistes en résidence dans des institutions diverses À l’exemple du « wikipédien » en résidence au British Museum ou à la Bibliothèque nationale des Pays-Bas pour enrichir le contenu de Wikipédia ou du partenariat entre Wikimédia France et la Ville de Toulouse concernant le Museum d’histoire naturelle et les Archives municipales en vue d’un partage de connaissances en ligne, on peut imaginer des programmes de résidence artistique sur des projets spécifiques pour les créateurs numériques.

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II.Quelschangementsentermesdepratiquesculturelles?Synthèse de Dominique Cardon, sociologue, chargé de recherche à OrangeLabs, Paris Compte-rendu d’atelier du séminaire du 4 octobre 2010 Quelles sont les incidences du numérique sur les pratiques culturelles ? Faut-il parler d’une culture numérique ou plutôt d’une culture numérisée ? Les questions soulevées lors de l’atelier portaient sur les pratiques de consommation qui ont pour support un outil informatique (l’ordinateur, la console vidéo, les lecteurs musicaux, le « smartphone », la tablette numérique…) souvent associé à une connexion au réseau Internet. Mais elles se sont aussi attachées aux relations entre les publics et les institutions culturelles.

Pour introduire l’atelier, l’animateur, Hervé Glevarec (chargé de recherche au CNRS, Laboratoire « Communication et Politique », Paris), a proposé quatre hypothèses :

- une tendance à la convergence des différents domaines culturels qui s’associent et s’hybrident plus aisément sur les supports numériques ;

- un effet de démocratisation lié à un abaissement des coûts d’accès aux biens culturels (les coûts d’accès étant à comprendre à la fois comme des coûts financiers, cognitifs et organisationnels). En ce sens, on peut se demander si la généralisation des usages de l’internet n’augmente pas mécaniquement la compétence ou l’intérêt culturel des publics ;

- un effet de domestication et d’individualisation de la consommation de la culture qui se joue à la fois à l’extérieur et à l’intérieur du domicile. Le numérique favoriserait un « régime de valeur » plus souple, moins institutionnel, plus ouvert pour les biens culturels. À cet égard, on observe une tendance à la dissociation de plus en plus forte entre les pratiques in situ (concert, théâtre etc.) et les pratiques domiciliaires qui permettent la consultation à distance, sous la forme d’une appropriation plus personnalisée, des biens culturels ;

- une extension de la définition du culturel au champ social plus large. Cette dimension est par exemple une caractéristique des pratiques des réseaux sociaux de l’internet (Facebook, Twitter etc.) qui associent étroitement la production de soi (reconnaissance, réputation etc.) aux productions en amateur.

L’expérience de l’Espace Public Numérique de la M@ison de Grigny, évoquée par Guy Pastre (CoRAIA-Coordination Rhône-Alpes de l’internet accompagné / EPNL-Espace public numérique du Lyonnais) en introduction à l’atelier, a montré l’importance de la médiation et de l’accompagnement. Un espace public numérique n’est pas un simple cybercafé mettant à disposition des ordinateurs. Il se propose d’être un lieu d’articulation entre la culture légitimée (celle des médiathèques), la culture populaire (structure d’éducation populaire) et une culture en devenir, émergente, expérimentale… Il faut pour cela installer différentes formes de médiation numérique (médiation technologique, médiation sociale et médiation culturelle) afin d’établir des contacts fructueux avec les milieux artistiques et mener une politique de lutte contre les inégalités d’accès à la culture. Beaucoup d’utilisateurs sont peu informés, « subissent ce qui se passe et ce qui arrive sur l’internet sans recul », ce qui justifie un accompagnement actif et une politique éducative à l’égard des publics. En d’autres

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termes, le développement de la culture numérique redonne toute son actualité à la question de l’éducation populaire.

1.Quisontlespublics?Quellesmédiationsàleurségards? Les débats au sein de l’atelier ont fait apparaître de très grands contrastes dans la manière de percevoir et de se représenter les publics. Vu depuis les lieux de médiation culturelle, le public est en attente de médiation. « L’internet n’a rien réglé du côté de l’ouverture culturelle. Il ne suffit pas de mettre les outils à disposition. Quelles sont les compétences nécessaires pour ça ? Comment accompagner les gens ? » souligne l’un des participants ? Les Espace Publics Numériques sont majoritairement fréquentés par de « jeunes retraités » et par les « publics éloignés de la politique de la ville ». C’est un public qui se sent un peu perdu dans le monde numérique, qui trouve que le numérique, « c’est un peu la jungle, on s’y retrouve pas, on ne sait pas comment chercher ». Un responsable de MJC rencontre des jeunes qui ne savent pas écrire de courriel pour envoyer un CV. Par ailleurs, si les plus compétents sont plus aventureux, « les gens font ce qu’ils connaissent ». Ils auraient tendance à s’enfermer dans leur passion et leur centre d’intérêt. Il est vital de continuer à les accompagner pour favoriser une ouverture culturelle. Vue sous cet angle, la dimension éducative et citoyenne apparaît indispensable dans le rapport au public. Mais une autre perception des publics numériques s’est aussi exprimée dans le débat. Les jeunes publics notamment apparaissent comme habiles, adroits et montrent une facilité avec les technologies que n’ont pas les adultes. « Ils n’ont pas besoin de nous. Ils se forment entre pairs » a-t-on entendu au cours de l’atelier. Ces jeunes populations ont développé des manières de faire et des systèmes d’échange qui dessinent les contours d’une culture numérique « populaire ». Le partage, la conversation, l’exposition de soi y constituent des traits majeurs. Or, insiste l’un des participants, « c’est un volet souvent occulté par l’éducation populaire. Cette culture numérique fait partie de l’identité de l’individu. On a intérêt à porter attention à cet élément de l’identité de la personne. On est des éducateurs, on sait ce qui est bon pour eux et du coup on méprise leur patrimoine culturel. Lorsque quelqu’un donne la recette de la ratatouille sur son blog, est-ce qu’il s’agit d’une pratique culturelle qui a besoin d’une médiation ? ». Quelle place occupent doivent occuper la culture et les institutions culturelles dans les Espaces Publics Numériques ? Faut-il par exemple être « ludique », encourager l’humour, qui est un trait important des échanges numériques des jeunes publics ? Un des problèmes que rencontrent les institutions culturelles est qu’elles permettent à leur public de réaliser des projets numériques (films, photos, musique) au sein de l’institution, tout en les empêchant de diffuser ensuite leurs productions dans les réseaux sociaux d’échanges. A cet égard, beaucoup d’intervenants ont souligné les difficultés des institutions culturelles devant ces nouvelles pratiques. Pour accompagner l’expressivité et le partage sur l’internet, il faudrait disposer d’un

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régime plus ouvert de droit de propriété. L’étiquetage et la réutilisation des contenus sont souvent rendus difficiles. D’autres participants ont souligné qu’il était nécessaire de « donner des repères pour que les gens soient autonomes et ne rendent pas visible toute leur vie sur Internet ». Il faut aussi éduquer : tout n’est pas gratuit et ré-appropriable sur l’internet, souligne un intervenant. Dans ce débat, une autre approche est de développer, comme le fait à Grenoble l’Association pour un conservatoire de l’informatique et de la télématique (ACONIT, www.aconit.org), une culture des pratiques numériques en mettant en exergue les modèles de gouvernance et de coopération qui sont propres à l’univers informatique.

2.Laquestiondesdroits Certains intervenants, notamment un chef d’entreprise développant des applications innovantes pour tablettes numériques, regrettent l’influence de la culture du gratuit sur l’internet (« Ma grand-mère m’a toujours dit : Ce qui ne coûte rien ne vaut rien »). D’après les propos des uns et des autres, cette logique tire tout le monde vers le bas et empêche d’avoir des projets ambitieux (est cité en exemple l’application gratuite pour l’exposition Monet, jugée de faible qualité). D’autres soulignent que sur l’internet où se mélangent « le non-profit et le marché », on est obligé d’admettre la publicité, ce qui est un problème important pour les institutions culturelles. Anne-Claude Lumet évoque le cas de Festimaj, festival international de films d’école à Lyon (www.festimaj.fr) qui diffuse des films depuis deux ans dans de nombreux lieux et se trouve souvent sollicité par des chaînes de télévision. Mais le CNC ne sait pas répondre juridiquement sur les droits de propriété des films d’école, lorsque ces derniers sont diffusés pour promouvoir l’image dans le milieu éducatif. D’autres participants soulignent que lors d’expériences de coproduction entre des artistes et des habitants de quartiers (la compagnie La Hors-De en résidence à Lyon-la Duchère, par exemple), ce sont les habitants qui fournissent le contenu numérique et que la production de l’artiste est ensuite « copyrightée ». Pour Michel Jeannès de La Mercerie à Lyon (www.lamercerie.eu), il faudrait réviser la notion de co-auteur pour les habitants qui participent au contenu. Il faut identifier la place de chacun dès le début du projet, car une fois que l’œuvre est produite, c’est trop tard. Si les habitants ont été contributeurs, est-ce que l’œuvre leur appartient ? Ils ont agi, créé un produit, mais souvent, les règles ne sont pas explicitées par les initiateurs du projet. Cette question interroge le statut de l’œuvre (une partie de la réponse est dans la généralisation de la licence libre) et invite à travailler à d’autres modèles économiques que ceux qui existent déjà.

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3.Initiativesàlarencontredespublics Pour Pierre Amoudruz, directeur artistique de l’association AADN – Développement des arts et cultures numériques (Lyon, www.aadn.org), les initiatives destinées à encourager les arts numériques dans le quartier lyonnais de la Guillotière ont permis de mettre en réseau les artistes qui s’autoproduisent, en favorisant l’hébergement, le catalogage et les installations collectives. Cette politique suppose une inscription forte dans une logique de territoire et une implication dans le quartier. Dans d’autres contextes, les initiatives créent aussi les conditions d’une rencontre entre la sphère des créateurs et le monde des technologues. Cette coordination entre artistes et ingénieurs est complexe à mettre en place et demande un investissement long dans le temps. D’autres participants, à l’exemple du Musée des Confluences (Lyon), portent attention aux usages et aux nouvelles pratiques culturelles des publics plutôt qu’aux outils. De nombreuses initiatives soulignent que pour toucher les publics numériques, il faut aussi repenser le rôle et la place des artistes et des institutions culturelles (festival, participation du journal local etc). Par exemple, pour faire réaliser collectivement un blog par la population, il est plus difficile de le faire avec les méthodes de l’éducation populaire, comme à l’époque des radios libres à base associative. À l’égard d’un blog, les publics ont un rapport plus individuel, plus autonome. La participation est plus intermittente. Les animateurs doivent donc intervenir sous une forme plus « douce », plus horizontale, afin de trouver une gouvernance pour la certification des articles qui garantisse le travail collectif tout en préservant l’expressivité individuelle (« on réfléchit encore trop dans un cadre traditionnel avec de l’informatique, de la gouvernance, de l’horizontalité »). Au cours du débat, la question du sens et de la neutralité des outils a également été soulignée. Faut-il utiliser n’importe quel outil ? Comment introduire, auprès du public, un regard critique sur les outils et leurs effets ? À travers la question des logiciels libres et de la culture libre apparaît aussi une dichotomie entre la « diffusion culturelle » et la « libre diffusion de la culture » ; la première est descendante, alors que la seconde est plus horizontale. Le monde culturel, qui se place traditionnellement dans une position de médiation (par exemple, dans les médiathèques), se sent parfois en danger et n’ose pas tirer toutes les conséquences des formes plus horizontales de la libre diffusion de la culture. Cependant, cette position dans le débat a fait apparaître qu’un modèle trop « libéral » laisserait toute sa place à la culture marchande sans forcément encourager les formes culturelles plus exigeantes. La nécessaire formation des professionnels à ces nouveaux enjeux a été soulignée. Le Musée des Beaux-Arts de Lyon s’interroge sur la manière d’aller sur le web 2.0 (« comment aller sur ces réseaux sociaux, dans un endroit où l’on ne maîtrise pas ce qui est dit sur nous ? »). Avec les réseaux sociaux, la promotion du musée avec les outils de communication traditionnels apparaît froide et distante. On n’est plus dans la concurrence entre le site réel et le site virtuel, mais entre le site officiel et la présence du musée sur les réseaux sociaux. Les visiteurs prennent déjà des photos dans les salles et le musée a une politique tolérante à l’égard des reproductions d’œuvres que les

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visiteurs font circuler sur l’internet à travers les sites, blogs ou réseaux sociaux. Faut-il s’ouvrir à de nouveaux publics en créant une page de « fan » du musée sur Facebook ? La mise en place d’une page réclame une équipe d’animation dédiée… « Peut-on imaginer que le site du Musée des Beaux-Arts ne soit pas fait par le musée mais par les internautes ? » demande l’un des participants. La question paraît provocante, mais n’est-ce pas déjà le cas sur Wikipédia ? À ce jour, le musée des Beaux-Arts répond à cette question en donnant la parole aux internautes pour commenter, mais pas pour écrire les notices consacrées aux œuvres. Pourquoi les institutions publiques n’ont-elles pas pris en charge la diffusion des informations certifiées sur les artistes et les œuvres ? « Lorsque le public cherche des informations sur les œuvres de nos musées, il ne va pas sur Culture.lyon.fr, mais sur Wikipédia. Qui va s’emparer de Claude Monet ? Est-ce que c’est le musée, la maison de Giverny ? Est-ce que ce sont les seuls internautes ?» s’interroge quelqu’un. Certains participants regrettent que les institutions qui possèdent des œuvres ne servent pas de références dans la communication auprès des publics dans la mesure où ils pourraient apparaître comme le principal pourvoyeur d’informations. La plupart du temps, ce sont les internautes, les initiatives privées qui diffusent l’information et le commentaire sur les œuvres. Ce n’est pas toujours le cas pour la culture scientifique et technique, soutient une participante, en prenant exemple sur le travail de constitution d’une base de données entre différentes collectivités qui enregistrent des témoignages de l’histoire de l’informatique, de la chimie ou de la physique. En conclusion, Hervé Glevarec se demande à propos de l’essor de la culture numérique s’il ne faudrait pas mettre en place une « médiation augmentée », ce qui pose autant la question de la formation des médiateurs que celle des populations concernées. Il fait en particulier remarquer que l’internet suppose une assez grande familiarité avec le texte alors qu’une partie de la population est en délicatesse avec l’écrit…

4.Propositions

- Il est important de mutualiser les moyens et les compétences. Les projets numériques peuvent coûter très cher. Il faut des formats libres afin de mutualiser et d'éviter la concurrence. La compétition et les formats propriétaires n’ont pas de sens dans le milieu culturel.

- Comment attirer la population ? En se posant dans l’espace public, en sortant des lieux institutionnels, afin de faire participer les gens et en accordant une grande importance à la restitution à la fin de la résidence. L’internet déplace les lieux de la rencontre avec la culture vers des espaces moins convenus, plus inattendus…

- « Arrêter avec les politiques d’équipement et former les compétences des intervenants ».

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III.Quelschangementspourlesinstitutionsculturellesetlesprofessionnels?Synthèse d’Anne-Caroline Jambaud, journaliste – Séminaire du 4 octobre 2010 Trois axes ont été définis pour structurer le débat de cet atelier : en quoi le numérique transforme-t-il les missions des institutions et les compétences professionnelles ? En quoi fait-il émerger de nouveaux métiers et donc des besoins en formation ? En quoi suscite-t-il de nouvelles mises en réseau, des co-productions de projets ? L’animateur de l’atelier, Emmanuel Vergès, directeur du Zinc (Marseille), a invité les nombreux participants (près de quatre-vingts) à pointer ce qui change, ce qu’il faudrait améliorer, et finalement ce qui pourrait être proposé pour constituer une politique culturelle régionale.

1.L’évolutiondesmissions,descompétences- Pour les lieux d’art : Yves Aupetitallot, directeur du Magasin-Centre national d’art contemporain (Grenoble), explique que depuis une quinzaine d’années, le numérique a trouvé sa place dans chacune des missions du centre d’art qu’il dirige : production d’expositions, information auprès des publics et recherche. Il souligne que le numérique permet de développer une médiation de moins en moins scolaire et académique, d’apporter de nouveaux outils de compréhension, plus mouvants, plus vivants, dans une restitution plus immédiate. Mais cette évolution pose aussi plusieurs questions :

‐ l’évolution des publications et du travail de recherche : faut-il les mettre en ligne gratuitement ? Comment les protéger ? Pourquoi ne pas mettre en réseau les centres d’art pour vendre les livres grâce à l’outil numérique ?

‐ l’accessibilité à tous les publics : comment prendre en compte sur l’internet les publics handicapés (visuels et auditifs) ? Les personnes âgées peu familières des TIC ? Les jeunes qui n’ont pas tous accès à la téléphonie mobile pour visiter les expositions ?

‐ comment absorber les conséquences budgétaires du passage au numérique, par exemple pour proposer des applications destinées aux « i-phones » ?

- Pour les médiathèques, la lecture publique : Pour Lionel Dujol, responsable de la médiation numérique des collections et du service multimédia pour les médiathèques du Pays de Romans, le numérique bouscule sur ses piliers le métier de bibliothécaire, encore marqué par une approche très « information-documentation ». En effet, les bibliothèques sont fondées sur le stock et sur la centralité de leur silo quand le numérique propose du flux informationnel continu, en dissémination permanente. Les bibliothèques défendent la rareté, l’internet l’abondance.

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L’internet ouvre un nouvel espace-temps, de nouveaux territoires qui, comme dans les westerns, sont investis par les premiers arrivés : souvent, les marchands. Il faut que les services publics, encore très peu présents, occupent ce territoire, en expérimentant, en proposant des contenus au public (et non plus seulement des catalogues de ressources), à l’image de ce que fait la Bibliothèque municipale de Lyon avec le service « Points d’actu » (www.pointsd’actu.org). Pour cela, il faut revoir la formation et le recrutement des bibliothécaires, qui se font toujours sur la base de circulaires et de statuts qui datent des années 1980… Et qui permettent à Sony d’adopter comme slogan publicitaire « sexier than a librarian » ! - Dans le domaine des musiques actuelles : un participant (Bernard Decôte, La Pêche, Savoie) a souligné au cours de l’atelier plusieurs évolutions en cours, auxquelles il convient de préparer les professionnels :

‐ la chute très forte du disque et la prolifération d’images et de sons en télé et jeux vidéos, qui fait bouger la frontière entre artistes du spectacle vivant et de l’audiovisuel ;

‐ les technologies à distance, qui offrent de nouvelles possibilités : elles permettent d’échanger des supports et des données à grande vitesse. Elles accordent également une place croissante au e-learning, dans sa dimension synchrone (comment organiser une répétition entre des gens qui sont dans des lieux différents ?) et dans sa dimension asynchrone (comment travailler sur des outils différés ?).

2.LebesoindeformationDans l’ensemble, les nombreux participants à cet atelier ont surtout exposé les besoins en formation, et témoigné de logiques de mise en réseau d’ores et déjà à l’œuvre sur le terrain. En termes de formation, il y a beaucoup à faire, et pas seulement dans le champ culturel ! Plus qu’une formation, c’est toute une éducation qui est à faire, voire une « alphabétisation », selon le mot de François Duport (Holis – TIC) : « Comment peut-on organiser une alphabétisation des professionnels, et la culture peut-elle en être un accélérateur ? ». Plusieurs participants ont insisté sur le rôle de l’école, des structures d’enseignement. L’internet et le numérique ouvrent de nouveaux territoires, mouvants, foisonnants, générant des masses d’informations dans lesquelles on peut facilement se noyer (« Comment on fait pour se repérer, pour apprendre à nager ? »). Il y a là un défi pédagogique à relever. La question de la pédagogie est posée également aux écoles de formation artistique. Le numérique fait-il partie désormais de leur cursus ? Comment mieux l’intégrer ?

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Plusieurs intervenants ont suggéré l’idée de s’appuyer sur des dispositifs existant en Rhône-Alpes – « et enviés ailleurs » – pour assurer cette formation : la CoRAIA (Coordination régionale de l’internet accompagné – www.coraia.org) ou le réseau professionnel et territorial d’acteurs de la formation continue et des TIC en Rhône-Alpes (FORMAVIA – www.formavia.fr). Il existe également, dans le champ spécifique du spectacle vivant, un « contrat d’objectifs emploi formation » en Rhône-Alpes (COEF), signé entre les pouvoirs publics et les partenaires sociaux, qui pourrait tout à fait accompagner cette dynamique créée par le numérique. Autre suggestion : lancer un appel à projets dans ce domaine auprès des universités de la région. Plusieurs participants ont souligné que ce qui était important dans le champ artistique, était moins les outils numériques que ce que l’on veut en faire : « On dissocie trop contenant et contenu, il faut les agencer pour faire avancer l’écosystème » s’est ainsi exprimé le directeur pédagogique du groupe Bellecour, école d’art (http://www.bellecour.fr). Le représentant du dispositif pour la création artistique multimédia (DICREAM) du Centre national du cinéma et de l’image animée a bien précisé que les aides accordées l’étaient aux œuvres, et non pas aux technologies ou aux disciplines. En lien avec cette question de la formation, plusieurs nouveaux métiers ont été pointés par différents participants : à l’heure du « web cube » ou « web sémantique », les agrégateurs de contenus sont ceux qui font les beaux jours du web, estime Gilles Lemounaud (Festimaj). La conservation des données numériques étant assurée par l’organisation de leur migration sur de nouveaux supports, de nouveaux métiers, de l’ordre de l’ingénierie de la migration, vont sans doute se développer. Problème : comment recruter, puis financer ces postes ? Geneviève Dalbin (ARALD) cite les archives de la presse locale et régionale sur le site Lectura (portail des bibliothèques des villes-centres de Rhône-Alpes – lectura.fr), qui représentent des millions de fichiers à convertir perpétuellement. Cela prend du temps, des moyens ; comment les trouver ? 3.Lesmisesenréseau En quoi le numérique suscite-t-il de nouvelles mises en réseau, des co-productions de projets ? De nombreux participants ont témoigné d’expériences de réseaux déjà à l’œuvre sur le terrain. - Dans les bibliothèques : le site Lectura.fr, « mémoire et actualité en Rhône-Alpes » auquel participe une soixantaine d’acteurs du livre et des archives de la région. - Dans les librairies : la librairie Passages (Lyon) rappelle le projet de portail de la librairie indépendante (1001libraires.com), car « la solution des libraires pour diffuser des contenus numériques ne peut être que collective ». - Pour la musique : sous le nom de cd1d existe une fédération des labels indépendants, dont la déclinaison rhônalpine s’appelle « 1drhônealpes.com » : cette plateforme musicale régionale a pour but de promouvoir la création et de proposer un espace de présentation et de collaboration aux acteurs

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des métiers de la production phonographique de la région. Se pose le problème de la diffusion : « En réfléchissant à des outils par tous et pour tous, en étant petits et structurés, on peut arriver à être plus forts dans cet espace ; à nous d’inventer des niches d’existence dans ce nouveau monde déjà largement pris par les majors », estime Éric Petrotto, qui représente cd1d. Comment les plateformes musicales indépendantes peuvent-elles être visibles au même titre que les majors ? - En ce qui concerne les médias citoyens et les radios non commerciales : il y a des expériences de mise en commun de contenus locaux, ainsi qu’un projet de création d’une base de données pour la mémoire citoyenne de la région. Mais se pose le même problème de diffusion. Quel(s) tuyau(x), quelle(s) infrastructure(s) choisir, et quelle(s) utilisation(s) en faire ? - La question des structures et des infrastructures est souvent revenue dans les échanges. La question de l'aménagement numérique du territoire et de l'accès “physique” aux technologies de l'information peut être évoquée : comment développer des réseaux à très haut débit, fixes et mobiles, et assurer ainsi, notamment, le développement de nouveaux services et de contenus audiovisuels – et cela uniformément sur l'ensemble du territoire ? Certaines collectivités ont décidé d'intervenir directement dans la création de réseaux de télécommunication. Fermés, à destination de communautés d'utilisateurs publics, c'est le cas de Rhône-Alpes avec AMPLIVIA. Ce réseau haut débit fonctionne via le réseau national d'enseignement supérieur “Renater” et bénéficie à l'ensemble des établissements d'enseignement supérieur et de recherche, ainsi qu'à l'ensemble des établissements scolaires (1500 raccordés en Rhône-Alpes). Pourquoi ne pas imaginer un réseau de ce type pour les établissements et acteurs culturels ? Ou des réseaux ouverts aux acteurs publics et privés, voire au grand public. Par exemple, en région Pays de la Loire existe un projet de réseau d'initiative publique à très haut débit : Gigalis (http://www.gigalis.org). Mais la question des infrastructures renvoie également à la celle des incontournables moteurs de recherche de type Google. Faut-il se contenter d'être présent sur son propre site et toucher un public forcément un peu acquis d'avance ou limité, ou être présent là où sont les flux et donc être bien visible sur l'autoroute « Google » ? C'est la question qui s'est posée à la Bibliothèque municipale de Lyon et se pose à beaucoup d'autres. La question des infrastructures renvoie également à la celle des technologies : lesquelles privilégier ? DSL, câble coaxial, CPL, fibre optique, technologie sans fil (WIFI), satellite, etc. ? De même, peut-on envisager de créer des hébergeurs qui ne relèveraient pas seulement du secteur marchand ? Quel champ d'intervention des acteurs publics dans ce “marché” des télécommunications ? Quel équilibre faut-il trouver avec le marché ? A partir de quand la collectivité se substitue-t-elle à l'initiative privée ? - D’autres expériences de réseaux, dans le domaine spécifique de l’art numérique, ont été citées au cours de l’atelier : le réseau ANRA, réseau des arts numériques en Rhône-Alpes, en cours de constitution (www.reseau-anra.org). Objectifs : faire une cartographie des acteurs de la région intéressés par les arts numériques, identifier les besoins en formation et en diffusion et mutualiser les moyens. Les membres de ce réseau étaient venus en nombre à cet atelier : AADN, Métalab, Projet Bizarre… Parmi eux, « Aimez-vous Brahms ? » (www.myspace.com/aimezvousbrahms), structure de production d’artistes et de tournées, pointe le besoin en investissement des salles pour accueillir des équipes de création numérique.

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- Enfin, plusieurs interventions ont souligné l’importance du logiciel libre, permettant une appropriation libre et gratuite des contenus. C’est le cas de Framasoft, réseau de sites web collaboratifs issu du monde éducatif (www.framasoft.net), dont le dénominateur commun est le logiciel libre et son état d’esprit. Mais les institutions culturelles semblent encore privilégier les logiciels propriétaires. 4.Unbesoind’expertise,d’interlocuteurscompétents À qui peut-on s’adresser quand on travaille dans le champ du numérique, et notamment de la culture et des arts numériques ? À qui présenter ces projets ? La question est souvent revenue dans les échanges : « il existe des réseaux d’acteurs en Rhône-Alpes, mais pas de politique culturelle spécifique, pas de centres culturels spécialisés, pas de médiateurs. Moi, je ne sais pas à qui m’adresser à ce jour », témoignait un artiste et réalisateur pour le spectacle vivant et les arts numériques. L’association Narcolepsie à Grenoble témoigne également dans ce sens : « les associations jouent un rôle sur le terrain, mais il faudrait des gens formés, dans les institutions et administrations culturelles, pour évaluer les projets d’art numérique ». Ces témoignages posent la question de l’expertise, tant artistique que politique. François Deschamps, directeur des affaires culturelles du Département de la Haute-Savoie et président de l’association nationale Culture et départements, s’interroge : « Comment expertise-t-on aujourd’hui (et expertisera-t-on demain) les projets qui font intervenir le numérique ? À qui les confier ? À un chargé de mission ‘arts numériques’ ? À un conseiller cinéma, arts plastiques, communication ? Comment arriver à spécifier les projets porteurs d’une vraie créativité numérique ? ». Ainsi, si le besoin de formation aux transformations générées par le numérique est grand chez les professionnels de la culture, il semble l’être tout autant chez leurs interlocuteurs institutionnels, administratifs et politiques.

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II. Quels bouleversements économiques le numérique entraine-t-il dans les mondes de l’art et de la culture ?

I.Soutenirlacréationetlaproductionartistiquedansuncontextederévolutionnumérique Synthèse de Dominique Sagot-Duvauroux, professeur à l’université d’Angers, directeur du GRANEM – Séminaire du 30 novembre 2010

L’atelier est introduit par Emmanuel Tibloux, directeur de l’Ecole Supérieure d’Art et de Design de Saint-Etienne. D’emblée, il propose que le sujet de l’atelier soit élargi au soutien à la formation et à la recherche en amont de la création, et à la diffusion en aval. Se référant au Bauhaus, il souligne le rôle de l’artiste pour humaniser la technologie. Il met en avant certaines tensions entre, par exemple l’omniprésence du numérique et la difficulté de s’approprier cette technologie, entre art, design et industrie, entre logiciel libre et logiciel propriétaire. Surtout, il insiste sur la façon dont le numérique interroge les notions d’auteur, d’identité, de propriété et d’originalité. Plus que de révolution numérique, il propose de parler de conversion numérique. Dans ce contexte, le rôle des pouvoirs publics doit s’inscrire entre deux bornes : pallier les défaillances d’anciennes instances (instances de légitimation, instances de protection contre le marché, système de droit de propriété intellectuelle) d’un côté ; accompagner la conversion numérique notamment par la formation et la recherche de l’autre. Julien Arnaud, chargé de mission au Centre national de la cinématographie et de l’image animée décrit le dispositif d’aide à la création multimédia et numérique (DICREAM). 28 projets émanant de la Région Rhône Alpes ont été déposés dans ce cadre et 10 ont été financés. Le soutien concerne l’aide à la maquette, l’aide à la production et le soutien aux festivals. Il souligne quelques difficultés rencontrées par ce programme : comment mesurer les apports en industries des partenaires des projets, le CNC apparaissant souvent comme le seul apporteur de liquidité ? Comment distinguer la production de la diffusion ? Comment éviter que ce dispositif ne soit perçu comme une instance de labellisation des projets ? Khais Difi, designer graphique et photographe s’interroge également sur la notion de révolution numérique et lui préfère celle d’évolution ou d’extension numérique. Plutôt que d’essayer de définir ce qu’est l’art numérique, il insiste sur les nouvelles opportunités de diffusion offertes par le numérique. Par exemple le photographe américain Stephen Shore qui fut l’un des premiers à utiliser la couleur dans son travail, publie un livre numérique par semaine. Lui-même prend des photos en argentique mais les diffuse sur Internet grâce au numérique. Le principal besoin qu’il ressent en tant

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que créateur n’est pas tant une aide à la création ou à la diffusion numérique (qui sont peu coûteuses) qu’une aide à l’exposition – qu’il s’agisse d’expositions virtuelles ou d’expositions dans des lieux physiques – car réaliser une exposition coûte cher. David-Olivier Lartigaud, professeur à l’école supérieure de design de Saint Etienne, en charge du laboratoire d’art numérique, s’inquiète que la partie technique du numérique escamote parfois la partie artistique. Il se réjouit que les logiciels libres réduisent sensiblement le coût d’entrée des artistes dans les nouvelles technologies mais constate la perte de vitesse de la France dans la recherche sur les arts numériques, notamment en comparaison de ce qui se passe dans le Medialab du MIT. Il recommande un plus grand soutien aux laboratoires d’art numériques qui se développent dans les écoles d’art françaises. Eric Auoanès, cofondateur de la plateforme de téléchargement de musique libre Dogmazic insiste sur la nécessité pour l’auteur d’affirmer lui-même ses droits sur son œuvre. La diversité des licences libres permet à l’auteur de décider quelles utilisations de son œuvre il autorise. Contrairement à ce qui est souvent pensé, les licences libres renforcent le droit de propriété plus qu’elles ne l’atténuent. Mais les utilisateurs ne le comprennent pas toujours. Dogmazic se présente en fait comme une association qui assiste les auteurs dans la gestion individuelle de leurs droits. Aucun d’entre eux ne sont à la Sacem, remettant ainsi en cause le monopole de celle-ci. Le rôle des pouvoirs publics devrait, selon lui, se concentrer sur la diminution des barrières juridiques qui freinent aujourd’hui l’activité de création. Damien Briatte, fondateur et directeur du studio de jeux vidéos et d’animation les Tanukis, après avoir présenté quelques réalisations de son studio, plaide pour la reconnaissance du statut d’œuvre des jeux videos tout en constatant le no man’s land juridique sur la question de qui est l’auteur d’un jeu video. Il insiste sur la nécessité pour la Région de concentrer son aide sur la création de contenus. Enfin, Catherine Rossi-Batôt, directrice du Lux, Scène Nationale de Valence, s’interroge sur les enjeux de la disparition des frontières entre les arts que le numérique accélère. Elle souligne la nécessité de mettre en place des dispositifs de financement transversaux à l’instar du dispositif du CNC présenté au cours de l’atelier. Elle s’interroge sur les conséquences en termes de coûts du passage au numérique notamment pour les salles de cinéma. Par exemple, la baisse potentielle des coûts de distribution va-t-elle favoriser (ou non) la diversité ? Comment utiliser les facilités offertes par le numérique pour diffuser la création ? En conclusion de ces échanges et avant de donner la parole à la salle, Emmanuel Tibloux rappelle quatre enjeux apparus dans le débat qui interroge les politiques publiques :

- le premier est celui du rapport entre création artistique et production industrielle, central évidemment dans une école de design. Comment les pouvoirs publics peuvent-ils encourager ces liens tout en protégeant la création artistique d’une instrumentalisation économique, c'est-à-dire encadrer la relation artiste/marché ? ;

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- le deuxième enjeu, soulevé par Kaïs Dhifi, porte sur l’aide que pourrait apporter les pouvoirs publics à la matérialisation des oeuvres numériques dans des « vrais lieux « et sous la forme d’œuvres matérielles et d’exposition ;

- le troisième enjeu est relatif à la position que doivent adopter les pouvoirs publics face aux licences libres et à cette économie non marchande qui s’est développée sur internet. Comment soutenir les « biens communs » ? ;

- enfin, comment soutenir la formation et la recherche sur l’art numérique insuffisamment développées en France ?

Le débat avec la salle permet de faire émerger les questions suivantes :

‐ Qu’est-ce qu’une œuvre ? Doit-on distinguer la notion d’œuvre de la notion d’œuvre d’art ? La notion d’œuvre est importante en matière de droits d’auteur. Mais elle ne préjuge pas de la qualité de l’œuvre. La question de savoir quand une œuvre peut être considérée comme une œuvre d’art est complexe et en partie subjective. Une autre question est de savoir dans quelle mesure les jeux vidéos peuvent être considérés comme des œuvres et donc protégeables au titre du droit d’auteur et du coup qui en est l’auteur (œuvre collective ou œuvre de collaboration) ?

‐ Comment articuler des dispositifs de soutiens sélectifs qui nécessitent d’expliciter les critères de choix et notamment cette notion d’œuvre d’art et des soutiens automatiques qui viennent en appui d’une profession ou d’une branche d’activité ? La limite des soutiens sélectifs est qu’ils transitent par des commissions qui ne sont pas toujours très ouvertes à la création émergente. Les arts de la rue ou la danse contemporaine ont ainsi pu se développer au départ grâce aux dispositifs de l’intermittence, les commissions d’allocation de subvention étant peu disposées à soutenir ces genres esthétiques. L’expérience montre qu’un équilibre entre ces deux formes de soutien est nécessaire pour garantir une diversité de la création

‐ Quels partenariats public-privé envisager ? Comment les pouvoirs publics peuvent solliciter ou accompagner des projets portés par des entreprises comme Orange dans le domaine des arts numériques ?

‐ Comment atténuer les barrières juridiques liées au numérique par une mutualisation des ressources ? Les technologies numériques ont en effet contribué à complexifier les systèmes de propriété intellectuelle. De nouvelles formes de licences sont apparues, souvent mal comprises par les artistes et par les utilisateurs. Il apparaît alors nécessaire de mettre en commun des compétences juridiques sur les enjeux du choix d’un type de licence plutôt qu’un autre. Les licences open source par exemple n’autorise pas toute utilisation libre de l’œuvre ainsi protégée.

Au final, cet atelier a permis de mettre en évidence un certain nombre d’interrogations posées par les technologies numériques au monde de la création artistique :

- Interrogations sur des concepts ou des définitions : doit-on parler de révolution, de conversion, d’évolution numérique ? Est-ce que ce que nous vivons aujourd’hui est radicalement nouveau ? Il a été plusieurs fois fait référence par exemple aux expériences

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pionnières des années soixante. Qu’est-ce qu’une œuvre d’art numérique ? Un jeu vidéo est-il une œuvre d’art ? Doit-on distinguer la notion d’oeuvre de celle d’œuvre d’art ?

- Interrogations sur la façon d’évaluer les œuvres numériques et sur les instances de

légitimation aptes à procéder à ces évaluations : est pointée ici la difficulté de faire évaluer un art dont le développement s’appuie très souvent sur l’effacement des frontières entre les disciplines artistiques par des instances qui restent encore essentiellement disciplinaires. D’où l’intérêt de développer des dispositifs du type de celui mis en place par le CNC ou bien des lieux comme la Scène nationale Le Lux dont le projet est fondé sur cette interdisciplinarité.

- Interrogations également sur l’adaptation du système des droits d’auteur et des politiques

publiques à des formes de création collaboratives qui s’apparentent de plus en plus souvent à un bien commun. Si le mouvement des licences « libres » renforce plus qu’il n’atténue les droits de l’auteur sur son œuvre, les auteurs n’assument pas toujours pleinement la possibilité qu’ils ont de définir eux-mêmes l’étendue des droits qu’ils cèdent. De même, les licences libres sont souvent mal interprétées par les utilisateurs qui se croient tout permis dès lors que la licence est dite libre. L’environnement juridique non stabilisé du numérique complique par ailleurs le travail de création des artistes et nécessite la mise en place d’outils juridiques mutualisés pour réduire les incertitudes qui peuvent inhiber le travail créatif.

- Interrogations sur la façon d’articuler différents types de financements (publics/privés,

automatiques/sélectifs) : comment ces financements doivent-ils à la fois garantir l’autonomie de la création artistique tout en accompagnant son intégration dans le tissu économique et social ?

Une lecture en creux de l’atelier permet cependant de pointer un certain nombre de questions qui n’ont pas été véritablement posées. A par exemple été peu abordée la question des finalités du soutien public aux arts numériques et notamment les enjeux des technologies numériques en termes de démocratisation de l’art et de diffusion des œuvres. En quoi les technologies numériques réinterrogent-elles les fondements et les instruments des politiques publiques ? Assez logiquement, les acteurs raisonnent principalement à partir des dispositifs existants : aide à l’exposition, résidence, aide au projets mais ils ont du mal à formaliser des propositions nouvelles. C’est pourquoi la réflexion sur la mutualisation de ressources juridiques ou sur l’invention de nouveaux lieux culturels (à l’image d’ailleurs de la scène nationale Lux), juste amorcée au cours de l’atelier, mériterait d’être approfondie. Par exemple, quelles opportunités offrent la numérisation des salles de cinéma pour la diffusion de vidéo d’artistes ou d’arts numériques ?

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II.Diffuser,commercialiser,valoriserlesproductionsSynthèse de François Rouet, économiste, responsable des études au Département des études, de le prospective et des statistiques, ministère de la Culture et de la Communication – Séminaire du 30 novembre 2010

1.Quelquesthématiquesabordéesparlestémoins En introduction de l’atelier qui a rassemblé une quarantaine de participants durant trois heures, Patrick Waelbroek a rappelé, en se référant au propos de Xavier Greffe dans son exposé du matin, l’orientation de quelques-uns des grands bouleversements dûs au numérique dans le domaine de la culture et des médias : - le passage d’un mode de production linéaire, unidirectionnel (création-production-distribution-

réception) et faisant intervenir les médias de masse à un mode de production délinéarisé dans lequel le consommateur est susceptible de devenir « consomm-acteur », en n’étant plus passif et en intervenant dans la production de contenus participatifs dans des dynamiques interactives ; ces dernières, en particulier, remettent en cause le rôle des médias de masse ;

- les modèles économiques sont profondément transformés par la dématérialisation qui permet que les coûts marginaux de production et de distribution sinon de diffusion soient faibles. Dès lors, la fixation du prix au coût marginal conduirait à des prix très faibles voire nuls. Le phénomène de déconnection de l’audience ou du succès d’avec les coûts de production se poursuit, ce qui fait que le phénomène de produits–stars, très rentables et très recherchés, perdure ;

- dès lors se pose la question du financement de la production. La question est d’autant plus cruciale que l’examen de la filière et de la chaîne de valeur montre que les acteurs qui gagnent de l’argent (essentiellement les grands acteurs en aval) ne sont pas ceux qui financent la création et en prennent le risque. On remarque également que le droit d’auteur qui confère, dans certaines limites, un monopole au créateur et au producteur se trouve de plus en plus en conflit avec le droit de la concurrence. Dans ces conditions, les détenteurs de droits sont conduits à rechercher d’autres moyens de se financer : les recettes du spectacle au lieu de l’exploitation des enregistrements phonographiques, les revenus de nouveaux modes d’accès aux œuvres – par exemple l’i-Phone pour la musique – ou encore les revenus de redevances voire de licences globales lorsque ces dernières sont mises en place.

Patrick Waelbroek a enfin évoqué le phénomène de market place qui mêle neuf et occasion, permettant à des acteurs comme Amazon de se dégager du stockage et contribuant à faire évoluer les pratiques de consommation par rapport à ce qu’elles sont dans le commerce physique.

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- Dans le domaine du livre

Isabelle Aveline, créatrice du site Zazieweb – en sommeil depuis 2009 parce qu’elle ne pouvait plus le faire fonctionner en tant que bénévole – relève que sa présence qui peut paraître paradoxale dans cet atelier témoigne du fait que de telles offres, quel que soit leur intérêt, n’existent en fait pas dans l’espace des politiques culturelles et le champ de vision des décideurs publics. Elle relève que le numérique constitue une nouvelle forme de réalité qui pose problème au territoire. En effet, le Web génère sa propre territorialité. Faire territoire désormais, c’est imprimer sa marque à la fois en termes physiques et numériques. D’où des risques de déconnection des territoires (entre physique et numérique) mais aussi d’enfermement dans des « terroirs » numériques, niches/nichoirs dont on reste finalement prisonnier. Alors que mener une politique, c’est agir sur le monde et, selon la formule de Malraux, trouver son royaume, trouver son territoire. Concernant le livre numérique, Isabelle Aveline considère qu’il est encore loin des fonctionnalités du livre papier malgré le déploiement de multiples expérimentations. Deux dangers le guettent : d’abord la tentation de restreindre l’accès et l’usage au moyen de DRM, ce qui est le meilleur moyen pour que le marché ne se créée pas et que se développe le « piratage » à l’instar de ce qui s’est passé dans la musique, ensuite la tendance à la « verticalisation » du marché au travers de la main-mise des fournisseurs de e-readers sur l’offre de livres numérique. Il convient de rappeler que la meilleure liseuse (ou e-reader), appareil support permettant d’accéder, de stocker et de lire un livre numérique reste le Web. Isabelle Aveline évoque parmi les expérimentations celle de Lyber 2qui prouve, selon elle, que la diffusion numérique, loin de cannibaliser la diffusion papier, la conforte plutôt. Elle insiste sur l’importance de constituer de bonnes meta-données3 qui sont le préalable à des démarches de choix qualitatives au sein d’une offre élargie.

2 Lyber (source wikipedia) : Lyber est un néologisme construit à partir du mot latin liber (qui signifie à la fois « libre », « livre », « enfant » et « vin »)1. Le « y » signale l'appartenance du concept à l'univers cybéral. Le terme apparaît pour la première fois le 17 mars 2000 dans l'anthologie Libres enfants du savoir numérique coordonnée par Olivier Blondeau et Florent Latrive aux éditions de l'Éclat, dans un texte de Michel Valensi intitulé Petit traité plié en dix sur le lyber [1]. Il désigne une version intégrale et gratuite d'un écrit, disponible sur internet, associée à un livre traditionnel vendu en librairie. Une manière d'indiquer la possibilité d'associer la lecture en ligne à la lecture sur papier, permettant à la fois la diffusion et le partage des savoirs tout en ne renonçant pas à sa commercialisation sous forme de livre. Dans cet esprit, un texte simplement disponible en ligne intégralement et gratuitement n'est pas un lyber. L'économie du lyber suppose que « donner à lire » ne soit pas incompatible avec « vendre des livres ». Ce serait une sorte d'extension du concept de bibliothèque numérique. 3 Métadonnée (source wikipedia) : Une métadonnée (mot composé du préfixe grec meta, indiquant l'auto-référence ; le mot signifie donc proprement « donnée de/à propos de donnée ») est une donnée servant à définir ou décrire une autre donnée quel que soit son support (papier ou électronique). Les métadonnées sont à la base des techniques du web sémantique. Elles sont définies dans le cadre du modèle Resource Description Framework (RDF). Pour un livre numérisé ou numérique il s’agit de toutes les informations permettant d’identifier son contenu et d’identifier les titulaires de droits.

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La (re)structuration de la filière est en train de s’opérer avec des propositions d’infrastructures (plate-formes..) de la part de grands opérateurs qui risquent de se livrer à une concurrence oligopolistique autour de la même offre « main-stream » de grande diffusion. Mais de quelles infrastructures veut-on ? Peut-il y avoir une place pour des propositions indépendantes de la part des éditeurs, des libraires,… ? L’enjeu est plus que jamais celui de la visibilité des livres, ce qui passe par la création de plates-formes indépendantes et suppose de savoir organiser de manière efficace la prescription de manière à accompagner la diversité de l’offre. En effet, le livre électronique est a priori facilement disponible par quelques « clics », s’il y a une véritable interopérabilité qui permet de lire n’importe quel livre sur n’importe quel support sans coût supplémentaire. Ce n’est pas pour autant qu’il soit visible s’il ne fait pas l’objet d’une véritable mise en avant et prescription de la part de l’éditeur, intermédiaire commercial ou libraire. De son côté, Jean-Jacques Roby, libraire spécialisé BD, vend en librairie à Annecy depuis 30 ans en s’étant adjoint une licence IV de vente de boissons ; il est également présent sur le Net, sachant que la BD est plus difficile à scanner et mettre en ligne que d’autres types d’ouvrages. Le projet de Bdfugue.com est commun à plusieurs libraires et vise, avec une offre de 40 000 références, à être un réseau de vrais libraires en ligne en alternative à la Fnac et Amazon. Car, par exemple, Amazon n’a pas pour vocation d’être libraire (« Amazon ne lit pas » a-t-on entendu au cours de l’atelier). Ces derniers sont de très gros clients pour les éditeurs qui, au fond, n’ont peut-être pas tant besoin des libraires que cela et, qui plus est, ont des relations complexe avec eux (office, retours,…). On trouve des produits culturels pointus via le market place et l’on vend plus de produits provenant du fond de catalogue des éditeurs par Internet, d’où l’idée de Bdfugue de viser le fond peu stocké mais aussi les ouvrages les plus difficiles à vendre (les tomes 1 des séries) qui sont peu visibles en ligne. Face au commerce en ligne, la librairie physique est confrontée à la nécessité d’une double compétence : logistique (par rapport aux produits physiques) et marketing Internet (dont le coût de mise en œuvre correspond au coût de la visibilité). En l’occurrence, la gestion de la plate-forme de BDFugure.com est confiée à un logisticien. Il s’agit là de l’un des deux modèles possibles d’implication de la librairie dans la vente en ligne : une activité à part entière avec un stock dédié, à l’instar d’Amazon, du Furet, de Decître, de Mollat… ; l’autre option étant de ne faire d’internet qu’un lieu de présence supplémentaire du stock de la librairie physique. On observe une maturité des acteurs et des technologies qui s’engagent dans une pluralité de projets et de paris (est également évoqué le projet 1001 librairies) même si la dématérialisation concerne avant tout la relation-client et non le produit, faute de savoir vraiment produire pour l’écran et peut-être aussi en raison d’une certaine frilosité des éditeurs (qui connaissent les coûts de la numérisation et voient que le consommateur n’est pas prêt à payer en ligne ce qu’il paie pour un livre papier). Néanmoins, l’absence de support indépendant du contenu pour le livre, contrairement à la musique, fait que le risque de disparition du livre papier est peu vraisemblable.

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- Dans le domaine de la musique Eric Petrotto évoque ses diverses activités (CD1D, plate-forme 1dRhône Alpes). Il souligne à cet égard que cette plate-forme permet que 85% du produit des ventes de musique en ligne revienne aux producteurs et aux créateurs. Ce taux de 85% est beaucoup plus élevé que ceux que pratiquent Amazon ou Apple … Dans l’édition phonographique, on recense 4 majors et 600 labels petits ou moyens. On se trouve donc face à seulement une dizaine de PME et des centaines de micro entreprises, ces dernières ayant pourtant une contribution importante au renouvellement de la production avec à leur actif 3000 CD par an. Il s’agit d’un métier de passion, difficile, qui requière de « faire du 360° » et d’accompagner globalement l’artiste et ce, avec le risque toujours présent de disparaître. Il précise en outre que le contexte est difficile : nous sommes dans une période de dévalorisation de la musique contre laquelle il convient de lutter en permanence, où le marketing passe avant la création (compte tenu des difficultés d’accès à la visibilité), sachant que de grands acteurs du type d’Amazon et Apple sont en position de force pour imposer leurs conditions aux éditeurs phonographiques (même les plus gros) : fixation d’un prix bas et uniforme pour chaque titre, faible rémunération des titulaires de droits (éditeurs, créateurs, interprètes). L’enjeu est pour Eric Petrotto celui de la démocratisation de la diversité désormais disponible. C’est un défi qui suppose de construire des réponses collectives au sein d’un capitalisme régulé : il faut tenter des formes de mutualisation et d’échanges permettant d’accéder ensemble à des services inaccessibles sinon lorsque l’on est seul. Il s’agit de la seule alternative à une perspective purement de marché qui laisse planer le risque de ne plus pouvoir être visible et, à terme, de ne plus pouvoir produire. La question est de valoriser la création sans adopter des mécanismes qui aboutissent à restreindre l’accessibilité et à casser la diversité. - La valorisation des ressources artistiques et culturelles d’un territoire Olivier Thuillas évoque le projet de Géoculture en Limousin qui cherche à valoriser un territoire au travers des œuvres qui s’y rapportent. Fondé sur les théories d’Eric Westfall, ce projet est pleinement collaboratif, au sens où la représentation esthétique d’un territoire ne peut venir que d’une perception plurielle. Il est conçu pour être transposable. Sa mise en place est l’occasion d’établir un lien original avec les acteurs du tourisme au travers d’applications mobiles (géoguide). Il reste à faire de la géolocalisation un véritable paramètre d’indexation des œuvres. Plusieurs éléments marquants sont apparus au cours de la discussion qui a suivi ces interventions et peuvent se regrouper autour de trois thèmes :

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2.Lasocio‐économiedelacultureàl’èrenumériquesuscitedenombreusesinterrogations A la question de savoir si la culture a besoin d’un modèle économique, la réponse d’Eric Petrotto est positive au sens où il s’agit de pouvoir exercer son métier de manière soutenable au-delà des procédures de filtrage à la fois déplacées et renouvelées par la numérisation. En ce sens, Internet apparaît comme un nouveau Nouveau Monde à « civiliser » et au sein duquel il faut inventer des espaces de liberté permettant de réoccuper ainsi l’espace public. Ceci peut supposer une évolution des labels sur leurs fonctions essentielles – ou au moins le mode d’exercice de ces fonctions – de labelliser, de qualifier au sens fort du terme et partant de choisir. A cet égard, l’autoproduction est amenée à trouver ses limites car, outre qu’elle contribue à créer une surabondance supplémentaire qui tend à accroître le coût de la visibilité, elle a un besoin pressant de labels et de filtres. A cet égard, il faut tordre le cou à l’idée d’un marketing viral gratuit4 comme quelques cas trop montés en épingle (comme l’expérience du groupe de musique Radiohead) le laisseraient croire : il y a des seuils pour accéder à la promotion sur Google et le marketing numérique est aussi cher que le marketing classique même s’il est de nature à procurer une meilleure visibilité en termes de retours. Sont également évoqués les phénomènes de longue traîne et les phénomènes d’innovation dans lesquelles se produisent à la fois des prolongements et des ruptures – ainsi l’avion s’inspire de l’oiseau mais ne bat pas des ailes comme lui. Il est également mis en avant l’avènement d’un mode d’expression multimédia avec ce que cela suppose de mise en place d’un nouvel éco-système, à la fois au monde de l’art et à l’ensemble d’activités économiques interdépendantes. Face à la mauvaise rémunération et au difficile financement de la création, comme s’il existait des licences privées au profit des grands opérateurs, une contribution créatrice régionale réallouée à la création et à l’innovation pourrait avoir toute sa légitimité.

3. Des acteurs du numérique quimarquent leur souci d’occupation et d’inscription dans leterritoire La fédération Arts numériques Rhône alpes (ANRA), productrice d’œuvres numériques, fait état du trop faible nombre de lieux de diffusion spécifiques pour ce type d’œuvres, et souhaite que les lieux existants dédiés au numérique, les Espaces culture multimédia (ECM) fonctionnent de manière moins cloisonnée et que soit encouragé une initiative pour créer des réseaux à des fins de reconnaissance et de diffusion. Il est souligné une absence quasi-totale d’aides à la diffusion en matière de multimédia (alors qu’existent des aides à la création (du type/de celles attribuées par le Dispositif pour la création artistique multimedia -Dicream 4 Marketing viral (source wikipedia) : le marketing viral, la publicité virale ou le buzz est une forme de publicité s'appuyant sur les réseaux sociaux. Son but est de promouvoir l'image de marque à laquelle le consommateur contribue pour atteindre des objectifs marketing (tels que la vente) grâce à un processus de réplication analogue aux virus informatiques. Depuis le développement d’Internet et la démocratisation du haut débit, on a pu voir se développer de manière exponentielle ce nouveau phénomène.

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Pour sa part, le Centre chorégraphique de Grenoble souligne l’importance de nouveaux lieux de monstration et de diffusion de la production culturelle numérique et insiste sur l’importance d’espaces de rencontre entre acteurs porteurs d’une compétence numérique par exemple pour le montage de projets. L’idée est mise en avant de faire de Lyon une ville « art numérique », ce qui serait un outil de valorisation globale et de mise en réseau pour la capitale régionale.

4.LerôleattendudelaRégionestenfinlonguementévoqué Des attentes à l’égard de la Région sont fortement exprimées en termes de soutien au montage de projets innovants sinon expérimentaux, dont le coût est perçu comme important voire colossal pour les acteurs qui les portent, et en termes de difficultés à trouver un « accompagnement adéquat pour rentrer dans les bonnes cases ». Il est rappelé à cet égard que le Relais Culture Europe a pour vocation d’apporter un appui pour le montage des projets numériques demandant un soutien européen. Par ailleurs, l’appel à projets « Services culturels innovants » du Ministère de la Culture qui reçoit chaque année plusieurs centaines de propositions, joue un rôle structurant au-delà des appels à projets spécifiquement numériques, sachant qu’un financement d’Etat joue toujours un rôle déclencheur pour les autres financeurs d’un projet, en agissant comme un signal de qualité. Ceci est souligné dans un contexte où l’expérimentation est perçue comme essentielle mais où les évolutions sont rapides : si bien que l’exigence d’aider les bons projets au regard de leur contenu et de leurs potentialités se double de celle de le faire au bon moment, dans la « fenêtre » d’opportunité adéquate, sachant que – est-il constaté – « les politiques ne vont pas aussi vite que les marchands » et que les temps d’incubation dans les incubateurs publics peuvent apparaître trop long au regard de la réactivité de certains acteurs privés. Il est suggéré que, peut-être, des structures d’accompagnement de plus petite taille au niveau régional seraient-elles plus pertinentes et réactives ? C’est bien à la redéfinition du champ du bien commun en matière numérique que sont confrontées les politiques au niveau régional. Il leur est certainement nécessaire de clarifier l’usage de la notion de « projet » et de faire la distinction entre les projets relatifs à la culture numérique qui, de par leur nature expérimentale, se tournent naturellement vers un soutien public, des projets d’investissements économiquement pertinents qui peuvent requérir des modes d’appui diversifiés et plus adaptés : on pense par exemple à des créations de plate-formes ou encore des démarches de structuration de la part du commerce de biens culturels en particulier du commerce physique et du premier d’entre eux, la librairie. Pour cette dernière, les généralistes se trouvent désormais peut-être plus en difficulté que les spécialistes d’une niche ; dès lors, leur présence en ligne est cruciale et a conduit à faire évoluer, voire à changer les métiers en peu de temps. Mais leur maintien dans le tissu urbain est également déterminant, face à de multiples concurrences auxquelles pourrait se rajouter celle, inattendue, d’acteurs actuellement entièrement en ligne comme Amazon. En tout état de cause, l‘avenir des libraires ne saurait être dans les zones blanches de la couverture d’Internet !

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Enfin, les démarches interrégionales semblent particulièrement pertinentes en appui à des structurations régionales suffisamment solides, ouvrant ainsi des champs de collaboration et d’échanges potentiellement fructueux. III.Organiserlesréseaux Synthèse d’Anne-Caroline Jambaud, journaliste – Séminaire du 30 novembre 2010 La synthèse présente trois axes :

‐ la présentation de plusieurs mises en réseau d’acteurs culturels, effectives ou en projet ; ‐ l’énoncé de plusieurs enjeux clés : l’importance de la dialectique numérique / physique, le

besoin de réseaux interfilières, la question d’un réseau culturel sous la marque « Rhône-Alpes » ;

‐ la recherche d’un modèle économique favorisant l’innovation.

1.Commentetpourquois’organiserenréseaux? Les acteurs du monde culturel, et singulièrement les filières professionnelles (cinéma, livre, musique, patrimoine, musées…) se mettent de plus en plus en réseau pour s’organiser collectivement face aux mutations que connaît l’économique culturelle numérique. Nous avions déjà listé plusieurs exemples lors de la 1ère journée de concertation. Lors de cette 2e journée, plusieurs acteurs sont venus témoigner de leur expérience de mise en réseau, effective ou en projet. Des exemples Dans le domaine du livre, Françoise Charriau de la Librairie Passages (Lyon), vice-présidente du Syndicat de la librairie, a rendu compte du projet de portail de la librairie indépendante sur l’internet : 1001libraires.fr. Ce réseau de 500 à 800 librairies qui exclut chaînes et grandes surfaces, parvient à représenter, grâce à la loi de 1981 sur le prix unique du livre, 40% du marché du livre et assure un rôle important de préservation de la diversité culturelle et de médiation culturelle. Mais c’est un réseau fragile, avec une rentabilité faible et pas de capacité d’investissement. Dans le domaine de la musique, David Morel a évoqué la Fédération des éditeurs et producteurs phonographiques de la région Rhône-Alpes qu’il préside, réunissant une soixantaine de structures associatives ou coopératives. Il a présenté l’association CD1D, la plateforme régionale 1DRhône-Alpes.com et détaillé la création de bornes multimédia. Dans le domaine du cinéma, Patrick Eveno, directeur de la CITIA, Cité de l’image et du mouvement (Annecy) a exposé son projet de création d’un portail mondial de l’animation. Et Ludovic Noël,

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directeur du pôle de compétitivité /cluster Imaginove, pôle audiovisuel Pixel (Villeurbanne) a apporté le point de vue original d’une mise en réseau d’excellence économique, tournée vers l’innovation, des filières de l’image en mouvement (cinéma, vidéo multimédia, jeu vidéo…). Pourquoi ? Pour tous, avant que de viser l’excellence, la mise en réseau apparaît comme un mode de résistance, et presque une condition d’existence, voire de survie. Réseau fragile, avec une rentabilité faible et pas de capacité d’investissement (les 35 librairies ne peuvent apporter que 700 000 ! de financement pour le projet de portail), les libraires indépendants s’unissent pour réagir à la concurrence de la vente en ligne, en forte progression depuis plusieurs années. « Ce n’est pas une défense corporatiste mais la défense d’une certaine idée de la création et de l’édition » insiste Françoise Charriau. Dans un marché du disque en crise (« -50% pour tout le monde »), David Morel évoque la nécessité de « conduire des stratégies communes de développement » pour répondre à la démonétisation de la musique entrainée par le numérique. Il faut mutualiser pour développer des réseaux de diffusion alternatifs. Directeur d’Imaginove, Ludovic Noël estime que les filières de l’image en mouvement doivent s’unir pour faire face aux mutations communes qui les impactent, en termes d’écriture, de production et de diffusion. La mise en réseau d’acteurs économiques et culturels répond à un impératif : rester compétitifs et créer des emplois. Comment ? Cluster, portail ou plateforme… Toute mise en réseau doit apporter une valeur ajoutée. Sur Internet, il s’agit d’apporter des contenus et des services. Et, de plus en plus, l’alliance des deux. Pour le portail de la librairie indépendante, la mutualisation permet d’étoffer les contenus (coups de cœur, dossiers, rencontres, etc. en format audio et vidéo) et de multiplier les services : catalogage, organisation de l’offre, conseil, et géolocalisation. Même objectif de la part du CITIA qui cherche à offrir sur la toile une continuité de services, un prolongement à un événement qui ne dure qu’une semaine par an. « Il faut considérer le numérique comme un prolongement de la vie réelle avec l’ajout de bénéfices » résume un participant, citant en exemple la banque de données vidéo Numéridanse développée par La Maison de la Danse. A l’exposé des deux projets de portail, portés par la librairie indépendante et le CITIA, des voix se sont élevées dans l’assistance pour s’interroger sur la pertinence du modèle du portail. « Le portail, c’est mort ! Le web 2.0 c’est fini, on est dans le web 3.0 (dit web sémantique ou intelligent) : le portail se fabrique et s’actualise sous nos yeux avec twitter, etc. ». D’autres questionnaient sur la présence de la 3D ou de la réalité augmentée… Ces interventions soulignaient en tout cas une vraie

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difficulté pour les porteurs de projets à prendre en compte les incessantes innovations du monde numérique.

2.Troisenjeuxdansl’organisationdesréseaux La dialectique physique / numérique A chaque fois, la notion de territoire est primordiale. Pour les opérateurs culturels, leur présence dans l’espace numérique doit toujours impliquer un renvoi dans le monde physique car c’est là que se trouve la clé de la « rentabilité ». La géolocalisation permet d’indiquer qu’un livre est disponible ou un groupe de musique programmé « à côté de chez vous ». C’est le principe également des « artistes en vente directe » qui, après leur concert, écoulent leur CD. Il s’agit de déclencher un acte d’achat… Le numérique s’entend donc aussi comme un mode de communication. Pour donner envie d’aller au spectacle, on propose des teasings (technique de vente attirant le spectateur par un message publicitaire en plusieurs étapes. Dans la première étape, un message court et accrocheur interpelle et invite à voir la suite. La deuxième étape apporte une réponse et incite à la consommation) ou des making off permettant d’entrer dans les coulisses de la création. Même démarche du côté du CITIA : pour Patrick Eveno, développer l’outil Internet, c’est « ancrer très solidement la participation à l’événement (…), revenir à l’essentiel : la rencontre entre tous les acteurs d’une filière ». Pour Ludovic Noël, « le numérique ne va pas tout remplacer. Ceux qui gagneront feront des modèles mixtes ; ils reviendront à des choses physiques, présentielles ». Des réseaux inter-filières La plupart des mises en réseaux dans le secteur culturel sont sectorielles. Mais il paraît important de développer des réseaux inter-filières :

‐ pour multiplier les modes de diffusion alternatifs. L’installation de bornes multimédia par CD1D permet ainsi de présenter les productions musicales indépendantes auprès des libraires, des médiathèques et autres lieux alternatifs de dépôt-vente. En Rhône-Alpes, une borne multimédia est développée avec le Fil, salle de musiques actuelles à Saint-Etienne ou la Bibliothèque municipale de Lyon. La médiathèque de Grenoble effectue un lien avec des groupes locaux via une play-list sur le site Bmole-grenoble.info, et accueille des concerts dans ses locaux. A Chambéry se développe une expérience similaire ;

‐ pour répondre à une tendance forte de la création aujourd’hui : le cross média. Il s’agit de la déclinaison sur plusieurs supports (télé, ordi, mobile, etc.) d’un même thème en différents langages artistiques avec chacun son système d’écriture. Rapprochements les plus évidents : jeu vidéo et dessin animé, cinéma et musique, spectacle vivant et vidéo…

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Pourquoi pas un réseau régional pérenne ? Idée plusieurs fois évoquée : dessiner une cartographie culturelle dans l’espace numérique, créer un réseau régional pérenne, sous la marque « Rhône-Alpes ». Mais pas un annuaire qui se périme très vite, un moteur de recherche qui s’actualise sans cesse. L’idée d’un espace communautaire dans lequel on s’engage à répondre aux questions des uns et des autres et à témoigner de son expérience est écartée : « C’est bien, mais ça ne marche pas !» juge un participant. La marque « Rhône-Alpes » impliquerait de travailler sur l’identité culturelle rhônalpine. « C’est très subjectif car Rhône-Alpes n’est pas une province historique mais une circonscription administrative. L’identité culturelle est en projet » estime Abraham Bengio, directeur adjoint des services à la Région Rhône-Alpes. Il ajoute : « la capacité à travailler en réseau m’a toujours frappé en Rhône-Alpes », ce qui pourrait constituer une « marque ».

3.Quelmodèleéconomiquepourl’innovation? En sus d’investissements propres, les projets de mises en réseau ou plateformes cités comptent sur des financements publics. Ainsi, le CITIA espère du côté du Grand emprunt et du programme média de l’Union Européenne, en plus d’une « économie interne » à définir : abonnement couplé à une accréditation, découpage en différents paliers d’accès, publicité ? Une certitude : « ce ne pourra pas être gratuit, sauf peut-être pour l’éducation ». Les projets numériques reposent donc, de plus en plus sur des montages privé / public. Objectif assigné à Imaginove : arriver à une financement propre ou privé de 50%. Il faut donc « se mettre en capacité de trouver ces partenariats, de motiver les industriels ». Comment susciter des partenariats, trouver des intérêts réciproques ?

‐ En rapprochant les individus porteurs de projets de création et les jeunes talents des industriels, afin que l’industrie intègre, produise, salarie ces gens, artistes ou jeunes talents. D’où l’importance d’investir autour de la notion de talents. Bourse aux (jeunes) talents ?

‐ En suscitant des living labs, espaces partagés regroupant acteurs publics, privés, entreprises, associations et individus, dans le but de tester « grandeur nature » des services, des outils ou des usages nouveaux. Objectif : favoriser l’innovation ouverte. Mais comment les créer et les financer ?

‐ En imaginant des formes coopératives, en s’inspirant de l’économie sociale et solidaire. Dans cette optique, plusieurs participants en appellent à la force d’ingénierie de la Région, avec un accompagnement juridique, fiscal, etc., pour aider à construction de projets mixtes, hybrides.

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Comment éviter l’instrumentalisation ou les interférences ? Car cultures privées et cultures publiques ne sont pas communes. Tous les acteurs se posent cette question. Par exemple, quand une chaîne de télévision demande à CITIA de présenter ses séries, est-ce de la promo ? Autre problème : les entreprises ne jouent pas le jeu de l’open procès (modèle d’exploration ouverte, gratuit et transparent, que chacun peut modifier et optimiser comme une page wiki, qui est validé ou sanctionné par le retour ou feed back des usagers), règle que partagent beaucoup d’explorateurs du web. « Si on se prend une grosse gamelle, on le dit. Les entreprises ne le font jamais ; ont-elles vraiment la culture du bien commun ? » demande Yohann Durieux, fondateur de Zoomacom (Loire). « La notion de partage, c’est la clé. On peut mélanger public / privé, mais il faut que les règles soient claires » poursuit un autre intervenant. Ludovic Noël rappelle qu’il reste aussi le mode de régulation classique du contrat. Comment favoriser l’innovation ?

‐ En accompagnant les pratiques. Ce pourrait être la mission des EPN, Espaces Publics Numérique qui ne devraient plus être seulement des structures d’accès, de vulgarisation vers des centres de ressources, mais aussi des développeurs ou des accompagnateurs de projets numériques.

‐ En lançant des appels à projets qui peuvent être suivis, pour les artistes, de résidences de création ou tout autre système d’incubation.

‐ En étant à l’écoute du marché, en observant les pratiques, qui sont le plus souvent fragmentées. En créant un laboratoire d’usages en capacité de sortir des « cahiers de tendance numérique », comme dans le domaine textile (proposition de Ludovic Noël/Imaginove).

En résumé, quelques propositions :

‐ identifier et favoriser l’expérimentation et la tentative par des appels à projet ; ‐ repérer et « incuber » les talents nomades. Par une bourse des talents ? ; ‐ pousser à l’innovation fiscale, sociale, économique en apportant une aide à l’ingénierie ; ‐ accompagner les pratiques via les EPN ; ‐ faire un travail de repérage, cartographie, annuaire, espace de visibilité des expériences

diverses en région. Créer un réseau social numérique sous la marque « Rhône-Alpes » ; ‐ observer les pratiques numériques ; produire des cahiers de tendance numérique.

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III. La culture face au numérique : un enjeu culturel et de politique publique

I.Luttercontrelafracturenumérique:enjeuxautourdel’éducationartistiqueetculturelleaunumérique Synthèse de Jean-Gabriel Carasso – Séminaire du1er février 2011 Introduisant l’atelier, Marie-Christine Bordeaux indique que l’éducation artistique et culturelle a jusqu’alors principalement été envisagée comme une stratégie de « réduction d’écart » entre « la culture » et ceux qui ne la possèderaient pas… Or, le champ du numérique se trouve, dit-elle, déjà largement partagé, à la manière d’une « culture populaire » dont l’accès n’est plus à conquérir pour nombre de personnes, ce qui implique une autre conception de l’éducation, beaucoup plus horizontale et transversale. Elle indique également que l’émergence du numérique a trop souvent été envisagée comme un danger, notamment pour les plus jeunes, ce qui amènerait à concevoir l’éducation dans ce domaine avant tout comme une action de prévention. Or, il convient d’adopter sans doute une attitude beaucoup plus positive. Il ne faut pas oublier non plus, y compris dans les démarches d’éducation, les questions liées aux coûts du numérique (coûts financiers, énergétiques, environnementaux,…). Enfin, il convient sans doute d’inscrire les questions d’éducation au numérique dans le courant déjà existant de « l’éducation à l’image », en tout cas de s’appuyer sur ces réseaux pour le développement de ce nouveau domaine d’intervention. Fondateur de l’association « Ecran libre », le cinéaste Samuel Aubin travaille dans le champ du cinéma, au croisement de la création et de l’éducation artistique. Il est membre de l’association Ars Industrialis, animée par le philosophe Bernard Stiegler. Il fait part, au cours de l'atelier, de son expérience de résidence au collège Jean-Jaurès à Montreuil (93) dans le cadre du projet « In Situ » mis en place par le Conseil général de Seine Saint-Denis dans une dizaine de collèges de ce département. Disposant d’un espace de travail permanent dans le collège, il mène avec les élèves diverses formes de travaux : films documentaires, lettres vidéo réalisées avec téléphones portables, site internet, livre... poursuivant les échanges à distance, grâce notamment au site de la Maison populaire de Montreuil. Samuel Aubin insiste sur la nature et la qualité de la rencontre entre l’artiste et les jeunes concernés, plus que sur la technique transmise ou la formation diffusée… Yves-Armel Martin, responsable du centre multimédia Erasme, fait part quant à lui, de résultats d’une étude5 qui font apparaître que la « fracture numérique » est relative chez les jeunes (nombre d’entr’eux y accédant actuellement) ; que les usages sont diversifiés selon les âges (jeux, vidéos, 5 Les jeunes et Internet : de quoi avons-nous peur ? Etude réalisée par Fréquence écoles. Synthèse de l’étude et rapport complet disponible en ligne : http://www.frequence-ecoles.org/accueil:nos-actions:la-recherche/

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discussion en ligne… puis @commerce, actualité, etc.) et que les jeunes ont des représentations diverses d’Internet : soit cet outil est perçu comme un espace relevant de la communauté, de la tribu, des contacts interpersonnels… Envisagé sous cet angle, les jeunes estiment que le numérique n'a pas à faire son entrée à l’école. Soit le numérique est perçu comme un outil d’apprentissage, de créativité… et ce n’est que dans cette dimension qu’il se justifie éventuellement en milieu scolaire. La « fracture numérique », plus qu’entre ceux qui ont accès et ceux qui ne l’ont pas, pourrait se situer entre ces deux représentations principales. Yves-Armel Martin évoque également l’exemple de « laclasse.com », espace numérique de travail (ENT) financé par les collectivités territoriales à destination des enseignants et des élèves. Cet espace est aujourd’hui investi par plus de 40 000 comptes… Ce site est développé par le Département du Rhône en partenariat avec le rectorat de l'académie de Lyon pour un travail en classe et à la maison. Il est ouvert gratuitement aux enseignants et aux élèves. Il permet la coopération, l’ouverture, la communication à distance... mais ne se substitue pas aux indispensables rencontres physiques entre les personnes, élèves, enseignants, artistes… (http://www.laclasse.com). Il formule enfin quelques pistes de travail et de développement à débattre :

− faire de l’éducation artistique et culturelle au numérique nécessite de mettre en avant les potentiels de créativité et d’associer les compétences des artistes

− il faut utiliser le numérique pour « décloisonner » les champs artistiques, éducatifs, culturels, scientifiques, économiques…

− il convient également de dépasser les frontières administratives, de mettre en réseau et de mutualiser, mais aussi de rendre lisible l’offre régionale et inviter les structures culturelles à s’investir dans ce domaine d’activités…

Du débat qui a suivi, nous avons retenu sept points principaux : • A propos de la « fracture numérique » Si une grande part de la jeunesse (et de la population) semble disposer désormais des outils numériques, il reste à travailler encore à la réduction de cette fracture (technologique, financière, culturelle…) pour permettre notamment aux plus défavorisés de disposer des outils nécessaires. Se pose ici notamment la question des équipements publics dans certains quartiers, des espaces et centres multimédias, des équipements en milieu scolaire, etc… • Sortir de la logique de consommation Dès lors que l’on dépasse la question de l’accès (technique, financier…) et que l’on s’interroge sur la dimension et l’action éducatives, il importe de mettre l’accent de manière déterminée sur le refus de la logique de consommation, pour aller vers une logique d’appropriation et de développement de la créativité. • Investir dans l’expérimentation S’agissant d’un domaine sans cesse mouvant et innovant, il est donc impératif d’investir principalement dans l’expérimentation, la recherche, la créativité des acteurs, de favoriser la prise de

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risque, à la fois dans le domaine de la création et dans celui de l’éducation. Ceci implique d’éviter, le plus possible, de modéliser les projets et les dispositifs. • Favoriser les décloisonnements Pour mener à bien ces expériences, il importe de favoriser fortement les décloisonnements : - entre les acteurs (artistiques, économiques, éducatifs, culturels,…), - entre les services et les administrations, entre les territoires (villes, départements, région…), - entre le scolaire et l’éducation populaire. Rechercher et mettre en place une approche transversale semble indispensable. Cette dimension pourrait être réalisée par les collectivités territoriales rassemblées, sur la base de projets transversaux. • Une dialectique réel/virtuel Le numérique développe une dimension « virtuelle » importante, qu’il convient d’équilibrer notamment dans toute démarche éducative par une dimension de relation réelle, de corps à corps, entre les différents acteurs. On n’opposera pas le réel et le virtuel, mais on recherchera la plus grande dialectique entre ces éléments… C’est dans la nature et la qualité de la relation que s’établira une véritable dimension éducative. • Une pédagogie de l’économie Parallèlement à toute démarche éducative autour du numérique, il est souhaité que s’ajoute une dimension de pédagogie économique faisant état des questions liées aux coûts, à la gratuité, au sens de cette dimension économique nouvelle… La pratique et l’esprit de la gratuité bouleversent les schémas traditionnels de l’économie, notamment dans le domaine musical très investi par la jeunesse, ce qui amène les représentants de ce secteur artistique à souhaiter qu’au delà de la répression, soit engagés des processus éducatifs nouveaux. • Formation et évaluation Enfin, un accent a été mis sur la nécessité impérieuse de formation (initiale et continue) de l’ensemble des acteurs concernés (enseignants, éducateurs, responsables culturels, artistes intervenants), formation autant pédagogique que technique ; et sur le souhait d’une évaluation permanente, menée par les acteurs eux-mêmes à l’occasion de rencontres, échanges, débats, qui pourraient être organisés par les collectivités publiques, par exemple en donnant suite à la concertation territoriale organisée par la Région.

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II.Formeràdenouveauxmétiers,s’adapteretinventerdenouveauxemplois Synthèse de François Rouet, responsable des études au Département des études, de le prospective et des statistiques – Séminaire du 1er février 2011 Dans son introduction, Yann Moulier-Boutang revient brièvement sur les transformations globales du capitalisme et ses conséquences à la fois en termes d’emplois, certains étant amenés à disparaître alors que d’autres se créent, comme en termes de métiers à (re)définir sinon à inventer. La première intervention, celle d’Annick Teninge, directrice de la Poudrière, école de formation à la réalisation de films d’animation à Valence porte sur les conditions de recrutement et l’orientation de la formation. Les promotions sont d’une dizaine d’étudiants par an qui effectuent deux années à temps plein en formation initiale ou formation professionnelle. Leurs origines sont très diverses (animation, beaux-arts, arts appliqués, ingénieurs, études de théorie du cinéma,…) ; ce qui les rapproche est le fait qu’ils possèdent tous une base technique. Ils recherchent donc une approche artistique dans l’apprentissage de toutes les facettes de la réalisation (scénario, story board, mise en scène, image, son…), le film étant conçu comme un projet global (plusieurs films sont réalisés au cours du cursus). La transmission directe de la part d’enseignants qui sont tous professionnels (pas d’enseignants rattachés à l’école) s’attache donc aux enjeux artistiques, à la différence d’autres écoles tournées vers les enjeux techniques. Ceci suppose de développer des univers graphiques très forts et, à partir de là, de s’emparer d’outils numériques choisis en cohérence avec le projet et conçus comme des moyens, soit en les utilisant comme ils le sont déjà dans l’industrie, soit en les enrichissant, en les détournant… Ces outils techniques induisent des enjeux économiques et financiers du fait de la nécessité de garder un parc technique à niveau et donc de devoir consentir les investissements nécessaires. Le numérique est ainsi porteur d’abord d’enjeux économiques avant d’enjeux pédagogiques pour le système de formation. Simultanément, le modèle économique du film d’animation a changé sous l’influence du numérique : la filière, régulée précédemment au travers de quotas de production et de diffusion, connaît désormais une diffusion élargie mais la production est fragilisée du fait de nouveaux acteurs (Gulli, internet ..) qui déplacent l’audience et n’apportent pas pour autant de financement. Ce rapport aux outils techniques dans la formation et la confrontation de l’artistique et du technique vont être les deux thèmes forts de la première discussion qui s’engage. La pertinence d’un mode d’expression artistique est d’être techno-esthétique et de connaître une confrontation et une articulation fine et renouvelée entre vision artistique et potentialités d’usage des outils techniques disponibles. Que les outils conditionnent les formes d’imaginaire est connu depuis

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longtemps ; que la vision artistique rétroagisse sur l’utilisation des outils l’est peut être moins même si, classiquement en art, on expérimente avec l’outil. Il s’avère donc essentiel que lorsqu’il y a apprentissage technique, cela soit également une formation conceptuelle qui permette de s’emparer des outils qui sont faits pour être maitrisés, enrichis, détournés… Il faut en particulier être/devenir capable de « faire éclater » les logiciels pour reprendre la formule de Yann Moulier-Boutang. On retrouve dans les résidences d’artistes sur des lieux de recherche l’intérêt pour les artistes de pouvoir s’emparer d’outils techniques familiers au chercheur. Mais on ne peut entrer dans le cœur de la conception des logiciels que si les codes source sont accessibles, que si ces logiciels, à défaut d’être libres, au moins ne sont pas fermés. Un premier enjeu débouchant sur de possibles préconisations est la capacité des établissements à se doter de tels logiciels, la capacité offerte aux étudiants d’utiliser des outils techniques novateurs de ce type. Y sont-ils aidés que ce soit dans leur cursus ou dans leurs stages ? Il faut souligner que de telles démarches (par exemple l’utilisation détournée de Director ou d’Acteurseffect destiné à des séries et détourné comme technique d’animation, ou encore les logiciels intermédiaires conçus à l’Ircam,…) sont à la fois source d’innovation et sont susceptibles de susciter l’intérêt de la part d’industriels ; on sait l’intérêt que portent les industriels aux demo-parties6 en temps limité entre programmeurs. Ceci rejoint un besoin de traductiblité et une demande pour une forme particulière d’interopérabilité qui pourrait susciter la création de véritables plates-formes d’interopérabilité. Faut-il dès lors aller plus loin dans la mutualisation et la mise au point de tels outils ? Un second enjeu est plus spécifiquement pédagogique. Il est de prendre conscience de l’importance de développer une intelligence des logiciels afin de les faire muter. Il y a là quelque chose du même ordre que la capacité du musicien d’apprécier une musique à la seule lecture de la partition. Ceci aboutit à reconnaître une beauté, un art du code. Apprendre les techniques de base ne suffit donc pas, il faut non seulement apprendre à programmer mais aussi à réfléchir à la programmation en tant que pensée collective complexe. Ainsi l’école régionale des Beaux-arts de Valence propose une discipline « code » au sein d’une option design. Il faut considérer les programmes comme des « textes » forts. Il s’agit d’une démarche moins évidente en France qu’ailleurs, compte tenu d’une culture largement littéraire chargeant le texte de symbolique. Ce faisant, c’est le regard même sur les outils et leurs

6 Demo-parties (source wikipedia) : Une démo-partie (ou demoparty) est un événement qui rassemble des programmeurs et des artistes de la scène démo dans le but de confronter leur productions. Ces évènements sont structurés et pourvus de prix pas toujours symboliques. Il existe comme dans toute compétition des figures imposées et libres. Les organisateurs créent des catégories où le code est limité en taille, le support (ordinateur) imposé, voire les deux. La demoparty typique s'installe durant le week-end dans un lieu spacieux tel un gymnase, une salle des fêtes. Sur le modèle de la demoparty, la Lan-party rassemble des joueurs de jeux vidéo. Certains événements combinent demoparty et Lan-party. Voir aussi : la scène démo, (ou demoscene en anglais), qui est une sous-culture informatique ayant pour but la création artistique sous forme de programme, fondée sur les trois domaines que sont : la musique assistée par ordinateur, l’infographie et la programmation. Le postulat de base est de réaliser des performances technologiques/artistiques en jouant sur des astuces de programmation ou de réelles performances programmatiques. Les programmes ainsi créés sont appelés démos, les compétences employées pour produire des démos sont englobées dans le demomaking (litt. la création de démo). La "démo" est donc d'une certaine manière une démonstration des talents de leurs auteurs.

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performances qui peut changer, en particulier en n’opposant plus puissance de calcul et capacité des algorithmes à la capacité d’inventer. René Aioutz, directeur du réseau de bibliothèques « RISOM » (Réseau intercommunal et solidaire de médiathèques, plateau du Vivarais-Lignon, Haute-Loire) promeut l’usage de logiciels libres dans un réseau de bibliothèques et participe à l’organisation d’une Université populaire. Il introduit par son intervention une autre thématique autour de la reconfiguation du positionnement des institutions culturelles, comme par exemple les bibliothèques, dans le contexte numérique. Il débute son propos en soulignant que la présence d’une très grande majorité de fonctionnaires dans ces institutions culturelles ne doit pas être considérée comme un frein, mais plutôt comme un levier, pour autant que leur présence dans la durée est contre balancée par une exigence de se former et de s’adapter à un contexte en profond changement. Il met à cet égard l’accent sur les mutations qui touchent les bibliothèques et bibliothécaires dans leurs rapports à la fois aux savoirs, aux publics et aux tutelles :

‐ les rapports aux savoirs ont connu un déplacement radical du fait du numérique avec une renversement du rapport hiérarchique et descendant entre expert et public au sein duquel les bibliothécaires s’inséraient en qualité de médiateurs. C’est en particulier la conception même des méta-données, dont relèvent les données de catalogage qui peuvent être bouleversées, en étant moins constituées à destination des usagers dans une démarche top-down que pouvant s’insérer dans une véritable économie de la contribution à laquelle peuvent contribuer de nombreux usagers ;

‐ dans le même mouvement, le rapport des bibliothécaires aux publics change : le professionnel de la bibliothèque est partagé, par exemple lorsqu’il tient un blog (il est alors partagé entre son rôle professionnel et le développement de son identité sociale numérique de contributeur assidu). Il se trouve confronté à de nouvelles pratiques de contributions et des sociabilités renouvelées qui posent la question de savoir s’il se constitue d’emblée en community manager. Enfin, la question se pose de savoir s’il ne doit pas être plus clairement prescripteur et se réapproprier la recommandation dans un contexte où s’affirment de multiples subjectivités ;

‐ du rapport aux usagers, on passe très naturellement à la forme de gouvernance de la bibliothèque avec la nécessaire association des usagers à la définition des objectifs assortie d’un droit à l’expérimentation. Dans cette nouvelle gouvernance, le rapport aux outils est essentiel : ils doivent être davantage conçus en termes de contribution aux savoir-faire qu’aux savoirs, favoriser la bonne économie de la contribution mais surtout être confrontés aux objectifs qu’ils contribuent plus ou moins à atteindre et finalement référés à un projet de service public…

La discussion qui suit l’intervention de Renaud Aioutz met l’accent sur la place renouvelée des intermédiaires : avec la révolution numérique, ce qui devient important est la circulation entre les individus et le phénomène des réseaux le long desquels se font ces circulations en même temps qu’elles contribuent à structurer ces réseaux. Ceci remet en cause la logique prescriptrice qui consiste

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à pousser le consommateur ou l’usager vers des contenus, et avec elle la vision et la rhétorique classique du management culturel au profit d’une approche en termes de réseaux. A cette occasion est mise en avant la remise en cause radicale des cadres du travail et de l’emploi à laquelle tend à pousser une économie de la connaissance : utiliser des cerveaux et leur coopération fait exploser les normes d’organisation très quantifiées en vigueur dans l’économie industrielle fordiste. L’indétermination des conditions d’utilisation des cerveaux ouvre des possibilités de souplesse et de flexibilisation sans limite génératrice de stress en l’absence d’une définition objective de la charge de travail ; la situation du travail artistique en donne un exemple frappant dans le cadre des débats sur le régime de l’intermittence. Ceci vient en effet remettre fortement en cause les cadres habituels du travail et de l’emploi. Stéphane Sauzzède, directeur de l’école supérieure d’art de l’agglomération d’Annecy rejoint Yann Moulier-Boutang dans son intervention pour considérer qu’une partie de l’économie de la culture est un retour symbolique d’externalités positives sur la performance globale de l’économie, surtout si celle-ci est mesurée en termes de contribution innovatrice. Or le numérique a justement permis de capter des externalités positives, de « polliniser », de faire apparaître les connections et les réseaux. L’art peut à cet égard être susceptible d’apports importants au développement humain de par ses capacités de connectivité. De tels apports supposent, pour être véritablement pris en compte, un renouvellement des outils de mesure de la richesse et du développement. Dans cette perspective, le numérique est fondamentalement affaire d’usage et introduit à un âge de l’usage et de la contribution, où il s’agit moins d’inventer des producteurs que de penser qu’existent des contributeurs ; et tout le monde fait usage de leurs contributions dans une économie particulière qui suppose le collaboratif, l’open source, le copy left au-delà des seuls détournements. Si l’art vise à faire évoluer les sensibilités et partager le sensible selon la formule de Jacques Rancière, on peut esquisser une nouvelle économie au sein de laquelle tout un chacun peut émerger à un moment donné en position de contributeur à partir de situations d’usagers ouvertes, dans lesquelles l’usage se trouve soudain débordé par l’expérimentation qui advient et peut faire émerger des positions transitoires d’experts. Dans cette perspective, l’expérimentation ne se réduit pas à la course à l’innovation mais relève de la création collective de telles positions. Enfin, la discussion s’engage sur ce que le numérique fait aux disciplines artistiques. Il en brouille assurément les frontières et relativise les visions et les indicateurs sectoriels. Il contribue de plus à leur dépassement sans pour autant les déclasser, poussant ainsi à la création de méta-disciplines. Le design semble en donner un bon exemple : souvent absent des réflexions si ce n’est considéré comme une simple plus-value décorative, il prend une toute autre dimension si l’on veut bien voir qu’il réfléchit les relations, porte les préoccupations de forme, organise la complexité. Une telle fonction est assurément porteuse de nouveaux métiers et de nouveaux emplois autour du design numérique, qui rejoint l’ergonomie, ou du design en culture numérique, d’un travail de mis en relation articulant par exemple artistique et scientifique ou encore artistique et pédagogie,…

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Par ailleurs, l’outil numérique apparaît comme l’accompagnement nécessaire de la formation tant des artistes que des techniciens et des ingénieurs, en particulier au travers de l’e-learning. Ceci suppose de renouveler la manière de concevoir et d’évaluer les formations. Ceci implique de :

‐ faire évoluer ceux qui conçoivent les programmes et suivent leur évolution ; ‐ définir et faire émerger de nouvelles compétences pour l’outil numérique comme outil de

formation en ménageant une capacité d’expérimentation en la matière. Pour conclure, la discussion n’a pas omis d’évoquer en contrepoint ce qui peut advenir et se trouve actuellement en émergence, notamment les incertitudes stratégiques pour certaines activités culturelles existantes comme le commerce physique de biens culturels, à commencer par la librairie, et les vives inquiétudes qu’expriment leurs professionnels. Ne serait-il pas de la responsabilité de la Région d’accompagner professionnels et secteurs concernés dans une prospective dégageant une visibilité de moyen terme et surtout une intelligence des mutations à l’œuvre ?

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III.Culturenumérique,liensocialetpolitiquespubliques Synthèse de Fabien Labarthe, sociologue, chargé d’études à Télécom paristech, équipe deixis-sophia Séminaire du 1er février 2011 À quelles conditions la culture numérique peut-elle favoriser la cohésion sociale ? En quoi la société de l’information constitue-t-elle une nouvelle voie pour les acteurs de l’éducation populaire et pour les acteurs publics, en termes d’émancipation des citoyens, de lien social ? De quelle manière est-elle appréhendée par les acteurs ? Telles étaient les questions initiales auxquelles l’atelier n°3 devait répondre.

Compte‐rendudesprésentationsintroductives Pour introduire les débats, Emmanuel Vergès, directeur du ZINC-ECM de la Friche la Belle de Mai à Marseille, fait remarquer la densité de chacune des thématiques de l’atelier. Aussi, souhaite-t-il, dans un premier temps, articuler les différentes questions à la problématique générale des usages des technologies. Celles-ci sont généralement présentées comme étant des vecteurs de « liens sociaux » (réseaux sociaux, web 2.0) et des outils de « participation citoyenne » (ville 2.0). Mais qu’en est-il des usages et des pratiques à partir desquels, précisément, se fait la culture numérique ? Dans une « France de l’ingénieur », nous dit Emmanuel Vergès, la diffusion de l’innovation est abordée sous l’angle purement technologique. Or, le web doit avant tout s’envisager comme un outil de « production » et de « réception » de contenus culturels, dont l’une des particularités est d’être « co-construit ». Ceci nous amène donc à repenser les catégories à partir desquelles s’appréhendent habituellement les hiérarchies culturelles, notamment au sein des politiques publiques de la culture. Sur ce second plan, Emmanuel Vergès invite à reconsidérer l’héritage de l’Education populaire qui a depuis longtemps fait des principes d’émancipation et de participation les fers de lance de son action, tout en élaborant un certain nombre de méthodes, dont il reste aujourd’hui pertinent de s’inspirer. Il insiste également sur l’idée d’intégration territoriale, c’est-à-dire sur la manière dont de nouveaux espaces sociaux sont susceptibles d’émerger à partir des leviers de l’action publique. Comment les espaces « réels » et « virtuels » peuvent-il être enrichis et alimentés, d’une part, mais aussi articulés ou retissés, d’autre part ? Emmanuel Vergès donne ensuite la parole aux deux intervenants de l’atelier, à savoir Bruno Thuillier, du Pôle numérique du Conseil général de la Drôme et Michel Jeannès, alias « monsieur Bouton », artiste fondateur de la structure La Mercerie à Lyon. Culture et économie numérique Pôle numérique est une association loi 1901 créée il y a deux ans, à l’initiative du Conseil général de la Drôme. Sa mission principale vise à accompagner les acteurs de ce territoire sur les questions liées aux « usages du numérique ». Trois types d’actions peuvent être distinguées :

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‐ une action de sensibilisation et d’accompagnement en direction des entreprises, des collectivités et des associations ;

‐ une action de mise en place et de développement de projet territorial et collaboratif ; ‐ une action de veille et de « remontée d’informations de terrain » à destination des pouvoirs

publics. Pour ce faire, le Pôle numérique a mis en place un « observatoire des pratiques numériques », qui sert d’outil d’informations et de sensibilisation des publics : l’idée générique étant de faire « monter en compétences » le territoire sur les enjeux et les usages du numérique dans le domaine des services publics, et de favoriser la compétitivité des entreprises.

De fait, c’est par un prisme essentiellement économique que Bruno Thuillier va aborder les thématiques de l’atelier. En effet, selon lui, le constat d’une « appropriation des outils par l’ensemble des acteurs » invite à revoir les modèles économiques de la création, de la diffusion et de la consommation des biens culturels. Deux exemples sont convoqués pour l’illustrer, celui de l’industrie de la musique et celui de la vidéo à la demande (VOD). Ainsi les technologies numériques ont-elles favorisé l’accès à la « création musicale » et l’émergence d’un nouveau type de créateur, que l’intervenant qualifie de « grand public ». Dans le même temps, cette démocratisation de la création a conduit peu à peu les « intermédiaires » à disparaître. Ce sont donc, au final, les consommateurs qui décident directement de qui sont les créateurs, comme le montre par exemple le site Internet http://www.mymajorcompany.com/. Par ailleurs, la VOD témoignerait d’une évolution – sinon d’une « révolution », précise Bruno Thuillier – qui ferait passer d’un mode de consommation « programmé » à un mode de consommation « instantané ». Il en résulte un « déplacement » de la valeur économique, où ce n’est plus le contenu qui est rémunéré, mais plutôt le service. De plus, la baisse du coût de la copie et le « téléchargement illégal » qu’autorise le numérique entraînent des problèmes de droit d’auteur. Bruno Thuillier plaide alors pour que les politiques publiques se positionnent sur ces aspects économiques et juridiques de la culture numérique. A un niveau plus local, Bruno Thuillier souhaite que les politiques publiques puissent jouer un rôle de « mise en réseau des acteurs » et de « valorisation des territoires ». Il s’agirait alors de mettre en place une politique publique « concertée », en faisant participer les habitants au travers des outils « web 2.0 » par exemple. Cette participation citoyenne pourrait conduire à la « création d’un patrimoine public ouvert et partagé », qui peut constituer un axe de réflexion pour les politiques publiques. Il en découle un certain nombre de problèmes à résoudre : qui peut participer à la création d’un tel patrimoine, et sous quelles formes (plate-forme, vidéos, photos) ? Et quelle valeur, là encore, donner à ces contenus ? Ainsi, derrière les idées de « mise en réseaux des acteurs » et de « valorisation des territoires », il s’agit avant tout de définir une politique économique visant à attirer des créateurs et produire du lien social. A ce titre, rajoute Bruno Thuillier, les espaces publics numériques (EPN) ont un rôle à jouer, en tant que centres de ressources et de sensibilisation aux nouveaux usages.

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Art numérique et intervention sociale Il est revenu ensuite à l’autre intervenant de l’atelier, Michel Jeannès, de présenter le versant social des thématiques envisagées. Michel Jeannès appartient en effet à un collectif d’artistes qui œuvre, depuis près de 10 ans, dans le quartier populaire de La Duchère à Lyon. Leur principe d’action s’inscrit dans ce qu’il est convenu d’appeler, suite au rapport Lextrait (2002), la « troisième époque de l’action culturelle », qui croise l’intervention artistique en milieu urbain avec la volonté d’impliquer les publics dans les processus de création. Dans le cas de La Mercerie (http://www.lamercerie.eu), cette intervention, qui le plus souvent se déroule sous la forme de « performance », est tantôt suscitée, tantôt relayée par les technologies numériques. Comme l’explique Michel Jeannès, son travail actuel prend corps avec les débuts de l’Internet « grand public », c’est-à-dire au milieu des années 1990, alors qu’il se trouve en Argentine. L’usage des mails, et la distance géographique qu’ils permettent de réduire, suscite chez lui une série de questionnements artistiques sur l’articulation du « global » et du « local ». Ceux-ci débouchent sur une première œuvre numérique, intitulée Word Sunset Bank (banque mondial du coucher de soleil) dont le principe – poétique, s’il en est – consiste à détourner l’attention des publics sur des couchers de soleil (considérés par l’artiste comme des « expériences universelles »), au moment où se déroulent de grands évènements médiatiques mondiaux (telle que la finale de la coupe du monde de football). Cette performance a donné lieu à un site Internet (http://www.world-sunset-bank.com/), où les différents participants pouvaient échanger photos et vidéos de leurs expériences. Cependant, l’évolution des technologies et la démocratisation des pratiques numériques ont continué, selon les termes de l’intervenant, à « travailler l’œuvre », en ce sens qu’elles l’ont conduit sur de nouvelles pistes de réflexion, visant moins l’accompagnement de la diffusion du web que l’adoption d’une posture de « résistance » face à l’injonction consumériste des technologies (ainsi, le site Internet est-il aujourd’hui « fermé pour cause de réflexion »). Cette forme de critique artistique, dont l’ironie n’est pas sans rappeler les modes d’expression de la « culture hacker » (cf. Nicolas Auray), va trouver à s’illustrer une deuxième fois dans une création multimédia intitulée Mille Emile, précisément au cours du passage à l’an 2000. Comme son nom l’indique, il s’agissait de faire participer à la conception de l’œuvre 1000 individus portant ou connaissant des personnes qui portent le prénom « Emile ». Ainsi s’agissait-il de démontrer par l’absurde, le jeu de mot et la mise en abîme, ce que la notion de « réseau social », qui a fini par s’imposer aujourd’hui comme qualificatif de l’Internet dit « 2.0 », induit d’inclusion et d’exclusion (à la manière, donc, d’une « carte de membre »). C’est à l’issue de ce long cheminement que débouche le modus operandi qui vaut aujourd’hui à Michel Jeannès le surnom de « monsieur Bouton ». En effet, de fil en aiguille, si l’on peut dire, sa démarche artistique visant l’articulation du global et du local l’amène à s’intéresser à ce qu’il qualifie de « plus petit objet culturel commun », à savoir le bouton. Celui-ci constitue pour l’artiste une sorte d’énigme, au travers de la métaphore du lien « virtuel » qu’il concrétise dans le « réel » et de son côté « indémodable » face à l’impérieuse modernité du numérique. La Boîte à bouton, en tant qu’objet traditionnel intergénérationnel (de mère à fille), constitue le noyau central d’une œuvre

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« participative » qui aboutit à la création des « journées du matrimoine » (à ne pas confondre avec les « journées du patrimoine »). Elle débouche aussi sur une nouvelle « intention poétique » consistant à distribuer aux habitants du quartier de La Duchère des boutons, suscitant par là même perplexité et curiosité, afin de les inviter à se faire photographier en situation d’usage dudit bouton. Ce « plus petit objet culturel commun » devient ainsi une médiation sociotechnique qui permet à l’artiste de créer un lien de confiance avec les habitants du quartier. Pour Michel Jeannès, il s’agit là d’un point important, car la qualité du travail artistique se mesure, selon lui, au degré de confiance qu’il parvient à générer. C’est d’ailleurs en vertu de cette confiance que l’un des habitants du quartier lui offrira un bouton sculpté de bois, du diamètre d’une très grosse assiette. Ce bouton « géant » sert aujourd’hui à Michel Jeannès à la fois de prétexte et de support à ses interventions artistiques. Celles-ci consistent à se faire photographier par des journalistes de presse masqué dudit bouton, d’abord avec des habitants de quartier populaire, puis dans des évènements plus élitaire à connotation mondaine. La performance consistant alors à faire passer des images « décalées » ou « volées » au milieu des actualités, et de susciter – peut-être – la surprise des lecteurs. Michel Jeannès insiste alors sur une troisième notion pour qualifier son travail, qui est celle de « densité » : densité de l’image, mais aussi densité du temps. La production d’une telle « image/évènement » renferme en effet sur elle-même toutes les médiations, le temps passé ensemble et les liens de confiance qui ont permis de la faire advenir, du virtuel au réel, puis du réel au virtuel. Ainsi, les technologies numériques renforcent la densité dont il est question, en ce sens qu’elles permettent de prolonger, à la manière d’un « loop », le voyage médiatique des images sur Internet, sur le réseau Facebook en particulier. Le personnage de « monsieur Bouton », dont le faciès n’est pas sans rappeler le smiley en vogue dans la culture numérique, devient ainsi l’un de ses représentants. Si le long préambule qui a introduit l’atelier a permis de mettre en évidence deux approches – l’une économique, l’autre sociale – de la « culture numérique », les débats avec la salle ont, quant à eux, permis de les approfondir. Ce faisant, ils ont aussi mis en lumière un certain nombre de tensions qui taraudent les politiques publiques en la matière, et sur lesquelles nous reviendrons plus bas dans nos commentaires.

Plateformenumériquecitoyenneetmiseenréseaudesacteurs Eric Petrotto, président du label musical CD1D, souhaite revenir sur le cas particulier de la diffusion musicale sur Internet et sur la problématique des temps de production. Si les outils numériques favorisent la création musicale en amateur, cela a eu pour effet de « détruire » un certain nombre de métiers intermédiaires qui interviennent dans la production professionnelle (ingénieur du son, par exemple). En ce sens, la plateforme citoyenne « indé Rhône-Alpes » constituerait un élément de réponse pour permettre aux producteurs de sauvegarder des filières de métiers au travers d’un soutien public. L’idée étant de préserver la diversité des courants musicaux face à la standardisation marchande.

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En réponse, Michaël Fleury, fondateur du site Internet http://www.artilinki.com/fr/home prend la parole pour présenter son projet. Il s’agit justement d’une plateforme numérique, de type « réseau social », offrant un espace de diffusion à l’ensemble des métiers artistiques. Le projet est soutenu par la Région Rhône-Alpes et a remporté un appel à projet européen sur la téléphonie mobile. Valoriser son activité artistique et développer son réseau professionnel, tels sont les services que cette plateforme souhaite mettre gratuitement à la disposition des artistes, grâce à des outils mutualisés et dédiés aux spécificités de leurs métiers. Artilinki souhaite aussi mettre en place des évènements, qui permettront de relayer les activités en ligne des artistes référencés sur leur site. Patrice Berger, animateur du site http://www.radiopluriel.fr/spip de la fédération régionale des radios libres, ainsi que de l’EPRA (http://www.gip-epra.fr/) souhaite témoigner à son tour de son expérience en matière d’outils numériques collaboratifs et mutualisés. En effet, ceux-ci ont autorisé une certaine souplesse et fluidité dans les échanges entre les contributeurs de la plateforme. Cependant, Patrice Berger invite à franchir une nouvelle étape dans le domaine de la circulation d’informations entre bases de données et l’archivage. Il s’agirait de donner une meilleure visibilité sur le Web à l’ensemble des documents multimédia (sons, vidéos, textes) produits par les associations et équipements culturels, en s’inspirant du modèle des « archives ouvertes » (http://hal.archives-ouvertes.fr/) dans le domaine scientifique : l’idée étant de référencer l’ensemble des productions culturelles, à partir du même protocole algorithmique OAIPMH (pour « Open archive initiative-Protocol for Metadata Harvesting »). Reste, comme le précise Patrice Berger, qu’un tel passage au « libre » nécessite un travail d’appropriation de ces outils par les acteurs culturels. Meli Messaoudi (pour le réseau ANRA « art numérique Rhône-Alpes » en cours de structuration) souhaite rebondir sur la question de la mise en réseau des acteurs. L’idée du réseau ANRA est justement de structurer le réseau professionnel des acteurs qui œuvrent dans le numérique en région Rhône-Alpes, afin de faire valoir les métiers et les projets. Par ailleurs, il agit aussi pour ne pas déconnecter les lieux « réels » des lieux « virtuels », de façon à ce que les liens sociaux qui sont créés dans l’un puissent se prolonger dans l’autre, et vice versa. De ce point de vue, l’art numérique constitue un bon support de ces circulations, et mériterait à ce titre des lignes budgétaires spécifiquement dédiées dans les appels à projet.

Ladifficultédessoutiens:politiqueurbaineoupolitiqueculturelle? José Molina, directeur du festival de musiques et d’arts numériques Electrochoc, intervient pour rebondir sur les propos de Michel Jeannès, et en particulier sur la nécessité d’instaurer une relation de confiance avec les publics de la culture sur un temps long. Ce type d’action est devenu peu à peu l’apanage des politiques urbaines, tandis que dans le même temps les politiques culturelles s’en sont dégagées (en particulier les aides d’Etat). Pour faire face à ce manque de moyens, Michel Jeannès évoque deux stratégies d’acteurs culturels visant à faire perdurer des projets artistiques avec des publics :

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‐ la stratégie du « surfeur », qui prend la vague jusqu’à ce que celle-ci s’épuise, et ‐ la stratégie du « guérillero », qui consiste à se saisir de la moindre occasion et de chaque

opportunité, fusse-t-elle en provenance d’autres programmes d’action publique, pour développer son projet.

Pour que les conditions de la pérennité des projets soient garanties, il apparaît donc nécessaire de donner davantage de cohérence et de convergence aux politiques publiques de la ville et de la culture. L’intervention de Catherine Herbert, présidente de la Commission culture à la Région Rhône-Alpes, va dans le même sens, et attire l’attention sur le fait que le débat en cours témoigne de ce que les problématiques d’« horizontalité des pratiques », de « changement des hiérarchies culturelles », de « participation citoyenne à l’art et à la culture » sont actuellement prises en charge par la politique de la ville. Elle préconise donc que ces préoccupations reviennent davantage dans le giron des politiques culturelles de la région Rhône-Alpes. Caroline Saiter, en charge de la politique de la ville à Thonon-les-bains, réagit aux propos tenus pour rappeler que les appels à projet lancés par la politique de la ville ont justement vocation à être saisis pour lancer des projets expérimentaux dans le domaine de l’accès à la culture numérique et de l’insertion sociale par le multimédia. Pour l’illustrer, elle présente les trois axes qui fondent le CUCS (contrat urbain de cohésion sociale) de Thonon Les Bains :

‐ développer l’animation de proximité en créant des postes d’animateur multimédia au sein de 5 EPN (espace public numérique),

‐ valoriser les initiatives citoyennes au travers des outils numériques, ‐ favoriser la participation des habitants. Toutefois, elle évoque aussi la difficulté de concilier au quotidien la gestion administrative des projets et les activités de veille qui permettent de faire remonter les besoins et anticiper leurs évolutions.

Le directeur du CCSTI (centre de culture scientifique, technique et industrielle) d’Annecy souhaite témoigner de sa participation aux ateliers de réflexion mis en place par le conseil local de développement, où se croisent des représentants de la société civile et des décideurs. Ce mode de concertation constitue un bon moyen d’« éduquer » les élus sur les enjeux de l’action culturelle et de la culture numérique. Ainsi, l’idée de « projet culturel de territoire » est-elle en voie d’être validée. C’est, dit-il, de cette manière qu’il convient de procéder pour faire remonter les besoins et donner du sens aux politiques publiques.

Culturecritiquedunumériqueetconstructiondulien Dans le même ordre d’idées, Guy Pastre de la M@ison de Grigny (http://www.maison-tic.org/) plaide pour que les EPN soient pleinement reconnus comme des centres de ressources numériques pour les acteurs du territoire, en sus de leurs missions de « sensibilisation », de « transmission », de

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« désacralisation » des outils numériques. Il existe aujourd’hui une très grande diversité des structures porteuses d’EPN, ce qui rend complexe leur mutation. Aussi, est-il nécessaire de prévoir une meilleure coordination régionale de ces espaces, et de pérenniser leurs actions. Revenant sur sa propre expérience, Guy Pastre souhaite interroger un certain nombre de présupposés de la « culture numérique », en particulier l’idée selon laquelle il faut « faire avec les habitants », en considérant que ces derniers sont « les meilleurs experts de leur situation ». Dans le monde du travail social, ce parti-pris n’est pas toujours partagé par les acteurs de terrain. Si le numérique constitue incontestablement un levier, il faut aussi « cultiver » les acteurs et les élus, c’est-à-dire dispenser un point de vue critique sur les outils. En ce sens, Guy Pastre situe son intervention à la croisée de l’accès public à Internet, de la politique de la ville et de l’Education populaire. Il existe en effet dans cette mouvance une « expertise » sur le rapport aux médias et au multimédia, tandis que les fédérations, en particulier les CEMEA (centre d’entrainement aux méthodes d’éducation active), ont lancé de nombreuses initiatives sur le thème « Education populaire et culture numérique ». Il convient donc de poursuivre ces réflexions, afin de repenser l’organisation des lieux d’accompagnement des publics et la formation des animateurs, et construire ainsi une « culture commune » : quel est le socle commun de compétences à transmettre et à acquérir ? Vers quelle forme de nouvelle citoyenneté souhaite-t-on aller ? Anne-Françoise Jardin du Conseil général de l’Ardèche, interroge, quant à elle, Michel Jeannès sur les effets de l’utilisation de Facebook sur sa pratique artistique. Celui-ci met en garde l’assemblée sur le fait que son travail ne vise pas, à proprement parler, la démocratisation de l’accès au numérique des publics qui participent à ses performances. Si elle advient, il s’agit en quelque sorte d’un effet collatéral. De la même manière, ce n’est pas la dimension conversationnelle du réseau Facebook qui l’intéresse (cf. Cardon), mais plutôt, dit-il, son « incommunicabilité ». Aussi, son expérience artistique de Facebook tranche-t-elle avec l’usage que l’on fait communément de cet outil numérique. Ce point met l’accent sur le fait qu’il n’y pas une culture numérique, mais des cultures numériques. Si bien sûr, il existe des passerelles entre elles, il convient cependant de les distinguer dans leurs finalités. Cela souligne la difficulté pour les artistes qui s’engagent dans des interventions dont le but est de favoriser le « lien social » de faire valoir leurs actions auprès des pouvoirs publics. De fait, l’effet de ces actions est qualifié par Michel Jeannès de « ténue », par opposition au « spectaculaire », ce qui rend complexe la mesure de leurs portées. Ce dont il est question, lorsque que l’on fait de l’art à destination du social, c’est de « sens partagé », d’« éveil des consciences », nous dit Michel Jeannès, ce qui est aux antipodes de la « consommation » au sens marchand du terme. Un acteur de la scène musicale de Valence souhaite faire part de la réflexion qu’il mène au sein du Groupe des vingt. Pour les équipements qui font le choix de promouvoir la culture numérique, cela nécessite un investissement important en matériels et technologies. Il en découle aussi la nécessité de mobiliser de nouveaux savoir-faire et de nouvelles compétences « techniques ». Concernant le travail de création artistique, il conviendrait de renforcer les possibilités d’accueil et de résidence des artistes, pour favoriser la transversalité avec les arts numériques. Enfin, la diffusion massive du numérique vers les jeunes générations et les habiletés dont font preuve les digital natives posent frontalement la question de la formation des « médiateurs numériques », ainsi que cette des

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finalités de l’action culturelle ou de l’éducation populaire : que fait-on avec ces outils ? Et qu’est-ce l’on souhaite provoquer en termes de relation avec les publics ?

Commentairesdurapporteur L’atelier n’a pas répondu directement aux questions portant sur la cohésion sociale et l’émancipation des citoyens. Sans doute l’absence notable de représentants du mouvement de l’Education populaire dans le débat n’a-t-elle pas favorisée cette orientation. Cependant, les exposés préliminaires et les débats avec la salle ont révélé une série de tensions qui structurent la « culture numérique » et sa prise en charge par les pouvoirs publics. Celles-ci nous paraissent pouvoir être subsumées par les trois termes que Michel Jeannès a employés pour décrire son parcours : performance, confiance et densité. En premier lieu, la notion de « performance » peut renvoyer à une définition économique ou managériale (on parle aussi de « compétitivité »), par opposition à son acception artistique. La confrontation entre les témoignages de Bruno Thuillier et de Michel Jeannès, mais aussi entre ceux de Michaël Fleury et de Patrice Berger, est en effet révélatrice de la tension qui se trouve être au centre du mode de fonctionnement du champ culturel en France, tiraillé entre le recours à la « subvention publique » ou au « marché ». Du point de vue des politiques publiques, il y a ici des choix à faire, d’autant que le numérique vient davantage encore complexifier cette alternative, à travers les philosophies d’action antagonistes dont sont porteuses le « logiciel libre » et le « système prioritaire ». Par ailleurs, la « performance », entendue comme forme d’expression artistique, est sans doute celle qui a été le plus en prise avec la « culture numérique », dans la mesure où d’emblée elle a fait de l’idée de « participation » le principe actif de sa scénographie. Ainsi, le théâtre d’intervention (tel que l’a donné à voir le Living theater, par exemple, dans les années 1960) a cherché à brouiller les frontières entre artiste et public, de sorte que les performers puissent passer en situation de public, et les publics se révéler performers. Cette circulation entre sujet et objet de la performance n’est pas sans faire écho aux notions d’« interaction » et de « co-auteurs » qui sont au cœur de l’art et de la culture numériques. Pour autant, la manière dont se négocie avec des publics, en particulier populaires, le passage d’objet à sujet, mais aussi de sujet à objet, au cours d’un acte créatif peut être source de tensions avec l’artiste, en ce sens que le public peut se sentir « manipulé », voire « trahi », par le résultat final (comme l’a souligné Michel Jeannès). Il découle de ce qui précède, et c’est le deuxième point, que la notion de « confiance » se trouve être au cœur des problématiques culturelles, mais aussi des questions du numérique (cf. la réflexion de la FING sur ce point [http://fing.org/?La-synthese-de-l-expedition]). Comme l’ont montré les travaux en ethnométhodologie (cf. Louis Quéré), la confiance constitue une sorte de substrat nécessaire à toutes formes de communication ou de transaction. Aussi, pour que s’instaurent des dynamiques collaboratives entre artiste et public, tout comme pour qu’adviennent des usages de plateformes de contenus numériques (dites de « Pairs à Pairs »), il revient aux politiques publiques de réfléchir à

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leurs conditions de possibilité, en garantissant des principes de justice et d’équité pour toutes les parties-prenantes. Enfin, la « densité » constitue le troisième point de tension de la culture lorsqu’elle est véhiculée, ou mise en œuvre, par des technologies numériques. De nombreux intervenants, au cours des débats, ont souligné la nécessité de penser la question de la formation et de la professionnalisation des acteurs en charge des équipements culturels. C’est que les technologies numériques convoquent une masse de savoir-faire et un volume de compétences qui vont bien au-delà des registres habituels de la création et de la médiation culturelle. Il y là un objet des politiques culturelles à interroger : comment faire en sorte que ces modes du « faire ensemble » et ces compétences acquises par l’usage des outils multimédia soient repérés, et puissent se pérenniser ? On peut, par ailleurs, s’étonner que la question des publics, en particulier jeunes et populaires, n’ait pas fait l’objet d’une plus grande attention dans les débats. Ces publics présentent en effet des appétences et des habiletés dans le domaine du numérique, qu’il conviendrait d’accompagner vers des finalités culturelles, mais aussi professionnelles (ce qui ferait renouer l’Action culturelle avec la philosophie de l’Education populaire). L’accompagnement vers la professionnalisation des publics ne pourrait-il pas faire l’objet d’un travail spécifique dans les équipements culturels, sans contraindre pour autant les structures accompagnantes à dénaturer leur projet artistique ? Car c’est précisément cette accroche par la créativité et la culture qui peut s’avérer porteuse de sens, pour des publics en décrochage scolaire ou qui échappent aux référents de la formation labellisée. Peut-être d’autres dispositifs sont-ils également à inventer, qui puissent faire se côtoyer les mondes culturelles de la création artistique et les mondes économiques de l’innovation numérique, en pensant ces questions de l’acquisition et de la transmission des compétences, et leur valorisation sur le marché de l’emploi. A cet effet, les organisations de type Living Labs pourraient bien constituer un début de réponses, si l’on considère que ces dispositifs sont à même de fournir une certification et d’arrimer leurs publics et usagers aux réseaux professionnels locaux. Synthèse des propositions

‐ Mettre en œuvre des dispositifs de mise en réseaux d’acteurs et de concertation, afin de la faire perdurer au-delà des rencontres régionales.

‐ Prévoir une meilleure coordination régionale des EPN, et pérenniser leurs actions. ‐ Valoriser les EPN dans leur rôle d’accompagnateur des publics et des usages, et comme

centre de ressources numériques pour les acteurs du territoire. ‐ Développer les offres de formation pour le métier de « médiateur numérique » ou

d’ « animateur multimédia ». ‐ Créer des synergies entre EPN et « radio libre » dans le montage de projets et la valorisation

des contenus culturels multimédia. ‐ Favoriser un soutien public à des « espaces » et des « plateformes » citoyennes de production

et de diffusion artistique et culturelle. ‐ Promouvoir les modèles et les protocoles du « libre » (de type OAIPMH, par exemple).

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‐ Faire en sorte que les habitants soient les « ambassadeurs » de leurs propres usages et cultures.

‐ Mettre en œuvre un « observatoire des usages et des pratiques culturelles numériques ». ‐ Favoriser un soutien à la création, qui permet d’entreprendre un travail artistique dans la

durée. ‐ Créer des lignes budgétaires spécifiques pour le développement de l’art numérique. ‐ Renforcer les possibilités d’accueil et de résidence des artistes qui œuvrent dans le numérique. ‐ Donner une meilleure visibilité aux appels à projet et aux modalités de soutien, pour que les

acteurs de terrain puissent mieux s’en saisir. ‐ Mettre en cohérence et coordonner les initiatives publiques en matière de politique culturelle

et de politique de la ville. ‐ Bien distinguer politique de soutien à la création artistique et politique de soutien à

l’animation culturelle. ‐ Imager de nouveaux dispositifs de formation et de professionnalisation des acteurs qui sont en

charge des équipements culturels, mais aussi des publics qui les fréquentent.

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IV.Numérisationetvalorisationdesressourcesartistiquesetculturellesdesterritoires:enjeuxetperspectives?Synthèse d’Anne-Caroline Jambaud, journaliste – Séminaire du 1er février 2011 Lors de cet atelier, les intervenants ont assez longuement détaillé leur site valorisant des ressources artistiques et culturelles sur un territoire : Olivier Thuillas (chargé de mission au Centre régional du livre en Limousin) a présenté le projet GéoCulture Limousin. Esther de Climmer (directrice de la Médiathèque de Roubaix et des archives municipales) a présenté la Bibliothèque numérique de Roubaix – bn-r. Charles Picq (réalisateur et directeur du développement vidéo au sein de la Maison de la Danse) a présenté le projet « Numéridanse ». Enfin, Yves Godde (responsable informatique documentaire/édition électronique à la direction de la Culture au Conseil régional Rhône-Alpe) a présenté le site du service général de l’Inventaire en Rhône-Alpes et tout le travail de numérisation et de valorisation des données collectées par l’Inventaire. La plupart des questions du public ont porté sur des demandes de précision (assez techniques) sur le fonctionnement de ces sites : quel serveur ? Quel référencement ? Quel système de licence ? Quel type de contrat avec les artistes ? On peut néanmoins synthétiser les interventions autour de trois problématiques :

1.Laquestiondelamiseenréseauetdel’articulationavecleterritoire Quelle échelle de valorisation des ressources ? L’ère du « chacun dans son coin » ou « chacun son site » semble révolue. La plupart des acteurs publics de la numérisation pensent en termes de mutualisation et de réseautage :

- GéoCulture Limousin fédère tous les arts visuels et présente 500 œuvres d’artistes géolocalisées sur le territoire du Limousin ;

- La bn-r met en résonnances les ressources de la bibliothèque et des archives municipales de Roubaix avec les ressources d’autres institutions de la ville. Esther de Climmer se félicite du moissonnage par Gallica qui démultiplie le nombre de ses visiteurs et offre une visibilité plus grande à ses ressources ;

- le service général de L’inventaire en Rhône-Alpes assemble différentes sources documentaires patrimoniales et les interconnecte ;

- Numéridanse a ouvert un « espace Channels » conçu pour les professionnels. Il offre une mutualisation de l’hébergement trafic avec les contributeurs. C’est donc le site d’une communauté de contributeurs en train de se constituer, qui fédère notamment les institutions chorégraphiques. « Cet espace a un rôle structurant : on peut calquer le réseau internet sur le réseau territorial » constate Charles Picq.

Plusieurs intervenants ont souligné les possibilités ouvertes par la mobilité et la géolocalisation. « Elles permettent de valoriser des œuvres et des ressources mais aussi de valoriser un

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territoire. » Démonstration est faite avec l’étude sur les stations de sport d’hiver en Rhône-Alpes réalisée par le service de l’inventaire général (description parcelle par parcelle de l’architecture existante, disparue, ou jamais réalisée), laquelle est couplée au service de géolocalisation de Google map.

2.Laquestiondelapolitiquedocumentaireetéditoriale Tous les sites présentés dans le cadre de l’atelier sont le fruit d’un gros travail d’éditorialisation. Tous ont insisté sur le fait que l’éditorialisation et la médiation doivent accompagner tout travail de numérisation et valorisation de ressources publiques. « C’est un outil puissant pour informer, enrichir, et amener au public de la danse une culture, une connaissance ou des éléments de compréhension » souligne ainsi Charles Picq à propos de Numéridanse. Pour lui, ce rôle de médiation sur Internet s’apparente à celui de directeur artistique dans un théâtre. « Quelle valeur pour des contenus non éditorialisés ? A quoi ça sert d’aller dans des silos morts non réseautés ? » s’interroge quant à elle Isabelle Aveline (Zazieweb). Cette dernière constate que « la force des acteurs privés est de phagocyter le web car ils arrivent à éditorialiser ou plutôt à marketer même des contenus pauvres ». De son côté, Charles Picq critique la logique « you tube » : « on balance sur Internet et une vidéo chasse l’autre ». A partir de là, deux affirmations – de l’ordre de l’évidence… – font consensus au cours des échanges :

- il ne faut pas laisser le web aux seules mains du privé sinon, « c’est le western » ; - une politique documentaire de numérisation n’a pas de valeur sans éditorialisation ni

médiation ; c’est donc là que doit aller l’argent public.

3.Desquestionstechniquesetjuridiques La question des droits d’auteurs est souvent revenue au cours des échanges. Si elle ne se pose pas pour la bn-r qui ne numérise que des œuvres tombées dans le domaine public, cette question concerne beaucoup d’autres acteurs. Ainsi, GéoCulture Limousin a signé 450 contrats différents avec les auteurs et propose de payer une somme modique à tous les artistes : 50 euros par œuvre. Le service de l’Inventaire général Rhône-Alpes se trouve aussi souvent face à question de droits, via les ayant droits d’architectes ou d’artistes ; c’était notamment le cas dans les stations des Arcs et de Flaine : « Des étoiles filantes de la création architecturale contemporaine passent dans notre désert… On se retrouve alors dans un enchevêtrement de droits. Sur Google, je ne charge que des repères et pas de données pour ne pas partir dans des problèmes de droits » témoigne à cet égard Yves Godde. Pour Charles Picq, « on instrumentalise beaucoup les artistes sur la question des droits. C’est plutôt le souci des intermédiaires, de ceux qui ont gardé une politique de rentiers. Moi je n’ai que des artistes qui demandent prioritairement de la visibilité, d’abord cela. Un artiste veut pouvoir montrer son travail. La question du droit vient après, ou en même temps ».

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Plusieurs estiment que la France a pris beaucoup de retard sur la question des droits d’auteurs, que le système est trop complexe. « A force, toute une génération va passer à côté des œuvres et trouver d’autres formes de culture » redoute Olivier Thuillas. Une assistance juridique via l’aide apportée par le Conseil régional, serait particulièrement la bienvenue pour accompagner l’ensemble des acteurs culturels sur ces questions complexes. Liée à la question des droits d’auteurs se pose également la question des licences : plusieurs intervenants ont souligné l’intérêt de licences de type art libre ou créative commons. La question des « tuyaux » a également été évoquée dans les échanges. En effet, les acteurs constatent qu’il n’y a pas de service public de l’hébergement. D’après Charles Picq, cela est du ressort de l’Union européenne. La tentation est alors grande de chercher la gratuité et l’intensité du trafic en allant chez les gros opérateurs privés. C’est le choix effectué par la Bibliothèque municipale de Lyon qui a contractualisé avec Google books pour la numérisation de 500 000 ouvrages issu de son fonds patrimonial. C’est aussi celui de l’Inventaire général, comme l’explique Yves Godde : « on s’est naturellement orienté vers la plateforme Google map (…). L’intérêt d’être présent sur un espace volontairement « poubelle » où il y a de tout, des pizzerias, des garagistes, etc., est équivalent à celui d’être dans un supermarché pour les livres. L’accroche est simplifiée au maximum pour le grand public, avec un titre et un lien. L’application est assez magique car elle transforme, avec peu de moyens, quelque chose de très statique en quelque chose de très dynamique : le patrimoine. On profite de l’environnement en 3D que les contributeurs de l’application ont pu mettre à disposition ». Il estime également que le guidage électronique sur smart phone permet de diffuser au plus large public les données de l’Inventaire, utilisées pour l’aménagement urbain et le tourisme. Résultat : « 2 millions de hits sur notre site l’an dernier ». Charles Picq défend cependant un autre modèle. « Il est hors de question de développer quoi que ce soit qui passe par des autoroutes du tout venant mélangeant tout ». Il lui paraît important d’être sur ses propres serveurs, d’en avoir la maîtrise. « Quand Dailymotion a été vendu à Orange, qui s’est soucié des contenus vendus avec ? » demande-t-il. Malgré les divergences exprimées, tous se retrouvent sur la nécessité de créer des services publics territorialisés du net : « il est essentiel qu’Internet ne soit plus seulement cet espace public totalement privatisé qu’il est aujourd’hui mais devienne, grâce à l’intérêt et l’action des politiques, un véritable espace public ».