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Copyright©2011CherylAnnSmithTitreoriginalanglais:TheSchoolforBridesCopyright©2016ÉditionsAdAInc.pourlatraductionfrançaiseCettepublicationestpubliéeenaccordavecPenguinGroup,NewYork,NY.Tousdroitsréservés.Aucunepartiedecelivrenepeutêtrereproduitesousquelqueformequecesoitsanslapermissionécritedel’éditeur,saufdanslecasd’unecritiquelittéraire.Éditeur:FrançoisDoucetTraduction:KarineMailhot-Sarrasin(CPRL)Révisionlinguistique:FémininplurielCorrectiond’épreuves:NancyCoulombeMontagedelacouverture:MatthieuFortinIllustrationdelacouverture:JimGriffinMiseenpages:CatherineBélisleISBNlivre:978-2-89767-191-4ISBNPDF:978-2-89767-192-1ISBNePub:978-2-89767-193-8Premièreimpression:2016Dépôtlégal:2016BibliothèqueetArchivesnationalesduQuébecBibliothèqueetArchivesCanadaÉditionsAdAInc.1385,boul.Lionel-Boulet,Varennes(Québec)J3X1P7,CanadaTéléphone:450929-0296Télécopieur:[email protected]:ÉditionsAdAInc.France:D.G.DiffusionZ.I.desBogues31750Escalquens—FranceTéléphone:05.61.00.09.99Suisse:Transat—23.42.77.40Belgique:D.G.Diffusion—05.61.00.09.99ImpriméauCanada
ParticipationdelaSODEC.Nousreconnaissonsl’aidefinancièredugouvernementduCanadaparl’entremiseduFondsdulivreduCanada(FLC)pournosactivitésd’édition.GouvernementduQuébec—Programmedecréditd’impôtpourl’éditiondelivres—GestionSODEC.CatalogageavantpublicationdeBibliothèqueetArchivesnationalesduQuébecetBibliothèqueetArchivesCanadaSmith,CherylAnn[Schoolforbrides.Français]L'écoledescourtisanes(L'écoledescourtisanes;1)Traductionde:Theschoolforbrides.ISBN978-2-89767-191-4I.Beaume,Sophie,1968-.II.Titre.III.Titre:Schoolforbrides.Français.PS3619.M583S36142016813'.6C2016-940054-9
ConversionauformatePubpar:
www.laburbain.com
CHAPITRE1
—Désormais,vousneporterezplusderobequilaisseparaîtrelamoindretraced’unearéole,unboutdecuisseoun’importequelleautrepartiedevotrecorpsquedevraitnormalementrecouvrirunsous-vêtement.MademoiselleÉvaBlacks’arrêta,impatiente,lorsquedesfroissementsdemousseline,decrinoline
etdesatintrahirentplusieurspairesdemainsquisetendaientpourremonterdesdécolletésindécents.L’ombredescouronnesrondesd’aumoinsunepairedepointesroséesdisparutdelavuederrièredeladentellerigide.—Unhabillementdécentestlepremiersigneextérieurd’unedame,ainsiquelapremièrerèglequi
doitêtreetquiserarespectée.Ellesoupira,résistantàl’enviedetirersurlehautcoldesarobeenlainegrisequilapiquait.Dans
lachaleurdusalon,elle se sentaitpriseaupiège sous les lourdesépaisseursde sa tenuedevieillefille.Il fallaitde ladéterminationpournepasenlever la robeet la jeteràcoupsdepiedscouvertsde
chaussons dans le feu surchargé. Comme la pluiemartelait la fenêtre, en ouvrir une était hors dequestion.Elleallaitvraimentdevoirdonnerdes instructionsplusclairesà ladomestiquequantà lanécessitéd’allumerunfeulorsquelamatinéeétaitchaude,àmoinsqueperdreconnaissancenesoitàl’ordredujour.Les prochaines heures flottaient devant elle, tel un brouillard lugubre et urticant ; pourtant, Éva
continua. Sa souffrance n’avait pas d’importance.Elle devait constamment donner l’exemple à cesjeunescourtisanesquisetournaientversellepourobtenirdesconseilsetunechanced’êtrelibéréesdeleursituationdésespérée.—En exposant ses seins, poursuivit-elle, on peut s’attendre à ce que tous les dépravés dans un
rayondequatre-vingtskilomètresarriventaupasdecoursepourjeteruncoupd’œil.Ils’agitd’unesituation inacceptable que j’ai l’intention de modifier au cours des prochaines semaines. Si vousvoulez que j’aie une chance de trouver un époux pour chacune d’entre vous, vous devrez vousconduirecommedesdames.Sadéclarationfutaccueilliepardavantagedegloussementsainsiqu’unevaguedechuchotements.
Lesjeunesfemmesmirentuncertaintempsàsecalmeravantdetournerànouveauleurscinqpairesd’yeuxcurieuxversÉva.Elleéloignasesonglesdesoncoletposa lesmainssursesgenoux.Unedamenegigotaitpasetnelaissaitpasnonplusparaîtresoninconfortenpublic.Évaétaittoujoursleportraitmêmedelasérénitéféminine,etce,mêmesiellen’étaitpasunedame,nidenaissanceniparalliance.Le livre de LadyWatersham,Code de conduite pour jeunes femmes de qualité, dont Éva avait
avidementluetmémoriséchaquepage,énonçaitclairementtouteslesrèglesdeconduiteensociété.Elletransmettaitmaintenantcesconnaissancesàcellesquiavaientdésespérémentbesoindeconseilsetd’unechancedemeneruneviedifférentedecelleréservéeauxcourtisanes.Donc, elle ne gigoterait pas,même si les démangeaisons perturbantes étaient sur le point de la
rendrefolle.Éva,qui,pouruneraisoninconnue,n’étaitpasdanssonassietteaujourd’hui,eutl’impressionque
sonrigidemasquededroitureprenaitlaformed’unnœudcoulantinvisiblebienserréautourdesoncou.Pourunefois,elleavaitenviedegloussercommeuneidioteaveclesautresfilles,des’affalercontre le dossier du canapé en étirant ses pieds nus ou de se gratter le cou à l’instar d’un chiencouvertdepuces.
Bienqu’ellen’eûtquevingt-troisans,elleavaitparfoisl’impressiond’enavoirquatre-vingt-trois.Elleavaitrenoncéàlafrivolitédelajeunesseauprofitdupoidsdesresponsabilités.Parfois,c’étaitpresquetroplourdàporterpoursesfrêlesépaules.— Mais comment le type pourra-t-il savoir ce qu’il achète s’il ne voit pas la marchandise ?
demandaRose,tirantÉvadesonautoapitoiement.Lapetite rousse ressemblait àunbonbonenveloppéde satin roseetde suffisammentdedentelle
pourcouvrirplusieursrobesdel’ourletjusqu’aucou.—Lamarchandise?répétaÉva.Le parfait visage en cœur de Rose devint sérieux tandis qu’elle semblait chercher la meilleure
façond’exprimersapensée.Ellehochafinalementlatête.—MademoiselleÉva,untypeveuttoujoursunaperçudecequ’ilachèteavantdesigneruncontrat.Les brillants yeux bleus de Rose étaient étonnamment innocents pour ceux d’une fille qui avait
passélesquatredernièresannéesauserviced’unducâgé.Uneboucletombaitdevantsonœildroit,cequi la faisait paraître beaucoup plus jeune que ses vingt et un ans. Cependant, la franchise aveclaquelleelleparlaitdesesexpériencessexuellesluidonnaitunairdécidémentmoinsqu’innocent.Pauline,uneplantureuseblondedevingt-sixansvêtuede jaune,hocha la têteensemordillant la
jointure.—Un homme paiera unmeilleur prix s’il aime ce qu’il voit sous un corset et une culotte. Les
bourgeoispréfèrentdeloinlesseinscharnusetlesarrière-trainsbienronds.Lecommentairefutémissiposémentqu’ilmituncertaintempsàsefrayerunchemindesoreilles
d’Évajusqu’àsonespritetàlasortirdesonmomentd’inattention.Elleseredressaunevertèbreàlafois,exaspéréequ’unefemmeeûtàsesoucierdecequ’unhomme,ouleshommespensaientdesonapparence. Si une femme avait envie de manger des pâtisseries jusqu’à ce que son arrière-traindevienneaussilargequelaTamise,elledevraitpouvoirlefairesansêtrejugéeparlagentmasculine.—À part Lord Fitz, intervint Rose en jetant un regard complice à Pauline avant qu’Éva puisse
répondre.Lesdeuxamieshochèrentlatêteàl’unisson,cequifitrebondirleursboucles.—Onditqu’ilaimequesesmaîtressesressemblentàdesvaletsetqu’ellesenrevêtentleshabits…
poursuivitRoseàvoixbasseaprèsavoirportéunemainouverteaucoindeseslèvres.—Mesdemoiselles,revenonsànosmoutons,intervintsévèrementÉva.Ayantdépassédepuislongtempsleseuildupetitmaldetête,elles’agrippaaupeudepatiencequ’il
lui restait auplusprofondd’elle-même.Toutcedontelleavait envie, c’étaitd’enfouir sa tête sousl’oreillerleplusprocheafindesecouperdelalumièreetdumonde.Gérer cette école, comme elle l’appelait, n’était jamais facile. Pas plus que cela ne l’était de
transformersescourtisanesendamesrespectablespourleurtrouverunépoux.Toutefois,l’importancedesauverlesjeunesfemmesd’uneviedeservitude,passéecouchéessurle
dospendantquedeprétentieuxmessieurslesmontaienttelsdesjockeyshaletantsetensueur,étaitlaprincipaleraisonpourlaquelleelleselevaitchaquematinettraversaitlavillejusqu’àCheapside.Chaque couple bien assorti lui procurait une vague de soulagement à l’idée qu’une femme de
moins termineraitses joursanéantieetcondamnéeàuneviedepauvretéetdedésespoirsilencieuxunefoisquesetariraitlafilederichespourvoyeurslubriques.Désormais, ces cinqcourtisanes sepermettraientd’aller au lit avecunhommeuniquementaprès
avoirétémariéesdevantunpasteuretaprèsavoirsignédesdocumentsafindelégaliserl’union.Elles’enassurerait.
Bienqu’ellesentesoncœurbattredanssestempes,elletermineraitd’abordcetteintroductionauxrèglesavantdecongédierlesdamespourqu’ellesétudientlaleçon.Elleseprécipiteraitensuitechezelleafind’appliquerunecompressefroidesursonfrontetdefaireunelonguesiestesousdesdrapssoyeux.—Un homme devrait vous choisir comme partenaire en raison de votre intelligence, de votre
caractèreetde la joiequevous luiprocurez.Nonpaspourcequ’ilya sousvotrecorset,Pauline.Celadit,vousnedevrezplusjamais,sousaucunprétexte,porterhorsdulitconjugaldesétoffesassezfinespourqu’onvoieautravers.Éva balaya la pièce du regard et fut satisfaite de voir que toutes les femmes étaientmaintenant
décemmentcouvertes.— Promouvoir la marchandise en public n’est plus permis si vous avez l’intention de changer
votreconditionetdetrouverunpartenairerespectable.Desgrognementsperceptiblesetdeschuchotementsétouffésrésonnèrentànouveaudanslapièce
bleuemodeste,maisdécoréeavecgoût.Pour sescourtisanes, il étaitdifficiledechanger.Pourtant,Évaétaitpersuadéeque,d’icilafindumois,toutessesprotégéesrelèveraientledéfiproposé :elleseraitfièred’ellesetelles,d’elles-mêmes.—Croyez-moi,Mesdemoiselles. Lorsque j’aurai terminé votre instruction, vous n’aurez aucune
difficulté à trouver un époux, dit Éva. Et il accordera davantage d’importance à la force de votrecaractèrequ’àlacirconférencedevotrepoitrine.Paulineserralesmainssursesgenouxetsonvisagesetordit.Sestraitsdélicatslaissèrentparaître
plusieursémotions.Évaobservalajeunefemmetandisqu’unéclairdecompréhensionpassaitsursonvisageetquele
débutd’unenouvellemanièredepenserilluminaitsesbeauxyeuxnoisette.Lasatisfactionemplit lecœurd’Éva;unecourtisaneéclairée.Iln’enrestaitplusquequatre.Les cinq femmes étaient d’âges différents, provenaient de milieux différents et avaient reçu
différentstypesd’éducation.Delatêteauxchaussons,ellesétaienttoutesenveloppéesavecéclatdansunassortimentdeplumesetdeboucles rouges, roses,bleues,orangeet jaunes, tellesdespoulettesexotiquesquisepavanaientpourtrouverlecoqaveclequels’accoupler.Évaréprimaunfroncementdesourcilsenlescontemplanttouràtour,toutesperchéesensemblesur
lesdeuxcanapésauxmotifsderoses.Iln’yavaitaucunesourisgrisedanslegroupe.Les femmes avaient reçu la consigne de porter des vêtements simples sans parures cematin.La
prochainefois,elledevraitpeut-êtredonnerplusdeprécisionsquantàlacoupeetàlacouleurdelarobe.Sic’étaitlemieuxqu’ellespouvaientfaire,unejournéeàfairelesboutiquess’imposerait.En vérité, attirer l’attention d’un homme riche et bien vivant avait été, jusqu’à maintenant, leur
principale occupation. Et la première caractéristique était probablement plus importante que laseconde.—Maismonsieurleducaffirmequ’unefemmeestjugéeàsabeautéetàsesformes,ditRosed’un
airinnocentenlissantsesjupes.Etqu’éduquerunefemmeestunepertedetemps.Quetantqu’ellesaitsatisfaireunhommeetbiensetenir,ellen’abesoind’aucuneautreinstruction.Évaserenfrogna.—Monsieur le duc aurait besoin de quelques coups de cravache. Bien se tenir et satisfaire les
hommes,oui!Laprochainefoisquelevieuxschnockterendravisite,Rose,arrache-luisacannedesmainsetutilise-lapourl’assommer.Roseécarquillalesyeuxetseslèvress’étirèrentenréponseauxéclatsderiredesautresfilles.Une
étincelledemaliceilluminasonvisage.Detouteévidence,cettecourtisanenepartageaitpasl’avisde
sonancienentreteneur.—Jecroisquec’estexactementcequejevaisfaire.Lemalheureuxentireraitleplusgrandbienet
sonépouseetsesenfantsseraientcertainementreconnaissants.Tandisqu’Évarestaitassise,honteusedes’êtrelaisséeemporterparl’arrogancedeshommesdela
noblesse,lesautresfemmesévoquaientplusieursmanièresdéloyalesdefairepayersonignoranceauvieuxduc.—Nous devrions transformer ce vieil étalon en hongre, dit doucement Abigail, dont les joues
rosirentsouslesmèchesdecheveuxchâtainsquiluiencadraientlevisage.Elle avaitvingt-quatre ansetpratiquait lemétierdecourtisanedepuisunan, soitdepuisque son
père,unmétayer,étaitmortaucoursd’unebagarrepourdétermineràquiappartenaituntroupeaudemoutons.Seulessabeautéetunecertaineéducationl’avaientempêchéedevendresescharmessurlesquais.—Unétalon?répétaRose,quiritensecouvrantlaboucheduboutdesdoigtstandisquesesyeux
lançaientdeséclairs.Unpoulainquitètesamèreestplusvigoureuxqueluienprésenced’unejument.La plaisanterie continua jusqu’à ce que le duc ait été verbalement réduit en purée, à la grande
satisfactionde toutes, saufdeSophie, qui avait l’air sévère.Bienqu’Évasoupçonnât ce groupe dejeunesfemmesenparticulierd’êtrecapabledemettreàl’épreuvelapatiencedesmagistratslesplusstoïques d’une Haute Cour, elle se rendit compte que leur compagnie lui plaisait. Avec toute lagrisaillequicaractérisaitsesjournées,lerireetl’absurditéconstituaientdesdistractionsappréciées.Elle réussit même à sourire en imaginant le vieux duc enduit de crème et couvert de plumes decanards.Toutefois,elleavaitdesleçonsàtermineretcen’étaitpaslemomentdesocialisersiellevoulait
respectersonhoraire.— Aussi amusant qu’il pourrait être de castrer le duc, nous sommes pour l’instant à court
d’instrumentschirurgicauxrouilléspourlefaire.Ellefitunepauseenattendantd’obtenirtouteleurattention.—Poursuivons.Jemaried’anciennescourtisanesàdesépouxdepuis troisanset jecomprendsà
quel point il est difficile pour vous d’abandonner vos habitudes de séductrices.Cependant, aucuned’entrevousn’aétéenchaînéeni traînée icideforcepourécoutermesenseignements,etvousêtestouteslibresdepartirquandvousvoulez.Haroldvousainformées,avantdevousemmenerici,quel’écoleestentièrementsurunebasevolontaire.Commevousavezpuleconstaterlorsquevousavezpassé la porte de cettemaison de ville, le robuste panneau en chêne n’est pas équipé de barreauxmétalliques.Un réseau secret de bouche à oreille avait conduit chaque femme jusqu’à la porte d’Éva de son
pleingré.LefaitquelaplupartdescourtisanestravaillaientdepuisleurplusjeuneâgereprésentaitundéfisupplémentairepourÉva.On leuravaitenseigné très tôtque lescomtes, lesducset lesbaronsaccordaient moins d’importance à ce qu’il y avait au-dessus du décolleté qu’aux trésors qu’ilspourraient trouver endessous.C’était son travaildechanger leursperceptionsde lavie etd’elles-mêmes.Leurscorpsn’étaientpas leur seul atout et,d’ici la findumois, chacunedescinq femmesconnaîtraitsajustevaleur.—Désormais,aucuned’entrevousnemontrerasesparties intimesàunhommeavant sanuitde
noces.Votrepasséestpresquederrièrevousmaintenantetvousêtesà l’aubed’unenouvellevie.Sivoussuivezquelquesrèglessimples,d’icilafindumois,vousserezprêtespourlemariage.Malheureusement,latâchen’étaitjamaisaussisimple.SurtoutpourcellescommeSophie,quiavait
pratiquélemétierdecourtisanependantdouzeans,depuis le jeuneâgededix-septans, lorsqueses
parentsétaientdécédésetl’avaientlaisséesanslesou.Les femmesplus âgées commeSophie etYvette avaient joué les coquettes pendant si longtemps
qu’ellesutilisaientlaséduction,ainsiqueleurbeauté,pourconserveruntoitau-dessusdeleurtêteetgarder leurventreplein. Il étaitdifficilede se libérerd’un telpasséetd’accepter l’idéeque lavieoffraitd’autrespossibilités.MaisÉvaaimaitlesdéfisetcomptaituntauxélevéd’unionsréussies.—Ungentilhommen’apasbesoindevoirvospartiesdévoiléespourvousfairesademande.Sa
demandeenmariage.Elleregardatouràtourchaquefemmedanslesyeuxetpinçaleslèvres.—Sil’uned’entrevousestincapabled’imaginersonavenirentantqu’épouseconvenableetmère,
Harold avancera le carrosse. Je ne gaspillerai pasmon temps ni votre argent dans une entrepriseinutile.Les courtisanes se regardèrent les unes les autres, puis reportèrent leur attention vers elle.Elles
secouèrent toutes la tête à l’unisson. Deux blondes, deux brunettes et Rose la rousse. Toutes bienrémunéréesdans leurancienmétier.Certainesvoulaientdes enfants,d’autresvoulaient leurproprechez-soietd’autresencorevoulaientsimplementpartager leur litavecunhommeàaimer.Quellesquesoientleursraisons,Évaleurtrouveraitlepartenaireidéal.—Excellent.Commençons.Évas’approchadelabibliothèqueetpritungrosvolumesurl’étagère.Lesfemmesl’observèrent
sanscacherleurcuriositétandisqu’ellerevenaits’asseoirdansunfauteuilàhautdossier.—Désormais, les termesvulgairespourdésigner lesorganesgénitaux, lesseinset lespositions
sexuellesnevousservirontplusdesujetdeconversationenbonnecompagnie.Vousvousentiendrezàdessujetscommeletempsqu’ilfait, lapolitiqueoulamodeactuelle.Lequelm’importepeu, tantqu’iln’estpasimmédiatementsuiviparlamaind’unhommeenfoncéedansvotrecorset.Plusieursricanementssuivirent,maiscommeÉvanes’yjoignitpas,ilsseturentrapidement.— Vous apprendrez la bonne conduite, les bonnes manières ainsi que des façons intelligentes
d’engager la conversation, en plus d’apprendre à vous tenir toutes avec autant de grâce qu’uneduchesse.Évatournalelivrepourenmontrerlacouverturenoiredorée.Lesfemmeslefixèrentcommesiles
motsétaientécritsenlatin.BienqueseulelatimideAbigaileûtdumalàlire,cinqvisagesperplexesregardaientfixementlemotinscritengrandeslettresdoréesauhautdelacouverture.Époux.Lesyeuxd’Évas’adoucirentetellehochalatête.—Jevousprometsqu’unépouxestmaintenantàlaportéedechacuned’entrevous.—J’aimeraistellementavoirunépoux,ditAbigailensoupirant.Évasouritàlajoliejeunefemme.—Etunépouxtuauras,Abigail.N’eûtétélenombrerestreintd’emploisauxquelspouvaitaspirerunefemmedanscettesociétéetle
faitquelabeautédesesprotégéeslimitaitleurschancesdetrouverdutravaildansn’importequelledemeureoùrésidaitunépoux,ellen’auraitpaseubesoind’utilisersestalentsd’entremetteuseàcettefin.Éva elle-mêmen’était nullement intéressée par lemariage et considérait cette institution comme
affreusement archaïque. Mais ses demoiselles n’avaient vraiment aucun autre choix. Pour sescourtisanes,ceseraitdonclemariage.—Danscelivresetrouventdesinformationssurdeshommesquicherchentuneépouse,ainsique
leurportrait.Lefaitquevousnesoyezpasviergesneleurposeaucunproblème,ditÉvaenouvrantle
livreavantde le tournerpourque lesfillespuissentvoir lepremiervisage.J’aidemandéàchaquehommederépondreàquelquesquestions.J’aiinscritlesquestionsetleursréponsesici,poursuivit-elle en pointant la page face au portrait. J’aimoi-même vérifié les informations. Chacune d’entrevous saura donc exactement quel genre d’homme elle choisit et ce qu’il attend de son épouse.Lorsqu’unhommetrouveuneépouse,nousl’enlevonsdulivrepourqu’iln’yaitaucuneconfusion.Ellefeuilletalelivrejusqu’àunepageoùleportraitétaitnoirci.Ellegardaitcettepagedanslelivre
pourdonnerunexempledugenred’hommesqu’ellenetoléraitpas.—Leshommesquiabusentdesfemmessontimmédiatementrefusés,toutcommeceuxquiontdes
problèmes de boisson ou de jeu. Vous trouverez ici des hommes respectables qui cherchent uneépouserespectable.—Mais pourquoi voudraient-ils épouser l’une d’entre nous ? demanda Yvette, une brunette de
vingt-six ans aux yeux marron fatigués, en croisant les bras sur son ample poitrine, les sourcilsfroncés.Elleavaiteuhuitamantsaucoursdessixannéesoùelleavaitétécourtisaneetl’amertumequ’elle
éprouvaitfaceàsonsortselisaitsurlesdurstraitsdesonvisage.Elleseraitlaplusdifficileàmariersansuneffortsubstantieldelapartd’Éva.—Qu’est-cequinevapaschezeux?D’affreusescicatrices?Desdentspourries?Unmembreen
moins?—C’estvrai,acquiesçaPaulineenhochantlatête,cequifitfrémirlelongdesonvisagerondla
plumejaunefixéedanssescheveuxremontés.Leshommesn’épousentpasdesfemmescommenoussansquecelacachequelquechosed’horrible.Jeveuxunépoux,maisjenepourraispastolérerqu’untrolltorduauxmainsdifformesmetripotedanslesendroitssensibles.Éva redressa les épaules. Étrangement, les femmes qui se donnaient volontiers au plus offrant
exigeaientbeaucouplorsquevenaitletempsdechoisirunpartenaire.Ellegrimaça.Larobeurticantelarendaitirritable.ÉvidemmentquePaulineméritaitunpartenaire
agréable.—Jevousassurequecelivrenecontientpasunseultroll,maisilnecontientniducs,nicomtes,ni
roisnonplus.Ladurevéritéétaitparfoisexactementcedontcesfemmesavaientbesoin.Sielless’attendaientàce
qu’ons’adresseunjouràellesentantque«Lady»quelquechose,ellesseraientcruellementdéçues.—Leshommesdehautrangexigentqueleursépousessoientviergesetd’ascendanceimpeccable.Dumoins, jusqu’à ce qu’ils aient engendré un ou deux héritiers pour s’assurer que leur lignée
parfaite soit transmise à la prochaine génération. Après, ils installaient de jeunes femmes commecelles-cidansdesappartementsoudesmaisonsdeville, loinde leursépouses,afindes’adonneràleursjeuxlascifs.Le concept d’infidélité conjugale dégoûtait Éva. Une fois qu’un homme et une femme étaient
mariés, ilsdevraient renoncerà tous lesautres.Peut-êtreserait-ce lecassi lesunionsnaissaientdel’amourplutôtquedeconsidérationsfinancières.Ilétaitrarequ’uncouplesoitréellementamoureux.Mêmesic’étaitlecas,celanegarantissaitpas
unefinheureuse.Elleconnaissaitaussilecôtésombredel’amour.—Chacundeceshommesestaucourantdevotresituationgénéraleetachoisidefigurerdansce
livre,ajoutaÉvaaprèsavoirchassélespenséespeuréjouissantesquisebousculaientdanssonesprit.Elletournaquelquespagessupplémentairespourrévélerplusieursautresvisages.Certainshommes
étaientassezbeauxetaucund’entreeuxn’avaitdemainsdifformes.
—Parmieuxsetrouventdesavocats,desmarchandsetmêmelebenjamind’unbaron.Jenecachepascequejefaisàmesclientsetjeleschoisisavecsoinenfonctiondelaperfectiondeleurcaractèreetdeleursécuritéfinancière.— Pourtant, ils cherchent des putes comme épouses, dit doucement Abigail en échangeant un
regardencoinavecYvette.Elletirasurlamanchedesarobebleueensoupirant.—Peut-êtredevriez-vousnousexpliquerleurraisonnement,termina-t-elle.Évane jugeaitpassesprotégéespour laviequ’ellesavaientmenée,carc’était souventde tristes
concoursdecirconstancesdésespéréesqui lesavaiententraînéesvers lemétierdecourtisane.Maisellen’arrivaitpasnonplusàcomprendred’oùprovenaitunetelleréticenceunefoisqu’ellesétaientsoussatutelle.Ellesvenaientàelle.Letempsqu’unecourtisaneatteignel’âgedeSophie,elleavaitdepuislongtempspassél’âgedela
primejeunesseetnepouvaitplusdemanderunaussibonprixpoursesservices.Envieillissant,elleserendaitsoudaincomptequesoncharme,sasensualité,ainsiquesonjoliminoisdéclinaientetquedejeunescourtisanesétaientprêtesàprendresaplace.C’étaitgénéralementàcemomentquelafemmedevenaitdésespérée.Si une courtisane avait eu le bon sens demettre de l’argent de côté pour l’avenir, elle pouvait
fermerboutiqueetdisparaîtredansunedouceretraiteoufuirsurlecontinentpourvivredenouvellesaventures.Pourd’autres,commecescinq-ci,quiavaientdépensélaplupartdeleursgainsenfanfrelucheset
n’avaientpaslesmoyensdeseretirerdansl’ombre,trouverunépouxdécentétaitleurseulechancedes’assurerunecertainesécurité.Évafermalelivre.—Lesraisonsvarientselonleshommes,répondit-elleens’enfonçantdanssonfauteuil,lelivresur
lesgenouxsoussesmainsposéesàplat.Certainsontdesaffairesàdévelopperetn’ontpasletempsde trouver une épouse potentielle et de la courtiser. D’autres voyagent beaucoup et cherchent unefemmeaventureusepourlesaccompagnerversdesdestinationsexotiques.—Oh!s’exclamaRoseensautillantsursonsiègeetenlevantlamain.J’adorel’aventure!Évahochalatêteensouriant.Lacoquinepetiterousseferaitunemerveilleusecompagneetépouse
pourplusieursdesesclients.Elleavaittoujoursl’enthousiasmeetlaprimejeunessedontrêvaientleshommes.—Excellent.J’enprendsbonnenote,Rose.Elledirigeasonattentionsurchacunedesfemmesàtourderôle.Leurbeauténedevraitconstituer
qu’undesaspectsqueleshommesconsidéreraientaumomentdeleschoisir,etnonpaslaseulenilaprincipaleraison.— En vérité, certains hommes ne cherchent qu’à épouser des femmes d’une grande beauté,
beaucoupplusbellequelegenredejeunesdamesquis’intéresseraientnormalementàeux.Ilsveulentunpaonàleurbrasetnonunmoineau.Pourceprivilège,ilssontprêtsàfermerlesyeuxsurunpassédouteux.Aucoursdumois,vouspourrezétudierlelivreetchoisirplusieurshommesqui,selonvous,feraientpourvousunbonpartenaire.Ensuite,nousorganiseronsunefêteoùvousserezprésentés.Les courtisanes se turent. Elles savaient toutes que les hommes payaient chèrement les services
d’Évaetqu’ils’agissaitd’accordscommerciaux.Malgrétout,plusieursdecellesquiétaientpasséessous sa tutelle, ainsi que leurs prétendants, avaient fini par se marier par amour. C’était undénouementauquelbeaucoupaspiraient.
—À ladifférencedevotre anciennevie, vous avez toutes le choix ici dans cettedemeure.Vouschoisissezl’homme,vousdécidezdugenredeviequevousvoulezmener,puisjevousprésentevosprétendants. Vous serez responsable de la façon dont la relation évoluera. Si vous refusez unpartenaire, nousvous en trouveronsun autre jusqu’à cequevous soyez tousdeux satisfaits et quenousconcluionsl’affairepardesvœuxdemariage.Dedouxsoupirsemplirentlapièce.—Çasemblemerveilleux,ditrêveusementYvette.Apparemment,mêmelacourtisanelaplusendurcieaspiraitàl’amour.Évapassalamainsurlelivreenpensantàlachancequecesfemmesavaientdenepasêtretombées
amoureuses de leurs bienfaiteurs.C’était arrivé à plusieurs de ses anciennes clientes et cela s’étaitterminépardescœursbrisés.Elle-mêmelaissaéchapperunsoupirsongeuretclignadesyeuxpourenchasserleslarmes.SiseulementCharlotteRoseavaiteuunendroitcommeiciversoùsetourneravantdetomberdanslepiègedel’amour,sonhistoireauraitpuseterminerdifféremment.Elle se secoua mentalement. Ce n’était pas le moment de se laisser entraîner vers de sombres
pensées.Aujourd’hui,l’époqueoffraitdenouvellesopportunités.—Bienquevosprétendantsn’aientaucunproblèmeavecvotrepassé,ilsexigenttoutdemêmeun
semblantderespectabilité.C’estlàquemesleçonss’avèrentinestimables,ditÉvaenregardantpar-dessusseslunettes.Ilsontdesmères,dessœursetdesfamillesquipourraientnepasvoird’unbonœilqueleurfilsouleurfrèreépouseuneanciennecourtisane.Àpartirdemaintenant,vousoubliereztoutcequevousavezfaitainsiquetousleshommesquiontdéjàréchauffévotrelit,etvousvivrezuneviemodeste.Sivousêtesincapablesdelefaire,vousêteslibresdepartir.Jeneforcepersonneàsuivremesdirectives.Àpartirdemaintenant,vousêtesentièrementresponsablesdevotredestinée.Un reniflement attira son attention, puis Rose éclata en sanglots. Pauline glissa vers elle sur le
canapépourluiprendrelamain.—Qu’est-cequinevapas,trèschère?demanda-t-elleensortantunmouchoirdesoncorsagepour
letendreàlajeunefemmebouleversée.Roses’épongealesyeuxenhoquetant.— Depuis que ma mère m’a jetée dehors à l’âge de dix-sept ans parce que son second époux
s’intéressaitàmoi,dit-elleensemouchantbruyamment,j’aitoujoursdépendudeshommespourtout.Sonderniermotavaitunetonalitéplutôtaiguë.—J’aifaitdeschosesquejen’osemêmepasconfesseràmonprêtredecraintequeDieum’entende
etqu’ilmefoudroie,poursuivit-elleavantdelaisseréchapperunpetitgémissement.Jenesaispassijepeuxm’occuperdemoi-même.Elleselaissaemporterparunevaguededouxsanglots.Abigailchangeadeplacepours’installer
del’autrecôtéd’elle.EllepassaunbrasautourdesépaulesdeRoseetémitdespetitssonsapaisants.—MademoiselleÉvavanousaider,ditSophieavec fermetédepuis l’autrecanapé.Et tun’auras
plusàsubirmonsieurleducavecsesmainsfroidesetsonmol…ElleregardaÉvad’unairpenaudets’éclaircitlavoix.—Elletetrouveraunhommeaventureuxquisaurat’aimercommetulemérites.Roseessuyaseslarmes,mesuraÉvaduregard,puishochalentementlatête.—Jedevraidoncluifaireconfiance.—Nousleferonstoutes,ditAbigail,etlesautreshochèrentlatête.Évaposalelivreàcôtéd’elleetselevatandisquemontaitànouveauenellel’espoirdevoirun
dénouement heureux pour cette classe. La démonstration de tendresse inattendue de Sophie envers
Roseavaitvisiblementeuuneffetsurtouteslesfemmes.Ellesn’envisageaientpluscelacommecinqfemmesdifférentes,maisbienentantquegroupeunietsolidaire.En une seule effusion de larmes, Rose avait réussi à créer ce qui nécessitait habituellement des
joursoudessemaines:lacamaraderie.Évas’approchadeRoseet lafitse lever.Elle leva lementonde la jeunefemmeetregardadroit
danssesyeuxlarmoyants.—Tun’aspasàt’inquiéter,machèreRose.Quandj’enauraiterminéavectoi,tuserascapablede
t’occuperdetoi-même.Unsourirehésitantsurleslèvres,Rosehochalatêteetlaserrafortdanssesbras.Éva tressaillit,
maisselaissafaire.Lesautresfemmes,dontlebavardageexcitéétaitcontagieux,selevèrentpourlesencercler.Évaouvrait labouchepour la rassurerdavantage lorsquesonmajordome,Harold,entrapar la porte ouverte, l’air troublé. Éva s’extirpa doucement de l’étreinte de Rose et s’éloigna dugroupe.Soudain,unfroidglaciallapénétrajusqu’auxosetlafitfrissonner.Elleregardaverslesfenêtres,
certainequel’uned’elless’étaitouvertepourlaisserentrerdanslapièceétouffantelafraîcheurdelamatinée.Maisleschâssisétaientbienfermésetverrouillés,etleslourdsrideauxbleusnemontraientaucunsignedeflottement.Étrange.C’était ladeuxième fois cette semainequ’elle étaitparcouruedecemême froidglacial.
N’eûtétélefaitqu’elleétaitunefemmedetêtepeuenclineàselaisseremporterparsonimagination,elleauraitcraintquecettefroiduresoitlesignequ’unetragédieplanait.Balivernes. Elle secoua la tête pour clarifier ses pensées et fit face à Harold. Son intrusion la
déconcertaquelquepeu,carsesordresétaientclairs:ilnedevaitpasinterromprelesleçonsàmoinsd’uneurgence.Elles’approchadeluipournepasêtreentendueparlesfemmes.—Qu’ya-t-il,Harold?Est-ilarrivéquelquechoseàmamère?Ilsecoualatêteavecfermeté.—Non,mademoiselle.Harold la prit par le coude pour l’attirer vers la porte ouverte. Son majordome était grand,
approchaitlatrentaineetavaitlacarrured’unboxeur;ungardienparfaittantpourlaportedecettemaisonquepourcelledesademeure.Ilassuraitlasécuritédesfillesettenaitlapopulaceloindesonperron.EtÉvaluiconfiaitsessecrets.Toussessecrets.—Unhomme,ungentilhomme,estàlaporte,chuchota-t-ilaprèss’êtrepenchéverselle.Ilinsiste
pourvousvoirausujetd’uneaffaireurgente.Iljetauncoupd’œilendirectiondel’entréeetserenfrogna.—Lorsquejel’aiinformédufaitquevousnereceviezpasdevisiteursaujourd’hui,ilm’aditde
vousexpliquerquesijelerenvoyais,ilreviendraitavecdespoliciersdelarueBowpourvousfairearrêter.
CHAPITRE2
Unevagued’inquiétudesubmergeaÉva.Aucunhommeétrangenevenaitlavoiricisansinvitation,quecesoitaccidentelouvolontaire.Pasmêmesesclientsmasculins,quidevaientd’abordaccepterqu’on leur bande les yeux, puis qu’on les transporte dans un carrosse aux fenêtres noircies sousl’étroitesurveillanced’Harold.Cettemaisondevillequelconqueservaitde refugeaux femmesquichoisissaientde résider sous
son toit pendant leur instruction, car certaines fuyaient des entreteneurs violents. Leur sécurité,comme toujours, passait avant tout. Lorsqu’Harold était avec Éva, un autre majordome, Primm,montaitlagardepourlasoirée.Avoirunvisiteuràsaportequiproféraitdesmenacesétaittotalementinacceptableet,oui,troublant.Évaravalasonanxiétéetrassemblasoncourage.— Vous a-t-il présenté sa carte ou donné son nom ? murmura-t-elle à l’intention d’Harold,
heureused’êtrepratiquementcachéederrièresasilhouettemassive.— Non, murmura Harold entre ses dents, mais il ne s’agit pas d’un homme du peuple,
mademoiselle.Savesteàelleseuledoitavoircoûtéuneannéedesalaire.Un homme qui lui rendait visite sans rendez-vous et portait des vêtements dispendieux ? Ses
inquiétudessetransformèrentaussitôtenperplexité.Peut-êtres’était-iléchappédel’asile?Sic’étaitlecas,Haroldpourraittrèsbienlaprotéger.Maissesfillesetleurvieprivéedevaientàtoutprixêtreprotégéesdesyeuxindiscretsdesvoisins.
Ilseraitdésastreuxd’amenerunofficierdelarueBowàsaporte.—Jedevraidoncluiaccorderuneentrevue,dit-elleavecunsourireforcéavantdesetournervers
ses demoiselles. Je suis navrée de cette interruption,mais une petite affaire requiertmon attentionimmédiate.Mesdemoiselles, si vous voulez bien vous rendre à la cuisine,Doris,ma gouvernante,vousenseigneravotreprochaineleçon.Évaregardaparaderlesoiseauxauxplumageséclatantsquisortaientdelapièce.Unefoislaporte
delacuisineferméesursescourtisanes,Évasedirigeaversl’entréesuiviedesonprotecteurgéant,laseulepersonneenquielleavaitsuffisammentconfiancepourveillersurelleetsursesprotégées.Un an plus tôt, Harold s’était effondré sur le pas de sa porte, blessé par unmalandrin dans les
ruellesprèsdechezelleàMayfair.Ilétaitsale,hirsute,portaitdesvêtementsfaitsmaisondéchirésetsescheveuxblonds foncésétaientmaculésde sangàmoitié séché.Sanshésiter, elle l’avait installédanslesappartementsdesdomestiquesetavaitpansésesblessures,heureused’avoirquelquechoseàfairepours’occuperetrestersained’espritalorsqueledésespoircauséparladégradationdel’étatdesantédesamèremenaçaitdelasubmerger.Unliens’étaittisséentreeuxaucoursdesdeuxsemainesqu’avaitdurésoncombatpourlavie.Elle
ne lui avait jamais posé de questions sur son histoire et il ne lui avait jamais expliqué non pluspourquoi ilvagabondaitdans les ruesaumilieude lanuitni comment il s’était retrouvédevant saporte.Harold récompensait sa gentillesse par sa loyauté à toute épreuve et son amitié, ce qui luisuffisaitamplement.—Vousa-t-ildonnéquelqueindicationdecequ’ilvoulait?Évas’arrêtaetHaroldlacontournapourposerlamainsurlapoignéedelaporte.Ellescrutason
visagesévèreet,pourlacentièmefois,remercialecielpoursaprésenceréconfortante.Ilsecoualatête.—Uniquementqu’ilnepartiraitpasavantdevousavoirparlé.Leursregardssecroisèrentetl’estomacd’Évasenouadevantl’inquiétudepeintesursonvisage.—J’aiessayédelechasserenluidisantqu’ilavaitlamauvaiseadresse,maisilnem’apascru.Les
menacesontcommencélorsquej’aivoululuifermerlaporteaunez.J’aiunmauvaispressentiment,
mademoiselleÉva.—C’est effectivement inquiétant. J’espère que l’homme n’est pas venu se faire rembourser les
vieillesdettesdemamère.— Un seul mot de votre part, mademoiselle Éva, et je l’assomme pour le jeter dans un fossé
quelquepart.Malgrél’urgencedelasituation,seslèvress’étirèrent.—Jenecroispasquecesoitnécessaire.Quelquechoseclocheetilestpréférablededécouvrirla
raisondesavisite.Elleserrasongrosbras.—Jeretiendraitoutefoisvotreoffreaucasoùsesactesnécessiteraientunemainferme.Haroldhochalatête.Malgrésanatureprotectrice,ilfaisaittoujourscequ’elleluidemandait.Elle
seressaisitdoncrapidementetrelevalementontandisqu’ilouvraitlaporteenlançantunregardnoiràl’intrus.—MademoiselleBlack,monsieur.Harold recula d’un pas, toujours à portée de main au cas où l’inconnu de grande taille décide
d’attaquerparsurprise.Le visiteur sortit de la pénombre sous l’orage et fit un pas vers la lumière qui jaillissait de
l’appliquedansl’entrée,puisils’arrêta,lesyeuxvoilésrivéssurelle.Leregardintenseetinsistantsous le chapeau trempé au rebord étroit la transperça.L’hommeétaitmanifestement furieuxqu’onl’aitlaissépoireautersouslapluie.Onauraitditunevipèreenrouléesurelle-mêmeetprêteàmordre.Évaretint son souffle. Le danger ainsi qu’uneénergie sexuelle hypnotique émanaient de chaque
pore de l’inconnu.À l’instar de celle du héros tragiquement beau et légèrement démoniaque d’unromangothique,sacapeclaquaitauventdanslafureurdelatempêtequiselevaitderrièrelui.L’intensitédesacolèrelamitmalàl’aise.Toutefois,ellen’allaitpasselaisserintimider.L’inconnulamesuraduregardenlaparcourantdehautenbasavantqu’elleneprêteattentionàlui.
Ilétaitimpossibledepénétrersonregarddésarmantpourliredanssespensées,maisÉvasoupçonnacelles-cid’êtredéplaisantes.—Quevoulez-vous?demandaHaroldpar-dessussonépaule.L’inconnuluilançaunregardnoir.Iln’avaitvisiblementaucunepatienceenverssondomestique.Il
l’avaitlaissédansl’oragesurlepasdelaporteetlefroidletransperçaitprobablementjusqu’auxos.Cen’étaitpasexactementleprotocoleappropriélorsquequelqu’unvousrendaitvisite,maisHaroldn’étaitpasundomestiqueordinaireetn’hésiteraitpasàsevengerendoucepourlesmenacesfaitesàÉva.—Jeneparleraipasdehorsainsi.L’hommeposaunebotteàl’intérieur.Surprise,Évareculaetfonçadansletorsemassifd’Harold.
L’inconnulafrôlaenpassantdevantelle.Àlafaiblelueurvacillantedel’applique,l’hommelascrutaplusattentivementtandisqu’unegrande
flaqued’eauseformaitsurleplancherverni.—VousêtesÉvaBlack?Intéressant.Letondesavoixnecontenaitaucunetracedechaleurquipuissecompenserleregardglacialdeses
yeuxverts.—Vousneressemblezenrienàl’imagequejemefaisaisd’unevoleuse,bienquejesupposequeje
n’aipasbeaucoupd’expérienceaveclesvoleursdusexefaible.Envérité,jesuisdéçu.Unevoleuse?Elle?Ellechassarapidementdesonesprit toutenotiondehérosgothiquedans la
landebalayéeparl’orageetlaissaerrersonregardcritiquesurlui.
Bienqu’ilnefûtpasaussigrandqu’Harold,l’inconnuétaitplusgrandquelaplupartdeshommes.Ilétaitdrapéde laineet lapluieavait tachésesvêtementsdebonnecoupe.IlétaitévidentpourÉvaqu’ilnes’agissaitnid’unagentderecouvrementnid’unmarchandquiluirendaitvisite.De sa mâchoire carrée jusqu’au bout de ses bottes dispendieuses en passant par la forme
aristocratiquedesonnezlonguet,cethommereprésentaitleparangondelanoblessearrogante.Elleseredressadetoutesahauteur.—Jecrainsquevousayezatterridevantlamauvaiseporteetlamauvaisefemme,Monsieur.Jene
vousairienvolé.Sonexpressiondevintglaciale.—Croyez-vousquejemeseraisabaisséàvenirfrapperàvotreportedanscetoragemaudits’ily
avaitlemoindrerisquequejefasseerreur?Ils’interrompitetdirigeasonattentionsurHarold.—Mondétective amis plus de troismois à vous retrouver et je ne partirai pas avant que vous
m’ayezrenducequim’appartient.Plusletempspassait,pluslasituationdevenaitmystérieuse.Cequ’ildisaitn’avaitaucunsens.Mais
elle était réticenteà attirer l’attentionduvoisinageencontinuant cette conversationdevant laporteouverte.— Très bien, répondit-elle en ravalant un soupir d’impatience. Nous en discuterons dans la
bibliothèque.Éva fit demi-tour et guida l’inconnu dans le hall, puis jusqu’en haut de l’escalier. Elle s’arrêta
devantlaportepourlelaisserentrerdanslapetitepièceetsepenchaversHarold.—Assurez-vousquelesdemoisellesrestentoccupéesjusqu’àcequej’aieréglécetteaffaire.Haroldserenfrognaetserralespoings.Unseulmotdesapartetilsejetteraitsurlevisiteurtelun
chienenragé.Malheureusement,deseffusionsdesangruineraientlesplanchersreluisants.—Jen’aimepasvouslaisserseuleaveclui,grommelaHarold.Elleluitapotalebras.—Çaira.Gardezsimplementlesfemmeshorsdevue.Etdemandeauvaletd’attiserlefeulorsque
nousauronsterminé.Nouspourrionsfairedelaglaceicitellementilfaitfroid.Inspirant profondément, Éva se tourna pour affronter son adversaire. Il se tenait près de la
cheminéeet la regarda traverser lapièce.Elle s’assurademaintenirunedistance respectable entreeux,pourresterbienhorsdeportée.SansHarold,ellesesentaitvulnérable.—Maintenantquenoussommesseuls,pourquoinemediriez-vouspasquivousêtesetcequevous
attendezdemoi?luidemanda-t-elled’unevoixferme.Vousmemettezenpositiondedésavantage.L’inconnuenlevasacapemouilléeetlaposanégligemmentsurunfauteuilàhautdossier.—J’aimeconserverl’avantage,répondit-ilvivement.Jesupposequevousn’avezpasl’intentionde
m’offrirduthéetdesgâteaux,mademoiselleBlack?Lecommentairenarquoislamithorsd’elle.—Sivousaviezétéinvité,Monsieur,j’auraistoutprévupourunaprès-mididesconesaubeurreet
deplaisanteriespleinesd’esprit.Ilréponditparunsourirepincé.—Votreapparitionm’afaitdouterpendantuninstantquej’avaisétémalinforméetquej’étaisau
mauvaisendroit.Maisjesuismaintenantconvaincuquevousêtesbienlafemmequejecherche.Sans le volume supplémentaire que lui fournissait sa cape, il n’était pas aussi costaud qu’elle le
croyait. Cependant, il avait de larges épaules qui s’effilaient vers le bas jusqu’à une taille et deshanches étroites suivies de cuissesmusclées bien découpées sous un pantalon en cuir chamoisé. Il
s’agissait d’unbeau spécimenmasculin, bienqu’elle se répétât que sonobservation était purementprofessionnelle,commelorsqu’onexaminaitlesdentsd’unchevald’attelageavantdel’acheter.—Monsieur,bienque jen’aie riencontre le faitde rester ici à échangerdes insultes avecvous
jusqu’à ce que le coq chante à l’aube, j’ai d’autres choses à faire. Je vous le demande donc ànouveau:quiêtes-vousetqu’attendez-vousdemoi?—JesuisNicholasDrake,ducdeStanfield.Sanssavoirpourquoi,ellereconnutimmédiatementlenometletitre.Peut-êtrel’avait-elleludans
lespagesmondainesou entenduparmi les ragots aumarché,mais la façondont il s’était présentérévélaitqu’ilnes’agissaitnid’unbaronmineurnid’uncocher,maisbiend’unducavectoutlesangroyalpourdonnerdupoidsaunom.Ilfitunepauseetbalayalapièceduregard.Danscecadresimpleformédemurscouvertsdepapier
peintvertpâle,devieuxlivrespoussiéreuxetd’untapisd’Orientusé,maissolide,surlequelreposaitunensembledefauteuilsassortis,saprésenceenvahissaitlapièceetécrasaitÉva.Unefoissonexamendelapièceterminé,ilseretournaverselleenlaregardantdehaut.—JesuisvenupourArabella.Sivousvoulezbienallerlachercher,nouspartirons.Arabella?—C’estdoncça?Lespiècesducasse-têtecommençaientàsemettreenplace.Sonnomluiétaitfamilierparcequ’il
était l’ancien amant d’Arabella. Selon elle, il était possessif et sans pitié, bien que trop généreux.Pourtant,iln’avaitjamaisdemandéàArabellacequ’elledésiraitetlaviedecourtisanen’étaitpassonchoix.Ellerêvaitd’amouretd’enfants.Monsieurleducnepouvaitluioffrirnil’unnil’autre.Ellenepossédaitnilavirginiténilalignéeparfaitenécessairespourêtresaduchesse.Samaîtresse,si.Sonépouse,non.Lorsqu’Arabellaavait tentédemettrefinàleurrelation, ilavaitbalayésesdésirsdureversdela
main et lui avait acheté une demi-douzaine de nouvelles robes, s’attendant à ce qu’une nouvellegarde-robel’apaise.Maiselleavaitsimplementattendulebonmomentpoursevolatilisersoussonnezarrogant.Labonnedécision,detouteévidence.Toutcequ’Arabellaavaitracontéausujetdemonsieurleduc
s’étaitavéré.Ilétait réellementsuffisammentpossessifet impitoyablepour la traquer.Lafilleavaitbienfaitdes’enfuir.—Jesuisnavrée,monsieurleduc,maisArabellan’estpasici.—Danscecas,dites-moioùelleest,mademoiselleBlack.Jeveuxlavoir.Elleestàmoi.— J’ai certainement mal compris, monsieur le duc. Venez-vous d’insinuer qu’Arabella vous
appartenait ? demanda Éva en écarquillant les yeux d’un air innocent. Est-elle l’objet que vousm’accusezdevousavoirvolé?—Arabellaestmienneetelleestsousmaprotection,répondit-il,etsamâchoirepulsa.Cetteaffaire
nevousregardepas,mademoiselleBlack.C’estentreArabellaetmoi.—Envoilàuneidéeabsurde,monsieurleduc!s’exclama-t-elletandisquesoncorpstoutentierse
crispait sous l’effet de la colère. Peut-être auriez-vous dû équiper Arabella d’un collier de chienincrustédediamantsetlagarderattachéeàvotrelitauboutd’unecordeaprèsl’avoirpromenéeauparcpourluifaireprendrel’airetfairedel’exercicecommeàuncanichebichonné!Ilseraidit.—Cette fille n’est pas un objet qui peut être acheté ouvendu commeune jument ou unevache,
poursuivit-elle. Il s’agitd’unepersonne,d’unêtrehumain.Elleétait libredechoisiruneautrevoiepourelle-même.C’estcequ’elleafaitetçanevousregardeplus.
Desnuagesnoirspassèrentsurlevisageduduc.Ilfranchitlesquelquespasquilesséparaientetsedressaau-dessusd’elle,levisagedéforméparlacolère.—Arabellaestàmoi!Évarefusadeselaisserintimider.—Ellen’estpasàvous,monsieurleduc.Ellenevousajamaisappartenu.Dechaquecôtédelui,unegrandemainsecontractapuisserelâcha,commes’ilmesuraitlataille
ducoud’Éva.— C’est sa décision à elle seule, mademoiselle Black. Pas la vôtre. Dites-moi où elle est.
Immédiatement.Évasefigea.Monsieurleducn’auraitbesoinqued’uninstantpourluibriserlecoudesesmains
puissantesavantmêmequ’ellepuisseappeleràl’aide.—Jenelepeuxpas,murmura-t-elle.Ellen’estpasici.IndéciseàsavoirsielledevaitappelerHaroldous’enfuirparlaporteouverte,ellenefitnil’unni
l’autre.Peuimportecequ’illuiferait,elleneselaisseraitpasintimider.Ellenelaisseraitpasparaîtresapeur.Monsieurleducexpiraentresesdents.Àcet instant,ellevitdanssesyeuxquelquechosedeplusprofondqu’unhommequicherchaità
récupérersonbien.Avantqu’ellepuissetrouverdequoiils’agissait,sonvisageserefermaetilpassaunemaindanssescheveux.Detouteévidence,iln’étaitpasprèsderisquerdesannéesenprisonpouravoirlachancedel’étrangleràmort.Elleattenditensilencequ’ilseressaisissetoutenespérantqu’ilretrouveunpeudebonsens.C’était
unhommeintelligent,unhommesensé,bienquesansscrupules.Unefoisqu’ilauraitcomprisqu’ilavait perdu la partie, il rentrerait dans sonmanoir, panserait ses plaies et passerait à la prochaineconquête.— Si c’est de l’argent que vous voulez, j’en ai suffisamment pour vous racheter la fille,
mademoiselleBlack,dit-ild’unevoixgraveetferme.Votreprixseralemien.Évalefixaduregard.Ellecomprenaitqueleshommesdehautrangprennentdesmaîtresses,même
si elle méprisait cette pratique qui remontait à des centaines, voire à des milliers d’années. Cetteinstitutionn’étaitpasprèsdechangerenraisondesonopinionsurlesujet.Maisquecethommeluioffredel’argentpourracheterArabellaravivasacolère.— Monsieur le duc, comment osez-vous venir ici pour me faire une offre aussi grossière ?
Arabellaestpartie,comprenez-vous?ElleaquittéLondrespournejamaisrevenir.VouspouvezdoncvousprécipiteràAlmack’s,auWhite’s,ouàn’importequelautreendroitoùvontlesducspourboireet jouer, et oublier que vous l’avez connue. Elle n’est plus sous votre protection. Plus vite vouslaisserez tombercettepoursuitefutile,plusvitevouspourrez trouverunenouvellecourtisanepourréchauffervotrelit.Évasetintbiendroiteetlevalementon,telunminusculeterrieraffrontantuntigre.Peuimporteà
quelpointill’intimidait,ellenedétourneraitpaslesyeuxenpremier.Unseulsignedefaiblessedesapartetillamettraitenpièces.Dieumerci,ilnepouvaitpasvoirlesnœudsdanssonestomacnientendrelesbattementsrapidesde
soncœur.—Je la trouverai,mademoiselleBlack,dit-ilentresesdents.Lorsquecesera fait,elle reviendra
allègrementdansmonlitetoublieralessottisesquevousluiavezmisesentête.Il fallaitbeaucoupdevolontépourempêchersonpoingde le frapperenpleinsur lenez.Jamais
auparavantellen’avaitrencontréunhommeaussicontrariantetentêté!
—Dessottises,vousdites?Quoi,qu’Arabellaaspireàmieuxquedeservirdejouetàunducetàletenirauchaud?Évalevalesmainsdevantelleaucasoùils’avancerait.—Etqu’adviendra-t-ildesonépouxetdubébéqu’elleporte?Tuerez-vouslecapitainepourélever
le bébé comme s’il était le vôtre ? Acceptera-t-elle la mort de l’homme qu’elle aime pours’empresserd’écarterlesjambespourvousparcequevousl’ordonnez,monsieurleduc?Monsieur le duc recula presque en chancelant, si un tel homme pouvait chanceler.On aurait dit
qu’ellevenaitdejeterdel’eauglacéedanslepantalondel’arrogantebête.—Arabellaestmariéeetattendunenfant?— J’ai vu le pasteur les proclamer mari et femme et une lettre reçue la semaine dernière m’a
confirméqu’elleattendunenfant.Cettefois,ellelutbeletbiendel’émotiondanslesyeuxdemonsieurleducavantqu’ilnedétourne
la tête.De la tendresse ?Des regrets ?Bien qu’il considérât qu’Arabella lui appartenait, l’hommeéprouvaitapparemmentdel’affectionpourelle.Celaexpliquaitsaquêtedésespéréepourlaretrouveretprouvait,aprèstout,qu’iln’avaitpasuniquementunmorceaudecharbonnoiràlaplaceducœur.Peut-êtreyavait-ilunêtrehumainsouscetteapparence froide,arroganteetprétentieuse?D’une
manière quelconque, Arabella l’avait touché. Peut-être y avait-il de l’espoir pour lui.Malheureusement,Évan’avaitniletempsnil’enviedetrouverunepellepourcreuseràlarecherched’humanitésouslescouchesdehautesociétéaristocratique.L’avenir réservait désormais à Arabella une vie en Amérique avec son époux, son bien-aimé
capitainedebateau.Monsieurleducallaitdevoirpasseràautrechoseetfairesaviesanselle.Mêmeluin’oseraitpasinterféreravecunmariagecélébrédevantDieu.—Commevouspouvezleconstater,monsieurleduc,vousnepouvezpaslareprendre,ditÉva.Je
suiscertainequesivousfaisiezconnaîtreàLondresvotredésirdetrouverunenouvellemaîtresse,lesjeunesfemmesferaientvitelaqueueàvotreporte.SiÉvas’attendaitàliredelarésignationdanssesyeuxlorsqu’illesrelevaverselle,ellefutétonnée
del’intensitédelacolèrenoirequ’elleytrouva.—Jamaisjen’oublieraicequevousavezfait,mademoiselleBlack.Danslapiècefaiblementéclairée,Éval’observa,pétrifiée,tandisqu’ilrécupéraitsacapeetlajetait
sur ses épaules. Il ne prononça pas un mot de plus lorsqu’il passa devant elle d’un pas raide nilorsqu’il atteignit le hall, puis l’escalier.De lourdsbruits depasmarquèrent sonpassage à l’étageinférieur.Elletressaillitlorsquelaporteenchêneclaquaderrièrelui.Quelquesinstantsplustard,lorsqu’Haroldrevintàsescôtés,il latrouvaclouéesurplaceetposa
unemainréconfortantesursonbras.Seslèvressetordirentd’inquiétude.—MademoiselleÉva,dit-ilensepenchantpourlaregarderenface,êtes-vousmalade?Vousa-t-il
faitmal?—Oh,Harold,répondit-elledoucementlorsqu’elleretrouvaenfinl’usagedesalangue.Ellefrictionnalachairglacialedesesbrasnusetsentitlemêmeétrangecourantd’airfroidqu’elle
avaitressentiplustôt.—Jecroisquejeviensdemefaireunpuissantennemi.
CHAPITRE3
Jurantdanssabarbe,Nicholasmontadanslecarrosseetclaqualaporte.Iltenditlebraspourtaperauplafondetlecochermitleschevauxenmarche.Il était aveuglé par la colère. Il avait perdu Arabella à jamais. Deux ans à la courtiser pour la
convaincredequitterlecomtedeSeabrook.Àpeineunanpassédanssonlit.Envain.Ilavaitmisdesannéesàtrouverlamaîtresseidéaleetelle luiavaitétéarrachéeparunevieillefilleauxtraits tirésincapabledesemêlerdesespropresaffairesetderesterendehorsdessiennes.—MademoiselleBlackvaregretterdem’avoircontrarié,jura-t-il.S’enfonçant sur son siège, il imagina Arabella et se remémora l’instant où il avait, pour la
premièrefois,posélesyeuxsursonjoliminois.Elleétaitdansunelogeprivéeentrainderegarderune pièce de théâtre quelconque, cachée dans l’ombre d’épais rideaux afin de ne pas choquer lessensibilitésdelanoblesseensemontrantenpublicaubrasdesonamant.Lesyeuxbleuspétillants,ellevenaitderireàuncommentaireamusantdeSeabrooklorsqu’elleavaittournélégèrementlatêteet croisé son regard. Le contact n’avait duré qu’un instant avant qu’elle se retourne vers soncompagnon,l’ignorantostensiblement.Maislepoissonavaitmorduàl’hameçon.Parrespectpourlecomte,ilavaitd’abordlimitésesentreprisesàd’occasionnelles rencontresen
publicainsiqu’àunbadinageléger.Ilavaitfiniparlapourchasseravecuneseuleidéeentête,sanssesoucierdelacolèredeSeabrook.Lorsqu’ill’avaitenfinfaitesienne,elles’étaitavéréetoutcedontilrêvait.Adorable,affectueuseetdéterminéeàplaire,tantdanslelitqu’endehors.Ils avaient ri et s’étaient amusés et, pendant la majeure partie du temps qu’ils avaient passé
ensemble,elleavait sembléheureuse. Il enétait convaincu.C’était seulementaucoursdesderniersmois qu’il avait senti chez elle une certaine fébrilité, qu’elle avait tenté de camoufler sous uneapparencedebonnehumeuretdepassion.Elleétaitdistraiteetexpéditivequandilluirendaitvisiteet,plusieursfois,ellel’avaitfaitattendreàsonarrivée.Lorsqu’ill’interrogeaitàcesujet,ellehaussaitsesépaulesparfaitesetl’attiraitaulitd’unbaiserpassionné.Puis,unmatinqu’ilarrivaitavecdesfleursetuncollierderubispourleurpremieranniversaire,
elleétaitpartie.Disparue.Lesdomestiquesétaientaussiperplexesquelui-même.Audépart,ilavaitcraintqu’illuisoitarrivé
malheur et avait envoyé un valet chercher un officier de la rue Bow. Puis il avait trouvé la note,rédigéedesonécrituredélicatesurduvélin.Elleleremerciaitpolimentpourletempsqu’ilsavaientpasséensembleetluilaissaitsescadeauxempilésaumilieudeleurlit.Tous ses cadeaux, jusqu’audernier rubis.Elle était partie uniquement avec les vêtements qu’elle
portait.Illuiavaitfalludesmoispourlatraquerjusqu’audernierendroitoùelleavaitétévue:unemaison
devillemiteuse àCheapsidedont la porte était gardéeparun colosse et qui était occupéepar unemystérieusefemme,aussisecrètequebanale.Éva Black. De taille moyenne, les cheveux d’un châtain insignifiant, les yeux d’une couleur
d’ambrefoncéderrièreunepairedelunettesdémesurées.Unpetitboutdefemmetellementpeudigned’intérêtquesansl’étincelled’Arabella,elleauraittoutaussibienpuêtreunmeublepoussiéreuxetdécoloréoubliédanslegrenier.Sarobeinformeenmousselinegristernecachaittoutetraceducorpsquisetrouvaitendessous.Comparée à Arabella, cette femme était une vieille mégère desséchée, une vieille fille qui ne
méritaitpassonattention.N’eûtétélefaitqu’elleluiavaitvoléArabella,ilauraitétéheureuxdefinirsesjourssansjamaiscroisersonchemin.
Cequilemettaitleplusencolère,c’étaitlemépristotaldontelleavaitfaitpreuveenverssesdésirs,ainsiquel’airsatisfaitqu’ilavaitlusursonvisageetdanssesyeuxlorsqu’ellel’avaitassommé,ausensfiguré,aveclanouvellequ’Arabellaétaitmariée,avaitconsomméetattendaitunenfant.Pendant une fraction de seconde, il s’était demandé si l’enfant pourrait être le sien, mais avait
ensuite rejeté l’idée. Il était prudent avec toutes ses amantes et davantage encore avecArabella.Ladernière chose qu’il voulait, c’était que sa maîtresse idéale soit accablée du fardeau d’élever sonenfantillégitime.Cen’étaitpascommes’ilnevoulaitpasavoirunjourdesenfantsàqui transmettresonhéritage.
Seulement, il n’en voulait pas avec sa belle courtisane. Il voulait des enfants avec une femmesoigneusementchoisiepoursonorigineimpeccableetsonhautrangsocial.IlmauditencoreunefoisdanssabarbelasatanéemademoiselleBlacketsentitlacolèremonteren
luipouraigrirl’espoirqu’ilavaitnourriderécupérerArabellacetaprès-midi.Àquoiluiservait-ild’avoirdel’argentetuneréputations’ilnepouvaitpasempêcherunemisérablepetitemoins-que-riendes’immiscerdanssaviecommeunevoleusepourluivolerquelqu’unqu’ilchérissaitprofondément?MademoiselleBlackétaitmaintenantdans lamiredesonpistoletet il avait l’intentiond’appuyer
surlagâchette.Paslittéralement,bienentendu,maiselledevraitpayerpoursoningérence.Ilneseraitpassatisfaittantqu’elleneseraitpasdanslamisèreàquêterdanslesruespourdescroûtesdepainrassiesetàreleversesjupespourn’importequelhommeavecdel’argentsonnantdanslespoches.Un sourire s’afficha lentement sur son visage. Un tel destin malséant effacerait certainement le
sourirepincésurseslèvresdevieillefilleetéteindraitl’étincellehautaineetirrespectueusedanssesyeux.Lecarrosseralentit.—CollingwoodHouse,monsieurleduc.Chassantlesidéesdevengeancedesonesprit,ilregardaparlafenêtredesademeure,unblocen
pierresgrisesetenbriquesrougesdontl’entréeétaitencadréeparunepairedecolonnes.Lemanoirservaitde résidence familialedepuisdeuxcentsans, soitdepuisquesonarrière-arrière-grand-pèrel’avaitgagnélorsd’unepartiedecartes.Nicholass’étaittoujoursdemandésilevieilhommeavaittriché.Parmilanoblesse,lefaitqueson
ancêtre avait parfois enfilé lemasque d’un voleur de grand chemin pour reprendre ce qu’il avaitperdu au jeu n’était pas de notoriété publique, mais plutôt un secret de famille bien gardé. Touterumeurd’untelscandalen’avaitjustementétériendeplusqu’unerumeur.Drakeétaitl’undesplusanciensnomsd’Angleterreetfaisaitl’objetd’unegrandevénération.Tout
ancêtrequi aurait pu s’éloigner lemoindrementde lavoieducale appropriéepour s’engagerdansuneactivitéavilissantel’avaitfaitsouslecouvertdel’obscuritéafindenepassalirletitrefamilial.Pourtant, malgré tout l’argent et le pouvoir que Nicholas avait à sa disposition, ainsi que
CollingwoodHouse,iln’étaittoujourspasarrivéàrendreheureuseunecertainemaîtressequ’ilavaitentretenue.Peut-êtreserait-elletoujoursheureusesiellen’avaitpascroisélechemindemademoiselleBlack.
La femme lui avait sans doutemis en tête des idées qui n’avaient pas leur place là.Arabella étaitréellement satisfaite de leur arrangement. Il en était aussi sûr que de son propre nom. Et il étaitsatisfait.Ensoupirant,Nicholasdescenditducarrosseetmontal’escalierenpierre,hochantàpeinelatête
poursaluersonmajordome,Alfred.Alfredhochalatête.
—Monsieurleduc.Toutes sortes d’idées diaboliques pour soutirer un lourd tribut à mademoiselle Black se
bousculaient dans la tête de Nicholas, toutes pires les unes que les autres. Dans la plupart, elleterminaitenchaînéeparlesmainsetlespiedsdansundonjonfroidethumidependantunanoudeux.Ilsavait toutefoisqu’ilnelablesseraitpasphysiquement.Ilnepouvaitpasallersi loin.Non,elle
devaitsouffrirautrement;d’unesouffranceprofonde,obscureetsournoisequinelaisseraitpasdetraces.Sonpère luiavaitenseigné l’art subtilde tourmenteret, l’espaced’un instant, il reconnut levieilhommeen lui. Ilbalayarapidementcetteassociation.MademoiselleBlackn’étaitpassamère.Cettefemmeméritaitd’êtrepunie.Cependant,ilavaitbesoind’aidepourmettresesplansàexécutionparcequ’unhommeprivilégié
nesesalissaitpaslesmainsàperpétrerdesactesavilissants.Ils’arrêtaàlaportedelabibliothèqueetsetournaversAlfred.—JeveuxquevousalliezcherchermonsieurCrawford.Dites-luiqu’uneautreaffairerequiertses
talentsparticuliers.Alfredhochasatêtegrisonnante.—Oui,monsieurleduc.Nicholas seglissadans labibliothèqueet seversaunverredebrandy.Le fauteuil encuiràhaut
dossierépousalaformedesoncorpstandisqu’ildesserraitsonfoulardetlaissaitlachaleurdufeuluiréchaufferunpeulesos.Cetendroitétaitsonfavorilorsquequelquechoseletroublait.L’odeurdes vieux livres poussiéreux, le portrait de sa mère au-dessus de la cheminée et les souvenirsd’enfance de son rire lorsqu’elle tirait un précieux livre d’une étagère l’emplissait toujours dechaleuretdesatisfaction.Sauf aujourd’hui. Rien ne pourrait soulager l’acidité de son estomac ni apaiser sa colère. Avec
Arabella installée, il avait commencé à chercher une future épouse dans la meute de débutantesfraîchementarrivéessurlemarchédumariagecettesaison.CollingwoodHouseavaitbesoind’uneduchesseetd’enfants.Ilyavaitbeaucouptroplongtempsquedesriresn’avaientpasrésonnédansseshalls caverneux et que des pas d’enfants n’avaient pasmartelé ses planchers enmarbre.Diable, iln’arrivait même pas à se rappeler la dernière fois que quelqu’un avait ri de bon cœur dans cettemaison.IlavaitéluLucyBanes-Doddcommelaplusintéressantedugroupedebellesetavaitcommencéà
fairedesavancespréliminairesàsonpère.Bienqu’ellefûtunpeutropfrivoleàsongoût,c’étaitunefilleattirantequidescendaitd’unelignéeimpeccable.AvecArabellainstalléepourréchauffersonlitetLucypourtenirsamaisonetportersesenfants,ilauraitputrouverl’immensesatisfactionquetoutsoitenordre,quesesplanssoientparfaitementorganisésetexécutésdelamêmemanièrequ’ilgéraittouslesaspectsdesavie:defaçonpropreetnette.Toutcelas’étaiteffondréavecladisparitiond’Arabella.—Mauditesoitcetteintruse,grommela-t-ildanssabarbe.La porte de la bibliothèque s’ouvrit et monsieur Crawford entra sans être annoncé. Grand et
robuste,ledétectivemisérablementvêtutraversalapièceàgrandspas,unevieilleblessureàlajambegaucheluidonnantunedémarchedégingandée.Bienqu’ilnefûtpaslegenred’hommequel’oninvitaitàprendrelethéenaprès-midi,Crawford
étaittrèsdouédanscequ’ilfaisait.Ilévoluaitenmargedelasociété,tâtaitdequelquesaffairespeuhonorablesetrestaitloyaltantquel’argentcontinuaitd’affluerdanssespoches.—Vousm’avezfaitdemander,monsieurleduc?
—Vousêtesarrivéplusvitequejem’yattendais,réponditNicholasenindiquantunfauteuilenfacedusien.L’hommeselaissatomberdessusetétirasongenouendommagé.—Étiez-vousassissurlepasdemaporte?Crawfordsouritetbalayal’aird’unemaindélicate.—Jevenaisvousvoir,monsieurleduc.J’aicroisévotrevaletaucoindelarue.Jevoulaissavoir
sivotreconfrontationavecmademoiselleBlacks’étaitbienpassée.Nicholasfronçalessourcilsetlevasonverre.CrawfordavaitretrouvéArabellapourlui,maisleur
lienàcesujets’arrêtaitlà.Ilnejaseraitpassurleurrelation,pasplusqu’ilnerévéleraitaudétectivesarencontredésastreused’aujourd’huiavecmademoiselleBlack.Savieprivéeétaitjustementprivée.—Arabellanem’intéresseplus,dit-ild’untondédaigneux,tandisqu’illevaitlesyeuxversl’autre
enfronçantlessourcilspourqueleschosessoientbienclaires.Sonnomneseraplusprononcéenmaprésence.L’hommehaussalesépaules.—Bien,monsieurleduc.Satisfait,Nicholasjoignitlesmainsetlesportaàseslèvres.— J’ai une autre mission pour vous. J’ai besoin que vous trouviez le plus de renseignements
possibleausujetdemademoiselleBlack.Oùellevalorsqu’ellequittecetteaffreusemaisondeville,avecquiellepassedutemps,sielleadesdettesimpayées.Jeveuxsavoircombiendefoiselleclignedesyeuxouvaauxtoilettes.Tout.—Puis-jevousdemanderpourquoi,monsieurleduc?demandaCrawfordens’enfonçantdansson
fauteuil, cequi fit grincer le cuir.Cen’estpas legenrede femmeauquelunhommecommevouss’intéressehabituellement,monsieurleduc.—Non,eneffet.Son sourire s’effaça. Certainement pas. Si mademoiselle Black et lui étaient les deux derniers
humainssurTerre,ilferaitvœudecélibatousauteraitlatêtelapremièreenbasdelatourdeLondresavantdeluiaccorderunseulregard.—Mon intérêt envers elle n’est pas personnel. Ellem’a volé et j’ai l’intention de lui rendre la
pareille.Unsourires’affichalentementsurlevisageridédeCrawford.—Jevois.Près de la quarantaine, le détective avait vécu assez longtemps pour connaître Londres de
l’intérieurcommedel’extérieuretpoursavoiroùcreuserpourtrouvertoutessortesd’informationscroustillantes au sujet de n’importe qui. Il s’habillait comme un homme sans moyens, invisible,commec’était le cas.SimademoiselleBlackcachaitdes squelettesdans sonplacard,Crawford lesdénicherait.—Ça pourrait vous coûter cher, dit-il en se tapotant la tempe d’un doigt. Il a été pratiquement
impossible de débusquermademoiselleBlack pour commencer.Cette femme tient ses secrets biengardés.Nicholas balaya l’air de lamain.Quand il en aurait terminé avec elle, sa vie serait étalée sur la
placepublique.—Leprixn’aaucuneimportance.Jeveuxquecesoitfaitrapidementetdiscrètement.—Jem’ymetsimmédiatement,monsieurleduc,ditCrawfordenselevant,puisilhochalatêteet
se dirigea vers la porte en boitillant. Quand j’en aurai terminé avecmademoiselle Black, vous laconnaîtrezencoremieuxquesivousétiezsapropremère.
Ilsortitenclopinantavecungrandsourire.Après un certain temps, Nicholas s’étira les jambes et enfonça les coudes dans les bras de son
fauteuil.Lavieillefilleluiavaittenutêtetelunclébardquigrogne,sesyeuxcouleurd’ambrechargésdemépris comme s’il n’était riendeplus qu’une immondicequ’elle venait dedécoller de sous sachaussure.Lorsqu’il en aurait terminé avecmademoiselleBlack, elle serait à quatre pattes à l’implorer de
fairepreuved’unpeudegentillesseetdeconsidérationpoursasituationdésespérée.Ilgloussaetseservitunautreverre.
•
Évamonta dans le carrosse et enleva ses lunettes. Elle se frotta les yeux du bout des doigts, puisenlevasonbonnetetentrepritlelongprocessusderetirerdesescheveuxlamultituded’épingles.Laroutinede la tâche simple ainsi que le ballottement du fiacre tandis qu’il roulait à travers les ruessoulageaquelquepeulatensionsoussonfront.Elleseraitbientôtensécuritéchezelle.Lajournéeavaitétélente,longueettroublante.Aprèsledépartdemonsieurleduc,elleavaittenté
de récupérer le temps perdu avec les jeunes femmes, mais s’était aperçue qu’elle avait l’espritailleurs.LafureurdanslesyeuxducauxdeNicholasDrakeluifaisaitcraindred’êtretombéedansunpanierdecrabesetd’affronterdedangereusespinces.C’étaitunhommepuissantavecdepuissantsamis.Ilpouvaitluirendrelavieimpossible.Malgré tout, Arabella était un bien à ses yeux. Il y avait à Londres beaucoup de belles jeunes
femmes qui n’attendaient que cela, être gâtées par un homme comme lui à coup d’argent et debabiolesenéchangedefaveurssexuelles.Unemaîtressecapricieuseneluimanqueraitcertainementpastrèslongtemps,peuimporteàquelpointillacroyaitimportanteàsesyeux.Enfindecompte,leshommescommeluinesesouciaientqued’eux-mêmes.—Pourtant,ilapassédesmoisàlarecherched’Arabella,murmura-t-elle.CelainquiétaitÉvaplusquetout.Visiblement,lafilleavaitunecertaineimportancepourmonsieur
leduc.Maisétait-celefaitqu’ellel’aitquittéqui l’avait tantperturbé?Ousesouciait-ilréellementd’Arabella?Oupeut-êtreenétait-ilamoureux?Évalaissatomberlesépinglesdanssamallette,puistenditlebraspourenleverlalourdeperruque.
Libéréede touteentrave,unemassedebouclesblond-roux lui tombasur lesépaulesetdégringoladanssondoscommeunecascadederayonsdesoleilenflammés.Tandisqu’ellecommençaitànattersachevelureetquelefiacredelocationcahotaitlentementvers
Mayfair, elle espérait que monsieur le duc prenne vite une nouvelle courtisane et les oublie, sonanciennemaîtresseetelle.Celal’agaçaitqu’illablâmepourladéfectiond’Arabella,commesielleavaitenlevélafillesoussonlongnezpourlatraînerdeforcedevantunpasteur.Arabellaavaitpriselle-mêmeladécisiondelequitter.Etellen’avaitaucunregret.—Siseulementmonsieur leducs’était renducompteàquelpointelleétaitmalheureuseous’en
étaitsoucié,ditdoucementÉvaenattachantunrubanbleuauboutdelanattelâcheavantderemettresonbonnet.Peut-êtrelerejetserait-ilmoinsdouloureux.Dès l’instantoù lecapitaineGreenhillet la filles’étaient rencontrés, ilsétaient tousdeux tombés
follementamoureux.Simonsieurleducsavaitquesacourtisanefréquentaitunhumblecapitainedebateauaméricain…
Ehbien,Évan’osaitpasimaginerquelleseraitsonopinionsurlaquestion.Lanoblessebritannique
croyait commander le lever et le coucher du soleil et monsieur le duc ne faisait pas exception.CommentArabellaavait-elleosélequitter?CommentÉvaavait-elleoséinterférer?Elleavaitoséetneregretteraitjamaisnilajoied’Arabellanicelledesonbelépoux.D’unecertaine
façon,Éva enviait leur amour et leur bonheur.Elle ne croyait peut-être pas aumariage pour elle-même, mais elle était capable de se réjouir du plaisir qu’il apportait à d’autres personnes moinsblasées.La maison de ville était silencieuse lorsqu’Éva arriva chez elle peu de temps après,
émotionnellementàboutetépuiséeà forcedes’inquiéterausujetdemonsieur leduc.Aprèsavoiraccrochésacapesuruncrochetetenlevésonaustèrebonnetgris,elleprituninstantpourregarderautour d’elle dans le vestibule vert simple, mais élégant, et se jura de n’accorder désormais plusaucunepenséeauduc.Ilpouvaitragertantqu’ilvoulaitetsemerladestructiondanstoutLondres,ilapprendraitbienvitequ’ilnepouvaitpastoujoursavoircequ’ilvoulait,etce,malgrésonpouvoiretsarichesse.—Vousvoilà,mademoiselle,ditBessieensortantdupetitsalon.Le sombre voile d’inquiétude disparut de son visage rond et les rides autour de ses yeux
s’estompèrent.—Jecommençaisàm’inquiéter.Vousnerentrezpassitard,habituellement.—J’aiétéretenueparunesituationhorsdemoncontrôle,cequim’aretardée.Évaclignadesyeuxpoureffacerdesonespritleséduisantvisageduducetseredressa.—Commentvamamère?—MademoiselleCharlottesereposedanssachambre.BessieClarkvivaitavecsamèredepuispeudetempslorsqu’Évaétaitnée.Elleconnaissaittoutdu
passédeCharlotteainsiquedescirconstancesdelaconceptiond’Évaet,malgrécela,ellenejugeaitjamais.ToutcommeHarold,lagouvernantegardaitleurssecretsetveillaitsurlesdeuxfemmestelleunevraiemèrepoule.—Elleallaitbiencematin,maiselleaprisunmauvaisvirageaprèsledéjeuner.Jecroisqu’elle
s’estremiseàpenseràvotrepère.Elleavaitceregard.Évahochalentementlatête.Chaquefoisquesamèrepensaitàmonsieurlecomte,c’étaitcommesi
lesdixannéesécouléesdepuissamortn’avaientpasexisté.Elleentraitdansunétatdepseudo-transe,puissombraitdansuneprofondemélancolielorsqu’elleserendaitcomptequ’ilnereviendraitpaslavoir.Jamais.—Sivousvouliezbiendemanderàlacuisinièredenouspréparerunplateau,jevaisallerlavoir,
ditÉvaensedirigeantversl’escalier.Aussi fatiguéefût-elle,saprésenceréconfortait toujourssamère.Sielleétaitdans toussesétats,
seuleÉvapouvaitapaisersessouffrances.—Oh,peut-êtrepourriez-vousaussiyajouterquelquesgâteauxaucitron.Mamèrelesadore.—Bien,mademoiselle.Bienqu’ilfîtencorejour,lachambredesamèreétaitplongéedansl’obscuritéderrièrelesrideaux
tirésetmêmelesmursrosepâleoul’édredonrosetendren’arrivaientpasàégayerlapièce.Jadislapluscélèbredescourtisanesdesontemps,CharlotteRoseWinfielddormaitcaléecontredesoreillers,unnuagedebouclesblond-grisdisperséautourdesatêteetdesesépaules.Unelatteduplanchercraquasouslepiedd’Évaetlesyeuxbleusdesamères’ouvrirent.Unsourire
endormisepeignitlentementsursonvisage,donnantunaperçudelabeautéqu’elleavaitdéjàétéetqu’elleétaittoujours.—Évangéline.Monange.Vienst’asseoirprèsdemoi.
CharlottelevalamainetÉvas’approchapours’installeràcôtéd’ellesurlelit.Ladouceodeurdel’eauderose,l’odeurcaractéristiquedesamère,luiemplitlesnarines.—Tusemblesfatiguée,machérie.Quandj’aiparléàtonpèreaujourd’hui,ilétaitd’accordpour
direquetutravaillestrop.Jesaisquetuaimesaidercespauvresfemmesdémunies,maistudoisaussifaireattentionàtasanté.La maisonnée, et sa mère en particulier, croyait qu’elle aidait de pauvres veuves à trouver un
emploi.SeulsBessieetHaroldconnaissaientlavérité.Lasociétéengénéralméprisaitlescourtisanesetlesfillesillégitimesdecourtisanes,alorssamèreetelles’étaientisoléesdansleurcoin,àl’écartdupassédeCharlotte.Àcausedel’histoiredesamèreetdescirconstancesdesaproprenaissance,Évaauraitdéjàplus
d’unetacheàsondossierauxyeuxdelasociétésilavéritévenaitàéclater.Lefaitqu’elles’abaissedavantage en aidant des courtisanes à améliorer leur sort, bien que certains puissent trouver qu’ils’agissaitlàd’uneoccupationhonorable,scandaliseraitlaplupartdesgens.Lasociétéconsidéreraitqu’elles’abaissaitenparlantàdesgensdesibasseextraction.L’ironie, c’était qu’à l’insu de ses connaissances et de ses nobles voisins, elle faisait elle-même
partie de cette basse extraction, car elle était l’enfant illégitime d’une pute. Bien qu’il s’agissehabituellementd’untristeétatdefait,Évatrouvaitlasituationplutôtamusante.Envérité,elleétaitsatisfaitedesonsort.Elleavaitsamère,unejoliemaisonsurunerueagréable,
ainsiquesontravailpourl’occuper.Quepourrait-elledemanderdeplus?—Jevaismereposercesoir,Mère.C’estpromis.Ellebaissalesyeuxsurlamaindélicatedanslasienne.Ellesformaientunedrôledepaire.Lamère
étaitdevenuelafilleetlafille,lamère.Lesrôless’étaientinverséslorsdecettehorriblematinéeoùlenotairedesonpères’étaitprésentéà laporte, lechapeauà lamain,avec lapirenouvellequ’onpuisseimaginer.Sonpèreétaitmortdansunhorribleaccidentdevoituresurunerouteglacéealorsqu’ilétaitenroutepourleurrendrevisiteparunenuitneigeuse.Charlotte,quiétaitdéjàfragile,s’étaitenfoncéedansunrecoinobscurdesonespritpendantprès
d’un mois. Si elle s’était nourrie, c’était uniquement grâce à la volonté de fer d’Éva. LorsqueCharlotteavaitfinalementémergédesprofondeursdesondeuil,Évaétaitdevenuelagardienneetsamère,pratiquementinvalide.Évaétaitpersuadéequesanssonenfantchérie,samèreauraitsuccombéàsonchagrinetsuivisonbien-aimédanslatombe.—Dieum’asourilorsqu’ilm’afaitcadeaudetoi,madouceÉvangéline,ditsamèreavecundoux
sourireenluiserrantlamain.T’ai-jedéjàracontécombientonpèreétaitheureuxquandjeluiaiditque j’attendais un enfant ? Jene l’ai jamais vuplusheureux.Aprèsdix anspassés ensemble, noust’avonsfinalementeue.—Jeconnaisbienl’histoire,Mère.Malheureux avec la femme acariâtre d’ascendance parfaite qu’il avait épousée, son père avait
choisisamèreparamour.Unamourqu’iln’avaitpasledroitdedonnertantquesonépouseetsesenfantsétaientàlamaison.Pourtant,Éval’avaitaiméavectoutel’innocencedel’enfance.Leperdreluiavaitbrisélecœuretellen’avaitjamaisvraimentréussiàenrecollerlesmorceaux.—Votreliaisonaétélaplusgrandehistoired’amourdetouslestemps,lataquinaÉva.Aussi grande qu’une histoire d’amour puisse être lorsque l’un des deux partis appartenait à une
autre.Samèresouritavecnostalgieetfermalespaupières.—Touteslesfemmesdevraientêtreaussiheureusesenamour.
Lord Seymour et sa mère ne se souciaient guère de ce que la société pouvait penser de leurarrangement.Ilsvivaientets’aimaientavecleurcœur.Cependant,enfindecompte,Charlottes’étaitretrouvée toute seule pour élever une enfant illégitime avec une petite allocation mensuelle quiprovenait de la fortune de son père et qu’il avait jugé bon d’instaurer à la naissance d’Éva. Sonépousediaboliqueavaittenté,envain,depriverdiscrètementCharlotteetÉvadeleurhéritage.Comprenantfinalementqu’elleperdraitdevantlestribunaux,etqu’ellerisquaitd’êtredéshonorée
sur laplacepublique si elledonnait suiteà l’affaire,LadySeymouret lesdeuxdemi-sœursgâtéesd’Éva avaient disparu dans le Kent pour jouir de l’essentiel de l’immense fortune familiale sansjamaisrepenseràCharlotteniàÉva.EtÉvaétaitheureused’avoirlapaix.—Ilt’aimaitbeaucoup,tusais,monange.Charlotteouvritsesyeuxbleusetuneinfinietristesseenvoilalesprofondeurs.—Tuétaissonpetitamour,sontrésor.—Jesais, réponditÉvaenremontant lescouverturessur lesépaulesdesamère. Ilaétéunpère
merveilleux.Ilmemanquetouslesjours.Détournantleregard,Charlotteramenalesbrassursapoitrinetandisquesesyeuxexprimaientla
tristesse.Unefoisqu’ellecommençaitàseperdredanssessouvenirs,iln’yavaitaucunmoyendelaramenerauprésent.—Jevaisdormir,maintenant.Éva s’assit dans le fauteuil pendant un certain temps, jusqu’à ce que la respiration de sa mère
deviennerégulièreetqu’elles’endorme.Telétaitlerésultatdelamoitiéd’uneviepasséeàaimerunseulhomme.Samèresouffraitparamour,telunpersonnagedetragédie,seuledanssonlit,encoreàpleurer sonchevaliermort surune routesombrealorsqu’ilvenaitpasserdeuxnuitsdanssesbraspendantquesonépouseétaitpartierendrevisiteàdesparents.L’amour.Unétatqu’Évaavaitchoisidene jamaisexpérimentersi ledestindesamèredevait lui
servird’exemple.Elleavaitjuréilyalongtempsdenejamaisaimerunhomme,aucunhomme,silegrandamourseterminaitainsi.L’amournevalaitpasleprixàpayerlorsquelaviedel’unprenaitfin.Ellesedévouaitdoncàsamèreetàsescourtisanes,carcelles-cin’avaientpasdescrupulesquantà
l’amour et aumariage. Et elle était heureuse. Jamais un duc, ou n’importe quel autre homme, neviendrait la chercher aux confins de la Terre, obsédé par ce qu’il avait perdu et déterminé à laramenerdanssavieetdanssonlit.Aux yeux dumonde, elle était une pauvre jeune femme dont le père, un richemarchand, s’était
perduenmer.Elleprenaitsoindesamèreveuvequiavaitunefaiblesseaucœur—c’étaitdumoinsce que les voisins croyaient—, et restait dans son coin.CharlotteRose, jadis une belle et célèbrecourtisane, avait disparu depuis des années, peu après lamort de son amant, pour retomber dansl’anonymat et les spéculations. Personne ne pourrait jamais faire le lien entre lamère d’Éva et lacourtisane.Rejaillissantdescendresdesonpère,Éva,quiavaittreizeans,avaitvitegrandiauxcoursdesdix
annéessuivantesafindeleurforgerunenouvellevie,àl’abridesfantômesdel’ancienmétierdesamère.Etelleferaitn’importequoipourempêcherqueleurssecretsnelesdétruisenttouteslesdeux.
CHAPITRE4
—Jenecomprendspas.ÉvafixaitmonsieurSmith,sonnotaire,d’unairahuri,commesiuneénormeverruevenaitdelui
pousseraumilieudufront.Levisagedel’homme,blêmesousunetignassechâtain,étaitdéforméparl’inquiétude.—Lamaisondevilledemamèreétaituncadeaud’un,euh,ami.Elledevraitavoirétépayéeen
entierMonsieurSmithfeuilletaparmilesdocumentsfinanciersetensortitundudessousdelapile.Ille
glissadel’autrecôtédusecrétaireetelleleramassaduboutdesdoigts.—Cecidevraittoutexpliquer,mademoiselleWinfield,dit-il.Éva regarda l’en-tête en premier, puis la signature, afin de s’assurer qu’il s’agissait bien d’un
documentofficieldelabanque.Lentementetattentivementpourêtrecertained’ensaisirtoutlesens,ellecommençaàlireletextesoigneusementcalligraphié.Sielledevaitaffronterlaruine,ellevoulaitsavoirexactementcommentelleenétaitarrivéelàetpourquoi.Monsieur Smith disait vrai. À chaque mot qu’elle lisait, le sol s’effondrait sous ses pieds, les
précipitantsamèreetelledansunabysseobscur.—Malheureusement, ilyaquatreans,madameWinfieldamiscettemaisondevilleengarantie
pourunprêtd’unecertaineimportance,ditmonsieurSmithenposantuneautrelettreprèsdelamaind’Éva.Avantdeleprendre,elleexaminalepapiercommes’ilétaitimbibédepoison.—Jecroisqu’ellevoulaitacheteruncollierdesaphirsetdediamants.—Uncollier?Quelcollier?Évaportaunemainàsatempe.Ilyavaiteuplusieursachatsétrangesaucoursd’une
période de deux ans lorsque sa mère était au plus mal. Elle avait combattu une série de gravesproblèmesdesantéetsonétatmentalavaitsembléempireravecchacund’eux.— Un nouveau paquet était livré à la maison presque chaque semaine, seulement pour être
immédiatement retourné là d’où il venait, dit-elle. Des choses inusitées comme des plumesd’autruche, des chaussures pour homme et un chien à grosse tête qui avait l’air très étrange. Jecroyaisquej’avaistoutretourné.Ilsecoualatête.—Pastout,apparemment,mademoiselle.Nousnesavonsencorerienausujetdedettesrécentes.Il
y a aussi un bout de terrain près deYork. J’ai pris la liberté dem’informer de sa valeur,mais jecrainsquevotremèren’aitétédupéeparlepropriétaireprécédent.Iln’aaucunevaleur;ilesttrophumidepourêtrecultivé.MonsieurSmithluipassauneautrelettred’unemainhésitante.—Aveccesdeux-là etquelques autres facturespluspetites, cettemaisondeville est lourdement
endettée.Évaavaitenviedeleverlepoingdanslesairsetdepestercontreleciel,ouplutôtcontresamère,
unétageplushaut.Maissamèren’avaitpaslacapacitédecomprendrelesconséquencesdesesactesnid’yremédier.C’étaitàÉvadesedébrouillerpourlessortirdupétrinetdetrouverunmoyendesauverleurmaison.—MonsieurWellsleyauraitdûm’informerdecettesituationaussitôtqu’ilenaprisconnaissance,
ditÉva.Jen’arrivepasàcroirequ’illuiaitaccordéunprêtalorsqu’ilétaitaucourantdesonétat.JedoisparleràmonsieurWellsleyimmédiatement.DeuxtachesrougesapparurentsurleshautespommettessaillantesdemonsieurSmith.
—MonsieurWellsley est parti enÉcosse après avoir pris sa retraite il y a un an. Son poste estoccupéparmonsieurTew.MonsieurSmithsemitàfeuilletersespapierspourévitersonregard.—Apparemment,lamajoritédesvieillesdettesdevotremèreontétérachetéesparunetiercepartie
anonymequiadécidéd’endemanderleremboursement.L’hommeexigequelabanquepaieetTewfaitfaceàunepressioncroissantepourleforceràvendrecettemaisonafindepayerlesfactures.Évaluttatantcontrelapaniquequecontreunmaldetêtepersistant.Ellelesimagina,samèreetelle,
toutesdeuxenseveliesdelatêteauxpiedssousunepiledefactures,entraindecontournerlesboîtesdesfollesdépensesdesamèreéparpilléesdanslehalltandisqu’onlesescortaitjusqu’àlaportepourfermeretcadenasserleurmaisonderrièreelles.—Que pouvons-nous faire ? demanda-t-elle d’une voix qui lui parut aiguë et affolée. Peut-être
pourrais-jeparleràl’hommequiaachetélesdettesetconveniravecluidequelqueplandepaiementmensuel?MonsieurSmithsecoualentementlatête,leregardprofondémenttroublé.Lafrustrations’insinuaenelle,teldusabledeplagelourdethumide.Elleavaitenviedebondirpar-dessuslesecrétaire,d’enroulersesmainsautourdesonmaigrecou
etdelesecouerjusqu’àcequ’ilclaquedesdents.Malheureusement,ilnefaisaitquesontravail.—Jecrainsquenon,mademoiselleÉva, répondit-ilensedandinantsurunpied,puissur l’autre
avant de reculer de deux pas sous son regard noir. Il a demandé à garder l’anonymat. Ilcommuniqueraavecvousentempsutile.L’envie de l’étrangler s’évapora. Il n’était que le messager, une marionnette en bois et en
rembourrage.Quelqu’und’autretiraitlesficelles.Ellebaissalatêteetsemassalestempesduboutdesdoigts.—Donc, jedoisattendrequ’ildécidedecequ’ilveut fairedenous?Mamèreestmalade.Vous
pouvezcertainementfairequelquechose.Iltorditlechapeauqu’iltenaitàdeuxmains.—Jevaisfairecequejepeux,mademoiselleWinfield.Ilmit lechapeaufroissésursa têteetquittaprestement lapièce, la laissantsurunclaquementde
queue-de-pie.Cenefutqu’àcemoment,lorsquelamaisondevintsilencieuse,qu’ellecédaauxlarmesetpleura
doucement.Commentcelapouvait-ilarriver?Elleavaitétésiprudente.Lorsqu’ellen’étaitpaslà,samèreétait
étroitementsurveilléepourl’empêcherdecauserdutort,soitàelle-mêmesoitàautrui.Pourtant,unjour,quelquepart,elleavaitréussiàlesfairesombrerdansungouffrededettes.Évaportalesmainsàsonvisageetessuyaleslarmesavecsesmanches.Ildevaityavoirquelque
chosequ’ellepouvaitfaire.Lepropriétairedesdettesavaitcertainementunpeudecompassiondanssoncœur.Ilnepouvaitpas
être suffisammentcruelpour jeter à la ruedeux femmesseules sansprotection.Celadit, c’étaitdecettefaçonquenombredecourtisanessetournaientverslemétier.CequidégoûtaitleplusÉva,c’étaitlahonted’avoirlaisséunteldésastres’abattresursafamille.
Elleavaitfaitdesonmieuxpourdissimulersamèreetlaprotégermalgrésamaladie.Elletrouveraitunmoyenderéglercelademanièresatisfaisante.Desjointuresfrappèrentàlaporte.Haroldl’ouvritetpassalatêteàl’intérieur.—MademoiselleÉva, ilyaunmessageràlaporteavecunelettre.Onluiadonnél’ordredene
parler qu’à vous, dit-il en fronçant les sourcils.Monsieur Smith vous a-t-il apporté demauvaises
nouvelles?Ellesecoualatêteavecfermeté.—Mamèreadesdettestrèsimportantesetleprincipalcréanciermetdelapressionpourêtrepayé.Ellefitunpetitsourireforcé.—Nevousinquiétezpas.Cen’estrienquejenepuissearranger.Évasefrottalesjouesunedernièrefois,reniflaetpritquelquesprofondesrespirations.Elleseleva
dusecrétaireetsortitdelapièce.Àlaportesetenaitunhommeenlivréequ’ellenereconnutpas,unelettreàlamain.Unefoisqu’elleeutconfirmésonidentité,illuiremitl’enveloppeetpartit.—Dequivient-elle?Évatournal’enveloppepourfixerlesceauinconnu.Harolds’approchapourregarderpar-dessus
sonépaule.—Jen’ensaisrien.Elledéchiral’enveloppeetdéplialamissive.Lesmotsétaientsecsetallaientdroitaubut.—Ellevientdemoncréancier. Ilmedemandedevenir le rencontrer seuleà samaisondeville
dansuneheure,carnousdevonsdiscuterdeplusieurschoses.L’adresseestlà,enbas.Elle fut parcourue d’un frisson. Il n’y avait ni signature ni aucun autre indice de l’identité du
créancier.C’était suspect. S’il s’agissait d’un homme au caractère exceptionnel, il n’aurait pas besoin de
cachersonidentité.Visiblement,quelquechosen’allaitpasetelleavaitbienpeurd’êtresurlepointderencontrersonbourreau.—Vousnedevriezpasyallerseule,ditHaroldencroisantlesbras,cequifitgonflersesmuscles
soussaveste.Çapourraitêtreunpiège.—Unpiège?Commentcelapourrait-ilêtrepirequecequejedoisaffronterencetinstant?Mon
avenirenentierestentresesmains.Etceluidesamèreaussi.—S’ilveutquejerécuresesplanchersetquejerepriseseschaussettes,ceseraunbienfaibleprixà
payerpourgardernotremaison.—Aucunhommehonnêtenevousdemanderaitça.Haroldpritlanote,lalut,puislaluirendit.—Nousironsensemble.— Je dois y aller seule, dit-elle avec fermeté. Je dois découvrir la raison de son étrange
comportementetj’ail’impressionqueçaneluiplairaitpasquej’arriveavecungardeducorps.Ellereplialalettreetlaremitdansl’enveloppe.—Vousmeconduirez.Vousresterezaucoindelarue;j’iraiseule.Sijenesuispasderetourdans
undélairaisonnable,vousavezl’autorisationdedonnerl’assaut.Bienquevisiblementmécontent,Haroldferaitcequ’elle luidemandait. Iln’étaitpeut-êtrepasun
domestiqueausenslittéralduterme,maisilétaitsonemployéetilobéissaitàsesordres.—Jevaismepréparer,dit-elleenpassantlamaindanssescheveuxetensedirigeantversletiroir
quicontenaitsaperruqueetseslunettes.Rejoignez-moidehorsaveclecarrossedansunedemi-heure.
•
Évautilisaletrajetdecourteduréepourenvisagermentalementtouteslessituationspossibles.Sicethommeavaitdesintentionsmalhonnêtes,Haroldneseraitpasloin.Sisonplanétaitdelaruiner,elle
voulaitsavoirpourquoi.Pourautantqu’ellepuissel’imaginer,ellen’avaitaucunennemiréel,carsonréseausocialserésumaitplutôtàunpetitpoint.Enfin,ilyavaitunennemipossible.Leducavaittempêtéausujetd’Arabellaetproférédesmenaces
voilées.Çanepouvaitpasêtrelui.Si?Monsieurleducétaitcertainementpasséàautrechoseaucoursdesdeuxdernièressemaines.Les
hommes de son envergure utilisaient les femmes, puis les rejetaient systématiquement. Certes,Arabellaétaitbelleetdouce,mais ilétait facilederemplacerunemaîtresseparuneautredansunegrandevillecommeLondres.Ilyavaitbeaucoupdejeunesfemmesprêtesàfairen’importequoienéchanged’untoitetd’unmoyend’échapperàleurexistencedésespérée.Un homme aussi viril que monsieur le duc voudrait avoir une femme dans son lit sans tarder.
Pourtant,ellenepouvaits’enleverdelatêtequec’étaitluiquilatourmentait.Ilétaitpartientrombe,encolère.Harold arrêta le carrosse comme elle le lui avait demandé et une dernière courte querelle s’en
suivit. Éva avait gagné, mais la victoire était dérisoire ; le dernier appel à la prudence d’Haroldrésonnaitdanssesoreillestandisqu’elleparcouraitàpiedladistancequilaséparaitdelamaisondeville.Il s’agissait d’un simple édifice de trois étages construit en grès, sans ornements excessifs. Les
plantes le long du trottoir n’avaient pas revêtu leurs couleurs printanières et la porte n’était qu’unsimplepanneauenchênesansgravurescomplexes.Auxyeuxd’Éva,quiavançaitdansl’allée,riennelaissaitdevinerl’identitédupropriétaire.Comparée aux résidences plus sophistiquées du pâté de maisons, rien ne montrait qu’elle
appartenaitàunhommefortuné.Évatapotasaperruquepours’assurerqu’elleétaitbienenplaceetajustaseslunettes.Sacapenoire
cachait une robe brune austère dont le col lui montait jusqu’au menton. Elle espérait avoir l’airredoutable,decraintequ’il lacroie facileà intimiderouqu’ils’imagineà tortqu’ellepouvaitêtredisposéeàpayersesdettesennature.L’estomacsolidementnouéetlesgenouxflageolants,elletenditlamainversleheurtoir.—JesuismademoiselleBlack.J’airendez-vousavecvotreemployeur,dit-elleàlafemmeàl’air
sévèrequiouvritlaporte.De profonds sillons creusaient son front et traçaient une ligne d’unœil à l’autre. Elle avait les
lèvrespincéesenuneligneétroite.Sonhabillementladésignaitcommelagouvernante.—Oui,suivez-moi.Visiblement, ladomestiqueavaitpeude raisonsde sourire.Sonemployeurdevait êtreunmaître
exigeant.Lenuagemenaçantau-dessusdelatêted’Évas’assombritdavantage.Évas’enfonçadanslamaisonderrièrelafemmeetmontal’escalier,passantdevantplusieurspièces
sursonchemin.Ladécorationfloralefavoriséed’unboutàl’autresemblaitavoirétéchoisieparunefemme, peut-être l’épouse du propriétaire.Cette pensée l’apaisa quelque peu. Si une femme rôdaitdanslesparages,l’hommerisquaitmoinsdemalseconduire.—Ici.Lagouvernanteguindée fronça les sourcils enattendantqu’Évaentredans lepetit salon,puis se
retiraprestement.—Attendez!s’exclamaÉva,maisilétaittroptard.
Les portes se fermèrent devant elle, produisant un fort cliquetis. Elle s’attendit à ce qu’une clétournedanslaserrurepourlafaireprisonnière.Leseulsonqu’elleentenditfutlemartèlementdespasdelagouvernantequis’éloignait.Éva expira et examina la pièce autour d’elle. Les tapisseries, tapis, canapés et fauteuils étaient
couvertsdetissusauxmotifsderosesetdelierresdesorteàcréeruneexplosiondefleursrosesetrouges.Lesmursétaienttendusdepapierpeintrayévertetroseetplusieursvasesderoses,rosesetrouges,pâliesparletemps,occupaientchaquesurfaceplane.L’écœuranteodeurderosesquirégnaitdanslapetitepiècerendaitlarespirationdifficile.Elleavait
l’impressionqu’unecharrettedefleurss’étaitrenverséesurelletandisqu’ellemarchaitsurletrottoiretl’avaitenseveliesousunjardinfleuri.Manifestement, la maîtresse de maison avait des goûts discutables, mais suffisamment d’argent
pour acheter des fleurs hors saison. Quelques roses, d’accord, mais ça ? Comment pouvait-onrecevoir des amis dans une pièce aussi étouffante ? L’esprit ne pouvait se concentrer sur laconversationlorsqu’onavaitleslarmesauxyeuxetquedeséternuementsseprofilaientàl’horizon.Évaétaitsiabsorbéeparsacontemplationdumauvaisgoûtqu’ellen’entenditpaslaportes’ouvrir
derrièreelle.—C’estArabellaquiachoisiladécoration.Lavoixprofondelafitsursauteretellesetourna,pantelante.—C’estunpeuétouffant.Heureusementqu’elleavaitd’autrestalents.—Monsieurleduc.Soncœurs’emballa.Sespirescauchemarsseréalisaient.L’hommequipossédaitsesfactures,celui
àquielleappartenaitpratiquement,étaitlemêmequel’hommequiladétestait.Etdanssarage,ilavaittrouvélemeilleurmoyend’exercersavengeance:lachosequelesfemmescraignaientleplusdanscemondedominéparleshommes.Lapauvreté.Leducsetenaitdansl’encadrementdelaporteenbrasdechemise.Sonvisageféroceetséduisant
esquissaitunfroncementdesourcilssévèresouslesbouclesbrunesquiluitombaientnégligemmentsurlefront.Unpantalonencuirchamoiséenveloppaitsescuissesmuscléesàlaperfectionetlecolouvertdesachemiseblanchecommeneigelaissaitàpeineentrevoirunetouchedebouclesfoncées.Samasculinitébruteétaitsipuissanteetenvoûtantequ’ellefaillitoublierderespirer.N’eûtété la
hainequ’ellenourrissaitàsonégardetquitransformaitsonestomacenunemassedouloureuse,ellese serait facilement laissé prendre par son sort de séduction, sans doute à l’instar de beaucoupd’autresfemmes.Elleavaitenviedecourirjusqu’àlafenêtreetdel’ouvriràlavoléepourcrieràHarolddevenirla
secourir.Maiscelane lui servirait à rien.Elledevait écoutercequ’il avait à luidireet trouverunmoyendelessauver,samèreetelle.Ets’ildécidaitdel’étranglericimême,danscettepiècepleinederoses,Haroldétaittroploinpourl’arrêterdetoutefaçon.Heureusementqu’elleavaitchoisiunerobeavecuncolhautetraidequinuiraitàlastrangulation.
Seuluncollierd’épinesluifourniraitunemeilleureprotection.—Qu’attendez-vousdemoi?luidemanda-t-elled’unevoixaiguë.Elle vit son froncement de sourcils se transformer en un regard noirmalveillant.Un frisson de
peurluiparcourutlacolonne.Ilétaitlediableenpersonne.—JeveuxravoirArabella.Lesépaulesd’Évas’affaissèrent.Elleavaitenviedeselaissertombersurlefauteuilleplusproche,
mais craignait de paraître faible. Tout ce qu’elle pouvait faire, c’était bomber le torse et feindre
l’assurance.—Jepensaisquecetteaffaireétaitréglée,monsieurleduc.Ilentradanslapièceetfermalaporte.—Ohoui,ellel’était.Vousêteslaraisonpourlaquelleellenepartagepasmonlit.Ilavançaversune fenêtreétroiteet l’ouvrit justeassezpourqu’unepetitebrise fassebruissersa
chemiseetsescheveux,maissanslaisserassezd’espacepourpermettreàÉvadetenterdes’échapper.Malheureusement.— Dommage, dit-elle, sans réussir à avoir l’air de sympathiser. Monsieur le duc, je suis
convaincuequevousn’avezqu’àleverlepetitdoigtenmarchantsurBondStreetpouravoirlechoixentreunebonnedouzained’aspirantesamantesenthousiastes,poursuivit-elleengrimaçant.Votre litneresterapasvidelongtemps.Sonvisagesefitdemarbre.Elle avait la triste impression d’être une souris qui se faisait malmener par un chat enjoué en
attendantqu’ilsedécideenfinàengloutirpoursonsouperlacréaturesansdéfense.Maissimonsieurleduclacroyaitsansdéfenseentresesgriffes,ilallaitavoirunesurprise.Ellelui
étaitpeut-êtreredevablefinancièrement,maisellen’étaitpasunepauvreidiote.Lesépreuvesdelavieavaienttransformésacolonneenacier.Cereversnesuffiraitpasàluibriserlemoral.Ellesedirigeadoncverslecanapéleplusproche,oùelles’assitenprenantbiensoind’étendresa
capeetsesjupesautourd’elleaussisereinementquesielleétaitinvitéepourlethé.Lorsqu’ellelevafinalementlesyeuxverslui,ellehaussaunsourciletjoignitlesmainssursesgenoux.—Jecomprends,monsieurleduc,quevousavezrachetémesdettes.Elleespéraitobtenirunindicedeceàquoiilpensait,maissonvisageétaitimpassible.—Peut-êtresouhaiteriez-vousmefairepartdugenredetourmentsauxquelsvousprévoyezdeme
soumettrepourcomblervotredésirdevengeance.Nettoyervospotsdechambre?Mejeterdanslesflaquesd’eaupourquevousn’ayezpasàsalirvosbottes?Nettoyervosécuries?Ellelefixadroitdanslesyeux.—Degrâce,nemetenezpasenhaleinepluslongtemps.
•
Nicholasobservalapauvrecréaturejouerlesbraves,maisellen’arrivaitpasàcacherletremblementdesesmains,etce,peuimporteàquelpointellelesserraitl’unecontrel’autre.Elleavaitpeurdelui,desesgrandsyeuxbleusinquietsjusqu’autressautementnerveuxdesajambesoussonaffreuserobemarron.Sanssongardeducorpspersonnelpoursedresserdevantelleàl’instard’unmurpourlaséparer
delui,elleétaitentièrementettotalementàsamerci.Etellelesavait.Si seulement il avait des menottes à faire cliqueter ou une cravache à taper contre sa botte. Il
réprimaunsourire.Ils’amusaitbien.—J’aiapprisbeaucoupdechosessurvousaucoursdesdeuxdernièressemaines,mademoiselle
Black.Sauverdescourtisanesdelaruine?Quelleidéeabsurde!Plusieursontchoisicettevoiepouréviter une vie de pauvreté éreintante. Préféreriez-vous les voir affamées et souillées à quêter desboutsdepainetdesgorgéesdebièredanslesruellessombres?—Il…Ilyad’autresoptions.
—Commeêtrecouturière,damedecompagnieoudomestique?Ilrenâcla.—Combiend’emploisvacantsya-t-ilpourlamultitudedefemmesquiviennentchercherdutravail
en ville, mademoiselle Black ? Deux douzaines ? Moins ? Et que faire des femmes qui, commeArabella,attirentl’attentiondeshommes?Croyez-vousqu’uneépouseaccepteraitdelagardersoussontoitenprésencedesonépoux?—Jeneleuroffrepasunemploi,dit-elle.—Non,vousleurtrouvezdesépoux.—Vouspouvezvousmoquertantquevouslevoudrez,monsieurleduc,maisj’aieubeaucoupde
succès,répliqua-t-elle,unemainsurlecœur.Vousêtesunhommefortuné.Ilestfacilepourvousdenepasprendreausérieuxcequejefaispourcesfemmesdésespérées.Ellegagnaitunpoint,maisiln’allaitpasleluidire.Ilavaittoujourseutoutcequ’ildésirait.Illui
étaitdifficiledes’imaginerdevoirs’inquiéterdechaquemiettedenourritureoudetrouverunendroitoù s’abriter des dangers de la ville pour la nuit. En revanche, il n’avait ni le temps ni le goûtd’ergoteravecellesurlaconditionfémininealorsqu’ilavaitlatêteàlavengeance.Lavieillefilles’enfonçadanslecanapé,moinssûred’ellequ’auparavant.Elleétaittenduecomme
unressortetsemblaitprêteàbondirverslafenêtreouvertes’ilbougeaittroprapidement.Commeiln’avaitpasencoredéclenchélepiège,ilcroisalentementlesbrasetsebalançasursestalons.—Vousêtescurieusedesavoirpourquoijevousaifaitveniricietpourquoij’airachetévosdettes.
J’imaginequevouscroyezquej’aidesintentionsavilissantesencequivousconcerneetvousavezraison.Jenemesuispasemparédevosfinancesparégardpourvotrebien-être.Ilfitunepausepourregarderl’inquiétudegagnersesyeux.—Commevouslesavez,jen’aipasdemaîtressepourl’instant,etce,àcausedevousetdevotre
ingérence.JeconsidèrequecelavousobligeàremplacerArabella.Évaouvritlabouche,maisilcontinuaavantqu’ellepuisseprotester.—J’aicrucomprendrequeplusieursdescourtisanesquevousgardezàvotremaisondevillede
Cheapsideferaientparfaitementl’affaire.Ellesemitàbredouillertandisquesonvisagepâleprenaitdescouleurs.Ilréprimaunsourire.—Jevousdonneraiunelistedesqualitésquej’exiged’uneamante.Vouschoisirezunedesfemmes
pourmoietferezlesprésentations.—Jerefuse,s’indigna-t-elleenbondissantsursespieds.Commentosez-vousmeproposerquelque
chosed’aussiignoble?Cesfemmesontétésuffisammentutiliséesetbafouéespoursatisfairelesplusbasinstinctsdeshommes.Jerefusedevousenremettreuneauboutd’unelaisse,etce,peuimporteleprixàpayer.Ilhaussaunsourcil.—Oh,jecroisquevousleferez,mademoiselleBlack.Jevoustiensauborddugouffre,agrippée
parlesongles.Vousferezcequejevousdemande.—Vousdevrezd’abordmepassersurlecorps,répliqua-t-elleenrelevantlementon.Jerefusede
troquerunedemescourtisanespoursauvermapeau.Son stoïcisme l’étonna. La plupart des femmes seraient en larmes, mais pas cette vieille fille
guindée.Elleavaitdesortiesdanssaculotteetdesaiguillesdanssoncorset.Detouteévidence,ildevaitaugmenterlesmenacesd’uncrans’ilvoulaitlafairepleurer.—Etvotremère,mademoiselleBlack?Quelprixdevra-t-ellepayerpourvotrerefusdecoopérer
?Elleserralamâchoireetsonvisagedevintceluid’unetigresseféroce.
—Laissezmamèreendehorsdeça,monsieurleduc.Manifestement, ilvenaitde toucherunecorde sensible.Elle semoquaitpeut-êtrede se retrouver
danslamisère,maisencequiconcernaitsamère,c’étaitunetoutautrehistoire.Lechatsortaitsesgriffes.Ilvalaitmieuxnepasluimontrerledosouelleluilacéreraitlachair.—Monoffreestsimple,mademoiselleBlack.Trouvez-moiunecourtisaneetjevousremettraivos
dettes.Sielles’avèred’abordunemaîtressesatisfaisante,bienentendu.Ils’interrompitpourobserversonregards’assombriretsonvisageprendreuneétrangecouleur
prune.—Vous pourrez ensuite être assurée que votremère vivra le reste de ses jours dans le confort
qu’ellemérite.—Vousêtesunhommedétestable.Ellebaissaletonetsavoixsebrisatandisquesesépauless’affaissaientlégèrementversl’avant.—Mamèreestmalade.Vouspouvezcertainement trouverunautremoyendeme torturer. Jene
peuxpasvousdonnerl’unedemesjeunesfemmes;ellesnem’appartiennentpas.Nicholasvitladéfaitesursonvisageet,pourlapremièrefois,remarquasespommettesdélicates
ainsi que les longs cils qui encadraient ses féroces yeux couleur ambre.Lemoment lui parutmalchoisipourconstaterqu’ilyavaiteffectivementunevéritablefemmederrièresonapparencebanaleetpasseulementunmannequinenbois.N’eussent été ses vêtements mornes et ses cheveux châtain terne, elle aurait pu être considérée
commemoyennement intéressante à regarder.Pas suffisammentpour attiser lespassions,maispasdésagréableàregarderpar-dessuslatableaupetit-déjeuner.Soudain, il trouva le moyen idéal de tourmenter mademoiselle Black et de lui faire perdre ses
manièresguindées. Il savait qu’ellen’accepterait jamaisde seplier à sesdirectives et, envérité, iln’avaitpaslemoindreintérêtenversaucunedesescourtisanes.Ilvoulaitsimplementvoirjusqu’oùilpouvaitalleravantqu’ellecraque.Derrière sa petite ossature fine se cachait plus de force de caractère que ce à quoi il s’attendait.
Même sans la protection du bull-dog géant qui lui servait de domestique, elle s’accrochait à sesconvictions.Non,ildevaitfairemonterlesenchères.Etilsavaitcommentlapousseràbout.—Peut-êtrepuis-jevousproposeruneautresolution.
CHAPITRE5
Nicholas la vit se raidir et enfoncer les ongles dans le bras du canapé. Elle était prête pour leprochainassautcontresamoraleetsasensibilité.Elleneseraitpasdéçue.Bienqu’iln’eûtpasl’intentiondelablesserphysiquement,laremettreàsaplaceluiapportaitune
certaine satisfaction. Peut-être que cela lui rabattrait un peu le caquet et lui émousserait la langue,qu’elleavaitaussiacéréequ’unsabre.Sa colère s’était quelque peu apaisée au cours des derniers jours, jusqu’à ce qu’il repense à
Arabella.Dès lors, il était redevenu furieux. La douceur, la passion et le rire de sa courtisane luimanquaient,et toutçaàcausedecette irasciblevieillefilleetdesonrêveextravagantdemettreuntermeàl’institutiondesmaîtressesetdescourtisanes.—Quel…Quelgenredesolution?demanda-t-elled’unevoixhésitante,s’attendantmanifestement
aupiredesapart.Ellen’avaitpasidée.—Jevousproposeunesolutionquiserasatisfaisantepournousdeux,mademoiselleBlack.Il mit l’accent sur « satisfaisante » et la vit se raidir. Il était temps de véritablement passer à
l’attaque.—Vousêtesunefemmeintelligente,dit-ilenprenantuntonséducteuretenrivantsonregardau
sien.Vousavezsansdoutesentilecourantpasserentrenous.Elledéglutitetsesdoigtsjouèrentaveclesplisdesajupe.—Je…Jenevoispasdutoutcedontvousparlez,monsieurleduc.Lentement, il la balaya du regard de la tête aux pieds. Bien que sa personne ne possédât pas
beaucoup d’attraits, il était persuadé que s’il avait toute une journée pour l’examiner, il pourraittrouverchezellequelquechosed’attirant.Ilscrutaattentivementchaquecourbevisible.MademoiselleBlackavaitunesilhouettedécente,sionaimaitlesfemmessveltes.Ilsourit.—Jecroisquesi.Ilcontournalecanapépourseposterderrièreelleetposalesmainssurledossier,departetd’autre
de ses épaules. Il ne la touchait pas,mais était tout demême assez près pour gêner la vieille filletenduecommeunressort.Nicholassepenchabienbasetcaptal’odeursubtileduparfumdelilasquiémanaitdesonparfait
coublancbiencaché.C’étaitabsolumentexquis.Soussonpantalon,ilsentitsonsexeréagiràcettevieillefillesansreliefetsuccombapresqueàune
enviesoudainedepresserseslèvressurl’étroitebandedepeaunuesoussescheveuxchâtainterne.Ilavaittrouvéquelquechosed’attirantchezelle.Ilfutlepremieràs’enétonner.—Vouspouvezmecontredire,maisjeconnaislesfemmes.Ilbaissalatêtejusqu’àcequeseslèvressoientdangereusementprèsdelatoucher,justesousson
oreillegauche.Ellefrissonna.—Jevousintrigue,mademoiselleBlack.Il sourit et exhala son souffle chaud dans son cou. Elle émit un petit hoquet de surprise en
bondissant sur sespieds.Ellepivota et reculavers laporte tandisqu’il contournait le canapépouravancerverselled’unpasraide.—Simplement pourque ce soit bien clair, dit-elle, il n’y a rien, riendu tout, chezvousquime
plaiseoum’intrigue.Jetrouveraisunchasseurderatédentéplusattirantquevous,monsieurleduc.Ungloussementluiéchappa.Cettejeunefemmeétaitfougueuse.—Vousmefaitesdelapeine,mademoiselleBlack,dit-ildoucementenscrutantlescourbesdeses
lèvres pleines, roses et légèrement entrouvertes. Parce que je vous trouve désespérément attirante,
danslestylesévèreetdépourvud’humour.Ellerestabouchebée.Illuiétaitimpossibledediresiellelesoupçonnaitdejoueravecelleousi
ellelecroyaitsincère.—Jecroisqu’ilseraitpréférablequenousoubliionscomplètementcetteconversationetquenous
nous en tenions à la gestion de nos affaires. J’aimerais discuter d’une entente raisonnable deremboursementdemesdettes.— Je croyais cette affaire déjà réglée, mademoiselle Black, dit-il. Vos dettes en échange d’une
courtisane.—Iln’enestpasquestion.Fichtre!Ungémissement,unfrémissementdelèvreluisuffiraitpourquetoutcecisoitterminéet
queleurscheminsn’aientplusjamaisàsecroiser.Sielleluienvoyaitundemi-pennyouunshillingparmoispourremboursersadette,ilseraitheureux.Toutcequ’ilvoulait,enréalité,c’étaitqu’elleaitunepetiteidéedelasouffrancequ’ilavaitenduréelorsqu’ilavaitperduArabella.Cependant,elleneressentaitmanifestement aucun remords par rapport à la perte qu’il avait subie ni aucune émotionquantàsapropreruinefinancière,commesielleavaituncœurdepierre.—Sivousnevoulezpasmecéderunecourtisane, jenevoisqu’uneautreoption :prenezvous-
mêmelaplaced’Arabella.L’entêtementdontellefaisaitpreuveluirappelacombienilméprisaittoutchezelle,misàpartson
couexquis—diable,saboucheaussi.Seslèvress’étirèrentverslebas.—Bienque je craignequevos connaissancesdans l’art de l’amour soient déficientes à tous les
niveaux,poursuivit-il,jeseraiheureuxdevousenseignercommentsatisfaireunhomme.Lagiflequ’ilreçutprojetasatêtesurlecôté.—Vousêtesunhommehorribleetdégoûtant,gronda-t-elleentresesdents.Jepréféreraiscoucher
avecdescochons.Il serra lamâchoire et tendit brusquementunemainpour l’attraperpar lebras lorsqu’ellepassa
devant lui d’un pas raide. Il la força à se retourner, l’attira contre son torse et la coinça dans sonétreinte.Lasouplesseducorpsséduisantd’Évalepritdecourt.Ellen’étaitpasaussimincequ’ill’avaitcru.
Elle possédait quelques bonnes courbes, après tout. Toutefois, cela n’avait pas d’importance. EllerestaittoujoursmademoiselleBlack.Évasedébattit.Sesyeuxlançaientdeséclairs.—Vousavezlechoix,grogna-t-il.Acceptezmonoffreoucédezl’unedevoscourtisanes.Jeveux
votreréponsed’icilafindelasemaine,sinonjevousferaiexpulser.Évalerepoussaetildesserrasonétreintesursataille.Elletentadereculer,maisilglissaunemain
derrièresoncouetattirasatêteverslasienne.Ellesemblaitterrifiée,maisyavait-ilautrechose?Àchaque respiration, samodestepoitrine sepressait contre son torse ; son cœurbattait à un rythmeirrégulier,tellementfortqu’ilenentendaitpresquelesbattements.Cependant,toutel’attentionduducétait monopolisée par ses lèvres roses aux coins légèrement retroussés, entrouvertes pour laisserpassersarespirationagitée.Sansavertissement,ill’embrassaviolemment.Unfeubrûlantserépanditrapidementdanssoncorpsetdéclenchauneérection.Leslèvresd’Éva
avaientungoûtdethé,dementheetdepureféminité.Uncriétouffésurgitdufonddesagorgeetelledevint toutemolle. Il sonda sesdents,demandant en silence ledroitdepénétrerdans saboucheet,l’espaced’uninstant,ilcrutqu’ellelelaisseraitapprofondirlebaiser.Illuipritunseinàpleinemainettaquinasonmamelon.
Elledesserralamâchoire.Puisunedentitionse refermasursa lèvre inférieure.Nicholas la relâchaengrognant. Ilporta la
main à sa blessure qui élançait. Elle fit demi-tour et sortit de la pièce en un bruissement de jupeslourdes.Les lèvres du duc s’étirèrent en un sourire carnassier. Il avait envie de la pourchasser pour lui
donnerlafesséejusqu’àcequ’elleaitlederrièrerouge.Maisunedécouverteinattendueleclouasurplaceet lui embrouilla l’esprit.À l’instantoùelleavait faitvolte-facepourcourirvers laporte, ilavaitvutomberdesonsévèrechignonchâtainunemècheauxcouleursblondcuivréetrougeorangéquiressemblaientàcellesdel’aurore.Ilyavaitbienplusderrièrelavieillefilleternequ’ilnel’auraitjamaisimaginé.
•
Évacourutsurletrottoirjusqu’aucarrossequil’attendait.Desamaingantée,elles’essuyalabouchepourenleverlegoûtduducsurseslèvres.Sel’enleverdelatêteseraitplusdifficile.Danslasecondequiavaitséparélebaiserdelamorsure,
soncorpsavaitétélethéâtred’uneexplosiondesensationsinattendues.Elles’étaitsentieembarrasséeetdésorientéetandisquelespartieslesplusintimesdesonanatomiepalpitaient,cequ’ellenepouvaitqu’attribueràuneréactionviscéraleaubaiser.Encetinstantmême,tandisqueleventfraissoufflaitautourd’elle,ellesesentaitàlafoisfiévreuse
et frissonnante. Le détestable duc l’avait marquée de son baiser et lui avait volé, par son attaquesensuelle,despartiesd’elle-mêmequ’ellecraignaitnejamaisrécupérer.Il fallait de la volonté pour continuer d’avancer alors qu’elle avait envie de se laisser tomber à
genouxetdes’abandonneraudésespoir.Cescélératl’avaitembrassée!Jamaisunhommen’avaitprisune telle liberté.Mêmeàcet instant, elle sentaitunedesesmainsaucreuxdesondoset sonautremain,brutaleetvirile,autourdesoncoutandisqu’ilpenchaitlatêteverslasienne.Ellemaîtrisasesémotions.—S’ilvousplaît,Harold,ramenez-moiàlamaison.Haroldl’aidaàmonterdanslecarrosse,puisjetaunregardnoirmenaçantverslamaisondeville
derrièrelui.Évas’empressad’apaisersacolère.—Monsieurleducnem’apasfaitdemal.Pasphysiquement.Elledétournaleregardpourcacherlerougequiluimontaitauxjoues.Enfin,niavecsesmainsni
avecunearme.Haroldsecrispa.—C’étaitdoncleduc.Ellehochalatête.—Oui.
•
Cenefutqueplustard,aprèsqu’elleeutverrouillélaportedesachambrederrièreelle,qu’Évafonditen larmes. Sa volonté d’aider les courtisanes àmener unemeilleure vie pour elles-mêmes s’étaitretournéecontreellelorsqu’ilavaitsuggéréqu’elledevienneexactementcequ’ellevilipendait:unefemmeforcéedecoucheravecunhommepoursurvivre.
LadouceArabellaétaitsauvée,maisvoilàqu’Évaétaitsurlepointdetoutperdreàcausedelasoifdevengeancedesonvilprotecteur.Maissiellenedevaits’inquiéterqued’elle-même,l’argentperduet lefaitd’êtresansabrinelui
feraientpaspeur.Non,c’étaitpoursamère,sonécoleetsoninnocencequ’ellepleurait.L’allocationmensuelleétaitsuffisantepourvivre,maispaspourcouvrirlespilesdedettesquesa
mèreavaitcontractées.Etellesavaitparfaitementqu’ellenecéderaitjamaisunedesesdemoisellesauduc,pasplusqu’ellepermettraitquesamèresubisselesaffresdelapauvreté.S’ilyavaitunautremoyenderésoudreleproblème,elles’yaccrocheraitcommeàunebouéede
sauvetage.Iln’yenavaitaucun.Ilposséderaitbientôtsoncorps,sinonsonâme.
•
Il n’y avait pas de meilleur moyen pour Éva d’oublier ses soucis que de rendre visite à sescourtisanes et de plonger dans une nouvelle leçon. Lorsqu’elle arriva à la maison de ville deCheapsidelelendemain,lesjeunesfemmesprenaientlethédanslejardin.Aprèspresqueunesemainedenuagesetdepluie,lesoleilavaitdaignéfaireuneapparitionetlescinqdemoisellestenaientuneconversationaniméeàl’ombredugrandchêne.—Mademoiselle Éva ! s’exclama Rose lorsqu’Éva tourna le coin du sentier et entra dans leur
champdevision.Malgré leurs robes aux décolletés légèrement inappropriés, aucune aréole n’était en vue et les
robes colorées couvertes de plumes et de boucles furent comme une explosion de couleurs quiensoleillal’humeursombred’Éva.—Venezvousjoindreànous,ditPaulineentendantlamainverslathéière.Nousvenonstoutjuste
d’apprendreàraccommoderunourlet.Abigailnousamontré.Sespointssontparfaits.Abigailsouritetleroseluimontaauxjoues.—J’aidûapprendre.Mamèrenes’endonnaitpaslapeineetellenevoulaitpasdépenserl’argent
nécessaireafind’engagerunecouturièrepourfairelesréparationsqu’ilfallait.—Mamèreétait tropoccupéeàgarder sonsalaudd’épouxhorsdemon litpour se soucierdes
tâchesdomestiques,intervintRose.Laseulefoisquej’aiutiliséuneaiguille,ç’aétépourluipiquerlamainquandill’aglisséesousmajupe,poursuivit-elleensoupirant.C’estcematin-làquejemesuisfaitjeterdehors.Desmurmuresdesympathies’élevèrenttoutautourd’elle.—Il l’avaitbienmérité,Rose,réponditYvetteenfronçant lessourcils.Tuauraisdûlepiquerau
cœur.RoseetPaulinegloussèrent.—Ettoi,Sophie?s’enquitRose.Tamèreétait-elledugenreménagère?—Mamère était une courtisane, réponditSophied’unevoixdépourvued’émotions.Elle avécu
pour satisfaire sesamants.Elle laissait lesdomestiques s’occuperde lacoutureet sa sœurprendresoindemoi.LaseulechosequiintéressaittanteJane,c’étaitsonprochainverre.Lessouriresdisparurentetlesfemmesseturent.Malgréleurstristeshistoirestoutesdifférenteset
pourtant semblables, elles réussissaient à rire et à garder espoir. Éva s’était jadis considéréechanceused’avoirunpèrequiprenaitsoind’elle.Désormais,ellen’étaitplus trèsdifférentedesescourtisanes.
Enquelquesjoursseulement,Éva,quiétait leurprotectriceet instructrice,s’étaitretrouvéesurlepoint de devenir l’une d’elles : une femme sans autre choix que celui d’offrir son corps au plusoffrant.C’étaitunmiraclequ’ellesnesoientpas toutesdevenuesfurieusesetamères.Monsieur leducne
l’avait même pas encore emmenée dans son lit qu’elle ressentait déjà ces deux émotions. Uneimpressiondedésespoiraccompagnéedevaguesdecolèrenel’avaitpasquittéedepuisleurrencontredelaveille.Etcommesonvisagedétestérôdaittoujoursdanssonesprit,ellecroyaitquelefantômedesaprésencelahanteraitàjamais.—Jesuisheureusedevoustrouvertoutesensemble,intervintÉvapourchangerdesujetavantque
laconversationnedeviennetropsinistre.Elle s’efforça de sourire et espéra que les cernes sombres autour de ses yeux n’étaient pas
apparents.Sarencontreavecleducdurantlasoiréedelaveilleavaittroublésonsommeil.Elles’étaitréveilléeàmaintes reprises, trempéedesueur, lesmamelonsdurciscontre la finechemisedenuit,commesisoncorpssepréparaitàprendreunamant.Évasetortillainconfortablementsursachaise.— J’ai pensé que nous pourrions discuter de ce que vous avez appris hier avec la cuisinière.
Abigail,voudrais-tucommencer?Ellespassèrentl’heuresuivanteàdiscuterdetoutcequ’ilfallaitsavoirpoursuperviserunecuisine
etsonpersonnel,puisdelafaçondontprévoirunmenulorsqu’onrecevait.—Quiauraitcruqu’ilyavaittantdechosesàapprendre?ditdoucementAbigail.Lemarquisadu
personnelsurplace.Jen’airienàfairedetoutelajournéeàpartattendrequ’ilmerendevisite.—Jecroyaisquetonamantétaitunbaron?s’enquitYvette.Abigailrougitjusqu’àlaracinedesescheveux.—Ai-jeditbaron?Lebaronaétémonpremier,euh,amant.Lemarquisestmonamantactuel.Évaramenalesujetdelaconversationàleurleçon.—Bientôt,vousdevrezvousoccuperdetoutdansvotredemeurependantquevotreépouxtravaille,
dit-elle. Et si l’une d’entre vous a le bonheur d’avoir des enfants, vous devrez aussi engager unenourriceetdesprécepteurs.C’estbeaucoupdetravail,maismenerrondementsamaisonnéeesttrèsgratifiant.Paulines’adossaàsachaise,leregardinquiet.—Jene suispas certained’y arriver, dit-elle en semordillant la lèvre inférieure. Jen’aimême
jamaischoisimespropresrobes.Monsieurlecomtemelesfaisaitapporterparlamodiste.Ehbien.CelaexpliquaitlacoupedescorsetsdePaulineainsiquesonamplepoitrineremontéeau
pointdedéfierlagravité.Éva fronça les sourcils.Peu importe ledestin tragiqueque lui réservaitmonsieur leduc, elle se
promit qu’il ne gérerait jamais sa vie de la mêmemanière que celles de ces femmes avaient étécontrôlées.—J’aiprévuquenousallionsfairelesboutiquesdemainaprès-midi,Pauline.Tupourrasacheter
desrobesquetuchoisirastoi-même.Évasedemandasimonsieurleducaimaitquesesamantesaientlapoitrineremontéeetlederrière
finementvoilé.Ellechassacettepensée.—NousferonsunerazziadansLondrespourapprendretoutcequ’ilyaàsavoirsurl’habillement,
dessous-vêtementsjusqu’auxcouchesextérieures.—J’adorefairelesboutiques,s’exclamaRoseenbattantdesmainsetensetortillantsursachaise.
Leducpréféraitquejeportedurose,dit-elleavecunegrimaceenmontrantsarobe.Jecroisqueje
vaischoisiruniquementdubleu.MêmeSophieréussitàsourire.—Ce sera agréable de porter quelque chose de nouveau qui n’est pas raccommodé jusqu’à ce
qu’unpointnetiennemêmeplussurletissu.Lecomtepinçaitchaquesoujusqu’àcequ’ilcriegrâce.Éva,quimituncertaintempsàserendrecomptequelasérieuseSophievenaitdefaireuneblague,
gloussa.Lesautresfemmesgloussèrentaussi.ÉvaserenditcomptequeSophieavaitbienplusàoffrirque l’austère façade qu’elle présentait aumonde. Lui trouver un époux prendrait peut-être plus detempsquepourlesautres,maisÉvarelèveraitledéfi.—Àcepropos,pourquoinediscuterions-nouspasdelafaçondontgérerl’allocationdufoyer?Et ce fut exactement ainsi qu’Éva passa l’heure qui suivit. Le discours ennuyeux l’empêchait de
penserauduc.
•
Le soleil commençait à peine à baignerHyde Park de quelques rayons dorés hésitants lorsqu’ÉvaperçalebrouillardmatinalsurledosdeMuffin,lapetitejumentquesonpèreluiavaitoffertepoursondixièmeanniversaire.Laplupartdesgensconsidéreraientque lechevalgris tachetéétaitplutôtfade et ennuyeux àmonter, car la jument avait presque dix-huit ans,mais aux yeux d’Éva,Muffinreprésentait une époque où son père était toujours vivant et où sa mère et elle étaient vraimentheureuses.Enraisondesannéesdesouvenirsqu’elleincarnaitetdesontempéramentdoux,Muffinoccupait
uneplacedechoixdanslapetiteécuriederrièreleurmaisondeville,auxcôtésdeleuruniquechevald’attelage,Benny,etyresteraittantqu’ellerespirerait.—Lajournéeserachaude,tunecroispas,machérie?D’unemain gantée, Éva caressa l’encolure deMuffin tandis que le soleil commençait à chasser
agréablementlafraîcheurmatinale.—Peut-êtrepourrais-tutesecoueretgaloperunpeu,aujourd’hui?Éva inspira l’air fraisethumideensoupirantavecenvie.Muffinn’avaitqu’unevitesse : lente.Si
Évavoulaitqu’unjourleventluifouettelevisagetandisqu’ellegalopaitlelongdessentierssinueuxduparc,elleauraitbesoind’unautrecheval.Ayant revêtu une sobre tenue d’amazone grise, elle avait décidé de porter sa perruque sous un
couvre-chef gris coordonné et de percher ses lunettes sur son nez, de crainte que des espions demonsieurleducsecachentderrièrechaqueplanteenpotouchaquebuissonlelongdelaruedevantchezelle.Tantqu’elles’entenait fermementàsondéguisementetquesonphysiquequelconquelerebutait,
ellearriveraitpeut-êtreàleconvaincredechercheràcomblerailleurssesvilsplaisirsetdelalaissertranquille.Elleavaitbienpeurquecetteidéesoitvaine.Leducrêvaitdelafairepayeretyavait-ilvraimentun
meilleurmoyenquedelaforceràsubirsesassautslubriques?Lorsque Muffin s’arrêta pour grignoter une touffe d’herbe, Éva l’encouragea à continuer. La
jumentrenâclaetavançalentementsurlesentieravecdesmorceauxd’herbesquipendaientdechaquecôtédesabouche.Commeleparcétaitdésertàcetteheurematinale,Évaavaitamplementletempsderéfléchirsansinterruptionauxsujetsquilatroublaientleplus:monsieurleducetcommentledéfier.Éva était tellement absorbée par ses soucis qu’ellemit un certain temps à se rendre compte que
Muffinmarchaitd’unpasinégal.Ellearrêtalajument.
—Qu’ya-t-il?demanda-t-elleenmettantpiedàterreetenrepoussantsonchapeau.T’es-tuprisuncaillou?EllefiteffectuerquelquespasàMuffinlelongducheminpourdéterminerquelpiedétaitblessé,
puislevalapattedelajumentpourl’examiner.Commeelles’yattendait,unpetitcailloujusteassezgrospourcauseruninconfortétaitcoincédanssonsabot.—Oh,ciel.Laisse-moivoircequejepeuxfairepourt’enleverça.Éva retiraunde sesgants et creusa autourducaillou avec sonongle.Le caillou avait l’air bien
déterminéàresterlàoùilétait.Ellelâchalesabotetregardaautourd’elleàlarecherchedequelquechose pour le décoincer. À cet instant, un écureuil traversa la route comme une flèche etMuffinbroncha,écrasantlepiedd’Évasousunsabotavantquecelle-ciaitletempsdes’ôterduchemin.Éva lâcha un cri perçant lorsque la jument dodue appuya de tout son poids sur ses orteils. La
douleurirradiadanssonpied.—Bien joué,Muffin, dit-elle avecmépris. Tu as vraiment concentré toutes tes énergies à bien
m’écraserlesorteils.Imperturbable,lajumentbaissalatêtepourattraperunefeuilleentreseslèvres.—Jen’avaispasprévudeconsommernotrearrangementdansleparc,ditunevoixsardoniqueà
travers lebrouillardbrumeux.Mais j’imagineque jepeux trouverungrosbuissonderrière lequelnouspourronsjouird’unecertaineintimité.Devant lemorne paysage,monsieur le duc sematérialisa sur un immense bai.Muffin se tourna
brusquement,soulevantsonventrerondeletettendantlespattes,prêteàs’enfuir.Évaattrapalesrênespourlaretenir.Monsieur le duc était vêtu de noir de la tête aux pieds, de son chapeau à ses bottes deHesse, à
l’exception d’une chemise blanche à haut col qui frôlait ses joues fraîchement rasées. Il était assisavecassurancesurlebai,commes’ilavaitgrandisuruneselle,mêmelorsquelabêtepiaffaetrejetalatêteenarrièrepouressayerdes’approcherdeMuffin.N’eûtétélefaitqu’elleconnaissaitbienleducetsescornesdedémoncachées,elleauraitadmirésa
silhouetteraffinéemalgrésonarrogantsourireencoin.Cethommeétaittellementséduisant,delaforteossaturedesamâchoireàsesyeuxverts,enpassant
parleslèvresbiendéfiniesquil’avaientfaitfrémird’uneattiranceimportune.Elleespéraitqu’ilnesauraitjamaisàquelpointsonbaiserpunitifl’avaitperturbée.Leducmaniaavecaisancesoncheval impatientsans jamaisquitterdesyeux levisaged’Éva.Un
soupçon d’humour noir étira ses lèvres sévères, comme s’il était au courant de secrets qu’il nepartageraitjamaisàsonsujet.Peut-êtres’imaginait-illanuitoùelleseraitàsamerci.Évatressaillit.Muffinperdittouteenviedefuiraprèsavoirrenifléàquelquesreprisesendirection
dubai,etlesdeuxchevauxs’observèrentavecméfiance.—Aussiagréablequecelameparaissedebatifolerdansl’herbemouilléeavecvous,monsieurle
duc,j’aileregretdedevoirrefuser.Elleluttapournepasgrimacerenmettantdupoidssursonpiedblesséetlefixad’unregardqu’elle
espéraitchargéd’unebonnedosededédain.— Je suis malheureusement en route pour aller m’envoyer en l’air dans le caniveau avec un
conducteurdefiacreivrogneetjecrainsd’êtretrèsenretard.Ellelescrutaattentivementdehautenbas,puisdebasenhaut.—Enrevanche,sicelanevousdérangepasd’attendre,jepeuxvenirvousretrouverquandj’aurai
terminé.Surlevisageduduc,lesourireencoinsetransformaenunsouriremalveillant.
— Si vous croyez avoir la force de satisfaire deux hommes, je peux certainement attendre…répondit-il,laissantsesparolesensuspens.Quelhommeinsupportable!Quefaudrait-ilpourleremettreunpeuàsaplace?Évas’empourpra.—Jepréféreraiscoucheravec toutunnavireremplidemarinsfrançaisplutôtquedepasserune
secondederrièreunbuissonavecvous,monsieurleduc.—Etpourtant,vousornerezmonlitoualorsvousmecéderezunecourtisane,dit-ilplatementense
tortillant sur sa selle. Sinon, vous perdrez votre demeure. Le choix vous appartient. Cela ne faitaucunedifférencepourmoi.—Oh.ElleeutenviedelejeterenbasdesonchevaletdelaisserMuffinlepiétineraugrandcompletavec
ses petits sabots meurtriers. Jamais elle n’avait rencontré quelqu’un d’aussi exaspérant. Il retiraitmanifestementduplaisiràfairesouffririnutilementlesgens.Ilpassaitprobablementsesjournéesàdonnerdescoupsdepiedsàdesgaminsdesruesetàdeschienserrants!—Commesij’avaislechoixdanscetteaffaire.Vousm’avezacculéedansuncoinetavezbloqué
toutes les issues, répliqua-t-elle en tordant les rênes entre sesmains. Que puis-je faire pour vousconvaincre que cette vengeance est injuste ? Vous pouvez certainement comprendre qu’Arabellaméritaitmieuxquecequevousluioffriez.Sivousavezdéjàéprouvédel’affectionpourelle,vousdevriezvousréjouirdesonbonheur.Ilhaussaunsourcil.— Oh, je suis très heureux qu’elle ait trouvé le bonheur. Croyez-le ou non, j’éprouvais une
profondeaffectionpourelleetjeluisouhaited’êtreheureuse.—Danscecas,pourquoim’imposercemarché?demanda-t-elled’unevoixdésespérée.Nevous
suffit-il pas de savoir à quel point je suis affreusement malheureuse depuis le début de notreassociation?Il sembla réfléchir à sa requête, ce qui lui donnaunpeud’espoir. Peut-être y avait-il un filet de
lumièredansl’obscuritédesoncœur.— Bien que je me réjouisse grandement de votre malheur, répondit-il enfin, amusé, l’idée de
partager mon lit avec vous, mademoiselle Black, me procure davantage de satisfaction que votreinquiétudeausujetdevosdifficultésfinancières.Ellehoqueta.—Vousêtesdétestable.Elle était au bord des larmes. Ce qui avait commencé comme une chevauchée agréable s’était
transforméencauchemardedeuxmanières.Cethommeétait entêtéetdéraisonnable.Pour lui,unevengeancesatisfaisantedépendaitentièrementdesonhumiliationetdesasoumission.Iln’accepteraitriendemoins.Maisilétaithorsdequestionqu’ellepleuredevantlui.Sesorteilsétaientdouloureux,maispasplus
quesoncœur.Cessant de lui porter attention, Éva fit le tour de la jument en clopinant afin de se mettre
frénétiquementàlarecherched’unbâtonpourretirerlecaillou.—Quevousest-ilarrivé?s’enquit-il.—Cen’estrien,répondit-elle.Monsieurleducfitavancersonchevalpours’approcheretendescenditd’unbond.Évaessayade
tirerMuffinhorsdesonchemin,maiscelle-cisemblaitéprisedel’étalonetrésistaàsesefforts.Lajumentdodelinadelatêteethennitlorsqueleursnezsetouchèrent.Traîtresse.—Vousêtesblessée,mademoiselleBlack.
Ellehochalatêteensoupirant.—Muffinm’amarchésurlesorteils.Iljetaunregardinterrogateurendirectiondelajument.—Cen’étaitpasentièrementsafaute,expliquaÉva.Elles’estprisuncaillou.Ellesoulevajusteassezl’ourletdesatenued’amazonepourluimontrersabotteéraflée.—LorsquejepassedutempsavecMuffin,jedoisfaireattentionoùellemetlespieds,sinonjeme
faispiétinerlesorteils.Ilregardalabotteécraséeethochalatête.— Dans ce cas, nous devrions nous occuper de la jument dès que nous aurons découvert les
dommagesqu’elleafaitsàvotrepied.Surce,monsieurleduclasoulevabienhautdanssesbrasetlacalacontresontorse.—Monsieurleduc!—Nebougezpas,luiordonna-t-il.Il la transportad’unpas assuré jusqu’àun carréd’herbe sousungrand chêne.Lorsqu’il la posa
doucementlesfesseslespremièressurlesol,ellen’avaiteuquetrèspeudetempspourremarqueràquelpointsesépaulesétaientpuissantessoussesmainsouàquelpointilsentaitbon.Méduséeparsaforce,ellen’étaitqu’àmoitiéconscientequeMuffinetlebailesavaientsuivis,les
rênespendantes,telsdeuxcanichesbiendressés.Ilyavaitquelquechosedefascinantdansl’aisanceavec laquelle son corps répondait au duc. À l’instant même, son corps brûlait d’envie qu’il lareprennedanssesbraspuissants.Inconscientdel’agitationinterned’Éva,monsieurleducmitungenouàterreàsespiedsetenleva
sesgants. Il s’arrêta, la regardadans lesyeux,puis, sansyêtre invité, souleva l’ourletde sa tenued’amazonepourexposercomplètementsabotte.—Monsieurleduc,cecin’estpasapproprié.Sivousvouliezbienm’aideràremonterenselle,je
memettraisenroute.Iltenditlamainverslelacetdesabotteetendéfitlaboucle.—Pasavantquej’aieregardé.Vouspourriezavoirlesorteilsfracturés.Pourunefois,iln’yavaitaucunindiced’intentionslubriqueslorsqu’ilenlevalabotteencuirnoir
avecunedouceurinfinie.Enfait,ellenelutquedel’inquiétudesursonvisage.Cetteimagenecoïncidaitpasaveccequ’ellesavaitdel’hommeetdesesmanièresbrusques.D’un
gestedélicat, leducmit labottedecôtéet referma lesdoigtsautourde sacheville. Ilposa lepiedd’Évasursacuisseetluicaressadoucementlesorteils,leseffleurantàpeine.Elletressaillit.Ilretirasamain.—Jecrainsquecesoitpirequejelecroyais.Ellehochalatêteetremarquaàquelpointsescilsépaisetfoncéscontrastaientavecsapeaudorée.
Tandisqu’il avait lespaupièresbaisséespour regarder sonpied, l’éventaildecilscachait sesyeuxd’unvert intense.Elle laissa son regard courir le longde sonnez jusqu’à ses lèvres parfaites, lesmêmeslèvresqui,l’espaced’unbrefinstant,l’avaientstupéfaiteavecunviolentbaiserintrusif.Lebaiserquihantaitsesnuits.—Jedoisenleverlebas,dit-il.Commeétrangèreàelle-même,ellesevithocherdistraitementlatête,sonattentionattiréeversle
bastandisqu’ilremontaitdoucementl’ourletdesajupejusqu’àsongenoupourdévoilersajarretière.Cefutàpeinesielleremarqualafraîcheursursajambeousiellecompritl’intimitédugeste.Elleétait concentrée sur les grandes mains qui lui frôlaient la cuisse avec désinvolture pendant qu’ildénouaitlajarretière.Sapeaupicota,seslèvress’entrouvrirentetsarespirationdevintsaccadée.
Monsieur leducdéfit les rubans rosesavecsoinetagilité.Évaévitason regard,decraintequ’ilvoielessensationshonteusesprovoquéesparsesaudacieusescaresses.Lachaleurdesesdoigtsnussursapeaulafittressaillird’unmélanged’émotionsnondésirées.Elleentenditsonsouffles’accéléreretlevafurtivementlesyeuxversluimalgréelle.Letempsde
quelquesbattementsdecœur,leursregardssecroisèrent.Pendantuninstant,samainsecrispasursongenou,puisilclignadesyeux.Ilbaissarapidementlebassursajambeafind’exposersonpied,puisl’examinabrièvement.—Hum.Prenantsontalondanssamain,ilsoulevasesorteilspourmieuxlesvoir.Évaeutenviedegémirlorsqu’ellevitquatreorteils légèrementbleuis.Seullepluspetitavaitété
épargné.—Sont-ilscassés?Monsieurleducmanipulatendrementchacund’entreeux.Évaserralesdentspournepascrier.Au
boutdequelquesminutes,ilsecoualatête.—Jenevoisrienquiindiqueunefracture.—Dieumerci.Ses épaules s’affaissèrent. Elle venait d’échapper à un problème plus sérieux que quelques
contusions. Ilauraitétédifficilede resteralitéeassez longtempspourpermettreàdesosdeguériralorsqu’elledevaitenseigneràdescourtisanesets’occuperdesamère.Lachaleurdesmainsduducserépanditdanssonpied,cequiapaisaladouleurdanssesorteils.À
cetinstant,elleserenditcompteàquelpointelleétaitexposéeavecunpiedsursacuisse,sansbasetlajuperemontéejusqu’augenou.Ellerougit.—Peut-êtredevriez-vousreplacermonbas,monsieurleduc,avantquequelqu’unpasseparhasard
etnoussurprenne.Jenevoudraissurtoutpasnuireàvotreimpeccableréputation.Soncommentaireacerbelefitsourire.Ilramassalebasetlesecoua.Ill’enfilasursonpied,puisle
fitremonterlentementlelongdesajambe.Évaeutdumalàignorerlesfrissonsprovoquésparsesjointures.Maintenantquesoninquiétudeausujetdesonpiedavaitétédissipée,ilpritsontempspourreplacerlevêtement.Enfait,ilyavaitunsoupçondemalicedanssavoixlorsqu’ilparla:—Sijedoismettremaréputationendanger,mademoiselleBlack,jepréféreraisquenoussoyons
tousdeuxsurprisavecbeaucoupmoinsdevêtements.Leducdiaboliqueétaitderetour.—Jeneseraipasvotrepute,dit-elleenlevantunpeulenez.Ellesemoquaitbienqu’ilaitprisuntonmoqueur.Ils’agissaitdumêmehommequ’avantqueson
inquiétudepoursonpiedlepousseàagirpargentillesse.Legentilhommeenluis’étaitévaporéaussivitequeleventdissipelafuméedèsqu’ils’étaitaperçuqu’ellen’étaitpasgravementblessée.—Àmoinsquevousneconsentiezàl’autresolutionproposée,mademoiselleBlack,ceseralecas.Ilremitlebasenplaceetrattachasajarretièred’ungrandgestethéâtral.—Danscecas,séduisez-moi,monsieurleduc,dit-elleenlaissantsesbrastomberdechaquecôté
d’elleavantdelâcherunprofondsoupir.Jen’aipastoutelajournée.Ilgloussa.—Vousêtesdifficileàsuivre,mademoiselleBlack.Uninstant,vousêtesaussiraidequ’uneétoffe
amidonnéeetl’instantsuivant,vousm’offrezdesfaveursdansleparc.Il termina ce qu’il faisait, descendit sa jupe et l’aida à se relever. Il tourna autour d’elle pour
secouersesjupes.
—Cependant, j’aimequemes courtisanes soient avenantes et votre offre est alléchante, dit-il enapprochantseslèvresdesonoreille.Bienquejedoute,mademoiselleBlack,quevousayezdéjàétéavenante.Tandisquesaboucheétaitdangereusementprèsdesonlobe,Évas’efforçadeseconcentrersurles
activitésd’uncoupled’alouettessurunbuissonàproximité.— Et vous, monsieur le duc, êtes gâté et puéril. Quand vous ne pouvez pas avoir ce que vous
voulez,vouspiquezunecriseetfaitessouffrirvotreentourage.—C’est vrai, répondit-il en gloussant à nouveau. Vous ne croiriez pas tout le bonheur que cet
instantm’apporte.Illaissaleboutdesesdoigtscourirsurelleetenleverdesdébrissurleurpassage.Ellen’arrivaità
penser à rien d’autre qu’aux légères caresses de sesmains.Leduc jouait à la femmede chambre,maissesintentionsétaienttoutsaufinoffensives.Soussescaressessecachaitquelquechosedeplusprofond,deséduisantetdedangereux.Auboutd’uncertaintemps,sesdoigtstrouvèrentquelquesmècheséparsesdecheveuxchâtainclair
tombées de sa perruque. Elle retint son souffle ; s’il tentait de défaire son chignon serré, ildécouvriraitsondéguisement.Ceseraitdésastreux.Àlaplace, il la tournapourqu’elle le regardeet lâchasescheveux.Sesyeuxressemblaientàde
sombres et impénétrables puits sans fond d’un vert profond.Du regard, il suivit la courbe de seslèvres.—Vousêtestendue,mademoiselleBlack.—Vousaussiserieztendu,monsieurleduc,sivousétiezsurlepointdevousfaireviolerdansla
poussière.C’étaitcommesilemondeautourd’euxavaitdisparu.Toutcequ’ellevoyait,toutcequ’ellesentait,
c’étaitleboutdesesdoigtsquisebaladaientsursajouependantqu’undoigttraçaitlecontourdesalèvreinférieure.Iljouaitlejeudelaséductionetelledétestaitsaréaction.Oh,elleleméprisait.Elledétestaitsonarrogance.Ellesavait,sansvoirsonvisage,quesonregard
étaitchargéd’autosatisfaction.Ilavaitprovoquéchezelleuneréponsesexuelleetillesavait.Lecorpsd’Évalatrahissaitdocilement.Pourajouteràl’attiranceimportune,l’odeurmasculineépicéesemêlaitàcelleduchevaletducuir.—«Violer»estuntermebiendur,mademoiselleBlack.Laraisonluirevintquelquepeufaceàsontonsuffisant.—Quevoulez-vousréellementdemoi,monsieurleduc?souffla-t-elleenl’attrapantparlepoignet
pourqu’ilcessesesexplorationsavantqu’ellel’attiredanslesbuissonspourlesupplierd’apaisersessouffrances.—Jevousdemandesimplementderemplirvotrepartdumarché,mademoiselleBlack.
CHAPITRE6
—Unmarché?dit-elle.Jen’aiacceptéaucunmarché.Elletentadereculerd’unpas,maissonpiedcédasoussonpoidsetellechancela.Monsieurleduc
l’attrapaetlaserrafermementcontrelui.—Doucement.Jevoustiens.Ellerejetalatêteenarrièreetlevalesyeuxverslui.Sonregardlastupéfia.Sondéguisementnele
rebutaitpasunemiette.Danssesyeux,elleputlireunvifdésir.Àl’instantoùilsepenchapoureffleurersatempedeseslèvres,ellesentitunebossedurecontresa
jambe.Le désir l’avait rendu aussi dur que l’acier. Il ne serait pas satisfait tant qu’il ne l’aurait pas
possédée.Lapaniques’emparad’elle.Ildévergondaitlesfemmes,qu’ellessoientconsentantesounon.Elle
enétaitconvaincue.Maissoncorpsselanguissaitdesescaressesavecunetroublanteintensitéqu’ellenecomprenaitpas.Peut-êtreétait-elleunepute,aprèstout.Évasentitquesesyeuxbrûlaient.—Non,jevousenprie,trouva-t-ellelaforcedemurmurertantbienquemal.Nefaitespasça.Monsieurleducs’immobilisaetrelevalatête.Lentement,ilrelâchasonétreinteetlaissaretomber
sesmains.—Commevousvoulez,répondit-ilaprèsunmomentdesilence.Ilsedétournabrusquementets’approchadeMuffin.Soulevantsonsabot,ildégagealecaillou.Éva
eutenviedel’appelerpourseblottirànouveaudanssesbras,maisl’occasionétaitpassée.Lorsqu’ilrevintversellepourlaprendresanscérémoniedanssesbras, ilavait leregardfixeet lamâchoireserrée.Lapetite jumentserenditàpeinecomptequeleducremettaitÉvaenselle.L’espaced’uninstant,
leursregardssecroisèrent.ÉvapritlesrênesettalonnadoucementMuffinpourqu’ellesemetteenmarche.
•
NicholasobservaÉvapoussersajumentsurlesentieretêtresecouéeparsesgrandesfoulées,laissantsonregardbrûlanterrerdansledosd’Évaetdescendrejusqu’àsonpetitpostérieur.L’étonnementliéàladécouverte,chezmademoiselleBlack,d’unefemmechaudeetréceptivel’avaitébranlé.Pendantun instant,alorsqu’il la tenait,elles’étaitblottiedemanièreaguichantecontre lui,assezprèspourqu’ilsentel’exquisecourbedesesseins,qu’ellegardaitbiencachés.Elleavaitdûaplanirlachairfermelorsqu’elleluiavaitrenduvisitelafoisprécédente.Ilsecouala
tête.Elleétaitpleinedesurprises.Lorsqu’ilétait tombésurellealorsqu’elleboitillaitdanslebrouillardavecsongrosponeygris,
jamaisiln’auraitcruqu’elleaccepteraitaussifacilementsonoffredel’aider.Pourtant, elle était silencieusement restée assise bien droite pendant qu’il examinait ses orteils,
commesielleacceptaitsonsort.Iln’yavaiteunipleursnigémissements,ellen’avaitpasdemandégrâce,pasplusqu’ellen’avaitlancédepiquescinglanteslorsqu’ilavaitcaressésatempeduboutdunez.Àl’instantoùelleluiavaitabandonnésoncorps,ill’avaitsu.Etilnes’agissaitpassimplementde larésignationdontelleavait faitpreuveaudépart. Ilavaitsentisacolonneraidepliercontresa
maindanssondoset l’avaitentendueretenirsa respiration,quiétaitensuitedevenue irrégulière. Ils’agissaitdedésirsoussaformelapluspure.Lefaitqu’elleledésiraitl’avaitprisdecourt.Lasensationdesesmamelonsenérectioncontreson
torse avait dissipé avec certitude tout doute au sujet de sa sensualité cachée. Il y avait chez elle unappétitprofondémentensevelisoussondéguisementridicule.IlavaitcouchéavecdesfemmesquifeignaientledésiretÉvan’étaitpasl’uned’elles.Saréaction
enversluiétaitinstinctiveetpassionnée.Lorsqu’illuiavaitproposédedevenirsacourtisane,elleavaitrépondu,commeils’yattendait,par
un refus catégorique. Jamais il n’aurait cruqu’elle consentirait dansunequelconquemesure à sondessein extravagant. Il n’avait jamaispris une femmede force et n’avait pas l’intentionde le fairemaintenant.Même si elle finissait par accepter, lors de quelque étrange élan de folie, il se seraitattendu à cequ’elle s’allongedans son lit,mais reste raide, froide et ombrageusependantqu’il sehâteraitdesesoulager.Unepenséeextrêmementpeusatisfaisantequ’ilnepouvaittolérer.Cette rencontre changeait tout. Alors qu’il envisageait jadis sa vengeance avec appréhension, il
attendaitdésormaisavecimpatiencedelafaireronronner.Peut-êtrenedevrait-ilpaslalibérerdesonemprise tout de suite, alors qu’il avait encore tant à découvrir à son sujet. La vengeance s’étaittransforméeenuneseuleobsession: laséduire. Il lèverait levoilesurchacunedescouchesdesoncélibatpourvoirtoutcequisecachaitdessous.
•
Depuislesombrepalieràl’étage,Évaregardaitlameutedecréanciersquisetenaitdanslehallavecdes piles de factures dans les mains. Des grognements de mécontentement et quelques voixs’élevèrent tandis qu’ils insistaient pour la rencontrer. Refusant leurs requêtes, Harold montait lagardeaucasoùlegroupedeviendraitturbulent.Chaqueboutiquequesamèreavaitvisitée,chaquecommandequ’elleavaitpassée,etmanifestement
cachée,aucoursdesdernièresannées,étaitrevenuehantersafille.Évacomptaunebonnedouzained’hommesetsedemandacombiend’autresétaientdehorsàattendreleurtourpourl’affronteretluidemanderdel’argent.Detouteévidence,monsieurleducn’avaitpasrachetétoutessesdettes.Elleputfacilement déduire la raison pour laquelle ils cherchaient à la voir aujourd’hui et qui les avaitenvoyés.Lediable s’affairait à la tourmenter. Il savaitqu’elle se tenait enéquilibreauborddugouffreet
qu’ellen’avaitbesoinqued’unedernièrepoussée.—MonsieurleducaditdedemandermademoiselleBlack,affirmaunhommecorpulentvêtud’un
costumeenagitantunepoignéede factures sous lenezd’Haroldavantde faireunsignede têteendirectiond’unhommegrandetminceàcôtédelui.—Cettefactureestensouffrancedepuisprèsdesixmois.Quandpuis-jeespérerêtrepayé?Évablêmit.Elleavaitétésiprudente.Samèren’avaitpaseulapermissiondes’aventurerdehors
sans être accompagnée depuis plusieurs années. Quand cette débâcle avait-elle eu lieu ? Elleenvisageamentalementtouteslesoptionsetnetrouvaqu’uneseuleexplication.Mary.C’étaitlaseulepersonnequinepouvaitrienrefuseràsamère.C’étaitunedomestiqueefficace,maisuneidiote.Sisamèrevoulaitéchapperàsongeôlier,Maryne
seraitpasdifficileàdistraire.Iln’yavaitqu’àmettreunvaletséduisantdanssonchampdevisionouà
lui agiterunebabiole sous lenezpourque la fille coure lesboutiquesdeBondStreet telunchiotessoufflé.Samèren’étaitpasencoreaussidéconnectéequ’Évalecraignait.Illuirestaitsuffisammentdebon
sens pourmanigancer un plan afin d’obtenir ce qu’elle voulait. Si Éva soulevait lematelas de samère,quisaitquelstrésorselleytrouverait.Ilfaudraitqu’elledemandeàHarolddevérifier.Ilpourraitvaloirlapeinederevendrecertainsdes
bijouxcachés.—Jeneferaipluscrédittantquecesfacturesneserontpasremboursées,protestaunhommetandis
qu’Haroldcommençaitlentementàséparerunàunleshommesdelameutepourlesguiderverslasortie.—Onmedoitcentlivres!criaunautre.Ellenesavaitpascequ’Haroldavaitdità lafoulepourfinalementarriverà touslesfairesortir,
mais lorsque le panneau en chêne fut fermé et verrouillé derrière le dernier homme, elle se sentitdécouragée.Aprèssarencontreavecmonsieurleducdansleparccematin,elleétaitrentréeenvitessepourse
cacherdanssachambreetfairelescentpas.Niletempsnilesgrommellementsdecolèren’avaientapaisésessouffrancesphysiquesetsapeauenfiévrée.Envérité,plusellepensaitauduc ténébreux,pluselleavaitchaud,àtelpointqu’elleétaitconvaincued’avoircontractéquelqueaffreusemaladie.Elleavaitl’impressiond’êtrepriseaupiègeetavaitenviedetordresoncouviril.Quelquesinstants
danssesbrascostaudsetelleétaitprêteàrenonceràtoussesprincipespourvoirquelgenredejeuxsensuelsilpouvaitluiapprendre.Mêmemaintenant,alorsqu’elleétaitloinduducdiabolique,ellen’arrivaitàpenseràriend’autre
qu’à la manière dont il avait enfoui son nez dans son cou et à quel point elle était devenuedésespérément rouge.Elle s’était transforméeenquelqu’und’autre ; ellen’étaitplusmademoiselleBlack aux robes démodées et à la perruque terne, mais bien Évangéline Winfield, la fille d’unecourtisanejadiscélèbreetscandaleuse.Ellenecomprenaitpascequiluiarrivait.Sielleavaitétéplussouventencontactavecdeshommes,
peut-être l’expérience lui fournirait-elleuneexplication.Ellehaïssaitmonsieur leducde toutessesforces— s’il était renversé par une malle-poste, elle ne verserait pas une seule larme—, alorspourquoisescaressesnelarépugnaient-ellespas?Pireencore,justeaprèsl’avoirfuipoursetraînerjusquechezellesurledosdeMuffin,elleavait
enviélesannéesqu’Arabellaavaitpasséesdanssonlit.SincèrementetlittéralementenviéArabella!Ciel.Elleappuyalescoudessurlarampeetlaissatombersatêtedanssesmains.Qu’allait-ellefaire
? Monsieur le duc la tenait prisonnière dans une souricière et faisait les cent pas à l’extérieur,attendantqu’ellesortelatêtepourl’attraperavecsagrossepatte.Etladévorerdesabouchechaude.Elle émit un léger grognement et se laissa tomber, le dos contre lemur. En dessous,Harold se
dirigeaverslacuisinesanssavoirqu’ellel’espionnait.Ilétaitsonprotecteur,sonseulami.Pourtant,ellenes’étaitjamaissentieaussiseulequ’encemoment.Évanepouvaitpasseconfieràlui.Pascettefois.Monsieurleducneseraitpasensécuritésison
serviteurenragéapprenaitleslibertésqu’ilavaitprisesavecelle.Etcequ’elleavaitpermis!Lentement,elleboitillalelongducouloirjusqu’àsachambreetfermalaportedesonsanctuaire.
Maismêmedanscettepièceauxmurs tendusdepapierpeintàpetites fleursbleuesetaucouvre-lit
assorti,ellen’arrivaitpasàchasserentièrementmonsieurleducdesespensées.Ilétaittelunspectrequiflottaitenpermanenceau-dessusdesatête,l’observaitetattendait.Lemiroirattirasonattention.Faceàsonreflet,ellecherchadesmarquessursapeau,des traces
quelconquesdemonsieurleduc:desempreintesdemains,desrougeursoùilavaitposéseslèvressursapeau.Rien.C’était comme s’il ne l’avait jamais embrassée là, ne lui avait jamais caressé le visage, n’avait
jamaisfaitcourirseslèvressursapeaucomplaisante.Frustrée,Évabaissalesyeuxsursesseins.Ellen’avaitjamaisvraimentprisletempsdepenserà
eux.Ilsn’étaientriendeplusqu’uneautrepartiedesoncorps,desaféminité.Maismonsieurleducenavaittouchéunsansyêtreinvité.Ilsneluiappartenaientplusàelleseule.Sielleallaitdanssonlit,jouerait-ilaveceux?Ellepritlachairfermeàpleinemainàtraversson
corsagecommeill’avaitfait.Lescouvrirait-ildebaisers?Lécherait-ilsesmamelons?Lessucerait-iljusqu’àcequ’ellegémisse?L’embrasserait-ildanslecou?Luitoucherait-illesfessesetluiferait-iltoutessortesd’autreschosesdéviantesjusqu’àcequ’elles’abandonnefinalementauplaisir?Ceschosesluiplairaient-elles?Encouragerait-ellesesexplorations?L’inviterait-elleàlaprendre
?Ouutiliserait-ellechaquegrammedevolontéqu’ellepourraitrassemblerpourluirésister?Évasecouala tête, laissasesmainsretomberets’éloignadumiroir.Ellenereconnaissaitplusla
femmequ’elleyvoyait.—Jenepeuxpasdevenircommemamère,murmura-t-elleens’asseyantsurlelit.Lasombremaindudestinétaitintervenuepourlamettreencontactavecleducdémoniaque.Ilnela
laisseraitpas tranquille tantqu’ilnese lasseraitpasd’elle.Évase laissa tombersur lecouvre-litetfixaleplafondsanslevoir.Secontenterait-ild’unenuit?Aufondd’elle-même,ellesavaitquesonattiranceenversleducétaittroppuissantepouryrésister.
Elle lui appartenait ; il avait envoyé les créanciers chez elle aujourd’hui pour lui faire unedémonstration de son pouvoir et lui forcer la main. Il s’était faufilé dans sa vie pour la rendreimpuissanteetvulnérable.—Jenepeuxpaslelaissermetoucherànouveau,murmura-t-elle,découragée.Jeneluiservirai
pasdepute.Etpourtant,ellesavaitqueceseraitlecas.Ilavaitutilisésonpropredésirpourl’affaibliràtelpoint
qu’elleétaitincapabledepenseràautrechosequ’aufaitqu’elleavaitdésespérémentenviedelui.Quelegoût de sabouche lui avait donné envied’explorer davantage les promesses silencieusesque lecorpsduducluiavaitfaitesetdontsoncorpsàelleselanguissait.Lorsqu’ilviendraitlachercher,ellenedéclineraitpasl’invitation.Accabléeetvaincue,elleselevadesonlitetsefitpréparerunbain.
•
—Un carrosse vient d’arriver pour vous, mademoiselle Évangéline, dit Mary en entrant dans lachambred’Évaaumomentoùcelle-ciseregardaitunedernièrefoisdanslemiroirpourvoirdequoielle avait l’air. De la part d’un duc, termina-t-elle avec un soupçon d’admiration dans la voix enjoignantlesmainssursamaigrepoitrine.Évagardaunvisage serein et inspecta sa tenue.Sondéguisement était bien enplace.Évangéline
étaitprofondémentenfouiesousmademoiselleBlack.Elleespéraitquecelasuffise.Maryexaminasarobeetgrimaça.
— Je peux aller chercher votre robe bleue si vous voulez, mademoiselle Éva, lui offrit-elletimidement.C’estunejoliecouleur,appropriéepourunesortie.Larobebleueseraitunbonchoixsi leducétaitunprétendant.Commesonplann’étaitpasde la
courtiser,maisbiendeladévergonder,ildevraitsecontenterdelarobemarron.Luifaireplaisirétaitledernierdesessoucis.—Non,merci,Mary.Celle-ciestparfaite.—Bien,mademoiselle.Marylaregardaenfronçantlessourcilsd’unairperplexe,puisseretira.Lorsqu’elleavaitdemandé lebain,Évasavaitqu’ilenverraitquelqu’un lachercher ;elleenétait
convaincue jusqu’au bout des orteils. Son bienfaiteur n’était pas un homme patient et il était à larecherchedequelqu’unpourpartagersonlit.Elleavaitsentil’urgencedesondésircontresacuissece matin. Elle savait que l’heure avait tourné et que le temps alloué pour accepter ou refuser sapropositions’étaitécoulé.Arabellal’avaitquittédesmoisplustôt.Àmoinsqu’ilaitrenduvisiteàdesprostituées,iln’avait
plusdemaîtressedepuislongtemps.Ellelissasesjupes,unpetitsouriresurleslèvres.Larobemarronétaitàpeinemieuxquecelleque
portaitMaryetétaitdépourvuederubansetdeboucles.Elleavaituncolaustèresihautetserréqueson cou rivalisait avec celui d’une autruche. Elle portait sa perruque sous le plus ancien de sesbonnetsetseslunettesétaientdanssamallette.Elleétaitparéepour laguerre.Simonsieur leduccroyaitqu’elleallaitmonterdansson litavec
sensualitéetenthousiasme,ilavaittort.Ilallaitdevoirsebattrepourelleenfaisantusagedetoussestalentsdeséducteur.Elleneseraitlaputefaciledepersonne.Lâchantunderniersoupir,ellequittalapièce.
•
Lamaisondevilledécoréederosesdemonsieur leducétait faiblementéclairée lorsqu’Évaarrivauneheureplustard.Levaletlaconduisitdansunegrandesalleàmanger.Lapièceétouffanteétaitilluminéeparunerangéedebougiesquibrûlaientaumilieudelalongue
table et deux immenses vases de fleurs de toutes les couleurs servaient de centre de table sur lasurfaceenbois,maispasuneseulerosenes’ymêlait.Monsieurleducétaitassisàl’autreboutdelatable.Ilétaitvêtudefaçondécontractée,enbrasde
chemise,soncolpartiellementdéboutonné.Ilavaitàlamainunverred’unspiritueuxquelconque.Lalueurdesbougiesvacillaitsursestraits,luidonnantuneauradoréecontrelesmursquiformaientunsombrearrière-plan.Ilfaisaitpenserauséduisanthérosromantiqued’unelégendegothique,planquédansunchâteauà
attendrequ’uneviergeinnocenteseprésenteafindesefaireenchaîneràsonlitpourleplaisir.Enchaînée pour le plaisir ? Éva tenta de ne pas s’imaginer tendre des mains enchaînées pour
caressersonlargetorse,maisl’imageluivintspontanément.Sielleétaitprisonnièredelui,jusqu’oùirait-ellepourgagnersaliberté?L’embrasserait-elle?Lelaisserait-elleluienleversesvêtementsetluitoucherlesseins?L’entrejambe?L’imageétaittroublante,maisl’excitationqu’elleavaitprovoquéel’étaitdavantage.Ilbutunepetitegorgéedesaboissonenlafixantpar-dessuslereborddesonverre.—MademoiselleBlack.—Monsieurleduc.
Aprèsquelemajordomesefutretiré,ellerestadeboutdansl’encadrementdelaportepourtenterdecachersonappréhension.Elles’émerveilladucôtéténébreuxdecethommeséduisantquiluiavaitimposécemarchésanssesoucieruninstantdesessentiments.Maisbienentendu,leshommesdesonenvergure avaient l’impression d’avoir le droit de prendre tout ce qu’ils voulaient. Et pour unequelconqueraisoninexplicable,illavoulait,elle.Éva inspira. Son corset baleiné serré lui laissait peu d’espace pour plus qu’une respiration
superficielle.Elletirasursoncol.—Cetterobeestaffreuse,mademoiselleBlack,dit-ilsansménagement.—Jesuisnavréequ’ellenevousplaisepas,répondit-ellesèchement.Sous ses vêtements, elle cuisait dans la chaleur étouffante de la pièce. Mettre tant de couches
protectricesn’étaitpeut-êtrepasunesibonneidée.Ellevacillalégèrement.Ilcontinuadeluifairelesgrosyeux.—Enlevez-la,dit-ilbrusquement.Elleclignadesyeux.—Pardon?—Jevousaiditdel’enlever.Ilvidasonverreets’enversaunautre.— Il fait chaud ce soir et vous semblez en détresse. Se pourrait-il que la laine n’ait pas été le
meilleurchoixdevêtement?Sesmembressefigèrentsouslechocdesonordreetellefutincapabledebouger.—Je…Jenepeuxpas,chuchota-t-elle.
•
Nicholasvitsesjouesperdreleurcouleur.Onauraitditquelafemmeavaitprissixkilosdepuisleurdernièrerencontre.Illasoupçonnad’avoirmis,soussonaffreuserobe,suffisammentdejuponsetdechemisespourvêtirtroisfemmes.Cequiluidonnaitcertainementdeladifficultéàrespirer,ainsiquedesétourdissements.Iln’yavaitqu’unmoyend’allégersessouffrances:enleverdesvêtements.—Pardonnez-moi,Milady. Il semble que je vous ai offensée, dit-il en se penchant en avant, les
coudessurlatable.J’avaispensévousoffrirduvinetdelapoésiedignedevotrebeauté,maisj’aicruquevouspréféreriezuneapprocheplusdirecte.Ai-jeeutort?Le regardd’Éva redevint incendiaire et il cacha sa satisfaction lorsqu’elle croisa lesbras sur sa
poitrineaplanie.Sonirritationlagarderaitdebout.—Vostalentsdeséducteursontvraimentdéficients,monsieurleduc,leréprimanda-t-elle.J’admets
quejen’arrivepasàcomprendrequevousayezdéjàréussiàattirerdesfemmesdansvotrelit.Ilgloussa,ceàquoielleréponditenlevantlementon.—Vousêtesamusante,mademoiselleBlack.Il la regarda l’observer.Lesyeuxd’Éva luicaressèrent levisageetdescendirent jusqu’à soncol
ouvert.Bienquesonespritregimbe,soncorpsluiappartenait.Toutcequ’ilavaitàfairedésormais,c’étaitdelaconvaincredemettreleursdifférendsdecôtépourjouirduplaisirquedeuxpersonnespouvaientpartager.— Je vousmontreraimes talents lorsque vous aurez enlevé quelques-unes de ces épaisseurs de
vêtements,avantquevousneperdiezréellementconnaissance.S’ilsentait,àunmomentouàunautredelasoirée,qu’elleregimbaitoupaniquait, ils’arrêterait
sur-le-champ.Siellevenaitdanssonlit,ilvoulaitquecesoitavecenthousiasmeetqu’elleledésire
autantqu’illadésirait.Ilavaitl’intentiondeluidonneruneleçonpourqu’ellecomprennecequesoningérenceluiavaitcoûtélorsqu’ilavaitperdusachèreArabella.Pasdelabattrenidelavioler.Étrangement, lacolèrequ’ilavaitressentielorsqu’ilavaitperduArabellaavaitdisparuàl’instant
oùlavieillefilleluiavaitmordulalèvre.ÉvaBlackavaitenelleunefouguequimanquaitàArabellaet il était intrigué tantpar sesmanièresguindéesquepar sacombativité. Il avait l’intentionqu’elles’enflammeavantlafindelanuit.—Sivousnepouvezpasvousdévêtir,mademoiselleBlack,jedevrailefairemoi-même.Nicholas posa son verre, se leva et s’approcha d’elle. Elle tressaillit, mais resta où elle était,
commesielleavaitlespiedsclouésausol.Une odeur de lilas flottait autour d’elle. Elle baissa les paupières et de doux cils châtains se
déployèrentau-dessusdesesjolisyeux.Cesyeuxoffraientunefenêtresurchacunedesesémotions.Nicholaslevaunemainjusqu’auxcordonsdesonbonnetavantdes’arrêter,unboutdesatingris
emmêléentrelesdoigts.—Puis-je?Sans croiser son regard, elle hocha faiblement la tête. Sa peau luisait tellement elle étaitmoite.
Après deux petits coups, il avait son bonnet dans lesmains. Il s’en servit pour l’éventer.Elle étaitbrûlante,maispasdedésir.Enmatièredeséduction,cen’étaitpascequ’ilavaitimaginé.Les gants suivirent rapidement et furentmis de côté. Il avait envie de libérer ses cheveux,mais
décidadegardercelapourlafin.MademoiselleBlackpouvaitgardersondéguisementdevieillefille.Pourl’instant.Nicholass’arrêtaderrièreelleetglissaunejointurelelongdelarangéedeboutonsquis’étendait
delabasedesoncrânejusqu’àlacourbeaucreuxdesesreins.—Unchoixregrettable,votrerobedecesoir,mademoiselleBlack.Ilsepenchaverssonoreilleetrespiradanslaconquesouple.L’odeurdesapeauprovoquaundébut
d’érection.—Jesuisexpertenboutons.Ilcrutpercevoirungémissementàpeineaudible lorsqu’ilentamauneprocessiondescendante le
longdesminusculesboutons.Lorsqu’ilatteignitlemilieududos,ilfitglisserlarobeternejusqu’àexposerpourinspectionsesépaulespâlesetlapeaulaiteusedesoncou.Desonavantageuxpointdevueau-dessusd’elle,illaissasonregardcaresserlacourbedélicatede
soncou.Savieillefilleétaitundélicieuxmélangededouceuretdeforce.Ilpressaseslèvresàl’endroitoùsoncourejoignaitsesépaulesetquelquescourtscheveuxépars
blond-rouxsortirentdesoussonaffreuseperruquechâtain.Ilneputrésisteràcechantdesirène.Lorsqu’ilenfouitsonnezàcetendroit,sessensfurentsubmergésparl’odeurdelilasainsiqueles
rayonsdesoleil.Legoûtdesapeaudoucefaillitcausersaperte.
•
Évafermalesyeuxtrèsfortlorsquemonsieurleducpressaseslèvresdanssoncou.Sonsouffleainsiquelegrainfindel’ombred’unebarbeluichatouillèrentlapeau.Maintenantqu’elleétaitlibéréeducol piquant de la robe, la chaleur diminua quelque peu, ce qui fit ralentir la pièce qui tournoyaitautourd’elle.N’eûtétélefaitquesesbrasétaientprissouslepoidsdesesvêtements,elleauraitretiréelle-mêmelesépaisseurssupplémentaires.
Pour lasecondefoisendeuxjours, ilprenaitsoind’elle.Quoiquecesoir,cefûtautantdanssonpropreintérêtquedansceluid’Éva.Ilpourraittoutdemêmeutilisersafaiblesseàsonavantage,maiscen’étaitpaslecas.Certes,illadéshabillait,maissescraintessedissipaient.Unefoisqu’elleseraitnueetrafraîchie,celachangeraitladonne.Larobetombaausol.—Çavamieux?demanda-t-ilenrevenantdevantelle.Évatentad’inspirerprofondément,maisenfutincapable.—J’aitoujoursdeladifficulté,répondit-elleentirantsursoncorset.Ilécartadoucementsesdoigtsets’attaquaaulaçage.—Vousavezvisiblementsacrifiévotreconfortpourvousarmercontremonintrusion,répliqua-t-il
entirantavecfermetésurlecorset.Nousallonsviteremédieràcettesituation.Évas’attendaitàcequelegonflementlaiteuxdesesseinss’échappeaussitôtlibérédelastructure
baleinée.Cependant,lesépaisseursdechemisesendentelletinrentbonetpréservèrentsapudeur.Ilyavaitplusieurscouchesdesous-vêtementsàôteravantqu’ellesoitlibérée.— J’avais pensé coudre une robe d’épines, rétorqua-t-elle à bout de souffle. Mais j’ai ensuite
concluquevotredéterminationàm’amenerdansvotrelitnefléchiraitdevantriendemoinsquedesmètresdeverrebriséetdepiquesd’acier.Etjen’enavaisplusdutoutenréserve.Labonnehumeur revintdans lesyeuxduduc.Le regard rivéausien, ilplongea lesdoigts sous
deuxchemisespuis,d’uncoup,endéchiral’étoffedélicatejusqu’àlataille.Ellehaleta.—Deuxchemisesenmoins…Ilinclinalatêtepourregarderdanssondécolletépartiellementexposé.—…ilenrestequatre.Évaétaitpersuadéequesesseinss’étaientgonflésàlapenséedecequ’ilpourraitleurfaireunefois
qu’ilsseraientlibérés.Elleétaitàlafoisinquièteettroublée.Unepartied’elle-mêmevoulaitquecetteséductionprennefin.Enmêmetemps,ellevoulaitqu’il lalibèredesrestrictionsdesaconditiondevieillefillepourqu’ellepuisseexpérimenter,pourunefois, l’effetquecelafaisaitd’êtredésiréeetaiméeparunhomme.Monsieurleducétaitsansaucundouteleplusbelhommequ’elleaitjamaisvuetilsavaitutiliser
ses talents de séducteur pour provoquer chez elle une réaction.Malgré le fait qu’elle détestait cethomme,elletrouvaitdifficilederesterindifférenteauxeffluvesdesavonetdebrandyquiflottaientautourd’elleetàlachaleurdesesmainssurlerubandelapremièrechemise.— Je crois que vous n’êtes pas aussi dégoûtée que vous voudriez me le faire croire, dit-il
doucementenlongeantduboutdesondoigtlapeauauborddeladentelle.Soncœurs’emballaetsespaupièress’abaissèrent.Seslèvreslaissèrentéchapperunsoupir.—Noussommesattirésl’unparl’autre,mademoiselleBlack.Vouslesentezaussi.Évaouvrit lesyeuxpour le fusillerdu regard. Il la contourna,puis fit glisser la chemisede ses
épaules jusqu’à sa taille,puis sur seshanches.Respirer étaitbeaucoupplus facilemaintenantet lesmainsduducsefirentplusaudacieuses,sedéployantsursesfessestandisqu’ildescendaitlachemisetoujoursplusbas.—Vousvousfaitesdesidées,monsieurleduc,sivouscroyezquejenesouffrepas.Vousn’avez
aucuneidéedelaprofondeurdemahaine.Elle fut incapable de donner à ses paroles un ton convaincant, même pour elle-même. Il était
impossiblederéfléchirpendantqueleducluicaressaitlepostérieur.Ilgloussa.Lachemisetombasurlapiledevêtementsabandonnésàsespieds.Ilsepenchaenavant
pourpressersajouecontrelasienneetl’enlacer.Ellefaillitfondredanssesbras.
—Peut-êtredevrions-nous attendrequevous ayezpassé lanuit dansmon lit avant dedécider sivousmedétesteztoujours.Quellearrogance!—Nevousméprenezpas,monsieurleduc.Lorsqu’illuicaressalescôtes,puisglissalesmainsverslehautpours’arrêterjustesoussesseins,
elle laissa échapper un grognement sourd et se cambra contre son torse. Le duc considéra celacomme une invitation. Ses doigts se déployèrent pour prendre à pleines mains la chair ferme. Àtravers les épaisses couches de tissu, il taquina ses mamelons, qui durcirent sous ses doigts. Ellegémit.—Jevousdétesteraijusqu’àmonderniersouffle.Soncorpsbrûlaitdefaçonexquiseàdesendroitsoùiln’auraitpasdû.Il larelâchaetcontinuaà
enleverdeschemises.Ilmordillalapeaunuedesesépaulesenl’effeuillant,unmorceaudevêtementàlafois.Ellen’arrivaitàpenseràriend’autrequ’àsesmains,àsabouche,ainsiqu’aupuissantdésirauplusprofondd’elle-même.Cefutlafraîcheurdelapiècequil’informadesaquasi-nuditélorsquesaculotteglissalelongde
ses jambes nues. Dans un dernier élan de pudeur virginale, elle tenta de croiser les bras sur sapoitrinepourgardersadernièremincechemise,maisildesserralelacetetlafineétoffes’ouvrit.Sesmainscachaientsesseinsàlavue.Lapiledecotonetdelaineluimontaitdéjàjusqu’auxgenoux,maisellenepouvaitserésoudreàabandonnercettedernièrebarrière.Ilsepenchaetlasoulevadanssesbras,écartantlesvêtementsàcoupsdepieds.Illaremitensuite
sursespiedsetsepostaderrièreelle.Elleétaittellementconscientedesaprésencequ’iln’eutmêmepasbesoindelatoucherpourqu’ellesesenteimprégnéedelui.—Jevousenprie,lepriaÉvalorsqu’illapritàpleinesmainsparleshanchesavantdedescendre
pourluicaresserlescuisses.Letorseduducsepressaintimementcontresondosetellesentitunebossedureentresesfesses.
Elle était faible et excitée, incapable de verbaliser ce dont elle avait envie. Elle n’avait aucuneexpériencepréalablesurlaquellesebaser.Un gloussement rompit le silence. Il la contourna sans jamais cesser de la toucher, puis laissa
courir le bout de son doigt le long de la courbe de samâchoire. Ses vêtements ne pouvaient plusservir d’excuse ni à l’intensité ni à l’instabilité de ses émotions. Elle avait envie de lui.Désespérément.—Jamaisjen’auraiscrutrouverdescourbessiexquisessousvosaffreusesrobes,machère.Mais
je crains que vous ne soyez pas entièrement démasquée, dit-il en lui enlevant ses lunettes avant des’étirerpourlesposersurunetableàproximité.Vousavezdecharmantsyeuxcouleurd’ambre.C’estunehontedelescacherinutilement.Évarivasonregardausien,retrouvantunpeudebonsens.—C’estunehontedemetourmentercommevousl’avezfait,monsieurleduc.Undeuxièmegloussementrésonnadanslapièce.Ilbaissasesyeuxvertspourexaminerseslèvres.—Dites-moi que vous avez envie demoi, mademoiselle Black, murmura-t-il contre ses lèvres
aprèss’êtrepenchéverselle.Malgrélesoutrageusesfacétiesduduc,leslèvresd’Évas’étirèrent.—Jesuisincapabledevousrésisteretvouslevoyezbien,murmura-t-elle.Ellefitrapidementremontersesmainssurleventreduducetlesemmêladanssachemise.Unsourirediaboliques’affichalentementsurseslèvres.
—J’aiétéobligéderenonceràArabellaàcausedevotreingérence,dit-ilentaquinantlecoindeses lèvresdesonpouce.Jecroisqu’ilestsimplement justequevousmedonniezquelquechoseenretour.Laprogressioncontinuajusqu’àcequ’iltouchesaperruque.Elles’immobilisa.Celle-ciconstituait
le dernier rempart de son déguisement derrière lequel elle pouvait se cacher. Une fois enlevé,Évangéline serait entièrement dévoilée devant lui.À ses yeux,mademoiselleBlack serait à jamaisdisparue.—Vous savez très bien que ce n’est pas un échange équitable.Elle ne vous a jamais réellement
appartenu.L’hommes’accrochaitàsesconvictionsavecautantd’entêtementqu’ilétaitgâtéetarrogant.—Danscecas,nosopinionsdivergent,mademoiselleBlack,répondit-ilsimplement.Carjecrois
aucontrairel’échangetrèséquitable.—Etcombiendefoisdois-jem’attendreàêtreappeléedansvotrelitavantquemadettesoitpayée,
monsieurleduc?Éva inclina la tête et haussa un sourcil. Elle sentait les battements rapides de son cœur sous ses
mains et leva les yeux. Elle bougea à peine, mais sa cuisse se pressa intimement contre celle deNicholas.—Unefois?Deuxfois?Troisfois?Sonregards’assombritetill’attrapaparlataille.Ilpétritsachairdesesgrandesmains.—Êtes-vousbien certainequevous serez satisfaite quenotremarché soit conclu,mademoiselle
Black?luidemanda-t-ilensoutenantsonregard.Vouspourriezdécouvrirquepasserdutempsdansmonlitn’estpasaussirépugnantquevouslecroyez.Éva soupira et s’appuya contre lui. Sans autre chose qu’une chemise et ses vêtements pour les
séparer,ellesentaitcontreelletoutelalongueurdesoncorpsmusclé,desesseinsjusqu’àsesgenoux.Ellenepouvaitplusprétendrequ’ellen’avaitpasenviedelui.Ellesehissasurlapointedespiedsetpressafermementsapoitrinecontresontorse.—Embrassez-moi,monsieurleduc.
CHAPITRE7
Nicholas s’immobilisa.Enplusdudésir, ilyavaitdans sesmagnifiquesyeuxcouleurd’ambreunsoupçondepeurquilepritdecourt.Malgrésademandeinattendue,ilsentitqu’ellehésitaitetquesoncorpsétaitparcourudefrissons.Les derniers vestiges de son déguisement de vieille fille. N’eût été le fait que Crawford avait
découvertqu’elleétaitlafilled’unecourtisane,Nicholasl’auraitcrueréellementinnocente.Impossible.Pasuneseulefois,tandisqu’illapressaitdeprendrelaplaced’Arabelladanssonlit,
elleavaitinvoquésavirginitéafindeleteniràdistance.Ilbrûlaitd’impatience.Cesoir,ilmontreraitunefoispourtoutesàcettevieillefillequ’iln’étaitpas
unebrute.D’abord,iltermineraitdeladémasquer.Il tendit lamainet luienlevasaperruque.Desépinglesàcheveuxs’éparpillèrent sur le solavec
forcetintementstandisqu’unemassedecheveuxblond-rouxluitombaitsurlesépaulesetcascadaitdanssondos.Ilbanda.Ciel,commeelleétaitbelle!Évavoulutrattrapersaperruque,maisilétaittroptard.Avantqu’elleaitletempsderéagir,ilmitla
main derrière sa tête pour attirer sa bouche vers la sienne. Le baiser des lèvres pleines et doucesd’Éva attisa les flammesqui sepropagèrent dans tout son corps.Éva s’agrippa à ses épaulespourtenterde le repousser,maiselleétaitplaquéecontre lui.Elleémitde faiblesprotestations lorsqu’ilexploradesalangueseslèvrescloses.Jamais une femmen’avait exercé une telle fascination sur son esprit, sur son corps. Il n’eut pas
peur de se faire mordre à nouveau lorsqu’il lui mordilla les lèvres. Il était prêt à en subir lesconséquences si cela signifiait qu’elle finirait par consentir à le laisser explorer les profondeurssensuellesdesabouche.
•
Évagoûtalebrandyetsentitsonérectioncontresonventrelorsqu’elleinclinalatêtepouracceptersalangue.Ilfitunecourtepause,lesbraspendants,puislaserracontreluiets’enfonçaprofondémentdanssabouche.S’ensuivitunritueld’accouplementvieuxdeplusieurscentainesd’années.Comme elle en avait envie ! Depuis la première fois qu’il l’avait touchée, son corps ne lui
appartenaitplusetellenepouvaitplussupportercedésirquilarongeaitetladéconcertait.Ildevaityavoirunmoyend’apaisersessouffrancesetellesavaitqueceducaffreusementséduisantenétaitlaclé.Ilavaitallumélefeuquibrûlaitenelle;ildevraitl’éteindre.Ellesehissasurlapointedespiedsafind’épouserencoredavantagelescontoursdesoncorps.Le
duc glissa lamain sous ses fesses et la pressa contre son érection. L’intimité du geste la troubla.Pourtant,ellen’arrivaitplusàrassemblerl’énergienécessairepourregretter.Elle sentitunepulsationentre ses jambes tandisqu’elle sependaità soncouet l’embrassait sans
retenue.Leurslanguess’emmêlèrentetÉvasedéchaîna,enfouissantsamaindanslescheveuxduductandisqu’ilemmêlaitsesdoigtsdanslessiens.Elleavaitenviedesentirsontorsenusoussesmains,decaresserlefinduvetquis’ytrouvait.Lapartieétaitterminée.Maintenant,toutcequ’Évavoulait,c’étaitqu’illuimontretouslesplaisirs
qu’unhommed’expériencecommeluipouvaitenseigneràunefemme.Ce fut lui qui recula, stupéfait, pour la regarder dans les yeux. Son esprit réussit à émerger du
brouillard.
—Jevousméprise,monsieurleduc,arriva-t-elleàarticuleravantd’attirersatêteverslebaspourunautrebaisertorride.NicholasDrake,sonennemi,lasoulevadanssesbrasetlaportahorsdelasalleàmangersansse
soucierdesdomestiques.Elleinterrompitlebaiserpourenfouirsonnezdanssoncou,qu’ellecouvritd’unepluiedebaisersjusqu’àsamâchoiresévère,pourensuiteensuivrelecontour.Elles’imprégnadesonodeurtandisqu’illaportaitenhautdedeuxvoléesdemarches,jusqu’àunegrandechambreauboutd’unlongcouloirsombre.Ilpoussalaportepourl’ouvrir,puislarefermad’uncoupdepied.Unpetitcadrevacilla,puisalla
s’écraserausol.IlposaÉvasursespiedsetsepenchapourl’embrassertoutendéchirantsamincechemise.Elle s’empressade renoncer à saprétention sur l’étoffe.Elle tira sur sa chemiseà lui, lasoulevaetlapassapar-dessussatêteàl’instantoùlasiennetouchaitlesol.Ellesuivitsoninstinct;elle savait cequ’ellevoulait et, à encroire le regardduduc, cela suffisait.Elle avait l’impressiond’êtreabsolumentdévergondéeetlicencieuse.Nue, elle ne fut pas intimidée. Le désir ardent qu’elle lisait sur le visage du duc lui donnait du
pouvoir.Elletenditlesmainspourcaresserlavastesurfaceplanedesonlargetorsemusclé.Attiréeparlapeauchaude,elles’arrêtapourluicaresserlesmamelonsduboutdesdoigts.Il gémit et tira sur son pantalon, détachant d’un coup tous les boutons. Éva le regarda baisser
l’étoffesousseshanchesétroitesetvitsonmembreenérectionsurgirbrusquement.Elles’ensaisit,fascinéeparsonpremieraperçud’unhommenu.Et il était magnifique. Mais son examen prit fin subitement lorsqu’il la serra contre lui pour
réclamer sa bouche, puis la poussa à reculer ; ses mains étaient partout à la fois, passant de sescheveuxàsescuissesetinversement,etlatouchaientauxendroitslesplusintimes.Leduclaguidaendirectiondulit,latenantentresesbraspouréviterqu’ellenetrébucheettombe.Lorsque l’arrière de ses genouxheurta lematelas, elle tomba à la renverse avec un petit rire et
s’empressadegagneràquatrepatteslemilieudulit.Illasuivit,l’écrasasoussoncorpsétendudetoutson longet l’embrassapassionnément.Leducse redressaau-dessusd’elleet écartadoucement sescuisses;leboutdesonmembreenérectionsetenaitprêtetattendaitàl’entréedesoncorps.—Tellementbelle,souffla-t-ilenbaissantlatêtepourprendreunmamelondanssabouchechaude.
Ravissante.Elle laissa échapper un petit cri et arqua le dos. Il suçota pendant unmoment, puis dirigea son
attentionsurl’autresein,enmordillantlebout.Ellejouadanslesdouxcheveuxdelabêtemagnifiquetandis qu’il la taquinait de ses lèvres expertes, provoquant des gémissements de plaisir, avant deréclamerànouveausabouche.Àboutdesouffleetimpatiente,Évalaissacourirsesmainssursoncorpsavecavidité.Ellechassa
lesregretsetlahainepoursedélecterplutôtdelasensationdesoncorpsferme,àlafoissoupleetchaud,muscléetsvelte.Lorsqu’illevalatêtepourlaregarderdanslesyeux,sescheveuxenbatailletombèrenttoutautour
desonséduisantvisage.Ilsouritavecmalice.—Voulez-vousquej’arrête?—Non,gémit-elle.Il reportasonattentionsursesmamelons,couvritdebaiserssonventreet remontadanssoncou
jusqu’à ce qu’elle n’arrive plus à supporter l’intense et douloureuse pulsation entre ses jambes.D’instinct,ellesavaitqu’elleneseraitpassatisfaitetantquel’accouplementneseraitpascomplet.Impatiente,ellesoulevaleshanchespourpresserlasourcedelapulsationcontresonmembreviril.
—Jevousenprie,monsieurleduc.Ils’empressadeluiobéir.D’ungesterapide,ils’enfonçaenelle.Ellegémitdedouleurlorsqu’il
déchirad’unseulcouplabarrièredesoninnocenceenlapénétrantprofondément.Monsieurleducs’arrêta.—Vousêtesvierge?Ellehochalatête.—Plusmaintenant.Àcet instant, leursébatseffrénésse transformèrent.Les traitsduducs’adoucirentautantqueses
caresses.Ilsepenchapourposerdesbaiserssursespaupièresainsiquesurleslarmesdevirginitéquiluichatouillaientlecoindesyeux.Évalevatimidementleregardversluietlatendressequ’ellevitlorsqueleducbaissadoucement
lesyeuxsurellelatouchaprofondément.Avecuneattentionparticulière,ilsemitàalleretàvenirendes mouvements lents et mesurés pour lui permettre de s’adapter à son corps et de surmonter ladouleursourdeliéeàlapertedesoninnocence.Ill’embrassasurlabouche,surlementonetdanslecou,lamordillantetlataquinanttandisqu’elle
s’habituait à son corps et que le plaisir montait en elle. Elle laissa échapper de petits cris etgémissements. Il la pénétra avec douceur et en profondeur, utilisant son corpsmagnifique pour lamener au bord de la folie. Éva attrapa à pleinesmains ses fesses, dont elle pétrit la chair ferme.Lorsqu’ellesentitqu’ellen’enpouvaitplusetqu’elledemandagrâce, ilaugmentalaprofondeurdesesmouvementspourlapousseràboutjusqu’àl’ultimerelâchement.Ellecriaetselaissatomberàlarenversesurlelit.Leducgémitet,s’enfonçantenellejusqu’àla
garde,trouvasonpropreplaisir.Épuisée,Éva soupira en lui caressant le dos et les fesses dubout des doigts. Il s’appuya sur ses
coudes pour se pencher au-dessus d’elle et l’embrassa. Elle ne savait pas très bien comment elles’était retrouvée là,dansson lit ; lesdétailsétaient flous.Ellesavaituniquementque leducqu’elleméprisait venait de lui faire minutieusement l’amour et qu’elle n’arrivait pas à en éprouver lemoindreregret.Auboutd’unmoment,monsieurleducseretiraets’étenditàcôtéd’elle,posantlatêtesursamain
ouverte. Leurs jambes étaient entremêlées. Les traits normalement crispés du ténébreux ducdiaboliqueétaientdétendus,cequiluidonnaituneallurepresquepuérile.—Peut-êtrenemecroirez-vouspas,maisjen’avaispasl’intentiondevousemmenerdansmonlit
cesoir,dit-ilenécartantuncheveuqui lui tombaitdevant lesyeux.Jepensaisquevousalliezvousenfuiraprèsm’avoirassomméavecunchandelier.Évaplissalespaupières.—C’estdoncmoiquisuisàblâmer?répondit-elled’untonacide.Vousauriezpumefairepartde
vos honorables intentions quand j’avais encore une chance de m’en sortir avec mon innocenceintacte.Leslèvresduducs’étirèrent.—En toutehonnêteté, je ne savais pasquevous étiezvierge.Vous sembliez si déterminée àme
séduire,j’aicruquejerisquaisdevousdécevoirsijerésistais.Ellehoquetaetchassad’uneclaquelamainquireposaitsursapoitrine.—Jevousaiséduit?—C’estcedontjemesouviens,mademoiselleBlack.Franchement ! Éva toussota et, lorsqu’il pencha la tête pour l’embrasser, le retint en posant une
mainsursontorse.
—Vousêtestellementinsupportable.J’étaisinnocentealorsquevous,vousêtesmanifestementunhomme d’expérience. Vous avez profité d’un instant de faiblesse de ma part. En fait, je vousappartiens.J’étaisobligéedemesoumettre.Sonsouriredisparut.—Jen’aijamaiseul’intentiondevousemmenerdeforcedansmonlit,répondit-ilenseredressant
pour s’appuyer contre la tête de lit. J’étais en colère. Je le suis toujours.Vousn’aviezpas le droitd’interférerdansmavie.Etcontrairementàcequevouscroyez,Arabellaétaitimportantepourmoi.Nous étions parfaitement assortis, poursuivit-il en passant unemain sur sa tête pour se gratter lanuque.Notrearrangementneluiapastoujoursdéplu,mademoiselleBlack.S’ilavaitséduitArabellacommeill’avaitséduite,ellevoulaitbiencroirequesonamieavaittrouvé
unecertainesatisfactiondansleurrelationcharnelle.MaisArabellaétaitmaintenantheureusedanssanouvellevieavecsonépouxetsonfuturnouveau-
né.Sielleavaitcontinuéàservirdejouetauduc,ellen’auraitjamaisrieneudetoutcela.EtÉvaavaitprissaplace.—C’estexactementcequ’estlepassé,monsieurleduc:dupassé.Plusvitevoussurmonterezvotre
déception,plusvitevouspourrezretrouverlapaix.Il fallut un bonmoment, ainsi qu’un regard insistant, avant qu’il parle. Il laissa traîner un doigt
entresesseins.Unelueurd’amusementserallumadanssesyeux.—Cequenousavonspartagéiciafaitbeaucouppourapaisermacolère,mademoiselleBlack.Ellesentitunevaguedechaleurmonterlelongdesoncou.—Vouspouvezm’appelerÉva,ouÉvangéline,sivouspréférez,monsieurleduc.Ellebaissalesyeuxsursesmamelonsenflésetlescachaencroisantlesbras.Ellelaissatraînerson
regardsurlecorpsduducjusqu’àsonmembreramolli.—Jetrouve«mademoiselleBlack»unpeutropformelcomptetenudecequis’estpasséici.
•
Penseràelleautrementqu’entantquemademoiselleBlackluiparessaitétrange.—Vousaviezlechoix,Éva.Unsimplerefusetjevousauraislaisséepartir.Pourtant,vousm’avez
embrassé etdéshabillé avec autantd’empressementque je l’ai fait.Vousnepouvezpasdireque jevousaiforcélamain.Auboutd’unmomentdesilence,ellesecoualentementlatête.—Vousnem’avezpasforcélamain.Jesuisvenuedansvotrelitdemonpleingré.Dieumerci.Ilseredressapours’agenouillerdevantelle.Illarelevajusqu’àcequ’ellesoitassise
faceàlui.—Siunjourvousrevenezdansmonlit,ceseraparcequevousavezenviedemoietpouraucune
autre raison. Je n’utiliserai plus jamais votre dette pour vousmanipuler.Votremère et vous aureztoujoursuntoit.Sanssetoucher,ilsseregardèrentdanslesyeux.Ilvituneséried’émotionsbrutessesuccéderdans
lessiens.Ilavaitenviedelaprendredanssesbrasetdeluifairel’amourencoreetencore,jusqu’àcequ’ellen’aitplusaucunregret.Ilavaitenviedeluifairel’amourjusqu’àcequ’ilnevoieplusenellemademoiselle Black, la vieille fille qui avait chamboulé sa vie,mais l’insaisissablemademoiselleWinfield—Éva—qui se dérobait aumonde. Il voulait connaître chaque centimètre de la femmederrièreleslunettesetlaperruque.Illavoulait,elle,laséduisantefilledecourtisane.
—Jecroisque jedevraisvousappelerNicholas,monsieur leduc,murmura-t-elle finalementenposantunemainàplataumilieudesontorse.«Monsieurleduc»m’apparaîttropformeldanslescirconstances.Nicholassourittandisqu’ellesependaitàsoncoupourl’entraînersurlelit.
•
Nicholasglissaunemainsoussa têteet l’autreautourd’Éva.Sapassionexplosive l’avaità la foisébranléet ravi.Encemomentmême, alorsqu’il écoutait sa respirationetque ses cheveux soyeuxétaientemmêléssoussonépaule, ilétait impossibledecroirequ’ÉvaBlacketÉvangélineWinfieldétaientuneseuleetmêmepersonne.Il s’était fait prendre si facilement. Il était tellement en colère contre elle depuis leur première
rencontre qu’il avait refusé de voir au-delà de son déguisement. Il voulait tellement la punir, larameneràl’ordre,l’obligeràimplorersonpardon.Maisc’étaitplutôtellequil’avaitassommé.Une vierge ?La fille d’une courtisane était innocente. S’il l’avait su avant, cela aurait-il changé
quelque chose ? Peut-être.Mais il était trop tard pour les regrets. Il lui avait minutieusement faitl’amour.Iln’yavaitaucunmoyend’effacercesmomentsetiln’avaitpasenviedelefairenonplus.Illavoulaitexactementcommeelleétaitàl’instant,douceetdocile,endormiecolléecontrelui.La question était maintenant de savoir ce qu’il allait faire d’elle. Lui voler son innocence avait
certainement satisfait son désir de vengeance. Racheter ses dettes n’aurait jamais pu la ruinerdavantage.Ildevraitlalibérer.Pourtant,ilsavaitque,pouruneraisonquelconque,ceneseraitpassisimple.Elles’était immiscéeenluiavecsesbeauxyeuxcouleurd’ambreetsanatureétonnammentpassionnée.Si elle acceptait de donner suite à leur arrangement et devenait vraiment sa courtisane, cela lui
suffirait-ilderesterdansl’ombrelorsqu’ilsemarierait?Elleaidaitlescourtisanesàéchapperàleursprotecteurs.Ilétaitimpossibled’imaginerqu’ellese
satisferaitdevivrecommel’uned’elles,àseprélassersuruncanapévêtued’unerobescandaleuseetàattendresonbonplaisirenlisantunquelconquelivredepoésiestupide.Cettepenséelefitsourire.Ilimaginasonindignationainsiquelesmotsacerbesqu’elleutiliserait
pourexprimersonrefus.Bienqu’iln’aitpasséquequelquesheuresensacompagnie,illaconnaissaitsuffisammentpoursavoirquel’offrededeveniruneamanteentretenueneluiplairaitpas.Dans l’obscurité, il étudia les angles doux de ses charmantes pommettes et de son menton
légèrementpointu,maisnetrouvaaucunesolution.Peut-êtredevrait-ilypenseraumatin,quandellen’aurait plus une cuisse par-dessus la sienne et un sein pressé contre ses côtes. Comment avait-ilseulementpulatrouverterneetindigned’intérêt?Ilétaitpratiquementimpossibledenepascomploterpourlagardercommemaîtressetandisqu’elle
étaitsiprèsdelui.Évaremuadanssonsommeiletpoussaunlégersoupir.Nicholasremontal’édredonsursesseins,
moinsparcequ’ilavaitpeurqu’elleattrapefroidqueparcequ’ilavaitlui-mêmebesoinderepos.Lesboulesgénéreusesétaientbeaucouptropattrayantes.Etilétaitépuisé.
•
IlétaittôtlelendemainmatinlorsquelecarrossedeNicholasreconduisitÉvachezelle.C’étaitjusteavant l’aubeet lecielnoircédait laplaceaugris tandisqu’elles’enfonçaitdanssonsiège, lefront
ridéparl’inquiétude.On lui avait fait l’amour trois fois pendant la nuit et elle était extrêmement satisfaite de
l’expérience.Pourcesinstantsvolés,elleneregretteraitjamaisd’avoirperdusoninnocence.Quantauduc,lesrépercussionsdesesactesentresesbrasn’étaientpasaussiclaires.Ilavaitouvertlaporteà des émotions et à des pulsions sexuelles qu’elle avait toujours eu l’intention de garder enfouiesjusqu’àsamort.Bien qu’elle parût la même de l’extérieur, elle avait changé de l’intérieur. Elle n’était plus
innocente.Elleavaitperdu savirginitéavecunhommequi représentait tout cequ’elledétestait : ilétait arrogant, vengeur et c’était un duc. Sa fortune et son pouvoir auraient dû suffire à la faireplongersouslelitleplusproche,loindesrumeurs.Etsonempressementàlelaisserl’aimer,encoreetencore,latroublaiténormément.L’avenirqu’elleenvisageaitpourelle-mêmen’impliquaitpasdemariage;iln’yavaitdoncaucun
risquequ’unfuturépouxdécouvrequ’elleavaitperdusoninnocence.Etcommeellen’avaitaucuneintention de retourner voir le duc, à moins qu’il l’ait mise enceinte, leurs interactions étaientterminées.Siellecontinuaitàlevoir,cen’étaitpasuniquementunbébéqu’ellerisquait,maisaussisoncœur,
sielleétaitassezfollepourtomberamoureusedecethommequineseraitjamaisamoureuxd’elle.Elleavaitvuceàquoisamèreavaitdûrenoncerpouraimersonpère;vivreenretraitdumonde,
nejamaispouvoirlerevendiquerentièrementcommesien.Bienquesonpèreaimâtprofondémentsamère,ilyavaitdesrèglesqu’ilsdevaienttousdeuxrespecter.ÉvasavaitqueNicholasnepourraitjamaisl’épouseretqu’ellenesesatisferaitjamaisdevivredans
l’ombredesonépouseetdesesenfants.Par conséquent, elle continuerait à vivre comme avant et laisseraitNicholas derrière elle. Et de
tempsàautre,ellerepenseraitàsanuitavecleducténébreuxetenchériraitlesouvenir.Aprèsavoirordonnéaucocherde ladéposerderrière lamaisondeville,elle traversa le jardin,
profitantdecesquelquesderniersinstantsdesolitudepourseressaisir.Lorsqu’Haroldouvritlaportedelacuisineavecunairrenfrogné,ellepassaàcôtédeluisansdireunmotpourseréfugierdanssachambre.Elledevraitaffrontersacolèreunjour,maispourlemoment,elleavaitbesoindedormir.
•
—Cettecouleur tevaà ravir,Sophie.Tuescharmante,ditRoseen riant tandisquePauline faisaittournerSophiepourl’examiner.La robe de ville verte avait un décolleté en dentelle décent et de la dentelle vaporeuse bordait
chacunedescourtesmanchesbouffantes.—C’esttoiquiescharmante,Rose,réponditSophieenlaregardantdanslemiroir.Enquelquesjoursseulement,Sophies’étaittransforméedemanièreinattendue.Quelques-unesdes
ridesprofondessursonvisages’étaientestompéesetellesouriaitplussouvent.L’enthousiasme de Rose pour la vie s’était révélé contagieux et personne n’était immunisé, pas
même les plus endurcies telles que Sophie etYvette.À l’occasion,Yvette les divertissait avec unehistoiregrivoiseetelleétaitdevenueunpeucommeunegrandesœurpourRose,PaulineetAbigaillorsquecelles-ciavaientbesoindeconseils.ÉvatenditunerobecrèmeàYvetteenécoutantRoseetPaulinediscuterdemotifsetd’étoffesavec
Abigail, qui ne portait que sa chemise. Rose était vêtue de bleu pâle et les deux femmes étaient
effectivementmagnifiquesdansleursnouvellesrobes.Madame Fornier et ses assistantes, qui anticipaient une vente importante, couraient partout,
impatientesdeleurmontrerlesdernièrestendances.Évaavaitprévud’emmenersesdemoisellesfaireles boutiques la veille,mais une pluie battante les avait confinées à l’intérieur. Elles avaient doncpassél’après-midiprécédentàréviserlessujetsdontondiscutaitenprenantlethéoulorsdefêteset,bienentendu,l’actualité.Évavoulaitquesesdemoisellessoientprêtespourn’importequellesituationsociale.Sonespritvagabond,ainsiquesesnuitsagitées,l’empêchaitdeseconcentrerentièrementsurautre
chose que les tâches les plus banales. Malgré tous les efforts qu’elle faisait, elle n’arrivait pas àchassermonsieurleducdesespensées.Lanuitdernière,elles’étaittournéeetretournéedanssonlitavec fébrilité, se languissant de son corps. Elle ne pouvait pas marcher dans la rue sans espérerapercevoirsonséduisantvisage.—Quepensez-vousdecelle-ci,mademoiselleÉva?luidemandaAbigail.Évarevintàlaréalité.Larobeétaitjaunepâleavecdeminusculesfleurscoordonnéesauborddu
décolleté.—Larobeestjolie,maislacouleurdonneunéclatjaunâtreàtapeau,réponditÉvaens’approchant
d’unetablepourramasserunrouleaudetissubordeauxfoncé.Simadamepouvaitfairelamêmerobedecettecouleur-ci,ceseraitparfait.Abigailsourit.—MademoiselleÉvaaraison.Jeprendraicelle-cidel’autrecouleur.Évaluisouritenretour.MêmeAbigailavaitcommencéàémergerdesprofondeursdesatimiditéet
desaréservepourrévélerunespritvif.Elleétaitvitedevenuel’unedesesfavorites.Évaespéraitlacoupler avec un des trois hommes qu’elle avait choisis qui avaient un tempérament semblable.Abigailferaitunebonneépousepourn’importelequeld’entreeux.Touteslesfemmesavaientquelquechoseàoffriràunprétendant.Évaavaitdéjàentêteplusieurs
hommes à présenter à Rose et à Yvette. Une fois qu’elle avait bien cerné la personnalité de sescourtisanes, ilnerestaitplusqu’àfaire lesprésentationsavec lesprétendantsetà laisser l’attirancefaireletravail.Pendant que les femmes se déshabillaient pour la prochaine sélection de robes dans le salon
d’essayageprivé,Éva sepromenadans laboutique, tâtant les étoffes et lesgarnitures.Dèsque lesfemmeseurentdécouvert les joiesdesvêtements fabriquésdansdes tissus à travers lesquelsonnepouvaitpasvoir,ellesn’avaienteuaucunmalàabandonnerleursrobesdecourtisanes.Ducoindel’œil,Évacaptadunoirenmouvement.Ellesetournaetaperçutunegrandesilhouette
sousunecapequiseglissaitdansunepièceaufonddelaboutique.Elleregardaautourd’ellepourtrouvermadameFornier,maislacouturièresemblaits’êtrevolatilisée.Curieuse, Éva se dirigea où l’homme avait disparu et passa prudemment la tête par la porte
entrouverte.Unemaingantéesurgitetl’attrapaparlepoignet.Avantqu’elleaitletempsdecrier,ellefutattiréedansl’entrepôtetlaportesefermaderrièreelle.—Lâchez-moi,gémit-elleaussitôtqu’elle reconnut l’odeurépicéedeson ravisseur.Monsieur le
duc?Àlafaiblelueurquifiltraitsouslaporte,Évaseblottitcontreluitandisqu’ilenlevaitprestement
sonchapeaud’unemainetlaprenaitparlatailledel’autre.—Attendiez-vousquelqu’und’autre?Ilsetournapourl’adosseraumuretsepenchapourréclamersaboucheavecavidité.Lapassionfit
vacillerÉva lorsqu’ellesependitàsoncouet inclina la têtepourmieuxépouser lecontourdeses
lèvres. Tandis que Nicholas l’embrassait à en perdre haleine, elle laissa échapper un faiblegémissementdepurplaisir.Lorsqu’il releva finalement la tête, le cœur d’Évamenaçait de sortir de sa poitrine. Elle savait
qu’elledevrait lerepousser,maisellen’enavaitpaslaforce.Ilétaitchaudetfermeetellemouraitd’enviede sentir au-dessusd’elle soncorpsnuqui lapénétrait.N’eût été la situation inappropriée,elleauraitremontésesjupesetl’auraitlaissélaprendre.—Quefaites-vousici?chuchota-t-elleens’agrippantàsaveste.Quelqu’unpourraitvousavoirvu.
Prévoyez-vousdecausermaperte?—C’étaitmonintention,lataquina-t-il.Jesavaisquevotrecuriositévousconduiraitjusqu’àmoi.Ilinclinalatêtepourluimordillerl’oreille.—J’aivuvotrecarrosse,mais jeprévoyaisuniquementdepasserdevant.Monavocatestàdeux
portes d’ici. Lorsque je vous ai vue par la fenêtre, j’ai été attiré à l’intérieur, poursuivit-il endescendantunemainpourluicaresserlepostérieur.Jen’aipaspurésisteràquelquescaresses.Étrangement,sonaveuluifitplaisir.Ellehaussaunsourcil.—Vousdevezbienconnaîtrelaboutique,monsieurleduc,pouravoirtrouvécettepièce.Elleest
quelquepeucachéederrièrelesétalages.—Jesuisvenuiciuneoudeuxfois.Sansdouteavecd’anciennesamantes.Ilsuçotalelobedesonoreille.Éva gloussa doucement et pencha la tête en arrière pour lui permettre d’accéder à son cou. Sa
perruqueglissaetluibloqualechemin.Ilgrommelaetlevalatête.—Jedétestelamanièredontvouscachezvoscheveux,Éva.Pourquoienressentez-vouslebesoin?Évalelâchaets’adossaaumur.—Vous ne comprendriez pas, monsieur le duc. Lemonde connaît votre existence depuis votre
naissance. Je n’ai pas cette chance. Je dois gardermes deuxmondes séparés.MademoiselleBlackappartientauxcourtisanestandisquemademoiselleWinfieldm’appartient.—Intéressant.Vousvouscachezuniquementdevoscourtisanes?luidemanda-t-ilensoulevantson
mentonduboutdesdoigtspour la regarderdans lesyeux.Jesuisaucourantde l’histoiredevotremère.Est-celavéritableraisonpourlaquellevousvouscachezderrièremademoiselleBlack?Évalevalatête.—Vousêtesaucourant?Ellesepenchapourselibérerdesonétreinte.Elleluifitface,lessourcilsfroncés.—Commentest-cepossible?Elle avait enviedevomir.Toutes ces annéespassées à cacher la vérité et le ducn’avaitmisque
quelquesjoursàdécouvrirsonplusgrandsecret.Ellecroisalesbrasd’ungesteprotecteur.—Oh, c’est vrai. Vous vous êtes donné commemission de tout découvrir à mon sujet afin de
pouvoirmetraînerdanslaboueetderuinermavie.— Éva, dit-il d’une voix devenue glaciale, malgré mes projets de vengeance, jamais je ne
dévoileraivotresecret.J’aimisfinàl’enquêteaussitôtquej’aireconnulenomdeCharlotte.Sonestomacsenoualorsqu’elleentenditletonfamiliersurlequelilavaitprononcé«Charlotte».—Vousconnaissezmamère?chuchota-t-elleenportantlesmainsàsabouche.Leduchochalatête.—Monpèrelaconnaissaitunpeu.Jel’airencontréeunefoisàHydeParkquandj’étaisenfant.Elle
était superbe et aimable. Ellem’avait permis demonter devant son carrosse avec le cocher alorsqu’ellefaisaitletourduparc.Monpèrenemepermettaitpasdefaireça.Ils’approchad’unpas.
—Mondétectivenesaitriendesonidentité.Jem’ensuisassuré.Charlotteestensécurité.Les larmesmontèrentauxyeuxd’Éva.Ellen’avait jamais rencontrépersonnequiavait connusa
mère du temps où elle était jeune et enjouée. Elle avait dû couper tous les ponts avec la vie decourtisanedesamèreafindelesprotéger,elleetsonespritfragile.—Elleestmalade,monsieurleduc,dit-ellefaiblement.Siquelqu’undécouvraitlavéritéausujet
desonpassé,jenecroispasqu’ellepourraitsupporterdeseretrouveraucentredel’attention.Nicholasl’attrapaparlebrasetlaforçaàleregarderenface.Iln’yavaitaucunsigned’idéesde
vengeanceoudecolèresurlestraitsombragésdesonvisage;ellevituniquementdelacompassionainsiqu’unetouchedesympathielorsqu’ilsepenchajusqu’àcequ’ilssoientpratiquementnezànez.—Vousavezmaparole,Éva.J’emporteraisonsecretdansmatombe.
CHAPITRE8
Comment pouvait-elle avoir confiance en cet homme ?Bien qu’il disemaintenant le contraire, ils’étaitorganisépourladétruire.Lechangementquis’étaitopéréenluidepuislanuitqu’ilsavaientpasséeensemblen’étaitcertainementqu’unediversionpassagère.Desébatsenfiévrésnechangeraientrienaufaitqueleducétaitimpitoyable,égoïsteetarrogant.—Peuimportecequisepasseraentrenous,Éva,jenetrahiraipasCharlotte,dit-ilsérieusement,
commes’ilavaitluledoutedanssespensées.Unetellechoseseraitcruelle.Évahochalatête.—Merci,monsieurleduc.Troublée,ellereculadesorteàsetrouverhorsdeportée.— Je devrais y retourner avant que les demoiselles ne commencent à s’inquiéter, dit-elle en
détournantleregard.Elle ne pouvait pas supporter de voir ce duc vengeur diabolique sur les traits de l’homme qui
l’avaitaiméesipassionnémentletempsd’unenuitmagiqueetquil’avaitserréetendrementdanssesbrastandisqu’elledormait.Pendantuninstant,ellesentitlepoidsdesonregardet,àcontrecœur,levalesyeuxsursonvisage
encapuchonné. Sa posture était crispée et il serrait les dents. Un abîme s’était ouvert entre euxlorsqu’ilavaitadmisconnaîtrelamèred’Évaetellesavaitqu’illesentaitaussi.Nicholashochasèchementlatêteavantd’yrenfoncersonchapeau.—Bonnejournée,mademoiselleBlack.—Bonnejournée,monsieurleduc.Sansunregarddeplus,ill’abandonnadansl’obscurité.
•
Éva rentra chez elle quelques heures plus tard, épuisée. Elle avait laissé les femmes à l’école,ensevelies sous des boîtes de robes, de chapeaux et de gants, et avait profité de l’occasion pours’éclipser.EllesétaientheureusesdedépenserleursmaigreséconomiespourdesrobesetÉvas’étaitassuréequechaqueachatfûtraisonnable.Elleavaitmalauxpiedsd’êtrerestéedeboutpendantdesheuresinterminablesetsentaitlestensions
de la journée accumulées derrière son front.Harold ne lui avait pas adressé la parole de toute lajournée.Enrevanche,ilavaitenpermanenceaffichéunairrenfrognétandisqu’illesconduisaitd’uneboutiqueàl’autreetlesaidaitàporterleurspaquets.Elle se demanda s’il avait vu le duc entrer dans la boutique et s’il soupçonnait un rendez-vous.
Mêmesileurrencontreavaitmenéàdebrefsébatssurleplancherdel’arrière-boutique,ellen’avaitpasd’explicationsà luidonner.En tantqu’adulte, elleprenait sespropresdécisions.Si elle jugeaitnécessairedeprendreunamantdifférentchaquejourdelasemaine,ceseraitsadécision.Elleneluiavaitjamaisposédequestionssurseshistoiresd’amouretiln’avaitpasàs’inquiéterdessiennes.—Avez-vousl’intentiondemeparler,Harold,ouvais-jedevoirsubirvotresilencedésapprobateur
jusqu’àlafindemesjours?Elles’arrêtajusteàl’entréeduvestibuleetlevalatête.Lessourcilsblondsd’Haroldserejoignaient
presqueau-dessusdesonnez.—Vousferiezaussibiendedirecequevousavezàdire,qu’onenfinisse.Jenesupportepasce
silenceinfernal.—Vousfaitesuneerreur,grommela-t-ilenenlevantsonchapeau,dontilécrasad’unemainl’étroit
rebord.Monsieurleducvavousdétruire,Éva.Ilvaprendreetprendreencorejusqu’àcequevous
n’ayezplusrienàdonner,puisilvousquitteracommevotrepèreaquittévotremère.Qu’allez-vousfaireensuite?—Monpèreestmort,répondit-elled’untonbrusque.Cen’estpaslamêmechose.—Ahnon?Illapritparlecoudeetl’entraînadanslepetitsalon.Unefoislaportefermée,ilsetournaverselle.—Ilvousutiliseàsespropresfins.Nevousméprenezpas,Éva.Unefoisqu’ilauraconquisvotre
cœur,ildisparaîtrasanslaisserdetraces.—Mamèreetmonpèreétaientamoureuxetilestdécédé.Décédé!s’exclama-t-elletandisquela
colèremontaitenelle.Jenesuispasamoureusedemonsieurleduc.C’était lavérité.Elle serait follede tomberamoureused’unhommecomme lui.Sa fortuneet sa
conditionétaientsupérieuresauxsiennes.Ilchoisiraitcommeépouseunebelledesonproprerang.Évan’étaitqu’unediversiontemporaireetn’endemandaitpasdavantage.—Etjeneleseraijamais.—Vousleniezpourl’instant,maisqu’ensera-t-ildansunesemaineoudansunmois?Harold se frotta lamaincontre sa joue. Ily avaitplusieurs joursqu’ilne s’étaitpas raséet cela
commençaitàsevoir.—Mêmes’iltombaitamoureuxdevous,ilnepourraitpasvousépouser.Vouslesavez,poursuivit-
il en faisant les cent pas sans lui laisser le temps de répliquer. Sauriez-vous vous satisfaire d’unarrangement comme celui qu’avaient vos parents ? demanda-t-il avant de secouer la tête et de luilancerun regardnoir. Jevousconnais,Éva.Faire laputepour lui tout en sachantque saduchessel’attendàlamaisonvousrongeraitdel’intérieur.—Commentosez-vousfairepreuved’unetelleinsolenceenversmoi?s’écria-t-elle.Vousn’avez
pasledroit.—Ilfautbienquequelqu’unlefasse,rétorqua-t-ilenparcourantlapièced’unpasraide,lecorps
tendu.Vousêtessouslecharmeetnevoyezplusclairement.Sesparolesfrancheslacalmèrent.Elleserralesbrasautourdesatailleets’approchadelafenêtre.
Lesnuagess’amoncelaientdanslecieletunelégèrebruinesemitàtomber.Lagrisailledelajournéecorrespondaitbienàsonhumeurmaussade,pensa-t-elleenfixantlarueau-delàdujardintrempéparlapluie.Ellesavaitqu’Haroldavaitraisonet,encet instant,elleledétestaitparcequ’il laconnaissait trop
bien.Elledétestaitaussi le faitqu’ilétaitsonseulvéritableamietque,pourprotégersamère,elles’étaittantisoléequ’ellenepartageaitavecpersonnecetteproximitéhabituelleentrefemmes.Comment un homme pouvait-il parfaitement comprendre le cœur d’une femme ? Comment
pouvait-elle lui expliquer qu’elle s’était sentie vivante pour la première fois de sa vie pendant cesinstantsvolésdanslesbrasdemonsieurleduc?Elleavaitpartagéunepassionavecleduc,etce,sanspenser à samère, ni à ses courtisanes, ni à la manière dont elle devait étouffer ses soucis et sescraintes au quotidien. Elle s’était dénudée aussi bien physiquement qu’émotionnellement et,étrangement, elle avait fait confiance àmonsieur le duc cette nuit-là, tant en ce qui concernait soncorpsquesoncœur.—Jeneveuxplusenparler.Elleavaitenviedevomir.Parsonignoranceetsesaccusations,Haroldl’avaittransforméeenpute.
Bienqu’iln’yait euaucunéchanged’argent entre leducet elle, etqu’ilsn’aient convenud’aucunarrangement, elle avait couché avec cet homme sans recevoir de sa part ni mots d’amour nipromessesd’avenir.
Harold lavoyait commeelle refusaitde sevoir elle-même.Le faitqu’elleait cédéà la tentationavecmonsieurleducfaisait-ild’elleunepute?Àcetinstant,ellecommençaàcomprendresescourtisanesmieuxquejamaisauparavant.Elle les avait aidées, leur avait enseigné, leur avait trouvé des époux, mais elle n’avait jamais
vraiment compris, en tant que vieille fille vierge, ce qui incitait tant de femmes à choisir et àmaintenircestyledevie.Lanuitpasséeavecmonsieurleducluiavaitapprisàquelpointledésirpouvaitêtrepuissant.Son
corps,sinonsonespritetsoncœur,avaitsidésespérémenteuenviedelui.Mêmeencetinstant,ellebrûlaitd’enviedel’accueillirdanssonlit,desentirsesmainsjoueravecellejusqu’àluifaireperdrela tête.Elle avait envie de goûter sa peau, de le sentir la pénétrer longuement, profondément.Elleavaitenvied’entendresoncœurbattresoussonoreilletandisqu’elleétaitappuyéecontresontorseetqu’ildormaitàsescôtés,sonbrasautourd’elle.Elleauraitvouluoublierlejouroùilétaitapparusurlepasdesaporteetl’effacerdesonesprit.
Elle aurait voulu ne pas voir la déception dans les yeux d’Harold parce qu’elle avait offert soninnocenceàleurennemi.—Peut-êtrenevoulez-vouspasparlerdemonsieurleduc,maisjevoisdansvosyeuxqu’ilvousa
mislegrappindessus.Évaregardapar-dessussonépauleetvitHaroldattraperlapoignéedelaporteavantdesetourner
verselle.—Soyezprudente,Éva.
•
—N’oubliepaslebaldeLadyPenningtoncevendredi;lesBanes-Doddyseront.LamèredeNicholas,Catherine,triaitunepiled’invitationsquisetrouvaitàcôtédesonassietteau
petit-déjeuner.Ellelesséparaitenpilesselonleurimportance,commeellelefaisaittouslesmatinsdevantdespâtisseriesauxfraisesetdesœufstropcuits.—JesuispersuadéequeLucyestimpatientedeterevoir,montrèscherfils.Ilyadessemainesque
tun’asfaitactedeprésenceàaucuneréception.Nicholaslevalesyeuxdesonjournaletfronçalessourcils.Depuisqu’ilavaitperduArabella,faire
lacouràLucyBanes-Doddnel’intéressaitplus.Diable,depuisqu’ilavaitrencontréÉva,elleoccupaittoutessespensées,cequiavaitatteintunniveauobscèneaprèsqu’il l’eutemmenéedanssonlit.Enfait,ilavaitdumalàseremémorerlevisagedelabelleLucy.Il s’était donné tant demal, d’abord pour se venger d’Éva et ensuite pour la séduire, qu’il avait
reléguéauxoubliettestouslesautresaspectsdesavie.—Dessemaines?Ilsecreusalesneuronespourserappelerladernièrefêteàlaquelleilavaitassisté.Ils’agissaitdu
balmasquédesWilksbury, environunmoisplus tôt. Il s’était déguisé et avait danséplusieurs foisavecLucy,quiportaituncostumedebergère,ainsiqu’avecplusieursautresduchessespotentielles.Lasoiréeavaitétéassezplaisante,maisiln’avaitpastellementlatêteàfairelacour.Ilsetrouvaitalorsau beau milieu de sa quête pour retrouver Arabella. La soirée n’avait pas été particulièrementmémorable.Ilétaitsouventagitécesdernierstemps.Avecl’âge,l’excitationliéeauxplaisirsdelajeunesseavait
disparu;lejeuetlesrapportssexuelsdépourvusdesentimentsavecdesamantesdontilauraitoubliéle visage le lendemain ne suscitaient plus son intérêt. Bien qu’il ait fourni de grands efforts pour
devenir l’homme que son père voulait qu’il devienne, il savait qu’il y avait certaines choses qu’ilvoudraitfairedifféremment.—Tuesdistraitcestemps-ci,moncœur.Les yeux verts curieux de sa mère scrutèrent son visage. Elle posa une invitation sur la pile
appropriéeetsepenchaenavantpourmieuxexaminersonfils.—Onracontequetuaségarétamaîtresse.Nicholasgrimaça.Ilfaisaitànouveaulesfraisdesrumeurs.Ildétestaitcela.Maisjacasseràpropos
de choses dont ils ne savaient rien était un fléau propre aux gens de son rang. La succession descandalesdivertissaitlasociétéetlorsqu’iln’yenavaitaucunenvue,oninventaitdeshistoires.Lefaitquesamèrementionnesamaîtresseaupetit-déjeunerluifithausserunsourcil.—Jenel’aipasperdue,Mère.Nousnoussommesquittés.Àl’amiable.UnautrevisageremplaçaceuxdeLucyetd’Arabelladanssatête.Unvisagequ’ilferaitbienmieux
d’oublier.Samèren’avaitpasbesoind’êtreaucourantdecela.Auplusprofonddelui-même,ilsavaitbienquelafougueusemademoiselleWinfieldluicauserait
desennuis,qu’elleétaituneépinedanslepieddesaviebienrangée.S’ilvoulaitretrouverquelquepeularaison,ilvaudraitmieuxqu’ilsetrouveunnouveaupasse-temps.Etvite.— Tu n’as donc aucune intention de te jeter du haut d’un pont pour mettre un terme à tes
souffrances,ditsamère,dontleslèvress’étirèrent.Iljetaunregardàsonvisageencoreséduisant.Sescheveuxbrunsavaientcommencéàgrisonner,
mais son visage était toujours aussi joli. Les hommes se bousculaient pour parler à la riche etcharmante veuve. Ses malheurs passés la retenaient de se remarier tout comme une colonnevertébrale d’acier lui avait tenu la tête haute lorsque son mariage s’était effondré. Ses activitéssociales,sesœuvresdecharitéetl’éducationdesonfilslacomblaientpleinement.C’étaitsoncélibatquilatracassait.—Vouspouvezrassurerlescommères;jen’aiaucuneintentiondesauterversmamortdequelque
surfacesurélevée.Jamaisunefemmen’avaiteusuffisammentd’importanceàsesyeuxpourqu’ilconsidèrelamort
préférableàsaperte.Ilrepritlejournaletenparcourutlapage.—Enfait,j’assisteraiaubal,Mère.Ilestgrandtempspourmoideretournerensociété.
•
—Unejeunefemmeàlaportedésirevousparler,mademoiselleÉva.Lemajordomeâgédesamère,Edwin,jetauncoupd’œilrapideàlapâteentrelesmainsetsurles
bras d’Éva. Celle-ci se mettait à cuisiner quand quelque chose la tracassait. Cela la calmait et luipermettait de réfléchir en profondeur à ses problèmes. Aujourd’hui, ils ne manqueraient pas demichesdepain.—Elleprétendêtreuneparentequelconque,maisellerefused’endireplus,poursuivit-il.Une parente ?À part samère et des demi-sœurs qu’elle n’avait jamais rencontrées, il n’y avait
personnedontellepouvaitsetarguerd’êtreuneparente.Lafamilledesamèreétaitdécédéeetcelledesonpère,horsdeportée.Lacuriositélaretintderenvoyerlavisiteuse.—Installez-ladanslepetitsalon.Jevaismelaverlesmainsetj’arrive.
Évalaissa tomber lapâteetsenettoyalesmains, l’espritenébullition.C’était lemoisdesvisitesétranges.D’abord,monsieur le duc etmaintenant, une femmequi prétendait être unmembrede lafamilledisparudepuislongtemps.Éva était soulagée que samère dorme à l’étage. Si la visiteuse était réellement quelqu’un de la
famille,Évadécouvriraitlesraisonsdesonarrivéeimpromptueetimproviseraitàpartirdelà.Ellelissasarobedumieuxqu’elleputenépoussetantlafarine.C’étaitl’unedesesrobeslesplus
anciennes et elle était légèrement effilochée aux poignets, mais elle n’avait pas le temps de sechanger.Elle tapota ses cheveux, coinçauneboucle rebellederrière sonoreille etquitta la cuisineavecappréhension.EllecherchaHaroldduregardensedirigeantverslepetitsalon.Iln’étaitpaslà.Ellelesoupçonnad’êtrepartiàCheapsidepourvérifierquelescourtisanesallaientbien.Elles’arrêtadevantlaportedupetitsalonetpritquelquesprofondesrespirationspoursecalmer.Lorsqu’elleentradans lepetit salon, l’étrangèreregardait leportraitdesonpèreau-dessusde la
cheminée. Séduisant et imposant, ses yeux couleur d’ambre avaient une lueur amusée. Petite, elleadoraitceregard,commes’ilconnaissaitdeprofondsettroublantssecretsqu’ilchoisissaitdenepaspartager.Elleeutlecœurserré.Illuimanquaittellement.Toutefois,cefutlapetitesilhouettevêtuedegris
tourterellequiretintsonattention.Malgrélasimplicitédesacoupe,larobeétaitcoûteuseetlebonnetassortinecouvraitpasentièrementsescheveuxpâles.Dederrière,ilétaitdifficiled’évaluersonâge,maisÉvasedoutaitqu’elleétaitjeune.Évafitunpasdanslapièce,maisunevoixdoucequiprovenaitdesouslebonnetl’arrêta.—Ilétaittellementbeau,n’est-cepas?Ilparaîtquetuassesyeux,Évangéline.La femme se tourna lentement.Bien que son visage en forme de cœur fût dans l’ombre de son
bonnet, il était impossibledenepas reconnaître, sous le rebord, lesyeuxqui la fixaient.Desyeuxqu’Éva, son père et cette fille avaient en commun. Une rare couleur d’ambre foncé avec, si l’onregardaitd’assezprès,unetouchedoréeautourdespupilles.Lapiècetangua.Évatitubajusqu’àunfauteuilets’assit.Sagorgeseserraetsesmainstremblèrent.
Ellen’avaitpasbesoind’unactedenaissancepoursavoirqu’ils’agissaitdesasœur.Bienquecettefillen’aitpasdutoutlamêmecouleurdecheveuxqu’Éva,ellesseraientfacilementreconnuesparmiunefoulecommeétantapparentées.La question, c’était de savoir de quelle sœur il s’agissait et pourquoi elle était ici, surtout à ce
momentprécis.—Jecrainsdevousavoirbouleversée,Évangéline.Lajeunefemmeôtasonbonnetets’approchad’Éva.Elle ladépassaitdetroisàcinqcentimètres.
Sonnezmutinétaitparsemédequelques tachesde rousseuret saboucheétait légèrementcourbée.Elleétaitjolie.—Cen’étaitpasmonintention.J’avaispeurquevousrefusiezdemevoiralorsj’aicrupréférable
denepasannoncermonnom.Ellejoignitsesmainsgantées.Peut-êtretremblait-elleaussi.—JesuisNoëlle.Jesuisnéedeuxansavantvous.Notresœur,Margaret,estentrenousdeux.Elle
estlaplussérieusedesdeux.LesyeuxdeNoëlledansèrent.Detouteévidence,elleavaithéritédelanatureespiègledeleurpère.—Peut-êtreavez-vousbesoind’uninstantpourvousressaisir.Devrais-jefaireapporterduthé?—Non.Éva inspira profondément et secoua la tête pour chasser son malaise. Elle connaissait depuis
toujoursl’existencedeNoëlle,maislavoirassiseenfaced’elledanssonpetitsalonl’avaitébranlée.
—Je crains d’être confuse.Onm’avait laissé entendre que vous n’étiez pas au courant demonexistence,ouplutôtquevousnevouliezriensavoirdemoi.Jenesuispaslegenredefemmequ’unedameavecuntitrevoudraitavoircommeparente.Noëllehaussaunsourcilblondetpritunairperplexe.—Pourquoipas?Nousavonslemêmepère.Nousnesommespasàblâmerpourleschoixqu’ila
faits, dit-elle en souriant joyeusement. Je connais votre existence depuis des années parce que j’aisurprisuneconversationentremamèreettanteBéatrice.Ellejetauncoupd’œilauportrait.—Quandj’étaisenfant,mamèrerefusaitdemelaisservousvoir.Maintenantquejesuisassezâgée
pourprendremespropresdécisions,jedevaisvenirvousvoir.Évaeutl’impressionquesonmondes’écroulait.D’abordmonsieurleduc,etmaintenantuneautre
personneétaitsortiedel’ombrepourtoutmettreenpéril.Elleramaitàcontre-courantetétaitsurlepointd’êtreemportée.—Jecroisqu’ilseraitpréférablequevouspartiezetquevousnereveniezplus,ditdoucementÉva.
Vousn’avezrienàfaireici.Un éclair de douleur traversa le visage de Noëlle. Elle regarda longuement Éva, puis posa les
mainssurseshanches.Uneétincellededéfianceremplaçaladouleur.—Jesuisvenueiciàl’insudemamère,sanssapermissionetauméprisdel’avisdeMargaret.J’ai
toutrisquépourvousrencontrer,masœur.Etvousvoulezmejeterdehorsalorsquenousvenonsàpeinedenousrencontrer?Elletapadel’orteil.—Vouspouvezmefairesortirdeforce,maisjenesuispasprêteàprendrecongéimmédiatement.Cettefilleétaittêtue,unecaractéristiquequ’ellespartageaient.Elleétaitaussicharmanteetrebelle,
destraitsdecaractèrequ’Évaconsidéraithabituellementcommedesqualités.Sesproprestendancesrebellesavaientcédélaplaceauxresponsabilités.Éva sentit sa colère faiblir. Cela ne ferait pas de mal de découvrir si une raison plus obscure
motivaitsavisite.Pourpréparersadéfense,ilestutiledeconnaîtresesennemis.—VousêtesLadyNoëlleSeymour.Pourquoivoudriez-vousconnaître la filled’unecourtisane?
lui demanda Éva en joignant lesmains.Mon ascendance ne change rien aux circonstances demanaissance.Notrepèreatrompévotremère.Jenecomprendspaspourquoivousnememéprisezpas.Noëlleselaissatombersurunfauteuiletsoupira.Ellen’avaitvisiblementaucuneintentiondepartir
sans avoir dit ce qu’elle avait sur le cœur. Pour lui faire quitter l’immeuble, Éva aurait besoind’Harold,quiétaitabsent.—Sivousconnaissiezmamère,vouscomprendriezpourquoiilacherchéunlitpluschaleureux
ailleurs,réponditNoëlle.Mamèreestfroideetnepenseàpersonned’autrequ’àelle-même.Masœuretmoiétionssurtoutunfardeau,unepartdesesobligationspourcontinuerlalignéefamiliale.Ellearegrettéamèrementdenepasavoireuunfils.—C’esthorrible,répliquaÉva,compatissantemalgréelle.Samèren’étaitcertainementpasparfaite,maisÉvaavaittoujourssuqu’elleétaitaimée.Jamaissa
mèren’avaitexprimélemoindreregretquantàsanaissance.— Tout demême, si on vous trouvait ici, vous seriez ruinée. Le scandale ébranlerait la bonne
société.Évan’avaitrienàfairedelanoblessesnobinarde,maisellesavaitquesiNoëlleaspiraitunjourà
unmariageconvenable,elledevaitgarderleurliendeparentésecretetsaréputation,immaculée.
—Taratata,rétorquaNoëlleenbalayantl’airdelamain.Personnen’abesoindesavoirquenoussommessœurs.Nousn’avonsqu’àdirequenoussommesdescousineséloignéesquiviennentdeseretrouver.Quevousêtesvenuenousrendrevisited’uncoinreculéduNorthumberland.Lasociétén’apasbesoindeconnaîtrelavérité.Sesparolesrésonnèrentdanslatêted’Éva.—Vousnepouvezpassuggérerquenoussoyonsvuesensembleenpublic.Vousdevezavoirperdu
laraison.En vérité, Éva n’était pas certaine d’avoir réellement envie de connaître Noëlle, que ce soit en
publicouautrement.Elle avait l’impressionque la tornadequ’incarnait sa sœurpouvait lui causerbiendesennuis.Ilyavaitbeaucoupd’avantagesàêtreenfantunique.Noëllesecoualatêteensoupirant.—Jecrainsquel’aventuren’effraiemasœur.Jedoisdirequejesuisplutôtdéçue.Elleregardaautourd’elledanslapièceetportasonattentionsurunepetitefigurined’éléphant.—Saviez-vousquenotrepèreapassédutempsenIndeetenAmérique?Ilabeaucoupvoyagéeta
vubeaucoupdechoses.Ilétaitaventurierdanssajeunesse,ditNoëlle,dontlevisages’assombrit.Quepenserait-ildesafilles’ilsavaitqu’elleapeurdesonombre?Unevertèbreàlafois,Évaseredressa.— Comme vous ne savez rien de moi, vous ne pouvez pas porter un tel jugement. J’ai vécu
beaucoupd’aventures.Ellenepouvaitpasparlerdel’écoledescourtisanesnidesaliaisonavecmonsieurleducàsasœur.
C’étaitsessecrets.EllelançaunregardnoiràNoëlle.—Jevoussoupçonne,masœur,demelancerundéfiauquelvousmecroyezincapablederésister.Lajeunefemmeétaituneinconnueàtouslespointsdevue,maisquelquechosechezelleintriguait
pourtantÉva.ElleavaitunpetitcôtésauvageetÉvasoupçonnaitquesamère,LadySeymour,avaitenvaintentédeledompter.Aprèstout,elleavaitfaitletrajetdepuisleKentafinderencontrersasœurillégitime,etce,enprenantdegrandsrisquespoursafamilleetpourelle-même.En outre, l’idée de contrarier la femme qui leur avait presque volé l’allocation de son père lui
remontalemoral.LadySeymoursouffriraitd’unecrised’apoplexiesiellevenaitàdécouvriroùétaitsafilleaînée.Il n’en restait pasmoins qu’apprendre à connaîtreNoëlle en privé, c’était une chose.Quant aux
sortiesenpublic,jamaisellen’approuveraitunetellefolie.Ellesouritàsasœuraînée.— Prendriez-vous un peu de thé, Noëlle ? Je crois qu’il est grand temps que nous fassions
connaissance.Pendant presque deux heures, elles bavardèrent de tout, des détails de leur vie quotidienne en
passantpardeshistoiresdeleurpère.CommeÉvaneréussitpasàtrouverderaisonscachéespourexpliquerl’apparitiondesasœur,laréservequ’elleéprouvaitenverselles’estompapeuàpeu.Noëlleparaissaitsincèreetfranche.Elles rirent un peu, pleurèrent davantage et se découvrirent une véritable affection l’une pour
l’autre.ÉvaenappritunpeusurMargaretetcompritquelesdeuxsœursnepartageaientpaslemêmepointdevueencequiconcernaitleurdemi-sœur.ÉvanerencontreraitapparemmentjamaisMargaret.ConnaîtreNoëlleetpasserquelquesheuresavecelleluisuffisaientamplement.Plus tard, lorsqu’Évafutau litetque lamaisondevintsilencieuse,elleétaitheureuseetcontente.
Toutes ses inquiétudes s’étaient dissipées. Elle était persuadée que Noëlle serait satisfaite de leurrencontreetqu’ellerentreraitdansleKentpourreprendresavielà-bas.
Sansfairedemalàpersonne.
CHAPITRE9
Les plumes grattaient sur les parchemins tandis que les anciennes courtisanes additionnaient deschiffresetbalançaientdescolonnes.Évasepromenaitdel’uneàl’autre,telleuneinstitutriceguindéetoute degris vêtue.Apprendre aux femmes à faire la comptabilité était une entreprise inhabituelle.Toutefois,celas’avéraitunoutilprécieuxpourelles.Onnesavaitjamaisquandlamaîtriseducalculpouvaitserévélerutile.—Jen’yarrivepas, seplaignitRoseen laissant tomber saplumedans l’encrieret en fixant ses
paumesouvertesainsiquelestachesd’encresurplusieursdesesdoigts.Jesuisnulleencalculs.—Laisse-moivoiroùtuenes,Rose.Éva se pencha par-dessus son épaule et commença à additionnermentalement les chiffres. À la
moitiédelacolonne,elletrouval’erreur.—C’estlàqueçasegâte.Tuasmisunsixiciaulieud’unhuit.Rosesepenchasurleparcheminpourl’inspecter.—Hum.Ellerepritlaplumeetfitlacorrection.Uneminuteplustard,elleremitunefoisdepluslaplume
dansl’encrieretsefrottalesmainsensembleenjubilant.—J’airéussi!Évasourit.—Oui,tuasréussi.Etcommetuasterminél’exercicedefaçontrèssatisfaisante,j’aiunesurprise
pour toi,dit-elleavantdefaireunepausele tempsquetous lesyeuxse tournentverselle.Uncoupd’œildanslelivredesépoux.Roselâchaunpetitcriaigu.—Jesuissiimpatientederegarder!s’exclama-t-elleenbondissantsursespiedsetenjoignantles
mains.Jesuislapremière.Plusieurs regards jaloux la suivirent à travers la pièce. Éva s’approcha de la bibliothèque et en
retira le lourd volume. Elles avaient bientôt terminé leur instruction et étaient presque prêtes àprendreunpartenaire.ChoisirdesprétendantspotentielsétaitaussiexcitantpourlesfemmesquepourÉva.Ellecaressalacouverturedulivre.—Installe-toisurlecanapé,Rose.Rose se laissa tomber à l’endroit indiqué et tendit lesmains. Les lèvres d’Éva s’étirèrent. Rose
n’étaitpastimide.Celafaisaitpartiedesoncharme.Encequiconcernaitlesaventuresdelavie,cettefilleavaitautantd’enthousiasmequ’unchiotagité.—Ceciestlepointculminantdevotreapprentissage.— Pourquoi avez-vous fondé cette école, mademoiselle Éva ? demandaAbigail en trempant sa
plumedansl’encrier.— Eh bien, c’est assez simple, en fait, répondit Éva. Ce qui commença comme une simple
conversationausujetd’unamournonréciproqueaveclejeuneartistetimidequipeignaitleportraitdemamères’esttransforméenunmoyend’aiderlesjeunescourtisanes.Ilafalluplusieursannéesetd’innombrablesheuresdetravail,maisjesuisfièredurésultat.L’histoireétaitvraie.Elleomitlapartiesurl’histoiredesamèreetlafaçondontcelal’avaitmenée
là.Lesdeuxhistoiresmisesensemblel’avaientconvaincued’aiderlescourtisanesàtrouverl’amour,ainsiqu’uneéchappatoire.—Dites-nous-enplussurl’artiste,l’encourageaPauline.—IlsetrouvaitquemonsieurBennetétaitàlarecherched’uneépouseetqu’ilétaitprofondément
épris demademoiselleHale, qui était lamaîtresse d’un comte, poursuivit Éva en souriant. Je suis
intervenue etme suis découvert un don étonnant pour jouer les entremetteuses. Très vite, ils sonttombés éperdument amoureux.Le couple était tellement ravi demon travail qu’ilm’ademandédel’aiderà trouverunecompagnepourlefrèredemonsieurBennet.Grâceaubouche-à-oreille,ainsiqu’àuneséried’amisdemonsieurBennet,célibatairesmalheureuxdeleurétat,monécoleétaitnée.Maintenant,monsieurBennetmerecommandedesprétendantsetendessinelesportraits, tandisquemadameBennets’occupedeleurfamillegrandissantedecinqenfants.Bienentendu,c’estmoiquiailederniermotsurlechoixdeshommesquiapparaissentdanslelivre.C’étaitunpartenariattrèsbienréussi.Entroisansàjouerlesentremetteuses,ellen’avaitpasreçu
uneseuleplaintedelapartdesépouxouépouses.—Lorsquevousaurez toutes terminévoscalculs,ditÉvaenouvrant le livreaupremiervisage,
vouspourrezaussijeteruncoupd’œil.Cettedéclarationfutsuiviepar legrattementfurieuxdeplumessur lesparchemins tandisqu’Éva
tendaitlelivreàRose.Pendantquetoutlemondeétaitoccupé,Évaregardatouràtourchacunedesfemmes,notant tristement l’absenced’Yvette.Personnene l’avaitvuedepuis laveille,alorsqu’elleétaitsortiefaireunecoursesecrètedontellen’étaitpasencorerentrée.Éva savait qu’Yvette trouvait très difficile le passage du rôle de courtisane à celui d’épouse.
L’épreuvel’avaitamenéeàserepliersurelle-mêmedanslesdeuxderniersjours.Elleavaitvendusoncorpspendantsilongtempsqu’ellen’étaitpascertainequ’unevienormalepuisselasatisfaire.Malgrétout,Évaavaitfermementcruqu’Yvettedésiraittoujourschangerdevie.Maintenant,ellen’enétaitplussicertaine.Yvetteétait-elleretournéechezsonamantviolentsansledireàpersonne?Seloncequ’Évaavait
compris, il frappaitYvette quand il perdait une bourse au jeu. Lorsqu’une entreprise commercialetournaitmal, il lui faisait unœil au beurre noir ou lui fendait la lèvre. Toutes les raisons étaientbonnes pour passer ses frustrations sur elle. Yvette avait beaucoup souffert ; c’est pourquoi Évan’arrivaitabsolumentpasàcomprendrecommentellepourraitavoirenvisagéderetournerchezcethomme.Malheureusement,sonidentitérestaitunmystère.Yvetterefusaitdediresonnomlorsqu’onlelui
demandait.Sanscetteinformation,ilétaitimpossibledesavoirsiYvetteavaitrenouéavecluiounon.SelonSophie,Yvetteétantunefemmed’uncertainâgedontlacarrièretiraitàsafin,elleavaitsubi
lescoupsavecstoïcismejusqu’àcequ’elletrouvesoncheminjusqu’àlaported’Éva.—Jesuislasuivante!s’exclamaPaulineenposantsaplumeetsonparcheminpours’empresserde
prendreuneplacedechoixàcôtédeRose.Trèsvite,lesdeuxfemmessemirentàbavardergaiementenparcourantlesportraits.Éva s’approcha de la fenêtre et regarda de chaque côté de la rue déserte. Tandis que les jeunes
femmesgloussaientderrièreelle, elle sentit les ténèbresenvahir lecreuxde sonestomac.Quelquechose clochait à propos de l’absence d’Yvette. Elle le savait, le sentait, et était certaine que peuimporteoùelleétait,Yvetteavaitdegravesennuis.Dans une ville aussi grande que Londres, où devait-on commencer à chercher une courtisane
disparue?Siellesemettaitàsarecherche,Yvettevoudrait-elleêtreretrouvée?Éva savait qu’elle ne pouvait rien faire pour l’instant et qu’elle devait se concentrer sur les
courtisanes qui restaient. Elles ne s’inquiétaient pas encore pour Yvette et Éva savait qu’ellessuivraientsonexemple.Siellesemontraitcalmeetpersuadéequ’Yvettereviendrait,ellesferaientdemême.—Celui-ciesttrèsséduisant,ditAbigail.
Éva se tourna pour découvrir un trio de têtes penchées sur le livre. Le parchemin bruissaitlorsqu’ellestournaientlespages.Sophie,quieutbientôtterminésescalculs,sepenchapar-dessusledossierducanapépoursejoindreàelles.—Celui-cialesdentsinférieurestropreculées,maisiladesyeuxtrèsdoux,ditRose.J’adoreles
hommesquiontlesyeuxdoux.—Regarde celui-ci, répondit Sophie en pointant un visage et en plissant les yeux pour lire les
informations.Çaditqu’ilestavocat.Sonvisages’illumina.—Avocat?Ildoitavoirunejoliemaison.Sophie leva les yeuxversÉva, qui l’avait rejointe derrière le canapé.Éva jeta un coupd’œil au
livrepar-dessusseslunettes;celles-ciétaientenverretransparentetneservaientàrien.—Ilestbienavocat,acquiesçaÉva.Ils’agissaitdel’undeshommesqu’elleavaitchoisispourSophie.— Il cherche une femme d’une certaine maturité sans enfants pour s’occuper de sa maison et
l’accompagnerenvoyagelorsqu’ilrendvisiteàdesclients.Ilestassezfortuné.—Ilseraitparfaitpourtoi,Sophie,s’empressad’intervenirPauline.Jepariequ’ilafièreallureàla
cour.Sophietentadecachersonintérêt,maiselleavaitlesyeuxbrillants.Évaluienverraitsoninvitation
immédiatement.—Pourquoinemeferiez-vouspaschacuneunelistedeprétendantspotentiels?demandaÉvaense
dirigeant vers son secrétaire. J’enverrai les invitations la semaine prochaine, poursuivit-elle ensouriant aux femmes. Vous avez fait la preuve que vous êtes de bonnes élèves. Nous devrionsterminernosleçonsdanslesprochainsjours.À voir les femmesmaintenant, il serait difficile de reconnaître une ancienne courtisane dans le
groupe.Ellesétaientdécemmentvêtuesetdépourvuesdemaquillageainsiquedeparurestapageuses.Chacuneétaitdenaturecharmante,cequirendaittrèsagréableletempspasséenleurcompagnie.Éva avait le pressentiment que ses clients masculins seraient ravis de prendre pour épouse
n’importelaquelled’entreelles.
•
Harold conduisit Éva à la maison quelques heures plus tard, lui donnant des réponsesmonosyllabiquesetévitantderépondreàsesquestionsconcernantl’endroitoùils‘étaitrendu.Ilétaittoujoursencolèrecontreelle, et ellecontre lui,maispour l’instant, elleavaitd’autres soucisplusurgentsquelamauvaisehumeurdesondomestiqueetami.L’absenced’Yvettelarongeait.Pasuneseulefois,depuiscejouroùelless’étaientrencontréespour
leur première réunion, Éva n’avait pensé qu’Yvette regrettait son choix d’abandonner la vie decourtisane.Bienqu’elleeûtdeladifficultéàs’adapteràl’instruction,elleyétaitarrivéeetavaitréussisesleçonsdefaçonsatisfaisante.Danslesderniers jours,ÉvaavaitvuYvettesourireplusfacilementetellesemblaitmoinsamère
par rapport à sa situation. Bien que Sophie fût persuadée qu’Yvette ne faisait que s’ajuster auxrestrictionsdesanouvellesituationetqu’ellereviendraittrèsviteàCheapside,Évan’enétaitpassiconvaincue.—Oùestmamère?demandaÉvaàunedomestiquequipassait.
Ellefutdirigéeverslejardin.Elletrouvasamèreentraindesereposersousunarbre,nonloindesagarde-malade.Àl’arrivéed’Éva,madameBrownluifitunsignedetêteetretournaàlamaison.—Bonaprès-midi,machérie.Charlottesouritetpritlamaind’Évatandisquecelle-cis’asseyaitsurunechaiseauprèsd’elle.Sa
mèreavaitlesmainsfraîches.Évaremontasacouverturesurelledecraintequ’elleneprennefroid.Charlotteenfouitsesdoigtsdanslesplis.— Je ne pouvais pas supporter de rester uneminute de plus dansma chambre. Il fallait que je
respiredel’airfraisetquejevoielesoiseauxjouer.—C’estunejournéeparfaitepourça,acquiesçaÉva.Samèreétaittroppâle.Desmoiss’étaientécoulésdepuisladernièrefoisquecelle-ciavaitautorisé
Évaàlasortir.Ellepréféraitresterenferméedanssachambreavecsessouvenirs.—Lesoleilsecache,maiscen’estnitropchaudnitropfroid.Jecroisquel’étéserabientôtlà.Charlottehochalatête.—La saison va bientôt battre son plein.Avant, j’adorais assister aux fêtes, dit-elle en soupirant
tandisquesonregardsevoilait.Ilyavaittantdebellesrobesetd’hommesséduisantsavecquidansertouslessoirs.C’étaitextraordinaire.Les fêtes auxquelles samère était invitée n’étaient pas celles de la bonne société.Toutefois, elle
s’étaittenueenmargedelanoblesse.Cesfêtesetcesbalspouvaientêtretoutaussibien,sinonplusextravagantsencore,queceuxorganisésparuneduchesseouunecomtessefortunée.Évan’avaitpasdemalàimaginerqu’unefouled’hommessebousculâtpourdanseraveclabelleCharlotteRose.Samère était tombée amoureuse lors de son premier bal de courtisanes. Un seul coup d’œil à
l’élégantLordSeymour,lepèred’Éva,etsamèren’avaitplusjamaisdanséavecaucunautrehomme.—Jemesouvienscommevousaimiez lesfêtes,Mère,ditÉva.Pèresortaitsouventavecvouset
vousétiezsibelle…—Tut’ensouviens?—Oui,réponditÉvaenserrantsamaindanslasienne.Sesparentsavaientforméuncouplemagnifique.—Vousaviezunerobebleuerecouverted’unvoiletrèsfinparsemédeminusculesperlesenverre.
Elle était de lamême couleur que le ciel en été. Quand vousmarchiez, elle scintillait comme lesétoiles.Charlottehochalatête.—J’aitoujourscetterobe,réponditsamèreenlaregardantdanslesyeux.Jel’aigardéepourtoi.Évafuttrèssurprise.Larobedevaitêtreincroyablementdémodée.Ilétaitétonnantquesamèrel’ait
conservée.Peut-êtreétait-ceenraisondesbonssouvenirsquecela ravivait lorsqu’elle la regardait.Ellel’avaitportéelorsdel’unedesdernièresréceptionsauxquellessesparentsavaientassistéavantledécèsdesonpère.—J’adoreraisl’avoir,Mère.Seremémorantleurbonheur,Évaravalaseslarmes.Àcetteépoque,elleavaitenviéleuramour.La
souffrancedesamèreaprèsledécèsdesonpèreavaitjetéunvoilenoirsurcessouvenirs.—Malheureusement,jen’aiaucuneoccasiondeporterunteltrésor.— Oh, mais ça arrivera, ma chérie, répondit Charlotte en lui souriant d’un air rêveur. Je suis
certainequ’un jour, unhomme t’enlèverapour t’emmener dans son château.Tuporteras alorsmarobeettuterappellerascombientonpèreetmoiétionsheureuxilyasilongtemps.Éva sentit que sa mère lui glissait entre les doigts ; elle s’empressa donc de la retenir dans le
présent.
—J’airencontréquelqu’unquiprétendvousavoirconnuavantmanaissance.MonsieurleducdeStanfield.Lenoméclaircitleregarddesamère.—Nicholas?LeslèvresdeCharlottes’étirèrentetelleportaunemainàsajoue.—C’étaitungentilgarçon,tellementcharmant,maisunpeuturbulent,poursuivit-elleenregardant
Éva avec une étincelle dans les yeux. Il doit être devenu un dépravé irrésistiblement séduisant,maintenant.Évaeutl’impressionderougirdelatêteauxpieds.—Ilestséduisant,avoua-t-elle.Samèren’avaitpasbesoinqu’onluidécrivelesmusclessculptéssoussesvêtementsnil’expertise
aveclaquelleilutilisaitsoncorpspourpratiquerl’artdel’amour.C’étaitunsecretqu’ellegarderaitpourelle.Ellerésistaàl’enviedetirersursonhautcolettentad’oublierleslèvresmagnifiquesdemonsieur
leduc.Depuisquandlajournéeétait-elledevenuesichaude?Unairétrangesepeignitsurlevisagedesamère,suivid’unregardnarquois.—Monsieur le duc possède ici à Londres une demeure semblable à un château, Collingwood
House.Peut-êtreauras-tubientôtl’occasiondeportermarobe,aprèstout.Évaeutdumalàgarderunvisageserein.Lesimplefaitdepenseràmonsieurleducsuffisaitpour
quesapeausoitparcouruededélicieuxfrissons.Sisamèresentaitlamoindretraced’intérêtenverslui,ellenelalaisseraitjamaistranquille.—Nesoyezpasabsurde,Mère.Cen’estpasunchâteau.Cependant,c’étaitpresqueaussigrand;uncadreappropriépourunduc.—Nousne fréquentonspas lesmêmesmilieux, poursuivitÉva, qui ne fréquentait aucunmilieu.
Nousnoussommesrencontrésdeuxfois,toutàfaitparhasard.Rienquijustifiederesterassiseprèsdelaporteàattendred’êtreinvitéeàprendrelethéetàmangerdesgâteauxavecmonsieurleducetladuchessedouairière.Elle détestaitmentir au sujet de leur relation,mais elle ne pouvait parler à personne des heures
qu’elleavaitpasséesàfolâtreraulitavecleducnu.Ilétaitsuffisammentdifficiledesubirlesregardsnoirsmenaçantsd’Harold.SiCharlotteapprenaitqu’Évaétaitbrièvementdevenue l’amanteduduc,ellesemettraitentêtedesidéesfarfeluesdemariageestival.—Eh bien, je ne le rejetterais pas si vite commeprétendant, dit samère en bâillant derrière sa
main.Mafilleferaituneexcellenteduchesse.Soupirant,Éva tint sa langue lorsquemadameBrownvint chercher sapatiente.Lagarde-malade
aidasamèreàselever.—C’estl’heuredevotresieste,mademoiselleWinfield.Avecunsourire triste,Évaembrassa samère sur la joueet la regarda se frayerprudemmentun
cheminlelongdusentier.Évanepourraitjamaisêtreuneduchesse.Cetteidéeridiculeétaitleproduitdel’espritconfusdesamère.Lafilled’unecourtisanenepourraitjamaisdevenirduchesse.Enrevanche,celaluidonnauneautreidée.Siquelqu’unpouvaitl’aideràretrouverYvette,c’était
bienmonsieur le duc. Son détective n’avait eu aucunmal à découvrir les secrets d’Éva. Peut-êtreNicholas se laisserait-il convaincre de permettre que les talents de cet homme servent sa cause. IlfallaittrouverYvette,etvite.Sesentantsoudainpluslégère,Évas’empressaderentrersechangerafindemettrequelquechose
d’appropriépourrendrevisiteàmonsieurleduc.
•
CommeHaroldétaitabsentetqu’Évan’avaitpasenviequ’ilconnaissesadestination,aucasoùcelacauseraitunenouvelledispute,elledécidadelouerunfiacrepourlaconduireàlamaisondevilledemonsieurleduc.Elleespéraitqu’iln’étaitpasdéjàrentréàCollingwoodHouse.Ellenepouvaitpasluirendrevisiteàlarésidencedeladuchessedouairière.Il avait déjà mentionné une fois, lors d’un moment de calme, qu’il avait temporairement élu
domiciledanslamaisondevilledésertepoursesoustraireaupinaillagedesamère.Ellevoulaitqu’ilsemarieetqu’illuifassedespetits-enfantsàgâter.Laduchessel’encourageaitàcourtiserlesjeunesdemoiselles.Éva avait écouté en silence, tandis que la conversation l’avait rendue étrangement triste de ne
jamais pouvoir connaître les joies de lamaternité.Avant cemoment, jamais elle n’avait envisagéd’êtremère.Depuis,celaluipassaitsouventparlatête.Le fiacre ralentit. Le temps qu’elle se prépare à rendre visite au duc, la nuit était tombée, lui
donnant l’impression que l’obscurité réduisait les risques qu’elle soit découverte. Elle était unefemme non mariée qui rendait visite, sans chaperon, à un duc non marié. Non qu’elle eût uneréputationàpréserver.Cefutseulementaprèsavoirfrappéàlaportedelamaisondevillequ’elleserenditcomptequ’il
pouvaitêtreoccupéavecunefemme,oudesfemmes,sic’étaitcedontilavaitenvie.IlavaithébergéArabellaicietprobablementtouteunesériedemaîtressesavantelle.Etsûrementaprèselle,aussi.Depuis leur dernière rencontre, le duc était manifestement en colère contre elle. Il n’était pas
déraisonnabledecroirequ’ilait trouvéunefemmeavecuntempéramentplusagréable.Unhommecommemonsieurleducneresteraitcertainementpastrèslongtempssanscompagnieféminine.Cette pensée immobilisa la main d’Éva sur le heurtoir avant qu’elle ait le temps de frapper à
nouveau.Elletentadedémêlerlesoudainressentimentqu’elleéprouvaitàl’idéequemonsieurleducl’aitremplacéesirapidement.Elleétaitencolèreàlafoisparcequ’ellenes’enmoquaitpasetparcequ’ilpouvaitêtreentraindemordillerlesseinsd’uneautrefemmeencemomentmême.Une envie pressante de prendre la fuite lui avait fait faire demi-tour lorsque la porte s’ouvrit
brusquementsurleduclui-mêmequi,étonné,luilançaunregardnoir.—Éva?Ni un sourire accueillant, ni rien d’autre sur son visage froid ne laissait croire qu’il fût le
moindrementheureuxde lavoir.Ses cheveuxbruns étaient ébouriffés et sa chemise sortait de sonpantalon.Ilavaitlemêmeairquejusteavantdesedéshabilleràlahâtepourlajetersursonlit.Ilétaittoutàfaitpossiblequ’unefemmenueattendesonretour.Peinée,Évaravalasadouleur.—Jen’auraispasdûvenir.Jedevraism’enaller.Elle recula d’un pas. Il tendit le bras pour l’attraper par le poignet. Il lui fit franchir le seuil et
l’entraînadanslapénombreduvestibule.Lagouvernantes’approchadanslehall.Monsieurleduclarenvoyad’ungeste.—Vous avez déjà perturbéma soirée, dit-il sèchement, entraînant Éva dans son sillage. Autant
m’expliquerlaraisondevotreprésence.L’agacementl’envahit.Troisjoursplustôt,illuiavaitfaitl’amourpassionnémentetmaintenant,il
agissaitcommesielles’étaitprésentéeàsaportecouvertedeplaiespurulentes.Elleeutenviedeleluifaire remarquer,mais son inquiétude pourYvette lui fit tenir sa langue tandis qu’elle peinait à lesuivre.
Lorsqu’ilsfurentdanslabibliothèque,Évasetortillapourselibérerdesapoigneetpritquelquesrespirations apaisantes. Elle regarda autour d’elle et sentit une pointe de jalousie à la vue de cesétagèresquicouvraientlesmursdusolauplafond.Bienqu’ellen’aitpaseubeaucoupdetempspourliredernièrement,elleaimaitbienseperdredansdesuniversquin’étaientpaslesien.Sielleavaiteuunetellebibliothèque,elleneseseraitpeut-êtrejamaisaventuréehorsdesonconfort.—Jen’avaispasl’intentiondevousdéranger,monsieurleduc.Sansriendire,ilsedirigeaversunbuffet,seservitunverre,puiss’installadansunfauteuil.Ilne
luioffritnithénisiège.Detouteévidence,ilétaittoujoursencolèrecontreelle.Cequilamarqualeplus,cefutlesilencequirégnaitdanslamaison.Àmoinsqu’ilaitcachéune
femmequelquepartàunétagesupérieur,ilétaitseul.Celaluifiténormémentplaisir.Mais ses liaisons, ou leur inexistence, n’étaient pas le plus urgent de ses soucis. Elle n’était pas
revenuepourpartagersonlit;elleignoradoncsonregardnoiretredressalesépaules.—Jesuisvenuevousdemanderunefaveur.Pouruneaffairedegrandeimportance.Elleinspiraprofondémentpourralentirsonrythmecardiaque.—Unedemescourtisanesadisparu.J’aimeraisengagervotredétectivepourlaretrouver.
CHAPITRE10
Cette femme avait vraiment une colonne d’acier. Il fallait bien reconnaître cela : elle n’avait pasfléchisoussonregard.Mêmeaprèsqu’illuieutpromisdenepasrévélerlessecretsdeCharlotteetbienqu’elle l’eût laisséprendred’indicibles libertésavecsoncorps, ilétaitpersuadéqu’ellene luifaisaittoujourspasconfianceetqu’elleleméprisaitprobablementencoredetoutsonêtre.Pourtant,cettevieille fillecourtisaneétaitvenue luidemanderde l’aidemalgré tout.Elleétaitun
véritablecasse-tête.Envérité,Évaavaittouteslesraisonsdeneressentirriend’autrequedudédainenversluietilétait
soulagé de savoir qu’elle ne tomberait jamais amoureuse de lui. Il la désirait, mais sans plus. Siseulement il pouvait la convaincre de maintenir une relation charnelle sans attache, cela seraitmutuellementsatisfaisant.L’amourn’avaitpassaplacedanscegenred’arrangement.Ilfittournerlebrandydanssonverre.—Pourquoiaccepterais-jeuneentrepriseaussimalavisée?luidemanda-t-ild’unevoixneutre.Il avait espéré qu’après être devenue son amante, sa fouine entêtée aurait abandonné ses efforts
pour transformer lescourtisanesenépouses.Manifestement, il s’était trompé.C’étaituneraisondeplus pour limiter ses contacts avec Éva à ceux de type charnel. Ses idées étaient beaucoup troparrêtées.—Siunecourtisanechoisitderesteravecsonprotecteur,vousn’avezpasàinterférer.Ils avaient déjà eu cette discussion et le sujet aurait déjà dû être clos,mais Éva n’arrivait pas à
comprendre que ses actes ne changeraient rien à la coutume qui voulait que les hommes fortunésaientdesrelationshorsmariage.Leshommesavaienttoujourseudesmaîtresses.Uneseulefemmenepourraitpaschangerl’histoirenil’avenir.—Jecomprendsvotreréticence,monsieurleduc,bienquejetrouvevotreperceptionlégèrement
distordue.Lescourtisanesviennentàmoi;jenevaispasleschercher.Elles’efforçaitmanifestementdecontrôlersacolère.—Cependant, jene croispasqu’Yvette soit avec sonamant,monsieur leduc, poursuivit-elle en
portantunemainàsonfront.Illabattait.Ilfitclaquersalangue.—Enavez-vouslapreuve?Elle secoua la tête. Ses ravissantes lèvres se pincèrent. Il se remémora ce qu’il avait ressenti
lorsqu’ellel’avaitembrassé,luiavaitmordillélajoue,puisavaitcouvertsontorsedebaisers.Malgréle ton sérieux qu’elle employait, il banda et changea de position pour cacher la bosse dans sonpantalon.Ellelerendaitfou!—C’estplutôtuneimpression,répondit-elle.Ellelevasespaumesversleciel,suppliante.Ils’efforçadeseconcentrersurcequ’elledisait,maistoutcedontilavaitenvie,c’étaitluiarracher
sesvêtementsetlaprendredeboutcontreuneétagère.—Iln’yapasdemalàprouverquej’aitort.Uneimpression?C’étaitça,sapreuve?Lessentimentsembrouillaient toujours les interactionsavec les femmes.Celacommençaitdès la
naissanceetempiraitjusqu’àcequ’ilsoitlaplupartdutempsimpossibledelesraisonner.Elleétaitbouleverséeparcette…impression?— La femme a probablement trouvé un autre amant et est confortablement installée dans un
bungalowouunemaisondevilleoùelleseréjouitdesachance,répliquaNicholasenbalayantl’airdelamain.
Ilavaitdeschosesplusimportantesdesquellesdiscuter.Parexemple,commentsoulagerlatensiondanssonpantalon.Évaseraidit.—Jenecroispas,monsieurleduc.Nicholas expira bruyamment. Éva était un puits sans fond d’arguments. Elle pouvait argumenter
avecunhommejusqu’àcequ’ilaitenviedesependreavecsonfoulard.Detouteévidence,ilfallaittrouverautrechosepourluioccuperlabouche.Unefoisl’affairedela
courtisaneréglée,ilavaitquelquesidéesàcesujet.—SicetteYvetteestpartieetqu’elle s’estmisedans lepétrin,cen’estpasvotreproblèmeni le
mien,poursuivit-il.Ellefiniraparrevenir,peut-êtreunpeumalenpoint,maisprêteàreprendresesétudes.Sesétudes?Ilravalaungrognementprovoquéparsonchoixdemot.Commes’ilétaitpossiblede
changerlanatured’unefemme,d’unecourtisane,pourenfaireuneépouseconvenable.Ils’agissaitd’une idée absurde. C’était pour cette raison que la plupart des hommes n’épousaient pas leurmaîtresse.Celles-ciétaientnaturellementdépourvuesde ladisciplinemoralenécessairepour resterfidèlesàunseulhomme.Unhommedevaitêtreabsolumentcertainqu’ilétaitlepèredesespropresenfants.— N’avez-vous pas un seul gramme de compassion à l’intérieur de votre noble enveloppe
corporelle,monsieur le duc ? lui demanda Éva en haussant la voix.Vous considérez peut-être lesfemmes comme vous étant inférieures,maisYvette est une bonne personne et il y a des gens quis’inquiètentpourelleetpoursasécurité.Jenevousdemandepasdepayerdevotreorcetteentreprisemalavisée,commevousl’appelez.Jevousdemandesimplementdefairelesprésentations.Ce ne furent pas ses paroles méprisantes qui captèrent son attention, mais plutôt la façon dont
quelquesmèchesdecheveuxsoyeuxs’échappèrentdesonbonnetpourtomberenbouclesravissantesdanssoncou.Ellespendaientcontrelapeaulaiteuseau-dessusdel’encolurecarréedesarobesobre.Quelque chose dans sa chevelure léchée par les flammes le laissa à bout de souffle. C’était unecouleursirare.Sonérectionpressaitavectantdeforcecontresonpantalonquelescouturesétaientsurlepointde
céder.Lesouvenirdesonodeurdelilasetdeleursébatspassionnésluirevintavecautantdevivacitéques’ilsvenaienttoutjustedebatifolerdanssonlit.Elleparaissaitaussiguindéeetcoincéequ’uneinstitutrice,maisunefoissortiedesesvêtements,c’étaitunebêtesauvage.Sanslatoucher,illacontournalentement,penchantlatêtedetempsàautrepourinhalersondoux
parfum,gardantunminimumdedistanceentreeux.Illavitsecrisper,maisilsentaitqu’ellen’étaitpastotalementimmuniséecontrelui,lacolèremiseàpart.—Jecroisquejeseraisplusenclinàvousaidersivousportiezunpeumoinsdevêtements.Il réprima un sourire lorsque sa colonne se raidit sous une rangée de boutons miniatures. La
courbequ’elledécrivaitavaitétésculptéed’unemaindemaîtrepourservirdeguideàunesériedebaisers.— Je me trouve dans l’impossibilité de me concentrer sur votre détresse lorsqu’autre chose
préoccupemonmembre.Elleémitunsongravequiressemblaitàunmélanged’exaspérationetderage.Illavitserrerles
poings.—Vousêtes l’homme leplusénervantqui soit, répondit-elle en se tournantpour le regarder en
face.Elleavaitlesjouesrosesetlecoumarbré.
—Vousêtesagaçant,vexantetvil.Lavied’unefemmeestpeut-êtreendangeretvousnepensezqu’àsatisfairevosplusbasinstincts.Iltenditlebraspourluicaresserleventreduboutdudoigt.—Mesplusbasinstincts?Ilhaussaun sourcil et attrapa seshanchesàpleinesmains.Elle tentade reculer,mais il la tenait
fermementetsepenchapourpresserseslèvressursonépaule.—Vous n’allez pasme faire croire que votre courtisane constitue l’unique raison pour laquelle
vousêtesvenuefrapperàmaportecesoir.Vousavezautantenviederevenirdansmonlitquej’aienviedevousyretrouver.Ce n’était pas tout à fait vrai. En cemoment, il la désirait dix fois plus qu’elle le désirait. S’il
n’arrivaitpasàl’emmenertrèsviteaulitetàenroulersesjambesautourdeseshanches,ilrisquaitdangereusementderépandresasemencedanssonpantalon.MaisÉvaavaitd’autresprojets.Ellesetortillamaladroitementets’écarta,lelaissantlesbrasvides.
Ilseredressaetlaregardas’éloignerdequelquespasenbalançantleshanchesdefaçonaguichante.—Jecrois,monsieurleduc,quevousavezdepuistroplongtempsl’habituded’avoirtoujourstout
ce que vous voulez, répondit-elle en lui lançant par-dessus son épaule un regardmauvais, garantd’intentionsmalveillantes.Etpourtant,unsouriremalicieuxluiétiraitleslèvres.—Maismoiaussi,j’aidumalàrecevoirdesordres.Ilcroisalesbras.—Jen’avaispasremarqué.Une seule lampe éclairait le chemin d’Éva tandis qu’elle traversait la pièce jusqu’au fond pour
s’appuyercontresonsecrétaire.—Bienquepartagervotrelitsoitassurémentplaisantjusqu’àuncertainpoint,dit-elle,jecrainsde
neriengagnerenaccédantàvosdemandes.Ellelevalamainpourfaireglisserunmancheronsursonépaule,révélantainsidelapeaulaiteuse.Nicholasravalaungémissement.Elleavaitvuclairdanssonjeuetjouaitaveclui.Laquestionétait
simplementdesavoirjusqu’oùelleétaitprêteàallerpouravoircequ’ellevoulait.—Rien?Ilinclinalatêteetlabalayadelatêteaupiedd’unregardencoin.Contrairementàlapremièrefois
qu’elle lui avait rendu visite, elle ne portait que le minimum d’épaisseurs sous sa robe. L’étoffecouleurcrèmeflottaitautourd’elleetaccentuaitchacunedesescourbes.Ilbrûlaitd’envied’enfouirsesmainssoussesjupespourexplorerlatouffedebouclessoyeusesentresesjambes.—Jecrainsquevosgémissementsetvoscrisn’aientprouvélecontraire.Àlalueurdelabougie,sesjouesprirentuneteinteplusfoncéeetdevinrentrouge-rose.Cefutle
seulindicequ’ellegardaitunsouveniraussivifquelesiendelanuitqu’ilsavaientpasséeensemble.Pourtant,ellenefléchitpas.—Avez-voustoujoursétéaussiconvaincudevostalentsentantqu’amant,monsieurleduc?Ellehaussalesépaulesetuneautremanchetombad’uneépauleparfaitementblanche.— Peut-être n’ai-je fait qu’utiliser votre immense ego pour éviter que vous m’enleviez ma
demeure.Peut-êtreêtes-vousleseulàavoireuduplaisir.Cettefemmeavaitbeletbienunepairedecouillesenaciersoussaculotte.Ellen’étaitpaslemoins
du monde intimidée par son rang ducal. Son entêtement ainsi que son exaspérant besoin de lecontrariersurtoutdevenaientunvéritabledéfi.Ilavaitdécouvertqu’ellemettaitautantdepassionà
faire l’amourqu’àdéfendre ses courtisanes, samère et elle-même. Il n’avait jamais rencontré unefemmecommeelle.Toutchezelleétaituntourbillondecouleursetunamasdecontradictions.Chaquefoisqu’ilcroyaitl’avoirattrapéeetsoumiseàsavolonté,elleluiglissaitentrelesdoigtset
ledéconcertait.Pascettefois.—Iln’yavaitriendefeintdanslamanièredontvotrecorpsaréponduàmatutelle.Noussavons
aussibien tous lesdeuxquevousavezenviedemoi,dit-il avecun sourirediabolique. J’ai encorequelques toursàvousapprendre,Éva.Vousdevezmelaisser lachancedefaire lapreuvequevousmentez.
•
Évafronçalessourcils.Ilétaitimpossibledenierl’attiranceentreeux.Mêmeencetinstant,soncorpsdemandait qu’il la prenne avec une ardeur passionnée. Toutefois, elle n’était pas près de laissertomberlaraisondesavisiteparcequ’ildétournaitsonattentiondelasituationd’Yvette.—Sivousdésirez réellementmedonner ceque jeveux, vous accepterezdemeprésenter votre
détective.Ellesepenchaenavantsousleprétextedelissersajupeetleregardasouslecouvertd’unemèche
decheveux.L’attentionduducfutdétournéeverssondécolleté,oùsesseinsmenaçaientdedéborderdelabordurededentelle.Jamaisauparavantellenes’étaitabaisséeàutilisersoncorps,sescharmes,pourobtenircequ’elle
voulait,maissarelationavecmonsieurleducn’étaitpasunesituationordinaire.Sielledevaitattiserson désir pour elle afin d’obtenir les services de son détective, eh bien soit. L’époque où elles’accrochaitàsamoraleetàsavirginitéétaitrévolue.Illavoulaitet,pourl’avoir,ildevaitluidonnerquelquechoseenretour.EllepourraitregrettersadisgrâcequandYvetteseraitensécurité.Il l’observa pendant un long moment, mais ses yeux voilés ne laissaient rien paraître de ses
pensées. Le col de sa chemise en lin était ouvert et sesmanches étaient roulées jusqu’aux coudes,révélantdefinspoilsfoncéssursesavant-bras.Sonpantalonnoirluicollaitauxcuissesetmoulaitladurebossedesonérection.Àcettevue, labouched’Évadevint sècheet elle eutuneboufféedechaleur.C’étaitun sacrébel
homme,ténébreuxetdangereux.Sielledevaitnagerdansleseauxtroublesentresebattrepoursonâmeetréellementdevenirsacourtisaneoualorsluitournerledosets’enéloigneràjamais,ellenesavaitpascequ’ellechoisirait.—Jevousleprésenteraidemain,finit-ilpardireentresesdents,lesoufflerauque.—Merci,monsieurleduc,réponditÉvaenhochantlatête.Elle riva son regard au sien et s’avança lentementvers lui.Attiréepar son ardeur, elle seglissa
danssesbras,posalamainsursajoueetseléchalalèvreinférieure.—Vousdevezmaintenantmemontrercestoursquevousm’avezpromis.Elle se hissa sur la pointe des pieds, pressa ses lèvres contre les siennes et goûta le brandy.Un
instantplustard,ilrefermasesbrasautourd’elle,luipritlesfessesàpleinesmainsetlaserracontreson érection. Ce qu’il lui restait de réserve— de l’orgueil, en fait— s’envola lorsque ses seinsfrôlèrentsontorseaumomentoùilchangeadepositionpourlaserrerplusfortcontresonmembredurci.Évadétestaitlafacilitéaveclaquelleelleétaitdevenuesonamante,sacourtisane.Elledétestaitaussi
le fait qu’elle le désirait autant. Et pendant que leurs langues s’emmêlaient, elle savait qu’elle se
sentiraittoujoursvulnérablefaceàsaséduction.Bien qu’elle aimât croire qu’elle s’était retrouvée dans son lit de force et par crainte pour son
avenir,riendansleurarrangementn’exigeaitqu’elleprenneduplaisirdanssesbras.Sonplaisirétaituncadeauqu’illuioffrait.Nicholas tendit lamainpour libérersescheveuxdesonchignonet ilscascadèrentsensuellement
sur son dos.Elle savait que certains de ses traits étaient plutôt ordinaires,mais son extraordinairecrinièremêléedefeuavaitincitéunducàl’emmenerdanssonlit.— Je ne deviendrai pas votre courtisane, dit-elle doucement tandis qu’il menait une guerre
sensuellecontrelaconquearrondiedesonoreille.Il enmordilla le rebord,puis enfouit sonvisagedans ses cheveux. Il inspiraprofondément.Elle
soupiradoucement.— Un peu trop tard pour ça, mon cœur, répondit-il en couvrant son cou de baisers et en lui
mordillantlaclavicule.Sivouspréférezunautreterme,jen’aipasd’objection.Lorsqu’ellesentituncourantd’airfraissursesjambes,Évaserenditcomptequ’elleavaitperduses
chaussons,quesesjupesentortilléesentreleslongsdoigtseffilésduducremontaientlelongdesescuissesetqu’elleétaitarquéeau-dessusdusecrétaire.Ildesserrarapidementsoncorsageetlachairfermepritdesproportionsinquiétantes.Cethommeétaitbourrédetalents.Pendantquesaboucheétaitoccupéeaveclasienne,ilavaitréussi
àladéshabilleràmoitiésansmêmequ’elles’enaperçoive.Elleavaitsouventdiscutéavecsesjeunesfemmes de la nécessité de garder certaines parties de leur corps couvertes en tout temps. Etmaintenant, ses propresmamelons dépassaient de la dentelle crème de son corsage et elle en étaitextrêmementravie.Ellefutrongéeparlesregrets.Elleenseignaitàsescourtisanestoutcequ’ilyavaitàsavoirausujet
desconvenancesetceciétait totalementinapproprié.Cependant, leducn’avaitpasl’intentiondeluilaisser le tempsderepenser leurarrangement. Ils’agenouilladevantelleetrelevabrusquementsesjupesjusqu’àsataille.Exposéedemanièrescandaleuseàlalueurdesbougies,ellen’eutqu’uninstantpours’apercevoir
qu’elle était basculée sur le dos sur le secrétaire avant de sentir l’haleine chaude du duc sur sonclitoris.—Monsieurleduc,jevousenprie,vousnepouvezpas.Elleessayaderefermerlesjambes,maissatêteetsesépaulesl’enempêchèrent.Elleétaitpriseau
piège. Elle sentit ses doigts écarter les boucles et poussa un gémissement de protestation. De sonpouce,ileffleuralepetitbouton.L’éclairdeplaisirluicoupalesouffle.—Jepeuxlefaireetjevaislefaire.Ellesehissasursescoudesetleregardaavecétonnementremplacersonpouceparsalangue.Elle
crialorsqu’ilpritleboutondanssabouchepourlesucerdoucement.Latroublanteintimitédugestelafitretomberàlarenversesurlesecrétaireetellesemitàémettredepetitsgémissementstandisquesoncorpsréagissaitàsoncomportementoutrageux.Commesiellepouvaitensupporterdavantage,ilglissadanssonfourreauhumideundoigt,puisun
autre.Ellesecambra,lestalonsappuyéscontrelesecrétaire,tandisqu’illéchait,suçaitetl’entraînaitauborddelafolie.Lorsqu’enfinelles’abandonnatotalementauplaisir,ellecriasonnomettombaàlarenverse,soncorpsrepu.Monsieurleducneluilaissapasletempsderécupérer.Ilselevapourseplacerentresesjambeset
défitviolemmentlesboutonsdesonpantalon.Ellel’attiraverselleetillapénétrad’unmouvementfluide,s’enfonçantenellejusqu’àlagarde.
Évacalquasonrythmesurlesien.Elleavaitl’impressiondes’êtreenvoléeetdeneplussentirlesolsoussespieds.Ill’embrassa,luisuçotalesmamelonsetplongeaenellejusqu’àcequ’elleperdetoutenotiondutempsetdel’espace.Aumomentoùilpoussauncrirauqueetrépanditsasemenceenelle,ilss’effondrèrentensemble,s’écroulantsurlasurfacerigidedusecrétaire,àboutdesouffleetdeforces.—Jeneseraipasvotrecourtisane,dit-elled’unevoixendormie,lorsquelemembreramolliduduc
glissahorsd’elle.—Vousêtesdéjàmacourtisane,répondit-il.Il la souleva du secrétaire pour la porter jusqu’au tapis d’Orient près de la cheminée et la posa
doucement sur la surface moelleuse. Le risque d’être découverts par un valet ou une femme dechambre était réel, mais Éva n’arrivait pas à lever le petit doigt pour se couvrir. Elle souritdoucementen imaginant l’expressionmortifiéed’unoud’unedomestiquequiviendrait àpasser laporteettrouveraitÉvaétendue,sesjupesretrousséesautourdesataille,exposantàlavuedetousdespartiesqueseulunépouxdevraitvoir.Nicholastirasursesjupespourlesremettreenplace.—Merci,monsieurleduc.D’unemain,soitlaseulepartiedesoncorpsqu’ellearrivaitàbouger,elleluicaressalahanche.La
fraîcheurdelapiècerefroiditlefilmhumideetluisantquiluirecouvraitlapeau.—Cen’estrien,mademoiselleWinfield,répondit-ilaveclamêmeformalité.Évaserenditcomptequec’étaitlapremièrefoisqu’ill’appelaitautrementqu’Évaoumademoiselle
Black.Ellesupposaqueleurintimitéétaitaussitroublantepourluiquepourelle.Bienqu’ils’agissed’unhommeaveccertainsbesoins,ellen’avaitpasl’impressionqu’ilavaitl’habitudedecommettredesactesd’unetelle,euh,intimitésursonsecrétaire.Nicholasroulasursonflancetportaunemèchedecheveuxhumidesàsonnez.—Éva, jen’ai jamais séduitArabelladans cettepièce, si c’est la raisondevotregrimace, dit-il
avecunsourire.Enfait, j’aidécidédevendrecettemaisondeville.Unenouvellemaîtressemériteunenouvelledemeurepourelleseule.Elleplissa lenez.L’étrangefacilitéavec laquelle il lisaitsespenséesétait troublante.Si jamais il
perdaitsontitreetsafortune,ilpourraittrouverunemploidediseurdebonneaventureauseind’unetroupedebohémiens.—Danscecas,j’espèrequ’elleyseratrèsheureuse,monsieurleduc.Sonéclatderirerésonnaàtraverslagrandepièce.—Vieillesorcièreentêtée!Ilsepenchapourl’embrasser.—Salebêtearrogante,répondit-elleavecungrandsourire.Ilséchangèrentunlongbaiserintime.Ilétaitsirarequ’Éval’entendîtrirequ’ellegravalesondans
samémoire.Commeellepasseraitéventuellementdesannéessanslui,ellemémorisaaussisonodeur,lasensationdespointsrugueuxdesespaumeslorsqu’illacaressait,ainsiquelegoûtdeseslèvres.Etmême la façon dont ses sourcils se rapprochaient et qu’un profond sillon se creusait entre euxlorsqu’ilserenfrognait.Ellenevoulaitrienoublierdesonpremieretuniqueamant.Évamituntermeaubaiser.—Parlez-moidevotredemeure,luidemanda-t-elleenselaissantretombersurletapis.Unhomme
devotreconditiondoittrouverunemaisondevillecommecelle-ciplutôtcontraignante.Ilposasatêtedanssapaumeouverte.
—CollingwoodHouse?Mamèreetmoirésidonslà-baslorsqu’elleestenville,maisellepréfèredemeurerà lacampagne.Quand la saisonbat sonplein,elle seprécipiteàLondrespourassisteràdiversesréceptionsafindetrouvermafutureépouseidéale.Une épouse.Cemot lui retourna l’estomac.Évidemmentqu’il aurait une épouseun jour ; ils en
avaient déjà discuté.Nicholas avait presque dépassé l’âge auquel la plupart des hommes voulaientengendrer un tas d’héritiers. Et il lui était extrêmement difficile d’envisager l’idée que Nicholaspuisse reproduire les gestes scandaleuxde leur récente intimité avecune autre femme.Pourtant, ilavait eu des rapports sexuels avec d’autres femmes avant elle et continuerait d’avoir des liaisonsamoureusesunefoisqu’elledisparaîtraitànouveaudansl’ombre.Elles’efforçadeprendreuntonléger.—Eta-t-elleécréméunelistedejeunesbeautés?Ilhaussalessourcils.Elleespéraqu’ellen’avaitpaseul’airdetrops’intéresseràsavieprivée.Il
était plus facile de garder leurs interactions à un niveau purement physique. C’était la redoutablemalédictiondelacuriositéquil’avaitincitéeàposerlaquestion.Cen’étaitpascommes’ils’agissaitdel’uniquesujetpossible.—Oui.Etjesuisd’accordavecsonchoix,répondit-ilensefrottantlementon.S’il trouvalaconversationétrange,ilnelemontrapas.Ilétaitpossiblequ’ilaitdéjàeulamême
discussionavecArabella.Unemaîtresseconnaissaitsonrôle.Parlerd’uneépousenedevaitpasêtreinhabituel,bienquepeufréquent.Lesdeuxviesdevaientêtreetresterséparées.Curieusement,ÉvasentitunsoudainaccèsderessentimentenversArabellaetletempsqu’elleavait
passéavecmonsieurleduc.Ellesavaitquecesentimentétaitabsurde,maisellenepouvaitpasfaireautrement.—Avantledépartd’Arabella,j’avaisfaitdesavancesàLucyBanes-Dodd.Sonpèreencourageait
l’union,poursuivit-ilen tortillantunemèchedescheveuxd’Éva.J’aiétédistrait,dernièrement. J’aipromisàmamèrequejerecommenceraisbientôtàlacourtiser.Éva détestait le fait qu’elle étaitmaintenant d’humeurmaussade. Elle devrait changer de sujet et
parlerdutempsqu’ilfaisait.— Et Arabella ? lui demanda-t-elle plutôt. Auriez-vous maintenu votre relation avec elle après
votremariage?—J’enavaisl’intention.Sontonconfiantl’irrita;commesilefaitqu’ilpartagesonlitavecuneautrefemmen’allaitpas
dérangermademoiselleBanes-Dodd.Évasavaitqu’ils’agissaitlàd’unarrangementcommunchezleshommes fortunésetque leursépouses faisaient semblantdenepassavoiroù leursmarispassaientleur temps et dépensaient leur argent. Elle supposa que lorsqu’on se mariait pour des raisonséconomiquesetsocialesplutôtqueparamour,lesépousesétaientprobablementsoulagéesqueleursmarisassouvissentleursbesoinsavecd’autres.Sonpèreavaittrouvél’amouravecsamère.—Jamaisjenepourraisconsentiràunepratiqueaussiarchaïqueniaccepterquemonépouxtrouve
du réconfort dans les bras d’une autre, répliqua-t-elle. Si je me mariais, ce serait par amour. Jem’attendraisàunefidélitéainsiqu’àunedévotiontotales.Delargesépaulessehaussèrent.—Uneidéenoble,maisirréaliste,rétorqua-t-ilentendantlamainpourlaposersurlecœurd’Éva.
L’amour est pour les ballades et le théâtre.La plupart des femmes sont plus réalistes. Elles saventqu’un bon mariage peut faire la différence entre le confort et la protection ou la pauvreté. Vousrecevezuneallocationmensuelle.Sanscela,queferiez-vous?
Queferait-elle?Ellenepourraitpasaidersescourtisanes,pasplusqu’ellenepourraitsepermettrede garder samaison.En vérité, elle pourrait finir par s’engager dans une entente avec un hommecommemonsieurleduc.—Lesfemmessontesclavesdescapricesdeshommes,dit-elled’unevoixsibassequ’avantqu’il
hochelatête,ellenesavaitpass’ill’avaitentendue.—Jepeuxvousoffrirplusderichessesquevouspouvezl’imaginer,Éva.Ellehochalatête.—Enéchangedemonâme,monsieurleduc.Sonvisageperdittoutedouceuretsamâchoirepulsa.—Vousavezduplaisirdansmonlit,Éva.Nouspartageonsunepassionquelaplupartdesgensne
connaîtront jamais. Vous devriez me permettre de vous gâter comme je l’entends, comme macourtisane.Elle leregardadanslesyeuxsansarriveràcroirequ’ilvenaitpratiquementdelacompareràun
bien. Elle s’agenouilla. Elle avait presque oublié que, sous ses traits séduisants, ainsi que sesvêtements de travers à cause de leurs ébats, il s’agissait toujours du même homme qui avaitpratiquementditqu’Arabellaluiappartenait.Illavoyaitdelamêmemanière.Unetristessepassagèresemêlaàsacolère.—Jenevousappartienspasetnevousappartiendraijamais.Utilisezvotreargentetvoscolifichets
pourremplirlespochesdevotreprécieuseLucy.Toutcequejevousdemande,c’estunechancederembourserhonnêtementmesdettessansquevousmebrutalisiez,dit-elleenremettantbrusquementsoncorsageenplaceetenlevantsurluiunregardinsistant.Jepensequej’aibienméritécedroit.Évasedirigead’unpasraideverslesecrétairepourrécupérerseschaussons.Ellesepenchapourlesmettre,sereleva,puisserenditjusqu’àlaporte.Jamaisquelqu’unnel’avait
rendueaussifurieuse.Ilavaitledondelapiquerjusqu’àlarendrefolleavecsesopinions.— J’espère que vous connaîtrez beaucoup de bonheur avec votre Lucy et je lui souhaite la
meilleuredeschances,poursuivit-elleenouvrantlaportepoursortir.Elleenaurabesoin.
CHAPITRE11
—Es-tudevenuefolle?Évaregardaitsasœurensecouantlatête.Illuiétaitdéjàassezdifficiledecroirequ’elleavaitune
sœur qui désirait la connaître.Elle ne se laisserait pas entraîner à des fêtes auxquelles elle n’avaitabsolument aucune raison d’assister. Si quelqu’un venait à découvrir son identité, le scandaleretentissantruineraitsavie.Après saconfrontationavecNicholas laveille, ellen’étaitpasde lameilleuredeshumeurs.Elle
avaitenvied’êtreseule.MaisNoëllenevoulaitrienentendre.—Lesmembresdelanoblessecachentpeut-êtreleurvraienaturederrièredesportescloses,mais,
publiquement,ilssecramponnentàleursrèglescommeàdestalismansd’honneur,ditsèchementÉva.Jenet’accompagneraipasaubaldeLadyPennington.Noëlles’enfonçadanslecanapéetétenditlesdeuxbrasentraversdudossier.Sadispendieuserobe
devilleverteoccupaitlamajeurepartiedelasurfaceàmotifs.Ellebrillaitcommeuneémeraudeàlalumièrequiprovenaitdelafenêtre.—Maispourquoipas?Évalafixa,exaspérée.Noëlledevaitsouffrirdesurdité.Celasemblaitalleretvenir,enfonctiondu
sujetetdufaitqu’ellesoitd’accordounonaveclaquestion.Noëlleétaitimpossible.Elleaimaitdonnerdesordres,sefaisaitinsistanteet,souvent,luirappelait
leduc.Nil’unnil’autrenecomprenaitàquelpointelleavaittravaillédurpourlesprotéger,samèreetelle,desregardsindiscretsniàquelpointsessacrificesl’avaientisolée.Maisc’étaitsavieetellen’étaitpasprèsdetoutrisquerpourlecapriced’unesœurqu’elleneconnaissaitquedepuisquelquesjours.—Mamèreétaitunecourtisane,tutesouviens?réponditÉvaentendantlamainverssonthépour
enprendreunegorgée.Bienquesacarrièredecourtisaneaitétédecourteduréeetquesesamantssesoientlimitésànotrepère,mamèreétaitl’unedecesraresbeautésdontlesgenssesouviennentdesannéesaprèsqu’ellessontretombéesdansl’anonymat.LadyPenningtonneserapastrèsheureusequejemeprésenteàsonbalpourallerparader.Unéclairtraversalesyeuxcouleurd’ambre.—QuisauraquetueslafilledeCharlotte?TuesmacousineduNorthumberlandquejeviensde
retrouver, tu te souviens ? Nous avons récemment repris contact par correspondance et sommesdevenuesdegrandesamies.LadyPenningtonnemerefuserapasunedeuxièmeinvitation.—Tunepeuxpasenêtreaussicertaine.Voilà!Ladiscussionétaitclose.LadyPenningtonavaitunelisted’invitésbienpréparée.Elleétait
très sélective dans le choix de qui elle invitait et postait des valets à la porte pour éloigner lapopulace.Laseulemanièred’entreraubalsansyêtreinvitéétaitdepasserparunefenêtre.Etelleneferaitcelapourpersonne.—J’aicrucomprendrequeleslistesd’invitéssontsouventcomplètesdessemainesàl’avance.Noëlle sourit d’un air suffisant. Éva détestait vraiment beaucoup quand elle souriait d’un air
suffisant.—TantePennestmamarraine.Ellenemedirapasnon.Évaécarquillalesyeux.—LadyPenningtonesttamarraine?s’exclama-t-elle,bouchebée.Ce rapprochement avec sa sœur empirait. Éva ne savait pas que son père avait de si bonnes
relations.Samèreparlaitrarementdecetaspectdesavie.Elleaimaitparleruniquementdesmomentsoùilétaitavecelles.
LorsqueNoëllehochalatête,elles’enfonçadanssonfauteuiletsoupira.—Ettucroisqu’elleneposerapasdequestionsàproposdel’arrivéedecetteparentedontellen’a
jamaisentenduparler?Onditqu’elleestundragonquialacapacitédesoufflerdelafuméeparlesnarines.Lasituationavaittoutpourtourneraudésastre.—Ettamère?Ellen’auraqu’àregardermesyeux,lesyeuxdenotrepère,pourserendrecompte
delasupercherie.—Oh,tantePennnecrachepasautantdefeuqueleveutlarumeur.Ellepeutêtreunange.LacrinolinebruissalorsqueNoëlleseleva.Ellejoignitlesmainsettapasesdoigtsensemble.— Ma mère sera à Bath. Elle ne se sent pas très bien depuis quelque temps ; elle souffre de
migrainesetestenisolement.TantePennseconsidèrepeut-êtrecommeuneexpertedesfamillesdelanoblesse,maiselleneconnaîtpastoutlemonde.Notrepèreadescousinséparpilléspartoutjusqu’enÉcosse.Bienqu’ellesûtquel’idéedeNoëlleétaitabsurde,lapenséed’assisteràunbalprovoquachezÉva
unvifélandecuriosité.Ellen’avaitjamaisassistéàunefêteetencoremoinsàunbaldel’ampleurdecelui des Pennington. La plupart des journaux considéraient cet événement annuel comme le coupd’envoiofficieldelasaisonmondaine.Touslesgensimportantsyseraient,parésdeleursplusbeauxatours.Ils’agissaitd’unmondeinterditàÉvaetàsessemblables.Silanoblesseapprenaitsonhistoire,elle
seraitéviscéréeetdépecée.EllelevalenezetregardaNoëlleenfronçantlessourcils.—Personnenecroiraunehistoireaussiextravagante.Non,peuimporteàquelpointtumefusilles
duregard,jen’iraipas.S’ilyalemoindrerisquequ’ondécouvremonidentité,ehbien,jenepeuxpaslecourir.DesbruitsdepascouvertsdechaussonssedéplacèrentdelongenlargetandisqueNoëllesemettait
àfairelescentpas.L’estomacd’Évasenoua.Elleconnaissaitmaintenantsuffisammentsasœurpoursavoirquecelle-cin’aimaitpasqu’onluidisenon.Elleavaitdansl’œilunelueurdedéterminationinquiétante.Évasetintprêtepourunedispute.—Quiestaucourantdel’histoiredetamère,àpartlagouvernanteetHarold?luidemandaNoëlle.—Personne.Noëllerecommençaàfairelescentpas.Ellegesticulaitbeaucouplorsqu’ellemanigançaitquelque
chose.Évasedemandas’ilétaitdéjàarrivéquequelqu’unaitsurvécuaprèsluiavoirditnon.Noëlles’arrêtaetsetournabrusquementpourfairefaceàÉva.—Dans ce cas, comment quelqu’un pourrait-il deviner ? Tamère a pratiquement disparu de la
surfacedelaTerreetilyaplusdedixansqu’ellen’apasétévueenpublicaubrasdenotrepère.Noëlles’interrompitetsesyeuxs’illuminèrent.—Tu passeras la fin de semaine avecmoi à lamaison de ville ; ainsi, ta présence en tant que
cousineenvisiteseraétablieetacceptée.Puistudisparaîtrasànouveaudanslescontréessauvagesdunordaussivitequetuesapparue,sansquepersonnes’enrendecompte,poursuivit-elleensautillantdanstouslessenscommesiellevenaitdetrouverunremèdecontrelapeste.C’estgénial!Évasavaitqueseschancesd’échapperaucomplotétaientminces.Etceseraitfantastiquedepasser
dutempsdanslamaisonlondoniennedesonpère.Elles’étaittoujourscachée,misedecôté,restantenmargeducerclelumineuxdelabonnesociétéetdelafamillelégitimedesonpère.Passerdutempsentouréedesesbiensl’aideraitàserapprocherdeluiànouveau.—Etlecomteactuel?
Noëllesourit.—OncleArthuresten Indepourétudier lesplanteset lesoiseaux.S’iln’en tenaitqu’à lui, ilne
rentreraitjamaisenAngleterre.Sonhommed’affairespaielesfacturesetmamères’occupedetoutlereste.Misàpartlepersonnel,nousauronslamaisonpournous.Bienqu’ellesût,auplusprofondd’elle-même,qu’ellese tenaitdevantunevoiturequiavançaità
touteallure,Évan’arrivaitplusàrassemblerlavolonténécessairepours’écarterducheminetsauversapeau.Songoûtdel’aventuretroplongtempsignoréneleluipermettraitpas.Ilneluirestaitplusqu’àprierpouravoirdelachance.—Ilyauradescentainesd’invités,réussitàmarmonnerfaiblementÉva,dontlavolontés’effritait.
Peut-êtrevais-jepouvoirmeperdredans la fouleetpasser la soiréesansme faire remarquersi jeportequelquechosedesobre…Savoixs’éteignitlorsquelecriaigudeNoëlleluiperçalestympans.Pourunedamed’ascendance
royale, sa sœur ne se conduisait pas toujours de manière appropriée. Éva devrait lui offrir unexemplairedulivredeLadyWatershampourqu’elleleliselorsqu’ellen’étaitpasoccupéeàpréparerdemauvaiscoups.—J’ailarobeparfaitepourtoi,Éva.Jel’aiapportéehier.Évaluilançaunregardnoir.—Tuétaisterriblementconvaincuequejeconsentiraisàcettefolie,masœur.UnregarddanslesyeuxbrillantsdeNoëllesuffitàluiretournerl’estomac.
•
AprèsqueNoëllefutrentréechezellepours’occuperdelarobe,Évaséparasoigneusementunepartde l’allocationmensuellede sonpèreafinde ladonnerà lacuisinièrepour lesprovisionsetpourpayer sonpersonnel réduit.Ellemitdecôtéunepoignéede shillingsetquelquesautrespiècesdesrevenusde l’école, cequ’elle pouvait se permettre, pour faire unmodestepaiement àmonsieur leduc.Illuifaudraitdesannéespourremboursersesdettes,maisellerefusaitd’envisagerlapossibilitéqu’elle lui soit redevable jusqu’à la fin de ses jours. Elle arrivait à supporter le poids du fardeaufinancierenserépétantqu’unjour,elleenseraitlibérée.Elle avait rencontré le détective, monsieur Crawford, et rendu visite à Cheapside. Les femmes
s’inquiétaientmaintenant autant qu’elle à propos d’Yvette et Éva les avait rassurées en leur disantqu’elleavaitengagéquelqu’unpourchercherladisparue.Paulines’étaittordulesmains.—Jepensequ’elle est endanger,mademoiselleÉva,dit-elle, évitant son regard en regardant le
boutdeseschaussons.Jesaisqu’elleestendanger, termina-t-elled’unevoixquin’étaitplusqu’unchuchotement.Éva fut étonnée et toutes les femmes fixèrent la blonde plantureuse. Sa lèvre inférieure trembla.
Paulinesemblaitêtresurlepointdecraquer.—As-tuuneraisondecroireunetellechose,Pauline?Lacourtisanehochalentementlatêteetleslarmesluimontèrentauxyeux.—Lanuitoùelleestpartie,alorsquetoutlemondedormait,jesuistombéesurelledanslecouloir
àl’étage.Elleportaitsacapeetunpetitsacàmain,réponditPaulineenreniflantetens’essuyantlesyeuxd’unejointure.Ilétaitminuitpassé.Évaluitenditunmouchoir.—Oùallait-elle?
Paulinesemoucha.—Ellem’afaitpromettredeneriendire.Maisdanslescirconstances,illefautbien,répondit-elle
avantd’inspirerparsaccades.Ellevoulaitrécupérerdesaffairesdanssamaisondeville.Sonamantsemontraittrèsgénéreuxaprèsl’avoirbattue.Chaquefoisqu’illafrappait,illuiachetaituncolifichetpour atténuer son sentimentde culpabilité.D’unemanièrequelconque, elle avait entendudirequ’ilseraitdanssamaisondecampagnejusqu’àlafindumois.Ellepensaitqu’ellepouvaityretournerentoutesécuritésielleentraitetressortaitsanssefaireremarquer.— Oh, Pauline, dit Éva, en portant une main à son cœur serré. Tu aurais dû me le dire
immédiatement.Lafillesanglotaitdoucementdanssesmains.Rosepassaunbrasautourdesesépaulesetregarda
Évad’unairdésespéré.Éva leva les yeux vers Harold, qui se tenait dans l’embrasure de la porte, l’air sévère. Son
expression ne la rassura pas. Il était aussi inquiet qu’elles. Elle voulait l’envoyer tabasser l’amantmystérieux,maisn’avaitaucuneidéedesonidentiténidel’endroitoùletrouver.Elle avait l’impression que l’heure était grave. Si Yvette avait été mal informée et que son
protecteur l’avait surpriseà rôderautourde lamaisondeville, allez savoir cequ’ilpourrait fairesubiràsacourtisaneenfugue.—Jen’ai jamaisremarquéaucunecontusion,ditdoucementAbigailen tournantsonregardvers
Harold.Descernessombressouslesyeux,ellesemblaluidemandersilencieusementsonaide.L’inquiétude
pourYvetteavaitlaissédestracessursonvisage,commesurceluidetouteslesfemmes.Sophieacquiesça.—J’aidéjàeuunamantviolent.Jen’enaijamaisvuaucunsignesurYvette.Sanslesconfidences
quenousavonséchangées,jenem’enseraisjamaisdoutée.—Personnenes’endoutait,répliquaÉva.ElleseretournaversHarold.Siseulementilavaitétéavertiimmédiatementdesprojetsdangereux
d’Yvette,ilauraitpul’arrêter.—Harold,est-cevraimentpossiblequecetamantl’aitenlevée?Ilcroisalesbrasethaussalesépaules.—Jen’enaipasentenduparler.SielleestgardéeprisonnièrequelquepartàLondres,lesrumeurs
viendrontjusqu’àmesoreilles.Depuisqu’elleconnaissaitHarold,Évan’avaitjamaisdoutédesaloyauténiposédequestionssur
sonpassé.Maintenant,tandisqu’elleobservaitsonregarddur,ellesedemandaitsielleauraitdûuserd’une plus grande vigilance avant de s’empresser d’accepter cet homme dans sa vie. Il était faciled’oublierquel’âmedecertainshommescachaituncôtésombrequipouvaits’avérerfatallorsqu’ilsétaientcontrariés;uncôtésombreinvisiblejusqu’àcequ’ilsoittroptard.Pourtant,mêmeencetinstantoùellevoyaitunecolèrefroidepeintesursestraits,ellesavaitqu’il
neleurferaitjamaisdemal,niàelleniàsescourtisanes.C’étaitl’hommequiavaitenlevéYvetteetl’avait possiblement tuée qui était en danger. Harold prenait au sérieux son rôle de protecteur. Ils’assureraitdepunirquiconqueoseraittoucheràl’unedesesprotégées.C’étaitcequiinquiétaitÉva.—Jecrainsqu’unefoisquenousl’auronsretrouvée,nousnepuissionspasgrand-chosecontrele
coupable,ditsimplementAbigailensedétournantd’Harold.Lesrèglesnesontpaslesmêmespourceuxquiontdestitresetceuxquin’enontpas.Sisonamantestdehautrang,ilneserapaspuni,etce,
même s’il l’a tuée. Ses amis feront ce qu’ils pourront pour camoufler le crime. Personne ne sesoucieradelamortd’unecourtisane.L’amertumedanslavoixd’AbigailtroublaÉva.Elleseposadesquestionssurl’histoiredelajeune
femme.Pourêtrehonnête,Évane savait riend’ellenid’aucunedes femmesen réalité ; seulementquelques fragments d’informations partagés au hasard des conversations. Éva devenait rarementprochedesesprotégées.Lorsqu’ellesquittaientsabonnegarde,ellescommençaientunenouvellevieetlaissaientleurpasséderrièreelles.EtÉvafaisaitpartiedecepassé.Abigail s’était faite discrète et avait suivi sa formation sans se plaindre. Éva s’était souvent
demandé comment la belle silencieuse était devenue une courtisane et si sa colère envers lesaristocratess’étaitdéveloppéeavec l’expérience.Chaquefoisque l’unedesautresfemmesluiavaitposédesquestionssursavie,elleavaitsubtilementchangédesujet.—C’estvrai,mademoiselleÉva,confirmaSophie.J’aidéjàrencontréunefillequiétaitl’amante
deLordApplegate.Elleadisparusans riendireàpersonne.Une rumeurcirculait selon laquelle ill’avaittuéelorsd’unecrisedejalousieaprèsl’avoirsurpriseentraindeparleràunautrehomme.Ilya eu une brève enquête, puis on a laissé tomber l’affaire. Jusqu’à ce jour, elle est toujours portéedisparue.Éva aurait voulu contester ces accusations extravagantes.Toutefois, elles contenaient un fondde
vérité.Leshommescommemonsieur leducdevaientêtresurprisentraind’étranglerquelqu’unaubeaumilieudeGrosvenorSquaredevantunecentainedetémoinspourquejusticesoitfaite.Unesombreperspective,eneffet.Éva regarda ses protégées et lut une profonde inquiétude sur leurs visages. Bien que les cinq
courtisanes ne fussent pas toutes amies, elles avaient développé des liens au cours des multiplessemainesqu’ellesavaientpasséesàtravaillersurunobjectifcommun.Maintenant,l’uned’ellesavaitdisparuetellesvoulaientconnaîtrelefonddel’histoire.—Nousdevonstoutesprierpourqu’Yvettesoitensécurité,ditÉva.Elledevaitlesdistraire.—Mon,euh,amimegarantitqueledétectiveestexcellentdanssondomaine.Illatrouvera.ÉvasavaitexactementàquelpointmonsieurCrawfordétaitcompétent.Ilavaitréussiàdébusquerla
plupartdesessecrets.Lorsqu’ilauraitterminé,monsieurCrawfordconnaîtraitlasortedeconfiturequ’Yvettemettaitsursonpainainsiquesonparfumfavori.S’illuiétaitarrivémalheur,ilslesauraientbientôt.—Pourquoin’irions-nouspasprendre le thédans le jardin,Mesdemoiselles?C’estunesibelle
journée.
•
—Croyez-vousvraimentqu’Yvetteestenvie?demandaHaroldquelquesheuresplustardlorsqu’ilsarrivèrentàlamaison.Ilpritlacaped’Évapourlasuspendresuruncrochetprèsdelaporte.Desbruitsleurparvenaient
depuis la cuisineoù l’onpréparait le repasdu soir etuneodeurdecannelle flottait dans l’air.Lesbruits et les odeurs familières ne firent rien pour réconforter Éva. La journée avait été trèséprouvante.Ses tentatives pour attirer l’attention des femmes sur d’autres sujets n’avaient pas endigué les
spéculationsausujetdusortd’Yvette.Enchacuned’ellespersistaituneconstanteappréhensionsous-jacente.Tantquelesortd’Yvetteresteraitinconnu,personneneconnaîtraitlapaix.
Évalevalatêtepourleregarder.L’inquiétudepartagéeausujetdelacourtisanedisparueleuravaitoffertunebrèveetfragiletrêveletempsd’unejournée.Toutefois,ellesavaitqu’Haroldn’avaitpassurmontésonmécontentementenverselle.Soussasurfacestoïque,ilbouillaittoujoursderage.—Jenesaispas,répondit-elleenfaisantdemi-touretenleconduisantjusqu’aupetitsalon.J’espère
sincèrementlaretrouversaineetsauve.Cependant,jesuisinquiète.Sisonprotecteurestunhommeviolent,ilpourraitl’avoirpuniepouravoirtentédelequitter.Jeredoutel’intensitédesacolère.Retirantsonbonnetainsiquelesépinglesdanssescheveux,elleenlevasaperruqueetseslunettes,
puis lesposa tous lesdeuxsurune tablebasse.Harolds’accroupitpourattiser le feu.La lueurdesflammes la réchauffa un peu tandis qu’elle s’approchait du canapé afin de prendre place sur lescoussinsbourrés.Chezelle,ellesesentaithabituellementàl’abridesmauxquiassaillaientlavilleàl’extérieurdesesmurs.N’eût été la générosité de son père, elle aurait très bien pu finir comme Yvette ou n’importe
laquelledesescourtisanes.Maismaintenantquemonsieurleducbrandissaitsesdettesau-dessusdesatête,lamenaced’undésastreplanaitenpermanence.Unebrèche,puisuneautreavaientétéouvertesdans cesmurs qu’elle n’arrivait pas à construire suffisamment haut pour tenirmonsieur le duc àl’écartdesavie.—C’estma faute,ditHarolden se relevant.Si j’avaisétévigilant, ellene seraitpaspartie toute
seule.—Commentaurais-tupuconnaîtresesintentions?protestaÉva.Tunepeuxpasêtreconstamment
avec nos courtisanes. Elles doivent prendre leurs propres décisions. Même si tu t’étais douté dequelquechose,elleauraittrouvéunmoyendesortirendouce.Tunepouvaispasl’enchaîneràsonlit.—Si jen’avaispas étépréoccupépard’autres affaires, dit-il simplement, j’auraispasséplusde
tempsaveclesfemmesetj’auraissentiquequelquechoseclochait.Ilne l’accusaitpasdirectement,mais l’insinuation luipesait sur lesépaules.N’eûtétésa relation
avecmonsieurleduc,Haroldauraitpeut-êtrepu,selonlui,empêcherYvettedes’échapper.Deminusculescheveuxsedressèrentsursanuque.—Tunepeuxpasmeblâmerpourcequiestarrivé.Ellen’arrivaitpasàcroirequ’Haroldpuisseêtreaussicruel.Ellesesentitextrêmementblessée.Il
nepouvaits’agiruniquementdelapersonneavecquiellecouchait.Sacolèreaiguëdevaitavoiruneraisonplusprofonde,quelquechosequ’ellenecomprenaitpas.—C’estlafauted’Yvettesielleestsortieendouceaubeaumilieudelanuit.—Elles’estengagéedansunerelationavecunhommedontelleacru,àtort,qu’illaprotégeraitet
prendraitsoind’ellelorsqu’ellevieillirait,répliquasèchementHarold.Sesdéfensessonttombéesenvoyantsafortuneetsontitre.Ellen’apasvusacruautéavantqu’ilnesoittroptard.Maintenant,elleestpeut-êtremorte.—Nossituationsn’ontrienencommun,criaÉva.Elleaétéentraînéedeforcedanslasiennepar
descirconstancesqu’ellenepouvaitpassurmonter.Monsieurleducn’estpasunhommecrueletjeneluiappartienspas.—Etmonsieur le duc ? s’enquit sèchementHarold en s’appuyant contre la cheminée, le regard
noir.Quefera-t-illorsqu’ilenauraassezdevous,Éva?Vousmettra-t-ilàlaportedecettemaison?S’ilexigeleremboursementdesfacturesetquevousnepouvezpaspayer,votreprochaineadressesera-t-elleàlaprisondesdébiteursfautifs?—Monsieurleducapromisquemamèreseraittoujourschezelleici,répondit-elled’untonsec
tandisquelacolèrefaisaitremonterlabilebrûlantedanssagorge.Iltiendrasapromesse.—Vousleconnaissezsibien?demanda-t-ild’untonsarcastique.
Envérité,ellenesavaitpresqueriensurleduc.Lesdoutesqu’Haroldavaitexprimésressemblaientà ceux qui la gardaient éveillée presque toutes les nuits. Son avenir était devenu incertain, confus.Bienqu’ellecrûtqueNicholasprendraitsoindesamère,sesprojetsencequi laconcernaitétaientmoinsclairs.Dequeltyped’hommes’agissait-ilenréalité?Quesavait-elledelui,horsdesonlit?Sielleprenaituninstantpourpenserauxgensautourd’elle—Harold,Noëlle,monsieurleduc,les
courtisanes—,elleétaitentouréed’inconnus.Quesavait-elledechacund’entreeux?Ellelevalementonetrefusadesuccomberauxlarmes.Jamaisellenes’étaitautantsentieàladérive,sansbraspourl’aideràremonterdanslebateau.Si
seulement elle s’était permis de se rapprocher d’autres gens alors qu’elle grandissait, elle ne sesentiraitpasaussiseulemaintenant.—Çanevousregardepas,Harold.—Çanemeregardepas?fit-ilensecouantlentementlatêtetandisqu’ilrougissaitsousl’effetde
lacolère.Chaquejour,j’aipeurquevotremèreetvoussoyezplongéesdanslamisèreàcaused’uncapricedecethommeavecquivouscouchez.Vousa-t-ilpromisquoiquecesoit?Vousépousera-t-il?Faceàsonsilence,illevalesbrasauciel.—J’aifaitdessacrificespourveillersurvous,Éva,etvousditesqueçanemeregardepas?Dessacrifices?Évasentitsadéterminations’effriter.Ellen’avait jamaispenséqu’ilpuisseavoir
abandonnéune familleouunmétierpour resteravecelleetdevenir soncompagnon.Enrevanche,elle ne lui avait jamais demandé de faire des sacrifices pour elle. Peu importe ce qu’il avaitabandonné,ill’avaitfaitdesonpleingré.Harold était son ami, autant que cela puisse être possible, mais il était aussi son employé. À
l’instant, ellen’était pas certainede savoirquelHarold ellevoulait qu’il soit.En tantqu’ami, il sesentait libre d’exprimer son opinion. En tant qu’employé, il s’aventurait sur un terrain glissantlorsqu’ilétaitquestiondemonsieurleduc.Elleavaitdécidédedevenirl’amanteduduc.Bienqu’elleaitmisuntermeàleurrelation,monsieur
leducavait toujours lepouvoirdelaramenerdeforcedanssonlit,etce,mêmes’ilne l’avaitpasencorefait.Prévoyait-ilunenouvelleoffensivedeséductioncontresoncorpsavide?Connaîtrait-elleunjoursesintentions?SiHaroldfaisaitquoiquecesoitpourcompromettrel’équilibreprécairedesarelationavecleduc,
ilpourraitprovoquerdesdégâtsirréparablespoureuxtous.EllerenverraitHaroldavantdemettreenpérillasantéetlasituationdesamère.—Jenevousdemandepasdecomprendremesraisons,Harold.Ellessontpersonnelles,dit-elleen
se levantpour lui faireface.Toutefois,vousnedevezpasoublierceci :vousparlezdesacrifices ;moiaussi,j’aifaitdessacrifices.J’aimonemploi,mamèreetvous.Jen’assisteàaucunefête,jen’aipasdeviesociale.Jen’aijamaiseudeprétendantpourm’apporterdesfleursetm’inviteràfaireunepromenadedansleparcetjen’enauraijamais.Alorssijemepermetsdevolerquelquesinstantsdeplaisir dans les bras d’un homme, vous, plus que quiconque, devriez être en mesure de lecomprendre.Évan’attenditpasqu’ilréponde.Elleredressalesépaulesets’éloignad’unpasraide.
•
Haroldlaregardadisparaîtreetsentitsasouffrance.Laculpabilitél’empêchadelasuivre.Lejouroùil était venu à Londres et avait commencé à surveiller Éva, il avait tout laissé derrière lui.
Étrangement,letriodemalandrinsquil’avaitbattuetluiavaitvolésabourseluiavaitrenduservice.Ildevaittrouverunmoyendes’introduirechezellesanséveillerlessoupçons,cequesesblessures
luiavaientoffert.Etelleneluiavaitjamaisposédequestionssursonpassé.Ellel’avaitsimplementsoignéjusqu’àcequ’ilsoitrétabli,puisluiavaitoffertunemploichezelle.Cequiavaitcommencécommeunsimplecontratprofessionnels’étaittransforméenquelquechose
deplusprofond. Il s’était réellementattachéàÉvaetàCharlotte.Ellesétaient la famillequ’ilavaitperdue. Et il détestait la voir gâcher toutes ses chances d’être heureuse en se donnant au duc, unhommequil’utiliserait,puislarépudierait.Toutefois,ilsavaitàquelpointellesesentaitterriblementseule. Si seulement elle avait choisi un homme qui l’aimerait et s’occuperait d’elle pour toujours.Danscecas,ilneluireprocheraitpasunseulinstantdebonheur.Haroldsavaitqu’ildevraitsonner l’alarme,mais ilavaitpeurdesconséquencess’il révélait tous
lessecretsd’Éva.Ill’avaitdéjàtrahie,bienqu’ellenes’endoutâtpoint.Unefoisqu’ilauraitfaitsonrapport,saparticipationàcettemascaradeprendraitfinetilseraitlibrederentrerchezlui.Poursaconsciencedéjàtourmentée,leplusdifficileseraitdedémêlerlesfilsdelatrahisonetdeluidireaurevoir.Lorsqu’onluiavaitproposéd’enquêtersurmademoiselleWinfield,ilavaittentéderefuser.Maisil
étaitdansunesituationdésespéréeetsescoffresétaientvides.Onluiavaitoffertunevieconfortableenéchangedequelquesmoisdetravail.Avantqu’ilsesoitrenducomptedecequisepassait,ilétaitdansunevoitureendirectiondeLondres,habilléenvalet.Non.Pour l’instant, ilgarderait celapour lui.Évan’étaitpas réellementendangeretonpouvait
survivreàuncœurbrisé.NonquesonemployeursesouciâtdecequipouvaitarriveràÉvaouàsamère.Haroldtressaillit.Lui,ils’ensouciait.Tellequ’ilconnaissaitÉva,soncœurétaitdéjàépris.Elleavaitdonnésoninnocenceàcethomme.
Mêmesiellearrivaitàseconvaincrequ’elleenétaitcapable,ellenepouvaitpasséparersonespritdesoncorps.Bientôt,lorsqueleduclarejetterait,elles’effondrerait.Et il lui faudrait rassembler toutes ses forces pour ne pas se rendre à Collingwood House et
tabasserlesatanéduc.
CHAPITRE12
La robe de bal argentée était tellement jolie, semblable à une étincelle de lumière céleste, qu’Évafronça les sourcils devant son reflet. L’étoffe moulante épousait le haut de son corps comme sil’ajustementavaitprisdesheuresetseterminaitpardesmètresdesoieetdedentelledélicates,striéesducorsageauplancherdefinsfilsargentés.Tandis qu’Éva fronçait les sourcils, la couleur fit ressortir les reflets dorés et cuivrés de ses
cheveux remontés. Aucune féemarraine n’aurait mieux réussi à la transformer en princesse. Ellescintillait.Éva croisa le regardde sa sœurdans lemiroir.Noëlle était extrêmement satisfaited’elle-même.
Depuisqu’elleétaitarrivéeaveclarobesurlebras,ellen’avaitpascessédefredonner.—C’estcequetuconsidèrescommesobre?Noëlle,resplendissantedansunerobeensatinrose,sourit.Sescheveuxblondsétaiententortillésà
l’arrièredesa têtedansunecréationélaboréesur laquellesafemmedechambreavaitdûpasser lamoitié de l’après-midi. Des boucles d’oreilles en rubis pendaient de ses lobes et des épinglesincrustéesdecristauxscintillaientdanssescheveux.—J’ai fait enlever les rubanset lesbouclespar lamodistepour la rendreplus simple, expliqua
Noëlleenhaussantlesépaules.Elle se plaçaderrièreÉva et se penchapar-dessus son épaule.Un léger parfumde rose émanait
d’elle.—Tuescharmante.Moi-même,jen’auraispasputrouvermieux.Évaplissalesyeux.—C’esttoiquil’astrouvée.Tendantlebrasversunpotdepoudre,Noëllegloussa.—C’estvrai,n’est-cepas?Jedoisvraimentavoirdugoût.—Ettuesmodeste,enplus,masœur.Sortantdesabouche,leterme«sœur»neluiparaissaitplusétrange.Ellesseules,ainsiqu’Harold,
connaissaient leurliendeparenté.Lesdomestiques,à l’instardesamère, l’avaientcruelorsqu’elleavaitprésentéNoëllecommeunenouvelleamie.Éva savait qu’elle devrait courir à sa garde-robe et en sortir l’un de ses ternes déguisements de
vieillefille,maisellen’arrivaitpasàseconvaincredelefaire.Ellen’avaitjamaiseul’occasiondeporterunecréationaussiraffinéeetlavanitél’emportasurtouteenviedel’enlever.—Avecmamagnifiquesœuràmescôtés,ilseraimpossibledepasserinaperçuedanslafoule,dit
Éva.Tousleslionsdanslafosseselécherontlesbabinesd’anticipation.Laseulechosequ’Évapouvaitfaire,c’étaitprierpournepastombersurleduc.C’étaitlabêtela
plusférocedetoutes.—Sottises, réponditNoëlleenposant lepot.Lesseulsàbavercesoir seront les fervents jeunes
mâlesquisupplierontpourqu’ontelesprésente.Évasemordillalalèvreinférieure.Lamauditevoixdelaraisons’élevaittandisquesarésolution
des’amuseraubalfaiblissait.Dejeunesmâles?Était-elleàlahauteurpourlaséductionetladanse?Samaladressefaited’inexpériencelescouvrirait-elledehonte,sasœuretelle?Ellen’auraitpasdeformidablechaperonderrièrequisecachersielleavaitbesoind’un instantpourse ressaisirousesauverd’unprétendanttropzélé.Harold lui avait promis de flâner à l’extérieur avec le carrosse, au cas où elle aurait besoin de
s’éclipser envitesse.À l’intérieur dumanoir, elle serait seule avecNoëlle pour uniqueprotection.Cettepenséenefitrienpourlarassurer.
Et simonsieur le duc assistait au bal ? Il n’était pas impossible qu’il y soit. Il se cherchait uneépouseetilyauraitlàbeaucoupdejeunesfemmesparmilesquelleschoisir;toutunpoulaillerremplidepoulettesdebonnesfamillesquiroucouleraientpourattirersonattention.SimademoiselleBanes-Doddrefusaitsonoffre, iln’auraitqu’àtendrelebraspourqu’unedouzainedejeunesdemoisellesquinepensaientqu’aumariagesebousculentautourdesaqueue-de-pie.Elle fronça les sourcils davantage. Il rirait, danserait et choisirait une épouse sans même lui
accorderune seulepensée.Elle,Éva,n’avait absolument aucune importancepour sonavenir ; ellen’étaitqu’unemaîtressefacileàremplacerparuneautrelorsqu’ils’enlasserait.Lefroncementdesourcilssetransformaenunregardnoir.Soudain,iln’yavaitrienqu’elledésirâtdavantageàcetinstantqueseprécipiteraubalpourséduire
tousleshommesentrevingtetquatre-vingtsansqu’ellecroiserait.Mauditsoitleduc.Évatouchalesminusculesbouclesd’oreillesendiamantsqu’elleavaitempruntéesàsamère.Celle-
cilesavaitportéeslesoiroùelleavaitrencontrésonpère.Charlotteavaittoujoursconsidéréqu’ellesportaientchance.Siquelqu’unavaitbesoindechancecesoir,c’étaitbienÉva.EllesependitaubrasdeNoëlle.—Onyva?
•
DesbougiesscintillaientàtouteslesfenêtresdesdeuxpremiersétagesdumanoirPenningtonlorsquele carrosse de Noëlle s’arrêta derrière une file d’autres carrosses. Éva jeta un coup d’œil par lafenêtrepourvoir leblocenbriquesdequatreétagesquiprojetait sonombre sur lesmaisonspluspetitesquil’encadraientdepartetd’autreduchicGrosvenorSquare.L’enthousiasme initial d’Éva s’était quelque peu refroidi lorsque Noëlle s’était mise à pointer
chacunedesmaisonsdevantlesquellesellespassaientetàdonnerunebrèvedescriptiondesfamillesquileshabitaient,ycomprisdeCollingwoodHouse,deuxpâtésdemaisonsplusloin.Ellen’avaitrienàfairedanscetuniversetellelesavait.Voirl’immensedemeuredeNicholasluiconfirmaunefoisdeplusqu’ellen’auraitjamaissaplaceàsescôtés.Lesfemmesd’ascendancedouteusen’osaientpasrêverdetelleschoses.ElleavaitgardéunvisageimpassiblelorsqueNoëlleavaitparléduséduisantduccélibataire,mais
soncœuravaitpalpitédangereusementdanssapoitrinetandisqu’unmalaiselarongeaitjusqu’auxos.Noëlleétaitl’imagemêmedelasérénité,maisÉvaétaitunevéritablebouledenerfs.Touslesgensimportantsducercle restreintde labonnesociétéassisteraientàcebal. Ilyserait,ellen’endoutaitpas.Lerisquequecechâteaudecartess’écrouleetqueNoëlleseretrouveàramasserlesdégâtsn’était
pasfaible.Simonsieurleducdécidaitderévélerqu’elleétaitsamaîtresse,riennepourraitsauvernil’unenil’autredesdeuxsœurs.—Jecroisquenousdevrionsmettreuntermeàcettefolieavantqu’ilnesoittroptard,ditÉvaen
portantsesmainsjointesàsabouche.Nouspouvonsrentreràlamaisonetmangerdesgâteauxauxfiguesjusqu’àcequelescouturesdenosrobescèdent.Noëlleôtaunepeluchedesacape.—Sottises. J’ai lachanced’exhibermacharmante sœuret j’ai l’intentionde le faireavec fierté.
Bienentendu,tuserasprésentéecommemacousine,maisj’ainéanmoinsl’intentionderiregaiement
et de danser jusqu’à en avoir mal aux pieds. Ensuite, nous mangerons du faisan bien gras et deshuîtresgraveleuses jusqu’àdevoirenlevernoscorsets.Etsiunséduisant jeunehommemebaise lamain,jeglousseraicommeunedindeetbattraidescilsjusqu’àcequ’ilsoitdésespérémentépris.Éva gloussa. Noëlle était comme un vent violent qui s’infiltrait dans les corniches. Il était
impossibledenepasselaisseremporterparletourbillon.Lecarrosseavançaunpeu.Noëllesepenchaparlafenêtre.—Le temps d’arriver à l’avant de la file, le bal sera terminé. Les invités ne pourraient-ils pas
prendreunpeumoinsleurtempspourdescendre?—Patience,Noëlle.Nousysommespresque.ÉvaobservalevisagesereindeNoëlle.Était-ilpossiblequeNoëlleespèrequ’ellesoitdécouverte
etruinée?C’étaitunedrôled’idée,maiscelaexpliqueraitcertainementsonapparitionsoudainesurlepas de la porte d’Éva ainsi que son insistance pour qu’elle l’accompagne ce soir. Ou peut-êtreespérait-elle scandaliser son insensible mère. Y avait-il un meilleur moyen d’y arriver que de sepavanerdansLondresavecunesœurillégitime?EllelevaversNoëlleunregardpénétrant.—Sincèrement,Noëlle,pourquoifais-tuça?Jenesuisriendeplusqu’unsecretembarrassant,le
résultatdesindiscrétionsdenotrepère.Pourtant,tuesprêteàtoutrisquerpourmetraitercommeuneprincesse,cesoir.Pourquoi?Noëllelaregarda,l’airétonné.Aprèsunmoment,ellesouritdoucementdanslapénombre.—Tuesmasœur.Peuimportetonascendance,tufaispartiedemafamille.—Ildoityavoirautrechose,protestaÉva,biendécidéeànepasdescendredececarrosseavant
d’avoirobtenudesréponses.Dis-moiquelleestlavéritableraisondecepetitjeu.Avecunsoupir,Noëllesepenchaenavantpourattraperlamaind’Éva.—Monpèreetmamèresedétestaientetseparlaientrarement,saufpourdemanderàl’autredelui
passer quelque chose à table. Jeme suis souvent demandé siMeg etmoi n’étionspas les filles dujardinier.Ellesemorditlalèvreinférieurepourl’empêcherdetrembler.—Tamèreetnous,sesfilles,étionssajoiedevivre.JenepeuxpasenvouloiràCharlottedelui
avoirprocurédesmomentsdebonheur.Alors,oui,jerisquegrospourprétendrequetufaispartiedelafamille.Jerefusequ’ilensoitautrement.Heureusement,l’obscuritécachaleslarmesquimiroitèrentdanslesyeuxd’Évalorsqu’ellesourit
etsecoualentementlatête.—Tuesunejeunefemmeexceptionnelleetmerveilleuse,Noëlle.Noëllesouritdetoutessesdents.—Tunevoudraissurtoutpasquejechange.Évainspiraetlâchaungrandsoupir.Elleserralamaindesasœur.—Non,eneffet,jenevoudraissurtoutpasça.
•
L’odeur suffocante de parfum et de milliers de fleurs, dont les vases débordaient, fit légèrementchancelerÉvatandisqueNoëllelaguidait,brasdessusbrasdessous,verslasalledebal.Lehallétaitpleinàcraquer:leshommesétaientparésdeleursplusbeauxatoursetlesfemmes,vêtuesderobesauxcolorisvifs,commesichacuntentaitdesurpasserlesautresencouleuretenstyle.
Évaeutdumalànepasresterbouchebéecommeuneidiotedevantlehautplafondpeintenbleupâle, dont la surface était parsemée de nuages blancs cotonneux. Quel que fût l’artiste, il avaitbeaucoupde talent.Éva avait presque l’impressionque lemanoirPenningtonn’avait pasde toit etqu’elleregardaitlecield’unebellejournéed’été.—Cettedemeureestunvéritablepalais,dit-elleens’approchantdel’oreilledeNoëlleafind’être
entenduepar-dessuslesdouzainesdevoix.—C’estgrandiose,réponditNoëlle,quis’agrippafermementàellelorsqu’unhommevêtudebleu
paonlesfrôlaenpassant.TantePennalesensduspectacle.L’annéedernière,elleainsistépourquetouteslesfemmesinvitéessoientvêtuesderougeetleshommes,denoir.C’étaitstupéfiant.—Jeveuxbienlecroire.Évajetaunderniercoupd’œilauplafondavantqu’ellesquittent lehall.Elleauraitpupasserdes
heurescouchéesurledossurleplancherenmarbreàsimplementrêvasserenregardantlesnuages.—Tuvoiscethommelà-basquiparleavecunefemmequiadesplumesvertesdanslescheveux?
demandaNoëlleenpointantdiscrètementderrièresonéventail.Évaregardadansladirectionindiquée.L’hommeétaitgrandetminceetavaitdestraitsrésolument
enfantins.—L’annéedernière,mamèreainsistépourquejelelaissemecourtiser,jusqu’àcequeMargaret
lesurprennedansunepositioncompromettanteavecundenosvalets.Ilsonttousdeuxétérenvoyéssanstropdedifficultés.Maintenant,mamèreaabandonnél’idéed’essayerdememarier.Ellecroitquenotresœurconstituesonseulespoird’avoirdespetits-enfants.Il était impossible d’imaginerNoëlle enceinte jusqu’auxyeux.Noëlle se disait souvent inapte au
mariageetsatisfaitedelaisserlerenouvellementdelapopulationaurestedelasociété.Cefutautourd’Évadelataquiner.—Jenerenonceraispassiviteauxhommes,masœur.Tupourraisbienentrouveruncesoirqui
t’enlèvera pour t’emmener dans son château, où tu passeras ensuite le reste de tes jours à ajoutergaiementunebrancheàsonarbregénéalogique.Noëllegrimaçaetbalayarapidementduregardlecouloirdevantlasalledebal.—J’auraisplusdechancesdeme faire frapperparuneétoile filante.Leshommespréfèrent les
femmesquiboivent leursparoles à cellesquimettent endoute tout cequ’ils disent, répliqua-t-elleavecunclind’œil.Mamèreditquejesuisimpossible.Lesdeuxsœursgloussèrent.—Là-dessus,tamèreetmoisommesd’accord,lataquinaÉva.Ellesattendirentqu’unefamillenombreuseseretrouveàl’avantdelafile,puisseglissèrentdansla
salle de bal derrière elle sans être annoncées.Éva croyait que c’étaitmieux ainsi.Bien qu’elle fûthabillée comme une scintillante étoile de Noël argentée, moins elle attirerait l’attention sur elle-même,plusellesauraientdechancesdesurvivreàlasoirée.Ç’allaitêtresonpremieretdernierbaldanslahautesociétéetelleavaitl’intentiond’enprofiterau
maximum. Malheureusement, elles n’avaient fait que quelques pas dans l’immense salle de ballorsqu’unevoixretentitàtraverslafoulepourinterpellerNoëlle.Évaseraidit.—Tevoilà,trèschère.Une femmed’âgemûrvêtued’unecréationvaporeusevert foncé recouvertededélicatedentelle
doréecontournaplusieursgroupesd’invitéspourvenirseposterdevantNoëlle.—J’aieupeurquetusoistombéemalade,Noëlle,dit-elleavechumeurenluiprenantlesmains.Je
croyaisquetuarriveraistôtpourm’aideràaccueillirmesinvités.Noëlleselaissaembrassersèchementsurchaquejoue.
— Je suis navrée, ma tante, répondit-elle en reculant d’un pas pour désigner Éva.Ma cousine,Évangéline, vient tout justed’arriverde la campagne.Nous avonsdû lui trouver à la hâtequelquechosedeconvenableàporter.Une paire d’yeux de faucon, dans lesquels il y avait une bonne dose de doutes, se fixèrent
brusquementsurlevisaged’Éva,quicompritpourquoioncomparaitLadyPenningtonàundragon.Elleétaitformidablementimposante.Évaserralesfessesets’efforçadegardersoncalmemalgrésonregardterriblementperçant.—Évangéline?Tun’aspasdecousinequis’appelleÉvangéline.—C’estcequidonnetoutsoncharmeàlasituation,matante.Noëlleglissasonbrassousceluid’Évad’ungesteprotecteur.Elless’appuyèrentlégèrementl’une
surl’autre.—Jevienstoutjustededécouvrirque,justeavantdemourir,l’oncleEdwards’étaitmariéensecret
après tante Bess. Un cousin, Roderick, est né de cette union. Le cousin Roderick a épousémademoiselle Éloïse Solomon et Évangéline est leur fille unique. Malheureusement, les parentsd’Évasontdécédésilyaquelquesmoislorsqueleurbateauachaviré.C’estseulementaprès,parunelettrearrivéeenretard,quej’aieulebonheurd’apprendrequej’avaisuneautrecousine.Évaréussitàsemordrelesjouespourprendreunairsombre.Elleavaitenviederiredusérieux
aveclequelNoëlleavaitprésentécemensongeextravagant.—LadyPennington,laissez-moivousprésenterÉvangélineHarrington.Le regarddeLadyPennington transperçaÉva comme si elle voulait creuser enprofondeur à la
recherchedetoutetraced’imposture.Évasavaitqu’aussitôtqu’elleauraituninstant,ladameenverraitenvitesseunenoteà lamèredeNoëllepourobteniruneconfirmation.Mais ilétait trop tardpourqu’ellelefassecesoir;Évaétaitdoncensécuritépourlemoment.Et comme il était difficile de prouver qu’il s’agissait d’unmensonge, il n’y avait qu’une seule
chosequeLadyPenningtonpouvaitfaire,entantqu’hôtesseconfrontéeàunenouvelleconnaissanceétroitementapparentéeàNoëlle.—Bienvenuechezmoi,mademoiselleHarrington,dit-elleavecunsourirepincé.J’espèrequenous
auronsletempsdefaireconnaissanceplustarddanslasoirée.—Avecplaisir,réponditÉva.CelaluiplairaitautantquedesedévêtirpourdansernuedanslesruesdeLondres.Ellepritnotede
setenirbienloindeLadyPennington.Celle-ci fronça les sourcilset lançaun regardnoir suspicieuxàNoëlleavantdes’éloignerpour
saluerdesinvitésquiarrivaient.Onauraitditquel’airs’étaitallégéetqu’ilétaitplusfacilederespirerenl’absencedudragon.—Penses-tuqu’ellenousacrues?demandaÉvaenjetantàsasœurunsceptiqueregardencoin.Noëllepinçaleslèvres.—Pasuneseconde.Leursrirescombinésfirenttournerplusieurstêtes.Éva passa la majeure partie de l’heure suivante à naviguer parmi les connaissances de Noëlle.
Commecelle-cipassaitlaplupartdesontempsdansleKent,sesamislesplusintimesétaientaubal.Évaseconduisitd’unemanièrequ’elleespéraitdigneetgracieuse,reconnaissantepourlesleçonsquesamèreluiavaitdonnéeslorsqu’elleétaitenfant.Charlotteavaitignoréquelgenredevieattendraitsafille, mais elle avait voulu qu’Éva puisse s’adapter même aux situations les plus grandioses. Ellejouaitdoncavecaisancelerôled’unecousinedelacampagne,unedamed’ascendanceimpeccable.
Lorsqu’unjeunehomme,raisonnablementséduisantmalgrédeuxdentsdetraversàl’avant,enlevaNoëlle pour l’emmener danser, Éva se sentit légèrement mal à l’aise. Plusieurs paires d’yeuxmasculins se tournèrent dans sa direction, mais elle représentait toujours une curieuse nouveautéqu’ilsnesavaientpastrèsbiencommentaborder.Elleacceptadoncunverredepunchoffertparundomestiquequipassaitparlàetlaissasonregard
erreràtraverslafoule.Éva s’imprégna des rires et de lamusique, de la vue des jolies robes et d’hommes en tenue de
soirée,ainsiquedel’odeurdesbougiesetdesfleurs.Elletapadel’orteilsousl’ourletdesarobeenattendantimpatiemmentquel’undesjeuneshommesaitlecouragedel’inviteràdanser.Elleavaittrèsenviededanser.Par hasard, tandis qu’elle regardait par-dessus le rebord de son verre à la recherche d’unœil à
croiser, la foule s’écarta l’espace d’un instant et elle aperçut une silhouette imposante. Son cœurs’arrêta.Ungrandhommeennoir,dosàelle,étaitenconversationavecunepetitebrunettevêtued’unerobe
rosepâle.Lafilleluisouriaitgentiment,commesichaquemotquis’échappaitdesaboucheétaitlachoselaplusfascinantequ’elleavaitentenduedanssacourtevie.Évaenfitrapidementabstraction,carc’étaitlescheveuxbrunsetleslargesépaulesducompagnon
delafillequiluiavaientcoupélesouffle.Elleavaitpasséassezdetempsensacompagnie,avecetsansvêtements,pourleconnaîtreintimementsoustouslesangles,soustouslesplansciselés,sculptésetmusclés.Monsieurleduc.Telunlapinconfrontéàunchienquipasse,ellenesavaitpassielledevaitfuirouresterimmobile
enespérantpasserinaperçuedanslahorde.Malgrélesbouclesd’oreillesdesamère,ellen’eutpasdechance.Ilsetournaensouriant,puissefigea.Depuisl’autrecôtédelapièce,illafixaduregardettoutetracederiredisparutdesprofondeurs
vertes de ses yeux. Elle eut unmalaise, se sentit rougir et fut rongée par la culpabilité. Elle avaitfranchilafrontièreinvisibleentreleursdeuxmondesetellesutàlaformemenaçantedeseslèvresqu’ilétaitfurieux.Elleperdittoutenotiondetempsetd’espacelorsqu’ellesetournaprestementpoursedirigervers
lesportesouvertesquidonnaientsurlaterrasse.Sanss’arrêterdanssonélan,ellefourrasonverredanslamaind’unedomestique.Évaavaitàmoitiécontournéunarbreenpotetn’étaitqu’àquelquespas de la liberté lorsqu’unemain se referma autour de son bras. Elle se tourna pour faire face àNicholas.—Que faites-vous ici,Éva? siffla-t-il ense servantde soncorpspour lesprotégerdes regards
curieuxdesinvitésquitraînaientautourd’eux.Sansluilâcherlebras,ill’entraînadel’autrecôtédesportes.Saluantd’unsignedetêtenonchalant
uncoupleappuyécontrelabalustrade,illapoussasurlaterrassejusquedansuncoinsombre.—Êtes-vousfolle?Elleétaitréellementfolle.Elleétaitdansuncoinsombredelaterrasse,àunbaloùellen’avaitrien
àfaire,avecunhommequiconnaissaitsoncorpspresqueaussiintimementqu’elle-même.Quelquesjoursplustôt,ilavaitenfouisonvisageentresesjambesetluiavaitdonnéunorgasmestupéfiant.Rougissant,ellehochalentementlatête.—Manifestement.Nicholasexpirabruyamment,puispointadudoigtendirectiondelasalledebal.
—Vous rendez-vous comptequede l’autre côtéde cesportes se trouventma future épouse,mamèreetpratiquementtouslesgensquejeconnais?Ainsi,labrunetteétaitbeletbienlaparfaiteduchesseendevenir,LucyBanes-Dodd.Lafemmequi,
bientôt,partageraitsonlit,organiseraitsesfêtesetoffriraitàmonsieurleducunekyrielled’enfantsbien élevés et extrêmementbeaux.Elle serait pour lui tout cequ’Évanepourrait jamais être : uneépouseetamanteouvertementadorée.Unevaguedefollejalousiel’envahit.Ilavaittoutcequ’ilvoulaitetelle,ellen’avaitrien.Elleavait
passélamajeurepartiedesavieàl’intérieurdesademeure,incapabledejouirdesplaisirsfrivolesdont profitaient la plupart des jeunes femmes de son âge. Jusqu’à maintenant, elle n’avait jamaisvraimentregrettéseschoix.Ilneluigâcheraitpassasoirée.— J’ai parfaitement le droit d’être ici, chuchota-t-elle en essayant de reculer, mais un treillis
couvertdevigneluibarralaroute.J’aiétéinvitée.—Invitée?Nesoyezpasabsurde.Ill’attrapaparlesbrasetsepenchaverselle.Sachaudehaleineluieffleuralenez.—LadyPenningtonn’invitepasdecourtisanesàsesbals.Ellesentitunélandecolère,ainsiquededouleur,latraverser.Évidemment,àsesyeux,ellen’était
qu’uneputeindigned’êtremêléeàsesnoblesamisetàsafamille.Elleétaituniquementdignedesonlitetderiend’autre.Etilenseraittoujoursainsi.Ellesemorditleslèvrespourlesempêcherdetrembleretlevafièrementlementon.—Jenesuispasvotrecourtisane.
•
Laprofondedouleurqu’il lutdanssesyeux leprit audépourvu. Iln’avaitpaseu l’intentiond’êtreaussicinglantetcruel,maiscelaluiavaitfaitunchocdelatrouverdanslasalledeballesoiroùilavaitprévudedemanderlamaindeLucy.Ilavaitétéméduséetavaitfaillitomberàgenouxdevantsabeautédélicate,encadréeparlesrefletsargentésdelalumièresurlesfilsdesarobe.Elleétaitàcouperlesouffle.Àl’instantoùill’avaitvue,Lucys’étaitfonduedanslatapisserie.Tout
ce qu’il avait en tête, c’était entraîner Éva dans un endroit isolé où il pourrait lui enlever sesvêtements.—Éva,je…Lesmotsluimanquèrent.Ilvenaitcarrémentdelatraiterdepute.Commentpouvait-illuiexpliquer
qu’elle était devenueplusqu’unecourtisaneà sesyeux?Qu’ellevolait sesnuits et remplissait sesjoursd’inopportunesimagesd’elleetquechaquejournéequ’ilpassaitsanslavoirétaitunevéritabletorture?Éva tressaillit et ses lèvres s’entrouvrirent. Il émit un faible grognement. Avant que son esprit
puissereprendrelecontrôledesoncorpsavecunedosedebonsens,ill’attiraversluietpressasabouchesurlasienne.Elleémitunfaiblegémissementetselaissaallercontrelui,ouvrantleslèvrespourrépondreàson
baiser.Ilsondasaboucheetgoûtaledouxarômedupunch.Ciel,lorsqu’ellepressaitsoncorpsparfaitcontrelesien,iln’arrivaitpasàpenserauxdangersde
folâtrer avec elle dans l’obscurité à quelques pas des portes ouvertes. Il avait abandonné sa futurefiancée pour entraîner Éva hors de la salle de bal sans se soucier de qui regardait. Depuis leurpremier baiser, aussi bref que pénible, elle était comme une drogue sur laquelle il n’avait aucuncontrôle.
MêmesonmariageavecLucyn’arriveraitpasàleguérirdesadépendance.Lamaind’Évasefaufiladerrièresatêteetelleemmêlalesdoigtsdanssescheveux.Elleétaitàla
fois perfection et folie, et ses caresses enflammées suffisaient à l’embraser. Il pressa son érectioncontresonventre,brûlantd’enviedesoulagersonmembredanssachaleurhumide.Il arrachasaboucheà la sienneet enfouit la têtedans sescheveux.Sa respirationétait rauqueet
saccadée.—Jesuisincapabledepenseràquiquecesoitd’autrelorsquevousêteslà,madouce.Vousdevez
partiràl’instant,avantquequelqu’und’autrevousvoieetposedesquestions.Elle croisa son regard et se hissa sur la pointe des pieds. Ses lèvres s’étirèrent en un sourire
malicieuxetellepressasesseinscontresontorse.—Embrassez-moiencore,Nicholas.Il ne put faire autrement que lui obéir. Il l’embrassa violemment, joignant sa langue à la sienne
jusqu’àcequ’elleémettedepetitsgémissementsdeplaisir.Tandisqu’ilsecreusaitlesméningespourpasser en revue tous les recoins obscurs du jardin où un couple pouvait se cacher afin de volerquelquesinstantsd’intimité,unfroissementdecrinolineluifitleverlatête.Uneblondesveltevêtued’uneroberosesetenaitlesbrascroisésàquelquescentimètresd’eux.—Lâchezmasœurimmédiatement,monsieurleduc.Sesbrasretombèrentetilrecula.—Votresœur?Danssonrapport,Crawfordn’avaitjamaismentionnédesœur.Sonregardpassad’Évaàl’autrefemme,puisrevintàÉva.Oui,peut-êtreavaient-elleslesmêmes
yeux.—Noëlle,jepeuxt’expliquer,ditÉvaenlissantsoncorsaged’unemaintremblantedansunevaine
tentativederemédieràsonallurefripée.—Monsieurleduc,voicimasœurNoëlle,LadySeymour.Ilfixalablonde.LadySeymour?Bienqu’ilsnesesoientjamaisrencontrés,ilcroyaitqu’elleavait
unliendeparentéquelconqueavecLadyPennington.Unefilleule,peut-être?Ilsavaitqu’Évaétaitlafilleillégitimed’uncomte,maisCrawfordn’avaitpasréussiàdécouvrirlequelavantqueNicholasaitbrusquementmisfinàl’enquête.Maintenant,ilsavaitquesonpèreétaitfeuLordSeymour,uncomtedehautrangetunpair.Ilavait
couchéavecÉvaensachantquesamèreétaitunecourtisane.Lorsqu’ilsutquel’autremoitiédesonarbregénéalogiquedescendaitd’unelignéeaussivieillequelasienne,sonestomacsenoua.S’approchantpourattraperÉvaparlamaincommes’ils’agissaitd’unevilainefille,LadySeymour
legratifiad’unregardnoir.—LordBardendésiredanseravecÉva.Nousnevoudrionspaslefaireattendre.Surce,sacourtisaneréticentelelaissarôderseuldansl’obscuritétandisqu’ellecollaitauxtalons
de sa sœur offusquée. Éva lui lança un dernier regard impuissant par-dessus son épaule avant detournerlecoinetdedisparaître.Nicholassegrattalatêteàdeuxmains.LafilledeLordSeymour?Dansquelfouillisdéconcertant
il s’était retrouvé ! Il tentade se remémorer le vieil amide sonpère,mais il negardait du comtequ’unvaguesouvenir.L’hommeétaitmortdepuisunbonmoment.Quiauraitcruqu’ilavaitengendréunefilleillégitimeenplusdesapropreprogéniture?Ils’appuyacontreletreillisetlevalesyeuxverslecielétoilé.Detouteévidence,iln’yauraitpasde
demandeenmariagecesoir.Ilseraitdéjàsuffisammentdifficiledepasserlesquelquesheuresàveniràfairesemblantqu’Évaetluineseconnaissaientpas.Ilsuffisaitd’ajouteraumélangel’œildelynx
desamèrepourqu’ilcommenceàsentirsoncœurbattreentresestempessousl’effetdelatension.SiseulementilpouvaitconvaincreÉvades’éclipserendouce.Peut-être aurait-il pu trouver un moyen de manipuler Éva, mais il doutait que Noëlle se laisse
influencer aussi facilement. La friponne. Elle avait emmené sa sœur illégitime à la plus granderéception de l’année dans la société, et ce, manifestement sans aucun scrupule ni réserve. Si lesvieillescommèresavaientventdelarelationdeNoëlle,ainsiquedelasienne,avecÉva,lescandalequienrésulteraitsecoueraitlabonnesociétéjusquedanssesfondements.Iln’yavaitqu’uneseulesolution:agircommesitoutallaitbienengardantÉva,Lucyetsamère
bienloinlesunesdesautresetenespérantquesonmaldetête,quis’intensifiait,nefassepasexplosersacervelleàl’intérieurdesoncrâne.
•
—Peux-tum’expliquer comment j’ai pu te laisser seule quelquesminutes et te retrouver en traind’embrassermonsieurleducdansl’obscurité?Noëlleavaitfermélaported’unpetitsalonetaffrontaitÉvaàvoixbasse,maisd’untonaccusateur.—Heureusementquejel’aivut’entraînerdehors;sinon,tuauraisbienpuêtrecompromise.Compromiseparmonsieurleduc?N’eûtétélefaitqueNoëlleétaitsiencolère,elleauraitpeut-
êtreri.Ilavaitfaitbienpirequelacompromettre,etce,plusieurs,plusieursfois.L’embrassern’étaitriencomparéauxdélicieuxmomentsscandaleuxqu’elleavaitpasséssursonsecrétaire,danssonlitetsursonplancher.—Cen’estpascequetucrois.Comment pouvait-elle lui expliquer leur relation ? Elle ne pouvait pas lâcher : « J’ai permis à
monsieur le duc deme violer pendant que le plaisir éhontéme faisait crier son nom. » Pour uneraisonquelconque,elleavaitl’impressionqueNoëllenetrouveraitpasunetelleconfessionamusante.Bienquesasœurnefûtpasunefemmecommelesautres,auplusprofondd’elle-même, lesrèglessociales luiavaientétéenfoncéesdans lecrânedepuissanaissance.Évas’attendaitàcequ’un jourprochain,sasœurserendecomptequedeveniramieavecsasœurillégitimeétaituneerreuretmettefinàleurrelation.Évas’assitsurunfauteuilàdossierhaut.— J’ai rencontré monsieur le duc il y a plusieurs semaines. Je ne t’ennuierai pas avec toute
l’histoire,maisdisonssimplementqueluietmoiavonsuneentente.Lesyeuxécarquillés,Noëlleselaissatomberdanslefauteuilfaceausien.—Tuessamaîtresse,n’est-cepas?EllepassaunemainsursonfrontetÉvahochalatête.—Cen’étaitcertainementpastonidée?Àvoirl’hésitationd’Éva,Noëlleeutsaréponse.—C’estbiencequejepensais.Lesalaud!T’a-t-ilforcée?Évas’empressadesecouerlatête.Siellesoupçonnaitlamoindrecoercition,Noëlle,avecHaroldà
sescôtéspourbrandirlecouteau,feraitcastrermonsieurleducpuisleferaitjeterdanslaTamise.—Certainementpas.C’estunehistoirecompliquée.Ellese levaetsedirigeavers la fenêtre,sous laquelleplusieurscouplessepromenaientdans les
sentiersdujardinplongédansl’obscurité.—Au début, je le détestais. Puis, tout a changé, poursuivit-elle en se tournant pour affronter sa
sœur. Il y a entre nous quelque chose que je n’arrive pas à décrire, une attirance que j’essaie de
combattredetoutesmesforces.Maisdèsqu’ilmetouche,jesuisperdue.—Es-tuamoureusedelui?T’a-t-ildemandétamain?SiNoëlle luiavaitposédesquestionsausujetdesessentimentsunesemaineplus tôt,saréponse
aurait été plus claire. Maintenant, elle n’était plus aussi certaine de ce qu’elle éprouvait enversmonsieur le duc. Tout ce qu’elle savait, c’était qu’elle ne devait pas tomber amoureuse du ducinatteignable.—Non.Jenepeuxpasêtreamoureusedelui.Jesuissonamante.Ilnepeutenêtreautrement.Noëlleserenfrogna.— Donc, il a ce qu’il veut sans en subir les conséquences ? Je n’arrive pas à croire que cet
arrangementteconvienne.Ces paroles troublèrentÉva.Elle fut profondément attristée par la déception qu’elle lut dans les
yeuxdeNoëlle.Elletutsesémotionspourseprotégerd’uneautreracléeverbale.Elleétaittoujoursàvifaprès la façondontHarold l’avait traitée.Ellenepourraitpasendurer leméprisdesa sœurenplus.Niicinimaintenant.Peut-êtrequeNoëlleserendraitdésormaiscomptequecelienprécaireentreellesneferaitquelui
causerduchagrinenfindecompte.—Jesuislafilled’unecourtisane.Jenepeuxpasaspireràmieux.Encolère,Noëllebonditsursespieds.Elles’approchad’Éva,qu’ellepritparlesépaules.—Jerefusedetelaisserdireunechosepareille.Tuesmasœur.Cequis’estpasséentrenotrepère
ettamèreoucequ’elleétaitdanssonanciennevieestsansimportance.Jenepermettraipasqu’unducseservedetoisansqu’ilensubisselesconséquences.Jetejurequejetrouveraiunmoyenpourqu’ilt’épouse.
CHAPITRE13
Malgrésesvastesconnaissancessurlafaçondesoutenirunbadinageléger,Évan’étaitpasàl’aiseavec la séduction. Elle n’avait pratiquement aucune expérience avec les hommes. Bien qu’elle aitbeaucoupapprissurlabonnesociétédanslelivredeLadyWatersham,Codedeconduitepourjeunesfemmes de qualité, et qu’elle ait étudié comment les femmes de chambre séduisaient les valets, ycompris le tortillement demèches et le battement de cils,mettre ces informations enpratique lorsd’unbaldecetteenvergureétaitéprouvant.Ellen’étaitpasfaitepourcettevie.Lefaitquemonsieurleduclaregardedetraversdepuisl’autreboutdelapiècerendaitleschoses
encore plus difficiles, quoiqu’elle réussit relativement bien à garder les yeux loin de lui. Sonmécontentementconstituaitunpoidslourdàporter.Pourtant,ellenelelaisseraitpaslachasser.Noëlleétaitdéterminéeàlesvoirmariésetmettaitsur
lechemind’Évatouthommequalifiécapabledesetenirdeboutdansl’espoird’ainsiforcerleducàserendrecompteàquelpointelleétaitdésirableauxyeuxdesautreshommes.Bienqu’Évan’aitaucuneintentiondedevenirduchesseetqu’elleessaiedefaireentendreraisonà
sasœur,elletrouvaitplutôtréjouissantel’idéedetourmentersubtilementNicholas.Il avait décidé de sa vie à elle pendant des semaines et l’avait harcelée pendant plus longtemps
encore. Il l’avait traitéedepute.Enfin,presque. Il l’avait insinué.L’heureétaitvenuedechanger ladonneetdesevengerunpeudunobleduc.Ellesavaitdumoinsque,malgrésesregardsnoirs,illadésiraitsuffisammentpourabandonnersa
future fiancée et l’entraînerhorsde la salledebal pourunbaiser passionné.S’il était si dévoué àmademoiselleBanes-Dodd, il semoquerait biende cequ’Éva faisait ce soir et avecqui.Àvoir laposturemenaçantedemonsieurleduc,ellesutqu’ilétaitprêtàtuer—toutcelaàcausedelafiledebeauxquirivalisaientpourobtenirsonattention.Évaréprimaunsourire.Qu’ilsouffre.Sonregardluichatouillaitlapeautandisqu’elledansaitavecunhommeaprèsl’autre;elleavaità
peineletempsdereprendresonsouffleentrechacun.Elleritdeboncœurtandisquelescomtes,lesbarons et les ducs faisaient de leurmieux pour percer ses secrets. Elle évita soigneusement toutequestionpointueconcernantlelieudesanaissanceousesliensavecNoëlle.—Vousdansezmerveilleusementbien,mademoiselleHarrington,ditFarrell,lefilscadetdubaron
deTillbury,ens’inclinantlégèrementdevantelleavantdelaconduireàl’écartdelapistededanse.Ilétait trèsjeune,àpeinedix-huitans,etavait tousles traitsanguleuxd’ungarçonàl’aubedela
maturité. Pourtant, il savait comment séduire. Et, sous une tignasse blonde, son visage étaitsuffisammentagréablepourqu’ilfassepartiedesfavorisdesjeunesfemmes.—Peut-êtreaimeriez-vousunpeudepunch?Évahochalatête.—J’adoreraisunpeudepunch.Ildisparutrapidementpourremplirsamission.Évas’éventa,heureusedeprofiterd’unmomentde
solitude et d’avoir l’occasion de reprendre son souffle. Il faisait chaud dans la salle bondée et lachaleurdedouzainesdebougies intensifiaitcelledégagéepar lescorps.Elle regardaautourd’ellepour trouverNoëlleet finitpar l’apercevoirà l’autreboutde lapièce, justedevant lesportesde laterrasse,entraindetenirunediscussionaniméeavecHarold,dontlestraitsétaienttendustandisqueceuxdesasœurétaientgraves.Peuimportecedontilsdiscutaient,c’étaitsérieux.Lorsqueladiscussionpritfin,Haroldsortitetdisparutdanslanuit.EllefronçalessourcilsencroisantleregarddeNoëlle.Celle-ciluifaisaitunsignedelamainpour
luiindiquerquetoutallaitbienlorsqu’unjeunegentilhommevêtud’unevestevertes’inclinadevant
Noëlleetluioffritsonbraspourl’entraînerdansunelignededanseurs.Si quelque chose clochait, Harold viendrait la voir. Sans doute ne faisait-il que fouiner pour
s’assurer qu’Éva ne s’attirait pas d’ennuis. Noëlle lui avait peut-être raconté sa découverte sur laterrasse afin de le mêler à son complot pour coincer le duc. Si c’était leur intention, ils seraientcruellementdéçus.Monsieurleducn’étaitpaslegenred’hommeàselaisserimposerunarrangementcontresongré.Nonchalamment, elle leva les yeux vers le dernier endroit où elle avait vu monsieur le duc. Il
parlaitàuneséduisantefemmevêtuederouge,maisilregardaitÉva.Àsonmécontentementsemêlaitune intensité qu’elle avait vue uniquement lorsqu’il avait déchiré ses vêtements, pris d’une envieurgentedelavoirnue.Lesombredésirqu’ellelutsursonvisageluicoupalesouffleetluiretournal’estomacsousson
corset. De toute évidence, il n’avait aucune intention de s’occuper de ses affaires et de la laisservaquerauxsiennes.Illasurveillaitdeloin,attendanttranquillementdepouvoirlaséparerdutroupeauavantdesejetersurelle.Éva était persuadée que s’ils étaient seuls, il la coucherait à plat ventre sur ses genoux pour lui
donnerlafesséejusqu’àcequ’elleaitlederrièrerouge-rose.Puisilluiarracheraitsarobepourluifairel’amouravecviolenceetpassion.Cette pensée la fit sourire. Devant son amusement non dissimulé, le duc fronça davantage les
sourcils jusqu’àcequ’ilsne formentpratiquementplusqu’un.Ungloussement jaillit, lui replaçantl’estomac.Elleétaitprotégéeparlafoule.Tantqu’ellenes’aventureraitpasàl’extérieur,sonderrièreetlerestedesapersonneseraientensécurité.
•
NicholasvitlejeuneFarrellrejoindreÉva,deuxverresenmain,ettoutcedontileutenvie,cefutderéarrangerlelongnezfindujeunemorveuxpourluidonnerunealluremoinsavenante.S’ilselaissaitalleràtabassertousleshommesquiavaienttenuÉvadansleursbrasaucoursdela
soirée, ilyauraitdesnezensanglantéspartoutdans la salleetendehors.Chaque foisque l’undesdandysluichuchotaitquelquechoseàl’oreilleenprivéoulafaisaittournoyersurlapistededanse,ilvoyaitrouge.Évaluiappartenait.Diable, il luiavaitprissavirginité.Ilavait laissésamarquesurelleetaucun
autre homme n’avait le droit de contester sa prétention. En revanche, il ne pouvait pas aller larejoindrepourlarevendiquercommesiennedevantuneassembléesirespectable.Cequilemettaitdansunétatdecolèreaveugle.—TusembleséprisdemademoiselleHarrington,monfils,ditsamèreenluitapantlebrasdeson
éventail.Ils regardèrent tous les deux Éva rire de quelque mot d’esprit de Farrell tandis qu’ils se
promenaientensembleautourdelasallebondée.—Soisprudent;Lucypourraitenêtreoffensée.Nicholass’efforçadetournersonattentionverssamère.Elleavaitvuquelquechosedanssafaçon
deregarderÉva;sansdouteundésird’uneintensitéàvousdéchirerl’entrejambe.Ildevaitétoufferl’affaireavantquesamèreinviteÉvaàprendrelethéetluiposetropdequestionssursonhistoire.—Dequiparlez-vous,Mère?Unéclairpassadanslesyeuxvertsdeladuchesse.
—Lajeunedameàlarobeargentéequetun’aspaslâchéedesyeuxdetoutelasoirée,répondit-elleen plissant les yeux pour regarder Éva. J’ai cru comprendre qu’il s’agit d’une cousine de LadySeymourquivientdequelquepart prèsde la frontière écossaise.Bienqu’une rumeur coure selonlaquellel’histoireseraitmontéedetoutespièces.—Elleestjolie,admitNicholasentresesdents,d’unevoixaussidésinvoltequepossible.Farrell avait été chassé par un homme de rang plus élevé, le charmant et séduisant comte de
Wayborn. Il se pencha pour parler àÉva et elle répondit par un sourire.Elle prit le bras qu’il luitendit,posantsamainjustesoussoncoude.CesatanéWaybornlaconduisitàtraverslasalledebaljusquedanslasalleàmanger,oùdestables
chargéesdenourritureattendaient les invités.L’éclatdesonrire luiparvintmêmeaprèsqu’elleeutdisparudesonchampdevision.Peut-êtrelesangcoulerait-ilcesoir,aprèstout.Ils’efforçadegardersoncalme.—Ilyaplusieursjoliesfemmesici,cesoir,Mère.YcomprisLucy.Jen’aiaccordéplusd’uncoup
d’œilàaucuneenparticulier.—Vraiment ?Pasplusd’un coupd’œil ?Hum, fitCatherine.Dans ce cas, pourquoin’as-tupas
dansé avec Lucy de toute la soirée ? On dirait qu’il te suffit de lancer des regards noirs à cettemystérieusecousine.Veux-tubienm’expliquerpourquoi?Quereprésente-t-elleàtesyeux?Nicholas avait envie de tout nier afin d’éviter que sa mère découvre l’identité d’Éva. Mais la
duchesseneselaisseraitpasbernerpardesdemi-vérités.Depuissanaissance,elleavaitdéceléchaquemensonge qu’il avait raconté et l’avait puni pour chacun d’eux. S’il voulait retrouver sa santémentale,samèreétaitbienplacéepourl’aider.—C’estmamaîtresse,répondit-ilfranchement.Il fit unepause, s’attendant àunequelconqueexpressiond’indignation,unquelconquehoquetde
surprise.À laplace,elle restaétrangementsilencieusependantun très longmoment,puishocha latête.—Jevois.Cesmotsl’inquiétèrent.Samèren’avaitjamaisétédugenreàtairenisonadmirationnisonmépris.
Elle disait librement ce qu’elle pensait et, la plupart du temps, son intuition s’avérait extrêmementjuste.Siseulementelleavaitétéaussiprudentelorsqu’elleavaitchoisisonpère,ellen’auraitpasétémalheureusependantsilongtemps.—C’esttoutcequevoustrouvezàdire,Mère?Catherinesoutintsonregard.—Quedevrais-jedire,Nicholas?Quefait-elleici?Quiest-elle,enréalité?Commentconnaît-elle
LadySeymour?EtLucy?Qu’as-tul’intentiondefaire?Réprimantunsourire,Nicholassoupira.Samèreavaitaffrontédeplusgrossestempêtes,ycompris
lapropensiondesondéfuntpèreàs’afficherpartoutàLondresavecsesindiscrétions.Surprendrelamaîtressedesonfilsaumêmebalquesesamisetsesconnaissancesdevaitfigurerbienbassursonéchelleduscandale.— Il s’agit d’ÉvangélineWinfield. Elle est la demi-sœur de Lady Seymour. Lord Seymour l’a
engendréehorsdesliensdumariageavecsacourtisaneadorée.Cette fois-ci, sa mère écarquilla les yeux. De toute évidence, elle n’était pas totalement
imperturbable.—Tuasemmenédanstonlitlafilleillégitimed’uncomte,lasœurdeLadySeymour?Nicholas,à
quoias-tupensé?
—Entoutehonnêteté,Mère,j’aiétémisaucourantdeleurliendeparentéuniquementcesoiraprèsl’avoiraperçueici,àl’endroitoùjem’yattendaislemoins.ImaginezmonétonnementlorsquenotrebaisersurlaterrassefutinterrompuparuneLadyNoëllefurieuse.Entrecesdeux-là,j’aidelachancequematêtesoittoujoursfixéeàmoncou.Catherinerestabouchebée,puisunsouriresedessinalentementsurseslèvres.—Tuasétéprisàpartieparlafilled’unecourtisaneetsanoblesœur?Siseulementj’avaisétélà
pourvoircetteconfrontation ! J’aurais trouvécelabienplusamusantque tout le restede la soiréejusqu’àmaintenant.Elles’interrompit.—Enfait,lasoiréeprendunetournureplutôtintéressante,termina-t-elle.Nicholaspinçaleslèvresdevantlafranchebonnehumeursursesjolistraits.Lorsqu’ilétaitenfant,
samèreavaitpassédesannéessansjamaissourire.Aprèsledécèsdesonpère,elleavaitrecommencéàrire.—Jesuisheureuxquevoustrouviezlasituationsiamusante,Mère.Maintenant,laquestionquise
pose,c’est:commentpuis-jeréglerceproblème?—Quellessonttesoptions?LajeterdanslagueuledescommèrespourruinerLadySeymour,puis
couvrirdehonteLucy,safamilleetlanôtre?Catherinesaluad’unsignedetêtedesinvitésquipassaient,puislevasonéventail.—Tudevraistedemanderquelssonttessentimentsàl’endroitdemademoiselleWinfieldetceque
toi,tuasl’intentiondefaireavecelle.—Quepuis-jefaire?Ilsesentaitdécouragé.LadySeymouravaitsortiÉvadel’ombreet l’avaitprésentéeà lasociété.
Mêmes’ilarrivaitàconvaincreÉvaquepasserdutempsensociétépourraitleurcauserdutort,àsamère et à elle, Lady Seymour constituait une complication. Cette femme ne tolérerait pas unarrangementàlongtermeentreÉvaetlui.—D’icidemainmatin,elleseralajeunefemmelapluspopulairedelasaison.Samèreeutunpetitrire.—Jene t’ai jamaisvuaussibouleverséà caused’une femme,Nicholas.Celle-ci s’est immiscée
danstatête.Etpeut-êtremêmedanstoncœur.Iltournabrusquementlatête.—Jenesuispasamoureuxd’elle.Ilavaitniéavectropd’empressement,cequinefitrienpourenleveràsamèresonregardentendu.—J’aivucequel’amourpeutfaire.Vousétiezamoureusedemonpèreet ilvousaterriblement
maltraitée.Ellerepritfinalementsonsérieux.—Oh,Nicholas,fit-elleenposantunemainsursonbras.Net’empêchepasdeconnaîtrel’amourà
causedeserreursdetesparents.J’étaisjeuneetentichéed’unvisageséduisant.Jen’aipasvouluvoirlecôtésombredeCharles,poursuivit-elleensecouanttristementlatête.Tun’espastonpère.—MademoiselleWinfieldneseraitpasd’accord.Ilavaitpassésavieàessayerdesedétacherdel’ombredesonpère,uniquementpourtraiterÉva
d’unemanièreaussicruellequecedernieravaittraitésamère.Toutcommeilavaitlaissél’exempledesonpèrelerendreaveugleaumalheurd’Arabella.Laculpabilitél’envahit.—MademoiselleWinfieldatouteslesraisonsdememépriser.Laduchessesetournaverslasalleàmanger.
—Jecroisquetutetrompes,Nicholas.MademoiselleWinfields’intéresseàtoiplusqu’ellenelecroit.Ellesaluauneconnaissancedelamain,puisluifitface.—Elleteregardelaregarder.Jecroisquetudevraisremettretesfiançaillesàplustardenattendant
quetuaiesmisleschosesauclairavecmademoiselleWinfield.Nicholasacquiesça,puisvitsamères’immobiliser.—Dieuduciel!Est-ellelafilledeCharlotteRose?Lorsqu’ilhochalatête,elleblêmit.—Oh,Nicholas,tut’esmislespiedsdansunvéritablebourbier.Elle le prit par le bras pour l’entraîner vers unpetit banc coussiné dans un coin tranquille, puis
l’assitàcôtéd’elle.—CharlotteRoseétaitlafilleruinéeducomteetdelacomtesseMoreaudeFrance.Elleavaitseize
anslorsquesesparentsontététuésetelleaétéplacéesouslatutelledesatanteanglaiseâgée,LadyCordéliaWinfieldSuttleby.Jeneconnaispastoutel’histoire,maistroisansplustard,aprèsledécèsdeLadySuttleby,samaigrefortuneaétéléguéeaudernierparentmasculinqu’illuirestait.Catherinesoupira,leregardinquiet.—Lafilleadisparu.Nicholas entendit chaquemot résonner bruyamment dans sa tête. Éva descendait de la noblesse
française?Ils’étaitbeletbienembourbéjusqu’aucou.Iln’étaitpascertaind’avoirenvied’entendrelerestede l’histoire.Toutefois, ildevaitconnaître tous lesdétailss’ilvoulaitsavoiràquoi ilavaitaffaire.—Continuez.—Plusieursmois plus tard, lorsqu’elle a refait surface, ç’a suscité un grand émoi àLondres et
causétoutunscandaleparmilanoblesse.Toutessortesderumeurscouraientsurelleetl’endroitoùelleétaitallée.Toutcequenoussavionsaveccertitude,c’étaitqu’ellesecherchaitunprotecteuretquetousleshommesvoulaientlaplacedanssonlit.J’étaisaucourantdecettetristehistoireparcequetonpères’étaitassuréquejecomprennequ’ilavaitl’intentiond’êtrelevainqueur.Ilsavaitquesonpèreétaitunsalaud,maislà,ç’allaittroploin.Laduchessesetapalegenouavecsonéventail.—Malgrétoussesefforts,tonpèreadûconcéderlavictoirelorsqu’elleachoisiLordSeymour.
Puis,unjour,elleadisparuànouveau,pourdeboncettefois.Lesrumeursetlesspéculationsontfinipar se taire et ç’a été la fin. Je suppose que nous connaissons maintenant le dernier chapitre del’histoire.—Éva.Son cerveau battait dans son crâne. Éva n’était plus seulement une vieille fille et l’enfant d’une
courtisane.Elleétaitlapetite-filled’uncomte,lasœurd’unedameetsacourtisane.Ildevraitlafuir,épouserLucyetseretirerdansl’ombre,loinàlacampagne.Ceseraitmieuxpourtoutlemonde.Quandsonuniversbienordonnés’était-ildérégléàcepoint?Ilserenfrogna.Ah,oui,àl’instant
oùilavaitdécouvertqu’elleluiavaitvoléArabellaetqu’ilavaitjurédesevenger.—Éprouves-tudel’affectionpourcettefille,Nicholas?— Bien sûr que j’éprouve de l’affection pour elle, Mère, répondit-il sèchement. Nous avons
partagédesmomentsd’intimité.Maisnecherchezpasplusloin.Jenel’épouseraipas,sic’estcequevousavezentête.Il balaya la pièce du regard. Lucy bavardait avec l’élégant monsieur Albright. Toute la bonne
volontédumonden’arrivaitpasàprovoquerlamoindretracedejalousie.Mêmesiellesejetaitsurle
dossurleplancherdemarbreetl’invitaitàprendresoninnocencedevantcetteassistance,Nicholass’enmoquerait.ToutessespenséesetsesdésirsétaientconcentréssurÉvadepuisl’instantoùilavaitaperçucesquelquescheveuxblond-rouxéparsquidépassaientsoussamauditeperruque.Auplusprofonddelui-même,ilcraignaitqu’ilensoittoujoursainsi.— Peut-être devrais-tu épouser cette fille, dit doucement sa mère. Vous êtes manifestement
amoureuxl’undel’autre.Cefutau tourdeNicholasd’êtreétonné.Samèrevenait-elledesuggérerqu’ilépousequelqu’un
d’uneoriginetellequecelled’Éva?C’étaitdifficileàimaginer.—Mère,imaginezlescandale.Peuimportelesangnoblequicouledanssesveines,samèreétait
unecourtisane;onnepeutl’ignorer.Jedoischoisirunefemmedontlaréputationestimpeccable.—C’esttoiquiledis,réponditsamèreenhaussantlesépaules.Notrefamilleasurvécuàdeplus
grosscandales.Bienqu’ilnesesoitjamaisfaitprendre,tonarrière-arrière-grand-pèreétaitunvoleurdegrandcheminet tonarrière-grand-mère était une laitièrede seize ans. Je croisque tonarrière-grand-pèrel’avaitvuemarcherauborddelaroute,s’étaitentichéd’elleets’étaitprécipitéàGretnaGreenavecellelejourmême.Ellesourit.—Leurmariageaétémarquéparladurabilitéetl’amour.Évarevintdans lasalledebalaubrasducomte,aussià l’aiseavec luiques’ilsétaientdevieux
amis.Sabeautécomplétaitbienl’hommeàlatenueimpeccableàcôtéd’elle.Ilsformaientuncouplecharmant.La colère envahitNicholas.Encore. Il devaitmettre un terme à l’opération de charme du comte
immédiatement,sinonÉvaseraitfiancéeàcedépravéetillaperdraitàjamais.Ilétaitattiréparsonvisagecommeparlechantd’unesirène.Ilfitunpetitsignedetêteàsamère,
s’excusaettraversalapièce.—J’aimeraisbienvousrendrevisitedemainaprès-midi,Milady,ditlecomtetandisqueNicholas
s’approchaitd’eux.Votrejournéen’estcertainementpasoccupéeenentier.Évavenaittoutjusted’ouvrirlabouchelorsqueNicholasapparutdevantelleetluipritlamain.—JecrainsquemademoiselleWinfieldnereçoiveaucunvisiteur.Ellem’apromisunpique-nique.Il l’entraîna sur lapistededanse, loinduprétendant entiché.Lespremièresmesuresd’unevalse
s’élevèrent.Illatintunpeuplusprèsdeluiquenelepermettaientlesconvenances.—Commentosez-vous?demandaÉva,quiréussitàs’efforcerdesourireaubénéficedesregards
curieux.Avecquijepassedutempsnevousconcernepasdutout,monsieurleduc.Ilhaussaunsourcil.—Ahnon?Illafit tournoyerlentementautourdelapistededanse.Sabeautéluicoupalesouffle.Etpourla
deuxièmefoiscesoir,ilseréjouitdelatenirdanssesbras.—Çameconcernedepuisquejecoucheavecvous.—Oh,fitÉvaenrougissant,vousêtesinsupportable.— Vraiment ? répondit-il en souriant de toutes ses dents. La plupart des femmes me trouvent
charmant.
•
Évaeutenviedeluidonneruncoupdepieddansletibia,bienfort.Malheureusement,cen’étaitpaslebonendroitpourlefairesansexciterlescommères.Ilyavaitdéjàtropdespéculationsàsonsujet.
Elleavaitfaitsensationparmileshommesdel’assistance.Saprésenceaubalneplaisaitniauxjeunesfemmesnià leursmères.Elleavaitdûrefuserplusieursdemandes,convenablesounon,et ignorerdesspéculationsdésobligeantesausujetdesavéritableidentité.Siellecédaitàl’enviededonneruncoupdepiedauduc,celan’aideraitpassacause.—Charmant?répéta-t-elleavantdecachersapeineparunrireméprisant.Vousm’aveztraitéede
pute.Sonvisagesecrispa.—Cequejeregretteamèrement,Éva.Voustrouvericim’abouleverséetmesparolesontdépassé
mapensée,dit-ilens’éloignantsuffisammentpourqu’ellepuissevoirsonvisage.Cen’estpasainsiquejevousperçois.Sesexcusesétaientsincères.Sapeinediminuaquelquepeu.—Excusesacceptées.Maisjenevoustrouvetoujourspascharmant.Pasdutout.Unsourireluiétiralentementleslèvres.—Vraiment?Ils’agitpourtantde l’unedescaractéristiquesque lesfemmespréfèrentchezmoi,
misàpartmestraitsséduisantsainsiquemasilhouettesublime,bienentendu.Elleeutunpetitrireétouffé.Ilétaittoutsimplementarrogantjusqu’àl’os.Etpourtant,danssesbras,elleavaitl’impressiondedansersurunnuage.Ilétaitsiviril,sipuissant,
siséduisant.Soncorpsenentierréagissaitàsaprésenceetellesentitmonterenelleundésirardentfamilier.Elleauraitsouhaitéqu’ilssoientseuls.—J’imaginequetoutefemmeentretenantl’espoird’épouserunducfortuné,dit-elle,s’abstiendrait
dementionnervosdéfautslesmoins,euh,attrayants.—Desdéfauts?Intéressant.Ilprituneexpressionsinistrequin’éteignittoutefoispasl’étincelledemalicedanssesyeux.—Maintenantquevousavezsoulignélefaitquej’aidesdéfauts, jecroisquevousdevriezm’en
rédigerunelisteafinquejepuisseytravailler.Évaeutdumalànepassourire.Aprèslasoiréequ’ilavaitpasséeàluilancerdesregardsnoirs,
son changement d’attitude était inattendu, mais bienvenu. Tandis qu’il lui tenait une main et avaitl’autre autour de sa taille, elle eut l’impression qu’il déclarait publiquement sa prétention sur elle.Évidemment,ilnes’agissaitqued’unedanse,maisl’espaced’uninstant,elleeutl’impressionqu’ilsallaientbienensemble.—Oh,ciel.Jesuisnavrée,monsieurleduc.Jecrainsquelalistesoittellementlonguequel’écrire
medonneraitdescrampesàlamain,dit-elleenfléchissantlesdoigtssursonépaulepourprouversonpoint.Jecroisquelesdixpremiersdevraientsuffire.—Hum.Lorsque lamusique s’arrêta, il les fit s’immobiliser,mais ne la lâcha pas avant que lamusique
reprenne. Plusieurs hommes qui rôdaient dans les parages froncèrent les sourcils, puis sedétournèrent.Nicholasnesemblapass’enapercevoir.—Peut-êtredevrais-jevousaider.Voyonsvoir.Vousm’aveztraitéd’arrogant.Jevousl’accorde.Et
d’un.Évasemorditleslèvrespourréprimerunsourire.Ilavaituneodeurd’alcooletd’épicesexotiques.
Sonfoulardhautencadraitsamâchoiremasculineetlacoupedesavestenoireaccentuaitlesmusclesparfaitsdeseslargesépaules.Àcetinstant,elleeutlesentimentdefairel’enviedetouteslesfemmescélibatairesprésentesaubal,ainsiquedequelques-unesdecellesquiétaientmariées.Lorsqu’elle se remémora l’effet que cela lui avait fait d’être agressée sensuellement sur son
secrétaire,elle futparcouruedefrissons.S’il luidemandaitdesortirde lasalleencourantpour le
suivrejusqu’àsamaisondeville,ellenerefuseraitpas.—Deux:j’admetsquejesuisgâtéetquej’ail’habitudedevoirtousmesvœuxexaucés.Vousdevez
blâmermamère pour ça.Comme j’étais son unique enfant, elle neme refusait pratiquement rien.Pourtant,ilyaencorebeaucoupdechosesquejedésire.Quelquechosedansl’intensitédesonregardluidonnal’impressionqu’ilneparlaitpasdechevaux
nide terres,maisqu’ilse remémorait leurs rendez-vousamoureux.S’ilsétaientseuls, il ferait trèsbonusagedel’immensetabledanslasalleàmangerdeLadyPenningtonafindeladévergonderdelaplusexquisedesfaçons.Sesmamelons s’érigèrent sous sa robe. Elle devait absolument trouver quelque chose demoins
excitantquemonsieurleducetleursébatsvigoureuxpouroccupertantsonespritquesontemps.—Insupportable,extravagantetautoritaire.Trois,quatreetcinq.Ilsouritetellesecoualatête.Ilresserrasapriseàsataille.Ildevenaitdifficiledel’entendrepar-
dessuslesbattementsrapidesdesoncœur.Sachaleurs’infiltraitenelle,etellenesentaitninevoyaitplusrienau-delàducercledesesbras.—Impossible,intolérable,horripilantetirrespectueux.Six,sept,huitetneuf.Ilsemblaréfléchiraudernier,cequilafitgloussermalgréelle.Ilétaitbeletbienincroyablement
charmantquandilenavaitenvie.—J’espèrequevousneconsidérezpascommeundéfautmescompétencesdansl’artdel’amour,
moncœur,finit-ilpardire.Jecroisquejenelesupporteraispas.—Monsieurleduc!leréprimanda-t-elle.Unrapidecoupd’œilauxalentoursluiconfirmaquepersonnen’étaitassezprèspourlesentendre;
ellerecommençaàrespirer.— Je me souviens vous avoir embrassé le cou et les oreilles avec une douceur vigoureuse,
poursuivit-ilnonchalammentcommes’iln’avaitpasentendusesprotestations.J’aisuffisammenttétévosseins.Vosgémissementsonttémoignédevotreplaisir.Ledésircrépitaenelle.—Jevousenprie,monsieurleduc,arrêtez,réussit-elleàarticuleraprèsqu’unrirescandaliséresta
coincédanssagorge.Quelqu’unpourraitnousentendre.—Mesmouvements étaient profonds et enthousiastes. Jevous ai pénétrée à fond jusqu’à ceque
vousatteigniezdesorgasmesàvousfairehurlerdeplaisir.Ilrivasonregardausien;sesyeuxn’étaientqu’innocence.—Vousavezcriémonnom.Plusd’unefois,sijenem’abuse.Cette fois, elle rit franchement. Elle lui caressa l’épaule sans plus se soucier de qui pouvait le
remarquer.Elles’amusaiténormémentaveccethomme,sonamant,àsonpremieretdernierbal.—Vousêtesunhommetellementexaspérant.—Dix.Exaspérant.Votrelisteestterminée.Tandisqu’illafaisaittournoyer,leursriresquisemêlèrentattirèrentdesdizainesderegards.
•
Le couple qui dansait intéressait surtout deux femmes debout l’une à côté de l’autre. LadyNoëlleSeymour et madame la duchesse douairière de Stanfield chuchotaient tranquillement en fronçanttoutesdeuxlessourcils.—MademoiselleWinfieldestune femmebienetqui aboncaractère?demanda laduchesse,un
regardperçantdanssesyeuxvifs.
Noëllehochalatête.Lorsqueladuchesses’étaitapprochéed’elle,elleavaitcraintquecelle-ciaitdécouvertlepotauxrosesetqu’elleaitl’intentiondefaireexpulserlesdeuxsœursdubal.Àsaplusgrandejoie,madameladuchesseavaitapprislavéritéausujetdelaliaisond’Évaavecsonfilsetnes’enétaitpasoffusquée.Enfait,lapréférencemarquéedesonfilspourÉvaplutôtquepourlesautresbellesneluidéplaisaitpas.—Eneffet.Elleétaitinnocenteavantquevotrefilslaséduise.Noëllevoulaits’assurerqu’Évasoitdépeinte,àjustetitre,entantquevictimeetqu’ilsoitclairdans
l’espritdeladuchessequ’ellen’étaitenrienresponsabledelaséduction.—Jeneconnaispastouslesdétails,maisellen’avaitpasl’intentiondeseretrouverdanssonlit.Laduchessehochalatête.—Nicholaspossèdeuncertaincharmeaveclesfemmes.Lorsquelamusiques’arrêta,elleslesobservèrentuninstanttandisquelefilsdel’uneetlasœurde
l’autresepenchaientl’unversl’autrepourseparlerenprivé.Touslesyeuxétaientrivéssureux.—Ilsformentbeletbienuncouplemagnifique,ditNoëlleensoupirant.—Eneffet,acquiesçamadameladuchesse.Ravissant.Noëllecommençaittoutjusteàconnaîtresasœur,maisellesavaitqu’elleavaitsouffertdespéchés
desesparents.Elleseréjouissaitdelavoir,rianteetheureuse,avecmonsieurleduc.Avec ses cheveux de feu, Éva complétait bien son air sombre.Même si elle niait les sentiments
qu’elle éprouvait pour lui,Noëlle vit lamanière dont Éva regardait l’insupportable duc. Elle étaitsoussoncharme.Cen’étaitqu’unequestiondetempsavantqu’ellesoitcarrémentamoureuse,sicen’étaitpasdéjàlecas.—L’épousera-t-il?demandaNoëlle.Laduchesseplissalesyeux.— S’il n’en tenait qu’à moi, oui. Mon fils mérite de connaître le bonheur. Si mademoiselle
Winfieldpeutleluiapporter,jeseraiheureusedel’accueillirdanslafamille.Noëlletournalatête.Ladouairièresemblaitsincère.Maisd’autressecretspouvaientencoremettre
àl’épreuvelabonnevolontédemadameladuchesse.—Ilyadeschosesquevousnesavezpasausujetd’Éva,madameladuchesse.Desyeuxvertscroisèrentlessiens.— J’en sais plus que vous ne l’imaginez, Lady Seymour. Le passé de sa mère n’a aucune
importance.Cela surprit Noëlle. Elle savait que madame la duchesse avait connu son lot de scandales
humiliants.Sonépouxavaitvécucommeunvéritablefornicateur,unhommequipassaitd’uneliaisonàl’autreavecinsouciance,sanssepréoccuperdessentimentsdesonépouse.Lorsqu’ilmourut,toutLondrespoussaenchœurunsoupirdesoulagement.Laduchesseétaittrèspopulaireparmilabonnesociété.Bienquelesgensaientcomméréausujetde
sondéshonneur, ils éprouvaient aussi de la compassionquant à sesmalheurs.Elle étaitmaintenantlibreetilnesetrouvaitpersonnepourdirequeleducn’avaitpasméritélacrisecardiaquequil’avaitemporté.Noëlle se signamentalementpour avoirnourri de si horriblespensées.La soirée était pleinede
surprises, à commencer par le fait d’avoir trouvé Éva et le duc enlacés. Elle ne laisserait pas desombresettristespenséesternirsajoiedevoirsasœurheureuse.Cedevait être tout ceque laduchesse avait vécuqui la rendait sensible à la situationd’Éva.Peu
importe les raisonspour lesquelleselleacceptait sa sœur,Noëllene les remettraitpasenquestion.
Tant que la duchesse était de son côté, Éva et monsieur le duc n’avaient aucune chance de luiéchapper.—Danscecas,nousavonsdupainsurlaplanche,madameladuchesse.
CHAPITRE14
ÉvalaissaNoëlledanslecouloiretserenditjusqu’àsachambre.C’étaitunesensationétrangequed’arpenterlesmêmescouloirs,demangeràlamêmetableetdejouirdesmêmesconfortsqueceuxdontsonpèreavaitjouisouscetoit.Sonrire,sacolèreetsoncontactrésonnaiententrecesmurs.Ici,ilavaitvécuunevieavecsonépouseetsesenfants.Avecsamèreetelle,ilavaitjouid’uneautre
vie.Cesdeuxmondesparallèlesétaientsoigneusementgardésà l’écart l’unde l’autre.PendantqueNoëlleetMargaretgrandissaienticietdanssademeureduKent,ÉvaavaitgrandidansunemaisondevilleàMayfair,àquelqueskilomètresdelà.Ilavaitfallulacuriositédesasœurpourquelesdeuxviesserencontrent.Évanedoutaitplusdes
raisonsquiavaientincitéNoëlleàlaretrouver.Noëlleavaitdel’affectionpourelle,toutcommeelleen avait pour Noëlle. C’était une situation étrange, mais pas tant si l’on en considérait l’origine.Noëlle aimait repousser les limitesdes règles sociétales etÉva en faisait partie.Qu’elles se soientliéesd’amitiéétaitunetournuremerveilleusequ’avaitprisecetteaventure.Évasedemandacequesonpèrediraits’ilsavaitquedeuxdesesfillesadoréess’étaientretrouvées.Elleavaitl’impressionquecelaluiplairait.Ilétaitimpossibledenepass’imaginerqu’ilpouvaitapparaîtreàtoutmomentdansl’encadrement
d’uneporte ouverte pour la serrer dans sesbras dans l’unede ses étreintes qui avaient une légèreodeurdetabacàpipe.—Vousmemanquez,père,chuchotaÉvaavantdeprendrequelquesprofondesinspirations.Ellesefrottalesbrasets’arrêtadevantlaportedesachambre.Aucoursdesdernièressemaines,elleétaitpasséedustatutd’innocenteàceluidemaîtresse,puisde
celuid’enfantuniqueàceluidesœur.Sœurdedeuxpersonnes,siellecomptaitMargaret,mêmesicettedernièrenevoulaitvisiblement rienavoirà faireavec leplandeNoëllepour rencontrerÉva.Sansimportance.Elleétaitsatisfaitedelasœurqu’elleavait.D’uneexistencepasséeàl’abridansl’ombre,Évaavaitétéprojetéedanslecerclelumineuxdela
noblesseetellenesavaitpasdutoutcommentcelaallaitseterminer.Envérité,ellecraignaitd’êtresurunchevalemballéquicouraitverslebordd’unefalaiseetque,
peuimporteàquelpointelletiraitsurlesrênes,rienn’arrêteraitlabêteaffolée.Demain,elleferaitsesbagagesetrentreraitchezelleretrouversapetiteviebienrangée,laissantà
Noëllelesoind’expliquersadisparition.C’était l’idée de sa sœur de la traîner au bal, ce serait donc à elle de trouver des excuses
appropriéeslorsquedesprétendantsviendraientluirendrevisite.Sasœurtrouveraitcertainementuneexplicationplausible;Noëlleadoraitlesbonneshistoires.Évalissasarobeetsourit.Unefoisquedeuxheuresavaientsonnéetqu’ellesavaientquittélebal,
elle était redevenue une fille d’arrière-cuisine.Une fille d’arrière-cuisine bien habillée. Elle ne sesentiraitpaslemoindrementcoupabledelaisserNoëlleréparerlegâchisqu’elleavaitcausé.Lorsqu’elleentradanssachambreetallumauneapplique,lamaisonétaitsilencieuse.Lachambre
rosefrivolenecorrespondaitpasàsesgoûts.Apparemment,Margaretavaitchoisilescouleursquandelleétaitenfantetellesn’avaientpasétéchangéesdepuis.Évas’imaginal’airpincéetmécontentdeMargaretsielleapprenaitquelafilledelamaîtressedesonpèrepassaitlanuitdanssonlit.Cetteidéeprovoquaunautresourirelorsqu’elletenditlesmainsverslesboutonsdesarobe,quise
révélèrentdifficilesàdétacherensetortillantpourlesatteindredanssondos.Peut-êtren’aurait-ellepasdûtants’empresserderenvoyerlafemmedechambre.Malheureusement,lafilleaimaitbavarderetÉvan’étaitpasd’humeuràécoutersalisteinfiniedesujets.Elleétaitagréablementépuiséeetavaitenvied’êtreseule.—Besoind’aide?
Évaseretournad’unbondenhurlant.Del’autrecôtédulit,cachédansl’ombre,monsieurleducétait assis sur une chaise délicate, les pieds bottés croisés sur le couvre-lit rose foncé, sans aucunégardpourletissu.—Quefaites-vousici?siffla-t-elle,àl’affûtdebruitsdepasrapidesdanslecouloir.Comme elle n’entendit pas sonner d’alarme en réaction à son cri, elle posa les mains sur ses
hanchesettapadesorteils.—Commentm’avez-voustrouvée?Commentêtes-vousentré?Heureusement, sa chambre était au bout du couloir et la chambre la plus proche était libre. Si
Noëllel’avaitdécouvertentrainderôderdanslapièce,ellel’auraitfaitsortiretfouetterauclairdelune.Sesdentsétincelèrentdanslapénombre.—J’aidéduitqueçapouvaitfairepartiedelarusequevousdormiezici.J’aidemandéàmonvalet
detrouverquellechambreétaitlavôtre.Lechênedevantlafenêtres’estavéréuneéchelleefficace.Iln’yavaitqu’unpetitbondàfairepouratteindrelereborddelafenêtreetunepoignéedelierre,puisj’étaisàl’intérieur.—Vousavezgrimpéàl’arbre?C’était difficile à croire. Selon ce qu’elle pouvait voir, ses vêtements n’avaient pas une seule
éraflurenitache.—Vousn’avezpasl’airdugenreàgrimperauxarbres.—Vousseriezétonnéedessottisesquejepeuxfairequandjesuismotivé.Illacaressaduregardetsesyeuxsevoilèrent.Lesmamelonsd’Évadurcirentsoussarobe.—Cesoir,jen’aipaspurésisteràlatentationquiémanaitdevotrefenêtre.Ilfallaitquejegrimpe
pourvousaideràvousdévêtir.—Jevois.Elle enleva ses boucles d’oreille et les remit dans leur étui. Des frissons de nervosité lui
parcoururent tout le corps. Il devait avoir quitté le bal ainsi que les bras de sa quasi-fiancée avantNoëlleetellepourvenirlaretrouver.Celalarendaitridiculementheureusedesavoirqu’ilpréféraitêtreavecellequ’aveclajolieLucy.Unefoisdeplus.— Il faudra queNoëlle demande aux jardiniers de couper l’arbre demain, poursuivit-elle en lui
retournantsonregardaguicheur.Jenevoudraispasêtreresponsabledevotredécèssivouschutez.—Jenepouvaispastomber,répliqua-t-il,respirantlamalice.Nousavonsdesprojetspourcesoir
quejen’auraissurtoutpasvouluraterentombantd’unarbreetenmefendantlecrâne.Ellehaussaunsourcil.—C’estétrange.Jenemerappellepasavoirfaitdesprojetsavecvous.—Oh, ne vous y trompez pas, mon cœur, dit-il avec assurance. Chaque fois que vous m’avez
regardédanslesyeuxcesoir,vousm’avezclairementinvitéàvousprendre.Éva rougit jusqu’à la racinedesescheveux. Ilavait raison.Elle l’avaitvraimentoutrageusement
taquinéetséduit.Mêmelorsqu’ilconversaitavecquelqu’und’autre,elles’étaitarrangéepourcroisersonregardetsessouriressevoulaientunappelpourqu’illuirevienne.Elleavaitouvertementinvitésonamantàvenirlaretrouveretc’estcequ’ilavaitfait.Nicholas s’était débarrassé de sa veste et avait desserré son foulard, qui pendait, entortillé, de
chaquecôtéducolouvertdesachemise.Ilavaitlescheveuxébouriffésd’avoirgrimpéàl’arbreetbondicommeunchatàsafenêtreàl’étage.Ilparaissaitdiablementséduisantetplutôtàl’aise.
Sesentantcoquine,elles’approchanonchalammentdel’endroitoùilétaitassisetluitournaledos.Ellepassaunejambepar-dessuslessiennesets’assitsursesgenoux.Presqueaussitôt,ellesentitsonérectionpresséecontreelle.Elleécartasescheveuxducheminetattendit.—J’aicrucomprendrequevousétiezunexpertenboutons.Nicholasposalespiedsausoletsepenchapourhumersonodeur,effleurantsoncouavecsonnez.
Sonsoufflechaudcaressalapeaud’Évatandisqu’ildétachaitlesboutonsunàun.L’intimitédugesteluidonnavraimentl’impressiond’êtreuneépouse.—Ai-jementionnéàquelpointvousétiezjolie,cesoir,maîtresse?Ilfitunepausepourposerunbaiserdansl’ouverturedesarobe,quicommençaitàtomber.Ellefermalesyeuxetsoupira.Lorsqu’ilétaitquestiondesaspectssensuelsdel’artdel’amour,il
incarnaitlaperfection.Leducsavaitexactementcommentfaireplaisiràunefemmeetellejouissaitpleinementdeseffortsqu’ildéployait.—Jenem’ensouvienspas.Peut-êtredevriez-vousmelerappeler.Ilfitdescendrelarobedesesbrasetsepenchapourposerundouxbaisersurunedesesépaules.—Touteslesautresfemmesfaisaientbienpâlefigureàcôtédevous,madouce.Uneautrevaguedejoietransportasoncœur.—EtLucy?luidemanda-t-elleavecdésinvolture,chassantl’imageimportunedeNicholasentrain
des’introduiredanslachambredelafilledanslebutdeladébaucher.Lapauvrepucelleenmourraitcertainementdepeur.—Jel’aivue.Elleesttrèsmignonne.Nicholasdétachatranquillementquelquesboutonsdeplusavantderépondre.—J’allaisluidemandersamaincesoir,dit-ildoucementendescendantlarobeunpeuplus.L’étoffeargentées’affaissaà l’avant, révélantainsiundécolletébiengonflé.Seuls lesmamelons
d’Évarestèrentcachéssoussachemise.—Votrearrivéeatoutchangé.—Ah?Ellesouritcommeuneidiote.Elleétaitheureused’avoirledostourné.Saprésenceaubaln’aurait
pas pumieux tomber et elle n’arrivait pas à cacher sa satisfaction.Monsieur le duc était toujourscélibataireparcequ’elleavaitcédédevantlapressionexercéeparsasœurpourqu’elleyassiste.ElleremerciasilencieusementNoëlle.LapauvreLucybiennantieetparfaitementcélibataireétaitrentréechezellepourretrouverunlit
vidependantqueleducgrimpaitfurtivementàsafenêtreàlamanièred’unvoleurdanslanuit.Pourelle.Évaavaitenviederiredepurbonheur.Àlaplace,elleremualesfessesetentenditlarespirationdu
duc s’accélérer.En l’espacedequelques secondes, elle fut libéréede sa robeet il glissa lesmainsautourde la taille d’Éva comme s’il cherchait ses seins.S’appuyant sur ses cuisses, elle se leva ets’éloigna.—Restezlà,luiordonna-t-ellepar-dessussonépaulelorsqu’ilbougeapourselever.Avançantdeplusieurspas,elleexagéraleroulementdeseshanches,puisseretourna.Ledébutde
sourirequ’ilaffichaitl’encourageaàselibérerlentementdelarobeavantdelaplacersurlepieddulit.Elleavaittoutesonattention.—Celavousplaît-ilquejemedéshabillepourvous,monsieurleduc?luidemanda-t-elle,lesyeux
écarquillés.Lorsqu’ilhochalatête,elledesserrasoncorset,puiss’arrêta.
—Etquandjefaisceci?Ilhochaànouveaulatêtelorsqu’elleendéfitlelacetpourledescendrepar-dessusseshanches.Elle
s’en débarrassa d’un coup de pied. Plutôt que d’enlever le reste de ses vêtements, elle tira sur lesrubanspourresserrerledécolletédesachemise.Laborduredelafineétoffeécrasalachairfermedesesseins,quimenaçadedéborder.Ilgrogna.—Vousêtesuneallumeuse,ÉvangélineWinfield.Àentendresesparoles,onauraitditqu’ilétaitàboutdesouffle.Ellesouritetrivasonregardau
sien.Lentement,enroulantdeshanches,ellerevintseplacerdevantluiets’agenouilla.Lapositionduducrenditunpeucompliquée la tâchede le libérerdesonpantalon,maisaprèsquelques tentativesratées,elleréussitfinalementàouvrirletissupourlibérersonérection.Un grognement plus grave s’échappa de sa gorge lorsqu’elle prit sa verge dans sa main et en
caressaladouceextrémité.Soncorpsétaitparfaitementconçupourleurprocurerduplaisiràtouslesdeux.—Vousmedistrayez,maîtresse.Évasouritetposaunbaisersursongland.—Vraiment?Jecroyaisquenousétionsennemis.Ellelelâcha,serelevaetenfourchasesgenoux.Ill’observaattentivementtandisqu’elleretroussait
sachemiseetsonjuponpourlesremonterau-dessusdeseshanches,jusqu’àcequ’ilneresteplusquesaculotte,sajarretièreetsesbaspourcacherauregardduducsatouffebouclée.Évaécartasoigneusementl’ouverturedesaculotte.Avecl’aideduduc,ellesepositionnaau-dessus
desonérectionets’empaladoucementsursonmembredurci.Nicholasenfouitlatêteentresesseinsetlaissaéchapperuncrirauque.Éva remonta,puis redescenditune foisavantde tourner sonattentionvers levisageduduc.Son
désir était absolu et aveuglant. Leurs rencontres précédentes n’avaient aucunement refroidi sonardeur.Ilavaitenvied’elleautantsinonplusquelapremièrefoisqu’ill’avaitemmenéedanssonlit.—Celavousplaît-il,Nicholas?—Oui.Il sourit lorsqu’elle se pencha afin de capturer ses lèvres pour un bref baiser passionné. Il fit
tournoyersalangueaveclasienne,puiss’endétacha.Illaregardadroitdanslesyeux.—Celameplaîtbeaucoup.Évaluicaressalevisageetposalesmainssursesjoues.Devantleregardintensebrûlantdedésir
duduc, lespalpitationsde soncœur la laissaient tremblanteet confuse.Àcet instant, elle se renditcomptequesespirescauchemarss’étaientmatérialisés.Elleétaittombéeprofondémentetéperdumentamoureusedesonducténébreux.— Je suis une courtisane bien entraînée, dit-elle d’un ton léger, s’efforçant d’empêcher les
minusculesfissuresquis’ouvraientdanssoncœurdedevenirdeprofondescrevasses.Ici,iln’yavaitpasdeplacepourl’amour;cen’étaitqu’unehistoiredepassion,deplaisirsetde
sexualitéentredeuxcorps.Ellefermadoncsoncœurettiralachemiseduduchorsdesonpantalon.Ellelapassapar-dessussatêteetlalançaendirectiondulit.—Jesuislàpourvoussatisfaire.Déployant sesmains sur son torse, elle taquina sesmamelons et se pencha pour inhaler l’odeur
chaudedesapeauenposantunbaiseràlabasedesoncou.Ilavaitunlégergoûtsaléetdelachaleurirradiaitdesoncorps.Nicholasarrachauneàunelesépinglesdesescheveux,quiluitombèrentdans
ledos.Illapritàpleinesmainsparleshanches,lasoulevaetl’abaissa,s’enfonçantprofondémentenelle,encoreetencore.Elle suivit le rythme de ses mouvements dans une danse primale et trouva une position dans
laquelleellepouvait se frottervoluptueusementcontre luipourunmaximumdeplaisir. Il suça sesseinsàtraverssachemise,mouillantl’étoffeetprovoquantchezelledepetitscrisdejouissance.Lachaise délicate craqua pour protester contre leurs poids combinés qui atteignirent la limite de sacapacitéàresterdebout.Tandis qu’il lui labourait la chair, leurs deux corps bougèrent en parfaite synchronie jusqu’à ce
qu’Évasentel’universquil’entouraitexploserenunemyriaded’étincelleslumineuses.Ellerejetalatêteenarrièreetcriasonnom.Nicholass’enfonçaprofondémentenelleetatteignitl’orgasmeàsontour,lâchantungrognementsaccadé.Éva, repue, s’effondra sur son torse.Nicholas posa un baiser dans ses cheveux en lui caressant
lentementledosavecdesgestesaffectueux.Elleécoutalebattementrapidedesoncœurensouhaitantqu’ilspuissentresterainsiàjamais.—Jesuissatisfait,moncœur,dit-ildoucement.Trèssatisfait.Le visage caché,Éva soupira tristement tandis qu’elle tirait de lui le plus de réconfort possible.
Leurtempsétaitcompté.Elledevaitaccumulerautantdesouvenirsquepossibledesonodeur,desonvisage,desescaresses.Unjour,bientôt, ildemanderaitofficiellementlamaindeLucyetÉvanelereverraitplusjamais.Ravalantseslarmes,elles’efforçadesourire.—Jesuistrèssatisfaiteaussi,monsieurleduc.
•
Plustard,Nicholasregardaitleplafond,oùlalueurdufeuvacillaitsurleplâtre,ensedélectantdelachaleurd’Évaquidormaitcolléecontrelui.Sarespirationcalmeluichatouillaitlapeauàl’endroitoùsonvisageétaitappuyésursontorse.Sescheveuxemmêlésautourdesonépauleetdontdesmèchessoyeusesétaientéparpilléessursontorseétaientimprégnésd’undouxparfumdefleurs.Elleavaittoutcequ’ilrecherchaitchezunemaîtresse,maisaussitoutcequ’ilredoutait.Lorsqu’elle
était dans les parages, il perdait le contrôle. Le bal en était un parfait exemple. Il ne serait pas lemoindrementsurprissi,lelendemain,lasociétébourdonnaitdespéculationsausujetdesonbéguinpourlabelleinconnue.Seschancesd’épouserLucyétaientpratiquementanéanties.Ilétaitpeuprobablequelanouvellede
son attirance pour la mystérieuse mademoiselle Harrington ne parvienne pas jusqu’à elle et sesparents.Seulslafortuneetlerangduducl’empêcheraientpeut-êtrederefusersademande.MaisLucyétait-ellecequ’ildésirait?L’avait-ellejamaisété?Évahantaitsesjoursetsesnuits.Elleoccupaittoutessespensées,toussesrêves.Elleétaitdevenue
uneobsession.Encemoment, il aurait dû être fiancé etprêt à commencerunnouveauchapitrede savie.Lucy
aurait dû rêver joyeusement à un mariage. À la place, il s’était introduit par effraction dans lademeuredeLadySeymourpourséduiresasœursoussonnez.Enfin,Éval’avaitséduit.Absolument,passionnémentetsansaucunehésitationniaucunregret.Elle
avait détourné son désir de vengeance en désir pour elle, un désir dont il ne pouvait s’affranchir.Lorsqu’illaregardaitdanslesyeux,ilétaitperdu.
Ilserenditcomptequepasserlerestedesesjoursetdesesnuitsavecladouce,maisinsignifianteLucy Banes-Dodd avait perdu beaucoup d’intérêt. Diable, tout son intérêt, en fait. Il voulait de lapassionetdel’ardeur,pasdulaitetdesgâteauxsecs.Pourtant,Lucyferaituneépouseidéale.Danscecas,pourquoin’était-ceplussuffisant?Évamurmuradanssonsommeiletglissaunbrasautourdesataille.Lefeudanslacheminéen’était
plus qu’un petit tas de braises et sa main délicate était froide dans la pièce fraîche. Ses lèvress’étirèrentenunsourire.Ilsedemandaàquoiellerêvaitets’ilfaisaitpartiedesonrêve.AvecÉva,allezsavoir.Savieillefillecourtisaneétaitunevéritableénigme.Laraisonpourlaquelleellelerendaitfouétait
encoreplusénigmatique.Ilsn’avaientrienencommun.Savieétaitdictéepardesrèglesstrictes,parun code de conduite considéré comme approprié en fonction de son rang dans la société. Elle semoquaitdeluietletourmentaitàproposdetoutcequ’ilétaitetdetoutceenquoiilcroyait.Pourtant,àl’instantoùill’avaitaperçueàl’autreboutdelasalledebal,toutleresteavaitcesséd’exister.Lavieille fille s’était immiscée non seulement dans son corps, mais aussi dans son esprit. Il avaitcommencéàvoirsonmondeàtraverssesyeuxàelleetl’avaittrouvédéficientsousplusieursaspects.Lepetitsouriresur levisaged’Évas’agrandit.Lesyeuxtoujoursfermés,elleglissalentementla
mainverslebasdesontorse,puissousledrapetsursonmembreviril.Ilfrissonnaetcommençaàbander.—J’aifaitunrêvedesplusagréables,monsieurleduc,chuchota-t-elleenouvrantlesyeux.Vous
enétiezlepersonnageprincipalettoutcequevousmefaisiezétaitabsolumentscandaleux.Nicholas gloussa et la plaqua sur le lit. Il savaitmaintenant qu’il occupait aussi ses rêves à elle.
Cettepenséeluipluténormément.—Danscecas,vousdeveztoutmeraconter,Éva,moncœur.
•
Lesdernièrestracesd’obscurités’étiraientjusteavantl’aubelorsqueNicholaspassaunejambepar-dessuslereborddelafenêtreets’arrêtapourbalayerduregardlecorpslégèrementvêtud’Éva.Sousla mince chemise de nuit, il voyait ses mamelons foncés et, en regardant attentivement, il pensaapercevoir les boucles à la jonction entre ses cuisses. Que ce fût vrai ou plutôt le fruit de sonimagination,celaimportaitpeu.Ilconnaissaitassezintimementchaquecentimètredesoncorpspourpouvoirinvoquermentalementsescourbesoùetquandilenavaitenvie.—Vouspouvezvous faufiler par l’escalier de service à l’arrière,Nicholas, chuchotaÉvad’une
voixinquièteens’agrippantàsaveste.Cettefenêtreparaîtvraimenttrèshaute.Ill’attiraverslui,unemainderrièresondosetl’autredanssescheveuxprèsdesonoreille.—JecroisquepourunedamoiselletellequemajolieÉva,ledangerdesauterdansunarbreest
beaucoupplusexcitantque le faitdeme faufilerparuneentréedeserviceà lamanièred’un lâchedandy.Évasepenchaàlafenêtrepourregarderenbas.—Sivoustombezetquevousbrisezquelquechose,voshurlementsréveillerontlamaisonnéeetla
villeentièresaurabienviteoùvousavezpassélanuit,SirChevalier.Lapréoccupationqu’il lutsurses traits le toucha.Ellene luisouhaitaitplusunemortviolenteet
douloureuse.Cetteidéeluiplut.Illaserrafortcontreluietl’embrassasauvagement.—Danscecas,jedevraiêtreprudent.
Illarelâchaàcontrecœur,puisgrimpasurlereborddelafenêtre.Elleretiralentementlesmainsdesaveste.—Priezpourmoi,Milady.Évaretintsonsoufflelorsqu’ilbonditversl’arbre.Ilcafouillaunpeu,maisattrapalabrancheau-
dessus de sa tête. En un instant, il reprit pied, heureux de ne pas avoir à supporter la honte d’êtretombémaladroitementsouslesyeuxd’Éva.Elleritdesoulagement.—Bienjoué,SirChevalier.Illagratifiad’ungrandsourire.—Jevaism’adonnerausaccageetaupillage,Milady.Ils’inclina,chancela,puisseredressa.—Aurevoir.Sansplusdecérémonie,ildescenditdel’arbre.AprèsavoirjetéundernierregardàÉva,dontle
clairdelunedécoupaitlasilhouetteàlafenêtre,ilsefrayasilencieusementunchemindanslejardinetpassalaportequimenaitàlarue.
•
Évaentenditunbruissementdebranches,puislebruitsourddel’atterrissagedeNicholas.Ellenelevoyaitpas,maissentaitsonregardsurelleetlesaluadelamain.Lorsquelagrilledujardins’ouvritetsefermaengrinçant,elleretournadansl’obscuritédesachambrepours’asseoirsurlelit,lavueetlecœurembrouillés.Quefaire?L’amour.Onenparlaitbeaucoupet lechantait souvent,maisc’était lepluscomplexede tous les
sentimentsetilfaisaitrarementpartiedesrelationsentredeuxpersonnes.Lorsquequelqu’untrouvaitl’amour, il était rare que cela soit à l’intérieur des limites dumariage ou de la relation entre unhomme et samaîtresse. Il était plus facile de détestermonsieur le duc que de tomber éperdumentamoureusedelui.Il s’agissait d’une drogue si enivrante qu’elle avait aussi terriblement besoin de lui que d’autres
avaientbesoindeladroguedudémon,l’opium.Ilneluiavaitpromisriend’autrequeduplaisiretilavait tenu sapromesse.Pasune seule fois lorsde leursmomentsd’intimitéabsolue, ilne lui avaitdonnéderaisonsdes’attendreàquoiquecesoitd’autrequ’àdebrefsinstantsvolés.Bienqu’ill’appelât«moncœur»,cen’étaitriendeplusqu’unmottendreprononcésouslecoup
de la passion, un surnom affectueux qu’il utilisait dans l’intimité, lors de moments d’inattention.Nicholasneseraitjamaisamoureuxd’elle.Ilressentaitpeut-êtredel’affectionpourelle,maispasdel’amour.Celanefaisaitpaspartiedelui.Ilétaitpragmatique.Elleétaitesclavedesesémotions.Évaenfouitsonvisagedanssesmains.Ilavaitéprouvédel’affectionpourArabella,commeilen
éprouvaitpourelle.Ellelesentaitdanssamanièredelaserrerdanssesbras.Maiscelavenaitavecdes limites.Tantqu’elle respecterait ces limites, tout iraitbien.Pour l’instant, il lui avaitpardonnéd’avoirassistéaubal.Dèsqu’ilreprendraitsesesprits,cetteimpertinencelemettraitencolère.IlavaitprobablementendommagéirrémédiablementsarelationavecLucy.Ilne le luipardonnerait jamais,commeilneluiavaitjamaispardonnélaperted’Arabella.Elleétaitlacausedesesdeuxpertes.Ilneluirestaitplusqu’unechoseàfaire.
CHAPITRE15
—Pas de nouvelles d’Yvette,mademoiselle Éva ? s’enquitAbigail tandis qu’elles s’installaient pourprendrelethé.Lesquatrejeunesfemmessefaisaientbeaucoupdesouci.Plusieursjourss’étaientécoulésdepuisla
disparitiondeleuramieetellesétaienttoutesperturbéesparsonabsence.Plusletempspassait,plusilétaitdifficiledeterminerlesleçonsetdeseconcentrersurlesderniersdétailsdeleurapprentissage.Elles étaient prêtes à se trouver un partenaire. Éva était fière des grands efforts qu’elles avaientfournisetdeschangementsquis’étaientopérésenchacuned’elles.Mêmelelivrefutaccueilliavecpeud’enthousiasmelorsqu’Évaproposadejeterunderniercoup
d’œilaucasoùellesauraientomisquelqu’un.Lafêteaurait lieudansunesemaine,mais,bienquechacuneaitchoisideuxhommesàinviteretqu’Évaaitinclusplusieursdesespropreschoix,elleétaitéclipséeparleurinquiétudeàproposd’Yvette.Éva avait espéré retenir l’information qu’elle avait obtenue ce matin de la part de monsieur
Crawfordjusqu’àcequ’elleenreçoivedesnouvelles.Toutefois,lesvisagesinquietsneluilaissèrentpasd’autrechoixquedeleurparlerdurapport.Cesfemmesméritaientdeconnaîtrelavérité.—Ledétectiveadécouvert l’identitédel’amantd’Yvetteets’estrenduàsamaisondecampagne
pour jeter un coupd’œil aux alentours. Ilm’a dit le nomde l’hommeet j’ai bon espoir quenoussauronsbientôtsiYvetteaétéaperçuelà-bas.Éva cacha son inquiétude du mieux qu’elle put. Son vœu le plus cher était de retrouver Yvette
vivante.—Iln’yavaitaucunsigned’elleàsamaisondeville.—Etsiledétectivelatrouve,qu’arrivera-t-ilensuite?demandaSophie.Elletirasurladentellequibordaitsaroberosejusqu’àcequecelle-cis’effiloche.Ellelalissa,puis
joignitlesmains.—Etsisonamantl’avaitenferméedansunetouretavaitl’intentiondelalaissermourirdefaim?
Ousielleétaitenchaînéedansunecaveavecdesrats?—Oh, ciel, dit Rose, les lèvres tremblantes, en portant une jointure à sa bouche. Et s’il l’avait
vendue comme esclave ? Elle pourrait se retrouver dans quelque contrée lointaine et on ne lareverraitplusjamais.Évalevalesmains.Elledevaitlesrameneràl’ordreavantqu’ellessemettentdanstousleursétats.— Mesdemoiselles, je vous en prie. Nous ne devons pas nous laisser emporter par notre
imagination.Leursespritslesavaientmanifestemententraînéesverstoutessortesd’idéesnoires.—Pourêtred’unequelconqueutilitéàYvette,nousdevonsresterpositives.—Mademoiselle Éva a raison, renchérit Abigail. Nous devons laisser au détective le temps de
trouverdesindices.Ilesttoutàfaitpossiblequ’ellen’aitpasétéenlevéedutout.Peut-êtrequ’elleatrouvéunnouveauprotecteuretqu’elleestheureuse.—Nousluisouhaitonstoutesd’êtreheureuse,Abigail.Tandisqu’Évaprenaitunegorgéedethé,illuivintunepossiblesolutionaudilemme.Aucoursdesdeuxderniersjours,elleavaitévitéleduc.Illuiavaitfaitparvenirunmessage,mais
elle avait refusé de le recevoir.L’uniquemoyende l’oublier était de l’éviter.Lorsqu’il se rendraitcompte qu’elle n’était plus à sa disposition, il demanderait la main de Lucy et s’emploierait àpréparerlemariage.MaissiYvetteétaitgardéeprisonnière,Évadevraitpeut-être rendrevisiteàmonsieur leducune
dernière fois pour lui demander son aide. Il connaîtrait quelqu’un qui pourrait lui porter secours.
Peut-êtreengagerait-ilquelquesofficiersdelarueBow.SoncœurselanguissaitdeNicholasetellefaisaitdesonmieuxpourignorerladouleur.Celle-ci
l’accompagneraitconstammentunefoislarupturedéfinitiveetsoncœurréduitenmiettes.Elleferaitaussibiendes’yhabituerdèsmaintenant.Ilsn’avaientaucunavenirensemble.Rosehochalatête.— Je pense que nous devrions choisir deux prétendants pour elle. Il y avait un homme, un
marchand,quisemblaitl’intéresser.Peut-êtrepouvons-nousentrouverunautre.Elleallachercherlelivre.Lesautresfemmesserassemblèrentautourd’elletandisqu’elletournait
lespages.—Regardez,c’estlui.Ils’agitd’unhommematuredequaranteans.Ilestpropriétaired’unsalon
dethéetvoyagesouventenFrancepourrendrevisiteàsonfrère.Lamèred’YvetteétaitFrançaise.— C’est un bon choix, acquiesça Pauline en tournant la page. Et celui-ci. Lui aussi est dans la
quarantaine.Ilestveufetsesenfantssontmajeurs.Ilchercheunecompagnepourl’aideràoccupersesjournées,poursuivit-elleensouriant.IlseraitparfaitpourYvette.—C’esttrèspossible,renchéritSophie.—Tournelapage.Jecroisquej’enaivuunautre,ditAbigail.L’excitationmontait.—Jecroisqu’ilyaunmarchandverslafin.Ilestveufetsesenfantssontmajeursaussi.Lesfemmesbavardèrent joyeusementenexaminant tous lesépouxpotentielspourYvette.Évafut
soulagéequ’ellesaienttrouvéquelquechosepoursedistrairedeleurssombresspéculationsausujetdusortd’Yvette.—Allez à la dernière page, intervint Éva. Pas plus tard qu’hier, j’ai ajouté un constructeur de
navireaméricain.Ilm’aétérecommandéparmonsieurJones.Lespagesbruissèrentetplusieurssoupirssuivirent.—CetAméricainprévoitdedéménagersonentrepriseàLondresetilestplutôtprospère.Jecrois
quenousdevrionsenvisagerdeluienvoyeruneinvitation.—Ilestbeau,commentaPauline.—Vraimenttrèsbeau,renchéritRose.—Ilauneréputationimpeccable.Onmel’aassuré.— Dans ce cas, il doit être invité, déclara fermement Sophie. Nous devrions faire une liste et
l’écrémer jusqu’à ce qu’il ne reste plus que les deux— elle regarda Éva— ou trois meilleurscandidats.Évasourit.D’objetsdeplaisir, sescourtisanesétaientdevenuesde jeunes femmesauxqualitéset
auxmanièressupérieures.Del’éblouissanteRoseàlabeautésubtiled’Abigail,unaussibongroupeplairaitauxhommessursa listed’invités.Ellenepouvaitqueprierpourqu’Yvettesoitsecourueetquelescinqfemmestrouventunépoux.— Nous devons terminer rapidement la liste d’Yvette, intervint Éva en versant encore du thé.
J’enverrailesinvitationsdemain.
•
Lelendemain,lorsquelesinvitationsfurentenvoyées,Évapassaenrevuelemenudelafêteaveclacuisinière.Commelaréceptionréuniraitungrouperestreintaumilieudel’après-midi,iln’étaitpasnécessaired’offrirunrepasélaboré.Duthé,desgâteaux,dupunchetdessandwichesravitailleraient
parfaitementlesinvités.Et,bienentendu,lanourriturefournissait toujoursunsujetdeconversationlorsqu’ondevaitremplirdelongsmomentsdesilence.Éva savait d’expérience qu’onmangerait très peu. Bien que ses courtisanes ne subissent aucune
pressionpourchoisirunpartenairedurantlafête,celles-ciétaienttoujoursnerveuseslapremièrefoisqu’ellesdevaientmettreleursleçonsenpratique.Commentpourrait-il enêtreautrement?C’était lepointculminantde leurseffortsacharnés.Les
femmesétaientdéjàbellesetcharmantes;Évaleuravaitsimplementdonnédesoutilspourpaverlaroutejusqu’aumariage.Mêmesicenedevaitêtrequedansleurimagination,ellesseraienttestéesetchacuneenressentaitlapression.Haroldavaitconduitlesfemmesàleurdernieressayagepourlesrobesqu’ellesporteraientlorsde
la fête. L’enthousiasme pour l’événement à venir était légèrement refroidi par l’absence d’Yvette,mais il existait toujours l’espoir qu’elle soit retrouvée et ramenée à temps. Les femmes s’yaccrochaientets’efforçaientdecontinuercommeprévu.Éva n’était certaine de rienmis à part de sa propre situation. Elle aussi s’efforçait de passer à
traverssesjournéesmalgrélebrouillard.Elleétaittroubléeetdéprimée,commesiunnuagenoirlasuivaitetqu’ellen’arrivaitpasàlesemer.Monsieur leducluimanquaiténormément.Plusqu’ellenes’yserait jamaisattendue.Ellen’avait
jamaisconnul’amourauparavant.Ellesebattaittouslesjoursaveclesconséquencesdecesentimentindésirable.Ses prières pour le retour rapide de monsieur Crawford restèrent sans réponse. L’attente était
éprouvante. Si tout allait bien, le détective trouverait et secourraitYvette ; Éva n’aurait pas besoind’affronterNicholas à nouveau.Chaque fois qu’elle voyait son séduisant visage, cela lui brisait lecœur.SonretraitvolontairedelaviedeNicholasduraitdepuistroisjours;elleétaitirritableetd’humeur
maussade.Ellesemordaitconstammentlalanguepournepascriersurtoutlemonde,ycomprissamère,pourdesbroutilles.Toutcedontelleavaitenvie,c’étaitpasserdeuxsemainesaulitàpleureretàselamenterjusqu’àce
queNicholassoitemportéparseslarmes.Àl’heurequ’ilétait,ilétaitprobablementfiancéetattendaitimpatiemment sanuitdenoces.Ellenepouvaitpas s’imaginerqu’il restâtplanté làpendantquesacourtisane réticente se cachait de lui. Il voudrait rapidement faire deLucy sa promise avant qu’unautre homme ait l’occasion de la courtiser, pour se mettre ensuite à la recherche d’une nouvellemaîtresse.Leshommesdesongenrenesecontentaientjamaisdel’amourd’uneépouse.Ilchercheraitunecourtisanepourréchauffersonlit.Lacuisineluiparutsoudaintrèschaudeetlatêteluitourna.—Excusez-moi,murmura-t-elleenlaissanttomberlemenu.Àlagrandesurprisedelacuisinière,Évaseruadanslejardinparlaportearrière.Craignantd’être
surlepointdevomir,ellerespiraprofondémentl’airhumidejusqu’àcequesonestomacsecalme.Letempsétaitfraisetnuageux;paslegenredejournéeappropriéepoursebaladerdanslejardin.
Ellesentitunfilmd’humiditéinvisiblesedéposersurlapeaunuedesesbrasetdesonvisage.Lespremièresfleursprintanièresétaientpleinementépanouiescontrel’arrière-planmaussade,maisÉvane leur accorda pas plus qu’un regard dédaigneux.Elle se précipita vers le banc en pierre le plusprocheetselaissatombersursasurfacehumide.Les larmesmenaçaient de déborder. Le chagrin s’installa en elle. En proie à de vives émotions
comme elle l’était, elle ne pouvait pas supporter l’idée que Nicholas soit marié. Le seul lit qu’ildevraitpartager,c’étaitlesien!Sesenfantsdevraientêtrelessiens!
—Éva?Surprise, elle leva brusquement la tête.À travers les larmes qui luimontaient aux yeux, elle vit
Nicholasquis’avançaitsurlesentierdupasvifd’unaristocrateconfiant.Ilportaitunchapeauetunecapepourpareràlapluiequimenaçait.Ellesedélectadesavuetandisqu’ils’approchait.Ellepassarapidementunemainsursesjouesetseleva.Ilnedevaitpasvoirqu’ellesouffrait.—Monsieurleduc.Son cœur s’arrêta lorsqu’elle le regarda en face. Elle avait envie de se jeter dans ses bras, de
l’embrasser,deletouchertoutpartoutpours’assurerqu’ilnes’agissaitpasd’unehallucination.Maisellegardalespiedsclouéslàoùilsétaient.—C’estladeuxièmefoisquevousvenezicisansêtreinvité,monsieurleduc.Jeneletoléreraipas.Sontonsecluifitserrerlesdents.—J’étaisinquietquevousn’ayezpasréponduàmonmessage.J’aieupeurquevoussoyeztombée
malade,répondit-ilenl’examinantbrièvement,puisilpinçaleslèvres.Jevoisquevousêtesenbonnesanté.Ellerassemblasoncouragepourfairecequidevaitêtrefait.—Jecroisqu’ilseraitmieuxpourtousquenousmettionsfinànotrerelation,monsieurleduc.Ma
sœur estmécontente, je suismécontente et vous serez bientôtmarié.VotreLucy sera certainementmécontentesivouscontinuezàcoucheravecmoi.—Lucyn’aaucuneincidencesurlarelationentrevousetmoi,Éva,répliqua-t-ilsèchement.Jene
luiaipasdemandésamain.—Maisvousleferez,soupiraÉva.Pourquoinepouvait-ilpaslalaissertranquille?Nevoyait-ilpasàquelpointc’étaitdifficilepour
elle?— Que ce soit elle ou une autre femme bien née comme elle, poursuivit-elle. Vous avez une
branched’arbregénéalogiqueàrempliretvotremèreneserapassatisfaitetantqu’ellen’aurapasunebonnedouzainedepetits-enfantsàgâter.—Vousneconnaissezpaslesaspirationsdemamère,dit-ilenfaisantclaquersacravachecontresa
botteavantdeleverlatêteverslecieldeplomb.Ellenem’apasparlédeLucyuneseulefoisdepuislebal.Enfait,ellenem’apasparlédemariagedutout.Évaexpirabruyamment.Elleespéraitdésespérémentqu’ellen’avaitrienàvoiraveclechangement
d’attitudedesamère.Ellenevoulaitpasajouterladuchesseàlalistedesgensblessésparsesactions.—Peu importe la femmequevouschoisirez, répliquaÉva, ça finira inévitablementde lamême
manière:votremariage.Depuisquejesuisentréedansvotrevie,jevousaivolévotrecourtisane,j’aienvahivotremondeetj’aitrèsprobablementruinévosfiançailles.Jecroisqu’ilseraitpréférablequevousrentriezàCollingwoodHouseetquevousoubliiezquevousm’avezrencontrée,poursuivit-elleencroisantetdécroisantlesdoigts.Jevousverseraidespaiementsmensuelsjusqu’àcequemadettesoitremboursée,mêmesiçadevaitprendrecentans.—Vouscroyezquejemesouciedevotresatanéedette?tonnaleduc.Ellesursauta.Illuilançaunregardnoir.—Lamaisondevillevousaétédonnéeencadeau,àvotrenom,desortequevotremèrenepuisse
pluslamettreengarantie.Lesautresdettesserontpayéesquandj’enauraiuncompterendudétaillé.Iltenditlamainpourprendrelasienneetlatirasursespieds.— J’ai eu tort d’utiliser la menace de la prison des débiteurs pour vous forcer à devenir ma
maîtresse.
Quellesurprise!Elleétaitlibre!Elleauraitdûdanserdejoie.Maismêmecelan’arrivapasàluiremonterlemoral.— Je vous remercie de votre considération,monsieur le duc.Mamère etmoi vous en sommes
reconnaissantes.—Bonsang,Éva.Illasaisitbrusquementparlesbrasetlasecoualégèrement.Ilsepenchapourlaregarderdansles
yeux.—Jeneveuxpasdevotregratitude.Jeneveuxpasquevousvoussentiezobligéedevenirdans
mon lit d’une quelconque façon. Je veux que vous poursuiviez notre relation parce que vous medésirezautantquejevousdésire.Il inclinalatêteet luieffleuraleslèvresdessiennes.Évaposaunemainsursontorseetsentit le
battementrapidedesoncœur.Toutaussirapidement,illarelâchaetellevacilla.—Jenereviendraipasvousvoir.Voussavezoùmetrouver.Àvousdedécider.Lesyeuxécarquillésetàboutde souffle,Éva le regardas’éloignerd’unpas raidesur le sentier
verslemurdufond.Leclaquementdelagrillemétalliquerésonnadanssesoreilleslongtempsaprèsqu’elleeutentenduuncarrossepartir.Elles’écroulasurlebancetenfouitsatêtedanssesmains.Nicholasluiavaitretiréseschaînesetlui
avaitfaitlecadeaudeluirendresavie.Ellen’avaitplusàs’inquiéterpoursonavenirnidufaitquesapuissante présence ne tire les cordons de sa bourse. Sa mère était en sécurité et Éva n’était plusobligéedelerevoir,àmoinsqu’elleledécide.—Oh,ciel.Elleportasesmainsouvertesàsaboucheetfixasanslavoirunetouffedejacinthesbleues.Ellene
pouvaitpass’attendreàcequemonsieur leducluiexprimeplusclairementsonaffection.Il l’avaitlibérée,maisilvoulaitqu’ellereste.Ilneservaitàriendeliredelapoésieoudes’attarderàdesmotsd’amour.Ilavaitenvied’elle,il
tenaitàelle.Ellel’avaitvudanssesyeuxetsentidanssonbaiser.—Jevoisquemonsieur leducest revenu,ditHarold,quicontournaunehaieétroitepourvenir
s’arrêterdevantelleenfixantlefonddujardind’unairimpassible.Ilestéprisdevous,Éva.—Iltientàmoi,admit-elle.Aucunhommen’offriraitunsigroscadeaus’ilnesesouciaitpasdesonbien-être.—Ilaeffacémesdettesetm’atransférélégalementlamaisondemamère.Lesmotsrestèrentcoincésdanssagorgeetlesyeuxluibrûlaientlorsqu’elleleslevasurHarold.
Elles’éclaircitlavoixendéglutissantpéniblement.—Etillaissel’avenirdenotrerelationentremesmains.Harold passa un bon moment à ouvrir et à fermer la bouche. Il ne voulait manifestement pas
accorderdecréditàmonsieurleducpoursonacted’altruisme.LesdeuxhommesluttaientpouravoirledroitdeprotégerÉvaetsamère.Heureusement,iln’yavaitpaseud’effusiondesang.—Jel’aipeut-êtremaljugé,finit-ilpardire.Évaécarquillalesyeux.AdmettresonerreuravaitétédifficilepourHarold.—Nousl’avonstouslesdeuxmaljugé,répondit-elle.Haroldacquiesça,puissegrattalatête.—Vousa-t-ildemandévotremain?—Non,répliquaÉvaenlevantlementon.Elleétaittropàcranpourdiscuteraujourd’hui.—Jenem’attendspasàunetelledemande.Jesuislafilled’unecourtisane.
Quelquesgouttesdepluiesemirentàtomber.Elleravalaseslarmesetseleva.—Oh,Harold,jetiensbeaucoupàlui,poursuivit-elle.Jenesaispasquoifaire.Laviequejemène
nemesatisfaitplus.Jeveuxtellementplus.Jeveuxfondermaproprefamille.Haroldhaussalesépaules.—Jenepeuxpasvousconseillerlorsqu’ilestquestiondemonsieurleducoudevotreavenir.Vous
devezécoutervotrecœur.S’ilnepeutpasvousoffrircedontvousrêvez,vousdevezlelaisserpartir.Éva prit Harold par le bras et appuya la tête sur son épaule. La laine humide de sa veste était
étrangementréconfortante.Aucoursdesdernièressemaines,leurproximitéluiavaitmanquéetelleétaitheureusedelaretrouver.—Vousêtesunsibonami.—Sivoussaviez,marmonna-t-ilenluitapotantlamain.
•
NicholasécoutaattentivementCrawfordjusqu’àcequ’ilaitterminésonrapport.—Jesuiscertainquelafemmeestretenueprisonnièrequelquepartàl’abbayedeHighland,ajouta
ledétectiveaprèsavoirprisuneprofondeinspiration.Ilyadesrumeursparmi lesdomestiquesducomteausujetd’unefemmeenferméedansunepièceaudeuxièmeétage.Jecroisqu’ils’agitdecetteYvettedisparue,peut-êtreenlevée.Enlevée?Évaavaiteuraisondes’inquiéter.Sacourtisanen’avaitpasdisparuparchoix,maisde
force.LordMaddingtonl’avaitfaitenlever.Lescélérat!—VousavezracontéçaàmademoiselleBlack?Il lui paraissait étrange de l’appeler par son nom de vieille fille, mais il était préférable que
Crawford continue de la considérer ainsi. Mademoiselle Black appartenait à ses courtisanes.ÉvangélineWinfieldappartenaituniquementàNicholaset il luiétait facilede fairementalement ladistinctionentrelesdeux.—Jesuisvenuaussitôtaprèsl’avoirquittée,monsieurleduc.Ledétectivesetenaitprèsdufeupourseréchaufferaprèsavoirtraversélavillesouslapluie.Ses
oscraquèrenttandisqu’ilpliaitetdépliaitsesmainstenduesverslesflammes.—Ladameétaittrèsinquièteets’estaussimontréetrèsgénéreuse.Nicholasfronçalessourcils.—Vousnedeviezpasaccepterd’argentdesapart.—J’aiessayéderefuser,réponditCrawfordavecungrandsourire.Lorsquej’aiexpliquéquevous
paieriez, son gros domestique m’a mis une bourse dans la main de force, poursuivit-il avec ungloussement.J’aieupeurdesaréactionsijerefusais.Jel’aiglisséesurunetableensortant.Nicholashochalatêteensouriant.Évaneseraitpascontente.Haroldétaitaussipersuasifqu’ilétaitcostaud.NicholasimaginaÉva,sondomestiquederrièreelle,
entrainderefuserdelelaisserpayerquelqueautredetteàsaplace.MêmesansHarold,ilsoupçonnaitqueCrawfordauraitétéenpositiond’infériorité.Àelleseule,Évareprésentaitune forceetellesemettraitencolèrelorsqu’elledécouvriraitlabourselaisséelà.Ciel,commeelleluimanquait!Allongeantlesjambespoursoulagerlatensiondanssonpantalon,Nicholasappuyauncoudesurle
brasdesonfauteuiletposalementondanssamain.—Jevousremerciepourlemalquevousvousêtesdonné,Crawford.Vousavezfaitdel’excellent
travail.J’aiavisémonmajordomededoublervotresalaire.Vouspouvezpasserlevoirensortant.
Crawfordenfonçasonchapeausursatêteets’inclina.—Sivousdeviezavoirbesoindemoiànouveau,monsieurleduc,vousn’avezqu’àm’envoyerun
message,dit-ilavantdesortirparlaporteouvertepours’éloignerdanslecouloir.Desvoixétoufféesluiparvinrent,puislaported’entréeserefermaderrièreledétective.Quelques
minutes plus tard, on frappa et cela résonna dans toute la maison. Nicholas entendit une voixféminine,puissonmajordomeaccompagnaÉvadanslapièce.—MademoiselleWinfield,monsieurleduc.Soulagédelavoir,Nicholasseleva.—Éva.Sous la capuchede sacape trempée, elle incarnait labeautéà l’étatpur.Lorsqu’elle repoussa sa
capuche,del’eaugouttasurleplanchervernietlamassehumidedesescheveuxemmêlésluitombatoutautourduvisage.Ellen’avaitpasmissaperruque.Ils’éclaircitlavoixpourseremettredesonétonnementetrefoulerunsoudainélandedésir.Iltenditnonchalammentlamainverssonverreetavalad’untraitlesdernièresgorgéesdebrandy
pourtenterdecalmersoncorps,unetâcheinsurmontablelorsqu’Évaétaitdanslesparages.—Jenevousattendaispas,sinon,j’auraisfaitpréparerduthé.Ellefitunpasdeplusdanslapièceetlalueurdufeudansasurlapeaupâledesonvisage.—Jenesuispasvenueprendrelethé,monsieurleduc.Cecin’estpasunevisitedecourtoisie.Laraisondesavisiteétaitprobablementliéeauxnouvellesconcernantladécouvertedel’endroit
oùsetrouvaitYvette.Évaétaitattachéeàsesoisillonsdéchuset,lorsquel’und’euxavaitdisparu,elleétaitdevenueobsédéeparlefaitdeleretrouveretdeleramenerdanslenid.—J’aivumonsieurCrawfordpartirenarrivant.Vousêtesdoncaucourantàproposd’Yvette,dit-
elleentendantlesmainsd’unairsuppliant.Jemefaisénormémentdesoucipourelle,monsieurleduc.Nousavonsbesoindevotreaide.Aprèsavoirreposésonverresurlatable,ils’approchad’elle.Aveclesinformationsfourniespar
Crawford,ilsavaitcequiattendaitYvetteetnepouvaitpaslaisserÉvasemettreendanger.Ilfallaitlaconvaincredelaisserdesprofessionnelsgérerlasituation.—Jenepeuxpasfairegrand-chose,madouce,misàpartappelerlesofficiersdelarueBowetles
laissermener leurpropreenquête,répondit-ilenreplaçantunemèchedecheveuxderrière l’oreilled’Éva.Sonamantestunpair.Nousdevonsagiraveccirconspection.—Vouscroyezqu’ilssesoucierontd’unecourtisanedisparueavectouslesmeurtresetlesvolsqui
ontlieutouslesjoursiciàLondres?hurla-t-elleenserrantlespoings.Sijamaisilsenquêtaient,çapourrait leur prendre des semaines, voire des mois, avant de trouver assez de preuves pour lasecourir.D’icilà,Yvettepourraitbienêtremorteouavoirétévenduecommeesclave.Lapeurqu’il lut sur sonvisage lui noua les entrailles.Elle n’avait aucune idéede l’ampleurdu
pétrindanslequelYvettesetrouvait.Cettefemmeavaitdegravesennuiset ilnepouvaitpaslaisserÉva prendre les mêmes risques en affrontantMaddington. Si quelque chose devait lui arriver, çabarderait.—J’aidescontacts.Jepeuxaccélérerleschoses.Évaportaunemaingantéeàsabouche.—Nousnepouvonspas attendre.Elle est endanger immédiat, répliqua-t-elle en faisant les cent
pas, laissantune traînéedegouttesd’eaudanssonsillage.Nousdevons trouveruneautre solution.Noussavonsoùelleestdétenue.Peut-êtrepouvons-nousaffronterlesdomestiquesetleurdemanderdelalibérer.—Éva…
Iltenditlamainverssonbraspourl’arrêter.Illuicaressalajoue.Sapeaudouceétaitmoitesoussapaumechaude.—Madouce,jeconnaisLordMaddington.Onnelesurnommepaslecomtefousansraison.C’est
unhommeviolent.Ilapresquetuéunvaletparcequ’ilavaitlaissétomberunvase.SivotreYvetteestbeletbienàl’abbayedeHighland,elleestbiengardée.Aucundesesdomestiquesn’oseraletrahir.Ilsonttroppeurdelui.Elletressaillitentresesmains.— Je vous en prie,Nicholas, aidez-la, dit-elle tandis que sa lèvre inférieure tremblait et que les
larmesluimontaientauxyeux.Nousnepouvonspaspermettrequ’ellesoitassassinée!Elle fondit en pleurs. Il la prit doucement dans ses bras. Ses tremblements se transformèrent en
douxsanglotstandisquelapluieetleslarmestrempaientlachemiseduduc.Ellesesentaitpetiteetvulnérable,serréecontresontorse.Ilsentitnaîtreenluiuninstinctprotecteuretmurmuradessonsapaisantsjusqu’àcequ’ellesecalme.Vidée,ellelevalatêteenreniflant.—Jesuisnavréedevousmêleràça,monsieurleduc.CequiarriveàYvettenevousregardepas.Ellereculad’unpasetlâchasachemise.Ilpritsonvisageentresesmains.Ildétestaitlavoirainsi
abattue.—Jevousprometsde faire toutceque jepeuxpourvotreamie,dit-ilavantdesepencherpour
poserunbaisersursonfront.Donnez-moiunjouroudeuxpourvoircequejepeuxdécouvrir.C’estpromis?Évahochalentementlatête.Maisl’étincellesombrequ’ilvitdanssesyeuxjusteavantqu’ellefasse
demi-tourpoursedirigerverslaporteluifitplisserlesyeuxetéveillasessoupçons.—Éva.Lamainsurlapoignéedeporte,elleleregardapar-dessussonépaule.Ladouleursourdedansses
yeuxavaitdisparu.Elleavaitl’airdequelqu’unquis’apprêtaitàagirdangereusement.Àpartl’attacheràsonlit,ilnepouvaitrienfairedeplusquefaireconfianceàHaroldpourlatenir
àl’œilpendantquelesofficierssepenchaientsurl’enlèvement.—Nefaitespasdebêtises.—Nevousinquiétezpas,dit-elleenhochantsèchementlatête.Bonnejournée,monsieurleduc.Uneterreurinqualifiablepritracinedanssesentraillespourlerestedel’après-midi.
CHAPITRE16
—Jenepeuxpasresterassiseicidansmachambreànerienfaire,ditÉva.Elle s’adossacontre lesoreillers sur son lit,puiselle se redressa, se tournaetbattit l’oreiller le
plusprochejusqu’àleréduireenunepuréeduveteuseavantdeselaisserretomberdessus.Elleétaitcomplètementsubmergéeparl’impuissanceetlafrustration.—Yvetteestendanger.Noëlleétaitallongéeaupieddulit,appuyéesuruncoude,etsuivaitd’undoigtlecontourdumotif
floralducouvre-lit.Àlademanded’Éva,Noëlles’étaitprécipitéeàsarésidencedansMayfair.BienqueNoëlleneconnûtpasYvette,Évaétaitcertainequ’elleseraitsensibleàsadétresse.Quellefemmeneleseraitpas?Êtreenlevéeetvioléeparunhommequiavaitdesantécédentsdeviolenceétaituncauchemarterrifiantpourn’importequellefemme.—Monsieurleducn’a-t-ilpasditqu’ilallaitl’aider?Noëllefaisaitconfianceauxpouvoirsd’unducenmission.Évanepartageaitpascetteconfiance.
Aucunhommen’étaittoutpuissantetcapablederéaliserdesmiracles.Pasmêmeleténébreuxduc.—Jepenseque tu feraismieuxde lui accorderquelques jourspourvoir cequ’ilpeut faire.Un
hommedesaconditionestmieuxplacéquenouspourpousserlesofficiersàagir.Cettefoi inébranlableenmonsieurleducluirestaentraversdelagorge.Nonqu’Évanecroyait
pasNicholas capable de faire ce qu’il avait dit ; c’était l’attente qui la rongeait. D’un naturel peupatient, elle sentait chaque tic-tacde l’horloge résonnerdans sa tête avecuneprécision saisissante.Ellenesupportaitpasqu’onperdedutemps!—Quelques jours ?Nous ferionsaussibiende servirYvette aucomteavecunepommedans la
bouche sur un plateau d’argent, cracha Éva en croisant les bras et en soufflant sur unemèche decheveuxpourl’écarterdesesyeux.LordMaddingtonapresquetuéunhomme.N’est-cepassuffisantpourjustifieruneactionimmédiate?—Etqu’impliqueraitcetteactionimmédiate,exactement?demandaNoëlleenseredressantsurle
lit.Vas-tuteprésenteràsaportesurMuffin,vêtued’unearmuremédiévale,etdemandersalibération?Ou rassembler les villageois, les armer de fourches et de torches flamboyantes, puis lancer uneattaquecontrel’abbaye?—Jen’aimepasquetutemoquesdemoi,masœur,rouspétaÉva.Noëlles’appuyasurunemainettenditl’autrepourlaposersurlachevilleétendued’Éva.—Jecomprendsque tusois inquièteet je tedemandepardon.Cependant,sicethommeestaussi
dangereuxquemonsieurleducledit,ilnefautpaslemettreencolère.Monsieurleduct’aidera.Jesaisqu’illefera.Ilferaitn’importequoipourtoi.Peut-êtrepasn’importequoi. Ilne luidonneraitnisonnom,niunemaison,nidesenfants.Mais,
pour l’instant, elle avait des problèmes plus urgents. Elle penserait à ce qu’elle ferait au sujet demonsieurleducplustard,unefoisYvetteensécurité.—Jeneluidonneraipasplusdedeuxjours,ditÉvad’untonferme.Deuxjoursquiluiparaissaientinterminablesseprofilaientdevantelle.—Pasplus.SiYvetten’apasétésecourued’icilà,jerassemblerailesvillageois.
•
Évafourrasa robededeuilnoiredanssonsac.Le lourdvêtementen laineétait troppetit ;ellenel’avait pas porté depuis presque quatre ans, soit depuis le décès de sa nounou âgée. Toutefois, ils’agissaitde la seule robenoirequ’ellepossédait etdevraitdoncsuffirecommedéguisement.Elle
pouvaitvivreavecunepoitrineaplatieetunerespirationsuperficielle,tantqu’elleétaitinvisibledansl’obscurité.Elleavaitsoupé,lupoursamèreetattenduquetoutelamaisonnéesesoitmiseaulit.Ensuite,après
avoirenfilésaperruqueetseslunettesdevieillefille,elleavaitécritunenoteetrassemblétousleseffetspersonnelsnécessairespourdeuxjours.Peuavantl’aube,elleseglissahorsdelamaisonettraversaencourantlapelousehumidedujardin
pour se diriger vers les écuries. Boothe, le palefrenier, ronflait bruyamment lorsqu’Éva se glissafurtivementdanslapetiteécurie.ElleavaitvuBoothesellerMuffindescentainesdefoisetpensaitpouvoiryarriversanssonaide.
EllefixaunenotesurunclouprèsdelastalledeMuffinpourqueBoothesachequelajumentn’avaitpasétévolée,puissemitautravail.Le poney dodu bâilla et mâchouilla lentement des brins de foin pendant qu’Éva travaillait avec
efficacité.Bienqu’illuifallûtplusieursessaispourarriveràplacerlasellecorrectement,latâchefutbientôtaccomplie.Elleattachalasacochederrièrelaselleetcaressadoucementlacroupeducheval.—Prête,moncœur?ElleconduisitMuffinàl’extérieurprèsd’unmontoiretsehissaenselle.Latacheorangedoréedu
soleildevaitencorefairesonapparitionlorsqu’ÉvadirigeaMuffinverslenordenpriantpourquelajumentsoitcapabledefairelevoyagesansrendrel’âmed’épuisementencoursderoute.ÉvaetMuffinfirentlevoyagejusqu’aupetitvillageàcôtédel’abbayedeHighland,suruneroute
boueuseetcribléedetrous,maisdéserte,saufpourlesoccasionnelscarrosseoucharrettedefermier.Ellesmirentledoubledutempsnécessaire,soituneheureoudeux,àlamajoritédesvoyageurspourparcourirlamêmedistance.Avectouslesarrêtsqu’ellesfirentpourpermettreàMuffindesereposer,c’était ledébutdel’après-midilorsqu’Évamit lajumentàl’écurie,pritunechambreàl’aubergeetdemandaqu’onluiapportedelanourriture.Affamée, elle mangea le copieux ragoût dans sa chambre avant de s’installer pour une sieste.
Muffinn’avaitqu’unevitesse,lente,etqu’uneallure,irrégulière.Évaavaitmalàdesendroitsoùellenesavaitmêmepasqu’ellepouvaitavoirmal.Pourtant,ellesavaientfaitlevoyageenentiersansquelapetitejumentrondelettetomberaidemortesurledos,lesquatrefersenl’air.Unexploit,eneffet.Une fois rafraîchie, Éva remit sa perruque et ses lunettes avant de quitter l’auberge. Elle se
promena dans le minuscule village. La seule route qui le traversait était parsemée de quelquescommercesetd’unepoignéedemaisonsquiconstituaientlerestedesbâtimentsdélabrésoccupés.Onpouvait pratiquement lancer un caillou d’un bout à l’autre du hameau. Manifestement, l’aubergereprésentaitl’uniqueraisondes’arrêterenrouteversunautreendroitetlaprospériténereprésentaitqu’unrêvepourleshabitants.L’air aussi désinvolte que possible, Éva posa à plusieurs villageois des questions sur Lord
Maddingtonafind’obtenirdesinformationsàsonsujet.Onluiréponditpardesregardsnoirsetunsilenceglacial.Soitlesvillageoisvouaientuneloyautésansborneaucomte,quipossédaitlamajoritédesterresdesenvirons,soitilsétaienttropterrifiéspourrisquerdelemettreencolèreetd’affronterson courroux. Elle rentra donc à l’auberge sans aucun renseignement susceptible de l’aider àcomprendresonadversaire.Savoirqu’Yvetteétaitàmoinsd’unkilomètreetdemideroute,maisqu’ellenepouvaitrienfaire
pourelledansl’immédiatdonnaitenviedepleureràÉva.Elle grignota un peu de pain fraîchement sorti du four et encore un peu de ragoût, mais la
nourritureluirestasurl’estomac.Ellerepoussafinalementlebolets’installasurlelit.Illuifaudrait
attendreaprèsminuitavantdesesentirsuffisammentensécuritépourmarcher jusqu’à l’abbayedeHighlandafindejeteruncoupd’œilauxalentours.Elleselaissatombersurledossurlecouvre-litrapiécéetsepréparaàpasserunesoiréeagitéeàcompterlesfissuresduplafondenplâtre.Plusieursheuresplustard,àl’instantoùsespaupièrescommençaientàs’alourdirdesommeil,un
coupsecsurlaportelafits’asseoirensursautsurlelit.Évamarchasur lapointedespieds jusqu’à laporteetappuya l’oreillecontre lepanneauenbois
brut.Ellen’entenditrien.—Quivalà?aboya-t-elledelavoixrauqueetgraved’unténoraprèsavoirposéunemainsurson
cœurpourlecalmer.—C’estmoi,Rose.Bouche bée, Éva ouvrit la porte à la volée et trouva plusieurs paires d’yeux qui la regardaient
depuislecouloirfaiblementéclairé.RassembléesenunpetitgroupesetenaientRose,Sophie,AbigailetPaulinedéguiséesengarçonsd’écurieàl’aidedechemises,depantalonsetdecapesfaitsmaison.Ellessouriaientd’unairpenaud,commesiellesvenaientdesefaireprendrelamaindansuneboîteàbijouxquineleurappartenaitpas.—Laissez-nousentrer.Vite!chuchotaRose.Évareculalorsqu’ellesseprécipitèrentdanslapièce,presséesd’échapperàlavue.—Quefaites-vousici?demandaÉvaenleurlançantunregardnoirtandisqu’ellesenlevaientleurs
capes.—NoussommesvenuesvousaideràsecourirYvette,bienentendu,réponditPaulineenregardant
autourd’elledanslapetitepièce.Elles’assitdansl’uniquefauteuildelachambre,puisallongealesjambesdevantelled’unefaçon
toutàfaitindigned’unedame.—Nousserionsarrivéesplustôt,maisnousavonsdûattendreuncarrossequipassaitparici.Évafronçalessourcils.—Maiscommentavez-voussuoùj’étais?— Harold est venu ; il vous cherchait, commença Abigail en époussetant sa chemise. Il était
terriblementinquietquandils’estrenducomptequevousvousétiezenfuie.Nousl’étionstoutes.— Rose avait entendu votre conversation avec le détective au sujet de Lord Maddington et de
l’abbaye,etsedoutaitquevousaviezl’intentiondesecourirYvette,ajoutaSophie.Nousnepouvionspas vous laisser affronter une telle tâche toute seule. Alors, pendant que Rose distrayait lespalefreniers,Abigailetmoiavonsempruntédesvêtementsdans lesécuriesderrièrecette immensemaisondevilleauboutdelarue.—Vousavezvolédesvêtements?s’enquitÉva,stupéfaite.— Nous avons laissé une note. Anonyme, bien entendu, intervint Abigail. Nous rendrons les
vêtementsquandnousrentreronsàLondres,poursuivit-elleenrongeantl’ongledesonpouce.Jesuiscertainequepersonnenenousavues.L’inquiétuded’Évadécupla.Savoirqu’ellesétaientprêtesàrisquerlaprisonpourYvetteetellelui
remonta lemoralmalgré leurconduite imprudente.Elles représentaientcequ’Évaavait eudeplusprochedevraiesamiesfémininesdans toutesavie.Enrevanche, leurprésencevenaitbousillersesplans.Bien que la compagnie soit la bienvenue, elle avait espéré trouver un moyen de s’approcher
d’Yvettesansattireruneattention induesurelle-mêmeniéveiller lessoupçonsducomte.L’arrivéedesquatrejeunes«hommes»causeraitcertainementtoutunémoidanslepetitvillage.—Vousa-t-onvuesvousfaufilerdansl’auberge?leurdemandaÉva.
—Nousavonsemprunté l’escalierdeservicepourquepersonnenenousremarque.L’aubergistepensequenousdormonsdansl’écurie,réponditSophie.Misàpartunivrogneàl’arrièrequironflaitetmarmonnaitdanssonsommeil,nousn’avonscroisépersonne.Merci,monDieu.—VousdevriezprendrelepremiercarrossepourLondresdemainmatin,ditÉvaensemordillant
lalèvreinférieure.Vousvousmettezendangerpourrien;jepeuxréglercettehistoiretouteseule.—Vraiment?Sophieselaissatombersurlelit,sepenchaenavantetappuyalescoudessursesgenoux.Lestrois
autress’installèrentdechaquecôtéd’elle.—Simonsieur le comtevous surprendà fouiner autourde sapropriété, il vous fera fusiller.À
cinq, nous pouvons créer assez de diversion pour permettre à l’une d’entre nous de se glisser àl’intérieurpoursecourirYvette.Uncoupfrappéàlaporteinterrompittoutediscussion.Évasursautaetportaundoigtàseslèvres
pourfairesigneauxautresdegarderlesilence.Zut.L’aubergistedevaitavoirentenduquelquechosequiavaitéveillésessoupçons.S’illesjetaitàlaporte,ellesn’auraientnullepartoùaller,àcetteheuretardive.Cen’étaitpasl’aubergistequisetenaitdanslecouloirlorsqu’Évaouvritlaporte,uneexcusesur
leslèvres.C’étaitNoëlle, vêtue de noir telle une veuve, avec un voile en dentelle noire qui lui couvrait le
visageetlescheveux.IlfallutuninstantàÉvapourseremettreduchocavantderefermerlamainsurlefinpoignetdesasœuretdel’attirerbrusquementàl’intérieur.Aprèsavoirbienverrouillélaportederrièreelle,Évaposalesmainssurseshanchesetbalayala
pièce d’un regard exaspéré. Tant pis pour son plan de jeter subtilement un coup d’œil autour del’abbaye de Highland. Une sœur et un troupeau de courtisanes qui la suivaient pas à pas étaientincompatiblesaveclasubtilité.— Avons-nous oublié quelqu’un ? Ou devrais-je descendre demander à l’aubergiste une autre
chambreavecplusieurslits?soupiraÉva.Voudrais-tum’expliquercequetufaisici,Noëlle?Sa sœur enleva son chapeau et le jeta sur le lit.Elle serraÉvadans ses bras assez fort pour lui
broyerdescôtesetl’embrassasurlajoue.—J’avaispeurqu’ilt’arrivemalheur,alorsjesuisvenueteprotégerdetesbonnesintentions,dit-
elleavantdelalâcherpourfixerlesautresfemmesenfronçantlessourcils.Jevoisquejenesuispaslaseuleàavoireucetteidée.Lebataillonestarrivéenforce.Évaserenfrogna.Quiauraitcruqu’elleétaitsiincompétenteetsansdéfense?—Detouteévidence,j’aivraimentbesoind’aide.Elle présenta tout lemonde, omettant son lien de parenté avecNoëlle ainsi que le titre de cette
dernière. Les bonnes manières empêchèrent les anciennes courtisanes de poser des questions surl’arrivéeinattenduedeNoëlle.— Nous sommes les élèves de mademoiselle Éva, intervint Rose avec un joli sourire. De
maîtresses,ellenousconvertitenépouses.Éva tressaillit ; elle aurait préféré que Rose garde pour elle l’information au sujet de l’école.
Noëlleensavaitdéjàbeaucouptropsurelle.—Nousnevoulonsplusêtredescourtisanes,ajoutaAbigail en regardantNoëlle,puis sespieds
bottés.Nousattendonsavecimpatiencelafêtedelasemaineprochaine,oùnouspourronstrouverunépoux!
— Je vois, répondit Noëlle, qui gratifia Éva d’un regard ironique. Tu pratiques un métierintéressant,machère.Touslesyeuxrivéssurelle,Évasedandinad’unpiedsurl’autre.Ellen’avaitpasprévuquesasœur
etsescourtisanesserencontreraientunjour.Lasituationavaittoutpourtourneraudésastre.Noëllevintàsarescousseenchangeantrapidementdesujet.—Maintenantquenousavonsforméunearmée,dit-elle,nousdevonsplanifierledéplacementdes
troupes. L’ennemi sera plus nombreux etmieux armé.Nous devrons faire preuve d’ingéniosité etd’intelligencesinousvoulonsgagnercettebatailleetcapturerlebutin.Lorsqu’Évalevaunsourcil,Noëllesouritdetoutessesdentsethaussalesépaules.—J’aidéjàétécourtiséeparungénéral.Àcetinstantprécis,Évaserenditcomptequ’ellen’auraitpasputrouvermieuxqueNoëlle,avecsa
volontédeferetsonintrépidité,pourplongeravecelledanscetteaventureinsenséeetpossiblementfatale.Elle tendit la main pour prendre celle de Noëlle. Leurs regards se croisèrent et les paroles
devinrentsuperflues.Ellesveilleraientl’unesurl’autrecommedeuxsœurspouraffronterunennemicommun.Inspirantprofondément,Éva tendit l’autremainversSophieet,bientôt,elles formèrentuncercle
grossierensetenanttoutesparlamain.Ellestirèrentducouragelesunesdesautres.—Je sais quenous croyonsqu’Yvette est vivante et quenous arriverons à la sauver,mais nous
devonsnousprépareràlapossibilitéqu’elleaitpéri.Évadétestait devoir évoquerune telle atrocité àvoixhaute,mais en tantquechefde cettebande
hétéroclite,elledevaitsemontrerhonnêteetbrave.— Nous ne pouvons pas attaquer l’abbaye d’Highland pour nous rendre directement devant sa
porte, poursuivit-elle.Le comte est un hommediabolique.Nous devons entrer dans l’abbaye et ensortirdiscrètement,sansdonnerl’alarme.—Imaginezsatêtelorsqu’ildécouvriraqu’Yvetten’estpluslà,ditRoseenriant,desétincellesdans
sesyeuxbleus.Dommagequenousnepuissionspaslecastreravantdepartir.—Pasdecastration,fitÉva.Il faudrait qu’elle parle à Rose de sa façon d’exprimer fréquemment son désir de castrer des
hommes.Celanel’aideraitpasàsefaireaimerdesonépoux.—Ilaunemaisonpleinededomestiquesquiserontplusnombreuxquenous.Ilnedoitpassavoir
qu’il a étévoléavantqu’il se rendecompteque son trésoradisparu,demainmatin.D’ici là,nousseronsloin.—Etilseralibredetourmenteruneautrefemmesanssubirlamoindreconséquencenégativepour
sesactions,intervintAbigaild’unevoixlasse.C’estunegraveinjusticequ’untelhommepuissefairetoutcedontilaenviesansensouffrir.—Oui, c’est une injustice, Abigail, répondit Noëlle. C’est la raison pour laquelle Éva aide ses
courtisanesàéchapperàleursituationmalheureuseetpourlaquellenousaidonsYvette.Lecomteestvisiblementobsédéparvotreamie.C’estcequilamaintientenvie.Lorsqu’elleluiauraétéenlevéeàjamais,ceserapourluiunepetitepunition,mêmesielleestinappropriée.Évaprituninstantpourréfléchiràcettedéclaration.Ellen’avaitpasvuleschosesainsi.—Noëllearaison.Mêmes’ilestprobablequelecomtefoun’affronterajamaislavraiejustice,il
auraperduYvette.Jeprometsd’enretirerunecertainesatisfaction.—Moiaussi,répliquaAbigail.Àcontrecœur.
— Je crois tout de même que nous aurions dû emmener Harold, lança Rose avec un sourirediabolique.Ilauraitfacilementpulecastrer.Paulinericana,puistenditunpiedpourdonnerunpetitcoupsurlajambedeRose.Roseluirendit
soncoupdepied.Paulineplissalesyeuxetfronçalessourcilsd’unairdiabolique.—MachèreRose,pourquelqu’unquial’airsiinnocent,tuasl’espritbientordu.Rosehaussalesépaulesetlâchalesmainsd’ÉvaetdePaulinepourcoincersoussacasquetteune
mèchedecheveuxrouxépars.—Mamèreetsonépouxlubriquem’ontapprisànecomptersurpersonneetàfairelenécessaire
pour survivre. Si ça implique dem’amuser un peu aux dépens des hommes et de leurs bijoux defamille,ehbien,jenem’enexcuseraipas.L’imagefitsourireÉva.Peut-êtrequelaisserRosecastrerlecomtefoun’étaitpasunesimauvaise
idée. Ilméritait une bonne punition et la castration l’empêcherait à l’avenir d’abuser sexuellementd’autresfemmes.—Silebesoindevaitsefairesentircesoiretquelecomtedevaitêtrepuni,jeteprometsquece
seratoiquibrandiraslecouteau,Rose.Évaattenditquelesriresembarrasséssesoienttus.—Maintenant,mettons-nousautravail.Nousavonsunebatailleàpréparer.
CHAPITRE17
SophieetRoseréussirentàtrouverdespantalons,deschemisesetdesbottespourNoëlleetÉva.Évaneleurposapasdequestionsenenfilantetenlaçantbienserrélesbottestropgrandes.Leurscrimess’accumulaientet,d’icilafindelasoirée,ilssemultiplieraient.Demain,elles’assureraitquetouslesvêtementsempruntéssoientrendus.Évaenlevaseslunettes,maisgardasaperruque.Lescourtisanesnelaconnaissaientpasautrement
etsavivecouleurdecheveuxrisquaitd’attireruneattentionindésirable.—Nous chercherons unmoyen de nous faufiler dans l’abbaye et demonter l’escalier, dit Éva.
MonsieurCrawfordaapprisquelafemme,quenoussupposonsêtreYvette,estcachéequelquepartaudeuxièmeétage.Nousdevonsprierpourquelecomteaitlesommeilprofond.—Laprudenceestlaseulefaçondenepasnousfaireprendre,ajoutaNoëlleenselevant.Avec ses cheveux remontés en un chignon serré, on pouvait presque la prendre pour un jeune
hommesionétaitassezloinetquelalumièren’étaitpastropvive.Envérité,aucuned’entreellesnepouvait se permettre d’être observée de trop près. Elles avaient trop de courbes pour que leurscostumessimpleslesdéguisentefficacement.Évafrissonna.Elleavaitenviederassemblersasœuretsescourtisanes,etdequitterlevillagepar
lepremiercarrossedumatin.Àcaused’elle,ellesétaienttoutesendangeretelleétaitmortedepeur.Maisc’étaitleurchoixetellenepouvaitpaslesempêcherdevouloiraiderYvette.Ellesedirigeaverslaporte.—Prêtes?L’abbayen’étaitpas loin,maisdans l’obscuritéetavec la terreurquiaugmentaitàchaquepas, la
marchesemblas’étireràl’infini.Àchaquebruissementdefeuilleshumidesendécompositionoucrid’animal nocturne, les genoux d’Abigail et de Rose s’entrechoquaient de frayeur.Même Éva, quin’avait pas l’habituded’avoir peurune fois la nuit tombée, sursauta àplusieurs reprises lorsqu’unbruissementsefaisaitentendreàproximité.La tensionmonta àunpoint tel qu’elles envinrent toutes àvoir de sombres silhouettesderrière
chaquearbreoubuisson.Lorsquelaflèchedel’abbayefinitparapparaîtresousunfincroissantdelune,Évafuttellementsoulagéequetoussesmusclesserelâchèrent.—Croyez-vousqu’iladeschiens?chuchotaSophie.—Espéronsquenon,réponditNoëlle.Elles se turent, tendant l’oreille. Comme elles n’entendirent pas d’aboiements, Éva les conduisit
prudemment le long de l’allée.Après qu’elles eurent dépassé le derniermassif d’arbres, l’abbayeapparutenentierdevantelles.—C’estmagnifique,ditPaulineensesignant.Lebâtiment était constituéd’unblocdepierre de trois étages dehauteur, trois très hauts étages,
auquel plusieurs ailes avaient été ajoutées un certain temps après l’achèvement de la structured’origine.Lorsqu’ilavaitétéconstruitàlafinduquinzièmesiècle,ilavaitabritéunpresbytèreainsiqu’uncouvent.Environdeuxcentsansauparavant,ilavaitétéconvertienrésidenceprivée.—Bontédivine,hoquetaRose.NousnetrouveronsjamaisYvettelà-dedans.—Ayezconfiance,mesdemoiselles,chuchotaÉva.Ilétaitminuitàpeinepasséetlamaisonnéeétaitendormie.Pasuneseulechandellenebrillaitàune
fenêtre.Elleinterprétacelacommeunbonprésage.—Commenoussommessix,nousnoussépareronsengroupesdedeuxetchaquegroupefouillera
unepartiedel’abbaye.J’iraiavecAbigail,NoëlleiraavecRoseetSophie,avecPauline.Aumoindresignededanger,quittezimmédiatementl’abbayeetrentrezàl’auberge.
Lescinq femmeshochèrent la tête.Évapritun instantpour rassemblerunpeu soncourage.Ellesentitmonterunevagued’affectionen regardantsabandedevauriennes.Elleavaitenviedeserrerchacune d’elles dans ses bras jusqu’à leur écraser les côtes. Elle pria plutôt en silence pour leursécurité.Rose etAbigail étaient les plus agitées des six et Éva savait queNoëlle et elle auraient un effet
apaisantsurlesdeuxfemmes.—L’hystérie n’a pas sa place dans de telles circonstances, dit-elle fermement. Si l’une de vous
préfèreattendredehors,dites-lemaintenant.Unefoisàl’intérieurdel’abbaye,ceseratropdangereuxpours’enfuirprisedepanique.Mêmedanslapénombre,Évavitl’ombred’unehésitationsurlesvisagesd’Abigail,dePaulineet
deRose.Mais elles hochèrent la têtemalgré tout.Elles étaient arrivées jusqu’ici ensemble et ellesvaincraientensemble.Etmauditsoitlecomtefou.—Restezgroupées.Évalesguidaensilencejusqu’àl’arrièredel’abbayeenrestantprèsdesmursetdel’ombrequ’ils
projetaient.ÉvaetNoëllecherchèrentetfinirentpartrouverunepetiteportedéverrouilléeàl’endroitoùl’unedesailesétaitreliéeàlastructured’origine.Il restait à savoir où la portemenait. Construits lors d’une époque de troubles, plusieurs vieux
édifices possédaient des portes et des passages secrets par lesquels échapper auxmaraudeurs. Évaouvritdoucementlaporteetseglissaàl’intérieur;lapièceétaitvisiblementlacuisine.Aprèsavoirpris un instant pour tendre l’oreille au cas où quelqu’un se serait déplacé dans l’obscurité, elle fitsigneauxautresfemmesdelarejoindre.Lescourtisanesseblottirentlesunescontrelesautrespourseréconforter.Évascrutaleursvisages
l’unaprèsl’autre.Ellesavaitqu’ilsuffiraitd’ungrincementdeporteoud’uncraquementdeplancherpour qu’aumoins lamoitié de son armée s’enfuie comme si leurs vêtements empruntés étaient enflammes.ÉvaattiraNoëlleàl’écart.—Jecommenceàavoirdesdoutes,masœur.Jecroisquenousferionspeut-êtrebiende laisser
Rose etAbigail à l’extérieur.Elles sont nerveuses et sur le point de craquer.Un seul cri suffira àréveillerlamaisonnéeetnousnousferonsprendre.Noëlleregardapar-dessusl’épauled’Évaetgrimaça.— Je crois que tu as raison. Peut-être devrions-nous les laisser dehors pour faire le guet. Elles
pourraientcriersiellesvoientquelquechosequicloche.Ellesrejoignirentlesautresfemmes.Lasuggestionavaitàpeinequittéleslèvresd’Évaqu’Abigail
etRoseseprécipitèrentparlaporteouverte.Commeilnerestaitplusquequatresauveteuses,ÉvafitéquipeavecSophieetPauline,avecNoëlle.
Les quatre femmes se tinrent lesmains et dirent une brève prière silencieuse avant de se séparer.NoëlleetPaulinemontèrentl’escalierdeservicedelacuisinetandisqu’ÉvaetSophiesedirigeaientdoucementverslehall.Lalunesortitdederrièrelesnuagesetprojetasalumièreàtraverslesvitraux.Elles étouffèrent leurs exclamations derrière leurs mains gantées. Il s’agissait d’une véritable
abbaye.Lehautplafondbombés’étendaittoutlelongduhallmassif,dontleplancher,supposaÉva,devait être formé de carreaux de verre coloré disposés de manière à former une mosaïque. Descolonnesétaientalignéesdanslagrandepiècequiavaitsansdoutedéjàcontenudesrangéesdebancsainsiqu’unautelàl’autrebout.L’abbayedeHighlandconstituaitunvéritabletrésor.
— Il est impossible de croire qu’un homme si ignoble possède une demeure si magnifique etsacrée,chuchotaÉvaensepenchantversSophie.Lesangesdoiventpleurerdevantunetelleinjustice.Lorsque la lune retourna se cacher, le hall fut plongé dans un silence sinistre et une obscurité
presque totale. Éva était persuadée que, si elles écoutaient attentivement, elles pourraient entendrederrièrelescolonnesetdanslesombresleschuchotementsdesespritsderésidentsdepuislongtempsdécédés.Ellesecoualatêtepourseclarifierlesidées.—Nousdevonsfairevite,dit-elledoucement.Illeurfallutplusieurstentativesratéesavantdetrouverunescalier.Elless’arrêtèrentsurlepalier
dudeuxièmeétagepours’orienter.Ducôtégauchesetrouvaientdesportesetducôtédroit,plusieurspetitsbalconsquidonnaientsur lehall.SophieetÉvasedirigèrentvers labalustradepour jeterunbrefcoupd’œilauvastehallau-dessous.— Je crois que l’escalier de la cuisine mène du côté sud de l’abbaye. Nous devrions donc
commencerparici.Évaregardaverslehallpourcompterlesportes.Ilsemblaityenavoirunebonnedouzaine.—Impossibledesavoirlaquelleestlachambredemonsieurlecomte.—Regardonss’ilyaune lueursous laporte, réponditSophieàvoixbasse.Parunenuit fraîche
commecelle-ci,ilaurafaitallumerunfeu.Évaexpirad’uncoup.—Excellent.UngrandsourireilluminalevisagedeSophie.—J’aiplutôtl’habitudedemedéplacerendoucedansl’obscurité.Monpremieramantm’avaitfait
embauchercommedomestiquedanssonmanoir.Iltrouvaitçaexcitantdebatifoleravecmoidanslabibliothèqueensachantsonépouseunétageplushaut.Secouant la tête avec dédain, Éva tenta de s’imaginer en train d’épousseter le manteau de la
cheminéedeCollingwoodHouselejouretdefolâtrerdanslegarde-mangerlanuitavecmonsieurleducpendantqueLucydormiraitentoutequiétudedanslelitconjugal.Ellenelepermettraitjamais.EllenepourraitjamaispartagerNicholas.Ellesejuraquelejouroù
ilauraituneduchesse,ilnel’auraitplus.—Ilfaudratouteslesvérifier.ÉvaetSophies’attelèrentàlatâched’ouvrirtouràtourlesportesdetouteslespièces.Leurscœurs
s’arrêtaientchaquefoisqu’ungondrouillégrinçaitouqu’une lattedeplanchercraquait.Toutefois,aucunealarmeneretentitdansl’obscurité.La plupart des pièces étaient sombres, à l’exception du clair de lune qui entrait par les fenêtres
étroites.Unelueurfiltraitsousl’unedesportes,maislorsqu’ellesl’entrouvrirentpourjeteruncoupd’œil,ellestrouvèrentdanslelitunhommeetunefemmed’âgemûrquidormaientenproduisantdesronflementsétouffés.Letempsd’atteindreleboutducouloir,Évaavaitlesmusclesendolorisàforcedemarchersurla
pointedespieds.Elleétaitgeléejusqu’auxosetavaitlesmainsetlesorteilsengourdis.—Yvettepourraitêtrepartoutetnullepartàlafois,dit-elleensetournantversSophieaprèsavoir
referméladernièreporte.Ilyacertainementunecaveetplusieursdépendancesaussi.Nouspourrionscherchertoutelanuitsanspourautantdécouvrirtouslesrecoinscachésnitouteslespiècessecrètes.—NoëlleetPaulineontpeut-êtreeuplusdechance, réponditSophied’unevoix toutaussibasse
quecelled’Éva.
Lesdeuxfemmessuivirentlabalustradejusqu’àl’ailesudettendirentl’oreille,àl’affûtdebruitsquitrahiraientlaprésencedesautresfemmes.Paslamoindrelueurnefiltraitsousaucuneporte;Évasedemandasilecomteétaitabsent.—Ilestpossiblequ’ilait faitdisparaîtreYvette,si jamais il l’adéjàdétenue, répliquaÉvad’une
voixtendue.Lafemmesoi-disantcachéeicipourraitêtrequelqu’und’autre.—Attendez,j’entendsquelquechose.Sophie pointa vers le fond du couloir.Des voix étouffées leur parvinrent. Elles se donnèrent la
mainetavancèrentprudemmentdequelquespas.Leschuchotementsfébrilessefirentdeplusenplusfort.ÉvamitunmomentàreconnaîtrelavoixdeNoëllederrièreuneporteclose.—Noëlle?Lesdeuxvoixseturent.Laportes’ouvritdoucementetlevisagepâledeNoëlleapparut.—Éva,mercimonDieu.Nous pensons l’avoir trouvée, dit-elle en tirant Éva et Sophie dans la
pièceavantderefermerlaporteetdelaverrouiller.Noëlle se précipita vers la cheminée et les autres la suivirent. Elle pointa, à gauche de l’âtre en
pierre,unpanneauenboisdontlatexturedifféraitàpeinedecelledesautrespanneaux.—Nousavonsentenduquelquechosequiprovenaitdelà,ainsiqu’unbruitquiressemblaitàdes
pastraînants.Nouspensonsqu’ils’agitd’unpassagesecret.—Sepourrait-ilqu’ils’agissederats?s’enquitÉvaenfrappantsurlepanneau.Unpetitcouinement,quineressemblaitenrienàceluid’unrat,retentit.Ellepressal’oreillecontre
lebois.—Yvette?Ungémissementsuivit.—Yvette!chuchotasèchementÉva.Donnedeuxcoupssituvasbien.Deuxcoupsretentirent.SophieetPaulinesejetèrentdanslesbrasl’unedel’autreetsebalancèrent
gaiement d’avant en arrière. Éva tâtonna autour d’elle à la recherche d’un verrou.Cependant, sonenthousiasmese refroidit lorsqu’elle trouvabel etbienune irrégularitédans laporte, ainsiqu’uneserrure. Elle eut beau manœuvrer le métal du bout des doigts, cela ne relâcha aucunement lemécanismedeverrouillage.—Mesdemoiselles,nousdevonstrouveruneclé.Quatre paires demains semirent à fouiller frénétiquement la pièce. Pauline faillit renverser un
vase,maislerattrapajusteavantqu’ils’écraseausol.Ellearboraunpetitsourirepenaud.Évapressal’oreillecontrelaporte.Ellecrutentendredespleursétouffés.—Calme-toi,Yvette.Nousallonstesortirdelà.—Iln’yarien,chuchotaNoëlle.—Ildoityavoiruneclé,sifflaÉvaenfouillantlacheminéeetsonmanteau.Rien.—Nousnepouvonspasenfoncerlaporte.—Attendez,peut-êtrepuis-jemerendreutile, intervintSophieenôtantsacasquetteetenretirant
plusieurs épingles de ses cheveux.Mon père était un voleur. Quand j’étais enfant, ilm’a appris àforcerdesserrures.Ilyadesannéesquejen’aipaseuàmeservirdecetalent.Éva,NoëlleetPaulineladévisagèrent.Sophiesouritd’unairdésabusé,puishaussalesépaules.—Sivousnemetrouvezpasd’époux,jepourraitoujoursmetournerverslecambriolage.PaulineravalaunéclatderiretandisqueSophiesetournaitpours’agenouillerdevantlepanneau.
Éval’observaattentivement.Sescourtisanesnecesseraientjamaisdel’étonner.—As-tudéjàforcéuneserruredansl’obscurité?luidemandaÉva.
—J’arrivais à le faire les yeux bandés.Mais il y a presque vingt ans qu’il est décédé, réponditSophie, qui prit unmoment pour tâter la serrure du bout des doigts avant de semettre au travail.J’espèrequejepourraimesouvenirdecequ’ilm’aenseigné.—Faisdetonmieux,l’encourageaNoëlle.PaulineetNoëllesetenaientlesmainstandisquelebruitétouffédesépinglesàcheveuxcontrele
métaltroublaitlesilence.Évasavaitqu’ils’agiraitd’unmiraclesicettemanœuvrefonctionnait,maiselleétaitconvaincuequequelqu’unveillaitsurelles.Il fallutplusieurs tentatives ratéesavantqu’uncliquetis résonne finalementdans lapetitepièceet
queSophiebondissesursespieds.—J’airéussi,dit-elledoucementavantdeleverlesyeuxversleciel.Merci,papa.Avecl’aided’Éva,elleouvritgrandlaporte.Ligotéesurunechaisecontrelemuretvêtueuniquementd’unefinechemiseetd’unepairedebas,
Yvettepleuraitensilence.Elleétaitbâillonnéeettiraitsursesliens.Évaseruaverselleets’agenouillaàsespieds.—Toutdoux.Nousallonstelibérer.Ellecommençaàdétacherundespiedsd’YvettependantqueNoëlleetSophies’occupaientdeses
mains.Paulineétreignitdoucementlecoud’Yvettependantuninstant,puisdéfitsonbâillon.Quelquesminutesplus tard, elle était libre.Elle chancela lorsqu’Éva,Pauline etSophie l’aidèrent à se lever.Ellesl’étreignirentbienforttandisqueNoëlleobservaitl’heureuseréunion.—Noussommessiheureusesdeterevoir,chuchotaÉva,lesjouesbaignéesdelarmes.ElleretintYvetteparlesdeuxbraslorsquecelle-civacillaetlaregardadroitdanssesyeuxrouges.—Nousétionssiinquiètes.SophieetPaulinereculèrentpourlaisserrespirerYvetteetdonneràÉval’occasiondel’examiner.
Ellenemontraitpasdesignesexternesdeblessures,maiscertainescicatricesétaientinvisibles.Dieuseulsavaitàquelpointelleavaitétémaltraitée.—Mercid’êtrevenuemechercher,mademoiselleÉva.Voustoutes,sanglotaYvette,traumatisée.Detoutessesélèves,Yvetteétaitcelleà laquelleÉvaavaiteu leplusdemalàs’attacher.Maisau
coursdessemainesqu’ellesavaientpasséesensemble,lacourtisaneendurcieavaitlaisséÉvapercerquelques-unes de ses carapaces et lui avait montré un soupçon de vulnérabilité. Peu avant sonenlèvement,Évaetelleavaientbâtiunefragilecamaraderie.Elleespéraitquecelacontinueraitainsi.Évaluicaressalevisage.—Ilfallaitquenousvenions,dit-elleavantd’étreindreYvetteànouveau.Ellesseserrèrentfortdansleursbras.Noëllefinitparposerlamainsurl’épauled’Éva.—Nousdevronsgarderlesretrouvaillespourplustard.Nousferionsmieuxdequitterl’abbayeen
vitesse,avantdenousfairerepérer.L’uneàdroiteetl’autreàgauched’Yvette,ÉvaetSophiel’aidèrentàsortirdelapièceetàavancer
danslecouloir.— J’ai les pieds engourdis à cause des liens serrés, murmura Yvette. Ils picotent, maintenant.
Donnez-moiuninstantetjedevraispouvoirmarcherseule.Avec leur aide, Yvette arriva peu à peu à se tenir plus solidement sur ses jambes. Elles avaient
presqueatteintleboutducouloirlorsquelalumièred’unechandelleperçal’obscuritéderrièreelles.Subitement,lescinqfemmess’arrêtèrentetfirentdemi-touràl’instantoùunhommetournaitlecoin.L’inconnuquitenaitlachandelles’immobilisa.—Quesepasse-t-ilici?
Lalumièrevacillantedonnaunéclatdémoniaqueàsonvisagefurieux.Ilsemblaittoutaussioutrédelesvoirblottiesensembledanslecouloirqu’ellesétaientchoquéesdelevoirvêtuuniquementd’unpantalonetdebottessoussonbedonblancnu.Yvettegémit.—C’estmonsieurlecomte.Évafutlapremièreàseressaisir.—Courez!SophieetellefirenttournerYvette,puislatraînèrentplusqu’ellesnelaportèrentjusqu’àl’escalier.—Arrêtez,hurlalecomte.Despasbottésmartelèrent le sol à toutevitessederrière elles.Elles entendirentungrand fracas,
puislabougies’éteignit.Degrosjuronssuivirent.Sanschandelle,ilétaittemporairementaveugléparl’obscurité.YvettependaitlourdemententreSophieetelle,maisÉvasentaitàpeinesonpoids.Uneterreursans
noms’emparad’elleetellen’arrivaitàpenseràriend’autrequ’auxsonsdemonsieurlecomtequilespoursuivaitetàleurgroupequiaspiraitàlaliberté.—Plusvite,criaÉva.Sophie s’agrippa à la rampe lorsqu’elles trébuchèrent dans les premièresmarches de l’escalier.
Paulineempoignaledosdelachemised’ÉvatandisqueNoëlleattrapaitlaceinturedeSophiepourlesempêcherdetomber.—Nousysommespresque!Paulinepoussauncrilorsqu’ellesatteignirentladernièremarchedel’escalieretdéboulèrentdans
lehall.Lecomten’étaitqu’àquelquespasderrièreellesetlesrattrapait.Évaseretournapours’orienterethoquetaenheurtantquelquechosedemassif.LeregardsévèredeNicholasétaitfixésurelle.—Nicholas!Pasletempsdeposerdesquestions.IlattrapaSophieetlespoussa,Yvetteetelle,endirectiondela
cuisine.Noëlle etPauline les suivirent en courant. Il pritÉvapar lamain et l’entraînaderrière lesautresfemmesàl’instantoùlecomteatteignaitladernièremarcheets’arrêtaitpéniblement.Le comte cria un nom, puis, quelque part dans l’immense hall, une voix répondit. À côté de
monsieurleduc,Évaaccéléra.Elleaperçutlesfemmesquisortaientencourantparlaporteouvertedelacuisine.Nicholasralentitaumomentoùilsseprécipitaientsurlapelouse.Ilsfirentunepauseletempsdetrouverlesautresfemmes,cequidonnaaucomtetoutjusteletempsdelesrattraper.LâchantbrusquementÉva,Nicholasseretournapouraffronterleuradversaire.LecomteregardaNicholasenplissantlesyeux;sarespirationétaitdifficileetsacolère,évidente.—Jevousconnais,dit-ilenavançantd’unpas.Stanfield?—Maddington.BienqueNicholasdépassâtlecomted’unepaume,celui-ciétaitpluslourdd’aumoinsdouzekilos,
dontlaplupartétaientsituésautourdelataille.—Rendez-moiYvetteetnousoublieronsquevousêtesentréchezmoipareffraction,ditlecomte
fouenseredressantdetoutesahauteuretenserrantlespoings.—Elleestmaintenant sousmaprotection, réponditNicholasen tendant lebraspourarrêterÉva
lorsqu’ellebonditverslecomte,bouillantederage.Etelleyrestera.Évaeutunétourdissementtantelleétaitsoulagée.EllenesavaitpascommentNicholasétaitarrivé
jusque-làniquellesétaientsesintentionsàsonégard,maisilétaitvisiblementvenupourelleetpoursecourirYvette.
Heureusement, lecomten’avaitpas lepouvoirdereprendreYvette.LordMaddingtonn’était riencomparé à son duc robuste et puissant. Le cœur d’Éva fut submergé par une vague de tendresseenverssonpreuxchevalier.— Vous avez l’intention d’utiliser votre rang, monsieur le duc ? demanda le comte d’un ton
méprisant.Jeseraisparfaitementendroitdevousfairefusiller.Commentaurais-jepudevinerquelevoleurétaitunpair?Maddingtonjetauncoupd’œilàÉvaetilsepassalalanguesursalèvreinférieure.—Jeseraitrèsheureuxd’apprendreàcettegueuseànepasmecontrarier.Un grognement sourd jaillit de la gorge deNicholas, qui se jeta sur le comte.Les poumons du
comtesevidèrentavecun«ouf» lorsqueNicholasenfonçasonépauledanssonventremouet lesdeuxhommestombèrentausol.NicholasserelevalepremieretdonnauncoupdepoingaumentondeMaddingtontandisqu’ilserelevait.Maddingtonreculaentitubant,secoualatête,puischargea.Labataillefutviolenteetbrutale.Lespoingstouchaientleurcibleavecuneprécisionetunevitesse
alarmantes.CefutàpeinesiÉvaserenditcomptequeNoëlleavaitposélamainsursonépauleaprèsqueSophieetelle furentsortiesde l’obscuritépourregarder lecombat.Nicholasreçutuncoupauvisageetréponditparuncoupdepoingdansleventreducomte.L’hommesepliaendeuxettombaàlarenverse.Nicholas l’attrapapar lebraset leva lepoing.Uncoupde feu retentitetNicholas fitunbonden
arrière. Il réussit tout juste à garder l’équilibre et releva brusquement le comte à l’instant où undeuxièmecoupdefeudéchiraitlanuit.Lecomtes’affaissaenhoquetant.NicholaslâchaMaddington,quis’écrasaausol.Regardant en direction d’un mouvement aperçu sous un arbre, Éva vit un valet, les yeux
écarquillés,fixerleseffusionsdesangetlecomtequigisaitinerteauxpiedsdeNicholas.Ilémitunfaiblegémissement,laissatomberdeuxpistoletsets’enfuitencourant.—Nicholas!Évacourutjusqu’àluietlerejoignitjusteàtempspourl’empêcherdetomber.Unetachesombre
s’étendaitsoussaveste.—Oh,Nicholas!Quelqu’uns’approchaaupasdecourse.—Danslecarrosse,ordonnaHarold.NoëlleetSophies’éloignèrentenvitesse.Ils’approchad’Évaetl’écartadoucementtandisqueles
yeux de Nicholas commençaient à rouler dans leurs orbites. Attrapant Nicholas sous les genoux,Haroldlesoulevapourlehissersursalargeépaule.IlnevacillapassouslepoidsinertedeNicholas.Éva, les joues brûlantes de larmes, passa les mains dans les cheveux bruns de son amant. Elle
l’aimaitet,maintenant,ellerisquaitdeleperdre.—Jevousenprie,Harold,nelelaissezpasmourir,lesupplia-t-elle.
CHAPITRE18
Haroldportamonsieurleducjusqu’aucarrossequilesattendait.ÉvaetNoëllel’aidèrentàmonterleducblesséàl’intérieur,oùlesautresfemmesétaientblottieslesunescontrelesautresdansl’habitacleexigu. Tout le monde avait les yeux écarquillés de terreur devant la manière terrifiante dontl’opérationdesauvetages’étaitterminée.YvettepleuraitdoucementdanslesbrasdeSophie.Lecomtefouétaitmort.Ilavaitétéabattu,accidentellement,parl’undesespropresvaletsquiavait
tentédetuerNicholas.SavoirqueLordMaddingtonnepourraitplussevengern’offraitquepeuderéconfortàÉvapourl’instant.EllesoulevalespiedsdeNicholaspourlesposersurlebancetsentitlepoids de leur inertie. Le fait qu’il respire faiblement l’empêcha de sombrer complètement dans ledésespoir.Ilétaitvivant,maispourcombiendetemps?Elleravalases larmes.Sonvisageétaitsipâle.S’ilmourait,ceseraitdesafaute.Siseulement il
étaitrestéàLondresetl’avaitlaisséesauverYvetteseule.LorsqueNicholasfutinstallésurlesiège,Évas’agenouillaàsescôtésetouvritsavestepouravoir
unmeilleuraperçudelablessure.Leclairdelunerévélanettementqu’ilperdaitbeaucoupdesang.—Oh,ciel,fitAbigailens’éventantlesjouesdelamain.—Situperdsconnaissance,Abigail,jetejetteenbasducarrosse,ditNoëlled’untonbrusque.Abigailluilançaunregardnoir.—NousdevonsêtrefortespourÉvaetsonduc.—Unduc?couinaAbigaild’unepetitevoixaiguë.Nousavonsétésecouruesparunduc?Deschuchotementsétoufféssuivirent.Évan’yfitpasattention.Samainétaitappuyéesurlablessure
et du sang lui coulait entre les doigts. Harold déchira la chemise de Nicholas afin de pouvoirexaminer le trou de balle de plus près. Le contour irrégulier de la plaie provoqua des hoquets destupeur.— Il vamourir en sevidantde son sang, criaÉva lorsqu’Harold s’agenouilla à côtéd’elle. Il a
besoind’unmédecin.—Ducalme,Éva.Lapaniquen’aiderapastonhomme,réponditHaroldentâtantdoucementautour
delaplaie.Enlève-luisonfoulard,poursuivit-ilenexerçantunepressionsurlablessureavecsamain.Nousdevonsarrêterl’hémorragie.Nousnousoccuperonsdelaballeplustard.ÉvaôtarapidementlefoulardduducetletenditàHarold.Ilplialetissutrèsserréetl’appliquasur
laplaie.—Passelamaindanssondospourvérifiersilaballeestressortie.Elleglissalamainsousleducettâtaduboutdesdoigts.Iln’yavaitpasdesang.—Jenesensrien.Lesmotsrestèrentcoincésdanssagorge.Nicholasétaitsifortetinvincible.L’idéedeleperdrela
terrifiait.—Laballedoitêtretoujoursàl’intérieur.Harold bourra la plaie, déchirant au fur et à mesure des bouts de la chemise de Nicholas. Le
pansementétaitgrossier,maisefficace.Ilsnepouvaientpasretournerchercherdel’aideàl’abbaye.Pasaveclecomtequigisait,mort,surlapelouse.Unemainse tenditvers le frontd’Éva. Il lui fallutun instantpourse rendrecompteque lamain
appartenaitàmonsieurleduc.Ellelevalesyeuxetscrutasonvisageauclairdelune.Soncœurfitunbonddanssapoitrine.Ilavaitlesyeuxfermés,maislescoinsdesabouches’étirèrent.—Jehaiscetteperruque.Pleurantetriantà lafois,Éval’ôtadesa tête.Lamasseemmêléedesescheveuxcascadasurses
épaulesetrecouvritlamainduduc.Deschuchotementss’élevèrentunefoisdeplus.Lescourtisanesn’avaientjamaisvuÉvasanssondéguisement.
—Jelabrûleraidemain,jevouslepromets.Unsanglots’échappadesagorgelorsqu’ilpassalesdoigtsdanssescheveuxentoussant.Elleprit
samainlibrepourlaposersursajoueetembrassasapaume,lamouillantdeseslarmes.— Ce n’est pas le moment de craquer, mon cœur. J’ai besoin de ma vieille fille fougueuse
maintenant.NicholasentrouvritlespaupièresetÉvasentitsoncœurseserrer.Sonregardintenseavaitperdude
sonéclat.C’étaituntrèsmauvaissigne.—OùestMaddington?—Mort,réponditHarold.Auloin,unchienaboyaetHaroldaccéléralemouvement.Lamaisonnéeenentierdevaitavoirété
réveillée par les coups de feu. La confusion leur donnerait quelques précieuses minutes pours’assurerqueNicholasétaithorsdedangerdansl’immédiat.Nicholashochalatête.Samainglissadescheveuxd’Éva.—Sijesurvisàceci,jeremercierailevalet.Évapritsonvisageentresesmains.Sapeauétaitfraîcheautoucher.—Vous survivrez. Je refuse qu’il en soit autrement, dit-elle en se penchant pour poser un doux
baiser sur ses lèvres légèrement entrouvertes. Je n’ai pas terminé deme venger de votre conduiteintolérable.J’aiencoretouteunelistedeméthodesdetortureàfairepleuvoirsurvotretêtearrogante.Unpetitsourireplissalentementlescoinsdesesyeux.—Danscecas,j’attendraiavecimpatiencelesannéesdesouffrancesàvenir,madame.Il s’effondra sur les coussins rembourrés et ferma les yeux. Éva gémit et tendit la main pour
appuyerlesdoigtssursoncou.Elleeutl’impressionquesoncorpssevidaitdesonsangjusqu’àcequ’ellesentelepoulsdeNicholasauboutdesesdoigts.—Continuezdecomprimerfermementlefoulardsurlaplaie,ditHaroldendescendantducarrosse
envitesse.Ilfautquejenousconduiseensécuritéloind’ici.Dequelquepartdansl’obscurité,uncrileurparvint.Desgensdevaients’êtrelancésàlarecherche
dumeurtrierducomte.Lamaisonnéeseraitpaniquée.Lavoituretangualorsqu’Haroldgrimpasurlesiègeduconducteuretdonnal’ordreauxchevauxd’avancer.Lecarrossecahota,projetantÉvasurlesfesses tandis que les autres femmes étaient blotties les unes contre les autres sur l’autre banc.ÉvarepritrapidementsapositionàgenouxpourcomprimerlaplaiedeNicholas.—C’estunhommefort,Éva,ditNoëlle,quitenditlamainpourlaposerdefaçonréconfortantesur
sonbras.Illutterapourlui-mêmeetpourtoi.Évaseremitàpleurer.Ellesentitdechaudsruisseletscoulersursesjoues.—Jenepeuxpasvivresanslui,Noëlle.Jel’aime.Noëllelarejoignitausoletpassaunbrasautourdesesépaules.—Jesais,trèschère,répondit-elleenmettantunemainsurcelled’Évadesortequ’ellesappuient
touteslesdeuxfermementsurlepansement.Nouslutteronspourluiensemble,masœur.Un hoquet de surprise suivi de murmures interrogateurs retentit derrière elles. Découvrir non
seulementqueleurmademoiselleBlackportaitundéguisement,maisaussiqu’elleétaitparenteavecNoëllefutunchocpourlescourtisanes.Unautredessecretsd’Évavenaitd’êtrerévélé.Pour l’instant, elle s’en moquait. Elle pourrait démêler tout cela lorsque Nicholas recevrait les
soinsd’unmédecin.Ilspassèrententrelesarbresetrejoignirentlaroute.Leclairdeluneinondalecarrosse.— Je le connais, s’exclama Sophie, le souffle coupé, quelques instants plus tard. Il s’agit de
monsieurleducdeStanfield.Jel’aidéjàvusepromeneràchevalauparc.
Évasavaitqu’ellenepourraitplusgardersessecrets.Sescourtisanesétaienttropintelligentespouravalerdesmensongesboiteux.Avantqu’elleaitpuremettredel’ordredanssesidéesettrouveruneexplicationraisonnable,Noëlletournalatête.—MademoiselleÉvaestmasœur,dit-elled’untonbrusque.JesuisLadyNoëlleSeymour.Nous
nous sommes connues tout récemment. Monsieur le duc et ma sœur sont, euh, amis. Je vousdemanderaisdoncdebienvouloirmettreuntermeàvosspéculationsinfernalesjusqu’àcequ’ilsoithorsdedangeretqu’ons’occupedelui.Misàpartlesgrincementsetlescrissementsdelacourseeffrénéeducarrosseainsiquelesordres
qu’Harolddonnaitauxchevaux, lesilencerégnait.Desheuressemblèrents’êtreécoulées lorsqu’ilss’arrêtèrentenfin.Évaavaitlesjambesengourdiesd’êtrerestéeaccroupieetsesmainspicotaientlàoù elles appuyaient sur la plaie.Harold descendit et ouvrit brusquement la portière. L’espace d’uninstant,avantqu’Haroldgrimpedanslecarrosse,ellevitlalumièred’uneseulelampeàl’extérieurd’unevastedemeure.—Oùsommes-nous?demanda-t-elle.—Nousauronstoutletempspourlesexplicationsplustard,réponditHaroldensepenchantpour
souleverNicholasdusiège.Ilfallutquelquesmanipulationsmaladroitesavantqu’Éva,NoëlleetHaroldarriventàsortirleduc
ducarrosseetàlehissersurl’épauledecedernier.Unvieilhommequiportaitunechemisedenuit,une casquette et d’épaisses lunettes plissa les yeux sous la lumière de la lampe tandis que tout lemondedescendaitducarrosseenmasse.—Monsieurlebaron?Haroldlefrôlaenpassantàcôtédelui.—Envoyezchercherunmédecin.Les femmes se hâtèrent derrièreHarold tandis qu’il se dirigeait vers un grand escalier. Tout ce
qu’Éva fut enmesure de remarquer en suivant son domestique pas à pas, c’était que lamaison nesemblaitpasentrèsbonétat.Ellenepouvaitqu’espérerquelespropriétairesdumanoirnerefusentpasdevenirenaideauxneufinconnusquivenaientd’atterrirsurlepasdeleurporte.Harold fit une courte pause au sommet de l’escalier, puis tourna à droite et se dirigea vers une
pièceauboutducouloir.Ilouvritlaported’uncoupdepied,portaNicholasjusqu’aulit,puisleposasur le couvre-lit bleu. Le vieux domestique apparut dans l’encadrement de la porte et se frayaimpatiemmentuncheminàtraverslegroupedefemmes.—J’aienvoyéchercherlemédecinetdeschambresontétépréparéespourvosinvitées,monsieur
lebaron.Iljetauncoupd’œilpar-dessussonépauleverslesjeunesfemmeshabilléesenhommesetcligna
desyeux.—Dois-jeconduireles,euh,damesàleurschambres?—Oui,merci,Edgar.Etvoyezàcequ’onleurserveàmanger.HaroldseretournaversNicholasetcommençaàluienleversachemise.—Apportez-moidel’eauetdequoifairedespansements.—Oui,monsieurlebaron.—Monsieurlebaron?demandaÉvaenfixantHarold.C’était la troisième foisqu’on s’adressait à luide la sorte. Il évita soigneusement son regard en
arrachantlepansementpourexposerlablessure.Ellelerejoignitsurlelit.—Cethommen’amanifestementpastoutesatête,répondit-ilsèchement.
Évan’avaitpas le tempsd’insister.S’occuperdeNicholasétaitdevenusapriorité.Haroldetellenettoyèrent la plaie. Il n’y avait plus qu’un filet de sang qui s’en écoulait tandis que le contourcoagulait. Quelque part en marge de son esprit épuisé, elle capta la voix d’un garçon qui avisaitHarold que le médecin assistait un accouchement difficile et qu’il ne savait pas quand il pourraitvenir.Haroldhochalatêted’unairsombreetrenvoyalegamin.Lestraitstirés,ilrevintverslelit.—Ilvafalloirenleverlaballenous-mêmes.Évasecoualatête.—Ilesthorsdequestionquemonsieur leducmeurependantunechirurgie ratéeque j’aiaidéà
pratiquer.Ildoityavoirunautremédecin.Elletâtalaplaieetsentitlaballesouslapeau.Dieumerci,ellenes’étaitpasenfoncéeplusprofond.Haroldlaregardadanslesyeux.— Il n’y en a pas, répondit-il en trempant le tissu ensanglanté dans la bassine. Me faites-vous
confiance,Éva?Elle s’immobilisa l’espace d’un instant, puis hocha lentement la tête. Il était l’une des deux
personnesenquielleavaitentièrementconfiance.—Danscecas,allonscherchercetteballe.Travaillant efficacement en silence, Harold retira la balle de la chair tout juste sous la cage
thoraciquedeNicholas.Leducs’agitasur le litdanssondélire,mais ilnerepritpasconnaissance.Haroldrestaensuiteenretraitpendantqu’Évarefermaitlaplaieavecdepetitspoints.Lorsqueleducfutfinalementpanséetinstallésouslescouvertures,elles’effondrasurlefauteuil,levisageentrelesmains.Haroldseglissasubtilementhorsdelapièce.Environdeuxheuresplustard,Nicholasremua.Évaselevadufauteuilpourposerlamainsurson
front. Jusque-là, il n’avait pas de fièvre.Malgré l’agilité avec laquelleHarold avait retiré la balle,l’infectionrestaitunepréoccupation.Elles’assitàcôtédeNicholaset luiprit lamain.Ilclignadesyeux.—Monsieurleduc?Elleécartalescheveuxqu’ilavaitdevantlesyeuxetscrutasonvisagebien-aimé.Ilétaitpâle,mais
ses joues reprenaientdescouleurs.Sa lèvre inférieureétait légèrementenfléeet sonœildroit étaitentourédeplusieurstachesbleu-noird’uneformesemblableàcelledejointures.—M’entendez-vous?—J’ail’impressiond’avoirétépiétinéparunemule,dit-ild’unevoixrauqueenpassantdoucement
lesdoigtssursescôtes.Ilgrimaça.—Avez-vouslaisséunbouchers’occuperdemoi?Évasourit.—C’étaitHarold.Ilaretirélaballe.Leducrenâcla.—Avecunelameémousséeetrouillée,sansdoute.Ilremuafaiblementetallongealesjambes.Éval’aidaàprendreunepositionplusconfortable,puis
ajoutaunecouverturesupplémentaire.—Jedevraisleremercierdenepasm’avoirenfoncélalamedansleventre.—Vousledevriez,répondit-elleenécartantlescheveuxqu’ilavaitdevantlesyeux.Ilafaitdubeau
travail.Jecroisqu’ilcommenceàvousapprécier.
Unedesespaupièressefermalorsqu’illuijetaunregardencoin.—Apprécierestunbiengrandmotpourdécriresessentiments.Jediraisplutôtqu’ilnesouhaite
plusmeromprelecou.Haussantlesépaules,Évasefrottalesbraspourenleverlachairdepoule.Elletentad’ignorerla
vague d’affection qui montait en elle et de rester stoïque. Maintenant qu’il était en sécurité, elleprenaitsesdistancespourtenterdeseprotégercontretoutenouvelleblessure.Enréalité,rienn’avaitchangéentreeux.L’amournepouvaitpascomblerlegouffrequilesséparait.—Ilesttrèsprotecteuretvousvousêtesconduitcommeunebête.Meforceràpartagervotrelit!
Vousattendiez-vousàcequ’ilvousinviteàjoueraubillardetàdiscutercommesivousétiezdevieuxamis?—Touché,moncœur.Ildégageasamainpourlaposersursacuisse.Unfrissonluiparcourutlajambe.Soncœurbattitla
chamadeenréactionàlachaleurqu’ellelutdanssesyeux.Lablessureparballen’avaitvisiblementpasmodérésonardeur.—Jen’étaispasaumeilleurdemoi-même.Elleévitasoigneusementderegarderlamoitiéinférieuredesoncorps,heureusequelecouvre-lit
cachesanudité.Ellen’étaitpascertainedepouvoirrésistersiellelevoyaitsanssesvêtements.Ilyavaitdesjoursqu’ilnel’avaitpastouchéeetelledésiraitardemmentqu’illaprennedanssesbras.—Sivousn’avezriencontrelefaitd’êtreau-dessus,vousêtescordialementinvitéeàmerejoindre
pourquelquesjeuxamoureux,madouce.Évasursauta,puisserenditcomptequ’ildevaitavoirludanssesyeuxledésiràl’étatpur.Ellese
sentitrougir.—Jenevousrepousseraispas,poursuivit-il.Évadutrassemblertoutesavolontépournepasaccéderàsademande.Toussessentiments,touten
elleavaitenviedefairefide touteprudenceetdesedonnerà luienentier—esprit,corpsetâme.Maislaquestiondesonavenirdemeurait.Ilétaitdevenusajoiedevivreetellesedébattaitcontrecepoids.Lerôlequ’ellepouvaitjouerdans
savieétaitlimitéetcesrestrictionsneluiplaisaientpas.Elleignoradonclecommentaireetchangeadesujet.—Vousêtesunhéros,monsieurleduc,dit-elleenselevantetenretournantverslefauteuil.Ellejoignitlesmainspourenarrêterlestremblements.—Sansvotreinterventionopportune,lecomtenousauraittoutescapturéesoutuées.—C’estpourvousquejem’inquiétais.LorsquevotreHaroldestvenuvoirsivousétiezlà,j’aitout
desuitesuquevousaviezignorémonconseiletquevousétiezpartieorganiserunsauvetage.Petiteentêtée ! s’exclama-t-il d’un air renfrogné. Nous sommes venus directement. J’ai laissé Haroldmonter lagardeprèsducarrosse.J’étaisentrédans l’abbayeàplusieursreprises lorsdefêteset jesavaisquejepourraism’orienterdansl’obscurité.Ilm’auraitralenti.—Haroldadûregimberdevantvosordres.Nicholassouritetbâilla.—Lesdésirsd’unducpassentavantceuxd’undomestique.Évasoupira.—Jesuispersuadéequevousavezbienjouévotrejeu.Ellen’eutaucunmalàimaginerlesdeuxhommesfaceàface,essoufflésetauxabois,entrainde
lutterpourleplushautbarreaudel’échelle.MaisHaroldnepouvaitrienfairecontreleduc.Ilavaitdûêtretrèsmécontentd’êtrelaisséderrière.
—Jesuistrèsheureuxdel’avoirfait,réponditNicholasentirantsursonpansement.Ilm’asauvélavie.Siquelqu’unméritenosremerciements,c’estbienHarold.Parcequ’ilavaitsauvéNicholas,ÉvaseraitreconnaissanteàHaroldjusqu’àlafindesesjours.Il
luiavaitdonnélapreuvedesaloyautéetdesonamitiéaumomentoùelleenavaitleplusbesoin.—Ehbien,jesuisheureusequevousayezsurvécupourrentreràLondres,épouserLucyetfaire
unedouzained’enfants.Moi,jemarieraimescourtisanesetdeviendraiunevieillefilletrèsrigideetaigrieaufuretàmesurequej’approcheraidemesvieuxjours.Sontonlégern’arrivapasàsoulagersaprofondetristesse.Elleavaitenviedeseroulerenboule
dansuncoinetdepleurer.—L’horribleperruqueetleslunettescomprises,termina-t-elle.—J’aibienpeurquevosprojetsneseréalisentpas,moncœur,répliquaNicholas.Jenevoispasde
vieille fille esseulée dans votre avenir. Et je n’ai pas non plus l’intention d’épouser Lucy. Nimaintenantniplustard.Évaleregardafixement.—J’aidécidéquemonavenirpasseparunecertainecourtisanefougueuseauxbeauxyeuxbleuset
dont les cheveuxme rendent fou de désir, poursuivit-il sans relâche. Elle sera désormais la seulefemmeàpartagermonlit.Sesparolesn’avaientaucunsens.—Voussouffrezde touteévidencedeseffetsadversesdevotreblessure.Vousavez l’obligation,
sinon par la loi, du moins par un ancien code de conduite, d’épouser une femme d’ascendanceimpeccableetd’engendrerdesenfantsausangpur.Jenesuispascettefemme,répondit-elleavantdereculeretdeleverlementond’unairentêté.Ilyadéjàtropd’enfantsillégitimes;enétantunemoi-même,jen’enmettraipasd’autresaumonde.Nicholasrenâcla.—Vousai-jedemandédeportermesenfantsillégitimes,matrèschèreÉvangéline?— Vous avez exprimé le vœu que je continue à partager votre lit, répliqua-t-elle en croisant
fermementlesbrassursapoitrine.Àmoinsquejem’avèreinfertile,lesrisquessonttrèsélevésquevousplantiezun jourdansmonventreunesemence fertile,poursuivit-elleen rougissant. Je refusequemesenfantsviventleurviesanspèrecommejel’aifait.—Lemal est peut-êtredéjà fait, dit-il enbaissant lesyeuxvers sonventre. Jen’aipasprismes
précautionshabituelles.Ellesecouavivementlatête.—Jeneportepasvotreenfant.Posant ses yeux verts sur elle, il gratta d’un doigt autour du pansement. Le mouvement le fit
grimacer.—Vousêtesbeaucouptropentêtéepourvotreproprebien-être.Jen’arrivepasàcroirequ’après
avoirgrandiavecmonpèreetvumamèresouffrirparamour,jevousaielaisséevousemparerdemoncœur.Ilsourittendrement.—Jeveuxvousépouser,Éva.N’eûtétélefauteuilsoussesfesses,elleseseraitécrouléeausol.—M’épouser?couina-t-elle.Manifestement,vousdélirezàcausede tout le sangquevousavez
perdu. Jenepeuxpasvous épouser. Je suis la fille illégitimed’une courtisane. J’ai vouémavie àcachercetteréalitéetàempêcherd’autrescourtisanesdeconnaîtrelemêmesortquemamère.Jenepeuxpasêtreuneduchesse.Ceseraitscandaleux.
Ilpinçaleslèvres,contrarié.—Jememoquedevotreorigineoudequiétaientvosparents.—Moi,jenem’enmoquepas,hurlaÉvaenbondissantsursespieds.Lasociéténes’enmoquepas.
Quand lescommèresapprendrontquiestmamère,ellesnousréduiront tous lesdeuxenmiettesetpousserontmamèredansdesténèbresdontellenepourrajamaiss’échapper.Ellerecula,joignitlesmainsetlesportaàsabouche.—Vousnementionnerezpluscettehistoire,monsieurleduc.Plusjamais.Surce,ellesortitdelapièceencourant.
•
NicholasécoutaÉvas’éloignerparlaporteouverteetsacolèreaugmentaàchaquepasqu’ellefaisait.Ilavaitfinalementconcluqu’ilétaitamoureuxd’elleetqu’ilvoulaitl’épouser,etellel’avaitrejetédelamanièrelaplusabsolue.Cette femme était effectivement entêtée jusqu’au bout de ses parfaits orteils. Affaibli comme il
l’étaitactuellement,lasecouerjusqu’àcequ’elleclaquedesdentsn’étaitpasuneoption,pasplusquelatraînerjusqu’àGretnaGreenpourl’épouserdeforce.Tellequ’ilconnaissaitÉva,laforceràfairequelquechosenes’achevaitgénéralementpasparundénouementheureux.Elleétaitbeaucoup tropindépendante.Etc’étaitpourcelaqu’ill’aimait,ainsiquepourtoussesautrestraitsdecaractèrequ’iltrouvaitjadispénibles.—Monsieurleduc?Illevalesyeuxetvitlasœurd’Évaquisetenait,hésitante,dansl’encadrementdelaporte.Lejaune
luiallaitbien,quoique la robeeûtconnudes joursmeilleurs.S’ilavaitungrammedebonsens, ildemanderait sa main à la place. Lady Seymour avait grandi dans le monde privilégié et neregimberaitpasàl’idéededevenirduchesse.Ellepourraittenirsamaison,divertirsesinvitésetluidonnerdestasd’enfants.Malheureusement,ellen’étaitpasÉva.Iln’yavaitqu’uneseuleÉva.—Entrez,grommela-t-il.Elletraversalapièceetseperchainconfortablementsurleborddufauteuilinoccupédepuispeu.—Commentvoussentez-vous,monsieurleduc?—Aussibienqu’onpuissel’espéreraprèss’êtrefaittirerdessusparunvaletpuisdécouperparun
boucher,grommela-t-il.Sonhumeurs’assombrissaitàchaqueinstant.—J’aidelachancedepouvoirencorerespirer.LadySeymoursemorditleslèvres,lesquellesétaientagitéesdespasmes,manifestementdanslebut
deréprimerunsouriresuffisant.— Harold a fait du beau travail pour vous soigner, monsieur le duc. Vous devriez lui en être
reconnaissant.Pourl’instant, ilsesentait toutsaufreconnaissant.Amer,oui.Mécontent,certainement.Souffrant,
sans aucun doute. Se lancer dans une suite de bavardages futiles avec cette quasi-inconnue était ladernièrechosedontilavaitenvie;cedontilavaitenvie,c’étaitruminerausujetd’Éva,seul.—Quevoulez-vous,LadySeymour?L’amusementtraversafinalementsonvisage.—Jeveuxquevousépousiezmasœur.
Il s’immobilisa. Cela prenait une tournure intéressante. Cette femme était une originale. S’ilépousait Éva, il serait difficile de garder secrète la véritable nature de leur relation. L’apparitiond’Évaaubalavaitexcitélesrumeursetsadisparitiontoutaussisoudainenelesavaitpasapaisées.Sielledevenaitsaduchesse,elleseraitscrutéeàlaloupe.Pourlapremièrefois,ilvitlui-mêmecequiinquiétaitÉva.Iln’étaitpasétonnantqu’elleaitrefusé
sademande.—Pourquoidevrais-jeépouservotresœur?—Parcequevousêtesamoureuxd’elle.Cetteaffirmationfaillitleprojeterenbasdulit.Ilscrutasonvisage.Sessentimentsavaient-ilsétéà
cepointévidentpourtoutlemondemisàpartlui-même?—Etparcequevousluiavezvolésoninnocenceetqu’ellepourraittrèsbienportervotreenfant.
Parcequ’endépitdelaréputationdevotrepère,vousêtesunhommed’honneur,bienquevousl’ayezternienséduisantÉva.Parcequ’elleestchaleureuse,aimableetmerveilleuseetquevousnepourrieztrouvermeilleureduchesse.Cachantsonamusement,ilhaussaunsourcil.—Êtes-voustoujoursaussidirecte,LadySeymour?Ellesourit.—C’estcequimerendaussiattachante.Nicholasgloussa.— Je suis d’accord avec la partie selon laquelle Éva ferait une bonne duchesse et je suis bien
amoureuxd’elle.Histoiredemettreleschosesauclair,jeluiaidemandésamainetellearefusé.Elleprotègefarouchementsamère.EllecroitquenotreunionferaitdumalàCharlotte.LadySeymours’enfonçadanssonfauteuil.—Ilyacertainementdequois’inquiéter.Lescommèresadorentcreuseràlarecherchedesombres
secretsdefamillepourlesfairecirculer.Charlotten’estpasenétatdevoirsonpasséétaléaugrandjour.Évaaraisondesefairedusouci.Ilsrestèrentsilencieuxpendantuncertaintemps.—Ildoityavoirunesolution,ditLadySeymour.Jesaisqu’Évaetvousêtesfaitsl’unpourl’autre.
Çaluibriseraitlecœurdevousperdre.—Ilenseraitdemêmepourmoi.Était-ilpossiblequeNoëlleaitraisonetqu’Évasoitbienamoureusedelui?Elleneluiavaitdonné
aucun indice qu’elle éprouvait plus que du désir. Si elle était amoureuse de lui, cela changeraitcertainementtout.—Jetrouveraiunmoyendedissipersescraintes.UnsouriresatisfaitilluminalestraitsdeNoëlle.—J’ai confianceenvous,monsieur leduc, répondit-elle en lui faisantunclind’œil avantde le
laisserréfléchiràlasituation.Il lui fallait protéger Charlotte tout en épousant Éva. Les années à venir s’annonçaient vides et
sombressanselle.Ilaimaitsavieillefillecourtisane.Ilétaitprêtàtoutpourelle.Àtout.
CHAPITRE19
Évaessuyaseslarmesetsepassadel’eautièdesurlevisage.Depuistoujours,ellesavaitquejamaiselle ne se marierait ni n’aurait d’enfants. C’était impossible avec autant de secrets à protéger.Maintenant,l’hommequ’elleaimaitvoulaitluioffrird’avoirsaproprefamilleetelledevaitrefuser,mêmes’ilsavaittoutsurelle.Etqu’ils’enmoquait.S’ilavaiteupourpèreuncomptableouunfermieretqu’ilavaitmenéunepetiteviepaisible,elle
auraitacceptésapropositionavecjoie.Maisunduc?NonseulementNicholasétaitunduc,mais ilétait aussi membre d’une famille puissante dont les actions étaient constamment scrutées par lasociété.Pasmêmelaconduitescandaleusedesonpèreavaitempêchélanoblessed’accepterdanssonample
giron le fils et la veuve comme s’ils faisaient partie de la royauté.Mais la fille d’une courtisane,c’étaitun toutautre typedescandale. Ilyavaitdes limitesànepas franchiretcelle-cienétaitune.Mêmesiellen’avaiteuqu’unseulamant,lamèred’Évaétaitconsidéréecommeunepute.Safillenepouvaitpasdevenirduchesse.Onl’éviterait,samèreseraitexposéeetNoëlleainsiquel’invisibleMargaretseraientostracisées.
Avoir une sœur illégitime n’était pas inhabituel vu la manière dont les hommes de la noblesserépandaient leursemenceà toutvent.Cependant,onnesortaitpascelle-cide l’ombrepour la faireparaderàunbaldelasociété.Évalaissaéchapperunsoupirtremblotant,puisquittalapièce.Nicholasauraitbesoindeplusieurs
jourspourrécupéreret,bienqu’elleaitdésespérémentenviederentreràLondreschezsamère,ellenepouvaitpasl’abandonner.Illesavaitsauvées.Parloyauté,ellesedevaitdes’occuperdeluijusqu’àcequ’ilsoitsuffisammentenformepourvoyager.Ensuite,ellelereconduiraitàCollingwoodHouseetluiferaitsesadieux.Lesfemmes,misesàpartNoëlleetYvettequisereposaientàl’étage,étaientrassembléesdansun
sobrepetitsalon.Lesbavardagesexcitésseturentàl’arrivéed’Éva.Elles étaient curieuses et elle ne pouvait pas les blâmer.La nuit précédente avait été une nuit de
révélations.Elleleurdonneraitdesexplicationsplustard.Pourl’instant,elleétaittropépuiséepourrépondreàleursquestions.L’ameublement se limitait à une table, ainsi qu’à un canapé et à trois fauteuils qui étaient tous
occupés.Le tissu desmeubles et des rideaux était délavé et effiloché, alors que le temps avait faitcraquerlepapierpeintsurlesmurs.Dansl’ensemble,lademeureparaissaitnégligéeetavaitl’odeurderenferméd’unemaisondepuislongtempsinhabitée.L’identitédesonpropriétairerestaitunmystère.Siunefamillerésidaitici,ellen’enavaitpasvula
moindretrace.Seulsquelquesdomestiquesâgésetplusieursaraignéessemblaientavoiréludomicileàcetendroit.—Commentvalepatient?s’enquitAbigaild’untoninquiet.Elleportaituneroberosedélavéquiparaissaitavoirétédonnéeparunegouvernanteouunefemme
de chambre. En fait, toutes les femmes étaient vêtues de robes en coton ou en laine aux couleursdélavées faites pour habiller des corps légèrement plus grands et corpulents.On aurait dit que lesfemmesavaienttrouvéunemallerempliedevieuxvêtementsetqu’ellesjouaientàsedéguiser.—Ilserepose,réponditÉva.Ellebaissalesyeuxsursonpantalonetsachemiseempruntéstachésdesangetdepoussière.Elle
n’avaitpasportéattentionàsonapparencedepuisqu’onavaittirésurNicholas.—Lagouvernante,madameMoore,nousadonnéces robes,ditRose,qui sepenchaenavantet
grimaçalorsquesoncorsages’ouvritsurunechemisejaunie.Ellelesatrouvéesdanslegrenier.Ilyavaitunemallederobesplusélégantes,maislesmiteslesavaientrenduesinutilisables.
—Lebaron et son épouse avaientune fillequi estmorted’une fièvre àdix-sept ans, poursuivitdoucementAbigail.MadameMooreaditqu’ils’agissaitdesesvêtements.Lafamilleaétéruinéeilyaplusieursannéesàcausedemauvaisinvestissementsfaitsparlebaron.—IlyaunerobepourvousdanslachambredeLadyNoëlle,intervintSophie.Nousnevoulions
pasvousdérangerpendantquevousétiezavecmonsieurleduc.—Jevaisdevoirremercierlabaronnepoursagentillesse.L’avez-vousvue?— Il n’y a ni baronne ni baron, déclaraHarold en entrant à grands pas dans la pièce, le visage
impassible.Ilavaitdans lesmainsunebouteilleetunverre. Il s’étaitchangépourenfilerunpantalonetune
vesteenlainebleuequiépousaientsacarruredeboxeurcommes’ilsavaientétéfaitssurmesure.Lagouvernantedevaitavoirpassébeaucoupdetempsàfouillerdansdesmallespourtrouverceshabits.—Labaronnes’estnoyéedanslelacpeuaprèslamortdeLouiseetlebaronestdécédédansson
sommeill’annéedernière.C’estmadameMoorequ’ilfautremercierpourlesvêtements.ÉvaobservaHaroldseservirunegorgéedecequ’ellecroyaitêtreduwhisky,puis l’avalerd’un
trait.Ellehaussalessourcils.Ellenel’avaitjamaisvuboired’alcool.Lanuitetlafusilladeavaientdûletroublerplusqu’ellenel’avaitcru.—Commentensavez-vousautantsurcettefamille,Harold?demanda-t-elle.Elle devenait de plus en plus suspicieuse. Ses vêtements paraissaient neufs et il semblait aussi à
l’aiseques’ilétaitdéjàvenuici.Jetantunbrefcoupd’œilparlafenêtresurlacourenvahieparlesplantesetladistanceentrelamaisonetlaroute,Évaserenditcomptequ’ilsn’avaientpasatterriiciparhasard.—Plusdesecrets.Jevousenprie,l’implora-t-elledonc.Leurs regards se croisèrent et il fut le premier à baisser les yeux. Il se versa un autre verre et
l’enfila.—Lamaisonm’appartient.Abigail émit un hoquet de stupeur et blêmit. Elle gémit, se leva et sortit de la pièce en courant.
Haroldgrimaçaetsetendit.—C’estmafamillequiestmorteici.Ilposasonverreetallaàlafenêtre.—Aprèsledécèsdemasœuretdemamère,jemesuisbrouilléavecmonpèrependantplusieurs
années.C’estseulementaprèssamortquejesuisrevenuicietquej’aitrouvélamaisonenruines.Lescourtisanesétaientmuettescommedescarpes.Cen’étaitpasuneconversationqu’ilconvenait
de tenirenpublic.Évaleurfitsignede les laisser,ceàquoiellesobéirentàcontrecœur.Ellerestaseuleavecsonamicachottier.Sonestomacsenoua.Elleeut lesentimentquesonhistoirese termineraitmal.Pourelle.Harold
étaitunbaronquis’étaitfaitpasserpourundomestique.Ellesupposaquesonarrivéesurlepasdesaporten’étaitpasunhasard.Ellepriapourqu’ilnesoitpasunmeurtrierenfuiteniunvoleurdegrandcheminrecherché.—Continuez.Ellesepréparamentalementetseconcentrapourrespirer lentementetcalmement.Elleluidevait
beaucoup;ilauraitdoncdroitàtoutesonattention.Ilpassa lesmainspar-dessussa têtepouryappuyersanuqueavantdese tournerenfinverselle.
Sonmasquedestoïcismes’étaittransforméenuneexpressiondeprofondregret.— Après le décès de mon père, j’ai découvert qu’il ne m’avait rien laissé d’autre que cette
propriétéetunepiledefacturesquiaugmentaient.Aprèsêtrepartid’ici, j’aiserviplusieursannées
dans l’armée où j’assistais unmédecin. La plupart du temps, j’errais ici et là en faisant demenustravauxpourmenourrir.J’aifiniparatterrirdansleKent,àBridgetonManor,entantquepalefrenier.Évachancela.Lespiècesducasse-têtecommençaientàsemettreenplace.Haroldseprécipitaàses
côtés,maisellelerepoussa.Elletitubajusqu’àunfauteuilsurlequelelles’effondra.—Noëlle.—Non,aboyasèchementHarold.Samère.Évajoignitlesmainsetlesportaàsabouche.Ellefutsubmergéeparlechagrin.—Cette horrible sorcière ! Je croyais que la douairière avait accepté ce qu’elle ne pouvait pas
changeretqu’elleétaitpasséeàautrechose,dit-elleenlevantlesyeuxpourqu’Haroldpuissevoirlaprofondeurdesonchagrin.Vousmetrahissezdepuisledébut.Salèvreinférieuretrembla.—Laseulepersonneàpartmamèreenquij’avaisconfiancen’étaitqu’uneruseorchestréeparla
seulepersonnesurcetteTerrequisouhaitenotreperte.—Éva,ditHarold,levisagecreuséparlechagrin,enposantungenouàterredevantelle.Ellem’a
offertunmoyendevivreconfortablementetderemettrecettedemeureenétat.Ellevoulaittoutsavoirà propos de Charlotte et de vous, pour voir si j’arrivais à trouver une faiblesse qu’elle pourraitutilisercontrevous.Évaeutl’impressionqu’iln’yavaitplusd’airdanslapièce.Latêtecommençaàluitourner.—Vousdevezavoireubiendeschosesàluiraconter.Elleavaitlabouchesècheetparlerétaitdifficile.—Dois-jem’attendre à ce que des gardiens de l’asile viennent cherchermamère chez elle au
milieudelanuit,Harold?—Non.Éva,jevousenprie,écoutez-moi,répondit-ilenécartantlesmains.Ellenesaitrien.Vous
m’avez sauvé la vie lorsquedesmalandrinsm’avaient laissé pourmort. J’ai su dès lors que je nepourraispashonorermoncontratavecLadySeymour.Charlotteetvousêtesdevenuesmafamille.Fermant lesyeuxpourretenirses larmes,Évasecouala tête. Ilavaitespionnépour lecomptede
l’ennemie.Ilpourraitbienêtreencoreentraindeluimentir.— Vous auriez pu m’avertir de ses intentions pour que je sois en mesure de nous protéger.
Commentpuis-jesavoirquevousditesvrai?Haroldtenditunemainpourlaposersurlasienne.— Je lui ai fourni de fausses informations et j’ai jugé préférable de rester pour veiller sur
Charlotteetvousaucasoùelleenverraitquelqu’und’autre.LadySeymourestmotivéeparuneenviemaladivedevouspunird’êtrenée.Ilétaitimpossibledesavoirjusqu’oùelleseraitprêteàallerdanssaconspiration.Jenevoulaispasvousinquiéterinutilement.J’aicrupréférabledemetaire.—EtNoëlle?Évan’étaitpasprêteàluipardonner.Ellecomprenaitl’instinctmasculinquil’incitaitàlaprotéger;
c’étaitunemalédictioncommuneàtouslesreprésentantsdesonsexe.—Elledevaitbienêtreaucourantdequelquechose.—Ellenesavaitriendelaperfidiedesamère,répliquaHaroldenbaissantlesyeux.Avantqueje
parte pour Londres, elle m’a demandé une faveur : elle voulait que je trouve votre adresse pourqu’ellepuisseunjourvousrendrevisite.Vousaveztoujourspiquésacuriosité.Noëlleluiavaitditlamêmechose.—J’aiétéétonnélorsqu’elles’estprésentéeànotreporte,poursuivitHarold.Ilaétédifficiledela
convaincrequej’étaislàpourunebonneraison.Unefoisaucourantdel’implicationdesamère,ellea vite accepté de ne rien dire et m’a permis de continuer à jouer mon rôle de protecteur. Nous
craignionstouslesdeuxquevousmereleviezdemesfonctionssivousdécouvriezlavérité,auquelcasvousseriezrestéessansprotection.Éva libéra sa main et se leva. Harold se hissa sur ses pieds. Bien que ses intentions aient été
honorables,ilseraitdifficiledeluipardonner.ElledevaittrouverNoëlle.Sasœuravaitsespropresexplicationsàluidonner.Elleneseraitpasenpaixtantquelederniersecretneseraitpasrévélé.—J’aimatièreàréfléchir.Quelquechosemeditquecettedansemacabren’estpasterminée.Ilya
toujours bien des revirements avant la fin. Vous devez me laisser le temps de penser à tout ça,monsieurlebaron…—Lerwick, réponditHarold en esquissant un sourire. Le très honorable Lord Lerwick, à votre
service.Maisj’insistepourquevousm’appeliezHarold,Milady.Les lèvres d’Éva s’étirèrent. Elle fit un pas vers le pardon. Elle ne pouvait pas renoncer à leur
amitiéparcequ’ilavaitfaitunetentativedésespéréepoursauversademeure.Leursparcoursn’étaientpassidifférents:elleavaitcouchéavecleducpoursauversamaisonetsamère.—Sivousvoulezbienm’excuser,monsieurlebaron,j’aiunesœuràaffronter.
•
Évamituncertain tempsavantde trouverNoëlleenpleineconversationaniméeavecAbigailprèsd’unpetitlactoutaufonddelapropriété.Visiblement,lesdeuxfemmessedisputaient.Bienqu’Évane puisse pas entendre ce qu’elles disaient, leurs voix portaient à travers la prairie. Comme elles’approchait,Noëlletournalatête,lavitarriveretrougitd’unaircoupable.Abigailsetournaetportalamainàsabouche.—Éva,fitsèchementNoëlle.Je…Nous…Ellesetutbrusquement.Lesdeuxfemmesrosirentetdeuxpairescoordonnéesdepommetteshautes
bienrougesseformèrent.Abigailparaissaitnerveuse,prêteàprendrelafuite,etNoëlletenditlebrasdevantelled’unairprotecteur.Éva contourna un tronc d’arbre et s’approcha. Elle avait l’impression d’avoir interrompu une
conversationquilaconcernait.Saviesemblaitêtreunsujetd’intérêtpourtoutlemondeautourd’elle,unesourceintarissabledespéculations.Fairel’objetderumeursluirestaitentraversdelagorge.Sesaffairesneregardaientpersonned’autrequ’elle.—Quelquechosenevapas,mesdemoiselles?Noëlle?Abigail?Abigail se découvrit un intérêt marqué pour ses mains. Noëlle parut soudainement frappée de
mutisme,unétatinhabituelchezelle.—Sivousnemeditespasimmédiatementpourquoivousvouscachezsurcecarrédeverdurepour
parlerdemoi,poursuivitÉvaavantdefaireunepauseetdemettrelesmainssurseshanches,jevoustraîneraitouteslesdeuxjusqu’aulacetvousjetteraidedans.Noëlle jeta furtivement un coup d’œil à Abigail, qui refusa de lever les yeux, mais frémit
manifestementdevantl’insistancedesonregard.—Trouillarde,ditNoëlle,ceàquoiAbigailréagitenattrapantsalèvreinférieureentresesdentset
enlamordillantpendantuninstant.—Dis-le-lui, toi, répondit finalementAbigail. J’en suis incapable, termina-t-elle d’une voix qui
n’étaitplusqu’unmurmureessoufflé.Noëlle soupira sèchement, ce qui attira à nouveau l’attention sur elle. Éva se concentra sur son
visage.ToutcommeHarold,sasœurétaitvisiblementtroublée.Cenefutqueplusieursbattementsde
cœurplustardqueNoëlleouvritfinalementlaboucheetquesesépauless’affaissèrent.—Abigailestnotresœur.—Quoi?lâchaÉva,étonnée.Elle s’attendait à rencontrer des obstacles pendant qu’elle démêlait les fils de la trame de cette
histoiredéroutante,maispasàça.Ellen’auraitpaspuêtreplussecouée.—Nousavonsunesœurcourtisane?Sonespritéclataenmillemorceaux.Ellen’arrivaitabsolumentpasàréfléchir.Aprèslaconfession
d’Harold, elle croyait les pires secrets derrière elle. Les révélations de son domestique et amin’étaientriencomparéesàcelle-ci.Elleétaitenétatdechoc.Noëllesecoualatête.—AbigailestMargaret.Éva écarquilla encore plus ses yeux stupéfaits tandis qu’elle regardait un visage, puis l’autre.
Pourquoin’avait-ellejamaisremarquélesressemblancesentrelesdeuxsœurs,soitlaformedeleursmâchoireset leursnezsemblables?Ellesupposaquecen’étaitpassiévidentquandlesdeuxnesetenaientpascôteàcôte.Margaretavaitmanifestementhéritéduteintdeleurmère,maiselleavaittoutdemêmeunetouched’ambredanslesyeux.La plus timide de ses courtisanes était sa sœur. Éva s’effondra contre le tronc. Tout devint noir
autourd’elleetelleclignadesyeuxpournepastomberàgenoux.Abigailseprécipitaàsescôtéspourl’éventerdelamain.—Jecroisquetudevraisviteluiexpliquer,Noëlle,avantqu’elleperdeconnaissance.Leursœuraînéelesrejoignitd’unpashésitant,commesielles’attendaitàcequ’Évareprennedes
forcesetluiarrachelesyeux.Pourl’instant,Évanepouvaitrienfaired’autrequesetenirdebout.Lesdeuxchocsde lamatinée l’avaient anéantie.Si le ciel leur était tombé sur la tête à cet instant, ellen’auraitpaseulaforcedeleverlesbraspoursecouvrirlatête.—En fait, j’aiobligéMargaret à jouer le rôled’unecourtisaneet je lui ai inventéunehistoire,
s’empressa d’expliquer Noëlle. Elle était résolument opposée à l’idée. Elle ne voulait pas êtreconcernéeparcettesupercherie.—Jenevoulais rienavoir à faire avec toi.Tuétaisun secrethonteuxqu’ilvalaitmieuxgarder
caché et je te détestais, avouaAbigail-Margaret en tendant lamain pour attraper celle toutemolled’Éva.Notremèreapassé toutenotrevieàvousmaudire, tamèreet toi.Jepensaisque tuétaisunmonstrebiscornuetquetamèreétaitunesorcièremalhonnêtequiluiavaitvolénotrepèreetquiétaitresponsabledesamort.Éva tressaillit. Son père était en route pour leur rendre visite lorsqu’un dérapage sur une route
glacéeavaitprécipitésoncarrossedansunravin.Ilétaitfaciled’imaginerpourquoilesdeuxsœurslesblâmaient,samèreetelle,pourletragiqueaccident.— Comme tu as pu le constater, ajouta Margaret, il est impossible de refuser quand Noëlle a
quelquechoseentête.J’aifiniparaccepter,poursuivit-elleenserrantlamaind’Éva.Quandj’aivucequetufaisaispouraiderlescourtisanesetcommenttut’occupaisd’elles,jemesuisrenducompteàquel point j’avais eu tort à ton sujet. Lamort de notre père n’était qu’unmalheureux accident. EtlorsquetuasrisquétaviepourYvette,j’aisuquejeseraisfièredet’appelermasœur.Évatrembla,puiséclataensanglots.—Vousdeux,vousformezleduoleplusétrangequisoit,dit-elleàtraversseslarmestandisque
Margaretpassaitunbrasautourdesesépaulespourlaserrerdanssesbras.Vousdevriezfuirdevantmoi.Jesuislerésultatdesinfidélitésdenotrepèrevis-à-visdevotremère.Margaretsourit.
—Notremèreapassésavieàrendrenotrepèremalheureux.Charlotteluiadonnédubonheur.Jele sais,maintenant.Nous ne pouvons pas effacer les actions de nos parents,mais si tu peux nouspardonnerpournotresupercherie,nouspouvonsêtresœurs.Maintenantetpourtoujours.Leslarmescoulèrentàflotstandisquelestroisfemmess’étreignaient.Évasavaitqu’elleauraitdû
êtreencolère,maisellen’arrivaitpasàleurreprocherd’avoirvoululaconnaître,supercheriemiseàpart.Elleconnaissaitl’existencedesessœursdepuissonenfanceetavaitgrandienpensantqu’ellesétaientdepauvresenfantsgâtées.Elleétaitraviededécouvrirquecen’étaitpaslecas.Évareculaetregardalesdeuxvisageshumides.—Jevousenprie,nemeditespasquenotrepèread’autresdescendantséparpillésunpeupartout.
Jenecroispasêtreenmesurededigérerd’autressurprises.Noëllesecoualatêteensouriant.— Je pense que nous constituons la totalité de ses enfants. À moins qu’il ait commis des
indiscrétionsdejeunessequiontportéfruit,ilétaitentièrementdévouéàtamèreetànous,sesfilles.Noussuffisionsàlegarderoccupé.Margaretreniflaets’essuyalevisageavecsamanche.—Jecroisquenotrefamilleestsurlepointdes’agrandir,dit-elletimidement.D’unduc,sijene
m’abuse.Ilfallutunclind’œilpourqu’Évacomprennequ’Abigail-Margaretparlaitdesonduc.—Jenepeuxpasl’épouser.Sessœursseregardèrent.—Évaarefusésademande,ditNoëlle.Nousallonsvoirs’ilaassezdecaractèrepourlamettreau
pas.Sil’ondoitsefieràlasoiréed’hier,jediraisquemonsieurleducneselaissepasintimidersifacilement.IltrouveraunmoyendeprotégerCharlotteetd’avoirsaduchesse.Attendez,vousverrez.—Siseulementnousavionstoutesautantdechanceenamour,ditMargaretensoupirantpendant
qu’ellesapaisaientlescraintesd’Éva.
•
Plus tard,Évachangea sesvêtementsdegarçond’écurie souilléspourune robeverte rapiécéequilaissait apercevoirunboutdecheville.Les tropgrandesbottesempruntéesapparaissaientàchaquepas sous l’ourlet trop haut. Les seules pantoufles que madame Moore avait pu trouver étaientplusieurstaillestroppetites;Évaerraitdoncbruyammentdanslespiècesdésertes,demauvaispoiletlatêtepleine.Ellen’avaitnimissionnifamilleversquisetourneretelleétaitloindechezelle.Samèreluimanquait.Enfermée dans ce qui était jadis une jolie demeure modeste, elle avait l’impression d’être
spectatrice de sa propre vie, comme si les vingt-trois années de son existence n’avaient été qu’unrêve.Toutcequ’elleavaitcrusavoirsurelle-mêmeluiavaitétéenlevé ; l’étroitefenêtregriseparlaquelleellevoyaitsavievenaitdes’ouvrirsurdevivescouleurslumineuses,toutcelaàcaused’unducvengeuretd’unduodesœurscurieuses.Elle avait envie d’aller retrouver Nicholas et de se jeter contre son torse.Malheureusement, ce
n’étaitpasunebonneidéedepasserbeaucoupdetempsensaprésence.Harolds’occupaitdeluietelleallaitvoirsitoutallaitbienquandildormait.Elleavaitpeurqu’unseulregarddanslesprofondeursdesesyeuxsuffisepourqu’ellelesuppliedel’épouser.Oudecoucheravecelle.Lesdeuxoptionsétaientinacceptables.
Ce fut l’image de samère qui la retint de longer le couloir jusqu’à sa porte. Comme toujours,Charlotteétaitsapriorité.—Éva?appelaNoëlle,quiétaitapparueausommetdel’escalier.Elleétaitàboutdesouffle.—Viensvite,c’estmonsieurleduc.Évaretroussasesjupesetseruaenhautdel’escalier,trébuchantdanssahâte.ElledépassaNoëlle
au pas de course, puis fonça par la porte ouverte. Le cœur battant, elle se précipita à côté du lit,s’attendantà le trouverauseuildu trépas.Àlaplace, ildormaitpaisiblement, les joues légèrementrougies.Ellesepenchapourposerunemainsursonfront.Sapeauétaitchaude,maispasbrûlante.Perplexe,ellesetournaversNoëlle.—Iln’apasdefièvre.Nicholasremua.—Jen’ai jamaisditquec’était le cas, réponditNoëlle en sortant à reculonsavantdeclaquer la
porte,cequifutsuivid’uncliquetis.Évas’élançaverslepanneauettournalapoignée,maisleverroutintbon.—Noëlle,ouvrecetteporteimmédiatement!cria-t-elle.Pourtouteréponse,elleeutdroitàunpetitgloussement,suividebruitsdepasquis’éloignaient.—Noëlle!Desriresluiparvinrentdulit.ElledécouvritNicholasquilafixait,l’airamusé.—Jevoisquevousêtesravi,lança-t-ellesèchement.Évaenavaitplusqu’assezd’êtremanipuléeparlesgensquil’entouraient,aussibienintentionnés
fussent-ils.Elleregardadanslapièceautourd’ellepourtrouverquelquechosequipourraitluiserviràbriserleverrou.Iln’yavaitriend’autrequ’unplateaudenourriture,enplusd’unebouteilledevinetdedeuxverres.Detouteévidence,sacaptivitéavaitétésoigneusementorchestréeetprévuepourdurerlongtemps.—Avez-vousparticipéàlaplanificationdemacaptivité,monsieurleduc?Ilgrognaenchangeantdeposition.—Jesuisaussiinnocentqu’unnouveau-né,répondit-ilavecunclind’œil.Bienquejenepuissepas
direquejesuisdéçudepartagerunecelluleavecvous,moncœur.—Hum, fit-elle en lui lançant un regard sceptique.Vous,monsieur le duc, n’avez peut-être pas
participéauxmanigancesdeNoëlle,maisn’êtescertainementpasinnocent.J’aiétévictimeàmaintesreprisesd’actionstoutsaufinnocentesdevotrepart.Sondemi-souriresetransformaenungrandsourirelubrique.—Ahoui?Ilsoulevaledrappoursedécouvrirjusqu’aunombriletàlalignedepoilsfoncésquimenaitplus
ausud.—Venezmerejoindreetjeferaibonusagedemavasteexpérience.Cethommeavaitétéblesséparballemoinsd’unejournéeplustôtetilréussissaittoutdemêmeà
penseravec lapartiedesonanatomiequiétaitheureusementcachéesous ledrap. Il était siviril etavait été fabriqué selon lemêmemodèleque tous leshommes.Un fortventqui s’insinuaitdans lajambedeleurpantalonsuffisaitàlesexciter.— Je crois qu’il serait préférable que vous concentriez vos énergies à guérir,monsieur le duc,
répondit-elleenplissantlesyeux.J’ail’intentionderentreràLondresd’icilafindelasemaine,avecousansvous.Illaissaretomberledrap.
—Jesuisblessédroitaucœur.Quellejeunefemmeinsensiblevousêtes,mademoiselleWinfield.Vous m’avez refusé votre main, puis vous refusez à un mourant quelques derniers instants pouréchapperàl’inévitableappeldelamort.—Lamort?répéta-t-elleenl’examinantdehautenbas.Pourunhommeauseuildelamort,ilparaissaitremarquablementbien.—Haroldm’aassuréque lablessure était dans lemuscle et qu’ellen’avait atteint aucunorgane
important.Sivousvousreposez,vousdevriezd’iciquelquesjoursretrouverlaformeetêtreprêtàvoyagerjusqu’àCollingwoodHouse.VouspourrezensuiteséduirelamoitiédesfemmesdeLondressansaucunecraintedemourir.—Sivousm’aviezproposéunetelleséductioneffrénéeilyaquelquessemaines,j’auraisbienpu
considérer l’idée intéressante, répondit-il en la caressant du regard.Malheureusement, une vieillefillemal fagotée a attirémon attention. Je ne désire personne d’autre. Si je pouvaismaintenant laconvaincrededevenirmaduchesse,j’enseraisravi.Lachaleurdanssesyeuxetlatendressedesesparoleslafirentfondredel’intérieur.Pourquoila
viedevait-elledevenirsicompliquée?Pourquoinepouvait-ellepasseglissersouslescouverturespour le laisserfairecedont ilavaitenvieavecelle?Cen’étaitpascommesiellenes’était jamaisretrouvéenueàsetortillersouslui.Maiscettefois,c’étaitdifférent.L’ajoutd’émotionsaumélangeengendraitdesdifficultésqu’ellenepouvaitpas ignorer.Unducet sacourtisanepartageaient leurscorps,maispasleurscœurs.Qu’ildésirel’épouserl’avaitsidérée.Etiln’yavaitpasmoyendeleconvaincrequ’ilfaisaiterreur.—Jenepeuxpasetjeneveuxplusenentendreparler,dit-elleavecentêtement,enproieàdevives
émotions.Elleétaitsurlepointdesejeterlatêtelapremièreparlafenêtredansl’herbetroplongue.—Vousconnaissezlesraisonsdemonrefusetdevezlesaccepter.C’estpréférableainsipournous
tous.Il la fixa de ses yeux incroyablement séduisants et elle dut lutter pour rester impassible. Elle
l’aimaittellement!—Manoblevieillefillealtruisterenonceraaubonheurpoursauvertousceuxquil’entourentdes
malheursdumonde.—Et qu’y a-t-il demal dans le fait de prendre soin dema famille ?Est-ilmal de protégerma
fragilemère?Elleestdevenuecourtisaneparcequ’ellen’avaitnifamillenipersonned’autrepourl’aideraprèsledécèsdesatante.Maisellem’a,maintenant,etjenel’abandonneraipas.Nicholasréfléchitàlaquestionavantd’yrépondre.—Iln’yariendemalàprotégervotremère,moncœur.J’admirevotredévotion.Nesachantpasquefaireensuiteetrenduesansvoix,Évaattendit.Ilfinitpartapoterlelit.—Sices instantsdoiventêtre lesderniersquenouspassonsseulsensemble, jevousdemandede
m’accorderunderniersouhait :que jepuissepasser le tempsdenotrecaptivitéàvousserrerdansmesbras.Il s’agissait là d’un souhait qu’elle pouvait exaucer. Elle le gratifia d’un sourire hésitant,
s’approchadulitetenlevasesbottesàcoupsdepied.Ill’attiraendouceursurlelitàsescôtés,puislaprittendrementdanssesbras.Faisant attention de ne pas toucher le pansement, Éva se blottit contre son torse. Elle fut
immédiatementimprégnéedesachaleuretdesonodeur.Ellepressasajouecontrelavastesurfacefinement velue et inhala son parfum épicé. Il enfouit affectueusement le nez dans ses cheveux.Désormais,lesmotsétaientsuperflus.
•
Lecoucherdesoleilprojetaitunemyriadede rayonsde lumièresur leplafondenplâtreblancau-dessusdulit lorsqu’Évaremuaetouvrit lesyeuxenentendantdesvoixexcitéesqui luiparvenaientd’enbas.Ellenes’étaitpasrenducomptequ’elles’étaitendormiedanslesbrasdeNicholasjusqu’àcequ’ilremueàcôtéd’elleetglisseunbrasautourdesataille.Lebruitl’avaittirédesonsommeiletilouvritaussilesyeux.—Quesepasse-t-il?demanda-t-ilenbâillanttoutensefrottantunœil.Sescheveuxenpagailleluientouraientlevisage.Évaeutunpincementaucœur.—Jenesaispas.Ellese levadoucementdu lit.Unimmensecarrosse tiréparsixbaisassortiss’arrêtaavecfracas
devantlamaison.Ellevitsescourtisanes,sessœursetHarold,ainsiqueplusieursautrespersonnesqu’elleneconnaissaitpas,s’attardersurleperron.Onauraitditquelamaisonnéeenentierétaitvenuesouhaiterlabienvenueauvisiteur.Unmincevaletenlivréebleuetargentdescenditdesonperchoirpourouvrirlaporte.Unefemme,
cachéesousunchapeauàlargebordcouleurlavandesurlequeldansaitunfoisonnementdeplumes,descenditetsedirigeadirectementversHarold.Elleluitenditlamainetils’inclinadevantelleàlamanièred’unvraigentilhomme.Évasourit.—Avez-vous l’intention de laisser la curiosité me dévorer ou allez-vous me dire ce que vous
regardezsifixement?Évagrimaça.—C’estunefemme.Elledoitêtredelanoblesse.Ellepossèdelesattributsdelarichesse.Cen’étaitpaslafemmequiéveillaitsacuriosité,maisl’hommedegrandetaillequicoinçalamain
deladamesoussonbras.—Haroldn’estplusundomestique,dit-elle,pluspourelle-mêmequepourNicholas.Ilavaituneprestancequ’ellen’avaitjamaisremarquéeauparavant.Bienqu’ilfûtunbaronruiné,il
avait reçu l’éducationdigne de son rang.Elle essaya, en vain, de l’imaginer en train de rire et dedanseraubaldesPennington.—Assezparléd’Harold, lagrondaNicholas,une impatiencecroissantedans lavoix.Dites-m’en
plusausujetdelafemme.Évareportasonattentionsurlavisiteuse.—Jenepeuxpasvousdirelacouleurdesescheveux,maiselleestpetite.Elleporteunchapeau
lavandeetondiraitquesarobeestassortieaupourpreplusfoncédesplumes.Ilpoussaunsoupirexaspéré.Ellesetournaversluienfronçantlessourcils.— Que voulez-vous que je vous dise, monsieur le duc ? Je ne vois pas son visage, dit-elle
sèchement.Mavueestlimitéeparladistanceetparl’angledecettefenêtre.Peut-êtreaimeriez-vousvoustraîneràlafenêtreetregarderparvous-même?Ilparutprendresoncommentairepouruneinvitation.—Quejevousvoiequittercelit!s’exclama-t-elleenpointantundoigtsurlui.Monsieurleducselaissaretombersurledosetcroisalesbras.Satisfaite,Évaseretournaversle
bas de la fenêtre. La maisonnée était rentrée. Tout ce qu’il restait, c’était le carrosse et lesdomestiques.— Les valets sont vêtus en bleu et argent et une demi-douzaine de bais piaffent dans l’allée
d’Harold.Ilyauneespèced’armoiriessurlecôtéducarrosse,maisjen’arrivepasàendiscernerlesdétails.Ondiraituncerf…Etunchien?
Éva pinça les lèvres.Elle n’avait jamais vu de chien sur des armoiries.Un cervidé et un canidéformaientunedrôledepaire.—C’estunloupetuncerf,intervintNicholasd’unevoixtendue.Elleregardapar-dessussonépauleetvitsonvisagesecrisper.Lafemmeneluiétaitpasinconnue,
elleenétaitpersuadée.—Connaissez-vouscette femme?demanda-t-elle tandisqu’unepointede jalousie luiparcourait
l’échine.MêmesiÉvan’avaitpastrèsbienvul’inconnue,elleétaitassezcertainequ’ilnes’agissaitpasde
mademoiselleBanes-Doddet iln’yavait aucune raisonpourquequiquece soitd’autre sachequeNicholasétaitici.Avait-il uneamantedont elle ignorait l’existence?Lui avait-il envoyéunmessagedans l’espoir
qu’elleleramèneàLondresetleprennedanssonlit?Ousavisiten’avait-ellepasdelienaveclui?—Nicholas?Répondez-moi.Leursregardssecroisèrentetlesienétaitpréoccupé.—Jelaconnaistrèsbien.C’estmamère.
CHAPITRE20
—Votremère?Delabilebrûlanteremontadanslagorged’Éva.Elleétaitenferméedansunepièceavecsonamant
tandis que la mère de ce dernier, la duchesse douairière, s’attardait à l’étage d’en dessous encompagnied’unepleinemaisonnéed’anciennescourtisanes.Etaucuned’entreellesn’étaitdiscrète.Letempsquemadameladuchessetraverselamaisonetmontel’escalier,toutcequ’ellessavaientà
proposd’ÉvaetdeNicholasseraitétalé,dépeintencouleursvives,soumispourexamendevantelle.Un«ouf» résonnadans sesoreilles et elle sentitque la tête lui tournait.N’eût été le faitque la
fenêtren’étaitqu’audeuxièmeétage,elleaurait envisagédesortirpar làpour sautervers samort.Toutefois,d’unetellehauteur,lesrisquesdeblessuremortelleétaienttropfaiblespours’yfier.—Faitesquelquechose,lesupplia-t-elle,danstoussesétats.—Quepuis-jefaire?Nicholasnecachapassonamusement.Seslèvress’étirèrentetdesplisseformèrentauxcoinsde
sesyeux.—Jesuisblesséenplusd’êtreemprisonné,poursuivit-il.Jecrainsqu’iln’yaitriend’autreàfaire
qu’attendrequeladuchesseorganiseuneopérationdesauvetage.Leniveaudepressiondanslatêted’Évamenaçaitdetransformersoncerveauenpurée.Ellen’avait
jamaisrencontrédeduchesseetencoremoinslamèred’unprétendant.Bienqu’ellehésitâtàappelerNicholasunprétendant,Évaétait sonamanteetdevrait soigneusementéviter sanoblemère.Qu’onfasseétalagedeleurrelationscandaleusedevantelleneplairaitpasàmadameladuchesse.ElleallaitprobablementlesortirdulitdeforceetlerameneràLondresenletirantparsesoreillesducales.—Uneduchesse.Jesuissurlepointd’êtrehumiliéeparuneduchesse,ditÉvaenfaisantlescent
pas, comme elle l’avait fait à maintes reprises ces derniers temps sans que cela lui ait fourni lamoindresolutionàsesproblèmes.Quil’aenvoyéquérir?Harold?Noëlle?CeseraitexactementlegenredeNoëlle.Maisquepourrait-ellebienavoiràgagnerenfaisantvenirladuchesseici?Jesensquetoutçavamalfinir.—Mamèrenetedévorerapas,Éva,plaisantaNicholas.Elleestaurégimedepuisdeuxsemaines.Évafitunepause.—Jesuisraviedevoirquevoustrouvezlasituationamusante,monsieurleduc,réponditÉva,qui
avaitenviedefondreenlarmes.Ils’agitdevotremère.Jesuisvotreamante.Noussommesenfermésensembledanscettechambredupéché.Vouspouvezcertainementcomprendrequejetrouvecetétatdefaittroublant,poursuivit-elleenlevantlesbrasauciel.Aucunemèrenesouhaitetrouversonfilsblessénuavecsapute.Un faible grognement jaillit de la gorge du duc, qui se souleva sur un coude. Son regard
s’assombrit.—Traitez-vousdeputeunefoisdeplus,Éva,etjevousétendssurmesgenouxpourvousdonnerla
fesséejusqu’àcequecemotnefassepluspartiedevotrevocabulaire.Elleinspirabruyamment.—Vousn’oseriezpas.—Si.Vousn’êtespasunepute.Sesparolesn’étaientpasunemenaceenl’air;ilétaitfurieux.—Vousserezmonépouseetlamèredemesenfants.Vousneserezpaslapremièrefemmeàavoir
partagéunlitavecsonfuturépouxavantquelesvœuxaientétéprononcés.—Nousnesommespasfiancés.Nicholassoupira.
—Désirez-vousquenousendiscutionsencoreoupréférez-vousm’aideràmettremonpantalonavantquemamèremetrouvedanscetétat?termina-t-ilenécartantlescouverturespourdévoilerunesemi-érection.—Vous…Vous…Oh!hoqueta-t-elleenriant,cequiadoucitimmédiatementsonhumeur.Jesuis
surlepointdemejeterparlafenêtrepourévitervotremèreetvoustrouveznotredisputeexcitante?Ellesedirigead’unpaslourdverslefauteuilpouryrécupérerlepantalonsouillédeNicholas.Elle
leluilançaetill’attrapacontresontorse.—Jamaisjenecomprendraileshommes.Levantunejambe,Nicholastentadeglissersonpieddanslepantalon.Aveclepansementautourde
sataille,iln’arrivaitpasàsepenchersuffisammentpourréalisercetexploit.Ladouleursegravasursestraits.—MachèreÉva,cen’estpasnotredisputequiréveillemonmembre.Avez-vousvuvotreravissant
fessierdernièrement?Évidemmentquelebalancementdéconcertantdevoshanchesm’excite.Depuisnotrepremierdouloureuxbaiser,jesouffrerégulièrementdecettecondition,dit-ilenretroussantsonpantalondanssamainpourdésignersonérection.Jecrainsquevoussoyezl’uniqueremèdecontrecettemaladie.Avecunbrefrireexaspéré,Évas’approchadulitetramassalepantalon.Ilétaitdifficilederester
encolèrecontrelui.Avecl’épaispansementetsescheveuxenépisquipartaientdanstouslessens,ilavait un rare air puéril qu’elle adorait.Monsieur le duc était extrêmement exaspérant, mais aussiabsolument fascinant ;c’était legenred’hommesavecquiune femmepouvaitpasserdesannéesetdesannéessansjamaisselasser.— Si vous pensez que je vais soulager vos souffrances maintenant, avec votre mère juste au-
dessous,vousvoustrompez.Maisjepeuxvousaideràvoushabiller.Elles’agenouillasurlelitàsespiedsetentrepritlelentprocessusderemonterlevêtementajustéle
longdesesjambesmusclées.Sonmembreréagit.Elleeutl’eauàlaboucheetillagratifiad’ungrandsourire malicieux. Elle avait très envie de s’empaler sur lui et de le monter jusqu’à l’exquisedélivrance.—Sijevouspromettaisdefairevite,seriez-vousprêteàreconsidérer,moncœur?Elle se demanda s’il sentait le vif désir émaner d’elle. Une caresse bien placée sous ses jupes
empruntéesetelleseraitperdue.—Levezlesfesses,répondit-elle,ignorantsademande.L’envied’enleversarobeetdelerejoindredevintinsoutenable.SiÉvaneréussissaitpasbientôtà
habillerNicholas,ilétaittoutàfaitpossiblequesamèrelessurprenne,ellelesjambesenl’airetluientraindelaprendretelunétalonexcité.Ilserenfrogna,maisobéit.Tirantetpoussant,elleavaitréussiàlecouvrirenentier,àl’exception
de sa puissante érection, lorsqu’une clé cliqueta dans la serrure. Grâce à l’aide empressée deNicholas, elle réussit à passer le pantalon par-dessus sonmembre une seconde avant que la portes’ouvreàlavoléeetquemadameladuchesseentredanslapièce,HaroldetNoëllesurlestalons.Prisedepanique,Évabonditsursespiedspourlecamouflerderrièresesjupestandisqu’iltiraitla
couverturesursesgenoux.De toute évidence, laduchessecrutqu’ils faisaientdes folies.Ellehaussa les sourcils etquelque
chosequiressemblaitàdel’humournoirluiétiraleslèvres.—Peut-êtredevrions-nousrevenirplustard,Nicholas?Évaavaitlesjouesenfeu.Laseulechosequiétaitencorepirequ’êtreeffectivementsurprisedans
unesituationcompromettanteavecNicholas,c’étaitquesamèrecroitqu’elleavaitinterrompuladite
situation.Ellevoulut justifier l’innocencedesesactes,maissagorgeseserraetellefutfrappéedemutisme.Heureusement,Nicholasvintàsarescousse.—MademoiselleWinfieldaeul’amabilitédem’aideràmettremonpantalon,Mère.Jenevoulais
pasquemanuditéheurtevotresensibilité.Affligée,Évaravalaungémissement.Était-cecensél’aider?—Hum.Laduchessebalayarapidementsonfilsduregardcommepourévaluersonétat,puispassaàÉva.
Madame la duchesse scruta son visage, puis baissa brièvement les yeux sur la robemiteuse. Elleplissalégèrementlespaupières.—VousêteslademoiselleWinfieldquiatantcharmémonfilslorsdubal?Évahochatimidementlatête.—J’étaisdéçuequenousn’ayonspasétéprésentées.Unmaldetêtem’aforcéeàrentrertôt.Unmaldetêtecertainementdûaufaitqu’elleavaitvusonfilscharmerunefemmetrèsinférieureà
euxsoustouslesaspects.Madameladuchesses’attendaitàcequesonfilssoitfiancéavantlafindelasoiréeetlaprésenced’Évaavaitruinésesplans.Commeelledevaitladétester!— Je suis navrée pour le chagrin que mes actions ont pu vous causer lors du bal, madame la
duchesse,dit-elledoucementensetortillantlesmains,détournantlesyeuxducharmantvisagedeladuchesse.EllesetournaversNoëllepourl’implorerduregard,maiscelle-cihaussalesépaulesd’ungeste
d’impuissance.—Etjesuisaussinavréepourhiersoir.Jen’aijamaisvouluquevotrefilssoitblessé.Leflotdesesparoless’interrompitlorsqueladuchesselevalamain.—Jevousenprie,mademoiselleWinfield,cessezdevousexcuser,dit-elleensourianttendrement.
Au cas où vous ne l’auriez pas encore remarqué, mon fils est capable de prendre ses propresdécisions,cequ’ilfaitdefaçonplutôtvéhémente,d’ailleurs,poursuivit-elleenjetantunregardsévèreàNicholas.Iladécidédeselanceràvotrepoursuiteet iln’yarienquej’auraispufairepourl’enempêcher.LaduchessereportasonattentionsurÉvaettenditlamainverselle,puiscoinçasonbrassousle
sien.— Je suis heureuse que votre Yvette soit en sécurité et quemon fils soit vivant. Laissons-le se
reposer,maintenant.Vousetmoiavonsbeaucoupdechosesànousdire.ÉvalançaunregardimpuissantàNicholastandisqueladuchesselaconduisaithorsdelapièceen
latenantparlecoudecommesielleétaituneenfant.HaroldetNoëlles’écartèrentducheminpourleslaisserpasser.Ellenerecevraitaucuneaidedeleurpart.Ilsl’avaientjetéedanslagueuleduloup.L’esprit en ébullition, Éva passa mentalement en revue toutes les explications et les excuses
possibles tandis que la duchesse l’entraînait dans le petit salon et libérait son bras. Sansmot dire,madameladuchesses’installasurlecanapé,lissasesjupesetlevalementon.Ellehaussaunsourcil.—Avez-vous l’intentionderesterdebout toute la journée,mademoiselleWinfield,ouallez-vous
vousasseoiravecmoi?Éva s’empressa de prendre place sur un fauteuil en face de la duchesse. Elle avait l’impression
d’êtreunratd’églisepoussiéreuxenprésenced’unereine.La duchesse était parée de beaux atours lavande et pourpre tandis que la sobre robe empruntée
d’Éva était rapiécée auxgenoux.Manifestement, la sœurd’Harold aimait les activités extérieures ;Évaauraitpariéqu’ellegrimpaitauxarbresetrampaitsousleshaies.
—MademoiselleWinfield,commençaladuchesse.Évasepréparamentalement.— Je pourrais feindre l’ignorance et vous laisser croire que je ne suis pas au courant de votre
relationavecmonfils.Jesaiscombienilpeutsemontrerinsistantetquevousn’êtespascoupabledel’avoirséduit.Humiliée, Éva eut l’impression que tout le sang de son corps étaitmonté à son visage pour lui
martelerlestempes.Lesecretavaitétérévéléetlahonteétaitgrande.Elleavaitenviedeseruerhorsde la pièce, de lamaison et de courir jusqu’aux confins de la Terre. Nicholas, dans son désir devengeance, en était responsable.Non seulement il l’avait séduite,mais il l’avait raconté à samère.Ellenevoulaitplusjamaisleregarderenface,jamais!—Jevaisquittercettedemeureimmédiatement,madameladuchesse,ditÉvaenrassemblantlepeu
defiertéquiluirestaitpourselever,latêtehaute.D’iciuneheure,jeseraipartie.Laduchessesecoualatêteetpointaverslefauteuil.—Jevousenprie,asseyez-vous,mademoiselleWinfield.Iln’estpasnécessairedefuir.Uneenvieirrésistibledes’échapperrongealongtempsÉvaavantqu’ellefinisseparserasseoirà
contrecœur.—Ce n’était pasmon intention de vous embarrasser,mademoiselleWinfield. Toutefois, j’aime
bienm’exprimerfranchement.Franchement?Laduchessefaisaitpreuved’unehonnêtetébrutale.—LadySeymoursouffredelamêmeaffection,réponditÉva,vaincue.Unsouriretraversalevisagedeladuchesse.—J’airemarquéqueLadySeymour,Noëlle,adesopinionstrèsarrêtées,cequej’admire,répliqua
la duchesse en se penchant en avant sur le canapé pour embrasser Éva de son regard intense.MademoiselleWinfield,jesouhaitequenousparlionslibrementetavecfranchise.Jesuisconscientede la grande importance que vous revêtez aux yeux demon fils et je comprends les raisons pourlesquellesvousavezrefusésademande.Cequejeveuxsavoir,c’estcequevouséprouvezpourlui.Abattueetembarrassée,Évasavaitqu’ellen’avaitplusgrand-choseàperdre;elledonneraitdoncà
madameladuchessecequ’ellevoulaitetensubiraitlesconséquences.Ellesoupira.—Jel’aime.—Jevois.Ilyeutunelonguepause.Lorsqu’Évalevalesyeux,laduchesse,impassible,scrutaitattentivement
sonvisage.Évadéglutit.— Je suis consciente du ridicule de mes sentiments. Je vous assure que je n’attends rien de
monsieurleduc.Jeluiaiditquejenel’épouseraipas.Lesobstaclesquisedressententrenoussontinsurmontables.Sans commenter, la duchesse se leva et se dirigea vers la fenêtre. Des taches de lumière qui
s’infiltraiententrelesbranchesd’ungrandormedansaientsurlesmursetleplancher.Sonexpressionétaitétonnammentsereinevutoutcequ’ellevenaitd’apprendre.—Heureusement, mon fils et moi sommes du même avis en ce qui vous concerne, dit-elle en
pianotantsursesbrascroisés.Jecroisquevousformezunbeaucouple,touslesdeux.Siseulementnous pouvions vous convaincre d’accepter qu’il vous fasse la cour, vous donneriez à mon filsl’amourqu’ilmérite.Lorsqu’Évalaissaéchapperuncridesurprise,laduchessesetournaànouveauverselle.Avait-elle
bienentendu?
—Jenecomprendspas,madameladuchesse.— Dans ce cas, laissez-moi vous expliquer, mademoiselle Winfield, répondit la duchesse en
tripotantlerideau.Quandj’étaisjeune,bienquemesparentsm’aientavertiequesesintentionsétaientmalhonnêtes,jesuistombéeamoureused’ungoujat,d’undépravé.Ilétaitduc,jen’avaispasdedotetma famille vacillait à la limite de la pauvreté. Ils finirent par céder et accepter que je l’épouse, àconditionquemonsieurleducleurdonneunegrandeterreenéchange.Sesyeuxsevoilèrent.—Jemesuisviterenducomptequetoutcequ’ondisaitsurluiétaitvraietqu’ilétaitpireencore;
c’étaitunignoblescélérat,poursuivit-elleenretournantvers lecanapé.J’aivécuvingt-deuxannéesmisérablesaveccethomme.Lorsqu’ilestdécédé,c’étaitcommesilesténèbresvenaientdesedissiperdansmoncœur.Madameladuchesseeutunpetitsourirecoupable.—Jesupposequ’ilesthorriblededireunechosepareille,termina-t-elle.—Nousnoussommesentenduespourêtrehonnêtes,réponditÉvaavecunelueurdemalicedans
lesyeux.Ilétaitimpossibledenepasaimerladuchesseetdenepasressentirdesympathiepourlesannées
oùelleavaitvécuunmariagemalheureuxetsansamour.Plusieursfemmesfaisaientdemêmepourassurerleursécuritéfinancière.Madameladuchesseritgaiement.—Vousmeplaisez,mademoiselleWinfield.Vousêtesexactementlegenredefemmequ’ilfautà
monfilspour le tenirenhaleine,dit-elleenappuyantuncoudesur lebrasducanapé.J’ai toujoursespéréqueNicholasnecommettepas lesmêmeserreursquesesparents.Jeveuxquel’amouret lerirefassentpartiedesavie.Ellefitunepause.—Pourtant,et jesuiscertainequevousvousenêtesrenducompte, il ressemblebeaucoupàson
père.Tousdeuxpeuventêtredurs lorsqu’ilssontcontrariés.Enrevanche, iln’estpasCharlesetnepourrajamaisêtrecommelui.Ilnesaittoutsimplementpascommentlaisserreposerlefantômedeson père et accepter le fait qu’il est capable d’aimer. Je crois qu’à nous deux, nous pouvons luimontrerqu’ilatort.Évarepritsonsérieux.—C’estunhommebien,admit-elle.Illuiavaitfalluuncertaintempspours’apercevoirque,soussonairbourru,ilavaitboncœur.Puis
ilyavaitlefaitqu’ilavaitrisquésaviepourelle.—Jesuispersuadéequevotrefilsetmasœurvousontinforméedemaconditionetparlédema
mère,poursuivitÉva.Non,jevousenprie,neleniezpas,madameladuchesse.Noëlleestdécidéeànousmarieretellevousamanifestementimpliquéedanssoncomplot.Sinon,commentseriez-vousaucourantdesdétailsdemavie?Un léger hochement de tête confirma ses soupçons. D’une manière quelconque, à un endroit
quelconque,lesdeuxfemmesavaientconspirécontreelle.—Madame la duchesse, je vous remercie de vos bonnes paroles et de m’accepter comme bru
potentielle.Jesaisquevoirvotrefilsfréquenterlafilled’unecourtisanen’estpasunesituationidéaleet,moi,jedoispenseràmamère.Entrenousdeux,lemurestinfranchissable.Jevouspried’acceptermonrefusetdeconvaincremonsieurleducqu’ilestpréférabledenousséparermaintenant,avantquelavéritéausujetdenotrerelationn’éclateparmilanoblesse.
•
Lecœurlourd,Évas’excusarapidementetquittalemanoir.MadameladuchesseétaitunedamebienàquiNicholasimportaitbeaucoup.Évaavaitl’impressiondeleuravoircausédutortàtouslesdeux.Maissielledevaitfairepreuved’entêtement,tantpis.Letempsvenu,Nicholastrouveraituneépousesatisfaisanteetsamèreauraitbienasseztôtdespetits-enfantsàaimer.Elle suivit le sentier couvert demauvaises herbes duvaste jardin pendant un certain temps, sans
destinationparticulièreenvue.Ellefinitpartombersurunpetitbancprèsd’unerangéedetreillisets’yassit,perduedanssespensées.Moins d’un quart d’heure plus tard, elle entendit des pas précipités derrière le treillis, suivis de
douxsanglotsféminins.LestreillisempêchèrentÉvadedécouvrirl’identitédelafemmebouleversée.Ellesepréparaitàs’éclipserlorsquelebruitdelourdesbottesquiécrasaientlesbroussaillesl’avertitqu’unedeuxièmepersonnerejoignaitlapremièreàgrandspas.—Margaret,jevousenprie,l’interpellaHaroldd’unevoixbasseetsuppliante.Laissez-moivous
expliquer.Surlebanc,Évasefigea.— Vous m’avez menti, à moi et à tout le monde, répondit Margaret entre des hoquets et des
reniflements.Jecroyaisquevousm’aimiez,Harold.Commentai-jepuêtreaussinaïve?Harolds’approcha.Évasecouvritlabouched’unemainpourétoufferlebruitdesarespiration.Si
elle partaitmaintenant, cela attirerait l’attention. Elle devait rester immobile et espérer qu’ils s’enaillent.Ils’agissaitd’uneconversationpersonnelle.Ellen’avaitpasàlesespionner.Pourtant,elledevaitadmettrequ’elleétaitcurieuse.MargaretetHarold?Toutessortesdequestions
luipassèrentparlatête.Quandleurrelationavait-ellecommencé?Jusqu’oùétaient-ilsallés?Étaient-ilsamants?—Vousn’avezpaséténaïve.Jen’avaispasl’intentiondetomberamoureuxdevous,Meg,dit-ilen
soupirant bruyamment. J’étais un palefrenier. Vous êtes une dame d’une famille qui a de bonnesrelations.Jenem’attendaispasàcequenousdevenionsamisetencoremoinsdavantagequecela.—Maisvousn’étiezpasunpalefrenier,protestaMargaretenhaussantleton.Vousêtesunbaron.
Vousm’avezcachélavérité.—Quelleimportance?Croyez-vousquevotremèrevousauraitpermisd’épouserunbaronruiné?
demandaHaroldd’unevoixangoisséesuruntondécouragé.Évan’arrivaitpasàcroirequesonstoïquedomestiqueétaittombéamoureuxdesatimidesœuret
qu’ellen’enavaitpasdécelélamoindretracenichezl’unnichezl’autre.Yaurait-ilunjourunefinauxsecrets?Ellepinçaleslèvrespourgarderlesilence.— Croyez-vous que je vous épouserais maintenant, même si vous aviez la fortune d’un roi ?
demandaMargaret en reniflant.Vous n’êtes pas l’homme que je croyais,monsieur le baron.VousfaisiezpartieducomplotdemamèrepourruinerÉvaetsamère.Jenevousconnaisplus.—Vousconnaissezmesraisonsetellesn’étaientpassidifférentesdesvôtres.Voussouhaitiezaussi
lepirepourÉvaavantdelaconnaître,dit-ild’untonbourruens’approchantdestreillis.Évavoyaitsavestebleueàtraversletreillage.Ellepriapourqu’ilneregardepasderrièreluietla
trouveentraindelesécouter.—J’airefusél’argentdeLadySeymour.JenepeuxpastrahirÉvaetCharlotte.Etvousnonplus.—Pourtant,vousm’aveztrahie,répliquaamèrementMargaret.Jevousaimais.
Harold avança d’un pas. Éva aperçut une robe délavée. Il se tenait assez près deMargaret pourpouvoirlatoucher.CetteconversationexpliquaitcertainementpourquoiAbigail-Margaretétaitsortiedelapièceentrombelorsqu’ilavaitavouéquiilétaitetquelemanoirluiappartenait.Pourunefois,celan’avaitrienàvoiravecÉva.Iln’étaitpaslepalefrenierdequiMargaretétaittombéeamoureuse.Quellefâcheusedécouverte!—Nemetouchezpas,lepriaMargaretenreculantd’unpas.Nemetouchezplusjamais.Leurconversationfutinterrompueparunsanglotetelles’enfuitverslemanoir.Évarésistaàl’enviedelapoursuivreafindecompatiràlatrahisoncommunedontellesavaientété
victimesdelapartd’Harold.IlavaitmentiàMargaretetcausétantdesoucisàÉvaausujetduduc;ildevraitêtreprisàpartiepar lesdeuxsœurs. Ilméritaitdesouffrirdesonamourcommeelleavaitsouffertdusien.Ellesouritgaiementeteutenviederire.Parsonamour,saminusculesœuravaitremisàsaplace
l’oursquiluiservaitdedomestique.Évadutémettreunsonquitrahitsaprésence.Uninstantplustard,Haroldsetenaitdevantelle.Elle
levasurluidesyeuxrieurs.Haroldparaissaittroubléetabattu.—Qu’avez-vousentendu?demanda-t-ilavecunregardaccusateur.Deprofondssillonstraversaientsonvisagesévère.Ilétaitréellementmalheureux.—Tout,dit-elleavecungrandsouriresanssesoucierdecachersasatisfaction.Entoutehonnêteté,
j’étaislàlapremière.Il arrachaunebranched’un rosierdormant et la cassa enplusieurspetitsmorceauxavantde les
jeterparterre.Seslargesépauless’affaissèrent.—J’aigâchémavie.Jen’aijamaisvoulutomberamoureuxd’elle,Éva,vousdevezmecroire.Évaportaundoigtàseslèvresetl’examina.—Jen’aijamaispenséquevouspouvieztomberamoureuxouquevousétiezcapablederessentir
une émotion aussi forte. Vous avez été vraiment irrévérencieux avec moi par rapport à messentimentsenversmonsieurleduc.Jecroyaisquevousétiezunparfaitsanscœur.Harolds’assitàcôtéd’elle.—Nossituationssonttrèsdifférentes.Jen’aipasvolél’innocencedeMeg.—Peut-êtreauriez-vousdûlefaire.Ainsi,elleauraitétéforcéedevousépouser,letaquina-t-elle.Évatentad’imaginersonrobustedomestiquemariéàladouceettimideMargaret.Toutdemême,
la jeune femme l’avait ébranlé jusqu’au plus profond de lui-même. Peut-être n’était-ce pas siinconcevablequ’ilsformentuncouple.— Je crois que vous devriez prendre l’argent de Lady Seymour, poursuivit Éva. Cette sorcière
méritequesoncompteenbanquesoitallégé.Jevousaideraiàtrouverunehistoireextravaganteàluiraconterausujetdemamèreetmoi.Avecça,elleseraraviedevouspayer.Elleregardalejardinautourd’elle.—Vouspourrezensuiteembaucherquelqu’unpourtrouverlapelousesouscesmauvaisesherbeset
peindrelesboiseriesdumanoir.Lestapisetlesrideauxmoisisdoiventêtrebienaérésetnettoyés,etlescanapésontbesoind’êtrerecouvertsàneuf.Sivousvoulezépousermasœuretluioffrirunevieconfortable,vousdevezavoirunemaisondignedesacondition.Luilançantunregardencoin,Haroldhaussaunsourcil.—Margaretneveutpasdemoi.Ellepréféreraitépouseruncrapaud.—Sottises,réponditÉvaenbalayantsonargumentd’ungestedelamain.Àenjugerparl’émotionqu’elleavaitentenduedanslavoixdesasœur,ellesavaitqueMargaret
n’avaitbesoinqued’unpetitcoupdepoucepourpardonneràHarold.
—Faitesquelquechosed’outrageusementromantique.Elleseraincapabledevousrepousser.
•
Yvettes’avéraplusrésilientequ’onl’auraitcru.Aprèsunejournéeetdemiederepos,ellesejoignitauxautresdanslepetitsalonpourprendrelethé.Endehorsdesonairfatiguéetdescernesnoirsquiteintaientlapeausoussesyeux,elleallaitbien.Évaetlesautresfemmesfirentdeleurmieuxpourluiremonterlemoraletellelesenrécompensapard’occasionnelspetitssourires.Elle refusadeparler tantducomtequedu tempspasséencaptivitéet lesautres respectèrent son
jardinsecret.Yvetteinsistapourparticiperàlafêtequiauraitbientôtlieuaveclesépouxpotentielsetremerciatoutlemondedeluiavoirsauvélavie.Uneenquêteavaitétéouvertepourretrouverlemeurtrierducomte;ilyavaitdesrumeursausujet
d’une femme mystérieuse, d’une bagarre et d’un cambriolage, mais personne à l’abbaye n’avaitréellementvuquoiquecesoitd’utile.Selonlarumeur,lesofficiersdelarueBowpenchaientpouruncambriolagequiavaitmaltourné.—Croyez-vousqu’unjour,Yvetteseravraimentheureuseànouveau?demandadoucementÉvaà
Harold.Àmaintesreprises,lorsqu’Yvettecroyaitquepersonnenelaregardait,Éval’avaitvueregarderpar
lafenêtre,levisagemarquéd’uneimmensetristesse.—Ce sera long,mais elle est forte, répondit Harold en fixantMargaret, qui refusait tant de le
regarder que de lui parler. Elle a survécu à beaucoup de souffrances au cours de sa vie. Je croisqu’elleestimpatientedeprendreunnouveaudépart.Jel’aientendueledireàRose.Évahochalentementlatêteavecunpetitsourire.—EtMargaret?Avez-voustrouvéunmoyendelafairechangerd’avis?ElleavaitparléàNoëlle,quiavaitété toutaussi surprisequ’elled’apprendrequeMargaretavait
entretenuunehistoired’amoursecrèteavecHarold.Noëllesavaitqu’ilsétaientamis,maissansplus.— J’ai vu les coups d’œil qu’elle jette dans votre direction, poursuivit Éva. Je sais qu’elle est
amoureusedevous.Haroldlagratifiad’unvifregardpleind’espoir.Évahaussalesépaules.—Nous, les femmes, voyons souvent avec notre cœur des choses auxquelles les hommes sont
aveugles.Ilexpira.—Danscecas,peut-êtrepouvez-vousmeconseiller sur la façonde lacourtiseretdegagnersa
main.Jen’arrivepasàtrouverlamoindreidéedegesteromantiquegrandiose.—Voustrouverez,répondit-elleenluitapotantlebras.J’aiconfianceenvous.
•
Avec l’aide d’Harold, Nicholas s’habilla. Trois jours passés au lit sans Éva l’avaient rendu demauvaise humeur et sec avec tout lemonde.Même les joyeux bavardages de samère le faisaientgrincerdesdents.Laduchesseavaitdécidéqu’Évaétaitdescendueduciel,avecdesailesd’angeettout le reste, et aucun argument ne pouvait la convaincre que la maîtresse entêtée de son filsn’épouseraitpasbientôtcedernier.—Cesmauditspansements,grommelaNicholasenglissantundoigtdessouspoursegratter.HaroldpassalachemisedeNicholaspar-dessussesépaules.—Laprochainefoisqu’onmetireradessus,laissez-moimourirenmevidantdemonsang.
—Ilfutuntempsoùjevousauraisbientirédessusmoi-même,monsieurleduc,réponditHaroldpendantqueNicholasrentraitsachemisedanssonpantalon.Lebaronl’aidaàenfilersavestenoire.—Jedevraiplutôtmecontenterdevivreaveclasatisfactiond’avoirvuunvaletvousarracherun
morceaudepeau.Après avoir vu les vêtements rapiécés que portaient Éva et les courtisanes, Nicholas était
reconnaissant à sa mère de lui avoir apporté ses propres vêtements lorsqu’Harold l’avait envoyéquérir.Ilserenfrognaetremualesépaules.Ilavaitdescourbaturespartoutàcausedesoninactivitéforcée.—Jesuisassezenformepourporterquelquescoupsdignesdecenom,sijamaisvousavezenvie
determinerçadehors,ditNicholas.Lesouriremalveillantd’Haroldfutlepremierqueleducvitsurlevisagedecethommestoïque.
L’ancien domestique devenu baron puis domestique à nouveau tendit les bras pour nouergrossièrementlefoularddeNicholas.—Bienquel’offresoitalléchante,monsieurleduc,jecroisqu’Évavousaendommagébienplus
quejenepourraijamaislefaireavecmespoings.Éva.IlyavaitdesjoursqueNicholasnel’avaitpasvue,bienquesamèreluiaitassuréqu’ellelui
rendaitvisitependantsonsommeil.Elleévitaittoutenouvelleconfrontationetdiscussionàproposdemariage.Pasuneseulefoisellen’avaitniééprouverdel’affectionpourluilorsqu’elleavaitrefusésademande;ilétaitquestionuniquementdesescraintes.Ildevaitlesdissiper.Lorsqu’Haroldtermina,Nicholass’examinadanslemiroird’unœilcritique.—Vousfaitesunbonvaletdechambre,monsieurlebaron.—Ilestétonnantdeconstateràquelpointilestfaciled’apprendreàs’habillersoi-mêmelorsqu’on
n’a pas de valet de chambre, répondit Harold en s’appuyant sur ses talons. J’ai exercé plusieursfonctionsaucoursdemesvoyagesetj’aivubeaucoupdechoses.Jepourraisvoushabillerlesyeuxfermés.—Lerôledemédecinfait-ilpartiedecesemplois?La plaie guérissait bien et Nicholas n’avait souffert que d’une courte fièvre. Il garderait une
cicatrice,maisNoëlleluiavaitassuréquecelaneferaitqu’ajouteràsaréputationdedépravé.—J’aiétédansl’arméeetj’aipassédutempsàtravailleràl’infirmerie,réponditHaroldavecun
petitsouriresuffisant.Etlorsquevousavezlacarrured’unboxeur,onvousmetsouventaudéfideprouvervotrevaleur. Jesuisdevenuexpertdans l’artdemesoignermoi-mêmeaprès lescombats.Retirer la balle de votre flanc n’était pas difficile ; ce n’était pas beaucoup plus qu’une blessuresuperficielle.—Jevousdoistoutdemêmedesremerciements.J’auraispumourirenperdantmonsang.Nicholas tendit lamain.Lebaronbaissa lesyeux,puis refermasagrossemain surcelleduduc.
Leursregardssecroisèrent.—Maintenant, si vous pouviez convaincre votre patronne entêtée de m’épouser, je vous serais
reconnaissantjusqu’àlafindemesjours.—Jecrainsquevousnedeviezreporterencoreunpeuvoseffortsdeséduction,monsieurleduc,
ditHarold en lâchant samain.Éva a rassemblé ses sœurs et ses courtisanes cematin, et elles sontrentréesàLondres.Nicholasgrommeladanssabarbe.—Pourunefemmeavecunevolontédefer,elleestvraimenttrouillardequandils’agitdesebattre
poursonproprebonheur,dit-ilensecouantlatête.Sivousavezlamoindreidéepourlafairechanger
d’avis,jevousprieraisdemeladire.Jen’enaiaucune.Harold hocha lentement la tête et ses traits s’adoucirent. Cela le rajeunit de plusieurs années.
Nicholas se rendit alors compte qu’ils devaient être environ dumême âge. Il réprima un sourire.Veiller sur Éva avait certainement été éprouvant et le pauvre homme avait vieilli à un rythmealarmant.— Je tiens de source sûre qu’un geste outrageusement romantique est le meilleur moyen de
pénétrer lecœurd’une femme,ditHaroldengonflant les joues.Monsieur leduc, jecroisque j’aiexactementcequ’ilfautpourvouséviteràtouslesdeuxtouteuneviedemisère.
CHAPITRE21
Le jour de la fête où les anciennes courtisanes devaient rencontrer les hommes qu’elles avaientchoisiscommençasurunenotenégativelorsqueletempsmenaçaderuinerlesprojetsd’Évadetenirlaréceptionàl’extérieur.Toutefois,àmidi,lesoleils’étaitfrayéuncheminentrelesnuagesetavaitfaitunvaillanteffortpourseplieràsesdésirs.Leparfumdesfleursprintanièresadoucissaitl’air.Les domestiques séchèrent les chaises et les bancs, puis installèrent les tables. La cuisinière
réquisitionnalesdeuxfemmesdechambrepourl’aidertandisquelescourtisanessepréparaientavecl’aided’Éva,deNoëlleetdeMargaret.—J’aidespapillonsdansleventre,ditRosetandisqueNoëlleluipassaitdélicatementpar-dessusla
têtesarobedevillebleuglacé.Sescheveuxrouxavaientétéremontésenlaissantquelquesbouclespourluiencadrerlevisage.—Jepensequejevaisêtremalade,ditPauline,quiparaissaiteffectivementblême.Rosegloussa.—Nesoispasmaladesurtarobe,trèschère.Tuestropjoliepourgâcherl’effet.Paulineluitiralalangue.Elleétaitvêtuedesoieroseetsescheveuxblondsétaientnattésettorsadés
sur ledessusde soncrâne.Sophieavait choisideporterune robe lavande.Lacouleuret sagaietéaidaient à adoucir les traits anguleux de son visage. De toutes les femmes, elle était celle quirecherchaitlasécuritéàtoutprix.Évarésistaà laforteenvied’enleversaperruqueetses lunettes.Bienquelescourtisanessachent
maintenantlavéritéausujetdesondéguisementetdesavolontédegardersesdeuxmondesséparés,cen’étaitpaslecasdesprétendants.Ellepréféraitquecelaresteainsi.EllesetournaversYvette,vêtuederouge,etl’observatenirdesbouclesd’oreillesdevantseslobes.
Bienqu’Évasefassedusoucipourelle,del’extérieur,ellesemblaitbienaller.Lorsqueleursyeuxsecroisèrentdans lemiroir,Yvettesouritdoucement.Évaserenditaucoffreàbijouxetensortitunepairedebouclesd’oreillesnoiresenperles.—Essaiecelles-ci,dit-elle.Yvettelesmitethochalatête,satisfaitedesonreflet.Ellesetournapourprendrelesmainsd’Évaet
luiserralesdoigts.—Jevousenprie,mademoiselleÉva,nevousenfaitespaspourmoi.ElleserrafortementÉvadanssesbrasetcettedernièrelasentittrembler.—C’estunjourheureux,chuchotaYvette.Jerefusequ’ilensoitautrement.Éval’étreignitencoreuncertaintemps,ravalantseslarmes.Sielledevaittraînerdeforcejusqu’à
cettemaison de ville tous les hommes célibataires duNorthumberland àDouvres afin de les faireparader devant Yvette pour qu’elle trouve le partenaire idéal, elle le ferait avec joie. Elle désiraitardemmentvoirYvetteheureuse.—Danscecas,jecroisquenousdevrionsnouspréparer,réponditÉva,quireculaensouriant.Ellefitletourdelapiècedesyeuxetembrassaduregardtoutesacouvéed’anciennescourtisanes.—Unpeuplusd’unedouzained’hommesarriverontbientôt.Nelesfaisonspasattendre,dit-elleen
tendantlesmains.Ellesserassemblèrent.—Jesuisconvaincuequevouscharmereztoutesquelqu’unaujourd’hui.Maissivousnetrouvez
pasdepartenaire,jecontinueraid’essayerjusqu’àcequecesoitlecas,dit-elle,leslarmesauxyeux.Jesuissifièredevoustoutes.Désormais,vousn’êtesplusdescourtisanes.Elless’embrassèrent,reniflèrent,rirent,puissedirigèrentaubasdel’escalierà l’instantoùdeux
carrosses bondés finissaient de déverser leurs passagers devant la grille du jardin. Lorsque leshommesfurentrassemblés,Évaconduisitlesfemmesdehorsetcommençaàfairelesprésentations.
Lorsqu’elleeutterminé,ellereculaets’installadiscrètementenretraitavecNoëlleetMargaretpourobserverlesjeunesfemmes,quimirentpeudetempsàsemêleràleurspotentielsprétendants.Jeunesoud’âgesmûrs,charmeursoutimides,ilyenavaitpourtouslesgoûtsdansl’échantillon
d’hommes présents.CommeMargaret s’était retirée du groupe, les hommes étaient beaucoup plusnombreuxquelesfemmes.MaisÉvaleuravaitpromisdesépousesetilspourraienttoujourschoisirparmileprochaingroupedecourtisanes.— Ils ont tous l’air ravis, chuchotaNoëlle tandis que la pétillanteRose riait de bon cœur à une
blaguedel’undesmultipleshommesquil’entouraient.Pauline et Sophie avaient chacune deux prétendants alors qu’Yvette discutait avec un homme
d’apparenceplutôtguindéequiarboraitunemoustachefournie.Quelquesprétendantsse tenaientenretraitenattendantuneouverture.MonsieurReed,unséduisantavocatdetrenteans,observaitYvettedeloinàtraversseslunettes.—Jecroisqu’Yvetteaattiré l’attentiondequelqu’un,ditÉvaàNoëlleen lui indiquant l’homme
d’unlégersignedetête.Peut-êtredevrais-jeforcerleurrencontre.Lestroissœurséchangèrentunsourire.À l’exception d’une petite escarmouche entre monsieur Rhoades, un commerçant, et monsieur
Tipton,unpeintre,poursavoirquiapporteraitdugâteauàRose,lajournéesedéroulasansencombre.Évas’interposaentrelesdeuxhommesetleurexpliquaques’ilsétaientincapablesdebiensetenir,ilsdevraientpartiretseraientretirésdesonlivre.Ilssecalmèrentvite;toutlemondesavaitqu’unefoisque mademoiselle Éva vous retirait de son livre, vous n’y étiez plus jamais invité. Harold avaitdisparuimmédiatementaprèsavoiramenéleshommesetÉvanel’avaitpasrevudetoutl’après-midi.EllesavaitàquelpointilétaitdifficilepourluidepasserbeaucoupdetempsenprésencedeMargaretetvice-versa.Lafêtetiraitàsafinlorsqu’ilfitenfinsonapparition.Etquelleapparitioncefut!Éva,NoëlleetMargaret restèrentbouchebée lorsqu’ilentradans le jardinenportantunénorme
vaseremplid’uneexplosioncoloréedefleursvariées.L’immensearrangementcachaitpratiquementlamajeurepartieduhautdesoncorpsetdesatête.Maiscenefutquelorsqu’ilmitlevaseausolàcôté d’une Margaret stupéfaite et qu’il posa un genou à terre qu’Éva fut en mesure d’apprécierpleinementleseffortsqu’ilavaitdéployéspourimpressionnersasœur.Par leur coupe et leur qualité, ses vêtements rivalisaient avec ceux de monsieur le duc, de son
pantalonencuirchamoiséjusqu’àsachemiseblanchecommeneigeenpassantparsonfoulardcrèmeetsavesteécarlatefoncé.Sescheveuxétaientsoigneusementcoupésetsonvisage,rasédeprès.Évaeutdumalàlereconnaître.— Harold ? fit-elle avant que Margaret fasse taire tout autre commentaire lorsqu’elle faillit
s’étouffer.ÉvaetNoëllevirentunelueurd’amusementdanserdanslesyeuxdeleursœur.HaroldtenditlamainverscelledeMargaret.Lentement,elleouvritlesdoigts,puisillespritdans
sesgrandesmains.—LadyMargaretAbigailLouiseSeymour,jesaisquej’aifaitdeserreursaucoursdemavieet
que j’ai blessé certainesdespersonnesquim’importaient le plus, vous la première, dit-il avant dedéglutir.LorsquejevousaiaperçuepourlapremièrefoisdanslacuisinealorsquevousrévisiezlemenuavecmadameDunn,jesuistombéamoureux.Depuiscetinstant,messentimentssesontfortifiésdejourenjour.UnelarmeselibéraetroulasurlajouedeMargaret.—Vousmeferiezungrandhonneursivousacceptiezdem’épouser.
Restée bouche bée, Éva l’observa dérouler sa demande. Pas une seule fois depuis qu’elle leconnaissait,Haroldn’avaitenchaînéautantdemotsetencoremoinsavecunetelleéloquence.Ilfallaitquecefût ledésespoirquiavait transformésonapparencehabituellementbourruepourenfaireunhomme qui ne craignait pas demontrer son amour. Cet amour se lisait facilement dans ses yeuxlorsqu’illesfixasurMargaret.SademandeaffectaNoëlledefaçonsimilaire.Évaetelleavaienttouteslesdeuxlabouchegrande
ouverte comme des poissons, qu’elles fermèrent subitement en même temps pour afficher dessouriresassortis.Lesanciennescourtisaneset leursprétendantsobservaient tousensilencependantqueMargaret fixait Harold comme s’il venait de lui pousser un deuxième nez. Elle ne s’attendaitmanifestementpasàdetelssentimentsamoureuxniàunedemandeaussigrandioseenpublic.Leroseluimontaauxjoues.—Je…Je…Ellejetaàsessœursunregardimplorant.ÉvaetNoëllehochèrentlatête.Margaretarboraungrand
sourireetsepenchapourposersamainlibresurl’épauledesonprétendant.—Jeveuxvousépouser,Harold.Ilserelevaprestementetlapritdanssesbras.Illafittournoyer,puislareposasursespiedsavant
de l’embrasserbrièvement,mais très tendrement.Margaretdevint écarlate lorsque les invitésde lafêteapplaudirent.Lestroissœurss’étreignirentetéchangèrentdesfélicitationsàvoixbasse.QuandHaroldfinitparserrerMargaretàsescôtésd’ungesteprotecteur,Évas’approchad’euxetposaunemainsursonbras,lesyeuxbaignésdelarmes.Ilsepenchaverselleetellesehissasurlapointedespieds.—Jesuissiheureusedet’accueillirdanslafamille,Harold.Jet’aitoujoursconsidérécommeun
amietmaintenant,tuserasmonfrère.Haroldposaunbaisersursajoueetgrimaça.—Il fautbienquequelqu’ungardeunœil survous trois.Sanssurveillance,vousvousattireriez
toutessortesd’ennuis.Évaritdeboncœur.C’étaiteffectivementunebellejournée.Pendantqu’Harold etMargaret faisaient le tourdes invités,Éva etNoëlleobservèrent leur sœur
souriante et son futur époux rayonnant.Évane les aurait jamais imaginés ensemble,mais l’amourétait parfois inexplicable. Elle le savait bien. Et parfois, il ne pouvait pas être réciproque. Chaqueheure de chaque jour, elle souffrait de cette affliction. Elle savait qu’il était préférable pour tousqu’ellerejettemonsieurleduc,maiscelan’empêchaitpassoncœurdeselanguir.—Ehbien,voilàunecourtisanemariée,ditNoëlleensouriant,tirantÉvadesespensées.Ellepointa l’avocatqui était engrandeconversationavecYvette.Elle s’épanouissait devant cette
attentionetlaméfiancesursonvisages’étaitdissipée.—Etjecroisqu’uneautreestsurlabonnevoie.Évafronçalenez.—Margaretn’ajamaisétéunecourtisane.Tuluiasinventéunehistoiredanslecadred’uneruse.Je
croisdoncqueçanecomptepas.—Oh,maissi,insistaNoëlle.Sanstoi,Haroldauraitespionnépourmamère,puisilseraitrentré
chez lui.C’est grâce à ton amitié et à cette écolequeMargaret et lui se sont retrouvés et que leurhistoirepeutconnaîtrecettefinheureuse.Peut-être était-elle bel et bien indirectement responsable de leur mariage. Margaret et Harold
affronteraient inévitablement lecourrouxdeLadySeymour.Toutefois,Évasavaitqu’àeuxdeuxetavecl’approbationdeNoëlle,lafemmen’avaitaucunechancedelesséparer.
LeurconversationfutinterrompueparmonsieurMiddleton.Bientôttrentenaire,ilétaitpropriétaired’uneusinedetextileetavaitlesourirefacileetséduisant.—Puis-jevousparler,mademoiselleBlack?Sontonsérieuxluifithausserlessourcils.Ellehochalatête.—JevoudraisdemanderlamaindePauline,dit-ilensetournantpourregardercelle-ci,quiluifit
unsignedetêtecommepourl’encourager.JepossèdeunemaisonassezgrandeavectoutlepersonnelrequishorsdeLondresetmonentreprisevabien.IlfitunepauseetjetaunautreregardaffectueuxendirectiondePauline.—JecroispouvoiroffriràmademoisellePaulineunaveniragréable.C’étaitlemomentfavorid’Éva.Pouruneraisonquelconque,leshommesluidemandaienttoujours
lapermission avant de semarier,même si les femmes avaient l’âgededécider pour elles-mêmes.ElleregardaPauline,quilasuppliadesesyeuxnoisette.—Vousavezmapermission,monsieurMiddleton.IlpoussauncridejoieàvouspercerlestympansetcourutrejoindrePauline.Ilposaunbaisersur
sajoueetilssemirentàconverseràvoixbassed’untonexcité.Dansl’heurequisuivitetavantlafindelafête,nonseulementPaulineetMargaretavaient trouvédespartenaires,maisRoseavait limitéson choix à deux prétendants, qui viendraient séparément prendre le thé le lendemain afin qu’ellepuissediscuteraveceuxdansuncontexteplusintime.Avecunchaperon,bienentendu.Monsieur Reed avait demandé lamain d’Yvette et elle lui avait répondu qu’elle avait besoin de
temps pour réfléchir à son offre. Éva trouva cela judicieux. Après tout ce qu’Yvette avait vécudernièrement,ilétaitbonqu’elleprenneletempsdedéciders’ilétaitvraimentcequ’ellevoulait.Évacroyaitqu’enfindecompte,ellediraitoui.C’étaitunhommebonetgentil;unpartenaireidéalpourYvette.Unefoislesaurevoirterminés,Sophies’approchatandisqu’Haroldrassemblaitleshommespour
lesconduireauxcarrosses.Elleavaitreçudeuxdemandes,maislecœurn’yétaitpas.—Jenesaispasquoi faire,mademoiselleÉva.C’est lapremière foisdemavieque jemesens
libre.Jenesuispascertained’avoirenviedememarier,dit-elled’unairdésolé.Êtes-vousdéçue?Évalapritparlamain.—Pasdutout.L’objectifdecetteécolen’estpasdeforcerlesgensàsemarier,maisplutôtdeleur
offrirlechoixdeprendreunépoux.Cequetuferasdésormais,c’esttadécision.LevisagedeSophiesedécomposa.Elleétaitvisiblementdéchirée.Elleavait toujoursvécuselon
lesrèglesdesesamants.Lalibertécomportaitdesresponsabilités.—Jenesaisfaireriend’autrequecequevousm’avezappris,répondit-elletandisquel’inquiétude
creusaitlesridesautourdesesyeuxetdesabouche.Quelssontmesautreschoix?Tandisquelescarrossess’éloignaientdelamaisondeville,Évaréfléchituninstantàsasituation
difficile.Unesolutionluivintàl’esprit.— J’ai besoin de quelqu’un pour gérer cette maisonnée, pour organiser les livres et aider à
préparer lesmariages.Les courtisanes ont tendance à se présenter à l’improviste et je ne suis pastoujourslàpourrecueillirleursinformations.Jenepeuxpast’offrirungrossalaire,maistuseraislogéeetnourrie.UnsourireilluminalentementlevisagedeSophie.—J’accepte,mademoiselleÉva.Merci.EllesehâtaderejoindrelesautresfemmesetÉvapritletempsderemettresesidéesenplace.La
fêteavaitétéunsuccès.
Les ententes finales entre les femmes et leurs prétendants seraient conclues le lendemain. Pourl’instant,iln’yavaitqu’àsereposer.Noëlle dut la voir étouffer un bâillement. Ellemobilisa les domestiques et entreprit la tâche de
dirigerlenettoyage.Évalagratifiad’unsourirereconnaissantetretournaàl’intérieur.Alorsqu’ellesedirigeaitversl’intimitédupetitsalon,onfrappaàlaported’entrée.Évaouvritle
panneauenchênepourtrouverunvalet,vêtudelalivréedemonsieurleduc,quisetenaitsurleseuilavecunelettreàlamain.Legrandcarrosseducalattendaitdanslarue.—J’aiunemissivepourmademoiselleBlack.Évaeut enviede refuser la livraisonde la lettre etde claquer laporte.Cependant, le contenude
l’enveloppe piquait sa curiosité et la préoccupait en même temps. Il y avait presque une semainequ’elleavaitlaisséleducauxsoinsd’Harold.EllecraignaitqueNicholasaitpuavoirprisunmauvaistournantetêtredécédé,malgrélefaitqu’Haroldluiavaitassuréqu’ilserétablissaitbien.—C’estmoi.Ellepritl’enveloppeetladéchira.Montezdanslecarrosse,Éva.Jevousenprie.Lemessageétaitsimpleetdirect,exactementcommeNicholas.Ils’attendaitàcequ’elleseplieàsa
volontésansposerdequestions.Cettefois,cependant,ilavaitdit«jevousenprie».Celachangeaitdesonhabituded’aboyerdesordresens’attendantàcequetoutlemondes’exécuteautourdelui.Évautilisalemessagepoursetapoterlementonpendantqu’elleréfléchissaitàsademande.Levalet
attendit poliment. Nicholas, monsieur le duc ; elle fut submergée par une vague d’émotionslorsqu’elle évoquamentalement son séduisant visage. Il luimanquait énormément.Si elle avait étéunetrouillarde,lasolutionfacileauraitétédeverrouillerlaportepourenfiniravectoutcela.MaisÉvan’étaitpasunetrouillarde.Ellevoulaitlevoirunedernièrefois.Ellevoulaitundernierbaiserd’adieu.
CHAPITRE22
Évas’inquiéta lorsque,plutôtquedesedirigervers lamaisondevilleduduc, lecarrossesortitàtoutevitessedeLondres.Elle tentad’attirer l’attentionduconducteur,mais l’hommenesemblapasentendresesappels.Commeellen’avaitpasenviederisquerdeseblesserensautantducarrosse,elleenleva brusquement sa perruque urticante et ses lunettes, puis s’enfonça dans les coussins en cuirrembourréspoursefaireunsangd’encre.S’ilcroyaitqu’ilpourraitl’empêcherdelesortirdesavieenl’enlevant,ilfaisaitgravementerreur.
Sadécisionétaitpriseet ilne la feraitpaschangerd’avis en l’intimidant.Une foisqu’elle l’auraitdevantelle,elleavaitl’intentiondeluipasserunsavonqu’iln’étaitpasprèsd’oublier.Elleavaitl’impressionquedesheuress’étaientécouléeslorsquelecarrosseralentitpoursortirde
la route en prenant un virage serré. Elle regarda par la fenêtre et vit une allée sinueuse bordéed’arbresetunepelouseparfaitemententretenuequis’étendaitàpertedevue.L’endroitluisemblaitfamilier,bienqu’ellefûtcertainedenejamaisyêtrevenueauparavant.Puis
elle aperçut au-dessus des cimes des arbres la flèche facilement reconnaissable de l’abbaye deHighland.Elleeutunhoquetdesurprise.Pourquoimonsieur leduclafaisait-ilvenirà l’endroitoùilavait
faillimourir?Ilnepouvaitpasêtredésespérédelacontrôleraupointdel’enfermerdanslamêmepièce où le comte fou avait emprisonnéYvette. N’est-ce pas ? Il avait déjà été vengeur. Était-il sidifficiledecroirequ’ilpourraitl’êtreànouveau?L’inquiétudes’insinuaitenellelorsquelecarrosses’arrêtadevantl’abbayeetquelevaletouvritla
portière.Ellesavaitquerefuserdedescendren’empêcheraitpasmonsieurleducdelafairesortirdeforce.Elleacceptal’aidedujeunehommeetdescenditprudemment.Àlalumièredujour,l’abbayeétaitmagnifique;leblocenpierreetenverreluicoupalesouffle.Il
nerestaitaucunetracedumalqu’elleavaitsentiflotterau-dessuslesoirdel’opérationdesauvetage.Sanslecomtepouryprojetersonombremaléfique,elleputapprécierlevieilédificepourletrésorqu’ilétait.—Inutiled’avoirl’airsieffrayée,Éva.Elle se retourna au son de la voix familière. Arrivant d’une dépendance, monsieur le duc
approchaitdansl’allée.Misàpartsachemiseblanche,ilétaittoutdenoirvêtu,unesilhouettebrutedignedel’arrière-planqueformaitlamaçonneriesculptéedel’abbaye.Ellefutparcouruedefrissonsdedésireteutlesoufflecoupéàlavuedesonvisage,desoncorpset
desonarroganceassurée.Elleduts’agripperdetoutessesforcesàsacolèrealorsquetoutcedontelleavaitenvie,c’étaitdel’entraîneràl’intérieurducarrossepourlesupplierdeprendredeslibertésavecsoncorpsenfiévré.—Pourquoim’avez-vousfaitvenirici,monsieurleduc?s’enquit-elleens’efforçantdeprendre
unevoixdédaigneuse.Malgrél’étroitedistancequilesséparait,labriseluifitparvenirl’odeurlégèredesonparfum.Cela
titilladangereusementsesémotions.—Je suis convaincueque les héritiers du comtene seront pas ravis par notre intrusionpendant
qu’ilssontendeuil.Ilsontperduunêtrecherrécemment.Ilignorasoncommentaireetcoinçalebrasd’Évasouslesien.—Nevousinquiétezpas,Éva,moncœur.Illuisouritetl’entraînaversl’entréeetsesgrandesportesarrondies.—Toutetraceducomteetdesontrouàratsontétéeffacéesetlesdraps,brûlés.Iln’yapersonne
icipourprotestercontrenotrearrivée.Ilsétaientseuls?
—Voussavezqu’ilyaeudestémoinsdemonenlèvement?demanda-t-ellesèchement.Haroldetmes sœurs finiront par s’inquiéter et semettront àma recherche. Ils sont très déterminés.Vousnepourrezpasmegardercaptiveentouteimpunitébienlongtemps.Nicholass’arrêtapourlafixerduregard.—Vouscroyezquej’ail’intentiondevousenleverpourvousimposermavolonté?Ilgloussaetdesplisapparurentauxcoinsdesesyeux.—Vousêtesundélice,mademoiselleWinfield.Sonhumourrestaprisentraversdelagorged’Évaetlacolèrel’envahit.—Jen’auraispasdûmonterdanslecarrosse.J’aiagiàl’encontredubonsens.Ilportalamaind’Évaàseslèvresetposaunbaisersursesjointures.Ellefutaspiréeparsesyeux
vertsetseperdituninstantdansleursprofondeurs.Elleétaittotalementconscientedesaproximité,desoncharmesensuel.Desimagesdeseslèvressurelleetdesesmainsquilacaressaientluidonnèrentfollementenviedel’attirerdansunrecoinsombredel’abbayeetderetroussersesjupes.—J’espèrequed’icilafindelasoirée,vousneregretterezpasvotredécisiondevousêtrejointeà
moi,dit-ilenlaconduisantàl’intérieur.Elle fut frappéedevoir àquelpoint l’abbayeparaissaitdifférenteenplein jour, ainsiquepar la
façondont les rayonsde soleil traversaient lesvitrauxdes fenêtresdansun tourbillonde couleursvivesquidébordaientsurlesmursetleplancher.C’étaitcommeêtreàl’intérieurd’unarc-en-ciel.—C’estabsolumentmagnifique,souffla-t-elle,émerveillée.Jen’aijamaisrienvudetel.Nicholassuivitsonregard.—Noëllem’aparlédevotreintérêtpourl’abbaye.Évasetendit.EllenefutpasétonnéededécouvrirqueNoëlleavaitjouéunrôledanscettehistoire.
Ellelessoupçonnad’avoiréchangédessecretsàsonsujetdanslebutdelaconduiredevantunprêtre.Sasœursemblaitaimerfourrersonnezdanscequinelaregardaitpas.—Masœurn’apasàsemêlerdemesaffaires.—Avait-elletort?Levantlesyeuxverslehautplafondetbalayantduregardlevasteespaceautourd’elle,Évasecoua
latêteàcontrecœur.— J’adore cette abbaye. Je suis si soulagée que la vile présence du comte fou ne puisse plus
entachersabeauté.—Excellent,réponditNicholasensouriant,visiblementsatisfaitdesonaveu.Jel’aiachetéepour
vous.Lechocqu’illutsursonvisagelefitrire.—Vousavezfaitquoi?Ilsepostaenfaced’elleetluipritlesmains.—C’estvotrecadeaudemariagedemapart,moncœur.J’aioffertàl’héritierducomteunmontant
sioutrancierqu’iln’apaspurefuser.Lapiècedevintchaudeetlesgenouxd’Évatremblèrent.Ilavaitachetél’abbayepourlaluidonner
encadeau?Submergéetantparl’amourqueparl’exaspération,ellerestamuette.Cethommeétaitincorrigible.Iln’abandonneraitpas,etce,peuimportelenombredefoisqu’elle
luidiraitnon.Ilvoulaitl’épouser,êtrelepèredesesenfantsetlachérirjusqu’àlafindesesjours.Commentpourrait-ellenepasl’aimer?Soncœursegonflaetellecaressasonvisagebienaimé.Siseulementelleavaitlalibertéd’accepter
qu’illuifasselacour!—Je…
Sonrefusfutinterrompuparunbruitdepasàl’étage.EllelevalesyeuxetaperçutsamèreaveclamèredeNicholassurundesbalcons.Lesdeuxfemmessouriantesregardèrentverslebas.—Tevoilàenfin,monÉvangélinechérie.Noust’attendions,ditsamère,dontlesyeuxdansaient.
Tudevraisvoirmachambre;elleesttrèsrose.Monsieurleducm’adonnéunetrèsgrandechambreavec son propre petit salon qui donne sur le jardin. Et il y a amplement d’espace pour des petits-enfants.Laduchessehochalatêteetfitunclind’œilàÉva.—Assez d’espace pour une bonne dizaine de bébés et une immense pouponnière où les garder
tous,dit-elleenéchangeantunregardentenduavecCharlotte.L’universd’Évaprenaituneallureirréelle.Samèreetladuchesseétaientlà,ensemble,àpenserà
despetits-enfants?EllereportasonregardsurNicholas.—Jenecomprendspas.J’ailaissémamèreàLondrescematin.Elleétaitterriblementperplexe.Lapressionluimartelaitlestempes.Latenantfermementparlesmains,Nicholasmitungenouàterreetpritunairsérieux.—Vousavezrenoncéàbeaucoupdechosesdansvotreviepourprotégervotremèredesmalheurs
dumondeextérieur,dit-ildoucement.Jesavaisqueleseulmoyendevousconvaincredem’épouserétaitdetrouverunemanièred’apaisercescraintes.Lagorged’Évaseserraetelleclignadesyeuxplusieursfois.—J’aiachetécetteabbayepourvousafinqu’elleservederefugeàCharlotte,desortequ’onprenne
soind’elleetqu’ellesoitensécuritédansunendroitoùlemondeextérieurnepourrapasl’atteindre.Nous élirons domicile ici et résiderons à Collingwood House quand nous serons de passage àLondres.Ilfitunepause.— À vous de voir ce que vous voulez faire de la maison dans Mayfair. Et n’oubliez pas que
MargaretetHaroldnesontqu’àunquartd’heurederoute.Lorsqu’Éva scruta affectueusement les traitsdeNicholas,des larmes lui chatouillaient les cils. Il
représentaittoutcedontelleavaittoujoursrêvéetplusencore.Ilétaitsonséduisantducarrogant.Ellelevalesyeuxsurlesvisagessouriantsdesdeuxmèresquisouhaitaientardemmentvoirleursenfantsheureux.Maisd’abord,ilyavaitdesaffairesàrégler.Ellenepouvaitpasacceptersademandeavantdes’êtreentendueavecluisurquelquesderniersdétails.—M’aimez-vous,Nicholas?—Oui.—Renoncerez-vousàtoutecourtisanepourmeresterloyaletfidèlejusqu’àlafindevosjours?Ilsourit.—Mamaisondevilleaétévendue.Terminé,lescourtisanes,lesmaîtressesetlesamantes.Elleplissalesyeuxetfronçalessourcils.—Jenecesseraipasdemariermescourtisanes.MêmesiSophieprendenchargeunepartiedu
travailetm’aidepourlesactivitésquotidiennes,jecontinueraidegérerl’écolecommejel’entends.Unegrimacetraversalevisageduduc.— Je ne m’attendais pas à ce que vous fermiez l’école, dit-il en soupirant de façon plutôt
dramatique.Sijedoisrédigeruncontratquicomprennetoutesvosstipulationsafind’obtenirdevotrepartuneréponsepositiveetdepouvoirmerelever, je leferaiavecjoie,poursuivit-ilenrivantsonregardausien.Épousez-moi,ÉvangélineWinfield.Ellehochavivementlatêteenriantetenpleurantàlafois.
—Jevousépouserai,monsieurleduc.Ilserelevaetlapritdanssesbraspourunbaisertorrideetpassionnétandisquelamèred’Évaetla
duchessecriaientetapplaudissaient.Évase laissaallercontre lui toutensachantqu’ellechériraitàjamaiscet instant.Cethommeavait franchibiendesobstaclespourelleetelle l’aimaitde tout soncœur.Lorsqu’ilrelevaenfinlatête,ilsuivitlacourbedeseslèvresd’undoigt.—Jevousaime,Éva.Beaucoup.—Jevousaimeaussi.Ilslevèrentlesyeuxversleursmères,dontlessouriresétaientbaignésdelarmes.Évavitunelueur
d’espoirqu’ellen’avaitpasvuedepuislongtempssurlevisagedesamère.Peut-êtrequepenseràdespetits-enfantsaideraitàadoucirunpeulatristessedesoncœurbrisé.Laduchesseécarquillalesyeuxetelleregardalamèred’Éva.—Charlotte,nousavonsunmariageàpréparer.—Effectivement,madameladuchesse.Lesdeuxfemmess’enallèrentprécipitammenttandisqueleursbavardagesexcitésrésonnaientdans
lehalldetroisétages.NicholasgloussaetreportasonattentionsurÉva.Ilpassaundoigtlelongdesajoue.Unechaleur
intensesedégageaitdeluietellesutàquoiilpensait:pasaumariage,maisauxpartiesdejambesenl’air;auxmaintespartiesdejambesenl’airàvenir.—Jecrainsquenousn’ayonspasencorequitté l’autelquenosmèrescommencerontàréclamer
despetits-enfants,dit-ilensepenchantpourfrottersonnezdanslecoud’Éva,cequilafitrire.C’estl’entraînementquej’attendsavecimpatience.Évasoupira.—Sinousétionsseuls,jeproposeraisdenousymettresanstarder.Elleglissalesmainssoussavestepourleprendreparlatailleetpressaseshanchescontreluide
manièreaguichante.Ellelesentitréagirsoussonpantalon.— Je sais qu’il y a près de la cuisine un débarras dans lequel se trouve une vieille table
poussiéreuseassezgrandepourdeux,dit-ild’unairmalicieuxenlevantlatête.Unsourireétira lentement les lèvresd’Évaetsa languefituneapparitionsursa lèvreinférieure.
Elle lui caressa doucement les fesses et les hanches jusqu’à ce qu’il gémisse et tende le bras pourprendre un de ses seins à pleines mains. Elle sentit son mamelon s’ériger sous l’étoffe. Latempératuredelapiècemontajusqu’àdevenirinconfortable.— J’arriverai la première, répondit-elle avant de s’élancer vers la cuisine avec un rire enjoué,
suiviedeprèsparleducténébreux.
ÉPILOGUE
Unmois plus tard, Éva épousaNicholas dans la joie lors d’une charmante cérémonie intime à laminusculechapelledudomainedel’abbayedeHighland.Elleavaitchoisilachapelleenpierrepoursabeautésimpleetparcequec’étaitsurcedomainequesavieavaitréellementcommencé.Sesanciennescourtisanesétaientprésentes;Roseavecsonépoux,monsieurThomasStanhope,le
dernier-né d’un baron, Yvette avec son époux,monsieur Reed, ainsi que Pauline avec son époux,monsieurMiddleton,etpossiblementunbébéenroute.NoëlleetMargaretaidèrentÉvaàrevêtirlarobebleuedesamère,cellerecouverted’unvoiletrès
fin parsemé de cristaux pour réfléchir la lumière, et à orner sa coiffure d’épingles serties dediamants.Elleavaitl’aird’unevéritableprincesse.Danscetterobe,ellesentaitl’amourdesesparentsetsavaitque,oùqu’ilfût,sonpèreétaitravi.Haroldétaitassisavecsanouvelleépouse,ainsiqueNoëlleetSophie, lorsqu’ÉvaetNicholasse
témoignèrentleuramour.Jamais,aucoursdesavie,Évan’avaitétéaussiheureusequ’enentendantNicholasprononcersesvœux.Ilétaitsien,etce,pourtoujours.Elle soupçonnait aussi que jamais deux mères n’avaient été aussi heureuses. La duchesse et
Charlotteétaientdevenuesdegrandesamiesetlesdéliresdesamères’étaientfaitsmoinsfréquentsavecl’excitationliéeauxpréparatifsdumariaged’Éva.Après leur lune de miel, Éva et Nicholas passèrent les dernières semaines de la saison à
CollingwoodHousepourprésenterÉvaàlasociété.Celal’avaitterrifiée.Les spéculations et les rumeurs au sujet dumariage surprise ébranlèrent la noblesse,mais avec
Nicholas à ses côtés, ainsi que quelques histoires extravagantes de coup de foudre propagées parNoëlle,Éva futbientôt lacoqueluchede lasociété. Ilspréservèrent tous lesecretdeCharlotteet lamajoritédelasociétéacceptal’histoiredelacousinedisparuedepuislongtempstandisquelamèred’Évavivaitpaisiblementàl’abbayedeHighland.MêmeLadyPenningtonéchouaàtrouvermatièreàscandalesdansceshistoiresetacceptaàcontrecœurÉvadanssongiron.—Etcelui-là,là-bas?Évachassacespensées lorsque lavoixdeMargaret la ramenaauprésent.Elleplissa lesyeuxet
regardaau-dessusd’elle.— Je crois voir un mouton, dit Margaret en pointant un nuage d’une main tandis que l’autre
reposaitsurleminusculerenflementquigrossissaitsoussarobedeville.LavieilleLadySeymouravaitgénéreusementpayéHaroldpoursesinformationsscandaleusesau
sujetdevoleursdegrandcheminetdenaufrageursqui,selonsesdires,étaientparentsavecÉvaetCharlotte. Elle se rendit compte peu après qu’elle avait été dupée et s’était enfuie en France pours’isoler,loindestrahisonsdesesfillesingrates.— Je trouve que ça ressemble plutôt à un lapin, réponditNoëlle depuis sa place de l’autre côté
d’Éva.Ellefermaunœiletfronçalessourcils.—Regardez-moicesoreilles.C’estunlapin.—Jenesuispasd’accord,Noëlle,c’estunmouton,intervintÉva.Unmoutonpoursuiviparunchat
quiaunesourisdanslabouche.—Unchat?s’enquitNoëlleenlevantlatêtepourregarderÉvacommesiellevenaitd’êtrefrappée
defolie.Cen’estcertainementpasunchatniunesouris.Jecroisquecelui-làestunbébénuavecunhochetdanslamain.Évasehissasurlescoudesengrimaçant.—Oùas-tuditqu’étaitLadyPenningtonaujourd’hui?demanda-t-elleenregardantautourd’elleà
larecherchedesignesdelaprésencedeladamedragon.
Heureusement,ellesétaientseules.LorsqueNoëlleavaitproposéderendrevisiteàLadyPenningtonà l’improviste,Évaavaitvoulu
refuser.MaisNoëlleavaitinsistésurlefaitquecelaconsolideraitlarelationd’Évaaveclapopulaire,maisredoutée,matronedelasociété.Évafutsoulagéed’apprendrequ’elleétaitabsente.—ElleestapparemmentsortiedîneravecLordetLadySherbrook,réponditMargaret.—Net’enfaispas;letempsqu’ellerevienne,nousseronsparties,ajoutaNoëlleaprèsavoirjetéun
coupd’œilauvisagepréoccupéd’Éva.Parties en laissant derrière elles une rumeur persistante parmi ses domestiques au sujet de trois
jeunesfemmescouchéessurledosdanslehallentrainderegardersonplafondcouvertdenuages.—Peut-êtredevrions-nousfaireunvœu,proposaMargaretenselaissantretomberdoucementsur
lemarbrepoli.Elle avait les joues rouges de bonheur. L’imminence de la parentalité leur avait procuré une
immensejoieàHaroldetàelle.—Onnefaitdesvœuxquepourlesétoiles,machèresœur,ripostaNoëlle.Jenevoispasd’étoiles.—Jecroisquec’estuneexcellenteidéeetjevaiscommencer,intervintÉvaavantquen’éclateune
autredesquerellesfréquentesentrelesdeuxsœurs.Chaquejour,elleadoraitdeplusenplusl’impossibleduo.LavieilleLadySeymouravaitfaitdeux
bonneschosesaucoursdesavie:lesdeuxfemmes.—CommeMargaretetmoiavonstoutesdeuxtrouvédesépouxetlebonheur,jesouhaitelamême
choseàNoëlle.—Biendit!s’exclamaMargaretenhochantlatête.Moiaussi,jesouhaiteunépouxpourNoëlle.Il
faudraquecesoitunhommefortquilatiendraloindesmauvaiscoupsetquiauraunegrossebossedanssonpantalonpourlagardermerveilleusementsatisfaite.ÉvaetMargaretrirentlorsqueNoëllehoquetadevantlecommentairescandaleux.— Je n’ai pas besoin d’un époux ni de quoi que ce soit qu’il puisse posséder, réponditNoëlle,
vexée.J’aibienl’intentionderestervieillefille.— Je crois connaître un prétendant parfait pour elle, poursuivit Éva sans tenir compte des
protestations de Noëlle. Il est fortuné et titré. Nicholas nous a présentés lors de la fête de LadyDunleavy. Il est un peu petit et trapu, et il postillonne légèrement quand il parle, mais c’est ungentilhommequiaunmerveilleuxriretonitruant.—Jecroisleconnaître,ajoutaMargaretenprenantunairsérieux.OnlesurnommeLordÉdenté.Il
aunphysiqueingrat,maisilestplutôtcharmantdanslegenrebossu.—Vousn’êtespasdrôlesdutout,grommelaNoëlle,quirefusaitdecroiserleursregards.ElleserenfrognadavantagelorsqueleursriresrésonnèrentàtraversPenningtonManor.
Lisezcequisuitpouravoirunaperçuexclusifduprochainromand’amourhistoriquedeCherylAnnSmith,Courtisanemalgréelle.
CHAPITRE1
LadyNoëlleSeymourvacillalégèrementsurletreillisetsemorditlalèvreinférieurepourreteniruncri.Hautededeuxétages, lamaisondevilleenbriques rougesparaissaitbeaucoupplusgrandemaintenantquelorsqu’elleavaitdécidédemettreàexécutionceplanmalpréparéetdetraverserlapelousepoursefaufileraussifurtivementqu’unevoleusedansl’ombredel’édifice.Iln’enrestaitpasmoinsquel’excitationliéeaufaitdevivreunegrandeaventurel’avaitguériedetoutehésitationdedernière minute tandis qu’elle enfilait un pantalon noir retroussé emprunté ainsi qu’une chemiseassortieavantdepartirpourlamaisondevilleducomtedeSeabrook,dansMayfair.Elleglissa lesdoigtsentre lesplantesgrimpantespiquantesets’agrippafermementau treillis.Si
madame la duchesse, sa sœur, apprenait ce qui se passait ce soir, elle demanderait à ce qu’on luirapportesatêtesurunplateau.Elle s’obligea toutefois à continuer. Elle ne pouvait pas s’en empêcher. Elle était parcourue de
frissons d’excitation. Elle n’était plus une dame respectable de bonne famille, mais plutôt uneaventurière libredescontraintes imposéespar lesrègleset lesrestrictionsde lasociété.Dumoins,pourcettenuit.Etellenelaisseraitnilacraintenilebonsensluigâchersonaventurescandaleuse.Nivueniconnue,lelendemain,ellerentreraitànouveaudanssescorsetsetsesbas.Lamondaine,
sinontoutàfaitrespectable,LadyNoëlle.À titred’expérience,Noëlle,quientendait soncœurbattreà tout rompredanssesoreilles, tendit
l’orteilverslafenêtre.Unefoisquesonpiedeuttrouvéunendroitstable,ellelâchaunemainpours’agripperaureborddelafenêtrecommesisavieendépendait.Sielletombait,ellerisquaitplusquedes fractures ou même la mort ; si on la trouvait vêtue en garçon en train de s’introduire pareffraction dans la demeure du couple Seabrook au beaumilieu de la nuit, le scandale causerait àjamaissaruineauxyeuxdelanoblesse.Samèrel’enterreraittellementloinàlacampagnequ’elleseflétrirait,sedessécheraitetcraquerait
commeunemargueritenégligéeprivéed’eauetdesoleil.Noëllegrimaçaet,desamaingantée,écartaunebranchefeuilluedesonmenton.Lamortseraitpréférableàlahonted’êtreenvoyéeenexil.Siellechutait,elleprieraitpourtomber
latêtelapremièreetmourirsurlecoup.—J’ysuispresque,murmura-t-ellepours’encourageravantdeglisserlepiedsurl’étroitrebord.Une farouchedéterminationàmettre sonplanà exécution lapoussa à continuer.Très lentement,
ellesedéplaçadoucementversladroite,frôlantlabriqueavecsonventre,reconnaissantedufaitquelamaisondevillesoitfortheureusementsilencieuse.Selonlesrumeurs, lecomteétaitàBathavecsonépouse.CeladonnaitàNoëllesuffisammentde
tempspourrendrelecolliervoléetéviteràBlisslaprisonou,pireencore,lapendaison.LabelleBliss.Cettefilleavaitautantdebonsensqu’unâne.Noëlle sourit d’un air désabusé. À cet instant, les deux étaient manifestement plus intelligents
qu’elle.Nilacourtisanenil’ânen’étaientsurlepointdecommettreuncrimequipourraittrèsbienlaconduiredanslacellulevoisinedecelledeBlissàl’horribleprisondeNewgate.Maisilétaittroptardpourlesregrets.Elleyétaitpresque;lafenêtresombresedressaitdevantses
yeux.D’iciquelquesminutes,l’objetauraitétérendusansencombreetelleseraitenrouteverschezelle.Avecprécaution,elles’appuyasursonpieddroitafindetesterlasoliditédurebordettenditlamain
vers la fenêtre.Elle chuchota une brève prière, posa lesmains à plat sur le cadre en bois peint etpoussa la fenêtre vers le haut. Une vague de soulagement l’envahit lorsque la vitre s’ouvritfacilement,produisantseulementunlégergrincement.
Elle n’aurait pas à chercher une deuxième ou une troisième fenêtre pour en trouver unedéverrouillée.Manifestement,monsieur le comtene s’attendait pas à cequequelqu’un entreprenneuneescaladesipérilleusepourluidérobersesobjetsdevaleur.Avecdiligence, ainsiqu’uneextrêmediscrétion,Noëllepassad’abord la têtepar la fenêtrepour
s’assurerquelapièceétaitdéserte,puiselles’introduisitprudemmentàl’intérieur.Dansl’obscurité,ellen’entenditriend’inquiétant.Pasderonflementsnidemouvementdansunlit.L’endroitétaitfortheureusement silencieux et elle prit une profonde inspiration apaisante pour soulager l’oppressiondanssapoitrine.SelonBliss,cettepièceoucelled’àcôtéétaitlachambreducomte.Lafillen’étaitpascertainede
laquelle il s’agissait parce qu’elle avait été distraite par les assauts lubriques du comte lors de sabrèvevisite.Bienqu’ilpossédâtuneautremaisondevillepluspetitepoursescourtisanes,lavanitél’avaitpousséàfaireentrer furtivementBlisssuruncoupde têtequelquesmoisplus tôt,alorsquesonépouseétaitpartieprofiterdeseauxapaisantesdeBath.Lesbrastendusdevantelle,Noëllefitprudemmentletourdelapièceàlarecherchedulitetdeson
couvre-lit bleu qui lui confirmerait qu’elle était dans la bonne chambre. Si elle voulait rendre lecollieretfairecroireaucomtequ’ilavaitseulementétéégaréetnonvoléparsonex-courtisane,elledevaitlelaisseràunendroitoùilpourraitle«trouver»facilementdèssonretour.Unetâchequiserévélaplusfacileàdirequ’àaccomplir.Lamauditepièceétaittropsombre!Mêmelalunerefusaitdecollaborer;ellerestaitbiencachée
derrièreunecouverturedenuagesorageux.Deséclairsaideraientcertainement,maisilsavaienteuxaussinégligédefaireuneapparitionpourtantattendue.Heureusement,Noëllemittrèspeudetempsàtrouverlelitmassifetencoremoinsàconstaterque
lecouvre-litétaiteffectivementbleufoncé,noiroumêmevertfoncé.Elleétouffaunsoupirexplosifetsoulevaletissujusqu’àsonnezpourlescruterdeprès.Elleétaitpratiquementcertainequ’ilétaitvert.Fichtre!Sansperdredetemps,Noëllelâchalecouvre-litettraversalachambreàl’aveuglette.Les
mainstenduesdevantelle,ellecherchaàtâtonsuneporte,puisl’ouvritdoucement.Unefoisdanslecouloir sombre, elle suivit lemur de droite jusqu’à la pièce suivante. Elle referma lamain sur lapoignée,puislatourna.Lepanneaugrinçadoucementlorsqu’ellel’ouvritetelles’immobilisa.Commeaucunealarmeneretentit,elleseprécipitaàl’intérieuretfermalaportederrièreelleavec
uncliquetis.Lapièceétaitencoreplussombrequelaprécédente.Peut-êtreaurait-elledûattendreunenuitdégagéedepleineluneavantdes’aventurerdehors.—Tupeuxyarriver,Noëlle,chuchota-t-elle.Trouvelelit,assure-toiquec’estlabonnechambreet
sorsd’ici.Elle tituba à l’intérieur de la pièce en faisant de grands moulinets avec les bras. Elle finit par
heurterunepetitetableettrouvalelitàcôté.Seulelapurechancel’empêchaderenverserunelampe.Ellesepenchapourscruterlecouvre-lit.Était-ilbleu?Lafrustrationl’envahit.Elleallaitdevoirletraînerjusqu’àlafenêtreetprierpourun
rayondeluneafind’enêtrecertaine.Refairelelitparlasuiteseraitaussidifficiledansl’obscurité.Silesfemmesdechambretrouvaientlelitdéfait,celaéveilleraitleurssoupçonsetellesrapporteraientl’incidentaucomte.SilesofficiersdelarueBowétaientimpliquésdansl’affaire,ellepourraitavoirdesérieuxennuis.Une telle situation nécessitait des mesures désespérées ; elle se préoccuperait du lit une fois le
collierrendu.
Noëllefitletourdulitpours’approcherlepluspossibled’unefenêtre.Àl’instantoùelleagrippaàpleinesmainslecoinducouvre-lit,unbrasjaillitsubitementdel’obscuritépourl’attirerbrusquementsurlelit!—Oh!cria-t-ellesèchementàl’instantoùellerebonditcontreuncorpsfermeavantdeseressaisir
etd’étoufferuncridefillette.—Lâchez-moi!dit-elledesavoixlaplusgrave.Unemainsecramponnaàsesfessesetellefuttiréecontreuntorsechaudetnu—untorsenutrès
masculin,àenjugerparleduvetquirecouvraitlasurfacefermeetmusclée.Latentativedeprendreunevoixmasculinefutrécompenséeparunriregrave.—Aucunhommen’auneodeuraussidoucenidescourbesaussiexquises,moncœur,marmonna
l’inconnuenguisederéponse.Maintenant,embrassez-moi.L’embrasser?Ellenevitrienquipuisseluidonneruneidéedel’identitédesonravisseur,maiselle
sentitsonsouffleauborddesonvisage.Ilfallaitquecesoitlecomte.C’étaitsademeure.Maisquefaisait-ilici?IlétaitcenséêtreàBath!Pense!Pense!—Monsieur lecomte, ceci est tout à fait indécent, réussit-elleà répliqueravecuncertaincalme
malgrésaterreur.Siellepaniquait,ellepourraittoutperdre:saréputation,salibertéetpeut-êtremêmelavie!— Je vais vous montrer, moi, ce qui est indécent, murmura l’homme avec un soupçon
d’amusementdanslavoix.Il enleva samaindes fessesdeNoëllepour laglisservers lehautde soncorpsdansune légère
caresseexploratoire.Ensuite,ilpassalesdoigtsdanssescheveuxtressésserrés,attirasatêteverslasienneetplaquamaladroitementsabouchesurlasienne!Noëlles’immobilisa,stupéfaite,lesbrascolléslelongdesoncorps.Seslèvresfermesremuèrent
dansl’obscuritéàlarecherchedelabonnepositionjusqu’àcequ’iltrouvel’endroitapproprié,puisilréclamapleinementsaboucheavecunbaisertorride.Illataquinaetlatourmentaavecsonodeurexotiqueetsonardeur;Noëllesentitsesmembresse
transformerenpurée.Troubléedesentirmonterenelleunevaguedefrissons,elleouvritlabouchepourexigerlafindubaiser.Plutôtquedelarelâcher,l’impudentinconnupoussasalangueentresesdents et le goût d’un alcool quelconque lui envahit la bouche. Toutefois, ce furent ses mainspuissantesquilatouchaientàdesendroitsoùiln’auraitpasdû,etnonsesviolentsbaisers,quifirentbasculerl’universdeNoëlle.Sous elle, le comte lui donna l’impression d’être puissant et sauvage, contrairement à tous les
autresnobleshommestièdesqu’elleconnaissait.Soussespaumes,lapeaunueducomteétaitchaudeetsoupletandisquedesmusclesdensesdécoupaientsacuisseferme.Une vague de désir propagée par des fibres liquéfiées s’empara du corps de Noëlle et elle se
détendit. Jamais auparavant on ne l’avait embrassée ainsi ! Il ne s’agissait pas d’un simple bisouaccidentelsurlabouche,maisplutôtdugenredebaiserquel’onéchangeaitavecsonamant.Levidesefitdanssonespritvirginaletsespaupièress’abaissèrentlorsqu’illafitroulersurledos
pourlarecouvrirpartiellementduhautdesoncorpsetpasserunejambepar-dessussescuisses.Pourquoinesedébattait-ellepas?Elledevraiteffectivementlefaire.Cependant,soncorpssemblait
réticentàlerepousser.Soudain,uneNoëllehorrifiéeserenditcomptequ’elleétaitpendueàsoncouetqu’ellel’embrassaitavidementenretour!—Sidouce,marmonna-t-ilenmettantfinaubaiseravantdedéplacersabouchesoussonmenton
poursefrotterlenezàlabasedesoncou.
Quelquechosechez lui,danssavoix, sonna fauxàsesoreilles.Heureusement,cela redonnaunecertaineréalitéàlasituation.Ellesentitunepointedemenaceémanerdecethommeetsutquesielleneselevaitpasimmédiatementdecelit,elleperdraitbeaucoupplusquesalibertédanscettechambreobscure.Il relâcha brièvement sa prise pour changer de position etNoëlle profita de l’occasion pour lui
donnerunefortepoussée.Lecomtetombaàlarenversesurlelit,suffisammentloinpourpermettreàNoëlledes’écarterdesousluietdesereleverpéniblement.Ellefonçadansunmeuble,unecoiffeuse,crut-elle,eteutsuffisammentdebonsenspoursortirlecollierdesapoche.Lacouleurducouvre-litn’avaitplusd’importance.Cettechambreétaitmanifestementcelleducomte.Elleentenditl’hommesehissersursespiedsetellelaissatomberlecolliersurlasurfacelisseavec
unbruitétouffé.Elleétaitàboutdesouffle,cequiavaitempiréavec l’attaque inattendueducomtecontresabouche.Elleétaitdésorientéetantparlebaiserqueparl’obscurité.Ellen’étaitpascertainedesavoiroùsetrouvaitlaporte.Toutcequ’ellesavait,c’étaitqu’elledevaitsortirdelàavantqu’illarattrape.Le bruit des pieds nus sur le sol s’éloigna et elle entendit l’inconnu se déplacer bruyamment
pendantuncertaintemps.Destisonsrougevifseravivèrentencrépitantetdesflammessemirentàlécher lebois,ou la tourbe,qu’ilvenaitde laisser tomberdessus.Lapièce fut rapidementbaignéed’unefaiblelueur.Noëlle savait qu’elle avait une chance de s’échapper si elle faisait vite. Elle jeta un coup d’œil
autourd’ellepour trouver laporteetseprécipitavers lepanneauenbois.Plusquequelquespasetelleseraitlibre!—Halte!ordonna-t-ilderrièreelle,surquoielles’immobilisabrusquement.Lentement,ellefitdemi-tour,lespoingslevés,etsepréparaàsebattretantpoursalibertéquepour
soninnocence.—Vousn’êtespasunedomestique,dit-ilenplissantlesyeux.Il l’embrassaduregardetsonregarddevintsuspicieux. Iln’yavaitaucuneexplication logiqueà
sonétrangeaccoutrementetàsonalluregarçonne.—Jesuistombésurunevoleuse.Lapeur engourdit lesmembresdeNoëlle et elle fut paralysée.Elle était sur le point de se faire
arrêter.Elleétaitunecriminelle,unevoleuseauxyeuxdelaloi.Aucunmagistratnelacroiraitsielledisaitqu’elleétaitvenuenonpaspourvolerlebienducomte,maisplutôtpourrendrecequiluiavaitétédérobé.Ildevaityavoirunmoyendesesortirdecettesituationdélicate.Pense!Lefeubrûlaplusfortetelleobtintunpremiervéritableaperçuducomteàmoitiénu.Elleeneutle
soufflecoupé.Bien qu’il portât un pantalon noir, celui-ci était déboutonné et tombait si bas sur ses hanches
étroites que c’en était scandaleusement indécent. Il était terriblement évident qu’il ne portait riendessous.Aumoindremouvement,lepantalonpourraitluitomberauxgenouxetlelaissersansaucunecouverture.Noëllerougitets’efforçadedétournerlesyeuxdel’étroitelignedepoilsoussataillequipointait
vers lebas afind’examiner leplusmerveilleux torsequ’elle avait jamais eu la chanced’observer.Bon, en vérité, elle n’avait jamais vraiment eu l’occasion de regarder un torse masculin de prèsauparavant.Sonexpérienceselimitaitàunbrefcoupd’œilaufilsd’unmétayerdansunchamp.Maiselle était tout de même convaincue que celui du comte était magnifique comparé à ceux d’autreshommes.
IlcorrespondaittrèspeuàladescriptionhâtivequeBlissluiavaitfaitedemonsieurlecomte.MaisBlissétaitpratiquementhystérique lorsqu’elle luiavait racontécequ’elleavait fait ;Noëlleprenaitdoncavecuncertainscepticismetoutcequ’elleavaitdit.Certes,cethommeétaitgrand,commel’avaitdécrit la jeunefemme,mais iln’avaitpaslemême
teintblafardquesesconfrèresdelapetitenoblesse.Sontorsesculptéétaitd’unbronzedorécommes’ilpassaittoutsontempsausoleilsanschemise.Sescheveuxétaientchâtainclairetlemêmesoleilquiavaitbrunisapeauyavaitlaissédesmèchespluspâles.Unepaired’yeuxcachésdansl’ombresousquelquesmèchesdecheveuxéparslaregardaittandis
qu’ilavançaitlentementverselleavecunegrâcefélinequiluifittremblerlesgenoux.Desonpointdevue,ilétaituneraretéquinesemblaitpasêtreàsaplacedanssonunivers.Pourtant,ellesavaitquelecomteétaitunmembrerespectéetrespectabledelanoblesse,unportraitquinecorrespondaitpasàlabeautésauvagedel’hommequisetenaitdevantelle.Son cœur fit un bond lorsqu’elle leva les yeux sur ses lèvres pleines, les mêmes qui l’avaient
embrassée jusqu’à lui couper le souffle quelques instants plus tôt. Elle recula tandis qu’ils’approchait,sonassuranceévidentedanslemaintiendesaparfaitesilhouettemasculine.Ce fut là qu’elle comprit ce que voulait dire sa sœur Éva lorsqu’elle expliquait les émotions
sensuellesquesonépoux,monsieurleduc,provoquaitenellequandillaserraitdanssesbras.Noëlleavait ressenti quelque chose pour cet hommependant qu’elle était étendue sous lui sur le lit,maisn’avaitpasvraimentcompriscedont ils’agissait.C’étaituneattirancesensuelleenversun inconnusansvisage.Uneattirancesensuelle?Àcetinstant,unplancommençaàprendreformedanssonesprit.Siellepouvaittrouverunmoyen
dedistrairelecomte,ellepourraits’échapper.Etiln’yavaitqu’uneseulemanièrepourunefemmededistrairecomplètementetparfaitementunhomme.Passerdutempsavecdescourtisanesluiavaitaumoinsappriscela.Ellecessadoncdereculeretattenditquelecomtesoitassezprèspourpouvoirletoucherentendantlebras.Noëlleaffichasurseslèvrescequ’elleespéraitêtreunsourireséduisant,puislevaunemainpour
la placer sur son torse. Il tressaillit sous ses doigts. Tandis qu’elle fixait sa bouche, elle dut sesouvenirdecontinueràrespirer.—Jenesuispasunevoleuse,monsieurlecomtedeSeabrook,ditNoëlleenbattantdescilseten
écarquillantlesyeux.Vousvousméprenezsurmesintentions.—Vraiment?Ilbaissalesyeuxsursesvêtementsettenditlamainpourtirersurl’étoffenoireàsataille,cequi
eutpoureffetdelafaireavancerd’unpas.—Vousêtespourtantbienvêtuecommetel,Milady.Ilétaitbeletbiendifficiled’expliquerlesvêtementsfoncés.Elledevaitdétournersonattentionet
vite.Lentement,Noëlledéplaçasamainvers lebassurson torseet lapeausouple frissonnasousses
caresses. La curiosité, l’anonymat et la peur d’être pendue lui donnèrent de l’audace. Il étaitmagnifique.Ellesedemandasisapeauavaitungoûtaussiexotiquequesonodeur.Uneboufféedechaleurvirginaleluienflammalesjouesetluiparcouruttoutlecorpsjusqu’àsesorteilsbottés.— J’ai entendu que vous étiez à la recherche d’une nouvelle courtisane et j’ai pris cesmesures
extrêmes pour être la première à vous offrir ces services, dit-elle avant de se lécher la lèvreinférieureduboutdelalangue.Jevoustrouvetrès,trèsséduisant.Ladernièrepartieétaitvraieetsortitnaturellementdesabouche.
Unepairedesourcilssehaussa.Ungrandsourireilluminalentementlevisagedel’inconnu,maisilne dit rien. Il tourna plutôt son attention vers la tête de Noëlle, où des mèches de cheveux doréss’étaient échappées de la tresse pendant sa dangereuse ascension. Il examina sa trouvaille avec unsourire.—J’aimeraisbienlesvoirdétachés.L’airfraisdelapièceluichatouillalapeau.Baissantlesyeux,Noëlles’aperçutqu’ilavaitdesserré
sachemisependantqu’elleluicaressaitletorseetqu’ill’avaitremontéedansl’intentiond’exposersapoitrine. Grâce à l’autre chemise en dentelle qu’elle portait dessous, ses seins étaient toujours, àpeine,couvertsetàl’abridesonregard.Noëlle s’efforçade rester calme lorsqu’il remontadavantage sa chemisepourprendre à pleines
mains ses seins fermes finement voilés. Ses mamelons durcirent sous ses paumes. Un souriremalicieux étira les lèvres du comte et Noëlle sentit sa bouche s’assécher. Elle brûlait d’envie del’embrasser à nouveau, de s’abandonner sans aucune retenue, de goûter à nouveau sa langue quis’emmêlaitaveclasienne.Encetinstant,aveccethomme,ellen’étaitpluslarespectableetbientôtvieillefilleLadySeymour,
maisplutôtlacourageuseaventurièrequigrimpaitauxtreillisetauxfenêtresaubeaumilieudelanuitafinderendreuncollieretd’embrasserminutieusementetsansretenueunséduisantinconnu.—Àquel pointme trouvez-vous séduisant ? lui demanda-t-il doucement en pinçant du bout des
doigtsunmamelonsouslafineétoffe.Elle étouffaungémissement.Ses jambesmenaçaientde céder sous elle etune sonnetted’alarme
résonnadanssoncrâne.Ilyavaitvraimentquelquechosed’étrangeàproposdecethommequin’avaitrienàvoirniavec
sonpouvoirdeséductionniavecleslibertésscandaleusesqu’ellel’avaitlaisséprendrepoursauversapeau.Pourtant,peuimporteseseffortsdeconcentration,ellen’arrivaitpasàmettreledoigtavecprécisionsurcequiéveillaitsessoupçons.Elles’appuyasurluipourmettrefinauxcaressesetscrutasesyeuxbleusrougis.Àcetinstant,elle
se rendit compte qu’il avait bu plus de quelques verres ce soir-là, suffisamment pour expliquerpourquoisavoixetsonapparenceluiavaientparuquelquepeufausses.Iln’étaitpasassezivrepourtituberoutomberàlarenverse,maissuffisammentpourqu’ellepuissel’utiliseràsonavantageafindes’extirperdecettesituation.Noëllesourit.Ellevenaitdetrouveruneportedesortie.—LapremièrefoisquejevousaivuàHydePark, j’aisuquejedevaisvousavoir,monsieurle
comte,mentit-elle.Lesdeuxmainssursontorse,ellelepoussadoucementetilreculaverslelitentraînantlespieds.Il
pritseshanchesàpleinesmainsetilssedéplacèrent,enlacés,enimparfaitesynchronie.—Lorsque j’aiappris la rumeurquiveutquevotrecourtisaneaitquittévotrenid, j’ai suque je
devaisvoustrouveravantquelesautresfemmesdécouvrentsafuite.Noëlleparlaitd’unevoixessoufflée,remplied’espoir.Ilbaissalesyeuxsursesseinsetgrogna.—Cesoir,j’ail’intentiondevousdonnerunaperçudemesnombreuxtalents.Puis,demain,nous
conviendronsd’unarrangement.Sonsourirecharmeurattiraleregardducomte.Ilfixaavidementsaboucheetsouritdetoutesses
dents.—Jedevraitoutvoir.—Bienentendu,monsieurlecomte,roucoula-t-elle.
Cetteaventurièrenesefiaitqu’àsoninstinctetauxbribesdeconversationqu’elleavaitentenduesentreBlisset lesautrescourtisanesausujetde la façondontsatisfaireunhomme.Cen’étaitpas lemomentdemontrersoninexpérience.Ilfallaitqu’ilcroiequ’elleétaitbiencequ’elledisait.Saviedépendaitdesestalentsdecomédienne.Heureusement,cethommen’étaitpasuncrapaudcouvertdeverrues.Lorsquel’arrièredesesgenouxheurtalepieddulit,ils’arrêta.DeshanchesdeNoëlle,ilglissales
doigtsverssesfessespourlesprendreàpleinesmains.—Paroùvoulez-vouscommencer,Milady?Nousavonstoutelanuit.Il se pencha pour poser ses lèvres dans le cou deNoëlle et desmoustaches lui chatouillèrent la
peau.Ellesoupirademanièreaguichante.—Parici?répondit-elleendescendantlamainjusquesursongrosmembreenérectionsousson
pantalon.Sesjouess’enflammèrentdevantl’audacedugeste.Ellelesoupçonnad’êtreconsidérécommebien
membréetdenepasavoirbesoindebourrepourqu’ilensoitainsi.Ses sensibilités de vierge innocente firent place à une curiosité demoins enmoins dissimulée à
mesurequ’ellecaressaitlabosse.Àquoiressemblaitunsexemasculinenérectionvudeprès?Était-ce douloureux la première fois qu’un homme pénétrait une femme ? Finirait-elle par s’habituer àavoirquelquechosed’aussigrosenelle?Ledeuxièmegrognementducomtefutplusprofondquelepremier.Ilsuivitlacourbedesajoueen
lamordillantetsonsoufflechaudluichatouillalapeau.—Vousvenezdepasserausommetdelalistedemesmaîtressespotentielles.Sesjouesrougiesétaientuneindicationnettedesoninnocence,maisellepriapourqu’ilsoittrop
avinépourleremarquer.—J’aibienapprismonmétier,monsieurlecomte.Unecourtisanenerougiraitpasenexcitantunhommeavecsamain.Sacuriosité inconvenantela
poussaàcontinuer.Cachéederrièrelemasqueparfaitqueluifournissaitl’anonymat,Noëllesesentaitcarrémentmalicieuse,absolumentscandaleuse.Elle ferait n’importe quoi pour éviter la prison — même masturber le comte si cela pouvait
l’empêcherdefairevenirlesofficiersdelarueBow.Sespaupièressefermèrentet,pourlapremièrefois,ilchancelasursespiedsnus.IlposaunbaiseraucoindelabouchedeNoëlle,quidutenappelerà toute sa volonté pour ne pas tourner le visage et accepter le baiser. Le garder debout s’avéraitsuffisammentdifficile.Noëlle réprima un sourire satisfait et appuya les deux mains sur son torse. Elle le poussa
doucementetiltombamollementàlarenversesurlelit.Elleneperdraitpasdetempsàattendrequ’ilronfled’ivresseavantdes’échapper.Lecollierétaitsurlacoiffeuseetilnepouvaitpasluimettrelebijoudisparuentrelesmains.Mêmes’ill’apercevaitlorsd’uneréceptionmondaine,ilneferaitpaslelienentreladamerespectableetlacourtisane.Lafaiblelumièreetlesombres,ajoutéesàsonébriété,l’empêcheraientdevoirLadySeymouretlacourtisane-voleusecommeuneseuleetmêmepersonne.—Bonnenuit,monsieur lecomte,dit-elledoucementen jetantunderniercoupd’œilàses traits
séduisantsetàsontorsefermetandisquelespaupièresdecederniercommençaientàsefermersursonregardflou.Ellefrissonnaderegrets.Puiselledisparut.
REMERCIEMENTS
Ilyabeaucoupdegensàremercierlorsd’unpremierlivre.Premièrement,j’aimeraisremerciermamerveilleuseagente,KevanLyon,quiaprisunrisqueensebasantsurunmanuscritinachevéparcequ’elleenaimaitl’idée.Grâceàsesencouragementsetàsaconfiance,jedoisdireque…nousavonsréussi!Deuxièmement,millemercis àma super éditrice,WendyMcCurdy, qui a accepté le livre d’une
nouvelleauteuretraitantd’unesauveusedecourtisanesetquim’aaidéeàréalisercerêveinsensé;jenepeuxpasexprimeradéquatementmagratitude.ÀDuane, quim’a encouragée pendant que je travaillais d’arrache-pied pour quemon livre soit
publié;sanstoi,jen’yseraisjamaisarrivée.EtàPaige,ReganetEthan;vousêteslesmeilleurs.Àma sœurMichelle, qui a toujours su que je pouvais y arriver,même après avoir lumon tout
premiermanuscrit.Tu es géniale.Etmerci àGennypour son soutien, et aussi parce qu’elle est lameilleureagentepublicitairenonofficielledontuneauteurepuisserêver.IlnefautpasnonplusoublierderemercierPatti,StarretNicolepourleursbonsconseilsetleur
empressement à répondre à mes questions, et ce, à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit.Merci,lesfilles!Mais surtout, je dois remercier ma mère, Joyce, pour toutes les années passées à relire mes
manuscritsjusqu’àenavoirmalauxyeuxetparcequ’elleétaitconvaincueque,sijepersévérais,cecim’arriveraitunjour.Tesencouragementsn’ontjamaisfaibliettum’aspousséequandj’avaisbesoindemotivation.Commetuesmaplusgrandeadmiratrice,celivreestpourtoi.
BIOGRAPHIEDEL’AUTEURE
CherylAnnSmithestdevenueaccroauxromansd’amourhistoriquesàl’âgedequatorzeans,quandelleadécouvertpour lapremièrefois lecharmedesséduisantshérosengiletethauts-de-chausses.Lorsqu’elleadécidéd’écriresonpropreroman,elles’estrapidementdécouvertunenouvellepassionetelleestmaintenantauteureàtempspleind’histoiresd’amoursensuellesdel’époquedelaRégence.CherylhabiteleMichiganavecsafamilleetplusieursanimauxdecompagnie.Pourobtenirplusderenseignements au sujet de Cheryl ou de ses livres, vous pouvez visiter son site Web auwww.cherylannsmith.com.