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Copyright©2011CherylAnnSmithTitreoriginalanglais:TheSchoolforBridesCopyright©2016ÉditionsAdAInc.pourlatraductionfrançaiseCettepublicationestpubliéeenaccordavecPenguinGroup,NewYork,NY.Tousdroitsréservés.Aucunepartiedecelivrenepeutêtrereproduitesousquelqueformequecesoitsanslapermissionécritedel’éditeur,saufdanslecasd’unecritiquelittéraire.Éditeur:FrançoisDoucetTraduction:KarineMailhot-Sarrasin(CPRL)Révisionlinguistique:FémininplurielCorrectiond’épreuves:NancyCoulombeMontagedelacouverture:MatthieuFortinIllustrationdelacouverture:JimGriffinMiseenpages:CatherineBélisleISBNlivre:978-2-89767-191-4ISBNPDF:978-2-89767-192-1ISBNePub:978-2-89767-193-8Premièreimpression:2016Dépôtlégal:2016BibliothèqueetArchivesnationalesduQuébecBibliothèqueetArchivesCanadaÉditionsAdAInc.1385,boul.Lionel-Boulet,Varennes(Québec)J3X1P7,CanadaTéléphone:450929-0296Télécopieur:[email protected]:ÉditionsAdAInc.France:D.G.DiffusionZ.I.desBogues31750Escalquens—FranceTéléphone:05.61.00.09.99Suisse:Transat—23.42.77.40Belgique:D.G.Diffusion—05.61.00.09.99ImpriméauCanada

ParticipationdelaSODEC.Nousreconnaissonsl’aidefinancièredugouvernementduCanadaparl’entremiseduFondsdulivreduCanada(FLC)pournosactivitésd’édition.GouvernementduQuébec—Programmedecréditd’impôtpourl’éditiondelivres—GestionSODEC.CatalogageavantpublicationdeBibliothèqueetArchivesnationalesduQuébecetBibliothèqueetArchivesCanadaSmith,CherylAnn[Schoolforbrides.Français]L'écoledescourtisanes(L'écoledescourtisanes;1)Traductionde:Theschoolforbrides.ISBN978-2-89767-191-4I.Beaume,Sophie,1968-.II.Titre.III.Titre:Schoolforbrides.Français.PS3619.M583S36142016813'.6C2016-940054-9

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CHAPITRE1

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—Désormais,vousneporterezplusderobequilaisseparaîtrelamoindretraced’unearéole,unboutdecuisseoun’importequelleautrepartiedevotrecorpsquedevraitnormalementrecouvrirunsous-vêtement.MademoiselleÉvaBlacks’arrêta,impatiente,lorsquedesfroissementsdemousseline,decrinoline

etdesatintrahirentplusieurspairesdemainsquisetendaientpourremonterdesdécolletésindécents.L’ombredescouronnesrondesd’aumoinsunepairedepointesroséesdisparutdelavuederrièredeladentellerigide.—Unhabillementdécentestlepremiersigneextérieurd’unedame,ainsiquelapremièrerèglequi

doitêtreetquiserarespectée.Ellesoupira,résistantàl’enviedetirersurlehautcoldesarobeenlainegrisequilapiquait.Dans

lachaleurdusalon,elle se sentaitpriseaupiège sous les lourdesépaisseursde sa tenuedevieillefille.Il fallaitde ladéterminationpournepasenlever la robeet la jeteràcoupsdepiedscouvertsde

chaussons dans le feu surchargé. Comme la pluiemartelait la fenêtre, en ouvrir une était hors dequestion.Elleallaitvraimentdevoirdonnerdes instructionsplusclairesà ladomestiquequantà lanécessitéd’allumerunfeulorsquelamatinéeétaitchaude,àmoinsqueperdreconnaissancenesoitàl’ordredujour.Les prochaines heures flottaient devant elle, tel un brouillard lugubre et urticant ; pourtant, Éva

continua. Sa souffrance n’avait pas d’importance.Elle devait constamment donner l’exemple à cesjeunescourtisanesquisetournaientversellepourobtenirdesconseilsetunechanced’êtrelibéréesdeleursituationdésespérée.—En exposant ses seins, poursuivit-elle, on peut s’attendre à ce que tous les dépravés dans un

rayondequatre-vingtskilomètresarriventaupasdecoursepourjeteruncoupd’œil.Ils’agitd’unesituation inacceptable que j’ai l’intention de modifier au cours des prochaines semaines. Si vousvoulez que j’aie une chance de trouver un époux pour chacune d’entre vous, vous devrez vousconduirecommedesdames.Sadéclarationfutaccueilliepardavantagedegloussementsainsiqu’unevaguedechuchotements.

Lesjeunesfemmesmirentuncertaintempsàsecalmeravantdetournerànouveauleurscinqpairesd’yeuxcurieuxversÉva.Elleéloignasesonglesdesoncoletposa lesmainssursesgenoux.Unedamenegigotaitpasetnelaissaitpasnonplusparaîtresoninconfortenpublic.Évaétaittoujoursleportraitmêmedelasérénitéféminine,etce,mêmesiellen’étaitpasunedame,nidenaissanceniparalliance.Le livre de LadyWatersham,Code de conduite pour jeunes femmes de qualité, dont Éva avait

avidementluetmémoriséchaquepage,énonçaitclairementtouteslesrèglesdeconduiteensociété.Elletransmettaitmaintenantcesconnaissancesàcellesquiavaientdésespérémentbesoindeconseilsetd’unechancedemeneruneviedifférentedecelleréservéeauxcourtisanes.Donc, elle ne gigoterait pas,même si les démangeaisons perturbantes étaient sur le point de la

rendrefolle.Éva,qui,pouruneraisoninconnue,n’étaitpasdanssonassietteaujourd’hui,eutl’impressionque

sonrigidemasquededroitureprenaitlaformed’unnœudcoulantinvisiblebienserréautourdesoncou.Pourunefois,elleavaitenviedegloussercommeuneidioteaveclesautresfilles,des’affalercontre le dossier du canapé en étirant ses pieds nus ou de se gratter le cou à l’instar d’un chiencouvertdepuces.

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Bienqu’ellen’eûtquevingt-troisans,elleavaitparfoisl’impressiond’enavoirquatre-vingt-trois.Elleavaitrenoncéàlafrivolitédelajeunesseauprofitdupoidsdesresponsabilités.Parfois,c’étaitpresquetroplourdàporterpoursesfrêlesépaules.— Mais comment le type pourra-t-il savoir ce qu’il achète s’il ne voit pas la marchandise ?

demandaRose,tirantÉvadesonautoapitoiement.Lapetite rousse ressemblait àunbonbonenveloppéde satin roseetde suffisammentdedentelle

pourcouvrirplusieursrobesdel’ourletjusqu’aucou.—Lamarchandise?répétaÉva.Le parfait visage en cœur de Rose devint sérieux tandis qu’elle semblait chercher la meilleure

façond’exprimersapensée.Ellehochafinalementlatête.—MademoiselleÉva,untypeveuttoujoursunaperçudecequ’ilachèteavantdesigneruncontrat.Les brillants yeux bleus de Rose étaient étonnamment innocents pour ceux d’une fille qui avait

passélesquatredernièresannéesauserviced’unducâgé.Uneboucletombaitdevantsonœildroit,cequi la faisait paraître beaucoup plus jeune que ses vingt et un ans. Cependant, la franchise aveclaquelleelleparlaitdesesexpériencessexuellesluidonnaitunairdécidémentmoinsqu’innocent.Pauline,uneplantureuseblondedevingt-sixansvêtuede jaune,hocha la têteensemordillant la

jointure.—Un homme paiera unmeilleur prix s’il aime ce qu’il voit sous un corset et une culotte. Les

bourgeoispréfèrentdeloinlesseinscharnusetlesarrière-trainsbienronds.Lecommentairefutémissiposémentqu’ilmituncertaintempsàsefrayerunchemindesoreilles

d’Évajusqu’àsonespritetàlasortirdesonmomentd’inattention.Elleseredressaunevertèbreàlafois,exaspéréequ’unefemmeeûtàsesoucierdecequ’unhomme,ouleshommespensaientdesonapparence. Si une femme avait envie de manger des pâtisseries jusqu’à ce que son arrière-traindevienneaussilargequelaTamise,elledevraitpouvoirlefairesansêtrejugéeparlagentmasculine.—À part Lord Fitz, intervint Rose en jetant un regard complice à Pauline avant qu’Éva puisse

répondre.Lesdeuxamieshochèrentlatêteàl’unisson,cequifitrebondirleursboucles.—Onditqu’ilaimequesesmaîtressesressemblentàdesvaletsetqu’ellesenrevêtentleshabits…

poursuivitRoseàvoixbasseaprèsavoirportéunemainouverteaucoindeseslèvres.—Mesdemoiselles,revenonsànosmoutons,intervintsévèrementÉva.Ayantdépassédepuislongtempsleseuildupetitmaldetête,elles’agrippaaupeudepatiencequ’il

lui restait auplusprofondd’elle-même.Toutcedontelleavait envie, c’étaitd’enfouir sa tête sousl’oreillerleplusprocheafindesecouperdelalumièreetdumonde.Gérer cette école, comme elle l’appelait, n’était jamais facile. Pas plus que cela ne l’était de

transformersescourtisanesendamesrespectablespourleurtrouverunépoux.Toutefois,l’importancedesauverlesjeunesfemmesd’uneviedeservitude,passéecouchéessurle

dospendantquedeprétentieuxmessieurslesmontaienttelsdesjockeyshaletantsetensueur,étaitlaprincipaleraisonpourlaquelleelleselevaitchaquematinettraversaitlavillejusqu’àCheapside.Chaque couple bien assorti lui procurait une vague de soulagement à l’idée qu’une femme de

moins termineraitses joursanéantieetcondamnéeàuneviedepauvretéetdedésespoirsilencieuxunefoisquesetariraitlafilederichespourvoyeurslubriques.Désormais, ces cinqcourtisanes sepermettraientd’aller au lit avecunhommeuniquementaprès

avoirétémariéesdevantunpasteuretaprèsavoirsignédesdocumentsafindelégaliserl’union.Elles’enassurerait.

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Bienqu’ellesentesoncœurbattredanssestempes,elletermineraitd’abordcetteintroductionauxrèglesavantdecongédierlesdamespourqu’ellesétudientlaleçon.Elleseprécipiteraitensuitechezelleafind’appliquerunecompressefroidesursonfrontetdefaireunelonguesiestesousdesdrapssoyeux.—Un homme devrait vous choisir comme partenaire en raison de votre intelligence, de votre

caractèreetde la joiequevous luiprocurez.Nonpaspourcequ’ilya sousvotrecorset,Pauline.Celadit,vousnedevrezplusjamais,sousaucunprétexte,porterhorsdulitconjugaldesétoffesassezfinespourqu’onvoieautravers.Éva balaya la pièce du regard et fut satisfaite de voir que toutes les femmes étaientmaintenant

décemmentcouvertes.— Promouvoir la marchandise en public n’est plus permis si vous avez l’intention de changer

votreconditionetdetrouverunpartenairerespectable.Desgrognementsperceptiblesetdeschuchotementsétouffésrésonnèrentànouveaudanslapièce

bleuemodeste,maisdécoréeavecgoût.Pour sescourtisanes, il étaitdifficiledechanger.Pourtant,Évaétaitpersuadéeque,d’icilafindumois,toutessesprotégéesrelèveraientledéfiproposé :elleseraitfièred’ellesetelles,d’elles-mêmes.—Croyez-moi,Mesdemoiselles. Lorsque j’aurai terminé votre instruction, vous n’aurez aucune

difficulté à trouver un époux, dit Éva. Et il accordera davantage d’importance à la force de votrecaractèrequ’àlacirconférencedevotrepoitrine.Paulineserralesmainssursesgenouxetsonvisagesetordit.Sestraitsdélicatslaissèrentparaître

plusieursémotions.Évaobservalajeunefemmetandisqu’unéclairdecompréhensionpassaitsursonvisageetquele

débutd’unenouvellemanièredepenserilluminaitsesbeauxyeuxnoisette.Lasatisfactionemplit lecœurd’Éva;unecourtisaneéclairée.Iln’enrestaitplusquequatre.Les cinq femmes étaient d’âges différents, provenaient de milieux différents et avaient reçu

différentstypesd’éducation.Delatêteauxchaussons,ellesétaienttoutesenveloppéesavecéclatdansunassortimentdeplumesetdeboucles rouges, roses,bleues,orangeet jaunes, tellesdespoulettesexotiquesquisepavanaientpourtrouverlecoqaveclequels’accoupler.Évaréprimaunfroncementdesourcilsenlescontemplanttouràtour,toutesperchéesensemblesur

lesdeuxcanapésauxmotifsderoses.Iln’yavaitaucunesourisgrisedanslegroupe.Les femmes avaient reçu la consigne de porter des vêtements simples sans parures cematin.La

prochainefois,elledevraitpeut-êtredonnerplusdeprécisionsquantàlacoupeetàlacouleurdelarobe.Sic’étaitlemieuxqu’ellespouvaientfaire,unejournéeàfairelesboutiquess’imposerait.En vérité, attirer l’attention d’un homme riche et bien vivant avait été, jusqu’à maintenant, leur

principale occupation. Et la première caractéristique était probablement plus importante que laseconde.—Maismonsieurleducaffirmequ’unefemmeestjugéeàsabeautéetàsesformes,ditRosed’un

airinnocentenlissantsesjupes.Etqu’éduquerunefemmeestunepertedetemps.Quetantqu’ellesaitsatisfaireunhommeetbiensetenir,ellen’abesoind’aucuneautreinstruction.Évaserenfrogna.—Monsieur le duc aurait besoin de quelques coups de cravache. Bien se tenir et satisfaire les

hommes,oui!Laprochainefoisquelevieuxschnockterendravisite,Rose,arrache-luisacannedesmainsetutilise-lapourl’assommer.Roseécarquillalesyeuxetseslèvress’étirèrentenréponseauxéclatsderiredesautresfilles.Une

étincelledemaliceilluminasonvisage.Detouteévidence,cettecourtisanenepartageaitpasl’avisde

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sonancienentreteneur.—Jecroisquec’estexactementcequejevaisfaire.Lemalheureuxentireraitleplusgrandbienet

sonépouseetsesenfantsseraientcertainementreconnaissants.Tandisqu’Évarestaitassise,honteusedes’êtrelaisséeemporterparl’arrogancedeshommesdela

noblesse,lesautresfemmesévoquaientplusieursmanièresdéloyalesdefairepayersonignoranceauvieuxduc.—Nous devrions transformer ce vieil étalon en hongre, dit doucement Abigail, dont les joues

rosirentsouslesmèchesdecheveuxchâtainsquiluiencadraientlevisage.Elle avaitvingt-quatre ansetpratiquait lemétierdecourtisanedepuisunan, soitdepuisque son

père,unmétayer,étaitmortaucoursd’unebagarrepourdétermineràquiappartenaituntroupeaudemoutons.Seulessabeautéetunecertaineéducationl’avaientempêchéedevendresescharmessurlesquais.—Unétalon?répétaRose,quiritensecouvrantlaboucheduboutdesdoigtstandisquesesyeux

lançaientdeséclairs.Unpoulainquitètesamèreestplusvigoureuxqueluienprésenced’unejument.La plaisanterie continua jusqu’à ce que le duc ait été verbalement réduit en purée, à la grande

satisfactionde toutes, saufdeSophie, qui avait l’air sévère.Bienqu’Évasoupçonnât ce groupe dejeunesfemmesenparticulierd’êtrecapabledemettreàl’épreuvelapatiencedesmagistratslesplusstoïques d’une Haute Cour, elle se rendit compte que leur compagnie lui plaisait. Avec toute lagrisaillequicaractérisaitsesjournées,lerireetl’absurditéconstituaientdesdistractionsappréciées.Elle réussit même à sourire en imaginant le vieux duc enduit de crème et couvert de plumes decanards.Toutefois,elleavaitdesleçonsàtermineretcen’étaitpaslemomentdesocialisersiellevoulait

respectersonhoraire.— Aussi amusant qu’il pourrait être de castrer le duc, nous sommes pour l’instant à court

d’instrumentschirurgicauxrouilléspourlefaire.Ellefitunepauseenattendantd’obtenirtouteleurattention.—Poursuivons.Jemaried’anciennescourtisanesàdesépouxdepuis troisanset jecomprendsà

quel point il est difficile pour vous d’abandonner vos habitudes de séductrices.Cependant, aucuned’entrevousn’aétéenchaînéeni traînée icideforcepourécoutermesenseignements,etvousêtestouteslibresdepartirquandvousvoulez.Haroldvousainformées,avantdevousemmenerici,quel’écoleestentièrementsurunebasevolontaire.Commevousavezpuleconstaterlorsquevousavezpassé la porte de cettemaison de ville, le robuste panneau en chêne n’est pas équipé de barreauxmétalliques.Un réseau secret de bouche à oreille avait conduit chaque femme jusqu’à la porte d’Éva de son

pleingré.LefaitquelaplupartdescourtisanestravaillaientdepuisleurplusjeuneâgereprésentaitundéfisupplémentairepourÉva.On leuravaitenseigné très tôtque lescomtes, lesducset lesbaronsaccordaient moins d’importance à ce qu’il y avait au-dessus du décolleté qu’aux trésors qu’ilspourraient trouver endessous.C’était son travaildechanger leursperceptionsde lavie etd’elles-mêmes.Leurscorpsn’étaientpas leur seul atout et,d’ici la findumois, chacunedescinq femmesconnaîtraitsajustevaleur.—Désormais,aucuned’entrevousnemontrerasesparties intimesàunhommeavant sanuitde

noces.Votrepasséestpresquederrièrevousmaintenantetvousêtesà l’aubed’unenouvellevie.Sivoussuivezquelquesrèglessimples,d’icilafindumois,vousserezprêtespourlemariage.Malheureusement,latâchen’étaitjamaisaussisimple.SurtoutpourcellescommeSophie,quiavait

pratiquélemétierdecourtisanependantdouzeans,depuis le jeuneâgededix-septans, lorsqueses

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parentsétaientdécédésetl’avaientlaisséesanslesou.Les femmesplus âgées commeSophie etYvette avaient joué les coquettes pendant si longtemps

qu’ellesutilisaientlaséduction,ainsiqueleurbeauté,pourconserveruntoitau-dessusdeleurtêteetgarder leurventreplein. Il étaitdifficilede se libérerd’un telpasséetd’accepter l’idéeque lavieoffraitd’autrespossibilités.MaisÉvaaimaitlesdéfisetcomptaituntauxélevéd’unionsréussies.—Ungentilhommen’apasbesoindevoirvospartiesdévoiléespourvousfairesademande.Sa

demandeenmariage.Elleregardatouràtourchaquefemmedanslesyeuxetpinçaleslèvres.—Sil’uned’entrevousestincapabled’imaginersonavenirentantqu’épouseconvenableetmère,

Harold avancera le carrosse. Je ne gaspillerai pasmon temps ni votre argent dans une entrepriseinutile.Les courtisanes se regardèrent les unes les autres, puis reportèrent leur attention vers elle.Elles

secouèrent toutes la tête à l’unisson. Deux blondes, deux brunettes et Rose la rousse. Toutes bienrémunéréesdans leurancienmétier.Certainesvoulaientdes enfants,d’autresvoulaient leurproprechez-soietd’autresencorevoulaientsimplementpartager leur litavecunhommeàaimer.Quellesquesoientleursraisons,Évaleurtrouveraitlepartenaireidéal.—Excellent.Commençons.Évas’approchadelabibliothèqueetpritungrosvolumesurl’étagère.Lesfemmesl’observèrent

sanscacherleurcuriositétandisqu’ellerevenaits’asseoirdansunfauteuilàhautdossier.—Désormais, les termesvulgairespourdésigner lesorganesgénitaux, lesseinset lespositions

sexuellesnevousservirontplusdesujetdeconversationenbonnecompagnie.Vousvousentiendrezàdessujetscommeletempsqu’ilfait, lapolitiqueoulamodeactuelle.Lequelm’importepeu, tantqu’iln’estpasimmédiatementsuiviparlamaind’unhommeenfoncéedansvotrecorset.Plusieursricanementssuivirent,maiscommeÉvanes’yjoignitpas,ilsseturentrapidement.— Vous apprendrez la bonne conduite, les bonnes manières ainsi que des façons intelligentes

d’engager la conversation, en plus d’apprendre à vous tenir toutes avec autant de grâce qu’uneduchesse.Évatournalelivrepourenmontrerlacouverturenoiredorée.Lesfemmeslefixèrentcommesiles

motsétaientécritsenlatin.BienqueseulelatimideAbigaileûtdumalàlire,cinqvisagesperplexesregardaientfixementlemotinscritengrandeslettresdoréesauhautdelacouverture.Époux.Lesyeuxd’Évas’adoucirentetellehochalatête.—Jevousprometsqu’unépouxestmaintenantàlaportéedechacuned’entrevous.—J’aimeraistellementavoirunépoux,ditAbigailensoupirant.Évasouritàlajoliejeunefemme.—Etunépouxtuauras,Abigail.N’eûtétélenombrerestreintd’emploisauxquelspouvaitaspirerunefemmedanscettesociétéetle

faitquelabeautédesesprotégéeslimitaitleurschancesdetrouverdutravaildansn’importequelledemeureoùrésidaitunépoux,ellen’auraitpaseubesoind’utilisersestalentsd’entremetteuseàcettefin.Éva elle-mêmen’était nullement intéressée par lemariage et considérait cette institution comme

affreusement archaïque. Mais ses demoiselles n’avaient vraiment aucun autre choix. Pour sescourtisanes,ceseraitdonclemariage.—Danscelivresetrouventdesinformationssurdeshommesquicherchentuneépouse,ainsique

leurportrait.Lefaitquevousnesoyezpasviergesneleurposeaucunproblème,ditÉvaenouvrantle

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livreavantde le tournerpourque lesfillespuissentvoir lepremiervisage.J’aidemandéàchaquehommederépondreàquelquesquestions.J’aiinscritlesquestionsetleursréponsesici,poursuivit-elle en pointant la page face au portrait. J’aimoi-même vérifié les informations. Chacune d’entrevous saura donc exactement quel genre d’homme elle choisit et ce qu’il attend de son épouse.Lorsqu’unhommetrouveuneépouse,nousl’enlevonsdulivrepourqu’iln’yaitaucuneconfusion.Ellefeuilletalelivrejusqu’àunepageoùleportraitétaitnoirci.Ellegardaitcettepagedanslelivre

pourdonnerunexempledugenred’hommesqu’ellenetoléraitpas.—Leshommesquiabusentdesfemmessontimmédiatementrefusés,toutcommeceuxquiontdes

problèmes de boisson ou de jeu. Vous trouverez ici des hommes respectables qui cherchent uneépouserespectable.—Mais pourquoi voudraient-ils épouser l’une d’entre nous ? demanda Yvette, une brunette de

vingt-six ans aux yeux marron fatigués, en croisant les bras sur son ample poitrine, les sourcilsfroncés.Elleavaiteuhuitamantsaucoursdessixannéesoùelleavaitétécourtisaneetl’amertumequ’elle

éprouvaitfaceàsonsortselisaitsurlesdurstraitsdesonvisage.Elleseraitlaplusdifficileàmariersansuneffortsubstantieldelapartd’Éva.—Qu’est-cequinevapaschezeux?D’affreusescicatrices?Desdentspourries?Unmembreen

moins?—C’estvrai,acquiesçaPaulineenhochantlatête,cequifitfrémirlelongdesonvisagerondla

plumejaunefixéedanssescheveuxremontés.Leshommesn’épousentpasdesfemmescommenoussansquecelacachequelquechosed’horrible.Jeveuxunépoux,maisjenepourraispastolérerqu’untrolltorduauxmainsdifformesmetripotedanslesendroitssensibles.Éva redressa les épaules. Étrangement, les femmes qui se donnaient volontiers au plus offrant

exigeaientbeaucouplorsquevenaitletempsdechoisirunpartenaire.Ellegrimaça.Larobeurticantelarendaitirritable.ÉvidemmentquePaulineméritaitunpartenaire

agréable.—Jevousassurequecelivrenecontientpasunseultroll,maisilnecontientniducs,nicomtes,ni

roisnonplus.Ladurevéritéétaitparfoisexactementcedontcesfemmesavaientbesoin.Sielless’attendaientàce

qu’ons’adresseunjouràellesentantque«Lady»quelquechose,ellesseraientcruellementdéçues.—Leshommesdehautrangexigentqueleursépousessoientviergesetd’ascendanceimpeccable.Dumoins, jusqu’à ce qu’ils aient engendré un ou deux héritiers pour s’assurer que leur lignée

parfaite soit transmise à la prochaine génération. Après, ils installaient de jeunes femmes commecelles-cidansdesappartementsoudesmaisonsdeville, loinde leursépouses,afindes’adonneràleursjeuxlascifs.Le concept d’infidélité conjugale dégoûtait Éva. Une fois qu’un homme et une femme étaient

mariés, ilsdevraient renoncerà tous lesautres.Peut-êtreserait-ce lecassi lesunionsnaissaientdel’amourplutôtquedeconsidérationsfinancières.Ilétaitrarequ’uncouplesoitréellementamoureux.Mêmesic’étaitlecas,celanegarantissaitpas

unefinheureuse.Elleconnaissaitaussilecôtésombredel’amour.—Chacundeceshommesestaucourantdevotresituationgénéraleetachoisidefigurerdansce

livre,ajoutaÉvaaprèsavoirchassélespenséespeuréjouissantesquisebousculaientdanssonesprit.Elletournaquelquespagessupplémentairespourrévélerplusieursautresvisages.Certainshommes

étaientassezbeauxetaucund’entreeuxn’avaitdemainsdifformes.

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—Parmieuxsetrouventdesavocats,desmarchandsetmêmelebenjamind’unbaron.Jenecachepascequejefaisàmesclientsetjeleschoisisavecsoinenfonctiondelaperfectiondeleurcaractèreetdeleursécuritéfinancière.— Pourtant, ils cherchent des putes comme épouses, dit doucement Abigail en échangeant un

regardencoinavecYvette.Elletirasurlamanchedesarobebleueensoupirant.—Peut-êtredevriez-vousnousexpliquerleurraisonnement,termina-t-elle.Évane jugeaitpassesprotégéespour laviequ’ellesavaientmenée,carc’était souventde tristes

concoursdecirconstancesdésespéréesqui lesavaiententraînéesvers lemétierdecourtisane.Maisellen’arrivaitpasnonplusàcomprendred’oùprovenaitunetelleréticenceunefoisqu’ellesétaientsoussatutelle.Ellesvenaientàelle.Letempsqu’unecourtisaneatteignel’âgedeSophie,elleavaitdepuislongtempspassél’âgedela

primejeunesseetnepouvaitplusdemanderunaussibonprixpoursesservices.Envieillissant,elleserendaitsoudaincomptequesoncharme,sasensualité,ainsiquesonjoliminoisdéclinaientetquedejeunescourtisanesétaientprêtesàprendresaplace.C’étaitgénéralementàcemomentquelafemmedevenaitdésespérée.Si une courtisane avait eu le bon sens demettre de l’argent de côté pour l’avenir, elle pouvait

fermerboutiqueetdisparaîtredansunedouceretraiteoufuirsurlecontinentpourvivredenouvellesaventures.Pourd’autres,commecescinq-ci,quiavaientdépensélaplupartdeleursgainsenfanfrelucheset

n’avaientpaslesmoyensdeseretirerdansl’ombre,trouverunépouxdécentétaitleurseulechancedes’assurerunecertainesécurité.Évafermalelivre.—Lesraisonsvarientselonleshommes,répondit-elleens’enfonçantdanssonfauteuil,lelivresur

lesgenouxsoussesmainsposéesàplat.Certainsontdesaffairesàdévelopperetn’ontpasletempsde trouver une épouse potentielle et de la courtiser. D’autres voyagent beaucoup et cherchent unefemmeaventureusepourlesaccompagnerversdesdestinationsexotiques.—Oh!s’exclamaRoseensautillantsursonsiègeetenlevantlamain.J’adorel’aventure!Évahochalatêteensouriant.Lacoquinepetiterousseferaitunemerveilleusecompagneetépouse

pourplusieursdesesclients.Elleavaittoujoursl’enthousiasmeetlaprimejeunessedontrêvaientleshommes.—Excellent.J’enprendsbonnenote,Rose.Elledirigeasonattentionsurchacunedesfemmesàtourderôle.Leurbeauténedevraitconstituer

qu’undesaspectsqueleshommesconsidéreraientaumomentdeleschoisir,etnonpaslaseulenilaprincipaleraison.— En vérité, certains hommes ne cherchent qu’à épouser des femmes d’une grande beauté,

beaucoupplusbellequelegenredejeunesdamesquis’intéresseraientnormalementàeux.Ilsveulentunpaonàleurbrasetnonunmoineau.Pourceprivilège,ilssontprêtsàfermerlesyeuxsurunpassédouteux.Aucoursdumois,vouspourrezétudierlelivreetchoisirplusieurshommesqui,selonvous,feraientpourvousunbonpartenaire.Ensuite,nousorganiseronsunefêteoùvousserezprésentés.Les courtisanes se turent. Elles savaient toutes que les hommes payaient chèrement les services

d’Évaetqu’ils’agissaitd’accordscommerciaux.Malgrétout,plusieursdecellesquiétaientpasséessous sa tutelle, ainsi que leurs prétendants, avaient fini par se marier par amour. C’était undénouementauquelbeaucoupaspiraient.

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—À ladifférencedevotre anciennevie, vous avez toutes le choix ici dans cettedemeure.Vouschoisissezl’homme,vousdécidezdugenredeviequevousvoulezmener,puisjevousprésentevosprétendants. Vous serez responsable de la façon dont la relation évoluera. Si vous refusez unpartenaire, nousvous en trouveronsun autre jusqu’à cequevous soyez tousdeux satisfaits et quenousconcluionsl’affairepardesvœuxdemariage.Dedouxsoupirsemplirentlapièce.—Çasemblemerveilleux,ditrêveusementYvette.Apparemment,mêmelacourtisanelaplusendurcieaspiraitàl’amour.Évapassalamainsurlelivreenpensantàlachancequecesfemmesavaientdenepasêtretombées

amoureuses de leurs bienfaiteurs.C’était arrivé à plusieurs de ses anciennes clientes et cela s’étaitterminépardescœursbrisés.Elle-mêmelaissaéchapperunsoupirsongeuretclignadesyeuxpourenchasserleslarmes.SiseulementCharlotteRoseavaiteuunendroitcommeiciversoùsetourneravantdetomberdanslepiègedel’amour,sonhistoireauraitpuseterminerdifféremment.Elle se secoua mentalement. Ce n’était pas le moment de se laisser entraîner vers de sombres

pensées.Aujourd’hui,l’époqueoffraitdenouvellesopportunités.—Bienquevosprétendantsn’aientaucunproblèmeavecvotrepassé,ilsexigenttoutdemêmeun

semblantderespectabilité.C’estlàquemesleçonss’avèrentinestimables,ditÉvaenregardantpar-dessusseslunettes.Ilsontdesmères,dessœursetdesfamillesquipourraientnepasvoird’unbonœilqueleurfilsouleurfrèreépouseuneanciennecourtisane.Àpartirdemaintenant,vousoubliereztoutcequevousavezfaitainsiquetousleshommesquiontdéjàréchauffévotrelit,etvousvivrezuneviemodeste.Sivousêtesincapablesdelefaire,vousêteslibresdepartir.Jeneforcepersonneàsuivremesdirectives.Àpartirdemaintenant,vousêtesentièrementresponsablesdevotredestinée.Un reniflement attira son attention, puis Rose éclata en sanglots. Pauline glissa vers elle sur le

canapépourluiprendrelamain.—Qu’est-cequinevapas,trèschère?demanda-t-elleensortantunmouchoirdesoncorsagepour

letendreàlajeunefemmebouleversée.Roses’épongealesyeuxenhoquetant.— Depuis que ma mère m’a jetée dehors à l’âge de dix-sept ans parce que son second époux

s’intéressaitàmoi,dit-elleensemouchantbruyamment,j’aitoujoursdépendudeshommespourtout.Sonderniermotavaitunetonalitéplutôtaiguë.—J’aifaitdeschosesquejen’osemêmepasconfesseràmonprêtredecraintequeDieum’entende

etqu’ilmefoudroie,poursuivit-elleavantdelaisseréchapperunpetitgémissement.Jenesaispassijepeuxm’occuperdemoi-même.Elleselaissaemporterparunevaguededouxsanglots.Abigailchangeadeplacepours’installer

del’autrecôtéd’elle.EllepassaunbrasautourdesépaulesdeRoseetémitdespetitssonsapaisants.—MademoiselleÉvavanousaider,ditSophieavec fermetédepuis l’autrecanapé.Et tun’auras

plusàsubirmonsieurleducavecsesmainsfroidesetsonmol…ElleregardaÉvad’unairpenaudets’éclaircitlavoix.—Elletetrouveraunhommeaventureuxquisaurat’aimercommetulemérites.Roseessuyaseslarmes,mesuraÉvaduregard,puishochalentementlatête.—Jedevraidoncluifaireconfiance.—Nousleferonstoutes,ditAbigail,etlesautreshochèrentlatête.Évaposalelivreàcôtéd’elleetselevatandisquemontaitànouveauenellel’espoirdevoirun

dénouement heureux pour cette classe. La démonstration de tendresse inattendue de Sophie envers

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Roseavaitvisiblementeuuneffetsurtouteslesfemmes.Ellesn’envisageaientpluscelacommecinqfemmesdifférentes,maisbienentantquegroupeunietsolidaire.En une seule effusion de larmes, Rose avait réussi à créer ce qui nécessitait habituellement des

joursoudessemaines:lacamaraderie.Évas’approchadeRoseet lafitse lever.Elle leva lementonde la jeunefemmeetregardadroit

danssesyeuxlarmoyants.—Tun’aspasàt’inquiéter,machèreRose.Quandj’enauraiterminéavectoi,tuserascapablede

t’occuperdetoi-même.Unsourirehésitantsurleslèvres,Rosehochalatêteetlaserrafortdanssesbras.Éva tressaillit,

maisselaissafaire.Lesautresfemmes,dontlebavardageexcitéétaitcontagieux,selevèrentpourlesencercler.Évaouvrait labouchepour la rassurerdavantage lorsquesonmajordome,Harold,entrapar la porte ouverte, l’air troublé. Éva s’extirpa doucement de l’étreinte de Rose et s’éloigna dugroupe.Soudain,unfroidglaciallapénétrajusqu’auxosetlafitfrissonner.Elleregardaverslesfenêtres,

certainequel’uned’elless’étaitouvertepourlaisserentrerdanslapièceétouffantelafraîcheurdelamatinée.Maisleschâssisétaientbienfermésetverrouillés,etleslourdsrideauxbleusnemontraientaucunsignedeflottement.Étrange.C’était ladeuxième fois cette semainequ’elle étaitparcouruedecemême froidglacial.

N’eûtétélefaitqu’elleétaitunefemmedetêtepeuenclineàselaisseremporterparsonimagination,elleauraitcraintquecettefroiduresoitlesignequ’unetragédieplanait.Balivernes. Elle secoua la tête pour clarifier ses pensées et fit face à Harold. Son intrusion la

déconcertaquelquepeu,carsesordresétaientclairs:ilnedevaitpasinterromprelesleçonsàmoinsd’uneurgence.Elles’approchadeluipournepasêtreentendueparlesfemmes.—Qu’ya-t-il,Harold?Est-ilarrivéquelquechoseàmamère?Ilsecoualatêteavecfermeté.—Non,mademoiselle.Harold la prit par le coude pour l’attirer vers la porte ouverte. Son majordome était grand,

approchaitlatrentaineetavaitlacarrured’unboxeur;ungardienparfaittantpourlaportedecettemaisonquepourcelledesademeure.Ilassuraitlasécuritédesfillesettenaitlapopulaceloindesonperron.EtÉvaluiconfiaitsessecrets.Toussessecrets.—Unhomme,ungentilhomme,estàlaporte,chuchota-t-ilaprèss’êtrepenchéverselle.Ilinsiste

pourvousvoirausujetd’uneaffaireurgente.Iljetauncoupd’œilendirectiondel’entréeetserenfrogna.—Lorsquejel’aiinformédufaitquevousnereceviezpasdevisiteursaujourd’hui,ilm’aditde

vousexpliquerquesijelerenvoyais,ilreviendraitavecdespoliciersdelarueBowpourvousfairearrêter.

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CHAPITRE2

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Unevagued’inquiétudesubmergeaÉva.Aucunhommeétrangenevenaitlavoiricisansinvitation,quecesoitaccidentelouvolontaire.Pasmêmesesclientsmasculins,quidevaientd’abordaccepterqu’on leur bande les yeux, puis qu’on les transporte dans un carrosse aux fenêtres noircies sousl’étroitesurveillanced’Harold.Cettemaisondevillequelconqueservaitde refugeaux femmesquichoisissaientde résider sous

son toit pendant leur instruction, car certaines fuyaient des entreteneurs violents. Leur sécurité,comme toujours, passait avant tout. Lorsqu’Harold était avec Éva, un autre majordome, Primm,montaitlagardepourlasoirée.Avoirunvisiteuràsaportequiproféraitdesmenacesétaittotalementinacceptableet,oui,troublant.Évaravalasonanxiétéetrassemblasoncourage.— Vous a-t-il présenté sa carte ou donné son nom ? murmura-t-elle à l’intention d’Harold,

heureused’êtrepratiquementcachéederrièresasilhouettemassive.— Non, murmura Harold entre ses dents, mais il ne s’agit pas d’un homme du peuple,

mademoiselle.Savesteàelleseuledoitavoircoûtéuneannéedesalaire.Un homme qui lui rendait visite sans rendez-vous et portait des vêtements dispendieux ? Ses

inquiétudessetransformèrentaussitôtenperplexité.Peut-êtres’était-iléchappédel’asile?Sic’étaitlecas,Haroldpourraittrèsbienlaprotéger.Maissesfillesetleurvieprivéedevaientàtoutprixêtreprotégéesdesyeuxindiscretsdesvoisins.

Ilseraitdésastreuxd’amenerunofficierdelarueBowàsaporte.—Jedevraidoncluiaccorderuneentrevue,dit-elleavecunsourireforcéavantdesetournervers

ses demoiselles. Je suis navrée de cette interruption,mais une petite affaire requiertmon attentionimmédiate.Mesdemoiselles, si vous voulez bien vous rendre à la cuisine,Doris,ma gouvernante,vousenseigneravotreprochaineleçon.Évaregardaparaderlesoiseauxauxplumageséclatantsquisortaientdelapièce.Unefoislaporte

delacuisineferméesursescourtisanes,Évasedirigeaversl’entréesuiviedesonprotecteurgéant,laseulepersonneenquielleavaitsuffisammentconfiancepourveillersurelleetsursesprotégées.Un an plus tôt, Harold s’était effondré sur le pas de sa porte, blessé par unmalandrin dans les

ruellesprèsdechezelleàMayfair.Ilétaitsale,hirsute,portaitdesvêtementsfaitsmaisondéchirésetsescheveuxblonds foncésétaientmaculésde sangàmoitié séché.Sanshésiter, elle l’avait installédanslesappartementsdesdomestiquesetavaitpansésesblessures,heureused’avoirquelquechoseàfairepours’occuperetrestersained’espritalorsqueledésespoircauséparladégradationdel’étatdesantédesamèremenaçaitdelasubmerger.Unliens’étaittisséentreeuxaucoursdesdeuxsemainesqu’avaitdurésoncombatpourlavie.Elle

ne lui avait jamais posé de questions sur son histoire et il ne lui avait jamais expliqué non pluspourquoi ilvagabondaitdans les ruesaumilieude lanuitni comment il s’était retrouvédevant saporte.Harold récompensait sa gentillesse par sa loyauté à toute épreuve et son amitié, ce qui luisuffisaitamplement.—Vousa-t-ildonnéquelqueindicationdecequ’ilvoulait?Évas’arrêtaetHaroldlacontournapourposerlamainsurlapoignéedelaporte.Ellescrutason

visagesévèreet,pourlacentièmefois,remercialecielpoursaprésenceréconfortante.Ilsecoualatête.—Uniquementqu’ilnepartiraitpasavantdevousavoirparlé.Leursregardssecroisèrentetl’estomacd’Évasenouadevantl’inquiétudepeintesursonvisage.—J’aiessayédelechasserenluidisantqu’ilavaitlamauvaiseadresse,maisilnem’apascru.Les

menacesontcommencélorsquej’aivoululuifermerlaporteaunez.J’aiunmauvaispressentiment,

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mademoiselleÉva.—C’est effectivement inquiétant. J’espère que l’homme n’est pas venu se faire rembourser les

vieillesdettesdemamère.— Un seul mot de votre part, mademoiselle Éva, et je l’assomme pour le jeter dans un fossé

quelquepart.Malgrél’urgencedelasituation,seslèvress’étirèrent.—Jenecroispasquecesoitnécessaire.Quelquechoseclocheetilestpréférablededécouvrirla

raisondesavisite.Elleserrasongrosbras.—Jeretiendraitoutefoisvotreoffreaucasoùsesactesnécessiteraientunemainferme.Haroldhochalatête.Malgrésanatureprotectrice,ilfaisaittoujourscequ’elleluidemandait.Elle

seressaisitdoncrapidementetrelevalementontandisqu’ilouvraitlaporteenlançantunregardnoiràl’intrus.—MademoiselleBlack,monsieur.Harold recula d’un pas, toujours à portée de main au cas où l’inconnu de grande taille décide

d’attaquerparsurprise.Le visiteur sortit de la pénombre sous l’orage et fit un pas vers la lumière qui jaillissait de

l’appliquedansl’entrée,puisils’arrêta,lesyeuxvoilésrivéssurelle.Leregardintenseetinsistantsous le chapeau trempé au rebord étroit la transperça.L’hommeétaitmanifestement furieuxqu’onl’aitlaissépoireautersouslapluie.Onauraitditunevipèreenrouléesurelle-mêmeetprêteàmordre.Évaretint son souffle. Le danger ainsi qu’uneénergie sexuelle hypnotique émanaient de chaque

pore de l’inconnu.À l’instar de celle du héros tragiquement beau et légèrement démoniaque d’unromangothique,sacapeclaquaitauventdanslafureurdelatempêtequiselevaitderrièrelui.L’intensitédesacolèrelamitmalàl’aise.Toutefois,ellen’allaitpasselaisserintimider.L’inconnulamesuraduregardenlaparcourantdehautenbasavantqu’elleneprêteattentionàlui.

Ilétaitimpossibledepénétrersonregarddésarmantpourliredanssespensées,maisÉvasoupçonnacelles-cid’êtredéplaisantes.—Quevoulez-vous?demandaHaroldpar-dessussonépaule.L’inconnuluilançaunregardnoir.Iln’avaitvisiblementaucunepatienceenverssondomestique.Il

l’avaitlaissédansl’oragesurlepasdelaporteetlefroidletransperçaitprobablementjusqu’auxos.Cen’étaitpasexactementleprotocoleappropriélorsquequelqu’unvousrendaitvisite,maisHaroldn’étaitpasundomestiqueordinaireetn’hésiteraitpasàsevengerendoucepourlesmenacesfaitesàÉva.—Jeneparleraipasdehorsainsi.L’hommeposaunebotteàl’intérieur.Surprise,Évareculaetfonçadansletorsemassifd’Harold.

L’inconnulafrôlaenpassantdevantelle.Àlafaiblelueurvacillantedel’applique,l’hommelascrutaplusattentivementtandisqu’unegrande

flaqued’eauseformaitsurleplancherverni.—VousêtesÉvaBlack?Intéressant.Letondesavoixnecontenaitaucunetracedechaleurquipuissecompenserleregardglacialdeses

yeuxverts.—Vousneressemblezenrienàl’imagequejemefaisaisd’unevoleuse,bienquejesupposequeje

n’aipasbeaucoupd’expérienceaveclesvoleursdusexefaible.Envérité,jesuisdéçu.Unevoleuse?Elle?Ellechassarapidementdesonesprit toutenotiondehérosgothiquedans la

landebalayéeparl’orageetlaissaerrersonregardcritiquesurlui.

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Bienqu’ilnefûtpasaussigrandqu’Harold,l’inconnuétaitplusgrandquelaplupartdeshommes.Ilétaitdrapéde laineet lapluieavait tachésesvêtementsdebonnecoupe.IlétaitévidentpourÉvaqu’ilnes’agissaitnid’unagentderecouvrementnid’unmarchandquiluirendaitvisite.De sa mâchoire carrée jusqu’au bout de ses bottes dispendieuses en passant par la forme

aristocratiquedesonnezlonguet,cethommereprésentaitleparangondelanoblessearrogante.Elleseredressadetoutesahauteur.—Jecrainsquevousayezatterridevantlamauvaiseporteetlamauvaisefemme,Monsieur.Jene

vousairienvolé.Sonexpressiondevintglaciale.—Croyez-vousquejemeseraisabaisséàvenirfrapperàvotreportedanscetoragemaudits’ily

avaitlemoindrerisquequejefasseerreur?Ils’interrompitetdirigeasonattentionsurHarold.—Mondétective amis plus de troismois à vous retrouver et je ne partirai pas avant que vous

m’ayezrenducequim’appartient.Plusletempspassait,pluslasituationdevenaitmystérieuse.Cequ’ildisaitn’avaitaucunsens.Mais

elle était réticenteà attirer l’attentionduvoisinageencontinuant cette conversationdevant laporteouverte.— Très bien, répondit-elle en ravalant un soupir d’impatience. Nous en discuterons dans la

bibliothèque.Éva fit demi-tour et guida l’inconnu dans le hall, puis jusqu’en haut de l’escalier. Elle s’arrêta

devantlaportepourlelaisserentrerdanslapetitepièceetsepenchaversHarold.—Assurez-vousquelesdemoisellesrestentoccupéesjusqu’àcequej’aieréglécetteaffaire.Haroldserenfrognaetserralespoings.Unseulmotdesapartetilsejetteraitsurlevisiteurtelun

chienenragé.Malheureusement,deseffusionsdesangruineraientlesplanchersreluisants.—Jen’aimepasvouslaisserseuleaveclui,grommelaHarold.Elleluitapotalebras.—Çaira.Gardezsimplementlesfemmeshorsdevue.Etdemandeauvaletd’attiserlefeulorsque

nousauronsterminé.Nouspourrionsfairedelaglaceicitellementilfaitfroid.Inspirant profondément, Éva se tourna pour affronter son adversaire. Il se tenait près de la

cheminéeet la regarda traverser lapièce.Elle s’assurademaintenirunedistance respectable entreeux,pourresterbienhorsdeportée.SansHarold,ellesesentaitvulnérable.—Maintenantquenoussommesseuls,pourquoinemediriez-vouspasquivousêtesetcequevous

attendezdemoi?luidemanda-t-elled’unevoixferme.Vousmemettezenpositiondedésavantage.L’inconnuenlevasacapemouilléeetlaposanégligemmentsurunfauteuilàhautdossier.—J’aimeconserverl’avantage,répondit-ilvivement.Jesupposequevousn’avezpasl’intentionde

m’offrirduthéetdesgâteaux,mademoiselleBlack?Lecommentairenarquoislamithorsd’elle.—Sivousaviezétéinvité,Monsieur,j’auraistoutprévupourunaprès-mididesconesaubeurreet

deplaisanteriespleinesd’esprit.Ilréponditparunsourirepincé.—Votreapparitionm’afaitdouterpendantuninstantquej’avaisétémalinforméetquej’étaisau

mauvaisendroit.Maisjesuismaintenantconvaincuquevousêtesbienlafemmequejecherche.Sans le volume supplémentaire que lui fournissait sa cape, il n’était pas aussi costaud qu’elle le

croyait. Cependant, il avait de larges épaules qui s’effilaient vers le bas jusqu’à une taille et deshanches étroites suivies de cuissesmusclées bien découpées sous un pantalon en cuir chamoisé. Il

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s’agissait d’unbeau spécimenmasculin, bienqu’elle se répétât que sonobservation était purementprofessionnelle,commelorsqu’onexaminaitlesdentsd’unchevald’attelageavantdel’acheter.—Monsieur,bienque jen’aie riencontre le faitde rester ici à échangerdes insultes avecvous

jusqu’à ce que le coq chante à l’aube, j’ai d’autres choses à faire. Je vous le demande donc ànouveau:quiêtes-vousetqu’attendez-vousdemoi?—JesuisNicholasDrake,ducdeStanfield.Sanssavoirpourquoi,ellereconnutimmédiatementlenometletitre.Peut-êtrel’avait-elleludans

lespagesmondainesou entenduparmi les ragots aumarché,mais la façondont il s’était présentérévélaitqu’ilnes’agissaitnid’unbaronmineurnid’uncocher,maisbiend’unducavectoutlesangroyalpourdonnerdupoidsaunom.Ilfitunepauseetbalayalapièceduregard.Danscecadresimpleformédemurscouvertsdepapier

peintvertpâle,devieuxlivrespoussiéreuxetd’untapisd’Orientusé,maissolide,surlequelreposaitunensembledefauteuilsassortis,saprésenceenvahissaitlapièceetécrasaitÉva.Unefoissonexamendelapièceterminé,ilseretournaverselleenlaregardantdehaut.—JesuisvenupourArabella.Sivousvoulezbienallerlachercher,nouspartirons.Arabella?—C’estdoncça?Lespiècesducasse-têtecommençaientàsemettreenplace.Sonnomluiétaitfamilierparcequ’il

était l’ancien amant d’Arabella. Selon elle, il était possessif et sans pitié, bien que trop généreux.Pourtant,iln’avaitjamaisdemandéàArabellacequ’elledésiraitetlaviedecourtisanen’étaitpassonchoix.Ellerêvaitd’amouretd’enfants.Monsieurleducnepouvaitluioffrirnil’unnil’autre.Ellenepossédaitnilavirginiténilalignéeparfaitenécessairespourêtresaduchesse.Samaîtresse,si.Sonépouse,non.Lorsqu’Arabellaavait tentédemettrefinàleurrelation, ilavaitbalayésesdésirsdureversdela

main et lui avait acheté une demi-douzaine de nouvelles robes, s’attendant à ce qu’une nouvellegarde-robel’apaise.Maiselleavaitsimplementattendulebonmomentpoursevolatilisersoussonnezarrogant.Labonnedécision,detouteévidence.Toutcequ’Arabellaavaitracontéausujetdemonsieurleduc

s’étaitavéré.Ilétait réellementsuffisammentpossessifet impitoyablepour la traquer.Lafilleavaitbienfaitdes’enfuir.—Jesuisnavrée,monsieurleduc,maisArabellan’estpasici.—Danscecas,dites-moioùelleest,mademoiselleBlack.Jeveuxlavoir.Elleestàmoi.— J’ai certainement mal compris, monsieur le duc. Venez-vous d’insinuer qu’Arabella vous

appartenait ? demanda Éva en écarquillant les yeux d’un air innocent. Est-elle l’objet que vousm’accusezdevousavoirvolé?—Arabellaestmienneetelleestsousmaprotection,répondit-il,etsamâchoirepulsa.Cetteaffaire

nevousregardepas,mademoiselleBlack.C’estentreArabellaetmoi.—Envoilàuneidéeabsurde,monsieurleduc!s’exclama-t-elletandisquesoncorpstoutentierse

crispait sous l’effet de la colère. Peut-être auriez-vous dû équiper Arabella d’un collier de chienincrustédediamantsetlagarderattachéeàvotrelitauboutd’unecordeaprèsl’avoirpromenéeauparcpourluifaireprendrel’airetfairedel’exercicecommeàuncanichebichonné!Ilseraidit.—Cette fille n’est pas un objet qui peut être acheté ouvendu commeune jument ou unevache,

poursuivit-elle. Il s’agitd’unepersonne,d’unêtrehumain.Elleétait libredechoisiruneautrevoiepourelle-même.C’estcequ’elleafaitetçanevousregardeplus.

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Desnuagesnoirspassèrentsurlevisageduduc.Ilfranchitlesquelquespasquilesséparaientetsedressaau-dessusd’elle,levisagedéforméparlacolère.—Arabellaestàmoi!Évarefusadeselaisserintimider.—Ellen’estpasàvous,monsieurleduc.Ellenevousajamaisappartenu.Dechaquecôtédelui,unegrandemainsecontractapuisserelâcha,commes’ilmesuraitlataille

ducoud’Éva.— C’est sa décision à elle seule, mademoiselle Black. Pas la vôtre. Dites-moi où elle est.

Immédiatement.Évasefigea.Monsieurleducn’auraitbesoinqued’uninstantpourluibriserlecoudesesmains

puissantesavantmêmequ’ellepuisseappeleràl’aide.—Jenelepeuxpas,murmura-t-elle.Ellen’estpasici.IndéciseàsavoirsielledevaitappelerHaroldous’enfuirparlaporteouverte,ellenefitnil’unni

l’autre.Peuimportecequ’illuiferait,elleneselaisseraitpasintimider.Ellenelaisseraitpasparaîtresapeur.Monsieurleducexpiraentresesdents.Àcet instant,ellevitdanssesyeuxquelquechosedeplusprofondqu’unhommequicherchaità

récupérersonbien.Avantqu’ellepuissetrouverdequoiils’agissait,sonvisageserefermaetilpassaunemaindanssescheveux.Detouteévidence,iln’étaitpasprèsderisquerdesannéesenprisonpouravoirlachancedel’étrangleràmort.Elleattenditensilencequ’ilseressaisissetoutenespérantqu’ilretrouveunpeudebonsens.C’était

unhommeintelligent,unhommesensé,bienquesansscrupules.Unefoisqu’ilauraitcomprisqu’ilavait perdu la partie, il rentrerait dans sonmanoir, panserait ses plaies et passerait à la prochaineconquête.— Si c’est de l’argent que vous voulez, j’en ai suffisamment pour vous racheter la fille,

mademoiselleBlack,dit-ild’unevoixgraveetferme.Votreprixseralemien.Évalefixaduregard.Ellecomprenaitqueleshommesdehautrangprennentdesmaîtresses,même

si elle méprisait cette pratique qui remontait à des centaines, voire à des milliers d’années. Cetteinstitutionn’étaitpasprèsdechangerenraisondesonopinionsurlesujet.Maisquecethommeluioffredel’argentpourracheterArabellaravivasacolère.— Monsieur le duc, comment osez-vous venir ici pour me faire une offre aussi grossière ?

Arabellaestpartie,comprenez-vous?ElleaquittéLondrespournejamaisrevenir.VouspouvezdoncvousprécipiteràAlmack’s,auWhite’s,ouàn’importequelautreendroitoùvontlesducspourboireet jouer, et oublier que vous l’avez connue. Elle n’est plus sous votre protection. Plus vite vouslaisserez tombercettepoursuitefutile,plusvitevouspourrez trouverunenouvellecourtisanepourréchauffervotrelit.Évasetintbiendroiteetlevalementon,telunminusculeterrieraffrontantuntigre.Peuimporteà

quelpointill’intimidait,ellenedétourneraitpaslesyeuxenpremier.Unseulsignedefaiblessedesapartetillamettraitenpièces.Dieumerci,ilnepouvaitpasvoirlesnœudsdanssonestomacnientendrelesbattementsrapidesde

soncœur.—Je la trouverai,mademoiselleBlack,dit-ilentresesdents.Lorsquecesera fait,elle reviendra

allègrementdansmonlitetoublieralessottisesquevousluiavezmisesentête.Il fallaitbeaucoupdevolontépourempêchersonpoingde le frapperenpleinsur lenez.Jamais

auparavantellen’avaitrencontréunhommeaussicontrariantetentêté!

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—Dessottises,vousdites?Quoi,qu’Arabellaaspireàmieuxquedeservirdejouetàunducetàletenirauchaud?Évalevalesmainsdevantelleaucasoùils’avancerait.—Etqu’adviendra-t-ildesonépouxetdubébéqu’elleporte?Tuerez-vouslecapitainepourélever

le bébé comme s’il était le vôtre ? Acceptera-t-elle la mort de l’homme qu’elle aime pours’empresserd’écarterlesjambespourvousparcequevousl’ordonnez,monsieurleduc?Monsieur le duc recula presque en chancelant, si un tel homme pouvait chanceler.On aurait dit

qu’ellevenaitdejeterdel’eauglacéedanslepantalondel’arrogantebête.—Arabellaestmariéeetattendunenfant?— J’ai vu le pasteur les proclamer mari et femme et une lettre reçue la semaine dernière m’a

confirméqu’elleattendunenfant.Cettefois,ellelutbeletbiendel’émotiondanslesyeuxdemonsieurleducavantqu’ilnedétourne

la tête.De la tendresse ?Des regrets ?Bien qu’il considérât qu’Arabella lui appartenait, l’hommeéprouvaitapparemmentdel’affectionpourelle.Celaexpliquaitsaquêtedésespéréepourlaretrouveretprouvait,aprèstout,qu’iln’avaitpasuniquementunmorceaudecharbonnoiràlaplaceducœur.Peut-êtreyavait-ilunêtrehumainsouscetteapparence froide,arroganteetprétentieuse?D’une

manière quelconque, Arabella l’avait touché. Peut-être y avait-il de l’espoir pour lui.Malheureusement,Évan’avaitniletempsnil’enviedetrouverunepellepourcreuseràlarecherched’humanitésouslescouchesdehautesociétéaristocratique.L’avenir réservait désormais à Arabella une vie en Amérique avec son époux, son bien-aimé

capitainedebateau.Monsieurleducallaitdevoirpasseràautrechoseetfairesaviesanselle.Mêmeluin’oseraitpasinterféreravecunmariagecélébrédevantDieu.—Commevouspouvezleconstater,monsieurleduc,vousnepouvezpaslareprendre,ditÉva.Je

suiscertainequesivousfaisiezconnaîtreàLondresvotredésirdetrouverunenouvellemaîtresse,lesjeunesfemmesferaientvitelaqueueàvotreporte.SiÉvas’attendaitàliredelarésignationdanssesyeuxlorsqu’illesrelevaverselle,ellefutétonnée

del’intensitédelacolèrenoirequ’elleytrouva.—Jamaisjen’oublieraicequevousavezfait,mademoiselleBlack.Danslapiècefaiblementéclairée,Éval’observa,pétrifiée,tandisqu’ilrécupéraitsacapeetlajetait

sur ses épaules. Il ne prononça pas un mot de plus lorsqu’il passa devant elle d’un pas raide nilorsqu’il atteignit le hall, puis l’escalier.De lourdsbruits depasmarquèrent sonpassage à l’étageinférieur.Elletressaillitlorsquelaporteenchêneclaquaderrièrelui.Quelquesinstantsplustard,lorsqu’Haroldrevintàsescôtés,il latrouvaclouéesurplaceetposa

unemainréconfortantesursonbras.Seslèvressetordirentd’inquiétude.—MademoiselleÉva,dit-ilensepenchantpourlaregarderenface,êtes-vousmalade?Vousa-t-il

faitmal?—Oh,Harold,répondit-elledoucementlorsqu’elleretrouvaenfinl’usagedesalangue.Ellefrictionnalachairglacialedesesbrasnusetsentitlemêmeétrangecourantd’airfroidqu’elle

avaitressentiplustôt.—Jecroisquejeviensdemefaireunpuissantennemi.

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CHAPITRE3

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Jurantdanssabarbe,Nicholasmontadanslecarrosseetclaqualaporte.Iltenditlebraspourtaperauplafondetlecochermitleschevauxenmarche.Il était aveuglé par la colère. Il avait perdu Arabella à jamais. Deux ans à la courtiser pour la

convaincredequitterlecomtedeSeabrook.Àpeineunanpassédanssonlit.Envain.Ilavaitmisdesannéesàtrouverlamaîtresseidéaleetelle luiavaitétéarrachéeparunevieillefilleauxtraits tirésincapabledesemêlerdesespropresaffairesetderesterendehorsdessiennes.—MademoiselleBlackvaregretterdem’avoircontrarié,jura-t-il.S’enfonçant sur son siège, il imagina Arabella et se remémora l’instant où il avait, pour la

premièrefois,posélesyeuxsursonjoliminois.Elleétaitdansunelogeprivéeentrainderegarderune pièce de théâtre quelconque, cachée dans l’ombre d’épais rideaux afin de ne pas choquer lessensibilitésdelanoblesseensemontrantenpublicaubrasdesonamant.Lesyeuxbleuspétillants,ellevenaitderireàuncommentaireamusantdeSeabrooklorsqu’elleavaittournélégèrementlatêteet croisé son regard. Le contact n’avait duré qu’un instant avant qu’elle se retourne vers soncompagnon,l’ignorantostensiblement.Maislepoissonavaitmorduàl’hameçon.Parrespectpourlecomte,ilavaitd’abordlimitésesentreprisesàd’occasionnelles rencontresen

publicainsiqu’àunbadinageléger.Ilavaitfiniparlapourchasseravecuneseuleidéeentête,sanssesoucierdelacolèredeSeabrook.Lorsqu’ill’avaitenfinfaitesienne,elles’étaitavéréetoutcedontilrêvait.Adorable,affectueuseetdéterminéeàplaire,tantdanslelitqu’endehors.Ils avaient ri et s’étaient amusés et, pendant la majeure partie du temps qu’ils avaient passé

ensemble,elleavait sembléheureuse. Il enétait convaincu.C’était seulementaucoursdesderniersmois qu’il avait senti chez elle une certaine fébrilité, qu’elle avait tenté de camoufler sous uneapparencedebonnehumeuretdepassion.Elleétaitdistraiteetexpéditivequandilluirendaitvisiteet,plusieursfois,ellel’avaitfaitattendreàsonarrivée.Lorsqu’ill’interrogeaitàcesujet,ellehaussaitsesépaulesparfaitesetl’attiraitaulitd’unbaiserpassionné.Puis,unmatinqu’ilarrivaitavecdesfleursetuncollierderubispourleurpremieranniversaire,

elleétaitpartie.Disparue.Lesdomestiquesétaientaussiperplexesquelui-même.Audépart,ilavaitcraintqu’illuisoitarrivé

malheur et avait envoyé un valet chercher un officier de la rue Bow. Puis il avait trouvé la note,rédigéedesonécrituredélicatesurduvélin.Elleleremerciaitpolimentpourletempsqu’ilsavaientpasséensembleetluilaissaitsescadeauxempilésaumilieudeleurlit.Tous ses cadeaux, jusqu’audernier rubis.Elle était partie uniquement avec les vêtements qu’elle

portait.Illuiavaitfalludesmoispourlatraquerjusqu’audernierendroitoùelleavaitétévue:unemaison

devillemiteuse àCheapsidedont la porte était gardéeparun colosse et qui était occupéepar unemystérieusefemme,aussisecrètequebanale.Éva Black. De taille moyenne, les cheveux d’un châtain insignifiant, les yeux d’une couleur

d’ambrefoncéderrièreunepairedelunettesdémesurées.Unpetitboutdefemmetellementpeudigned’intérêtquesansl’étincelled’Arabella,elleauraittoutaussibienpuêtreunmeublepoussiéreuxetdécoloréoubliédanslegrenier.Sarobeinformeenmousselinegristernecachaittoutetraceducorpsquisetrouvaitendessous.Comparée à Arabella, cette femme était une vieille mégère desséchée, une vieille fille qui ne

méritaitpassonattention.N’eûtétélefaitqu’elleluiavaitvoléArabella,ilauraitétéheureuxdefinirsesjourssansjamaiscroisersonchemin.

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Cequilemettaitleplusencolère,c’étaitlemépristotaldontelleavaitfaitpreuveenverssesdésirs,ainsiquel’airsatisfaitqu’ilavaitlusursonvisageetdanssesyeuxlorsqu’ellel’avaitassommé,ausensfiguré,aveclanouvellequ’Arabellaétaitmariée,avaitconsomméetattendaitunenfant.Pendant une fraction de seconde, il s’était demandé si l’enfant pourrait être le sien, mais avait

ensuite rejeté l’idée. Il était prudent avec toutes ses amantes et davantage encore avecArabella.Ladernière chose qu’il voulait, c’était que sa maîtresse idéale soit accablée du fardeau d’élever sonenfantillégitime.Cen’étaitpascommes’ilnevoulaitpasavoirunjourdesenfantsàqui transmettresonhéritage.

Seulement, il n’en voulait pas avec sa belle courtisane. Il voulait des enfants avec une femmesoigneusementchoisiepoursonorigineimpeccableetsonhautrangsocial.IlmauditencoreunefoisdanssabarbelasatanéemademoiselleBlacketsentitlacolèremonteren

luipouraigrirl’espoirqu’ilavaitnourriderécupérerArabellacetaprès-midi.Àquoiluiservait-ild’avoirdel’argentetuneréputations’ilnepouvaitpasempêcherunemisérablepetitemoins-que-riendes’immiscerdanssaviecommeunevoleusepourluivolerquelqu’unqu’ilchérissaitprofondément?MademoiselleBlackétaitmaintenantdans lamiredesonpistoletet il avait l’intentiond’appuyer

surlagâchette.Paslittéralement,bienentendu,maiselledevraitpayerpoursoningérence.Ilneseraitpassatisfaittantqu’elleneseraitpasdanslamisèreàquêterdanslesruespourdescroûtesdepainrassiesetàreleversesjupespourn’importequelhommeavecdel’argentsonnantdanslespoches.Un sourire s’afficha lentement sur son visage. Un tel destin malséant effacerait certainement le

sourirepincésurseslèvresdevieillefilleetéteindraitl’étincellehautaineetirrespectueusedanssesyeux.Lecarrosseralentit.—CollingwoodHouse,monsieurleduc.Chassantlesidéesdevengeancedesonesprit,ilregardaparlafenêtredesademeure,unblocen

pierresgrisesetenbriquesrougesdontl’entréeétaitencadréeparunepairedecolonnes.Lemanoirservaitde résidence familialedepuisdeuxcentsans, soitdepuisquesonarrière-arrière-grand-pèrel’avaitgagnélorsd’unepartiedecartes.Nicholass’étaittoujoursdemandésilevieilhommeavaittriché.Parmilanoblesse,lefaitqueson

ancêtre avait parfois enfilé lemasque d’un voleur de grand chemin pour reprendre ce qu’il avaitperdu au jeu n’était pas de notoriété publique, mais plutôt un secret de famille bien gardé. Touterumeurd’untelscandalen’avaitjustementétériendeplusqu’unerumeur.Drakeétaitl’undesplusanciensnomsd’Angleterreetfaisaitl’objetd’unegrandevénération.Tout

ancêtrequi aurait pu s’éloigner lemoindrementde lavoieducale appropriéepour s’engagerdansuneactivitéavilissantel’avaitfaitsouslecouvertdel’obscuritéafindenepassalirletitrefamilial.Pourtant, malgré tout l’argent et le pouvoir que Nicholas avait à sa disposition, ainsi que

CollingwoodHouse,iln’étaittoujourspasarrivéàrendreheureuseunecertainemaîtressequ’ilavaitentretenue.Peut-êtreserait-elletoujoursheureusesiellen’avaitpascroisélechemindemademoiselleBlack.

La femme lui avait sans doutemis en tête des idées qui n’avaient pas leur place là.Arabella étaitréellement satisfaite de leur arrangement. Il en était aussi sûr que de son propre nom. Et il étaitsatisfait.Ensoupirant,Nicholasdescenditducarrosseetmontal’escalierenpierre,hochantàpeinelatête

poursaluersonmajordome,Alfred.Alfredhochalatête.

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—Monsieurleduc.Toutes sortes d’idées diaboliques pour soutirer un lourd tribut à mademoiselle Black se

bousculaient dans la tête de Nicholas, toutes pires les unes que les autres. Dans la plupart, elleterminaitenchaînéeparlesmainsetlespiedsdansundonjonfroidethumidependantunanoudeux.Ilsavait toutefoisqu’ilnelablesseraitpasphysiquement.Ilnepouvaitpasallersi loin.Non,elle

devaitsouffrirautrement;d’unesouffranceprofonde,obscureetsournoisequinelaisseraitpasdetraces.Sonpère luiavaitenseigné l’art subtilde tourmenteret, l’espaced’un instant, il reconnut levieilhommeen lui. Ilbalayarapidementcetteassociation.MademoiselleBlackn’étaitpassamère.Cettefemmeméritaitd’êtrepunie.Cependant,ilavaitbesoind’aidepourmettresesplansàexécutionparcequ’unhommeprivilégié

nesesalissaitpaslesmainsàperpétrerdesactesavilissants.Ils’arrêtaàlaportedelabibliothèqueetsetournaversAlfred.—JeveuxquevousalliezcherchermonsieurCrawford.Dites-luiqu’uneautreaffairerequiertses

talentsparticuliers.Alfredhochasatêtegrisonnante.—Oui,monsieurleduc.Nicholas seglissadans labibliothèqueet seversaunverredebrandy.Le fauteuil encuiràhaut

dossierépousalaformedesoncorpstandisqu’ildesserraitsonfoulardetlaissaitlachaleurdufeuluiréchaufferunpeulesos.Cetendroitétaitsonfavorilorsquequelquechoseletroublait.L’odeurdes vieux livres poussiéreux, le portrait de sa mère au-dessus de la cheminée et les souvenirsd’enfance de son rire lorsqu’elle tirait un précieux livre d’une étagère l’emplissait toujours dechaleuretdesatisfaction.Sauf aujourd’hui. Rien ne pourrait soulager l’acidité de son estomac ni apaiser sa colère. Avec

Arabella installée, il avait commencé à chercher une future épouse dans la meute de débutantesfraîchementarrivéessurlemarchédumariagecettesaison.CollingwoodHouseavaitbesoind’uneduchesseetd’enfants.Ilyavaitbeaucouptroplongtempsquedesriresn’avaientpasrésonnédansseshalls caverneux et que des pas d’enfants n’avaient pasmartelé ses planchers enmarbre.Diable, iln’arrivait même pas à se rappeler la dernière fois que quelqu’un avait ri de bon cœur dans cettemaison.IlavaitéluLucyBanes-Doddcommelaplusintéressantedugroupedebellesetavaitcommencéà

fairedesavancespréliminairesàsonpère.Bienqu’ellefûtunpeutropfrivoleàsongoût,c’étaitunefilleattirantequidescendaitd’unelignéeimpeccable.AvecArabellainstalléepourréchauffersonlitetLucypourtenirsamaisonetportersesenfants,ilauraitputrouverl’immensesatisfactionquetoutsoitenordre,quesesplanssoientparfaitementorganisésetexécutésdelamêmemanièrequ’ilgéraittouslesaspectsdesavie:defaçonpropreetnette.Toutcelas’étaiteffondréavecladisparitiond’Arabella.—Mauditesoitcetteintruse,grommela-t-ildanssabarbe.La porte de la bibliothèque s’ouvrit et monsieur Crawford entra sans être annoncé. Grand et

robuste,ledétectivemisérablementvêtutraversalapièceàgrandspas,unevieilleblessureàlajambegaucheluidonnantunedémarchedégingandée.Bienqu’ilnefûtpaslegenred’hommequel’oninvitaitàprendrelethéenaprès-midi,Crawford

étaittrèsdouédanscequ’ilfaisait.Ilévoluaitenmargedelasociété,tâtaitdequelquesaffairespeuhonorablesetrestaitloyaltantquel’argentcontinuaitd’affluerdanssespoches.—Vousm’avezfaitdemander,monsieurleduc?

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—Vousêtesarrivéplusvitequejem’yattendais,réponditNicholasenindiquantunfauteuilenfacedusien.L’hommeselaissatomberdessusetétirasongenouendommagé.—Étiez-vousassissurlepasdemaporte?Crawfordsouritetbalayal’aird’unemaindélicate.—Jevenaisvousvoir,monsieurleduc.J’aicroisévotrevaletaucoindelarue.Jevoulaissavoir

sivotreconfrontationavecmademoiselleBlacks’étaitbienpassée.Nicholasfronçalessourcilsetlevasonverre.CrawfordavaitretrouvéArabellapourlui,maisleur

lienàcesujets’arrêtaitlà.Ilnejaseraitpassurleurrelation,pasplusqu’ilnerévéleraitaudétectivesarencontredésastreused’aujourd’huiavecmademoiselleBlack.Savieprivéeétaitjustementprivée.—Arabellanem’intéresseplus,dit-ild’untondédaigneux,tandisqu’illevaitlesyeuxversl’autre

enfronçantlessourcilspourqueleschosessoientbienclaires.Sonnomneseraplusprononcéenmaprésence.L’hommehaussalesépaules.—Bien,monsieurleduc.Satisfait,Nicholasjoignitlesmainsetlesportaàseslèvres.— J’ai une autre mission pour vous. J’ai besoin que vous trouviez le plus de renseignements

possibleausujetdemademoiselleBlack.Oùellevalorsqu’ellequittecetteaffreusemaisondeville,avecquiellepassedutemps,sielleadesdettesimpayées.Jeveuxsavoircombiendefoiselleclignedesyeuxouvaauxtoilettes.Tout.—Puis-jevousdemanderpourquoi,monsieurleduc?demandaCrawfordens’enfonçantdansson

fauteuil, cequi fit grincer le cuir.Cen’estpas legenrede femmeauquelunhommecommevouss’intéressehabituellement,monsieurleduc.—Non,eneffet.Son sourire s’effaça. Certainement pas. Si mademoiselle Black et lui étaient les deux derniers

humainssurTerre,ilferaitvœudecélibatousauteraitlatêtelapremièreenbasdelatourdeLondresavantdeluiaccorderunseulregard.—Mon intérêt envers elle n’est pas personnel. Ellem’a volé et j’ai l’intention de lui rendre la

pareille.Unsourires’affichalentementsurlevisageridédeCrawford.—Jevois.Près de la quarantaine, le détective avait vécu assez longtemps pour connaître Londres de

l’intérieurcommedel’extérieuretpoursavoiroùcreuserpourtrouvertoutessortesd’informationscroustillantes au sujet de n’importe qui. Il s’habillait comme un homme sans moyens, invisible,commec’était le cas.SimademoiselleBlackcachaitdes squelettesdans sonplacard,Crawford lesdénicherait.—Ça pourrait vous coûter cher, dit-il en se tapotant la tempe d’un doigt. Il a été pratiquement

impossible de débusquermademoiselleBlack pour commencer.Cette femme tient ses secrets biengardés.Nicholas balaya l’air de lamain.Quand il en aurait terminé avec elle, sa vie serait étalée sur la

placepublique.—Leprixn’aaucuneimportance.Jeveuxquecesoitfaitrapidementetdiscrètement.—Jem’ymetsimmédiatement,monsieurleduc,ditCrawfordenselevant,puisilhochalatêteet

se dirigea vers la porte en boitillant. Quand j’en aurai terminé avecmademoiselle Black, vous laconnaîtrezencoremieuxquesivousétiezsapropremère.

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Ilsortitenclopinantavecungrandsourire.Après un certain temps, Nicholas s’étira les jambes et enfonça les coudes dans les bras de son

fauteuil.Lavieillefilleluiavaittenutêtetelunclébardquigrogne,sesyeuxcouleurd’ambrechargésdemépris comme s’il n’était riendeplus qu’une immondicequ’elle venait dedécoller de sous sachaussure.Lorsqu’il en aurait terminé avecmademoiselleBlack, elle serait à quatre pattes à l’implorer de

fairepreuved’unpeudegentillesseetdeconsidérationpoursasituationdésespérée.Ilgloussaetseservitunautreverre.

Évamonta dans le carrosse et enleva ses lunettes. Elle se frotta les yeux du bout des doigts, puisenlevasonbonnetetentrepritlelongprocessusderetirerdesescheveuxlamultituded’épingles.Laroutinede la tâche simple ainsi que le ballottement du fiacre tandis qu’il roulait à travers les ruessoulageaquelquepeulatensionsoussonfront.Elleseraitbientôtensécuritéchezelle.Lajournéeavaitétélente,longueettroublante.Aprèsledépartdemonsieurleduc,elleavaittenté

de récupérer le temps perdu avec les jeunes femmes, mais s’était aperçue qu’elle avait l’espritailleurs.LafureurdanslesyeuxducauxdeNicholasDrakeluifaisaitcraindred’êtretombéedansunpanierdecrabesetd’affronterdedangereusespinces.C’étaitunhommepuissantavecdepuissantsamis.Ilpouvaitluirendrelavieimpossible.Malgré tout, Arabella était un bien à ses yeux. Il y avait à Londres beaucoup de belles jeunes

femmes qui n’attendaient que cela, être gâtées par un homme comme lui à coup d’argent et debabiolesenéchangedefaveurssexuelles.Unemaîtressecapricieuseneluimanqueraitcertainementpastrèslongtemps,peuimporteàquelpointillacroyaitimportanteàsesyeux.Enfindecompte,leshommescommeluinesesouciaientqued’eux-mêmes.—Pourtant,ilapassédesmoisàlarecherched’Arabella,murmura-t-elle.CelainquiétaitÉvaplusquetout.Visiblement,lafilleavaitunecertaineimportancepourmonsieur

leduc.Maisétait-celefaitqu’ellel’aitquittéqui l’avait tantperturbé?Ousesouciait-ilréellementd’Arabella?Oupeut-êtreenétait-ilamoureux?Évalaissatomberlesépinglesdanssamallette,puistenditlebraspourenleverlalourdeperruque.

Libéréede touteentrave,unemassedebouclesblond-roux lui tombasur lesépaulesetdégringoladanssondoscommeunecascadederayonsdesoleilenflammés.Tandisqu’ellecommençaitànattersachevelureetquelefiacredelocationcahotaitlentementvers

Mayfair, elle espérait que monsieur le duc prenne vite une nouvelle courtisane et les oublie, sonanciennemaîtresseetelle.Celal’agaçaitqu’illablâmepourladéfectiond’Arabella,commesielleavaitenlevélafillesoussonlongnezpourlatraînerdeforcedevantunpasteur.Arabellaavaitpriselle-mêmeladécisiondelequitter.Etellen’avaitaucunregret.—Siseulementmonsieur leducs’était renducompteàquelpointelleétaitmalheureuseous’en

étaitsoucié,ditdoucementÉvaenattachantunrubanbleuauboutdelanattelâcheavantderemettresonbonnet.Peut-êtrelerejetserait-ilmoinsdouloureux.Dès l’instantoù lecapitaineGreenhillet la filles’étaient rencontrés, ilsétaient tousdeux tombés

follementamoureux.Simonsieurleducsavaitquesacourtisanefréquentaitunhumblecapitainedebateauaméricain…

Ehbien,Évan’osaitpasimaginerquelleseraitsonopinionsurlaquestion.Lanoblessebritannique

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croyait commander le lever et le coucher du soleil et monsieur le duc ne faisait pas exception.CommentArabellaavait-elleosélequitter?CommentÉvaavait-elleoséinterférer?Elleavaitoséetneregretteraitjamaisnilajoied’Arabellanicelledesonbelépoux.D’unecertaine

façon,Éva enviait leur amour et leur bonheur.Elle ne croyait peut-être pas aumariage pour elle-même, mais elle était capable de se réjouir du plaisir qu’il apportait à d’autres personnes moinsblasées.La maison de ville était silencieuse lorsqu’Éva arriva chez elle peu de temps après,

émotionnellementàboutetépuiséeà forcedes’inquiéterausujetdemonsieur leduc.Aprèsavoiraccrochésacapesuruncrochetetenlevésonaustèrebonnetgris,elleprituninstantpourregarderautour d’elle dans le vestibule vert simple, mais élégant, et se jura de n’accorder désormais plusaucunepenséeauduc.Ilpouvaitragertantqu’ilvoulaitetsemerladestructiondanstoutLondres,ilapprendraitbienvitequ’ilnepouvaitpastoujoursavoircequ’ilvoulait,etce,malgrésonpouvoiretsarichesse.—Vousvoilà,mademoiselle,ditBessieensortantdupetitsalon.Le sombre voile d’inquiétude disparut de son visage rond et les rides autour de ses yeux

s’estompèrent.—Jecommençaisàm’inquiéter.Vousnerentrezpassitard,habituellement.—J’aiétéretenueparunesituationhorsdemoncontrôle,cequim’aretardée.Évaclignadesyeuxpoureffacerdesonespritleséduisantvisageduducetseredressa.—Commentvamamère?—MademoiselleCharlottesereposedanssachambre.BessieClarkvivaitavecsamèredepuispeudetempslorsqu’Évaétaitnée.Elleconnaissaittoutdu

passédeCharlotteainsiquedescirconstancesdelaconceptiond’Évaet,malgrécela,ellenejugeaitjamais.ToutcommeHarold,lagouvernantegardaitleurssecretsetveillaitsurlesdeuxfemmestelleunevraiemèrepoule.—Elleallaitbiencematin,maiselleaprisunmauvaisvirageaprèsledéjeuner.Jecroisqu’elle

s’estremiseàpenseràvotrepère.Elleavaitceregard.Évahochalentementlatête.Chaquefoisquesamèrepensaitàmonsieurlecomte,c’étaitcommesi

lesdixannéesécouléesdepuissamortn’avaientpasexisté.Elleentraitdansunétatdepseudo-transe,puissombraitdansuneprofondemélancolielorsqu’elleserendaitcomptequ’ilnereviendraitpaslavoir.Jamais.—Sivousvouliezbiendemanderàlacuisinièredenouspréparerunplateau,jevaisallerlavoir,

ditÉvaensedirigeantversl’escalier.Aussi fatiguéefût-elle,saprésenceréconfortait toujourssamère.Sielleétaitdans toussesétats,

seuleÉvapouvaitapaisersessouffrances.—Oh,peut-êtrepourriez-vousaussiyajouterquelquesgâteauxaucitron.Mamèrelesadore.—Bien,mademoiselle.Bienqu’ilfîtencorejour,lachambredesamèreétaitplongéedansl’obscuritéderrièrelesrideaux

tirésetmêmelesmursrosepâleoul’édredonrosetendren’arrivaientpasàégayerlapièce.Jadislapluscélèbredescourtisanesdesontemps,CharlotteRoseWinfielddormaitcaléecontredesoreillers,unnuagedebouclesblond-grisdisperséautourdesatêteetdesesépaules.Unelatteduplanchercraquasouslepiedd’Évaetlesyeuxbleusdesamères’ouvrirent.Unsourire

endormisepeignitlentementsursonvisage,donnantunaperçudelabeautéqu’elleavaitdéjàétéetqu’elleétaittoujours.—Évangéline.Monange.Vienst’asseoirprèsdemoi.

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CharlottelevalamainetÉvas’approchapours’installeràcôtéd’ellesurlelit.Ladouceodeurdel’eauderose,l’odeurcaractéristiquedesamère,luiemplitlesnarines.—Tusemblesfatiguée,machérie.Quandj’aiparléàtonpèreaujourd’hui,ilétaitd’accordpour

direquetutravaillestrop.Jesaisquetuaimesaidercespauvresfemmesdémunies,maistudoisaussifaireattentionàtasanté.La maisonnée, et sa mère en particulier, croyait qu’elle aidait de pauvres veuves à trouver un

emploi.SeulsBessieetHaroldconnaissaientlavérité.Lasociétéengénéralméprisaitlescourtisanesetlesfillesillégitimesdecourtisanes,alorssamèreetelles’étaientisoléesdansleurcoin,àl’écartdupassédeCharlotte.Àcausedel’histoiredesamèreetdescirconstancesdesaproprenaissance,Évaauraitdéjàplus

d’unetacheàsondossierauxyeuxdelasociétésilavéritévenaitàéclater.Lefaitqu’elles’abaissedavantage en aidant des courtisanes à améliorer leur sort, bien que certains puissent trouver qu’ils’agissaitlàd’uneoccupationhonorable,scandaliseraitlaplupartdesgens.Lasociétéconsidéreraitqu’elles’abaissaitenparlantàdesgensdesibasseextraction.L’ironie, c’était qu’à l’insu de ses connaissances et de ses nobles voisins, elle faisait elle-même

partie de cette basse extraction, car elle était l’enfant illégitime d’une pute. Bien qu’il s’agissehabituellementd’untristeétatdefait,Évatrouvaitlasituationplutôtamusante.Envérité,elleétaitsatisfaitedesonsort.Elleavaitsamère,unejoliemaisonsurunerueagréable,

ainsiquesontravailpourl’occuper.Quepourrait-elledemanderdeplus?—Jevaismereposercesoir,Mère.C’estpromis.Ellebaissalesyeuxsurlamaindélicatedanslasienne.Ellesformaientunedrôledepaire.Lamère

étaitdevenuelafilleetlafille,lamère.Lesrôless’étaientinverséslorsdecettehorriblematinéeoùlenotairedesonpères’étaitprésentéà laporte, lechapeauà lamain,avec lapirenouvellequ’onpuisseimaginer.Sonpèreétaitmortdansunhorribleaccidentdevoituresurunerouteglacéealorsqu’ilétaitenroutepourleurrendrevisiteparunenuitneigeuse.Charlotte,quiétaitdéjàfragile,s’étaitenfoncéedansunrecoinobscurdesonespritpendantprès

d’un mois. Si elle s’était nourrie, c’était uniquement grâce à la volonté de fer d’Éva. LorsqueCharlotteavaitfinalementémergédesprofondeursdesondeuil,Évaétaitdevenuelagardienneetsamère,pratiquementinvalide.Évaétaitpersuadéequesanssonenfantchérie,samèreauraitsuccombéàsonchagrinetsuivisonbien-aimédanslatombe.—Dieum’asourilorsqu’ilm’afaitcadeaudetoi,madouceÉvangéline,ditsamèreavecundoux

sourireenluiserrantlamain.T’ai-jedéjàracontécombientonpèreétaitheureuxquandjeluiaiditque j’attendais un enfant ? Jene l’ai jamais vuplusheureux.Aprèsdix anspassés ensemble, noust’avonsfinalementeue.—Jeconnaisbienl’histoire,Mère.Malheureux avec la femme acariâtre d’ascendance parfaite qu’il avait épousée, son père avait

choisisamèreparamour.Unamourqu’iln’avaitpasledroitdedonnertantquesonépouseetsesenfantsétaientàlamaison.Pourtant,Éval’avaitaiméavectoutel’innocencedel’enfance.Leperdreluiavaitbrisélecœuretellen’avaitjamaisvraimentréussiàenrecollerlesmorceaux.—Votreliaisonaétélaplusgrandehistoired’amourdetouslestemps,lataquinaÉva.Aussi grande qu’une histoire d’amour puisse être lorsque l’un des deux partis appartenait à une

autre.Samèresouritavecnostalgieetfermalespaupières.—Touteslesfemmesdevraientêtreaussiheureusesenamour.

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Lord Seymour et sa mère ne se souciaient guère de ce que la société pouvait penser de leurarrangement.Ilsvivaientets’aimaientavecleurcœur.Cependant,enfindecompte,Charlottes’étaitretrouvée toute seule pour élever une enfant illégitime avec une petite allocation mensuelle quiprovenait de la fortune de son père et qu’il avait jugé bon d’instaurer à la naissance d’Éva. Sonépousediaboliqueavaittenté,envain,depriverdiscrètementCharlotteetÉvadeleurhéritage.Comprenantfinalementqu’elleperdraitdevantlestribunaux,etqu’ellerisquaitd’êtredéshonorée

sur laplacepublique si elledonnait suiteà l’affaire,LadySeymouret lesdeuxdemi-sœursgâtéesd’Éva avaient disparu dans le Kent pour jouir de l’essentiel de l’immense fortune familiale sansjamaisrepenseràCharlotteniàÉva.EtÉvaétaitheureused’avoirlapaix.—Ilt’aimaitbeaucoup,tusais,monange.Charlotteouvritsesyeuxbleusetuneinfinietristesseenvoilalesprofondeurs.—Tuétaissonpetitamour,sontrésor.—Jesais, réponditÉvaenremontant lescouverturessur lesépaulesdesamère. Ilaétéunpère

merveilleux.Ilmemanquetouslesjours.Détournantleregard,Charlotteramenalesbrassursapoitrinetandisquesesyeuxexprimaientla

tristesse.Unefoisqu’ellecommençaitàseperdredanssessouvenirs,iln’yavaitaucunmoyendelaramenerauprésent.—Jevaisdormir,maintenant.Éva s’assit dans le fauteuil pendant un certain temps, jusqu’à ce que la respiration de sa mère

deviennerégulièreetqu’elles’endorme.Telétaitlerésultatdelamoitiéd’uneviepasséeàaimerunseulhomme.Samèresouffraitparamour,telunpersonnagedetragédie,seuledanssonlit,encoreàpleurer sonchevaliermort surune routesombrealorsqu’ilvenaitpasserdeuxnuitsdanssesbraspendantquesonépouseétaitpartierendrevisiteàdesparents.L’amour.Unétatqu’Évaavaitchoisidene jamaisexpérimentersi ledestindesamèredevait lui

servird’exemple.Elleavaitjuréilyalongtempsdenejamaisaimerunhomme,aucunhomme,silegrandamourseterminaitainsi.L’amournevalaitpasleprixàpayerlorsquelaviedel’unprenaitfin.Ellesedévouaitdoncàsamèreetàsescourtisanes,carcelles-cin’avaientpasdescrupulesquantà

l’amour et aumariage. Et elle était heureuse. Jamais un duc, ou n’importe quel autre homme, neviendrait la chercher aux confins de la Terre, obsédé par ce qu’il avait perdu et déterminé à laramenerdanssavieetdanssonlit.Aux yeux dumonde, elle était une pauvre jeune femme dont le père, un richemarchand, s’était

perduenmer.Elleprenaitsoindesamèreveuvequiavaitunefaiblesseaucœur—c’étaitdumoinsce que les voisins croyaient—, et restait dans son coin.CharlotteRose, jadis une belle et célèbrecourtisane, avait disparu depuis des années, peu après lamort de son amant, pour retomber dansl’anonymat et les spéculations. Personne ne pourrait jamais faire le lien entre lamère d’Éva et lacourtisane.Rejaillissantdescendresdesonpère,Éva,quiavaittreizeans,avaitvitegrandiauxcoursdesdix

annéessuivantesafindeleurforgerunenouvellevie,àl’abridesfantômesdel’ancienmétierdesamère.Etelleferaitn’importequoipourempêcherqueleurssecretsnelesdétruisenttouteslesdeux.

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CHAPITRE4

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—Jenecomprendspas.ÉvafixaitmonsieurSmith,sonnotaire,d’unairahuri,commesiuneénormeverruevenaitdelui

pousseraumilieudufront.Levisagedel’homme,blêmesousunetignassechâtain,étaitdéforméparl’inquiétude.—Lamaisondevilledemamèreétaituncadeaud’un,euh,ami.Elledevraitavoirétépayéeen

entierMonsieurSmithfeuilletaparmilesdocumentsfinanciersetensortitundudessousdelapile.Ille

glissadel’autrecôtédusecrétaireetelleleramassaduboutdesdoigts.—Cecidevraittoutexpliquer,mademoiselleWinfield,dit-il.Éva regarda l’en-tête en premier, puis la signature, afin de s’assurer qu’il s’agissait bien d’un

documentofficieldelabanque.Lentementetattentivementpourêtrecertained’ensaisirtoutlesens,ellecommençaàlireletextesoigneusementcalligraphié.Sielledevaitaffronterlaruine,ellevoulaitsavoirexactementcommentelleenétaitarrivéelàetpourquoi.Monsieur Smith disait vrai. À chaque mot qu’elle lisait, le sol s’effondrait sous ses pieds, les

précipitantsamèreetelledansunabysseobscur.—Malheureusement, ilyaquatreans,madameWinfieldamiscettemaisondevilleengarantie

pourunprêtd’unecertaineimportance,ditmonsieurSmithenposantuneautrelettreprèsdelamaind’Éva.Avantdeleprendre,elleexaminalepapiercommes’ilétaitimbibédepoison.—Jecroisqu’ellevoulaitacheteruncollierdesaphirsetdediamants.—Uncollier?Quelcollier?Évaportaunemainàsatempe.Ilyavaiteuplusieursachatsétrangesaucoursd’une

période de deux ans lorsque sa mère était au plus mal. Elle avait combattu une série de gravesproblèmesdesantéetsonétatmentalavaitsembléempireravecchacund’eux.— Un nouveau paquet était livré à la maison presque chaque semaine, seulement pour être

immédiatement retourné là d’où il venait, dit-elle. Des choses inusitées comme des plumesd’autruche, des chaussures pour homme et un chien à grosse tête qui avait l’air très étrange. Jecroyaisquej’avaistoutretourné.Ilsecoualatête.—Pastout,apparemment,mademoiselle.Nousnesavonsencorerienausujetdedettesrécentes.Il

y a aussi un bout de terrain près deYork. J’ai pris la liberté dem’informer de sa valeur,mais jecrainsquevotremèren’aitétédupéeparlepropriétaireprécédent.Iln’aaucunevaleur;ilesttrophumidepourêtrecultivé.MonsieurSmithluipassauneautrelettred’unemainhésitante.—Aveccesdeux-là etquelques autres facturespluspetites, cettemaisondeville est lourdement

endettée.Évaavaitenviedeleverlepoingdanslesairsetdepestercontreleciel,ouplutôtcontresamère,

unétageplushaut.Maissamèren’avaitpaslacapacitédecomprendrelesconséquencesdesesactesnid’yremédier.C’étaitàÉvadesedébrouillerpourlessortirdupétrinetdetrouverunmoyendesauverleurmaison.—MonsieurWellsleyauraitdûm’informerdecettesituationaussitôtqu’ilenaprisconnaissance,

ditÉva.Jen’arrivepasàcroirequ’illuiaitaccordéunprêtalorsqu’ilétaitaucourantdesonétat.JedoisparleràmonsieurWellsleyimmédiatement.DeuxtachesrougesapparurentsurleshautespommettessaillantesdemonsieurSmith.

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—MonsieurWellsley est parti enÉcosse après avoir pris sa retraite il y a un an. Son poste estoccupéparmonsieurTew.MonsieurSmithsemitàfeuilletersespapierspourévitersonregard.—Apparemment,lamajoritédesvieillesdettesdevotremèreontétérachetéesparunetiercepartie

anonymequiadécidéd’endemanderleremboursement.L’hommeexigequelabanquepaieetTewfaitfaceàunepressioncroissantepourleforceràvendrecettemaisonafindepayerlesfactures.Évaluttatantcontrelapaniquequecontreunmaldetêtepersistant.Ellelesimagina,samèreetelle,

toutesdeuxenseveliesdelatêteauxpiedssousunepiledefactures,entraindecontournerlesboîtesdesfollesdépensesdesamèreéparpilléesdanslehalltandisqu’onlesescortaitjusqu’àlaportepourfermeretcadenasserleurmaisonderrièreelles.—Que pouvons-nous faire ? demanda-t-elle d’une voix qui lui parut aiguë et affolée. Peut-être

pourrais-jeparleràl’hommequiaachetélesdettesetconveniravecluidequelqueplandepaiementmensuel?MonsieurSmithsecoualentementlatête,leregardprofondémenttroublé.Lafrustrations’insinuaenelle,teldusabledeplagelourdethumide.Elleavaitenviedebondirpar-dessuslesecrétaire,d’enroulersesmainsautourdesonmaigrecou

etdelesecouerjusqu’àcequ’ilclaquedesdents.Malheureusement,ilnefaisaitquesontravail.—Jecrainsquenon,mademoiselleÉva, répondit-ilensedandinantsurunpied,puissur l’autre

avant de reculer de deux pas sous son regard noir. Il a demandé à garder l’anonymat. Ilcommuniqueraavecvousentempsutile.L’envie de l’étrangler s’évapora. Il n’était que le messager, une marionnette en bois et en

rembourrage.Quelqu’und’autretiraitlesficelles.Ellebaissalatêteetsemassalestempesduboutdesdoigts.—Donc, jedoisattendrequ’ildécidedecequ’ilveut fairedenous?Mamèreestmalade.Vous

pouvezcertainementfairequelquechose.Iltorditlechapeauqu’iltenaitàdeuxmains.—Jevaisfairecequejepeux,mademoiselleWinfield.Ilmit lechapeaufroissésursa têteetquittaprestement lapièce, la laissantsurunclaquementde

queue-de-pie.Cenefutqu’àcemoment,lorsquelamaisondevintsilencieuse,qu’ellecédaauxlarmesetpleura

doucement.Commentcelapouvait-ilarriver?Elleavaitétésiprudente.Lorsqu’ellen’étaitpaslà,samèreétait

étroitementsurveilléepourl’empêcherdecauserdutort,soitàelle-mêmesoitàautrui.Pourtant,unjour,quelquepart,elleavaitréussiàlesfairesombrerdansungouffrededettes.Évaportalesmainsàsonvisageetessuyaleslarmesavecsesmanches.Ildevaityavoirquelque

chosequ’ellepouvaitfaire.Lepropriétairedesdettesavaitcertainementunpeudecompassiondanssoncœur.Ilnepouvaitpas

être suffisammentcruelpour jeter à la ruedeux femmesseules sansprotection.Celadit, c’étaitdecettefaçonquenombredecourtisanessetournaientverslemétier.CequidégoûtaitleplusÉva,c’étaitlahonted’avoirlaisséunteldésastres’abattresursafamille.

Elleavaitfaitdesonmieuxpourdissimulersamèreetlaprotégermalgrésamaladie.Elletrouveraitunmoyenderéglercelademanièresatisfaisante.Desjointuresfrappèrentàlaporte.Haroldl’ouvritetpassalatêteàl’intérieur.—MademoiselleÉva, ilyaunmessageràlaporteavecunelettre.Onluiadonnél’ordredene

parler qu’à vous, dit-il en fronçant les sourcils.Monsieur Smith vous a-t-il apporté demauvaises

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nouvelles?Ellesecoualatêteavecfermeté.—Mamèreadesdettestrèsimportantesetleprincipalcréanciermetdelapressionpourêtrepayé.Ellefitunpetitsourireforcé.—Nevousinquiétezpas.Cen’estrienquejenepuissearranger.Évasefrottalesjouesunedernièrefois,reniflaetpritquelquesprofondesrespirations.Elleseleva

dusecrétaireetsortitdelapièce.Àlaportesetenaitunhommeenlivréequ’ellenereconnutpas,unelettreàlamain.Unefoisqu’elleeutconfirmésonidentité,illuiremitl’enveloppeetpartit.—Dequivient-elle?Évatournal’enveloppepourfixerlesceauinconnu.Harolds’approchapourregarderpar-dessus

sonépaule.—Jen’ensaisrien.Elledéchiral’enveloppeetdéplialamissive.Lesmotsétaientsecsetallaientdroitaubut.—Ellevientdemoncréancier. Ilmedemandedevenir le rencontrer seuleà samaisondeville

dansuneheure,carnousdevonsdiscuterdeplusieurschoses.L’adresseestlà,enbas.Elle fut parcourue d’un frisson. Il n’y avait ni signature ni aucun autre indice de l’identité du

créancier.C’était suspect. S’il s’agissait d’un homme au caractère exceptionnel, il n’aurait pas besoin de

cachersonidentité.Visiblement,quelquechosen’allaitpasetelleavaitbienpeurd’êtresurlepointderencontrersonbourreau.—Vousnedevriezpasyallerseule,ditHaroldencroisantlesbras,cequifitgonflersesmuscles

soussaveste.Çapourraitêtreunpiège.—Unpiège?Commentcelapourrait-ilêtrepirequecequejedoisaffronterencetinstant?Mon

avenirenentierestentresesmains.Etceluidesamèreaussi.—S’ilveutquejerécuresesplanchersetquejerepriseseschaussettes,ceseraunbienfaibleprixà

payerpourgardernotremaison.—Aucunhommehonnêtenevousdemanderaitça.Haroldpritlanote,lalut,puislaluirendit.—Nousironsensemble.— Je dois y aller seule, dit-elle avec fermeté. Je dois découvrir la raison de son étrange

comportementetj’ail’impressionqueçaneluiplairaitpasquej’arriveavecungardeducorps.Ellereplialalettreetlaremitdansl’enveloppe.—Vousmeconduirez.Vousresterezaucoindelarue;j’iraiseule.Sijenesuispasderetourdans

undélairaisonnable,vousavezl’autorisationdedonnerl’assaut.Bienquevisiblementmécontent,Haroldferaitcequ’elle luidemandait. Iln’étaitpeut-êtrepasun

domestiqueausenslittéralduterme,maisilétaitsonemployéetilobéissaitàsesordres.—Jevaismepréparer,dit-elleenpassantlamaindanssescheveuxetensedirigeantversletiroir

quicontenaitsaperruqueetseslunettes.Rejoignez-moidehorsaveclecarrossedansunedemi-heure.

Évautilisaletrajetdecourteduréepourenvisagermentalementtouteslessituationspossibles.Sicethommeavaitdesintentionsmalhonnêtes,Haroldneseraitpasloin.Sisonplanétaitdelaruiner,elle

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voulaitsavoirpourquoi.Pourautantqu’ellepuissel’imaginer,ellen’avaitaucunennemiréel,carsonréseausocialserésumaitplutôtàunpetitpoint.Enfin,ilyavaitunennemipossible.Leducavaittempêtéausujetd’Arabellaetproférédesmenaces

voilées.Çanepouvaitpasêtrelui.Si?Monsieurleducétaitcertainementpasséàautrechoseaucoursdesdeuxdernièressemaines.Les

hommes de son envergure utilisaient les femmes, puis les rejetaient systématiquement. Certes,Arabellaétaitbelleetdouce,mais ilétait facilederemplacerunemaîtresseparuneautredansunegrandevillecommeLondres.Ilyavaitbeaucoupdejeunesfemmesprêtesàfairen’importequoienéchanged’untoitetd’unmoyend’échapperàleurexistencedésespérée.Un homme aussi viril que monsieur le duc voudrait avoir une femme dans son lit sans tarder.

Pourtant,ellenepouvaits’enleverdelatêtequec’étaitluiquilatourmentait.Ilétaitpartientrombe,encolère.Harold arrêta le carrosse comme elle le lui avait demandé et une dernière courte querelle s’en

suivit. Éva avait gagné, mais la victoire était dérisoire ; le dernier appel à la prudence d’Haroldrésonnaitdanssesoreillestandisqu’elleparcouraitàpiedladistancequilaséparaitdelamaisondeville.Il s’agissait d’un simple édifice de trois étages construit en grès, sans ornements excessifs. Les

plantes le long du trottoir n’avaient pas revêtu leurs couleurs printanières et la porte n’était qu’unsimplepanneauenchênesansgravurescomplexes.Auxyeuxd’Éva,quiavançaitdansl’allée,riennelaissaitdevinerl’identitédupropriétaire.Comparée aux résidences plus sophistiquées du pâté de maisons, rien ne montrait qu’elle

appartenaitàunhommefortuné.Évatapotasaperruquepours’assurerqu’elleétaitbienenplaceetajustaseslunettes.Sacapenoire

cachait une robe brune austère dont le col lui montait jusqu’au menton. Elle espérait avoir l’airredoutable,decraintequ’il lacroie facileà intimiderouqu’ils’imagineà tortqu’ellepouvaitêtredisposéeàpayersesdettesennature.L’estomacsolidementnouéetlesgenouxflageolants,elletenditlamainversleheurtoir.—JesuismademoiselleBlack.J’airendez-vousavecvotreemployeur,dit-elleàlafemmeàl’air

sévèrequiouvritlaporte.De profonds sillons creusaient son front et traçaient une ligne d’unœil à l’autre. Elle avait les

lèvrespincéesenuneligneétroite.Sonhabillementladésignaitcommelagouvernante.—Oui,suivez-moi.Visiblement, ladomestiqueavaitpeude raisonsde sourire.Sonemployeurdevait êtreunmaître

exigeant.Lenuagemenaçantau-dessusdelatêted’Évas’assombritdavantage.Évas’enfonçadanslamaisonderrièrelafemmeetmontal’escalier,passantdevantplusieurspièces

sursonchemin.Ladécorationfloralefavoriséed’unboutàl’autresemblaitavoirétéchoisieparunefemme, peut-être l’épouse du propriétaire.Cette pensée l’apaisa quelque peu. Si une femme rôdaitdanslesparages,l’hommerisquaitmoinsdemalseconduire.—Ici.Lagouvernanteguindée fronça les sourcils enattendantqu’Évaentredans lepetit salon,puis se

retiraprestement.—Attendez!s’exclamaÉva,maisilétaittroptard.

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Les portes se fermèrent devant elle, produisant un fort cliquetis. Elle s’attendit à ce qu’une clétournedanslaserrurepourlafaireprisonnière.Leseulsonqu’elleentenditfutlemartèlementdespasdelagouvernantequis’éloignait.Éva expira et examina la pièce autour d’elle. Les tapisseries, tapis, canapés et fauteuils étaient

couvertsdetissusauxmotifsderosesetdelierresdesorteàcréeruneexplosiondefleursrosesetrouges.Lesmursétaienttendusdepapierpeintrayévertetroseetplusieursvasesderoses,rosesetrouges,pâliesparletemps,occupaientchaquesurfaceplane.L’écœuranteodeurderosesquirégnaitdanslapetitepiècerendaitlarespirationdifficile.Elleavait

l’impressionqu’unecharrettedefleurss’étaitrenverséesurelletandisqu’ellemarchaitsurletrottoiretl’avaitenseveliesousunjardinfleuri.Manifestement, la maîtresse de maison avait des goûts discutables, mais suffisamment d’argent

pour acheter des fleurs hors saison. Quelques roses, d’accord, mais ça ? Comment pouvait-onrecevoir des amis dans une pièce aussi étouffante ? L’esprit ne pouvait se concentrer sur laconversationlorsqu’onavaitleslarmesauxyeuxetquedeséternuementsseprofilaientàl’horizon.Évaétaitsiabsorbéeparsacontemplationdumauvaisgoûtqu’ellen’entenditpaslaportes’ouvrir

derrièreelle.—C’estArabellaquiachoisiladécoration.Lavoixprofondelafitsursauteretellesetourna,pantelante.—C’estunpeuétouffant.Heureusementqu’elleavaitd’autrestalents.—Monsieurleduc.Soncœurs’emballa.Sespirescauchemarsseréalisaient.L’hommequipossédaitsesfactures,celui

àquielleappartenaitpratiquement,étaitlemêmequel’hommequiladétestait.Etdanssarage,ilavaittrouvélemeilleurmoyend’exercersavengeance:lachosequelesfemmescraignaientleplusdanscemondedominéparleshommes.Lapauvreté.Leducsetenaitdansl’encadrementdelaporteenbrasdechemise.Sonvisageféroceetséduisant

esquissaitunfroncementdesourcilssévèresouslesbouclesbrunesquiluitombaientnégligemmentsurlefront.Unpantalonencuirchamoiséenveloppaitsescuissesmuscléesàlaperfectionetlecolouvertdesachemiseblanchecommeneigelaissaitàpeineentrevoirunetouchedebouclesfoncées.Samasculinitébruteétaitsipuissanteetenvoûtantequ’ellefaillitoublierderespirer.N’eûtété la

hainequ’ellenourrissaitàsonégardetquitransformaitsonestomacenunemassedouloureuse,ellese serait facilement laissé prendre par son sort de séduction, sans doute à l’instar de beaucoupd’autresfemmes.Elleavaitenviedecourirjusqu’àlafenêtreetdel’ouvriràlavoléepourcrieràHarolddevenirla

secourir.Maiscelane lui servirait à rien.Elledevait écoutercequ’il avait à luidireet trouverunmoyendelessauver,samèreetelle.Ets’ildécidaitdel’étranglericimême,danscettepiècepleinederoses,Haroldétaittroploinpourl’arrêterdetoutefaçon.Heureusementqu’elleavaitchoisiunerobeavecuncolhautetraidequinuiraitàlastrangulation.

Seuluncollierd’épinesluifourniraitunemeilleureprotection.—Qu’attendez-vousdemoi?luidemanda-t-elled’unevoixaiguë.Elle vit son froncement de sourcils se transformer en un regard noirmalveillant.Un frisson de

peurluiparcourutlacolonne.Ilétaitlediableenpersonne.—JeveuxravoirArabella.Lesépaulesd’Évas’affaissèrent.Elleavaitenviedeselaissertombersurlefauteuilleplusproche,

mais craignait de paraître faible. Tout ce qu’elle pouvait faire, c’était bomber le torse et feindre

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l’assurance.—Jepensaisquecetteaffaireétaitréglée,monsieurleduc.Ilentradanslapièceetfermalaporte.—Ohoui,ellel’était.Vousêteslaraisonpourlaquelleellenepartagepasmonlit.Ilavançaversune fenêtreétroiteet l’ouvrit justeassezpourqu’unepetitebrise fassebruissersa

chemiseetsescheveux,maissanslaisserassezd’espacepourpermettreàÉvadetenterdes’échapper.Malheureusement.— Dommage, dit-elle, sans réussir à avoir l’air de sympathiser. Monsieur le duc, je suis

convaincuequevousn’avezqu’àleverlepetitdoigtenmarchantsurBondStreetpouravoirlechoixentreunebonnedouzained’aspirantesamantesenthousiastes,poursuivit-elleengrimaçant.Votre litneresterapasvidelongtemps.Sonvisagesefitdemarbre.Elle avait la triste impression d’être une souris qui se faisait malmener par un chat enjoué en

attendantqu’ilsedécideenfinàengloutirpoursonsouperlacréaturesansdéfense.Maissimonsieurleduclacroyaitsansdéfenseentresesgriffes,ilallaitavoirunesurprise.Ellelui

étaitpeut-êtreredevablefinancièrement,maisellen’étaitpasunepauvreidiote.Lesépreuvesdelavieavaienttransformésacolonneenacier.Cereversnesuffiraitpasàluibriserlemoral.Ellesedirigeadoncverslecanapéleplusproche,oùelles’assitenprenantbiensoind’étendresa

capeetsesjupesautourd’elleaussisereinementquesielleétaitinvitéepourlethé.Lorsqu’ellelevafinalementlesyeuxverslui,ellehaussaunsourciletjoignitlesmainssursesgenoux.—Jecomprends,monsieurleduc,quevousavezrachetémesdettes.Elleespéraitobtenirunindicedeceàquoiilpensait,maissonvisageétaitimpassible.—Peut-êtresouhaiteriez-vousmefairepartdugenredetourmentsauxquelsvousprévoyezdeme

soumettrepourcomblervotredésirdevengeance.Nettoyervospotsdechambre?Mejeterdanslesflaquesd’eaupourquevousn’ayezpasàsalirvosbottes?Nettoyervosécuries?Ellelefixadroitdanslesyeux.—Degrâce,nemetenezpasenhaleinepluslongtemps.

Nicholasobservalapauvrecréaturejouerlesbraves,maisellen’arrivaitpasàcacherletremblementdesesmains,etce,peuimporteàquelpointellelesserraitl’unecontrel’autre.Elleavaitpeurdelui,desesgrandsyeuxbleusinquietsjusqu’autressautementnerveuxdesajambesoussonaffreuserobemarron.Sanssongardeducorpspersonnelpoursedresserdevantelleàl’instard’unmurpourlaséparer

delui,elleétaitentièrementettotalementàsamerci.Etellelesavait.Si seulement il avait des menottes à faire cliqueter ou une cravache à taper contre sa botte. Il

réprimaunsourire.Ils’amusaitbien.—J’aiapprisbeaucoupdechosessurvousaucoursdesdeuxdernièressemaines,mademoiselle

Black.Sauverdescourtisanesdelaruine?Quelleidéeabsurde!Plusieursontchoisicettevoiepouréviter une vie de pauvreté éreintante. Préféreriez-vous les voir affamées et souillées à quêter desboutsdepainetdesgorgéesdebièredanslesruellessombres?—Il…Ilyad’autresoptions.

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—Commeêtrecouturière,damedecompagnieoudomestique?Ilrenâcla.—Combiend’emploisvacantsya-t-ilpourlamultitudedefemmesquiviennentchercherdutravail

en ville, mademoiselle Black ? Deux douzaines ? Moins ? Et que faire des femmes qui, commeArabella,attirentl’attentiondeshommes?Croyez-vousqu’uneépouseaccepteraitdelagardersoussontoitenprésencedesonépoux?—Jeneleuroffrepasunemploi,dit-elle.—Non,vousleurtrouvezdesépoux.—Vouspouvezvousmoquertantquevouslevoudrez,monsieurleduc,maisj’aieubeaucoupde

succès,répliqua-t-elle,unemainsurlecœur.Vousêtesunhommefortuné.Ilestfacilepourvousdenepasprendreausérieuxcequejefaispourcesfemmesdésespérées.Ellegagnaitunpoint,maisiln’allaitpasleluidire.Ilavaittoujourseutoutcequ’ildésirait.Illui

étaitdifficiledes’imaginerdevoirs’inquiéterdechaquemiettedenourritureoudetrouverunendroitoù s’abriter des dangers de la ville pour la nuit. En revanche, il n’avait ni le temps ni le goûtd’ergoteravecellesurlaconditionfémininealorsqu’ilavaitlatêteàlavengeance.Lavieillefilles’enfonçadanslecanapé,moinssûred’ellequ’auparavant.Elleétaittenduecomme

unressortetsemblaitprêteàbondirverslafenêtreouvertes’ilbougeaittroprapidement.Commeiln’avaitpasencoredéclenchélepiège,ilcroisalentementlesbrasetsebalançasursestalons.—Vousêtescurieusedesavoirpourquoijevousaifaitveniricietpourquoij’airachetévosdettes.

J’imaginequevouscroyezquej’aidesintentionsavilissantesencequivousconcerneetvousavezraison.Jenemesuispasemparédevosfinancesparégardpourvotrebien-être.Ilfitunepausepourregarderl’inquiétudegagnersesyeux.—Commevouslesavez,jen’aipasdemaîtressepourl’instant,etce,àcausedevousetdevotre

ingérence.JeconsidèrequecelavousobligeàremplacerArabella.Évaouvritlabouche,maisilcontinuaavantqu’ellepuisseprotester.—J’aicrucomprendrequeplusieursdescourtisanesquevousgardezàvotremaisondevillede

Cheapsideferaientparfaitementl’affaire.Ellesemitàbredouillertandisquesonvisagepâleprenaitdescouleurs.Ilréprimaunsourire.—Jevousdonneraiunelistedesqualitésquej’exiged’uneamante.Vouschoisirezunedesfemmes

pourmoietferezlesprésentations.—Jerefuse,s’indigna-t-elleenbondissantsursespieds.Commentosez-vousmeproposerquelque

chosed’aussiignoble?Cesfemmesontétésuffisammentutiliséesetbafouéespoursatisfairelesplusbasinstinctsdeshommes.Jerefusedevousenremettreuneauboutd’unelaisse,etce,peuimporteleprixàpayer.Ilhaussaunsourcil.—Oh,jecroisquevousleferez,mademoiselleBlack.Jevoustiensauborddugouffre,agrippée

parlesongles.Vousferezcequejevousdemande.—Vousdevrezd’abordmepassersurlecorps,répliqua-t-elleenrelevantlementon.Jerefusede

troquerunedemescourtisanespoursauvermapeau.Son stoïcisme l’étonna. La plupart des femmes seraient en larmes, mais pas cette vieille fille

guindée.Elleavaitdesortiesdanssaculotteetdesaiguillesdanssoncorset.Detouteévidence,ildevaitaugmenterlesmenacesd’uncrans’ilvoulaitlafairepleurer.—Etvotremère,mademoiselleBlack?Quelprixdevra-t-ellepayerpourvotrerefusdecoopérer

?Elleserralamâchoireetsonvisagedevintceluid’unetigresseféroce.

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—Laissezmamèreendehorsdeça,monsieurleduc.Manifestement, ilvenaitde toucherunecorde sensible.Elle semoquaitpeut-êtrede se retrouver

danslamisère,maisencequiconcernaitsamère,c’étaitunetoutautrehistoire.Lechatsortaitsesgriffes.Ilvalaitmieuxnepasluimontrerledosouelleluilacéreraitlachair.—Monoffreestsimple,mademoiselleBlack.Trouvez-moiunecourtisaneetjevousremettraivos

dettes.Sielles’avèred’abordunemaîtressesatisfaisante,bienentendu.Ils’interrompitpourobserversonregards’assombriretsonvisageprendreuneétrangecouleur

prune.—Vous pourrez ensuite être assurée que votremère vivra le reste de ses jours dans le confort

qu’ellemérite.—Vousêtesunhommedétestable.Ellebaissaletonetsavoixsebrisatandisquesesépauless’affaissaientlégèrementversl’avant.—Mamèreestmalade.Vouspouvezcertainement trouverunautremoyendeme torturer. Jene

peuxpasvousdonnerl’unedemesjeunesfemmes;ellesnem’appartiennentpas.Nicholasvitladéfaitesursonvisageet,pourlapremièrefois,remarquasespommettesdélicates

ainsi que les longs cils qui encadraient ses féroces yeux couleur ambre.Lemoment lui parutmalchoisipourconstaterqu’ilyavaiteffectivementunevéritablefemmederrièresonapparencebanaleetpasseulementunmannequinenbois.N’eussent été ses vêtements mornes et ses cheveux châtain terne, elle aurait pu être considérée

commemoyennement intéressante à regarder.Pas suffisammentpour attiser lespassions,maispasdésagréableàregarderpar-dessuslatableaupetit-déjeuner.Soudain, il trouva le moyen idéal de tourmenter mademoiselle Black et de lui faire perdre ses

manièresguindées. Il savait qu’ellen’accepterait jamaisde seplier à sesdirectives et, envérité, iln’avaitpaslemoindreintérêtenversaucunedesescourtisanes.Ilvoulaitsimplementvoirjusqu’oùilpouvaitalleravantqu’ellecraque.Derrière sa petite ossature fine se cachait plus de force de caractère que ce à quoi il s’attendait.

Même sans la protection du bull-dog géant qui lui servait de domestique, elle s’accrochait à sesconvictions.Non,ildevaitfairemonterlesenchères.Etilsavaitcommentlapousseràbout.—Peut-êtrepuis-jevousproposeruneautresolution.

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CHAPITRE5

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Nicholas la vit se raidir et enfoncer les ongles dans le bras du canapé. Elle était prête pour leprochainassautcontresamoraleetsasensibilité.Elleneseraitpasdéçue.Bienqu’iln’eûtpasl’intentiondelablesserphysiquement,laremettreàsaplaceluiapportaitune

certaine satisfaction. Peut-être que cela lui rabattrait un peu le caquet et lui émousserait la langue,qu’elleavaitaussiacéréequ’unsabre.Sa colère s’était quelque peu apaisée au cours des derniers jours, jusqu’à ce qu’il repense à

Arabella.Dès lors, il était redevenu furieux. La douceur, la passion et le rire de sa courtisane luimanquaient,et toutçaàcausedecette irasciblevieillefilleetdesonrêveextravagantdemettreuntermeàl’institutiondesmaîtressesetdescourtisanes.—Quel…Quelgenredesolution?demanda-t-elled’unevoixhésitante,s’attendantmanifestement

aupiredesapart.Ellen’avaitpasidée.—Jevousproposeunesolutionquiserasatisfaisantepournousdeux,mademoiselleBlack.Il mit l’accent sur « satisfaisante » et la vit se raidir. Il était temps de véritablement passer à

l’attaque.—Vousêtesunefemmeintelligente,dit-ilenprenantuntonséducteuretenrivantsonregardau

sien.Vousavezsansdoutesentilecourantpasserentrenous.Elledéglutitetsesdoigtsjouèrentaveclesplisdesajupe.—Je…Jenevoispasdutoutcedontvousparlez,monsieurleduc.Lentement, il la balaya du regard de la tête aux pieds. Bien que sa personne ne possédât pas

beaucoup d’attraits, il était persuadé que s’il avait toute une journée pour l’examiner, il pourraittrouverchezellequelquechosed’attirant.Ilscrutaattentivementchaquecourbevisible.MademoiselleBlackavaitunesilhouettedécente,sionaimaitlesfemmessveltes.Ilsourit.—Jecroisquesi.Ilcontournalecanapépourseposterderrièreelleetposalesmainssurledossier,departetd’autre

de ses épaules. Il ne la touchait pas,mais était tout demême assez près pour gêner la vieille filletenduecommeunressort.Nicholassepenchabienbasetcaptal’odeursubtileduparfumdelilasquiémanaitdesonparfait

coublancbiencaché.C’étaitabsolumentexquis.Soussonpantalon,ilsentitsonsexeréagiràcettevieillefillesansreliefetsuccombapresqueàune

enviesoudainedepresserseslèvressurl’étroitebandedepeaunuesoussescheveuxchâtainterne.Ilavaittrouvéquelquechosed’attirantchezelle.Ilfutlepremieràs’enétonner.—Vouspouvezmecontredire,maisjeconnaislesfemmes.Ilbaissalatêtejusqu’àcequeseslèvressoientdangereusementprèsdelatoucher,justesousson

oreillegauche.Ellefrissonna.—Jevousintrigue,mademoiselleBlack.Il sourit et exhala son souffle chaud dans son cou. Elle émit un petit hoquet de surprise en

bondissant sur sespieds.Ellepivota et reculavers laporte tandisqu’il contournait le canapépouravancerverselled’unpasraide.—Simplement pourque ce soit bien clair, dit-elle, il n’y a rien, riendu tout, chezvousquime

plaiseoum’intrigue.Jetrouveraisunchasseurderatédentéplusattirantquevous,monsieurleduc.Ungloussementluiéchappa.Cettejeunefemmeétaitfougueuse.—Vousmefaitesdelapeine,mademoiselleBlack,dit-ildoucementenscrutantlescourbesdeses

lèvres pleines, roses et légèrement entrouvertes. Parce que je vous trouve désespérément attirante,

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danslestylesévèreetdépourvud’humour.Ellerestabouchebée.Illuiétaitimpossibledediresiellelesoupçonnaitdejoueravecelleousi

ellelecroyaitsincère.—Jecroisqu’ilseraitpréférablequenousoubliionscomplètementcetteconversationetquenous

nous en tenions à la gestion de nos affaires. J’aimerais discuter d’une entente raisonnable deremboursementdemesdettes.— Je croyais cette affaire déjà réglée, mademoiselle Black, dit-il. Vos dettes en échange d’une

courtisane.—Iln’enestpasquestion.Fichtre!Ungémissement,unfrémissementdelèvreluisuffiraitpourquetoutcecisoitterminéet

queleurscheminsn’aientplusjamaisàsecroiser.Sielleluienvoyaitundemi-pennyouunshillingparmoispourremboursersadette,ilseraitheureux.Toutcequ’ilvoulait,enréalité,c’étaitqu’elleaitunepetiteidéedelasouffrancequ’ilavaitenduréelorsqu’ilavaitperduArabella.Cependant,elleneressentaitmanifestement aucun remords par rapport à la perte qu’il avait subie ni aucune émotionquantàsapropreruinefinancière,commesielleavaituncœurdepierre.—Sivousnevoulezpasmecéderunecourtisane, jenevoisqu’uneautreoption :prenezvous-

mêmelaplaced’Arabella.L’entêtementdontellefaisaitpreuveluirappelacombienilméprisaittoutchezelle,misàpartson

couexquis—diable,saboucheaussi.Seslèvress’étirèrentverslebas.—Bienque je craignequevos connaissancesdans l’art de l’amour soient déficientes à tous les

niveaux,poursuivit-il,jeseraiheureuxdevousenseignercommentsatisfaireunhomme.Lagiflequ’ilreçutprojetasatêtesurlecôté.—Vousêtesunhommehorribleetdégoûtant,gronda-t-elleentresesdents.Jepréféreraiscoucher

avecdescochons.Il serra lamâchoire et tendit brusquementunemainpour l’attraperpar lebras lorsqu’ellepassa

devant lui d’un pas raide. Il la força à se retourner, l’attira contre son torse et la coinça dans sonétreinte.Lasouplesseducorpsséduisantd’Évalepritdecourt.Ellen’étaitpasaussimincequ’ill’avaitcru.

Elle possédait quelques bonnes courbes, après tout. Toutefois, cela n’avait pas d’importance. EllerestaittoujoursmademoiselleBlack.Évasedébattit.Sesyeuxlançaientdeséclairs.—Vousavezlechoix,grogna-t-il.Acceptezmonoffreoucédezl’unedevoscourtisanes.Jeveux

votreréponsed’icilafindelasemaine,sinonjevousferaiexpulser.Évalerepoussaetildesserrasonétreintesursataille.Elletentadereculer,maisilglissaunemain

derrièresoncouetattirasatêteverslasienne.Ellesemblaitterrifiée,maisyavait-ilautrechose?Àchaque respiration, samodestepoitrine sepressait contre son torse ; son cœurbattait à un rythmeirrégulier,tellementfortqu’ilenentendaitpresquelesbattements.Cependant,toutel’attentionduducétait monopolisée par ses lèvres roses aux coins légèrement retroussés, entrouvertes pour laisserpassersarespirationagitée.Sansavertissement,ill’embrassaviolemment.Unfeubrûlantserépanditrapidementdanssoncorpsetdéclenchauneérection.Leslèvresd’Éva

avaientungoûtdethé,dementheetdepureféminité.Uncriétouffésurgitdufonddesagorgeetelledevint toutemolle. Il sonda sesdents,demandant en silence ledroitdepénétrerdans saboucheet,l’espaced’uninstant,ilcrutqu’ellelelaisseraitapprofondirlebaiser.Illuipritunseinàpleinemainettaquinasonmamelon.

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Elledesserralamâchoire.Puisunedentitionse refermasursa lèvre inférieure.Nicholas la relâchaengrognant. Ilporta la

main à sa blessure qui élançait. Elle fit demi-tour et sortit de la pièce en un bruissement de jupeslourdes.Les lèvres du duc s’étirèrent en un sourire carnassier. Il avait envie de la pourchasser pour lui

donnerlafesséejusqu’àcequ’elleaitlederrièrerouge.Maisunedécouverteinattendueleclouasurplaceet lui embrouilla l’esprit.À l’instantoùelleavait faitvolte-facepourcourirvers laporte, ilavaitvutomberdesonsévèrechignonchâtainunemècheauxcouleursblondcuivréetrougeorangéquiressemblaientàcellesdel’aurore.Ilyavaitbienplusderrièrelavieillefilleternequ’ilnel’auraitjamaisimaginé.

Évacourutsurletrottoirjusqu’aucarrossequil’attendait.Desamaingantée,elles’essuyalabouchepourenleverlegoûtduducsurseslèvres.Sel’enleverdelatêteseraitplusdifficile.Danslasecondequiavaitséparélebaiserdelamorsure,

soncorpsavaitétélethéâtred’uneexplosiondesensationsinattendues.Elles’étaitsentieembarrasséeetdésorientéetandisquelespartieslesplusintimesdesonanatomiepalpitaient,cequ’ellenepouvaitqu’attribueràuneréactionviscéraleaubaiser.Encetinstantmême,tandisqueleventfraissoufflaitautourd’elle,ellesesentaitàlafoisfiévreuse

et frissonnante. Le détestable duc l’avait marquée de son baiser et lui avait volé, par son attaquesensuelle,despartiesd’elle-mêmequ’ellecraignaitnejamaisrécupérer.Il fallait de la volonté pour continuer d’avancer alors qu’elle avait envie de se laisser tomber à

genouxetdes’abandonneraudésespoir.Cescélératl’avaitembrassée!Jamaisunhommen’avaitprisune telle liberté.Mêmeàcet instant, elle sentaitunedesesmainsaucreuxdesondoset sonautremain,brutaleetvirile,autourdesoncoutandisqu’ilpenchaitlatêteverslasienne.Ellemaîtrisasesémotions.—S’ilvousplaît,Harold,ramenez-moiàlamaison.Haroldl’aidaàmonterdanslecarrosse,puisjetaunregardnoirmenaçantverslamaisondeville

derrièrelui.Évas’empressad’apaisersacolère.—Monsieurleducnem’apasfaitdemal.Pasphysiquement.Elledétournaleregardpourcacherlerougequiluimontaitauxjoues.Enfin,niavecsesmainsni

avecunearme.Haroldsecrispa.—C’étaitdoncleduc.Ellehochalatête.—Oui.

Cenefutqueplustard,aprèsqu’elleeutverrouillélaportedesachambrederrièreelle,qu’Évafonditen larmes. Sa volonté d’aider les courtisanes àmener unemeilleure vie pour elles-mêmes s’étaitretournéecontreellelorsqu’ilavaitsuggéréqu’elledevienneexactementcequ’ellevilipendait:unefemmeforcéedecoucheravecunhommepoursurvivre.

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LadouceArabellaétaitsauvée,maisvoilàqu’Évaétaitsurlepointdetoutperdreàcausedelasoifdevengeancedesonvilprotecteur.Maissiellenedevaits’inquiéterqued’elle-même,l’argentperduet lefaitd’êtresansabrinelui

feraientpaspeur.Non,c’étaitpoursamère,sonécoleetsoninnocencequ’ellepleurait.L’allocationmensuelleétaitsuffisantepourvivre,maispaspourcouvrirlespilesdedettesquesa

mèreavaitcontractées.Etellesavaitparfaitementqu’ellenecéderaitjamaisunedesesdemoisellesauduc,pasplusqu’ellepermettraitquesamèresubisselesaffresdelapauvreté.S’ilyavaitunautremoyenderésoudreleproblème,elles’yaccrocheraitcommeàunebouéede

sauvetage.Iln’yenavaitaucun.Ilposséderaitbientôtsoncorps,sinonsonâme.

Il n’y avait pas de meilleur moyen pour Éva d’oublier ses soucis que de rendre visite à sescourtisanes et de plonger dans une nouvelle leçon. Lorsqu’elle arriva à la maison de ville deCheapsidelelendemain,lesjeunesfemmesprenaientlethédanslejardin.Aprèspresqueunesemainedenuagesetdepluie,lesoleilavaitdaignéfaireuneapparitionetlescinqdemoisellestenaientuneconversationaniméeàl’ombredugrandchêne.—Mademoiselle Éva ! s’exclama Rose lorsqu’Éva tourna le coin du sentier et entra dans leur

champdevision.Malgré leurs robes aux décolletés légèrement inappropriés, aucune aréole n’était en vue et les

robes colorées couvertes de plumes et de boucles furent comme une explosion de couleurs quiensoleillal’humeursombred’Éva.—Venezvousjoindreànous,ditPaulineentendantlamainverslathéière.Nousvenonstoutjuste

d’apprendreàraccommoderunourlet.Abigailnousamontré.Sespointssontparfaits.Abigailsouritetleroseluimontaauxjoues.—J’aidûapprendre.Mamèrenes’endonnaitpaslapeineetellenevoulaitpasdépenserl’argent

nécessaireafind’engagerunecouturièrepourfairelesréparationsqu’ilfallait.—Mamèreétait tropoccupéeàgarder sonsalaudd’épouxhorsdemon litpour se soucierdes

tâchesdomestiques,intervintRose.Laseulefoisquej’aiutiliséuneaiguille,ç’aétépourluipiquerlamainquandill’aglisséesousmajupe,poursuivit-elleensoupirant.C’estcematin-làquejemesuisfaitjeterdehors.Desmurmuresdesympathies’élevèrenttoutautourd’elle.—Il l’avaitbienmérité,Rose,réponditYvetteenfronçant lessourcils.Tuauraisdûlepiquerau

cœur.RoseetPaulinegloussèrent.—Ettoi,Sophie?s’enquitRose.Tamèreétait-elledugenreménagère?—Mamère était une courtisane, réponditSophied’unevoixdépourvued’émotions.Elle avécu

pour satisfaire sesamants.Elle laissait lesdomestiques s’occuperde lacoutureet sa sœurprendresoindemoi.LaseulechosequiintéressaittanteJane,c’étaitsonprochainverre.Lessouriresdisparurentetlesfemmesseturent.Malgréleurstristeshistoirestoutesdifférenteset

pourtant semblables, elles réussissaient à rire et à garder espoir. Éva s’était jadis considéréechanceused’avoirunpèrequiprenaitsoind’elle.Désormais,ellen’étaitplus trèsdifférentedesescourtisanes.

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Enquelquesjoursseulement,Éva,quiétait leurprotectriceet instructrice,s’étaitretrouvéesurlepoint de devenir l’une d’elles : une femme sans autre choix que celui d’offrir son corps au plusoffrant.C’étaitunmiraclequ’ellesnesoientpas toutesdevenuesfurieusesetamères.Monsieur leducne

l’avait même pas encore emmenée dans son lit qu’elle ressentait déjà ces deux émotions. Uneimpressiondedésespoiraccompagnéedevaguesdecolèrenel’avaitpasquittéedepuisleurrencontredelaveille.Etcommesonvisagedétestérôdaittoujoursdanssonesprit,ellecroyaitquelefantômedesaprésencelahanteraitàjamais.—Jesuisheureusedevoustrouvertoutesensemble,intervintÉvapourchangerdesujetavantque

laconversationnedeviennetropsinistre.Elle s’efforça de sourire et espéra que les cernes sombres autour de ses yeux n’étaient pas

apparents.Sarencontreavecleducdurantlasoiréedelaveilleavaittroublésonsommeil.Elles’étaitréveilléeàmaintes reprises, trempéedesueur, lesmamelonsdurciscontre la finechemisedenuit,commesisoncorpssepréparaitàprendreunamant.Évasetortillainconfortablementsursachaise.— J’ai pensé que nous pourrions discuter de ce que vous avez appris hier avec la cuisinière.

Abigail,voudrais-tucommencer?Ellespassèrentl’heuresuivanteàdiscuterdetoutcequ’ilfallaitsavoirpoursuperviserunecuisine

etsonpersonnel,puisdelafaçondontprévoirunmenulorsqu’onrecevait.—Quiauraitcruqu’ilyavaittantdechosesàapprendre?ditdoucementAbigail.Lemarquisadu

personnelsurplace.Jen’airienàfairedetoutelajournéeàpartattendrequ’ilmerendevisite.—Jecroyaisquetonamantétaitunbaron?s’enquitYvette.Abigailrougitjusqu’àlaracinedesescheveux.—Ai-jeditbaron?Lebaronaétémonpremier,euh,amant.Lemarquisestmonamantactuel.Évaramenalesujetdelaconversationàleurleçon.—Bientôt,vousdevrezvousoccuperdetoutdansvotredemeurependantquevotreépouxtravaille,

dit-elle. Et si l’une d’entre vous a le bonheur d’avoir des enfants, vous devrez aussi engager unenourriceetdesprécepteurs.C’estbeaucoupdetravail,maismenerrondementsamaisonnéeesttrèsgratifiant.Paulines’adossaàsachaise,leregardinquiet.—Jene suispas certained’y arriver, dit-elle en semordillant la lèvre inférieure. Jen’aimême

jamaischoisimespropresrobes.Monsieurlecomtemelesfaisaitapporterparlamodiste.Ehbien.CelaexpliquaitlacoupedescorsetsdePaulineainsiquesonamplepoitrineremontéeau

pointdedéfierlagravité.Éva fronça les sourcils.Peu importe ledestin tragiqueque lui réservaitmonsieur leduc, elle se

promit qu’il ne gérerait jamais sa vie de la mêmemanière que celles de ces femmes avaient étécontrôlées.—J’aiprévuquenousallionsfairelesboutiquesdemainaprès-midi,Pauline.Tupourrasacheter

desrobesquetuchoisirastoi-même.Évasedemandasimonsieurleducaimaitquesesamantesaientlapoitrineremontéeetlederrière

finementvoilé.Ellechassacettepensée.—NousferonsunerazziadansLondrespourapprendretoutcequ’ilyaàsavoirsurl’habillement,

dessous-vêtementsjusqu’auxcouchesextérieures.—J’adorefairelesboutiques,s’exclamaRoseenbattantdesmainsetensetortillantsursachaise.

Leducpréféraitquejeportedurose,dit-elleavecunegrimaceenmontrantsarobe.Jecroisqueje

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vaischoisiruniquementdubleu.MêmeSophieréussitàsourire.—Ce sera agréable de porter quelque chose de nouveau qui n’est pas raccommodé jusqu’à ce

qu’unpointnetiennemêmeplussurletissu.Lecomtepinçaitchaquesoujusqu’àcequ’ilcriegrâce.Éva,quimituncertaintempsàserendrecomptequelasérieuseSophievenaitdefaireuneblague,

gloussa.Lesautresfemmesgloussèrentaussi.ÉvaserenditcomptequeSophieavaitbienplusàoffrirque l’austère façade qu’elle présentait aumonde. Lui trouver un époux prendrait peut-être plus detempsquepourlesautres,maisÉvarelèveraitledéfi.—Àcepropos,pourquoinediscuterions-nouspasdelafaçondontgérerl’allocationdufoyer?Et ce fut exactement ainsi qu’Éva passa l’heure qui suivit. Le discours ennuyeux l’empêchait de

penserauduc.

Le soleil commençait à peine à baignerHyde Park de quelques rayons dorés hésitants lorsqu’ÉvaperçalebrouillardmatinalsurledosdeMuffin,lapetitejumentquesonpèreluiavaitoffertepoursondixièmeanniversaire.Laplupartdesgensconsidéreraientque lechevalgris tachetéétaitplutôtfade et ennuyeux àmonter, car la jument avait presque dix-huit ans,mais aux yeux d’Éva,Muffinreprésentait une époque où son père était toujours vivant et où sa mère et elle étaient vraimentheureuses.Enraisondesannéesdesouvenirsqu’elleincarnaitetdesontempéramentdoux,Muffinoccupait

uneplacedechoixdanslapetiteécuriederrièreleurmaisondeville,auxcôtésdeleuruniquechevald’attelage,Benny,etyresteraittantqu’ellerespirerait.—Lajournéeserachaude,tunecroispas,machérie?D’unemain gantée, Éva caressa l’encolure deMuffin tandis que le soleil commençait à chasser

agréablementlafraîcheurmatinale.—Peut-êtrepourrais-tutesecoueretgaloperunpeu,aujourd’hui?Éva inspira l’air fraisethumideensoupirantavecenvie.Muffinn’avaitqu’unevitesse : lente.Si

Évavoulaitqu’unjourleventluifouettelevisagetandisqu’ellegalopaitlelongdessentierssinueuxduparc,elleauraitbesoind’unautrecheval.Ayant revêtu une sobre tenue d’amazone grise, elle avait décidé de porter sa perruque sous un

couvre-chef gris coordonné et de percher ses lunettes sur son nez, de crainte que des espions demonsieurleducsecachentderrièrechaqueplanteenpotouchaquebuissonlelongdelaruedevantchezelle.Tantqu’elles’entenait fermementàsondéguisementetquesonphysiquequelconquelerebutait,

ellearriveraitpeut-êtreàleconvaincredechercheràcomblerailleurssesvilsplaisirsetdelalaissertranquille.Elleavaitbienpeurquecetteidéesoitvaine.Leducrêvaitdelafairepayeretyavait-ilvraimentun

meilleurmoyenquedelaforceràsubirsesassautslubriques?Lorsque Muffin s’arrêta pour grignoter une touffe d’herbe, Éva l’encouragea à continuer. La

jumentrenâclaetavançalentementsurlesentieravecdesmorceauxd’herbesquipendaientdechaquecôtédesabouche.Commeleparcétaitdésertàcetteheurematinale,Évaavaitamplementletempsderéfléchirsansinterruptionauxsujetsquilatroublaientleplus:monsieurleducetcommentledéfier.Éva était tellement absorbée par ses soucis qu’ellemit un certain temps à se rendre compte que

Muffinmarchaitd’unpasinégal.Ellearrêtalajument.

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—Qu’ya-t-il?demanda-t-elleenmettantpiedàterreetenrepoussantsonchapeau.T’es-tuprisuncaillou?EllefiteffectuerquelquespasàMuffinlelongducheminpourdéterminerquelpiedétaitblessé,

puislevalapattedelajumentpourl’examiner.Commeelles’yattendait,unpetitcailloujusteassezgrospourcauseruninconfortétaitcoincédanssonsabot.—Oh,ciel.Laisse-moivoircequejepeuxfairepourt’enleverça.Éva retiraunde sesgants et creusa autourducaillou avec sonongle.Le caillou avait l’air bien

déterminéàresterlàoùilétait.Ellelâchalesabotetregardaautourd’elleàlarecherchedequelquechose pour le décoincer. À cet instant, un écureuil traversa la route comme une flèche etMuffinbroncha,écrasantlepiedd’Évasousunsabotavantquecelle-ciaitletempsdes’ôterduchemin.Éva lâcha un cri perçant lorsque la jument dodue appuya de tout son poids sur ses orteils. La

douleurirradiadanssonpied.—Bien joué,Muffin, dit-elle avecmépris. Tu as vraiment concentré toutes tes énergies à bien

m’écraserlesorteils.Imperturbable,lajumentbaissalatêtepourattraperunefeuilleentreseslèvres.—Jen’avaispasprévudeconsommernotrearrangementdansleparc,ditunevoixsardoniqueà

travers lebrouillardbrumeux.Mais j’imagineque jepeux trouverungrosbuissonderrière lequelnouspourronsjouird’unecertaineintimité.Devant lemorne paysage,monsieur le duc sematérialisa sur un immense bai.Muffin se tourna

brusquement,soulevantsonventrerondeletettendantlespattes,prêteàs’enfuir.Évaattrapalesrênespourlaretenir.Monsieur le duc était vêtu de noir de la tête aux pieds, de son chapeau à ses bottes deHesse, à

l’exception d’une chemise blanche à haut col qui frôlait ses joues fraîchement rasées. Il était assisavecassurancesurlebai,commes’ilavaitgrandisuruneselle,mêmelorsquelabêtepiaffaetrejetalatêteenarrièrepouressayerdes’approcherdeMuffin.N’eûtétélefaitqu’elleconnaissaitbienleducetsescornesdedémoncachées,elleauraitadmirésa

silhouetteraffinéemalgrésonarrogantsourireencoin.Cethommeétaittellementséduisant,delaforteossaturedesamâchoireàsesyeuxverts,enpassant

parleslèvresbiendéfiniesquil’avaientfaitfrémird’uneattiranceimportune.Elleespéraitqu’ilnesauraitjamaisàquelpointsonbaiserpunitifl’avaitperturbée.Leducmaniaavecaisancesoncheval impatientsans jamaisquitterdesyeux levisaged’Éva.Un

soupçon d’humour noir étira ses lèvres sévères, comme s’il était au courant de secrets qu’il nepartageraitjamaisàsonsujet.Peut-êtres’imaginait-illanuitoùelleseraitàsamerci.Évatressaillit.Muffinperdittouteenviedefuiraprèsavoirrenifléàquelquesreprisesendirection

dubai,etlesdeuxchevauxs’observèrentavecméfiance.—Aussiagréablequecelameparaissedebatifolerdansl’herbemouilléeavecvous,monsieurle

duc,j’aileregretdedevoirrefuser.Elleluttapournepasgrimacerenmettantdupoidssursonpiedblesséetlefixad’unregardqu’elle

espéraitchargéd’unebonnedosededédain.— Je suis malheureusement en route pour aller m’envoyer en l’air dans le caniveau avec un

conducteurdefiacreivrogneetjecrainsd’êtretrèsenretard.Ellelescrutaattentivementdehautenbas,puisdebasenhaut.—Enrevanche,sicelanevousdérangepasd’attendre,jepeuxvenirvousretrouverquandj’aurai

terminé.Surlevisageduduc,lesourireencoinsetransformaenunsouriremalveillant.

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— Si vous croyez avoir la force de satisfaire deux hommes, je peux certainement attendre…répondit-il,laissantsesparolesensuspens.Quelhommeinsupportable!Quefaudrait-ilpourleremettreunpeuàsaplace?Évas’empourpra.—Jepréféreraiscoucheravec toutunnavireremplidemarinsfrançaisplutôtquedepasserune

secondederrièreunbuissonavecvous,monsieurleduc.—Etpourtant,vousornerezmonlitoualorsvousmecéderezunecourtisane,dit-ilplatementense

tortillant sur sa selle. Sinon, vous perdrez votre demeure. Le choix vous appartient. Cela ne faitaucunedifférencepourmoi.—Oh.ElleeutenviedelejeterenbasdesonchevaletdelaisserMuffinlepiétineraugrandcompletavec

ses petits sabots meurtriers. Jamais elle n’avait rencontré quelqu’un d’aussi exaspérant. Il retiraitmanifestementduplaisiràfairesouffririnutilementlesgens.Ilpassaitprobablementsesjournéesàdonnerdescoupsdepiedsàdesgaminsdesruesetàdeschienserrants!—Commesij’avaislechoixdanscetteaffaire.Vousm’avezacculéedansuncoinetavezbloqué

toutes les issues, répliqua-t-elle en tordant les rênes entre sesmains. Que puis-je faire pour vousconvaincre que cette vengeance est injuste ? Vous pouvez certainement comprendre qu’Arabellaméritaitmieuxquecequevousluioffriez.Sivousavezdéjàéprouvédel’affectionpourelle,vousdevriezvousréjouirdesonbonheur.Ilhaussaunsourcil.— Oh, je suis très heureux qu’elle ait trouvé le bonheur. Croyez-le ou non, j’éprouvais une

profondeaffectionpourelleetjeluisouhaited’êtreheureuse.—Danscecas,pourquoim’imposercemarché?demanda-t-elled’unevoixdésespérée.Nevous

suffit-il pas de savoir à quel point je suis affreusement malheureuse depuis le début de notreassociation?Il sembla réfléchir à sa requête, ce qui lui donnaunpeud’espoir. Peut-être y avait-il un filet de

lumièredansl’obscuritédesoncœur.— Bien que je me réjouisse grandement de votre malheur, répondit-il enfin, amusé, l’idée de

partager mon lit avec vous, mademoiselle Black, me procure davantage de satisfaction que votreinquiétudeausujetdevosdifficultésfinancières.Ellehoqueta.—Vousêtesdétestable.Elle était au bord des larmes. Ce qui avait commencé comme une chevauchée agréable s’était

transforméencauchemardedeuxmanières.Cethommeétait entêtéetdéraisonnable.Pour lui,unevengeancesatisfaisantedépendaitentièrementdesonhumiliationetdesasoumission.Iln’accepteraitriendemoins.Maisilétaithorsdequestionqu’ellepleuredevantlui.Sesorteilsétaientdouloureux,maispasplus

quesoncœur.Cessant de lui porter attention, Éva fit le tour de la jument en clopinant afin de se mettre

frénétiquementàlarecherched’unbâtonpourretirerlecaillou.—Quevousest-ilarrivé?s’enquit-il.—Cen’estrien,répondit-elle.Monsieurleducfitavancersonchevalpours’approcheretendescenditd’unbond.Évaessayade

tirerMuffinhorsdesonchemin,maiscelle-cisemblaitéprisedel’étalonetrésistaàsesefforts.Lajumentdodelinadelatêteethennitlorsqueleursnezsetouchèrent.Traîtresse.—Vousêtesblessée,mademoiselleBlack.

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Ellehochalatêteensoupirant.—Muffinm’amarchésurlesorteils.Iljetaunregardinterrogateurendirectiondelajument.—Cen’étaitpasentièrementsafaute,expliquaÉva.Elles’estprisuncaillou.Ellesoulevajusteassezl’ourletdesatenued’amazonepourluimontrersabotteéraflée.—LorsquejepassedutempsavecMuffin,jedoisfaireattentionoùellemetlespieds,sinonjeme

faispiétinerlesorteils.Ilregardalabotteécraséeethochalatête.— Dans ce cas, nous devrions nous occuper de la jument dès que nous aurons découvert les

dommagesqu’elleafaitsàvotrepied.Surce,monsieurleduclasoulevabienhautdanssesbrasetlacalacontresontorse.—Monsieurleduc!—Nebougezpas,luiordonna-t-il.Il la transportad’unpas assuré jusqu’àun carréd’herbe sousungrand chêne.Lorsqu’il la posa

doucementlesfesseslespremièressurlesol,ellen’avaiteuquetrèspeudetempspourremarqueràquelpointsesépaulesétaientpuissantessoussesmainsouàquelpointilsentaitbon.Méduséeparsaforce,ellen’étaitqu’àmoitiéconscientequeMuffinetlebailesavaientsuivis,les

rênespendantes,telsdeuxcanichesbiendressés.Ilyavaitquelquechosedefascinantdansl’aisanceavec laquelle son corps répondait au duc. À l’instant même, son corps brûlait d’envie qu’il lareprennedanssesbraspuissants.Inconscientdel’agitationinterned’Éva,monsieurleducmitungenouàterreàsespiedsetenleva

sesgants. Il s’arrêta, la regardadans lesyeux,puis, sansyêtre invité, souleva l’ourletde sa tenued’amazonepourexposercomplètementsabotte.—Monsieurleduc,cecin’estpasapproprié.Sivousvouliezbienm’aideràremonterenselle,je

memettraisenroute.Iltenditlamainverslelacetdesabotteetendéfitlaboucle.—Pasavantquej’aieregardé.Vouspourriezavoirlesorteilsfracturés.Pourunefois,iln’yavaitaucunindiced’intentionslubriqueslorsqu’ilenlevalabotteencuirnoir

avecunedouceurinfinie.Enfait,ellenelutquedel’inquiétudesursonvisage.Cetteimagenecoïncidaitpasaveccequ’ellesavaitdel’hommeetdesesmanièresbrusques.D’un

gestedélicat, leducmit labottedecôtéet referma lesdoigtsautourde sacheville. Ilposa lepiedd’Évasursacuisseetluicaressadoucementlesorteils,leseffleurantàpeine.Elletressaillit.Ilretirasamain.—Jecrainsquecesoitpirequejelecroyais.Ellehochalatêteetremarquaàquelpointsescilsépaisetfoncéscontrastaientavecsapeaudorée.

Tandisqu’il avait lespaupièresbaisséespour regarder sonpied, l’éventaildecilscachait sesyeuxd’unvert intense.Elle laissa son regard courir le longde sonnez jusqu’à ses lèvres parfaites, lesmêmeslèvresqui,l’espaced’unbrefinstant,l’avaientstupéfaiteavecunviolentbaiserintrusif.Lebaiserquihantaitsesnuits.—Jedoisenleverlebas,dit-il.Commeétrangèreàelle-même,ellesevithocherdistraitementlatête,sonattentionattiréeversle

bastandisqu’ilremontaitdoucementl’ourletdesajupejusqu’àsongenoupourdévoilersajarretière.Cefutàpeinesielleremarqualafraîcheursursajambeousiellecompritl’intimitédugeste.Elleétait concentrée sur les grandes mains qui lui frôlaient la cuisse avec désinvolture pendant qu’ildénouaitlajarretière.Sapeaupicota,seslèvress’entrouvrirentetsarespirationdevintsaccadée.

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Monsieur leducdéfit les rubans rosesavecsoinetagilité.Évaévitason regard,decraintequ’ilvoielessensationshonteusesprovoquéesparsesaudacieusescaresses.Lachaleurdesesdoigtsnussursapeaulafittressaillird’unmélanged’émotionsnondésirées.Elleentenditsonsouffles’accéléreretlevafurtivementlesyeuxversluimalgréelle.Letempsde

quelquesbattementsdecœur,leursregardssecroisèrent.Pendantuninstant,samainsecrispasursongenou,puisilclignadesyeux.Ilbaissarapidementlebassursajambeafind’exposersonpied,puisl’examinabrièvement.—Hum.Prenantsontalondanssamain,ilsoulevasesorteilspourmieuxlesvoir.Évaeutenviedegémirlorsqu’ellevitquatreorteils légèrementbleuis.Seullepluspetitavaitété

épargné.—Sont-ilscassés?Monsieurleducmanipulatendrementchacund’entreeux.Évaserralesdentspournepascrier.Au

boutdequelquesminutes,ilsecoualatête.—Jenevoisrienquiindiqueunefracture.—Dieumerci.Ses épaules s’affaissèrent. Elle venait d’échapper à un problème plus sérieux que quelques

contusions. Ilauraitétédifficilede resteralitéeassez longtempspourpermettreàdesosdeguériralorsqu’elledevaitenseigneràdescourtisanesets’occuperdesamère.Lachaleurdesmainsduducserépanditdanssonpied,cequiapaisaladouleurdanssesorteils.À

cetinstant,elleserenditcompteàquelpointelleétaitexposéeavecunpiedsursacuisse,sansbasetlajuperemontéejusqu’augenou.Ellerougit.—Peut-êtredevriez-vousreplacermonbas,monsieurleduc,avantquequelqu’unpasseparhasard

etnoussurprenne.Jenevoudraissurtoutpasnuireàvotreimpeccableréputation.Soncommentaireacerbelefitsourire.Ilramassalebasetlesecoua.Ill’enfilasursonpied,puisle

fitremonterlentementlelongdesajambe.Évaeutdumalàignorerlesfrissonsprovoquésparsesjointures.Maintenantquesoninquiétudeausujetdesonpiedavaitétédissipée,ilpritsontempspourreplacerlevêtement.Enfait,ilyavaitunsoupçondemalicedanssavoixlorsqu’ilparla:—Sijedoismettremaréputationendanger,mademoiselleBlack,jepréféreraisquenoussoyons

tousdeuxsurprisavecbeaucoupmoinsdevêtements.Leducdiaboliqueétaitderetour.—Jeneseraipasvotrepute,dit-elleenlevantunpeulenez.Ellesemoquaitbienqu’ilaitprisuntonmoqueur.Ils’agissaitdumêmehommequ’avantqueson

inquiétudepoursonpiedlepousseàagirpargentillesse.Legentilhommeenluis’étaitévaporéaussivitequeleventdissipelafuméedèsqu’ils’étaitaperçuqu’ellen’étaitpasgravementblessée.—Àmoinsquevousneconsentiezàl’autresolutionproposée,mademoiselleBlack,ceseralecas.Ilremitlebasenplaceetrattachasajarretièred’ungrandgestethéâtral.—Danscecas,séduisez-moi,monsieurleduc,dit-elleenlaissantsesbrastomberdechaquecôté

d’elleavantdelâcherunprofondsoupir.Jen’aipastoutelajournée.Ilgloussa.—Vousêtesdifficileàsuivre,mademoiselleBlack.Uninstant,vousêtesaussiraidequ’uneétoffe

amidonnéeetl’instantsuivant,vousm’offrezdesfaveursdansleparc.Il termina ce qu’il faisait, descendit sa jupe et l’aida à se relever. Il tourna autour d’elle pour

secouersesjupes.

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—Cependant, j’aimequemes courtisanes soient avenantes et votre offre est alléchante, dit-il enapprochantseslèvresdesonoreille.Bienquejedoute,mademoiselleBlack,quevousayezdéjàétéavenante.Tandisquesaboucheétaitdangereusementprèsdesonlobe,Évas’efforçadeseconcentrersurles

activitésd’uncoupled’alouettessurunbuissonàproximité.— Et vous, monsieur le duc, êtes gâté et puéril. Quand vous ne pouvez pas avoir ce que vous

voulez,vouspiquezunecriseetfaitessouffrirvotreentourage.—C’est vrai, répondit-il en gloussant à nouveau. Vous ne croiriez pas tout le bonheur que cet

instantm’apporte.Illaissaleboutdesesdoigtscourirsurelleetenleverdesdébrissurleurpassage.Ellen’arrivaità

penser à rien d’autre qu’aux légères caresses de sesmains.Leduc jouait à la femmede chambre,maissesintentionsétaienttoutsaufinoffensives.Soussescaressessecachaitquelquechosedeplusprofond,deséduisantetdedangereux.Auboutd’uncertaintemps,sesdoigtstrouvèrentquelquesmècheséparsesdecheveuxchâtainclair

tombées de sa perruque. Elle retint son souffle ; s’il tentait de défaire son chignon serré, ildécouvriraitsondéguisement.Ceseraitdésastreux.Àlaplace, il la tournapourqu’elle le regardeet lâchasescheveux.Sesyeuxressemblaientàde

sombres et impénétrables puits sans fond d’un vert profond.Du regard, il suivit la courbe de seslèvres.—Vousêtestendue,mademoiselleBlack.—Vousaussiserieztendu,monsieurleduc,sivousétiezsurlepointdevousfaireviolerdansla

poussière.C’étaitcommesilemondeautourd’euxavaitdisparu.Toutcequ’ellevoyait,toutcequ’ellesentait,

c’étaitleboutdesesdoigtsquisebaladaientsursajouependantqu’undoigttraçaitlecontourdesalèvreinférieure.Iljouaitlejeudelaséductionetelledétestaitsaréaction.Oh,elleleméprisait.Elledétestaitsonarrogance.Ellesavait,sansvoirsonvisage,quesonregard

étaitchargéd’autosatisfaction.Ilavaitprovoquéchezelleuneréponsesexuelleetillesavait.Lecorpsd’Évalatrahissaitdocilement.Pourajouteràl’attiranceimportune,l’odeurmasculineépicéesemêlaitàcelleduchevaletducuir.—«Violer»estuntermebiendur,mademoiselleBlack.Laraisonluirevintquelquepeufaceàsontonsuffisant.—Quevoulez-vousréellementdemoi,monsieurleduc?souffla-t-elleenl’attrapantparlepoignet

pourqu’ilcessesesexplorationsavantqu’ellel’attiredanslesbuissonspourlesupplierd’apaisersessouffrances.—Jevousdemandesimplementderemplirvotrepartdumarché,mademoiselleBlack.

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CHAPITRE6

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—Unmarché?dit-elle.Jen’aiacceptéaucunmarché.Elletentadereculerd’unpas,maissonpiedcédasoussonpoidsetellechancela.Monsieurleduc

l’attrapaetlaserrafermementcontrelui.—Doucement.Jevoustiens.Ellerejetalatêteenarrièreetlevalesyeuxverslui.Sonregardlastupéfia.Sondéguisementnele

rebutaitpasunemiette.Danssesyeux,elleputlireunvifdésir.Àl’instantoùilsepenchapoureffleurersatempedeseslèvres,ellesentitunebossedurecontresa

jambe.Le désir l’avait rendu aussi dur que l’acier. Il ne serait pas satisfait tant qu’il ne l’aurait pas

possédée.Lapaniques’emparad’elle.Ildévergondaitlesfemmes,qu’ellessoientconsentantesounon.Elle

enétaitconvaincue.Maissoncorpsselanguissaitdesescaressesavecunetroublanteintensitéqu’ellenecomprenaitpas.Peut-êtreétait-elleunepute,aprèstout.Évasentitquesesyeuxbrûlaient.—Non,jevousenprie,trouva-t-ellelaforcedemurmurertantbienquemal.Nefaitespasça.Monsieurleducs’immobilisaetrelevalatête.Lentement,ilrelâchasonétreinteetlaissaretomber

sesmains.—Commevousvoulez,répondit-ilaprèsunmomentdesilence.Ilsedétournabrusquementets’approchadeMuffin.Soulevantsonsabot,ildégagealecaillou.Éva

eutenviedel’appelerpourseblottirànouveaudanssesbras,maisl’occasionétaitpassée.Lorsqu’ilrevintversellepourlaprendresanscérémoniedanssesbras, ilavait leregardfixeet lamâchoireserrée.Lapetite jumentserenditàpeinecomptequeleducremettaitÉvaenselle.L’espaced’uninstant,

leursregardssecroisèrent.ÉvapritlesrênesettalonnadoucementMuffinpourqu’ellesemetteenmarche.

NicholasobservaÉvapoussersajumentsurlesentieretêtresecouéeparsesgrandesfoulées,laissantsonregardbrûlanterrerdansledosd’Évaetdescendrejusqu’àsonpetitpostérieur.L’étonnementliéàladécouverte,chezmademoiselleBlack,d’unefemmechaudeetréceptivel’avaitébranlé.Pendantun instant,alorsqu’il la tenait,elles’étaitblottiedemanièreaguichantecontre lui,assezprèspourqu’ilsentel’exquisecourbedesesseins,qu’ellegardaitbiencachés.Elleavaitdûaplanirlachairfermelorsqu’elleluiavaitrenduvisitelafoisprécédente.Ilsecouala

tête.Elleétaitpleinedesurprises.Lorsqu’ilétait tombésurellealorsqu’elleboitillaitdanslebrouillardavecsongrosponeygris,

jamaisiln’auraitcruqu’elleaccepteraitaussifacilementsonoffredel’aider.Pourtant, elle était silencieusement restée assise bien droite pendant qu’il examinait ses orteils,

commesielleacceptaitsonsort.Iln’yavaiteunipleursnigémissements,ellen’avaitpasdemandégrâce,pasplusqu’ellen’avaitlancédepiquescinglanteslorsqu’ilavaitcaressésatempeduboutdunez.Àl’instantoùelleluiavaitabandonnésoncorps,ill’avaitsu.Etilnes’agissaitpassimplementde larésignationdontelleavait faitpreuveaudépart. Ilavaitsentisacolonneraidepliercontresa

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maindanssondoset l’avaitentendueretenirsa respiration,quiétaitensuitedevenue irrégulière. Ils’agissaitdedésirsoussaformelapluspure.Lefaitqu’elleledésiraitl’avaitprisdecourt.Lasensationdesesmamelonsenérectioncontreson

torse avait dissipé avec certitude tout doute au sujet de sa sensualité cachée. Il y avait chez elle unappétitprofondémentensevelisoussondéguisementridicule.IlavaitcouchéavecdesfemmesquifeignaientledésiretÉvan’étaitpasl’uned’elles.Saréaction

enversluiétaitinstinctiveetpassionnée.Lorsqu’illuiavaitproposédedevenirsacourtisane,elleavaitrépondu,commeils’yattendait,par

un refus catégorique. Jamais il n’aurait cruqu’elle consentirait dansunequelconquemesure à sondessein extravagant. Il n’avait jamaispris une femmede force et n’avait pas l’intentionde le fairemaintenant.Même si elle finissait par accepter, lors de quelque étrange élan de folie, il se seraitattendu à cequ’elle s’allongedans son lit,mais reste raide, froide et ombrageusependantqu’il sehâteraitdesesoulager.Unepenséeextrêmementpeusatisfaisantequ’ilnepouvaittolérer.Cette rencontre changeait tout. Alors qu’il envisageait jadis sa vengeance avec appréhension, il

attendaitdésormaisavecimpatiencedelafaireronronner.Peut-êtrenedevrait-ilpaslalibérerdesonemprise tout de suite, alors qu’il avait encore tant à découvrir à son sujet. La vengeance s’étaittransforméeenuneseuleobsession: laséduire. Il lèverait levoilesurchacunedescouchesdesoncélibatpourvoirtoutcequisecachaitdessous.

Depuislesombrepalieràl’étage,Évaregardaitlameutedecréanciersquisetenaitdanslehallavecdes piles de factures dans les mains. Des grognements de mécontentement et quelques voixs’élevèrent tandis qu’ils insistaient pour la rencontrer. Refusant leurs requêtes, Harold montait lagardeaucasoùlegroupedeviendraitturbulent.Chaqueboutiquequesamèreavaitvisitée,chaquecommandequ’elleavaitpassée,etmanifestement

cachée,aucoursdesdernièresannées,étaitrevenuehantersafille.Évacomptaunebonnedouzained’hommesetsedemandacombiend’autresétaientdehorsàattendreleurtourpourl’affronteretluidemanderdel’argent.Detouteévidence,monsieurleducn’avaitpasrachetétoutessesdettes.Elleputfacilement déduire la raison pour laquelle ils cherchaient à la voir aujourd’hui et qui les avaitenvoyés.Lediable s’affairait à la tourmenter. Il savaitqu’elle se tenait enéquilibreauborddugouffreet

qu’ellen’avaitbesoinqued’unedernièrepoussée.—MonsieurleducaditdedemandermademoiselleBlack,affirmaunhommecorpulentvêtud’un

costumeenagitantunepoignéede factures sous lenezd’Haroldavantde faireunsignede têteendirectiond’unhommegrandetminceàcôtédelui.—Cettefactureestensouffrancedepuisprèsdesixmois.Quandpuis-jeespérerêtrepayé?Évablêmit.Elleavaitétésiprudente.Samèren’avaitpaseulapermissiondes’aventurerdehors

sans être accompagnée depuis plusieurs années. Quand cette débâcle avait-elle eu lieu ? Elleenvisageamentalementtouteslesoptionsetnetrouvaqu’uneseuleexplication.Mary.C’étaitlaseulepersonnequinepouvaitrienrefuseràsamère.C’étaitunedomestiqueefficace,maisuneidiote.Sisamèrevoulaitéchapperàsongeôlier,Maryne

seraitpasdifficileàdistraire.Iln’yavaitqu’àmettreunvaletséduisantdanssonchampdevisionouà

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lui agiterunebabiole sous lenezpourque la fille coure lesboutiquesdeBondStreet telunchiotessoufflé.Samèren’étaitpasencoreaussidéconnectéequ’Évalecraignait.Illuirestaitsuffisammentdebon

sens pourmanigancer un plan afin d’obtenir ce qu’elle voulait. Si Éva soulevait lematelas de samère,quisaitquelstrésorselleytrouverait.Ilfaudraitqu’elledemandeàHarolddevérifier.Ilpourraitvaloirlapeinederevendrecertainsdes

bijouxcachés.—Jeneferaipluscrédittantquecesfacturesneserontpasremboursées,protestaunhommetandis

qu’Haroldcommençaitlentementàséparerunàunleshommesdelameutepourlesguiderverslasortie.—Onmedoitcentlivres!criaunautre.Ellenesavaitpascequ’Haroldavaitdità lafoulepourfinalementarriverà touslesfairesortir,

mais lorsque le panneau en chêne fut fermé et verrouillé derrière le dernier homme, elle se sentitdécouragée.Aprèssarencontreavecmonsieurleducdansleparccematin,elleétaitrentréeenvitessepourse

cacherdanssachambreetfairelescentpas.Niletempsnilesgrommellementsdecolèren’avaientapaisésessouffrancesphysiquesetsapeauenfiévrée.Envérité,plusellepensaitauduc ténébreux,pluselleavaitchaud,àtelpointqu’elleétaitconvaincued’avoircontractéquelqueaffreusemaladie.Elleavaitl’impressiond’êtrepriseaupiègeetavaitenviedetordresoncouviril.Quelquesinstants

danssesbrascostaudsetelleétaitprêteàrenonceràtoussesprincipespourvoirquelgenredejeuxsensuelsilpouvaitluiapprendre.Mêmemaintenant,alorsqu’elleétaitloinduducdiabolique,ellen’arrivaitàpenseràriend’autre

qu’à la manière dont il avait enfoui son nez dans son cou et à quel point elle était devenuedésespérément rouge.Elle s’était transforméeenquelqu’und’autre ; ellen’étaitplusmademoiselleBlack aux robes démodées et à la perruque terne, mais bien Évangéline Winfield, la fille d’unecourtisanejadiscélèbreetscandaleuse.Ellenecomprenaitpascequiluiarrivait.Sielleavaitétéplussouventencontactavecdeshommes,

peut-être l’expérience lui fournirait-elleuneexplication.Ellehaïssaitmonsieur leducde toutessesforces— s’il était renversé par une malle-poste, elle ne verserait pas une seule larme—, alorspourquoisescaressesnelarépugnaient-ellespas?Pireencore,justeaprèsl’avoirfuipoursetraînerjusquechezellesurledosdeMuffin,elleavait

enviélesannéesqu’Arabellaavaitpasséesdanssonlit.SincèrementetlittéralementenviéArabella!Ciel.Elleappuyalescoudessurlarampeetlaissatombersatêtedanssesmains.Qu’allait-ellefaire

? Monsieur le duc la tenait prisonnière dans une souricière et faisait les cent pas à l’extérieur,attendantqu’ellesortelatêtepourl’attraperavecsagrossepatte.Etladévorerdesabouchechaude.Elle émit un léger grognement et se laissa tomber, le dos contre lemur. En dessous,Harold se

dirigeaverslacuisinesanssavoirqu’ellel’espionnait.Ilétaitsonprotecteur,sonseulami.Pourtant,ellenes’étaitjamaissentieaussiseulequ’encemoment.Évanepouvaitpasseconfieràlui.Pascettefois.Monsieurleducneseraitpasensécuritésison

serviteurenragéapprenaitleslibertésqu’ilavaitprisesavecelle.Etcequ’elleavaitpermis!Lentement,elleboitillalelongducouloirjusqu’àsachambreetfermalaportedesonsanctuaire.

Maismêmedanscettepièceauxmurs tendusdepapierpeintàpetites fleursbleuesetaucouvre-lit

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assorti,ellen’arrivaitpasàchasserentièrementmonsieurleducdesespensées.Ilétaittelunspectrequiflottaitenpermanenceau-dessusdesatête,l’observaitetattendait.Lemiroirattirasonattention.Faceàsonreflet,ellecherchadesmarquessursapeau,des traces

quelconquesdemonsieurleduc:desempreintesdemains,desrougeursoùilavaitposéseslèvressursapeau.Rien.C’était comme s’il ne l’avait jamais embrassée là, ne lui avait jamais caressé le visage, n’avait

jamaisfaitcourirseslèvressursapeaucomplaisante.Frustrée,Évabaissalesyeuxsursesseins.Ellen’avaitjamaisvraimentprisletempsdepenserà

eux.Ilsn’étaientriendeplusqu’uneautrepartiedesoncorps,desaféminité.Maismonsieurleducenavaittouchéunsansyêtreinvité.Ilsneluiappartenaientplusàelleseule.Sielleallaitdanssonlit,jouerait-ilaveceux?Ellepritlachairfermeàpleinemainàtraversson

corsagecommeill’avaitfait.Lescouvrirait-ildebaisers?Lécherait-ilsesmamelons?Lessucerait-iljusqu’àcequ’ellegémisse?L’embrasserait-ildanslecou?Luitoucherait-illesfessesetluiferait-iltoutessortesd’autreschosesdéviantesjusqu’àcequ’elles’abandonnefinalementauplaisir?Ceschosesluiplairaient-elles?Encouragerait-ellesesexplorations?L’inviterait-elleàlaprendre

?Ouutiliserait-ellechaquegrammedevolontéqu’ellepourraitrassemblerpourluirésister?Évasecouala tête, laissasesmainsretomberets’éloignadumiroir.Ellenereconnaissaitplusla

femmequ’elleyvoyait.—Jenepeuxpasdevenircommemamère,murmura-t-elleens’asseyantsurlelit.Lasombremaindudestinétaitintervenuepourlamettreencontactavecleducdémoniaque.Ilnela

laisseraitpas tranquille tantqu’ilnese lasseraitpasd’elle.Évase laissa tombersur lecouvre-litetfixaleplafondsanslevoir.Secontenterait-ild’unenuit?Aufondd’elle-même,ellesavaitquesonattiranceenversleducétaittroppuissantepouryrésister.

Elle lui appartenait ; il avait envoyé les créanciers chez elle aujourd’hui pour lui faire unedémonstration de son pouvoir et lui forcer la main. Il s’était faufilé dans sa vie pour la rendreimpuissanteetvulnérable.—Jenepeuxpaslelaissermetoucherànouveau,murmura-t-elle,découragée.Jeneluiservirai

pasdepute.Etpourtant,ellesavaitqueceseraitlecas.Ilavaitutilisésonpropredésirpourl’affaibliràtelpoint

qu’elleétaitincapabledepenseràautrechosequ’aufaitqu’elleavaitdésespérémentenviedelui.Quelegoût de sabouche lui avait donné envied’explorer davantage les promesses silencieusesque lecorpsduducluiavaitfaitesetdontsoncorpsàelleselanguissait.Lorsqu’ilviendraitlachercher,ellenedéclineraitpasl’invitation.Accabléeetvaincue,elleselevadesonlitetsefitpréparerunbain.

—Un carrosse vient d’arriver pour vous, mademoiselle Évangéline, dit Mary en entrant dans lachambred’Évaaumomentoùcelle-ciseregardaitunedernièrefoisdanslemiroirpourvoirdequoielle avait l’air. De la part d’un duc, termina-t-elle avec un soupçon d’admiration dans la voix enjoignantlesmainssursamaigrepoitrine.Évagardaunvisage serein et inspecta sa tenue.Sondéguisement était bien enplace.Évangéline

étaitprofondémentenfouiesousmademoiselleBlack.Elleespéraitquecelasuffise.Maryexaminasarobeetgrimaça.

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— Je peux aller chercher votre robe bleue si vous voulez, mademoiselle Éva, lui offrit-elletimidement.C’estunejoliecouleur,appropriéepourunesortie.Larobebleueseraitunbonchoixsi leducétaitunprétendant.Commesonplann’étaitpasde la

courtiser,maisbiendeladévergonder,ildevraitsecontenterdelarobemarron.Luifaireplaisirétaitledernierdesessoucis.—Non,merci,Mary.Celle-ciestparfaite.—Bien,mademoiselle.Marylaregardaenfronçantlessourcilsd’unairperplexe,puisseretira.Lorsqu’elleavaitdemandé lebain,Évasavaitqu’ilenverraitquelqu’un lachercher ;elleenétait

convaincue jusqu’au bout des orteils. Son bienfaiteur n’était pas un homme patient et il était à larecherchedequelqu’unpourpartagersonlit.Elleavaitsentil’urgencedesondésircontresacuissece matin. Elle savait que l’heure avait tourné et que le temps alloué pour accepter ou refuser sapropositions’étaitécoulé.Arabellal’avaitquittédesmoisplustôt.Àmoinsqu’ilaitrenduvisiteàdesprostituées,iln’avait

plusdemaîtressedepuislongtemps.Ellelissasesjupes,unpetitsouriresurleslèvres.Larobemarronétaitàpeinemieuxquecelleque

portaitMaryetétaitdépourvuederubansetdeboucles.Elleavaituncolaustèresihautetserréqueson cou rivalisait avec celui d’une autruche. Elle portait sa perruque sous le plus ancien de sesbonnetsetseslunettesétaientdanssamallette.Elleétaitparéepour laguerre.Simonsieur leduccroyaitqu’elleallaitmonterdansson litavec

sensualitéetenthousiasme,ilavaittort.Ilallaitdevoirsebattrepourelleenfaisantusagedetoussestalentsdeséducteur.Elleneseraitlaputefaciledepersonne.Lâchantunderniersoupir,ellequittalapièce.

Lamaisondevilledécoréederosesdemonsieur leducétait faiblementéclairée lorsqu’Évaarrivauneheureplustard.Levaletlaconduisitdansunegrandesalleàmanger.Lapièceétouffanteétaitilluminéeparunerangéedebougiesquibrûlaientaumilieudelalongue

table et deux immenses vases de fleurs de toutes les couleurs servaient de centre de table sur lasurfaceenbois,maispasuneseulerosenes’ymêlait.Monsieurleducétaitassisàl’autreboutdelatable.Ilétaitvêtudefaçondécontractée,enbrasde

chemise,soncolpartiellementdéboutonné.Ilavaitàlamainunverred’unspiritueuxquelconque.Lalueurdesbougiesvacillaitsursestraits,luidonnantuneauradoréecontrelesmursquiformaientunsombrearrière-plan.Ilfaisaitpenserauséduisanthérosromantiqued’unelégendegothique,planquédansunchâteauà

attendrequ’uneviergeinnocenteseprésenteafindesefaireenchaîneràsonlitpourleplaisir.Enchaînée pour le plaisir ? Éva tenta de ne pas s’imaginer tendre des mains enchaînées pour

caressersonlargetorse,maisl’imageluivintspontanément.Sielleétaitprisonnièredelui,jusqu’oùirait-ellepourgagnersaliberté?L’embrasserait-elle?Lelaisserait-elleluienleversesvêtementsetluitoucherlesseins?L’entrejambe?L’imageétaittroublante,maisl’excitationqu’elleavaitprovoquéel’étaitdavantage.Ilbutunepetitegorgéedesaboissonenlafixantpar-dessuslereborddesonverre.—MademoiselleBlack.—Monsieurleduc.

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Aprèsquelemajordomesefutretiré,ellerestadeboutdansl’encadrementdelaportepourtenterdecachersonappréhension.Elles’émerveilladucôtéténébreuxdecethommeséduisantquiluiavaitimposécemarchésanssesoucieruninstantdesessentiments.Maisbienentendu,leshommesdesonenvergure avaient l’impression d’avoir le droit de prendre tout ce qu’ils voulaient. Et pour unequelconqueraisoninexplicable,illavoulait,elle.Éva inspira. Son corset baleiné serré lui laissait peu d’espace pour plus qu’une respiration

superficielle.Elletirasursoncol.—Cetterobeestaffreuse,mademoiselleBlack,dit-ilsansménagement.—Jesuisnavréequ’ellenevousplaisepas,répondit-ellesèchement.Sous ses vêtements, elle cuisait dans la chaleur étouffante de la pièce. Mettre tant de couches

protectricesn’étaitpeut-êtrepasunesibonneidée.Ellevacillalégèrement.Ilcontinuadeluifairelesgrosyeux.—Enlevez-la,dit-ilbrusquement.Elleclignadesyeux.—Pardon?—Jevousaiditdel’enlever.Ilvidasonverreets’enversaunautre.— Il fait chaud ce soir et vous semblez en détresse. Se pourrait-il que la laine n’ait pas été le

meilleurchoixdevêtement?Sesmembressefigèrentsouslechocdesonordreetellefutincapabledebouger.—Je…Jenepeuxpas,chuchota-t-elle.

Nicholasvitsesjouesperdreleurcouleur.Onauraitditquelafemmeavaitprissixkilosdepuisleurdernièrerencontre.Illasoupçonnad’avoirmis,soussonaffreuserobe,suffisammentdejuponsetdechemisespourvêtirtroisfemmes.Cequiluidonnaitcertainementdeladifficultéàrespirer,ainsiquedesétourdissements.Iln’yavaitqu’unmoyend’allégersessouffrances:enleverdesvêtements.—Pardonnez-moi,Milady. Il semble que je vous ai offensée, dit-il en se penchant en avant, les

coudessurlatable.J’avaispensévousoffrirduvinetdelapoésiedignedevotrebeauté,maisj’aicruquevouspréféreriezuneapprocheplusdirecte.Ai-jeeutort?Le regardd’Éva redevint incendiaire et il cacha sa satisfaction lorsqu’elle croisa lesbras sur sa

poitrineaplanie.Sonirritationlagarderaitdebout.—Vostalentsdeséducteursontvraimentdéficients,monsieurleduc,leréprimanda-t-elle.J’admets

quejen’arrivepasàcomprendrequevousayezdéjàréussiàattirerdesfemmesdansvotrelit.Ilgloussa,ceàquoielleréponditenlevantlementon.—Vousêtesamusante,mademoiselleBlack.Il la regarda l’observer.Lesyeuxd’Éva luicaressèrent levisageetdescendirent jusqu’à soncol

ouvert.Bienquesonespritregimbe,soncorpsluiappartenait.Toutcequ’ilavaitàfairedésormais,c’étaitdelaconvaincredemettreleursdifférendsdecôtépourjouirduplaisirquedeuxpersonnespouvaientpartager.— Je vousmontreraimes talents lorsque vous aurez enlevé quelques-unes de ces épaisseurs de

vêtements,avantquevousneperdiezréellementconnaissance.S’ilsentait,àunmomentouàunautredelasoirée,qu’elleregimbaitoupaniquait, ils’arrêterait

sur-le-champ.Siellevenaitdanssonlit,ilvoulaitquecesoitavecenthousiasmeetqu’elleledésire

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autantqu’illadésirait.Ilavaitl’intentiondeluidonneruneleçonpourqu’ellecomprennecequesoningérenceluiavaitcoûtélorsqu’ilavaitperdusachèreArabella.Pasdelabattrenidelavioler.Étrangement, lacolèrequ’ilavaitressentielorsqu’ilavaitperduArabellaavaitdisparuàl’instant

oùlavieillefilleluiavaitmordulalèvre.ÉvaBlackavaitenelleunefouguequimanquaitàArabellaet il était intrigué tantpar sesmanièresguindéesquepar sacombativité. Il avait l’intentionqu’elles’enflammeavantlafindelanuit.—Sivousnepouvezpasvousdévêtir,mademoiselleBlack,jedevrailefairemoi-même.Nicholas posa son verre, se leva et s’approcha d’elle. Elle tressaillit, mais resta où elle était,

commesielleavaitlespiedsclouésausol.Une odeur de lilas flottait autour d’elle. Elle baissa les paupières et de doux cils châtains se

déployèrentau-dessusdesesjolisyeux.Cesyeuxoffraientunefenêtresurchacunedesesémotions.Nicholaslevaunemainjusqu’auxcordonsdesonbonnetavantdes’arrêter,unboutdesatingris

emmêléentrelesdoigts.—Puis-je?Sans croiser son regard, elle hocha faiblement la tête. Sa peau luisait tellement elle étaitmoite.

Après deux petits coups, il avait son bonnet dans lesmains. Il s’en servit pour l’éventer.Elle étaitbrûlante,maispasdedésir.Enmatièredeséduction,cen’étaitpascequ’ilavaitimaginé.Les gants suivirent rapidement et furentmis de côté. Il avait envie de libérer ses cheveux,mais

décidadegardercelapourlafin.MademoiselleBlackpouvaitgardersondéguisementdevieillefille.Pourl’instant.Nicholass’arrêtaderrièreelleetglissaunejointurelelongdelarangéedeboutonsquis’étendait

delabasedesoncrânejusqu’àlacourbeaucreuxdesesreins.—Unchoixregrettable,votrerobedecesoir,mademoiselleBlack.Ilsepenchaverssonoreilleetrespiradanslaconquesouple.L’odeurdesapeauprovoquaundébut

d’érection.—Jesuisexpertenboutons.Ilcrutpercevoirungémissementàpeineaudible lorsqu’ilentamauneprocessiondescendante le

longdesminusculesboutons.Lorsqu’ilatteignitlemilieududos,ilfitglisserlarobeternejusqu’àexposerpourinspectionsesépaulespâlesetlapeaulaiteusedesoncou.Desonavantageuxpointdevueau-dessusd’elle,illaissasonregardcaresserlacourbedélicatede

soncou.Savieillefilleétaitundélicieuxmélangededouceuretdeforce.Ilpressaseslèvresàl’endroitoùsoncourejoignaitsesépaulesetquelquescourtscheveuxépars

blond-rouxsortirentdesoussonaffreuseperruquechâtain.Ilneputrésisteràcechantdesirène.Lorsqu’ilenfouitsonnezàcetendroit,sessensfurentsubmergésparl’odeurdelilasainsiqueles

rayonsdesoleil.Legoûtdesapeaudoucefaillitcausersaperte.

Évafermalesyeuxtrèsfortlorsquemonsieurleducpressaseslèvresdanssoncou.Sonsouffleainsiquelegrainfindel’ombred’unebarbeluichatouillèrentlapeau.Maintenantqu’elleétaitlibéréeducol piquant de la robe, la chaleur diminua quelque peu, ce qui fit ralentir la pièce qui tournoyaitautourd’elle.N’eûtétélefaitquesesbrasétaientprissouslepoidsdesesvêtements,elleauraitretiréelle-mêmelesépaisseurssupplémentaires.

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Pour lasecondefoisendeuxjours, ilprenaitsoind’elle.Quoiquecesoir,cefûtautantdanssonpropreintérêtquedansceluid’Éva.Ilpourraittoutdemêmeutilisersafaiblesseàsonavantage,maiscen’étaitpaslecas.Certes,illadéshabillait,maissescraintessedissipaient.Unefoisqu’elleseraitnueetrafraîchie,celachangeraitladonne.Larobetombaausol.—Çavamieux?demanda-t-ilenrevenantdevantelle.Évatentad’inspirerprofondément,maisenfutincapable.—J’aitoujoursdeladifficulté,répondit-elleentirantsursoncorset.Ilécartadoucementsesdoigtsets’attaquaaulaçage.—Vousavezvisiblementsacrifiévotreconfortpourvousarmercontremonintrusion,répliqua-t-il

entirantavecfermetésurlecorset.Nousallonsviteremédieràcettesituation.Évas’attendaitàcequelegonflementlaiteuxdesesseinss’échappeaussitôtlibérédelastructure

baleinée.Cependant,lesépaisseursdechemisesendentelletinrentbonetpréservèrentsapudeur.Ilyavaitplusieurscouchesdesous-vêtementsàôteravantqu’ellesoitlibérée.— J’avais pensé coudre une robe d’épines, rétorqua-t-elle à bout de souffle. Mais j’ai ensuite

concluquevotredéterminationàm’amenerdansvotrelitnefléchiraitdevantriendemoinsquedesmètresdeverrebriséetdepiquesd’acier.Etjen’enavaisplusdutoutenréserve.Labonnehumeur revintdans lesyeuxduduc.Le regard rivéausien, ilplongea lesdoigts sous

deuxchemisespuis,d’uncoup,endéchiral’étoffedélicatejusqu’àlataille.Ellehaleta.—Deuxchemisesenmoins…Ilinclinalatêtepourregarderdanssondécolletépartiellementexposé.—…ilenrestequatre.Évaétaitpersuadéequesesseinss’étaientgonflésàlapenséedecequ’ilpourraitleurfaireunefois

qu’ilsseraientlibérés.Elleétaitàlafoisinquièteettroublée.Unepartied’elle-mêmevoulaitquecetteséductionprennefin.Enmêmetemps,ellevoulaitqu’il lalibèredesrestrictionsdesaconditiondevieillefillepourqu’ellepuisseexpérimenter,pourunefois, l’effetquecelafaisaitd’êtredésiréeetaiméeparunhomme.Monsieurleducétaitsansaucundouteleplusbelhommequ’elleaitjamaisvuetilsavaitutiliser

ses talents de séducteur pour provoquer chez elle une réaction.Malgré le fait qu’elle détestait cethomme,elletrouvaitdifficilederesterindifférenteauxeffluvesdesavonetdebrandyquiflottaientautourd’elleetàlachaleurdesesmainssurlerubandelapremièrechemise.— Je crois que vous n’êtes pas aussi dégoûtée que vous voudriez me le faire croire, dit-il

doucementenlongeantduboutdesondoigtlapeauauborddeladentelle.Soncœurs’emballaetsespaupièress’abaissèrent.Seslèvreslaissèrentéchapperunsoupir.—Noussommesattirésl’unparl’autre,mademoiselleBlack.Vouslesentezaussi.Évaouvrit lesyeuxpour le fusillerdu regard. Il la contourna,puis fit glisser la chemisede ses

épaules jusqu’à sa taille,puis sur seshanches.Respirer étaitbeaucoupplus facilemaintenantet lesmainsduducsefirentplusaudacieuses,sedéployantsursesfessestandisqu’ildescendaitlachemisetoujoursplusbas.—Vousvousfaitesdesidées,monsieurleduc,sivouscroyezquejenesouffrepas.Vousn’avez

aucuneidéedelaprofondeurdemahaine.Elle fut incapable de donner à ses paroles un ton convaincant, même pour elle-même. Il était

impossiblederéfléchirpendantqueleducluicaressaitlepostérieur.Ilgloussa.Lachemisetombasurlapiledevêtementsabandonnésàsespieds.Ilsepenchaenavant

pourpressersajouecontrelasienneetl’enlacer.Ellefaillitfondredanssesbras.

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—Peut-êtredevrions-nous attendrequevous ayezpassé lanuit dansmon lit avant dedécider sivousmedétesteztoujours.Quellearrogance!—Nevousméprenezpas,monsieurleduc.Lorsqu’illuicaressalescôtes,puisglissalesmainsverslehautpours’arrêterjustesoussesseins,

elle laissa échapper un grognement sourd et se cambra contre son torse. Le duc considéra celacomme une invitation. Ses doigts se déployèrent pour prendre à pleines mains la chair ferme. Àtravers les épaisses couches de tissu, il taquina ses mamelons, qui durcirent sous ses doigts. Ellegémit.—Jevousdétesteraijusqu’àmonderniersouffle.Soncorpsbrûlaitdefaçonexquiseàdesendroitsoùiln’auraitpasdû.Il larelâchaetcontinuaà

enleverdeschemises.Ilmordillalapeaunuedesesépaulesenl’effeuillant,unmorceaudevêtementàlafois.Ellen’arrivaitàpenseràriend’autrequ’àsesmains,àsabouche,ainsiqu’aupuissantdésirauplusprofondd’elle-même.Cefutlafraîcheurdelapiècequil’informadesaquasi-nuditélorsquesaculotteglissalelongde

ses jambes nues. Dans un dernier élan de pudeur virginale, elle tenta de croiser les bras sur sapoitrinepourgardersadernièremincechemise,maisildesserralelacetetlafineétoffes’ouvrit.Sesmainscachaientsesseinsàlavue.Lapiledecotonetdelaineluimontaitdéjàjusqu’auxgenoux,maisellenepouvaitserésoudreàabandonnercettedernièrebarrière.Ilsepenchaetlasoulevadanssesbras,écartantlesvêtementsàcoupsdepieds.Illaremitensuite

sursespiedsetsepostaderrièreelle.Elleétaittellementconscientedesaprésencequ’iln’eutmêmepasbesoindelatoucherpourqu’ellesesenteimprégnéedelui.—Jevousenprie,lepriaÉvalorsqu’illapritàpleinesmainsparleshanchesavantdedescendre

pourluicaresserlescuisses.Letorseduducsepressaintimementcontresondosetellesentitunebossedureentresesfesses.

Elle était faible et excitée, incapable de verbaliser ce dont elle avait envie. Elle n’avait aucuneexpériencepréalablesurlaquellesebaser.Un gloussement rompit le silence. Il la contourna sans jamais cesser de la toucher, puis laissa

courir le bout de son doigt le long de la courbe de samâchoire. Ses vêtements ne pouvaient plusservir d’excuse ni à l’intensité ni à l’instabilité de ses émotions. Elle avait envie de lui.Désespérément.—Jamaisjen’auraiscrutrouverdescourbessiexquisessousvosaffreusesrobes,machère.Mais

je crains que vous ne soyez pas entièrement démasquée, dit-il en lui enlevant ses lunettes avant des’étirerpourlesposersurunetableàproximité.Vousavezdecharmantsyeuxcouleurd’ambre.C’estunehontedelescacherinutilement.Évarivasonregardausien,retrouvantunpeudebonsens.—C’estunehontedemetourmentercommevousl’avezfait,monsieurleduc.Undeuxièmegloussementrésonnadanslapièce.Ilbaissasesyeuxvertspourexaminerseslèvres.—Dites-moi que vous avez envie demoi, mademoiselle Black, murmura-t-il contre ses lèvres

aprèss’êtrepenchéverselle.Malgrélesoutrageusesfacétiesduduc,leslèvresd’Évas’étirèrent.—Jesuisincapabledevousrésisteretvouslevoyezbien,murmura-t-elle.Ellefitrapidementremontersesmainssurleventreduducetlesemmêladanssachemise.Unsourirediaboliques’affichalentementsurseslèvres.

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—J’aiétéobligéderenonceràArabellaàcausedevotreingérence,dit-ilentaquinantlecoindeses lèvresdesonpouce.Jecroisqu’ilestsimplement justequevousmedonniezquelquechoseenretour.Laprogressioncontinuajusqu’àcequ’iltouchesaperruque.Elles’immobilisa.Celle-ciconstituait

le dernier rempart de son déguisement derrière lequel elle pouvait se cacher. Une fois enlevé,Évangéline serait entièrement dévoilée devant lui.À ses yeux,mademoiselleBlack serait à jamaisdisparue.—Vous savez très bien que ce n’est pas un échange équitable.Elle ne vous a jamais réellement

appartenu.L’hommes’accrochaitàsesconvictionsavecautantd’entêtementqu’ilétaitgâtéetarrogant.—Danscecas,nosopinionsdivergent,mademoiselleBlack,répondit-ilsimplement.Carjecrois

aucontrairel’échangetrèséquitable.—Etcombiendefoisdois-jem’attendreàêtreappeléedansvotrelitavantquemadettesoitpayée,

monsieurleduc?Éva inclina la tête et haussa un sourcil. Elle sentait les battements rapides de son cœur sous ses

mains et leva les yeux. Elle bougea à peine, mais sa cuisse se pressa intimement contre celle deNicholas.—Unefois?Deuxfois?Troisfois?Sonregards’assombritetill’attrapaparlataille.Ilpétritsachairdesesgrandesmains.—Êtes-vousbien certainequevous serez satisfaite quenotremarché soit conclu,mademoiselle

Black?luidemanda-t-ilensoutenantsonregard.Vouspourriezdécouvrirquepasserdutempsdansmonlitn’estpasaussirépugnantquevouslecroyez.Éva soupira et s’appuya contre lui. Sans autre chose qu’une chemise et ses vêtements pour les

séparer,ellesentaitcontreelletoutelalongueurdesoncorpsmusclé,desesseinsjusqu’àsesgenoux.Ellenepouvaitplusprétendrequ’ellen’avaitpasenviedelui.Ellesehissasurlapointedespiedsetpressafermementsapoitrinecontresontorse.—Embrassez-moi,monsieurleduc.

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CHAPITRE7

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Nicholas s’immobilisa.Enplusdudésir, ilyavaitdans sesmagnifiquesyeuxcouleurd’ambreunsoupçondepeurquilepritdecourt.Malgrésademandeinattendue,ilsentitqu’ellehésitaitetquesoncorpsétaitparcourudefrissons.Les derniers vestiges de son déguisement de vieille fille. N’eût été le fait que Crawford avait

découvertqu’elleétaitlafilled’unecourtisane,Nicholasl’auraitcrueréellementinnocente.Impossible.Pasuneseulefois,tandisqu’illapressaitdeprendrelaplaced’Arabelladanssonlit,

elleavaitinvoquésavirginitéafindeleteniràdistance.Ilbrûlaitd’impatience.Cesoir,ilmontreraitunefoispourtoutesàcettevieillefillequ’iln’étaitpas

unebrute.D’abord,iltermineraitdeladémasquer.Il tendit lamainet luienlevasaperruque.Desépinglesàcheveuxs’éparpillèrent sur le solavec

forcetintementstandisqu’unemassedecheveuxblond-rouxluitombaitsurlesépaulesetcascadaitdanssondos.Ilbanda.Ciel,commeelleétaitbelle!Évavoulutrattrapersaperruque,maisilétaittroptard.Avantqu’elleaitletempsderéagir,ilmitla

main derrière sa tête pour attirer sa bouche vers la sienne. Le baiser des lèvres pleines et doucesd’Éva attisa les flammesqui sepropagèrent dans tout son corps.Éva s’agrippa à ses épaulespourtenterde le repousser,maiselleétaitplaquéecontre lui.Elleémitde faiblesprotestations lorsqu’ilexploradesalangueseslèvrescloses.Jamais une femmen’avait exercé une telle fascination sur son esprit, sur son corps. Il n’eut pas

peur de se faire mordre à nouveau lorsqu’il lui mordilla les lèvres. Il était prêt à en subir lesconséquences si cela signifiait qu’elle finirait par consentir à le laisser explorer les profondeurssensuellesdesabouche.

Évagoûtalebrandyetsentitsonérectioncontresonventrelorsqu’elleinclinalatêtepouracceptersalangue.Ilfitunecourtepause,lesbraspendants,puislaserracontreluiets’enfonçaprofondémentdanssabouche.S’ensuivitunritueld’accouplementvieuxdeplusieurscentainesd’années.Comme elle en avait envie ! Depuis la première fois qu’il l’avait touchée, son corps ne lui

appartenaitplusetellenepouvaitplussupportercedésirquilarongeaitetladéconcertait.Ildevaityavoirunmoyend’apaisersessouffrancesetellesavaitqueceducaffreusementséduisantenétaitlaclé.Ilavaitallumélefeuquibrûlaitenelle;ildevraitl’éteindre.Ellesehissasurlapointedespiedsafind’épouserencoredavantagelescontoursdesoncorps.Le

duc glissa lamain sous ses fesses et la pressa contre son érection. L’intimité du geste la troubla.Pourtant,ellen’arrivaitplusàrassemblerl’énergienécessairepourregretter.Elle sentitunepulsationentre ses jambes tandisqu’elle sependaità soncouet l’embrassait sans

retenue.Leurslanguess’emmêlèrentetÉvasedéchaîna,enfouissantsamaindanslescheveuxduductandisqu’ilemmêlaitsesdoigtsdanslessiens.Elleavaitenviedesentirsontorsenusoussesmains,decaresserlefinduvetquis’ytrouvait.Lapartieétaitterminée.Maintenant,toutcequ’Évavoulait,c’étaitqu’illuimontretouslesplaisirs

qu’unhommed’expériencecommeluipouvaitenseigneràunefemme.Ce fut lui qui recula, stupéfait, pour la regarder dans les yeux. Son esprit réussit à émerger du

brouillard.

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—Jevousméprise,monsieurleduc,arriva-t-elleàarticuleravantd’attirersatêteverslebaspourunautrebaisertorride.NicholasDrake,sonennemi,lasoulevadanssesbrasetlaportahorsdelasalleàmangersansse

soucierdesdomestiques.Elleinterrompitlebaiserpourenfouirsonnezdanssoncou,qu’ellecouvritd’unepluiedebaisersjusqu’àsamâchoiresévère,pourensuiteensuivrelecontour.Elles’imprégnadesonodeurtandisqu’illaportaitenhautdedeuxvoléesdemarches,jusqu’àunegrandechambreauboutd’unlongcouloirsombre.Ilpoussalaportepourl’ouvrir,puislarefermad’uncoupdepied.Unpetitcadrevacilla,puisalla

s’écraserausol.IlposaÉvasursespiedsetsepenchapourl’embrassertoutendéchirantsamincechemise.Elle s’empressade renoncer à saprétention sur l’étoffe.Elle tira sur sa chemiseà lui, lasoulevaetlapassapar-dessussatêteàl’instantoùlasiennetouchaitlesol.Ellesuivitsoninstinct;elle savait cequ’ellevoulait et, à encroire le regardduduc, cela suffisait.Elle avait l’impressiond’êtreabsolumentdévergondéeetlicencieuse.Nue, elle ne fut pas intimidée. Le désir ardent qu’elle lisait sur le visage du duc lui donnait du

pouvoir.Elletenditlesmainspourcaresserlavastesurfaceplanedesonlargetorsemusclé.Attiréeparlapeauchaude,elles’arrêtapourluicaresserlesmamelonsduboutdesdoigts.Il gémit et tira sur son pantalon, détachant d’un coup tous les boutons. Éva le regarda baisser

l’étoffesousseshanchesétroitesetvitsonmembreenérectionsurgirbrusquement.Elles’ensaisit,fascinéeparsonpremieraperçud’unhommenu.Et il était magnifique. Mais son examen prit fin subitement lorsqu’il la serra contre lui pour

réclamer sa bouche, puis la poussa à reculer ; ses mains étaient partout à la fois, passant de sescheveuxàsescuissesetinversement,etlatouchaientauxendroitslesplusintimes.Leduclaguidaendirectiondulit,latenantentresesbraspouréviterqu’ellenetrébucheettombe.Lorsque l’arrière de ses genouxheurta lematelas, elle tomba à la renverse avec un petit rire et

s’empressadegagneràquatrepatteslemilieudulit.Illasuivit,l’écrasasoussoncorpsétendudetoutson longet l’embrassapassionnément.Leducse redressaau-dessusd’elleet écartadoucement sescuisses;leboutdesonmembreenérectionsetenaitprêtetattendaitàl’entréedesoncorps.—Tellementbelle,souffla-t-ilenbaissantlatêtepourprendreunmamelondanssabouchechaude.

Ravissante.Elle laissa échapper un petit cri et arqua le dos. Il suçota pendant unmoment, puis dirigea son

attentionsurl’autresein,enmordillantlebout.Ellejouadanslesdouxcheveuxdelabêtemagnifiquetandis qu’il la taquinait de ses lèvres expertes, provoquant des gémissements de plaisir, avant deréclamerànouveausabouche.Àboutdesouffleetimpatiente,Évalaissacourirsesmainssursoncorpsavecavidité.Ellechassa

lesregretsetlahainepoursedélecterplutôtdelasensationdesoncorpsferme,àlafoissoupleetchaud,muscléetsvelte.Lorsqu’illevalatêtepourlaregarderdanslesyeux,sescheveuxenbatailletombèrenttoutautour

desonséduisantvisage.Ilsouritavecmalice.—Voulez-vousquej’arrête?—Non,gémit-elle.Il reportasonattentionsursesmamelons,couvritdebaiserssonventreet remontadanssoncou

jusqu’à ce qu’elle n’arrive plus à supporter l’intense et douloureuse pulsation entre ses jambes.D’instinct,ellesavaitqu’elleneseraitpassatisfaitetantquel’accouplementneseraitpascomplet.Impatiente,ellesoulevaleshanchespourpresserlasourcedelapulsationcontresonmembreviril.

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—Jevousenprie,monsieurleduc.Ils’empressadeluiobéir.D’ungesterapide,ils’enfonçaenelle.Ellegémitdedouleurlorsqu’il

déchirad’unseulcouplabarrièredesoninnocenceenlapénétrantprofondément.Monsieurleducs’arrêta.—Vousêtesvierge?Ellehochalatête.—Plusmaintenant.Àcet instant, leursébatseffrénésse transformèrent.Les traitsduducs’adoucirentautantqueses

caresses.Ilsepenchapourposerdesbaiserssursespaupièresainsiquesurleslarmesdevirginitéquiluichatouillaientlecoindesyeux.Évalevatimidementleregardversluietlatendressequ’ellevitlorsqueleducbaissadoucement

lesyeuxsurellelatouchaprofondément.Avecuneattentionparticulière,ilsemitàalleretàvenirendes mouvements lents et mesurés pour lui permettre de s’adapter à son corps et de surmonter ladouleursourdeliéeàlapertedesoninnocence.Ill’embrassasurlabouche,surlementonetdanslecou,lamordillantetlataquinanttandisqu’elle

s’habituait à son corps et que le plaisir montait en elle. Elle laissa échapper de petits cris etgémissements. Il la pénétra avec douceur et en profondeur, utilisant son corpsmagnifique pour lamener au bord de la folie. Éva attrapa à pleinesmains ses fesses, dont elle pétrit la chair ferme.Lorsqu’ellesentitqu’ellen’enpouvaitplusetqu’elledemandagrâce, ilaugmentalaprofondeurdesesmouvementspourlapousseràboutjusqu’àl’ultimerelâchement.Ellecriaetselaissatomberàlarenversesurlelit.Leducgémitet,s’enfonçantenellejusqu’àla

garde,trouvasonpropreplaisir.Épuisée,Éva soupira en lui caressant le dos et les fesses dubout des doigts. Il s’appuya sur ses

coudes pour se pencher au-dessus d’elle et l’embrassa. Elle ne savait pas très bien comment elles’était retrouvée là,dansson lit ; lesdétailsétaient flous.Ellesavaituniquementque leducqu’elleméprisait venait de lui faire minutieusement l’amour et qu’elle n’arrivait pas à en éprouver lemoindreregret.Auboutd’unmoment,monsieurleducseretiraets’étenditàcôtéd’elle,posantlatêtesursamain

ouverte. Leurs jambes étaient entremêlées. Les traits normalement crispés du ténébreux ducdiaboliqueétaientdétendus,cequiluidonnaituneallurepresquepuérile.—Peut-êtrenemecroirez-vouspas,maisjen’avaispasl’intentiondevousemmenerdansmonlit

cesoir,dit-ilenécartantuncheveuqui lui tombaitdevant lesyeux.Jepensaisquevousalliezvousenfuiraprèsm’avoirassomméavecunchandelier.Évaplissalespaupières.—C’estdoncmoiquisuisàblâmer?répondit-elled’untonacide.Vousauriezpumefairepartde

vos honorables intentions quand j’avais encore une chance de m’en sortir avec mon innocenceintacte.Leslèvresduducs’étirèrent.—En toutehonnêteté, je ne savais pasquevous étiezvierge.Vous sembliez si déterminée àme

séduire,j’aicruquejerisquaisdevousdécevoirsijerésistais.Ellehoquetaetchassad’uneclaquelamainquireposaitsursapoitrine.—Jevousaiséduit?—C’estcedontjemesouviens,mademoiselleBlack.Franchement ! Éva toussota et, lorsqu’il pencha la tête pour l’embrasser, le retint en posant une

mainsursontorse.

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—Vousêtestellementinsupportable.J’étaisinnocentealorsquevous,vousêtesmanifestementunhomme d’expérience. Vous avez profité d’un instant de faiblesse de ma part. En fait, je vousappartiens.J’étaisobligéedemesoumettre.Sonsouriredisparut.—Jen’aijamaiseul’intentiondevousemmenerdeforcedansmonlit,répondit-ilenseredressant

pour s’appuyer contre la tête de lit. J’étais en colère. Je le suis toujours.Vousn’aviezpas le droitd’interférerdansmavie.Etcontrairementàcequevouscroyez,Arabellaétaitimportantepourmoi.Nous étions parfaitement assortis, poursuivit-il en passant unemain sur sa tête pour se gratter lanuque.Notrearrangementneluiapastoujoursdéplu,mademoiselleBlack.S’ilavaitséduitArabellacommeill’avaitséduite,ellevoulaitbiencroirequesonamieavaittrouvé

unecertainesatisfactiondansleurrelationcharnelle.MaisArabellaétaitmaintenantheureusedanssanouvellevieavecsonépouxetsonfuturnouveau-

né.Sielleavaitcontinuéàservirdejouetauduc,ellen’auraitjamaisrieneudetoutcela.EtÉvaavaitprissaplace.—C’estexactementcequ’estlepassé,monsieurleduc:dupassé.Plusvitevoussurmonterezvotre

déception,plusvitevouspourrezretrouverlapaix.Il fallut un bonmoment, ainsi qu’un regard insistant, avant qu’il parle. Il laissa traîner un doigt

entresesseins.Unelueurd’amusementserallumadanssesyeux.—Cequenousavonspartagéiciafaitbeaucouppourapaisermacolère,mademoiselleBlack.Ellesentitunevaguedechaleurmonterlelongdesoncou.—Vouspouvezm’appelerÉva,ouÉvangéline,sivouspréférez,monsieurleduc.Ellebaissalesyeuxsursesmamelonsenflésetlescachaencroisantlesbras.Ellelaissatraînerson

regardsurlecorpsduducjusqu’àsonmembreramolli.—Jetrouve«mademoiselleBlack»unpeutropformelcomptetenudecequis’estpasséici.

Penseràelleautrementqu’entantquemademoiselleBlackluiparessaitétrange.—Vousaviezlechoix,Éva.Unsimplerefusetjevousauraislaisséepartir.Pourtant,vousm’avez

embrassé etdéshabillé avec autantd’empressementque je l’ai fait.Vousnepouvezpasdireque jevousaiforcélamain.Auboutd’unmomentdesilence,ellesecoualentementlatête.—Vousnem’avezpasforcélamain.Jesuisvenuedansvotrelitdemonpleingré.Dieumerci.Ilseredressapours’agenouillerdevantelle.Illarelevajusqu’àcequ’ellesoitassise

faceàlui.—Siunjourvousrevenezdansmonlit,ceseraparcequevousavezenviedemoietpouraucune

autre raison. Je n’utiliserai plus jamais votre dette pour vousmanipuler.Votremère et vous aureztoujoursuntoit.Sanssetoucher,ilsseregardèrentdanslesyeux.Ilvituneséried’émotionsbrutessesuccéderdans

lessiens.Ilavaitenviedelaprendredanssesbrasetdeluifairel’amourencoreetencore,jusqu’àcequ’ellen’aitplusaucunregret.Ilavaitenviedeluifairel’amourjusqu’àcequ’ilnevoieplusenellemademoiselle Black, la vieille fille qui avait chamboulé sa vie,mais l’insaisissablemademoiselleWinfield—Éva—qui se dérobait aumonde. Il voulait connaître chaque centimètre de la femmederrièreleslunettesetlaperruque.Illavoulait,elle,laséduisantefilledecourtisane.

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—Jecroisque jedevraisvousappelerNicholas,monsieur leduc,murmura-t-elle finalementenposantunemainàplataumilieudesontorse.«Monsieurleduc»m’apparaîttropformeldanslescirconstances.Nicholassourittandisqu’ellesependaitàsoncoupourl’entraînersurlelit.

Nicholasglissaunemainsoussa têteet l’autreautourd’Éva.Sapassionexplosive l’avaità la foisébranléet ravi.Encemomentmême, alorsqu’il écoutait sa respirationetque ses cheveux soyeuxétaientemmêléssoussonépaule, ilétait impossibledecroirequ’ÉvaBlacketÉvangélineWinfieldétaientuneseuleetmêmepersonne.Il s’était fait prendre si facilement. Il était tellement en colère contre elle depuis leur première

rencontre qu’il avait refusé de voir au-delà de son déguisement. Il voulait tellement la punir, larameneràl’ordre,l’obligeràimplorersonpardon.Maisc’étaitplutôtellequil’avaitassommé.Une vierge ?La fille d’une courtisane était innocente. S’il l’avait su avant, cela aurait-il changé

quelque chose ? Peut-être.Mais il était trop tard pour les regrets. Il lui avait minutieusement faitl’amour.Iln’yavaitaucunmoyend’effacercesmomentsetiln’avaitpasenviedelefairenonplus.Illavoulaitexactementcommeelleétaitàl’instant,douceetdocile,endormiecolléecontrelui.La question était maintenant de savoir ce qu’il allait faire d’elle. Lui voler son innocence avait

certainement satisfait son désir de vengeance. Racheter ses dettes n’aurait jamais pu la ruinerdavantage.Ildevraitlalibérer.Pourtant,ilsavaitque,pouruneraisonquelconque,ceneseraitpassisimple.Elles’était immiscéeenluiavecsesbeauxyeuxcouleurd’ambreetsanatureétonnammentpassionnée.Si elle acceptait de donner suite à leur arrangement et devenait vraiment sa courtisane, cela lui

suffirait-ilderesterdansl’ombrelorsqu’ilsemarierait?Elleaidaitlescourtisanesàéchapperàleursprotecteurs.Ilétaitimpossibled’imaginerqu’ellese

satisferaitdevivrecommel’uned’elles,àseprélassersuruncanapévêtued’unerobescandaleuseetàattendresonbonplaisirenlisantunquelconquelivredepoésiestupide.Cettepenséelefitsourire.Ilimaginasonindignationainsiquelesmotsacerbesqu’elleutiliserait

pourexprimersonrefus.Bienqu’iln’aitpasséquequelquesheuresensacompagnie,illaconnaissaitsuffisammentpoursavoirquel’offrededeveniruneamanteentretenueneluiplairaitpas.Dans l’obscurité, il étudia les angles doux de ses charmantes pommettes et de son menton

légèrementpointu,maisnetrouvaaucunesolution.Peut-êtredevrait-ilypenseraumatin,quandellen’aurait plus une cuisse par-dessus la sienne et un sein pressé contre ses côtes. Comment avait-ilseulementpulatrouverterneetindigned’intérêt?Ilétaitpratiquementimpossibledenepascomploterpourlagardercommemaîtressetandisqu’elle

étaitsiprèsdelui.Évaremuadanssonsommeiletpoussaunlégersoupir.Nicholasremontal’édredonsursesseins,

moinsparcequ’ilavaitpeurqu’elleattrapefroidqueparcequ’ilavaitlui-mêmebesoinderepos.Lesboulesgénéreusesétaientbeaucouptropattrayantes.Etilétaitépuisé.

IlétaittôtlelendemainmatinlorsquelecarrossedeNicholasreconduisitÉvachezelle.C’étaitjusteavant l’aubeet lecielnoircédait laplaceaugris tandisqu’elles’enfonçaitdanssonsiège, lefront

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ridéparl’inquiétude.On lui avait fait l’amour trois fois pendant la nuit et elle était extrêmement satisfaite de

l’expérience.Pourcesinstantsvolés,elleneregretteraitjamaisd’avoirperdusoninnocence.Quantauduc,lesrépercussionsdesesactesentresesbrasn’étaientpasaussiclaires.Ilavaitouvertlaporteà des émotions et à des pulsions sexuelles qu’elle avait toujours eu l’intention de garder enfouiesjusqu’àsamort.Bien qu’elle parût la même de l’extérieur, elle avait changé de l’intérieur. Elle n’était plus

innocente.Elleavaitperdu savirginitéavecunhommequi représentait tout cequ’elledétestait : ilétait arrogant, vengeur et c’était un duc. Sa fortune et son pouvoir auraient dû suffire à la faireplongersouslelitleplusproche,loindesrumeurs.Etsonempressementàlelaisserl’aimer,encoreetencore,latroublaiténormément.L’avenirqu’elleenvisageaitpourelle-mêmen’impliquaitpasdemariage;iln’yavaitdoncaucun

risquequ’unfuturépouxdécouvrequ’elleavaitperdusoninnocence.Etcommeellen’avaitaucuneintention de retourner voir le duc, à moins qu’il l’ait mise enceinte, leurs interactions étaientterminées.Siellecontinuaitàlevoir,cen’étaitpasuniquementunbébéqu’ellerisquait,maisaussisoncœur,

sielleétaitassezfollepourtomberamoureusedecethommequineseraitjamaisamoureuxd’elle.Elleavaitvuceàquoisamèreavaitdûrenoncerpouraimersonpère;vivreenretraitdumonde,

nejamaispouvoirlerevendiquerentièrementcommesien.Bienquesonpèreaimâtprofondémentsamère,ilyavaitdesrèglesqu’ilsdevaienttousdeuxrespecter.ÉvasavaitqueNicholasnepourraitjamaisl’épouseretqu’ellenesesatisferaitjamaisdevivredans

l’ombredesonépouseetdesesenfants.Par conséquent, elle continuerait à vivre comme avant et laisseraitNicholas derrière elle. Et de

tempsàautre,ellerepenseraitàsanuitavecleducténébreuxetenchériraitlesouvenir.Aprèsavoirordonnéaucocherde ladéposerderrière lamaisondeville,elle traversa le jardin,

profitantdecesquelquesderniersinstantsdesolitudepourseressaisir.Lorsqu’Haroldouvritlaportedelacuisineavecunairrenfrogné,ellepassaàcôtédeluisansdireunmotpourseréfugierdanssachambre.Elledevraitaffrontersacolèreunjour,maispourlemoment,elleavaitbesoindedormir.

—Cettecouleur tevaà ravir,Sophie.Tuescharmante,ditRoseen riant tandisquePauline faisaittournerSophiepourl’examiner.La robe de ville verte avait un décolleté en dentelle décent et de la dentelle vaporeuse bordait

chacunedescourtesmanchesbouffantes.—C’esttoiquiescharmante,Rose,réponditSophieenlaregardantdanslemiroir.Enquelquesjoursseulement,Sophies’étaittransforméedemanièreinattendue.Quelques-unesdes

ridesprofondessursonvisages’étaientestompéesetellesouriaitplussouvent.L’enthousiasme de Rose pour la vie s’était révélé contagieux et personne n’était immunisé, pas

même les plus endurcies telles que Sophie etYvette.À l’occasion,Yvette les divertissait avec unehistoiregrivoiseetelleétaitdevenueunpeucommeunegrandesœurpourRose,PaulineetAbigaillorsquecelles-ciavaientbesoindeconseils.ÉvatenditunerobecrèmeàYvetteenécoutantRoseetPaulinediscuterdemotifsetd’étoffesavec

Abigail, qui ne portait que sa chemise. Rose était vêtue de bleu pâle et les deux femmes étaient

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effectivementmagnifiquesdansleursnouvellesrobes.Madame Fornier et ses assistantes, qui anticipaient une vente importante, couraient partout,

impatientesdeleurmontrerlesdernièrestendances.Évaavaitprévud’emmenersesdemoisellesfaireles boutiques la veille,mais une pluie battante les avait confinées à l’intérieur. Elles avaient doncpassél’après-midiprécédentàréviserlessujetsdontondiscutaitenprenantlethéoulorsdefêteset,bienentendu,l’actualité.Évavoulaitquesesdemoisellessoientprêtespourn’importequellesituationsociale.Sonespritvagabond,ainsiquesesnuitsagitées,l’empêchaitdeseconcentrerentièrementsurautre

chose que les tâches les plus banales. Malgré tous les efforts qu’elle faisait, elle n’arrivait pas àchassermonsieurleducdesespensées.Lanuitdernière,elles’étaittournéeetretournéedanssonlitavec fébrilité, se languissant de son corps. Elle ne pouvait pas marcher dans la rue sans espérerapercevoirsonséduisantvisage.—Quepensez-vousdecelle-ci,mademoiselleÉva?luidemandaAbigail.Évarevintàlaréalité.Larobeétaitjaunepâleavecdeminusculesfleurscoordonnéesauborddu

décolleté.—Larobeestjolie,maislacouleurdonneunéclatjaunâtreàtapeau,réponditÉvaens’approchant

d’unetablepourramasserunrouleaudetissubordeauxfoncé.Simadamepouvaitfairelamêmerobedecettecouleur-ci,ceseraitparfait.Abigailsourit.—MademoiselleÉvaaraison.Jeprendraicelle-cidel’autrecouleur.Évaluisouritenretour.MêmeAbigailavaitcommencéàémergerdesprofondeursdesatimiditéet

desaréservepourrévélerunespritvif.Elleétaitvitedevenuel’unedesesfavorites.Évaespéraitlacoupler avec un des trois hommes qu’elle avait choisis qui avaient un tempérament semblable.Abigailferaitunebonneépousepourn’importelequeld’entreeux.Touteslesfemmesavaientquelquechoseàoffriràunprétendant.Évaavaitdéjàentêteplusieurs

hommes à présenter à Rose et à Yvette. Une fois qu’elle avait bien cerné la personnalité de sescourtisanes, ilnerestaitplusqu’àfaire lesprésentationsavec lesprétendantsetà laisser l’attirancefaireletravail.Pendant que les femmes se déshabillaient pour la prochaine sélection de robes dans le salon

d’essayageprivé,Éva sepromenadans laboutique, tâtant les étoffes et lesgarnitures.Dèsque lesfemmeseurentdécouvert les joiesdesvêtements fabriquésdansdes tissus à travers lesquelsonnepouvaitpasvoir,ellesn’avaienteuaucunmalàabandonnerleursrobesdecourtisanes.Ducoindel’œil,Évacaptadunoirenmouvement.Ellesetournaetaperçutunegrandesilhouette

sousunecapequiseglissaitdansunepièceaufonddelaboutique.Elleregardaautourd’ellepourtrouvermadameFornier,maislacouturièresemblaits’êtrevolatilisée.Curieuse, Éva se dirigea où l’homme avait disparu et passa prudemment la tête par la porte

entrouverte.Unemaingantéesurgitetl’attrapaparlepoignet.Avantqu’elleaitletempsdecrier,ellefutattiréedansl’entrepôtetlaportesefermaderrièreelle.—Lâchez-moi,gémit-elleaussitôtqu’elle reconnut l’odeurépicéedeson ravisseur.Monsieur le

duc?Àlafaiblelueurquifiltraitsouslaporte,Évaseblottitcontreluitandisqu’ilenlevaitprestement

sonchapeaud’unemainetlaprenaitparlatailledel’autre.—Attendiez-vousquelqu’und’autre?Ilsetournapourl’adosseraumuretsepenchapourréclamersaboucheavecavidité.Lapassionfit

vacillerÉva lorsqu’ellesependitàsoncouet inclina la têtepourmieuxépouser lecontourdeses

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lèvres. Tandis que Nicholas l’embrassait à en perdre haleine, elle laissa échapper un faiblegémissementdepurplaisir.Lorsqu’il releva finalement la tête, le cœur d’Évamenaçait de sortir de sa poitrine. Elle savait

qu’elledevrait lerepousser,maisellen’enavaitpaslaforce.Ilétaitchaudetfermeetellemouraitd’enviede sentir au-dessusd’elle soncorpsnuqui lapénétrait.N’eût été la situation inappropriée,elleauraitremontésesjupesetl’auraitlaissélaprendre.—Quefaites-vousici?chuchota-t-elleens’agrippantàsaveste.Quelqu’unpourraitvousavoirvu.

Prévoyez-vousdecausermaperte?—C’étaitmonintention,lataquina-t-il.Jesavaisquevotrecuriositévousconduiraitjusqu’àmoi.Ilinclinalatêtepourluimordillerl’oreille.—J’aivuvotrecarrosse,mais jeprévoyaisuniquementdepasserdevant.Monavocatestàdeux

portes d’ici. Lorsque je vous ai vue par la fenêtre, j’ai été attiré à l’intérieur, poursuivit-il endescendantunemainpourluicaresserlepostérieur.Jen’aipaspurésisteràquelquescaresses.Étrangement,sonaveuluifitplaisir.Ellehaussaunsourcil.—Vousdevezbienconnaîtrelaboutique,monsieurleduc,pouravoirtrouvécettepièce.Elleest

quelquepeucachéederrièrelesétalages.—Jesuisvenuiciuneoudeuxfois.Sansdouteavecd’anciennesamantes.Ilsuçotalelobedesonoreille.Éva gloussa doucement et pencha la tête en arrière pour lui permettre d’accéder à son cou. Sa

perruqueglissaetluibloqualechemin.Ilgrommelaetlevalatête.—Jedétestelamanièredontvouscachezvoscheveux,Éva.Pourquoienressentez-vouslebesoin?Évalelâchaets’adossaaumur.—Vous ne comprendriez pas, monsieur le duc. Lemonde connaît votre existence depuis votre

naissance. Je n’ai pas cette chance. Je dois gardermes deuxmondes séparés.MademoiselleBlackappartientauxcourtisanestandisquemademoiselleWinfieldm’appartient.—Intéressant.Vousvouscachezuniquementdevoscourtisanes?luidemanda-t-ilensoulevantson

mentonduboutdesdoigtspour la regarderdans lesyeux.Jesuisaucourantde l’histoiredevotremère.Est-celavéritableraisonpourlaquellevousvouscachezderrièremademoiselleBlack?Évalevalatête.—Vousêtesaucourant?Ellesepenchapourselibérerdesonétreinte.Elleluifitface,lessourcilsfroncés.—Commentest-cepossible?Elle avait enviedevomir.Toutes ces annéespassées à cacher la vérité et le ducn’avaitmisque

quelquesjoursàdécouvrirsonplusgrandsecret.Ellecroisalesbrasd’ungesteprotecteur.—Oh, c’est vrai. Vous vous êtes donné commemission de tout découvrir à mon sujet afin de

pouvoirmetraînerdanslaboueetderuinermavie.— Éva, dit-il d’une voix devenue glaciale, malgré mes projets de vengeance, jamais je ne

dévoileraivotresecret.J’aimisfinàl’enquêteaussitôtquej’aireconnulenomdeCharlotte.Sonestomacsenoualorsqu’elleentenditletonfamiliersurlequelilavaitprononcé«Charlotte».—Vousconnaissezmamère?chuchota-t-elleenportantlesmainsàsabouche.Leduchochalatête.—Monpèrelaconnaissaitunpeu.Jel’airencontréeunefoisàHydeParkquandj’étaisenfant.Elle

était superbe et aimable. Ellem’avait permis demonter devant son carrosse avec le cocher alorsqu’ellefaisaitletourduparc.Monpèrenemepermettaitpasdefaireça.Ils’approchad’unpas.

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—Mondétectivenesaitriendesonidentité.Jem’ensuisassuré.Charlotteestensécurité.Les larmesmontèrentauxyeuxd’Éva.Ellen’avait jamais rencontrépersonnequiavait connusa

mère du temps où elle était jeune et enjouée. Elle avait dû couper tous les ponts avec la vie decourtisanedesamèreafindelesprotéger,elleetsonespritfragile.—Elleestmalade,monsieurleduc,dit-ellefaiblement.Siquelqu’undécouvraitlavéritéausujet

desonpassé,jenecroispasqu’ellepourraitsupporterdeseretrouveraucentredel’attention.Nicholasl’attrapaparlebrasetlaforçaàleregarderenface.Iln’yavaitaucunsigned’idéesde

vengeanceoudecolèresurlestraitsombragésdesonvisage;ellevituniquementdelacompassionainsiqu’unetouchedesympathielorsqu’ilsepenchajusqu’àcequ’ilssoientpratiquementnezànez.—Vousavezmaparole,Éva.J’emporteraisonsecretdansmatombe.

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CHAPITRE8

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Comment pouvait-elle avoir confiance en cet homme ?Bien qu’il disemaintenant le contraire, ils’étaitorganisépourladétruire.Lechangementquis’étaitopéréenluidepuislanuitqu’ilsavaientpasséeensemblen’étaitcertainementqu’unediversionpassagère.Desébatsenfiévrésnechangeraientrienaufaitqueleducétaitimpitoyable,égoïsteetarrogant.—Peuimportecequisepasseraentrenous,Éva,jenetrahiraipasCharlotte,dit-ilsérieusement,

commes’ilavaitluledoutedanssespensées.Unetellechoseseraitcruelle.Évahochalatête.—Merci,monsieurleduc.Troublée,ellereculadesorteàsetrouverhorsdeportée.— Je devrais y retourner avant que les demoiselles ne commencent à s’inquiéter, dit-elle en

détournantleregard.Elle ne pouvait pas supporter de voir ce duc vengeur diabolique sur les traits de l’homme qui

l’avaitaiméesipassionnémentletempsd’unenuitmagiqueetquil’avaitserréetendrementdanssesbrastandisqu’elledormait.Pendantuninstant,ellesentitlepoidsdesonregardet,àcontrecœur,levalesyeuxsursonvisage

encapuchonné. Sa posture était crispée et il serrait les dents. Un abîme s’était ouvert entre euxlorsqu’ilavaitadmisconnaîtrelamèred’Évaetellesavaitqu’illesentaitaussi.Nicholashochasèchementlatêteavantd’yrenfoncersonchapeau.—Bonnejournée,mademoiselleBlack.—Bonnejournée,monsieurleduc.Sansunregarddeplus,ill’abandonnadansl’obscurité.

Éva rentra chez elle quelques heures plus tard, épuisée. Elle avait laissé les femmes à l’école,ensevelies sous des boîtes de robes, de chapeaux et de gants, et avait profité de l’occasion pours’éclipser.EllesétaientheureusesdedépenserleursmaigreséconomiespourdesrobesetÉvas’étaitassuréequechaqueachatfûtraisonnable.Elleavaitmalauxpiedsd’êtrerestéedeboutpendantdesheuresinterminablesetsentaitlestensions

de la journée accumulées derrière son front.Harold ne lui avait pas adressé la parole de toute lajournée.Enrevanche,ilavaitenpermanenceaffichéunairrenfrognétandisqu’illesconduisaitd’uneboutiqueàl’autreetlesaidaitàporterleurspaquets.Elle se demanda s’il avait vu le duc entrer dans la boutique et s’il soupçonnait un rendez-vous.

Mêmesileurrencontreavaitmenéàdebrefsébatssurleplancherdel’arrière-boutique,ellen’avaitpasd’explicationsà luidonner.En tantqu’adulte, elleprenait sespropresdécisions.Si elle jugeaitnécessairedeprendreunamantdifférentchaquejourdelasemaine,ceseraitsadécision.Elleneluiavaitjamaisposédequestionssurseshistoiresd’amouretiln’avaitpasàs’inquiéterdessiennes.—Avez-vousl’intentiondemeparler,Harold,ouvais-jedevoirsubirvotresilencedésapprobateur

jusqu’àlafindemesjours?Elles’arrêtajusteàl’entréeduvestibuleetlevalatête.Lessourcilsblondsd’Haroldserejoignaient

presqueau-dessusdesonnez.—Vousferiezaussibiendedirecequevousavezàdire,qu’onenfinisse.Jenesupportepasce

silenceinfernal.—Vousfaitesuneerreur,grommela-t-ilenenlevantsonchapeau,dontilécrasad’unemainl’étroit

rebord.Monsieurleducvavousdétruire,Éva.Ilvaprendreetprendreencorejusqu’àcequevous

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n’ayezplusrienàdonner,puisilvousquitteracommevotrepèreaquittévotremère.Qu’allez-vousfaireensuite?—Monpèreestmort,répondit-elled’untonbrusque.Cen’estpaslamêmechose.—Ahnon?Illapritparlecoudeetl’entraînadanslepetitsalon.Unefoislaportefermée,ilsetournaverselle.—Ilvousutiliseàsespropresfins.Nevousméprenezpas,Éva.Unefoisqu’ilauraconquisvotre

cœur,ildisparaîtrasanslaisserdetraces.—Mamèreetmonpèreétaientamoureuxetilestdécédé.Décédé!s’exclama-t-elletandisquela

colèremontaitenelle.Jenesuispasamoureusedemonsieurleduc.C’était lavérité.Elle serait follede tomberamoureused’unhommecomme lui.Sa fortuneet sa

conditionétaientsupérieuresauxsiennes.Ilchoisiraitcommeépouseunebelledesonproprerang.Évan’étaitqu’unediversiontemporaireetn’endemandaitpasdavantage.—Etjeneleseraijamais.—Vousleniezpourl’instant,maisqu’ensera-t-ildansunesemaineoudansunmois?Harold se frotta lamaincontre sa joue. Ily avaitplusieurs joursqu’ilne s’étaitpas raséet cela

commençaitàsevoir.—Mêmes’iltombaitamoureuxdevous,ilnepourraitpasvousépouser.Vouslesavez,poursuivit-

il en faisant les cent pas sans lui laisser le temps de répliquer. Sauriez-vous vous satisfaire d’unarrangement comme celui qu’avaient vos parents ? demanda-t-il avant de secouer la tête et de luilancerun regardnoir. Jevousconnais,Éva.Faire laputepour lui tout en sachantque saduchessel’attendàlamaisonvousrongeraitdel’intérieur.—Commentosez-vousfairepreuved’unetelleinsolenceenversmoi?s’écria-t-elle.Vousn’avez

pasledroit.—Ilfautbienquequelqu’unlefasse,rétorqua-t-ilenparcourantlapièced’unpasraide,lecorps

tendu.Vousêtessouslecharmeetnevoyezplusclairement.Sesparolesfrancheslacalmèrent.Elleserralesbrasautourdesatailleets’approchadelafenêtre.

Lesnuagess’amoncelaientdanslecieletunelégèrebruinesemitàtomber.Lagrisailledelajournéecorrespondaitbienàsonhumeurmaussade,pensa-t-elleenfixantlarueau-delàdujardintrempéparlapluie.Ellesavaitqu’Haroldavaitraisonet,encet instant,elleledétestaitparcequ’il laconnaissait trop

bien.Elledétestaitaussi le faitqu’ilétaitsonseulvéritableamietque,pourprotégersamère,elles’étaittantisoléequ’ellenepartageaitavecpersonnecetteproximitéhabituelleentrefemmes.Comment un homme pouvait-il parfaitement comprendre le cœur d’une femme ? Comment

pouvait-elle lui expliquer qu’elle s’était sentie vivante pour la première fois de sa vie pendant cesinstantsvolésdanslesbrasdemonsieurleduc?Elleavaitpartagéunepassionavecleduc,etce,sanspenser à samère, ni à ses courtisanes, ni à la manière dont elle devait étouffer ses soucis et sescraintes au quotidien. Elle s’était dénudée aussi bien physiquement qu’émotionnellement et,étrangement, elle avait fait confiance àmonsieur le duc cette nuit-là, tant en ce qui concernait soncorpsquesoncœur.—Jeneveuxplusenparler.Elleavaitenviedevomir.Parsonignoranceetsesaccusations,Haroldl’avaittransforméeenpute.

Bienqu’iln’yait euaucunéchanged’argent entre leducet elle, etqu’ilsn’aient convenud’aucunarrangement, elle avait couché avec cet homme sans recevoir de sa part ni mots d’amour nipromessesd’avenir.

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Harold lavoyait commeelle refusaitde sevoir elle-même.Le faitqu’elleait cédéà la tentationavecmonsieurleducfaisait-ild’elleunepute?Àcetinstant,ellecommençaàcomprendresescourtisanesmieuxquejamaisauparavant.Elle les avait aidées, leur avait enseigné, leur avait trouvé des époux, mais elle n’avait jamais

vraiment compris, en tant que vieille fille vierge, ce qui incitait tant de femmes à choisir et àmaintenircestyledevie.Lanuitpasséeavecmonsieurleducluiavaitapprisàquelpointledésirpouvaitêtrepuissant.Son

corps,sinonsonespritetsoncœur,avaitsidésespérémenteuenviedelui.Mêmeencetinstant,ellebrûlaitd’enviedel’accueillirdanssonlit,desentirsesmainsjoueravecellejusqu’àluifaireperdrela tête.Elle avait envie de goûter sa peau, de le sentir la pénétrer longuement, profondément.Elleavaitenvied’entendresoncœurbattresoussonoreilletandisqu’elleétaitappuyéecontresontorseetqu’ildormaitàsescôtés,sonbrasautourd’elle.Elleauraitvouluoublierlejouroùilétaitapparusurlepasdesaporteetl’effacerdesonesprit.

Elle aurait voulu ne pas voir la déception dans les yeux d’Harold parce qu’elle avait offert soninnocenceàleurennemi.—Peut-êtrenevoulez-vouspasparlerdemonsieurleduc,maisjevoisdansvosyeuxqu’ilvousa

mislegrappindessus.Évaregardapar-dessussonépauleetvitHaroldattraperlapoignéedelaporteavantdesetourner

verselle.—Soyezprudente,Éva.

—N’oubliepaslebaldeLadyPenningtoncevendredi;lesBanes-Doddyseront.LamèredeNicholas,Catherine,triaitunepiled’invitationsquisetrouvaitàcôtédesonassietteau

petit-déjeuner.Ellelesséparaitenpilesselonleurimportance,commeellelefaisaittouslesmatinsdevantdespâtisseriesauxfraisesetdesœufstropcuits.—JesuispersuadéequeLucyestimpatientedeterevoir,montrèscherfils.Ilyadessemainesque

tun’asfaitactedeprésenceàaucuneréception.Nicholaslevalesyeuxdesonjournaletfronçalessourcils.Depuisqu’ilavaitperduArabella,faire

lacouràLucyBanes-Doddnel’intéressaitplus.Diable,depuisqu’ilavaitrencontréÉva,elleoccupaittoutessespensées,cequiavaitatteintunniveauobscèneaprèsqu’il l’eutemmenéedanssonlit.Enfait,ilavaitdumalàseremémorerlevisagedelabelleLucy.Il s’était donné tant demal, d’abord pour se venger d’Éva et ensuite pour la séduire, qu’il avait

reléguéauxoubliettestouslesautresaspectsdesavie.—Dessemaines?Ilsecreusalesneuronespourserappelerladernièrefêteàlaquelleilavaitassisté.Ils’agissaitdu

balmasquédesWilksbury, environunmoisplus tôt. Il s’était déguisé et avait danséplusieurs foisavecLucy,quiportaituncostumedebergère,ainsiqu’avecplusieursautresduchessespotentielles.Lasoiréeavaitétéassezplaisante,maisiln’avaitpastellementlatêteàfairelacour.Ilsetrouvaitalorsau beau milieu de sa quête pour retrouver Arabella. La soirée n’avait pas été particulièrementmémorable.Ilétaitsouventagitécesdernierstemps.Avecl’âge,l’excitationliéeauxplaisirsdelajeunesseavait

disparu;lejeuetlesrapportssexuelsdépourvusdesentimentsavecdesamantesdontilauraitoubliéle visage le lendemain ne suscitaient plus son intérêt. Bien qu’il ait fourni de grands efforts pour

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devenir l’homme que son père voulait qu’il devienne, il savait qu’il y avait certaines choses qu’ilvoudraitfairedifféremment.—Tuesdistraitcestemps-ci,moncœur.Les yeux verts curieux de sa mère scrutèrent son visage. Elle posa une invitation sur la pile

appropriéeetsepenchaenavantpourmieuxexaminersonfils.—Onracontequetuaségarétamaîtresse.Nicholasgrimaça.Ilfaisaitànouveaulesfraisdesrumeurs.Ildétestaitcela.Maisjacasseràpropos

de choses dont ils ne savaient rien était un fléau propre aux gens de son rang. La succession descandalesdivertissaitlasociétéetlorsqu’iln’yenavaitaucunenvue,oninventaitdeshistoires.Lefaitquesamèrementionnesamaîtresseaupetit-déjeunerluifithausserunsourcil.—Jenel’aipasperdue,Mère.Nousnoussommesquittés.Àl’amiable.UnautrevisageremplaçaceuxdeLucyetd’Arabelladanssatête.Unvisagequ’ilferaitbienmieux

d’oublier.Samèren’avaitpasbesoind’êtreaucourantdecela.Auplusprofonddelui-même,ilsavaitbienquelafougueusemademoiselleWinfieldluicauserait

desennuis,qu’elleétaituneépinedanslepieddesaviebienrangée.S’ilvoulaitretrouverquelquepeularaison,ilvaudraitmieuxqu’ilsetrouveunnouveaupasse-temps.Etvite.— Tu n’as donc aucune intention de te jeter du haut d’un pont pour mettre un terme à tes

souffrances,ditsamère,dontleslèvress’étirèrent.Iljetaunregardàsonvisageencoreséduisant.Sescheveuxbrunsavaientcommencéàgrisonner,

mais son visage était toujours aussi joli. Les hommes se bousculaient pour parler à la riche etcharmante veuve. Ses malheurs passés la retenaient de se remarier tout comme une colonnevertébrale d’acier lui avait tenu la tête haute lorsque son mariage s’était effondré. Ses activitéssociales,sesœuvresdecharitéetl’éducationdesonfilslacomblaientpleinement.C’étaitsoncélibatquilatracassait.—Vouspouvezrassurerlescommères;jen’aiaucuneintentiondesauterversmamortdequelque

surfacesurélevée.Jamaisunefemmen’avaiteusuffisammentd’importanceàsesyeuxpourqu’ilconsidèrelamort

préférableàsaperte.Ilrepritlejournaletenparcourutlapage.—Enfait,j’assisteraiaubal,Mère.Ilestgrandtempspourmoideretournerensociété.

—Unejeunefemmeàlaportedésirevousparler,mademoiselleÉva.Lemajordomeâgédesamère,Edwin,jetauncoupd’œilrapideàlapâteentrelesmainsetsurles

bras d’Éva. Celle-ci se mettait à cuisiner quand quelque chose la tracassait. Cela la calmait et luipermettait de réfléchir en profondeur à ses problèmes. Aujourd’hui, ils ne manqueraient pas demichesdepain.—Elleprétendêtreuneparentequelconque,maisellerefused’endireplus,poursuivit-il.Une parente ?À part samère et des demi-sœurs qu’elle n’avait jamais rencontrées, il n’y avait

personnedontellepouvaitsetarguerd’êtreuneparente.Lafamilledesamèreétaitdécédéeetcelledesonpère,horsdeportée.Lacuriositélaretintderenvoyerlavisiteuse.—Installez-ladanslepetitsalon.Jevaismelaverlesmainsetj’arrive.

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Évalaissa tomber lapâteetsenettoyalesmains, l’espritenébullition.C’était lemoisdesvisitesétranges.D’abord,monsieur le duc etmaintenant, une femmequi prétendait être unmembrede lafamilledisparudepuislongtemps.Éva était soulagée que samère dorme à l’étage. Si la visiteuse était réellement quelqu’un de la

famille,Évadécouvriraitlesraisonsdesonarrivéeimpromptueetimproviseraitàpartirdelà.Ellelissasarobedumieuxqu’elleputenépoussetantlafarine.C’étaitl’unedesesrobeslesplus

anciennes et elle était légèrement effilochée aux poignets, mais elle n’avait pas le temps de sechanger.Elle tapota ses cheveux, coinçauneboucle rebellederrière sonoreille etquitta la cuisineavecappréhension.EllecherchaHaroldduregardensedirigeantverslepetitsalon.Iln’étaitpaslà.Ellelesoupçonnad’êtrepartiàCheapsidepourvérifierquelescourtisanesallaientbien.Elles’arrêtadevantlaportedupetitsalonetpritquelquesprofondesrespirationspoursecalmer.Lorsqu’elleentradans lepetit salon, l’étrangèreregardait leportraitdesonpèreau-dessusde la

cheminée. Séduisant et imposant, ses yeux couleur d’ambre avaient une lueur amusée. Petite, elleadoraitceregard,commes’ilconnaissaitdeprofondsettroublantssecretsqu’ilchoisissaitdenepaspartager.Elleeutlecœurserré.Illuimanquaittellement.Toutefois,cefutlapetitesilhouettevêtuedegris

tourterellequiretintsonattention.Malgrélasimplicitédesacoupe,larobeétaitcoûteuseetlebonnetassortinecouvraitpasentièrementsescheveuxpâles.Dederrière,ilétaitdifficiled’évaluersonâge,maisÉvasedoutaitqu’elleétaitjeune.Évafitunpasdanslapièce,maisunevoixdoucequiprovenaitdesouslebonnetl’arrêta.—Ilétaittellementbeau,n’est-cepas?Ilparaîtquetuassesyeux,Évangéline.La femme se tourna lentement.Bien que son visage en forme de cœur fût dans l’ombre de son

bonnet, il était impossibledenepas reconnaître, sous le rebord, lesyeuxqui la fixaient.Desyeuxqu’Éva, son père et cette fille avaient en commun. Une rare couleur d’ambre foncé avec, si l’onregardaitd’assezprès,unetouchedoréeautourdespupilles.Lapiècetangua.Évatitubajusqu’àunfauteuilets’assit.Sagorgeseserraetsesmainstremblèrent.

Ellen’avaitpasbesoind’unactedenaissancepoursavoirqu’ils’agissaitdesasœur.Bienquecettefillen’aitpasdutoutlamêmecouleurdecheveuxqu’Éva,ellesseraientfacilementreconnuesparmiunefoulecommeétantapparentées.La question, c’était de savoir de quelle sœur il s’agissait et pourquoi elle était ici, surtout à ce

momentprécis.—Jecrainsdevousavoirbouleversée,Évangéline.Lajeunefemmeôtasonbonnetets’approchad’Éva.Elle ladépassaitdetroisàcinqcentimètres.

Sonnezmutinétaitparsemédequelques tachesde rousseuret saboucheétait légèrementcourbée.Elleétaitjolie.—Cen’étaitpasmonintention.J’avaispeurquevousrefusiezdemevoiralorsj’aicrupréférable

denepasannoncermonnom.Ellejoignitsesmainsgantées.Peut-êtretremblait-elleaussi.—JesuisNoëlle.Jesuisnéedeuxansavantvous.Notresœur,Margaret,estentrenousdeux.Elle

estlaplussérieusedesdeux.LesyeuxdeNoëlledansèrent.Detouteévidence,elleavaithéritédelanatureespiègledeleurpère.—Peut-êtreavez-vousbesoind’uninstantpourvousressaisir.Devrais-jefaireapporterduthé?—Non.Éva inspira profondément et secoua la tête pour chasser son malaise. Elle connaissait depuis

toujoursl’existencedeNoëlle,maislavoirassiseenfaced’elledanssonpetitsalonl’avaitébranlée.

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—Je crains d’être confuse.Onm’avait laissé entendre que vous n’étiez pas au courant demonexistence,ouplutôtquevousnevouliezriensavoirdemoi.Jenesuispaslegenredefemmequ’unedameavecuntitrevoudraitavoircommeparente.Noëllehaussaunsourcilblondetpritunairperplexe.—Pourquoipas?Nousavonslemêmepère.Nousnesommespasàblâmerpourleschoixqu’ila

faits, dit-elle en souriant joyeusement. Je connais votre existence depuis des années parce que j’aisurprisuneconversationentremamèreettanteBéatrice.Ellejetauncoupd’œilauportrait.—Quandj’étaisenfant,mamèrerefusaitdemelaisservousvoir.Maintenantquejesuisassezâgée

pourprendremespropresdécisions,jedevaisvenirvousvoir.Évaeutl’impressionquesonmondes’écroulait.D’abordmonsieurleduc,etmaintenantuneautre

personneétaitsortiedel’ombrepourtoutmettreenpéril.Elleramaitàcontre-courantetétaitsurlepointd’êtreemportée.—Jecroisqu’ilseraitpréférablequevouspartiezetquevousnereveniezplus,ditdoucementÉva.

Vousn’avezrienàfaireici.Un éclair de douleur traversa le visage de Noëlle. Elle regarda longuement Éva, puis posa les

mainssurseshanches.Uneétincellededéfianceremplaçaladouleur.—Jesuisvenueiciàl’insudemamère,sanssapermissionetauméprisdel’avisdeMargaret.J’ai

toutrisquépourvousrencontrer,masœur.Etvousvoulezmejeterdehorsalorsquenousvenonsàpeinedenousrencontrer?Elletapadel’orteil.—Vouspouvezmefairesortirdeforce,maisjenesuispasprêteàprendrecongéimmédiatement.Cettefilleétaittêtue,unecaractéristiquequ’ellespartageaient.Elleétaitaussicharmanteetrebelle,

destraitsdecaractèrequ’Évaconsidéraithabituellementcommedesqualités.Sesproprestendancesrebellesavaientcédélaplaceauxresponsabilités.Éva sentit sa colère faiblir. Cela ne ferait pas de mal de découvrir si une raison plus obscure

motivaitsavisite.Pourpréparersadéfense,ilestutiledeconnaîtresesennemis.—VousêtesLadyNoëlleSeymour.Pourquoivoudriez-vousconnaître la filled’unecourtisane?

lui demanda Éva en joignant lesmains.Mon ascendance ne change rien aux circonstances demanaissance.Notrepèreatrompévotremère.Jenecomprendspaspourquoivousnememéprisezpas.Noëlleselaissatombersurunfauteuiletsoupira.Ellen’avaitvisiblementaucuneintentiondepartir

sans avoir dit ce qu’elle avait sur le cœur. Pour lui faire quitter l’immeuble, Éva aurait besoind’Harold,quiétaitabsent.—Sivousconnaissiezmamère,vouscomprendriezpourquoiilacherchéunlitpluschaleureux

ailleurs,réponditNoëlle.Mamèreestfroideetnepenseàpersonned’autrequ’àelle-même.Masœuretmoiétionssurtoutunfardeau,unepartdesesobligationspourcontinuerlalignéefamiliale.Ellearegrettéamèrementdenepasavoireuunfils.—C’esthorrible,répliquaÉva,compatissantemalgréelle.Samèren’étaitcertainementpasparfaite,maisÉvaavaittoujourssuqu’elleétaitaimée.Jamaissa

mèren’avaitexprimélemoindreregretquantàsanaissance.— Tout demême, si on vous trouvait ici, vous seriez ruinée. Le scandale ébranlerait la bonne

société.Évan’avaitrienàfairedelanoblessesnobinarde,maisellesavaitquesiNoëlleaspiraitunjourà

unmariageconvenable,elledevaitgarderleurliendeparentésecretetsaréputation,immaculée.

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—Taratata,rétorquaNoëlleenbalayantl’airdelamain.Personnen’abesoindesavoirquenoussommessœurs.Nousn’avonsqu’àdirequenoussommesdescousineséloignéesquiviennentdeseretrouver.Quevousêtesvenuenousrendrevisited’uncoinreculéduNorthumberland.Lasociétén’apasbesoindeconnaîtrelavérité.Sesparolesrésonnèrentdanslatêted’Éva.—Vousnepouvezpassuggérerquenoussoyonsvuesensembleenpublic.Vousdevezavoirperdu

laraison.En vérité, Éva n’était pas certaine d’avoir réellement envie de connaître Noëlle, que ce soit en

publicouautrement.Elle avait l’impressionque la tornadequ’incarnait sa sœurpouvait lui causerbiendesennuis.Ilyavaitbeaucoupd’avantagesàêtreenfantunique.Noëllesecoualatêteensoupirant.—Jecrainsquel’aventuren’effraiemasœur.Jedoisdirequejesuisplutôtdéçue.Elleregardaautourd’elledanslapièceetportasonattentionsurunepetitefigurined’éléphant.—Saviez-vousquenotrepèreapassédutempsenIndeetenAmérique?Ilabeaucoupvoyagéeta

vubeaucoupdechoses.Ilétaitaventurierdanssajeunesse,ditNoëlle,dontlevisages’assombrit.Quepenserait-ildesafilles’ilsavaitqu’elleapeurdesonombre?Unevertèbreàlafois,Évaseredressa.— Comme vous ne savez rien de moi, vous ne pouvez pas porter un tel jugement. J’ai vécu

beaucoupd’aventures.Ellenepouvaitpasparlerdel’écoledescourtisanesnidesaliaisonavecmonsieurleducàsasœur.

C’étaitsessecrets.EllelançaunregardnoiràNoëlle.—Jevoussoupçonne,masœur,demelancerundéfiauquelvousmecroyezincapablederésister.Lajeunefemmeétaituneinconnueàtouslespointsdevue,maisquelquechosechezelleintriguait

pourtantÉva.ElleavaitunpetitcôtésauvageetÉvasoupçonnaitquesamère,LadySeymour,avaitenvaintentédeledompter.Aprèstout,elleavaitfaitletrajetdepuisleKentafinderencontrersasœurillégitime,etce,enprenantdegrandsrisquespoursafamilleetpourelle-même.En outre, l’idée de contrarier la femme qui leur avait presque volé l’allocation de son père lui

remontalemoral.LadySeymoursouffriraitd’unecrised’apoplexiesiellevenaitàdécouvriroùétaitsafilleaînée.Il n’en restait pasmoins qu’apprendre à connaîtreNoëlle en privé, c’était une chose.Quant aux

sortiesenpublic,jamaisellen’approuveraitunetellefolie.Ellesouritàsasœuraînée.— Prendriez-vous un peu de thé, Noëlle ? Je crois qu’il est grand temps que nous fassions

connaissance.Pendant presque deux heures, elles bavardèrent de tout, des détails de leur vie quotidienne en

passantpardeshistoiresdeleurpère.CommeÉvaneréussitpasàtrouverderaisonscachéespourexpliquerl’apparitiondesasœur,laréservequ’elleéprouvaitenverselles’estompapeuàpeu.Noëlleparaissaitsincèreetfranche.Elles rirent un peu, pleurèrent davantage et se découvrirent une véritable affection l’une pour

l’autre.ÉvaenappritunpeusurMargaretetcompritquelesdeuxsœursnepartageaientpaslemêmepointdevueencequiconcernaitleurdemi-sœur.ÉvanerencontreraitapparemmentjamaisMargaret.ConnaîtreNoëlleetpasserquelquesheuresavecelleluisuffisaientamplement.Plus tard, lorsqu’Évafutau litetque lamaisondevintsilencieuse,elleétaitheureuseetcontente.

Toutes ses inquiétudes s’étaient dissipées. Elle était persuadée que Noëlle serait satisfaite de leurrencontreetqu’ellerentreraitdansleKentpourreprendresavielà-bas.

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Sansfairedemalàpersonne.

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CHAPITRE9

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Les plumes grattaient sur les parchemins tandis que les anciennes courtisanes additionnaient deschiffresetbalançaientdescolonnes.Évasepromenaitdel’uneàl’autre,telleuneinstitutriceguindéetoute degris vêtue.Apprendre aux femmes à faire la comptabilité était une entreprise inhabituelle.Toutefois,celas’avéraitunoutilprécieuxpourelles.Onnesavaitjamaisquandlamaîtriseducalculpouvaitserévélerutile.—Jen’yarrivepas, seplaignitRoseen laissant tomber saplumedans l’encrieret en fixant ses

paumesouvertesainsiquelestachesd’encresurplusieursdesesdoigts.Jesuisnulleencalculs.—Laisse-moivoiroùtuenes,Rose.Éva se pencha par-dessus son épaule et commença à additionnermentalement les chiffres. À la

moitiédelacolonne,elletrouval’erreur.—C’estlàqueçasegâte.Tuasmisunsixiciaulieud’unhuit.Rosesepenchasurleparcheminpourl’inspecter.—Hum.Ellerepritlaplumeetfitlacorrection.Uneminuteplustard,elleremitunefoisdepluslaplume

dansl’encrieretsefrottalesmainsensembleenjubilant.—J’airéussi!Évasourit.—Oui,tuasréussi.Etcommetuasterminél’exercicedefaçontrèssatisfaisante,j’aiunesurprise

pour toi,dit-elleavantdefaireunepausele tempsquetous lesyeuxse tournentverselle.Uncoupd’œildanslelivredesépoux.Roselâchaunpetitcriaigu.—Jesuissiimpatientederegarder!s’exclama-t-elleenbondissantsursespiedsetenjoignantles

mains.Jesuislapremière.Plusieurs regards jaloux la suivirent à travers la pièce. Éva s’approcha de la bibliothèque et en

retira le lourd volume. Elles avaient bientôt terminé leur instruction et étaient presque prêtes àprendreunpartenaire.ChoisirdesprétendantspotentielsétaitaussiexcitantpourlesfemmesquepourÉva.Ellecaressalacouverturedulivre.—Installe-toisurlecanapé,Rose.Rose se laissa tomber à l’endroit indiqué et tendit lesmains. Les lèvres d’Éva s’étirèrent. Rose

n’étaitpastimide.Celafaisaitpartiedesoncharme.Encequiconcernaitlesaventuresdelavie,cettefilleavaitautantd’enthousiasmequ’unchiotagité.—Ceciestlepointculminantdevotreapprentissage.— Pourquoi avez-vous fondé cette école, mademoiselle Éva ? demandaAbigail en trempant sa

plumedansl’encrier.— Eh bien, c’est assez simple, en fait, répondit Éva. Ce qui commença comme une simple

conversationausujetd’unamournonréciproqueaveclejeuneartistetimidequipeignaitleportraitdemamères’esttransforméenunmoyend’aiderlesjeunescourtisanes.Ilafalluplusieursannéesetd’innombrablesheuresdetravail,maisjesuisfièredurésultat.L’histoireétaitvraie.Elleomitlapartiesurl’histoiredesamèreetlafaçondontcelal’avaitmenée

là.Lesdeuxhistoiresmisesensemblel’avaientconvaincued’aiderlescourtisanesàtrouverl’amour,ainsiqu’uneéchappatoire.—Dites-nous-enplussurl’artiste,l’encourageaPauline.—IlsetrouvaitquemonsieurBennetétaitàlarecherched’uneépouseetqu’ilétaitprofondément

épris demademoiselleHale, qui était lamaîtresse d’un comte, poursuivit Éva en souriant. Je suis

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intervenue etme suis découvert un don étonnant pour jouer les entremetteuses. Très vite, ils sonttombés éperdument amoureux.Le couple était tellement ravi demon travail qu’ilm’ademandédel’aiderà trouverunecompagnepourlefrèredemonsieurBennet.Grâceaubouche-à-oreille,ainsiqu’àuneséried’amisdemonsieurBennet,célibatairesmalheureuxdeleurétat,monécoleétaitnée.Maintenant,monsieurBennetmerecommandedesprétendantsetendessinelesportraits, tandisquemadameBennets’occupedeleurfamillegrandissantedecinqenfants.Bienentendu,c’estmoiquiailederniermotsurlechoixdeshommesquiapparaissentdanslelivre.C’étaitunpartenariattrèsbienréussi.Entroisansàjouerlesentremetteuses,ellen’avaitpasreçu

uneseuleplaintedelapartdesépouxouépouses.—Lorsquevousaurez toutes terminévoscalculs,ditÉvaenouvrant le livreaupremiervisage,

vouspourrezaussijeteruncoupd’œil.Cettedéclarationfutsuiviepar legrattementfurieuxdeplumessur lesparchemins tandisqu’Éva

tendaitlelivreàRose.Pendantquetoutlemondeétaitoccupé,Évaregardatouràtourchacunedesfemmes,notant tristement l’absenced’Yvette.Personnene l’avaitvuedepuis laveille,alorsqu’elleétaitsortiefaireunecoursesecrètedontellen’étaitpasencorerentrée.Éva savait qu’Yvette trouvait très difficile le passage du rôle de courtisane à celui d’épouse.

L’épreuvel’avaitamenéeàserepliersurelle-mêmedanslesdeuxderniersjours.Elleavaitvendusoncorpspendantsilongtempsqu’ellen’étaitpascertainequ’unevienormalepuisselasatisfaire.Malgrétout,Évaavaitfermementcruqu’Yvettedésiraittoujourschangerdevie.Maintenant,ellen’enétaitplussicertaine.Yvetteétait-elleretournéechezsonamantviolentsansledireàpersonne?Seloncequ’Évaavait

compris, il frappaitYvette quand il perdait une bourse au jeu. Lorsqu’une entreprise commercialetournaitmal, il lui faisait unœil au beurre noir ou lui fendait la lèvre. Toutes les raisons étaientbonnes pour passer ses frustrations sur elle. Yvette avait beaucoup souffert ; c’est pourquoi Évan’arrivaitabsolumentpasàcomprendrecommentellepourraitavoirenvisagéderetournerchezcethomme.Malheureusement,sonidentitérestaitunmystère.Yvetterefusaitdediresonnomlorsqu’onlelui

demandait.Sanscetteinformation,ilétaitimpossibledesavoirsiYvetteavaitrenouéavecluiounon.SelonSophie,Yvetteétantunefemmed’uncertainâgedontlacarrièretiraitàsafin,elleavaitsubi

lescoupsavecstoïcismejusqu’àcequ’elletrouvesoncheminjusqu’àlaported’Éva.—Jesuislasuivante!s’exclamaPaulineenposantsaplumeetsonparcheminpours’empresserde

prendreuneplacedechoixàcôtédeRose.Trèsvite,lesdeuxfemmessemirentàbavardergaiementenparcourantlesportraits.Éva s’approcha de la fenêtre et regarda de chaque côté de la rue déserte. Tandis que les jeunes

femmesgloussaientderrièreelle, elle sentit les ténèbresenvahir lecreuxde sonestomac.Quelquechose clochait à propos de l’absence d’Yvette. Elle le savait, le sentait, et était certaine que peuimporteoùelleétait,Yvetteavaitdegravesennuis.Dans une ville aussi grande que Londres, où devait-on commencer à chercher une courtisane

disparue?Siellesemettaitàsarecherche,Yvettevoudrait-elleêtreretrouvée?Éva savait qu’elle ne pouvait rien faire pour l’instant et qu’elle devait se concentrer sur les

courtisanes qui restaient. Elles ne s’inquiétaient pas encore pour Yvette et Éva savait qu’ellessuivraientsonexemple.Siellesemontraitcalmeetpersuadéequ’Yvettereviendrait,ellesferaientdemême.—Celui-ciesttrèsséduisant,ditAbigail.

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Éva se tourna pour découvrir un trio de têtes penchées sur le livre. Le parchemin bruissaitlorsqu’ellestournaientlespages.Sophie,quieutbientôtterminésescalculs,sepenchapar-dessusledossierducanapépoursejoindreàelles.—Celui-cialesdentsinférieurestropreculées,maisiladesyeuxtrèsdoux,ditRose.J’adoreles

hommesquiontlesyeuxdoux.—Regarde celui-ci, répondit Sophie en pointant un visage et en plissant les yeux pour lire les

informations.Çaditqu’ilestavocat.Sonvisages’illumina.—Avocat?Ildoitavoirunejoliemaison.Sophie leva les yeuxversÉva, qui l’avait rejointe derrière le canapé.Éva jeta un coupd’œil au

livrepar-dessusseslunettes;celles-ciétaientenverretransparentetneservaientàrien.—Ilestbienavocat,acquiesçaÉva.Ils’agissaitdel’undeshommesqu’elleavaitchoisispourSophie.— Il cherche une femme d’une certaine maturité sans enfants pour s’occuper de sa maison et

l’accompagnerenvoyagelorsqu’ilrendvisiteàdesclients.Ilestassezfortuné.—Ilseraitparfaitpourtoi,Sophie,s’empressad’intervenirPauline.Jepariequ’ilafièreallureàla

cour.Sophietentadecachersonintérêt,maiselleavaitlesyeuxbrillants.Évaluienverraitsoninvitation

immédiatement.—Pourquoinemeferiez-vouspaschacuneunelistedeprétendantspotentiels?demandaÉvaense

dirigeant vers son secrétaire. J’enverrai les invitations la semaine prochaine, poursuivit-elle ensouriant aux femmes. Vous avez fait la preuve que vous êtes de bonnes élèves. Nous devrionsterminernosleçonsdanslesprochainsjours.À voir les femmesmaintenant, il serait difficile de reconnaître une ancienne courtisane dans le

groupe.Ellesétaientdécemmentvêtuesetdépourvuesdemaquillageainsiquedeparurestapageuses.Chacuneétaitdenaturecharmante,cequirendaittrèsagréableletempspasséenleurcompagnie.Éva avait le pressentiment que ses clients masculins seraient ravis de prendre pour épouse

n’importelaquelled’entreelles.

Harold conduisit Éva à la maison quelques heures plus tard, lui donnant des réponsesmonosyllabiquesetévitantderépondreàsesquestionsconcernantl’endroitoùils‘étaitrendu.Ilétaittoujoursencolèrecontreelle, et ellecontre lui,maispour l’instant, elleavaitd’autres soucisplusurgentsquelamauvaisehumeurdesondomestiqueetami.L’absenced’Yvettelarongeait.Pasuneseulefois,depuiscejouroùelless’étaientrencontréespour

leur première réunion, Éva n’avait pensé qu’Yvette regrettait son choix d’abandonner la vie decourtisane.Bienqu’elleeûtdeladifficultéàs’adapteràl’instruction,elleyétaitarrivéeetavaitréussisesleçonsdefaçonsatisfaisante.Danslesderniers jours,ÉvaavaitvuYvettesourireplusfacilementetellesemblaitmoinsamère

par rapport à sa situation. Bien que Sophie fût persuadée qu’Yvette ne faisait que s’ajuster auxrestrictionsdesanouvellesituationetqu’ellereviendraittrèsviteàCheapside,Évan’enétaitpassiconvaincue.—Oùestmamère?demandaÉvaàunedomestiquequipassait.

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Ellefutdirigéeverslejardin.Elletrouvasamèreentraindesereposersousunarbre,nonloindesagarde-malade.Àl’arrivéed’Éva,madameBrownluifitunsignedetêteetretournaàlamaison.—Bonaprès-midi,machérie.Charlottesouritetpritlamaind’Évatandisquecelle-cis’asseyaitsurunechaiseauprèsd’elle.Sa

mèreavaitlesmainsfraîches.Évaremontasacouverturesurelledecraintequ’elleneprennefroid.Charlotteenfouitsesdoigtsdanslesplis.— Je ne pouvais pas supporter de rester uneminute de plus dansma chambre. Il fallait que je

respiredel’airfraisetquejevoielesoiseauxjouer.—C’estunejournéeparfaitepourça,acquiesçaÉva.Samèreétaittroppâle.Desmoiss’étaientécoulésdepuisladernièrefoisquecelle-ciavaitautorisé

Évaàlasortir.Ellepréféraitresterenferméedanssachambreavecsessouvenirs.—Lesoleilsecache,maiscen’estnitropchaudnitropfroid.Jecroisquel’étéserabientôtlà.Charlottehochalatête.—La saison va bientôt battre son plein.Avant, j’adorais assister aux fêtes, dit-elle en soupirant

tandisquesonregardsevoilait.Ilyavaittantdebellesrobesetd’hommesséduisantsavecquidansertouslessoirs.C’étaitextraordinaire.Les fêtes auxquelles samère était invitée n’étaient pas celles de la bonne société.Toutefois, elle

s’étaittenueenmargedelanoblesse.Cesfêtesetcesbalspouvaientêtretoutaussibien,sinonplusextravagantsencore,queceuxorganisésparuneduchesseouunecomtessefortunée.Évan’avaitpasdemalàimaginerqu’unefouled’hommessebousculâtpourdanseraveclabelleCharlotteRose.Samère était tombée amoureuse lors de son premier bal de courtisanes. Un seul coup d’œil à

l’élégantLordSeymour,lepèred’Éva,etsamèren’avaitplusjamaisdanséavecaucunautrehomme.—Jemesouvienscommevousaimiez lesfêtes,Mère,ditÉva.Pèresortaitsouventavecvouset

vousétiezsibelle…—Tut’ensouviens?—Oui,réponditÉvaenserrantsamaindanslasienne.Sesparentsavaientforméuncouplemagnifique.—Vousaviezunerobebleuerecouverted’unvoiletrèsfinparsemédeminusculesperlesenverre.

Elle était de lamême couleur que le ciel en été. Quand vousmarchiez, elle scintillait comme lesétoiles.Charlottehochalatête.—J’aitoujourscetterobe,réponditsamèreenlaregardantdanslesyeux.Jel’aigardéepourtoi.Évafuttrèssurprise.Larobedevaitêtreincroyablementdémodée.Ilétaitétonnantquesamèrel’ait

conservée.Peut-êtreétait-ceenraisondesbonssouvenirsquecela ravivait lorsqu’elle la regardait.Ellel’avaitportéelorsdel’unedesdernièresréceptionsauxquellessesparentsavaientassistéavantledécèsdesonpère.—J’adoreraisl’avoir,Mère.Seremémorantleurbonheur,Évaravalaseslarmes.Àcetteépoque,elleavaitenviéleuramour.La

souffrancedesamèreaprèsledécèsdesonpèreavaitjetéunvoilenoirsurcessouvenirs.—Malheureusement,jen’aiaucuneoccasiondeporterunteltrésor.— Oh, mais ça arrivera, ma chérie, répondit Charlotte en lui souriant d’un air rêveur. Je suis

certainequ’un jour, unhomme t’enlèverapour t’emmener dans son château.Tuporteras alorsmarobeettuterappellerascombientonpèreetmoiétionsheureuxilyasilongtemps.Éva sentit que sa mère lui glissait entre les doigts ; elle s’empressa donc de la retenir dans le

présent.

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—J’airencontréquelqu’unquiprétendvousavoirconnuavantmanaissance.MonsieurleducdeStanfield.Lenoméclaircitleregarddesamère.—Nicholas?LeslèvresdeCharlottes’étirèrentetelleportaunemainàsajoue.—C’étaitungentilgarçon,tellementcharmant,maisunpeuturbulent,poursuivit-elleenregardant

Éva avec une étincelle dans les yeux. Il doit être devenu un dépravé irrésistiblement séduisant,maintenant.Évaeutl’impressionderougirdelatêteauxpieds.—Ilestséduisant,avoua-t-elle.Samèren’avaitpasbesoinqu’onluidécrivelesmusclessculptéssoussesvêtementsnil’expertise

aveclaquelleilutilisaitsoncorpspourpratiquerl’artdel’amour.C’étaitunsecretqu’ellegarderaitpourelle.Ellerésistaàl’enviedetirersursonhautcolettentad’oublierleslèvresmagnifiquesdemonsieur

leduc.Depuisquandlajournéeétait-elledevenuesichaude?Unairétrangesepeignitsurlevisagedesamère,suivid’unregardnarquois.—Monsieur le duc possède ici à Londres une demeure semblable à un château, Collingwood

House.Peut-êtreauras-tubientôtl’occasiondeportermarobe,aprèstout.Évaeutdumalàgarderunvisageserein.Lesimplefaitdepenseràmonsieurleducsuffisaitpour

quesapeausoitparcouruededélicieuxfrissons.Sisamèresentaitlamoindretraced’intérêtenverslui,ellenelalaisseraitjamaistranquille.—Nesoyezpasabsurde,Mère.Cen’estpasunchâteau.Cependant,c’étaitpresqueaussigrand;uncadreappropriépourunduc.—Nousne fréquentonspas lesmêmesmilieux, poursuivitÉva, qui ne fréquentait aucunmilieu.

Nousnoussommesrencontrésdeuxfois,toutàfaitparhasard.Rienquijustifiederesterassiseprèsdelaporteàattendred’êtreinvitéeàprendrelethéetàmangerdesgâteauxavecmonsieurleducetladuchessedouairière.Elle détestaitmentir au sujet de leur relation,mais elle ne pouvait parler à personne des heures

qu’elleavaitpasséesàfolâtreraulitavecleducnu.Ilétaitsuffisammentdifficiledesubirlesregardsnoirsmenaçantsd’Harold.SiCharlotteapprenaitqu’Évaétaitbrièvementdevenue l’amanteduduc,ellesemettraitentêtedesidéesfarfeluesdemariageestival.—Eh bien, je ne le rejetterais pas si vite commeprétendant, dit samère en bâillant derrière sa

main.Mafilleferaituneexcellenteduchesse.Soupirant,Éva tint sa langue lorsquemadameBrownvint chercher sapatiente.Lagarde-malade

aidasamèreàselever.—C’estl’heuredevotresieste,mademoiselleWinfield.Avecunsourire triste,Évaembrassa samère sur la joueet la regarda se frayerprudemmentun

cheminlelongdusentier.Évanepourraitjamaisêtreuneduchesse.Cetteidéeridiculeétaitleproduitdel’espritconfusdesamère.Lafilled’unecourtisanenepourraitjamaisdevenirduchesse.Enrevanche,celaluidonnauneautreidée.Siquelqu’unpouvaitl’aideràretrouverYvette,c’était

bienmonsieur le duc. Son détective n’avait eu aucunmal à découvrir les secrets d’Éva. Peut-êtreNicholas se laisserait-il convaincre de permettre que les talents de cet homme servent sa cause. IlfallaittrouverYvette,etvite.Sesentantsoudainpluslégère,Évas’empressaderentrersechangerafindemettrequelquechose

d’appropriépourrendrevisiteàmonsieurleduc.

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CommeHaroldétaitabsentetqu’Évan’avaitpasenviequ’ilconnaissesadestination,aucasoùcelacauseraitunenouvelledispute,elledécidadelouerunfiacrepourlaconduireàlamaisondevilledemonsieurleduc.Elleespéraitqu’iln’étaitpasdéjàrentréàCollingwoodHouse.Ellenepouvaitpasluirendrevisiteàlarésidencedeladuchessedouairière.Il avait déjà mentionné une fois, lors d’un moment de calme, qu’il avait temporairement élu

domiciledanslamaisondevilledésertepoursesoustraireaupinaillagedesamère.Ellevoulaitqu’ilsemarieetqu’illuifassedespetits-enfantsàgâter.Laduchessel’encourageaitàcourtiserlesjeunesdemoiselles.Éva avait écouté en silence, tandis que la conversation l’avait rendue étrangement triste de ne

jamais pouvoir connaître les joies de lamaternité.Avant cemoment, jamais elle n’avait envisagéd’êtremère.Depuis,celaluipassaitsouventparlatête.Le fiacre ralentit. Le temps qu’elle se prépare à rendre visite au duc, la nuit était tombée, lui

donnant l’impression que l’obscurité réduisait les risques qu’elle soit découverte. Elle était unefemme non mariée qui rendait visite, sans chaperon, à un duc non marié. Non qu’elle eût uneréputationàpréserver.Cefutseulementaprèsavoirfrappéàlaportedelamaisondevillequ’elleserenditcomptequ’il

pouvaitêtreoccupéavecunefemme,oudesfemmes,sic’étaitcedontilavaitenvie.IlavaithébergéArabellaicietprobablementtouteunesériedemaîtressesavantelle.Etsûrementaprèselle,aussi.Depuis leur dernière rencontre, le duc était manifestement en colère contre elle. Il n’était pas

déraisonnabledecroirequ’ilait trouvéunefemmeavecuntempéramentplusagréable.Unhommecommemonsieurleducneresteraitcertainementpastrèslongtempssanscompagnieféminine.Cette pensée immobilisa la main d’Éva sur le heurtoir avant qu’elle ait le temps de frapper à

nouveau.Elletentadedémêlerlesoudainressentimentqu’elleéprouvaitàl’idéequemonsieurleducl’aitremplacéesirapidement.Elleétaitencolèreàlafoisparcequ’ellenes’enmoquaitpasetparcequ’ilpouvaitêtreentraindemordillerlesseinsd’uneautrefemmeencemomentmême.Une envie pressante de prendre la fuite lui avait fait faire demi-tour lorsque la porte s’ouvrit

brusquementsurleduclui-mêmequi,étonné,luilançaunregardnoir.—Éva?Ni un sourire accueillant, ni rien d’autre sur son visage froid ne laissait croire qu’il fût le

moindrementheureuxde lavoir.Ses cheveuxbruns étaient ébouriffés et sa chemise sortait de sonpantalon.Ilavaitlemêmeairquejusteavantdesedéshabilleràlahâtepourlajetersursonlit.Ilétaittoutàfaitpossiblequ’unefemmenueattendesonretour.Peinée,Évaravalasadouleur.—Jen’auraispasdûvenir.Jedevraism’enaller.Elle recula d’un pas. Il tendit le bras pour l’attraper par le poignet. Il lui fit franchir le seuil et

l’entraînadanslapénombreduvestibule.Lagouvernantes’approchadanslehall.Monsieurleduclarenvoyad’ungeste.—Vous avez déjà perturbéma soirée, dit-il sèchement, entraînant Éva dans son sillage. Autant

m’expliquerlaraisondevotreprésence.L’agacementl’envahit.Troisjoursplustôt,illuiavaitfaitl’amourpassionnémentetmaintenant,il

agissaitcommesielles’étaitprésentéeàsaportecouvertedeplaiespurulentes.Elleeutenviedeleluifaire remarquer,mais son inquiétude pourYvette lui fit tenir sa langue tandis qu’elle peinait à lesuivre.

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Lorsqu’ilsfurentdanslabibliothèque,Évasetortillapourselibérerdesapoigneetpritquelquesrespirations apaisantes. Elle regarda autour d’elle et sentit une pointe de jalousie à la vue de cesétagèresquicouvraientlesmursdusolauplafond.Bienqu’ellen’aitpaseubeaucoupdetempspourliredernièrement,elleaimaitbienseperdredansdesuniversquin’étaientpaslesien.Sielleavaiteuunetellebibliothèque,elleneseseraitpeut-êtrejamaisaventuréehorsdesonconfort.—Jen’avaispasl’intentiondevousdéranger,monsieurleduc.Sansriendire,ilsedirigeaversunbuffet,seservitunverre,puiss’installadansunfauteuil.Ilne

luioffritnithénisiège.Detouteévidence,ilétaittoujoursencolèrecontreelle.Cequilamarqualeplus,cefutlesilencequirégnaitdanslamaison.Àmoinsqu’ilaitcachéune

femmequelquepartàunétagesupérieur,ilétaitseul.Celaluifiténormémentplaisir.Mais ses liaisons, ou leur inexistence, n’étaient pas le plus urgent de ses soucis. Elle n’était pas

revenuepourpartagersonlit;elleignoradoncsonregardnoiretredressalesépaules.—Jesuisvenuevousdemanderunefaveur.Pouruneaffairedegrandeimportance.Elleinspiraprofondémentpourralentirsonrythmecardiaque.—Unedemescourtisanesadisparu.J’aimeraisengagervotredétectivepourlaretrouver.

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CHAPITRE10

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Cette femme avait vraiment une colonne d’acier. Il fallait bien reconnaître cela : elle n’avait pasfléchisoussonregard.Mêmeaprèsqu’illuieutpromisdenepasrévélerlessecretsdeCharlotteetbienqu’elle l’eût laisséprendred’indicibles libertésavecsoncorps, ilétaitpersuadéqu’ellene luifaisaittoujourspasconfianceetqu’elleleméprisaitprobablementencoredetoutsonêtre.Pourtant,cettevieille fillecourtisaneétaitvenue luidemanderde l’aidemalgré tout.Elleétaitun

véritablecasse-tête.Envérité,Évaavaittouteslesraisonsdeneressentirriend’autrequedudédainenversluietilétait

soulagé de savoir qu’elle ne tomberait jamais amoureuse de lui. Il la désirait, mais sans plus. Siseulement il pouvait la convaincre de maintenir une relation charnelle sans attache, cela seraitmutuellementsatisfaisant.L’amourn’avaitpassaplacedanscegenred’arrangement.Ilfittournerlebrandydanssonverre.—Pourquoiaccepterais-jeuneentrepriseaussimalavisée?luidemanda-t-ild’unevoixneutre.Il avait espéré qu’après être devenue son amante, sa fouine entêtée aurait abandonné ses efforts

pour transformer lescourtisanesenépouses.Manifestement, il s’était trompé.C’étaituneraisondeplus pour limiter ses contacts avec Éva à ceux de type charnel. Ses idées étaient beaucoup troparrêtées.—Siunecourtisanechoisitderesteravecsonprotecteur,vousn’avezpasàinterférer.Ils avaient déjà eu cette discussion et le sujet aurait déjà dû être clos,mais Éva n’arrivait pas à

comprendre que ses actes ne changeraient rien à la coutume qui voulait que les hommes fortunésaientdesrelationshorsmariage.Leshommesavaienttoujourseudesmaîtresses.Uneseulefemmenepourraitpaschangerl’histoirenil’avenir.—Jecomprendsvotreréticence,monsieurleduc,bienquejetrouvevotreperceptionlégèrement

distordue.Lescourtisanesviennentàmoi;jenevaispasleschercher.Elles’efforçaitmanifestementdecontrôlersacolère.—Cependant, jene croispasqu’Yvette soit avec sonamant,monsieur leduc, poursuivit-elle en

portantunemainàsonfront.Illabattait.Ilfitclaquersalangue.—Enavez-vouslapreuve?Elle secoua la tête. Ses ravissantes lèvres se pincèrent. Il se remémora ce qu’il avait ressenti

lorsqu’ellel’avaitembrassé,luiavaitmordillélajoue,puisavaitcouvertsontorsedebaisers.Malgréle ton sérieux qu’elle employait, il banda et changea de position pour cacher la bosse dans sonpantalon.Ellelerendaitfou!—C’estplutôtuneimpression,répondit-elle.Ellelevasespaumesversleciel,suppliante.Ils’efforçadeseconcentrersurcequ’elledisait,maistoutcedontilavaitenvie,c’étaitluiarracher

sesvêtementsetlaprendredeboutcontreuneétagère.—Iln’yapasdemalàprouverquej’aitort.Uneimpression?C’étaitça,sapreuve?Lessentimentsembrouillaient toujours les interactionsavec les femmes.Celacommençaitdès la

naissanceetempiraitjusqu’àcequ’ilsoitlaplupartdutempsimpossibledelesraisonner.Elleétaitbouleverséeparcette…impression?— La femme a probablement trouvé un autre amant et est confortablement installée dans un

bungalowouunemaisondevilleoùelleseréjouitdesachance,répliquaNicholasenbalayantl’airdelamain.

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Ilavaitdeschosesplusimportantesdesquellesdiscuter.Parexemple,commentsoulagerlatensiondanssonpantalon.Évaseraidit.—Jenecroispas,monsieurleduc.Nicholas expira bruyamment. Éva était un puits sans fond d’arguments. Elle pouvait argumenter

avecunhommejusqu’àcequ’ilaitenviedesependreavecsonfoulard.Detouteévidence,ilfallaittrouverautrechosepourluioccuperlabouche.Unefoisl’affairedela

courtisaneréglée,ilavaitquelquesidéesàcesujet.—SicetteYvetteestpartieetqu’elle s’estmisedans lepétrin,cen’estpasvotreproblèmeni le

mien,poursuivit-il.Ellefiniraparrevenir,peut-êtreunpeumalenpoint,maisprêteàreprendresesétudes.Sesétudes?Ilravalaungrognementprovoquéparsonchoixdemot.Commes’ilétaitpossiblede

changerlanatured’unefemme,d’unecourtisane,pourenfaireuneépouseconvenable.Ils’agissaitd’une idée absurde. C’était pour cette raison que la plupart des hommes n’épousaient pas leurmaîtresse.Celles-ciétaientnaturellementdépourvuesde ladisciplinemoralenécessairepour resterfidèlesàunseulhomme.Unhommedevaitêtreabsolumentcertainqu’ilétaitlepèredesespropresenfants.— N’avez-vous pas un seul gramme de compassion à l’intérieur de votre noble enveloppe

corporelle,monsieur le duc ? lui demanda Éva en haussant la voix.Vous considérez peut-être lesfemmes comme vous étant inférieures,maisYvette est une bonne personne et il y a des gens quis’inquiètentpourelleetpoursasécurité.Jenevousdemandepasdepayerdevotreorcetteentreprisemalavisée,commevousl’appelez.Jevousdemandesimplementdefairelesprésentations.Ce ne furent pas ses paroles méprisantes qui captèrent son attention, mais plutôt la façon dont

quelquesmèchesdecheveuxsoyeuxs’échappèrentdesonbonnetpourtomberenbouclesravissantesdanssoncou.Ellespendaientcontrelapeaulaiteuseau-dessusdel’encolurecarréedesarobesobre.Quelque chose dans sa chevelure léchée par les flammes le laissa à bout de souffle. C’était unecouleursirare.Sonérectionpressaitavectantdeforcecontresonpantalonquelescouturesétaientsurlepointde

céder.Lesouvenirdesonodeurdelilasetdeleursébatspassionnésluirevintavecautantdevivacitéques’ilsvenaienttoutjustedebatifolerdanssonlit.Elleparaissaitaussiguindéeetcoincéequ’uneinstitutrice,maisunefoissortiedesesvêtements,c’étaitunebêtesauvage.Sanslatoucher,illacontournalentement,penchantlatêtedetempsàautrepourinhalersondoux

parfum,gardantunminimumdedistanceentreeux.Illavitsecrisper,maisilsentaitqu’ellen’étaitpastotalementimmuniséecontrelui,lacolèremiseàpart.—Jecroisquejeseraisplusenclinàvousaidersivousportiezunpeumoinsdevêtements.Il réprima un sourire lorsque sa colonne se raidit sous une rangée de boutons miniatures. La

courbequ’elledécrivaitavaitétésculptéed’unemaindemaîtrepourservirdeguideàunesériedebaisers.— Je me trouve dans l’impossibilité de me concentrer sur votre détresse lorsqu’autre chose

préoccupemonmembre.Elleémitunsongravequiressemblaitàunmélanged’exaspérationetderage.Illavitserrerles

poings.—Vousêtes l’homme leplusénervantqui soit, répondit-elle en se tournantpour le regarder en

face.Elleavaitlesjouesrosesetlecoumarbré.

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—Vousêtesagaçant,vexantetvil.Lavied’unefemmeestpeut-êtreendangeretvousnepensezqu’àsatisfairevosplusbasinstincts.Iltenditlebraspourluicaresserleventreduboutdudoigt.—Mesplusbasinstincts?Ilhaussaun sourcil et attrapa seshanchesàpleinesmains.Elle tentade reculer,mais il la tenait

fermementetsepenchapourpresserseslèvressursonépaule.—Vous n’allez pasme faire croire que votre courtisane constitue l’unique raison pour laquelle

vousêtesvenuefrapperàmaportecesoir.Vousavezautantenviederevenirdansmonlitquej’aienviedevousyretrouver.Ce n’était pas tout à fait vrai. En cemoment, il la désirait dix fois plus qu’elle le désirait. S’il

n’arrivaitpasàl’emmenertrèsviteaulitetàenroulersesjambesautourdeseshanches,ilrisquaitdangereusementderépandresasemencedanssonpantalon.MaisÉvaavaitd’autresprojets.Ellesetortillamaladroitementets’écarta,lelaissantlesbrasvides.

Ilseredressaetlaregardas’éloignerdequelquespasenbalançantleshanchesdefaçonaguichante.—Jecrois,monsieurleduc,quevousavezdepuistroplongtempsl’habituded’avoirtoujourstout

ce que vous voulez, répondit-elle en lui lançant par-dessus son épaule un regardmauvais, garantd’intentionsmalveillantes.Etpourtant,unsouriremalicieuxluiétiraitleslèvres.—Maismoiaussi,j’aidumalàrecevoirdesordres.Ilcroisalesbras.—Jen’avaispasremarqué.Une seule lampe éclairait le chemin d’Éva tandis qu’elle traversait la pièce jusqu’au fond pour

s’appuyercontresonsecrétaire.—Bienquepartagervotrelitsoitassurémentplaisantjusqu’àuncertainpoint,dit-elle,jecrainsde

neriengagnerenaccédantàvosdemandes.Ellelevalamainpourfaireglisserunmancheronsursonépaule,révélantainsidelapeaulaiteuse.Nicholasravalaungémissement.Elleavaitvuclairdanssonjeuetjouaitaveclui.Laquestionétait

simplementdesavoirjusqu’oùelleétaitprêteàallerpouravoircequ’ellevoulait.—Rien?Ilinclinalatêteetlabalayadelatêteaupiedd’unregardencoin.Contrairementàlapremièrefois

qu’elle lui avait rendu visite, elle ne portait que le minimum d’épaisseurs sous sa robe. L’étoffecouleurcrèmeflottaitautourd’elleetaccentuaitchacunedesescourbes.Ilbrûlaitd’envied’enfouirsesmainssoussesjupespourexplorerlatouffedebouclessoyeusesentresesjambes.—Jecrainsquevosgémissementsetvoscrisn’aientprouvélecontraire.Àlalueurdelabougie,sesjouesprirentuneteinteplusfoncéeetdevinrentrouge-rose.Cefutle

seulindicequ’ellegardaitunsouveniraussivifquelesiendelanuitqu’ilsavaientpasséeensemble.Pourtant,ellenefléchitpas.—Avez-voustoujoursétéaussiconvaincudevostalentsentantqu’amant,monsieurleduc?Ellehaussalesépaulesetuneautremanchetombad’uneépauleparfaitementblanche.— Peut-être n’ai-je fait qu’utiliser votre immense ego pour éviter que vous m’enleviez ma

demeure.Peut-êtreêtes-vousleseulàavoireuduplaisir.Cettefemmeavaitbeletbienunepairedecouillesenaciersoussaculotte.Ellen’étaitpaslemoins

du monde intimidée par son rang ducal. Son entêtement ainsi que son exaspérant besoin de lecontrariersurtoutdevenaientunvéritabledéfi.Ilavaitdécouvertqu’ellemettaitautantdepassionà

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faire l’amourqu’àdéfendre ses courtisanes, samère et elle-même. Il n’avait jamais rencontré unefemmecommeelle.Toutchezelleétaituntourbillondecouleursetunamasdecontradictions.Chaquefoisqu’ilcroyaitl’avoirattrapéeetsoumiseàsavolonté,elleluiglissaitentrelesdoigtset

ledéconcertait.Pascettefois.—Iln’yavaitriendefeintdanslamanièredontvotrecorpsaréponduàmatutelle.Noussavons

aussibien tous lesdeuxquevousavezenviedemoi,dit-il avecun sourirediabolique. J’ai encorequelques toursàvousapprendre,Éva.Vousdevezmelaisser lachancedefaire lapreuvequevousmentez.

Évafronçalessourcils.Ilétaitimpossibledenierl’attiranceentreeux.Mêmeencetinstant,soncorpsdemandait qu’il la prenne avec une ardeur passionnée. Toutefois, elle n’était pas près de laissertomberlaraisondesavisiteparcequ’ildétournaitsonattentiondelasituationd’Yvette.—Sivousdésirez réellementmedonner ceque jeveux, vous accepterezdemeprésenter votre

détective.Ellesepenchaenavantsousleprétextedelissersajupeetleregardasouslecouvertd’unemèche

decheveux.L’attentionduducfutdétournéeverssondécolleté,oùsesseinsmenaçaientdedéborderdelabordurededentelle.Jamaisauparavantellenes’étaitabaisséeàutilisersoncorps,sescharmes,pourobtenircequ’elle

voulait,maissarelationavecmonsieurleducn’étaitpasunesituationordinaire.Sielledevaitattiserson désir pour elle afin d’obtenir les services de son détective, eh bien soit. L’époque où elles’accrochaitàsamoraleetàsavirginitéétaitrévolue.Illavoulaitet,pourl’avoir,ildevaitluidonnerquelquechoseenretour.EllepourraitregrettersadisgrâcequandYvetteseraitensécurité.Il l’observa pendant un long moment, mais ses yeux voilés ne laissaient rien paraître de ses

pensées. Le col de sa chemise en lin était ouvert et sesmanches étaient roulées jusqu’aux coudes,révélantdefinspoilsfoncéssursesavant-bras.Sonpantalonnoirluicollaitauxcuissesetmoulaitladurebossedesonérection.Àcettevue, labouched’Évadevint sècheet elle eutuneboufféedechaleur.C’étaitun sacrébel

homme,ténébreuxetdangereux.Sielledevaitnagerdansleseauxtroublesentresebattrepoursonâmeetréellementdevenirsacourtisaneoualorsluitournerledosets’enéloigneràjamais,ellenesavaitpascequ’ellechoisirait.—Jevousleprésenteraidemain,finit-ilpardireentresesdents,lesoufflerauque.—Merci,monsieurleduc,réponditÉvaenhochantlatête.Elle riva son regard au sien et s’avança lentementvers lui.Attiréepar son ardeur, elle seglissa

danssesbras,posalamainsursajoueetseléchalalèvreinférieure.—Vousdevezmaintenantmemontrercestoursquevousm’avezpromis.Elle se hissa sur la pointe des pieds, pressa ses lèvres contre les siennes et goûta le brandy.Un

instantplustard,ilrefermasesbrasautourd’elle,luipritlesfessesàpleinesmainsetlaserracontreson érection. Ce qu’il lui restait de réserve— de l’orgueil, en fait— s’envola lorsque ses seinsfrôlèrentsontorseaumomentoùilchangeadepositionpourlaserrerplusfortcontresonmembredurci.Évadétestaitlafacilitéaveclaquelleelleétaitdevenuesonamante,sacourtisane.Elledétestaitaussi

le fait qu’elle le désirait autant. Et pendant que leurs langues s’emmêlaient, elle savait qu’elle se

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sentiraittoujoursvulnérablefaceàsaséduction.Bien qu’elle aimât croire qu’elle s’était retrouvée dans son lit de force et par crainte pour son

avenir,riendansleurarrangementn’exigeaitqu’elleprenneduplaisirdanssesbras.Sonplaisirétaituncadeauqu’illuioffrait.Nicholas tendit lamainpour libérersescheveuxdesonchignonet ilscascadèrentsensuellement

sur son dos.Elle savait que certains de ses traits étaient plutôt ordinaires,mais son extraordinairecrinièremêléedefeuavaitincitéunducàl’emmenerdanssonlit.— Je ne deviendrai pas votre courtisane, dit-elle doucement tandis qu’il menait une guerre

sensuellecontrelaconquearrondiedesonoreille.Il enmordilla le rebord,puis enfouit sonvisagedans ses cheveux. Il inspiraprofondément.Elle

soupiradoucement.— Un peu trop tard pour ça, mon cœur, répondit-il en couvrant son cou de baisers et en lui

mordillantlaclavicule.Sivouspréférezunautreterme,jen’aipasd’objection.Lorsqu’ellesentituncourantd’airfraissursesjambes,Évaserenditcomptequ’elleavaitperduses

chaussons,quesesjupesentortilléesentreleslongsdoigtseffilésduducremontaientlelongdesescuissesetqu’elleétaitarquéeau-dessusdusecrétaire.Ildesserrarapidementsoncorsageetlachairfermepritdesproportionsinquiétantes.Cethommeétaitbourrédetalents.Pendantquesaboucheétaitoccupéeaveclasienne,ilavaitréussi

àladéshabilleràmoitiésansmêmequ’elles’enaperçoive.Elleavaitsouventdiscutéavecsesjeunesfemmes de la nécessité de garder certaines parties de leur corps couvertes en tout temps. Etmaintenant, ses propresmamelons dépassaient de la dentelle crème de son corsage et elle en étaitextrêmementravie.Ellefutrongéeparlesregrets.Elleenseignaitàsescourtisanestoutcequ’ilyavaitàsavoirausujet

desconvenancesetceciétait totalementinapproprié.Cependant, leducn’avaitpasl’intentiondeluilaisser le tempsderepenser leurarrangement. Ils’agenouilladevantelleetrelevabrusquementsesjupesjusqu’àsataille.Exposéedemanièrescandaleuseàlalueurdesbougies,ellen’eutqu’uninstantpours’apercevoir

qu’elle était basculée sur le dos sur le secrétaire avant de sentir l’haleine chaude du duc sur sonclitoris.—Monsieurleduc,jevousenprie,vousnepouvezpas.Elleessayaderefermerlesjambes,maissatêteetsesépaulesl’enempêchèrent.Elleétaitpriseau

piège. Elle sentit ses doigts écarter les boucles et poussa un gémissement de protestation. De sonpouce,ileffleuralepetitbouton.L’éclairdeplaisirluicoupalesouffle.—Jepeuxlefaireetjevaislefaire.Ellesehissasursescoudesetleregardaavecétonnementremplacersonpouceparsalangue.Elle

crialorsqu’ilpritleboutondanssabouchepourlesucerdoucement.Latroublanteintimitédugestelafitretomberàlarenversesurlesecrétaireetellesemitàémettredepetitsgémissementstandisquesoncorpsréagissaitàsoncomportementoutrageux.Commesiellepouvaitensupporterdavantage,ilglissadanssonfourreauhumideundoigt,puisun

autre.Ellesecambra,lestalonsappuyéscontrelesecrétaire,tandisqu’illéchait,suçaitetl’entraînaitauborddelafolie.Lorsqu’enfinelles’abandonnatotalementauplaisir,ellecriasonnomettombaàlarenverse,soncorpsrepu.Monsieurleducneluilaissapasletempsderécupérer.Ilselevapourseplacerentresesjambeset

défitviolemmentlesboutonsdesonpantalon.Ellel’attiraverselleetillapénétrad’unmouvementfluide,s’enfonçantenellejusqu’àlagarde.

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Évacalquasonrythmesurlesien.Elleavaitl’impressiondes’êtreenvoléeetdeneplussentirlesolsoussespieds.Ill’embrassa,luisuçotalesmamelonsetplongeaenellejusqu’àcequ’elleperdetoutenotiondutempsetdel’espace.Aumomentoùilpoussauncrirauqueetrépanditsasemenceenelle,ilss’effondrèrentensemble,s’écroulantsurlasurfacerigidedusecrétaire,àboutdesouffleetdeforces.—Jeneseraipasvotrecourtisane,dit-elled’unevoixendormie,lorsquelemembreramolliduduc

glissahorsd’elle.—Vousêtesdéjàmacourtisane,répondit-il.Il la souleva du secrétaire pour la porter jusqu’au tapis d’Orient près de la cheminée et la posa

doucement sur la surface moelleuse. Le risque d’être découverts par un valet ou une femme dechambre était réel, mais Éva n’arrivait pas à lever le petit doigt pour se couvrir. Elle souritdoucementen imaginant l’expressionmortifiéed’unoud’unedomestiquequiviendrait àpasser laporteettrouveraitÉvaétendue,sesjupesretrousséesautourdesataille,exposantàlavuedetousdespartiesqueseulunépouxdevraitvoir.Nicholastirasursesjupespourlesremettreenplace.—Merci,monsieurleduc.D’unemain,soitlaseulepartiedesoncorpsqu’ellearrivaitàbouger,elleluicaressalahanche.La

fraîcheurdelapiècerefroiditlefilmhumideetluisantquiluirecouvraitlapeau.—Cen’estrien,mademoiselleWinfield,répondit-ilaveclamêmeformalité.Évaserenditcomptequec’étaitlapremièrefoisqu’ill’appelaitautrementqu’Évaoumademoiselle

Black.Ellesupposaqueleurintimitéétaitaussitroublantepourluiquepourelle.Bienqu’ils’agissed’unhommeaveccertainsbesoins,ellen’avaitpasl’impressionqu’ilavaitl’habitudedecommettredesactesd’unetelle,euh,intimitésursonsecrétaire.Nicholasroulasursonflancetportaunemèchedecheveuxhumidesàsonnez.—Éva, jen’ai jamais séduitArabelladans cettepièce, si c’est la raisondevotregrimace, dit-il

avecunsourire.Enfait, j’aidécidédevendrecettemaisondeville.Unenouvellemaîtressemériteunenouvelledemeurepourelleseule.Elleplissa lenez.L’étrangefacilitéavec laquelle il lisaitsespenséesétait troublante.Si jamais il

perdaitsontitreetsafortune,ilpourraittrouverunemploidediseurdebonneaventureauseind’unetroupedebohémiens.—Danscecas,j’espèrequ’elleyseratrèsheureuse,monsieurleduc.Sonéclatderirerésonnaàtraverslagrandepièce.—Vieillesorcièreentêtée!Ilsepenchapourl’embrasser.—Salebêtearrogante,répondit-elleavecungrandsourire.Ilséchangèrentunlongbaiserintime.Ilétaitsirarequ’Éval’entendîtrirequ’ellegravalesondans

samémoire.Commeellepasseraitéventuellementdesannéessanslui,ellemémorisaaussisonodeur,lasensationdespointsrugueuxdesespaumeslorsqu’illacaressait,ainsiquelegoûtdeseslèvres.Etmême la façon dont ses sourcils se rapprochaient et qu’un profond sillon se creusait entre euxlorsqu’ilserenfrognait.Ellenevoulaitrienoublierdesonpremieretuniqueamant.Évamituntermeaubaiser.—Parlez-moidevotredemeure,luidemanda-t-elleenselaissantretombersurletapis.Unhomme

devotreconditiondoittrouverunemaisondevillecommecelle-ciplutôtcontraignante.Ilposasatêtedanssapaumeouverte.

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—CollingwoodHouse?Mamèreetmoirésidonslà-baslorsqu’elleestenville,maisellepréfèredemeurerà lacampagne.Quand la saisonbat sonplein,elle seprécipiteàLondrespourassisteràdiversesréceptionsafindetrouvermafutureépouseidéale.Une épouse.Cemot lui retourna l’estomac.Évidemmentqu’il aurait une épouseun jour ; ils en

avaient déjà discuté.Nicholas avait presque dépassé l’âge auquel la plupart des hommes voulaientengendrer un tas d’héritiers. Et il lui était extrêmement difficile d’envisager l’idée que Nicholaspuisse reproduire les gestes scandaleuxde leur récente intimité avecune autre femme.Pourtant, ilavait eu des rapports sexuels avec d’autres femmes avant elle et continuerait d’avoir des liaisonsamoureusesunefoisqu’elledisparaîtraitànouveaudansl’ombre.Elles’efforçadeprendreuntonléger.—Eta-t-elleécréméunelistedejeunesbeautés?Ilhaussalessourcils.Elleespéraqu’ellen’avaitpaseul’airdetrops’intéresseràsavieprivée.Il

était plus facile de garder leurs interactions à un niveau purement physique. C’était la redoutablemalédictiondelacuriositéquil’avaitincitéeàposerlaquestion.Cen’étaitpascommes’ils’agissaitdel’uniquesujetpossible.—Oui.Etjesuisd’accordavecsonchoix,répondit-ilensefrottantlementon.S’il trouvalaconversationétrange,ilnelemontrapas.Ilétaitpossiblequ’ilaitdéjàeulamême

discussionavecArabella.Unemaîtresseconnaissaitsonrôle.Parlerd’uneépousenedevaitpasêtreinhabituel,bienquepeufréquent.Lesdeuxviesdevaientêtreetresterséparées.Curieusement,ÉvasentitunsoudainaccèsderessentimentenversArabellaetletempsqu’elleavait

passéavecmonsieurleduc.Ellesavaitquecesentimentétaitabsurde,maisellenepouvaitpasfaireautrement.—Avantledépartd’Arabella,j’avaisfaitdesavancesàLucyBanes-Dodd.Sonpèreencourageait

l’union,poursuivit-ilen tortillantunemèchedescheveuxd’Éva.J’aiétédistrait,dernièrement. J’aipromisàmamèrequejerecommenceraisbientôtàlacourtiser.Éva détestait le fait qu’elle étaitmaintenant d’humeurmaussade. Elle devrait changer de sujet et

parlerdutempsqu’ilfaisait.— Et Arabella ? lui demanda-t-elle plutôt. Auriez-vous maintenu votre relation avec elle après

votremariage?—J’enavaisl’intention.Sontonconfiantl’irrita;commesilefaitqu’ilpartagesonlitavecuneautrefemmen’allaitpas

dérangermademoiselleBanes-Dodd.Évasavaitqu’ils’agissaitlàd’unarrangementcommunchezleshommes fortunésetque leursépouses faisaient semblantdenepassavoiroù leursmarispassaientleur temps et dépensaient leur argent. Elle supposa que lorsqu’on se mariait pour des raisonséconomiquesetsocialesplutôtqueparamour,lesépousesétaientprobablementsoulagéesqueleursmarisassouvissentleursbesoinsavecd’autres.Sonpèreavaittrouvél’amouravecsamère.—Jamaisjenepourraisconsentiràunepratiqueaussiarchaïqueniaccepterquemonépouxtrouve

du réconfort dans les bras d’une autre, répliqua-t-elle. Si je me mariais, ce serait par amour. Jem’attendraisàunefidélitéainsiqu’àunedévotiontotales.Delargesépaulessehaussèrent.—Uneidéenoble,maisirréaliste,rétorqua-t-ilentendantlamainpourlaposersurlecœurd’Éva.

L’amour est pour les ballades et le théâtre.La plupart des femmes sont plus réalistes. Elles saventqu’un bon mariage peut faire la différence entre le confort et la protection ou la pauvreté. Vousrecevezuneallocationmensuelle.Sanscela,queferiez-vous?

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Queferait-elle?Ellenepourraitpasaidersescourtisanes,pasplusqu’ellenepourraitsepermettrede garder samaison.En vérité, elle pourrait finir par s’engager dans une entente avec un hommecommemonsieurleduc.—Lesfemmessontesclavesdescapricesdeshommes,dit-elled’unevoixsibassequ’avantqu’il

hochelatête,ellenesavaitpass’ill’avaitentendue.—Jepeuxvousoffrirplusderichessesquevouspouvezl’imaginer,Éva.Ellehochalatête.—Enéchangedemonâme,monsieurleduc.Sonvisageperdittoutedouceuretsamâchoirepulsa.—Vousavezduplaisirdansmonlit,Éva.Nouspartageonsunepassionquelaplupartdesgensne

connaîtront jamais. Vous devriez me permettre de vous gâter comme je l’entends, comme macourtisane.Elle leregardadanslesyeuxsansarriveràcroirequ’ilvenaitpratiquementdelacompareràun

bien. Elle s’agenouilla. Elle avait presque oublié que, sous ses traits séduisants, ainsi que sesvêtements de travers à cause de leurs ébats, il s’agissait toujours du même homme qui avaitpratiquementditqu’Arabellaluiappartenait.Illavoyaitdelamêmemanière.Unetristessepassagèresemêlaàsacolère.—Jenevousappartienspasetnevousappartiendraijamais.Utilisezvotreargentetvoscolifichets

pourremplirlespochesdevotreprécieuseLucy.Toutcequejevousdemande,c’estunechancederembourserhonnêtementmesdettessansquevousmebrutalisiez,dit-elleenremettantbrusquementsoncorsageenplaceetenlevantsurluiunregardinsistant.Jepensequej’aibienméritécedroit.Évasedirigead’unpasraideverslesecrétairepourrécupérerseschaussons.Ellesepenchapourlesmettre,sereleva,puisserenditjusqu’àlaporte.Jamaisquelqu’unnel’avait

rendueaussifurieuse.Ilavaitledondelapiquerjusqu’àlarendrefolleavecsesopinions.— J’espère que vous connaîtrez beaucoup de bonheur avec votre Lucy et je lui souhaite la

meilleuredeschances,poursuivit-elleenouvrantlaportepoursortir.Elleenaurabesoin.

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CHAPITRE11

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—Es-tudevenuefolle?Évaregardaitsasœurensecouantlatête.Illuiétaitdéjàassezdifficiledecroirequ’elleavaitune

sœur qui désirait la connaître.Elle ne se laisserait pas entraîner à des fêtes auxquelles elle n’avaitabsolument aucune raison d’assister. Si quelqu’un venait à découvrir son identité, le scandaleretentissantruineraitsavie.Après saconfrontationavecNicholas laveille, ellen’étaitpasde lameilleuredeshumeurs.Elle

avaitenvied’êtreseule.MaisNoëllenevoulaitrienentendre.—Lesmembresdelanoblessecachentpeut-êtreleurvraienaturederrièredesportescloses,mais,

publiquement,ilssecramponnentàleursrèglescommeàdestalismansd’honneur,ditsèchementÉva.Jenet’accompagneraipasaubaldeLadyPennington.Noëlles’enfonçadanslecanapéetétenditlesdeuxbrasentraversdudossier.Sadispendieuserobe

devilleverteoccupaitlamajeurepartiedelasurfaceàmotifs.Ellebrillaitcommeuneémeraudeàlalumièrequiprovenaitdelafenêtre.—Maispourquoipas?Évalafixa,exaspérée.Noëlledevaitsouffrirdesurdité.Celasemblaitalleretvenir,enfonctiondu

sujetetdufaitqu’ellesoitd’accordounonaveclaquestion.Noëlleétaitimpossible.Elleaimaitdonnerdesordres,sefaisaitinsistanteet,souvent,luirappelait

leduc.Nil’unnil’autrenecomprenaitàquelpointelleavaittravaillédurpourlesprotéger,samèreetelle,desregardsindiscretsniàquelpointsessacrificesl’avaientisolée.Maisc’étaitsavieetellen’étaitpasprèsdetoutrisquerpourlecapriced’unesœurqu’elleneconnaissaitquedepuisquelquesjours.—Mamèreétaitunecourtisane,tutesouviens?réponditÉvaentendantlamainverssonthépour

enprendreunegorgée.Bienquesacarrièredecourtisaneaitétédecourteduréeetquesesamantssesoientlimitésànotrepère,mamèreétaitl’unedecesraresbeautésdontlesgenssesouviennentdesannéesaprèsqu’ellessontretombéesdansl’anonymat.LadyPenningtonneserapastrèsheureusequejemeprésenteàsonbalpourallerparader.Unéclairtraversalesyeuxcouleurd’ambre.—QuisauraquetueslafilledeCharlotte?TuesmacousineduNorthumberlandquejeviensde

retrouver, tu te souviens ? Nous avons récemment repris contact par correspondance et sommesdevenuesdegrandesamies.LadyPenningtonnemerefuserapasunedeuxièmeinvitation.—Tunepeuxpasenêtreaussicertaine.Voilà!Ladiscussionétaitclose.LadyPenningtonavaitunelisted’invitésbienpréparée.Elleétait

très sélective dans le choix de qui elle invitait et postait des valets à la porte pour éloigner lapopulace.Laseulemanièred’entreraubalsansyêtreinvitéétaitdepasserparunefenêtre.Etelleneferaitcelapourpersonne.—J’aicrucomprendrequeleslistesd’invitéssontsouventcomplètesdessemainesàl’avance.Noëlle sourit d’un air suffisant. Éva détestait vraiment beaucoup quand elle souriait d’un air

suffisant.—TantePennestmamarraine.Ellenemedirapasnon.Évaécarquillalesyeux.—LadyPenningtonesttamarraine?s’exclama-t-elle,bouchebée.Ce rapprochement avec sa sœur empirait. Éva ne savait pas que son père avait de si bonnes

relations.Samèreparlaitrarementdecetaspectdesavie.Elleaimaitparleruniquementdesmomentsoùilétaitavecelles.

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LorsqueNoëllehochalatête,elles’enfonçadanssonfauteuiletsoupira.—Ettucroisqu’elleneposerapasdequestionsàproposdel’arrivéedecetteparentedontellen’a

jamaisentenduparler?Onditqu’elleestundragonquialacapacitédesoufflerdelafuméeparlesnarines.Lasituationavaittoutpourtourneraudésastre.—Ettamère?Ellen’auraqu’àregardermesyeux,lesyeuxdenotrepère,pourserendrecompte

delasupercherie.—Oh,tantePennnecrachepasautantdefeuqueleveutlarumeur.Ellepeutêtreunange.LacrinolinebruissalorsqueNoëlleseleva.Ellejoignitlesmainsettapasesdoigtsensemble.— Ma mère sera à Bath. Elle ne se sent pas très bien depuis quelque temps ; elle souffre de

migrainesetestenisolement.TantePennseconsidèrepeut-êtrecommeuneexpertedesfamillesdelanoblesse,maiselleneconnaîtpastoutlemonde.Notrepèreadescousinséparpilléspartoutjusqu’enÉcosse.Bienqu’ellesûtquel’idéedeNoëlleétaitabsurde,lapenséed’assisteràunbalprovoquachezÉva

unvifélandecuriosité.Ellen’avaitjamaisassistéàunefêteetencoremoinsàunbaldel’ampleurdecelui des Pennington. La plupart des journaux considéraient cet événement annuel comme le coupd’envoiofficieldelasaisonmondaine.Touslesgensimportantsyseraient,parésdeleursplusbeauxatours.Ils’agissaitd’unmondeinterditàÉvaetàsessemblables.Silanoblesseapprenaitsonhistoire,elle

seraitéviscéréeetdépecée.EllelevalenezetregardaNoëlleenfronçantlessourcils.—Personnenecroiraunehistoireaussiextravagante.Non,peuimporteàquelpointtumefusilles

duregard,jen’iraipas.S’ilyalemoindrerisquequ’ondécouvremonidentité,ehbien,jenepeuxpaslecourir.DesbruitsdepascouvertsdechaussonssedéplacèrentdelongenlargetandisqueNoëllesemettait

àfairelescentpas.L’estomacd’Évasenoua.Elleconnaissaitmaintenantsuffisammentsasœurpoursavoirquecelle-cin’aimaitpasqu’onluidisenon.Elleavaitdansl’œilunelueurdedéterminationinquiétante.Évasetintprêtepourunedispute.—Quiestaucourantdel’histoiredetamère,àpartlagouvernanteetHarold?luidemandaNoëlle.—Personne.Noëllerecommençaàfairelescentpas.Ellegesticulaitbeaucouplorsqu’ellemanigançaitquelque

chose.Évasedemandas’ilétaitdéjàarrivéquequelqu’unaitsurvécuaprèsluiavoirditnon.Noëlles’arrêtaetsetournabrusquementpourfairefaceàÉva.—Dans ce cas, comment quelqu’un pourrait-il deviner ? Tamère a pratiquement disparu de la

surfacedelaTerreetilyaplusdedixansqu’ellen’apasétévueenpublicaubrasdenotrepère.Noëlles’interrompitetsesyeuxs’illuminèrent.—Tu passeras la fin de semaine avecmoi à lamaison de ville ; ainsi, ta présence en tant que

cousineenvisiteseraétablieetacceptée.Puistudisparaîtrasànouveaudanslescontréessauvagesdunordaussivitequetuesapparue,sansquepersonnes’enrendecompte,poursuivit-elleensautillantdanstouslessenscommesiellevenaitdetrouverunremèdecontrelapeste.C’estgénial!Évasavaitqueseschancesd’échapperaucomplotétaientminces.Etceseraitfantastiquedepasser

dutempsdanslamaisonlondoniennedesonpère.Elles’étaittoujourscachée,misedecôté,restantenmargeducerclelumineuxdelabonnesociétéetdelafamillelégitimedesonpère.Passerdutempsentouréedesesbiensl’aideraitàserapprocherdeluiànouveau.—Etlecomteactuel?

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Noëllesourit.—OncleArthuresten Indepourétudier lesplanteset lesoiseaux.S’iln’en tenaitqu’à lui, ilne

rentreraitjamaisenAngleterre.Sonhommed’affairespaielesfacturesetmamères’occupedetoutlereste.Misàpartlepersonnel,nousauronslamaisonpournous.Bienqu’ellesût,auplusprofondd’elle-même,qu’ellese tenaitdevantunevoiturequiavançaità

touteallure,Évan’arrivaitplusàrassemblerlavolonténécessairepours’écarterducheminetsauversapeau.Songoûtdel’aventuretroplongtempsignoréneleluipermettraitpas.Ilneluirestaitplusqu’àprierpouravoirdelachance.—Ilyauradescentainesd’invités,réussitàmarmonnerfaiblementÉva,dontlavolontés’effritait.

Peut-êtrevais-jepouvoirmeperdredans la fouleetpasser la soiréesansme faire remarquersi jeportequelquechosedesobre…Savoixs’éteignitlorsquelecriaigudeNoëlleluiperçalestympans.Pourunedamed’ascendance

royale, sa sœur ne se conduisait pas toujours de manière appropriée. Éva devrait lui offrir unexemplairedulivredeLadyWatershampourqu’elleleliselorsqu’ellen’étaitpasoccupéeàpréparerdemauvaiscoups.—J’ailarobeparfaitepourtoi,Éva.Jel’aiapportéehier.Évaluilançaunregardnoir.—Tuétaisterriblementconvaincuequejeconsentiraisàcettefolie,masœur.UnregarddanslesyeuxbrillantsdeNoëllesuffitàluiretournerl’estomac.

AprèsqueNoëllefutrentréechezellepours’occuperdelarobe,Évaséparasoigneusementunepartde l’allocationmensuellede sonpèreafinde ladonnerà lacuisinièrepour lesprovisionsetpourpayer sonpersonnel réduit.Ellemitdecôtéunepoignéede shillingsetquelquesautrespiècesdesrevenusde l’école, cequ’elle pouvait se permettre, pour faire unmodestepaiement àmonsieur leduc.Illuifaudraitdesannéespourremboursersesdettes,maisellerefusaitd’envisagerlapossibilitéqu’elle lui soit redevable jusqu’à la fin de ses jours. Elle arrivait à supporter le poids du fardeaufinancierenserépétantqu’unjour,elleenseraitlibérée.Elle avait rencontré le détective, monsieur Crawford, et rendu visite à Cheapside. Les femmes

s’inquiétaientmaintenant autant qu’elle à propos d’Yvette et Éva les avait rassurées en leur disantqu’elleavaitengagéquelqu’unpourchercherladisparue.Paulines’étaittordulesmains.—Jepensequ’elle est endanger,mademoiselleÉva,dit-elle, évitant son regard en regardant le

boutdeseschaussons.Jesaisqu’elleestendanger, termina-t-elled’unevoixquin’étaitplusqu’unchuchotement.Éva fut étonnée et toutes les femmes fixèrent la blonde plantureuse. Sa lèvre inférieure trembla.

Paulinesemblaitêtresurlepointdecraquer.—As-tuuneraisondecroireunetellechose,Pauline?Lacourtisanehochalentementlatêteetleslarmesluimontèrentauxyeux.—Lanuitoùelleestpartie,alorsquetoutlemondedormait,jesuistombéesurelledanslecouloir

àl’étage.Elleportaitsacapeetunpetitsacàmain,réponditPaulineenreniflantetens’essuyantlesyeuxd’unejointure.Ilétaitminuitpassé.Évaluitenditunmouchoir.—Oùallait-elle?

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Paulinesemoucha.—Ellem’afaitpromettredeneriendire.Maisdanslescirconstances,illefautbien,répondit-elle

avantd’inspirerparsaccades.Ellevoulaitrécupérerdesaffairesdanssamaisondeville.Sonamantsemontraittrèsgénéreuxaprèsl’avoirbattue.Chaquefoisqu’illafrappait,illuiachetaituncolifichetpour atténuer son sentimentde culpabilité.D’unemanièrequelconque, elle avait entendudirequ’ilseraitdanssamaisondecampagnejusqu’àlafindumois.Ellepensaitqu’ellepouvaityretournerentoutesécuritésielleentraitetressortaitsanssefaireremarquer.— Oh, Pauline, dit Éva, en portant une main à son cœur serré. Tu aurais dû me le dire

immédiatement.Lafillesanglotaitdoucementdanssesmains.Rosepassaunbrasautourdesesépaulesetregarda

Évad’unairdésespéré.Éva leva les yeux vers Harold, qui se tenait dans l’embrasure de la porte, l’air sévère. Son

expression ne la rassura pas. Il était aussi inquiet qu’elles. Elle voulait l’envoyer tabasser l’amantmystérieux,maisn’avaitaucuneidéedesonidentiténidel’endroitoùletrouver.Elle avait l’impression que l’heure était grave. Si Yvette avait été mal informée et que son

protecteur l’avait surpriseà rôderautourde lamaisondeville, allez savoir cequ’ilpourrait fairesubiràsacourtisaneenfugue.—Jen’ai jamaisremarquéaucunecontusion,ditdoucementAbigailen tournantsonregardvers

Harold.Descernessombressouslesyeux,ellesemblaluidemandersilencieusementsonaide.L’inquiétude

pourYvetteavaitlaissédestracessursonvisage,commesurceluidetouteslesfemmes.Sophieacquiesça.—J’aidéjàeuunamantviolent.Jen’enaijamaisvuaucunsignesurYvette.Sanslesconfidences

quenousavonséchangées,jenem’enseraisjamaisdoutée.—Personnenes’endoutait,répliquaÉva.ElleseretournaversHarold.Siseulementilavaitétéavertiimmédiatementdesprojetsdangereux

d’Yvette,ilauraitpul’arrêter.—Harold,est-cevraimentpossiblequecetamantl’aitenlevée?Ilcroisalesbrasethaussalesépaules.—Jen’enaipasentenduparler.SielleestgardéeprisonnièrequelquepartàLondres,lesrumeurs

viendrontjusqu’àmesoreilles.Depuisqu’elleconnaissaitHarold,Évan’avaitjamaisdoutédesaloyauténiposédequestionssur

sonpassé.Maintenant,tandisqu’elleobservaitsonregarddur,ellesedemandaitsielleauraitdûuserd’une plus grande vigilance avant de s’empresser d’accepter cet homme dans sa vie. Il était faciled’oublierquel’âmedecertainshommescachaituncôtésombrequipouvaits’avérerfatallorsqu’ilsétaientcontrariés;uncôtésombreinvisiblejusqu’àcequ’ilsoittroptard.Pourtant,mêmeencetinstantoùellevoyaitunecolèrefroidepeintesursestraits,ellesavaitqu’il

neleurferaitjamaisdemal,niàelleniàsescourtisanes.C’étaitl’hommequiavaitenlevéYvetteetl’avait possiblement tuée qui était en danger. Harold prenait au sérieux son rôle de protecteur. Ils’assureraitdepunirquiconqueoseraittoucheràl’unedesesprotégées.C’étaitcequiinquiétaitÉva.—Jecrainsqu’unefoisquenousl’auronsretrouvée,nousnepuissionspasgrand-chosecontrele

coupable,ditsimplementAbigailensedétournantd’Harold.Lesrèglesnesontpaslesmêmespourceuxquiontdestitresetceuxquin’enontpas.Sisonamantestdehautrang,ilneserapaspuni,etce,

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même s’il l’a tuée. Ses amis feront ce qu’ils pourront pour camoufler le crime. Personne ne sesoucieradelamortd’unecourtisane.L’amertumedanslavoixd’AbigailtroublaÉva.Elleseposadesquestionssurl’histoiredelajeune

femme.Pourêtrehonnête,Évane savait riend’ellenid’aucunedes femmesen réalité ; seulementquelques fragments d’informations partagés au hasard des conversations. Éva devenait rarementprochedesesprotégées.Lorsqu’ellesquittaientsabonnegarde,ellescommençaientunenouvellevieetlaissaientleurpasséderrièreelles.EtÉvafaisaitpartiedecepassé.Abigail s’était faite discrète et avait suivi sa formation sans se plaindre. Éva s’était souvent

demandé comment la belle silencieuse était devenue une courtisane et si sa colère envers lesaristocratess’étaitdéveloppéeavec l’expérience.Chaquefoisque l’unedesautresfemmesluiavaitposédesquestionssursavie,elleavaitsubtilementchangédesujet.—C’estvrai,mademoiselleÉva,confirmaSophie.J’aidéjàrencontréunefillequiétaitl’amante

deLordApplegate.Elleadisparusans riendireàpersonne.Une rumeurcirculait selon laquelle ill’avaittuéelorsd’unecrisedejalousieaprèsl’avoirsurpriseentraindeparleràunautrehomme.Ilya eu une brève enquête, puis on a laissé tomber l’affaire. Jusqu’à ce jour, elle est toujours portéedisparue.Éva aurait voulu contester ces accusations extravagantes.Toutefois, elles contenaient un fondde

vérité.Leshommescommemonsieur leducdevaientêtresurprisentraind’étranglerquelqu’unaubeaumilieudeGrosvenorSquaredevantunecentainedetémoinspourquejusticesoitfaite.Unesombreperspective,eneffet.Éva regarda ses protégées et lut une profonde inquiétude sur leurs visages. Bien que les cinq

courtisanes ne fussent pas toutes amies, elles avaient développé des liens au cours des multiplessemainesqu’ellesavaientpasséesàtravaillersurunobjectifcommun.Maintenant,l’uned’ellesavaitdisparuetellesvoulaientconnaîtrelefonddel’histoire.—Nousdevonstoutesprierpourqu’Yvettesoitensécurité,ditÉva.Elledevaitlesdistraire.—Mon,euh,amimegarantitqueledétectiveestexcellentdanssondomaine.Illatrouvera.ÉvasavaitexactementàquelpointmonsieurCrawfordétaitcompétent.Ilavaitréussiàdébusquerla

plupartdesessecrets.Lorsqu’ilauraitterminé,monsieurCrawfordconnaîtraitlasortedeconfiturequ’Yvettemettaitsursonpainainsiquesonparfumfavori.S’illuiétaitarrivémalheur,ilslesauraientbientôt.—Pourquoin’irions-nouspasprendre le thédans le jardin,Mesdemoiselles?C’estunesibelle

journée.

—Croyez-vousvraimentqu’Yvetteestenvie?demandaHaroldquelquesheuresplustardlorsqu’ilsarrivèrentàlamaison.Ilpritlacaped’Évapourlasuspendresuruncrochetprèsdelaporte.Desbruitsleurparvenaient

depuis la cuisineoù l’onpréparait le repasdu soir etuneodeurdecannelle flottait dans l’air.Lesbruits et les odeurs familières ne firent rien pour réconforter Éva. La journée avait été trèséprouvante.Ses tentatives pour attirer l’attention des femmes sur d’autres sujets n’avaient pas endigué les

spéculationsausujetdusortd’Yvette.Enchacuned’ellespersistaituneconstanteappréhensionsous-jacente.Tantquelesortd’Yvetteresteraitinconnu,personneneconnaîtraitlapaix.

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Évalevalatêtepourleregarder.L’inquiétudepartagéeausujetdelacourtisanedisparueleuravaitoffertunebrèveetfragiletrêveletempsd’unejournée.Toutefois,ellesavaitqu’Haroldn’avaitpassurmontésonmécontentementenverselle.Soussasurfacestoïque,ilbouillaittoujoursderage.—Jenesaispas,répondit-elleenfaisantdemi-touretenleconduisantjusqu’aupetitsalon.J’espère

sincèrementlaretrouversaineetsauve.Cependant,jesuisinquiète.Sisonprotecteurestunhommeviolent,ilpourraitl’avoirpuniepouravoirtentédelequitter.Jeredoutel’intensitédesacolère.Retirantsonbonnetainsiquelesépinglesdanssescheveux,elleenlevasaperruqueetseslunettes,

puis lesposa tous lesdeuxsurune tablebasse.Harolds’accroupitpourattiser le feu.La lueurdesflammes la réchauffa un peu tandis qu’elle s’approchait du canapé afin de prendre place sur lescoussinsbourrés.Chezelle,ellesesentaithabituellementàl’abridesmauxquiassaillaientlavilleàl’extérieurdesesmurs.N’eût été la générosité de son père, elle aurait très bien pu finir comme Yvette ou n’importe

laquelledesescourtisanes.Maismaintenantquemonsieurleducbrandissaitsesdettesau-dessusdesatête,lamenaced’undésastreplanaitenpermanence.Unebrèche,puisuneautreavaientétéouvertesdans cesmurs qu’elle n’arrivait pas à construire suffisamment haut pour tenirmonsieur le duc àl’écartdesavie.—C’estma faute,ditHarolden se relevant.Si j’avaisétévigilant, ellene seraitpaspartie toute

seule.—Commentaurais-tupuconnaîtresesintentions?protestaÉva.Tunepeuxpasêtreconstamment

avec nos courtisanes. Elles doivent prendre leurs propres décisions. Même si tu t’étais douté dequelquechose,elleauraittrouvéunmoyendesortirendouce.Tunepouvaispasl’enchaîneràsonlit.—Si jen’avaispas étépréoccupépard’autres affaires, dit-il simplement, j’auraispasséplusde

tempsaveclesfemmesetj’auraissentiquequelquechoseclochait.Ilne l’accusaitpasdirectement,mais l’insinuation luipesait sur lesépaules.N’eûtétésa relation

avecmonsieurleduc,Haroldauraitpeut-êtrepu,selonlui,empêcherYvettedes’échapper.Deminusculescheveuxsedressèrentsursanuque.—Tunepeuxpasmeblâmerpourcequiestarrivé.Ellen’arrivaitpasàcroirequ’Haroldpuisseêtreaussicruel.Ellesesentitextrêmementblessée.Il

nepouvaits’agiruniquementdelapersonneavecquiellecouchait.Sacolèreaiguëdevaitavoiruneraisonplusprofonde,quelquechosequ’ellenecomprenaitpas.—C’estlafauted’Yvettesielleestsortieendouceaubeaumilieudelanuit.—Elles’estengagéedansunerelationavecunhommedontelleacru,àtort,qu’illaprotégeraitet

prendraitsoind’ellelorsqu’ellevieillirait,répliquasèchementHarold.Sesdéfensessonttombéesenvoyantsafortuneetsontitre.Ellen’apasvusacruautéavantqu’ilnesoittroptard.Maintenant,elleestpeut-êtremorte.—Nossituationsn’ontrienencommun,criaÉva.Elleaétéentraînéedeforcedanslasiennepar

descirconstancesqu’ellenepouvaitpassurmonter.Monsieurleducn’estpasunhommecrueletjeneluiappartienspas.—Etmonsieur le duc ? s’enquit sèchementHarold en s’appuyant contre la cheminée, le regard

noir.Quefera-t-illorsqu’ilenauraassezdevous,Éva?Vousmettra-t-ilàlaportedecettemaison?S’ilexigeleremboursementdesfacturesetquevousnepouvezpaspayer,votreprochaineadressesera-t-elleàlaprisondesdébiteursfautifs?—Monsieurleducapromisquemamèreseraittoujourschezelleici,répondit-elled’untonsec

tandisquelacolèrefaisaitremonterlabilebrûlantedanssagorge.Iltiendrasapromesse.—Vousleconnaissezsibien?demanda-t-ild’untonsarcastique.

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Envérité,ellenesavaitpresqueriensurleduc.Lesdoutesqu’Haroldavaitexprimésressemblaientà ceux qui la gardaient éveillée presque toutes les nuits. Son avenir était devenu incertain, confus.Bienqu’ellecrûtqueNicholasprendraitsoindesamère,sesprojetsencequi laconcernaitétaientmoinsclairs.Dequeltyped’hommes’agissait-ilenréalité?Quesavait-elledelui,horsdesonlit?Sielleprenaituninstantpourpenserauxgensautourd’elle—Harold,Noëlle,monsieurleduc,les

courtisanes—,elleétaitentouréed’inconnus.Quesavait-elledechacund’entreeux?Ellelevalementonetrefusadesuccomberauxlarmes.Jamaisellenes’étaitautantsentieàladérive,sansbraspourl’aideràremonterdanslebateau.Si

seulement elle s’était permis de se rapprocher d’autres gens alors qu’elle grandissait, elle ne sesentiraitpasaussiseulemaintenant.—Çanevousregardepas,Harold.—Çanemeregardepas?fit-ilensecouantlentementlatêtetandisqu’ilrougissaitsousl’effetde

lacolère.Chaquejour,j’aipeurquevotremèreetvoussoyezplongéesdanslamisèreàcaused’uncapricedecethommeavecquivouscouchez.Vousa-t-ilpromisquoiquecesoit?Vousépousera-t-il?Faceàsonsilence,illevalesbrasauciel.—J’aifaitdessacrificespourveillersurvous,Éva,etvousditesqueçanemeregardepas?Dessacrifices?Évasentitsadéterminations’effriter.Ellen’avait jamaispenséqu’ilpuisseavoir

abandonnéune familleouunmétierpour resteravecelleetdevenir soncompagnon.Enrevanche,elle ne lui avait jamais demandé de faire des sacrifices pour elle. Peu importe ce qu’il avaitabandonné,ill’avaitfaitdesonpleingré.Harold était son ami, autant que cela puisse être possible, mais il était aussi son employé. À

l’instant, ellen’était pas certainede savoirquelHarold ellevoulait qu’il soit.En tantqu’ami, il sesentait libre d’exprimer son opinion. En tant qu’employé, il s’aventurait sur un terrain glissantlorsqu’ilétaitquestiondemonsieurleduc.Elleavaitdécidédedevenirl’amanteduduc.Bienqu’elleaitmisuntermeàleurrelation,monsieur

leducavait toujours lepouvoirdelaramenerdeforcedanssonlit,etce,mêmes’ilne l’avaitpasencorefait.Prévoyait-ilunenouvelleoffensivedeséductioncontresoncorpsavide?Connaîtrait-elleunjoursesintentions?SiHaroldfaisaitquoiquecesoitpourcompromettrel’équilibreprécairedesarelationavecleduc,

ilpourraitprovoquerdesdégâtsirréparablespoureuxtous.EllerenverraitHaroldavantdemettreenpérillasantéetlasituationdesamère.—Jenevousdemandepasdecomprendremesraisons,Harold.Ellessontpersonnelles,dit-elleen

se levantpour lui faireface.Toutefois,vousnedevezpasoublierceci :vousparlezdesacrifices ;moiaussi,j’aifaitdessacrifices.J’aimonemploi,mamèreetvous.Jen’assisteàaucunefête,jen’aipasdeviesociale.Jen’aijamaiseudeprétendantpourm’apporterdesfleursetm’inviteràfaireunepromenadedansleparcetjen’enauraijamais.Alorssijemepermetsdevolerquelquesinstantsdeplaisir dans les bras d’un homme, vous, plus que quiconque, devriez être en mesure de lecomprendre.Évan’attenditpasqu’ilréponde.Elleredressalesépaulesets’éloignad’unpasraide.

Haroldlaregardadisparaîtreetsentitsasouffrance.Laculpabilitél’empêchadelasuivre.Lejouroùil était venu à Londres et avait commencé à surveiller Éva, il avait tout laissé derrière lui.

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Étrangement,letriodemalandrinsquil’avaitbattuetluiavaitvolésabourseluiavaitrenduservice.Ildevaittrouverunmoyendes’introduirechezellesanséveillerlessoupçons,cequesesblessures

luiavaientoffert.Etelleneluiavaitjamaisposédequestionssursonpassé.Ellel’avaitsimplementsoignéjusqu’àcequ’ilsoitrétabli,puisluiavaitoffertunemploichezelle.Cequiavaitcommencécommeunsimplecontratprofessionnels’étaittransforméenquelquechose

deplusprofond. Il s’était réellementattachéàÉvaetàCharlotte.Ellesétaient la famillequ’ilavaitperdue. Et il détestait la voir gâcher toutes ses chances d’être heureuse en se donnant au duc, unhommequil’utiliserait,puislarépudierait.Toutefois,ilsavaitàquelpointellesesentaitterriblementseule. Si seulement elle avait choisi un homme qui l’aimerait et s’occuperait d’elle pour toujours.Danscecas,ilneluireprocheraitpasunseulinstantdebonheur.Haroldsavaitqu’ildevraitsonner l’alarme,mais ilavaitpeurdesconséquencess’il révélait tous

lessecretsd’Éva.Ill’avaitdéjàtrahie,bienqu’ellenes’endoutâtpoint.Unefoisqu’ilauraitfaitsonrapport,saparticipationàcettemascaradeprendraitfinetilseraitlibrederentrerchezlui.Poursaconsciencedéjàtourmentée,leplusdifficileseraitdedémêlerlesfilsdelatrahisonetdeluidireaurevoir.Lorsqu’onluiavaitproposéd’enquêtersurmademoiselleWinfield,ilavaittentéderefuser.Maisil

étaitdansunesituationdésespéréeetsescoffresétaientvides.Onluiavaitoffertunevieconfortableenéchangedequelquesmoisdetravail.Avantqu’ilsesoitrenducomptedecequisepassait,ilétaitdansunevoitureendirectiondeLondres,habilléenvalet.Non.Pour l’instant, ilgarderait celapour lui.Évan’étaitpas réellementendangeretonpouvait

survivreàuncœurbrisé.NonquesonemployeursesouciâtdecequipouvaitarriveràÉvaouàsamère.Haroldtressaillit.Lui,ils’ensouciait.Tellequ’ilconnaissaitÉva,soncœurétaitdéjàépris.Elleavaitdonnésoninnocenceàcethomme.

Mêmesiellearrivaitàseconvaincrequ’elleenétaitcapable,ellenepouvaitpasséparersonespritdesoncorps.Bientôt,lorsqueleduclarejetterait,elles’effondrerait.Et il lui faudrait rassembler toutes ses forces pour ne pas se rendre à Collingwood House et

tabasserlesatanéduc.

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CHAPITRE12

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La robe de bal argentée était tellement jolie, semblable à une étincelle de lumière céleste, qu’Évafronça les sourcils devant son reflet. L’étoffe moulante épousait le haut de son corps comme sil’ajustementavaitprisdesheuresetseterminaitpardesmètresdesoieetdedentelledélicates,striéesducorsageauplancherdefinsfilsargentés.Tandis qu’Éva fronçait les sourcils, la couleur fit ressortir les reflets dorés et cuivrés de ses

cheveux remontés. Aucune féemarraine n’aurait mieux réussi à la transformer en princesse. Ellescintillait.Éva croisa le regardde sa sœurdans lemiroir.Noëlle était extrêmement satisfaited’elle-même.

Depuisqu’elleétaitarrivéeaveclarobesurlebras,ellen’avaitpascessédefredonner.—C’estcequetuconsidèrescommesobre?Noëlle,resplendissantedansunerobeensatinrose,sourit.Sescheveuxblondsétaiententortillésà

l’arrièredesa têtedansunecréationélaboréesur laquellesafemmedechambreavaitdûpasser lamoitié de l’après-midi. Des boucles d’oreilles en rubis pendaient de ses lobes et des épinglesincrustéesdecristauxscintillaientdanssescheveux.—J’ai fait enlever les rubanset lesbouclespar lamodistepour la rendreplus simple, expliqua

Noëlleenhaussantlesépaules.Elle se plaçaderrièreÉva et se penchapar-dessus son épaule.Un léger parfumde rose émanait

d’elle.—Tuescharmante.Moi-même,jen’auraispasputrouvermieux.Évaplissalesyeux.—C’esttoiquil’astrouvée.Tendantlebrasversunpotdepoudre,Noëllegloussa.—C’estvrai,n’est-cepas?Jedoisvraimentavoirdugoût.—Ettuesmodeste,enplus,masœur.Sortantdesabouche,leterme«sœur»neluiparaissaitplusétrange.Ellesseules,ainsiqu’Harold,

connaissaient leurliendeparenté.Lesdomestiques,à l’instardesamère, l’avaientcruelorsqu’elleavaitprésentéNoëllecommeunenouvelleamie.Éva savait qu’elle devrait courir à sa garde-robe et en sortir l’un de ses ternes déguisements de

vieillefille,maisellen’arrivaitpasàseconvaincredelefaire.Ellen’avaitjamaiseul’occasiondeporterunecréationaussiraffinéeetlavanitél’emportasurtouteenviedel’enlever.—Avecmamagnifiquesœuràmescôtés,ilseraimpossibledepasserinaperçuedanslafoule,dit

Éva.Tousleslionsdanslafosseselécherontlesbabinesd’anticipation.Laseulechosequ’Évapouvaitfaire,c’étaitprierpournepastombersurleduc.C’étaitlabêtela

plusférocedetoutes.—Sottises, réponditNoëlleenposant lepot.Lesseulsàbavercesoir seront les fervents jeunes

mâlesquisupplierontpourqu’ontelesprésente.Évasemordillalalèvreinférieure.Lamauditevoixdelaraisons’élevaittandisquesarésolution

des’amuseraubalfaiblissait.Dejeunesmâles?Était-elleàlahauteurpourlaséductionetladanse?Samaladressefaited’inexpériencelescouvrirait-elledehonte,sasœuretelle?Ellen’auraitpasdeformidablechaperonderrièrequisecachersielleavaitbesoind’un instantpourse ressaisirousesauverd’unprétendanttropzélé.Harold lui avait promis de flâner à l’extérieur avec le carrosse, au cas où elle aurait besoin de

s’éclipser envitesse.À l’intérieur dumanoir, elle serait seule avecNoëlle pour uniqueprotection.Cettepenséenefitrienpourlarassurer.

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Et simonsieur le duc assistait au bal ? Il n’était pas impossible qu’il y soit. Il se cherchait uneépouseetilyauraitlàbeaucoupdejeunesfemmesparmilesquelleschoisir;toutunpoulaillerremplidepoulettesdebonnesfamillesquiroucouleraientpourattirersonattention.SimademoiselleBanes-Doddrefusaitsonoffre, iln’auraitqu’àtendrelebraspourqu’unedouzainedejeunesdemoisellesquinepensaientqu’aumariagesebousculentautourdesaqueue-de-pie.Elle fronça les sourcils davantage. Il rirait, danserait et choisirait une épouse sans même lui

accorderune seulepensée.Elle,Éva,n’avait absolument aucune importancepour sonavenir ; ellen’étaitqu’unemaîtressefacileàremplacerparuneautrelorsqu’ils’enlasserait.Lefroncementdesourcilssetransformaenunregardnoir.Soudain,iln’yavaitrienqu’elledésirâtdavantageàcetinstantqueseprécipiteraubalpourséduire

tousleshommesentrevingtetquatre-vingtsansqu’ellecroiserait.Mauditsoitleduc.Évatouchalesminusculesbouclesd’oreillesendiamantsqu’elleavaitempruntéesàsamère.Celle-

cilesavaitportéeslesoiroùelleavaitrencontrésonpère.Charlotteavaittoujoursconsidéréqu’ellesportaientchance.Siquelqu’unavaitbesoindechancecesoir,c’étaitbienÉva.EllesependitaubrasdeNoëlle.—Onyva?

DesbougiesscintillaientàtouteslesfenêtresdesdeuxpremiersétagesdumanoirPenningtonlorsquele carrosse de Noëlle s’arrêta derrière une file d’autres carrosses. Éva jeta un coup d’œil par lafenêtrepourvoir leblocenbriquesdequatreétagesquiprojetait sonombre sur lesmaisonspluspetitesquil’encadraientdepartetd’autreduchicGrosvenorSquare.L’enthousiasme initial d’Éva s’était quelque peu refroidi lorsque Noëlle s’était mise à pointer

chacunedesmaisonsdevantlesquellesellespassaientetàdonnerunebrèvedescriptiondesfamillesquileshabitaient,ycomprisdeCollingwoodHouse,deuxpâtésdemaisonsplusloin.Ellen’avaitrienàfairedanscetuniversetellelesavait.Voirl’immensedemeuredeNicholasluiconfirmaunefoisdeplusqu’ellen’auraitjamaissaplaceàsescôtés.Lesfemmesd’ascendancedouteusen’osaientpasrêverdetelleschoses.ElleavaitgardéunvisageimpassiblelorsqueNoëlleavaitparléduséduisantduccélibataire,mais

soncœuravaitpalpitédangereusementdanssapoitrinetandisqu’unmalaiselarongeaitjusqu’auxos.Noëlleétaitl’imagemêmedelasérénité,maisÉvaétaitunevéritablebouledenerfs.Touslesgensimportantsducercle restreintde labonnesociétéassisteraientàcebal. Ilyserait,ellen’endoutaitpas.Lerisquequecechâteaudecartess’écrouleetqueNoëlleseretrouveàramasserlesdégâtsn’était

pasfaible.Simonsieurleducdécidaitderévélerqu’elleétaitsamaîtresse,riennepourraitsauvernil’unenil’autredesdeuxsœurs.—Jecroisquenousdevrionsmettreuntermeàcettefolieavantqu’ilnesoittroptard,ditÉvaen

portantsesmainsjointesàsabouche.Nouspouvonsrentreràlamaisonetmangerdesgâteauxauxfiguesjusqu’àcequelescouturesdenosrobescèdent.Noëlleôtaunepeluchedesacape.—Sottises. J’ai lachanced’exhibermacharmante sœuret j’ai l’intentionde le faireavec fierté.

Bienentendu,tuserasprésentéecommemacousine,maisj’ainéanmoinsl’intentionderiregaiement

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et de danser jusqu’à en avoir mal aux pieds. Ensuite, nous mangerons du faisan bien gras et deshuîtresgraveleuses jusqu’àdevoirenlevernoscorsets.Etsiunséduisant jeunehommemebaise lamain,jeglousseraicommeunedindeetbattraidescilsjusqu’àcequ’ilsoitdésespérémentépris.Éva gloussa. Noëlle était comme un vent violent qui s’infiltrait dans les corniches. Il était

impossibledenepasselaisseremporterparletourbillon.Lecarrosseavançaunpeu.Noëllesepenchaparlafenêtre.—Le temps d’arriver à l’avant de la file, le bal sera terminé. Les invités ne pourraient-ils pas

prendreunpeumoinsleurtempspourdescendre?—Patience,Noëlle.Nousysommespresque.ÉvaobservalevisagesereindeNoëlle.Était-ilpossiblequeNoëlleespèrequ’ellesoitdécouverte

etruinée?C’étaitunedrôled’idée,maiscelaexpliqueraitcertainementsonapparitionsoudainesurlepas de la porte d’Éva ainsi que son insistance pour qu’elle l’accompagne ce soir. Ou peut-êtreespérait-elle scandaliser son insensible mère. Y avait-il un meilleur moyen d’y arriver que de sepavanerdansLondresavecunesœurillégitime?EllelevaversNoëlleunregardpénétrant.—Sincèrement,Noëlle,pourquoifais-tuça?Jenesuisriendeplusqu’unsecretembarrassant,le

résultatdesindiscrétionsdenotrepère.Pourtant,tuesprêteàtoutrisquerpourmetraitercommeuneprincesse,cesoir.Pourquoi?Noëllelaregarda,l’airétonné.Aprèsunmoment,ellesouritdoucementdanslapénombre.—Tuesmasœur.Peuimportetonascendance,tufaispartiedemafamille.—Ildoityavoirautrechose,protestaÉva,biendécidéeànepasdescendredececarrosseavant

d’avoirobtenudesréponses.Dis-moiquelleestlavéritableraisondecepetitjeu.Avecunsoupir,Noëllesepenchaenavantpourattraperlamaind’Éva.—Monpèreetmamèresedétestaientetseparlaientrarement,saufpourdemanderàl’autredelui

passer quelque chose à table. Jeme suis souvent demandé siMeg etmoi n’étionspas les filles dujardinier.Ellesemorditlalèvreinférieurepourl’empêcherdetrembler.—Tamèreetnous,sesfilles,étionssajoiedevivre.JenepeuxpasenvouloiràCharlottedelui

avoirprocurédesmomentsdebonheur.Alors,oui,jerisquegrospourprétendrequetufaispartiedelafamille.Jerefusequ’ilensoitautrement.Heureusement,l’obscuritécachaleslarmesquimiroitèrentdanslesyeuxd’Évalorsqu’ellesourit

etsecoualentementlatête.—Tuesunejeunefemmeexceptionnelleetmerveilleuse,Noëlle.Noëllesouritdetoutessesdents.—Tunevoudraissurtoutpasquejechange.Évainspiraetlâchaungrandsoupir.Elleserralamaindesasœur.—Non,eneffet,jenevoudraissurtoutpasça.

L’odeur suffocante de parfum et de milliers de fleurs, dont les vases débordaient, fit légèrementchancelerÉvatandisqueNoëllelaguidait,brasdessusbrasdessous,verslasalledebal.Lehallétaitpleinàcraquer:leshommesétaientparésdeleursplusbeauxatoursetlesfemmes,vêtuesderobesauxcolorisvifs,commesichacuntentaitdesurpasserlesautresencouleuretenstyle.

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Évaeutdumalànepasresterbouchebéecommeuneidiotedevantlehautplafondpeintenbleupâle, dont la surface était parsemée de nuages blancs cotonneux. Quel que fût l’artiste, il avaitbeaucoupde talent.Éva avait presque l’impressionque lemanoirPenningtonn’avait pasde toit etqu’elleregardaitlecield’unebellejournéed’été.—Cettedemeureestunvéritablepalais,dit-elleens’approchantdel’oreilledeNoëlleafind’être

entenduepar-dessuslesdouzainesdevoix.—C’estgrandiose,réponditNoëlle,quis’agrippafermementàellelorsqu’unhommevêtudebleu

paonlesfrôlaenpassant.TantePennalesensduspectacle.L’annéedernière,elleainsistépourquetouteslesfemmesinvitéessoientvêtuesderougeetleshommes,denoir.C’étaitstupéfiant.—Jeveuxbienlecroire.Évajetaunderniercoupd’œilauplafondavantqu’ellesquittent lehall.Elleauraitpupasserdes

heurescouchéesurledossurleplancherenmarbreàsimplementrêvasserenregardantlesnuages.—Tuvoiscethommelà-basquiparleavecunefemmequiadesplumesvertesdanslescheveux?

demandaNoëlleenpointantdiscrètementderrièresonéventail.Évaregardadansladirectionindiquée.L’hommeétaitgrandetminceetavaitdestraitsrésolument

enfantins.—L’annéedernière,mamèreainsistépourquejelelaissemecourtiser,jusqu’àcequeMargaret

lesurprennedansunepositioncompromettanteavecundenosvalets.Ilsonttousdeuxétérenvoyéssanstropdedifficultés.Maintenant,mamèreaabandonnél’idéed’essayerdememarier.Ellecroitquenotresœurconstituesonseulespoird’avoirdespetits-enfants.Il était impossible d’imaginerNoëlle enceinte jusqu’auxyeux.Noëlle se disait souvent inapte au

mariageetsatisfaitedelaisserlerenouvellementdelapopulationaurestedelasociété.Cefutautourd’Évadelataquiner.—Jenerenonceraispassiviteauxhommes,masœur.Tupourraisbienentrouveruncesoirqui

t’enlèvera pour t’emmener dans son château, où tu passeras ensuite le reste de tes jours à ajoutergaiementunebrancheàsonarbregénéalogique.Noëllegrimaçaetbalayarapidementduregardlecouloirdevantlasalledebal.—J’auraisplusdechancesdeme faire frapperparuneétoile filante.Leshommespréfèrent les

femmesquiboivent leursparoles à cellesquimettent endoute tout cequ’ils disent, répliqua-t-elleavecunclind’œil.Mamèreditquejesuisimpossible.Lesdeuxsœursgloussèrent.—Là-dessus,tamèreetmoisommesd’accord,lataquinaÉva.Ellesattendirentqu’unefamillenombreuseseretrouveàl’avantdelafile,puisseglissèrentdansla

salle de bal derrière elle sans être annoncées.Éva croyait que c’étaitmieux ainsi.Bien qu’elle fûthabillée comme une scintillante étoile de Noël argentée, moins elle attirerait l’attention sur elle-même,plusellesauraientdechancesdesurvivreàlasoirée.Ç’allaitêtresonpremieretdernierbaldanslahautesociétéetelleavaitl’intentiond’enprofiterau

maximum. Malheureusement, elles n’avaient fait que quelques pas dans l’immense salle de ballorsqu’unevoixretentitàtraverslafoulepourinterpellerNoëlle.Évaseraidit.—Tevoilà,trèschère.Une femmed’âgemûrvêtued’unecréationvaporeusevert foncé recouvertededélicatedentelle

doréecontournaplusieursgroupesd’invitéspourvenirseposterdevantNoëlle.—J’aieupeurquetusoistombéemalade,Noëlle,dit-elleavechumeurenluiprenantlesmains.Je

croyaisquetuarriveraistôtpourm’aideràaccueillirmesinvités.Noëlleselaissaembrassersèchementsurchaquejoue.

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— Je suis navrée, ma tante, répondit-elle en reculant d’un pas pour désigner Éva.Ma cousine,Évangéline, vient tout justed’arriverde la campagne.Nous avonsdû lui trouver à la hâtequelquechosedeconvenableàporter.Une paire d’yeux de faucon, dans lesquels il y avait une bonne dose de doutes, se fixèrent

brusquementsurlevisaged’Éva,quicompritpourquoioncomparaitLadyPenningtonàundragon.Elleétaitformidablementimposante.Évaserralesfessesets’efforçadegardersoncalmemalgrésonregardterriblementperçant.—Évangéline?Tun’aspasdecousinequis’appelleÉvangéline.—C’estcequidonnetoutsoncharmeàlasituation,matante.Noëlleglissasonbrassousceluid’Évad’ungesteprotecteur.Elless’appuyèrentlégèrementl’une

surl’autre.—Jevienstoutjustededécouvrirque,justeavantdemourir,l’oncleEdwards’étaitmariéensecret

après tante Bess. Un cousin, Roderick, est né de cette union. Le cousin Roderick a épousémademoiselle Éloïse Solomon et Évangéline est leur fille unique. Malheureusement, les parentsd’Évasontdécédésilyaquelquesmoislorsqueleurbateauachaviré.C’estseulementaprès,parunelettrearrivéeenretard,quej’aieulebonheurd’apprendrequej’avaisuneautrecousine.Évaréussitàsemordrelesjouespourprendreunairsombre.Elleavaitenviederiredusérieux

aveclequelNoëlleavaitprésentécemensongeextravagant.—LadyPennington,laissez-moivousprésenterÉvangélineHarrington.Le regarddeLadyPennington transperçaÉva comme si elle voulait creuser enprofondeur à la

recherchedetoutetraced’imposture.Évasavaitqu’aussitôtqu’elleauraituninstant,ladameenverraitenvitesseunenoteà lamèredeNoëllepourobteniruneconfirmation.Mais ilétait trop tardpourqu’ellelefassecesoir;Évaétaitdoncensécuritépourlemoment.Et comme il était difficile de prouver qu’il s’agissait d’unmensonge, il n’y avait qu’une seule

chosequeLadyPenningtonpouvaitfaire,entantqu’hôtesseconfrontéeàunenouvelleconnaissanceétroitementapparentéeàNoëlle.—Bienvenuechezmoi,mademoiselleHarrington,dit-elleavecunsourirepincé.J’espèrequenous

auronsletempsdefaireconnaissanceplustarddanslasoirée.—Avecplaisir,réponditÉva.CelaluiplairaitautantquedesedévêtirpourdansernuedanslesruesdeLondres.Ellepritnotede

setenirbienloindeLadyPennington.Celle-ci fronça les sourcilset lançaun regardnoir suspicieuxàNoëlleavantdes’éloignerpour

saluerdesinvitésquiarrivaient.Onauraitditquel’airs’étaitallégéetqu’ilétaitplusfacilederespirerenl’absencedudragon.—Penses-tuqu’ellenousacrues?demandaÉvaenjetantàsasœurunsceptiqueregardencoin.Noëllepinçaleslèvres.—Pasuneseconde.Leursrirescombinésfirenttournerplusieurstêtes.Éva passa la majeure partie de l’heure suivante à naviguer parmi les connaissances de Noëlle.

Commecelle-cipassaitlaplupartdesontempsdansleKent,sesamislesplusintimesétaientaubal.Évaseconduisitd’unemanièrequ’elleespéraitdigneetgracieuse,reconnaissantepourlesleçonsquesamèreluiavaitdonnéeslorsqu’elleétaitenfant.Charlotteavaitignoréquelgenredevieattendraitsafille, mais elle avait voulu qu’Éva puisse s’adapter même aux situations les plus grandioses. Ellejouaitdoncavecaisancelerôled’unecousinedelacampagne,unedamed’ascendanceimpeccable.

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Lorsqu’unjeunehomme,raisonnablementséduisantmalgrédeuxdentsdetraversàl’avant,enlevaNoëlle pour l’emmener danser, Éva se sentit légèrement mal à l’aise. Plusieurs paires d’yeuxmasculins se tournèrent dans sa direction, mais elle représentait toujours une curieuse nouveautéqu’ilsnesavaientpastrèsbiencommentaborder.Elleacceptadoncunverredepunchoffertparundomestiquequipassaitparlàetlaissasonregard

erreràtraverslafoule.Éva s’imprégna des rires et de lamusique, de la vue des jolies robes et d’hommes en tenue de

soirée,ainsiquedel’odeurdesbougiesetdesfleurs.Elletapadel’orteilsousl’ourletdesarobeenattendantimpatiemmentquel’undesjeuneshommesaitlecouragedel’inviteràdanser.Elleavaittrèsenviededanser.Par hasard, tandis qu’elle regardait par-dessus le rebord de son verre à la recherche d’unœil à

croiser, la foule s’écarta l’espace d’un instant et elle aperçut une silhouette imposante. Son cœurs’arrêta.Ungrandhommeennoir,dosàelle,étaitenconversationavecunepetitebrunettevêtued’unerobe

rosepâle.Lafilleluisouriaitgentiment,commesichaquemotquis’échappaitdesaboucheétaitlachoselaplusfascinantequ’elleavaitentenduedanssacourtevie.Évaenfitrapidementabstraction,carc’étaitlescheveuxbrunsetleslargesépaulesducompagnon

delafillequiluiavaientcoupélesouffle.Elleavaitpasséassezdetempsensacompagnie,avecetsansvêtements,pourleconnaîtreintimementsoustouslesangles,soustouslesplansciselés,sculptésetmusclés.Monsieurleduc.Telunlapinconfrontéàunchienquipasse,ellenesavaitpassielledevaitfuirouresterimmobile

enespérantpasserinaperçuedanslahorde.Malgrélesbouclesd’oreillesdesamère,ellen’eutpasdechance.Ilsetournaensouriant,puissefigea.Depuisl’autrecôtédelapièce,illafixaduregardettoutetracederiredisparutdesprofondeurs

vertes de ses yeux. Elle eut unmalaise, se sentit rougir et fut rongée par la culpabilité. Elle avaitfranchilafrontièreinvisibleentreleursdeuxmondesetellesutàlaformemenaçantedeseslèvresqu’ilétaitfurieux.Elleperdittoutenotiondetempsetd’espacelorsqu’ellesetournaprestementpoursedirigervers

lesportesouvertesquidonnaientsurlaterrasse.Sanss’arrêterdanssonélan,ellefourrasonverredanslamaind’unedomestique.Évaavaitàmoitiécontournéunarbreenpotetn’étaitqu’àquelquespas de la liberté lorsqu’unemain se referma autour de son bras. Elle se tourna pour faire face àNicholas.—Que faites-vous ici,Éva? siffla-t-il ense servantde soncorpspour lesprotégerdes regards

curieuxdesinvitésquitraînaientautourd’eux.Sansluilâcherlebras,ill’entraînadel’autrecôtédesportes.Saluantd’unsignedetêtenonchalant

uncoupleappuyécontrelabalustrade,illapoussasurlaterrassejusquedansuncoinsombre.—Êtes-vousfolle?Elleétaitréellementfolle.Elleétaitdansuncoinsombredelaterrasse,àunbaloùellen’avaitrien

àfaire,avecunhommequiconnaissaitsoncorpspresqueaussiintimementqu’elle-même.Quelquesjoursplustôt,ilavaitenfouisonvisageentresesjambesetluiavaitdonnéunorgasmestupéfiant.Rougissant,ellehochalentementlatête.—Manifestement.Nicholasexpirabruyamment,puispointadudoigtendirectiondelasalledebal.

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—Vous rendez-vous comptequede l’autre côtéde cesportes se trouventma future épouse,mamèreetpratiquementtouslesgensquejeconnais?Ainsi,labrunetteétaitbeletbienlaparfaiteduchesseendevenir,LucyBanes-Dodd.Lafemmequi,

bientôt,partageraitsonlit,organiseraitsesfêtesetoffriraitàmonsieurleducunekyrielled’enfantsbien élevés et extrêmementbeaux.Elle serait pour lui tout cequ’Évanepourrait jamais être : uneépouseetamanteouvertementadorée.Unevaguedefollejalousiel’envahit.Ilavaittoutcequ’ilvoulaitetelle,ellen’avaitrien.Elleavait

passélamajeurepartiedesavieàl’intérieurdesademeure,incapabledejouirdesplaisirsfrivolesdont profitaient la plupart des jeunes femmes de son âge. Jusqu’à maintenant, elle n’avait jamaisvraimentregrettéseschoix.Ilneluigâcheraitpassasoirée.— J’ai parfaitement le droit d’être ici, chuchota-t-elle en essayant de reculer, mais un treillis

couvertdevigneluibarralaroute.J’aiétéinvitée.—Invitée?Nesoyezpasabsurde.Ill’attrapaparlesbrasetsepenchaverselle.Sachaudehaleineluieffleuralenez.—LadyPenningtonn’invitepasdecourtisanesàsesbals.Ellesentitunélandecolère,ainsiquededouleur,latraverser.Évidemment,àsesyeux,ellen’était

qu’uneputeindigned’êtremêléeàsesnoblesamisetàsafamille.Elleétaituniquementdignedesonlitetderiend’autre.Etilenseraittoujoursainsi.Ellesemorditleslèvrespourlesempêcherdetrembleretlevafièrementlementon.—Jenesuispasvotrecourtisane.

Laprofondedouleurqu’il lutdanssesyeux leprit audépourvu. Iln’avaitpaseu l’intentiond’êtreaussicinglantetcruel,maiscelaluiavaitfaitunchocdelatrouverdanslasalledeballesoiroùilavaitprévudedemanderlamaindeLucy.Ilavaitétéméduséetavaitfaillitomberàgenouxdevantsabeautédélicate,encadréeparlesrefletsargentésdelalumièresurlesfilsdesarobe.Elleétaitàcouperlesouffle.Àl’instantoùill’avaitvue,Lucys’étaitfonduedanslatapisserie.Tout

ce qu’il avait en tête, c’était entraîner Éva dans un endroit isolé où il pourrait lui enlever sesvêtements.—Éva,je…Lesmotsluimanquèrent.Ilvenaitcarrémentdelatraiterdepute.Commentpouvait-illuiexpliquer

qu’elle était devenueplusqu’unecourtisaneà sesyeux?Qu’ellevolait sesnuits et remplissait sesjoursd’inopportunesimagesd’elleetquechaquejournéequ’ilpassaitsanslavoirétaitunevéritabletorture?Éva tressaillit et ses lèvres s’entrouvrirent. Il émit un faible grognement. Avant que son esprit

puissereprendrelecontrôledesoncorpsavecunedosedebonsens,ill’attiraversluietpressasabouchesurlasienne.Elleémitunfaiblegémissementetselaissaallercontrelui,ouvrantleslèvrespourrépondreàson

baiser.Ilsondasaboucheetgoûtaledouxarômedupunch.Ciel,lorsqu’ellepressaitsoncorpsparfaitcontrelesien,iln’arrivaitpasàpenserauxdangersde

folâtrer avec elle dans l’obscurité à quelques pas des portes ouvertes. Il avait abandonné sa futurefiancée pour entraîner Éva hors de la salle de bal sans se soucier de qui regardait. Depuis leurpremier baiser, aussi bref que pénible, elle était comme une drogue sur laquelle il n’avait aucuncontrôle.

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MêmesonmariageavecLucyn’arriveraitpasàleguérirdesadépendance.Lamaind’Évasefaufiladerrièresatêteetelleemmêlalesdoigtsdanssescheveux.Elleétaitàla

fois perfection et folie, et ses caresses enflammées suffisaient à l’embraser. Il pressa son érectioncontresonventre,brûlantd’enviedesoulagersonmembredanssachaleurhumide.Il arrachasaboucheà la sienneet enfouit la têtedans sescheveux.Sa respirationétait rauqueet

saccadée.—Jesuisincapabledepenseràquiquecesoitd’autrelorsquevousêteslà,madouce.Vousdevez

partiràl’instant,avantquequelqu’und’autrevousvoieetposedesquestions.Elle croisa son regard et se hissa sur la pointe des pieds. Ses lèvres s’étirèrent en un sourire

malicieuxetellepressasesseinscontresontorse.—Embrassez-moiencore,Nicholas.Il ne put faire autrement que lui obéir. Il l’embrassa violemment, joignant sa langue à la sienne

jusqu’àcequ’elleémettedepetitsgémissementsdeplaisir.Tandisqu’ilsecreusaitlesméningespourpasser en revue tous les recoins obscurs du jardin où un couple pouvait se cacher afin de volerquelquesinstantsd’intimité,unfroissementdecrinolineluifitleverlatête.Uneblondesveltevêtued’uneroberosesetenaitlesbrascroisésàquelquescentimètresd’eux.—Lâchezmasœurimmédiatement,monsieurleduc.Sesbrasretombèrentetilrecula.—Votresœur?Danssonrapport,Crawfordn’avaitjamaismentionnédesœur.Sonregardpassad’Évaàl’autrefemme,puisrevintàÉva.Oui,peut-êtreavaient-elleslesmêmes

yeux.—Noëlle,jepeuxt’expliquer,ditÉvaenlissantsoncorsaged’unemaintremblantedansunevaine

tentativederemédieràsonallurefripée.—Monsieurleduc,voicimasœurNoëlle,LadySeymour.Ilfixalablonde.LadySeymour?Bienqu’ilsnesesoientjamaisrencontrés,ilcroyaitqu’elleavait

unliendeparentéquelconqueavecLadyPennington.Unefilleule,peut-être?Ilsavaitqu’Évaétaitlafilleillégitimed’uncomte,maisCrawfordn’avaitpasréussiàdécouvrirlequelavantqueNicholasaitbrusquementmisfinàl’enquête.Maintenant,ilsavaitquesonpèreétaitfeuLordSeymour,uncomtedehautrangetunpair.Ilavait

couchéavecÉvaensachantquesamèreétaitunecourtisane.Lorsqu’ilsutquel’autremoitiédesonarbregénéalogiquedescendaitd’unelignéeaussivieillequelasienne,sonestomacsenoua.S’approchantpourattraperÉvaparlamaincommes’ils’agissaitd’unevilainefille,LadySeymour

legratifiad’unregardnoir.—LordBardendésiredanseravecÉva.Nousnevoudrionspaslefaireattendre.Surce,sacourtisaneréticentelelaissarôderseuldansl’obscuritétandisqu’ellecollaitauxtalons

de sa sœur offusquée. Éva lui lança un dernier regard impuissant par-dessus son épaule avant detournerlecoinetdedisparaître.Nicholassegrattalatêteàdeuxmains.LafilledeLordSeymour?Dansquelfouillisdéconcertant

il s’était retrouvé ! Il tentade se remémorer le vieil amide sonpère,mais il negardait du comtequ’unvaguesouvenir.L’hommeétaitmortdepuisunbonmoment.Quiauraitcruqu’ilavaitengendréunefilleillégitimeenplusdesapropreprogéniture?Ils’appuyacontreletreillisetlevalesyeuxverslecielétoilé.Detouteévidence,iln’yauraitpasde

demandeenmariagecesoir.Ilseraitdéjàsuffisammentdifficiledepasserlesquelquesheuresàveniràfairesemblantqu’Évaetluineseconnaissaientpas.Ilsuffisaitd’ajouteraumélangel’œildelynx

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desamèrepourqu’ilcommenceàsentirsoncœurbattreentresestempessousl’effetdelatension.SiseulementilpouvaitconvaincreÉvades’éclipserendouce.Peut-être aurait-il pu trouver un moyen de manipuler Éva, mais il doutait que Noëlle se laisse

influencer aussi facilement. La friponne. Elle avait emmené sa sœur illégitime à la plus granderéception de l’année dans la société, et ce, manifestement sans aucun scrupule ni réserve. Si lesvieillescommèresavaientventdelarelationdeNoëlle,ainsiquedelasienne,avecÉva,lescandalequienrésulteraitsecoueraitlabonnesociétéjusquedanssesfondements.Iln’yavaitqu’uneseulesolution:agircommesitoutallaitbienengardantÉva,Lucyetsamère

bienloinlesunesdesautresetenespérantquesonmaldetête,quis’intensifiait,nefassepasexplosersacervelleàl’intérieurdesoncrâne.

—Peux-tum’expliquer comment j’ai pu te laisser seule quelquesminutes et te retrouver en traind’embrassermonsieurleducdansl’obscurité?Noëlleavaitfermélaported’unpetitsalonetaffrontaitÉvaàvoixbasse,maisd’untonaccusateur.—Heureusementquejel’aivut’entraînerdehors;sinon,tuauraisbienpuêtrecompromise.Compromiseparmonsieurleduc?N’eûtétélefaitqueNoëlleétaitsiencolère,elleauraitpeut-

êtreri.Ilavaitfaitbienpirequelacompromettre,etce,plusieurs,plusieursfois.L’embrassern’étaitriencomparéauxdélicieuxmomentsscandaleuxqu’elleavaitpasséssursonsecrétaire,danssonlitetsursonplancher.—Cen’estpascequetucrois.Comment pouvait-elle lui expliquer leur relation ? Elle ne pouvait pas lâcher : « J’ai permis à

monsieur le duc deme violer pendant que le plaisir éhontéme faisait crier son nom. » Pour uneraisonquelconque,elleavaitl’impressionqueNoëllenetrouveraitpasunetelleconfessionamusante.Bienquesasœurnefûtpasunefemmecommelesautres,auplusprofondd’elle-même, lesrèglessociales luiavaientétéenfoncéesdans lecrânedepuissanaissance.Évas’attendaitàcequ’un jourprochain,sasœurserendecomptequedeveniramieavecsasœurillégitimeétaituneerreuretmettefinàleurrelation.Évas’assitsurunfauteuilàdossierhaut.— J’ai rencontré monsieur le duc il y a plusieurs semaines. Je ne t’ennuierai pas avec toute

l’histoire,maisdisonssimplementqueluietmoiavonsuneentente.Lesyeuxécarquillés,Noëlleselaissatomberdanslefauteuilfaceausien.—Tuessamaîtresse,n’est-cepas?EllepassaunemainsursonfrontetÉvahochalatête.—Cen’étaitcertainementpastonidée?Àvoirl’hésitationd’Éva,Noëlleeutsaréponse.—C’estbiencequejepensais.Lesalaud!T’a-t-ilforcée?Évas’empressadesecouerlatête.Siellesoupçonnaitlamoindrecoercition,Noëlle,avecHaroldà

sescôtéspourbrandirlecouteau,feraitcastrermonsieurleducpuisleferaitjeterdanslaTamise.—Certainementpas.C’estunehistoirecompliquée.Ellese levaetsedirigeavers la fenêtre,sous laquelleplusieurscouplessepromenaientdans les

sentiersdujardinplongédansl’obscurité.—Au début, je le détestais. Puis, tout a changé, poursuivit-elle en se tournant pour affronter sa

sœur. Il y a entre nous quelque chose que je n’arrive pas à décrire, une attirance que j’essaie de

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combattredetoutesmesforces.Maisdèsqu’ilmetouche,jesuisperdue.—Es-tuamoureusedelui?T’a-t-ildemandétamain?SiNoëlle luiavaitposédesquestionsausujetdesessentimentsunesemaineplus tôt,saréponse

aurait été plus claire. Maintenant, elle n’était plus aussi certaine de ce qu’elle éprouvait enversmonsieur le duc. Tout ce qu’elle savait, c’était qu’elle ne devait pas tomber amoureuse du ducinatteignable.—Non.Jenepeuxpasêtreamoureusedelui.Jesuissonamante.Ilnepeutenêtreautrement.Noëlleserenfrogna.— Donc, il a ce qu’il veut sans en subir les conséquences ? Je n’arrive pas à croire que cet

arrangementteconvienne.Ces paroles troublèrentÉva.Elle fut profondément attristée par la déception qu’elle lut dans les

yeuxdeNoëlle.Elletutsesémotionspourseprotégerd’uneautreracléeverbale.Elleétaittoujoursàvifaprès la façondontHarold l’avait traitée.Ellenepourraitpasendurer leméprisdesa sœurenplus.Niicinimaintenant.Peut-êtrequeNoëlleserendraitdésormaiscomptequecelienprécaireentreellesneferaitquelui

causerduchagrinenfindecompte.—Jesuislafilled’unecourtisane.Jenepeuxpasaspireràmieux.Encolère,Noëllebonditsursespieds.Elles’approchad’Éva,qu’ellepritparlesépaules.—Jerefusedetelaisserdireunechosepareille.Tuesmasœur.Cequis’estpasséentrenotrepère

ettamèreoucequ’elleétaitdanssonanciennevieestsansimportance.Jenepermettraipasqu’unducseservedetoisansqu’ilensubisselesconséquences.Jetejurequejetrouveraiunmoyenpourqu’ilt’épouse.

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CHAPITRE13

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Malgrésesvastesconnaissancessurlafaçondesoutenirunbadinageléger,Évan’étaitpasàl’aiseavec la séduction. Elle n’avait pratiquement aucune expérience avec les hommes. Bien qu’elle aitbeaucoupapprissurlabonnesociétédanslelivredeLadyWatersham,Codedeconduitepourjeunesfemmes de qualité, et qu’elle ait étudié comment les femmes de chambre séduisaient les valets, ycompris le tortillement demèches et le battement de cils,mettre ces informations enpratique lorsd’unbaldecetteenvergureétaitéprouvant.Ellen’étaitpasfaitepourcettevie.Lefaitquemonsieurleduclaregardedetraversdepuisl’autreboutdelapiècerendaitleschoses

encore plus difficiles, quoiqu’elle réussit relativement bien à garder les yeux loin de lui. Sonmécontentementconstituaitunpoidslourdàporter.Pourtant,ellenelelaisseraitpaslachasser.Noëlleétaitdéterminéeàlesvoirmariésetmettaitsur

lechemind’Évatouthommequalifiécapabledesetenirdeboutdansl’espoird’ainsiforcerleducàserendrecompteàquelpointelleétaitdésirableauxyeuxdesautreshommes.Bienqu’Évan’aitaucuneintentiondedevenirduchesseetqu’elleessaiedefaireentendreraisonà

sasœur,elletrouvaitplutôtréjouissantel’idéedetourmentersubtilementNicholas.Il avait décidé de sa vie à elle pendant des semaines et l’avait harcelée pendant plus longtemps

encore. Il l’avait traitéedepute.Enfin,presque. Il l’avait insinué.L’heureétaitvenuedechanger ladonneetdesevengerunpeudunobleduc.Ellesavaitdumoinsque,malgrésesregardsnoirs,illadésiraitsuffisammentpourabandonnersa

future fiancée et l’entraînerhorsde la salledebal pourunbaiser passionné.S’il était si dévoué àmademoiselleBanes-Dodd, il semoquerait biende cequ’Éva faisait ce soir et avecqui.Àvoir laposturemenaçantedemonsieurleduc,ellesutqu’ilétaitprêtàtuer—toutcelaàcausedelafiledebeauxquirivalisaientpourobtenirsonattention.Évaréprimaunsourire.Qu’ilsouffre.Sonregardluichatouillaitlapeautandisqu’elledansaitavecunhommeaprèsl’autre;elleavaità

peineletempsdereprendresonsouffleentrechacun.Elleritdeboncœurtandisquelescomtes,lesbarons et les ducs faisaient de leurmieux pour percer ses secrets. Elle évita soigneusement toutequestionpointueconcernantlelieudesanaissanceousesliensavecNoëlle.—Vousdansezmerveilleusementbien,mademoiselleHarrington,ditFarrell,lefilscadetdubaron

deTillbury,ens’inclinantlégèrementdevantelleavantdelaconduireàl’écartdelapistededanse.Ilétait trèsjeune,àpeinedix-huitans,etavait tousles traitsanguleuxd’ungarçonàl’aubedela

maturité. Pourtant, il savait comment séduire. Et, sous une tignasse blonde, son visage étaitsuffisammentagréablepourqu’ilfassepartiedesfavorisdesjeunesfemmes.—Peut-êtreaimeriez-vousunpeudepunch?Évahochalatête.—J’adoreraisunpeudepunch.Ildisparutrapidementpourremplirsamission.Évas’éventa,heureusedeprofiterd’unmomentde

solitude et d’avoir l’occasion de reprendre son souffle. Il faisait chaud dans la salle bondée et lachaleurdedouzainesdebougies intensifiaitcelledégagéepar lescorps.Elle regardaautourd’ellepour trouverNoëlleet finitpar l’apercevoirà l’autreboutde lapièce, justedevant lesportesde laterrasse,entraindetenirunediscussionaniméeavecHarold,dontlestraitsétaienttendustandisqueceuxdesasœurétaientgraves.Peuimportecedontilsdiscutaient,c’étaitsérieux.Lorsqueladiscussionpritfin,Haroldsortitetdisparutdanslanuit.EllefronçalessourcilsencroisantleregarddeNoëlle.Celle-ciluifaisaitunsignedelamainpour

luiindiquerquetoutallaitbienlorsqu’unjeunegentilhommevêtud’unevestevertes’inclinadevant

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Noëlleetluioffritsonbraspourl’entraînerdansunelignededanseurs.Si quelque chose clochait, Harold viendrait la voir. Sans doute ne faisait-il que fouiner pour

s’assurer qu’Éva ne s’attirait pas d’ennuis. Noëlle lui avait peut-être raconté sa découverte sur laterrasse afin de le mêler à son complot pour coincer le duc. Si c’était leur intention, ils seraientcruellementdéçus.Monsieurleducn’étaitpaslegenred’hommeàselaisserimposerunarrangementcontresongré.Nonchalamment, elle leva les yeux vers le dernier endroit où elle avait vu monsieur le duc. Il

parlaitàuneséduisantefemmevêtuederouge,maisilregardaitÉva.Àsonmécontentementsemêlaitune intensité qu’elle avait vue uniquement lorsqu’il avait déchiré ses vêtements, pris d’une envieurgentedelavoirnue.Lesombredésirqu’ellelutsursonvisageluicoupalesouffleetluiretournal’estomacsousson

corset. De toute évidence, il n’avait aucune intention de s’occuper de ses affaires et de la laisservaquerauxsiennes.Illasurveillaitdeloin,attendanttranquillementdepouvoirlaséparerdutroupeauavantdesejetersurelle.Éva était persuadée que s’ils étaient seuls, il la coucherait à plat ventre sur ses genoux pour lui

donnerlafesséejusqu’àcequ’elleaitlederrièrerouge-rose.Puisilluiarracheraitsarobepourluifairel’amouravecviolenceetpassion.Cette pensée la fit sourire. Devant son amusement non dissimulé, le duc fronça davantage les

sourcils jusqu’àcequ’ilsne formentpratiquementplusqu’un.Ungloussement jaillit, lui replaçantl’estomac.Elleétaitprotégéeparlafoule.Tantqu’ellenes’aventureraitpasàl’extérieur,sonderrièreetlerestedesapersonneseraientensécurité.

NicholasvitlejeuneFarrellrejoindreÉva,deuxverresenmain,ettoutcedontileutenvie,cefutderéarrangerlelongnezfindujeunemorveuxpourluidonnerunealluremoinsavenante.S’ilselaissaitalleràtabassertousleshommesquiavaienttenuÉvadansleursbrasaucoursdela

soirée, ilyauraitdesnezensanglantéspartoutdans la salleetendehors.Chaque foisque l’undesdandysluichuchotaitquelquechoseàl’oreilleenprivéoulafaisaittournoyersurlapistededanse,ilvoyaitrouge.Évaluiappartenait.Diable, il luiavaitprissavirginité.Ilavait laissésamarquesurelleetaucun

autre homme n’avait le droit de contester sa prétention. En revanche, il ne pouvait pas aller larejoindrepourlarevendiquercommesiennedevantuneassembléesirespectable.Cequilemettaitdansunétatdecolèreaveugle.—TusembleséprisdemademoiselleHarrington,monfils,ditsamèreenluitapantlebrasdeson

éventail.Ils regardèrent tous les deux Éva rire de quelque mot d’esprit de Farrell tandis qu’ils se

promenaientensembleautourdelasallebondée.—Soisprudent;Lucypourraitenêtreoffensée.Nicholass’efforçadetournersonattentionverssamère.Elleavaitvuquelquechosedanssafaçon

deregarderÉva;sansdouteundésird’uneintensitéàvousdéchirerl’entrejambe.Ildevaitétoufferl’affaireavantquesamèreinviteÉvaàprendrelethéetluiposetropdequestionssursonhistoire.—Dequiparlez-vous,Mère?Unéclairpassadanslesyeuxvertsdeladuchesse.

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—Lajeunedameàlarobeargentéequetun’aspaslâchéedesyeuxdetoutelasoirée,répondit-elleen plissant les yeux pour regarder Éva. J’ai cru comprendre qu’il s’agit d’une cousine de LadySeymourquivientdequelquepart prèsde la frontière écossaise.Bienqu’une rumeur coure selonlaquellel’histoireseraitmontéedetoutespièces.—Elleestjolie,admitNicholasentresesdents,d’unevoixaussidésinvoltequepossible.Farrell avait été chassé par un homme de rang plus élevé, le charmant et séduisant comte de

Wayborn. Il se pencha pour parler àÉva et elle répondit par un sourire.Elle prit le bras qu’il luitendit,posantsamainjustesoussoncoude.CesatanéWaybornlaconduisitàtraverslasalledebaljusquedanslasalleàmanger,oùdestables

chargéesdenourritureattendaient les invités.L’éclatdesonrire luiparvintmêmeaprèsqu’elleeutdisparudesonchampdevision.Peut-êtrelesangcoulerait-ilcesoir,aprèstout.Ils’efforçadegardersoncalme.—Ilyaplusieursjoliesfemmesici,cesoir,Mère.YcomprisLucy.Jen’aiaccordéplusd’uncoup

d’œilàaucuneenparticulier.—Vraiment ?Pasplusd’un coupd’œil ?Hum, fitCatherine.Dans ce cas, pourquoin’as-tupas

dansé avec Lucy de toute la soirée ? On dirait qu’il te suffit de lancer des regards noirs à cettemystérieusecousine.Veux-tubienm’expliquerpourquoi?Quereprésente-t-elleàtesyeux?Nicholas avait envie de tout nier afin d’éviter que sa mère découvre l’identité d’Éva. Mais la

duchesseneselaisseraitpasbernerpardesdemi-vérités.Depuissanaissance,elleavaitdéceléchaquemensonge qu’il avait raconté et l’avait puni pour chacun d’eux. S’il voulait retrouver sa santémentale,samèreétaitbienplacéepourl’aider.—C’estmamaîtresse,répondit-ilfranchement.Il fit unepause, s’attendant àunequelconqueexpressiond’indignation,unquelconquehoquetde

surprise.À laplace,elle restaétrangementsilencieusependantun très longmoment,puishocha latête.—Jevois.Cesmotsl’inquiétèrent.Samèren’avaitjamaisétédugenreàtairenisonadmirationnisonmépris.

Elle disait librement ce qu’elle pensait et, la plupart du temps, son intuition s’avérait extrêmementjuste.Siseulementelleavaitétéaussiprudentelorsqu’elleavaitchoisisonpère,ellen’auraitpasétémalheureusependantsilongtemps.—C’esttoutcequevoustrouvezàdire,Mère?Catherinesoutintsonregard.—Quedevrais-jedire,Nicholas?Quefait-elleici?Quiest-elle,enréalité?Commentconnaît-elle

LadySeymour?EtLucy?Qu’as-tul’intentiondefaire?Réprimantunsourire,Nicholassoupira.Samèreavaitaffrontédeplusgrossestempêtes,ycompris

lapropensiondesondéfuntpèreàs’afficherpartoutàLondresavecsesindiscrétions.Surprendrelamaîtressedesonfilsaumêmebalquesesamisetsesconnaissancesdevaitfigurerbienbassursonéchelleduscandale.— Il s’agit d’ÉvangélineWinfield. Elle est la demi-sœur de Lady Seymour. Lord Seymour l’a

engendréehorsdesliensdumariageavecsacourtisaneadorée.Cette fois-ci, sa mère écarquilla les yeux. De toute évidence, elle n’était pas totalement

imperturbable.—Tuasemmenédanstonlitlafilleillégitimed’uncomte,lasœurdeLadySeymour?Nicholas,à

quoias-tupensé?

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—Entoutehonnêteté,Mère,j’aiétémisaucourantdeleurliendeparentéuniquementcesoiraprèsl’avoiraperçueici,àl’endroitoùjem’yattendaislemoins.ImaginezmonétonnementlorsquenotrebaisersurlaterrassefutinterrompuparuneLadyNoëllefurieuse.Entrecesdeux-là,j’aidelachancequematêtesoittoujoursfixéeàmoncou.Catherinerestabouchebée,puisunsouriresedessinalentementsurseslèvres.—Tuasétéprisàpartieparlafilled’unecourtisaneetsanoblesœur?Siseulementj’avaisétélà

pourvoircetteconfrontation ! J’aurais trouvécelabienplusamusantque tout le restede la soiréejusqu’àmaintenant.Elles’interrompit.—Enfait,lasoiréeprendunetournureplutôtintéressante,termina-t-elle.Nicholaspinçaleslèvresdevantlafranchebonnehumeursursesjolistraits.Lorsqu’ilétaitenfant,

samèreavaitpassédesannéessansjamaissourire.Aprèsledécèsdesonpère,elleavaitrecommencéàrire.—Jesuisheureuxquevoustrouviezlasituationsiamusante,Mère.Maintenant,laquestionquise

pose,c’est:commentpuis-jeréglerceproblème?—Quellessonttesoptions?LajeterdanslagueuledescommèrespourruinerLadySeymour,puis

couvrirdehonteLucy,safamilleetlanôtre?Catherinesaluad’unsignedetêtedesinvitésquipassaient,puislevasonéventail.—Tudevraistedemanderquelssonttessentimentsàl’endroitdemademoiselleWinfieldetceque

toi,tuasl’intentiondefaireavecelle.—Quepuis-jefaire?Ilsesentaitdécouragé.LadySeymouravaitsortiÉvadel’ombreet l’avaitprésentéeà lasociété.

Mêmes’ilarrivaitàconvaincreÉvaquepasserdutempsensociétépourraitleurcauserdutort,àsamère et à elle, Lady Seymour constituait une complication. Cette femme ne tolérerait pas unarrangementàlongtermeentreÉvaetlui.—D’icidemainmatin,elleseralajeunefemmelapluspopulairedelasaison.Samèreeutunpetitrire.—Jene t’ai jamaisvuaussibouleverséà caused’une femme,Nicholas.Celle-ci s’est immiscée

danstatête.Etpeut-êtremêmedanstoncœur.Iltournabrusquementlatête.—Jenesuispasamoureuxd’elle.Ilavaitniéavectropd’empressement,cequinefitrienpourenleveràsamèresonregardentendu.—J’aivucequel’amourpeutfaire.Vousétiezamoureusedemonpèreet ilvousaterriblement

maltraitée.Ellerepritfinalementsonsérieux.—Oh,Nicholas,fit-elleenposantunemainsursonbras.Net’empêchepasdeconnaîtrel’amourà

causedeserreursdetesparents.J’étaisjeuneetentichéed’unvisageséduisant.Jen’aipasvouluvoirlecôtésombredeCharles,poursuivit-elleensecouanttristementlatête.Tun’espastonpère.—MademoiselleWinfieldneseraitpasd’accord.Ilavaitpassésavieàessayerdesedétacherdel’ombredesonpère,uniquementpourtraiterÉva

d’unemanièreaussicruellequecedernieravaittraitésamère.Toutcommeilavaitlaissél’exempledesonpèrelerendreaveugleaumalheurd’Arabella.Laculpabilitél’envahit.—MademoiselleWinfieldatouteslesraisonsdememépriser.Laduchessesetournaverslasalleàmanger.

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—Jecroisquetutetrompes,Nicholas.MademoiselleWinfields’intéresseàtoiplusqu’ellenelecroit.Ellesaluauneconnaissancedelamain,puisluifitface.—Elleteregardelaregarder.Jecroisquetudevraisremettretesfiançaillesàplustardenattendant

quetuaiesmisleschosesauclairavecmademoiselleWinfield.Nicholasacquiesça,puisvitsamères’immobiliser.—Dieuduciel!Est-ellelafilledeCharlotteRose?Lorsqu’ilhochalatête,elleblêmit.—Oh,Nicholas,tut’esmislespiedsdansunvéritablebourbier.Elle le prit par le bras pour l’entraîner vers unpetit banc coussiné dans un coin tranquille, puis

l’assitàcôtéd’elle.—CharlotteRoseétaitlafilleruinéeducomteetdelacomtesseMoreaudeFrance.Elleavaitseize

anslorsquesesparentsontététuésetelleaétéplacéesouslatutelledesatanteanglaiseâgée,LadyCordéliaWinfieldSuttleby.Jeneconnaispastoutel’histoire,maistroisansplustard,aprèsledécèsdeLadySuttleby,samaigrefortuneaétéléguéeaudernierparentmasculinqu’illuirestait.Catherinesoupira,leregardinquiet.—Lafilleadisparu.Nicholas entendit chaquemot résonner bruyamment dans sa tête. Éva descendait de la noblesse

française?Ils’étaitbeletbienembourbéjusqu’aucou.Iln’étaitpascertaind’avoirenvied’entendrelerestede l’histoire.Toutefois, ildevaitconnaître tous lesdétailss’ilvoulaitsavoiràquoi ilavaitaffaire.—Continuez.—Plusieursmois plus tard, lorsqu’elle a refait surface, ç’a suscité un grand émoi àLondres et

causétoutunscandaleparmilanoblesse.Toutessortesderumeurscouraientsurelleetl’endroitoùelleétaitallée.Toutcequenoussavionsaveccertitude,c’étaitqu’ellesecherchaitunprotecteuretquetousleshommesvoulaientlaplacedanssonlit.J’étaisaucourantdecettetristehistoireparcequetonpères’étaitassuréquejecomprennequ’ilavaitl’intentiond’êtrelevainqueur.Ilsavaitquesonpèreétaitunsalaud,maislà,ç’allaittroploin.Laduchessesetapalegenouavecsonéventail.—Malgrétoussesefforts,tonpèreadûconcéderlavictoirelorsqu’elleachoisiLordSeymour.

Puis,unjour,elleadisparuànouveau,pourdeboncettefois.Lesrumeursetlesspéculationsontfinipar se taire et ç’a été la fin. Je suppose que nous connaissons maintenant le dernier chapitre del’histoire.—Éva.Son cerveau battait dans son crâne. Éva n’était plus seulement une vieille fille et l’enfant d’une

courtisane.Elleétaitlapetite-filled’uncomte,lasœurd’unedameetsacourtisane.Ildevraitlafuir,épouserLucyetseretirerdansl’ombre,loinàlacampagne.Ceseraitmieuxpourtoutlemonde.Quandsonuniversbienordonnés’était-ildérégléàcepoint?Ilserenfrogna.Ah,oui,àl’instant

oùilavaitdécouvertqu’elleluiavaitvoléArabellaetqu’ilavaitjurédesevenger.—Éprouves-tudel’affectionpourcettefille,Nicholas?— Bien sûr que j’éprouve de l’affection pour elle, Mère, répondit-il sèchement. Nous avons

partagédesmomentsd’intimité.Maisnecherchezpasplusloin.Jenel’épouseraipas,sic’estcequevousavezentête.Il balaya la pièce du regard. Lucy bavardait avec l’élégant monsieur Albright. Toute la bonne

volontédumonden’arrivaitpasàprovoquerlamoindretracedejalousie.Mêmesiellesejetaitsurle

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dossurleplancherdemarbreetl’invitaitàprendresoninnocencedevantcetteassistance,Nicholass’enmoquerait.ToutessespenséesetsesdésirsétaientconcentréssurÉvadepuisl’instantoùilavaitaperçucesquelquescheveuxblond-rouxéparsquidépassaientsoussamauditeperruque.Auplusprofonddelui-même,ilcraignaitqu’ilensoittoujoursainsi.— Peut-être devrais-tu épouser cette fille, dit doucement sa mère. Vous êtes manifestement

amoureuxl’undel’autre.Cefutau tourdeNicholasd’êtreétonné.Samèrevenait-elledesuggérerqu’ilépousequelqu’un

d’uneoriginetellequecelled’Éva?C’étaitdifficileàimaginer.—Mère,imaginezlescandale.Peuimportelesangnoblequicouledanssesveines,samèreétait

unecourtisane;onnepeutl’ignorer.Jedoischoisirunefemmedontlaréputationestimpeccable.—C’esttoiquiledis,réponditsamèreenhaussantlesépaules.Notrefamilleasurvécuàdeplus

grosscandales.Bienqu’ilnesesoitjamaisfaitprendre,tonarrière-arrière-grand-pèreétaitunvoleurdegrandcheminet tonarrière-grand-mère était une laitièrede seize ans. Je croisque tonarrière-grand-pèrel’avaitvuemarcherauborddelaroute,s’étaitentichéd’elleets’étaitprécipitéàGretnaGreenavecellelejourmême.Ellesourit.—Leurmariageaétémarquéparladurabilitéetl’amour.Évarevintdans lasalledebalaubrasducomte,aussià l’aiseavec luiques’ilsétaientdevieux

amis.Sabeautécomplétaitbienl’hommeàlatenueimpeccableàcôtéd’elle.Ilsformaientuncouplecharmant.La colère envahitNicholas.Encore. Il devaitmettre un terme à l’opération de charme du comte

immédiatement,sinonÉvaseraitfiancéeàcedépravéetillaperdraitàjamais.Ilétaitattiréparsonvisagecommeparlechantd’unesirène.Ilfitunpetitsignedetêteàsamère,

s’excusaettraversalapièce.—J’aimeraisbienvousrendrevisitedemainaprès-midi,Milady,ditlecomtetandisqueNicholas

s’approchaitd’eux.Votrejournéen’estcertainementpasoccupéeenentier.Évavenaittoutjusted’ouvrirlabouchelorsqueNicholasapparutdevantelleetluipritlamain.—JecrainsquemademoiselleWinfieldnereçoiveaucunvisiteur.Ellem’apromisunpique-nique.Il l’entraîna sur lapistededanse, loinduprétendant entiché.Lespremièresmesuresd’unevalse

s’élevèrent.Illatintunpeuplusprèsdeluiquenelepermettaientlesconvenances.—Commentosez-vous?demandaÉva,quiréussitàs’efforcerdesourireaubénéficedesregards

curieux.Avecquijepassedutempsnevousconcernepasdutout,monsieurleduc.Ilhaussaunsourcil.—Ahnon?Illafit tournoyerlentementautourdelapistededanse.Sabeautéluicoupalesouffle.Etpourla

deuxièmefoiscesoir,ilseréjouitdelatenirdanssesbras.—Çameconcernedepuisquejecoucheavecvous.—Oh,fitÉvaenrougissant,vousêtesinsupportable.— Vraiment ? répondit-il en souriant de toutes ses dents. La plupart des femmes me trouvent

charmant.

Évaeutenviedeluidonneruncoupdepieddansletibia,bienfort.Malheureusement,cen’étaitpaslebonendroitpourlefairesansexciterlescommères.Ilyavaitdéjàtropdespéculationsàsonsujet.

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Elleavaitfaitsensationparmileshommesdel’assistance.Saprésenceaubalneplaisaitniauxjeunesfemmesnià leursmères.Elleavaitdûrefuserplusieursdemandes,convenablesounon,et ignorerdesspéculationsdésobligeantesausujetdesavéritableidentité.Siellecédaitàl’enviededonneruncoupdepiedauduc,celan’aideraitpassacause.—Charmant?répéta-t-elleavantdecachersapeineparunrireméprisant.Vousm’aveztraitéede

pute.Sonvisagesecrispa.—Cequejeregretteamèrement,Éva.Voustrouvericim’abouleverséetmesparolesontdépassé

mapensée,dit-ilens’éloignantsuffisammentpourqu’ellepuissevoirsonvisage.Cen’estpasainsiquejevousperçois.Sesexcusesétaientsincères.Sapeinediminuaquelquepeu.—Excusesacceptées.Maisjenevoustrouvetoujourspascharmant.Pasdutout.Unsourireluiétiralentementleslèvres.—Vraiment?Ils’agitpourtantde l’unedescaractéristiquesque lesfemmespréfèrentchezmoi,

misàpartmestraitsséduisantsainsiquemasilhouettesublime,bienentendu.Elleeutunpetitrireétouffé.Ilétaittoutsimplementarrogantjusqu’àl’os.Etpourtant,danssesbras,elleavaitl’impressiondedansersurunnuage.Ilétaitsiviril,sipuissant,

siséduisant.Soncorpsenentierréagissaitàsaprésenceetellesentitmonterenelleundésirardentfamilier.Elleauraitsouhaitéqu’ilssoientseuls.—J’imaginequetoutefemmeentretenantl’espoird’épouserunducfortuné,dit-elle,s’abstiendrait

dementionnervosdéfautslesmoins,euh,attrayants.—Desdéfauts?Intéressant.Ilprituneexpressionsinistrequin’éteignittoutefoispasl’étincelledemalicedanssesyeux.—Maintenantquevousavezsoulignélefaitquej’aidesdéfauts, jecroisquevousdevriezm’en

rédigerunelisteafinquejepuisseytravailler.Évaeutdumalànepassourire.Aprèslasoiréequ’ilavaitpasséeàluilancerdesregardsnoirs,

son changement d’attitude était inattendu, mais bienvenu. Tandis qu’il lui tenait une main et avaitl’autre autour de sa taille, elle eut l’impression qu’il déclarait publiquement sa prétention sur elle.Évidemment,ilnes’agissaitqued’unedanse,maisl’espaced’uninstant,elleeutl’impressionqu’ilsallaientbienensemble.—Oh,ciel.Jesuisnavrée,monsieurleduc.Jecrainsquelalistesoittellementlonguequel’écrire

medonneraitdescrampesàlamain,dit-elleenfléchissantlesdoigtssursonépaulepourprouversonpoint.Jecroisquelesdixpremiersdevraientsuffire.—Hum.Lorsque lamusique s’arrêta, il les fit s’immobiliser,mais ne la lâcha pas avant que lamusique

reprenne. Plusieurs hommes qui rôdaient dans les parages froncèrent les sourcils, puis sedétournèrent.Nicholasnesemblapass’enapercevoir.—Peut-êtredevrais-jevousaider.Voyonsvoir.Vousm’aveztraitéd’arrogant.Jevousl’accorde.Et

d’un.Évasemorditleslèvrespourréprimerunsourire.Ilavaituneodeurd’alcooletd’épicesexotiques.

Sonfoulardhautencadraitsamâchoiremasculineetlacoupedesavestenoireaccentuaitlesmusclesparfaitsdeseslargesépaules.Àcetinstant,elleeutlesentimentdefairel’enviedetouteslesfemmescélibatairesprésentesaubal,ainsiquedequelques-unesdecellesquiétaientmariées.Lorsqu’elle se remémora l’effet que cela lui avait fait d’être agressée sensuellement sur son

secrétaire,elle futparcouruedefrissons.S’il luidemandaitdesortirde lasalleencourantpour le

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suivrejusqu’àsamaisondeville,ellenerefuseraitpas.—Deux:j’admetsquejesuisgâtéetquej’ail’habitudedevoirtousmesvœuxexaucés.Vousdevez

blâmermamère pour ça.Comme j’étais son unique enfant, elle neme refusait pratiquement rien.Pourtant,ilyaencorebeaucoupdechosesquejedésire.Quelquechosedansl’intensitédesonregardluidonnal’impressionqu’ilneparlaitpasdechevaux

nide terres,maisqu’ilse remémorait leurs rendez-vousamoureux.S’ilsétaientseuls, il ferait trèsbonusagedel’immensetabledanslasalleàmangerdeLadyPenningtonafindeladévergonderdelaplusexquisedesfaçons.Sesmamelons s’érigèrent sous sa robe. Elle devait absolument trouver quelque chose demoins

excitantquemonsieurleducetleursébatsvigoureuxpouroccupertantsonespritquesontemps.—Insupportable,extravagantetautoritaire.Trois,quatreetcinq.Ilsouritetellesecoualatête.Ilresserrasapriseàsataille.Ildevenaitdifficiledel’entendrepar-

dessuslesbattementsrapidesdesoncœur.Sachaleurs’infiltraitenelle,etellenesentaitninevoyaitplusrienau-delàducercledesesbras.—Impossible,intolérable,horripilantetirrespectueux.Six,sept,huitetneuf.Ilsemblaréfléchiraudernier,cequilafitgloussermalgréelle.Ilétaitbeletbienincroyablement

charmantquandilenavaitenvie.—J’espèrequevousneconsidérezpascommeundéfautmescompétencesdansl’artdel’amour,

moncœur,finit-ilpardire.Jecroisquejenelesupporteraispas.—Monsieurleduc!leréprimanda-t-elle.Unrapidecoupd’œilauxalentoursluiconfirmaquepersonnen’étaitassezprèspourlesentendre;

ellerecommençaàrespirer.— Je me souviens vous avoir embrassé le cou et les oreilles avec une douceur vigoureuse,

poursuivit-ilnonchalammentcommes’iln’avaitpasentendusesprotestations.J’aisuffisammenttétévosseins.Vosgémissementsonttémoignédevotreplaisir.Ledésircrépitaenelle.—Jevousenprie,monsieurleduc,arrêtez,réussit-elleàarticuleraprèsqu’unrirescandaliséresta

coincédanssagorge.Quelqu’unpourraitnousentendre.—Mesmouvements étaient profonds et enthousiastes. Jevous ai pénétrée à fond jusqu’à ceque

vousatteigniezdesorgasmesàvousfairehurlerdeplaisir.Ilrivasonregardausien;sesyeuxn’étaientqu’innocence.—Vousavezcriémonnom.Plusd’unefois,sijenem’abuse.Cette fois, elle rit franchement. Elle lui caressa l’épaule sans plus se soucier de qui pouvait le

remarquer.Elles’amusaiténormémentaveccethomme,sonamant,àsonpremieretdernierbal.—Vousêtesunhommetellementexaspérant.—Dix.Exaspérant.Votrelisteestterminée.Tandisqu’illafaisaittournoyer,leursriresquisemêlèrentattirèrentdesdizainesderegards.

Le couple qui dansait intéressait surtout deux femmes debout l’une à côté de l’autre. LadyNoëlleSeymour et madame la duchesse douairière de Stanfield chuchotaient tranquillement en fronçanttoutesdeuxlessourcils.—MademoiselleWinfieldestune femmebienetqui aboncaractère?demanda laduchesse,un

regardperçantdanssesyeuxvifs.

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Noëllehochalatête.Lorsqueladuchesses’étaitapprochéed’elle,elleavaitcraintquecelle-ciaitdécouvertlepotauxrosesetqu’elleaitl’intentiondefaireexpulserlesdeuxsœursdubal.Àsaplusgrandejoie,madameladuchesseavaitapprislavéritéausujetdelaliaisond’Évaavecsonfilsetnes’enétaitpasoffusquée.Enfait,lapréférencemarquéedesonfilspourÉvaplutôtquepourlesautresbellesneluidéplaisaitpas.—Eneffet.Elleétaitinnocenteavantquevotrefilslaséduise.Noëllevoulaits’assurerqu’Évasoitdépeinte,àjustetitre,entantquevictimeetqu’ilsoitclairdans

l’espritdeladuchessequ’ellen’étaitenrienresponsabledelaséduction.—Jeneconnaispastouslesdétails,maisellen’avaitpasl’intentiondeseretrouverdanssonlit.Laduchessehochalatête.—Nicholaspossèdeuncertaincharmeaveclesfemmes.Lorsquelamusiques’arrêta,elleslesobservèrentuninstanttandisquelefilsdel’uneetlasœurde

l’autresepenchaientl’unversl’autrepourseparlerenprivé.Touslesyeuxétaientrivéssureux.—Ilsformentbeletbienuncouplemagnifique,ditNoëlleensoupirant.—Eneffet,acquiesçamadameladuchesse.Ravissant.Noëllecommençaittoutjusteàconnaîtresasœur,maisellesavaitqu’elleavaitsouffertdespéchés

desesparents.Elleseréjouissaitdelavoir,rianteetheureuse,avecmonsieurleduc.Avec ses cheveux de feu, Éva complétait bien son air sombre.Même si elle niait les sentiments

qu’elle éprouvait pour lui,Noëlle vit lamanière dont Éva regardait l’insupportable duc. Elle étaitsoussoncharme.Cen’étaitqu’unequestiondetempsavantqu’ellesoitcarrémentamoureuse,sicen’étaitpasdéjàlecas.—L’épousera-t-il?demandaNoëlle.Laduchesseplissalesyeux.— S’il n’en tenait qu’à moi, oui. Mon fils mérite de connaître le bonheur. Si mademoiselle

Winfieldpeutleluiapporter,jeseraiheureusedel’accueillirdanslafamille.Noëlletournalatête.Ladouairièresemblaitsincère.Maisd’autressecretspouvaientencoremettre

àl’épreuvelabonnevolontédemadameladuchesse.—Ilyadeschosesquevousnesavezpasausujetd’Éva,madameladuchesse.Desyeuxvertscroisèrentlessiens.— J’en sais plus que vous ne l’imaginez, Lady Seymour. Le passé de sa mère n’a aucune

importance.Cela surprit Noëlle. Elle savait que madame la duchesse avait connu son lot de scandales

humiliants.Sonépouxavaitvécucommeunvéritablefornicateur,unhommequipassaitd’uneliaisonàl’autreavecinsouciance,sanssepréoccuperdessentimentsdesonépouse.Lorsqu’ilmourut,toutLondrespoussaenchœurunsoupirdesoulagement.Laduchesseétaittrèspopulaireparmilabonnesociété.Bienquelesgensaientcomméréausujetde

sondéshonneur, ils éprouvaient aussi de la compassionquant à sesmalheurs.Elle étaitmaintenantlibreetilnesetrouvaitpersonnepourdirequeleducn’avaitpasméritélacrisecardiaquequil’avaitemporté.Noëlle se signamentalementpour avoirnourri de si horriblespensées.La soirée était pleinede

surprises, à commencer par le fait d’avoir trouvé Éva et le duc enlacés. Elle ne laisserait pas desombresettristespenséesternirsajoiedevoirsasœurheureuse.Cedevait être tout ceque laduchesse avait vécuqui la rendait sensible à la situationd’Éva.Peu

importe les raisonspour lesquelleselleacceptait sa sœur,Noëllene les remettraitpasenquestion.

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Tant que la duchesse était de son côté, Éva et monsieur le duc n’avaient aucune chance de luiéchapper.—Danscecas,nousavonsdupainsurlaplanche,madameladuchesse.

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CHAPITRE14

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ÉvalaissaNoëlledanslecouloiretserenditjusqu’àsachambre.C’étaitunesensationétrangequed’arpenterlesmêmescouloirs,demangeràlamêmetableetdejouirdesmêmesconfortsqueceuxdontsonpèreavaitjouisouscetoit.Sonrire,sacolèreetsoncontactrésonnaiententrecesmurs.Ici,ilavaitvécuunevieavecsonépouseetsesenfants.Avecsamèreetelle,ilavaitjouid’uneautre

vie.Cesdeuxmondesparallèlesétaientsoigneusementgardésà l’écart l’unde l’autre.PendantqueNoëlleetMargaretgrandissaienticietdanssademeureduKent,ÉvaavaitgrandidansunemaisondevilleàMayfair,àquelqueskilomètresdelà.Ilavaitfallulacuriositédesasœurpourquelesdeuxviesserencontrent.Évanedoutaitplusdes

raisonsquiavaientincitéNoëlleàlaretrouver.Noëlleavaitdel’affectionpourelle,toutcommeelleen avait pour Noëlle. C’était une situation étrange, mais pas tant si l’on en considérait l’origine.Noëlle aimait repousser les limitesdes règles sociétales etÉva en faisait partie.Qu’elles se soientliéesd’amitiéétaitunetournuremerveilleusequ’avaitprisecetteaventure.Évasedemandacequesonpèrediraits’ilsavaitquedeuxdesesfillesadoréess’étaientretrouvées.Elleavaitl’impressionquecelaluiplairait.Ilétaitimpossibledenepass’imaginerqu’ilpouvaitapparaîtreàtoutmomentdansl’encadrement

d’uneporte ouverte pour la serrer dans sesbras dans l’unede ses étreintes qui avaient une légèreodeurdetabacàpipe.—Vousmemanquez,père,chuchotaÉvaavantdeprendrequelquesprofondesinspirations.Ellesefrottalesbrasets’arrêtadevantlaportedesachambre.Aucoursdesdernièressemaines,elleétaitpasséedustatutd’innocenteàceluidemaîtresse,puisde

celuid’enfantuniqueàceluidesœur.Sœurdedeuxpersonnes,siellecomptaitMargaret,mêmesicettedernièrenevoulaitvisiblement rienavoirà faireavec leplandeNoëllepour rencontrerÉva.Sansimportance.Elleétaitsatisfaitedelasœurqu’elleavait.D’uneexistencepasséeàl’abridansl’ombre,Évaavaitétéprojetéedanslecerclelumineuxdela

noblesseetellenesavaitpasdutoutcommentcelaallaitseterminer.Envérité,ellecraignaitd’êtresurunchevalemballéquicouraitverslebordd’unefalaiseetque,

peuimporteàquelpointelletiraitsurlesrênes,rienn’arrêteraitlabêteaffolée.Demain,elleferaitsesbagagesetrentreraitchezelleretrouversapetiteviebienrangée,laissantà

Noëllelesoind’expliquersadisparition.C’était l’idée de sa sœur de la traîner au bal, ce serait donc à elle de trouver des excuses

appropriéeslorsquedesprétendantsviendraientluirendrevisite.Sasœurtrouveraitcertainementuneexplicationplausible;Noëlleadoraitlesbonneshistoires.Évalissasarobeetsourit.Unefoisquedeuxheuresavaientsonnéetqu’ellesavaientquittélebal,

elle était redevenue une fille d’arrière-cuisine.Une fille d’arrière-cuisine bien habillée. Elle ne sesentiraitpaslemoindrementcoupabledelaisserNoëlleréparerlegâchisqu’elleavaitcausé.Lorsqu’elleentradanssachambreetallumauneapplique,lamaisonétaitsilencieuse.Lachambre

rosefrivolenecorrespondaitpasàsesgoûts.Apparemment,Margaretavaitchoisilescouleursquandelleétaitenfantetellesn’avaientpasétéchangéesdepuis.Évas’imaginal’airpincéetmécontentdeMargaretsielleapprenaitquelafilledelamaîtressedesonpèrepassaitlanuitdanssonlit.Cetteidéeprovoquaunautresourirelorsqu’elletenditlesmainsverslesboutonsdesarobe,quise

révélèrentdifficilesàdétacherensetortillantpourlesatteindredanssondos.Peut-êtren’aurait-ellepasdûtants’empresserderenvoyerlafemmedechambre.Malheureusement,lafilleaimaitbavarderetÉvan’étaitpasd’humeuràécoutersalisteinfiniedesujets.Elleétaitagréablementépuiséeetavaitenvied’êtreseule.—Besoind’aide?

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Évaseretournad’unbondenhurlant.Del’autrecôtédulit,cachédansl’ombre,monsieurleducétait assis sur une chaise délicate, les pieds bottés croisés sur le couvre-lit rose foncé, sans aucunégardpourletissu.—Quefaites-vousici?siffla-t-elle,àl’affûtdebruitsdepasrapidesdanslecouloir.Comme elle n’entendit pas sonner d’alarme en réaction à son cri, elle posa les mains sur ses

hanchesettapadesorteils.—Commentm’avez-voustrouvée?Commentêtes-vousentré?Heureusement, sa chambre était au bout du couloir et la chambre la plus proche était libre. Si

Noëllel’avaitdécouvertentrainderôderdanslapièce,ellel’auraitfaitsortiretfouetterauclairdelune.Sesdentsétincelèrentdanslapénombre.—J’aidéduitqueçapouvaitfairepartiedelarusequevousdormiezici.J’aidemandéàmonvalet

detrouverquellechambreétaitlavôtre.Lechênedevantlafenêtres’estavéréuneéchelleefficace.Iln’yavaitqu’unpetitbondàfairepouratteindrelereborddelafenêtreetunepoignéedelierre,puisj’étaisàl’intérieur.—Vousavezgrimpéàl’arbre?C’était difficile à croire. Selon ce qu’elle pouvait voir, ses vêtements n’avaient pas une seule

éraflurenitache.—Vousn’avezpasl’airdugenreàgrimperauxarbres.—Vousseriezétonnéedessottisesquejepeuxfairequandjesuismotivé.Illacaressaduregardetsesyeuxsevoilèrent.Lesmamelonsd’Évadurcirentsoussarobe.—Cesoir,jen’aipaspurésisteràlatentationquiémanaitdevotrefenêtre.Ilfallaitquejegrimpe

pourvousaideràvousdévêtir.—Jevois.Elle enleva ses boucles d’oreille et les remit dans leur étui. Des frissons de nervosité lui

parcoururent tout le corps. Il devait avoir quitté le bal ainsi que les bras de sa quasi-fiancée avantNoëlleetellepourvenirlaretrouver.Celalarendaitridiculementheureusedesavoirqu’ilpréféraitêtreavecellequ’aveclajolieLucy.Unefoisdeplus.— Il faudra queNoëlle demande aux jardiniers de couper l’arbre demain, poursuivit-elle en lui

retournantsonregardaguicheur.Jenevoudraispasêtreresponsabledevotredécèssivouschutez.—Jenepouvaispastomber,répliqua-t-il,respirantlamalice.Nousavonsdesprojetspourcesoir

quejen’auraissurtoutpasvouluraterentombantd’unarbreetenmefendantlecrâne.Ellehaussaunsourcil.—C’estétrange.Jenemerappellepasavoirfaitdesprojetsavecvous.—Oh, ne vous y trompez pas, mon cœur, dit-il avec assurance. Chaque fois que vous m’avez

regardédanslesyeuxcesoir,vousm’avezclairementinvitéàvousprendre.Éva rougit jusqu’à la racinedesescheveux. Ilavait raison.Elle l’avaitvraimentoutrageusement

taquinéetséduit.Mêmelorsqu’ilconversaitavecquelqu’und’autre,elles’étaitarrangéepourcroisersonregardetsessouriressevoulaientunappelpourqu’illuirevienne.Elleavaitouvertementinvitésonamantàvenirlaretrouveretc’estcequ’ilavaitfait.Nicholas s’était débarrassé de sa veste et avait desserré son foulard, qui pendait, entortillé, de

chaquecôtéducolouvertdesachemise.Ilavaitlescheveuxébouriffésd’avoirgrimpéàl’arbreetbondicommeunchatàsafenêtreàl’étage.Ilparaissaitdiablementséduisantetplutôtàl’aise.

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Sesentantcoquine,elles’approchanonchalammentdel’endroitoùilétaitassisetluitournaledos.Ellepassaunejambepar-dessuslessiennesets’assitsursesgenoux.Presqueaussitôt,ellesentitsonérectionpresséecontreelle.Elleécartasescheveuxducheminetattendit.—J’aicrucomprendrequevousétiezunexpertenboutons.Nicholasposalespiedsausoletsepenchapourhumersonodeur,effleurantsoncouavecsonnez.

Sonsoufflechaudcaressalapeaud’Évatandisqu’ildétachaitlesboutonsunàun.L’intimitédugesteluidonnavraimentl’impressiond’êtreuneépouse.—Ai-jementionnéàquelpointvousétiezjolie,cesoir,maîtresse?Ilfitunepausepourposerunbaiserdansl’ouverturedesarobe,quicommençaitàtomber.Ellefermalesyeuxetsoupira.Lorsqu’ilétaitquestiondesaspectssensuelsdel’artdel’amour,il

incarnaitlaperfection.Leducsavaitexactementcommentfaireplaisiràunefemmeetellejouissaitpleinementdeseffortsqu’ildéployait.—Jenem’ensouvienspas.Peut-êtredevriez-vousmelerappeler.Ilfitdescendrelarobedesesbrasetsepenchapourposerundouxbaisersurunedesesépaules.—Touteslesautresfemmesfaisaientbienpâlefigureàcôtédevous,madouce.Uneautrevaguedejoietransportasoncœur.—EtLucy?luidemanda-t-elleavecdésinvolture,chassantl’imageimportunedeNicholasentrain

des’introduiredanslachambredelafilledanslebutdeladébaucher.Lapauvrepucelleenmourraitcertainementdepeur.—Jel’aivue.Elleesttrèsmignonne.Nicholasdétachatranquillementquelquesboutonsdeplusavantderépondre.—J’allaisluidemandersamaincesoir,dit-ildoucementendescendantlarobeunpeuplus.L’étoffeargentées’affaissaà l’avant, révélantainsiundécolletébiengonflé.Seuls lesmamelons

d’Évarestèrentcachéssoussachemise.—Votrearrivéeatoutchangé.—Ah?Ellesouritcommeuneidiote.Elleétaitheureused’avoirledostourné.Saprésenceaubaln’aurait

pas pumieux tomber et elle n’arrivait pas à cacher sa satisfaction.Monsieur le duc était toujourscélibataireparcequ’elleavaitcédédevantlapressionexercéeparsasœurpourqu’elleyassiste.ElleremerciasilencieusementNoëlle.LapauvreLucybiennantieetparfaitementcélibataireétaitrentréechezellepourretrouverunlit

vidependantqueleducgrimpaitfurtivementàsafenêtreàlamanièred’unvoleurdanslanuit.Pourelle.Évaavaitenviederiredepurbonheur.Àlaplace,elleremualesfessesetentenditlarespirationdu

duc s’accélérer.En l’espacedequelques secondes, elle fut libéréede sa robeet il glissa lesmainsautourde la taille d’Éva comme s’il cherchait ses seins.S’appuyant sur ses cuisses, elle se leva ets’éloigna.—Restezlà,luiordonna-t-ellepar-dessussonépaulelorsqu’ilbougeapourselever.Avançantdeplusieurspas,elleexagéraleroulementdeseshanches,puisseretourna.Ledébutde

sourirequ’ilaffichaitl’encourageaàselibérerlentementdelarobeavantdelaplacersurlepieddulit.Elleavaittoutesonattention.—Celavousplaît-ilquejemedéshabillepourvous,monsieurleduc?luidemanda-t-elle,lesyeux

écarquillés.Lorsqu’ilhochalatête,elledesserrasoncorset,puiss’arrêta.

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—Etquandjefaisceci?Ilhochaànouveaulatêtelorsqu’elleendéfitlelacetpourledescendrepar-dessusseshanches.Elle

s’en débarrassa d’un coup de pied. Plutôt que d’enlever le reste de ses vêtements, elle tira sur lesrubanspourresserrerledécolletédesachemise.Laborduredelafineétoffeécrasalachairfermedesesseins,quimenaçadedéborder.Ilgrogna.—Vousêtesuneallumeuse,ÉvangélineWinfield.Àentendresesparoles,onauraitditqu’ilétaitàboutdesouffle.Ellesouritetrivasonregardau

sien.Lentement,enroulantdeshanches,ellerevintseplacerdevantluiets’agenouilla.Lapositionduducrenditunpeucompliquée la tâchede le libérerdesonpantalon,maisaprèsquelques tentativesratées,elleréussitfinalementàouvrirletissupourlibérersonérection.Un grognement plus grave s’échappa de sa gorge lorsqu’elle prit sa verge dans sa main et en

caressaladouceextrémité.Soncorpsétaitparfaitementconçupourleurprocurerduplaisiràtouslesdeux.—Vousmedistrayez,maîtresse.Évasouritetposaunbaisersursongland.—Vraiment?Jecroyaisquenousétionsennemis.Ellelelâcha,serelevaetenfourchasesgenoux.Ill’observaattentivementtandisqu’elleretroussait

sachemiseetsonjuponpourlesremonterau-dessusdeseshanches,jusqu’àcequ’ilneresteplusquesaculotte,sajarretièreetsesbaspourcacherauregardduducsatouffebouclée.Évaécartasoigneusementl’ouverturedesaculotte.Avecl’aideduduc,ellesepositionnaau-dessus

desonérectionets’empaladoucementsursonmembredurci.Nicholasenfouitlatêteentresesseinsetlaissaéchapperuncrirauque.Éva remonta,puis redescenditune foisavantde tourner sonattentionvers levisageduduc.Son

désir était absolu et aveuglant. Leurs rencontres précédentes n’avaient aucunement refroidi sonardeur.Ilavaitenvied’elleautantsinonplusquelapremièrefoisqu’ill’avaitemmenéedanssonlit.—Celavousplaît-il,Nicholas?—Oui.Il sourit lorsqu’elle se pencha afin de capturer ses lèvres pour un bref baiser passionné. Il fit

tournoyersalangueaveclasienne,puiss’endétacha.Illaregardadroitdanslesyeux.—Celameplaîtbeaucoup.Évaluicaressalevisageetposalesmainssursesjoues.Devantleregardintensebrûlantdedésir

duduc, lespalpitationsde soncœur la laissaient tremblanteet confuse.Àcet instant, elle se renditcomptequesespirescauchemarss’étaientmatérialisés.Elleétaittombéeprofondémentetéperdumentamoureusedesonducténébreux.— Je suis une courtisane bien entraînée, dit-elle d’un ton léger, s’efforçant d’empêcher les

minusculesfissuresquis’ouvraientdanssoncœurdedevenirdeprofondescrevasses.Ici,iln’yavaitpasdeplacepourl’amour;cen’étaitqu’unehistoiredepassion,deplaisirsetde

sexualitéentredeuxcorps.Ellefermadoncsoncœurettiralachemiseduduchorsdesonpantalon.Ellelapassapar-dessussatêteetlalançaendirectiondulit.—Jesuislàpourvoussatisfaire.Déployant sesmains sur son torse, elle taquina sesmamelons et se pencha pour inhaler l’odeur

chaudedesapeauenposantunbaiseràlabasedesoncou.Ilavaitunlégergoûtsaléetdelachaleurirradiaitdesoncorps.Nicholasarrachauneàunelesépinglesdesescheveux,quiluitombèrentdans

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ledos.Illapritàpleinesmainsparleshanches,lasoulevaetl’abaissa,s’enfonçantprofondémentenelle,encoreetencore.Elle suivit le rythme de ses mouvements dans une danse primale et trouva une position dans

laquelleellepouvait se frottervoluptueusementcontre luipourunmaximumdeplaisir. Il suça sesseinsàtraverssachemise,mouillantl’étoffeetprovoquantchezelledepetitscrisdejouissance.Lachaise délicate craqua pour protester contre leurs poids combinés qui atteignirent la limite de sacapacitéàresterdebout.Tandis qu’il lui labourait la chair, leurs deux corps bougèrent en parfaite synchronie jusqu’à ce

qu’Évasentel’universquil’entouraitexploserenunemyriaded’étincelleslumineuses.Ellerejetalatêteenarrièreetcriasonnom.Nicholass’enfonçaprofondémentenelleetatteignitl’orgasmeàsontour,lâchantungrognementsaccadé.Éva, repue, s’effondra sur son torse.Nicholas posa un baiser dans ses cheveux en lui caressant

lentementledosavecdesgestesaffectueux.Elleécoutalebattementrapidedesoncœurensouhaitantqu’ilspuissentresterainsiàjamais.—Jesuissatisfait,moncœur,dit-ildoucement.Trèssatisfait.Le visage caché,Éva soupira tristement tandis qu’elle tirait de lui le plus de réconfort possible.

Leurtempsétaitcompté.Elledevaitaccumulerautantdesouvenirsquepossibledesonodeur,desonvisage,desescaresses.Unjour,bientôt, ildemanderaitofficiellementlamaindeLucyetÉvanelereverraitplusjamais.Ravalantseslarmes,elles’efforçadesourire.—Jesuistrèssatisfaiteaussi,monsieurleduc.

Plustard,Nicholasregardaitleplafond,oùlalueurdufeuvacillaitsurleplâtre,ensedélectantdelachaleurd’Évaquidormaitcolléecontrelui.Sarespirationcalmeluichatouillaitlapeauàl’endroitoùsonvisageétaitappuyésursontorse.Sescheveuxemmêlésautourdesonépauleetdontdesmèchessoyeusesétaientéparpilléessursontorseétaientimprégnésd’undouxparfumdefleurs.Elleavaittoutcequ’ilrecherchaitchezunemaîtresse,maisaussitoutcequ’ilredoutait.Lorsqu’elle

était dans les parages, il perdait le contrôle. Le bal en était un parfait exemple. Il ne serait pas lemoindrementsurprissi,lelendemain,lasociétébourdonnaitdespéculationsausujetdesonbéguinpourlabelleinconnue.Seschancesd’épouserLucyétaientpratiquementanéanties.Ilétaitpeuprobablequelanouvellede

son attirance pour la mystérieuse mademoiselle Harrington ne parvienne pas jusqu’à elle et sesparents.Seulslafortuneetlerangduducl’empêcheraientpeut-êtrederefusersademande.MaisLucyétait-ellecequ’ildésirait?L’avait-ellejamaisété?Évahantaitsesjoursetsesnuits.Elleoccupaittoutessespensées,toussesrêves.Elleétaitdevenue

uneobsession.Encemoment, il aurait dû être fiancé etprêt à commencerunnouveauchapitrede savie.Lucy

aurait dû rêver joyeusement à un mariage. À la place, il s’était introduit par effraction dans lademeuredeLadySeymourpourséduiresasœursoussonnez.Enfin,Éval’avaitséduit.Absolument,passionnémentetsansaucunehésitationniaucunregret.Elle

avait détourné son désir de vengeance en désir pour elle, un désir dont il ne pouvait s’affranchir.Lorsqu’illaregardaitdanslesyeux,ilétaitperdu.

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Ilserenditcomptequepasserlerestedesesjoursetdesesnuitsavecladouce,maisinsignifianteLucy Banes-Dodd avait perdu beaucoup d’intérêt. Diable, tout son intérêt, en fait. Il voulait de lapassionetdel’ardeur,pasdulaitetdesgâteauxsecs.Pourtant,Lucyferaituneépouseidéale.Danscecas,pourquoin’était-ceplussuffisant?Évamurmuradanssonsommeiletglissaunbrasautourdesataille.Lefeudanslacheminéen’était

plus qu’un petit tas de braises et sa main délicate était froide dans la pièce fraîche. Ses lèvress’étirèrentenunsourire.Ilsedemandaàquoiellerêvaitets’ilfaisaitpartiedesonrêve.AvecÉva,allezsavoir.Savieillefillecourtisaneétaitunevéritableénigme.Laraisonpourlaquelleellelerendaitfouétait

encoreplusénigmatique.Ilsn’avaientrienencommun.Savieétaitdictéepardesrèglesstrictes,parun code de conduite considéré comme approprié en fonction de son rang dans la société. Elle semoquaitdeluietletourmentaitàproposdetoutcequ’ilétaitetdetoutceenquoiilcroyait.Pourtant,àl’instantoùill’avaitaperçueàl’autreboutdelasalledebal,toutleresteavaitcesséd’exister.Lavieille fille s’était immiscée non seulement dans son corps, mais aussi dans son esprit. Il avaitcommencéàvoirsonmondeàtraverssesyeuxàelleetl’avaittrouvédéficientsousplusieursaspects.Lepetitsouriresur levisaged’Évas’agrandit.Lesyeuxtoujoursfermés,elleglissalentementla

mainverslebasdesontorse,puissousledrapetsursonmembreviril.Ilfrissonnaetcommençaàbander.—J’aifaitunrêvedesplusagréables,monsieurleduc,chuchota-t-elleenouvrantlesyeux.Vous

enétiezlepersonnageprincipalettoutcequevousmefaisiezétaitabsolumentscandaleux.Nicholas gloussa et la plaqua sur le lit. Il savaitmaintenant qu’il occupait aussi ses rêves à elle.

Cettepenséeluipluténormément.—Danscecas,vousdeveztoutmeraconter,Éva,moncœur.

Lesdernièrestracesd’obscurités’étiraientjusteavantl’aubelorsqueNicholaspassaunejambepar-dessuslereborddelafenêtreets’arrêtapourbalayerduregardlecorpslégèrementvêtud’Éva.Sousla mince chemise de nuit, il voyait ses mamelons foncés et, en regardant attentivement, il pensaapercevoir les boucles à la jonction entre ses cuisses. Que ce fût vrai ou plutôt le fruit de sonimagination,celaimportaitpeu.Ilconnaissaitassezintimementchaquecentimètredesoncorpspourpouvoirinvoquermentalementsescourbesoùetquandilenavaitenvie.—Vouspouvezvous faufiler par l’escalier de service à l’arrière,Nicholas, chuchotaÉvad’une

voixinquièteens’agrippantàsaveste.Cettefenêtreparaîtvraimenttrèshaute.Ill’attiraverslui,unemainderrièresondosetl’autredanssescheveuxprèsdesonoreille.—JecroisquepourunedamoiselletellequemajolieÉva,ledangerdesauterdansunarbreest

beaucoupplusexcitantque le faitdeme faufilerparuneentréedeserviceà lamanièred’un lâchedandy.Évasepenchaàlafenêtrepourregarderenbas.—Sivoustombezetquevousbrisezquelquechose,voshurlementsréveillerontlamaisonnéeetla

villeentièresaurabienviteoùvousavezpassélanuit,SirChevalier.Lapréoccupationqu’il lutsurses traits le toucha.Ellene luisouhaitaitplusunemortviolenteet

douloureuse.Cetteidéeluiplut.Illaserrafortcontreluietl’embrassasauvagement.—Danscecas,jedevraiêtreprudent.

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Illarelâchaàcontrecœur,puisgrimpasurlereborddelafenêtre.Elleretiralentementlesmainsdesaveste.—Priezpourmoi,Milady.Évaretintsonsoufflelorsqu’ilbonditversl’arbre.Ilcafouillaunpeu,maisattrapalabrancheau-

dessus de sa tête. En un instant, il reprit pied, heureux de ne pas avoir à supporter la honte d’êtretombémaladroitementsouslesyeuxd’Éva.Elleritdesoulagement.—Bienjoué,SirChevalier.Illagratifiad’ungrandsourire.—Jevaism’adonnerausaccageetaupillage,Milady.Ils’inclina,chancela,puisseredressa.—Aurevoir.Sansplusdecérémonie,ildescenditdel’arbre.AprèsavoirjetéundernierregardàÉva,dontle

clairdelunedécoupaitlasilhouetteàlafenêtre,ilsefrayasilencieusementunchemindanslejardinetpassalaportequimenaitàlarue.

Évaentenditunbruissementdebranches,puislebruitsourddel’atterrissagedeNicholas.Ellenelevoyaitpas,maissentaitsonregardsurelleetlesaluadelamain.Lorsquelagrilledujardins’ouvritetsefermaengrinçant,elleretournadansl’obscuritédesachambrepours’asseoirsurlelit,lavueetlecœurembrouillés.Quefaire?L’amour.Onenparlaitbeaucoupet lechantait souvent,maisc’était lepluscomplexede tous les

sentimentsetilfaisaitrarementpartiedesrelationsentredeuxpersonnes.Lorsquequelqu’untrouvaitl’amour, il était rare que cela soit à l’intérieur des limites dumariage ou de la relation entre unhomme et samaîtresse. Il était plus facile de détestermonsieur le duc que de tomber éperdumentamoureusedelui.Il s’agissait d’une drogue si enivrante qu’elle avait aussi terriblement besoin de lui que d’autres

avaientbesoindeladroguedudémon,l’opium.Ilneluiavaitpromisriend’autrequeduplaisiretilavait tenu sapromesse.Pasune seule fois lorsde leursmomentsd’intimitéabsolue, ilne lui avaitdonnéderaisonsdes’attendreàquoiquecesoitd’autrequ’àdebrefsinstantsvolés.Bienqu’ill’appelât«moncœur»,cen’étaitriendeplusqu’unmottendreprononcésouslecoup

de la passion, un surnom affectueux qu’il utilisait dans l’intimité, lors de moments d’inattention.Nicholasneseraitjamaisamoureuxd’elle.Ilressentaitpeut-êtredel’affectionpourelle,maispasdel’amour.Celanefaisaitpaspartiedelui.Ilétaitpragmatique.Elleétaitesclavedesesémotions.Évaenfouitsonvisagedanssesmains.Ilavaitéprouvédel’affectionpourArabella,commeilen

éprouvaitpourelle.Ellelesentaitdanssamanièredelaserrerdanssesbras.Maiscelavenaitavecdes limites.Tantqu’elle respecterait ces limites, tout iraitbien.Pour l’instant, il lui avaitpardonnéd’avoirassistéaubal.Dèsqu’ilreprendraitsesesprits,cetteimpertinencelemettraitencolère.IlavaitprobablementendommagéirrémédiablementsarelationavecLucy.Ilne le luipardonnerait jamais,commeilneluiavaitjamaispardonnélaperted’Arabella.Elleétaitlacausedesesdeuxpertes.Ilneluirestaitplusqu’unechoseàfaire.

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CHAPITRE15

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—Pas de nouvelles d’Yvette,mademoiselle Éva ? s’enquitAbigail tandis qu’elles s’installaient pourprendrelethé.Lesquatrejeunesfemmessefaisaientbeaucoupdesouci.Plusieursjourss’étaientécoulésdepuisla

disparitiondeleuramieetellesétaienttoutesperturbéesparsonabsence.Plusletempspassait,plusilétaitdifficiledeterminerlesleçonsetdeseconcentrersurlesderniersdétailsdeleurapprentissage.Elles étaient prêtes à se trouver un partenaire. Éva était fière des grands efforts qu’elles avaientfournisetdeschangementsquis’étaientopérésenchacuned’elles.Mêmelelivrefutaccueilliavecpeud’enthousiasmelorsqu’Évaproposadejeterunderniercoup

d’œilaucasoùellesauraientomisquelqu’un.Lafêteaurait lieudansunesemaine,mais,bienquechacuneaitchoisideuxhommesàinviteretqu’Évaaitinclusplusieursdesespropreschoix,elleétaitéclipséeparleurinquiétudeàproposd’Yvette.Éva avait espéré retenir l’information qu’elle avait obtenue ce matin de la part de monsieur

Crawfordjusqu’àcequ’elleenreçoivedesnouvelles.Toutefois,lesvisagesinquietsneluilaissèrentpasd’autrechoixquedeleurparlerdurapport.Cesfemmesméritaientdeconnaîtrelavérité.—Ledétectiveadécouvert l’identitédel’amantd’Yvetteets’estrenduàsamaisondecampagne

pour jeter un coupd’œil aux alentours. Ilm’a dit le nomde l’hommeet j’ai bon espoir quenoussauronsbientôtsiYvetteaétéaperçuelà-bas.Éva cacha son inquiétude du mieux qu’elle put. Son vœu le plus cher était de retrouver Yvette

vivante.—Iln’yavaitaucunsigned’elleàsamaisondeville.—Etsiledétectivelatrouve,qu’arrivera-t-ilensuite?demandaSophie.Elletirasurladentellequibordaitsaroberosejusqu’àcequecelle-cis’effiloche.Ellelalissa,puis

joignitlesmains.—Etsisonamantl’avaitenferméedansunetouretavaitl’intentiondelalaissermourirdefaim?

Ousielleétaitenchaînéedansunecaveavecdesrats?—Oh, ciel, dit Rose, les lèvres tremblantes, en portant une jointure à sa bouche. Et s’il l’avait

vendue comme esclave ? Elle pourrait se retrouver dans quelque contrée lointaine et on ne lareverraitplusjamais.Évalevalesmains.Elledevaitlesrameneràl’ordreavantqu’ellessemettentdanstousleursétats.— Mesdemoiselles, je vous en prie. Nous ne devons pas nous laisser emporter par notre

imagination.Leursespritslesavaientmanifestemententraînéesverstoutessortesd’idéesnoires.—Pourêtred’unequelconqueutilitéàYvette,nousdevonsresterpositives.—Mademoiselle Éva a raison, renchérit Abigail. Nous devons laisser au détective le temps de

trouverdesindices.Ilesttoutàfaitpossiblequ’ellen’aitpasétéenlevéedutout.Peut-êtrequ’elleatrouvéunnouveauprotecteuretqu’elleestheureuse.—Nousluisouhaitonstoutesd’êtreheureuse,Abigail.Tandisqu’Évaprenaitunegorgéedethé,illuivintunepossiblesolutionaudilemme.Aucoursdesdeuxderniersjours,elleavaitévitéleduc.Illuiavaitfaitparvenirunmessage,mais

elle avait refusé de le recevoir.L’uniquemoyende l’oublier était de l’éviter.Lorsqu’il se rendraitcompte qu’elle n’était plus à sa disposition, il demanderait la main de Lucy et s’emploierait àpréparerlemariage.MaissiYvetteétaitgardéeprisonnière,Évadevraitpeut-être rendrevisiteàmonsieur leducune

dernière fois pour lui demander son aide. Il connaîtrait quelqu’un qui pourrait lui porter secours.

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Peut-êtreengagerait-ilquelquesofficiersdelarueBow.SoncœurselanguissaitdeNicholasetellefaisaitdesonmieuxpourignorerladouleur.Celle-ci

l’accompagneraitconstammentunefoislarupturedéfinitiveetsoncœurréduitenmiettes.Elleferaitaussibiendes’yhabituerdèsmaintenant.Ilsn’avaientaucunavenirensemble.Rosehochalatête.— Je pense que nous devrions choisir deux prétendants pour elle. Il y avait un homme, un

marchand,quisemblaitl’intéresser.Peut-êtrepouvons-nousentrouverunautre.Elleallachercherlelivre.Lesautresfemmesserassemblèrentautourd’elletandisqu’elletournait

lespages.—Regardez,c’estlui.Ils’agitd’unhommematuredequaranteans.Ilestpropriétaired’unsalon

dethéetvoyagesouventenFrancepourrendrevisiteàsonfrère.Lamèred’YvetteétaitFrançaise.— C’est un bon choix, acquiesça Pauline en tournant la page. Et celui-ci. Lui aussi est dans la

quarantaine.Ilestveufetsesenfantssontmajeurs.Ilchercheunecompagnepourl’aideràoccupersesjournées,poursuivit-elleensouriant.IlseraitparfaitpourYvette.—C’esttrèspossible,renchéritSophie.—Tournelapage.Jecroisquej’enaivuunautre,ditAbigail.L’excitationmontait.—Jecroisqu’ilyaunmarchandverslafin.Ilestveufetsesenfantssontmajeursaussi.Lesfemmesbavardèrent joyeusementenexaminant tous lesépouxpotentielspourYvette.Évafut

soulagéequ’ellesaienttrouvéquelquechosepoursedistrairedeleurssombresspéculationsausujetdusortd’Yvette.—Allez à la dernière page, intervint Éva. Pas plus tard qu’hier, j’ai ajouté un constructeur de

navireaméricain.Ilm’aétérecommandéparmonsieurJones.Lespagesbruissèrentetplusieurssoupirssuivirent.—CetAméricainprévoitdedéménagersonentrepriseàLondresetilestplutôtprospère.Jecrois

quenousdevrionsenvisagerdeluienvoyeruneinvitation.—Ilestbeau,commentaPauline.—Vraimenttrèsbeau,renchéritRose.—Ilauneréputationimpeccable.Onmel’aassuré.— Dans ce cas, il doit être invité, déclara fermement Sophie. Nous devrions faire une liste et

l’écrémer jusqu’à ce qu’il ne reste plus que les deux— elle regarda Éva— ou trois meilleurscandidats.Évasourit.D’objetsdeplaisir, sescourtisanesétaientdevenuesde jeunes femmesauxqualitéset

auxmanièressupérieures.Del’éblouissanteRoseàlabeautésubtiled’Abigail,unaussibongroupeplairaitauxhommessursa listed’invités.Ellenepouvaitqueprierpourqu’Yvettesoitsecourueetquelescinqfemmestrouventunépoux.— Nous devons terminer rapidement la liste d’Yvette, intervint Éva en versant encore du thé.

J’enverrailesinvitationsdemain.

Lelendemain,lorsquelesinvitationsfurentenvoyées,Évapassaenrevuelemenudelafêteaveclacuisinière.Commelaréceptionréuniraitungrouperestreintaumilieudel’après-midi,iln’étaitpasnécessaired’offrirunrepasélaboré.Duthé,desgâteaux,dupunchetdessandwichesravitailleraient

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parfaitementlesinvités.Et,bienentendu,lanourriturefournissait toujoursunsujetdeconversationlorsqu’ondevaitremplirdelongsmomentsdesilence.Éva savait d’expérience qu’onmangerait très peu. Bien que ses courtisanes ne subissent aucune

pressionpourchoisirunpartenairedurantlafête,celles-ciétaienttoujoursnerveuseslapremièrefoisqu’ellesdevaientmettreleursleçonsenpratique.Commentpourrait-il enêtreautrement?C’était lepointculminantde leurseffortsacharnés.Les

femmesétaientdéjàbellesetcharmantes;Évaleuravaitsimplementdonnédesoutilspourpaverlaroutejusqu’aumariage.Mêmesicenedevaitêtrequedansleurimagination,ellesseraienttestéesetchacuneenressentaitlapression.Haroldavaitconduitlesfemmesàleurdernieressayagepourlesrobesqu’ellesporteraientlorsde

la fête. L’enthousiasme pour l’événement à venir était légèrement refroidi par l’absence d’Yvette,mais il existait toujours l’espoir qu’elle soit retrouvée et ramenée à temps. Les femmes s’yaccrochaientets’efforçaientdecontinuercommeprévu.Éva n’était certaine de rienmis à part de sa propre situation. Elle aussi s’efforçait de passer à

traverssesjournéesmalgrélebrouillard.Elleétaittroubléeetdéprimée,commesiunnuagenoirlasuivaitetqu’ellen’arrivaitpasàlesemer.Monsieur leducluimanquaiténormément.Plusqu’ellenes’yserait jamaisattendue.Ellen’avait

jamaisconnul’amourauparavant.Ellesebattaittouslesjoursaveclesconséquencesdecesentimentindésirable.Ses prières pour le retour rapide de monsieur Crawford restèrent sans réponse. L’attente était

éprouvante. Si tout allait bien, le détective trouverait et secourraitYvette ; Éva n’aurait pas besoind’affronterNicholas à nouveau.Chaque fois qu’elle voyait son séduisant visage, cela lui brisait lecœur.SonretraitvolontairedelaviedeNicholasduraitdepuistroisjours;elleétaitirritableetd’humeur

maussade.Ellesemordaitconstammentlalanguepournepascriersurtoutlemonde,ycomprissamère,pourdesbroutilles.Toutcedontelleavaitenvie,c’étaitpasserdeuxsemainesaulitàpleureretàselamenterjusqu’àce

queNicholassoitemportéparseslarmes.Àl’heurequ’ilétait,ilétaitprobablementfiancéetattendaitimpatiemment sanuitdenoces.Ellenepouvaitpas s’imaginerqu’il restâtplanté làpendantquesacourtisane réticente se cachait de lui. Il voudrait rapidement faire deLucy sa promise avant qu’unautre homme ait l’occasion de la courtiser, pour se mettre ensuite à la recherche d’une nouvellemaîtresse.Leshommesdesongenrenesecontentaientjamaisdel’amourd’uneépouse.Ilchercheraitunecourtisanepourréchauffersonlit.Lacuisineluiparutsoudaintrèschaudeetlatêteluitourna.—Excusez-moi,murmura-t-elleenlaissanttomberlemenu.Àlagrandesurprisedelacuisinière,Évaseruadanslejardinparlaportearrière.Craignantd’être

surlepointdevomir,ellerespiraprofondémentl’airhumidejusqu’àcequesonestomacsecalme.Letempsétaitfraisetnuageux;paslegenredejournéeappropriéepoursebaladerdanslejardin.

Ellesentitunfilmd’humiditéinvisiblesedéposersurlapeaunuedesesbrasetdesonvisage.Lespremièresfleursprintanièresétaientpleinementépanouiescontrel’arrière-planmaussade,maisÉvane leur accorda pas plus qu’un regard dédaigneux.Elle se précipita vers le banc en pierre le plusprocheetselaissatombersursasurfacehumide.Les larmesmenaçaient de déborder. Le chagrin s’installa en elle. En proie à de vives émotions

comme elle l’était, elle ne pouvait pas supporter l’idée que Nicholas soit marié. Le seul lit qu’ildevraitpartager,c’étaitlesien!Sesenfantsdevraientêtrelessiens!

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—Éva?Surprise, elle leva brusquement la tête.À travers les larmes qui luimontaient aux yeux, elle vit

Nicholasquis’avançaitsurlesentierdupasvifd’unaristocrateconfiant.Ilportaitunchapeauetunecapepourpareràlapluiequimenaçait.Ellesedélectadesavuetandisqu’ils’approchait.Ellepassarapidementunemainsursesjouesetseleva.Ilnedevaitpasvoirqu’ellesouffrait.—Monsieurleduc.Son cœur s’arrêta lorsqu’elle le regarda en face. Elle avait envie de se jeter dans ses bras, de

l’embrasser,deletouchertoutpartoutpours’assurerqu’ilnes’agissaitpasd’unehallucination.Maisellegardalespiedsclouéslàoùilsétaient.—C’estladeuxièmefoisquevousvenezicisansêtreinvité,monsieurleduc.Jeneletoléreraipas.Sontonsecluifitserrerlesdents.—J’étaisinquietquevousn’ayezpasréponduàmonmessage.J’aieupeurquevoussoyeztombée

malade,répondit-ilenl’examinantbrièvement,puisilpinçaleslèvres.Jevoisquevousêtesenbonnesanté.Ellerassemblasoncouragepourfairecequidevaitêtrefait.—Jecroisqu’ilseraitmieuxpourtousquenousmettionsfinànotrerelation,monsieurleduc.Ma

sœur estmécontente, je suismécontente et vous serez bientôtmarié.VotreLucy sera certainementmécontentesivouscontinuezàcoucheravecmoi.—Lucyn’aaucuneincidencesurlarelationentrevousetmoi,Éva,répliqua-t-ilsèchement.Jene

luiaipasdemandésamain.—Maisvousleferez,soupiraÉva.Pourquoinepouvait-ilpaslalaissertranquille?Nevoyait-ilpasàquelpointc’étaitdifficilepour

elle?— Que ce soit elle ou une autre femme bien née comme elle, poursuivit-elle. Vous avez une

branched’arbregénéalogiqueàrempliretvotremèreneserapassatisfaitetantqu’ellen’aurapasunebonnedouzainedepetits-enfantsàgâter.—Vousneconnaissezpaslesaspirationsdemamère,dit-ilenfaisantclaquersacravachecontresa

botteavantdeleverlatêteverslecieldeplomb.Ellenem’apasparlédeLucyuneseulefoisdepuislebal.Enfait,ellenem’apasparlédemariagedutout.Évaexpirabruyamment.Elleespéraitdésespérémentqu’ellen’avaitrienàvoiraveclechangement

d’attitudedesamère.Ellenevoulaitpasajouterladuchesseàlalistedesgensblessésparsesactions.—Peu importe la femmequevouschoisirez, répliquaÉva, ça finira inévitablementde lamême

manière:votremariage.Depuisquejesuisentréedansvotrevie,jevousaivolévotrecourtisane,j’aienvahivotremondeetj’aitrèsprobablementruinévosfiançailles.Jecroisqu’ilseraitpréférablequevousrentriezàCollingwoodHouseetquevousoubliiezquevousm’avezrencontrée,poursuivit-elleencroisantetdécroisantlesdoigts.Jevousverseraidespaiementsmensuelsjusqu’àcequemadettesoitremboursée,mêmesiçadevaitprendrecentans.—Vouscroyezquejemesouciedevotresatanéedette?tonnaleduc.Ellesursauta.Illuilançaunregardnoir.—Lamaisondevillevousaétédonnéeencadeau,àvotrenom,desortequevotremèrenepuisse

pluslamettreengarantie.Lesautresdettesserontpayéesquandj’enauraiuncompterendudétaillé.Iltenditlamainpourprendrelasienneetlatirasursespieds.— J’ai eu tort d’utiliser la menace de la prison des débiteurs pour vous forcer à devenir ma

maîtresse.

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Quellesurprise!Elleétaitlibre!Elleauraitdûdanserdejoie.Maismêmecelan’arrivapasàluiremonterlemoral.— Je vous remercie de votre considération,monsieur le duc.Mamère etmoi vous en sommes

reconnaissantes.—Bonsang,Éva.Illasaisitbrusquementparlesbrasetlasecoualégèrement.Ilsepenchapourlaregarderdansles

yeux.—Jeneveuxpasdevotregratitude.Jeneveuxpasquevousvoussentiezobligéedevenirdans

mon lit d’une quelconque façon. Je veux que vous poursuiviez notre relation parce que vous medésirezautantquejevousdésire.Il inclinalatêteet luieffleuraleslèvresdessiennes.Évaposaunemainsursontorseetsentit le

battementrapidedesoncœur.Toutaussirapidement,illarelâchaetellevacilla.—Jenereviendraipasvousvoir.Voussavezoùmetrouver.Àvousdedécider.Lesyeuxécarquillésetàboutde souffle,Éva le regardas’éloignerd’unpas raidesur le sentier

verslemurdufond.Leclaquementdelagrillemétalliquerésonnadanssesoreilleslongtempsaprèsqu’elleeutentenduuncarrossepartir.Elles’écroulasurlebancetenfouitsatêtedanssesmains.Nicholasluiavaitretiréseschaînesetlui

avaitfaitlecadeaudeluirendresavie.Ellen’avaitplusàs’inquiéterpoursonavenirnidufaitquesapuissante présence ne tire les cordons de sa bourse. Sa mère était en sécurité et Éva n’était plusobligéedelerevoir,àmoinsqu’elleledécide.—Oh,ciel.Elleportasesmainsouvertesàsaboucheetfixasanslavoirunetouffedejacinthesbleues.Ellene

pouvaitpass’attendreàcequemonsieur leducluiexprimeplusclairementsonaffection.Il l’avaitlibérée,maisilvoulaitqu’ellereste.Ilneservaitàriendeliredelapoésieoudes’attarderàdesmotsd’amour.Ilavaitenvied’elle,il

tenaitàelle.Ellel’avaitvudanssesyeuxetsentidanssonbaiser.—Jevoisquemonsieur leducest revenu,ditHarold,quicontournaunehaieétroitepourvenir

s’arrêterdevantelleenfixantlefonddujardind’unairimpassible.Ilestéprisdevous,Éva.—Iltientàmoi,admit-elle.Aucunhommen’offriraitunsigroscadeaus’ilnesesouciaitpasdesonbien-être.—Ilaeffacémesdettesetm’atransférélégalementlamaisondemamère.Lesmotsrestèrentcoincésdanssagorgeetlesyeuxluibrûlaientlorsqu’elleleslevasurHarold.

Elles’éclaircitlavoixendéglutissantpéniblement.—Etillaissel’avenirdenotrerelationentremesmains.Harold passa un bon moment à ouvrir et à fermer la bouche. Il ne voulait manifestement pas

accorderdecréditàmonsieurleducpoursonacted’altruisme.LesdeuxhommesluttaientpouravoirledroitdeprotégerÉvaetsamère.Heureusement,iln’yavaitpaseud’effusiondesang.—Jel’aipeut-êtremaljugé,finit-ilpardire.Évaécarquillalesyeux.AdmettresonerreuravaitétédifficilepourHarold.—Nousl’avonstouslesdeuxmaljugé,répondit-elle.Haroldacquiesça,puissegrattalatête.—Vousa-t-ildemandévotremain?—Non,répliquaÉvaenlevantlementon.Elleétaittropàcranpourdiscuteraujourd’hui.—Jenem’attendspasàunetelledemande.Jesuislafilled’unecourtisane.

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Quelquesgouttesdepluiesemirentàtomber.Elleravalaseslarmesetseleva.—Oh,Harold,jetiensbeaucoupàlui,poursuivit-elle.Jenesaispasquoifaire.Laviequejemène

nemesatisfaitplus.Jeveuxtellementplus.Jeveuxfondermaproprefamille.Haroldhaussalesépaules.—Jenepeuxpasvousconseillerlorsqu’ilestquestiondemonsieurleducoudevotreavenir.Vous

devezécoutervotrecœur.S’ilnepeutpasvousoffrircedontvousrêvez,vousdevezlelaisserpartir.Éva prit Harold par le bras et appuya la tête sur son épaule. La laine humide de sa veste était

étrangementréconfortante.Aucoursdesdernièressemaines,leurproximitéluiavaitmanquéetelleétaitheureusedelaretrouver.—Vousêtesunsibonami.—Sivoussaviez,marmonna-t-ilenluitapotantlamain.

NicholasécoutaattentivementCrawfordjusqu’àcequ’ilaitterminésonrapport.—Jesuiscertainquelafemmeestretenueprisonnièrequelquepartàl’abbayedeHighland,ajouta

ledétectiveaprèsavoirprisuneprofondeinspiration.Ilyadesrumeursparmi lesdomestiquesducomteausujetd’unefemmeenferméedansunepièceaudeuxièmeétage.Jecroisqu’ils’agitdecetteYvettedisparue,peut-êtreenlevée.Enlevée?Évaavaiteuraisondes’inquiéter.Sacourtisanen’avaitpasdisparuparchoix,maisde

force.LordMaddingtonl’avaitfaitenlever.Lescélérat!—VousavezracontéçaàmademoiselleBlack?Il lui paraissait étrange de l’appeler par son nom de vieille fille, mais il était préférable que

Crawford continue de la considérer ainsi. Mademoiselle Black appartenait à ses courtisanes.ÉvangélineWinfieldappartenaituniquementàNicholaset il luiétait facilede fairementalement ladistinctionentrelesdeux.—Jesuisvenuaussitôtaprèsl’avoirquittée,monsieurleduc.Ledétectivesetenaitprèsdufeupourseréchaufferaprèsavoirtraversélavillesouslapluie.Ses

oscraquèrenttandisqu’ilpliaitetdépliaitsesmainstenduesverslesflammes.—Ladameétaittrèsinquièteets’estaussimontréetrèsgénéreuse.Nicholasfronçalessourcils.—Vousnedeviezpasaccepterd’argentdesapart.—J’aiessayéderefuser,réponditCrawfordavecungrandsourire.Lorsquej’aiexpliquéquevous

paieriez, son gros domestique m’a mis une bourse dans la main de force, poursuivit-il avec ungloussement.J’aieupeurdesaréactionsijerefusais.Jel’aiglisséesurunetableensortant.Nicholashochalatêteensouriant.Évaneseraitpascontente.Haroldétaitaussipersuasifqu’ilétaitcostaud.NicholasimaginaÉva,sondomestiquederrièreelle,

entrainderefuserdelelaisserpayerquelqueautredetteàsaplace.MêmesansHarold,ilsoupçonnaitqueCrawfordauraitétéenpositiond’infériorité.Àelleseule,Évareprésentaitune forceetellesemettraitencolèrelorsqu’elledécouvriraitlabourselaisséelà.Ciel,commeelleluimanquait!Allongeantlesjambespoursoulagerlatensiondanssonpantalon,Nicholasappuyauncoudesurle

brasdesonfauteuiletposalementondanssamain.—Jevousremerciepourlemalquevousvousêtesdonné,Crawford.Vousavezfaitdel’excellent

travail.J’aiavisémonmajordomededoublervotresalaire.Vouspouvezpasserlevoirensortant.

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Crawfordenfonçasonchapeausursatêteets’inclina.—Sivousdeviezavoirbesoindemoiànouveau,monsieurleduc,vousn’avezqu’àm’envoyerun

message,dit-ilavantdesortirparlaporteouvertepours’éloignerdanslecouloir.Desvoixétoufféesluiparvinrent,puislaported’entréeserefermaderrièreledétective.Quelques

minutes plus tard, on frappa et cela résonna dans toute la maison. Nicholas entendit une voixféminine,puissonmajordomeaccompagnaÉvadanslapièce.—MademoiselleWinfield,monsieurleduc.Soulagédelavoir,Nicholasseleva.—Éva.Sous la capuchede sacape trempée, elle incarnait labeautéà l’étatpur.Lorsqu’elle repoussa sa

capuche,del’eaugouttasurleplanchervernietlamassehumidedesescheveuxemmêlésluitombatoutautourduvisage.Ellen’avaitpasmissaperruque.Ils’éclaircitlavoixpourseremettredesonétonnementetrefoulerunsoudainélandedésir.Iltenditnonchalammentlamainverssonverreetavalad’untraitlesdernièresgorgéesdebrandy

pourtenterdecalmersoncorps,unetâcheinsurmontablelorsqu’Évaétaitdanslesparages.—Jenevousattendaispas,sinon,j’auraisfaitpréparerduthé.Ellefitunpasdeplusdanslapièceetlalueurdufeudansasurlapeaupâledesonvisage.—Jenesuispasvenueprendrelethé,monsieurleduc.Cecin’estpasunevisitedecourtoisie.Laraisondesavisiteétaitprobablementliéeauxnouvellesconcernantladécouvertedel’endroit

oùsetrouvaitYvette.Évaétaitattachéeàsesoisillonsdéchuset,lorsquel’und’euxavaitdisparu,elleétaitdevenueobsédéeparlefaitdeleretrouveretdeleramenerdanslenid.—J’aivumonsieurCrawfordpartirenarrivant.Vousêtesdoncaucourantàproposd’Yvette,dit-

elleentendantlesmainsd’unairsuppliant.Jemefaisénormémentdesoucipourelle,monsieurleduc.Nousavonsbesoindevotreaide.Aprèsavoirreposésonverresurlatable,ils’approchad’elle.Aveclesinformationsfourniespar

Crawford,ilsavaitcequiattendaitYvetteetnepouvaitpaslaisserÉvasemettreendanger.Ilfallaitlaconvaincredelaisserdesprofessionnelsgérerlasituation.—Jenepeuxpasfairegrand-chose,madouce,misàpartappelerlesofficiersdelarueBowetles

laissermener leurpropreenquête,répondit-ilenreplaçantunemèchedecheveuxderrière l’oreilled’Éva.Sonamantestunpair.Nousdevonsagiraveccirconspection.—Vouscroyezqu’ilssesoucierontd’unecourtisanedisparueavectouslesmeurtresetlesvolsqui

ontlieutouslesjoursiciàLondres?hurla-t-elleenserrantlespoings.Sijamaisilsenquêtaient,çapourrait leur prendre des semaines, voire des mois, avant de trouver assez de preuves pour lasecourir.D’icilà,Yvettepourraitbienêtremorteouavoirétévenduecommeesclave.Lapeurqu’il lut sur sonvisage lui noua les entrailles.Elle n’avait aucune idéede l’ampleurdu

pétrindanslequelYvettesetrouvait.Cettefemmeavaitdegravesennuiset ilnepouvaitpaslaisserÉva prendre les mêmes risques en affrontantMaddington. Si quelque chose devait lui arriver, çabarderait.—J’aidescontacts.Jepeuxaccélérerleschoses.Évaportaunemaingantéeàsabouche.—Nousnepouvonspas attendre.Elle est endanger immédiat, répliqua-t-elle en faisant les cent

pas, laissantune traînéedegouttesd’eaudanssonsillage.Nousdevons trouveruneautre solution.Noussavonsoùelleestdétenue.Peut-êtrepouvons-nousaffronterlesdomestiquesetleurdemanderdelalibérer.—Éva…

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Iltenditlamainverssonbraspourl’arrêter.Illuicaressalajoue.Sapeaudouceétaitmoitesoussapaumechaude.—Madouce,jeconnaisLordMaddington.Onnelesurnommepaslecomtefousansraison.C’est

unhommeviolent.Ilapresquetuéunvaletparcequ’ilavaitlaissétomberunvase.SivotreYvetteestbeletbienàl’abbayedeHighland,elleestbiengardée.Aucundesesdomestiquesn’oseraletrahir.Ilsonttroppeurdelui.Elletressaillitentresesmains.— Je vous en prie,Nicholas, aidez-la, dit-elle tandis que sa lèvre inférieure tremblait et que les

larmesluimontaientauxyeux.Nousnepouvonspaspermettrequ’ellesoitassassinée!Elle fondit en pleurs. Il la prit doucement dans ses bras. Ses tremblements se transformèrent en

douxsanglotstandisquelapluieetleslarmestrempaientlachemiseduduc.Ellesesentaitpetiteetvulnérable,serréecontresontorse.Ilsentitnaîtreenluiuninstinctprotecteuretmurmuradessonsapaisantsjusqu’àcequ’ellesecalme.Vidée,ellelevalatêteenreniflant.—Jesuisnavréedevousmêleràça,monsieurleduc.CequiarriveàYvettenevousregardepas.Ellereculad’unpasetlâchasachemise.Ilpritsonvisageentresesmains.Ildétestaitlavoirainsi

abattue.—Jevousprometsde faire toutceque jepeuxpourvotreamie,dit-ilavantdesepencherpour

poserunbaisersursonfront.Donnez-moiunjouroudeuxpourvoircequejepeuxdécouvrir.C’estpromis?Évahochalentementlatête.Maisl’étincellesombrequ’ilvitdanssesyeuxjusteavantqu’ellefasse

demi-tourpoursedirigerverslaporteluifitplisserlesyeuxetéveillasessoupçons.—Éva.Lamainsurlapoignéedeporte,elleleregardapar-dessussonépaule.Ladouleursourdedansses

yeuxavaitdisparu.Elleavaitl’airdequelqu’unquis’apprêtaitàagirdangereusement.Àpartl’attacheràsonlit,ilnepouvaitrienfairedeplusquefaireconfianceàHaroldpourlatenir

àl’œilpendantquelesofficierssepenchaientsurl’enlèvement.—Nefaitespasdebêtises.—Nevousinquiétezpas,dit-elleenhochantsèchementlatête.Bonnejournée,monsieurleduc.Uneterreurinqualifiablepritracinedanssesentraillespourlerestedel’après-midi.

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CHAPITRE16

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—Jenepeuxpasresterassiseicidansmachambreànerienfaire,ditÉva.Elle s’adossacontre lesoreillers sur son lit,puiselle se redressa, se tournaetbattit l’oreiller le

plusprochejusqu’àleréduireenunepuréeduveteuseavantdeselaisserretomberdessus.Elleétaitcomplètementsubmergéeparl’impuissanceetlafrustration.—Yvetteestendanger.Noëlleétaitallongéeaupieddulit,appuyéesuruncoude,etsuivaitd’undoigtlecontourdumotif

floralducouvre-lit.Àlademanded’Éva,Noëlles’étaitprécipitéeàsarésidencedansMayfair.BienqueNoëlleneconnûtpasYvette,Évaétaitcertainequ’elleseraitsensibleàsadétresse.Quellefemmeneleseraitpas?Êtreenlevéeetvioléeparunhommequiavaitdesantécédentsdeviolenceétaituncauchemarterrifiantpourn’importequellefemme.—Monsieurleducn’a-t-ilpasditqu’ilallaitl’aider?Noëllefaisaitconfianceauxpouvoirsd’unducenmission.Évanepartageaitpascetteconfiance.

Aucunhommen’étaittoutpuissantetcapablederéaliserdesmiracles.Pasmêmeleténébreuxduc.—Jepenseque tu feraismieuxde lui accorderquelques jourspourvoir cequ’ilpeut faire.Un

hommedesaconditionestmieuxplacéquenouspourpousserlesofficiersàagir.Cettefoi inébranlableenmonsieurleducluirestaentraversdelagorge.Nonqu’Évanecroyait

pasNicholas capable de faire ce qu’il avait dit ; c’était l’attente qui la rongeait. D’un naturel peupatient, elle sentait chaque tic-tacde l’horloge résonnerdans sa tête avecuneprécision saisissante.Ellenesupportaitpasqu’onperdedutemps!—Quelques jours ?Nous ferionsaussibiende servirYvette aucomteavecunepommedans la

bouche sur un plateau d’argent, cracha Éva en croisant les bras et en soufflant sur unemèche decheveuxpourl’écarterdesesyeux.LordMaddingtonapresquetuéunhomme.N’est-cepassuffisantpourjustifieruneactionimmédiate?—Etqu’impliqueraitcetteactionimmédiate,exactement?demandaNoëlleenseredressantsurle

lit.Vas-tuteprésenteràsaportesurMuffin,vêtued’unearmuremédiévale,etdemandersalibération?Ou rassembler les villageois, les armer de fourches et de torches flamboyantes, puis lancer uneattaquecontrel’abbaye?—Jen’aimepasquetutemoquesdemoi,masœur,rouspétaÉva.Noëlles’appuyasurunemainettenditl’autrepourlaposersurlachevilleétendued’Éva.—Jecomprendsque tusois inquièteet je tedemandepardon.Cependant,sicethommeestaussi

dangereuxquemonsieurleducledit,ilnefautpaslemettreencolère.Monsieurleduct’aidera.Jesaisqu’illefera.Ilferaitn’importequoipourtoi.Peut-êtrepasn’importequoi. Ilne luidonneraitnisonnom,niunemaison,nidesenfants.Mais,

pour l’instant, elle avait des problèmes plus urgents. Elle penserait à ce qu’elle ferait au sujet demonsieurleducplustard,unefoisYvetteensécurité.—Jeneluidonneraipasplusdedeuxjours,ditÉvad’untonferme.Deuxjoursquiluiparaissaientinterminablesseprofilaientdevantelle.—Pasplus.SiYvetten’apasétésecourued’icilà,jerassemblerailesvillageois.

Évafourrasa robededeuilnoiredanssonsac.Le lourdvêtementen laineétait troppetit ;ellenel’avait pas porté depuis presque quatre ans, soit depuis le décès de sa nounou âgée. Toutefois, ils’agissaitde la seule robenoirequ’ellepossédait etdevraitdoncsuffirecommedéguisement.Elle

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pouvaitvivreavecunepoitrineaplatieetunerespirationsuperficielle,tantqu’elleétaitinvisibledansl’obscurité.Elleavaitsoupé,lupoursamèreetattenduquetoutelamaisonnéesesoitmiseaulit.Ensuite,après

avoirenfilésaperruqueetseslunettesdevieillefille,elleavaitécritunenoteetrassemblétousleseffetspersonnelsnécessairespourdeuxjours.Peuavantl’aube,elleseglissahorsdelamaisonettraversaencourantlapelousehumidedujardin

pour se diriger vers les écuries. Boothe, le palefrenier, ronflait bruyamment lorsqu’Éva se glissafurtivementdanslapetiteécurie.ElleavaitvuBoothesellerMuffindescentainesdefoisetpensaitpouvoiryarriversanssonaide.

EllefixaunenotesurunclouprèsdelastalledeMuffinpourqueBoothesachequelajumentn’avaitpasétévolée,puissemitautravail.Le poney dodu bâilla et mâchouilla lentement des brins de foin pendant qu’Éva travaillait avec

efficacité.Bienqu’illuifallûtplusieursessaispourarriveràplacerlasellecorrectement,latâchefutbientôtaccomplie.Elleattachalasacochederrièrelaselleetcaressadoucementlacroupeducheval.—Prête,moncœur?ElleconduisitMuffinàl’extérieurprèsd’unmontoiretsehissaenselle.Latacheorangedoréedu

soleildevaitencorefairesonapparitionlorsqu’ÉvadirigeaMuffinverslenordenpriantpourquelajumentsoitcapabledefairelevoyagesansrendrel’âmed’épuisementencoursderoute.ÉvaetMuffinfirentlevoyagejusqu’aupetitvillageàcôtédel’abbayedeHighland,suruneroute

boueuseetcribléedetrous,maisdéserte,saufpourlesoccasionnelscarrosseoucharrettedefermier.Ellesmirentledoubledutempsnécessaire,soituneheureoudeux,àlamajoritédesvoyageurspourparcourirlamêmedistance.Avectouslesarrêtsqu’ellesfirentpourpermettreàMuffindesereposer,c’était ledébutdel’après-midilorsqu’Évamit lajumentàl’écurie,pritunechambreàl’aubergeetdemandaqu’onluiapportedelanourriture.Affamée, elle mangea le copieux ragoût dans sa chambre avant de s’installer pour une sieste.

Muffinn’avaitqu’unevitesse,lente,etqu’uneallure,irrégulière.Évaavaitmalàdesendroitsoùellenesavaitmêmepasqu’ellepouvaitavoirmal.Pourtant,ellesavaientfaitlevoyageenentiersansquelapetitejumentrondelettetomberaidemortesurledos,lesquatrefersenl’air.Unexploit,eneffet.Une fois rafraîchie, Éva remit sa perruque et ses lunettes avant de quitter l’auberge. Elle se

promena dans le minuscule village. La seule route qui le traversait était parsemée de quelquescommercesetd’unepoignéedemaisonsquiconstituaientlerestedesbâtimentsdélabrésoccupés.Onpouvait pratiquement lancer un caillou d’un bout à l’autre du hameau. Manifestement, l’aubergereprésentaitl’uniqueraisondes’arrêterenrouteversunautreendroitetlaprospériténereprésentaitqu’unrêvepourleshabitants.L’air aussi désinvolte que possible, Éva posa à plusieurs villageois des questions sur Lord

Maddingtonafind’obtenirdesinformationsàsonsujet.Onluiréponditpardesregardsnoirsetunsilenceglacial.Soitlesvillageoisvouaientuneloyautésansborneaucomte,quipossédaitlamajoritédesterresdesenvirons,soitilsétaienttropterrifiéspourrisquerdelemettreencolèreetd’affronterson courroux. Elle rentra donc à l’auberge sans aucun renseignement susceptible de l’aider àcomprendresonadversaire.Savoirqu’Yvetteétaitàmoinsd’unkilomètreetdemideroute,maisqu’ellenepouvaitrienfaire

pourelledansl’immédiatdonnaitenviedepleureràÉva.Elle grignota un peu de pain fraîchement sorti du four et encore un peu de ragoût, mais la

nourritureluirestasurl’estomac.Ellerepoussafinalementlebolets’installasurlelit.Illuifaudrait

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attendreaprèsminuitavantdesesentirsuffisammentensécuritépourmarcher jusqu’à l’abbayedeHighlandafindejeteruncoupd’œilauxalentours.Elleselaissatombersurledossurlecouvre-litrapiécéetsepréparaàpasserunesoiréeagitéeàcompterlesfissuresduplafondenplâtre.Plusieursheuresplustard,àl’instantoùsespaupièrescommençaientàs’alourdirdesommeil,un

coupsecsurlaportelafits’asseoirensursautsurlelit.Évamarchasur lapointedespieds jusqu’à laporteetappuya l’oreillecontre lepanneauenbois

brut.Ellen’entenditrien.—Quivalà?aboya-t-elledelavoixrauqueetgraved’unténoraprèsavoirposéunemainsurson

cœurpourlecalmer.—C’estmoi,Rose.Bouche bée, Éva ouvrit la porte à la volée et trouva plusieurs paires d’yeux qui la regardaient

depuislecouloirfaiblementéclairé.RassembléesenunpetitgroupesetenaientRose,Sophie,AbigailetPaulinedéguiséesengarçonsd’écurieàl’aidedechemises,depantalonsetdecapesfaitsmaison.Ellessouriaientd’unairpenaud,commesiellesvenaientdesefaireprendrelamaindansuneboîteàbijouxquineleurappartenaitpas.—Laissez-nousentrer.Vite!chuchotaRose.Évareculalorsqu’ellesseprécipitèrentdanslapièce,presséesd’échapperàlavue.—Quefaites-vousici?demandaÉvaenleurlançantunregardnoirtandisqu’ellesenlevaientleurs

capes.—NoussommesvenuesvousaideràsecourirYvette,bienentendu,réponditPaulineenregardant

autourd’elledanslapetitepièce.Elles’assitdansl’uniquefauteuildelachambre,puisallongealesjambesdevantelled’unefaçon

toutàfaitindigned’unedame.—Nousserionsarrivéesplustôt,maisnousavonsdûattendreuncarrossequipassaitparici.Évafronçalessourcils.—Maiscommentavez-voussuoùj’étais?— Harold est venu ; il vous cherchait, commença Abigail en époussetant sa chemise. Il était

terriblementinquietquandils’estrenducomptequevousvousétiezenfuie.Nousl’étionstoutes.— Rose avait entendu votre conversation avec le détective au sujet de Lord Maddington et de

l’abbaye,etsedoutaitquevousaviezl’intentiondesecourirYvette,ajoutaSophie.Nousnepouvionspas vous laisser affronter une telle tâche toute seule. Alors, pendant que Rose distrayait lespalefreniers,Abigailetmoiavonsempruntédesvêtementsdans lesécuriesderrièrecette immensemaisondevilleauboutdelarue.—Vousavezvolédesvêtements?s’enquitÉva,stupéfaite.— Nous avons laissé une note. Anonyme, bien entendu, intervint Abigail. Nous rendrons les

vêtementsquandnousrentreronsàLondres,poursuivit-elleenrongeantl’ongledesonpouce.Jesuiscertainequepersonnenenousavues.L’inquiétuded’Évadécupla.Savoirqu’ellesétaientprêtesàrisquerlaprisonpourYvetteetellelui

remonta lemoralmalgré leurconduite imprudente.Elles représentaientcequ’Évaavait eudeplusprochedevraiesamiesfémininesdans toutesavie.Enrevanche, leurprésencevenaitbousillersesplans.Bien que la compagnie soit la bienvenue, elle avait espéré trouver un moyen de s’approcher

d’Yvettesansattireruneattention induesurelle-mêmeniéveiller lessoupçonsducomte.L’arrivéedesquatrejeunes«hommes»causeraitcertainementtoutunémoidanslepetitvillage.—Vousa-t-onvuesvousfaufilerdansl’auberge?leurdemandaÉva.

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—Nousavonsemprunté l’escalierdeservicepourquepersonnenenousremarque.L’aubergistepensequenousdormonsdansl’écurie,réponditSophie.Misàpartunivrogneàl’arrièrequironflaitetmarmonnaitdanssonsommeil,nousn’avonscroisépersonne.Merci,monDieu.—VousdevriezprendrelepremiercarrossepourLondresdemainmatin,ditÉvaensemordillant

lalèvreinférieure.Vousvousmettezendangerpourrien;jepeuxréglercettehistoiretouteseule.—Vraiment?Sophieselaissatombersurlelit,sepenchaenavantetappuyalescoudessursesgenoux.Lestrois

autress’installèrentdechaquecôtéd’elle.—Simonsieur le comtevous surprendà fouiner autourde sapropriété, il vous fera fusiller.À

cinq, nous pouvons créer assez de diversion pour permettre à l’une d’entre nous de se glisser àl’intérieurpoursecourirYvette.Uncoupfrappéàlaporteinterrompittoutediscussion.Évasursautaetportaundoigtàseslèvres

pourfairesigneauxautresdegarderlesilence.Zut.L’aubergistedevaitavoirentenduquelquechosequiavaitéveillésessoupçons.S’illesjetaitàlaporte,ellesn’auraientnullepartoùaller,àcetteheuretardive.Cen’étaitpasl’aubergistequisetenaitdanslecouloirlorsqu’Évaouvritlaporte,uneexcusesur

leslèvres.C’étaitNoëlle, vêtue de noir telle une veuve, avec un voile en dentelle noire qui lui couvrait le

visageetlescheveux.IlfallutuninstantàÉvapourseremettreduchocavantderefermerlamainsurlefinpoignetdesasœuretdel’attirerbrusquementàl’intérieur.Aprèsavoirbienverrouillélaportederrièreelle,Évaposalesmainssurseshanchesetbalayala

pièce d’un regard exaspéré. Tant pis pour son plan de jeter subtilement un coup d’œil autour del’abbaye de Highland. Une sœur et un troupeau de courtisanes qui la suivaient pas à pas étaientincompatiblesaveclasubtilité.— Avons-nous oublié quelqu’un ? Ou devrais-je descendre demander à l’aubergiste une autre

chambreavecplusieurslits?soupiraÉva.Voudrais-tum’expliquercequetufaisici,Noëlle?Sa sœur enleva son chapeau et le jeta sur le lit.Elle serraÉvadans ses bras assez fort pour lui

broyerdescôtesetl’embrassasurlajoue.—J’avaispeurqu’ilt’arrivemalheur,alorsjesuisvenueteprotégerdetesbonnesintentions,dit-

elleavantdelalâcherpourfixerlesautresfemmesenfronçantlessourcils.Jevoisquejenesuispaslaseuleàavoireucetteidée.Lebataillonestarrivéenforce.Évaserenfrogna.Quiauraitcruqu’elleétaitsiincompétenteetsansdéfense?—Detouteévidence,j’aivraimentbesoind’aide.Elle présenta tout lemonde, omettant son lien de parenté avecNoëlle ainsi que le titre de cette

dernière. Les bonnes manières empêchèrent les anciennes courtisanes de poser des questions surl’arrivéeinattenduedeNoëlle.— Nous sommes les élèves de mademoiselle Éva, intervint Rose avec un joli sourire. De

maîtresses,ellenousconvertitenépouses.Éva tressaillit ; elle aurait préféré que Rose garde pour elle l’information au sujet de l’école.

Noëlleensavaitdéjàbeaucouptropsurelle.—Nousnevoulonsplusêtredescourtisanes,ajoutaAbigail en regardantNoëlle,puis sespieds

bottés.Nousattendonsavecimpatiencelafêtedelasemaineprochaine,oùnouspourronstrouverunépoux!

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— Je vois, répondit Noëlle, qui gratifia Éva d’un regard ironique. Tu pratiques un métierintéressant,machère.Touslesyeuxrivéssurelle,Évasedandinad’unpiedsurl’autre.Ellen’avaitpasprévuquesasœur

etsescourtisanesserencontreraientunjour.Lasituationavaittoutpourtourneraudésastre.Noëllevintàsarescousseenchangeantrapidementdesujet.—Maintenantquenousavonsforméunearmée,dit-elle,nousdevonsplanifierledéplacementdes

troupes. L’ennemi sera plus nombreux etmieux armé.Nous devrons faire preuve d’ingéniosité etd’intelligencesinousvoulonsgagnercettebatailleetcapturerlebutin.Lorsqu’Évalevaunsourcil,Noëllesouritdetoutessesdentsethaussalesépaules.—J’aidéjàétécourtiséeparungénéral.Àcetinstantprécis,Évaserenditcomptequ’ellen’auraitpasputrouvermieuxqueNoëlle,avecsa

volontédeferetsonintrépidité,pourplongeravecelledanscetteaventureinsenséeetpossiblementfatale.Elle tendit la main pour prendre celle de Noëlle. Leurs regards se croisèrent et les paroles

devinrentsuperflues.Ellesveilleraientl’unesurl’autrecommedeuxsœurspouraffronterunennemicommun.Inspirantprofondément,Éva tendit l’autremainversSophieet,bientôt,elles formèrentuncercle

grossierensetenanttoutesparlamain.Ellestirèrentducouragelesunesdesautres.—Je sais quenous croyonsqu’Yvette est vivante et quenous arriverons à la sauver,mais nous

devonsnousprépareràlapossibilitéqu’elleaitpéri.Évadétestait devoir évoquerune telle atrocité àvoixhaute,mais en tantquechefde cettebande

hétéroclite,elledevaitsemontrerhonnêteetbrave.— Nous ne pouvons pas attaquer l’abbaye d’Highland pour nous rendre directement devant sa

porte, poursuivit-elle.Le comte est un hommediabolique.Nous devons entrer dans l’abbaye et ensortirdiscrètement,sansdonnerl’alarme.—Imaginezsatêtelorsqu’ildécouvriraqu’Yvetten’estpluslà,ditRoseenriant,desétincellesdans

sesyeuxbleus.Dommagequenousnepuissionspaslecastreravantdepartir.—Pasdecastration,fitÉva.Il faudrait qu’elle parle à Rose de sa façon d’exprimer fréquemment son désir de castrer des

hommes.Celanel’aideraitpasàsefaireaimerdesonépoux.—Ilaunemaisonpleinededomestiquesquiserontplusnombreuxquenous.Ilnedoitpassavoir

qu’il a étévoléavantqu’il se rendecompteque son trésoradisparu,demainmatin.D’ici là,nousseronsloin.—Etilseralibredetourmenteruneautrefemmesanssubirlamoindreconséquencenégativepour

sesactions,intervintAbigaild’unevoixlasse.C’estunegraveinjusticequ’untelhommepuissefairetoutcedontilaenviesansensouffrir.—Oui, c’est une injustice, Abigail, répondit Noëlle. C’est la raison pour laquelle Éva aide ses

courtisanesàéchapperàleursituationmalheureuseetpourlaquellenousaidonsYvette.Lecomteestvisiblementobsédéparvotreamie.C’estcequilamaintientenvie.Lorsqu’elleluiauraétéenlevéeàjamais,ceserapourluiunepetitepunition,mêmesielleestinappropriée.Évaprituninstantpourréfléchiràcettedéclaration.Ellen’avaitpasvuleschosesainsi.—Noëllearaison.Mêmes’ilestprobablequelecomtefoun’affronterajamaislavraiejustice,il

auraperduYvette.Jeprometsd’enretirerunecertainesatisfaction.—Moiaussi,répliquaAbigail.Àcontrecœur.

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— Je crois tout de même que nous aurions dû emmener Harold, lança Rose avec un sourirediabolique.Ilauraitfacilementpulecastrer.Paulinericana,puistenditunpiedpourdonnerunpetitcoupsurlajambedeRose.Roseluirendit

soncoupdepied.Paulineplissalesyeuxetfronçalessourcilsd’unairdiabolique.—MachèreRose,pourquelqu’unquial’airsiinnocent,tuasl’espritbientordu.Rosehaussalesépaulesetlâchalesmainsd’ÉvaetdePaulinepourcoincersoussacasquetteune

mèchedecheveuxrouxépars.—Mamèreetsonépouxlubriquem’ontapprisànecomptersurpersonneetàfairelenécessaire

pour survivre. Si ça implique dem’amuser un peu aux dépens des hommes et de leurs bijoux defamille,ehbien,jenem’enexcuseraipas.L’imagefitsourireÉva.Peut-êtrequelaisserRosecastrerlecomtefoun’étaitpasunesimauvaise

idée. Ilméritait une bonne punition et la castration l’empêcherait à l’avenir d’abuser sexuellementd’autresfemmes.—Silebesoindevaitsefairesentircesoiretquelecomtedevaitêtrepuni,jeteprometsquece

seratoiquibrandiraslecouteau,Rose.Évaattenditquelesriresembarrasséssesoienttus.—Maintenant,mettons-nousautravail.Nousavonsunebatailleàpréparer.

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CHAPITRE17

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SophieetRoseréussirentàtrouverdespantalons,deschemisesetdesbottespourNoëlleetÉva.Évaneleurposapasdequestionsenenfilantetenlaçantbienserrélesbottestropgrandes.Leurscrimess’accumulaientet,d’icilafindelasoirée,ilssemultiplieraient.Demain,elles’assureraitquetouslesvêtementsempruntéssoientrendus.Évaenlevaseslunettes,maisgardasaperruque.Lescourtisanesnelaconnaissaientpasautrement

etsavivecouleurdecheveuxrisquaitd’attireruneattentionindésirable.—Nous chercherons unmoyen de nous faufiler dans l’abbaye et demonter l’escalier, dit Éva.

MonsieurCrawfordaapprisquelafemme,quenoussupposonsêtreYvette,estcachéequelquepartaudeuxièmeétage.Nousdevonsprierpourquelecomteaitlesommeilprofond.—Laprudenceestlaseulefaçondenepasnousfaireprendre,ajoutaNoëlleenselevant.Avec ses cheveux remontés en un chignon serré, on pouvait presque la prendre pour un jeune

hommesionétaitassezloinetquelalumièren’étaitpastropvive.Envérité,aucuned’entreellesnepouvait se permettre d’être observée de trop près. Elles avaient trop de courbes pour que leurscostumessimpleslesdéguisentefficacement.Évafrissonna.Elleavaitenviederassemblersasœuretsescourtisanes,etdequitterlevillagepar

lepremiercarrossedumatin.Àcaused’elle,ellesétaienttoutesendangeretelleétaitmortedepeur.Maisc’étaitleurchoixetellenepouvaitpaslesempêcherdevouloiraiderYvette.Ellesedirigeaverslaporte.—Prêtes?L’abbayen’étaitpas loin,maisdans l’obscuritéetavec la terreurquiaugmentaitàchaquepas, la

marchesemblas’étireràl’infini.Àchaquebruissementdefeuilleshumidesendécompositionoucrid’animal nocturne, les genoux d’Abigail et de Rose s’entrechoquaient de frayeur.Même Éva, quin’avait pas l’habituded’avoir peurune fois la nuit tombée, sursauta àplusieurs reprises lorsqu’unbruissementsefaisaitentendreàproximité.La tensionmonta àunpoint tel qu’elles envinrent toutes àvoir de sombres silhouettesderrière

chaquearbreoubuisson.Lorsquelaflèchedel’abbayefinitparapparaîtresousunfincroissantdelune,Évafuttellementsoulagéequetoussesmusclesserelâchèrent.—Croyez-vousqu’iladeschiens?chuchotaSophie.—Espéronsquenon,réponditNoëlle.Elles se turent, tendant l’oreille. Comme elles n’entendirent pas d’aboiements, Éva les conduisit

prudemment le long de l’allée.Après qu’elles eurent dépassé le derniermassif d’arbres, l’abbayeapparutenentierdevantelles.—C’estmagnifique,ditPaulineensesignant.Lebâtiment était constituéd’unblocdepierre de trois étages dehauteur, trois très hauts étages,

auquel plusieurs ailes avaient été ajoutées un certain temps après l’achèvement de la structured’origine.Lorsqu’ilavaitétéconstruitàlafinduquinzièmesiècle,ilavaitabritéunpresbytèreainsiqu’uncouvent.Environdeuxcentsansauparavant,ilavaitétéconvertienrésidenceprivée.—Bontédivine,hoquetaRose.NousnetrouveronsjamaisYvettelà-dedans.—Ayezconfiance,mesdemoiselles,chuchotaÉva.Ilétaitminuitàpeinepasséetlamaisonnéeétaitendormie.Pasuneseulechandellenebrillaitàune

fenêtre.Elleinterprétacelacommeunbonprésage.—Commenoussommessix,nousnoussépareronsengroupesdedeuxetchaquegroupefouillera

unepartiedel’abbaye.J’iraiavecAbigail,NoëlleiraavecRoseetSophie,avecPauline.Aumoindresignededanger,quittezimmédiatementl’abbayeetrentrezàl’auberge.

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Lescinq femmeshochèrent la tête.Évapritun instantpour rassemblerunpeu soncourage.Ellesentitmonterunevagued’affectionen regardantsabandedevauriennes.Elleavaitenviedeserrerchacune d’elles dans ses bras jusqu’à leur écraser les côtes. Elle pria plutôt en silence pour leursécurité.Rose etAbigail étaient les plus agitées des six et Éva savait queNoëlle et elle auraient un effet

apaisantsurlesdeuxfemmes.—L’hystérie n’a pas sa place dans de telles circonstances, dit-elle fermement. Si l’une de vous

préfèreattendredehors,dites-lemaintenant.Unefoisàl’intérieurdel’abbaye,ceseratropdangereuxpours’enfuirprisedepanique.Mêmedanslapénombre,Évavitl’ombred’unehésitationsurlesvisagesd’Abigail,dePaulineet

deRose.Mais elles hochèrent la têtemalgré tout.Elles étaient arrivées jusqu’ici ensemble et ellesvaincraientensemble.Etmauditsoitlecomtefou.—Restezgroupées.Évalesguidaensilencejusqu’àl’arrièredel’abbayeenrestantprèsdesmursetdel’ombrequ’ils

projetaient.ÉvaetNoëllecherchèrentetfinirentpartrouverunepetiteportedéverrouilléeàl’endroitoùl’unedesailesétaitreliéeàlastructured’origine.Il restait à savoir où la portemenait. Construits lors d’une époque de troubles, plusieurs vieux

édifices possédaient des portes et des passages secrets par lesquels échapper auxmaraudeurs. Évaouvritdoucementlaporteetseglissaàl’intérieur;lapièceétaitvisiblementlacuisine.Aprèsavoirpris un instant pour tendre l’oreille au cas où quelqu’un se serait déplacé dans l’obscurité, elle fitsigneauxautresfemmesdelarejoindre.Lescourtisanesseblottirentlesunescontrelesautrespourseréconforter.Évascrutaleursvisages

l’unaprèsl’autre.Ellesavaitqu’ilsuffiraitd’ungrincementdeporteoud’uncraquementdeplancherpour qu’aumoins lamoitié de son armée s’enfuie comme si leurs vêtements empruntés étaient enflammes.ÉvaattiraNoëlleàl’écart.—Jecommenceàavoirdesdoutes,masœur.Jecroisquenousferionspeut-êtrebiende laisser

Rose etAbigail à l’extérieur.Elles sont nerveuses et sur le point de craquer.Un seul cri suffira àréveillerlamaisonnéeetnousnousferonsprendre.Noëlleregardapar-dessusl’épauled’Évaetgrimaça.— Je crois que tu as raison. Peut-être devrions-nous les laisser dehors pour faire le guet. Elles

pourraientcriersiellesvoientquelquechosequicloche.Ellesrejoignirentlesautresfemmes.Lasuggestionavaitàpeinequittéleslèvresd’Évaqu’Abigail

etRoseseprécipitèrentparlaporteouverte.Commeilnerestaitplusquequatresauveteuses,ÉvafitéquipeavecSophieetPauline,avecNoëlle.

Les quatre femmes se tinrent lesmains et dirent une brève prière silencieuse avant de se séparer.NoëlleetPaulinemontèrentl’escalierdeservicedelacuisinetandisqu’ÉvaetSophiesedirigeaientdoucementverslehall.Lalunesortitdederrièrelesnuagesetprojetasalumièreàtraverslesvitraux.Elles étouffèrent leurs exclamations derrière leurs mains gantées. Il s’agissait d’une véritable

abbaye.Lehautplafondbombés’étendaittoutlelongduhallmassif,dontleplancher,supposaÉva,devait être formé de carreaux de verre coloré disposés de manière à former une mosaïque. Descolonnesétaientalignéesdanslagrandepiècequiavaitsansdoutedéjàcontenudesrangéesdebancsainsiqu’unautelàl’autrebout.L’abbayedeHighlandconstituaitunvéritabletrésor.

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— Il est impossible de croire qu’un homme si ignoble possède une demeure si magnifique etsacrée,chuchotaÉvaensepenchantversSophie.Lesangesdoiventpleurerdevantunetelleinjustice.Lorsque la lune retourna se cacher, le hall fut plongé dans un silence sinistre et une obscurité

presque totale. Éva était persuadée que, si elles écoutaient attentivement, elles pourraient entendrederrièrelescolonnesetdanslesombresleschuchotementsdesespritsderésidentsdepuislongtempsdécédés.Ellesecoualatêtepourseclarifierlesidées.—Nousdevonsfairevite,dit-elledoucement.Illeurfallutplusieurstentativesratéesavantdetrouverunescalier.Elless’arrêtèrentsurlepalier

dudeuxièmeétagepours’orienter.Ducôtégauchesetrouvaientdesportesetducôtédroit,plusieurspetitsbalconsquidonnaientsur lehall.SophieetÉvasedirigèrentvers labalustradepour jeterunbrefcoupd’œilauvastehallau-dessous.— Je crois que l’escalier de la cuisine mène du côté sud de l’abbaye. Nous devrions donc

commencerparici.Évaregardaverslehallpourcompterlesportes.Ilsemblaityenavoirunebonnedouzaine.—Impossibledesavoirlaquelleestlachambredemonsieurlecomte.—Regardonss’ilyaune lueursous laporte, réponditSophieàvoixbasse.Parunenuit fraîche

commecelle-ci,ilaurafaitallumerunfeu.Évaexpirad’uncoup.—Excellent.UngrandsourireilluminalevisagedeSophie.—J’aiplutôtl’habitudedemedéplacerendoucedansl’obscurité.Monpremieramantm’avaitfait

embauchercommedomestiquedanssonmanoir.Iltrouvaitçaexcitantdebatifoleravecmoidanslabibliothèqueensachantsonépouseunétageplushaut.Secouant la tête avec dédain, Éva tenta de s’imaginer en train d’épousseter le manteau de la

cheminéedeCollingwoodHouselejouretdefolâtrerdanslegarde-mangerlanuitavecmonsieurleducpendantqueLucydormiraitentoutequiétudedanslelitconjugal.Ellenelepermettraitjamais.EllenepourraitjamaispartagerNicholas.Ellesejuraquelejouroù

ilauraituneduchesse,ilnel’auraitplus.—Ilfaudratouteslesvérifier.ÉvaetSophies’attelèrentàlatâched’ouvrirtouràtourlesportesdetouteslespièces.Leurscœurs

s’arrêtaientchaquefoisqu’ungondrouillégrinçaitouqu’une lattedeplanchercraquait.Toutefois,aucunealarmeneretentitdansl’obscurité.La plupart des pièces étaient sombres, à l’exception du clair de lune qui entrait par les fenêtres

étroites.Unelueurfiltraitsousl’unedesportes,maislorsqu’ellesl’entrouvrirentpourjeteruncoupd’œil,ellestrouvèrentdanslelitunhommeetunefemmed’âgemûrquidormaientenproduisantdesronflementsétouffés.Letempsd’atteindreleboutducouloir,Évaavaitlesmusclesendolorisàforcedemarchersurla

pointedespieds.Elleétaitgeléejusqu’auxosetavaitlesmainsetlesorteilsengourdis.—Yvettepourraitêtrepartoutetnullepartàlafois,dit-elleensetournantversSophieaprèsavoir

referméladernièreporte.Ilyacertainementunecaveetplusieursdépendancesaussi.Nouspourrionscherchertoutelanuitsanspourautantdécouvrirtouslesrecoinscachésnitouteslespiècessecrètes.—NoëlleetPaulineontpeut-êtreeuplusdechance, réponditSophied’unevoix toutaussibasse

quecelled’Éva.

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Lesdeuxfemmessuivirentlabalustradejusqu’àl’ailesudettendirentl’oreille,àl’affûtdebruitsquitrahiraientlaprésencedesautresfemmes.Paslamoindrelueurnefiltraitsousaucuneporte;Évasedemandasilecomteétaitabsent.—Ilestpossiblequ’ilait faitdisparaîtreYvette,si jamais il l’adéjàdétenue, répliquaÉvad’une

voixtendue.Lafemmesoi-disantcachéeicipourraitêtrequelqu’und’autre.—Attendez,j’entendsquelquechose.Sophie pointa vers le fond du couloir.Des voix étouffées leur parvinrent. Elles se donnèrent la

mainetavancèrentprudemmentdequelquespas.Leschuchotementsfébrilessefirentdeplusenplusfort.ÉvamitunmomentàreconnaîtrelavoixdeNoëllederrièreuneporteclose.—Noëlle?Lesdeuxvoixseturent.Laportes’ouvritdoucementetlevisagepâledeNoëlleapparut.—Éva,mercimonDieu.Nous pensons l’avoir trouvée, dit-elle en tirant Éva et Sophie dans la

pièceavantderefermerlaporteetdelaverrouiller.Noëlle se précipita vers la cheminée et les autres la suivirent. Elle pointa, à gauche de l’âtre en

pierre,unpanneauenboisdontlatexturedifféraitàpeinedecelledesautrespanneaux.—Nousavonsentenduquelquechosequiprovenaitdelà,ainsiqu’unbruitquiressemblaitàdes

pastraînants.Nouspensonsqu’ils’agitd’unpassagesecret.—Sepourrait-ilqu’ils’agissederats?s’enquitÉvaenfrappantsurlepanneau.Unpetitcouinement,quineressemblaitenrienàceluid’unrat,retentit.Ellepressal’oreillecontre

lebois.—Yvette?Ungémissementsuivit.—Yvette!chuchotasèchementÉva.Donnedeuxcoupssituvasbien.Deuxcoupsretentirent.SophieetPaulinesejetèrentdanslesbrasl’unedel’autreetsebalancèrent

gaiement d’avant en arrière. Éva tâtonna autour d’elle à la recherche d’un verrou.Cependant, sonenthousiasmese refroidit lorsqu’elle trouvabel etbienune irrégularitédans laporte, ainsiqu’uneserrure. Elle eut beau manœuvrer le métal du bout des doigts, cela ne relâcha aucunement lemécanismedeverrouillage.—Mesdemoiselles,nousdevonstrouveruneclé.Quatre paires demains semirent à fouiller frénétiquement la pièce. Pauline faillit renverser un

vase,maislerattrapajusteavantqu’ils’écraseausol.Ellearboraunpetitsourirepenaud.Évapressal’oreillecontrelaporte.Ellecrutentendredespleursétouffés.—Calme-toi,Yvette.Nousallonstesortirdelà.—Iln’yarien,chuchotaNoëlle.—Ildoityavoiruneclé,sifflaÉvaenfouillantlacheminéeetsonmanteau.Rien.—Nousnepouvonspasenfoncerlaporte.—Attendez,peut-êtrepuis-jemerendreutile, intervintSophieenôtantsacasquetteetenretirant

plusieurs épingles de ses cheveux.Mon père était un voleur. Quand j’étais enfant, ilm’a appris àforcerdesserrures.Ilyadesannéesquejen’aipaseuàmeservirdecetalent.Éva,NoëlleetPaulineladévisagèrent.Sophiesouritd’unairdésabusé,puishaussalesépaules.—Sivousnemetrouvezpasd’époux,jepourraitoujoursmetournerverslecambriolage.PaulineravalaunéclatderiretandisqueSophiesetournaitpours’agenouillerdevantlepanneau.

Éval’observaattentivement.Sescourtisanesnecesseraientjamaisdel’étonner.—As-tudéjàforcéuneserruredansl’obscurité?luidemandaÉva.

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—J’arrivais à le faire les yeux bandés.Mais il y a presque vingt ans qu’il est décédé, réponditSophie, qui prit unmoment pour tâter la serrure du bout des doigts avant de semettre au travail.J’espèrequejepourraimesouvenirdecequ’ilm’aenseigné.—Faisdetonmieux,l’encourageaNoëlle.PaulineetNoëllesetenaientlesmainstandisquelebruitétouffédesépinglesàcheveuxcontrele

métaltroublaitlesilence.Évasavaitqu’ils’agiraitd’unmiraclesicettemanœuvrefonctionnait,maiselleétaitconvaincuequequelqu’unveillaitsurelles.Il fallutplusieurs tentatives ratéesavantqu’uncliquetis résonne finalementdans lapetitepièceet

queSophiebondissesursespieds.—J’airéussi,dit-elledoucementavantdeleverlesyeuxversleciel.Merci,papa.Avecl’aided’Éva,elleouvritgrandlaporte.Ligotéesurunechaisecontrelemuretvêtueuniquementd’unefinechemiseetd’unepairedebas,

Yvettepleuraitensilence.Elleétaitbâillonnéeettiraitsursesliens.Évaseruaverselleets’agenouillaàsespieds.—Toutdoux.Nousallonstelibérer.Ellecommençaàdétacherundespiedsd’YvettependantqueNoëlleetSophies’occupaientdeses

mains.Paulineétreignitdoucementlecoud’Yvettependantuninstant,puisdéfitsonbâillon.Quelquesminutesplus tard, elle était libre.Elle chancela lorsqu’Éva,Pauline etSophie l’aidèrent à se lever.Ellesl’étreignirentbienforttandisqueNoëlleobservaitl’heureuseréunion.—Noussommessiheureusesdeterevoir,chuchotaÉva,lesjouesbaignéesdelarmes.ElleretintYvetteparlesdeuxbraslorsquecelle-civacillaetlaregardadroitdanssesyeuxrouges.—Nousétionssiinquiètes.SophieetPaulinereculèrentpourlaisserrespirerYvetteetdonneràÉval’occasiondel’examiner.

Ellenemontraitpasdesignesexternesdeblessures,maiscertainescicatricesétaientinvisibles.Dieuseulsavaitàquelpointelleavaitétémaltraitée.—Mercid’êtrevenuemechercher,mademoiselleÉva.Voustoutes,sanglotaYvette,traumatisée.Detoutessesélèves,Yvetteétaitcelleà laquelleÉvaavaiteu leplusdemalàs’attacher.Maisau

coursdessemainesqu’ellesavaientpasséesensemble,lacourtisaneendurcieavaitlaisséÉvapercerquelques-unes de ses carapaces et lui avait montré un soupçon de vulnérabilité. Peu avant sonenlèvement,Évaetelleavaientbâtiunefragilecamaraderie.Elleespéraitquecelacontinueraitainsi.Évaluicaressalevisage.—Ilfallaitquenousvenions,dit-elleavantd’étreindreYvetteànouveau.Ellesseserrèrentfortdansleursbras.Noëllefinitparposerlamainsurl’épauled’Éva.—Nousdevronsgarderlesretrouvaillespourplustard.Nousferionsmieuxdequitterl’abbayeen

vitesse,avantdenousfairerepérer.L’uneàdroiteetl’autreàgauched’Yvette,ÉvaetSophiel’aidèrentàsortirdelapièceetàavancer

danslecouloir.— J’ai les pieds engourdis à cause des liens serrés, murmura Yvette. Ils picotent, maintenant.

Donnez-moiuninstantetjedevraispouvoirmarcherseule.Avec leur aide, Yvette arriva peu à peu à se tenir plus solidement sur ses jambes. Elles avaient

presqueatteintleboutducouloirlorsquelalumièred’unechandelleperçal’obscuritéderrièreelles.Subitement,lescinqfemmess’arrêtèrentetfirentdemi-touràl’instantoùunhommetournaitlecoin.L’inconnuquitenaitlachandelles’immobilisa.—Quesepasse-t-ilici?

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Lalumièrevacillantedonnaunéclatdémoniaqueàsonvisagefurieux.Ilsemblaittoutaussioutrédelesvoirblottiesensembledanslecouloirqu’ellesétaientchoquéesdelevoirvêtuuniquementd’unpantalonetdebottessoussonbedonblancnu.Yvettegémit.—C’estmonsieurlecomte.Évafutlapremièreàseressaisir.—Courez!SophieetellefirenttournerYvette,puislatraînèrentplusqu’ellesnelaportèrentjusqu’àl’escalier.—Arrêtez,hurlalecomte.Despasbottésmartelèrent le sol à toutevitessederrière elles.Elles entendirentungrand fracas,

puislabougies’éteignit.Degrosjuronssuivirent.Sanschandelle,ilétaittemporairementaveugléparl’obscurité.YvettependaitlourdemententreSophieetelle,maisÉvasentaitàpeinesonpoids.Uneterreursans

noms’emparad’elleetellen’arrivaitàpenseràriend’autrequ’auxsonsdemonsieurlecomtequilespoursuivaitetàleurgroupequiaspiraitàlaliberté.—Plusvite,criaÉva.Sophie s’agrippa à la rampe lorsqu’elles trébuchèrent dans les premièresmarches de l’escalier.

Paulineempoignaledosdelachemised’ÉvatandisqueNoëlleattrapaitlaceinturedeSophiepourlesempêcherdetomber.—Nousysommespresque!Paulinepoussauncrilorsqu’ellesatteignirentladernièremarchedel’escalieretdéboulèrentdans

lehall.Lecomten’étaitqu’àquelquespasderrièreellesetlesrattrapait.Évaseretournapours’orienterethoquetaenheurtantquelquechosedemassif.LeregardsévèredeNicholasétaitfixésurelle.—Nicholas!Pasletempsdeposerdesquestions.IlattrapaSophieetlespoussa,Yvetteetelle,endirectiondela

cuisine.Noëlle etPauline les suivirent en courant. Il pritÉvapar lamain et l’entraînaderrière lesautresfemmesàl’instantoùlecomteatteignaitladernièremarcheets’arrêtaitpéniblement.Le comte cria un nom, puis, quelque part dans l’immense hall, une voix répondit. À côté de

monsieurleduc,Évaaccéléra.Elleaperçutlesfemmesquisortaientencourantparlaporteouvertedelacuisine.Nicholasralentitaumomentoùilsseprécipitaientsurlapelouse.Ilsfirentunepauseletempsdetrouverlesautresfemmes,cequidonnaaucomtetoutjusteletempsdelesrattraper.LâchantbrusquementÉva,Nicholasseretournapouraffronterleuradversaire.LecomteregardaNicholasenplissantlesyeux;sarespirationétaitdifficileetsacolère,évidente.—Jevousconnais,dit-ilenavançantd’unpas.Stanfield?—Maddington.BienqueNicholasdépassâtlecomted’unepaume,celui-ciétaitpluslourdd’aumoinsdouzekilos,

dontlaplupartétaientsituésautourdelataille.—Rendez-moiYvetteetnousoublieronsquevousêtesentréchezmoipareffraction,ditlecomte

fouenseredressantdetoutesahauteuretenserrantlespoings.—Elleestmaintenant sousmaprotection, réponditNicholasen tendant lebraspourarrêterÉva

lorsqu’ellebonditverslecomte,bouillantederage.Etelleyrestera.Évaeutunétourdissementtantelleétaitsoulagée.EllenesavaitpascommentNicholasétaitarrivé

jusque-làniquellesétaientsesintentionsàsonégard,maisilétaitvisiblementvenupourelleetpoursecourirYvette.

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Heureusement, lecomten’avaitpas lepouvoirdereprendreYvette.LordMaddingtonn’était riencomparé à son duc robuste et puissant. Le cœur d’Éva fut submergé par une vague de tendresseenverssonpreuxchevalier.— Vous avez l’intention d’utiliser votre rang, monsieur le duc ? demanda le comte d’un ton

méprisant.Jeseraisparfaitementendroitdevousfairefusiller.Commentaurais-jepudevinerquelevoleurétaitunpair?Maddingtonjetauncoupd’œilàÉvaetilsepassalalanguesursalèvreinférieure.—Jeseraitrèsheureuxd’apprendreàcettegueuseànepasmecontrarier.Un grognement sourd jaillit de la gorge deNicholas, qui se jeta sur le comte.Les poumons du

comtesevidèrentavecun«ouf» lorsqueNicholasenfonçasonépauledanssonventremouet lesdeuxhommestombèrentausol.NicholasserelevalepremieretdonnauncoupdepoingaumentondeMaddingtontandisqu’ilserelevait.Maddingtonreculaentitubant,secoualatête,puischargea.Labataillefutviolenteetbrutale.Lespoingstouchaientleurcibleavecuneprécisionetunevitesse

alarmantes.CefutàpeinesiÉvaserenditcomptequeNoëlleavaitposélamainsursonépauleaprèsqueSophieetelle furentsortiesde l’obscuritépourregarder lecombat.Nicholasreçutuncoupauvisageetréponditparuncoupdepoingdansleventreducomte.L’hommesepliaendeuxettombaàlarenverse.Nicholas l’attrapapar lebraset leva lepoing.Uncoupde feu retentitetNicholas fitunbonden

arrière. Il réussit tout juste à garder l’équilibre et releva brusquement le comte à l’instant où undeuxièmecoupdefeudéchiraitlanuit.Lecomtes’affaissaenhoquetant.NicholaslâchaMaddington,quis’écrasaausol.Regardant en direction d’un mouvement aperçu sous un arbre, Éva vit un valet, les yeux

écarquillés,fixerleseffusionsdesangetlecomtequigisaitinerteauxpiedsdeNicholas.Ilémitunfaiblegémissement,laissatomberdeuxpistoletsets’enfuitencourant.—Nicholas!Évacourutjusqu’àluietlerejoignitjusteàtempspourl’empêcherdetomber.Unetachesombre

s’étendaitsoussaveste.—Oh,Nicholas!Quelqu’uns’approchaaupasdecourse.—Danslecarrosse,ordonnaHarold.NoëlleetSophies’éloignèrentenvitesse.Ils’approchad’Évaetl’écartadoucementtandisqueles

yeux de Nicholas commençaient à rouler dans leurs orbites. Attrapant Nicholas sous les genoux,Haroldlesoulevapourlehissersursalargeépaule.IlnevacillapassouslepoidsinertedeNicholas.Éva, les joues brûlantes de larmes, passa les mains dans les cheveux bruns de son amant. Elle

l’aimaitet,maintenant,ellerisquaitdeleperdre.—Jevousenprie,Harold,nelelaissezpasmourir,lesupplia-t-elle.

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CHAPITRE18

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Haroldportamonsieurleducjusqu’aucarrossequilesattendait.ÉvaetNoëllel’aidèrentàmonterleducblesséàl’intérieur,oùlesautresfemmesétaientblottieslesunescontrelesautresdansl’habitacleexigu. Tout le monde avait les yeux écarquillés de terreur devant la manière terrifiante dontl’opérationdesauvetages’étaitterminée.YvettepleuraitdoucementdanslesbrasdeSophie.Lecomtefouétaitmort.Ilavaitétéabattu,accidentellement,parl’undesespropresvaletsquiavait

tentédetuerNicholas.SavoirqueLordMaddingtonnepourraitplussevengern’offraitquepeuderéconfortàÉvapourl’instant.EllesoulevalespiedsdeNicholaspourlesposersurlebancetsentitlepoids de leur inertie. Le fait qu’il respire faiblement l’empêcha de sombrer complètement dans ledésespoir.Ilétaitvivant,maispourcombiendetemps?Elleravalases larmes.Sonvisageétaitsipâle.S’ilmourait,ceseraitdesafaute.Siseulement il

étaitrestéàLondresetl’avaitlaisséesauverYvetteseule.LorsqueNicholasfutinstallésurlesiège,Évas’agenouillaàsescôtésetouvritsavestepouravoir

unmeilleuraperçudelablessure.Leclairdelunerévélanettementqu’ilperdaitbeaucoupdesang.—Oh,ciel,fitAbigailens’éventantlesjouesdelamain.—Situperdsconnaissance,Abigail,jetejetteenbasducarrosse,ditNoëlled’untonbrusque.Abigailluilançaunregardnoir.—NousdevonsêtrefortespourÉvaetsonduc.—Unduc?couinaAbigaild’unepetitevoixaiguë.Nousavonsétésecouruesparunduc?Deschuchotementsétoufféssuivirent.Évan’yfitpasattention.Samainétaitappuyéesurlablessure

et du sang lui coulait entre les doigts. Harold déchira la chemise de Nicholas afin de pouvoirexaminer le trou de balle de plus près. Le contour irrégulier de la plaie provoqua des hoquets destupeur.— Il vamourir en sevidantde son sang, criaÉva lorsqu’Harold s’agenouilla à côtéd’elle. Il a

besoind’unmédecin.—Ducalme,Éva.Lapaniquen’aiderapastonhomme,réponditHaroldentâtantdoucementautour

delaplaie.Enlève-luisonfoulard,poursuivit-ilenexerçantunepressionsurlablessureavecsamain.Nousdevonsarrêterl’hémorragie.Nousnousoccuperonsdelaballeplustard.ÉvaôtarapidementlefoulardduducetletenditàHarold.Ilplialetissutrèsserréetl’appliquasur

laplaie.—Passelamaindanssondospourvérifiersilaballeestressortie.Elleglissalamainsousleducettâtaduboutdesdoigts.Iln’yavaitpasdesang.—Jenesensrien.Lesmotsrestèrentcoincésdanssagorge.Nicholasétaitsifortetinvincible.L’idéedeleperdrela

terrifiait.—Laballedoitêtretoujoursàl’intérieur.Harold bourra la plaie, déchirant au fur et à mesure des bouts de la chemise de Nicholas. Le

pansementétaitgrossier,maisefficace.Ilsnepouvaientpasretournerchercherdel’aideàl’abbaye.Pasaveclecomtequigisait,mort,surlapelouse.Unemainse tenditvers le frontd’Éva. Il lui fallutun instantpourse rendrecompteque lamain

appartenaitàmonsieurleduc.Ellelevalesyeuxetscrutasonvisageauclairdelune.Soncœurfitunbonddanssapoitrine.Ilavaitlesyeuxfermés,maislescoinsdesabouches’étirèrent.—Jehaiscetteperruque.Pleurantetriantà lafois,Éval’ôtadesa tête.Lamasseemmêléedesescheveuxcascadasurses

épaulesetrecouvritlamainduduc.Deschuchotementss’élevèrentunefoisdeplus.Lescourtisanesn’avaientjamaisvuÉvasanssondéguisement.

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—Jelabrûleraidemain,jevouslepromets.Unsanglots’échappadesagorgelorsqu’ilpassalesdoigtsdanssescheveuxentoussant.Elleprit

samainlibrepourlaposersursajoueetembrassasapaume,lamouillantdeseslarmes.— Ce n’est pas le moment de craquer, mon cœur. J’ai besoin de ma vieille fille fougueuse

maintenant.NicholasentrouvritlespaupièresetÉvasentitsoncœurseserrer.Sonregardintenseavaitperdude

sonéclat.C’étaituntrèsmauvaissigne.—OùestMaddington?—Mort,réponditHarold.Auloin,unchienaboyaetHaroldaccéléralemouvement.Lamaisonnéeenentierdevaitavoirété

réveillée par les coups de feu. La confusion leur donnerait quelques précieuses minutes pours’assurerqueNicholasétaithorsdedangerdansl’immédiat.Nicholashochalatête.Samainglissadescheveuxd’Éva.—Sijesurvisàceci,jeremercierailevalet.Évapritsonvisageentresesmains.Sapeauétaitfraîcheautoucher.—Vous survivrez. Je refuse qu’il en soit autrement, dit-elle en se penchant pour poser un doux

baiser sur ses lèvres légèrement entrouvertes. Je n’ai pas terminé deme venger de votre conduiteintolérable.J’aiencoretouteunelistedeméthodesdetortureàfairepleuvoirsurvotretêtearrogante.Unpetitsourireplissalentementlescoinsdesesyeux.—Danscecas,j’attendraiavecimpatiencelesannéesdesouffrancesàvenir,madame.Il s’effondra sur les coussins rembourrés et ferma les yeux. Éva gémit et tendit la main pour

appuyerlesdoigtssursoncou.Elleeutl’impressionquesoncorpssevidaitdesonsangjusqu’àcequ’ellesentelepoulsdeNicholasauboutdesesdoigts.—Continuezdecomprimerfermementlefoulardsurlaplaie,ditHaroldendescendantducarrosse

envitesse.Ilfautquejenousconduiseensécuritéloind’ici.Dequelquepartdansl’obscurité,uncrileurparvint.Desgensdevaients’êtrelancésàlarecherche

dumeurtrierducomte.Lamaisonnéeseraitpaniquée.Lavoituretangualorsqu’Haroldgrimpasurlesiègeduconducteuretdonnal’ordreauxchevauxd’avancer.Lecarrossecahota,projetantÉvasurlesfesses tandis que les autres femmes étaient blotties les unes contre les autres sur l’autre banc.ÉvarepritrapidementsapositionàgenouxpourcomprimerlaplaiedeNicholas.—C’estunhommefort,Éva,ditNoëlle,quitenditlamainpourlaposerdefaçonréconfortantesur

sonbras.Illutterapourlui-mêmeetpourtoi.Évaseremitàpleurer.Ellesentitdechaudsruisseletscoulersursesjoues.—Jenepeuxpasvivresanslui,Noëlle.Jel’aime.Noëllelarejoignitausoletpassaunbrasautourdesesépaules.—Jesais,trèschère,répondit-elleenmettantunemainsurcelled’Évadesortequ’ellesappuient

touteslesdeuxfermementsurlepansement.Nouslutteronspourluiensemble,masœur.Un hoquet de surprise suivi de murmures interrogateurs retentit derrière elles. Découvrir non

seulementqueleurmademoiselleBlackportaitundéguisement,maisaussiqu’elleétaitparenteavecNoëllefutunchocpourlescourtisanes.Unautredessecretsd’Évavenaitd’êtrerévélé.Pour l’instant, elle s’en moquait. Elle pourrait démêler tout cela lorsque Nicholas recevrait les

soinsd’unmédecin.Ilspassèrententrelesarbresetrejoignirentlaroute.Leclairdeluneinondalecarrosse.— Je le connais, s’exclama Sophie, le souffle coupé, quelques instants plus tard. Il s’agit de

monsieurleducdeStanfield.Jel’aidéjàvusepromeneràchevalauparc.

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Évasavaitqu’ellenepourraitplusgardersessecrets.Sescourtisanesétaienttropintelligentespouravalerdesmensongesboiteux.Avantqu’elleaitpuremettredel’ordredanssesidéesettrouveruneexplicationraisonnable,Noëlletournalatête.—MademoiselleÉvaestmasœur,dit-elled’untonbrusque.JesuisLadyNoëlleSeymour.Nous

nous sommes connues tout récemment. Monsieur le duc et ma sœur sont, euh, amis. Je vousdemanderaisdoncdebienvouloirmettreuntermeàvosspéculationsinfernalesjusqu’àcequ’ilsoithorsdedangeretqu’ons’occupedelui.Misàpartlesgrincementsetlescrissementsdelacourseeffrénéeducarrosseainsiquelesordres

qu’Harolddonnaitauxchevaux, lesilencerégnait.Desheuressemblèrents’êtreécoulées lorsqu’ilss’arrêtèrentenfin.Évaavaitlesjambesengourdiesd’êtrerestéeaccroupieetsesmainspicotaientlàoù elles appuyaient sur la plaie.Harold descendit et ouvrit brusquement la portière. L’espace d’uninstant,avantqu’Haroldgrimpedanslecarrosse,ellevitlalumièred’uneseulelampeàl’extérieurd’unevastedemeure.—Oùsommes-nous?demanda-t-elle.—Nousauronstoutletempspourlesexplicationsplustard,réponditHaroldensepenchantpour

souleverNicholasdusiège.Ilfallutquelquesmanipulationsmaladroitesavantqu’Éva,NoëlleetHaroldarriventàsortirleduc

ducarrosseetàlehissersurl’épauledecedernier.Unvieilhommequiportaitunechemisedenuit,une casquette et d’épaisses lunettes plissa les yeux sous la lumière de la lampe tandis que tout lemondedescendaitducarrosseenmasse.—Monsieurlebaron?Haroldlefrôlaenpassantàcôtédelui.—Envoyezchercherunmédecin.Les femmes se hâtèrent derrièreHarold tandis qu’il se dirigeait vers un grand escalier. Tout ce

qu’Éva fut enmesure de remarquer en suivant son domestique pas à pas, c’était que lamaison nesemblaitpasentrèsbonétat.Ellenepouvaitqu’espérerquelespropriétairesdumanoirnerefusentpasdevenirenaideauxneufinconnusquivenaientd’atterrirsurlepasdeleurporte.Harold fit une courte pause au sommet de l’escalier, puis tourna à droite et se dirigea vers une

pièceauboutducouloir.Ilouvritlaported’uncoupdepied,portaNicholasjusqu’aulit,puisleposasur le couvre-lit bleu. Le vieux domestique apparut dans l’encadrement de la porte et se frayaimpatiemmentuncheminàtraverslegroupedefemmes.—J’aienvoyéchercherlemédecinetdeschambresontétépréparéespourvosinvitées,monsieur

lebaron.Iljetauncoupd’œilpar-dessussonépauleverslesjeunesfemmeshabilléesenhommesetcligna

desyeux.—Dois-jeconduireles,euh,damesàleurschambres?—Oui,merci,Edgar.Etvoyezàcequ’onleurserveàmanger.HaroldseretournaversNicholasetcommençaàluienleversachemise.—Apportez-moidel’eauetdequoifairedespansements.—Oui,monsieurlebaron.—Monsieurlebaron?demandaÉvaenfixantHarold.C’était la troisième foisqu’on s’adressait à luide la sorte. Il évita soigneusement son regard en

arrachantlepansementpourexposerlablessure.Ellelerejoignitsurlelit.—Cethommen’amanifestementpastoutesatête,répondit-ilsèchement.

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Évan’avaitpas le tempsd’insister.S’occuperdeNicholasétaitdevenusapriorité.Haroldetellenettoyèrent la plaie. Il n’y avait plus qu’un filet de sang qui s’en écoulait tandis que le contourcoagulait. Quelque part en marge de son esprit épuisé, elle capta la voix d’un garçon qui avisaitHarold que le médecin assistait un accouchement difficile et qu’il ne savait pas quand il pourraitvenir.Haroldhochalatêted’unairsombreetrenvoyalegamin.Lestraitstirés,ilrevintverslelit.—Ilvafalloirenleverlaballenous-mêmes.Évasecoualatête.—Ilesthorsdequestionquemonsieur leducmeurependantunechirurgie ratéeque j’aiaidéà

pratiquer.Ildoityavoirunautremédecin.Elletâtalaplaieetsentitlaballesouslapeau.Dieumerci,ellenes’étaitpasenfoncéeplusprofond.Haroldlaregardadanslesyeux.— Il n’y en a pas, répondit-il en trempant le tissu ensanglanté dans la bassine. Me faites-vous

confiance,Éva?Elle s’immobilisa l’espace d’un instant, puis hocha lentement la tête. Il était l’une des deux

personnesenquielleavaitentièrementconfiance.—Danscecas,allonscherchercetteballe.Travaillant efficacement en silence, Harold retira la balle de la chair tout juste sous la cage

thoraciquedeNicholas.Leducs’agitasur le litdanssondélire,mais ilnerepritpasconnaissance.Haroldrestaensuiteenretraitpendantqu’Évarefermaitlaplaieavecdepetitspoints.Lorsqueleducfutfinalementpanséetinstallésouslescouvertures,elles’effondrasurlefauteuil,levisageentrelesmains.Haroldseglissasubtilementhorsdelapièce.Environdeuxheuresplustard,Nicholasremua.Évaselevadufauteuilpourposerlamainsurson

front. Jusque-là, il n’avait pas de fièvre.Malgré l’agilité avec laquelleHarold avait retiré la balle,l’infectionrestaitunepréoccupation.Elles’assitàcôtédeNicholaset luiprit lamain.Ilclignadesyeux.—Monsieurleduc?Elleécartalescheveuxqu’ilavaitdevantlesyeuxetscrutasonvisagebien-aimé.Ilétaitpâle,mais

ses joues reprenaientdescouleurs.Sa lèvre inférieureétait légèrementenfléeet sonœildroit étaitentourédeplusieurstachesbleu-noird’uneformesemblableàcelledejointures.—M’entendez-vous?—J’ail’impressiond’avoirétépiétinéparunemule,dit-ild’unevoixrauqueenpassantdoucement

lesdoigtssursescôtes.Ilgrimaça.—Avez-vouslaisséunbouchers’occuperdemoi?Évasourit.—C’étaitHarold.Ilaretirélaballe.Leducrenâcla.—Avecunelameémousséeetrouillée,sansdoute.Ilremuafaiblementetallongealesjambes.Éval’aidaàprendreunepositionplusconfortable,puis

ajoutaunecouverturesupplémentaire.—Jedevraisleremercierdenepasm’avoirenfoncélalamedansleventre.—Vousledevriez,répondit-elleenécartantlescheveuxqu’ilavaitdevantlesyeux.Ilafaitdubeau

travail.Jecroisqu’ilcommenceàvousapprécier.

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Unedesespaupièressefermalorsqu’illuijetaunregardencoin.—Apprécierestunbiengrandmotpourdécriresessentiments.Jediraisplutôtqu’ilnesouhaite

plusmeromprelecou.Haussantlesépaules,Évasefrottalesbraspourenleverlachairdepoule.Elletentad’ignorerla

vague d’affection qui montait en elle et de rester stoïque. Maintenant qu’il était en sécurité, elleprenaitsesdistancespourtenterdeseprotégercontretoutenouvelleblessure.Enréalité,rienn’avaitchangéentreeux.L’amournepouvaitpascomblerlegouffrequilesséparait.—Ilesttrèsprotecteuretvousvousêtesconduitcommeunebête.Meforceràpartagervotrelit!

Vousattendiez-vousàcequ’ilvousinviteàjoueraubillardetàdiscutercommesivousétiezdevieuxamis?—Touché,moncœur.Ildégageasamainpourlaposersursacuisse.Unfrissonluiparcourutlajambe.Soncœurbattitla

chamadeenréactionàlachaleurqu’ellelutdanssesyeux.Lablessureparballen’avaitvisiblementpasmodérésonardeur.—Jen’étaispasaumeilleurdemoi-même.Elleévitasoigneusementderegarderlamoitiéinférieuredesoncorps,heureusequelecouvre-lit

cachesanudité.Ellen’étaitpascertainedepouvoirrésistersiellelevoyaitsanssesvêtements.Ilyavaitdesjoursqu’ilnel’avaitpastouchéeetelledésiraitardemmentqu’illaprennedanssesbras.—Sivousn’avezriencontrelefaitd’êtreau-dessus,vousêtescordialementinvitéeàmerejoindre

pourquelquesjeuxamoureux,madouce.Évasursauta,puisserenditcomptequ’ildevaitavoirludanssesyeuxledésiràl’étatpur.Ellese

sentitrougir.—Jenevousrepousseraispas,poursuivit-il.Évadutrassemblertoutesavolontépournepasaccéderàsademande.Toussessentiments,touten

elleavaitenviedefairefide touteprudenceetdesedonnerà luienentier—esprit,corpsetâme.Maislaquestiondesonavenirdemeurait.Ilétaitdevenusajoiedevivreetellesedébattaitcontrecepoids.Lerôlequ’ellepouvaitjouerdans

savieétaitlimitéetcesrestrictionsneluiplaisaientpas.Elleignoradonclecommentaireetchangeadesujet.—Vousêtesunhéros,monsieurleduc,dit-elleenselevantetenretournantverslefauteuil.Ellejoignitlesmainspourenarrêterlestremblements.—Sansvotreinterventionopportune,lecomtenousauraittoutescapturéesoutuées.—C’estpourvousquejem’inquiétais.LorsquevotreHaroldestvenuvoirsivousétiezlà,j’aitout

desuitesuquevousaviezignorémonconseiletquevousétiezpartieorganiserunsauvetage.Petiteentêtée ! s’exclama-t-il d’un air renfrogné. Nous sommes venus directement. J’ai laissé Haroldmonter lagardeprèsducarrosse.J’étaisentrédans l’abbayeàplusieursreprises lorsdefêteset jesavaisquejepourraism’orienterdansl’obscurité.Ilm’auraitralenti.—Haroldadûregimberdevantvosordres.Nicholassouritetbâilla.—Lesdésirsd’unducpassentavantceuxd’undomestique.Évasoupira.—Jesuispersuadéequevousavezbienjouévotrejeu.Ellen’eutaucunmalàimaginerlesdeuxhommesfaceàface,essoufflésetauxabois,entrainde

lutterpourleplushautbarreaudel’échelle.MaisHaroldnepouvaitrienfairecontreleduc.Ilavaitdûêtretrèsmécontentd’êtrelaisséderrière.

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—Jesuistrèsheureuxdel’avoirfait,réponditNicholasentirantsursonpansement.Ilm’asauvélavie.Siquelqu’unméritenosremerciements,c’estbienHarold.Parcequ’ilavaitsauvéNicholas,ÉvaseraitreconnaissanteàHaroldjusqu’àlafindesesjours.Il

luiavaitdonnélapreuvedesaloyautéetdesonamitiéaumomentoùelleenavaitleplusbesoin.—Ehbien,jesuisheureusequevousayezsurvécupourrentreràLondres,épouserLucyetfaire

unedouzained’enfants.Moi,jemarieraimescourtisanesetdeviendraiunevieillefilletrèsrigideetaigrieaufuretàmesurequej’approcheraidemesvieuxjours.Sontonlégern’arrivapasàsoulagersaprofondetristesse.Elleavaitenviedeseroulerenboule

dansuncoinetdepleurer.—L’horribleperruqueetleslunettescomprises,termina-t-elle.—J’aibienpeurquevosprojetsneseréalisentpas,moncœur,répliquaNicholas.Jenevoispasde

vieille fille esseulée dans votre avenir. Et je n’ai pas non plus l’intention d’épouser Lucy. Nimaintenantniplustard.Évaleregardafixement.—J’aidécidéquemonavenirpasseparunecertainecourtisanefougueuseauxbeauxyeuxbleuset

dont les cheveuxme rendent fou de désir, poursuivit-il sans relâche. Elle sera désormais la seulefemmeàpartagermonlit.Sesparolesn’avaientaucunsens.—Voussouffrezde touteévidencedeseffetsadversesdevotreblessure.Vousavez l’obligation,

sinon par la loi, du moins par un ancien code de conduite, d’épouser une femme d’ascendanceimpeccableetd’engendrerdesenfantsausangpur.Jenesuispascettefemme,répondit-elleavantdereculeretdeleverlementond’unairentêté.Ilyadéjàtropd’enfantsillégitimes;enétantunemoi-même,jen’enmettraipasd’autresaumonde.Nicholasrenâcla.—Vousai-jedemandédeportermesenfantsillégitimes,matrèschèreÉvangéline?— Vous avez exprimé le vœu que je continue à partager votre lit, répliqua-t-elle en croisant

fermementlesbrassursapoitrine.Àmoinsquejem’avèreinfertile,lesrisquessonttrèsélevésquevousplantiezun jourdansmonventreunesemence fertile,poursuivit-elleen rougissant. Je refusequemesenfantsviventleurviesanspèrecommejel’aifait.—Lemal est peut-êtredéjà fait, dit-il enbaissant lesyeuxvers sonventre. Jen’aipasprismes

précautionshabituelles.Ellesecouavivementlatête.—Jeneportepasvotreenfant.Posant ses yeux verts sur elle, il gratta d’un doigt autour du pansement. Le mouvement le fit

grimacer.—Vousêtesbeaucouptropentêtéepourvotreproprebien-être.Jen’arrivepasàcroirequ’après

avoirgrandiavecmonpèreetvumamèresouffrirparamour,jevousaielaisséevousemparerdemoncœur.Ilsourittendrement.—Jeveuxvousépouser,Éva.N’eûtétélefauteuilsoussesfesses,elleseseraitécrouléeausol.—M’épouser?couina-t-elle.Manifestement,vousdélirezàcausede tout le sangquevousavez

perdu. Jenepeuxpasvous épouser. Je suis la fille illégitimed’une courtisane. J’ai vouémavie àcachercetteréalitéetàempêcherd’autrescourtisanesdeconnaîtrelemêmesortquemamère.Jenepeuxpasêtreuneduchesse.Ceseraitscandaleux.

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Ilpinçaleslèvres,contrarié.—Jememoquedevotreorigineoudequiétaientvosparents.—Moi,jenem’enmoquepas,hurlaÉvaenbondissantsursespieds.Lasociéténes’enmoquepas.

Quand lescommèresapprendrontquiestmamère,ellesnousréduiront tous lesdeuxenmiettesetpousserontmamèredansdesténèbresdontellenepourrajamaiss’échapper.Ellerecula,joignitlesmainsetlesportaàsabouche.—Vousnementionnerezpluscettehistoire,monsieurleduc.Plusjamais.Surce,ellesortitdelapièceencourant.

NicholasécoutaÉvas’éloignerparlaporteouverteetsacolèreaugmentaàchaquepasqu’ellefaisait.Ilavaitfinalementconcluqu’ilétaitamoureuxd’elleetqu’ilvoulaitl’épouser,etellel’avaitrejetédelamanièrelaplusabsolue.Cette femme était effectivement entêtée jusqu’au bout de ses parfaits orteils. Affaibli comme il

l’étaitactuellement,lasecouerjusqu’àcequ’elleclaquedesdentsn’étaitpasuneoption,pasplusquelatraînerjusqu’àGretnaGreenpourl’épouserdeforce.Tellequ’ilconnaissaitÉva,laforceràfairequelquechosenes’achevaitgénéralementpasparundénouementheureux.Elleétaitbeaucoup tropindépendante.Etc’étaitpourcelaqu’ill’aimait,ainsiquepourtoussesautrestraitsdecaractèrequ’iltrouvaitjadispénibles.—Monsieurleduc?Illevalesyeuxetvitlasœurd’Évaquisetenait,hésitante,dansl’encadrementdelaporte.Lejaune

luiallaitbien,quoique la robeeûtconnudes joursmeilleurs.S’ilavaitungrammedebonsens, ildemanderait sa main à la place. Lady Seymour avait grandi dans le monde privilégié et neregimberaitpasàl’idéededevenirduchesse.Ellepourraittenirsamaison,divertirsesinvitésetluidonnerdestasd’enfants.Malheureusement,ellen’étaitpasÉva.Iln’yavaitqu’uneseuleÉva.—Entrez,grommela-t-il.Elletraversalapièceetseperchainconfortablementsurleborddufauteuilinoccupédepuispeu.—Commentvoussentez-vous,monsieurleduc?—Aussibienqu’onpuissel’espéreraprèss’êtrefaittirerdessusparunvaletpuisdécouperparun

boucher,grommela-t-il.Sonhumeurs’assombrissaitàchaqueinstant.—J’aidelachancedepouvoirencorerespirer.LadySeymoursemorditleslèvres,lesquellesétaientagitéesdespasmes,manifestementdanslebut

deréprimerunsouriresuffisant.— Harold a fait du beau travail pour vous soigner, monsieur le duc. Vous devriez lui en être

reconnaissant.Pourl’instant, ilsesentait toutsaufreconnaissant.Amer,oui.Mécontent,certainement.Souffrant,

sans aucun doute. Se lancer dans une suite de bavardages futiles avec cette quasi-inconnue était ladernièrechosedontilavaitenvie;cedontilavaitenvie,c’étaitruminerausujetd’Éva,seul.—Quevoulez-vous,LadySeymour?L’amusementtraversafinalementsonvisage.—Jeveuxquevousépousiezmasœur.

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Il s’immobilisa. Cela prenait une tournure intéressante. Cette femme était une originale. S’ilépousait Éva, il serait difficile de garder secrète la véritable nature de leur relation. L’apparitiond’Évaaubalavaitexcitélesrumeursetsadisparitiontoutaussisoudainenelesavaitpasapaisées.Sielledevenaitsaduchesse,elleseraitscrutéeàlaloupe.Pourlapremièrefois,ilvitlui-mêmecequiinquiétaitÉva.Iln’étaitpasétonnantqu’elleaitrefusé

sademande.—Pourquoidevrais-jeépouservotresœur?—Parcequevousêtesamoureuxd’elle.Cetteaffirmationfaillitleprojeterenbasdulit.Ilscrutasonvisage.Sessentimentsavaient-ilsétéà

cepointévidentpourtoutlemondemisàpartlui-même?—Etparcequevousluiavezvolésoninnocenceetqu’ellepourraittrèsbienportervotreenfant.

Parcequ’endépitdelaréputationdevotrepère,vousêtesunhommed’honneur,bienquevousl’ayezternienséduisantÉva.Parcequ’elleestchaleureuse,aimableetmerveilleuseetquevousnepourrieztrouvermeilleureduchesse.Cachantsonamusement,ilhaussaunsourcil.—Êtes-voustoujoursaussidirecte,LadySeymour?Ellesourit.—C’estcequimerendaussiattachante.Nicholasgloussa.— Je suis d’accord avec la partie selon laquelle Éva ferait une bonne duchesse et je suis bien

amoureuxd’elle.Histoiredemettreleschosesauclair,jeluiaidemandésamainetellearefusé.Elleprotègefarouchementsamère.EllecroitquenotreunionferaitdumalàCharlotte.LadySeymours’enfonçadanssonfauteuil.—Ilyacertainementdequois’inquiéter.Lescommèresadorentcreuseràlarecherchedesombres

secretsdefamillepourlesfairecirculer.Charlotten’estpasenétatdevoirsonpasséétaléaugrandjour.Évaaraisondesefairedusouci.Ilsrestèrentsilencieuxpendantuncertaintemps.—Ildoityavoirunesolution,ditLadySeymour.Jesaisqu’Évaetvousêtesfaitsl’unpourl’autre.

Çaluibriseraitlecœurdevousperdre.—Ilenseraitdemêmepourmoi.Était-ilpossiblequeNoëlleaitraisonetqu’Évasoitbienamoureusedelui?Elleneluiavaitdonné

aucun indice qu’elle éprouvait plus que du désir. Si elle était amoureuse de lui, cela changeraitcertainementtout.—Jetrouveraiunmoyendedissipersescraintes.UnsouriresatisfaitilluminalestraitsdeNoëlle.—J’ai confianceenvous,monsieur leduc, répondit-elle en lui faisantunclind’œil avantde le

laisserréfléchiràlasituation.Il lui fallait protéger Charlotte tout en épousant Éva. Les années à venir s’annonçaient vides et

sombressanselle.Ilaimaitsavieillefillecourtisane.Ilétaitprêtàtoutpourelle.Àtout.

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CHAPITRE19

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Évaessuyaseslarmesetsepassadel’eautièdesurlevisage.Depuistoujours,ellesavaitquejamaiselle ne se marierait ni n’aurait d’enfants. C’était impossible avec autant de secrets à protéger.Maintenant,l’hommequ’elleaimaitvoulaitluioffrird’avoirsaproprefamilleetelledevaitrefuser,mêmes’ilsavaittoutsurelle.Etqu’ils’enmoquait.S’ilavaiteupourpèreuncomptableouunfermieretqu’ilavaitmenéunepetiteviepaisible,elle

auraitacceptésapropositionavecjoie.Maisunduc?NonseulementNicholasétaitunduc,mais ilétait aussi membre d’une famille puissante dont les actions étaient constamment scrutées par lasociété.Pasmêmelaconduitescandaleusedesonpèreavaitempêchélanoblessed’accepterdanssonample

giron le fils et la veuve comme s’ils faisaient partie de la royauté.Mais la fille d’une courtisane,c’étaitun toutautre typedescandale. Ilyavaitdes limitesànepas franchiretcelle-cienétaitune.Mêmesiellen’avaiteuqu’unseulamant,lamèred’Évaétaitconsidéréecommeunepute.Safillenepouvaitpasdevenirduchesse.Onl’éviterait,samèreseraitexposéeetNoëlleainsiquel’invisibleMargaretseraientostracisées.

Avoir une sœur illégitime n’était pas inhabituel vu la manière dont les hommes de la noblesserépandaient leursemenceà toutvent.Cependant,onnesortaitpascelle-cide l’ombrepour la faireparaderàunbaldelasociété.Évalaissaéchapperunsoupirtremblotant,puisquittalapièce.Nicholasauraitbesoindeplusieurs

jourspourrécupéreret,bienqu’elleaitdésespérémentenviederentreràLondreschezsamère,ellenepouvaitpasl’abandonner.Illesavaitsauvées.Parloyauté,ellesedevaitdes’occuperdeluijusqu’àcequ’ilsoitsuffisammentenformepourvoyager.Ensuite,ellelereconduiraitàCollingwoodHouseetluiferaitsesadieux.Lesfemmes,misesàpartNoëlleetYvettequisereposaientàl’étage,étaientrassembléesdansun

sobrepetitsalon.Lesbavardagesexcitésseturentàl’arrivéed’Éva.Elles étaient curieuses et elle ne pouvait pas les blâmer.La nuit précédente avait été une nuit de

révélations.Elleleurdonneraitdesexplicationsplustard.Pourl’instant,elleétaittropépuiséepourrépondreàleursquestions.L’ameublement se limitait à une table, ainsi qu’à un canapé et à trois fauteuils qui étaient tous

occupés.Le tissu desmeubles et des rideaux était délavé et effiloché, alors que le temps avait faitcraquerlepapierpeintsurlesmurs.Dansl’ensemble,lademeureparaissaitnégligéeetavaitl’odeurderenferméd’unemaisondepuislongtempsinhabitée.L’identitédesonpropriétairerestaitunmystère.Siunefamillerésidaitici,ellen’enavaitpasvula

moindretrace.Seulsquelquesdomestiquesâgésetplusieursaraignéessemblaientavoiréludomicileàcetendroit.—Commentvalepatient?s’enquitAbigaild’untoninquiet.Elleportaituneroberosedélavéquiparaissaitavoirétédonnéeparunegouvernanteouunefemme

de chambre. En fait, toutes les femmes étaient vêtues de robes en coton ou en laine aux couleursdélavées faites pour habiller des corps légèrement plus grands et corpulents.On aurait dit que lesfemmesavaienttrouvéunemallerempliedevieuxvêtementsetqu’ellesjouaientàsedéguiser.—Ilserepose,réponditÉva.Ellebaissalesyeuxsursonpantalonetsachemiseempruntéstachésdesangetdepoussière.Elle

n’avaitpasportéattentionàsonapparencedepuisqu’onavaittirésurNicholas.—Lagouvernante,madameMoore,nousadonnéces robes,ditRose,qui sepenchaenavantet

grimaçalorsquesoncorsages’ouvritsurunechemisejaunie.Ellelesatrouvéesdanslegrenier.Ilyavaitunemallederobesplusélégantes,maislesmiteslesavaientrenduesinutilisables.

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—Lebaron et son épouse avaientune fillequi estmorted’une fièvre àdix-sept ans, poursuivitdoucementAbigail.MadameMooreaditqu’ils’agissaitdesesvêtements.Lafamilleaétéruinéeilyaplusieursannéesàcausedemauvaisinvestissementsfaitsparlebaron.—IlyaunerobepourvousdanslachambredeLadyNoëlle,intervintSophie.Nousnevoulions

pasvousdérangerpendantquevousétiezavecmonsieurleduc.—Jevaisdevoirremercierlabaronnepoursagentillesse.L’avez-vousvue?— Il n’y a ni baronne ni baron, déclaraHarold en entrant à grands pas dans la pièce, le visage

impassible.Ilavaitdans lesmainsunebouteilleetunverre. Il s’étaitchangépourenfilerunpantalonetune

vesteenlainebleuequiépousaientsacarruredeboxeurcommes’ilsavaientétéfaitssurmesure.Lagouvernantedevaitavoirpassébeaucoupdetempsàfouillerdansdesmallespourtrouverceshabits.—Labaronnes’estnoyéedanslelacpeuaprèslamortdeLouiseetlebaronestdécédédansson

sommeill’annéedernière.C’estmadameMoorequ’ilfautremercierpourlesvêtements.ÉvaobservaHaroldseservirunegorgéedecequ’ellecroyaitêtreduwhisky,puis l’avalerd’un

trait.Ellehaussalessourcils.Ellenel’avaitjamaisvuboired’alcool.Lanuitetlafusilladeavaientdûletroublerplusqu’ellenel’avaitcru.—Commentensavez-vousautantsurcettefamille,Harold?demanda-t-elle.Elle devenait de plus en plus suspicieuse. Ses vêtements paraissaient neufs et il semblait aussi à

l’aiseques’ilétaitdéjàvenuici.Jetantunbrefcoupd’œilparlafenêtresurlacourenvahieparlesplantesetladistanceentrelamaisonetlaroute,Évaserenditcomptequ’ilsn’avaientpasatterriiciparhasard.—Plusdesecrets.Jevousenprie,l’implora-t-elledonc.Leurs regards se croisèrent et il fut le premier à baisser les yeux. Il se versa un autre verre et

l’enfila.—Lamaisonm’appartient.Abigail émit un hoquet de stupeur et blêmit. Elle gémit, se leva et sortit de la pièce en courant.

Haroldgrimaçaetsetendit.—C’estmafamillequiestmorteici.Ilposasonverreetallaàlafenêtre.—Aprèsledécèsdemasœuretdemamère,jemesuisbrouilléavecmonpèrependantplusieurs

années.C’estseulementaprèssamortquejesuisrevenuicietquej’aitrouvélamaisonenruines.Lescourtisanesétaientmuettescommedescarpes.Cen’étaitpasuneconversationqu’ilconvenait

de tenirenpublic.Évaleurfitsignede les laisser,ceàquoiellesobéirentàcontrecœur.Ellerestaseuleavecsonamicachottier.Sonestomacsenoua.Elleeut lesentimentquesonhistoirese termineraitmal.Pourelle.Harold

étaitunbaronquis’étaitfaitpasserpourundomestique.Ellesupposaquesonarrivéesurlepasdesaporten’étaitpasunhasard.Ellepriapourqu’ilnesoitpasunmeurtrierenfuiteniunvoleurdegrandcheminrecherché.—Continuez.Ellesepréparamentalementetseconcentrapourrespirer lentementetcalmement.Elleluidevait

beaucoup;ilauraitdoncdroitàtoutesonattention.Ilpassa lesmainspar-dessussa têtepouryappuyersanuqueavantdese tournerenfinverselle.

Sonmasquedestoïcismes’étaittransforméenuneexpressiondeprofondregret.— Après le décès de mon père, j’ai découvert qu’il ne m’avait rien laissé d’autre que cette

propriétéetunepiledefacturesquiaugmentaient.Aprèsêtrepartid’ici, j’aiserviplusieursannées

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dans l’armée où j’assistais unmédecin. La plupart du temps, j’errais ici et là en faisant demenustravauxpourmenourrir.J’aifiniparatterrirdansleKent,àBridgetonManor,entantquepalefrenier.Évachancela.Lespiècesducasse-têtecommençaientàsemettreenplace.Haroldseprécipitaàses

côtés,maisellelerepoussa.Elletitubajusqu’àunfauteuilsurlequelelles’effondra.—Noëlle.—Non,aboyasèchementHarold.Samère.Évajoignitlesmainsetlesportaàsabouche.Ellefutsubmergéeparlechagrin.—Cette horrible sorcière ! Je croyais que la douairière avait accepté ce qu’elle ne pouvait pas

changeretqu’elleétaitpasséeàautrechose,dit-elleenlevantlesyeuxpourqu’Haroldpuissevoirlaprofondeurdesonchagrin.Vousmetrahissezdepuisledébut.Salèvreinférieuretrembla.—Laseulepersonneàpartmamèreenquij’avaisconfiancen’étaitqu’uneruseorchestréeparla

seulepersonnesurcetteTerrequisouhaitenotreperte.—Éva,ditHarold,levisagecreuséparlechagrin,enposantungenouàterredevantelle.Ellem’a

offertunmoyendevivreconfortablementetderemettrecettedemeureenétat.Ellevoulaittoutsavoirà propos de Charlotte et de vous, pour voir si j’arrivais à trouver une faiblesse qu’elle pourraitutilisercontrevous.Évaeutl’impressionqu’iln’yavaitplusd’airdanslapièce.Latêtecommençaàluitourner.—Vousdevezavoireubiendeschosesàluiraconter.Elleavaitlabouchesècheetparlerétaitdifficile.—Dois-jem’attendre à ce que des gardiens de l’asile viennent cherchermamère chez elle au

milieudelanuit,Harold?—Non.Éva,jevousenprie,écoutez-moi,répondit-ilenécartantlesmains.Ellenesaitrien.Vous

m’avez sauvé la vie lorsquedesmalandrinsm’avaient laissé pourmort. J’ai su dès lors que je nepourraispashonorermoncontratavecLadySeymour.Charlotteetvousêtesdevenuesmafamille.Fermant lesyeuxpourretenirses larmes,Évasecouala tête. Ilavaitespionnépour lecomptede

l’ennemie.Ilpourraitbienêtreencoreentraindeluimentir.— Vous auriez pu m’avertir de ses intentions pour que je sois en mesure de nous protéger.

Commentpuis-jesavoirquevousditesvrai?Haroldtenditunemainpourlaposersurlasienne.— Je lui ai fourni de fausses informations et j’ai jugé préférable de rester pour veiller sur

Charlotteetvousaucasoùelleenverraitquelqu’und’autre.LadySeymourestmotivéeparuneenviemaladivedevouspunird’êtrenée.Ilétaitimpossibledesavoirjusqu’oùelleseraitprêteàallerdanssaconspiration.Jenevoulaispasvousinquiéterinutilement.J’aicrupréférabledemetaire.—EtNoëlle?Évan’étaitpasprêteàluipardonner.Ellecomprenaitl’instinctmasculinquil’incitaitàlaprotéger;

c’étaitunemalédictioncommuneàtouslesreprésentantsdesonsexe.—Elledevaitbienêtreaucourantdequelquechose.—Ellenesavaitriendelaperfidiedesamère,répliquaHaroldenbaissantlesyeux.Avantqueje

parte pour Londres, elle m’a demandé une faveur : elle voulait que je trouve votre adresse pourqu’ellepuisseunjourvousrendrevisite.Vousaveztoujourspiquésacuriosité.Noëlleluiavaitditlamêmechose.—J’aiétéétonnélorsqu’elles’estprésentéeànotreporte,poursuivitHarold.Ilaétédifficiledela

convaincrequej’étaislàpourunebonneraison.Unefoisaucourantdel’implicationdesamère,ellea vite accepté de ne rien dire et m’a permis de continuer à jouer mon rôle de protecteur. Nous

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craignionstouslesdeuxquevousmereleviezdemesfonctionssivousdécouvriezlavérité,auquelcasvousseriezrestéessansprotection.Éva libéra sa main et se leva. Harold se hissa sur ses pieds. Bien que ses intentions aient été

honorables,ilseraitdifficiledeluipardonner.ElledevaittrouverNoëlle.Sasœuravaitsespropresexplicationsàluidonner.Elleneseraitpasenpaixtantquelederniersecretneseraitpasrévélé.—J’aimatièreàréfléchir.Quelquechosemeditquecettedansemacabren’estpasterminée.Ilya

toujours bien des revirements avant la fin. Vous devez me laisser le temps de penser à tout ça,monsieurlebaron…—Lerwick, réponditHarold en esquissant un sourire. Le très honorable Lord Lerwick, à votre

service.Maisj’insistepourquevousm’appeliezHarold,Milady.Les lèvres d’Éva s’étirèrent. Elle fit un pas vers le pardon. Elle ne pouvait pas renoncer à leur

amitiéparcequ’ilavaitfaitunetentativedésespéréepoursauversademeure.Leursparcoursn’étaientpassidifférents:elleavaitcouchéavecleducpoursauversamaisonetsamère.—Sivousvoulezbienm’excuser,monsieurlebaron,j’aiunesœuràaffronter.

Évamituncertain tempsavantde trouverNoëlleenpleineconversationaniméeavecAbigailprèsd’unpetitlactoutaufonddelapropriété.Visiblement,lesdeuxfemmessedisputaient.Bienqu’Évane puisse pas entendre ce qu’elles disaient, leurs voix portaient à travers la prairie. Comme elles’approchait,Noëlletournalatête,lavitarriveretrougitd’unaircoupable.Abigailsetournaetportalamainàsabouche.—Éva,fitsèchementNoëlle.Je…Nous…Ellesetutbrusquement.Lesdeuxfemmesrosirentetdeuxpairescoordonnéesdepommetteshautes

bienrougesseformèrent.Abigailparaissaitnerveuse,prêteàprendrelafuite,etNoëlletenditlebrasdevantelled’unairprotecteur.Éva contourna un tronc d’arbre et s’approcha. Elle avait l’impression d’avoir interrompu une

conversationquilaconcernait.Saviesemblaitêtreunsujetd’intérêtpourtoutlemondeautourd’elle,unesourceintarissabledespéculations.Fairel’objetderumeursluirestaitentraversdelagorge.Sesaffairesneregardaientpersonned’autrequ’elle.—Quelquechosenevapas,mesdemoiselles?Noëlle?Abigail?Abigail se découvrit un intérêt marqué pour ses mains. Noëlle parut soudainement frappée de

mutisme,unétatinhabituelchezelle.—Sivousnemeditespasimmédiatementpourquoivousvouscachezsurcecarrédeverdurepour

parlerdemoi,poursuivitÉvaavantdefaireunepauseetdemettrelesmainssurseshanches,jevoustraîneraitouteslesdeuxjusqu’aulacetvousjetteraidedans.Noëlle jeta furtivement un coup d’œil à Abigail, qui refusa de lever les yeux, mais frémit

manifestementdevantl’insistancedesonregard.—Trouillarde,ditNoëlle,ceàquoiAbigailréagitenattrapantsalèvreinférieureentresesdentset

enlamordillantpendantuninstant.—Dis-le-lui, toi, répondit finalementAbigail. J’en suis incapable, termina-t-elle d’une voix qui

n’étaitplusqu’unmurmureessoufflé.Noëlle soupira sèchement, ce qui attira à nouveau l’attention sur elle. Éva se concentra sur son

visage.ToutcommeHarold,sasœurétaitvisiblementtroublée.Cenefutqueplusieursbattementsde

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cœurplustardqueNoëlleouvritfinalementlaboucheetquesesépauless’affaissèrent.—Abigailestnotresœur.—Quoi?lâchaÉva,étonnée.Elle s’attendait à rencontrer des obstacles pendant qu’elle démêlait les fils de la trame de cette

histoiredéroutante,maispasàça.Ellen’auraitpaspuêtreplussecouée.—Nousavonsunesœurcourtisane?Sonespritéclataenmillemorceaux.Ellen’arrivaitabsolumentpasàréfléchir.Aprèslaconfession

d’Harold, elle croyait les pires secrets derrière elle. Les révélations de son domestique et amin’étaientriencomparéesàcelle-ci.Elleétaitenétatdechoc.Noëllesecoualatête.—AbigailestMargaret.Éva écarquilla encore plus ses yeux stupéfaits tandis qu’elle regardait un visage, puis l’autre.

Pourquoin’avait-ellejamaisremarquélesressemblancesentrelesdeuxsœurs,soitlaformedeleursmâchoireset leursnezsemblables?Ellesupposaquecen’étaitpassiévidentquandlesdeuxnesetenaientpascôteàcôte.Margaretavaitmanifestementhéritéduteintdeleurmère,maiselleavaittoutdemêmeunetouched’ambredanslesyeux.La plus timide de ses courtisanes était sa sœur. Éva s’effondra contre le tronc. Tout devint noir

autourd’elleetelleclignadesyeuxpournepastomberàgenoux.Abigailseprécipitaàsescôtéspourl’éventerdelamain.—Jecroisquetudevraisviteluiexpliquer,Noëlle,avantqu’elleperdeconnaissance.Leursœuraînéelesrejoignitd’unpashésitant,commesielles’attendaitàcequ’Évareprennedes

forcesetluiarrachelesyeux.Pourl’instant,Évanepouvaitrienfaired’autrequesetenirdebout.Lesdeuxchocsde lamatinée l’avaient anéantie.Si le ciel leur était tombé sur la tête à cet instant, ellen’auraitpaseulaforcedeleverlesbraspoursecouvrirlatête.—En fait, j’aiobligéMargaret à jouer le rôled’unecourtisaneet je lui ai inventéunehistoire,

s’empressa d’expliquer Noëlle. Elle était résolument opposée à l’idée. Elle ne voulait pas êtreconcernéeparcettesupercherie.—Jenevoulais rienavoir à faire avec toi.Tuétaisun secrethonteuxqu’ilvalaitmieuxgarder

caché et je te détestais, avouaAbigail-Margaret en tendant lamain pour attraper celle toutemolled’Éva.Notremèreapassé toutenotrevieàvousmaudire, tamèreet toi.Jepensaisque tuétaisunmonstrebiscornuetquetamèreétaitunesorcièremalhonnêtequiluiavaitvolénotrepèreetquiétaitresponsabledesamort.Éva tressaillit. Son père était en route pour leur rendre visite lorsqu’un dérapage sur une route

glacéeavaitprécipitésoncarrossedansunravin.Ilétaitfaciled’imaginerpourquoilesdeuxsœurslesblâmaient,samèreetelle,pourletragiqueaccident.— Comme tu as pu le constater, ajouta Margaret, il est impossible de refuser quand Noëlle a

quelquechoseentête.J’aifiniparaccepter,poursuivit-elleenserrantlamaind’Éva.Quandj’aivucequetufaisaispouraiderlescourtisanesetcommenttut’occupaisd’elles,jemesuisrenducompteàquel point j’avais eu tort à ton sujet. Lamort de notre père n’était qu’unmalheureux accident. EtlorsquetuasrisquétaviepourYvette,j’aisuquejeseraisfièredet’appelermasœur.Évatrembla,puiséclataensanglots.—Vousdeux,vousformezleduoleplusétrangequisoit,dit-elleàtraversseslarmestandisque

Margaretpassaitunbrasautourdesesépaulespourlaserrerdanssesbras.Vousdevriezfuirdevantmoi.Jesuislerésultatdesinfidélitésdenotrepèrevis-à-visdevotremère.Margaretsourit.

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—Notremèreapassésavieàrendrenotrepèremalheureux.Charlotteluiadonnédubonheur.Jele sais,maintenant.Nous ne pouvons pas effacer les actions de nos parents,mais si tu peux nouspardonnerpournotresupercherie,nouspouvonsêtresœurs.Maintenantetpourtoujours.Leslarmescoulèrentàflotstandisquelestroisfemmess’étreignaient.Évasavaitqu’elleauraitdû

êtreencolère,maisellen’arrivaitpasàleurreprocherd’avoirvoululaconnaître,supercheriemiseàpart.Elleconnaissaitl’existencedesessœursdepuissonenfanceetavaitgrandienpensantqu’ellesétaientdepauvresenfantsgâtées.Elleétaitraviededécouvrirquecen’étaitpaslecas.Évareculaetregardalesdeuxvisageshumides.—Jevousenprie,nemeditespasquenotrepèread’autresdescendantséparpillésunpeupartout.

Jenecroispasêtreenmesurededigérerd’autressurprises.Noëllesecoualatêteensouriant.— Je pense que nous constituons la totalité de ses enfants. À moins qu’il ait commis des

indiscrétionsdejeunessequiontportéfruit,ilétaitentièrementdévouéàtamèreetànous,sesfilles.Noussuffisionsàlegarderoccupé.Margaretreniflaets’essuyalevisageavecsamanche.—Jecroisquenotrefamilleestsurlepointdes’agrandir,dit-elletimidement.D’unduc,sijene

m’abuse.Ilfallutunclind’œilpourqu’Évacomprennequ’Abigail-Margaretparlaitdesonduc.—Jenepeuxpasl’épouser.Sessœursseregardèrent.—Évaarefusésademande,ditNoëlle.Nousallonsvoirs’ilaassezdecaractèrepourlamettreau

pas.Sil’ondoitsefieràlasoiréed’hier,jediraisquemonsieurleducneselaissepasintimidersifacilement.IltrouveraunmoyendeprotégerCharlotteetd’avoirsaduchesse.Attendez,vousverrez.—Siseulementnousavionstoutesautantdechanceenamour,ditMargaretensoupirantpendant

qu’ellesapaisaientlescraintesd’Éva.

Plus tard,Évachangea sesvêtementsdegarçond’écurie souilléspourune robeverte rapiécéequilaissait apercevoirunboutdecheville.Les tropgrandesbottesempruntéesapparaissaientàchaquepas sous l’ourlet trop haut. Les seules pantoufles que madame Moore avait pu trouver étaientplusieurstaillestroppetites;Évaerraitdoncbruyammentdanslespiècesdésertes,demauvaispoiletlatêtepleine.Ellen’avaitnimissionnifamilleversquisetourneretelleétaitloindechezelle.Samèreluimanquait.Enfermée dans ce qui était jadis une jolie demeure modeste, elle avait l’impression d’être

spectatrice de sa propre vie, comme si les vingt-trois années de son existence n’avaient été qu’unrêve.Toutcequ’elleavaitcrusavoirsurelle-mêmeluiavaitétéenlevé ; l’étroitefenêtregriseparlaquelleellevoyaitsavievenaitdes’ouvrirsurdevivescouleurslumineuses,toutcelaàcaused’unducvengeuretd’unduodesœurscurieuses.Elle avait envie d’aller retrouver Nicholas et de se jeter contre son torse.Malheureusement, ce

n’étaitpasunebonneidéedepasserbeaucoupdetempsensaprésence.Harolds’occupaitdeluietelleallaitvoirsitoutallaitbienquandildormait.Elleavaitpeurqu’unseulregarddanslesprofondeursdesesyeuxsuffisepourqu’ellelesuppliedel’épouser.Oudecoucheravecelle.Lesdeuxoptionsétaientinacceptables.

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Ce fut l’image de samère qui la retint de longer le couloir jusqu’à sa porte. Comme toujours,Charlotteétaitsapriorité.—Éva?appelaNoëlle,quiétaitapparueausommetdel’escalier.Elleétaitàboutdesouffle.—Viensvite,c’estmonsieurleduc.Évaretroussasesjupesetseruaenhautdel’escalier,trébuchantdanssahâte.ElledépassaNoëlle

au pas de course, puis fonça par la porte ouverte. Le cœur battant, elle se précipita à côté du lit,s’attendantà le trouverauseuildu trépas.Àlaplace, ildormaitpaisiblement, les joues légèrementrougies.Ellesepenchapourposerunemainsursonfront.Sapeauétaitchaude,maispasbrûlante.Perplexe,ellesetournaversNoëlle.—Iln’apasdefièvre.Nicholasremua.—Jen’ai jamaisditquec’était le cas, réponditNoëlle en sortant à reculonsavantdeclaquer la

porte,cequifutsuivid’uncliquetis.Évas’élançaverslepanneauettournalapoignée,maisleverroutintbon.—Noëlle,ouvrecetteporteimmédiatement!cria-t-elle.Pourtouteréponse,elleeutdroitàunpetitgloussement,suividebruitsdepasquis’éloignaient.—Noëlle!Desriresluiparvinrentdulit.ElledécouvritNicholasquilafixait,l’airamusé.—Jevoisquevousêtesravi,lança-t-ellesèchement.Évaenavaitplusqu’assezd’êtremanipuléeparlesgensquil’entouraient,aussibienintentionnés

fussent-ils.Elleregardadanslapièceautourd’ellepourtrouverquelquechosequipourraitluiserviràbriserleverrou.Iln’yavaitriend’autrequ’unplateaudenourriture,enplusd’unebouteilledevinetdedeuxverres.Detouteévidence,sacaptivitéavaitétésoigneusementorchestréeetprévuepourdurerlongtemps.—Avez-vousparticipéàlaplanificationdemacaptivité,monsieurleduc?Ilgrognaenchangeantdeposition.—Jesuisaussiinnocentqu’unnouveau-né,répondit-ilavecunclind’œil.Bienquejenepuissepas

direquejesuisdéçudepartagerunecelluleavecvous,moncœur.—Hum, fit-elle en lui lançant un regard sceptique.Vous,monsieur le duc, n’avez peut-être pas

participéauxmanigancesdeNoëlle,maisn’êtescertainementpasinnocent.J’aiétévictimeàmaintesreprisesd’actionstoutsaufinnocentesdevotrepart.Sondemi-souriresetransformaenungrandsourirelubrique.—Ahoui?Ilsoulevaledrappoursedécouvrirjusqu’aunombriletàlalignedepoilsfoncésquimenaitplus

ausud.—Venezmerejoindreetjeferaibonusagedemavasteexpérience.Cethommeavaitétéblesséparballemoinsd’unejournéeplustôtetilréussissaittoutdemêmeà

penseravec lapartiedesonanatomiequiétaitheureusementcachéesous ledrap. Il était siviril etavait été fabriqué selon lemêmemodèleque tous leshommes.Un fortventqui s’insinuaitdans lajambedeleurpantalonsuffisaitàlesexciter.— Je crois qu’il serait préférable que vous concentriez vos énergies à guérir,monsieur le duc,

répondit-elleenplissantlesyeux.J’ail’intentionderentreràLondresd’icilafindelasemaine,avecousansvous.Illaissaretomberledrap.

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—Jesuisblessédroitaucœur.Quellejeunefemmeinsensiblevousêtes,mademoiselleWinfield.Vous m’avez refusé votre main, puis vous refusez à un mourant quelques derniers instants pouréchapperàl’inévitableappeldelamort.—Lamort?répéta-t-elleenl’examinantdehautenbas.Pourunhommeauseuildelamort,ilparaissaitremarquablementbien.—Haroldm’aassuréque lablessure était dans lemuscle et qu’ellen’avait atteint aucunorgane

important.Sivousvousreposez,vousdevriezd’iciquelquesjoursretrouverlaformeetêtreprêtàvoyagerjusqu’àCollingwoodHouse.VouspourrezensuiteséduirelamoitiédesfemmesdeLondressansaucunecraintedemourir.—Sivousm’aviezproposéunetelleséductioneffrénéeilyaquelquessemaines,j’auraisbienpu

considérer l’idée intéressante, répondit-il en la caressant du regard.Malheureusement, une vieillefillemal fagotée a attirémon attention. Je ne désire personne d’autre. Si je pouvaismaintenant laconvaincrededevenirmaduchesse,j’enseraisravi.Lachaleurdanssesyeuxetlatendressedesesparoleslafirentfondredel’intérieur.Pourquoila

viedevait-elledevenirsicompliquée?Pourquoinepouvait-ellepasseglissersouslescouverturespour le laisserfairecedont ilavaitenvieavecelle?Cen’étaitpascommesiellenes’était jamaisretrouvéenueàsetortillersouslui.Maiscettefois,c’étaitdifférent.L’ajoutd’émotionsaumélangeengendraitdesdifficultésqu’ellenepouvaitpas ignorer.Unducet sacourtisanepartageaient leurscorps,maispasleurscœurs.Qu’ildésirel’épouserl’avaitsidérée.Etiln’yavaitpasmoyendeleconvaincrequ’ilfaisaiterreur.—Jenepeuxpasetjeneveuxplusenentendreparler,dit-elleavecentêtement,enproieàdevives

émotions.Elleétaitsurlepointdesejeterlatêtelapremièreparlafenêtredansl’herbetroplongue.—Vousconnaissezlesraisonsdemonrefusetdevezlesaccepter.C’estpréférableainsipournous

tous.Il la fixa de ses yeux incroyablement séduisants et elle dut lutter pour rester impassible. Elle

l’aimaittellement!—Manoblevieillefillealtruisterenonceraaubonheurpoursauvertousceuxquil’entourentdes

malheursdumonde.—Et qu’y a-t-il demal dans le fait de prendre soin dema famille ?Est-ilmal de protégerma

fragilemère?Elleestdevenuecourtisaneparcequ’ellen’avaitnifamillenipersonned’autrepourl’aideraprèsledécèsdesatante.Maisellem’a,maintenant,etjenel’abandonneraipas.Nicholasréfléchitàlaquestionavantd’yrépondre.—Iln’yariendemalàprotégervotremère,moncœur.J’admirevotredévotion.Nesachantpasquefaireensuiteetrenduesansvoix,Évaattendit.Ilfinitpartapoterlelit.—Sices instantsdoiventêtre lesderniersquenouspassonsseulsensemble, jevousdemandede

m’accorderunderniersouhait :que jepuissepasser le tempsdenotrecaptivitéàvousserrerdansmesbras.Il s’agissait là d’un souhait qu’elle pouvait exaucer. Elle le gratifia d’un sourire hésitant,

s’approchadulitetenlevasesbottesàcoupsdepied.Ill’attiraendouceursurlelitàsescôtés,puislaprittendrementdanssesbras.Faisant attention de ne pas toucher le pansement, Éva se blottit contre son torse. Elle fut

immédiatementimprégnéedesachaleuretdesonodeur.Ellepressasajouecontrelavastesurfacefinement velue et inhala son parfum épicé. Il enfouit affectueusement le nez dans ses cheveux.Désormais,lesmotsétaientsuperflus.

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Lecoucherdesoleilprojetaitunemyriadede rayonsde lumièresur leplafondenplâtreblancau-dessusdulit lorsqu’Évaremuaetouvrit lesyeuxenentendantdesvoixexcitéesqui luiparvenaientd’enbas.Ellenes’étaitpasrenducomptequ’elles’étaitendormiedanslesbrasdeNicholasjusqu’àcequ’ilremueàcôtéd’elleetglisseunbrasautourdesataille.Lebruitl’avaittirédesonsommeiletilouvritaussilesyeux.—Quesepasse-t-il?demanda-t-ilenbâillanttoutensefrottantunœil.Sescheveuxenpagailleluientouraientlevisage.Évaeutunpincementaucœur.—Jenesaispas.Ellese levadoucementdu lit.Unimmensecarrosse tiréparsixbaisassortiss’arrêtaavecfracas

devantlamaison.Ellevitsescourtisanes,sessœursetHarold,ainsiqueplusieursautrespersonnesqu’elleneconnaissaitpas,s’attardersurleperron.Onauraitditquelamaisonnéeenentierétaitvenuesouhaiterlabienvenueauvisiteur.Unmincevaletenlivréebleuetargentdescenditdesonperchoirpourouvrirlaporte.Unefemme,

cachéesousunchapeauàlargebordcouleurlavandesurlequeldansaitunfoisonnementdeplumes,descenditetsedirigeadirectementversHarold.Elleluitenditlamainetils’inclinadevantelleàlamanièred’unvraigentilhomme.Évasourit.—Avez-vous l’intention de laisser la curiosité me dévorer ou allez-vous me dire ce que vous

regardezsifixement?Évagrimaça.—C’estunefemme.Elledoitêtredelanoblesse.Ellepossèdelesattributsdelarichesse.Cen’étaitpaslafemmequiéveillaitsacuriosité,maisl’hommedegrandetaillequicoinçalamain

deladamesoussonbras.—Haroldn’estplusundomestique,dit-elle,pluspourelle-mêmequepourNicholas.Ilavaituneprestancequ’ellen’avaitjamaisremarquéeauparavant.Bienqu’ilfûtunbaronruiné,il

avait reçu l’éducationdigne de son rang.Elle essaya, en vain, de l’imaginer en train de rire et dedanseraubaldesPennington.—Assezparléd’Harold, lagrondaNicholas,une impatiencecroissantedans lavoix.Dites-m’en

plusausujetdelafemme.Évareportasonattentionsurlavisiteuse.—Jenepeuxpasvousdirelacouleurdesescheveux,maiselleestpetite.Elleporteunchapeau

lavandeetondiraitquesarobeestassortieaupourpreplusfoncédesplumes.Ilpoussaunsoupirexaspéré.Ellesetournaversluienfronçantlessourcils.— Que voulez-vous que je vous dise, monsieur le duc ? Je ne vois pas son visage, dit-elle

sèchement.Mavueestlimitéeparladistanceetparl’angledecettefenêtre.Peut-êtreaimeriez-vousvoustraîneràlafenêtreetregarderparvous-même?Ilparutprendresoncommentairepouruneinvitation.—Quejevousvoiequittercelit!s’exclama-t-elleenpointantundoigtsurlui.Monsieurleducselaissaretombersurledosetcroisalesbras.Satisfaite,Évaseretournaversle

bas de la fenêtre. La maisonnée était rentrée. Tout ce qu’il restait, c’était le carrosse et lesdomestiques.— Les valets sont vêtus en bleu et argent et une demi-douzaine de bais piaffent dans l’allée

d’Harold.Ilyauneespèced’armoiriessurlecôtéducarrosse,maisjen’arrivepasàendiscernerlesdétails.Ondiraituncerf…Etunchien?

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Éva pinça les lèvres.Elle n’avait jamais vu de chien sur des armoiries.Un cervidé et un canidéformaientunedrôledepaire.—C’estunloupetuncerf,intervintNicholasd’unevoixtendue.Elleregardapar-dessussonépauleetvitsonvisagesecrisper.Lafemmeneluiétaitpasinconnue,

elleenétaitpersuadée.—Connaissez-vouscette femme?demanda-t-elle tandisqu’unepointede jalousie luiparcourait

l’échine.MêmesiÉvan’avaitpastrèsbienvul’inconnue,elleétaitassezcertainequ’ilnes’agissaitpasde

mademoiselleBanes-Doddet iln’yavait aucune raisonpourquequiquece soitd’autre sachequeNicholasétaitici.Avait-il uneamantedont elle ignorait l’existence?Lui avait-il envoyéunmessagedans l’espoir

qu’elleleramèneàLondresetleprennedanssonlit?Ousavisiten’avait-ellepasdelienaveclui?—Nicholas?Répondez-moi.Leursregardssecroisèrentetlesienétaitpréoccupé.—Jelaconnaistrèsbien.C’estmamère.

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CHAPITRE20

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—Votremère?Delabilebrûlanteremontadanslagorged’Éva.Elleétaitenferméedansunepièceavecsonamant

tandis que la mère de ce dernier, la duchesse douairière, s’attardait à l’étage d’en dessous encompagnied’unepleinemaisonnéed’anciennescourtisanes.Etaucuned’entreellesn’étaitdiscrète.Letempsquemadameladuchessetraverselamaisonetmontel’escalier,toutcequ’ellessavaientà

proposd’ÉvaetdeNicholasseraitétalé,dépeintencouleursvives,soumispourexamendevantelle.Un«ouf» résonnadans sesoreilles et elle sentitque la tête lui tournait.N’eût été le faitque la

fenêtren’étaitqu’audeuxièmeétage,elleaurait envisagédesortirpar làpour sautervers samort.Toutefois,d’unetellehauteur,lesrisquesdeblessuremortelleétaienttropfaiblespours’yfier.—Faitesquelquechose,lesupplia-t-elle,danstoussesétats.—Quepuis-jefaire?Nicholasnecachapassonamusement.Seslèvress’étirèrentetdesplisseformèrentauxcoinsde

sesyeux.—Jesuisblesséenplusd’êtreemprisonné,poursuivit-il.Jecrainsqu’iln’yaitriend’autreàfaire

qu’attendrequeladuchesseorganiseuneopérationdesauvetage.Leniveaudepressiondanslatêted’Évamenaçaitdetransformersoncerveauenpurée.Ellen’avait

jamaisrencontrédeduchesseetencoremoinslamèred’unprétendant.Bienqu’ellehésitâtàappelerNicholasunprétendant,Évaétait sonamanteetdevrait soigneusementéviter sanoblemère.Qu’onfasseétalagedeleurrelationscandaleusedevantelleneplairaitpasàmadameladuchesse.ElleallaitprobablementlesortirdulitdeforceetlerameneràLondresenletirantparsesoreillesducales.—Uneduchesse.Jesuissurlepointd’êtrehumiliéeparuneduchesse,ditÉvaenfaisantlescent

pas, comme elle l’avait fait à maintes reprises ces derniers temps sans que cela lui ait fourni lamoindresolutionàsesproblèmes.Quil’aenvoyéquérir?Harold?Noëlle?CeseraitexactementlegenredeNoëlle.Maisquepourrait-ellebienavoiràgagnerenfaisantvenirladuchesseici?Jesensquetoutçavamalfinir.—Mamèrenetedévorerapas,Éva,plaisantaNicholas.Elleestaurégimedepuisdeuxsemaines.Évafitunepause.—Jesuisraviedevoirquevoustrouvezlasituationamusante,monsieurleduc,réponditÉva,qui

avaitenviedefondreenlarmes.Ils’agitdevotremère.Jesuisvotreamante.Noussommesenfermésensembledanscettechambredupéché.Vouspouvezcertainementcomprendrequejetrouvecetétatdefaittroublant,poursuivit-elleenlevantlesbrasauciel.Aucunemèrenesouhaitetrouversonfilsblessénuavecsapute.Un faible grognement jaillit de la gorge du duc, qui se souleva sur un coude. Son regard

s’assombrit.—Traitez-vousdeputeunefoisdeplus,Éva,etjevousétendssurmesgenouxpourvousdonnerla

fesséejusqu’àcequecemotnefassepluspartiedevotrevocabulaire.Elleinspirabruyamment.—Vousn’oseriezpas.—Si.Vousn’êtespasunepute.Sesparolesn’étaientpasunemenaceenl’air;ilétaitfurieux.—Vousserezmonépouseetlamèredemesenfants.Vousneserezpaslapremièrefemmeàavoir

partagéunlitavecsonfuturépouxavantquelesvœuxaientétéprononcés.—Nousnesommespasfiancés.Nicholassoupira.

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—Désirez-vousquenousendiscutionsencoreoupréférez-vousm’aideràmettremonpantalonavantquemamèremetrouvedanscetétat?termina-t-ilenécartantlescouverturespourdévoilerunesemi-érection.—Vous…Vous…Oh!hoqueta-t-elleenriant,cequiadoucitimmédiatementsonhumeur.Jesuis

surlepointdemejeterparlafenêtrepourévitervotremèreetvoustrouveznotredisputeexcitante?Ellesedirigead’unpaslourdverslefauteuilpouryrécupérerlepantalonsouillédeNicholas.Elle

leluilançaetill’attrapacontresontorse.—Jamaisjenecomprendraileshommes.Levantunejambe,Nicholastentadeglissersonpieddanslepantalon.Aveclepansementautourde

sataille,iln’arrivaitpasàsepenchersuffisammentpourréalisercetexploit.Ladouleursegravasursestraits.—MachèreÉva,cen’estpasnotredisputequiréveillemonmembre.Avez-vousvuvotreravissant

fessierdernièrement?Évidemmentquelebalancementdéconcertantdevoshanchesm’excite.Depuisnotrepremierdouloureuxbaiser,jesouffrerégulièrementdecettecondition,dit-ilenretroussantsonpantalondanssamainpourdésignersonérection.Jecrainsquevoussoyezl’uniqueremèdecontrecettemaladie.Avecunbrefrireexaspéré,Évas’approchadulitetramassalepantalon.Ilétaitdifficilederester

encolèrecontrelui.Avecl’épaispansementetsescheveuxenépisquipartaientdanstouslessens,ilavait un rare air puéril qu’elle adorait.Monsieur le duc était extrêmement exaspérant, mais aussiabsolument fascinant ;c’était legenred’hommesavecquiune femmepouvaitpasserdesannéesetdesannéessansjamaisselasser.— Si vous pensez que je vais soulager vos souffrances maintenant, avec votre mère juste au-

dessous,vousvoustrompez.Maisjepeuxvousaideràvoushabiller.Elles’agenouillasurlelitàsespiedsetentrepritlelentprocessusderemonterlevêtementajustéle

longdesesjambesmusclées.Sonmembreréagit.Elleeutl’eauàlaboucheetillagratifiad’ungrandsourire malicieux. Elle avait très envie de s’empaler sur lui et de le monter jusqu’à l’exquisedélivrance.—Sijevouspromettaisdefairevite,seriez-vousprêteàreconsidérer,moncœur?Elle se demanda s’il sentait le vif désir émaner d’elle. Une caresse bien placée sous ses jupes

empruntéesetelleseraitperdue.—Levezlesfesses,répondit-elle,ignorantsademande.L’envied’enleversarobeetdelerejoindredevintinsoutenable.SiÉvaneréussissaitpasbientôtà

habillerNicholas,ilétaittoutàfaitpossiblequesamèrelessurprenne,ellelesjambesenl’airetluientraindelaprendretelunétalonexcité.Ilserenfrogna,maisobéit.Tirantetpoussant,elleavaitréussiàlecouvrirenentier,àl’exception

de sa puissante érection, lorsqu’une clé cliqueta dans la serrure. Grâce à l’aide empressée deNicholas, elle réussit à passer le pantalon par-dessus sonmembre une seconde avant que la portes’ouvreàlavoléeetquemadameladuchesseentredanslapièce,HaroldetNoëllesurlestalons.Prisedepanique,Évabonditsursespiedspourlecamouflerderrièresesjupestandisqu’iltiraitla

couverturesursesgenoux.De toute évidence, laduchessecrutqu’ils faisaientdes folies.Ellehaussa les sourcils etquelque

chosequiressemblaitàdel’humournoirluiétiraleslèvres.—Peut-êtredevrions-nousrevenirplustard,Nicholas?Évaavaitlesjouesenfeu.Laseulechosequiétaitencorepirequ’êtreeffectivementsurprisedans

unesituationcompromettanteavecNicholas,c’étaitquesamèrecroitqu’elleavaitinterrompuladite

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situation.Ellevoulut justifier l’innocencedesesactes,maissagorgeseserraetellefutfrappéedemutisme.Heureusement,Nicholasvintàsarescousse.—MademoiselleWinfieldaeul’amabilitédem’aideràmettremonpantalon,Mère.Jenevoulais

pasquemanuditéheurtevotresensibilité.Affligée,Évaravalaungémissement.Était-cecensél’aider?—Hum.Laduchessebalayarapidementsonfilsduregardcommepourévaluersonétat,puispassaàÉva.

Madame la duchesse scruta son visage, puis baissa brièvement les yeux sur la robemiteuse. Elleplissalégèrementlespaupières.—VousêteslademoiselleWinfieldquiatantcharmémonfilslorsdubal?Évahochatimidementlatête.—J’étaisdéçuequenousn’ayonspasétéprésentées.Unmaldetêtem’aforcéeàrentrertôt.Unmaldetêtecertainementdûaufaitqu’elleavaitvusonfilscharmerunefemmetrèsinférieureà

euxsoustouslesaspects.Madameladuchesses’attendaitàcequesonfilssoitfiancéavantlafindelasoiréeetlaprésenced’Évaavaitruinésesplans.Commeelledevaitladétester!— Je suis navrée pour le chagrin que mes actions ont pu vous causer lors du bal, madame la

duchesse,dit-elledoucementensetortillantlesmains,détournantlesyeuxducharmantvisagedeladuchesse.EllesetournaversNoëllepourl’implorerduregard,maiscelle-cihaussalesépaulesd’ungeste

d’impuissance.—Etjesuisaussinavréepourhiersoir.Jen’aijamaisvouluquevotrefilssoitblessé.Leflotdesesparoless’interrompitlorsqueladuchesselevalamain.—Jevousenprie,mademoiselleWinfield,cessezdevousexcuser,dit-elleensourianttendrement.

Au cas où vous ne l’auriez pas encore remarqué, mon fils est capable de prendre ses propresdécisions,cequ’ilfaitdefaçonplutôtvéhémente,d’ailleurs,poursuivit-elleenjetantunregardsévèreàNicholas.Iladécidédeselanceràvotrepoursuiteet iln’yarienquej’auraispufairepourl’enempêcher.LaduchessereportasonattentionsurÉvaettenditlamainverselle,puiscoinçasonbrassousle

sien.— Je suis heureuse que votre Yvette soit en sécurité et quemon fils soit vivant. Laissons-le se

reposer,maintenant.Vousetmoiavonsbeaucoupdechosesànousdire.ÉvalançaunregardimpuissantàNicholastandisqueladuchesselaconduisaithorsdelapièceen

latenantparlecoudecommesielleétaituneenfant.HaroldetNoëlles’écartèrentducheminpourleslaisserpasser.Ellenerecevraitaucuneaidedeleurpart.Ilsl’avaientjetéedanslagueuleduloup.L’esprit en ébullition, Éva passa mentalement en revue toutes les explications et les excuses

possibles tandis que la duchesse l’entraînait dans le petit salon et libérait son bras. Sansmot dire,madameladuchesses’installasurlecanapé,lissasesjupesetlevalementon.Ellehaussaunsourcil.—Avez-vous l’intentionderesterdebout toute la journée,mademoiselleWinfield,ouallez-vous

vousasseoiravecmoi?Éva s’empressa de prendre place sur un fauteuil en face de la duchesse. Elle avait l’impression

d’êtreunratd’églisepoussiéreuxenprésenced’unereine.La duchesse était parée de beaux atours lavande et pourpre tandis que la sobre robe empruntée

d’Éva était rapiécée auxgenoux.Manifestement, la sœurd’Harold aimait les activités extérieures ;Évaauraitpariéqu’ellegrimpaitauxarbresetrampaitsousleshaies.

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—MademoiselleWinfield,commençaladuchesse.Évasepréparamentalement.— Je pourrais feindre l’ignorance et vous laisser croire que je ne suis pas au courant de votre

relationavecmonfils.Jesaiscombienilpeutsemontrerinsistantetquevousn’êtespascoupabledel’avoirséduit.Humiliée, Éva eut l’impression que tout le sang de son corps étaitmonté à son visage pour lui

martelerlestempes.Lesecretavaitétérévéléetlahonteétaitgrande.Elleavaitenviedeseruerhorsde la pièce, de lamaison et de courir jusqu’aux confins de la Terre. Nicholas, dans son désir devengeance, en était responsable.Non seulement il l’avait séduite,mais il l’avait raconté à samère.Ellenevoulaitplusjamaisleregarderenface,jamais!—Jevaisquittercettedemeureimmédiatement,madameladuchesse,ditÉvaenrassemblantlepeu

defiertéquiluirestaitpourselever,latêtehaute.D’iciuneheure,jeseraipartie.Laduchessesecoualatêteetpointaverslefauteuil.—Jevousenprie,asseyez-vous,mademoiselleWinfield.Iln’estpasnécessairedefuir.Uneenvieirrésistibledes’échapperrongealongtempsÉvaavantqu’ellefinisseparserasseoirà

contrecœur.—Ce n’était pasmon intention de vous embarrasser,mademoiselleWinfield. Toutefois, j’aime

bienm’exprimerfranchement.Franchement?Laduchessefaisaitpreuved’unehonnêtetébrutale.—LadySeymoursouffredelamêmeaffection,réponditÉva,vaincue.Unsouriretraversalevisagedeladuchesse.—J’airemarquéqueLadySeymour,Noëlle,adesopinionstrèsarrêtées,cequej’admire,répliqua

la duchesse en se penchant en avant sur le canapé pour embrasser Éva de son regard intense.MademoiselleWinfield,jesouhaitequenousparlionslibrementetavecfranchise.Jesuisconscientede la grande importance que vous revêtez aux yeux demon fils et je comprends les raisons pourlesquellesvousavezrefusésademande.Cequejeveuxsavoir,c’estcequevouséprouvezpourlui.Abattueetembarrassée,Évasavaitqu’ellen’avaitplusgrand-choseàperdre;elledonneraitdoncà

madameladuchessecequ’ellevoulaitetensubiraitlesconséquences.Ellesoupira.—Jel’aime.—Jevois.Ilyeutunelonguepause.Lorsqu’Évalevalesyeux,laduchesse,impassible,scrutaitattentivement

sonvisage.Évadéglutit.— Je suis consciente du ridicule de mes sentiments. Je vous assure que je n’attends rien de

monsieurleduc.Jeluiaiditquejenel’épouseraipas.Lesobstaclesquisedressententrenoussontinsurmontables.Sans commenter, la duchesse se leva et se dirigea vers la fenêtre. Des taches de lumière qui

s’infiltraiententrelesbranchesd’ungrandormedansaientsurlesmursetleplancher.Sonexpressionétaitétonnammentsereinevutoutcequ’ellevenaitd’apprendre.—Heureusement, mon fils et moi sommes du même avis en ce qui vous concerne, dit-elle en

pianotantsursesbrascroisés.Jecroisquevousformezunbeaucouple,touslesdeux.Siseulementnous pouvions vous convaincre d’accepter qu’il vous fasse la cour, vous donneriez à mon filsl’amourqu’ilmérite.Lorsqu’Évalaissaéchapperuncridesurprise,laduchessesetournaànouveauverselle.Avait-elle

bienentendu?

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—Jenecomprendspas,madameladuchesse.— Dans ce cas, laissez-moi vous expliquer, mademoiselle Winfield, répondit la duchesse en

tripotantlerideau.Quandj’étaisjeune,bienquemesparentsm’aientavertiequesesintentionsétaientmalhonnêtes,jesuistombéeamoureused’ungoujat,d’undépravé.Ilétaitduc,jen’avaispasdedotetma famille vacillait à la limite de la pauvreté. Ils finirent par céder et accepter que je l’épouse, àconditionquemonsieurleducleurdonneunegrandeterreenéchange.Sesyeuxsevoilèrent.—Jemesuisviterenducomptequetoutcequ’ondisaitsurluiétaitvraietqu’ilétaitpireencore;

c’étaitunignoblescélérat,poursuivit-elleenretournantvers lecanapé.J’aivécuvingt-deuxannéesmisérablesaveccethomme.Lorsqu’ilestdécédé,c’étaitcommesilesténèbresvenaientdesedissiperdansmoncœur.Madameladuchesseeutunpetitsourirecoupable.—Jesupposequ’ilesthorriblededireunechosepareille,termina-t-elle.—Nousnoussommesentenduespourêtrehonnêtes,réponditÉvaavecunelueurdemalicedans

lesyeux.Ilétaitimpossibledenepasaimerladuchesseetdenepasressentirdesympathiepourlesannées

oùelleavaitvécuunmariagemalheureuxetsansamour.Plusieursfemmesfaisaientdemêmepourassurerleursécuritéfinancière.Madameladuchesseritgaiement.—Vousmeplaisez,mademoiselleWinfield.Vousêtesexactementlegenredefemmequ’ilfautà

monfilspour le tenirenhaleine,dit-elleenappuyantuncoudesur lebrasducanapé.J’ai toujoursespéréqueNicholasnecommettepas lesmêmeserreursquesesparents.Jeveuxquel’amouret lerirefassentpartiedesavie.Ellefitunepause.—Pourtant,et jesuiscertainequevousvousenêtesrenducompte, il ressemblebeaucoupàson

père.Tousdeuxpeuventêtredurs lorsqu’ilssontcontrariés.Enrevanche, iln’estpasCharlesetnepourrajamaisêtrecommelui.Ilnesaittoutsimplementpascommentlaisserreposerlefantômedeson père et accepter le fait qu’il est capable d’aimer. Je crois qu’à nous deux, nous pouvons luimontrerqu’ilatort.Évarepritsonsérieux.—C’estunhommebien,admit-elle.Illuiavaitfalluuncertaintempspours’apercevoirque,soussonairbourru,ilavaitboncœur.Puis

ilyavaitlefaitqu’ilavaitrisquésaviepourelle.—Jesuispersuadéequevotrefilsetmasœurvousontinforméedemaconditionetparlédema

mère,poursuivitÉva.Non,jevousenprie,neleniezpas,madameladuchesse.Noëlleestdécidéeànousmarieretellevousamanifestementimpliquéedanssoncomplot.Sinon,commentseriez-vousaucourantdesdétailsdemavie?Un léger hochement de tête confirma ses soupçons. D’une manière quelconque, à un endroit

quelconque,lesdeuxfemmesavaientconspirécontreelle.—Madame la duchesse, je vous remercie de vos bonnes paroles et de m’accepter comme bru

potentielle.Jesaisquevoirvotrefilsfréquenterlafilled’unecourtisanen’estpasunesituationidéaleet,moi,jedoispenseràmamère.Entrenousdeux,lemurestinfranchissable.Jevouspried’acceptermonrefusetdeconvaincremonsieurleducqu’ilestpréférabledenousséparermaintenant,avantquelavéritéausujetdenotrerelationn’éclateparmilanoblesse.

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Lecœurlourd,Évas’excusarapidementetquittalemanoir.MadameladuchesseétaitunedamebienàquiNicholasimportaitbeaucoup.Évaavaitl’impressiondeleuravoircausédutortàtouslesdeux.Maissielledevaitfairepreuved’entêtement,tantpis.Letempsvenu,Nicholastrouveraituneépousesatisfaisanteetsamèreauraitbienasseztôtdespetits-enfantsàaimer.Elle suivit le sentier couvert demauvaises herbes duvaste jardin pendant un certain temps, sans

destinationparticulièreenvue.Ellefinitpartombersurunpetitbancprèsd’unerangéedetreillisets’yassit,perduedanssespensées.Moins d’un quart d’heure plus tard, elle entendit des pas précipités derrière le treillis, suivis de

douxsanglotsféminins.LestreillisempêchèrentÉvadedécouvrirl’identitédelafemmebouleversée.Ellesepréparaitàs’éclipserlorsquelebruitdelourdesbottesquiécrasaientlesbroussaillesl’avertitqu’unedeuxièmepersonnerejoignaitlapremièreàgrandspas.—Margaret,jevousenprie,l’interpellaHaroldd’unevoixbasseetsuppliante.Laissez-moivous

expliquer.Surlebanc,Évasefigea.— Vous m’avez menti, à moi et à tout le monde, répondit Margaret entre des hoquets et des

reniflements.Jecroyaisquevousm’aimiez,Harold.Commentai-jepuêtreaussinaïve?Harolds’approcha.Évasecouvritlabouched’unemainpourétoufferlebruitdesarespiration.Si

elle partaitmaintenant, cela attirerait l’attention. Elle devait rester immobile et espérer qu’ils s’enaillent.Ils’agissaitd’uneconversationpersonnelle.Ellen’avaitpasàlesespionner.Pourtant,elledevaitadmettrequ’elleétaitcurieuse.MargaretetHarold?Toutessortesdequestions

luipassèrentparlatête.Quandleurrelationavait-ellecommencé?Jusqu’oùétaient-ilsallés?Étaient-ilsamants?—Vousn’avezpaséténaïve.Jen’avaispasl’intentiondetomberamoureuxdevous,Meg,dit-ilen

soupirant bruyamment. J’étais un palefrenier. Vous êtes une dame d’une famille qui a de bonnesrelations.Jenem’attendaispasàcequenousdevenionsamisetencoremoinsdavantagequecela.—Maisvousn’étiezpasunpalefrenier,protestaMargaretenhaussantleton.Vousêtesunbaron.

Vousm’avezcachélavérité.—Quelleimportance?Croyez-vousquevotremèrevousauraitpermisd’épouserunbaronruiné?

demandaHaroldd’unevoixangoisséesuruntondécouragé.Évan’arrivaitpasàcroirequesonstoïquedomestiqueétaittombéamoureuxdesatimidesœuret

qu’ellen’enavaitpasdécelélamoindretracenichezl’unnichezl’autre.Yaurait-ilunjourunefinauxsecrets?Ellepinçaleslèvrespourgarderlesilence.— Croyez-vous que je vous épouserais maintenant, même si vous aviez la fortune d’un roi ?

demandaMargaret en reniflant.Vous n’êtes pas l’homme que je croyais,monsieur le baron.VousfaisiezpartieducomplotdemamèrepourruinerÉvaetsamère.Jenevousconnaisplus.—Vousconnaissezmesraisonsetellesn’étaientpassidifférentesdesvôtres.Voussouhaitiezaussi

lepirepourÉvaavantdelaconnaître,dit-ild’untonbourruens’approchantdestreillis.Évavoyaitsavestebleueàtraversletreillage.Ellepriapourqu’ilneregardepasderrièreluietla

trouveentraindelesécouter.—J’airefusél’argentdeLadySeymour.JenepeuxpastrahirÉvaetCharlotte.Etvousnonplus.—Pourtant,vousm’aveztrahie,répliquaamèrementMargaret.Jevousaimais.

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Harold avança d’un pas. Éva aperçut une robe délavée. Il se tenait assez près deMargaret pourpouvoirlatoucher.CetteconversationexpliquaitcertainementpourquoiAbigail-Margaretétaitsortiedelapièceentrombelorsqu’ilavaitavouéquiilétaitetquelemanoirluiappartenait.Pourunefois,celan’avaitrienàvoiravecÉva.Iln’étaitpaslepalefrenierdequiMargaretétaittombéeamoureuse.Quellefâcheusedécouverte!—Nemetouchezpas,lepriaMargaretenreculantd’unpas.Nemetouchezplusjamais.Leurconversationfutinterrompueparunsanglotetelles’enfuitverslemanoir.Évarésistaàl’enviedelapoursuivreafindecompatiràlatrahisoncommunedontellesavaientété

victimesdelapartd’Harold.IlavaitmentiàMargaretetcausétantdesoucisàÉvaausujetduduc;ildevraitêtreprisàpartiepar lesdeuxsœurs. Ilméritaitdesouffrirdesonamourcommeelleavaitsouffertdusien.Ellesouritgaiementeteutenviederire.Parsonamour,saminusculesœuravaitremisàsaplace

l’oursquiluiservaitdedomestique.Évadutémettreunsonquitrahitsaprésence.Uninstantplustard,Haroldsetenaitdevantelle.Elle

levasurluidesyeuxrieurs.Haroldparaissaittroubléetabattu.—Qu’avez-vousentendu?demanda-t-ilavecunregardaccusateur.Deprofondssillonstraversaientsonvisagesévère.Ilétaitréellementmalheureux.—Tout,dit-elleavecungrandsouriresanssesoucierdecachersasatisfaction.Entoutehonnêteté,

j’étaislàlapremière.Il arrachaunebranched’un rosierdormant et la cassa enplusieurspetitsmorceauxavantde les

jeterparterre.Seslargesépauless’affaissèrent.—J’aigâchémavie.Jen’aijamaisvoulutomberamoureuxd’elle,Éva,vousdevezmecroire.Évaportaundoigtàseslèvresetl’examina.—Jen’aijamaispenséquevouspouvieztomberamoureuxouquevousétiezcapablederessentir

une émotion aussi forte. Vous avez été vraiment irrévérencieux avec moi par rapport à messentimentsenversmonsieurleduc.Jecroyaisquevousétiezunparfaitsanscœur.Harolds’assitàcôtéd’elle.—Nossituationssonttrèsdifférentes.Jen’aipasvolél’innocencedeMeg.—Peut-êtreauriez-vousdûlefaire.Ainsi,elleauraitétéforcéedevousépouser,letaquina-t-elle.Évatentad’imaginersonrobustedomestiquemariéàladouceettimideMargaret.Toutdemême,

la jeune femme l’avait ébranlé jusqu’au plus profond de lui-même. Peut-être n’était-ce pas siinconcevablequ’ilsformentuncouple.— Je crois que vous devriez prendre l’argent de Lady Seymour, poursuivit Éva. Cette sorcière

méritequesoncompteenbanquesoitallégé.Jevousaideraiàtrouverunehistoireextravaganteàluiraconterausujetdemamèreetmoi.Avecça,elleseraraviedevouspayer.Elleregardalejardinautourd’elle.—Vouspourrezensuiteembaucherquelqu’unpourtrouverlapelousesouscesmauvaisesherbeset

peindrelesboiseriesdumanoir.Lestapisetlesrideauxmoisisdoiventêtrebienaérésetnettoyés,etlescanapésontbesoind’êtrerecouvertsàneuf.Sivousvoulezépousermasœuretluioffrirunevieconfortable,vousdevezavoirunemaisondignedesacondition.Luilançantunregardencoin,Haroldhaussaunsourcil.—Margaretneveutpasdemoi.Ellepréféreraitépouseruncrapaud.—Sottises,réponditÉvaenbalayantsonargumentd’ungestedelamain.Àenjugerparl’émotionqu’elleavaitentenduedanslavoixdesasœur,ellesavaitqueMargaret

n’avaitbesoinqued’unpetitcoupdepoucepourpardonneràHarold.

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—Faitesquelquechosed’outrageusementromantique.Elleseraincapabledevousrepousser.

Yvettes’avéraplusrésilientequ’onl’auraitcru.Aprèsunejournéeetdemiederepos,ellesejoignitauxautresdanslepetitsalonpourprendrelethé.Endehorsdesonairfatiguéetdescernesnoirsquiteintaientlapeausoussesyeux,elleallaitbien.Évaetlesautresfemmesfirentdeleurmieuxpourluiremonterlemoraletellelesenrécompensapard’occasionnelspetitssourires.Elle refusadeparler tantducomtequedu tempspasséencaptivitéet lesautres respectèrent son

jardinsecret.Yvetteinsistapourparticiperàlafêtequiauraitbientôtlieuaveclesépouxpotentielsetremerciatoutlemondedeluiavoirsauvélavie.Uneenquêteavaitétéouvertepourretrouverlemeurtrierducomte;ilyavaitdesrumeursausujet

d’une femme mystérieuse, d’une bagarre et d’un cambriolage, mais personne à l’abbaye n’avaitréellementvuquoiquecesoitd’utile.Selonlarumeur,lesofficiersdelarueBowpenchaientpouruncambriolagequiavaitmaltourné.—Croyez-vousqu’unjour,Yvetteseravraimentheureuseànouveau?demandadoucementÉvaà

Harold.Àmaintesreprises,lorsqu’Yvettecroyaitquepersonnenelaregardait,Éval’avaitvueregarderpar

lafenêtre,levisagemarquéd’uneimmensetristesse.—Ce sera long,mais elle est forte, répondit Harold en fixantMargaret, qui refusait tant de le

regarder que de lui parler. Elle a survécu à beaucoup de souffrances au cours de sa vie. Je croisqu’elleestimpatientedeprendreunnouveaudépart.Jel’aientendueledireàRose.Évahochalentementlatêteavecunpetitsourire.—EtMargaret?Avez-voustrouvéunmoyendelafairechangerd’avis?ElleavaitparléàNoëlle,quiavaitété toutaussi surprisequ’elled’apprendrequeMargaretavait

entretenuunehistoired’amoursecrèteavecHarold.Noëllesavaitqu’ilsétaientamis,maissansplus.— J’ai vu les coups d’œil qu’elle jette dans votre direction, poursuivit Éva. Je sais qu’elle est

amoureusedevous.Haroldlagratifiad’unvifregardpleind’espoir.Évahaussalesépaules.—Nous, les femmes, voyons souvent avec notre cœur des choses auxquelles les hommes sont

aveugles.Ilexpira.—Danscecas,peut-êtrepouvez-vousmeconseiller sur la façonde lacourtiseretdegagnersa

main.Jen’arrivepasàtrouverlamoindreidéedegesteromantiquegrandiose.—Voustrouverez,répondit-elleenluitapotantlebras.J’aiconfianceenvous.

Avec l’aide d’Harold, Nicholas s’habilla. Trois jours passés au lit sans Éva l’avaient rendu demauvaise humeur et sec avec tout lemonde.Même les joyeux bavardages de samère le faisaientgrincerdesdents.Laduchesseavaitdécidéqu’Évaétaitdescendueduciel,avecdesailesd’angeettout le reste, et aucun argument ne pouvait la convaincre que la maîtresse entêtée de son filsn’épouseraitpasbientôtcedernier.—Cesmauditspansements,grommelaNicholasenglissantundoigtdessouspoursegratter.HaroldpassalachemisedeNicholaspar-dessussesépaules.—Laprochainefoisqu’onmetireradessus,laissez-moimourirenmevidantdemonsang.

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—Ilfutuntempsoùjevousauraisbientirédessusmoi-même,monsieurleduc,réponditHaroldpendantqueNicholasrentraitsachemisedanssonpantalon.Lebaronl’aidaàenfilersavestenoire.—Jedevraiplutôtmecontenterdevivreaveclasatisfactiond’avoirvuunvaletvousarracherun

morceaudepeau.Après avoir vu les vêtements rapiécés que portaient Éva et les courtisanes, Nicholas était

reconnaissant à sa mère de lui avoir apporté ses propres vêtements lorsqu’Harold l’avait envoyéquérir.Ilserenfrognaetremualesépaules.Ilavaitdescourbaturespartoutàcausedesoninactivitéforcée.—Jesuisassezenformepourporterquelquescoupsdignesdecenom,sijamaisvousavezenvie

determinerçadehors,ditNicholas.Lesouriremalveillantd’Haroldfutlepremierqueleducvitsurlevisagedecethommestoïque.

L’ancien domestique devenu baron puis domestique à nouveau tendit les bras pour nouergrossièrementlefoularddeNicholas.—Bienquel’offresoitalléchante,monsieurleduc,jecroisqu’Évavousaendommagébienplus

quejenepourraijamaislefaireavecmespoings.Éva.IlyavaitdesjoursqueNicholasnel’avaitpasvue,bienquesamèreluiaitassuréqu’ellelui

rendaitvisitependantsonsommeil.Elleévitaittoutenouvelleconfrontationetdiscussionàproposdemariage.Pasuneseulefoisellen’avaitniééprouverdel’affectionpourluilorsqu’elleavaitrefusésademande;ilétaitquestionuniquementdesescraintes.Ildevaitlesdissiper.Lorsqu’Haroldtermina,Nicholass’examinadanslemiroird’unœilcritique.—Vousfaitesunbonvaletdechambre,monsieurlebaron.—Ilestétonnantdeconstateràquelpointilestfaciled’apprendreàs’habillersoi-mêmelorsqu’on

n’a pas de valet de chambre, répondit Harold en s’appuyant sur ses talons. J’ai exercé plusieursfonctionsaucoursdemesvoyagesetj’aivubeaucoupdechoses.Jepourraisvoushabillerlesyeuxfermés.—Lerôledemédecinfait-ilpartiedecesemplois?La plaie guérissait bien et Nicholas n’avait souffert que d’une courte fièvre. Il garderait une

cicatrice,maisNoëlleluiavaitassuréquecelaneferaitqu’ajouteràsaréputationdedépravé.—J’aiétédansl’arméeetj’aipassédutempsàtravailleràl’infirmerie,réponditHaroldavecun

petitsouriresuffisant.Etlorsquevousavezlacarrured’unboxeur,onvousmetsouventaudéfideprouvervotrevaleur. Jesuisdevenuexpertdans l’artdemesoignermoi-mêmeaprès lescombats.Retirer la balle de votre flanc n’était pas difficile ; ce n’était pas beaucoup plus qu’une blessuresuperficielle.—Jevousdoistoutdemêmedesremerciements.J’auraispumourirenperdantmonsang.Nicholas tendit lamain.Lebaronbaissa lesyeux,puis refermasagrossemain surcelleduduc.

Leursregardssecroisèrent.—Maintenant, si vous pouviez convaincre votre patronne entêtée de m’épouser, je vous serais

reconnaissantjusqu’àlafindemesjours.—Jecrainsquevousnedeviezreporterencoreunpeuvoseffortsdeséduction,monsieurleduc,

ditHarold en lâchant samain.Éva a rassemblé ses sœurs et ses courtisanes cematin, et elles sontrentréesàLondres.Nicholasgrommeladanssabarbe.—Pourunefemmeavecunevolontédefer,elleestvraimenttrouillardequandils’agitdesebattre

poursonproprebonheur,dit-ilensecouantlatête.Sivousavezlamoindreidéepourlafairechanger

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d’avis,jevousprieraisdemeladire.Jen’enaiaucune.Harold hocha lentement la tête et ses traits s’adoucirent. Cela le rajeunit de plusieurs années.

Nicholas se rendit alors compte qu’ils devaient être environ dumême âge. Il réprima un sourire.Veiller sur Éva avait certainement été éprouvant et le pauvre homme avait vieilli à un rythmealarmant.— Je tiens de source sûre qu’un geste outrageusement romantique est le meilleur moyen de

pénétrer lecœurd’une femme,ditHaroldengonflant les joues.Monsieur leduc, jecroisque j’aiexactementcequ’ilfautpourvouséviteràtouslesdeuxtouteuneviedemisère.

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CHAPITRE21

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Le jour de la fête où les anciennes courtisanes devaient rencontrer les hommes qu’elles avaientchoisiscommençasurunenotenégativelorsqueletempsmenaçaderuinerlesprojetsd’Évadetenirlaréceptionàl’extérieur.Toutefois,àmidi,lesoleils’étaitfrayéuncheminentrelesnuagesetavaitfaitunvaillanteffortpourseplieràsesdésirs.Leparfumdesfleursprintanièresadoucissaitl’air.Les domestiques séchèrent les chaises et les bancs, puis installèrent les tables. La cuisinière

réquisitionnalesdeuxfemmesdechambrepourl’aidertandisquelescourtisanessepréparaientavecl’aided’Éva,deNoëlleetdeMargaret.—J’aidespapillonsdansleventre,ditRosetandisqueNoëlleluipassaitdélicatementpar-dessusla

têtesarobedevillebleuglacé.Sescheveuxrouxavaientétéremontésenlaissantquelquesbouclespourluiencadrerlevisage.—Jepensequejevaisêtremalade,ditPauline,quiparaissaiteffectivementblême.Rosegloussa.—Nesoispasmaladesurtarobe,trèschère.Tuestropjoliepourgâcherl’effet.Paulineluitiralalangue.Elleétaitvêtuedesoieroseetsescheveuxblondsétaientnattésettorsadés

sur ledessusde soncrâne.Sophieavait choisideporterune robe lavande.Lacouleuret sagaietéaidaient à adoucir les traits anguleux de son visage. De toutes les femmes, elle était celle quirecherchaitlasécuritéàtoutprix.Évarésistaà laforteenvied’enleversaperruqueetses lunettes.Bienquelescourtisanessachent

maintenantlavéritéausujetdesondéguisementetdesavolontédegardersesdeuxmondesséparés,cen’étaitpaslecasdesprétendants.Ellepréféraitquecelaresteainsi.EllesetournaversYvette,vêtuederouge,etl’observatenirdesbouclesd’oreillesdevantseslobes.

Bienqu’Évasefassedusoucipourelle,del’extérieur,ellesemblaitbienaller.Lorsqueleursyeuxsecroisèrentdans lemiroir,Yvettesouritdoucement.Évaserenditaucoffreàbijouxetensortitunepairedebouclesd’oreillesnoiresenperles.—Essaiecelles-ci,dit-elle.Yvettelesmitethochalatête,satisfaitedesonreflet.Ellesetournapourprendrelesmainsd’Évaet

luiserralesdoigts.—Jevousenprie,mademoiselleÉva,nevousenfaitespaspourmoi.ElleserrafortementÉvadanssesbrasetcettedernièrelasentittrembler.—C’estunjourheureux,chuchotaYvette.Jerefusequ’ilensoitautrement.Éval’étreignitencoreuncertaintemps,ravalantseslarmes.Sielledevaittraînerdeforcejusqu’à

cettemaison de ville tous les hommes célibataires duNorthumberland àDouvres afin de les faireparader devant Yvette pour qu’elle trouve le partenaire idéal, elle le ferait avec joie. Elle désiraitardemmentvoirYvetteheureuse.—Danscecas,jecroisquenousdevrionsnouspréparer,réponditÉva,quireculaensouriant.Ellefitletourdelapiècedesyeuxetembrassaduregardtoutesacouvéed’anciennescourtisanes.—Unpeuplusd’unedouzained’hommesarriverontbientôt.Nelesfaisonspasattendre,dit-elleen

tendantlesmains.Ellesserassemblèrent.—Jesuisconvaincuequevouscharmereztoutesquelqu’unaujourd’hui.Maissivousnetrouvez

pasdepartenaire,jecontinueraid’essayerjusqu’àcequecesoitlecas,dit-elle,leslarmesauxyeux.Jesuissifièredevoustoutes.Désormais,vousn’êtesplusdescourtisanes.Elless’embrassèrent,reniflèrent,rirent,puissedirigèrentaubasdel’escalierà l’instantoùdeux

carrosses bondés finissaient de déverser leurs passagers devant la grille du jardin. Lorsque leshommesfurentrassemblés,Évaconduisitlesfemmesdehorsetcommençaàfairelesprésentations.

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Lorsqu’elleeutterminé,ellereculaets’installadiscrètementenretraitavecNoëlleetMargaretpourobserverlesjeunesfemmes,quimirentpeudetempsàsemêleràleurspotentielsprétendants.Jeunesoud’âgesmûrs,charmeursoutimides,ilyenavaitpourtouslesgoûtsdansl’échantillon

d’hommes présents.CommeMargaret s’était retirée du groupe, les hommes étaient beaucoup plusnombreuxquelesfemmes.MaisÉvaleuravaitpromisdesépousesetilspourraienttoujourschoisirparmileprochaingroupedecourtisanes.— Ils ont tous l’air ravis, chuchotaNoëlle tandis que la pétillanteRose riait de bon cœur à une

blaguedel’undesmultipleshommesquil’entouraient.Pauline et Sophie avaient chacune deux prétendants alors qu’Yvette discutait avec un homme

d’apparenceplutôtguindéequiarboraitunemoustachefournie.Quelquesprétendantsse tenaientenretraitenattendantuneouverture.MonsieurReed,unséduisantavocatdetrenteans,observaitYvettedeloinàtraversseslunettes.—Jecroisqu’Yvetteaattiré l’attentiondequelqu’un,ditÉvaàNoëlleen lui indiquant l’homme

d’unlégersignedetête.Peut-êtredevrais-jeforcerleurrencontre.Lestroissœurséchangèrentunsourire.À l’exception d’une petite escarmouche entre monsieur Rhoades, un commerçant, et monsieur

Tipton,unpeintre,poursavoirquiapporteraitdugâteauàRose,lajournéesedéroulasansencombre.Évas’interposaentrelesdeuxhommesetleurexpliquaques’ilsétaientincapablesdebiensetenir,ilsdevraientpartiretseraientretirésdesonlivre.Ilssecalmèrentvite;toutlemondesavaitqu’unefoisque mademoiselle Éva vous retirait de son livre, vous n’y étiez plus jamais invité. Harold avaitdisparuimmédiatementaprèsavoiramenéleshommesetÉvanel’avaitpasrevudetoutl’après-midi.EllesavaitàquelpointilétaitdifficilepourluidepasserbeaucoupdetempsenprésencedeMargaretetvice-versa.Lafêtetiraitàsafinlorsqu’ilfitenfinsonapparition.Etquelleapparitioncefut!Éva,NoëlleetMargaret restèrentbouchebée lorsqu’ilentradans le jardinenportantunénorme

vaseremplid’uneexplosioncoloréedefleursvariées.L’immensearrangementcachaitpratiquementlamajeurepartieduhautdesoncorpsetdesatête.Maiscenefutquelorsqu’ilmitlevaseausolàcôté d’une Margaret stupéfaite et qu’il posa un genou à terre qu’Éva fut en mesure d’apprécierpleinementleseffortsqu’ilavaitdéployéspourimpressionnersasœur.Par leur coupe et leur qualité, ses vêtements rivalisaient avec ceux de monsieur le duc, de son

pantalonencuirchamoiséjusqu’àsachemiseblanchecommeneigeenpassantparsonfoulardcrèmeetsavesteécarlatefoncé.Sescheveuxétaientsoigneusementcoupésetsonvisage,rasédeprès.Évaeutdumalàlereconnaître.— Harold ? fit-elle avant que Margaret fasse taire tout autre commentaire lorsqu’elle faillit

s’étouffer.ÉvaetNoëllevirentunelueurd’amusementdanserdanslesyeuxdeleursœur.HaroldtenditlamainverscelledeMargaret.Lentement,elleouvritlesdoigts,puisillespritdans

sesgrandesmains.—LadyMargaretAbigailLouiseSeymour,jesaisquej’aifaitdeserreursaucoursdemavieet

que j’ai blessé certainesdespersonnesquim’importaient le plus, vous la première, dit-il avant dedéglutir.LorsquejevousaiaperçuepourlapremièrefoisdanslacuisinealorsquevousrévisiezlemenuavecmadameDunn,jesuistombéamoureux.Depuiscetinstant,messentimentssesontfortifiésdejourenjour.UnelarmeselibéraetroulasurlajouedeMargaret.—Vousmeferiezungrandhonneursivousacceptiezdem’épouser.

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Restée bouche bée, Éva l’observa dérouler sa demande. Pas une seule fois depuis qu’elle leconnaissait,Haroldn’avaitenchaînéautantdemotsetencoremoinsavecunetelleéloquence.Ilfallaitquecefût ledésespoirquiavait transformésonapparencehabituellementbourruepourenfaireunhomme qui ne craignait pas demontrer son amour. Cet amour se lisait facilement dans ses yeuxlorsqu’illesfixasurMargaret.SademandeaffectaNoëlledefaçonsimilaire.Évaetelleavaienttouteslesdeuxlabouchegrande

ouverte comme des poissons, qu’elles fermèrent subitement en même temps pour afficher dessouriresassortis.Lesanciennescourtisaneset leursprétendantsobservaient tousensilencependantqueMargaret fixait Harold comme s’il venait de lui pousser un deuxième nez. Elle ne s’attendaitmanifestementpasàdetelssentimentsamoureuxniàunedemandeaussigrandioseenpublic.Leroseluimontaauxjoues.—Je…Je…Ellejetaàsessœursunregardimplorant.ÉvaetNoëllehochèrentlatête.Margaretarboraungrand

sourireetsepenchapourposersamainlibresurl’épauledesonprétendant.—Jeveuxvousépouser,Harold.Ilserelevaprestementetlapritdanssesbras.Illafittournoyer,puislareposasursespiedsavant

de l’embrasserbrièvement,mais très tendrement.Margaretdevint écarlate lorsque les invitésde lafêteapplaudirent.Lestroissœurss’étreignirentetéchangèrentdesfélicitationsàvoixbasse.QuandHaroldfinitparserrerMargaretàsescôtésd’ungesteprotecteur,Évas’approchad’euxetposaunemainsursonbras,lesyeuxbaignésdelarmes.Ilsepenchaverselleetellesehissasurlapointedespieds.—Jesuissiheureusedet’accueillirdanslafamille,Harold.Jet’aitoujoursconsidérécommeun

amietmaintenant,tuserasmonfrère.Haroldposaunbaisersursajoueetgrimaça.—Il fautbienquequelqu’ungardeunœil survous trois.Sanssurveillance,vousvousattireriez

toutessortesd’ennuis.Évaritdeboncœur.C’étaiteffectivementunebellejournée.Pendantqu’Harold etMargaret faisaient le tourdes invités,Éva etNoëlleobservèrent leur sœur

souriante et son futur époux rayonnant.Évane les aurait jamais imaginés ensemble,mais l’amourétait parfois inexplicable. Elle le savait bien. Et parfois, il ne pouvait pas être réciproque. Chaqueheure de chaque jour, elle souffrait de cette affliction. Elle savait qu’il était préférable pour tousqu’ellerejettemonsieurleduc,maiscelan’empêchaitpassoncœurdeselanguir.—Ehbien,voilàunecourtisanemariée,ditNoëlleensouriant,tirantÉvadesespensées.Ellepointa l’avocatqui était engrandeconversationavecYvette.Elle s’épanouissait devant cette

attentionetlaméfiancesursonvisages’étaitdissipée.—Etjecroisqu’uneautreestsurlabonnevoie.Évafronçalenez.—Margaretn’ajamaisétéunecourtisane.Tuluiasinventéunehistoiredanslecadred’uneruse.Je

croisdoncqueçanecomptepas.—Oh,maissi,insistaNoëlle.Sanstoi,Haroldauraitespionnépourmamère,puisilseraitrentré

chez lui.C’est grâce à ton amitié et à cette écolequeMargaret et lui se sont retrouvés et que leurhistoirepeutconnaîtrecettefinheureuse.Peut-être était-elle bel et bien indirectement responsable de leur mariage. Margaret et Harold

affronteraient inévitablement lecourrouxdeLadySeymour.Toutefois,Évasavaitqu’àeuxdeuxetavecl’approbationdeNoëlle,lafemmen’avaitaucunechancedelesséparer.

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LeurconversationfutinterrompueparmonsieurMiddleton.Bientôttrentenaire,ilétaitpropriétaired’uneusinedetextileetavaitlesourirefacileetséduisant.—Puis-jevousparler,mademoiselleBlack?Sontonsérieuxluifithausserlessourcils.Ellehochalatête.—JevoudraisdemanderlamaindePauline,dit-ilensetournantpourregardercelle-ci,quiluifit

unsignedetêtecommepourl’encourager.JepossèdeunemaisonassezgrandeavectoutlepersonnelrequishorsdeLondresetmonentreprisevabien.IlfitunepauseetjetaunautreregardaffectueuxendirectiondePauline.—JecroispouvoiroffriràmademoisellePaulineunaveniragréable.C’étaitlemomentfavorid’Éva.Pouruneraisonquelconque,leshommesluidemandaienttoujours

lapermission avant de semarier,même si les femmes avaient l’âgededécider pour elles-mêmes.ElleregardaPauline,quilasuppliadesesyeuxnoisette.—Vousavezmapermission,monsieurMiddleton.IlpoussauncridejoieàvouspercerlestympansetcourutrejoindrePauline.Ilposaunbaisersur

sajoueetilssemirentàconverseràvoixbassed’untonexcité.Dansl’heurequisuivitetavantlafindelafête,nonseulementPaulineetMargaretavaient trouvédespartenaires,maisRoseavait limitéson choix à deux prétendants, qui viendraient séparément prendre le thé le lendemain afin qu’ellepuissediscuteraveceuxdansuncontexteplusintime.Avecunchaperon,bienentendu.Monsieur Reed avait demandé lamain d’Yvette et elle lui avait répondu qu’elle avait besoin de

temps pour réfléchir à son offre. Éva trouva cela judicieux. Après tout ce qu’Yvette avait vécudernièrement,ilétaitbonqu’elleprenneletempsdedéciders’ilétaitvraimentcequ’ellevoulait.Évacroyaitqu’enfindecompte,ellediraitoui.C’étaitunhommebonetgentil;unpartenaireidéalpourYvette.Unefoislesaurevoirterminés,Sophies’approchatandisqu’Haroldrassemblaitleshommespour

lesconduireauxcarrosses.Elleavaitreçudeuxdemandes,maislecœurn’yétaitpas.—Jenesaispasquoi faire,mademoiselleÉva.C’est lapremière foisdemavieque jemesens

libre.Jenesuispascertained’avoirenviedememarier,dit-elled’unairdésolé.Êtes-vousdéçue?Évalapritparlamain.—Pasdutout.L’objectifdecetteécolen’estpasdeforcerlesgensàsemarier,maisplutôtdeleur

offrirlechoixdeprendreunépoux.Cequetuferasdésormais,c’esttadécision.LevisagedeSophiesedécomposa.Elleétaitvisiblementdéchirée.Elleavait toujoursvécuselon

lesrèglesdesesamants.Lalibertécomportaitdesresponsabilités.—Jenesaisfaireriend’autrequecequevousm’avezappris,répondit-elletandisquel’inquiétude

creusaitlesridesautourdesesyeuxetdesabouche.Quelssontmesautreschoix?Tandisquelescarrossess’éloignaientdelamaisondeville,Évaréfléchituninstantàsasituation

difficile.Unesolutionluivintàl’esprit.— J’ai besoin de quelqu’un pour gérer cette maisonnée, pour organiser les livres et aider à

préparer lesmariages.Les courtisanes ont tendance à se présenter à l’improviste et je ne suis pastoujourslàpourrecueillirleursinformations.Jenepeuxpast’offrirungrossalaire,maistuseraislogéeetnourrie.UnsourireilluminalentementlevisagedeSophie.—J’accepte,mademoiselleÉva.Merci.EllesehâtaderejoindrelesautresfemmesetÉvapritletempsderemettresesidéesenplace.La

fêteavaitétéunsuccès.

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Les ententes finales entre les femmes et leurs prétendants seraient conclues le lendemain. Pourl’instant,iln’yavaitqu’àsereposer.Noëlle dut la voir étouffer un bâillement. Ellemobilisa les domestiques et entreprit la tâche de

dirigerlenettoyage.Évalagratifiad’unsourirereconnaissantetretournaàl’intérieur.Alorsqu’ellesedirigeaitversl’intimitédupetitsalon,onfrappaàlaported’entrée.Évaouvritle

panneauenchênepourtrouverunvalet,vêtudelalivréedemonsieurleduc,quisetenaitsurleseuilavecunelettreàlamain.Legrandcarrosseducalattendaitdanslarue.—J’aiunemissivepourmademoiselleBlack.Évaeut enviede refuser la livraisonde la lettre etde claquer laporte.Cependant, le contenude

l’enveloppe piquait sa curiosité et la préoccupait en même temps. Il y avait presque une semainequ’elleavaitlaisséleducauxsoinsd’Harold.EllecraignaitqueNicholasaitpuavoirprisunmauvaistournantetêtredécédé,malgrélefaitqu’Haroldluiavaitassuréqu’ilserétablissaitbien.—C’estmoi.Ellepritl’enveloppeetladéchira.Montezdanslecarrosse,Éva.Jevousenprie.Lemessageétaitsimpleetdirect,exactementcommeNicholas.Ils’attendaitàcequ’elleseplieàsa

volontésansposerdequestions.Cettefois,cependant,ilavaitdit«jevousenprie».Celachangeaitdesonhabituded’aboyerdesordresens’attendantàcequetoutlemondes’exécuteautourdelui.Évautilisalemessagepoursetapoterlementonpendantqu’elleréfléchissaitàsademande.Levalet

attendit poliment. Nicholas, monsieur le duc ; elle fut submergée par une vague d’émotionslorsqu’elle évoquamentalement son séduisant visage. Il luimanquait énormément.Si elle avait étéunetrouillarde,lasolutionfacileauraitétédeverrouillerlaportepourenfiniravectoutcela.MaisÉvan’étaitpasunetrouillarde.Ellevoulaitlevoirunedernièrefois.Ellevoulaitundernierbaiserd’adieu.

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CHAPITRE22

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Évas’inquiéta lorsque,plutôtquedesedirigervers lamaisondevilleduduc, lecarrossesortitàtoutevitessedeLondres.Elle tentad’attirer l’attentionduconducteur,mais l’hommenesemblapasentendresesappels.Commeellen’avaitpasenviederisquerdeseblesserensautantducarrosse,elleenleva brusquement sa perruque urticante et ses lunettes, puis s’enfonça dans les coussins en cuirrembourréspoursefaireunsangd’encre.S’ilcroyaitqu’ilpourraitl’empêcherdelesortirdesavieenl’enlevant,ilfaisaitgravementerreur.

Sadécisionétaitpriseet ilne la feraitpaschangerd’avis en l’intimidant.Une foisqu’elle l’auraitdevantelle,elleavaitl’intentiondeluipasserunsavonqu’iln’étaitpasprèsd’oublier.Elleavaitl’impressionquedesheuress’étaientécouléeslorsquelecarrosseralentitpoursortirde

la route en prenant un virage serré. Elle regarda par la fenêtre et vit une allée sinueuse bordéed’arbresetunepelouseparfaitemententretenuequis’étendaitàpertedevue.L’endroitluisemblaitfamilier,bienqu’ellefûtcertainedenejamaisyêtrevenueauparavant.Puis

elle aperçut au-dessus des cimes des arbres la flèche facilement reconnaissable de l’abbaye deHighland.Elleeutunhoquetdesurprise.Pourquoimonsieur leduclafaisait-ilvenirà l’endroitoùilavait

faillimourir?Ilnepouvaitpasêtredésespérédelacontrôleraupointdel’enfermerdanslamêmepièce où le comte fou avait emprisonnéYvette. N’est-ce pas ? Il avait déjà été vengeur. Était-il sidifficiledecroirequ’ilpourraitl’êtreànouveau?L’inquiétudes’insinuaitenellelorsquelecarrosses’arrêtadevantl’abbayeetquelevaletouvritla

portière.Ellesavaitquerefuserdedescendren’empêcheraitpasmonsieurleducdelafairesortirdeforce.Elleacceptal’aidedujeunehommeetdescenditprudemment.Àlalumièredujour,l’abbayeétaitmagnifique;leblocenpierreetenverreluicoupalesouffle.Il

nerestaitaucunetracedumalqu’elleavaitsentiflotterau-dessuslesoirdel’opérationdesauvetage.Sanslecomtepouryprojetersonombremaléfique,elleputapprécierlevieilédificepourletrésorqu’ilétait.—Inutiled’avoirl’airsieffrayée,Éva.Elle se retourna au son de la voix familière. Arrivant d’une dépendance, monsieur le duc

approchaitdansl’allée.Misàpartsachemiseblanche,ilétaittoutdenoirvêtu,unesilhouettebrutedignedel’arrière-planqueformaitlamaçonneriesculptéedel’abbaye.Ellefutparcouruedefrissonsdedésireteutlesoufflecoupéàlavuedesonvisage,desoncorpset

desonarroganceassurée.Elleduts’agripperdetoutessesforcesàsacolèrealorsquetoutcedontelleavaitenvie,c’étaitdel’entraîneràl’intérieurducarrossepourlesupplierdeprendredeslibertésavecsoncorpsenfiévré.—Pourquoim’avez-vousfaitvenirici,monsieurleduc?s’enquit-elleens’efforçantdeprendre

unevoixdédaigneuse.Malgrél’étroitedistancequilesséparait,labriseluifitparvenirl’odeurlégèredesonparfum.Cela

titilladangereusementsesémotions.—Je suis convaincueque les héritiers du comtene seront pas ravis par notre intrusionpendant

qu’ilssontendeuil.Ilsontperduunêtrecherrécemment.Ilignorasoncommentaireetcoinçalebrasd’Évasouslesien.—Nevousinquiétezpas,Éva,moncœur.Illuisouritetl’entraînaversl’entréeetsesgrandesportesarrondies.—Toutetraceducomteetdesontrouàratsontétéeffacéesetlesdraps,brûlés.Iln’yapersonne

icipourprotestercontrenotrearrivée.Ilsétaientseuls?

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—Voussavezqu’ilyaeudestémoinsdemonenlèvement?demanda-t-ellesèchement.Haroldetmes sœurs finiront par s’inquiéter et semettront àma recherche. Ils sont très déterminés.Vousnepourrezpasmegardercaptiveentouteimpunitébienlongtemps.Nicholass’arrêtapourlafixerduregard.—Vouscroyezquej’ail’intentiondevousenleverpourvousimposermavolonté?Ilgloussaetdesplisapparurentauxcoinsdesesyeux.—Vousêtesundélice,mademoiselleWinfield.Sonhumourrestaprisentraversdelagorged’Évaetlacolèrel’envahit.—Jen’auraispasdûmonterdanslecarrosse.J’aiagiàl’encontredubonsens.Ilportalamaind’Évaàseslèvresetposaunbaisersursesjointures.Ellefutaspiréeparsesyeux

vertsetseperdituninstantdansleursprofondeurs.Elleétaittotalementconscientedesaproximité,desoncharmesensuel.Desimagesdeseslèvressurelleetdesesmainsquilacaressaientluidonnèrentfollementenviedel’attirerdansunrecoinsombredel’abbayeetderetroussersesjupes.—J’espèrequed’icilafindelasoirée,vousneregretterezpasvotredécisiondevousêtrejointeà

moi,dit-ilenlaconduisantàl’intérieur.Elle fut frappéedevoir àquelpoint l’abbayeparaissaitdifférenteenplein jour, ainsiquepar la

façondont les rayonsde soleil traversaient lesvitrauxdes fenêtresdansun tourbillonde couleursvivesquidébordaientsurlesmursetleplancher.C’étaitcommeêtreàl’intérieurd’unarc-en-ciel.—C’estabsolumentmagnifique,souffla-t-elle,émerveillée.Jen’aijamaisrienvudetel.Nicholassuivitsonregard.—Noëllem’aparlédevotreintérêtpourl’abbaye.Évasetendit.EllenefutpasétonnéededécouvrirqueNoëlleavaitjouéunrôledanscettehistoire.

Ellelessoupçonnad’avoiréchangédessecretsàsonsujetdanslebutdelaconduiredevantunprêtre.Sasœursemblaitaimerfourrersonnezdanscequinelaregardaitpas.—Masœurn’apasàsemêlerdemesaffaires.—Avait-elletort?Levantlesyeuxverslehautplafondetbalayantduregardlevasteespaceautourd’elle,Évasecoua

latêteàcontrecœur.— J’adore cette abbaye. Je suis si soulagée que la vile présence du comte fou ne puisse plus

entachersabeauté.—Excellent,réponditNicholasensouriant,visiblementsatisfaitdesonaveu.Jel’aiachetéepour

vous.Lechocqu’illutsursonvisagelefitrire.—Vousavezfaitquoi?Ilsepostaenfaced’elleetluipritlesmains.—C’estvotrecadeaudemariagedemapart,moncœur.J’aioffertàl’héritierducomteunmontant

sioutrancierqu’iln’apaspurefuser.Lapiècedevintchaudeetlesgenouxd’Évatremblèrent.Ilavaitachetél’abbayepourlaluidonner

encadeau?Submergéetantparl’amourqueparl’exaspération,ellerestamuette.Cethommeétaitincorrigible.Iln’abandonneraitpas,etce,peuimportelenombredefoisqu’elle

luidiraitnon.Ilvoulaitl’épouser,êtrelepèredesesenfantsetlachérirjusqu’àlafindesesjours.Commentpourrait-ellenepasl’aimer?Soncœursegonflaetellecaressasonvisagebienaimé.Siseulementelleavaitlalibertéd’accepter

qu’illuifasselacour!—Je…

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Sonrefusfutinterrompuparunbruitdepasàl’étage.EllelevalesyeuxetaperçutsamèreaveclamèredeNicholassurundesbalcons.Lesdeuxfemmessouriantesregardèrentverslebas.—Tevoilàenfin,monÉvangélinechérie.Noust’attendions,ditsamère,dontlesyeuxdansaient.

Tudevraisvoirmachambre;elleesttrèsrose.Monsieurleducm’adonnéunetrèsgrandechambreavec son propre petit salon qui donne sur le jardin. Et il y a amplement d’espace pour des petits-enfants.Laduchessehochalatêteetfitunclind’œilàÉva.—Assez d’espace pour une bonne dizaine de bébés et une immense pouponnière où les garder

tous,dit-elleenéchangeantunregardentenduavecCharlotte.L’universd’Évaprenaituneallureirréelle.Samèreetladuchesseétaientlà,ensemble,àpenserà

despetits-enfants?EllereportasonregardsurNicholas.—Jenecomprendspas.J’ailaissémamèreàLondrescematin.Elleétaitterriblementperplexe.Lapressionluimartelaitlestempes.Latenantfermementparlesmains,Nicholasmitungenouàterreetpritunairsérieux.—Vousavezrenoncéàbeaucoupdechosesdansvotreviepourprotégervotremèredesmalheurs

dumondeextérieur,dit-ildoucement.Jesavaisqueleseulmoyendevousconvaincredem’épouserétaitdetrouverunemanièred’apaisercescraintes.Lagorged’Évaseserraetelleclignadesyeuxplusieursfois.—J’aiachetécetteabbayepourvousafinqu’elleservederefugeàCharlotte,desortequ’onprenne

soind’elleetqu’ellesoitensécuritédansunendroitoùlemondeextérieurnepourrapasl’atteindre.Nous élirons domicile ici et résiderons à Collingwood House quand nous serons de passage àLondres.Ilfitunepause.— À vous de voir ce que vous voulez faire de la maison dans Mayfair. Et n’oubliez pas que

MargaretetHaroldnesontqu’àunquartd’heurederoute.Lorsqu’Éva scruta affectueusement les traitsdeNicholas,des larmes lui chatouillaient les cils. Il

représentaittoutcedontelleavaittoujoursrêvéetplusencore.Ilétaitsonséduisantducarrogant.Ellelevalesyeuxsurlesvisagessouriantsdesdeuxmèresquisouhaitaientardemmentvoirleursenfantsheureux.Maisd’abord,ilyavaitdesaffairesàrégler.Ellenepouvaitpasacceptersademandeavantdes’êtreentendueavecluisurquelquesderniersdétails.—M’aimez-vous,Nicholas?—Oui.—Renoncerez-vousàtoutecourtisanepourmeresterloyaletfidèlejusqu’àlafindevosjours?Ilsourit.—Mamaisondevilleaétévendue.Terminé,lescourtisanes,lesmaîtressesetlesamantes.Elleplissalesyeuxetfronçalessourcils.—Jenecesseraipasdemariermescourtisanes.MêmesiSophieprendenchargeunepartiedu

travailetm’aidepourlesactivitésquotidiennes,jecontinueraidegérerl’écolecommejel’entends.Unegrimacetraversalevisageduduc.— Je ne m’attendais pas à ce que vous fermiez l’école, dit-il en soupirant de façon plutôt

dramatique.Sijedoisrédigeruncontratquicomprennetoutesvosstipulationsafind’obtenirdevotrepartuneréponsepositiveetdepouvoirmerelever, je leferaiavecjoie,poursuivit-ilenrivantsonregardausien.Épousez-moi,ÉvangélineWinfield.Ellehochavivementlatêteenriantetenpleurantàlafois.

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—Jevousépouserai,monsieurleduc.Ilserelevaetlapritdanssesbraspourunbaisertorrideetpassionnétandisquelamèred’Évaetla

duchessecriaientetapplaudissaient.Évase laissaallercontre lui toutensachantqu’ellechériraitàjamaiscet instant.Cethommeavait franchibiendesobstaclespourelleetelle l’aimaitde tout soncœur.Lorsqu’ilrelevaenfinlatête,ilsuivitlacourbedeseslèvresd’undoigt.—Jevousaime,Éva.Beaucoup.—Jevousaimeaussi.Ilslevèrentlesyeuxversleursmères,dontlessouriresétaientbaignésdelarmes.Évavitunelueur

d’espoirqu’ellen’avaitpasvuedepuislongtempssurlevisagedesamère.Peut-êtrequepenseràdespetits-enfantsaideraitàadoucirunpeulatristessedesoncœurbrisé.Laduchesseécarquillalesyeuxetelleregardalamèred’Éva.—Charlotte,nousavonsunmariageàpréparer.—Effectivement,madameladuchesse.Lesdeuxfemmess’enallèrentprécipitammenttandisqueleursbavardagesexcitésrésonnaientdans

lehalldetroisétages.NicholasgloussaetreportasonattentionsurÉva.Ilpassaundoigtlelongdesajoue.Unechaleur

intensesedégageaitdeluietellesutàquoiilpensait:pasaumariage,maisauxpartiesdejambesenl’air;auxmaintespartiesdejambesenl’airàvenir.—Jecrainsquenousn’ayonspasencorequitté l’autelquenosmèrescommencerontàréclamer

despetits-enfants,dit-ilensepenchantpourfrottersonnezdanslecoud’Éva,cequilafitrire.C’estl’entraînementquej’attendsavecimpatience.Évasoupira.—Sinousétionsseuls,jeproposeraisdenousymettresanstarder.Elleglissalesmainssoussavestepourleprendreparlatailleetpressaseshanchescontreluide

manièreaguichante.Ellelesentitréagirsoussonpantalon.— Je sais qu’il y a près de la cuisine un débarras dans lequel se trouve une vieille table

poussiéreuseassezgrandepourdeux,dit-ild’unairmalicieuxenlevantlatête.Unsourireétira lentement les lèvresd’Évaetsa languefituneapparitionsursa lèvreinférieure.

Elle lui caressa doucement les fesses et les hanches jusqu’à ce qu’il gémisse et tende le bras pourprendre un de ses seins à pleines mains. Elle sentit son mamelon s’ériger sous l’étoffe. Latempératuredelapiècemontajusqu’àdevenirinconfortable.— J’arriverai la première, répondit-elle avant de s’élancer vers la cuisine avec un rire enjoué,

suiviedeprèsparleducténébreux.

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ÉPILOGUE

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Unmois plus tard, Éva épousaNicholas dans la joie lors d’une charmante cérémonie intime à laminusculechapelledudomainedel’abbayedeHighland.Elleavaitchoisilachapelleenpierrepoursabeautésimpleetparcequec’étaitsurcedomainequesavieavaitréellementcommencé.Sesanciennescourtisanesétaientprésentes;Roseavecsonépoux,monsieurThomasStanhope,le

dernier-né d’un baron, Yvette avec son époux,monsieur Reed, ainsi que Pauline avec son époux,monsieurMiddleton,etpossiblementunbébéenroute.NoëlleetMargaretaidèrentÉvaàrevêtirlarobebleuedesamère,cellerecouverted’unvoiletrès

fin parsemé de cristaux pour réfléchir la lumière, et à orner sa coiffure d’épingles serties dediamants.Elleavaitl’aird’unevéritableprincesse.Danscetterobe,ellesentaitl’amourdesesparentsetsavaitque,oùqu’ilfût,sonpèreétaitravi.Haroldétaitassisavecsanouvelleépouse,ainsiqueNoëlleetSophie, lorsqu’ÉvaetNicholasse

témoignèrentleuramour.Jamais,aucoursdesavie,Évan’avaitétéaussiheureusequ’enentendantNicholasprononcersesvœux.Ilétaitsien,etce,pourtoujours.Elle soupçonnait aussi que jamais deux mères n’avaient été aussi heureuses. La duchesse et

Charlotteétaientdevenuesdegrandesamiesetlesdéliresdesamères’étaientfaitsmoinsfréquentsavecl’excitationliéeauxpréparatifsdumariaged’Éva.Après leur lune de miel, Éva et Nicholas passèrent les dernières semaines de la saison à

CollingwoodHousepourprésenterÉvaàlasociété.Celal’avaitterrifiée.Les spéculations et les rumeurs au sujet dumariage surprise ébranlèrent la noblesse,mais avec

Nicholas à ses côtés, ainsi que quelques histoires extravagantes de coup de foudre propagées parNoëlle,Éva futbientôt lacoqueluchede lasociété. Ilspréservèrent tous lesecretdeCharlotteet lamajoritédelasociétéacceptal’histoiredelacousinedisparuedepuislongtempstandisquelamèred’Évavivaitpaisiblementàl’abbayedeHighland.MêmeLadyPenningtonéchouaàtrouvermatièreàscandalesdansceshistoiresetacceptaàcontrecœurÉvadanssongiron.—Etcelui-là,là-bas?Évachassacespensées lorsque lavoixdeMargaret la ramenaauprésent.Elleplissa lesyeuxet

regardaau-dessusd’elle.— Je crois voir un mouton, dit Margaret en pointant un nuage d’une main tandis que l’autre

reposaitsurleminusculerenflementquigrossissaitsoussarobedeville.LavieilleLadySeymouravaitgénéreusementpayéHaroldpoursesinformationsscandaleusesau

sujetdevoleursdegrandcheminetdenaufrageursqui,selonsesdires,étaientparentsavecÉvaetCharlotte. Elle se rendit compte peu après qu’elle avait été dupée et s’était enfuie en France pours’isoler,loindestrahisonsdesesfillesingrates.— Je trouve que ça ressemble plutôt à un lapin, réponditNoëlle depuis sa place de l’autre côté

d’Éva.Ellefermaunœiletfronçalessourcils.—Regardez-moicesoreilles.C’estunlapin.—Jenesuispasd’accord,Noëlle,c’estunmouton,intervintÉva.Unmoutonpoursuiviparunchat

quiaunesourisdanslabouche.—Unchat?s’enquitNoëlleenlevantlatêtepourregarderÉvacommesiellevenaitd’êtrefrappée

defolie.Cen’estcertainementpasunchatniunesouris.Jecroisquecelui-làestunbébénuavecunhochetdanslamain.Évasehissasurlescoudesengrimaçant.—Oùas-tuditqu’étaitLadyPenningtonaujourd’hui?demanda-t-elleenregardantautourd’elleà

larecherchedesignesdelaprésencedeladamedragon.

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Heureusement,ellesétaientseules.LorsqueNoëlleavaitproposéderendrevisiteàLadyPenningtonà l’improviste,Évaavaitvoulu

refuser.MaisNoëlleavaitinsistésurlefaitquecelaconsolideraitlarelationd’Évaaveclapopulaire,maisredoutée,matronedelasociété.Évafutsoulagéed’apprendrequ’elleétaitabsente.—ElleestapparemmentsortiedîneravecLordetLadySherbrook,réponditMargaret.—Net’enfaispas;letempsqu’ellerevienne,nousseronsparties,ajoutaNoëlleaprèsavoirjetéun

coupd’œilauvisagepréoccupéd’Éva.Parties en laissant derrière elles une rumeur persistante parmi ses domestiques au sujet de trois

jeunesfemmescouchéessurledosdanslehallentrainderegardersonplafondcouvertdenuages.—Peut-êtredevrions-nousfaireunvœu,proposaMargaretenselaissantretomberdoucementsur

lemarbrepoli.Elle avait les joues rouges de bonheur. L’imminence de la parentalité leur avait procuré une

immensejoieàHaroldetàelle.—Onnefaitdesvœuxquepourlesétoiles,machèresœur,ripostaNoëlle.Jenevoispasd’étoiles.—Jecroisquec’estuneexcellenteidéeetjevaiscommencer,intervintÉvaavantquen’éclateune

autredesquerellesfréquentesentrelesdeuxsœurs.Chaquejour,elleadoraitdeplusenplusl’impossibleduo.LavieilleLadySeymouravaitfaitdeux

bonneschosesaucoursdesavie:lesdeuxfemmes.—CommeMargaretetmoiavonstoutesdeuxtrouvédesépouxetlebonheur,jesouhaitelamême

choseàNoëlle.—Biendit!s’exclamaMargaretenhochantlatête.Moiaussi,jesouhaiteunépouxpourNoëlle.Il

faudraquecesoitunhommefortquilatiendraloindesmauvaiscoupsetquiauraunegrossebossedanssonpantalonpourlagardermerveilleusementsatisfaite.ÉvaetMargaretrirentlorsqueNoëllehoquetadevantlecommentairescandaleux.— Je n’ai pas besoin d’un époux ni de quoi que ce soit qu’il puisse posséder, réponditNoëlle,

vexée.J’aibienl’intentionderestervieillefille.— Je crois connaître un prétendant parfait pour elle, poursuivit Éva sans tenir compte des

protestations de Noëlle. Il est fortuné et titré. Nicholas nous a présentés lors de la fête de LadyDunleavy. Il est un peu petit et trapu, et il postillonne légèrement quand il parle, mais c’est ungentilhommequiaunmerveilleuxriretonitruant.—Jecroisleconnaître,ajoutaMargaretenprenantunairsérieux.OnlesurnommeLordÉdenté.Il

aunphysiqueingrat,maisilestplutôtcharmantdanslegenrebossu.—Vousn’êtespasdrôlesdutout,grommelaNoëlle,quirefusaitdecroiserleursregards.ElleserenfrognadavantagelorsqueleursriresrésonnèrentàtraversPenningtonManor.

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Lisezcequisuitpouravoirunaperçuexclusifduprochainromand’amourhistoriquedeCherylAnnSmith,Courtisanemalgréelle.

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CHAPITRE1

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LadyNoëlleSeymourvacillalégèrementsurletreillisetsemorditlalèvreinférieurepourreteniruncri.Hautededeuxétages, lamaisondevilleenbriques rougesparaissaitbeaucoupplusgrandemaintenantquelorsqu’elleavaitdécidédemettreàexécutionceplanmalpréparéetdetraverserlapelousepoursefaufileraussifurtivementqu’unevoleusedansl’ombredel’édifice.Iln’enrestaitpasmoinsquel’excitationliéeaufaitdevivreunegrandeaventurel’avaitguériedetoutehésitationdedernière minute tandis qu’elle enfilait un pantalon noir retroussé emprunté ainsi qu’une chemiseassortieavantdepartirpourlamaisondevilleducomtedeSeabrook,dansMayfair.Elleglissa lesdoigtsentre lesplantesgrimpantespiquantesets’agrippafermementau treillis.Si

madame la duchesse, sa sœur, apprenait ce qui se passait ce soir, elle demanderait à ce qu’on luirapportesatêtesurunplateau.Elle s’obligea toutefois à continuer. Elle ne pouvait pas s’en empêcher. Elle était parcourue de

frissons d’excitation. Elle n’était plus une dame respectable de bonne famille, mais plutôt uneaventurière libredescontraintes imposéespar lesrègleset lesrestrictionsde lasociété.Dumoins,pourcettenuit.Etellenelaisseraitnilacraintenilebonsensluigâchersonaventurescandaleuse.Nivueniconnue,lelendemain,ellerentreraitànouveaudanssescorsetsetsesbas.Lamondaine,

sinontoutàfaitrespectable,LadyNoëlle.À titred’expérience,Noëlle,quientendait soncœurbattreà tout rompredanssesoreilles, tendit

l’orteilverslafenêtre.Unefoisquesonpiedeuttrouvéunendroitstable,ellelâchaunemainpours’agripperaureborddelafenêtrecommesisavieendépendait.Sielletombait,ellerisquaitplusquedes fractures ou même la mort ; si on la trouvait vêtue en garçon en train de s’introduire pareffraction dans la demeure du couple Seabrook au beaumilieu de la nuit, le scandale causerait àjamaissaruineauxyeuxdelanoblesse.Samèrel’enterreraittellementloinàlacampagnequ’elleseflétrirait,sedessécheraitetcraquerait

commeunemargueritenégligéeprivéed’eauetdesoleil.Noëllegrimaçaet,desamaingantée,écartaunebranchefeuilluedesonmenton.Lamortseraitpréférableàlahonted’êtreenvoyéeenexil.Siellechutait,elleprieraitpourtomber

latêtelapremièreetmourirsurlecoup.—J’ysuispresque,murmura-t-ellepours’encourageravantdeglisserlepiedsurl’étroitrebord.Une farouchedéterminationàmettre sonplanà exécution lapoussa à continuer.Très lentement,

ellesedéplaçadoucementversladroite,frôlantlabriqueavecsonventre,reconnaissantedufaitquelamaisondevillesoitfortheureusementsilencieuse.Selonlesrumeurs, lecomteétaitàBathavecsonépouse.CeladonnaitàNoëllesuffisammentde

tempspourrendrelecolliervoléetéviteràBlisslaprisonou,pireencore,lapendaison.LabelleBliss.Cettefilleavaitautantdebonsensqu’unâne.Noëlle sourit d’un air désabusé. À cet instant, les deux étaient manifestement plus intelligents

qu’elle.Nilacourtisanenil’ânen’étaientsurlepointdecommettreuncrimequipourraittrèsbienlaconduiredanslacellulevoisinedecelledeBlissàl’horribleprisondeNewgate.Maisilétaittroptardpourlesregrets.Elleyétaitpresque;lafenêtresombresedressaitdevantses

yeux.D’iciquelquesminutes,l’objetauraitétérendusansencombreetelleseraitenrouteverschezelle.Avecprécaution,elles’appuyasursonpieddroitafindetesterlasoliditédurebordettenditlamain

vers la fenêtre.Elle chuchota une brève prière, posa lesmains à plat sur le cadre en bois peint etpoussa la fenêtre vers le haut. Une vague de soulagement l’envahit lorsque la vitre s’ouvritfacilement,produisantseulementunlégergrincement.

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Elle n’aurait pas à chercher une deuxième ou une troisième fenêtre pour en trouver unedéverrouillée.Manifestement,monsieur le comtene s’attendait pas à cequequelqu’un entreprenneuneescaladesipérilleusepourluidérobersesobjetsdevaleur.Avecdiligence, ainsiqu’uneextrêmediscrétion,Noëllepassad’abord la têtepar la fenêtrepour

s’assurerquelapièceétaitdéserte,puiselles’introduisitprudemmentàl’intérieur.Dansl’obscurité,ellen’entenditriend’inquiétant.Pasderonflementsnidemouvementdansunlit.L’endroitétaitfortheureusement silencieux et elle prit une profonde inspiration apaisante pour soulager l’oppressiondanssapoitrine.SelonBliss,cettepièceoucelled’àcôtéétaitlachambreducomte.Lafillen’étaitpascertainede

laquelle il s’agissait parce qu’elle avait été distraite par les assauts lubriques du comte lors de sabrèvevisite.Bienqu’ilpossédâtuneautremaisondevillepluspetitepoursescourtisanes,lavanitél’avaitpousséàfaireentrer furtivementBlisssuruncoupde têtequelquesmoisplus tôt,alorsquesonépouseétaitpartieprofiterdeseauxapaisantesdeBath.Lesbrastendusdevantelle,Noëllefitprudemmentletourdelapièceàlarecherchedulitetdeson

couvre-lit bleu qui lui confirmerait qu’elle était dans la bonne chambre. Si elle voulait rendre lecollieretfairecroireaucomtequ’ilavaitseulementétéégaréetnonvoléparsonex-courtisane,elledevaitlelaisseràunendroitoùilpourraitle«trouver»facilementdèssonretour.Unetâchequiserévélaplusfacileàdirequ’àaccomplir.Lamauditepièceétaittropsombre!Mêmelalunerefusaitdecollaborer;ellerestaitbiencachée

derrièreunecouverturedenuagesorageux.Deséclairsaideraientcertainement,maisilsavaienteuxaussinégligédefaireuneapparitionpourtantattendue.Heureusement,Noëllemittrèspeudetempsàtrouverlelitmassifetencoremoinsàconstaterque

lecouvre-litétaiteffectivementbleufoncé,noiroumêmevertfoncé.Elleétouffaunsoupirexplosifetsoulevaletissujusqu’àsonnezpourlescruterdeprès.Elleétaitpratiquementcertainequ’ilétaitvert.Fichtre!Sansperdredetemps,Noëllelâchalecouvre-litettraversalachambreàl’aveuglette.Les

mainstenduesdevantelle,ellecherchaàtâtonsuneporte,puisl’ouvritdoucement.Unefoisdanslecouloir sombre, elle suivit lemur de droite jusqu’à la pièce suivante. Elle referma lamain sur lapoignée,puislatourna.Lepanneaugrinçadoucementlorsqu’ellel’ouvritetelles’immobilisa.Commeaucunealarmeneretentit,elleseprécipitaàl’intérieuretfermalaportederrièreelleavec

uncliquetis.Lapièceétaitencoreplussombrequelaprécédente.Peut-êtreaurait-elledûattendreunenuitdégagéedepleineluneavantdes’aventurerdehors.—Tupeuxyarriver,Noëlle,chuchota-t-elle.Trouvelelit,assure-toiquec’estlabonnechambreet

sorsd’ici.Elle tituba à l’intérieur de la pièce en faisant de grands moulinets avec les bras. Elle finit par

heurterunepetitetableettrouvalelitàcôté.Seulelapurechancel’empêchaderenverserunelampe.Ellesepenchapourscruterlecouvre-lit.Était-ilbleu?Lafrustrationl’envahit.Elleallaitdevoirletraînerjusqu’àlafenêtreetprierpourun

rayondeluneafind’enêtrecertaine.Refairelelitparlasuiteseraitaussidifficiledansl’obscurité.Silesfemmesdechambretrouvaientlelitdéfait,celaéveilleraitleurssoupçonsetellesrapporteraientl’incidentaucomte.SilesofficiersdelarueBowétaientimpliquésdansl’affaire,ellepourraitavoirdesérieuxennuis.Une telle situation nécessitait des mesures désespérées ; elle se préoccuperait du lit une fois le

collierrendu.

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Noëllefitletourdulitpours’approcherlepluspossibled’unefenêtre.Àl’instantoùelleagrippaàpleinesmainslecoinducouvre-lit,unbrasjaillitsubitementdel’obscuritépourl’attirerbrusquementsurlelit!—Oh!cria-t-ellesèchementàl’instantoùellerebonditcontreuncorpsfermeavantdeseressaisir

etd’étoufferuncridefillette.—Lâchez-moi!dit-elledesavoixlaplusgrave.Unemainsecramponnaàsesfessesetellefuttiréecontreuntorsechaudetnu—untorsenutrès

masculin,àenjugerparleduvetquirecouvraitlasurfacefermeetmusclée.Latentativedeprendreunevoixmasculinefutrécompenséeparunriregrave.—Aucunhommen’auneodeuraussidoucenidescourbesaussiexquises,moncœur,marmonna

l’inconnuenguisederéponse.Maintenant,embrassez-moi.L’embrasser?Ellenevitrienquipuisseluidonneruneidéedel’identitédesonravisseur,maiselle

sentitsonsouffleauborddesonvisage.Ilfallaitquecesoitlecomte.C’étaitsademeure.Maisquefaisait-ilici?IlétaitcenséêtreàBath!Pense!Pense!—Monsieur lecomte, ceci est tout à fait indécent, réussit-elleà répliqueravecuncertaincalme

malgrésaterreur.Siellepaniquait,ellepourraittoutperdre:saréputation,salibertéetpeut-êtremêmelavie!— Je vais vous montrer, moi, ce qui est indécent, murmura l’homme avec un soupçon

d’amusementdanslavoix.Il enleva samaindes fessesdeNoëllepour laglisservers lehautde soncorpsdansune légère

caresseexploratoire.Ensuite,ilpassalesdoigtsdanssescheveuxtressésserrés,attirasatêteverslasienneetplaquamaladroitementsabouchesurlasienne!Noëlles’immobilisa,stupéfaite,lesbrascolléslelongdesoncorps.Seslèvresfermesremuèrent

dansl’obscuritéàlarecherchedelabonnepositionjusqu’àcequ’iltrouvel’endroitapproprié,puisilréclamapleinementsaboucheavecunbaisertorride.Illataquinaetlatourmentaavecsonodeurexotiqueetsonardeur;Noëllesentitsesmembresse

transformerenpurée.Troubléedesentirmonterenelleunevaguedefrissons,elleouvritlabouchepourexigerlafindubaiser.Plutôtquedelarelâcher,l’impudentinconnupoussasalangueentresesdents et le goût d’un alcool quelconque lui envahit la bouche. Toutefois, ce furent ses mainspuissantesquilatouchaientàdesendroitsoùiln’auraitpasdû,etnonsesviolentsbaisers,quifirentbasculerl’universdeNoëlle.Sous elle, le comte lui donna l’impression d’être puissant et sauvage, contrairement à tous les

autresnobleshommestièdesqu’elleconnaissait.Soussespaumes,lapeaunueducomteétaitchaudeetsoupletandisquedesmusclesdensesdécoupaientsacuisseferme.Une vague de désir propagée par des fibres liquéfiées s’empara du corps de Noëlle et elle se

détendit. Jamais auparavant on ne l’avait embrassée ainsi ! Il ne s’agissait pas d’un simple bisouaccidentelsurlabouche,maisplutôtdugenredebaiserquel’onéchangeaitavecsonamant.Levidesefitdanssonespritvirginaletsespaupièress’abaissèrentlorsqu’illafitroulersurledos

pourlarecouvrirpartiellementduhautdesoncorpsetpasserunejambepar-dessussescuisses.Pourquoinesedébattait-ellepas?Elledevraiteffectivementlefaire.Cependant,soncorpssemblait

réticentàlerepousser.Soudain,uneNoëllehorrifiéeserenditcomptequ’elleétaitpendueàsoncouetqu’ellel’embrassaitavidementenretour!—Sidouce,marmonna-t-ilenmettantfinaubaiseravantdedéplacersabouchesoussonmenton

poursefrotterlenezàlabasedesoncou.

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Quelquechosechez lui,danssavoix, sonna fauxàsesoreilles.Heureusement,cela redonnaunecertaineréalitéàlasituation.Ellesentitunepointedemenaceémanerdecethommeetsutquesielleneselevaitpasimmédiatementdecelit,elleperdraitbeaucoupplusquesalibertédanscettechambreobscure.Il relâcha brièvement sa prise pour changer de position etNoëlle profita de l’occasion pour lui

donnerunefortepoussée.Lecomtetombaàlarenversesurlelit,suffisammentloinpourpermettreàNoëlledes’écarterdesousluietdesereleverpéniblement.Ellefonçadansunmeuble,unecoiffeuse,crut-elle,eteutsuffisammentdebonsenspoursortirlecollierdesapoche.Lacouleurducouvre-litn’avaitplusd’importance.Cettechambreétaitmanifestementcelleducomte.Elleentenditl’hommesehissersursespiedsetellelaissatomberlecolliersurlasurfacelisseavec

unbruitétouffé.Elleétaitàboutdesouffle,cequiavaitempiréavec l’attaque inattendueducomtecontresabouche.Elleétaitdésorientéetantparlebaiserqueparl’obscurité.Ellen’étaitpascertainedesavoiroùsetrouvaitlaporte.Toutcequ’ellesavait,c’étaitqu’elledevaitsortirdelàavantqu’illarattrape.Le bruit des pieds nus sur le sol s’éloigna et elle entendit l’inconnu se déplacer bruyamment

pendantuncertaintemps.Destisonsrougevifseravivèrentencrépitantetdesflammessemirentàlécher lebois,ou la tourbe,qu’ilvenaitde laisser tomberdessus.Lapièce fut rapidementbaignéed’unefaiblelueur.Noëlle savait qu’elle avait une chance de s’échapper si elle faisait vite. Elle jeta un coup d’œil

autourd’ellepour trouver laporteetseprécipitavers lepanneauenbois.Plusquequelquespasetelleseraitlibre!—Halte!ordonna-t-ilderrièreelle,surquoielles’immobilisabrusquement.Lentement,ellefitdemi-tour,lespoingslevés,etsepréparaàsebattretantpoursalibertéquepour

soninnocence.—Vousn’êtespasunedomestique,dit-ilenplissantlesyeux.Il l’embrassaduregardetsonregarddevintsuspicieux. Iln’yavaitaucuneexplication logiqueà

sonétrangeaccoutrementetàsonalluregarçonne.—Jesuistombésurunevoleuse.Lapeur engourdit lesmembresdeNoëlle et elle fut paralysée.Elle était sur le point de se faire

arrêter.Elleétaitunecriminelle,unevoleuseauxyeuxdelaloi.Aucunmagistratnelacroiraitsielledisaitqu’elleétaitvenuenonpaspourvolerlebienducomte,maisplutôtpourrendrecequiluiavaitétédérobé.Ildevaityavoirunmoyendesesortirdecettesituationdélicate.Pense!Lefeubrûlaplusfortetelleobtintunpremiervéritableaperçuducomteàmoitiénu.Elleeneutle

soufflecoupé.Bien qu’il portât un pantalon noir, celui-ci était déboutonné et tombait si bas sur ses hanches

étroites que c’en était scandaleusement indécent. Il était terriblement évident qu’il ne portait riendessous.Aumoindremouvement,lepantalonpourraitluitomberauxgenouxetlelaissersansaucunecouverture.Noëllerougitets’efforçadedétournerlesyeuxdel’étroitelignedepoilsoussataillequipointait

vers lebas afind’examiner leplusmerveilleux torsequ’elle avait jamais eu la chanced’observer.Bon, en vérité, elle n’avait jamais vraiment eu l’occasion de regarder un torse masculin de prèsauparavant.Sonexpérienceselimitaitàunbrefcoupd’œilaufilsd’unmétayerdansunchamp.Maiselle était tout de même convaincue que celui du comte était magnifique comparé à ceux d’autreshommes.

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IlcorrespondaittrèspeuàladescriptionhâtivequeBlissluiavaitfaitedemonsieurlecomte.MaisBlissétaitpratiquementhystérique lorsqu’elle luiavait racontécequ’elleavait fait ;Noëlleprenaitdoncavecuncertainscepticismetoutcequ’elleavaitdit.Certes,cethommeétaitgrand,commel’avaitdécrit la jeunefemme,mais iln’avaitpaslemême

teintblafardquesesconfrèresdelapetitenoblesse.Sontorsesculptéétaitd’unbronzedorécommes’ilpassaittoutsontempsausoleilsanschemise.Sescheveuxétaientchâtainclairetlemêmesoleilquiavaitbrunisapeauyavaitlaissédesmèchespluspâles.Unepaired’yeuxcachésdansl’ombresousquelquesmèchesdecheveuxéparslaregardaittandis

qu’ilavançaitlentementverselleavecunegrâcefélinequiluifittremblerlesgenoux.Desonpointdevue,ilétaituneraretéquinesemblaitpasêtreàsaplacedanssonunivers.Pourtant,ellesavaitquelecomteétaitunmembrerespectéetrespectabledelanoblesse,unportraitquinecorrespondaitpasàlabeautésauvagedel’hommequisetenaitdevantelle.Son cœur fit un bond lorsqu’elle leva les yeux sur ses lèvres pleines, les mêmes qui l’avaient

embrassée jusqu’à lui couper le souffle quelques instants plus tôt. Elle recula tandis qu’ils’approchait,sonassuranceévidentedanslemaintiendesaparfaitesilhouettemasculine.Ce fut là qu’elle comprit ce que voulait dire sa sœur Éva lorsqu’elle expliquait les émotions

sensuellesquesonépoux,monsieurleduc,provoquaitenellequandillaserraitdanssesbras.Noëlleavait ressenti quelque chose pour cet hommependant qu’elle était étendue sous lui sur le lit,maisn’avaitpasvraimentcompriscedont ils’agissait.C’étaituneattirancesensuelleenversun inconnusansvisage.Uneattirancesensuelle?Àcetinstant,unplancommençaàprendreformedanssonesprit.Siellepouvaittrouverunmoyen

dedistrairelecomte,ellepourraits’échapper.Etiln’yavaitqu’uneseulemanièrepourunefemmededistrairecomplètementetparfaitementunhomme.Passerdutempsavecdescourtisanesluiavaitaumoinsappriscela.Ellecessadoncdereculeretattenditquelecomtesoitassezprèspourpouvoirletoucherentendantlebras.Noëlleaffichasurseslèvrescequ’elleespéraitêtreunsourireséduisant,puislevaunemainpour

la placer sur son torse. Il tressaillit sous ses doigts. Tandis qu’elle fixait sa bouche, elle dut sesouvenirdecontinueràrespirer.—Jenesuispasunevoleuse,monsieurlecomtedeSeabrook,ditNoëlleenbattantdescilseten

écarquillantlesyeux.Vousvousméprenezsurmesintentions.—Vraiment?Ilbaissalesyeuxsursesvêtementsettenditlamainpourtirersurl’étoffenoireàsataille,cequi

eutpoureffetdelafaireavancerd’unpas.—Vousêtespourtantbienvêtuecommetel,Milady.Ilétaitbeletbiendifficiled’expliquerlesvêtementsfoncés.Elledevaitdétournersonattentionet

vite.Lentement,Noëlledéplaçasamainvers lebassurson torseet lapeausouple frissonnasousses

caresses. La curiosité, l’anonymat et la peur d’être pendue lui donnèrent de l’audace. Il étaitmagnifique.Ellesedemandasisapeauavaitungoûtaussiexotiquequesonodeur.Uneboufféedechaleurvirginaleluienflammalesjouesetluiparcouruttoutlecorpsjusqu’àsesorteilsbottés.— J’ai entendu que vous étiez à la recherche d’une nouvelle courtisane et j’ai pris cesmesures

extrêmes pour être la première à vous offrir ces services, dit-elle avant de se lécher la lèvreinférieureduboutdelalangue.Jevoustrouvetrès,trèsséduisant.Ladernièrepartieétaitvraieetsortitnaturellementdesabouche.

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Unepairedesourcilssehaussa.Ungrandsourireilluminalentementlevisagedel’inconnu,maisilne dit rien. Il tourna plutôt son attention vers la tête de Noëlle, où des mèches de cheveux doréss’étaient échappées de la tresse pendant sa dangereuse ascension. Il examina sa trouvaille avec unsourire.—J’aimeraisbienlesvoirdétachés.L’airfraisdelapièceluichatouillalapeau.Baissantlesyeux,Noëlles’aperçutqu’ilavaitdesserré

sachemisependantqu’elleluicaressaitletorseetqu’ill’avaitremontéedansl’intentiond’exposersapoitrine. Grâce à l’autre chemise en dentelle qu’elle portait dessous, ses seins étaient toujours, àpeine,couvertsetàl’abridesonregard.Noëlle s’efforçade rester calme lorsqu’il remontadavantage sa chemisepourprendre à pleines

mains ses seins fermes finement voilés. Ses mamelons durcirent sous ses paumes. Un souriremalicieux étira les lèvres du comte et Noëlle sentit sa bouche s’assécher. Elle brûlait d’envie del’embrasser à nouveau, de s’abandonner sans aucune retenue, de goûter à nouveau sa langue quis’emmêlaitaveclasienne.Encetinstant,aveccethomme,ellen’étaitpluslarespectableetbientôtvieillefilleLadySeymour,

maisplutôtlacourageuseaventurièrequigrimpaitauxtreillisetauxfenêtresaubeaumilieudelanuitafinderendreuncollieretd’embrasserminutieusementetsansretenueunséduisantinconnu.—Àquel pointme trouvez-vous séduisant ? lui demanda-t-il doucement en pinçant du bout des

doigtsunmamelonsouslafineétoffe.Elle étouffaungémissement.Ses jambesmenaçaientde céder sous elle etune sonnetted’alarme

résonnadanssoncrâne.Ilyavaitvraimentquelquechosed’étrangeàproposdecethommequin’avaitrienàvoirniavec

sonpouvoirdeséductionniavecleslibertésscandaleusesqu’ellel’avaitlaisséprendrepoursauversapeau.Pourtant,peuimporteseseffortsdeconcentration,ellen’arrivaitpasàmettreledoigtavecprécisionsurcequiéveillaitsessoupçons.Elles’appuyasurluipourmettrefinauxcaressesetscrutasesyeuxbleusrougis.Àcetinstant,elle

se rendit compte qu’il avait bu plus de quelques verres ce soir-là, suffisamment pour expliquerpourquoisavoixetsonapparenceluiavaientparuquelquepeufausses.Iln’étaitpasassezivrepourtituberoutomberàlarenverse,maissuffisammentpourqu’ellepuissel’utiliseràsonavantageafindes’extirperdecettesituation.Noëllesourit.Ellevenaitdetrouveruneportedesortie.—LapremièrefoisquejevousaivuàHydePark, j’aisuquejedevaisvousavoir,monsieurle

comte,mentit-elle.Lesdeuxmainssursontorse,ellelepoussadoucementetilreculaverslelitentraînantlespieds.Il

pritseshanchesàpleinesmainsetilssedéplacèrent,enlacés,enimparfaitesynchronie.—Lorsque j’aiappris la rumeurquiveutquevotrecourtisaneaitquittévotrenid, j’ai suque je

devaisvoustrouveravantquelesautresfemmesdécouvrentsafuite.Noëlleparlaitd’unevoixessoufflée,remplied’espoir.Ilbaissalesyeuxsursesseinsetgrogna.—Cesoir,j’ail’intentiondevousdonnerunaperçudemesnombreuxtalents.Puis,demain,nous

conviendronsd’unarrangement.Sonsourirecharmeurattiraleregardducomte.Ilfixaavidementsaboucheetsouritdetoutesses

dents.—Jedevraitoutvoir.—Bienentendu,monsieurlecomte,roucoula-t-elle.

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Cetteaventurièrenesefiaitqu’àsoninstinctetauxbribesdeconversationqu’elleavaitentenduesentreBlisset lesautrescourtisanesausujetde la façondontsatisfaireunhomme.Cen’étaitpas lemomentdemontrersoninexpérience.Ilfallaitqu’ilcroiequ’elleétaitbiencequ’elledisait.Saviedépendaitdesestalentsdecomédienne.Heureusement,cethommen’étaitpasuncrapaudcouvertdeverrues.Lorsquel’arrièredesesgenouxheurtalepieddulit,ils’arrêta.DeshanchesdeNoëlle,ilglissales

doigtsverssesfessespourlesprendreàpleinesmains.—Paroùvoulez-vouscommencer,Milady?Nousavonstoutelanuit.Il se pencha pour poser ses lèvres dans le cou deNoëlle et desmoustaches lui chatouillèrent la

peau.Ellesoupirademanièreaguichante.—Parici?répondit-elleendescendantlamainjusquesursongrosmembreenérectionsousson

pantalon.Sesjouess’enflammèrentdevantl’audacedugeste.Ellelesoupçonnad’êtreconsidérécommebien

membréetdenepasavoirbesoindebourrepourqu’ilensoitainsi.Ses sensibilités de vierge innocente firent place à une curiosité demoins enmoins dissimulée à

mesurequ’ellecaressaitlabosse.Àquoiressemblaitunsexemasculinenérectionvudeprès?Était-ce douloureux la première fois qu’un homme pénétrait une femme ? Finirait-elle par s’habituer àavoirquelquechosed’aussigrosenelle?Ledeuxièmegrognementducomtefutplusprofondquelepremier.Ilsuivitlacourbedesajoueen

lamordillantetsonsoufflechaudluichatouillalapeau.—Vousvenezdepasserausommetdelalistedemesmaîtressespotentielles.Sesjouesrougiesétaientuneindicationnettedesoninnocence,maisellepriapourqu’ilsoittrop

avinépourleremarquer.—J’aibienapprismonmétier,monsieurlecomte.Unecourtisanenerougiraitpasenexcitantunhommeavecsamain.Sacuriosité inconvenantela

poussaàcontinuer.Cachéederrièrelemasqueparfaitqueluifournissaitl’anonymat,Noëllesesentaitcarrémentmalicieuse,absolumentscandaleuse.Elle ferait n’importe quoi pour éviter la prison — même masturber le comte si cela pouvait

l’empêcherdefairevenirlesofficiersdelarueBow.Sespaupièressefermèrentet,pourlapremièrefois,ilchancelasursespiedsnus.IlposaunbaiseraucoindelabouchedeNoëlle,quidutenappelerà toute sa volonté pour ne pas tourner le visage et accepter le baiser. Le garder debout s’avéraitsuffisammentdifficile.Noëlle réprima un sourire satisfait et appuya les deux mains sur son torse. Elle le poussa

doucementetiltombamollementàlarenversesurlelit.Elleneperdraitpasdetempsàattendrequ’ilronfled’ivresseavantdes’échapper.Lecollierétaitsurlacoiffeuseetilnepouvaitpasluimettrelebijoudisparuentrelesmains.Mêmes’ill’apercevaitlorsd’uneréceptionmondaine,ilneferaitpaslelienentreladamerespectableetlacourtisane.Lafaiblelumièreetlesombres,ajoutéesàsonébriété,l’empêcheraientdevoirLadySeymouretlacourtisane-voleusecommeuneseuleetmêmepersonne.—Bonnenuit,monsieur lecomte,dit-elledoucementen jetantunderniercoupd’œilàses traits

séduisantsetàsontorsefermetandisquelespaupièresdecederniercommençaientàsefermersursonregardflou.Ellefrissonnaderegrets.Puiselledisparut.

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REMERCIEMENTS

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Ilyabeaucoupdegensàremercierlorsd’unpremierlivre.Premièrement,j’aimeraisremerciermamerveilleuseagente,KevanLyon,quiaprisunrisqueensebasantsurunmanuscritinachevéparcequ’elleenaimaitl’idée.Grâceàsesencouragementsetàsaconfiance,jedoisdireque…nousavonsréussi!Deuxièmement,millemercis àma super éditrice,WendyMcCurdy, qui a accepté le livre d’une

nouvelleauteuretraitantd’unesauveusedecourtisanesetquim’aaidéeàréalisercerêveinsensé;jenepeuxpasexprimeradéquatementmagratitude.ÀDuane, quim’a encouragée pendant que je travaillais d’arrache-pied pour quemon livre soit

publié;sanstoi,jen’yseraisjamaisarrivée.EtàPaige,ReganetEthan;vousêteslesmeilleurs.Àma sœurMichelle, qui a toujours su que je pouvais y arriver,même après avoir lumon tout

premiermanuscrit.Tu es géniale.Etmerci àGennypour son soutien, et aussi parce qu’elle est lameilleureagentepublicitairenonofficielledontuneauteurepuisserêver.IlnefautpasnonplusoublierderemercierPatti,StarretNicolepourleursbonsconseilsetleur

empressement à répondre à mes questions, et ce, à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit.Merci,lesfilles!Mais surtout, je dois remercier ma mère, Joyce, pour toutes les années passées à relire mes

manuscritsjusqu’àenavoirmalauxyeuxetparcequ’elleétaitconvaincueque,sijepersévérais,cecim’arriveraitunjour.Tesencouragementsn’ontjamaisfaibliettum’aspousséequandj’avaisbesoindemotivation.Commetuesmaplusgrandeadmiratrice,celivreestpourtoi.

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BIOGRAPHIEDEL’AUTEURE

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CherylAnnSmithestdevenueaccroauxromansd’amourhistoriquesàl’âgedequatorzeans,quandelleadécouvertpour lapremièrefois lecharmedesséduisantshérosengiletethauts-de-chausses.Lorsqu’elleadécidéd’écriresonpropreroman,elles’estrapidementdécouvertunenouvellepassionetelleestmaintenantauteureàtempspleind’histoiresd’amoursensuellesdel’époquedelaRégence.CherylhabiteleMichiganavecsafamilleetplusieursanimauxdecompagnie.Pourobtenirplusderenseignements au sujet de Cheryl ou de ses livres, vous pouvez visiter son site Web auwww.cherylannsmith.com.

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