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Ç A s’appelle Dofus. Les amateurs de jeux de rôle en ligne en raffolent. Ils sont près de 40 millions dans le monde ! Loin des trépidations de la capitale, ses créateurs ont choisi de s’installer à… Tour- coing. C’était en 2007. Fondée en 2001, la société Ankama est une des plus belles success-stories françaises du secteur. Une poi- gnée de techniciens et créateurs à l’origine, 500 aujourd’hui. Et ce n’est sans doute pas fini. Ankama a planté le décor dans les anciens et intermina- bles « Grands magasins » d’une usine tex- tile qui eut son heure de gloire. A son apogée, au début du XX e siècle, la manufacture Vanoutryve employait jusqu’à 7 000 ouvriers. La crise du tex- tile n’a pas eu sa peau (c’est déjà ça), mais l’a contrainte à démé- nager, laissant derrière elle des bâtiments industriels dans leur jus, toitures en shed, murs de briques, piliers métalliques… Au total, cinq hectares de fri- ches dont la communauté urbaine de Lille-Métropole a fait l’un des symboles de la revi- talisation du Nord Pas-de- Calais, et l’un des plus gros chantiers du genre en France. Cette histoire-là commence à la fin des années 90. Les deux mamelles industrielles du Nord (textile et métallurgie) ont fait place nette ou presque. Pour amortir le choc, Lille Métropole lance cinq pôles d’excellence, certains connus, d’autres moins : Euralille, Eurasanté, Euratechnologies, le parc scien- tifique de la Haute-Borne et l’Union. Cette Union-là – qui n’a rien à voir avec votre journal – s’étend sur 80 hectares de fri- ches (ex-brasse- ries ou filatures) ou de terrains en déshérence. Le tout dissé- miné sur Roubaix, Tourcoing et Wattrelos. L’ancienne manufac- ture occupe l’un des onze sites de l’Union que se charge de réhabiliter, à la demande de la communauté urbaine, une société d’économie mixte, « Ville Renouvelée ». Ainsi débute la reconquête d’un espace industriel désor- mais rebaptisé la « Plaine Ima- ges ». « Le constat de départ était que la région est la seconde de France en terme de formation aux nouvelles images, avec quel- ques acteurs significatifs », expli- que Maxime Couvreur, jeune directeur de la Plaine Images. Parmi eux, le studio national des arts contemporains Le Fresnoy et le Centre régional de ressources de l’audiovisuel (CRRAV). A un jet de TGV de Paris, Bruxelles et Londres, l’occasion était belle de transfor- mer l’ancienne usine en pôle d’excellence de l’image sous toutes ses formes : animation, jeux vidéo, multimédia, images de synthèse, audiovisuel, réa- lité augmentée (celle qu’utili- sent nos smartphones). Moins de quinze ans après le départ de Vanoutryve, la Plaine Image est désormais un ensem- ble architectu- ral réhabilité – et pour l’essen- tiel préservé - que se parta- gent sur 20 000 m 2 une cin- quantaine de sociétés. Des chaî- nes câblées (Télé Melody, My Zen TV ou Grand Lille TV), une radio, deux studios cinéma (où furent notamment tournées quelques scènes du film « Wel- come ») et quantité d’entrepri- ses spécialisées dans les jeux en ligne - telle « 3 Duo » (voir ci- dessous) - se côtoient dans un studieux compagnonnage. « L’objectif était de rassembler en un même espace plusieurs métiers de la filière, dans une logique homogène, efficace et complémentaire », résume Maxime Couvreur. Mais la Plaine Image entend aussi dynamiser le secteur en lançant dans l’ancienne retorde- rie de l’usine, rebaptisée « Ima- ginarium », incubateur, pépi- nière et hôtel d’entreprises, ainsi qu’un plateau de recherche réservé au CNRS et à l’université lilloise. Enfin, 20 000 m 2 sont encore prévus dans l’îlot central, actuellement en friche, de l’ancienne filature. « Ces locaux seront construits à mesure des demandes. Pas question d’édifier à blanc », note Maxime Cou- vreur. A terme, la Plaine Image table sur 150 entreprises et 3 000 emplois d’ici 2020. Rien à voir évidemment avec les 1 500 emplois ouvriers qui ont fait les beaux jours de l’ancienne manufacture. Agés de 30 ans en moyenne, les salariés ont un niveau bac + 3 à bac + 5. « Ce n’est pas boboland pour autant. Certes, ces personnels ne sont pas tous originaires du Nord, mais beaucoup choisissent de vivre et de s’investir à Tourcoing. Ça a permis de dynamiser com- mercialement la vie du quartier ». Industrie ou pas, dans une ville où le taux de chômage dépasse les 14 %, c’est toujours bon à prendre. Tourcoing tisse sa toile A Tourcoing, une entreprise textile désaffectée veut devenir l’un des hauts-lieux européens de l’image et des industries créatives. Un millier de têtes chercheuses y travaillent déjà. Objectif : 3 000 dans les dix ans. Deuxième volet de notre enquête consacrée à des revitalisations économiques réussies. Aujourd’hui, vue du Nord Pas-de-Calais où se concentre la moitié des friches industrielles de France. Elle est l’une des premières entreprises à intégrer l’Imaginarium, l’incubateur ins- tallé dans l’ancienne retorderie de la fila- ture. Les locaux ont été entièrement réha- bilités. L’agence « 3 D Duo » (comme développeur d’univers originaux) occupe le 1 er étage. Fondée en 2008, la société - une ancienne start up - a fait ses premières armes en lançant « Leelh », un jeu en ligne à succès mais fort coûteux. « Entre 500 000 et 1 M€ pour deux années de production », explique Sam Dhamani, le jeune directeur commer- cial de l’agence qui employait alors jusqu’à 30 personnes sur Villeneuve d’Ascq. L’entreprise s’est alors réorientée vers les « serious games », ces jeux 100 % web ven- dus sous forme de prestations de service et à usage publicitaire, pédagogique et sociétal. « Le jeu vidéo permet aussi bien de vendre un produit, que de former du person- nel d’entreprise ou de sensibiliser le public à la lutte contre l’alcool au volant, par exem- ple ». Ce virage a surtout permis à l’agence d’ouvrir son capital à un fonds d’investis- sement. Mais en arrêtant la production du jeu qui l’avait fait connaître, elle s’est également résolue à licencier la moitié de son personnel avant de déménager à Lille même. Son arrivée, début janvier, dans les locaux de la Plaine Images, correspond à un nouveau départ. Outre les presta- tions de service, l’agence développe désor- mais deux autres produits : des casual games (divertissement) et des « social games » pour les réseaux sociaux. Moins coûteux donc plus rentables. « Ça nous a permis de réembaucher du personnel et de développer un laboratoire de test en liaison avec des sociétés françaises et belges du secteur ». Quand le maire de Tourcoing et vice- président de Lille Métropole a eu vent du projet, il a proposé à « 3 D Duo » d’inté- grer la Plaine Images. « Notre installation a donc une triple cohérence, politique, géo- graphique et économique. Côtoyer quotidien- nement et dans un même espace d’autres acteurs de l’image est un facteur d’émulation et de complémentarité qui permet de tra- vailler sur des projets transversaux. Le pôle d’excellence est un catalyseur. Et comme Tourcoing est en zone franche, nous profitons aussi de l’exonération de charges patronales ». La société emploie désormais une quin- zaine d’infographistes, designers, informa- ticiens, scénaristes… Moyenne d’âge : 26 ans. « Si nous n’avions pas eu la possibilité de nous installer ici, nous serions encore pro- bablement à Lille. Mais dans notre coin… » Les clés de la réindustrialisation 2/6 Conversion « Imaginarium » L’avenir en 3 D « Complémentarité » Mardi 21 février 2012 www.lunion.presse.fr Par Gilles GRANDPIERRE Ç Maxime Couvreur devant la maquette de l’ancienne manufacture réhabilitée mais dont l’architecture d’origine a été préservée. En bas à droite, « l’Imaginarium ». « Une triple cohérence, politique, géographique, économique. »

Un 2012 02-21-unig-1

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ÇA s’appelle Dofus.Les amateurs de jeuxde rôle en ligne enraffolent. Ils sont près

de 40 millions dans lemonde ! Loin des trépidationsde la capitale, ses créateurs ontchoisi de s’installer à… Tour-coing. C’était en 2007. Fondée en2001, la société Ankama est unedes plus belles success-storiesfrançaises du secteur. Une poi-gnée de techniciens et créateursà l’origine, 500 aujourd’hui. Etce n’est sans doute pas fini.

Ankama a planté le décordans les anciens et intermina-bles « Grandsm a g a s i n s »d’une usine tex-tile qui eut son heure de gloire.A son apogée, au début duXXe siècle, la manufactureVanoutryve employait jusqu’à7 000 ouvriers. La crise du tex-tile n’a pas eu sa peau (c’est déjàça), mais l’a contrainte à démé-nager, laissant derrière elle desbâtiments industriels dans leurjus, toitures en shed, murs debriques, piliers métalliques…Au total, cinq hectares de fri-ches dont la communautéurbaine de Lille-Métropole a

fait l’un des symboles de la revi-talisation du Nord Pas-de-Calais, et l’un des plus groschantiers du genre en France.

Cette histoire-là commenceà la fin des années 90. Les deuxmamelles industrielles duNord(textile et métallurgie) ont faitplace nette ou presque. Pouramortir le choc, LilleMétropolelance cinq pôles d’excellence,certains connus, d’autresmoins : Euralille, Eurasanté,Euratechnologies, le parc scien-tifique de la Haute-Borne etl’Union. Cette Union-là – qui n’arien à voir avec votre journal –

s’étend sur 80hectares de fri-ches (ex-brasse-

ries ou filatures) ou de terrainsen déshérence. Le tout dissé-miné sur Roubaix, Tourcoing etWattrelos. L’anciennemanufac-ture occupe l’un des onze sitesde l’Union que se charge deréhabiliter, à la demande de lacommunauté urbaine, unesociété d’économie mixte,« Ville Renouvelée ».

Ainsi débute la reconquêted’un espace industriel désor-mais rebaptisé la « Plaine Ima-ges ». « Le constat de départ était

que la région est la seconde deFrance en terme de formationaux nouvelles images, avec quel-ques acteurs significatifs », expli-que Maxime Couvreur, jeunedirecteur de la Plaine Images.Parmi eux, le studio nationaldes arts contemporains LeFresnoy et le Centre régional deressources de l’audiovisuel(CRRAV). A un jet de TGV deParis, Bruxelles et Londres,l’occasion était belle de transfor-mer l’ancienne usine en pôled’excellence de l’image soustoutes ses formes : animation,jeux vidéo,multimédia, imagesde synthèse, audiovisuel, réa-lité augmentée (celle qu’utili-sent nos smartphones).

Moins de quinze ans après ledépart de Vanoutryve, la PlaineImage est désormais un ensem-

ble architectu-ral réhabilité –et pour l’essen-tiel préservé -que se parta-gent sur 20 000 m2 une cin-quantaine de sociétés. Des chaî-nes câblées (Télé Melody, MyZen TV ou Grand Lille TV), uneradio, deux studios cinéma (oùfurent notamment tournéesquelques scènes du film « Wel-come ») et quantité d’entrepri-ses spécialisées dans les jeuxen ligne - telle « 3Duo » (voir ci-dessous) - se côtoient dans unstudieux compagnonnage.« L’objectif était de rassembler enun même espace plusieursmétiers de la filière, dans unelogique homogène, efficace etcomplémentaire », résumeMaxime Couvreur.

Mais la Plaine Image entendaussi dynamiser le secteur enlançant dans l’ancienne retorde-rie de l’usine, rebaptisée « Ima-ginarium », incubateur, pépi-nière et hôtel d’entreprises,ainsi qu’un plateau de rechercheréservé au CNRS et à l’universitélilloise. Enfin, 20 000 m2 sontencore prévus dans l’îlot central,actuellement en friche, del’ancienne filature. « Ces locauxseront construits à mesure desdemandes. Pas question d’édifierà blanc », note Maxime Cou-vreur.

A terme, la Plaine Image tablesur 150 entreprises et 3 000

emplois d’ici 2020. Rien à voirévidemment avec les 1 500emplois ouvriers qui ont fait lesbeaux jours de l’anciennemanufacture. Agés de 30 ans enmoyenne, les salariés ont unniveau bac + 3 à bac + 5. « Cen’est pas boboland pour autant.Certes, ces personnels ne sontpas tous originaires du Nord,mais beaucoup choisissent devivre et de s’investir à Tourcoing.Ça a permis de dynamiser com-mercialement la vie du quartier ».Industrie ou pas, dans une villeoù le taux de chômage dépasseles 14 %, c’est toujours bon àprendre.

Tourcoingtisse sa toileATourcoing, une entreprise textiledésaffectée veut devenirl’un des hauts-lieux européens del’image et des industries créatives.Unmillier de têtes chercheusesy travaillent déjà. Objectif :3 000 dans les dix ans.

Deuxième volet de notre enquête consacrée à des revitalisations

économiques réussies. Aujourd’hui, vue du Nord Pas-de-Calais

où se concentre la moitié des friches industrielles de France.

Elle est l’une des premières entreprisesà intégrer l’Imaginarium, l’incubateur ins-tallé dans l’ancienne retorderie de la fila-ture. Les locaux ont été entièrement réha-bilités. L’agence « 3 D Duo » (commedéveloppeur d’univers originaux) occupele 1er étage. Fondée en 2008, la société - uneancienne start up - a fait ses premièresarmes en lançant « Leelh », un jeu en ligneà succèsmais fort coûteux. « Entre 500 000et 1 M€ pour deux années de production »,explique SamDhamani, lejeune directeur commer-cial de l’agence quiemployait alors jusqu’à 30 personnes surVilleneuve d’Ascq.L’entreprise s’est alors réorientée vers les

« serious games », ces jeux 100 %web ven-dus sous forme de prestations de serviceet à usage publicitaire, pédagogique etsociétal. « Le jeu vidéo permet aussi bien de

vendre un produit, que de former du person-nel d’entreprise ou de sensibiliser le publicà la lutte contre l’alcool au volant, par exem-ple ». Ce virage a surtout permis à l’agenced’ouvrir son capital à un fonds d’investis-sement. Mais en arrêtant la productiondu jeu qui l’avait fait connaître, elle s’estégalement résolue à licencier lamoitié deson personnel avant de déménager à Lillemême.Son arrivée, début janvier, dans les

locaux de la Plaine Images,correspond à un nouveaudépart. Outre les presta-

tions de service, l’agence développe désor-mais deux autres produits : des casualgames (divertissement) et des « socialgames » pour les réseaux sociaux. Moinscoûteux donc plus rentables. « Ça nous apermis de réembaucher du personnel et dedévelopper un laboratoire de test en liaison

avec des sociétés françaises et belges dusecteur ».Quand le maire de Tourcoing et vice-

président de Lille Métropole a eu ventdu projet, il a proposé à « 3 DDuo » d’inté-grer la Plaine Images. « Notre installation adonc une triple cohérence, politique, géo-graphique et économique. Côtoyer quotidien-nement et dans un même espace d’autresacteurs de l’image est un facteur d’émulationet de complémentarité qui permet de tra-vailler sur des projets transversaux. Le pôled’excellence est un catalyseur. Et commeTourcoing est en zone franche, nous profitonsaussi de l’exonération de charges patronales ».La société emploie désormais une quin-

zaine d’infographistes, designers, informa-ticiens, scénaristes… Moyenne d’âge : 26ans. « Si nous n’avions pas eu la possibilitéde nous installer ici, nous serions encore pro-bablement à Lille. Mais dans notre coin… »

Les clés de la réindustrialisation

2/6Conversion

« Imaginarium »

L’avenir en 3 D

« Complémentarité »

Mardi 21 février 2012www.lunion.presse.fr

Par Gilles GRANDPIERRE

Ç

Maxime Couvreurdevant la maquettede l’anciennemanufactureréhabilitée maisdont l’architectured’origine a étépréservée.

En bas à droite,« l’Imaginarium ».

« Une triple cohérence, politique, géographique, économique. »