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Un seul monde N o 1 / FÉVRIER 2016 LE MAGAZINE DE LA DDC SUR LE DÉVELOPPEMENT ET LA COOPÉRATION www.ddc.admin.ch Agenda 2030 Il faut agir maintenant Espoir au Mali Un pays en pleine mutation Le volontourisme Une combinaison difficile

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Un seul mondeNo1 / FÉVRIER 2016LE MAGAZINE DE LA DDCSUR LE DÉVELOPPEMENT ET LA COOPÉRATIONwww.ddc.admin.ch

Agenda 2030Il faut agir maintenant

Espoir au MaliUn pays en pleine mutation

Le volontourismeUne combinaison difficile

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Un seul monde est édité par la Direction du développement et de la coopération (DDC), agence de coopération internationale intégrée au Département fédéral des affaires étrangères (DFAE). Cette revue n’est cependant pas une publication officielle au sens strict. D’autres opinions y sont également exprimées. C’est pourquoi les articles ne reflètent pas obligatoirement le point de vue de la DDC et des autorités fédérales.

Un seul monde No 1 / Février 20162

Sommaire

D D C

F O R U M

3 Éditorial4 Périscope26 DDC interne34 Service35 Coup de cœur avec

Anja Rüegsegger35 Impressum

H O R I Z O N S

C U L T U R E

D O S S I E R AGENDA 20306 Dix-sept étapes vers un monde meilleur

Les Objectifs de développement durable (ODD), adoptés par tous les États membres de l’ONU, constituent un important défi pour la communauté internationale

10 Une boussole pour le développementEntretien avec le géographe Peter Messerli, membre de la délégation suisse aux négociations sur l’Agenda 2030

12 L’égalité des sexes nous concerne tous L’ODD 5 est fondamental pour la réalisation de l’Agenda 2030. Il vise l’égalité entre hommes et femmes, au Nord comme au Sud.

14 Chasse aux milliards pour le développement durableLa réalisation des ODD nécessitera des sommes colossales. Il n’existe pas encore de plan de financement concret.

17 Faits et chiffres

18 Reconstruction du Mali : les femmes et les jeunes au premier planMalgré l’insécurité persistante, de nombreux Maliens s’efforcent de construire l’avenir et de faciliter la réconciliation

21 Sur le terrain avec...Andreas Loebell, chargé de programme au bureau de la coopération suisse à Bamako

22 Des questions après la noyade de huit écolièresMohomodou Houssouba essaie de comprendre pourquoi la jeune génération s’est éloignée du Niger, fleuve nourricier dans la région de Gao

27 Moitié touriste, moitié sauveurLe « volontourisme», qui associe volontariat et activités touristiques, profite plus aux voyageurs du Nord qu’aux populations locales

30 La grande détresseCarte blanche : Marius Ivaskevicius évoque les attentats de Paris et la crise des migrants,laquelle met à rude épreuve la cohésion de l’Europe

31 En quête de nouvelles identitésLes images et les réflexions du photographe suisse Dominic Nahr sur les jeunes en Afrique

23 Les pompes de l’espoirGrâce à un projet de la DDC, des paysans pauvres du Mozambique ont pu augmenter leurs revenus

24 Un toit malgré la hausse des loyersLa DDC a lancé la construction de logements sociaux en Géorgie et l’a soutenue avec succès pendant presque dix ans

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Éditorial

Un seul monde No 1 / Février 2016

Pour mettre en évidence l’importance particulière d’unévénement, la jeunesse actuelle le qualifie volontiersde «méga». En accolant ce préfixe à toutes sortes determes, elle crée des combinaisons variées que nousne saurions énumérer ici. Non moins inventifs, les es-prits plus mûrs évoquent, quant à eux, un « change-ment de paradigme».

Cette expression a été largement utilisée au cours desderniers mois pour qualifier l’Agenda 2030, adopté lorsd’un sommet de l’ONU en septembre dernier à NewYork, qui contient les Objectifs de développement du-rable (ODD). L’ancien «paradigme» que l’Agenda 2030vient modifier de fond en comble était constitué par lesObjectifs du Millénaire pour le développement (OMD).Ces derniers, fixés par l’ONU en 2000, devaient se réa-liser jusqu’à fin 2015. Une partie d’entre eux l’ont été,ce qui est réjouissant.

De profondes différences séparent en effet les OMD etles ODD, à commencer par le processus qui a conduità leur définition : alors que les huit OMD ont été formu-lés par un groupe d’experts ad hoc, les 17 ODD sont lerésultat de négociations, souvent ardues, menées pen-dant trois ans entre une multitude d’États aux intérêtsles plus divers. L’entreprise fut si complexe que les ob-jectifs de l’Agenda 2030 ont plus que doublé par rap-port aux OMD et qu’ils sont subdivisés en pas moinsde 169 cibles.

Les OMD se concentraient en priorité sur des théma-tiques sociales, comme la lutte contre la pauvreté, laformation, la santé et l’égalité des sexes. Loin d’être erroné, ce choix était cependant incomplet. Il occultaitd’autres préoccupations, tout aussi essentielles,comme le développement économique, la participa-tion équitable à la croissance et la préservation desressources naturelles.

En adoptant les 17 ODD, la communauté internationalea reconnu que la croissance économique, la justice so-ciale et un environnement intact sont étroitement liés.

Cette approche globale reflète un point de vue qui étaitencore peu répandu au tournant du siècle. L’Agenda2030 a également élargi le cercle des acteurs impliquésdans la réalisation des objectifs de développement.Les OMD décrivaient les besoins du «Sud» et l’obliga-tion du «Nord » de contribuer à les satisfaire. En re-vanche, l’Agenda 2030 pour le développement durablerepose sur une responsabilité partagée : en principe,chaque État doit répondre, devant l’ensemble de lacommunauté internationale, de la réalisation de tousles objectifs.

Cette responsabilité universelle n’incombe toutefoispas seulement aux gouvernements, mais aussi à la so-ciété civile, au monde politique, aux milieux scienti-fiques et au secteur privé. De grandes attentes repo-sent en particulier sur la capacité de financement etd’innovation de l’économie privée, laquelle est appeléenon seulement à jouer le rôle d’investisseur respon-sable, mais aussi à élaborer des solutions permettantde relever les défis mondiaux. L’Agenda 2030 ne doitdonc pas être perçu simplement comme un cahier descharges pour les organes chargés de la conformité ré-glementaire au sein des entreprises. Il faut surtout yvoir un moyen de développer les affaires en utilisant ladurabilité comme un avantage concurrentiel.

L’Agenda 2030 constitue-t-il dès lors un «changementde paradigme»? Certainement, à condition que nousréussissions à le mettre en œuvre au cours des quinzeannées à venir. D’ici là, «méga » sera sans doute unterme désespérément ringard. Mais tous les superlatifsme conviennent, pourvu que nous parvenions à at-teindre les 17 objectifs fixés.

Manuel SagerDirecteur de la DDC

(De l’allemand)

La responsabilité est désormais partagéeDDC

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Périscope

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Les cliniques flottantes de l’Assam (gn) Dans l’État de l’Assam, au nord-est de l’Inde, plus de 2 millions de personnes vivent sur des îles fluviales difficilesd’accès. Le drame d’une femme morte en couches, fauted’avoir pu se rendre à temps dans un hôpital, a incitéSanjoy Hazarika, fondateur du Centre for North EastStudies and Policy Research (C-NES), à mettre sur piedune desserte médicale par bateau dans les régions recu-lées. Cette initiative a porté ses fruits : en collaborationavec les autorités sanitaires de l’Assam, quinze navires-hôpitaux du C-NES naviguent aujourd’hui sur le fleuveBrahmapoutre. Ils proposent diverses prestations de base,telles que check-up, planning familial et vaccinations. Lesbateaux s’arrêtent dans chaque île une fois par mois, quelque soit le nombre de patients qui attendent leur passage.Dans cette région de l’Inde, de nombreux habitants ne sontreliés au monde extérieur que par les navires-hôpitaux. Celien peut toutefois être interrompu en cas de crues ou si leniveau de l’eau est trop bas. Malgré tout, la desserte parvoie fluviale est un succès : la population recourt abondam-ment à l’offre de ces équipes, constituées de médecins, desages-femmes et de personnel soignant. Sanjoy Hazarikaestime que les cliniques flottantes desservent environ300000 personnes par an.www.c-nes.org, chercher «boat clinics»

Du teff pour le marché mondial(gn) Depuis sa découverte parles gourous de l’alimentation etles stars de Hollywood, on as-siste à une véritable ruée sur les minuscules graines du teff,également nommé «milletnain ». Cette céréale sans glutenrenferme une foule de précieuxnutriments. Jusqu’à récemment,elle était cultivée uniquementen Éthiopie, où elle constitueune denrée alimentaire de base.Afin d’éviter que le prix du teffne s’envole sur les marchésmondiaux et que la populationéthiopienne n’y ait plus accès, legouvernement a interdit son ex-portation dès 2006. Ces restric-tions ont toutefois été partielle-ment levées en 2015. Vu l’im-portance de la demande, il estquestion de libéraliser petit à pe-tit les exportations sous le label«Ethiopian Teff ». « Si notre nomest associé à une qualitésupérieure sur le marché inter-national, nous pourrons obtenirune prime de qualité, comme

Des trafiquants devenus gardes forestiers (gn) Au Kenya, d’anciens voleurset trafiquants de drogue protè-gent aujourd’hui les forêts contrel’abattage illégal. Le Muiru YouthReform Group compte de nom-breux jeunes du village de Weru,qui avaient quitté l’école pourgagner facilement de l’argentdans le trafic de bois ou d’autresactivités illicites. Depuis 1999, onne peut plus abattre un seul arbredans les forêts kényanes sans au-torisation. Étendue aux exploita-

tions agricoles en 2010, cette in-terdiction est toutefois régulière-ment contournée. Les jeunes, quisuscitaient jusque-là de la mé-fiance dans leur village, ont dé-sormais changé de camp. À l’aided’un système d’alerte par télé-phone portable qu’ils ont spécia-lement mis au point, ils avertis-sent les autorités locales quanddes bûcherons ou des marchandsde bois suspects apparaissent dansla région. «Ce que j’ai apprislorsque je faisais des choses ré-préhensibles m’est utile mainte-

nant pour contrecarrer les cartelsdu bois », explique MurithiNtaru, membre du groupeMuiru. Sur mandat du gouver-nement régional, qui voit dansles projets forestiers un moyende remettre des jeunes dans ledroit chemin, de nombreuxgroupes exploitent des pépiniè-res et vendent des plants en vuede la reforestation. www.trust.org, chercher «Muiru»

L’encyclopédie des Matsés (gn) «Des infections bénignes aucancer, les plantes de la forêtpeuvent tout soigner », affirmeMarcelinho, un guérisseur quivit dans un petit village situé à quatre heures de la villed’Iquitos, au Pérou. Il crainttoutefois que les connaissancesancestrales sur l’effet thérapeu-tique des extraits végétaux etanimaux, transmises jusqu’icioralement, ne tombent peu àpeu dans l’oubli. Leur dispari-tion marquerait la fin de la mé-decine traditionnelle pratiquéepar les peuples de l’Amazonie.Avec l’aide de l’associationAcaté, des guérisseurs expéri-mentés appartenant à l’ethniedes Matsés ont réuni leurs sa-voirs dans un livre. Cette ency-clopédie, qui compte plus de500 pages, est rédigée en matsé.Afin de protéger son contenucontre la biopiraterie, il n’enexiste qu’un seul exemplaire.Dans le même souci de sécurité,cet ouvrage ne contient aucunnom scientifique ou photo quipuisse rendre facilement identi-fiables pour des non-membresde la communauté les caracté-ristiques des plantes et des ani-maux décrits. Mais pour main-tenir la tradition vivante, il fautplus qu’un simple livre. C’estpourquoi Acaté soutient la for-mation de jeunes chamanes quiinterviendront également dansles villages où il n’y a déjà plusde guérisseurs traditionnels. acateamazon.org

pour le café », estime KhalidBomba, directeur général del’Agence éthiopienne pour latransformation agricole. Reste à voir s’il sera possible de main-tenir les prix à un niveau abor-dable pour la population dupays, malgré les alléchantes perspectives d’exportation.allafrica.com, chercher « teff »

La 3D en première ligne(gn) Les livraisons de matérielvers des régions en crise ou desprojets de développement coû-

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tent cher, ne répondent pas tou-jours aux besoins et restent sou-vent bloquées en route. C’est àces difficultés qu’entend remé-dier l’ONG américaine FieldReady. Sa vision est la suivante :à l’avenir, il ne sera plus néces-saire de transporter à grands fraisdes consommables médicaux,des pièces de rechange pour ma-chines ou des éléments destinésà la construction d’abris defortune, car des imprimantes 3Dsont capables de les fabriquer sur place. Cette approche a ététestée l’an dernier en Haïti dans le cadre d’un projet pilote.L’expérience a porté sur unegamme d’objets allant de la pro-thèse de main aux pinces pourcordon ombilical. Ces dernièressont rares dans les hôpitauxhaïtiens. Les pinces produites parles imprimantes coûtent 40% demoins que les pinces importées,

dont le dédouanement peut du-rer jusqu’à six mois. Afin d’ex-ploiter pleinement le potentielde la technologie 3D dans lecontexte de l’aide humanitaireet du développement, l’ONGpropose des formations à l’utili-sation des imprimantes. SelonAndrew Lamb, de Field Ready,le véritable défi consiste à fairecomprendre aux gens tout cequ’elles permettent de fabriquer.Un réseau mondial de spécia-listes se tient à disposition desutilisateurs pour les aider à concevoir les solutions.www.fieldready.org

Une école sur mesure(gn) Dans les zones ruralesd’Amérique latine, beaucoup dejeunes n’ont pas la possibilité depoursuivre leur scolarité au-delàdu degré primaire, soit parcequ’il n’y a pas d’école secon-daire à proximité, soit parce queles familles ne peuvent pas re-noncer au travail de leurs grandsenfants. Le Système d’apprentis-sage tutoriel (SAT) offre une au-tre solution : développé dans lesannées 70 déjà par une ONGcolombienne pour les élèves dela 7e à la 12e année, ce modèlepermet aux adolescents depoursuivre leur formation auvillage, en associant l’enseigne-ment des matières scolaires autravail pratique. Les écoles SATtiennent compte de la situationsur place : si les jeunes doiventaider à la récolte, celle-ci est in-tégrée dans le programme sco-

laire. Même l’enseignement desmathématiques ou de la langueest axé sur la pratique. Le Centrepour l’éducation universelle de la Brookings Institution, àWashington, a évalué le modèleet attesté de son efficacité. Uneétude hondurienne a de plusmontré que les élèves scolarisésselon ce modèle disposaientd’aptitudes sociales plus déve-loppées. «Plus qu’une simple réforme, SAT est une véritablerévolution de l’éducation»,s’enthousiasme Soheil Dooki,directeur de l’association Bayán,qui construit des écoles SAT auHonduras en collaboration avecl’autorité nationale de l’éduca-tion. www.brookings.edu, chercher «millions learning SAT»

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Dix-sept étapes versun monde meilleurL’Agenda 2030 pour le développement durable traite de pro-blèmes qui concernent le monde entier. Ce plan d’action del’ONU, adopté à New York par 193 États, est jugé visionnaire parcertains, utopique par d’autres. Beaucoup pensent qu’il sauramontrer le chemin vers un monde meilleur. De Luca Beti.

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Agenda 2030

Quelle planète vais-je laisser en héritage à ma filleMatilde qui aura vingt ans en 2030? Je voudrais luiléguer un monde meilleur, plus juste, sans conflit,ni faim, ni pauvreté, et un environnement encoreintact. C’est aussi ce qu’espèrent les 193 États quiont adopté en septembre dernier, lors de la 70e as-semblée générale des Nations Unies, l’Agenda 2030pour le développement durable. «Cet accord consti-tue un ordre du jour pour la planète. Il vise à mettre

fin à la pauvreté partout et sous toutes ses formes.Il promet de ne laisser personne en arrière », a dé-claré le secrétaire général de l’ONU Ban Ki-moondevant les chefs d’État et de gouvernement réunisà New York. Les Objectifs du Millénaire pour le développement(OMD) sont arrivés à échéance fin 2015. Pour leursuccéder, les pays membres de l’ONU se sont do-tés d’un nouveau cadre d’orientation en matière dedéveloppement durable et de coopération interna-tionale pour les quinze prochaines années. Un pro-cessus de consultation sans précédent, mené durantprès de trois ans, a impliqué les gouvernements, lasociété civile, les ONG et les entreprises. Il a conduità l’élaboration de 17 Objectifs de développementdurable (ODD), assortis de 169 cibles. «L’Agenda2030 est très ambitieux. Si nous arrivons à atteindretous les objectifs qu’il comporte, le monde sera vrai-ment meilleur », assure Michael Gerber, représen-tant spécial du Conseil fédéral pour le développe-ment durable mondial et chef de la délégation suisse aux négociations sur l’après-2015.

Le triangle de la durabilitéAu tournant du millénaire, les Nations Uniesavaient adopté huit OMD. Ce programme a abou-ti à des réalisations considérables dans les pays en

développement, comme le relève l’ONU dans sonrapport final. Les OMD ont par exemple permis deréduire de façon significative l’extrême pauvreté etd’éliminer les disparités dans l’éducation. Cepen-dant, la communauté internationale s’est renducompte qu’il était nécessaire de consolider ce par-tenariat mondial pour le développement et d’éla-borer un plan d’action visionnaire pour faire faceaux énormes défis de l’humanité.

Mesurer la durabilitéLe Monet (Monitoring dernachhaltigen Entwicklung)est un système nationald’indicateurs, qui permetde surveiller le développe-ment durable en Suisse.Parmi ses 75 indicateurs,on trouve la concentrationd’ozone, la qualité écolo-gique des forêts, des infor-mations sur les crimes vio-lents ou encore les coûtsde la santé. Sur la base deces données, des rapportsréguliers sont consacrés àla situation actuelle et àl’évolution du développe-ment durable en Suisse.Le dernier en date indiquenotamment qu’entre 1992et 2007, l’espérance de vieen bonne santé s’est allon-gée de 5 ans pour lesfemmes et de 5,5 ans pourles hommes. On y lit égale-ment que le pourcentagede la population exerçantune activité à titre volon-taire est passé de 40% en2000 à 33% en 2013. www.bfs.admin.ch, cher-cher « Monet »

La Suisse a participé depuis le début à la formula-tion de l’Agenda 2030. Elle a apporté des contri-butions substantielles dans des domaines tels quel’eau, l’égalité des sexes, la santé, la paix et la sécu-rité. C’est avec satisfaction que Michael Gerberconsidère les résultats engrangés par sa délégation,en particulier au sujet du sixième objectif qui viseà garantir l’accès de tous à l’eau et à l’assainisse-ment. «L’ODD 6 porte clairement la signature dela Suisse. Le texte définitif est presque identique ànotre proposition», rappelle l’ambassadeur. De soncôté, Eva Schmassmann, experte en politique du développement auprès d’Alliance Sud, évoque unchangement de paradigme: «Les OMD n’ont trai-té que les symptômes, tandis que les ODD pren-nent le problème à sa racine. Par exemple, la luttecontre la pauvreté ne peut être dissociée des ques-tions environnementales. » Si les OMD peuvent être considérés comme unesorte de sparadrap posé sur les maux sociaux de laplanète, les ODD représentent le médicament quidevrait les guérir. L’Agenda 2030 pour un déve-loppement durable s’appuie sur les trois piliers fon-damentaux de la durabilité : les dimensions écono-mique, sociale et environnementale. Cela va sup-poser un changement dans la manière de gérer l’aideau développement. La coopération internationale

Un bidonville de Mumbai, en Inde (à gauche). Afin d’éliminer la pauvreté extrême, la communauté internationale a adopté l’Agenda 2030. Les négociations se sont déroulées en partie au siège de l’ONU à New York (ci-dessus).

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Un traité controverséDepuis juillet 2013, l’Unioneuropéenne (UE) négocieavec les États-Unis lePartenariat transatlantiquepour le commerce et lesinvestissements (PTCI).Cet accord donnerait le jour à la plus grandezone de libre-échange dumonde. Selon la Commis-sion européenne, il relan-cerait l’économie et favori-serait la création d’em-plois. Pour ses détrac-teurs, le PTCI risque aucontraire de freiner les progrès préconisés parl’Agenda 2030, car il re-mettrait en question lesnormes internationalesvouées à protéger la santé,la sécurité et l’environne-ment. À titre d’exemple,les États-Unis ne recon-naissent que deux des huit normes fondamentalesde l’Organisation interna-tionale du travail. Les ad-versaires de l’accord sedemandent dès lors com-ment on pourrait deman-der aux pays du Sud derespecter des règles qui nesont même pas appliquéesau Nord.

2030 ne définit pas uniquement ce que les pays do-nateurs comptent faire pour les pays du Sud ou ceque ces derniers devraient faire pour favoriser leurdéveloppement grâce à l’aide fournie par le Nord.Il traite des problèmes qui concernent la planètedans son ensemble», souligne Michael Gerber.

Un concours de beautéPour certains, l’Agenda 2030 a mis la barre telle-ment haut qu’il est irréalisable. D’autres le consi-dèrent comme un plan d’action complètement uto-pique et contradictoire. Ils le qualifient de «vainepromesse» ou de «mots creux», du fait que le do-cument n’est pas contraignant pour les pays qui yont souscrit. Pour Boniface Mabanza, expert en po-litique du développement auprès du Service œcu-ménique allemand sur l’Afrique australe (Kasa), letexte est empreint de rhétorique et éloigné de laréalité. «D’un côté, les Nations Unies signent unplan d’action visionnaire. De l’autre, l’Union euro-péenne et les États-Unis négocient un Partenariattransatlantique pour le commerce et les investisse-ments (PTCI) qui foule aux pieds les conquêtes so-ciales et écologiques de ces dernières décennies »,commente-t-il.Malgré les critiques virulentes, nombreux sont ceuxqui croient dans la capacité de l’agenda à faire naîtreun véritable «concours de beauté» entre les pays.C’est ce qui s’est passé avec les OMD. On peut es-

devra aborder un éventail de thèmes beaucoup pluslarge. Trop large même, disent les esprits critiques.Selon eux, les États risquent de choisir les ODD lesplus faciles à réaliser et de délaisser les autres.

Des objectifs universelsL’autre grande nouveauté de l’Agenda 2030 est lecaractère universel des ODD. «Ces objectifs valentaussi bien pour le Nord que le Sud», souligne Mi-chael Gerber. «Tous les pays ont un rôle à jouer dansleur mise en œuvre. » Concrètement, cela signifieque chaque État devra décliner les ODD dans lecadre de stratégies et de plans d’action nationaux.Par exemple, l’ODD 1 demande non seulementd’éradiquer l’extrême pauvreté d’ici 2030, maisaussi de réduire de moitié la pauvreté dans tous lespays. La Suisse, par exemple, devra diminuer de moitié le nombre de personnes correspondant aux critères de la pauvreté sur son territoire – ellesétaient environ 590000 en 2012. L’ODD 2 vise unemeilleure alimentation. Pour les pays les pluspauvres, cela veut dire qu’ils lutteront contre la faimet la malnutrition. Les pays émergents et riches, eux,devront s’attaquer notamment aux problèmes desurpoids. L’ODD 12 invite à établir des modes de consommation durables. Aujourd’hui, chaque Suisse jette en moyenne 320 grammes d’alimentsencore comestibles par jour, une mauvaise habi-tude qui se marie mal avec la durabilité. «L’Agenda

Lors du Sommet de la jeunesse, à Londres en septembre dernier, des centaines de jeunes ont discuté de l’avenir dumonde à la lumière des Objectifs de développement durable que l’ONU a adoptés le même mois à New York.

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Agenda 2030

Une ramasseuse de déchets dans la banlieue de Katmandou, capitale du Népal. Durant l’élaboration des ODD, il est apparu clairement que la lutte contre la pauvreté ne peut être dissociée des questions environnementales.

nombre de personnes qui souffrent du paludisme.Comment les États feront-ils pour mesurer des in-dicateurs complexes, tels que la biodiversité ou labonne gouvernance?», se demande Andreas Weber,chargé de programme au sein de l’équipe post-2015de la DDC.Le processus de contrôle et d’analyse se déploieraà trois niveaux : national, régional et mondial.Chaque pays sera appelé à dresser des rapports na-tionaux pour rendre compte des résultats à la po-pulation et au Parlement. Dans un deuxième temps,des plateformes régionales devront être créées pourcomparer les succès et les échecs, favorisant par làune sorte d’apprentissage entre pairs. Puis, chaqueannée, une évaluation aura lieu au niveau mondialdans le cadre du Forum politique de haut niveausur le développement durable. Enfin, pour donnerune plus grande résonance médiatique à la pro-gression vers les objectifs fixés, ce forum se réuni-ra tous les quatre ans en marge de l’assemblée gé-nérale de l’ONU. Tel est l’échafaudage qui régit l’Agenda 2030 pourun développement durable. Résistera-t-il au ventde fronde? Sera-t-il porté par une volonté politi-que? Je l’espère. En 2030, ma fille aura vingt ans etj’aimerais lui confier un monde un peu meilleur. ■

(De l’italien)

Une planète ne suffitpasSi tous les habitants de laTerre adoptaient le modede vie suisse, il faudrait 2,8planètes pour satisfaire lesbesoins de l’humanité.C’est ce que l’on apprenddans le Rapport Planète vivante 2014, publié par leWWF, qui présente l’em-preinte écologique de lapopulation de chaquepays. En d’autres termes,la consommation enSuisse est presque troisfois supérieure aux res-sources que la Terre peutproduire pendant la mêmepériode. À l’échelle inter-nationale, l’empreinte éco-logique est de 1,5 planète.Actuellement, nous cou-pons donc plus d’arbresqu’il n’en repousse et nouspêchons plus de poissonsque la mer n’est capabled’en générer. À long terme,cette situation provoqueraun nouveau recul de la bio-diversité, la faim et unchangement climatiqueprogressif, affirme le WWF.www.wwf.ch, chercher« rapport Planète vivante »

pérer qu’il en ira de même avec les ODD. Le nou-veau cadre d’orientation guidera pendant quinzeans toute une série d’acteurs : les gouvernements,mais aussi les ONG et les mouvements sociaux,brandiront cette promesse pour lutter contre les in-égalités et protéger l’environnement. «Le rôle de lasociété civile sera crucial ces prochaines années »,rappelle Eva Schmassmann, d’Alliance Sud. «Elledevra mettre sous pression les gouvernements, afinqu’ils transforment en réalité la vision à laquelle ilsont adhéré à New York. »

Évaluation des progrèsPour pouvoir vérifier la mise en œuvre du docu-ment, il convient de définir les critères permettantde mesurer les progrès et de connaître le point dedépart. Des données statistiques fiables et de quali-té sont donc requises dans les domaines couverts etdans les différents pays. «Rassembler ces indicationsreprésente un énorme défi», rappelle M. Gerber. Ungroupe de travail de la Commission des statistiquesdes Nations Unies est en train de formuler les in-dicateurs à partir desquels on surveillera les résul-tats enregistrés sur chaque objectif et chaque cible.Il devrait les présenter au printemps prochain. Onparle d’un ensemble d’environ 200 indicateursmondiaux. «Ces indicateurs sont censés donner desrenseignements détaillés sur les 169 cibles. Or, cer-tains pays ont déjà du mal à chiffrer précisément le

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Un seul monde: Avec la conférence d’AddisAbeba sur le financement du développement,l’adoption des Objectifs de développementdurable (ODD) et le sommet de Paris sur leclimat, la communauté internationale a défi-ni en 2015 le cap qu’elle entend suivre ces pro-chaines années. Diriez-vous que 2015 a étéune année historique pour l’humanité?Peter Messerli : Oui, on peut le dire en effet. Jus-qu’ici, il nous manquait une boussole pour orienterle développement durable de la planète. Avec l’Agen-da 2030 et l’accord sur le climat, nous avons un ca-talogue d’objectifs qui vont dans la même direction.Un autre aspect historique est le fait que cet agen-da ait été soutenu par les chefs d’État et de gouver-nement du monde entier, et que la société civile ait participé à son élaboration. Mais ce qui est sur-tout historique, c’est la tâche que devra accomplirl’humanité au cours des quinze prochaines années.

Peter Messerli dirige leCentre pour le développe-ment et l’environnement(CDE) de l’Université deBerne. Les activités scien-tifiques de ce géographese concentrent sur latransformation et la re-cherche du développe-ment durable dans lessystèmes hommes-environnement en Afriqueet en Asie, continents par-ticulièrement frappés parles changements globaux.En tant que directeur duCDE, il tient beaucoup aulien entre une recherchede haut niveau et son utilisation en faveur du développement durable.Parallèlement, ce centreinterdisciplinaire s’engagepour que les thèmes dé-battus à l’échelon mondialsoient reliés aux réalitéslocales, en Suisse et dansles pays en développe-ment. En 2015, PeterMesserli a représenté lacommunauté scientifiqueau sein de la délégationsuisse qui a participé àl’élaboration des ODD.

Une boussole pour le développementL’Agenda 2030 ne fournit, en soi, aucune solution aux pro-blèmes du monde. C’est seulement à travers un processusd’apprentissage qu’il sera possible d’engranger des succèspartiels. Tel est l’avis de Peter Messerli, directeur du Centrepour le développement et l’environnement de l’Université deBerne. Entretien avec Luca Beti.

De fait, aucun des 17 ODD ne nous donne la solu-tion pour transformer en réalité cette vision d’unmonde meilleur. Le vrai défi commence maintenant.

Le but est très ambitieux et les difficultés im-menses. Il ne sera sans doute pas aisé deconcilier les intérêts économiques avec les en-jeux sociaux et environnementaux.Nous ne parviendrons jamais à atteindre tous les ob-jectifs. J’en suis persuadé. Mais nous enregistreronsdes succès partiels. Personnellement, je ne m’arrêtepas au contenu de chaque objectif, mais j’essaied’identifier les liens et les contradictions entre desfinalités différentes. L’observation des ODD dansleur ensemble soulève d’importantes questions surl’équilibre entre les différents domaines et acteursconcernés, entre le Nord et le Sud, entre aujourd’huiet demain. Je me demande comment il est possibled’envisager une croissance continue de l’économie

Jour de marché dans un village proche de Nairobi, au Kenya. L’échange du savoir détenu par les communautés localesest indispensable pour la réalisation de l’Agenda 2030.

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Agenda 2030

La Suisse produit tropde déchetsLa majorité des pays industrialisés ne sont pasencore prêts pour lesObjectifs du développe-ment durable (ODD). C’estce que montre une étuderéalisée par la fondation allemande Bertelsmann.Celle-ci a comparé les 34États membres de l’OCDEsur la base de 34 indica-teurs liés aux 17 ODD. Les quatre pays scandi-naves (Suède, Norvège,Danemark et Finlande)sont les mieux positionnéspour atteindre ces objectifsd’ici 2030. La Suisse arrive au cinquième rang.Toutefois, elle a encoreune grande marge d’amé-lioration dans certains sec-teurs. La production dedéchets en est un. Avec712 kilos de déchets paran et par habitant, laSuisse se situe nettementau-dessus de la moyennede l’OCDE. Seuls le Dane-mark (751 kg) et les États-Unis (725 kg) font pirequ’elle.www.bertelsmann-stiftung.de, chercher« Nachhaltigkeitsziele »

et, en même temps, la protection de l’environne-ment. Pour l’heure, aucun pays n’est parvenu à dé-montrer qu’il est possible de réduire la consomma-tion énergétique et les émissions de CO

2, tout en

favorisant le développement économique. Pourconcilier de tels intérêts antagonistes, la solution nese trouve pas au niveau mondial, mais plutôt régio-nal, voire local. Même si le plan d’action est lemême pour tous, chaque pays devra formuler sespropres initiatives afin de réaliser les objectifs del’Agenda 2030.

Étant donné que l’Agenda 2030 ne fournit pasencore de solutions, où les États et les gou-vernements doivent-ils aller les chercher, s’ilsveulent tenir leurs engagements?Certains problèmes sont tellement complexes qu’ilsappellent toute une imbrication de solutions. Pourles résoudre, il est nécessaire d’associer une multi-tude d’acteurs. La clé ne se trouve pas uniquementdans les innovations technologiques, la communau-té scientifique, le monde politique ou le secteur pri-vé. Il faut lancer un concours d’idées, au sein du-quel le savoir – je parle en tant que chercheur – doitavoir un rôle moteur. Je ne pense pas seulement ausavoir conservé dans les universités ou dans les livres,mais bien au bagage d’expériences pratiques déte-nu et préservé par les personnes et les communau-tés locales. Le plus grand défi est justement de re-cueillir et de partager toutes ces connaissances etcompétences, afin de lancer un processus d’appren-tissage qui favorise le développement de solutionsnovatrices basées sur des visions et des points de vuedifférents.

Les ODD ont une portée universelle. Que signifient-ils concrètement pour la Suisse?La Suisse fait partie d’un système extrêmementmondialisé. Une étude a montré que 86% des pro-duits qui nous entourent viennent de l’étranger. Celaveut dire que nous avons d’énormes responsabilitésenvers les pays qui nous fournissent nos biens deconsommation. Pourtant, c’est une responsabilitéque nous n’assumons pas encore. Nos lois s’arrêtentsouvent aux frontières nationales. Le défi, à l’avenir,consistera à combler l’écart qui existe entre nosrègles du jeu et l’impact de notre comportement au niveau mondial. Dans ce domaine, la Suisse peutet doit apporter sa contribution.

Mais la société civile est-elle prête à accepterdes lois plus restrictives qui remettraient encause une partie de son bien-être?Ces quinze prochaines années, nous pourrons lan-cer des processus susceptibles de changer beaucoupde choses. Pour l’instant, la société n’a pas encore

pris conscience de cette immense chance, du fait no-tamment que peu de gens connaissent l’Agenda2030 pour un développement durable. Il est essen-tiel d’intégrer tout le monde dans ce débat qui a étémené jusqu’ici uniquement par les experts et leschefs d’État. Sensibiliser la population sera l’une despremières tâches clés au niveau national. Prenez parexemple le panier de la ménagère. Le montant quenous payons à la caisse est souvent plus important

qu’un bulletin de vote déposé dans l’urne. Lors denos achats, nous avons la possibilité de faire des choixqui peuvent changer le monde.

Si nous analysons le gaspillage de denrées ali-mentaires, la consommation énergétique etles émissions de CO

2, la Suisse a encore beau-

coup de chemin à faire.C’est juste. En observant ces aspects-là, on peut sedemander si la Suisse n’est pas un pays en dévelop-pement. C’est une question qui doit nous faire ré-fléchir. Il serait intéressant de passer en revue lesODD et de voir quelle note la Suisse obtiendraitpour chacun d’eux. Les pays du Nord doivent, sansaucun doute, faire également leur part du travail etretrousser leurs manches pour atteindre ces objec-tifs d’ici 2030. ■

(De l’italien)

Le dépotoir de Dandora, à Nairobi, est l’un des endroits lesplus contaminés du monde.

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L’égalité des sexes nous concerne tousSi le monde ne parvient pas à instaurer l’égalité entre les sexes,il devra renoncer à sa vision d’un avenir meilleur. Le cinquièmeObjectif de développement durable est fondamental pour la réa-lisation de l’Agenda 2030, car il concerne les hommes et lesfemmes, au Nord comme au Sud.

(lb) Au Rwanda, 64% des sièges de députés au Par-lement étaient occupés par des femmes l’annéedernière. En Bolivie, cette proportion dépassait 53%et à Cuba, elle atteignait presque 49%. Ces trois payssont en tête du classement mondial de la représen-tation féminine à la Chambre unique ou à laChambre basse des Parlements. Avec un taux de32%, la Suisse n’arrive qu’en 28e position, entre leSalvador et l’Algérie. Qui aurait pensé qu’un paysdéveloppé comme le nôtre avait quelque chose àapprendre des pays du Sud? C’est pourtant le cas.« Il nous faut abandonner l’idée que le Nord est lemaître d’école et le Sud l’élève qui n’a qu’à fairesagement ses devoirs », relève Lenni George, co-directrice de The Development Alchemists, une société britannique de formation et conseils.

Plus de femmes aux postes de directionLe changement de paradigme tient entièrement àcet enjeu. Les Objectifs de développement durable(ODD) sont universels. À l’instar de tous les autres,

celui qui porte le numéro 5 est donc valable tantau Nord qu’au Sud. Il invite les États à promouvoirl’égalité entre les sexes et à autonomiser les femmeset les filles. Un sous-objectif – la cible 5.5. – de-mande d’assurer l’accès des femmes aux fonctionsde direction à tous les niveaux de décision, dans lavie politique, économique et publique. En ce quiconcerne la part des femmes dans les organes poli-tiques, à savoir ceux-là même qui adoptent lesrègles visant à éradiquer les inégalités entre les sexes,l’Europe, comme le reste de la planète, a encorebeaucoup de chemin à parcourir. Accroître leur pré-sence dans les assemblées importantes est doncl’une des cibles des ODD. L’égalité des sexes fait par-tie des thèmes sur lesquels la Suisse a concentré sacontribution durant l’élaboration de ce nouveauplan d’action des Nations Unies.

Vers des changements structurelsEn dépit des progrès enregistrés avec les Objectifsdu Millénaire pour le développement (OMD), les

Le cinquième Objectif de développement durable concerne l’égalité des sexes. Un processus de transformation de lasociété sera nécessaire pour y parvenir. Les hommes – ici une association de petits paysans en Tanzanie – devront égale-ment y participer.

Des progrès grâce auxOMDDans le rapport 2015 surles Objectifs du Millénairepour le développement(OMD), les Nations Uniesrelèvent les succès enre-gistrés sur le plan de l’éga-lité des sexes et de l’auto-nomie des femmes. Lespays en développementont éliminé les disparitésentre les sexes dans l’en-seignement primaire, se-condaire et supérieur. L’an dernier, 41% des tra-vailleurs rémunérés dansles secteurs non agricolesétaient des femmes,contre 35% en 1990. Entre1991 et 2015, la propor-tion de femmes qui occu-paient des emplois pré-caires a baissé de 13points de pourcentage.Par ailleurs, les femmesont gagné du terrain enmatière de représentationparlementaire dans prèsde 90% des pays. La proportion moyenne desfemmes dans les Parle-ments a presque doubléen quinze ans, mais ellen’atteint encore que 20%. www.pnud.org, chercher« rapport OMD 2015 »

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Agenda 2030

Conquêtes et inégalités En Suisse, de nombreuxprogrès ont été enregistrésces vingt dernières annéesen matière d’égalité entrehommes et femmes. Ils ontété rendus possibles parl’entrée en vigueur de la loi fédérale sur l’égalité dessexes en 1995 et plusieursvotations populaires, dontla dépénalisation de l’avor-tement au cours des douzepremières semaines de lagrossesse et le congé ma-ternité rémunéré. Une mo-dification du Code pénal,en 2004, qui a fait de laviolence conjugale un délitpoursuivi d’office, a égale-ment eu des effets positifs.Malgré ces succès, des inégalités persistent. L’uned’elles concerne les sa-laires, comme l’illustrentles données de l’Office fédéral de la statistique : en 2012, les femmes ga-gnaient 16,5% de moinsque les hommes dans lesecteur public et 21,3% demoins dans le secteur privé.www.ebg.admin.ch

femmes sont encore discriminées dans différents domaines : elles sont plus gravement frappées par lapauvreté que les hommes ; elles ne bénéficient sou-vent pas de soins de santé appropriés ; elles ont desdifficultés à accéder aux ressources financières ; enoutre, elles ont moins de droits que les hommes.«Avec l’Agenda 2030, on veut traiter les problèmesà la racine», indique Ursula Keller, responsable des

questions de genre à la DDC. «Le troisième OMDa donné plus de visibilité aux inégalités entre lessexes, mais il n’a pas entraîné de changements struc-turels. » La violence contre les femmes, par exemple,est un phénomène structurel que la communautéinternationale a désormais l’intention de combattre.À cette fin, l’une des cibles de l’ODD 5 consiste àéliminer de la vie publique et privée toutes lesformes de violences faites aux femmes et aux filles.Pour y arriver, il ne suffit toutefois pas de viser ladimension sociale – c’est là un enseignement tirédes OMD. On doit aussi prendre en compte les as-pects économiques, écologiques et la participationpolitique.

Embarquer les hommes«La promotion de l’égalité des sexes avance au ra-lenti, parce qu’elle est considérée comme une ques-tion isolée», note Stella Jegher, spécialiste des droitsde la femme et des questions de genre auprès d’Am-nesty International Suisse. Pour atteindre l’ODD 5,le monde politique et économique ainsi que la so-ciété civile sont appelés à faire front commun. Toutdépendra de la pression qui sera exercée depuis lehaut et le bas sur les gouvernements des différentsÉtats, afin qu’ils élaborent des programmes efficaceset dégagent les fonds nécessaires. Un autre aspectfondamental relève de l’implication de la popula-

tion, surtout des groupes de personnes marginali-sées. Ce qui est sûr, c’est que les hommes devrontparticiper à ce processus de transformation. Sanseux, on ne pourra pas éradiquer les stéréotypes, lesmodèles et les rôles traditionnels au sein de la so-ciété. «Il est impératif d’embarquer les hommes dansle mouvement, même en Suisse », souligne UrsulaKeller.

Les femmes souffrent plus de la pauvreté que les hommes et ont plus de difficultés à accéder aux services financiers. À Johannesburg (Afrique du Sud), la petite Enovie, âgée de 10 ans, va chercher de l’eau. À Naivasha (Kenya), Radja tient un magasin où elle vend des téléphones portables.

Sous la loupe de l’Agenda 2030Pour transformer en réalité le document visionnairequ’ont élaboré les Nations Unies, il faudra retour-ner sur le terrain et réexaminer ces questions à lalumière du nouvel agenda. Ainsi, on pourra déce-ler et comprendre les causes des inégalités entre lessexes dans les différents contextes culturels et ré-gionaux. On laissera aux États une certaine margede manœuvre, mais sans tolérer que soient bafouésles droits humains. «Les acquis des femmes sont in-aliénables », affirme avec conviction Ursula Keller.«La violence contre les femmes dans la vie privéeest aussi une forme de violence, et cela partout dansle monde. » Au lendemain des grands discours, tous les pays sontappelés à faire leur autocritique et à mettre enœuvre des politiques cohérentes. Cela vaut égale-ment pour la Suisse. «La DDC soutient d’excellentsprojets qui visent à promouvoir l’égalité des sexes.Toutefois, les activités économiques des entreprisessuisses ne s’inspirent pas toujours de ces priorités »,déplore Stella Jegher. L’universalité des ODD metau même niveau les pays du Nord et du Sud, quidevraient idéalement instaurer un dialogue d’égal àégal notamment sur la question du genre. ■

(De l’italien)

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(lb) La réalisation de l’Agenda 2030 pour le déve-loppement durable nécessitera entre 5000 et 7000milliards de dollars par an. C’est ce qu’indique leRapport sur l’investissement dans le monde 2014, pu-blié par la Conférence des Nations Unies sur lecommerce et le développement (Cnuced). Prenonspar exemple la lutte contre le changement clima-tique, qui est l’un des 17 Objectifs de développe-ment durable (ODD). Actuellement, on investit en-viron 170 milliards de dollars par an dans les in-frastructures, les énergies renouvelables ainsi que larecherche et le développement de technologies respectueuses du climat, afin de limiter le réchauf-fement de la planète. Pendant la période allant de2015 à 2030, il faudrait y consacrer chaque annéejusqu’à 850 milliards. Cela signifie qu’il manquera,rien que pour cet objectif, pas moins de 680 mil-liards de dollars. Où la communauté internationalecompte-t-elle trouver cet argent ?

Afin de financer un développement durable – comme ici dans l’État indien de l’Harayana –, le secteur privé devrait s’engager beaucoup plus largement qu’il ne le fait actuellement.

Chasse aux milliards pour le développement durableIl faudra des sommes colossales pour réaliser l’Agenda 2030.L’an dernier à Addis Abeba, la communauté internationale acherché de nouveaux modèles de financement. Elle a accompliquelques progrès. L’avenir dira si les mesures adoptées suffirontà combler l’écart entre les désirs et la réalité.

L’aide publique ne suffit pasC’est à cette question et à d’autres qu’a tenté derépondre la troisième Conférence internationalesur le financement du développement, organisée enjuillet dernier à Addis Abeba, en Éthiopie. Au coursdes négociations préliminaires, des représentants dumonde politique, de la société civile, de l’écono-mie privée et de la science, venus du monde en-tier, ont discuté des différents modèles envisa-geables pour garantir les ressources nécessaires audéveloppement durable. Au terme des quatre joursde débats, les participants ont trouvé un accord surdifférentes solutions. Ces dernières incluent la mo-bilisation des ressources financières dans les paysconcernés, une plus grande participation de l’éco-nomie privée, le renforcement de l’innovation etle transfert de technologie, le soutien de nouveauxmodèles de financement public-privé, l’intensi-fication de la coopération internationale en ma-

Moins d’argent pourl’aide au développementLe Conseil fédéral a pré-senté en octobre dernier leprogramme de stabilisation2017-2019, qui vise à frei-ner l’endettement de laConfédération. Il proposeune réduction des dépen-ses allant jusqu’à 1 milliardde francs par an à partirde l’an prochain. L’aide audéveloppement risqued’être particulièrement tou-chée par ces mesuresd’économie. À la rubrique«Relations avec l’étrangeret coopération internatio-nale », le programme men-tionne une possible réduc-tion de 150 millions defrancs en 2017, de 210millions en 2018 et de 250millions en 2019. Pendantla période 2016-2020, laConfédération devraitdonc consacrer environ0,47% de son revenu na-tional brut à la coopérationau développement. Ellen’atteindra donc pas l’ob-jectif de 0,5%, fixé par lesChambres fédérales en2011.

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Agenda 2030

Négociations sur l’Agenda 2030. Dans le sens des aiguilles d’une montre : le siège principal de l’ONU à New York ; lesecrétaire général Ban Ki-moon ; le chef de la délégation suisse Michael Gerber ; des participants aux négociations.

Lutte contre l’optimisa-tion fiscaleSur mandat du G20,l’OCDE a élaboré ces der-nières années quinze me-sures qui devraient limiterl’optimisation fiscale prati-quée par les multinationa-les. Grâce à ce nouveauplan d’action, baptiséBase Erosion and ProfitShifting (BEPS), les entre-prises seront appelées àverser leurs impôts dansles pays où elles génèrentleurs revenus. Cela devraitempêcher qu’une grandepartie de leurs bénéficesprennent le chemin de paradis fiscaux. D’aprèsl’OCDE, les États per-draient chaque année 100à 240 milliards de dollarsà cause de l’évasion fis-cale légale des multinatio-nales.www.oecd.org, chercher« BEPS »

tière fiscale, la restitution des avoirs des potentatset la réduction des taxes de transfert sur les fondsrapatriés par les migrants.«L’aide publique au développement ne suffit plus,même si elle demeure importante pour les pays endéveloppement, surtout pour les plus pauvresd’entre eux, car il est justement difficile pour cesderniers de mobiliser d’autres ressources écono-

miques », explique Michael Gerber, chef de la dé-légation suisse aux négociations sur l’après-2015.En 2014, les pays de l’OCDE ont consacré 135 mil-liards de dollars à l’aide publique au développe-ment. À Addis Abeba, les pays donateurs ont certesréaffirmé leur promesse de porter leur aide à 0,7%de leur revenu national brut (RNB). Mais ceux quirespectent cet engagement sont bien rares. Avec un taux de 0,5% de son RNB, même la Suisse n’apas atteint cet objectif. «À cause de la situationconjoncturelle problématique en Europe, on doitplutôt s’attendre à des coupes dans les budgets del’aide au développement qu’à une augmentation»,craint le Congolais Boniface Mabanza, expert enpolitique du développement au Service œcumé-nique sur l’Afrique australe (Kasa), à Heidelberg.

Difficile alchimie entre profit et durabilitéSi l’aide publique est fondamentale, l’Agenda 2030

ne se réalisera pas sans l’implication du secteur pri-vé. Celui-ci est appelé à jouer un rôle actif dans laconcrétisation des objectifs fixés. Les entreprisesdisposent des ressources nécessaires pour favoriserle développement, soit en créant des emplois, soiten transférant des technologies innovantes, du sa-voir et des capitaux vers les pays en développement.À l’heure actuelle, le secteur privé investit quelque

900 milliards de dollars dans les domaines couvertspar les ODD. Il en faudrait 1600 milliards. Un dé-ficit difficile à combler, même si les acteurs dumonde économique ont déjà saisi l’importance del’Agenda 2030. En effet, les entreprises sontconscientes qu’il n’y a pas de croissance dans lespays où règne la pauvreté et où l’environnementest sacrifié sur l’autel de l’argent. En outre, l’absenced’un État de droit, la violence et la corruption sontautant d’épouvantails pour les investissementsétrangers, qu’ils soient publics ou privés.«Mais comment concilier d’un côté la rentabilitéet, de l’autre, la dimension sociale et environne-mentale des ODD?», s’interroge Peter Messerli, di-recteur du Centre pour le développement et l’en-vironnement de l’Université de Berne. À AddisAbeba, on a fixé les principes fondamentaux desrègles du jeu que les États doivent maintenant ap-pliquer. Ces normes ne sont pas assez tranchées aux

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L’aide classique au développement restera importante à l’avenir pour les pays en développement. Ici, des victimes duséisme qui a frappé le Népal au printemps 2015.

Avoirs d’origine illiciteCes vingt dernièresannées, la Suisse a restituédes fonds de potentatspour une valeur d’environ1,8 milliard de dollars auxpays dont ils provenaient.En 2013, le Conseil fédérala présenté un projet de loisur « le blocage et la resti-tution des valeurs patrimo-niales d’origine illicite liéesà des personnes politique-ment exposées ». Ce texteest actuellement en dis-cussion au Parlement. Ilest considéré comme unmodèle du genre au niveauinternational. Malgré lesprogrès qu’elle a accom-plis dans ce domaine, laSuisse figurait encore l’andernier en tête du classe-ment des paradis fiscauxétabli par le réseau TaxJustice Network, commeen 2011 et en 2013.www.dfae.admin, chercher« potentats »

yeux des représentants de la société civile. « Il estillusoire de miser sur le secteur privé en pensantqu’il va modifier volontairement son modèle éco-nomique», estime Eva Schmassmann, experte enpolitique du développement auprès d’Alliance Sud.«Les nations industrialisées créent les conditions-cadres idéales pour que leurs entreprises puissentgénérer des profits dans d’autres pays, sans lescontraindre à respecter l’environnement ou lesnormes sociales minimales », renchérit BonifaceMabanza.

On avance, mais l’arrivée est encore loinSelon une étude réalisée par l’institut de rechercheaméricain Global Financial Integrity, les flux illi-cites d’argent des pays du Sud vers ceux du Nordont atteint en 2012 le chiffre record de 991 mil-liards de dollars. Cette somme est onze fois supé-rieure à l’aide publique au développement pour lamême année. Il a beaucoup été question de ces fluxfinanciers durant la conférence d’Addis Abeba.Pour freiner la fuite des capitaux, les pays en déve-loppement et émergents, rassemblés au sein dugroupe G77, ont réclamé la création d’un orga-nisme intergouvernemental de coopération sur lesquestions de fiscalité, qui serait placé sous l’égidede l’ONU. Les nations industrialisées ont bloquécette proposition, préférant maintenir l’actuel comité d’experts de l’Organisation de coopérationet de développement économiques (OCDE). «À Addis Abeba, on a décidé qu’il valait mieux ac-corder plus d’influence au G77 à l’intérieur du comité de l’OCDE, plutôt que de créer un dou-blon», rappelle Michael Gerber.

Les fonds rapatriés par les migrants affluent, quantà eux, du Nord vers le Sud. Ces ressources sont éga-lement fondamentales pour le financement del’Agenda 2030. Selon les estimations de la Banquemondiale, les envois de fonds destinés aux famillesdans les pays en développement devaient atteindre454 milliards de dollars en 2015, soit quatre fois lemontant de l’aide publique au développement.Cette somme ne cesse d’augmenter. En 2014, elles’est accrue de 5% par rapport à l’année précédente.La communauté internationale entend ramener à3% d’ici 2030 les taxes exorbitantes, pouvant allerjusqu’à 25%, que les opérateurs prélèvent sur lestransferts. Eva Schmassmann nourrit cependantquelques réserves quant à l’emploi de ces capitauxprivés pour le financement des ODD: « Il appar-tient aux migrants et à leurs proches restés au paysde décider comment ils veulent utiliser cet argent. »Michael Gerber est du même avis. Il rappelled’ailleurs qu’une bonne partie des fonds ainsi trans-férés sont déjà investis par de nombreuses famillesdans le développement, c’est-à-dire dans l’éduca-tion, la santé ou le lancement d’une activité com-merciale. Durant la Conférence internationale sur le finan-cement du développement, on n’a pas trouvé l’œufde Colomb, pas plus que des recettes révolution-naires pour réaliser l’Agenda 2030. «Cependant, ila été possible d’avancer dans plusieurs domaines etd’envoyer des signaux politiques importants »,conclut Michael Gerber. ■

(De l’italien)

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Agenda 2030

Faits et chiffres

10. Réduire les inégalités dans les pays et d’un pays à l’autre.11. Faire en sorte que les villes et les établissements humains

soient ouverts à tous, sûrs, résilients et durables.12. Établir des modes de consommation et de production

durables.13. Prendre d’urgence des mesures pour lutter contre les

changements climatiques et leurs répercussions.14. Conserver et exploiter de manière durable les océans, les

mers et les ressources marines.15. Préserver et restaurer les écosystèmes terrestres, en veillant

à les exploiter de façon durable, gérer durablement les forêts, lutter contre la désertification, enrayer et inverser le processus de dégradation des sols et mettre fin à l’appau-vrissement de la biodiversité.

16. Promouvoir l’avènement de sociétés pacifiques et ouvertes aux fins du développement durable, assurer l’accès de tous à la justice et mettre en place, à tous les niveaux, des insti-tutions efficaces, responsables et ouvertes.

17. Renforcer les moyens de mettre en œuvre le partenariat mondial pour le développement durable et le revitaliser.

1. Éradiquer la pauvreté sous toutes ses formes et partout dansle monde.

2. Éliminer la faim, assurer la sécurité alimentaire, améliorer la nutrition et promouvoir l’agriculture durable.

3. Permettre à tous de vivre en bonne santé et promouvoir le bien-être de tous, à tout âge.

4. Assurer l’accès de tous à une éducation de qualité, sur un pied d’égalité, et promouvoir les possibilités d’apprentissagetout au long de la vie.

5. Parvenir à l’égalité des sexes et autonomiser toutes les femmes et les filles.

6. Garantir l’accès de tous à l’eau et à l’assainissement et assurer une gestion durable des ressources en eau.

7. Garantir l’accès de tous à des ressources énergétiques fiables, durables et modernes, à un coût abordable.

8. Promouvoir une croissance économique soutenue, partagée et durable, le plein emploi productif et un travail décent pour tous.

9. Bâtir une infrastructure résiliente, promouvoir une industriali-sation durable qui profite à tous et encourager l’innovation.

LiensAgenda 2030 pour le développement durable sur le site de laConfédération www.post2015.ch

Objectifs de développement durable sur le site de l’ONU www.sustainabledevelopment.un.org

ONU Femmes, organisme des Nations Unies pour l’égalité des sexeswww.onufemmes.org

Les Objectifs de développement durable

Rapport final sur les Objectifs du Millénaire pour le développementwww.un.org/millenniumgoals

Rapport sur l’investissement dans le monde 2014, publié par la Cnucedwww.unctad.org, chercher «world investment report »

Rapport de synthèse «La déclaration et le programme d’actionde Beijing ont 20 ans» www.onufemmes.org, chercher « rapport de synthèse»

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Entre l’occupation des régions du Nord en 2012et leur libération en 2013, le Mali a connu le pire :des institutions fragilisées, une démocratie exem-plaire brisée et un tourisme sinistré. En quelquessemaines, ce vaste pays sahélien de plus de 15 mil-lions d’habitants est devenu un grand malade auchevet duquel s’est précipitée la communauté in-ternationale. En janvier 2013, l’intervention mili-taire française a suscité un bel enthousiasme dansla population. Mais très vite, cette joie a fait placeà des interrogations sur l’avenir de la mosaïque depeuples qui constituent le Mali moderne : Peuls,Touaregs, Tamasheqs, Songhaïs, Malinkés, Arabes,Bozos, etc.

Jeter les bases d’une paix nouvelleL’Accord pour la paix et la réconciliation, issu d’unlong processus de négociations mené à Alger, a étésigné en mai et en juin 2015. Il semble avoir faitnaître une lueur d’espoir dans le cœur des habi-tants. Qu’ils soient acteurs de la société civile, ar-

En novembre dernier, une grande majorité des députés à l’Assemblée nationale malienne ont adopté la loi sur la pro-motion du genre. Ce texte illustre bien l’espoir d’un pays en pleine reconstruction et prêt pour des lendemains meilleurs.

tistes ou intellectuels, les Maliens sont nombreuxà se battre et à croire en l’avenir de leur pays. Ce-pendant, plusieurs attentats, perpétrés avant et aprèsla signature de l’accord, ont déclenché l’an dernierde nouvelles vagues de psychose dans la populationet fragilisé le processus de paix (voir texte en margepage 20). Deux articles de l’accord d’Alger prévoient l’éla-boration d’une Charte pour la paix et la réconci-liation. L’objectif est de jeter les bases d’une nou-velle dynamique de paix et de préparer le terrainà une conférence d’entente nationale. Il faut y ajou-ter le travail de la Commission Vérité, Justice et Ré-conciliation (CVJR), qui est opérationnelle depuisnovembre dernier. De nombreuses femmes fontpartie des quinze membres de cette commission.Parmi elles figurent Nina Wallett Intalou, une di-rigeante du Mouvement national de libération del’Azawad (MNLA) qui s’est reconvertie dans la re-cherche de la paix, et Coulibaly Aïssata Touré, unefemme d’affaires réputée.

Reconstruction du Mali : les femmeset les jeunes au premier planMalgré l’insécurité et la menace djihadiste qui persistent, ja-mais les communautés du nord et du sud du Mali n’ont eu au-tant envie de se relever et de se réconcilier. Dans ce pays enpleine mutation, des femmes et des jeunes font de plus en plusentendre leur voix pour construire l’avenir. De Mame Diarra Diop*.

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Mali

Le Mali en brefNomRépublique du Mali

CapitaleBamako

Superficie1,24 million de km2

Population15,3 millions d’habitants.Le pays compte trente ethnies, réparties en quatregrands groupes : Mandin-gues, Soudaniens etpeuples voltaïques dans le Sud ; tribus nomades(Peuls, Touaregs etMaures) dans le Nord.

LanguesLe français est la langueofficielle, mais le bambaraest le plus utilisé.

Religion Musulmans : 90% Animistes : 9%Chrétiens : 1%

Espérance de vie55 ans

ÉconomieEnviron 80% des habitantsvivent de l’agriculture. Lesprincipales exportationssont l’or et le coton. Legouvernement subven-tionne la culture de cé-réales, afin de réduire ladépendance vis-à-vis dumarché mondial.

PauvretéLe Mali occupe le 176e

rang mondial selon l’Indicede développement hu-main. Près de 78% de lapopulation vit avec moinsde 2 dollars par jour.

Des femmes brisent le silence La CVJR a pour tâche principale de faire la lumièresur les nombreuses exactions commises contre cer-taines communautés en 2012. Ce sont les femmeset les jeunes qui ont payé le plus lourd tribut à l’oc-cupation du Nord. Violées, séparées de leurs ma-ris, beaucoup de victimes ont toutefois choisi dese taire.

C’est ce silence que tente de briser Safiatou Mou-laye Haidara, présidente des femmes de l’associa-tion Al Carama («dignité» en arabe). Cette dernièreentend créer un nouveau chemin vers la réconci-liation nationale. «Aujourd’hui, nous devons nousconcentrer sur le développement. Il faut restaurerla confiance des populations à travers des projetsde développement qui ont un impact réel sur leurexistence », analyse-t-elle. D’origine arabe, Mme

Moulaye est une figure émergente du mouvementféministe. Elle œuvre également à travers le Ré-seau malien pour la prévention des atrocités demasse. Elle vient d’organiser un grand atelier à Bamako sur la paix et la cohésion sociale entre lescommunautés arabes du nord du Mali. « J’ai une sa-tisfaction morale quand j’aide mes concitoyens »,dit-elle. Épouse de l’actuel ministre de la réconci-liation et mère de six enfants, Safiatou MoulayeHaidara nourrit encore d’autres ambitions. Ainsi,elle veut contribuer à la création de marchés pourles femmes commerçantes de Gao ou de Tom-bouctou, afin d’aider ces dernières à devenir auto-nomes financièrement. Elle prévoit aussi d’organi-ser un atelier sur le rôle de la CVJR. Au-delà de ces initiatives, d’autres acteurs de la so-ciété civile s’emparent de la question de la récon-ciliation nationale. C’est le cas de Mariam DialloDramé, présidente de l’Association femmes, lea-dership et développement durable (AFLED) qui

Le Conseil national de la jeunesse a formé de jeunesMaliens au rôle de médiateurs de la paix.

s’emploie à faire émerger des leaders politiques parmi les jeunes Maliennes. «Pour moi, il n’y a pasd’avenir sans une implication des femmes dans lesprises de décision à l’échelle nationale », résume-t-elle.

Le long chemin de la réconciliationEnviron 100000 réfugiés et personnes déplacéesn’ont toujours pas retrouvé le chemin de leurs mai-sons. Quant aux gens qui sont restés sur place pen-dant le conflit, ils tentent aujourd’hui de résister auxdifficultés quotidiennes et à la flambée des prix.C’est le cas de Fatouma Harber, enseignante àl’Institut de formation des maîtres, à Tombouctou,et bloggeuse à ses heures perdues : «Nulle partailleurs, je ne me sens mieux qu’à Tombouctou,même si l’on y entend parfois des tirs d’armes etque tout a augmenté », confie-t-elle. Née dans cette ville surnommée « la cité des 333saints », la jeune femme y a fait revenir ses parentsqui avaient émigré au Niger voisin. «La réconci-liation est un long chemin et tout ce qui s’est faitjusqu’ici reste en surface. Les communautés arabes,touarègues et autres ont encore du mal à se rap-procher. Elles ne se réunissent qu’entre elles »,nuance Fatouma Harber face à l’insécurité am-biante. Elle se sert d’Internet et de sa plume pourdénoncer, sur le «Blog de Faty », la réalité de la si-tuation au Mali. L’un de ses tweets lui a d’ailleursvalu d’être repérée par le Département d’État amé-ricain. L’ambassade des États-Unis a invité la blog-geuse à participer au Tech Camp, un atelier sur lesnouvelles technologies qu’elle a organisé à Bama-ko en 2014.

Un nouveau leadership jeuneCependant, la reconstruction du Mali ne se jouepas qu’au Nord. À Bamako, de nombreux jeunescomme le collectif «Plus Jamais ça ! » mènent desactions ciblées et font un plaidoyer vibrant pourcréer plus de dialogue et de tolérance entre Ma-liens. «Si le monde doit changer, c’est aussi grâceaux citoyens », résume Bilaly Dicko. Ce politologueest également coach en leadership et développe-ment personnel, entrepreneur social, conférencieret membre du Réseau des jeunes leaders des Na-tions Unies. Né à Mopti, au centre du Mali, il seveut un exemple pour sa génération. Issu d’une fa-mille modeste, il reste guidé chaque jour par les va-leurs du travail, de l’effort et du mérite, que lui ontinculquées ses parents. Bilaly Dicko a créé «Les leaders de demain », uneassociation dont l’objectif est de donner envie auxjeunes de croire dans leur pays. «Nous voulons for-mer les élites de l’avenir. Il y a de fortes chancespour que les leaders de la prochaine génération

Burkina Faso

Mauritanie

Bamako

Côte d’Ivoire

Guinée

Mali

Algérie

NigerSénégal

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soient différents, qu’ils se montrent innovants etcréatifs dans leur conception de l’État et du déve-loppement », espère-t-il.Pour Mohamed Salia Touré, président du Conseilnational de la jeunesse (CNJ), l’enjeu réside plutôtdans la formation de la jeunesse. Son organisationvient d’initier près de 400 jeunes Maliens aux va-leurs de la paix et du vivre-ensemble. Ces «nou-veaux médiateurs de la paix » deviendront ainsi desambassadeurs pour combattre l’extrémisme vio-lent. Le Forum international de la jeunesse sur lapaix et la sécurité au Sahel, qui s’est tenu en sep-tembre 2014, a été un signal fort pour aller del’avant.

La culture, une arme pour la renaissanceAu-delà de la survie quotidienne et du plaidoyerde la société civile pour installer la réconciliationnationale dans les cœurs, d’autres élans visent àcréer une forme de renaissance artistique et cultu-relle au Mali. Puisqu’il n’y a pas de développementsans culture ni l’inverse, la tenue en 2015 des dixièmes Rencontres de Bamako – ou Biennaleafricaine de la photographie –, après une inter-ruption de quatre ans, a soulevé une belle vagued’optimisme chez les jeunes. «Ce rendez-vous in-contournable est une chance. Il nous permet de sor-tir du quotidien, de rencontrer des artistes et desphotographes de talent », relève Dicko, étudiante auConservatoire des arts et métiers de Bamako.

Le regard de la jeune fille s’est porté avec attentionsur l’incroyable exposition d’Aboubacar Traoré,intitulée Inch’Allah. Un heureux présage pour cephotographe malien qui s’est vu attribuer le prixde l’Organisation internationale de la francopho-nie ? L’artiste réconcilie d’une certaine façon lesMaliens avec eux-mêmes. Ses portraits d’hommescasqués dénoncent l’absurdité de l’intégrisme quia bien failli coûter au Mali son hospitalité et sa joiede vivre légendaires. Plus que jamais, les femmes et les jeunes occupentle devant de la scène sociopolitique et culturelle,et ils le font savoir. L’ignorer, c’est fermer les yeuxsur un pays avide de changement. D’ailleurs, la loisur la promotion du genre, votée le 13 novembredernier par la majorité des députés à l’Assembléenationale, illustre bien cet espoir, celui d’un paysen pleine reconstruction et prêt pour des lende-mains meilleurs. ■

*Mame Diarra Diop est rédactrice en chef de l’hebdo-madaire « Journal du Mali » et du journaldumali.com.Elle préside l’Association malienne des professionnels dela presse en ligne.

Le Festival sur le Niger, qui se tient chaque année dans la ville malienne de Ségou, montre bien qu’il n’y a pas de déve-loppement sans culture et pas de culture sans développement.

Une paix très instable La reconquête du nord du Mali par les soldatsfrançais et maliens en2013 a marqué le débutdes efforts visant à restau-rer la paix. En 2015, cefragile processus a toute-fois été déstabilisé par unesérie d’opérations terro-ristes perpétrées dans lecentre et le sud du pays.Ainsi, le 7 mars, unhomme armé a ouvert lefeu sur les clients du res-taurant La Terrasse, àBamako, fréquenté pardes expatriés. La fusilladea fait cinq morts. Débutaoût, une prise d’otages aeu lieu dans l’hôtel Byblos,à Sévaré. Elle s’est soldéepar la mort de treize per-sonnes, dont quatre as-saillants. Le 20 novembre,un commando terroriste a attaqué l’hôtel de luxeRadisson Blu, à Bamako,prenant en otages 170clients et employés. Le bi-lan était encore plus lourd :22 morts. Chacun de cesattentats a été revendiquépar un ou plusieursgroupes djihadistes.

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Sur le terrain avec...Andreas Loebell, chargé de programme au bureau de la coopération suisse à Bamako

Mali

En attendant, le sud du pays est pratiquement laseule région où je puisse circuler librement. L’étédernier, je me suis rendu dans la région de Bou-gouni pour visiter un projet de production de co-ton biologique, qui a obtenu des résultats specta-culaires dans la promotion des femmes. Ce projet,financé par le Secrétariat d’État à l’économie(Seco), a recouru aux quotas pour aider les femmesà acquérir des charrettes, un moyen de productionindispensable : il a décrété que ses crédits seraient

alloués à parts égales aux représentants des deuxsexes, alors que la majorité des producteurs sontdes hommes. Auparavant, les femmes devaient at-tendre que leur mari n’ait plus besoin de la char-rette du ménage pour l’utiliser à leur tour. Sou-vent, le moment de l’épandage d’engrais ou de larécolte était alors dépassé. Depuis que les paysannesont pu acheter elles-mêmes des charrettes, leurproductivité et donc leurs revenus ont augmenté.Cela les a rendues plus fortes, plus autonomes eta renforcé leur estime de soi. ■

(Propos recueillis par Jane-Lise Schneeberger)

« Il se passe rarementune semaine sans

qu’une attaque violentene soit perpétrée. »

Pour aller au bureau et revenir chez moi, je passechaque jour une heure au volant de ma voituredans les embouteillages de Bamako. Le trafic estinouï dans cette ville dont la population a plus quedoublé en vingt ans. Motos et voitures surgissentde tous les côtés. Un ami malien m’a recomman-dé la règle suivante pour sortir indemne de cettecirculation anarchique : «Ne te demande pas quelconducteur est dans son droit. Évite les problèmes.Si quelqu’un te brûle la priorité, laisse-le passer. »Ce conseil m’a bien aidé. Depuis mon arrivée, enseptembre 2014, je n’ai pas eu d’accident.

Si le trafic est le problème de sécurité numéro unà Bamako, d’autres risques sont moins visibles dansle pays, mais tout aussi réels. La mise en œuvre del’accord de paix, signé en juin dernier, peine à dé-marrer. Il se passe rarement une semaine sansqu’une attaque violente, attribuée à des groupesdjihadistes ou à des bandits, ne soit perpétrée dansle nord du pays. Depuis début 2015, les autres ré-gions, y compris la capitale, sont également tou-chées. En outre, la criminalité a fortement aug-menté. De manière générale, la sécurité reste pré-caire, ce qui limite considérablement notre margede manœuvre.

Le nord et le centre du pays sont des zones dan-gereuses pour les Occidentaux, en raison du risqueélevé d’enlèvements. Responsable du programmede développement rural et des économies locales,je ne peux donc pas visiter actuellement nos pro-jets dans ces régions. Sur le terrain, nos partenairestravaillent avec des collaborateurs maliens. Cesderniers sont peut-être des cibles moins directespour les ravisseurs, mais ils courent aussi des risqueset doivent prendre de nombreuses mesures deprécaution lors de leurs déplacements.

Récemment, j’ai eu l’occasion de participer à unatelier sur la coordination des interventions hu-manitaires et des activités de développement dansles zones affectées par le conflit. C’était impres-sionnant de voir d’anciens belligérants, signatairesde l’accord de paix, réunis à une même table dansune atmosphère presque sereine. Alors qu’ils s’af-frontaient encore sur le terrain quelques mois au-paravant, ils ont discuté durant deux jours d’unthème qui présente un intérêt pour l’ensemble desparties : comment sécuriser ces zones pour per-mettre la réouverture des écoles, le retour des ré-fugiés et la relance de l’économie ? Cet atelier m’aredonné de l’espoir. C’était un petit pas vers le ré-tablissement de la paix et de la sécurité. Mais il enfaudra encore beaucoup d’autres.

Soutien multiple de la SuisseLa DDC est présente auMali depuis les années 70.Elle concentre ses activi-tés sur les régions deTombouctou (nord), Mopti(centre) et Sikasso (sud).Son programme de co-opération porte sur troisdomaines : développementrural et économies locales ;gestion publique locale ;éducation de base et for-mation professionnelle. La DDC fournit égalementune aide humanitaire, afind’assister les déplacés in-ternes ayant dû fuir lesviolences dans le nord dupays et d’autres groupesvulnérables de la popula-tion également affectéspar le conflit. D’autres of-fices de la Confédérationsont aussi actifs au Maliactuellement. Ainsi, leSeco réalise des projetsde coopération écono-mique au développement,tandis que la DivisionSécurité humaine duDFAE s’investit dans latransformation des conflitset le traitement du passé.www.ddc.admin.ch,« Pays », « Mali »

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Mali

Dimanche, 14 septembre 2014. Depuis le bord dulac des Quatre-Cantons, j’appelle mon cousin quivit dans le village de Tacharane, près de Gao, aunord du Mali. Au lieu des salutations d’usage, ilm’annonce d’emblée que tout le village est sur lepied de guerre. Les hommes recherchent huit éco-lières, âgées de 13 à 15 ans, qui ont disparu au pe-tit matin. Je ne peux m’empêcher de faire des associations lugubres. Quelques mois auparavant,des obus avaient atterri de nuit surl’école du village voisin.

Mon cousin poursuit son récit. Lesfilles sont parties dans les rizières poury cueillir des feuilles de kaaru, nom lo-cal de l’Aeschynomene crassicaulis, une lé-gumineuse aquatique. Elles ont prisplace à bord d’une pirogue pour tra-verser la mare qui sépare le village dela plaine submergée. Soudain, un ventviolent s’est levé. Le piroguier racon-tera plus tard que les écolières se sontprécipitées sur lui, alors qu’il cherchaità maîtriser son embarcation. La pi-rogue a fini par chavirer. Le jeune pê-cheur s’est retrouvé dans l’eau, lesmains des passagères encore agrippéesà son corps. Seul rescapé, il a alerté levillage. Une flottille de pirogues a ra-tissé la zone ; des nageurs ont plongésans équipement. En fin d’après-midi,on a retrouvé les corps des huit jeunesfilles. Les funérailles se sont tenues enprésence de personnalités officiellesvenues de Gao.

La nouvelle a ébranlé cette région, oùles drames abondent pourtant. À la ra-dio, le maire de Gounzourèye a dé-noncé la misère qui force les enfants àrisquer leurs vies pour aller cueillir desplantes comestibles. Mon cousin, deson côté, relativise. Il précise que lesfilles vendent les feuilles de kaaru enville pour s’acheter quelques effets en vue de larentrée scolaire du 1er octobre.

Après l’émoi et la tristesse vient le temps du ques-tionnement. Pourquoi les filles ne savent-elles plusnager ? Jadis, on se retrouvait l’après-midi au borddu fleuve Niger pour laver le linge et la vaisselle,pêcher et surtout se baigner. Jusque dans les an-nées 70, la traversée annuelle du fleuve par les trou-peaux de vaches donnait lieu à une grande fête po-pulaire, conduite par le harikoy, le «maître deseaux ». On vivait en symbiose avec le fleuve, même

Des questions après la noyade de huit écolièressi, en période de crues, les récits d’attaques de caï-mans effrayaient les gens. Aujourd’hui, les jeunesont perdu ce lien. Le fossé s’est davantage creusépour les filles, qui excellaient jadis à la nage. Moncousin me rappelle que sa sœur battait tous les gar-çons à la traversée.

Pourquoi la jeunesse s’est-elle tant éloignée de cecours d’eau nourricier ? Que faire lorsque la na-

tation n’est plus le sport « naturel » desjeunes riverains ? En 2012, les femmesde Gao se sont révoltées contre l’in-terdiction de se baigner dans le Niger,qui leur avait été imposée par les oc-cupants islamistes. On invoquait alorsune agression frontale contre la com-munion ancestrale avec les esprits dufleuve.

Faut-il introduire des cours de nata-tion à l’école pour ramener les enfantsvers le fleuve ? La réponse semble êtreoui, mais comment faire ? L’éducationphysique est limitée aux exercices dansla cour de l’école. Organiser des sor-ties de natation pour quatre-vingts oucent élèves ne sera pas une mince af-faire pour l’unique instituteur de laclasse. Les scénarios ne manquent paspour autant. Pourquoi ne pas recruterdes pêcheurs afin qu’ils transmettentleur savoir-faire aux élèves ? Il faudraitleur trouver un créneau dans le pro-gramme scolaire.

Le martyre des huit écolières de Bi-chibar a soulevé une question sans ré-ponse évidente. La scolarisation desfilles est inscrite dans les objectifs fon-damentaux de l’ONU. Les gouverne-ments affichent volontiers leurs bonsrésultats en la matière. Hélas, l’école serésume trop souvent à quatre murs, untableau noir et des tables-bancs. Les

enfants y apprennent à répéter ou à recopier à lon-gueur de journée, sans bouger ni broncher. Et sicette inertie cultivée recélait à maints égards lenaufrage de masse d’une génération ? ■

Mohomodou

Houssouba, né en 1965,

a grandi à Gao, dans le

nord-est du Mali. Il a suivi

une formation pédago-

gique en anglais à

Bamako, puis dans

l’Illinois, aux États-Unis.

Depuis quatorze ans,

il habite en Suisse, d’où il

écrit ses observations sur

une société malienne en

pleine mutation culturelle.

Son premier ouvrage,

Bagoundié blues – Petites

lumières sur la boucle du

Niger, paru en 2003, est

un essai géographique sur

Gao dans les années 70,

époque marquée par une

grande sécheresse et

l’émergence de mouve-

ments intégristes au

Sahel. Il vit et travaille

à Bâle.

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Intervention indirecteLe projet Horti-Sempre ap-plique une approche quiconsiste à développer lessystèmes de marché pourqu’ils fonctionnent au bé-néfice des pauvres. «Nousn’intervenons pas directe-ment dans le système.Nous agissons plutôtcomme des diplomates »,explique Pierre Strauss,responsable des projets dela DDC dans les secteursprivé et financier auMozambique. Au lieu dedistribuer elle-même dessemences, par exemple, la DDC organise des ren-contres entre les semen-ciers et les paysans. Elleconvainc des investisseursqu’il existe des débouchéspour les hip pumps oubien elle met en contactdes grossistes en légumeset des petits paysans.«Nous ne sommes jamaisun acteur direct, mais nousjouons le rôle d’intermé-diaire et de promoteur.Cela garantit que le sys-tème continuera de fonc-tionner au-delà de l’enga-gement de la DDC»,souligne Pierre Strauss.

(sas) Tous les matins, Zainabo Abdala se levait à quatreheures, envoyait ses filles à l’école et se rendait en-suite sur son champ. Elle passait toute la journée àaller chercher de l’eau au puits et à s’occuper de seslégumes. Pourtant, ce dur labeur lui suffisait à peinepour survivre. En 2013, avec l’appui de la DDC, Zai-nabo a pu s’acheter une pompe hydraulique appe-lée hip pump. «L’arrosage est alors devenu bien plusfacile», affirme-t-elle. Désormais, il ne lui faut pas plusde deux heures pour irriguer son champ. Zainabo Abdala figure parmi les quelque 4000 pe-tits paysans visés par le projet Horti-Sempre de laDDC, dans le nord du Mozambique. L’objectif estde développer le marché local pour que ces pro-ducteurs puissent augmenter leurs revenus et ainsiéchapper à la pauvreté. La région est restée très iso-lée durant les quinze années de guerre civile etmanque cruellement de savoir-faire agricole. Lancéen 2013, Horti-Sempre est mis en œuvre par Swiss-contact. La DDC lui consacrera 5 millions de francsd’ici fin 2016. Le projet compte quatre composantes.Il met sur le marché des semences de meilleure qua-lité, importées du Brésil. Il soutient l’achat de pompesqui permettent aux paysans d’arroser rapidement de

grandes surfaces cultivées. Des spécialistes diffusentdes connaissances sur les méthodes de fertilisation et la production de plantons. Enfin, pour faciliter l’accès des petits paysans au marché, le projet les meten relation avec des grossistes en légumes.

Premiers succèsLes débuts de Horti-Sempre sont prometteurs : les3000 petits paysans qui en bénéficient déjà ont ga-gné en moyenne 91 dollars de plus en 2014 que l’an-née précédente. C’est un montant considérable si l’onsait que leur revenu annuel ne dépasse pas 300 dol-lars en général. Les cultivateurs ont pu augmenterd’un tiers au moins leur production. En vendant seslégumes au marché, Zainabo Abdala a gagné trois foisplus en 2014 qu’en 2013. «Cet argent supplémen-taire a été vital. Il m’a permis d’envoyer ma mère ma-lade à l’hôpital», raconte-t-elle. Zainabo a même puconvaincre sept villageoises, qui avaient quitté la co-opérative agricole il y a quelques années, de se re-mettre à la culture maraîchère. C’est en voyant fonc-tionner la pompe qu’elles ont repris espoir. ■

(De l’allemand)

Les pompes de l’espoirLes petits paysans du Corridor de Nacala, dans le nord duMozambique, souffrent encore des séquelles de la guerre civile. Le projet Horti-Sempre, financé par la DDC, doit les aiderà échapper à la pauvreté.

L’acquisition d’une pompe facilite l’irrigation des cultures. Zainabo Abdala (à droite), une productrice de légumes, gagne ainsi beaucoup de temps.

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ta Zwela/DDC

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Visions estudiantinesPour sensibiliser la relèveacadémique à la questiondu logement social, laDDC a convaincu plusieursuniversités de Géorgied’offrir des cours sur cethème. Elle a par ailleursorganisé plusieurs concoursà l’intention des étudiantsen architecture. SandroLobjanidze est le lauréatde l’édition 2015. «Pourles Géorgiens, le logementsocial est une notion tout àfait nouvelle », explique-t-il.«En tant qu’architectes,nous pouvons faire œuvrede pionniers et proposerde beaux projets, afin quepersonne n’ait honte d’ha-biter un logement social. »L’étudiant lance une idée :«Pourquoi ne pas intégrerles appartements sociauxdans des bâtiments loca-tifs ordinaires? Ce seraitidéal pour l’intégration deshabitants. »

(sas) Le rêve de la Géorgie d’accéder pacifiquementà l’indépendance aura été de courte durée. Aprèsque cet État du Caucase s’est libéré du joug so-viétique en avril 1991, de sanglants conflits ontéclaté dans les régions séparatistes d’Ossétie du Sudet d’Abkhazie. Quelque 260000 personnes ont étéchassées de chez elles. La moitié d’entre elles vi-vent aujourd’hui encore dans des abris de fortune.Il leur est pratiquement impossible de retourner surleurs terres d’origine, qui continuent d’être la proiede conflits.Dodo Lakia est l’une de ces personnes déplacées.Lorsque des troupes paramilitaires ont massacré en1993 des milliers d’habitants dans sa ville natale deSoukhoumi, capitale de l’Abkhazie, elle a fui avecson mari et leurs deux filles. «Pendant dix ans, nousavons vécu dans l’enceinte d’une ancienne usinechimique. Notre santé en a fortement pâti », racontecette femme de 54 ans. Elle habite aujourd’hui avecsa famille à Zougdidi dans un complexe d’appar-tements sociaux financés par la DDC. « Ici, nous

sommes heureux et en sécurité, même si nous noussentons parfois un peu à l’étroit dans notre loge-ment d’une pièce. »

Pour les oubliés du boom immobilierEntre 2007 et 2013, dans le cadre du projet SocialHousing in Supportive Environments (SHSE), laDDC a financé la construction de 19 bâtimentsdans sept villes, ce qui représente un total de 168appartements. C’était une nouveauté pour la Géor-gie, où il n’y avait pas de logements sociaux avant2007. Les bâtiments appartiennent aux autoritésmunicipales. Celles-ci les mettent gratuitement àdisposition des personnes déplacées qui ne peuventse permettre de louer un appartement. Le projetsoutient les efforts du gouvernement qui a décidéofficiellement en 2007 d’améliorer la situation desdéplacés internes. «L’objectif du SHSE est d’accé-lérer la fermeture des abris de fortune et de faireconnaître aux autorités le modèle des apparte-ments sociaux», explique Patrik Olsson, respon-

Un toit malgré la hausse des loyers Des milliers de Géorgiens, réfugiés dans leur propre pays, vivent depuis des décennies dans des abris de fortune. Par laconstruction de logements sociaux et le lobbying politique, la DDC contribue à améliorer la situation des personnes dépla-cées ou socialement défavorisées.

Quelque 130000 Géorgiens, qui ont fui les conflits en Ossétie du Sud et en Abkhazie, vivent encore dans des abris defortune. Un retour chez eux n’est pas possible pour l’instant.

DDC

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sable du programme de la DDC dans le Caucasedu Sud. Ces logements ne sont pas destinés qu’aux réfugiésde guerre. Les personnes âgées dans le besoin, lessans-abris et les travailleurs occasionnels peuventégalement en profiter. Bien que le secteur de laconstruction soit en plein boom, ces groupes depopulation n’ont quasiment aucune chance de

Une gérante au grandcœurLes habitants des loge-ments construits par laDDC en Géorgie sont sui-vis par des travailleurs so-ciaux, dont le salaire estpris en charge par les ad-ministrations communales.Chacun d’eux assume diverses tâches selon untournus mensuel. PourLamazo Kobalia, ce n’étaitpas assez. Cette retraitéede 68 ans a ainsi, de sapropre initiative, repris lagestion de deux immeu-bles. «Prendre soin desautres locataires m’ap-porte une grande satisfac-tion, car ils sont un peu ma famille », explique-t-elle. Lamazo Kobalia règleles factures d’entretien,établit les calendriers d’uti-lisation de la buanderie etpasse régulièrement chezchaque habitant. Avec songroupe de musique folklo-rique Mapshalia, elle ap-porte en outre un peu degaîté dans la communauté.

Les logements sociaux construits avec l’aide de la Suisse – comme ici à Tbilissi – sont destinés non seulement aux réfugiés de guerre, mais aussi aux personnes âgées dans le besoin, aux sans-abris et aux travailleurs occasionnels.

trouver à se loger sur le marché libre. Gocha Khu-fatsaria, 51 ans, est de ceux qui n’ont pas pu faireface à la hausse des loyers. Son emploi de chauf-feur de bus lui rapporte dix laris (quatre francssuisses) par jour – à condition qu’il trouve du tra-vail. «Lorsque ma mère est tombée gravement ma-lade, j’ai dû vendre la maison pour payer son trai-tement », explique-t-il. Gocha et sa famille ont dé-ménagé dans un appartement dont le loyer est vitedevenu trop cher et ils se sont retrouvés à la rue.Ils se sont alors inscrits sur la liste d’attente pourobtenir un logement du SHSE à Zougdidi et lachance leur a enfin souri. «Nous n’avons plus àcraindre d’être mis à la porte du jour au lendemain,faute de pouvoir payer le loyer », se réjouit le pèrede famille. «Sans cet appartement et le soutien mu-tuel entre voisins, notre vie serait horrible. »

Une initiative pour les sans-abrisUne fois terminée la phase de construction, en2013, la DDC s’est attelée à convaincre les autori-tés géorgiennes qu’il était nécessaire de mettre àdisposition des logements sociaux. Avec un certainsuccès. Ainsi, le ministère de l’économie et du dé-veloppement durable a adopté les normes deconstruction mises au point par la DDC pour laGéorgie. L’architecte bernois Rolf Grossenbachera accompagné cette dernière phase du projet, quis’est achevée en avril 2015. « Je suis confiant en ce

qui concerne l’avenir de cette prestation dans lepays. La commune de Bolnisi, par exemple, a conver-ti une ancienne caserne de police en logements sociaux», indique-t-il. La Géorgie n’a toutefois pasencore adopté une politique d’aménagement duterritoire. Cela pourrait avoir des répercussionsnégatives sur la construction de logements sociaux,craint l’expert : « L’entière responsabilité repose

sur les communes, qui n’ont souvent pas assez d’argent pour financer de tels projets. »Tamuna Tsivtsivadze, chargée de programme aubureau suisse de coopération à Tbilissi, la capitale,se montre également optimiste, mais avec réserve.La construction des bâtiments a presque été, selonelle, la partie la plus facile : «Le travail de persua-sion, en revanche, est difficile, en raison notammentdes rapports de force politiques en perpétuellemutation dans le pays. Ce que la DDC a accomplijusqu’ici est révolutionnaire, vu les conditions quiprévalent en Géorgie. » Une nouvelle initiative duministère du travail, de la santé et des affaires so-ciales est, elle aussi, porteuse d’espoir : baptisée«Overcoming Homelessness », elle vise à bâtir deslogements pour les sans-abris dans l’ensemble dupays. «Nous voulons utiliser cette occasion pourinscrire notre projet à l’agenda politique du gou-vernement », se promet Tamuna Tsivtsivadze. Si leministère devait se montrer réceptif, cela consti-tuerait un énorme progrès pour le logement socialen Géorgie et une garantie que l’engagement dela Suisse aura un effet à long terme. C’est d’ailleursexactement ce qui se passe en Serbie, où le loge-ment social connaît un petit boom depuis le bou-clement des projets SHSE. ■

(De l’allemand)

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annuelle de 60 millions defrancs, ce qui fait d’elle l’undes dix plus grands donateurs.Parmi les exemples de colla-boration réussie entre la DDCet le PNUD figurent les me-sures prises au Nicaragua pourréduire l’impact du change-ment climatique: des ouvragesde protection contre les cruesont été construits et on aformé quelque 2000 spécia-listes de la prévention des ca-tastrophes naturelles. Durée du projet : 2015-2017Volume: 180 millions CHF

Freiner la surpêche(bm) Au Myanmar, la transitionvers une économie de marchéet un système plus démocra-tique a ouvert de nouvellesperspectives. Mais elle a aussicréé des tensions entre les ci-toyens, le gouvernement et lesecteur privé sur le contrôle etla gestion des ressources natu-relles. En raison des problèmesque pose l’application des ré-glementations de la pêche, leseaux poissonneuses du golfede Martaban sont surexploi-tées au bénéfice des plusriches. Afin de protéger cettebiodiversité contre la surpêche,la DDC soutient un projet vi-sant à encourager une utilisa-tion durable des ressourcesaquatiques du golfe au profitdes communautés locales quien dépendent. L’améliorationde la gestion des pêcheries,mais aussi l’accès à d’autresactivités économiques, fontpartie des mesures prévues.

L’objectif est de réduire la pau-vreté des populations rurales.Les femmes seront parmi lesprincipales bénéficiaires duprojet. Durée du projet : 2015-2018Volume: 4,6 millions CHF

Contribution de la diaspora(dey) La Moldavie connaît uneforte émigration. Environ untiers de la population active aémigré au cours des dix der-nières années. Un projet, finan-cé par la DDC, vise à saisir aumieux les chances offertes parla migration en termes de dé-veloppement et de retombéessocioéconomiques. L’un deses axes consiste à soutenirles autorités moldaves dansl’élaboration d’un cadre légis-latif qui facilite l’implication desmembres de la diaspora dansle développement de leurscommunautés d’origine. Grâceà cette nouvelle réglementa-tion, les émigrés pourront, par exemple, investir dans laconstruction d’infrastructures.Le projet encourage aussi lesecteur privé à développer desproduits utiles aux migrants età leurs familles.Durée du projet : 2014-2018Volume: 7 millions CHF

Traitement de l’eau en Ukraine(ung) Les autorités sanitairesde la ville ukrainienne deDonetsk ont constaté début2015 une augmentation impor-tante des cas d’hépatite A.L’insalubrité de l’eau en était la cause principale. Quelquesmois plus tard, l’Aide humani-taire de la Confédération aacheminé vers l’est de l’Ukraine1200 tonnes de produits chi-miques destinés au traitementde l’eau. Environ 3 millions depersonnes – de part et d’autre

Formation hôtelière au Laos(bm) Au Laos, le tourisme re-présentait 18% du produit na-tional brut en 2013. Le nombrede visiteurs a augmenté enmoyenne de 20% par an du-rant les deux dernières décen-nies, pour atteindre 3,7 mil-lions. Ce secteur économiqueen pleine expansion présenteun fort potentiel de créationd’emplois. Afin de le dynamiseret de permettre aux jeunesd’acquérir des compétences,en particulier dans le secteurhôtelier, la Suisse soutient,conjointement avec leLuxembourg, la réforme de la formation professionnelle. La contribution de la DDCconcerne surtout les jeunes les plus pauvres, en particulierceux issus des minorités eth-niques, et les femmes. L’octroide bourses devrait faciliterl’accès des plus démunis àune formation. D’ici à 2020,environ 5000 jeunes bénéficie-ront de ce projet.Durée du projet : 2015-2020Volume: 9,75 millions CHF

Contribution au PNUD(hsf) Le Programme desNations Unies pour le dévelop-pement (PNUD) est l’une desprincipales institutions parte-naires de la DDC. Il a pour mis-sion de réduire la pauvreté, lesinégalités et l’exclusion dansles pays pauvres. Il aide cesderniers à mettre en œuvreplus efficacement leurs straté-gies de développement. LaDDC verse à cette agenceonusienne une contribution

de la « ligne de contact» – ontprofité de cette opération. LaSuisse est le seul acteur éta-tique à avoir mis sur pied desconvois humanitaires traver-sant la ligne de séparationentre les parties. L’Aide huma-nitaire a également livré plu-sieurs systèmes Wata qui per-mettent aux autorités localesde produire de manière auto-nome et durable une solutionchlorée destinée au traitementde l’eau. Durée du projet : 2015-2016Volume: 1 million CHF

Plateforme sur la migrationet le développement(sauya) En novembre dernier, la DDC a lancé la Plateformede la société civile suisse sur lamigration et le développement(www.mdplatform.ch). Celle-civise à intensifier les discus-sions sur la contribution desmigrants au développement, à renforcer le positionnementdes ONG suisses au niveau international et à soutenir lacohérence des politiques.Concrètement, il s’agit d’en-courager les échanges entreles membres, en y impliquantles autorités suisses et d’au-tres partenaires étrangers. Laplateforme est gérée conjointe-ment par Caritas et HelvetasSwiss Intercooperation. Elles’est déjà révélée utile pourdégager des positions com-munes lors du 8e Forum mon-dial sur la migration et le déve-loppement, qui s’est dérouléen octobre dernier à Istanbul.Durée du projet : 2015-2018Volume: 900000 CHFLi

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Moitié touriste, moitié sauveurLe «volontourisme» est en plein boom. Un nombre croissantd’opérateurs proposent des formules combinant travail volon-taire et activités touristiques dans les pays du Sud. Ce type debénévolat est souvent présenté comme une aide au dévelop-pement, mais il profite plus aux voyageurs eux-mêmes qu’auxpopulations locales. De Jane-Lise Schneeberger.

Le volontariat international a une longue traditiondans la coopération au développement. Cela faitplus de cinquante ans que des ONG, des œuvresmissionnaires ou des agences de coopération en-voient des volontaires dans les pays du Sud, géné-ralement pour des missions de longue durée.Depuis une dizaine d’années, un nouveau phéno-mène prend de l’ampleur dans ce domaine. Les ha-bitants des pays industrialisés, lassés d’être desimples touristes, veulent voyager autrement. Ilsveulent faire quelque chose d’utile pendant leursvacances, servir une cause humanitaire ou envi-ronnementale. L’explosion de la demande a trans-formé l’offre, qui doit désormais être disponible àtout moment. On parle de « volontariat flexible » :que le voyageur ait envie de creuser des puits auGhana, de construire une école au Vietnam, des’occuper d’orphelins au Népal ou encore de pro-téger des tortues marines au Mexique, il doit pou-voir le faire pour une courte durée et aux datesqui lui conviennent. Les agences de voyage ont in-

vesti ce créneau très lucratif et inventé un nou-veau produit, le « volontourisme », qui combinevolontariat et tourisme. Christine Plüss, directrice d’Arbeitskreis Ent-wicklung und Tourismus (akte), à Bâle, voit danscette évolution une perversion du volontariat : «Levolontourisme peut être une chance pour sensi-biliser les voyageurs aux réalités du Sud. Malheu-reusement, les offres actuelles se basent plus sur lesbesoins des touristes que sur ceux de la popula-tion locale. » Cela conduit à des aberrations, signaleMme Plüss : «Au Sri Lanka, des écoles sont repeintestous les mois par de nouveaux groupes de tou-ristes. »

«Voyager et aider » Dans ce nouveau secteur, où la frontière entre opé-rateurs commerciaux et non commerciaux estparfois floue, les offres en tout genre foisonnentsur Internet. Généralement, elles n’exigent desclients aucune compétence particulière. Ainsi, des

Une volontaire à la périphérie de Maputo, au Mozambique : de plus en plus d’Occidentaux veulent participer à un projethumanitaire ou environnemental pendant leurs vacances.

Un volontourisme plusresponsableLes règles du développe-ment durable et de la pro-tection des enfants sontrarement respectées parles prestataires de volon-tourisme. C’est la conclu-sion d’une récente étuderéalisée par trois ONG (unesuisse et deux alleman-des), qui ont examiné 44offres proposées par 23opérateurs dans l’espacegermanophone. IntituléeVom Freiwilligendienst zumVoluntourismus, cette en-quête constate égalementque la plupart des presta-taires n’opèrent aucunchoix préalable parmi lesvolontaires. Ils n’exigent ni curriculum vitae, ni lettrede motivation, ni extrait decasier judiciaire, et ne serenseignent pas sur lesconnaissances linguis-tiques et l’expérience professionnelle de leursclients. Le rapport les inviteà concevoir les stages demanière plus responsableet à en limiter les risques,en particulier pour les en-fants. www.fairunterwegs.org/voluntourismus

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volontouristes donnent des cours d’anglais, alorsqu’ils n’ont jamais enseigné. D’autres, tout aussi in-expérimentés, construisent des murs ou des char-pentes. «Cet amateurisme peut être dangereux,notamment dans les hôpitaux, où on voit des tou-ristes distribuer des médicaments ou soigner desplaies », s’inquiète Pierre de Hanscutter, directeurdu Service volontaire international, à Bruxelles.Les prestataires présentent souvent ces missionscomme une contribution au développement. Sousle slogan «Voyager et aider », leur publicité prometaux touristes qu’ils vont améliorer les conditionsde vie de la population locale, aider des gens à bri-ser l’engrenage de la pauvreté ou resocialiser desenfants de la rue. «C’est un discours aux relentscolonialistes. On fait croire aux touristes qu’ils sontcapables de sauver le monde, juste parce qu’ilsviennent des pays industrialisés », commenteChristine Plüss. À son avis, aucun client ne devraitaccepter de faire dans un pays du Sud ce qu’il neserait pas autorisé à faire chez lui.Le voyagiste STA Travel réfute ces critiques. «Nosbénévoles sont toujours encadrés par un profes-sionnel local et un coordinateur du projet. Dansles écoles, ils assistent l’enseignant titulaire, no-tamment en donnant des cours d’anglais », indiqueCaroline Bleiker, directrice de la filiale suisse. Ellecite en exemple un projet dans la ville cambod-gienne de Siem Reap, à quelques kilomètres destemples d’Angkor. Les clients de l’agence tra-vaillent pour New Hope Cambodia. Cette asso-

ciation dispense divers types de cours, y comprisune formation professionnelle dans la restauration,aux habitants d’un quartier défavorisé. « Sans ceprojet, tous ces gens ne pourraient pas apprendrel’anglais, n’auraient pas d’expérience, ni de com-pétences », affirme Mme Bleiker.

Concurrence à la main-d’œuvre localeÀ l’instar de New Hope, nombre d’institutionsdans les pays en développement comptent sur letravail des volontaires. Les Missionnaires de laCharité, par exemple, ne fonctionneraient pas sanseux. La congrégation fondée par Mère Teresa re-çoit chaque année à Calcutta des centaines d’Oc-cidentaux qui viennent aider les religieuses dansleurs activités au service des plus pauvres.Cette main-d’œuvre gratuite, surtout lorsqu’elleest peu qualifiée, peut toutefois concurrencer lestravailleurs indigènes. «Dans certains pays, le vo-lontourisme est une plaie pour l’emploi local », re-lève Pierre de Hanscutter. «Des petits artisans oudes professeurs, dont le revenu est déjà très maigre,voient arriver des touristes qui ont payé – parfoistrès cher – pour faire leur travail. » STA Travel n’estpas de cet avis : «Nos bénévoles ne remplacent enaucun cas la main-d’œuvre locale. Ils travaillentpour des projets qui, sans eux, n’existeraient pas »,indique Caroline Bleiker. Les organisations de promotion du tourisme équi-table recommandent de s’informer en détail sur lesoffres. Le client devrait toujours se demander quels

En général, les offres de volontourisme n’exigent aucune compétence particulière. Cet amateurisme peut s’avérer dangereux, par exemple si des touristes sont engagés dans la reconstruction après un séisme – ici, un village népalais.

Volontaires qualifiés sur le terrainL’association faîtière Unité,créée en 1964, regroupe22 ONG suisses qui prati-quent « la coopération parl’échange de personnes»,autrement dit le volontariat.Elle garantit la qualité deleurs activités. Quelque700 volontaires, envoyéspar ses membres, étaientengagés sur le terrain en2014. Environ 90% d’entreeux sont des experts quali-fiés et expérimentés. Ils effectuent une mission delongue ou de courte durée.Les 10% restants sont desdiplômés qui acquièrentune première expérienceprofessionnelle à l’étrangeret des jeunes non qualifiésqui participent à un stagede sensibilisation. La DDCcofinance Unité et plu-sieurs de ses membres.Elle soutient principale-ment l’envoi de profession-nels qualifiés qui sont inté-grés dans des projets dedéveloppement et dontl’affectation répond à unbesoin.www.unite-ch.org

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sont les besoins réels sur place, s’il est qualifié poury répondre et pourquoi le projet concerné ne re-court pas à des ouvriers indigènes.

Les orphelinats, une attraction touristiqueCes organisations mettent également en gardecontre les risques liés au tourisme d’orphelinat.Comme les activités avec des enfants sont les plusprisées par les volontouristes, beaucoup d’offres incluent des stages dans de telles institutions. Laforte demande a contribué à l’émergence de fauxorphelinats dans de nombreux pays : les proprié-taires recrutent des enfants auprès de parents pau-vres, mais bien vivants.Vrais ou faux orphelins, les enfants, qui ont be-soin de stabilité affective, souffrent de la rotationcontinue de volontaires et peuvent développer destroubles psychologiques. D’autre part, le risqued’abus sexuels est élevé dans ces orphelinats quiouvrent grand leurs portes aux étrangers.

Risque de confusionLe boom du volontourisme suscite des inquiétudeschez les ONG suisses spécialisées dans le volonta-riat. Selon Raji Sultan, responsable de la commu-nication de leur association faîtière Unité, certainesoffres jouent sur la confusion : «On fait passer cesvoyages pour de l’aide au développement, alorsque leur but est simplement de satisfaire un be-soin d’aventures. Cet amalgame peut discréditer lesONG qui font un véritable travail de coopération,

en envoyant sur le terrain des professionnels qua-lifiés. » Cela dit, ajoute Raji Sultan, le volontourisme pré-sente d’indéniables avantages pour les voyageurs,notamment les jeunes : il leur permet de connaîtred’autres cultures, d’élargir leur horizon et de com-prendre les enjeux du développement. «En réali-té, il s’agit de stages de sensibilisation. C’est sousce nom qu’ils devraient se vendre. »

Récolte de coton ou de cacaoCertains prestataires le font. C’est le cas du voya-giste Globotrek qui s’est associé avec Helvetaspour proposer des voyages incluant la découverted’un projet agricole réalisé par cette ONG. «Notreobjectif est de sensibiliser les touristes à la vie despetits paysans et de leur montrer un projet de dé-veloppement », explique Franziska Kristensen, res-ponsable de ce partenariat chez Helvetas. Pendantdeux ou trois jours, les touristes partagent les ac-tivités quotidiennes d’une famille rurale. Au Kir-ghizstan, ils peuvent participer à la récolte du co-ton et en Bolivie à celle du cacao. Ces séjours sonttrès courts pour éviter de concurrencer la main-d’œuvre indigène et aucun voyage n’est mis surpied sans l’approbation de la communauté locale.«Lors d’une séance préparatoire, nous expliquonsaux participants qu’il ne s’agit pas d’une aide, maisd’un échange d’égal à égal », souligne Mme Kris-tensen. ■

Les volontouristes apprécient tout particulièrement les activités avec les enfants, comme ici en Tanzanie. Les organisa-tions de promotion du tourisme équitable mettent toutefois en garde contre les risques liés au « tourisme d’orphelinat ».

Les retraités, une minede compétencesLe volontariat se pratique à tout âge. De nombreuxretraités mettent leurscompétences et leur ex-périence au service deprojets de développement.Le Senior Experts Corps(SEC) comprend plus de700 experts suisses, âgéspour la plupart de 60 à 75ans, qui sont disposés àpartir pour des missionsde deux à douze semai-nes. Ce groupe a été missur pied par Swisscontacten 1979. Il répond à desdemandes venant princi-palement de PME et d’écoles professionnellesdans les pays partenairesde l’ONG. Ses membresne vont pas sur place pourtravailler, mais pour donnerdes conseils ou dispenserdes formations. Les deuxtiers des requêtes concer-nent le domaine alimen-taire (chocolatiers, froma-gers, cuisiniers), le tou-risme (hôteliers) et le mana-gement (experts en marke-ting, économistes d’entre-prises).www.swisscontact.org,chercher « SEC »

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Xavier Pop

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Cela peut sembler blasphéma-toire et amoral de vouloir trouverun bon côté aux événementssanglants qui se sont produits ennovembre dernier à Paris. Maisdans de telles situations, on n’a lechoix qu’entre l’espoir et le déses-poir. Or, ce dernier débouche surla haine et la soif de vengeance.

Le matin qui a suivi ces attentatsterroristes, je l’ai passé, commedes millions d’autres gens, devantma télévision et sur Internet. Et avec ma fille qui dessinait latour Eiffel entourée de flammesrouges. Elle m’a demandé ce quesignifie «Pray for Paris ». Elle de-vait dessiner une affiche pour laJournée internationale de la tolé-rance. C’est pourquoi elle avoulu savoir si l’on pouvait appe-ler tolérance ce qui se passait surInternet – cette avalanche detours Eiffel et les gens qui pei-gnaient leur profil Facebook auxcouleurs du drapeau français. J’airépondu que non. Cela, c’estautre chose. «C’est quoi, alors?»C’est la guerre.

Ma réponse a fusé, comme sij’étais le pape ou FrançoisHollande. Par chance, je n’avaispas de bombardiers, ni de troupesau sol. Sinon, je les aurais immé-diatement envoyés en Syrie pourune opération de représailles.Maintenant que je ne suis plus

La grande détresse

Marius Ivaskevicius, 42 ans,fait partie de la nouvelle généra-tion d’écrivains lituaniens. C’estl’un des auteurs contemporainsles plus importants de sonpays. Il a déjà publié huit ouvra-ges, dont certains ont été tra-duits dans d’autres langues.Pour l’instant, seule la pièce Le Voisin existe en français. Ellea été publiée en 2003 par lesPresses universitaires de Caendans un ouvrage intitulé Deuxdramaturges lituaniens. Trèséclectique, Marius Ivaskeviciusest également journaliste,scénariste de courts-métrages,dramaturge, réalisateur de documentaires et metteur enscène. Il a écrit le scénario etmis en scène lui-même sondernier film Santa. Il vit et tra-vaille à Vilnius.

sous le coup de l’émotion, jevoudrais corriger mon erreur,rectifier la réponse faite à mafille : ce qui s’est passé ce matin-làsur Instagram, Facebook et dansle cœur des gens s’appelle de lasolidarité. Et être solidaire signifiececi : tu prêtes assistance à l’autredans les moments difficiles, sa dé-tresse est ta détresse, tu l’aides àporter son fardeau.

C’est là justement que com-mence le côté lumineux de cettetragédie. Paris n’est plus une villelointaine et étrangère. Elle noussemble proche, comme l’étaientLondres en 2005 ou Madrid en2004. Il ne s’agit pas d’une proxi-mité géographique, non, notreconscience s’est tout simplementmodifiée en profondeur :l’Europe fait partie de «nous».Nous formons maintenant uneéquipe et cela nous fait mal si unmembre de l’équipe reçoit descoups. Personnellement, j’avais lagorge nouée ces jours-là en en-tendant chanter La Marseillaise.Comme si c’était mon proprehymne national. Il est bien pos-sible que des millions de non-Français, à travers toute l’Europe,aient ressenti la même chose. À vrai dire, le côté lumineuxs’arrête déjà là. Sur le plan émo-tionnel, nous sommes solidaires.Mais dans la pratique? Il n’en estrien. Nous partageons les senti-

ments des Français, mais nous nepouvons pas vraiment les aider.Ils ont aussi besoin de notre sou-tien pour faire face à une autredétresse. Je pense ici à la réparti-tion solidaire des flux des réfu-giés. Pourtant, dès que l’on com-mence à en parler, les Européensde l’Est prennent la tangente. LaHongrie, la République tchèque,la Slovaquie et la Pologne refu-sent d’accueillir des migrants. LesÉtats baltes, eux, sont d’accord,mais quand l’un de nos «éclai-reurs» revient d’un camp de ré-fugiés en annonçant que per-sonne n’a envie de s’installerchez nous, la majorité de la po-pulation pousse secrètement unénorme soupir de soulagement :ô, mon Dieu, quel bonheur quenous soyons si peu attrayants, silaids, qu’il pleuve et qu’il neige sisouvent chez nous, que notre cielsoit tellement nuageux.

Nous fuyons nos responsabilités.Nous ne voulons pas voir la dé-tresse. À commencer par celle,immense, des gens qui viennentchercher refuge ici. Et ensuite,celle de toute l’Europe. En prin-cipe, c’est la première véritabledétresse qui s’abat sur l’Europedepuis notre adhésion. Et c’est lapremière fois que l’UE nous de-mande une aide. Même pas uneaide réelle d’ailleurs, juste ungeste symbolique. Ce serait préci-

sément de la solidarité, car lesquelques milliers de personnesque Bruxelles veut nous attribuersont une goutte d’eau face auximmenses vagues de réfugiés.C’est vrai, tout le monde auraitété plus tranquille si la guerren’avait pas éclaté en Syrie, siDaech n’était pas né et si les gensétaient restés chez eux au lieu dese transformer en réfugiés. Maisla réalité est différente.

La marée humaine ne se tarirapas. Elle ne s’infiltrera pas dans lesol et ces gens n’arpenteront pasindéfiniment les autoroutes euro-péennes. Quelqu’un doit les ac-cueillir, leur donner un toit et dequoi manger. Je ne doute pas uninstant que l’Europe surmonterala crise. Avec ou sans nous. Maisnotre cohésion sera mise à rudeépreuve. Cette grande détressepeut nous unir ou nous diviserdéfinitivement. ■

(Du lituanien)

Carte blanche

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En quête de nouvelles identités

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«Cela me fascine d’observer lesjeunes dans diverses parties del’Afrique. Malgré leurs compé-tences, beaucoup n’arrivent pasà avancer, parce que les conflitspermanents, la pauvreté et lemanque de formation les empê-

«Beaucoup caressent un rêve,plus vivant et plus vrai que ja-mais. L’accès aux nouvelles tech-nologies, dont le prix a baissé,permet aux jeunes Africains demieux appréhender le mondeextérieur. Même ceux qui sont

nés dans un camp de réfugiéspeuvent imaginer autre chose,aspirer à une vie meilleure.Cette flamme, je la vois brûlerdans les yeux de nombreuxjeunes, femmes et hommes, queje photographie. »

chent d’exploiter pleinementleur potentiel. L’Afrique est entrain de changer rapidement. La jeunesse est en quête d’unenouvelle identité dans ce nou-veau continent. »

Muni de son appareil photo, le Suisse Dominic Nahr parcourt l’Afrique. Il décriten particulier les réalités quotidiennes, les rêves et les espoirs des jeunes. Im-pressions d’un monde qui se transforme à toute allure.

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«Certains événements, commele concours de beauté organisédans le camp de réfugiés deKakuma, au Kenya, leur fontoublier un temps la dure réalité.L’un des plus beaux instants aété pour moi celui où MissJournée mondiale des réfugiés, àpeine couronnée, a été soulevéedans les airs. J’ai pu prendre unephoto qui n’a rien à voir avec

«Tous sont remplis d’espoir, sur-tout ceux qui sont au début dela vingtaine. Bien sûr, ils ressen-tent également de la frustrationet parfois de la colère. Ils saventcomment fonctionnent aussibien le monde traditionnel quele nouveau. L’espoir d’un chan-gement existe. Ce que j’admirele plus, c’est leur flexibilité etleur patience. »

les images que l’on associe habi-tuellement aux réfugiés. »

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Le photographe suisseDominic Nahr, âgé de 32 ans,est né en Appenzell et a grandià Hong Kong. C’est au quoti-dien South China MorningPost, publié dans cette ville,qu’il a fait ses premières expé-riences de photoreporter. Puis il a étudié la photographieà l’Université de Toronto, au Canada. Depuis 2008,Dominic Nahr photographiel’Afrique. Il s’est installé àNairobi en 2009. Ses images,qui illustrent la famine enSomalie, la guerre en Répu-blique démocratique du Congoou encore le Printemps arabe,paraissent dans le TimesMagazine, dont il est l’un desphotographes sous contrat.Dominic Nahr collabore égale-ment à d’autres revues, dont leNational Geographic, le WallStreet Journal, Wired et GQ. www.dominicnahr.com

«La violence est une triste réa-lité, avec laquelle beaucoupd’êtres humains doivent vivre. Ily a tant de facteurs qui créentdes environnements instables etqui poussent les gens à com-mettre des atrocités. Nombre deconflits durent depuis des dé-cennies, entrecoupés parfois debrèves périodes de paix. La po-pulation n’a pas le temps, entredeux épisodes violents, d’emma-gasiner les forces qui lui permet-

traient de résister à l’horreur etde se reconstruire. Un tel pro-cessus prend du temps. Sans unenvironnement stable dans le-quel les gens puissent nourrirleur force intérieure, leurs idéeset leurs rêves, rien ne changeravraiment. »

(Propos recueillis par GabrielaNeuhaus ; de l’anglais)

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Un seul monde No 1 / Février 2016

Service

Musique

ceptionnel de ce pianiste armé-nien de renommée mondiale,intitulé Luys i Luso (lumière dela lumière), reprend des mor-ceaux de la musique classique etreligieuse arménienne. Il donnedélicatesse et profondeur majes-tueuse à des chants liturgiques età des chorals composés entre le5e et le 19e siècles. Habillées desubtiles nuances, ces adaptationsbrossent un portrait sonore fascinant et émouvant de la richesse culturelle de l’Arménie.Elles sont aussi un hommageaux centaines de milliersd’Arméniens (voire 1,5 million,selon certaines sources) qui ontété déportés et massacrés il y acent ans sous l’Empire ottoman(la Turquie d’aujourd’hui).Tigran Hamasyan et le Chœur dechambre d’Erevan : «Luys i Luso »(ECM)

Un tour du monde empreintde saudade(er) Ses fans ont dû attendrecinq ans la sortie de son sixièmealbum. Mariza, la diva portugaisedu fado, les invite désormais àdécouvrir le monde. Dans sonCD Mundo, la chanteuse autimbre envoûtant entreprend unpériple à travers un univers mu-sical lusophone qui s’étend desîles du Cap-Vert à l’Espagne et

État des lieux du monde (gn) Malgré sa concision, le livreAu-delà de la confusion du mondedresse un bilan réaliste des chan-gements récents dans la poli-tique mondiale, tout en souli-gnant les interdépendances àl’échelle planétaire. Cet ouvrageest le fruit d’une discussionentre les organisations de déve-loppement regroupées au seind’Alliance Sud. Adoptant unpoint de vue engagé, il fournitdes informations de fond sur dessujets comme la crise financière,les politiques environnementaleet climatique, ainsi que les pro-blèmes liés aux multinationaleset aux droits de l’homme. Il relaie également le débat actuelsur la mise en œuvre des Objec-tifs de développement durable,par exemple, ou sur la perte de

pouvoir des « anciens » donateursdans la coopération au dévelop-pement. Il évoque par ailleursdes tendances inquiétantes, tellesque les restrictions imposéesdans de nombreux pays aux or-ganisations et aux initiatives ci-toyennes. Ne s’arrêtant pas à ladescription des faits, les auteursesquissent des stratégies et desmesures destinées à corriger leserreurs de développement et àpromouvoir l’équité ainsi que latransparence dans le monde en-tier.Alliance Sud : «Au-delà de laconfusion du monde », Éditionsd’En Bas, Lausanne, 2015

Visions de la coopération dufutur(gn) À quoi ressemblera la co-opération au développement en

2030? Dans le récent AlmanachPolitique du développement, la ré-ponse varie beaucoup d’un au-teur à l’autre. Les 24 contribu-tions qui constituent cet ouvragevont du plaidoyer pour l’amélio-ration et la poursuite de l’enga-gement en faveur des plus démunis à une analyse selon la-quelle la coopération fait plus demal que de bien. Le journalisteallemand René Zeyer attribuepar exemple une mauvaise noteà l’aide au développement prati-quée jusqu’ici et pense qu’elledevrait à l’avenir se concentrersur les pays sûrs et viser unique-ment la formation. MohammedIbrahim, fondateur et directeurd’une ONG au Bangladesh, ré-clame une intensification deséchanges de connaissances surles stratégies, les produits et lemarché, afin que ses compa-triotes puissent affronter laconcurrence mondiale. De soncôté, l’économiste suisse MarkusMugglin rappelle une vieille de-vise de la politique de dévelop-pement : les pays industrialisésdoivent non seulement donnerdavantage, mais aussi prendremoins. « Il s’agit de réaménagertoutes les relations entre États,du commerce à la migration, enpassant par l’environnement, lapromotion de la paix, les finan-ces et les mouvements de capi-taux», résume-t-il.Iwona Swietlik (éd.) : «AlmanachPolitique du développement », Éditions Caritas, Lucerne, 2015

Requiem jazzy pour les victimes du génocide(er) Des notes de piano lim-pides, des voix masculines quienflent et décroissent, des voixde femmes très claires qui s’en-volent vers des hauteurs lumi-neuses. Les accords à la fois jazzyet ornementaux du dynamiqueTigran Hamasyan, 28 ans, semêlent avec virtuosité à la poly-phonie vocale du Chœur dechambre d’Erevan. Le CD ex-

Livres

Une enfance moldave(gn) «Est-il vrai que là-bas,dans les pays très riches etdéveloppés, les enfants nesont bons à rien? Qu’ils n’ai-dent pas leurs parents, nes’occupent pas de leurs frèreset sœurs? Qu’ils ne saventpas préparer un repas et traireles chèvres?» Voilà les ques-tions que se pose Cristina. À 12 ans, elle vit seule avecses deux frères dans un village

moldave. Leur mère est nurse en Italie ; leur père est partigagner de l’argent en Russie. Quant à la grand-mère, atteinte de démence, elle ne leur est pas d’un grand se-cours. Dans son fascinant roman Kinderland (traduit enallemand sous le titre Der erste Horizont meines Lebens),l’écrivaine moldave Liliana Corobca donne la parole auxenfants laissés au pays par les travailleurs migrants. En lisant le récit que fait Christina de sa vie quotidienne, on aenvie de la prendre dans ses bras. Bien sûr, elle n’appré-cierait pas cela du tout. Courageuse et forte, l’adoles-cente fait preuve de pragmatisme pour permettre à sa famille de garder la tête hors de l’eau. Elle est tour à tourfière lorsqu’elle réalise un exploit qui tient de l’impossibleet désespérée quand sa mère lui manque trop.Liliana Corobca : «Kinderland», Cartea Romaneasca,Bucarest, 2013 ; «Der erste Horizont meines Lebens»,Paul Zsolnay Verlag, Vienne, 2015

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ImpressumUn seul monde paraît quatre fois par année,en français, en allemand et en italien.

Éditeur :Direction du développement et de la coopération (DDC) du Département fédéraldes affaires étrangères (DFAE)

Comité de rédaction :Manuel Sager (responsable)Catherine Vuffray (coordination globale)Marie-Noëlle Bossel, Sarah Jaquiéry, Pierre Maurer, Gabriela Neuhaus, ChristinaStucky, Özgür Ünal

Rédaction :Gabriela Neuhaus (gn – production),

Beat Felber (bf), Luca Beti (lb), Fabian Urech (fu)Jane-Lise Schneeberger (jls), Ernst Rieben (er),Samuel Schumacher (sas)

Graphisme : Laurent Cocchi, Lausanne

Photolitho et impression :Vogt-Schild Druck AG, Derendingen

Reproduction :Les articles peuvent être reproduits, avecmention de la source, à condition que la rédaction ait donné son accord. L’envoi d’un exemplaire à l’éditeur est souhaité.

Abonnements et changements d’adresse :Le magazine peut être obtenu gratuitement(en Suisse seulement) auprès de :

DFAE, Service de l’information, Palais fédéral Ouest, 3003 Berne,Courriel : [email protected]él. 058 462 44 12Fax 058 464 90 47www.ddc.admin.ch

860215346

Imprimé sur papier blanchi sans chlore pourprotéger l’environnement

Tirage total : 51200

Couverture : En route vers un nouvel avenirà New Delhi ; Gerald Haenel/laif

ISSN 1661-1675

Coup de cœur

Globe-trotter de l’art

L’artiste bâloise Anja Rüegsegger,25 ans, occupe avec d’autres per-sonnes un jardin urbain à Varsovie.

Passer du temps à l’étranger faitpartie de ma vie d’artiste. J’aigrandi dans une ferme de la cam-pagne bâloise. Actuellement, jefais partie d’une communauté qui occupe un jardin urbain aban-donné à Varsovie. C’est l’endroitidéal pour expérimenter et concré-tiser mes idées artistiques. En rési-dence au Centre d’art contempo-rain du château Ujazdowski, jeveux montrer qu’il est possible dese passer des multinationales etde vivre de manière autonome. J’aiorganisé quelques ateliers «Do-it-yourself » pour explorer d’autresvoies que la culture de la consom-mation. En ce moment, je travaillesur un projet de maisonnette faitede déchets, de paille et d’argile,dotée d’une salle de bains exté-rieure et d’un four à pizza. C’estimportant pour moi d’utiliser desmatériaux de récupération et deremettre en question les structurescapitalistes. Depuis 2010, je parti-cipe également au projet Bblack-boxx, à Bâle. Il s’agit d’un localgéré de manière non hiérarchisée,qui se trouve près du centre dedétention administrative et ducentre d’enregistrement. Un groupeinformel crée et exprime son oppo-sition à une politique des frontièresfondée sur la répression et le profit.

(Propos recueillis par SamuelSchumacher)

de l’Argentine au Portugal.Chantés en portugais, en créoleou en espagnol sur des mélodiesà la guitare, les fados et les bal-lades, la morna capverdienne, le tango et même les berceusessemblent à la fois proches etlointains. Chaque morceau estempreint de saudade, ce senti-ment typiquement portugais,presque indescriptible, mélangede tristesse, de désespoir, de nos-talgie, de douce mélancolie et de mal de vivre. C’est ainsi quecette artiste de 42 ans, née auMozambique et ayant grandi àLisbonne, associe avec passion etbonheur son ouverture à la mo-dernité et ses racines tradition-nelles.Mariza : «Mundo» (Warner Music)

Un mouton pour seul ami(gn) Au fil de prises de vue ma-gnifiques dans des paysagesgrandioses, le premier film duréalisateur éthiopien YaredZeleke raconte la relation singu-lière d’un jeune garçon avec sonmouton, Chuni. Le long mé-trage Lamb est une parabole quiévoque le mal du pays, la séré-

nité et le passage à l’âge adultedans un monde marqué par lasécheresse, la pauvreté et la faim.Né dans le nord de l’Éthiopie,Ephraïm, le héros du film, a neufans. Sa mère vient de mourir. Le film nous apprend qu’ellecompte parmi les victimes de lasécheresse. Le père confie l’en-fant à un cousin éloigné et partchercher du travail en ville.Chuni devient alors le seul amidu garçon. Lorsque la familled’accueil envisage de tuer lemouton pour un repas de fête,Ephraïm décide de fuir avecChuni. Pour donner une portéedidactique à son film, YaredZeleke y a inclus plusieurs thé-matiques propres au développe-ment : outre la faim et la séche-resse, il aborde par exemple lacoexistence de plusieurs reli-gions ou le rôle des sexes dans la société éthiopienne tradition-nelle. En 2015, Lamb a été lepremier film éthiopien à partici-per à la compétition internatio-nale du Festival de Cannes.Yared Zeleke : «Lamb», 94 mi-nutes, 2015 ; www.trigon-film.org

Forte demande d’emplois( jpk) Dans le domaine de la co-opération internationale (CI), lesemplois sont très prisés. Selon le Rapport sur le marché suisse du travail de la CI 2013/2014,publié par cinfo, la demande dépasse même l’offre. Les orga-nismes de ce secteur ont lachance de pouvoir recruter leurs

futurs collaborateurs parmi unefoule de candidats au bénéficed’une bonne formation et deplus en plus spécialisés. Cetteévolution est due à la multipli-cation des filières de formationen lien avec la coopération in-ternationale. Alors que seuls huitprogrammes d’études étaientproposés en Suisse dans ce do-maine en 2005, on en dénom-brait 23 en 2011. Il n’est doncpas étonnant que le nombre desdiplômés ait plus que sextuplé,pour atteindre 726. S’ils veulent

décrocher un emploi, ces derniers doivent dès lors fairepreuve de souplesse et ne pas li-miter leurs recherches à un seuldomaine de la CI, comme l’aidehumanitaire ou la coopérationau développement.Rapport sur le marché suisse du travail de la CI 2013/2014 ;www.cinfo.ch, « Infos & Down-loads », «Marché du travail de laCI»

Film

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«Le défi consistera à combler l’écartqui existe entre nos règles du jeu etl’impact de notre comportement auniveau mondial. »Peter Messerli, page 11

«Pour moi, il n’y a pas d’avenir sansune implication des femmes dans lesprises de décision à l’échelle nationale. »Mariam Diallo Dramé, page 19

« Sans cet appartement et le soutienmutuel entre voisins, notre vie seraithorrible. »Gocha Khufatsaria, page 25