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Un seul monde N o 2 / JUIN 2014 LE MAGAZINE DE LA DDC SUR LE DÉVELOPPEMENT ET LA COOPÉRATION www.ddc.admin.ch Corruption Des milliards soustraits au développement Liban : l’illettrisme menace les enfants syriens Petits paysans : ils nourrissent le monde, mais souffrent de la faim

Un seul monde 2/2014 - Federal Council

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Un seul mondeNo2 / JUIN 2014LE MAGAZINE DE LA DDCSUR LE DÉVELOPPEMENTET LA COOPÉRATIONwww.ddc.admin.ch

CorruptionDes milliards soustraits au développementLiban : l’illettrisme menace lesenfants syriens

Petits paysans : ils nourrissentle monde, mais souffrent de lafaim

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Un seul monde est édité par la Direction du développement et de la coopération (DDC), agence de coopération internationale intégrée au Département fédéral des affaires étrangères (DFAE). Cette revue n’est cependant pas une publication officielle au sens strict. D’autres opinions y sont également exprimées. C’est pourquoi les articles ne reflètent pas obligatoirement le point de vue de la DDC et des autorités fédérales.

Un seul monde No 2 / Juin 20142

Sommaire

D D C

F O R U M

CORRUPTION6 Un combat contre des moulins à vent?

La corruption se pratique partout, mais ses répercussions sont particulièrement désastreuses dans les pays caractérisés par de fortes disparités sociales

10 Combattre et prévenirLa corruption n’est plus un tabou, la coopération lutte désormais ouvertement contre ce fléau

13 Un pilier de la démocratieLa Suisse soutient la lutte contre la corruption au Bhoutan

15 La petite sœur de la violenceEntretien avec le juriste bâlois Mark Pieth, expert en gouvernance

17 Faits et chiffres

18 Les enfants syriens, des cancres malgré euxAu Liban, l’illettrisme menace une génération de jeunes réfugiés

21 Sur le terrain avec...Heba Hage-Felder, cheffe du bureau de la coopération suisse au Liban

22 À combien de guerres pouvons-nous survivre?La théâtre-thérapeute Lamia Abi Azar parle de son travail avec desenfants handicapés

23 Le dialogue plutôt que la matraqueAvec l’appui de la Suisse, la police kirghize s’efforce de regagner la confiance de la population

25 Le cacao ou l’espoir d’un nouveau départ au Honduras Un projet original de la DDC garantit aux planteurs de cacao un revenu de base, tout en offrant aux consommateurs suisses un chocolat de haute qualité.

28 Le ventre vide, ils nourrissent le mondePlus de la moitié des êtres humains qui souffrent de malnutrition sont de petits paysans

31 La danse des doigts sur l’abaque Carte blanche : la Mongole Gangaamaa Purevdorj Delgeriinkhen évoque l’entrée de sa patrie dans l’ère moderne

32 Des films qui naissent et meurent aussitôtEntretien avec le Burkinabè Alex Moussa Sawadogo

3 Éditorial4 Périscope27 DDC interne34 Service35 Coup de cœur avec

Annette Schönholzer35 Impressum

H O R I Z O N S

C U L T U R E

D O S S I E R

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Éditorial

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Le versement de pots-de-vin se pratique pour de mul-tiples raisons. Parfois, il permet d’obtenir un diplômede médecin sans passer par un examen. Quand un po-licier arrête une voiture sous un prétexte totalementfantaisiste, l’automobiliste sait que pour pouvoir repar-tir rapidement, il doit remettre à l’agent le montant del’amende en espèces et sans attendre de quittance.Certains mandats publics portant sur des millions sontattribués non pas à l’entreprise qui présente lameilleure offre, mais à celle qui glisse le plus gros dessous-de-table. De même, il arrive que des fondspublics destinés à l’éducation ou à la santé soient détournés vers des comptes privés.

La corruption est un phénomène mondial. Les exem-ples évoqués ci-dessus ne se limitent pas aux pays duSud ou de l’Est. Des individus ou des entreprises depays occidentaux sont fréquemment impliqués dansdes actes de corruption.

La Banque mondiale estime à plus de 1000 milliards lemontant total des pots-de-vin versés chaque année.Les conséquences sont désastreuses : si on peut toutacheter, la confiance dans l’État se désagrège. Cela revient à fouler aux pieds les droits de la population et à saper la démocratie (pour autant qu’elle existe encore). En outre, l’absence de sécurité juridique faitobstacle aux investissements qui devraient créer desemplois et promouvoir la croissance économique.

La corruption entrave le développement. Le juriste bâlois Mark Pieth, expert de réputation mondiale enmatière de lutte anticorruption, va encore plus loin : detelles pratiques perpétuent la pauvreté.

Notre personnel est régulièrement confronté à ce phé-nomène dans les pays en développement ou émer-

gents. La DDC soutient des programmes de luttecontre la corruption et applique elle-même une poli-tique de « tolérance zéro».

Le développement et la lutte contre la pauvreté re-quièrent des institutions publiques intègres. Cela sup-pose de la transparence et la volonté de protéger lescitoyens qui refusent la corruption. Il y a beaucoup àfaire à tous les niveaux.

La coopération au développement est passée à l’ac-tion. Afin de combattre avec l’efficacité nécessaire lesrépercussions fatales de ce fléau, elle réalise aujour-d’hui ses propres programmes et projets qui visent àaméliorer la gestion des affaires publiques, mais éga-lement à renforcer la société civile. Sur le plan interna-tional, elle préconise aussi l’introduction de normes etde lois rigoureuses pour freiner la corruption.

Nous vous invitons à lire notre dossier sur ce thème, àpartir de la page 6.

Martin DahindenDirecteur de la DDC

(De l’allemand)

La corruption entrave le développement

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goutte compte. En l’utilisant àbon escient, il est possible de ré-duire de 40% les quantités néces-saires à l’irrigation. Pour assurerun arrosage optimal, l’agriculteurdoit toutefois connaître l’humi-dité et la température du sol.L’agriculture industrielle recourtdepuis longtemps à des systèmesde mesure informatisés et sophis-tiqués qui coûtent généralementtrès cher. Les petits paysans pour-ront bientôt eux aussi bénéficierde cette technologie : à l’Univer-sité de Manchester, une équipede chercheurs a mis au point descapteurs qui peuvent être produitsà moindre coût, consommentpeu d’énergie et n’exigent aucun entretien. Une fois placés dans lesol, ils transmettent leurs donnéespar radio-identification à un lec-teur monté sur un tracteur quiparcourt les champs. Cet appareilfournit de l’énergie aux cap-teurs, de sorte qu’ils peuvent rester en place pendant desannées. Les chercheurs espèrentque ce système permettrad’accroître l’efficacité de l’agri-culture dans les pays en dévelop-pement et d’atteindre un plusgrand rendement par goutted’eau.www.newscientist.com, chercher«Ploughable sensors »

Des cancers évitables(bf ) Plus de 60% des cas de can-cer surviennent en Asie, en

Les gardiens de la biodiversité( jls) Les peuples autochtones d’Indonésie recourent à lacartographie communautaire pour délimiter leurs terresancestrales. Cette méthode allie les nouvelles technolo-gies, comme le GPS, aux connaissances des habitants.Les cartes représentent tous les éléments importantspour eux : les frontières des forêts coutumières, les res-sources naturelles, les lieux sacrés, etc. «La cartographiecommunautaire est un outil utile pour montrer au gouver-nement que nous sommes ici et que nous voulons proté-ger nos terres», indique Rukka Sombolinggi, de l’Alliancedes peuples autochtones de l’archipel (Aman). L’établis-sement de cartes en 2D et 3D a aidé les indigènes à fairevaloir leurs droits fonciers devant les tribunaux. En troisans, plus de 600 plaintes ont été déposées contre l’octroide concessions forestières à des entreprises minières ouagricoles. En 2013, l’Aman a obtenu une victoire histori-que : la Cour constitutionnelle a aboli la propriété de l’Étatsur les territoires coutumiers. Les autochtones sont lesmeilleurs gardiens de la forêt. Au fil des générations, ilsont appris à la gérer de manière durable et à préserver sariche biodiversité. www.irinnews.org

Halte au gaspillage de denrées alimentaires(gn) La production de denréesalimentaires et de biocarburantsaugmente constamment la de-mande de surfaces agricoles. Enmême temps, l’érosion et l’urba-nisation détruisent des sols fer-tiles. Si rien n’est entrepris, envi-ron 850 millions d’hectares desavanes, prairies et forêts seront

dégradés d’ici 2050, estime unrapport du Programme desNations Unies pour l’environne-ment. Cela représente presque lasurface du Brésil. Il est toutefoispossible de ralentir l’expansiondes terres cultivées, affirment lesauteurs. «D’abord, nous devonscesser de gaspiller un tiers desaliments que nous produisons »,avertit Stefan Bringezu, du

Wuppertal Institut. Pour cela, ilfaut améliorer les méthodes deproduction, d’entreposage et detransformation, mais aussi réduirenotre quantité de déchets.Robert Howarth, de l’UniversitéCornell, souligne pour sa partque les pays riches doivent baissersensiblement leur consommationde viande : « Il n’y a tout simple-ment pas assez de terres sur notreplanète pour que tout le mondemange comme les Américains etles Européens. » D’autres mesuresconsistent à remettre en état les terres dégradées, à limiterl’extension des zones bâties et à freiner l’expansion des bio-carburants. www.unep.org, «Publications»

Une école d’agriculture pour les femmes(bf ) Une école d’agriculture réservée aux femmes doit voir le jour au Chili. Sa création a étédécidée par l’Association natio-nale des femmes rurales et indi-gènes (Anamuri), qui comptequelque 10000 membres. Par la suite, les hommes pourraient y être admis aussi. Cet Institutagroécologique latino-américain(IALA) sera axé sur la défense del’agriculture familiale et entendcontribuer à résoudre les problè-mes de la faim. «Nous ne pour-suivons pas un rêve, nous rele-vons un défi », a déclaré FranciscaRodriguez, responsable des relations internationales del’Anamuri. « Il est essentiel quenous trouvions le moyen de survivre et d’exister en tant que secteur important de l’agri-culture. » L’institut renforcera par ailleurs les activités d’autresIALA qui ont été créés ces dernières années notamment auVenezuela, au Brésil, au Paraguayet en Équateur. www.anamuri.cl

Irrigation high tech à moindrecoût(gn) Là où l’eau est rare, chaque

Périscope

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Afrique et en Amérique latine.Les pays en développement en-registrent par ailleurs 70% detous les décès causés par cettemaladie dans le monde, indiquele Centre international de re-cherche sur le cancer, uneagence de l’Organisation mon-diale de la santé (OMS). Sur les12,7 millions de nouveaux casenregistrés en 2008, environ 2 millions étaient d’origine in-fectieuse. En moyenne mondiale,cela représente 16%, mais la pro-portion varie considérablementselon les régions : elle est infé-rieure ou égale à 4% en Améri-que du Nord et en Australie, parexemple, mais monte à 33% enAfrique subsaharienne. Or, ilexiste des moyens efficaces pouréviter l’apparition de tumeursprovoquées par des virus, bac-téries ou parasites. Les vaccins

contre le virus de l’hépatite B et le papillomavirus humainpeuvent prévenir respectivementles cancers du foie et du col de l’utérus. Pour faire reculer laprévalence du cancer dans lespays en développement, l’OMSsoutient la mise en place de pro-grammes qui associent le dépis-tage, la sensibilisation, l’améliora-tion de l’accès aux traitements et la vaccination. www.who.int

Tourisme responsable(bf ) Une fois par année, EthicalTraveler décerne le label de«meilleure destination éthique» à dix régions touristiques. Cetteorganisation à but non lucratif,basée en Californie, se fonde surles statistiques disponibles pourexaminer à la loupe tous les paysdu monde. Ses principaux critè-

res sont le respect des droits del’homme, le bien-être social de la population, la préservation dela nature et de l’environnement,ainsi que le développement aucours des dernières années. Pour2014, six lauréats sont des Étatsinsulaires qui, durement frappéspar le changement climatique,sont conscients de l’importanced’adopter des politiques visant àprotéger l’environnement. Troisd’entre eux se trouvent dans

les Antilles (République domini-caine, Barbade et Bahamas). Lesautres îles lauréates sont le Cap-Vert (océan Atlantique), l’îleMaurice (océan Indien) et lesPalaos (Pacifique). Parmi les dixmeilleures destinations figurenten outre le Chili, l’Uruguay, laLettonie et la Lituanie. www.ethicaltraveler.org

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DOSSIER

Le gendarme arrête une voiture juste à la sortiede la station-service. «Appel de phares interdit »,annonce-t-il au conducteur ébahi. Celui-ci sortimmédiatement son permis, bien que l’accusationsoit totalement fantaisiste. Toute protestation se-rait déconseillée : au Sri Lanka, chacun sait que legardien de l’ordre trouverait vite matière à d’autrescontraventions.Cet État insulaire d’Asie n’est de loin pas le seuloù des policiers corrompus ont pour habitude de

compléter à leur façon un salaire souvent bienmaigre. En l’occurrence, la victime dispose enco-re d’une marge de manœuvre. Elle peut remettreson permis de conduire à l’agent, puis aller le ré-cupérer au commissariat local après avoir réglé sonamende au guichet, comme le prévoit la loi. Maisil est beaucoup plus simple de donner directementau gendarme les roupies exigées, en arrondissantgénéreusement la somme vers le haut. Sans quit-tance, bien entendu. Tous les deux y trouvent leur

Qu’est-ce que la corruption?La notion de corruption recouvre d’innombrablesvariantes d’agissementsmalhonnêtes – depuis lenépotisme jusqu’à l’escro-querie. TransparencyInternational la définitcomme « l’abus à des finsprivées d’un pouvoir reçuen délégation ». En géné-ral, on distingue deuxformes de corruption. L’une,basée sur la contrainte, est très répandue dans lespays en développement :on abuse d’une positionde force pour obtenir unavantage particulier.L’autre forme est une si-tuation gagnant-gagnant :les deux parties en profi-tent, mais au détriment detiers. Les dommages cau-sés vont du préjudice ma-tériel jusqu’à la décompo-sition des structures gou-vernementales et sociales.Sur le plan juridique, ondistingue corruption activeet passive. La premièrecorrespond à celui qui propose un marché illicite,la seconde à celui qui accepte de se laisser corrompre.

Un combat contredes moulins à vent?

Un peu partout dans le monde, les gens refusent désormais que l’on s’enrichisse sur leur dos. À Bangkok, de violentesmanifestations antigouvernementales ont eu lieu récemment.

La corruption existe depuis la nuit des temps. Parfois mani-feste, parfois cachée, elle est largement répandue et impos-sible à éradiquer. Il semble difficile de mettre en œuvre des normes et des lois visant à la combattre. Les répercussions dece fléau s’avèrent particulièrement désastreuses dans les paysfragiles caractérisés par de fortes disparités sociales. De Gabriela Neuhaus.

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Corruption

En Espagne (à gauche) et en Turquie (à droite), des habitants sont descendus dans la rue l’an dernier pour dénoncer despoliticiens corrompus.

compte : l’automobiliste conserve son permis etévite de coûteuses complications ; de son côté,l’agent empoche l’amende et le bakchich.

Un fléau qui sévit partout, y compris en SuisseLa corruption de fonctionnaires qui abusent deleur position pour se procurer des avantages illi-cites sévit partout dans le monde et revêt toutesles formes possibles. Outre l’appareil judiciaire etpolicier, les domaines de la santé et de l’éducationy sont particulièrement exposés. Ce mode de pré-varication prend une dimension structurelle no-tamment dans les pays où l’État ne verse pas dessalaires décents à ses employés.Cependant, même en Suisse, des fonctionnairescorrectement rémunérés ne sont pas immuniséscontre la corruption. Ainsi, cinq policiers zurichoisont été arrêtés en novembre dernier pour avoirtransmis au milieu de la prostitution des informa-tions confidentielles, notamment concernant descontrôles imminents – en échange, ils obtenaientdes services sexuels et des consommations. En2010, c’est un cadre de la caisse de pension can-tonale qui a été inculpé à Zurich pour corruption.Plus récemment, la presse a stigmatisé la vénalitéde hauts fonctionnaires de l’administration fédé-rale qui se seraient enrichis à l’occasion d’achatsde matériel informatique.

Des conséquences parfois mortellesSelon la Banque mondiale, le montant des pots-de-vin et autres dessous-de-table dépasse 1000milliards de dollars par an à l’échelle planétaire.

Cela va du racket qui vise les petits commerçantsde quartiers pauvres dans des villes du Sud jus-qu’aux grandes affaires internationales, comme lescandale de la corruption en Chine, révélé en jan-vier dernier : des milliers de politiciens ont cachéleur fortune dans des paradis fiscaux avec l’aide debanques occidentales qui obtenaient en contre-partie l’accès au marché chinois. Les conséquences de ces agissements ne sont pasuniquement financières. Elles peuvent être mor-telles, par exemple quand on peut acheter un per-mis de conduire ou un diplôme de médecin. Lespays pauvres et caractérisés par de faibles institu-tions publiques sont particulièrement vulnérablesà ces malversations. La corruption paralyse le déve-loppement lorsque l’argent des impôts et de l’aideextérieure finit sur les comptes privés de politi-ciens et de fonctionnaires, au lieu de financer l’édu-cation, la santé ou les infrastructures.

Les pots-de-vin considérés comme unmal nécessaireCes détournements de fonds publics font s’éva-porer les ressources nécessaires pour construireécoles, hôpitaux ou systèmes d’approvisionnementen eau. Ils empêchent la mise en place d’une ad-ministration efficace – quand les fonctionnairesprocurent des postes rémunérateurs à leurs prochesplutôt que de rechercher la personne la plus compétente en publiant une offre d’emploi. Si tout s’achète, y compris les prestations des servicespublics, la confiance dans l’État se désagrège et lepays n’offre plus les garanties de droit indispen-sables aux investissements et au développement.

Flux illicites de capitauxChaque année, les pays en développement perdentdes sommes gigantesquesqui sont transférées illéga-lement à l’étranger. Cescapitaux proviennent del’évasion fiscale (pratiquéenotamment par des multi-nationales), du vol, de la corruption, etc. Souvent,on constate des lienscomplexes entre les di-verses sources financières,par exemple lorsque despots-de-vin versés pourobtenir des licences d’ex-ploitation minière finissentsur des comptes à l’étran-ger. Le problème est re-connu à l’échelle nationaleet internationale. Lesnormes anticorruption etles nouvelles lois visant àaccroître la transparencefiscale offrent des moyensde le combattre. Mais leurapplication se heurte sou-vent à d’autres intérêts. Il reste un long chemin àparcourir pour juguler lesflux financiers illicites.

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Selon l’indice de perception de la corruption, le Soudan (en haut) et l’Afghanistan (en bas) font partie des pays les pluscorrompus du monde. Ce n’est peut-être pas un hasard si les infrastructures de base y font cruellement défaut.

Alors que la corruption est contraire aux normessociales et considérée comme malhonnête, on asouvent toléré de tels agissements. Ainsi, le verse-ment de pots-de-vin à des fonctionnaires lors detransactions avec l’étranger était une pratique lar-gement répandue jusqu’à récemment. L’accéléra-tion de la mondialisation a amplifié la «grande cor-ruption », celle qui consiste à soudoyer des déci-deurs dans le but d’obtenir de gros contratsinternationaux. À la suite du scandale du Water-gate, les États-Unis ont été en 1977 le premier paysà interdire à ses entreprises de corrompre desagents publics étrangers. Le sujet est d’abord resté tabou partout ailleurs. On se refusait à com-battre ce fléau à l’échelle internationale pour nepas s’immiscer dans ce qui était considéré commeles affaires intérieures des États. Dans les années 80 encore, la Banque mondiale ainterdit au juriste Peter Eigen, son représentant auKenya, de promulguer des directives anticorrup-tion visant à exclure les entrepreneurs véreux desprojets à réaliser. Peter Eigen a fini par démis-sionner pour fonder en 1993 – avec des personnespartageant ses idées – l’organisation non gouver-nementale Transparency International. En 1997, un nouveau pas est franchi avec l’adop-tion de la Convention de l’OCDE contre la cor-ruption. Quarante États – dont la Suisse – l’ont signée à ce jour. Ils s’engagent par conséquent àpunir sur leur territoire les actes de corruption

d’agents publics étrangers. Certains de ces pays ontainsi été conduits à durcir leur législation en la ma-tière pour satisfaire aux nouvelles normes inter-nationales.

Les nouvelles normes pénales sont efficacesEn vigueur depuis 2005, la Convention des Na-tions Unies contre la corruption constitue le premier accord mondial dans ce domaine. Ce document de cinquante pages énonce les mêmesobjectifs que la convention de l’OCDE, mais il estplus complet. Outre l’interdiction explicite de lacorruption elle-même, il contient des dispositionspertinentes sur la prévention, la répression et la

Une organisation d’envergure mondialeTransparency International(TI), dont le siège se trouveà Berlin, a été fondée en1993 pour combattre lephénomène croissant de la corruption, en particulierlors de l’adjudication desgrands projets d’infrastruc-ture dans les pays en déve-loppement. Cette ONG acontribué à faire de la cor-ruption un délit pénal dansde nombreux pays et unepratique combattue àl’échelle internationale. Ellecompte plus de cent an-tennes nationales, dont TISuisse, et s’emploie depuisles années 90 à sensibiliseraussi bien les pouvoirs pu-blics que le secteur privé.Actuellement, TI concentrenotamment ses efforts surune protection amélioréedes lanceurs d’alerte et surla lutte contre la corruptiondans le cadre de l’agendapost-2015. La DDC sou-tient le secrétariat interna-tional de TI depuis 1994,ainsi que TI Suisse conjoin-tement avec le Seco.www.transparency.ch

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sanction de pratiques corruptrices, ainsi que sur larestitution des fonds d’origine illicite qui ont puêtre saisis. Si les 140 États qui ont ratifié la convention en ap-pliquaient systématiquement les règles, cela don-nerait un sérieux coup de frein à ce phénomène.Actuellement, les administrations publiques nesont plus seules à devoir promulguer des règle-ments et créer des systèmes de contrôle destinés àcombattre la corruption : les entreprises privéessont, elles aussi, toujours plus nombreuses à se do-ter de services de conformité ; elles s’emploient àprévenir des pratiques qui peuvent leur coûtercher, en termes d’image notamment. De nom-breux pays ont créé de nouvelles normes pénalespunissant de tels agissements, ce qui devrait exer-cer un effet préventif non négligeable.

Enquêtes compliquées et coûteusesLa corruption, pourtant, continue de sévir partoutdans le monde et parfois à très grande échelle. Laraison tient à sa nature même : étant donné que lespersonnes directement impliquées dans la cor-ruption en tirent des avantages immédiats, ellesn’ont aucune intention d’y renoncer. Elles cher-chent au contraire les moyens de se soustraire auxrègles en vigueur, en faisant preuve dans certainescirconstances d’une étonnante inventivité.Il est fréquent que les politiciens et les hauts fonc-tionnaires n’aient pas intérêt à une répression sys-

tématique de la corruption, dans la mesure où eux-mêmes en profitent également. Ce manque de vo-lonté politique se traduit souvent par une appli-cation lacunaire de la législation en vigueur. Huguette Labelle, présidente de Transparency International, et l’expert suisse Mark Pieth le soulignent dans un document critique publié àl’occasion du 15e anniversaire de la convention de l’OCDE: «Enquêter et poursuivre les délits decorruption à l’étranger sont des opérations diffi-ciles et coûteuses. Certains gouvernements n’ontpas voulu ou pas pu y consacrer les ressources né-cessaires. » L’existence de normes contraignantes et de lois ri-goureuses est essentielle dans la lutte contre la cor-ruption. Mais leur application est tout aussi im-portante. Cela requiert d’une part des institutionspubliques fortes, d’autre part des conditions-cadresappropriées et un régime politique capable de pro-téger les citoyens qui refusent de telles pratiques.C’est justement à ces deux niveaux que les paysen développement présentent de sérieuses lacunes.Et c’est ici que la coopération intervient : afin d’en-rayer les effets paralysants de ce fléau, elle met enœuvre des programmes anticorruption, en parti-culier dans le domaine de la bonne gouvernance,et elle s’emploie à renforcer la société civile. ■

(De l’allemand)

Pots-de-vin suisses à l’étrangerDepuis 2000, les entre-prises suisses qui corrom-pent des agents publicsétrangers sont passiblesde poursuites pénales.Selon TransparencyInternational, la Suisse estl’un des pays exportateursles plus «propres » dumonde. Un sondage de la Haute école spécialiséede Coire révèle cependantqu’il arrive aussi à des en-treprises helvétiques decorrompre pour obtenirdes contrats : 56% desfirmes interrogées admet-tent s’être acquittées depaiements « informels »quand elles ont étéconfrontées à de telles requêtes. Les montantsversés représentaient en moyenne 5% de leurchiffre d’affaires dans lepays. Une bonne partiedes entreprises ayant re-fusé de payer disent avoirperdu des commandes ous’être retirées du marchépour cette raison. Selonl’étude, le fait qu’une en-treprise s’engage ou nondans des actes de corrup-tion dépend essentielle-ment de l’attitude adoptéepar ses dirigeants.«Lutter efficacementcontre les risques de cor-ruption – Stratégies pourles entreprises internatio-nales », HTW Coire, 2012

Quand les fonds publics sont détournés vers des poches privées, le système éducatif en souffre, comme dans cette écoleen Somalie.

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(gn) Des biens humanitaires sont bloqués depuisdes jours dans le port d’une ville africaine. À l’in-térieur du pays, la population en a un urgent be-soin. Mais les douaniers exigent une forte sommed’argent pour laisser sortir cette marchandise. Quefaire ? La pesée d’intérêts est souvent difficile : faut-il appliquer la politique de « tolérance zéro » faceaux demandes de pots-de-vin et à la corruptionou privilégier le déploiement de l’aide d’urgenceet de la coopération au développement ? Il arrive aussi à la DDC d’être confrontée à des si-tuations dans lesquelles les impératifs humanitairesobligent à donner suite à des demandes de bak-chich. Toutefois, ce sont des cas exceptionnels quidevraient être consignés, indique Anne Rivera,cheffe du Compliance Office du Département fé-déral des affaires étrangères (DFAE). «Lorsqu’ona tout tenté pour rejeter de telles prétentions et

qu’il faut finalement payer pour pouvoir livrer dessecours, nous conseillons de rendre ces dépensestransparentes et de les faire figurer dans le dé-compte. » Dans tous les autres cas, la corruption est sanc-tionnée beaucoup plus sévèrement qu’il y aquelques années. Par le passé, on tendait à fermerles yeux sur les petites infractions aux lois et auxréglementations. Aujourd’hui, les contrevenantsdoivent s’attendre à faire l’objet d’une plainte,même si le montant du délit est modeste. Et Mme

Rivera d’ajouter : «Nous dénonçons une per-sonne également si nous savons dès le départ quela procédure sera compliquée et entachée d’arbi-traire, du fait que la police et les tribunaux sonteux-mêmes corrompus. De cette manière, nous signalons clairement que la Suisse refuse de se prêter à de tels agissements. »

Combattre et prévenirLa corruption entrave le développement. Pourtant, les milieuxde la coopération ont longtemps rechigné à aborder ce sujet.Entre-temps, le vent a tourné. Aujourd’hui, les coopérants par-lent ouvertement des risques que comporte leur travail dansun contexte corrompu. Ils participent à des projets bilatérauxet à des réseaux internationaux visant à juguler ce fléau.

Dans leurs activités, les agences de développement, comme la DDC, sont confrontées à des pratiques de corruption. C’estle cas notamment au Bangladesh.

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Favoriser ses amis ou sa familleDe nombreux exemples illustrent à quel point ilpeut être difficile de respecter ses propres principesd’intégrité dans le contexte d’un pays en déve-loppement. Transparency International Suisse or-ganise deux fois par an une rencontre destinée àéchanger des expériences, qui suscite beaucoupd’intérêt parmi les collaborateurs de la coopéra-tion suisse au développement : c’est l’occasiond’évoquer ensemble des cas concrets et d’envisa-ger des solutions. Il s’agit le plus souvent d’inci-dents vécus sur le terrain par des organisations par-tenaires. Celles-ci sont plus directement exposéesà ce genre de prétentions et souvent confrontéesà des réseaux qui encouragent, voire imposent, lacorruption. «Au Bangladesh, nos partenaires lo-caux sont obligés de verser de l’argent à l’État rienque pour pouvoir travailler », constate Anne Ri-vera. La DDC s’efforce de réagir à ces situationspar une affectation rigoureuse des fonds accordéset en suivant de près la réalisation des projets.Une pratique fréquente consiste à favoriser desamis ou sa famille lors de l’attribution d’un em-ploi. On se trouve là dans une « zone grise » juri-dique. En revanche, les listes de salariés fictifs oules pièces justificatives de dépenses inexistantes re-lèvent clairement du délit pénal. Il n’est pas simple de percer à jour des affaires decorruption. «Les contrôles de routine n’y suffisentpas », observe Yvan Maillard Ardenti, de Transpa-rency International Suisse. C’est pourquoi il attenddes agences de développement et des ONGqu’elles protègent mieux les lanceurs d’alerte :«Nous avons besoin de plus de canaux fiablespour la dénonciation des comportements répré-hensibles. C’est le seul moyen de trouver les cou-

pables et de prendre les sanctions qui s’imposent. »Le Compliance Office du DFAE offre désormaisune permanence téléphonique aux lanceursd’alerte. En outre, il fournit des conseils aux col-laborateurs qui, en mission à l’étranger, doivent faire des choix difficiles entre le principe d’inté-grité imposé par la centrale et les usages locaux.

Mesures élaborées en communUne coopération au développement efficace re-quiert des mesures visant à prévenir la corruptionet à garantir un maximum d’intégrité interne. Cesont des conditions indispensables à la crédibilitéd’une agence de développement ou d’une ONG.«Bien combattre la corruption accroît l’efficacitéd’un projet, du fait que les ressources disponibless’en trouvent mieux exploitées. Cela crée un cli-mat de confiance qui facilite les campagnes de sen-sibilisation dans le pays partenaire », explique YvanMaillard Ardenti pour résumer les avantages d’unepolitique anticorruption menée avec détermina-tion. Il vaut donc la peine d’investir les fonds del’aide au développement non seulement dans desprojets techniques, mais aussi dans des cours et desateliers consacrés à la lutte contre ce fléau.Avec le soutien de la DDC, douze ONG suissesréalisent un projet pilote qui consiste à élaborerensemble une série de mesures anticorruption. Se-lon M. Maillard Ardenti, la DDC devrait s’enga-ger encore plus dans cette direction et exercer unepression accrue, en matière de prévention, sur lesorganisations avec lesquelles elle travaille : «En tantque bailleur de fonds, la DDC peut déclencher uneffet boule de neige en imposant à ses partenairesdes règles d’intégrité qui leur conféreront un rôlede modèle dans leurs pays respectifs. »

Cadeaux et corruptionOù s’arrêtent les pratiquesusuelles en matière de re-lations et où commence la corruption? La frontièreest floue. Toute aussi déli-cate est la question de sa-voir quand et dans quelles circonstances il est licited’accepter un cadeau.Administrations, entre-prises et organisationssont toujours plus nom-breuses à définir un cadreapproprié. Ainsi, l’adminis-tration fédérale suisse fixedans un code de compor-tement les règles à respec-ter par son personnel :« Les employés ne doiventaccepter aucun don niautre avantage dansl’exercice de leur activitéprofessionnelle. Font ex-ception à cette règle lesavantages de faible impor-tance conformes auxusages sociaux. On en-tend par avantage defaible importance les donsen nature dont la valeurmarchande n’excède pas200 francs. » À la DDC, lescollaborateurs sont tenusde signaler à leur supérieurhiérarchique tout cadeaudont la valeur atteint oudépasse 40 francs. Ils nepeuvent pas accepter lesdons supérieurs à 200francs. Dans le cas où unrefus serait contraire auxusages locaux, ils doiventles remettre à la centrale.

En Angola (à gauche), la Suisse restitue des avoirs bloqués provenant de pots-de-vin et les relie à des projets de démi-nage. En Tanzanie (à droite), elle combat la corruption en appuyant des médias d’investigation.

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Combattre la corruption, c’est d’abord améliorerla transparence et l’obligation de rendre descomptes. Bien entendu, ces principes ne s’appli-quent pas seulement aux organisations de déve-loppement elles-mêmes, mais aussi au contexte etaux conditions-cadres dans lesquelles se déploientleurs activités. Des progrès durables ne sont pos-sibles que si l’on parvient à enrayer vraiment lacorruption. Cela requiert des procédures souventlongues et laborieuses, auxquelles les projets ouprogrammes de développement peuvent égale-ment apporter un soutien actif.La DDC contribue à la lutte contre la corruptiondans plusieurs de ses pays partenaires, dont leBhoutan ou la Tanzanie. Elle soutient aussi bienles efforts du gouvernement que ceux de la sociétécivile qu’il s’agit de renforcer grâce notamment àdes organismes de contrôle efficaces et à des mé-dias d’investigation. Il importe cependant de me-ner ce combat simultanément à tous les échelons.«Les meilleures lois anticorruption et les menacesde sanction les plus sévères ne serviront à rien aus-si longtemps que les fonctionnaires ne toucherontpas un salaire leur permettant de vivre décem-ment », observe Yvan Maillard Ardenti.

Dénoncer et dévoiler avant de restituerLe commerce des matières premières et les trans-ferts financiers internationaux constituent d’autresaspects essentiels de la lutte anticorruption dans

notre économie mondialisée : les mesures à prendredans ces domaines revêtent une importance cen-trale, pour les pays en développement en particu-lier.La DDC est en train d’étoffer à cet égard son ac-tion bilatérale et multilatérale. Elle a notammentcréé un poste ad hoc : Salome Steib, nouvelle res-ponsable des secteurs anticorruption et restitutiond’avoirs, représente la Suisse dans de nombreux or-ganismes et groupes d’intérêt internationaux ; elles’emploie à promouvoir la création et la mise enœuvre de normes favorables au développement.Mme Steib assure en outre le suivi de projets me-nés en Angola et au Kazakhstan, qui visent à res-tituer aux pays d’origine des capitaux bloquéspour des raisons de corruption. Ce nouveau do-maine d’action, appelé asset recovery, constitue uneimportante avancée des dernières années. Il doitencore être étendu et amélioré. Cela suppose toutefois que l’on puisse au préalable dénoncer et dévoiler les délits en question, pour ensuite lessanctionner et restituer l’argent volé. ■

(De l’allemand)

La restitution par la Suisse de pots-de-vin bloqués permet de financer l’éducation d’enfants défavorisés au Kazakhstan,dans le cadre d’un projet de développement.

La DDC a sa proprestratégieDepuis 2006, la DDC dis-pose d’une stratégie delutte anticorruption qui lui sert de référence pourtoutes les mesures qu’elleprend dans ce domaine.Les efforts se déploient surquatre fronts afin d’assurerl’intégrité de la DDC et de ses partenaires, et decombattre la corruptiontant dans les pays d’inter-vention qu’à l’échelle mon-diale : • Règles déontologiques

rigoureuses sur le plan interne ; le personnel est instruit en conséquence.

• Directives à l’intention des partenaires et suivi de ceux-ci ; dénonciationdes cas de corruption ausein des organisations avec lesquelles la DDC collabore.

• Projets et programmes de lutte contre la corrup-tion dans le cadre de la coopération bilatérale.

• Soutien à des initiatives anticorruption à l’échelle internationale.

www.deza.admin.ch/ressources/resource_fr_92770.pdf

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Un pilier de la démocratieLe royaume du Bhoutan doit relever actuellement un double défi :après une longue période d’isolement, ce petit État himalayenouvre ses frontières à l’économie mondialisée et prend le che-min de la démocratie. Élément essentiel pour la réussite de ceprocessus, sa commission anticorruption nationale a été misesur pied avec le soutien de la Suisse.

(gn) En mai 2013, le ministre de l’intérieur et leprésident du Parlement bhoutanais ont étécondamnés à des peines de prison pour avoir at-tribué illégalement des terres. Ce verdict a fait sen-sation, car c’était la première fois que de hauts res-ponsables de l’État étaient convaincus de corrup-tion. Peu après, le parti gouvernemental a étélargement battu lors des deuxièmes élections dé-mocratiques organisées dans le pays. Une majori-té de la population l’a renvoyé dans l’opposition.Même si le résultat de ce scrutin n’est pas dû uni-quement au scandale provoqué par l’affaire de cor-ruption, celle-ci a été largement débattue durantla campagne électorale.

Effet dissuasifSi ces transactions foncières illicites ont été dévoi-lées et leurs auteurs traduits en justice, c’est grâce

au travail compétent et systématique de la com-mission anticorruption nationale (ACC). Celle-cifait désormais partie intégrante de la vie politiquebhoutanaise. Elle constitue un pilier essentiel duprocessus de démocratisation.«Le plus important, c’est que l’on discute aujour-d’hui ouvertement de la corruption et que l’on re-connaisse son existence dans notre pays », souligneDasho Neten Zangmo, présidente de l’ACC, dontl’attitude résolue a beaucoup contribué au succèsde la commission. «Deuxièmement, nous produi-sons un effet dissuasif : dans 90% des 120 cas quenous avons poursuivis pénalement à ce jour, lescoupables ont été condamnés. Certaines de ces af-faires impliquaient des personnages puissants et trèsen vue. C’est pourquoi les gens craignent les en-quêtes de l’ACC. Cependant, notre but ultime estd’instaurer dans l’administration et dans la société

Au Bhoutan, la révélation de cas de corruption a influencé les élections de mai 2013.

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en général une culture qui rendra finalement l’exis-tence de la commission superflue. »L’ACC y travaille en étoffant progressivement sescapacités institutionnelles et en introduisant desmesures qui permettront à l’avenir de prévenir lacorruption de manière systématique dans tout l’ap-pareil d’État. Elle organise en outre des pro-grammes de sensibilisation à l’échelle nationale,dans les écoles notamment. Les élèves apprennentainsi à discerner clairement où commence la cor-ruption. Dans le cadre d’un atelier sur ce thème,Yeshey Lhaden, âgée de 14 ans, en donne unexemple probant : «Quand des parents utilisentune voiture de service de l’État pour conduire leursenfants à l’école, ils abusent d’un bien public. »

Initiative royaleC’est à l’initiative du roi Jigme Singye Wangchuckque l’ACC a été instaurée. Dans le décret du 31décembre 2005, qui pose les fondements de lacommission, ce dernier constate : «La rapidité dudéveloppement économique vécu par notre paysa eu pour effet de changer les mentalités. Sous l’in-fluence d’intérêts personnels, des pratiques cor-rompues ont fait leur apparition aussi bien dansl’administration que dans le secteur privé. Si nousne prenons pas maintenant des mesures appropriéespour enrayer cette tendance, nous serons confron-tés à de graves problèmes dans l’avenir. » Au mo-ment où le Bhoutan s’engageait dans un processusde démocratisation et d’ouverture, le souverainvoulait aussi prévenir d’emblée un danger associéà la modernisation. C’est en bonne partie grâce à

la création de l’ACC que ce processus s’est dérou-lé jusqu’ici de manière exemplaire. Pays donateur de longue date, la Suisse a commencéen 2006 de soutenir l’avènement de la démocra-tie. Dans le cadre de cet engagement, des spécia-listes anticorruption de l’Institut bâlois de la gou-vernance appuient depuis 2007 l’organisation et letravail de l’ACC. «La DDC s’est rendu compte dèsle départ qu’il fallait accorder une attention parti-culière à cette institution publique encore inexpé-rimentée », note Evelin Stettler, chargée de pro-gramme de la DDC pour le Bhoutan. On savaitpar ailleurs que l’intervention dans un domaine po-litiquement aussi sensible que la lutte contre la cor-ruption nécessite une grande vigilance pour por-ter ses fruits. L’évolution récente du petit royaumehimalayen montre cependant que les effortsconsentis ont été payants. Selon Evelin Stettler,c’était là une occasion unique de soutenir simul-tanément des mesures anticorruption et la mise enplace d’un régime démocratique.

Des efforts qui portent leurs fruitsLe succès de l’ACC doit beaucoup à l’appui du roiainsi qu’à son ancrage dans la Constitution et dansdes lois. Cela lui permet d’agir indépendammentde l’agenda politique. De plus, le soutien apportépar l’étranger a beaucoup fait pour asseoir la ré-putation et la confiance dont jouit l’ACC, estimesa présidente. Dasho Neten Zangmo dit que son travail à la têtede l’autorité suprême de la lutte anticorruptioncorrespond à son caractère : « Je n’ai pas la languedans ma poche et donne le meilleur de moi-mêmepour la bonne cause, sans me préoccuper des consé-quences personnelles. » À ses yeux, le principal défique devra probablement relever l’ACC à l’avenirconcernera la corruption politique, notammenten relation avec le financement des partis – un descôtés négatifs de la démocratisation. Vu l’économieactuelle du Bhoutan, des problèmes de ce typepourraient également apparaître dans le domainedes investissements directs étrangers, en particulierdans les infrastructures d’approvisionnement eneau.En tout état de cause, un coup d’œil sur le dernierclassement selon l’indice de perception de la cor-ruption, publié par Transparency International,prouve que les efforts entrepris par le royaume hi-malayen portent leurs fruits : le Bhoutan y occupeun excellent 31e rang, ce qui le place en cinquiè-me position des pays les plus «propres » de la ré-gion Asie-Pacifique. ■

(De l’allemand)

Le renforcement de la société civile doit créer les basesd’une démocratie vivante.

Transition vers la démocratieLa Suisse soutient le déve-loppement du Bhoutan depuis les années 50. Àl’origine, l’aide, de natureprivée, reposait sur l’amitiéentre un industriel suisse et la famille royale. Il en estrésulté des programmesde développement finan-cés d’abord en majeurepartie par Helvetas, puispar la Confédération à par-tir de 1978. La dernièrephase du partenariat bila-téral entre le Bhoutan et laSuisse a démarré avec leprocessus de démocrati-sation lancé par le roi :dans le cadre d’un vasteprogramme de gouver-nance, la Suisse soutientdepuis 2006, et jusqu’en2016, les opérations detransformation qui mènentde la monarchie absolue à un régime démocratique.Ce processus comportedes réformes au niveaugouvernemental, la créa-tion de structures décen-tralisées ou encore le ren-forcement de la sociétécivile, laquelle constitue la base d’une démocratievivante.

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La petite sœur de la violenceSi la coopération au développement tolère la corruption, ellemaintient les gens dans la pauvreté. Tel est l’avis de Mark Pieth, professeur de droit pénal et expert en gouvernance. Cejuriste bâlois explique pourquoi, en matière de lutte contre la corruption, il a jusqu’ici concentré son attention sur les pays duNord. Entretien avec Gabriela Neuhaus.

Un seul monde: Pensez-vous, sur la foi de votrelongue expérience dans ce domaine, qu’ilsoit possible d’éradiquer la corruption?Mark Pieth : L’éradiquer, certainement pas. Maison peut et on doit la combattre. Il s’agit cependantd’un travail de longue durée, dans la mesure où lacorruption constitue une forme de gestion dupouvoir. De même que l’on n’a jamais réussi à maîtriser la violence au cours de l’histoire, il s’avère difficile de mettre un frein à la corruption– sa petite sœur.

Comment s’y prendre, en particulier dans lespays en développement ?L’idée n’est pas de traquer le policier qui réclamedes pots-de-vin pour compléter un salaire de mi-sère. La responsabilité incombe à l’État qui l’em-ploie à des conditions pareilles. Le vrai problème,c’est la corruption économique transnationale. Lescénario est classique : avec l’aide d’intermédiairesfinanciers, des entreprises du Nord versent descentaines de millions à des chefs d’État et des mi-nistres du Sud pour obtenir des licences d’exploi-tation minière ou l’attribution de travaux d’infra-structures. Les potentats acceptent cet argent non

Mark Pieth, professeur dedroit pénal et de criminolo-gie à l’Université de Bâle,est un expert de la lutteanticorruption. Il a été l’undes moteurs de la Conven-tion de l’OCDE sur la luttecontre ce fléau et a présidéde 1990 à 2013 le groupede travail chargé de lamettre en œuvre. Depuis2009, il fait partie d’un co-mité consultatif indépen-dant qui conseille le prési-dent de la Banque mon-diale sur des questionsd’intégrité. En 2011, laFédération internationalede football a fait appel à luipour réformer sa gouver-nance. Depuis début 2014,M. Pieth préside le Conseild’appel de la Banque afri-caine de développement,auprès duquel peuvent recourir les entreprisesfrappées d’exclusion pouravoir pratiqué la corruption.

Les pays riches en matières premières, comme laRépublique démocratique du Congo, sont particulièrementexposés à la corruption.

seulement par cupidité, mais aussi pour asseoir du-rablement leur pouvoir. Démocratie et État dedroit n’ont aucune chance dans un tel contexte. Il serait naïf de demander à la justice d’être indé-pendante, alors que n’importe quel juge complai-sant reçoit des dessous-de-table.

Depuis les années 90, on a déployé beaucoupd’efforts pour enrayer la «grande corrup-tion». Qu’est-ce que cela a donné?Nous avons créé, à l’échelle internationale, une di-zaine d’instruments juridiques visant à combattrela corruption. Ils ont servi de base à une série delois réprimant de tels agissements. Même si cestextes restent souvent lettre morte, la lutte anti-corruption fait aujourd’hui partie de l’agenda po-litique. Cela nous habilite à aborder le sujet lors denégociations avec des États faibles. En Ukraine, enInde et même en Europe… On en parle aujour-d’hui partout. Pendant des millénaires, on a toléré

la corruption, alors qu’elle était condamnée no-tamment par toutes les grandes religions.

Y a-t-il des différences culturelles dans le re-gard que l’on porte sur la corruption?Dans bien des pays, offrir des cadeaux est une tra-dition plus courante que chez nous. Mais mêmeen Europe, les pratiques ne sont pas les mêmes par-tout : un fonctionnaire suisse peut sans autre ac-cepter une invitation pour un repas, alors qu’en Al-lemagne, la limite tolérée sera souvent un simple

«Une aide au développement quitolère la corruption

perpétue la pauvreté.»

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postes. Le Ministère public de la Confédération estlui aussi concerné : la Suisse est une place financièreimportante et abrite le siège de nombreuses multi-nationales qui opèrent parfois dans des contextesproblématiques ; à ce titre, elle a des responsabilitéset se doit de poursuivre partout dans le monde lescas de corruption transnationale. Dans les pays endéveloppement, il est judicieux de réaliser des pro-jets à long terme, destinés notamment à renforcerla société civile. On ne marginalise plus si facile-ment les organisations non gouvernementalesquand elles bénéficient d’un soutien international.Au Kenya, par exemple, la presse locale ne craintpas de dénoncer les graves violations des droits del’homme. Si les journalistes peuvent le faire, c’estgrâce à leur coopération avec des partenaires étran-

gers, qui leur vaut une certaine protection. Lescontacts internationaux sont déterminants. Sou-vent, il n’y a même pas besoin de beaucoup d’ar-gent pour faire bouger les choses.

Quelles seront les priorités à l’avenir ?Au cours des 25 dernières années, nous avons créédes règles – dont l’application reste toutefois pro-blématique. Le fait que la corruption figure désor-mais sur l’agenda politique a son revers : les plus cor-rompus tiennent de beaux discours pour condam-ner ce phénomène. Au Nord comme au Sud, ils’agit maintenant de passer aux actes, alors que l’onne sait pas trop comment s’y prendre. J’ai toujoursmontré de la retenue à l’égard des pays en déve-loppement, pour ne pas faire figure de néocolo-nialiste. Dans le Nord, par contre, j’exhorte direc-tement entreprises et gouvernements à prendre desmesures de lutte contre la corruption. Tel a été montravail jusqu’à présent. Je pense qu’à l’avenir, nousdevrons agir de façon encore plus systématique etcohérente. ■

(De l’allemand)

café. À ce niveau, il y a certaines différences. En re-vanche, toutes les cultures condamnent les « ca-deaux» qui se chiffrent en millions et qui visent àétayer le pouvoir de certains individus en contour-nant les structures étatiques.

La corruption est-elle vraiment un facteur depauvreté ?Elle a tout au moins pour effet de maintenir les gensdans le dénuement. Une aide au développementqui n’en tient pas compte et ne combat pas systé-matiquement la corruption fait des dégâts. Je suisentièrement d’accord sur ce point avec l’écono-miste zambienne Dambiso Moyo (ndlr : auteure dulivre L’aide fatale). La corruption absorbe environ20% de l’argent de la Banque mondiale. On s’enaccommode, avec l’argument que l’on ne veut pascompromettre des projets efficaces. Je trouve quec’est une erreur. Une aide au développement quitolère la corruption perpétue la pauvreté. Celas’observe en particulier dans les pays frappés par la«malédiction des matières premières », où une pe-tite élite empoche la manne des exportations etlaisse la coopération au développement nourrir lereste de la population.

Que devrait faire concrètement la coopéra-tion pour combattre ce fléau?L’aide au développement exerce tout d’abord, dansle pays donateur, une fonction importante decontrepoids aux milieux qui veulent promouvoirles exportations à tout prix. À cet égard, une agen-ce publique comme la DDC se trouve aux avant-

Recherches sur la corruptionL’Institut bâlois de la gou-vernance se consacre àdes travaux de recherchesur des thèmes tels que lalutte contre la corruption etla bonne gouvernance. Il aborde cette thématiquesous divers angles. Sesprojets concernent parexemple l’influence desconditions-cadres sur lacorruption ou l’élaborationde règles de conformitédestinées aux entreprises.L’une de ses quatre divi-sions est le Centre interna-tional pour le recouvrementdes avoirs volés (ICAR), qui contribue à rapatrier la fortune des potentats.L’institut a été fondé en2003 par Mark Pieth, quien préside toujours leconseil de fondation. Sacréation a été financée par la fondation Danzas.Aujourd’hui, il est soutenunotamment par la DDC, leLiechtenstein et la Grande-Bretagne.www.baselgovernance.org

La collaboration avec des partenaires étrangers renforce laposition de la presse kenyane et lui offre une protection.

«Les plus corrompustiennent de beaux

discours pour condamner la corruption. »

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Corruption

Des sommes astronomiques… • Les pots-de-vin circulant entre pouvoirs publics et secteurprivé totalisent annuellement plus de 1000 milliards de dollarsdans le monde.

• Le montant des pertes dues à la corruption est estimé à 4 billions de dollars par année, ce qui représente 12% du PIBmondial.

• Rien que dans les pays en développement et en transition, les pots-de-vin versés par des entreprises à des politiciens ou àdes fonctionnaires atteignent 40 milliards de dollars par an.

• Selon les données fournies par les milieux économiques, lacorruption a pour effet de renchérir d’au moins 10% le coût desprojets.

• La corruption détourne 15% des fonds consacrés à la coopé-ration au développement.

Sources : Banque mondiale, Transparency International

LiensConvention de l’OCDE sur la lutte contre la corruption d’agents publics étrangerswww.oecd.org/fr/daf, «Corruption sur les marchés internationaux»

Convention des Nations Unies contre la corruption (CNUCC)Traité à caractère général et contraignant en droit internationalpour la lutte contre la corruption. www.unodc.org, «Corruption»

UNCAC CoalitionRéseau international comptant plus de 350 organisations pour lamise en œuvre de la CNUCCwww.uncaccoalition.org

Informations sur l’état actuel du droit pénal en matière decorruption en Suissewww.dfjp.admin.ch, «Renforcement des dispositions pénales incriminant la corruption»

PublicationsMark Pieth - Der Korruptionsjäger - Im Gespräch mit ThomasBrändle und Siri Schubert, éditions Zytglogge, Berne, 2013

Transparency International et Pain pour le prochain : Korruptionin der Entwicklungszusammenarbeit : Sammlung von konkretenKorruptionsfällen et Prévention de la corruption dans la coopéra-tion au développement – Check-list pour l’autoévaluation.Ces deux publications sont disponibles sur le site www.transpa-rency.ch/fr, «Publications», «Guides et check-lists »

Baromètre mondial de la corruption 2013Depuis 1995, l’organisation Transparency International publie chaque année un classement des pays basé sur l’indice de percep-tion de la corruption. En 2013, les mieux notés étaient le Danemark et la Nouvelle-Zélande. La Suisse occupait le 7e rang sur 177pays. L’Afghanistan, la Corée du Nord et la Somalie étaient perçus comme les États les plus corrompus du monde. Source : Transparency International

Très corrompu Très propre

Faits et chiffres

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«En leur donnant accès à l’éducation, nous proté-geons les enfants syriens et nous nous préservonsnous-mêmes. » Sourire de gosse et regard bleu cé-ruléen, Kamel Kozbar est le directeur d’une écoleprivée à Saïda, au sud du Liban. Il préside égalementl’union des 25 organisations non gouvernementales(ONG) humanitaires qui sont actives auprès des réfugiés syriens dans la troisième ville du pays.«Quand les Syriens ont commencé d’affluer auprintemps 2011, tout le monde était prêt à les ai-der, pensant que la guerre ne durerait pas plus detrois mois. Les familles libanaises leur ont alors ou-vert leurs maisons », se souvient ce natif de Saïda.Mais la situation s’éternise. Ces hôtes sont là depuistrois ans et la générosité des Libanais s’érode. «C’estpourquoi nous avons convaincu les écoles privéeset publiques d’accueillir gratuitement les enfants syriens. Ainsi, on évite qu’ils tournent mal et queles Libanais voient de plus en plus la présence desréfugiés comme un poids insurmontable. »

Le Liban est tributaire de l’aide internationale pour gérer l’afflux massif de réfugiés fuyant le conflit syrien.

Menace sécuritaire et économiquePlus de 1,3 million de Syriens ont déjà trouvé re-fuge sur sol libanais, selon les estimations du gou-vernement. Ils représentent environ 25% de la po-pulation. En janvier dernier, 850000 étaient enre-gistrés auprès du Haut Commissariat des NationsUnies pour les réfugiés (HCR). Beaucoup de Libanais, marqués par l’occupationmilitaire syrienne qui a duré jusqu’en 2005, voientd’un mauvais œil cet afflux ininterrompu. À lamoindre étincelle, c’est l’escalade. En décembredernier, des habitants de Qsarnaba, dans la plainede la Bekaa, ont brûlé les tentes d’un camp de ré-fugiés, car ils soupçonnaient des Syriens d’avoir abu-sé sexuellement d’un jeune Libanais handicapé. Lemaire de la ville justifie une telle violence en invo-quant la menace que représente cette population.Le risque serait double : sécuritaire, dans la mesureoù certains Syriens prennent part au conflit depuisle Liban, et économique, puisque les réfugiés sont

Des réserves de pétroleencore inexploitéesEntre 440 et 675 millionsde barils de pétrole et 15trillions de m3 de gaz natu-rel : c’est le trésor énergé-tique que recèle la zoneéconomique exclusive duLiban, selon la sociétéd’études Beicip-Franlab.Des réserves suffisantespour mettre un terme auxcoupures de courant quo-tidiennes et faire du paysun exportateur d’énergie.En avril 2013, douze so-ciétés ont été sélection-nées pour opérer au largedes côtes libanaises,parmi lesquelles Shell,Total et ExxonMobil. Maisfaute de gouvernementélu, le début de la phased’exploitation est sanscesse repoussé. Cette situation réjouit ceux quicraignent que le Liban nesubisse la «malédictiondes matières premières »,une théorie selon laquelleles pays riches en res-sources naturelles pâtis-sent paradoxalementd’une faible croissanceéconomique.

Les enfants syriens, des cancresmalgré euxSur 1,3 million de réfugiés syriens au Liban, environ la moitié sontdes enfants. Il est essentiel de les scolariser si l’on veut éviterl’essor d’une génération illettrée. Leur éducation représente unimportant défi pour le pays d’accueil. Cependant, elle offre aussi l’occasion de réformer un système éducatif rongé par les inégalités. D’Emmanuel Haddad*.

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accusés de voler le travail des nationaux, cela dès leurplus jeune âge.

Une école réservée aux élèves syriensCette psychose nationale prend parfois une tour-nure xénophobe. Kamel Kozbar a vite compris quele meilleur moyen d’y échapper était d’accueillir lespetits Syriens sur les bancs d’école. Tous les matins,des minibus remplis de réfugiés avalent la côte quimène à l’école Insani qu’il dirige. Cet établissement,construit avec des fonds qataris et koweitiens, s’est

ouvert en septembre dernier. Des professeurs syrienset libanais y enseignent le cursus scolaire libanaisaux jeunes réfugiés. Dans une salle de classe où lesparpaings apparents sont recouverts de drapeaux dela Syrie libre peints par les enfants, Khadija necache pas ses difficultés : «Les élèves ont beaucoupde mal avec l’anglais. De plus, certains d’entre eux,traumatisés par ce qu’ils ont vécu, ont de la peineà se concentrer », reconnaît cette professeure d’an-glais originaire de Syrie. Dans leur pays, les enfantssuivaient les cours en arabe, tandis qu’au Liban, lesmathématiques et les sciences sont enseignées enanglais ou en français dès le cycle primaire. Une au-baine pour Asma, 17 ans, qui voudrait devenir jour-naliste : «Mon père m’a dit que si la famille rentreà Damas, je resterai ici pour terminer mes études,car on y apprend mieux l’anglais qu’en Syrie », affirme la jeune fille avec espoir.

Taux élevé d’échec scolaire Pour la majorité des élèves syriens, qui vivent sousdes tentes ou cohabitent avec d’autres familles dansdes logements insalubres, apprendre dans une langueétrangère est un défi insurmontable. «L’an dernier,97% des Syriens inscrits dans les écoles libanaisesont abandonné», affirme Maha Shuayb, directricedu Centre d’études sur le Liban. Dans le quartierHamra à Beyrouth, où se situe son bureau, des en-

fants syriens s’improvisent cireurs de chaussures. Ilsne sont pas les seuls à pâtir d’un échec scolaire. «Lesmêmes freins à l’éducation marginalisent les enfantslibanais des régions pauvres de la Bekaa et du Ak-kar, ainsi que les jeunes Palestiniens vivant dans descamps de réfugiés », rappelle Mme Shuayb.

Un système éducatif à deux vitessesDébut 2014, le premier ministre libanais démis-sionnaire Najib Mikati a appelé la communauté in-ternationale à «envisager sérieusement la création

de camps sécurisés en territoire syrien» pour allé-ger le fardeau qui pèse sur son pays. Selon lui, lechômage a doublé à cause de la guerre et de l’af-flux de réfugiés. En fait, il semble que ces derniers servent surtoutde boucs émissaires pour justifier le taux de chô-mage élevé, qui atteint 24% parmi les jeunes Liba-nais. Deux experts, Mary Kawar et Zafiris Tzanna-tos, ont analysé les causes de ce phénomène. Dansune étude publiée en 2012 par le Centre libanaisd’études politiques, ils font le constat suivant : «Lesystème éducatif est pétri d’inégalités. Les enfantsissus des couches sociales défavorisées accèdentmoins facilement à l’éducation primaire, aux écolesprivées et à l’université que ceux des autres caté-gories socioéconomiques. Ces inégalités sont ac-centuées par le faible niveau des dépenses publiquesaffectées à l’éducation, par rapport à celles du pri-vé. » Seuls 5% des enfants de familles pauvres sontinscrits dans des écoles privées, contre 66% de ceuxissus de milieux aisés. Dans certains villages, le tauxde décrochage scolaire atteint 65%. Maha Shuayb alerte sur les conséquences de cettesituation : «À l’instar des Palestiniens et des jeunesLibanais de régions pauvres, les Syriens sont desti-nés à devenir une main-d’œuvre bon marché ou às’enrôler dans des groupes islamistes radicaux. »Loin d’être une plaie, leur présence constitue, selon

Le taux d’abandon scolaire est très élevé parmi les enfants réfugiés. Beaucoup d’entre eux s’improvisent cireurs dechaussures.

Le Liban en bref

Superficie10452 km2

CapitaleBeyrouth

Population4,2 millions d’habitants

LanguesArabe (langue officielle),français, anglais, arménien

ReligionsL’État reconnaît 18 reli-gions : sunnites (27%), chiites (27%), maronites(21%), grecs orthodoxes(8%), grecs catholiques(5%), druzes (5%), etc.

Structure du produit intérieur brutServices 75%Industrie 20%Agriculture 5%

Produits d’exportationJoaillerie, matériel élec-trique, agroalimentaire,produits métalliques et chimiques, textile, papier

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À quand l’abolition de la kafala?Plus de 200000 femmesoriginaires notammentd’Éthiopie, du Bangla-desh, des Philippines etdu Népal sont employéesde maison au Liban. En 2008, l’organisationHuman Rights Watch(HRW) a révélé quechaque semaine, une deces migrantes mourait decause non naturelle (sui-cide ou accident). Ellepointait du doigt le sys-tème de la kafala, qui per-met aux employeurs deconfisquer le passeport deces femmes et de les fairetravailler onze heures parjour ou davantage. Dansson rapport 2014, HRWse félicite qu’un Libanaisait été condamné à deuxmois de prison pour avoirrefusé de payer une em-ployée pendant des an-nées. Mais le projet de ré-forme de la kafala n’atoujours pas été voté parle Parlement. Avec l’appuide la DDC, le ministère dutravail a publié l’an dernierun guide d’information àl’intention des domes-tiques migrantes.www.mdwguide.com

S’ils suivent une formation professionnelle, par exemple en agriculture, les adolescents seront moins tentés de travail-ler au noir ou de rejoindre des groupes extrémistes.

elle, une occasion pour le Liban de s’attaquer àtoutes ces inégalités. «Avec l’argent octroyé par lesNations Unies, le gouvernement peut faire beau-coup pour améliorer l’éducation publique. »

Les Syriens se prennent en mainLe Liban dépend en effet de l’aide internationalepour faire face à l’afflux de réfugiés syriens. «Étantdonné l’ampleur des arrivées, nous réalisons que lesécoles publiques ne pourront pas accueillir tous lesenfants », reconnaît Aseel Jammal, du HCR. L’ob-jectif du ministère de l’éducation est de scolariser100000 enfants syriens, soit à peine un sixièmed’entre eux. À Deir Ammar, village proche de Tripoli, Mousta-pha a trouvé une solution pour éduquer des jeunesSyriens qui n’ont pas accès à l’école publique. Enfuyant Damas, cet instituteur syrien a emporté sesmanuels scolaires ; il s’en sert pour élaborer le pro-gramme de l’école Tuyoor el-Amal (les oiseaux del’espoir) qu’il a ouverte en 2013. Conscient que leprogramme scolaire syrien n’est pas reconnu au Li-ban, Moustapha assume son choix : «La plupart desSyriens sont de toute manière exclus de l’école li-banaise, car ils doivent justifier de la scolarité suivieavant leur inscription. Or, la plupart ont fui la Sy-rie sans leurs documents scolaires ou n’ont pas pualler à l’école à cause de la guerre. » Peu importeque les élèves n’obtiennent pas de diplôme. Le di-recteur se bat contre «une maladie qui se répandparmi la jeunesse syrienne au Liban : l’illettrisme. »

Améliorer la formation professionnelleDans le camp informel de Minyara, situé au norddu Liban près de la frontière syrienne, les enfantssuivent depuis un an les cours d’anglais et de fran-çais dispensés par les professeurs de Relief & Re-conciliation for Syria. En janvier dernier, quand cette ONG internationale leur a laissé le choix entreintégrer l’école libanaise ou entamer une formationprofessionnelle, la majorité d’entre eux ont choisila seconde option. L’acquisition de compétencesdans des domaines comme la couture ou l’électri-cité permettra aux plus âgés de soutenir leurs fa-milles tout en exerçant un travail décent. C’est là une piste pour le développement du Liban.Le Pays des Cèdres, qui s’est engagé en 2010 dansune réforme sur cinq ans de son système éducatif,a omis d’inclure la formation professionnelle danscette stratégie. «Pour pallier les inégalités, le Libandoit accorder plus d’importance aux filières d’en-seignement telles que les écoles agricoles et les for-mations techniques. Sinon, il continuera de formerseulement une minorité de jeunes. Les autres aban-donneront l’école pour travailler au noir ou re-joindre des groupuscules radicaux», conclut MahaShuayb. ■

*Emmanuel Haddad est un journaliste français d’origi-ne libanaise. Basé à Beyrouth, il est correspondant auProche-Orient pour plusieurs médias francophones.

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Sur le terrain avec...Heba Hage-Felder, cheffe du bureau de la coopération suisse au Liban

Le quartier de Hamra, qui entoure la principaleartère commerçante de Beyrouth, se caractérise parune grande mixité sociale et confessionnelle. C’estpour cette diversité que mon mari et moi avonschoisi d’y habiter, quand nous sommes arrivés auLiban en 2011 avec nos deux enfants. Un tel en-vironnement offre plus de sécurité qu’une zoneabritant par exemple une majorité de chrétiens oude musulmans. Par chance, le bureau de la DDCse trouve dans le même quartier. Le trajet me prendà peine 7 minutes à vélo. Je reconnais que c’est unpeu kamikaze de choisir ce moyen de transport,tant la circulation est anarchique et dangereuse.Mais je fais mon possible pour éviter les accidents.

On ne peut pas se prémunir, en revanche, contreles voitures piégées qui explosent n’importe où etn’importe quand. C’est un risque que je prendstrès au sérieux dans mon travail. Quand un atten-tat se produit, la sécurité de mes collègues est mapremière préoccupation. Je leur envoie un messa-ge collectif sur WhatsApp en demandant s’ils sontsains et saufs. Le personnel de la DDC au Libancomprend douze personnes : dix à Beyrouth etdeux dans un bureau de projet à Kobayat, dans ledistrict d’Akkar.

Je suis fière de cette équipe qui est très motivée ettrès soudée. À Beyrouth, nous prenons notre dé-jeuner ensemble au bureau, en commandant desrepas aux traiteurs du quartier. C’est un momentde détente unanimement apprécié. Il est impor-tant d’entretenir des liens d’amitié. Nous ne pou-vons pas laisser s’installer des conflits interperson-nels, alors qu’une crise humanitaire fait rage dansle pays et exige de nous un engagement total. Lesrépercussions du conflit syrien nous ont imposéen effet un surcroît de travail considérable.

Depuis le début de la guerre, plus de 850000 Sy-riens ont déjà fui vers le Liban et l’afflux se pour-suit. Leur présence exerce une pression énorme surce petit pays de 4,2 millions d’habitants. La com-munauté internationale doit non seulement ré-pondre aux besoins des réfugiés, mais égalementveiller à ce que son aide n’accentue pas les ten-sions entre ces derniers et la communauté hôte.Nous devons être en permanence attentifs aucontexte, qui évolue très rapidement, afin d’adap-ter nos interventions si nécessaire. Je consacrebeaucoup de temps aux fréquentes séances de co-ordination de l’aide internationale, que ce soit avecles autres bailleurs de fonds ou avec les agences del’ONU. Actuellement, la priorité est la stabilisa-tion du pays. C’est pourquoi il est nécessaire d’aller au-delà de l’aide humanitaire et de s’enga-ger également en faveur du développement à long terme.

La DDC finance actuellement 25 projets au Li-ban. La plupart sont mis en œuvre par des parte-naires multilatéraux ou bilatéraux. Il y en a deux,cependant, que nous gérons nous-mêmes dans ledistrict d’Akkar, une région du nord historique-ment défavorisée et qui porte aujourd’hui le poidsde la crise. Je leur accorde une attention particu-lière et me rends sur place aussi souvent que pos-sible. L’un de ces projets consiste à soutenir finan-cièrement près de 2500 familles libanaises qui hé-bergent au total 16000 réfugiés syriens. L’autre estfinancé par l’Office fédéral de la migration. Il por-te en particulier sur la réhabilitation des systèmesd’assainissement dans treize écoles publiques quiaccueillent 3100 élèves principalement libanais,mais également syriens. ■

(Propos recueillis par Jane-Lise Schneeberger)

Soutien aux groupesvulnérablesLes activités de la DDC au Liban s’inscrivent dansune stratégie régionale de coopération qui couvreégalement la Jordanie, laSyrie et l’Irak. Elles pour-suivent trois objectifs :fournir des services debase et des sources derevenus aux réfugiés, aux personnes déplacées,aux migrants et à d’autresgroupes vulnérables ; pro-téger ces groupes de population ; réduire lesrisques de catastrophesnaturelles et renforcer lescapacités de réaction descommunautés locales.Depuis le début de la crisesyrienne, en mars 2011, laDDC participe activementaux efforts de la commu-nauté internationale pourfaire face à l’afflux massifde réfugiés. En 2013, ellea consacré près de 15millions de francs à sonprogramme au Liban. www.ddc.admin.ch/liban www.swiss-cooperation.admin.ch/middleeast,« Lebanon»

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«Mon nom est Lamia Abi Azar. Je suis le dernierenfant né à la maternité française de Beyrouth.L’hôpital, situé sur la ligne de démarcation, a étéévacué juste après ma naissance en 1978. Ce jour-là, ma mère se concentrait tellement sur son ac-couchement qu’elle n’entendait pas les bombar-dements et les tirs à l’extérieur. En me prenant dansses bras, mon grand-père avait les larmes aux yeux.Maman a cru qu’il était ému de me voir arriver aumonde dans des circonstances pareilles.En réalité, il pleurait parce que j’étaisune fille et pas un garçon. »

Ces lignes sont tirées du spectacle Hea-vens, que nous avons présenté en débutd’année et qui évoque l’histoire du Li-ban. Plus que toute autre, cette piècenous a confrontés à la difficulté de nouspositionner en tant qu’artistes par rap-port à notre héritage historique. Lespersonnages sont trois femmes qui dé-ambulent sur des lignes très fragilesentre le passé et le présent, entre le pri-vé et le public.

Jeudi 16 janvier, une voiture piégée ex-plose à Hermel, un fief du mouvementchiite Hezbollah. Le soir même, nousjouons Lucena, Entraînement à l’obéis-sance. C’est une pièce qui remet enquestion les conditionnements idéolo-giques et le rapport de la religion avecle pouvoir, un engrenage dont les Li-banais paient le prix tous les jours. Surscène, nous sommes très émus, car notrespectacle prend tout son sens face à untel événement. Le lundi suivant, unnouvel attentat-suicide tue cinq per-sonnes à Haret Hreik, dans la banlieuesud de Beyrouth. L’une des victimes,une jeune fille de 18 ans, avait écrit

À combien de guerres pouvons-nous survivre?quelques jours auparavant sur Twitter : « Je suis en-core vivante, mais je mourrai peut-être au prochainattentat. »

J’entends cette phrase à la radio en me rendant autravail et je me pose cette question : «À combiende guerres pouvons-nous survivre ? » Après avoirgaré ma voiture, je m’engage à pied dans une ruetrès étroite qui débouche sur un labyrinthe bordé

d’habitations arborant des photos deYasser Arafat. C’est le camp de Mar-Elias qui abrite plus de 2500 réfugiéspalestiniens sur 5400 m2. Derrière unlong mur se trouve une école mater-nelle réservée à des enfants atteints dehandicaps psychomoteurs multiples.

Depuis sept ans, je dirige un atelier dethéâtre-thérapie dans ce centre de ré-habilitation. La plupart des enfantsn’ont pas l’usage de la parole, mais ilsparviennent à s’exprimer par des mou-vements et des sons. En travaillant aveceux, j’ai appris que le théâtre est un ou-til de connexion avec l’imaginaire etqu’il peut devenir un espace de déve-loppement affectif et social.

En revanche, le théâtre reste confron-té à des résistances ancestrales. Je l’aiconstaté durant la tournée de Chapitresscolaires. Cette pièce dénonce la vio-lence, l’injustice et la ségrégation in-hérentes à la logique sectaire du pays,dont l’école est un microcosme très re-présentatif. Un commentaire récur-rent des spectateurs m’a frappée : «Cespectacle présente des problèmes quiexistent ailleurs dans le pays, mais paschez nous. Ici, nous sommes tous de lamême confession, nous n’avons pas cegenre de difficultés. »

À l’issue d’une autre pièce, qui mettait en cause lesdifférentes versions de l’histoire du Liban, un ec-clésiastique nous a dit : «Ce que vous faites est trèsbien, mais ce n’est qu’une goutte d’eau dans la mer.Cela ne suffira pas à réformer notre société. » Biensûr, une personne ne va pas changer parce qu’ellea assisté à un spectacle. Cependant, nous croyonsprofondément que notre art peut contribuer à faire évoluer les mentalités, ne serait-ce qu’en réunissant des gens le temps d’une représentation.Le dialogue qui s’instaure à travers la fiction pour-rait lentement mener à un changement dans la réa-lité. ■

Lamia Abi Azar, 36 ans,

est actrice et théâtre-

thérapeute. En 2006, elle

a cofondé la compagnie

Zoukak. Cette troupe

considère le théâtre

comme une forme d’acti-

visme social et politique.

Elle le met également en

application au niveau

social, psychologique et

éducatif. Au sein de

Zoukak, Lamia Abi Azar a

développé une approche

particulière de la thérapie

par le théâtre. Elle organise

des ateliers, des sessions

de formation et des repré-

sentations dans différentes

régions du Liban, tout

en cherchant à réunir inter-

ventions sociales et

recherches artistiques.

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Présidence suisse de l’OSCELa Suisse préside cetteannée l’Organisation pourla sécurité et la coopéra-tion en Europe (OSCE).«Construire une commu-nauté de sécurité au ser-vice des individus », tel estle leitmotiv qui guide saprésidence. La Suisse meten œuvre de nombreusesmesures afin d’atteindreles objectifs qu’elle s’estfixés : promouvoir la sécu-rité et la stabilité, améliorerles conditions de vie detous et renforcer la capa-cité d’action de l’OSCE.Son action se dirige enparticulier sur l’Ukraine, les Balkans occidentaux et le Caucase du Sud. LaSuisse souhaite égalementrenforcer la voix des jeuneset leur donner plus deplace au sein des struc-tures de l’OSCE.Dossier complet du DFAE :www.dfae.admin.ch,«Actualités », «Dossiers »,«La Suisse préside l’OSCEen 2014»

( jls) En juin 2010, le sud du Kirghizstan a connu uneexplosion de violence interethnique. Les villesd’Och et de Jalal-Abab ont été les plus touchées. Du-rant ces affrontements, des gangs de jeunes nationalistes kirghizes ont attaqué les quartiers abri-tant la minorité ouzbèke. Bilan: 470 morts, majori-tairement ouzbeks, plus de 400000 personnes déplacées et 3746 maisons détruites. La police, com-posée presque exclusivement de Kirghizes, n’a paspu – ou pas voulu – intervenir pour stopper ce mas-sacre. Durant l’enquête qui a suivi, un nombre dis-proportionné d’Ouzbeks ont été arrêtés et ont subitoutes sortes d’exactions : saisies abusives, détentionsillégales, torture, rançons exigées pour la libérationdes suspects, etc. « Il y a longtemps que les gensavaient peur de la police, dont les méthodes brutaleset la corruption sont notoires. En juin 2010, le di-vorce a été consommé», note Thomas Walder, char-gé de programme à la DDC.

Regagner la confiance de la populationAprès ces événements, le gouvernement kirghize a

demandé à l’OSCE de l’aider à combler les lacunesde son appareil policier. C’est ainsi qu’a été lancéel’Initiative pour la sécurité communautaire (ISC),cofinancée par la Suisse. Son but est de former lapolice pour qu’elle soit capable d’opérer dans un en-vironnement multiethnique, qu’elle respecte lesdroits de l’homme et entretienne de meilleures re-lations avec la population. L’ISC couvre quinze districts, principalement dansle sud du pays. «En réalité, le manque de confianceà l’égard de la police est général. Une telle initia-tive ferait donc sens à l’échelle nationale», admetLaurent Guye, ex-ambassadeur de Suisse au Kir-ghizstan. «Si elle se concentre sur le sud, c’est queles problèmes y sont particulièrement aigus en rai-son des fortes tensions ethniques. »

Une police au service des citoyensDans un climat aussi tendu, le moindre incident peutprendre des dimensions dramatiques. La police de-vrait donc intervenir si possible avant que les pro-blèmes dégénèrent. Ce travail de prévention im-

Le dialogue plutôt que la matraqueLa population du Kirghizstan se méfie de la police, réputée poursa partialité, ses méthodes musclées et la corruption de sesfonctionnaires. Dans le cadre d’un projet cofinancé par la DDC,les forces de l’ordre apprennent à assurer la sécurité de toutesles communautés ethniques et à mieux respecter les droits del’homme. Peu à peu, leurs relations avec les habitants s’amé-liorent.

Au lieu de réprimer, les policiers kirghizes apprennent à être à l’écoute de la population. Ici, ils patrouillent dans un mar-ché d’Isfana en compagnie d’un conseiller international.

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Une minorité par endroits majoritaireLa minorité ouzbèke repré-sente 15 à 20% de la population totale duKirghizstan. Du fait quecette ethnie se concentredans le sud du pays, prèsde la frontière avecl’Ouzbékistan, elle est toutefois majoritaire oupresque dans certaineszones. Ainsi, la ville d’Ochcompte 49% d’Ouzbeks,celle d’Uzgen 90% et ledistrict d’Aravan 59%. Les Ouzbeks ont toujoursvécu dans ces régions. Ils ont été rattachés à laRépublique socialiste so-viétique de Kirghizie par ledécoupage arbitraire desfrontières sous l’ère stali-nienne. Les Kirghizesconsidèrent les Ouzbekscomme des citoyens deseconde zone. L’hostilitéentre les deux groupesethniques est ancienne etles accrochages fréquents.Des affrontements très violents s’étaient déjà pro-duits en 1990. Ils avaientfait plusieurs centaines demorts à Och et Uzgen.

Les «commissariats volants » se rendent dans les quartiers ou les villages où il n’y a pas de poste de police fixe. Ces bri-gades se déplacent à bord de minibus spécialement aménagés.

plique un dialogue permanent avec la communau-té. «Les gendarmes doivent changer radicalement deméthodes et de comportement. Le projet vise à leurfaire comprendre que leur rôle n’est pas uniquementde réprimer, mais qu’ils doivent être à l’écoute de lapopulation et servir de médiateurs dans les conflits »,souligne le nouvel ambassadeur René Holenstein.Pour atteindre ce but, l’ISC a pris diverses mesures.La première consiste à compléter la formation desagents. Ces derniers suivent des modules d’ensei-gnement à l’académie de police d’Och, par exemplesur les méthodes modernes d’investigation. « Jus-qu’ici, les policiers ne connaissaient pas d’autre mé-thode que le passage à tabac pour obtenir des aveux.Ils apprennent maintenant à récolter des preuves»,relève Laurent Guye. D’autres cours portent sur ladéontologie, les droits de l’homme ou encore sur leseffets de la corruption. Parallèlement, l’ISC a déployé des conseillers inter-nationaux dans les postes de police. Ces policierschevronnés, mis à disposition par d’autres pays del’OSCE, accompagnent leurs confrères kirghizesdans leurs opérations quotidiennes.

Brigades volantes dans les quartiersLes «commissariats volants» sont la principale in-novation du projet. Ils se rendent dans les quartiersou les villages éloignés où il n’y a pas de poste fixe.«Nous voulons que la police soit beaucoup plus pré-sente au sein de la communauté. Elle doit aller à la rencontre de la population», explique René Holenstein. Ces brigades mobiles se composent

d’un ou deux policiers kirghizes et d’un conseillerinternational. Elles se déplacent à bord de minibuséquipés d’un ordinateur, d’une table rabattable et dequelques chaises. Les agents peuvent ainsi enregis-trer les plaintes et répondre aux sollicitations de lapopulation. Ils font également des patrouilles à piedet discutent avec les habitants. Ces échanges leur per-mettent d’identifier les problèmes pouvant consti-tuer une source d’insécurité. Une collaboration étroite s’est établie avec les asso-ciations de quartiers. La police aide ces structures àtrouver des solutions aux problèmes qui surviennentau quotidien dans la communauté. Elle n’intervientdirectement que si les conflits ne peuvent pas êtregérés par les associations.

Rencontres avec les jeunesL’ISC réalise également des campagnes publiquesd’information et de sensibilisation, par exemple surla violence domestique. Elle organise par ailleurs desateliers ou des réunions dans les écoles, afin de pré-venir la délinquance juvénile. Des inspecteurs spé-cialisés y abordent des thèmes qui concernent lesélèves, comme le harcèlement scolaire, le racket, oules risques liés à l’alcool et à la drogue. Selon une évaluation réalisée en 2012, le projet donne de bons résultats. Les policiers se montrentplus ouverts et accessibles. «Les gens reprennent peuà peu confiance», note Laurent Guye. « Ils com-mencent à percevoir les gendarmes comme une force bénéfique et non plus comme des vautours qui viennent leur extorquer de l’argent. » ■

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Le cacao ou l’espoir d’un nouveau départ au Honduras Le chocolat est plus apprécié que jamais. Depuis quelque temps,la demande de fèves de cacao dépasse l’offre à l’échelle mon-diale. C’est une chance pour les planteurs, à condition qu’ilssoient en mesure de commercialiser leur précieuse matièrepremière. Au Honduras, la DDC soutient un projet original quigarantit aux paysans pauvres un revenu de base, tout en propo-sant aux consommateurs suisses un chocolat de haute qualité.

(gn) Tester des fèves de cacao, c’est solliciter l’œil etle nez aussi bien que le palais. Luis Regalado les coupe l’une après l’autre pour donner à ses visiteursune idée des énormes variations gustatives aux-quelles est confrontée son entreprise. Il dirige la société Chocolats Halba Honduras, exportatricede cacao destiné à la production de chocolat noiren Suisse. La qualité des fèves récoltées laisse sou-vent à désirer. De plus, la production est loin de pouvoir satisfaire quantitativement la demande dufabricant suisse Chocolats Halba qui appartient augrand distributeur Coop.Luis Regalado résume ainsi les défis qu’il doit relever : «Nous devons améliorer la qualité de nos livraisons, en augmenter considérablement le vo-lume et stabiliser notre entreprise. » Depuis 2013,Coop propose en effet son propre chocolat équi-table, fabriqué avec du cacao biologique du Hon-duras. Elle a besoin pour cela d’une grande quan-tité de fèves haut de gamme. Actuellement, Cho-colats Halba Honduras n’est à même de fournir que 50 tonnes par an de cacao certifié «bio».

La demande exploseLe Honduras est connu pour la finesse de ses va-riétés traditionnelles de cacao. Cependant, la plu-part de ses plantations ont été détruites en 1998 parl’ouragan Mitch et sont restées en friche depuis lors.Étant donné la chute des prix et la concurrence in-ternationale, plus personne ne s’intéressait à cetteculture. Mais depuis que les Chinois ont découvertle goût du chocolat il y a quelques années, la de-mande de cacao a littéralement explosé.Christoph Inauen fait partie de ceux qui ont re-lancé les exportations honduriennes. Responsabledu secteur Durabilité et achat de cacao pour Cho-colats Halba, il cherchait le moyen de s’approvi-sionner directement chez les producteurs plutôtqu’auprès d’intermédiaires ou dans les Bourses ducacao, comme il est d’usage dans ce commerce. C’estau Honduras qu’il l’a trouvé. Une partie du cacao que l’entreprise transforme en chocolat dans sa fabrique de Wallisellen (ZH)vient de collines difficilement accessibles dans lenord du Honduras, près de la ville portuaire

Le prix du cacao s’envoleIl faut à un cacaoyer quatreà cinq ans pour donnerdes fruits. Chacun d’euxpèse environ 500 gram-mes et contient 25 à 50fèves. Au cours des dixjours de fermentation quisuivent la récolte, celles-cidéveloppent leurs subs-tances gustatives et aro-matiques ainsi que leurcouleur typique. Ensuite,les fèves sont séchées. Ceprocessus revêt une im-portance décisive pour laqualité et le prix du cacao.La Côte d’Ivoire, le Ghanaet l’Indonésie sont de nosjours les principaux paysproducteurs. Les prix decette matière première at-teignent actuellement desniveaux inégalés sur lesmarchés, car la productionne parvient pas à satisfairela demande mondiale.Selon des analystes, celle-ci s’élève à 7,3 millions de tonnes pour 2014, unrecord absolu.

Les producteurs cultivent les plants de cacao dans des pépinières. Ils commenceront de récolter des fruits après quatre ou cinq ans.

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d’Omoa. Les habitants y vivent dans des condi-tions très modestes. Sur de petits lopins de terre, ilscultivent des bananes, du maïs et des légumes pourleur propre consommation, ainsi que du cacaodestiné à la vente. Quelques kilos de fèves consti-tuent souvent leur seule source de revenu.

Cultiver du cacao à la place de café«Le cacao est une plante noble qui exige des soinsattentifs », explique Lenor Gomez. Elle est membrede la coopérative San Fernando fondée en 2007 pardes petits paysans pour contourner les intermé-diaires, améliorer la qualité du cacao et obtenir ain-si de meilleurs prix. Le succès est au rendez-vous,même si les planteurs restent confrontés à certainesdifficultés : des pertes de qualité surviennent en-core, par temps humide notamment, en dépit del’installation de séchage et de fermentation qui a été financée par Chocolats Halba.Malgré tout, les agriculteurs restent confiants, sur-tout grâce à la collaboration avec la firme suisse quiachète leur récolte à un prix équitable. «Le cacao,c’est du solide. Nous avons un avenir dans ce sec-teur. Il n’y a pas de travail en ville pour les jeunes »,remarque Denis Oviel, 27 ans.La culture de cacao suscite beaucoup d’intérêt. Denombreuses coopératives se sont créées ces derniè-res années. Des organisations existantes pénètrentégalement sur ce secteur. C’est le cas de Coagricsal.Cette coopérative, qui s’occupait jusque-là exclu-sivement de café, a étendu ses activités au cacao. Lesprix du café se sont effondrés et des maladiesmenacent les plantations. Les paysans sont ainsi tou-jours plus nombreux à planter des cacaoyers en

combinaison avec des bananes et des légumes pourleur propre consommation, ainsi que des bois pré-cieux comme investissements à long terme.

Production durable et socialeChocolats Halba travaille aujourd’hui avec unevingtaine de coopératives. Son succès comportetoutefois quelques bémols. Au départ, on pensaitque le volume de production des petits paysans hon-duriens totaliserait rapidement 500 à 1000 tonnes.«Nous nous sommes tous fait une idée un peu sché-matique de la question», avoue Christoph Inauen. Les investissements à consentir sont considérables:après des années de léthargie dans ce secteur auHonduras, seul un gros travail de formation, de re-cherche et de développement permettra de relan-cer la production et la commercialisation du cacao.Il s’agit de créer toute une filière, depuis la se-mence jusqu’au produit prêt à être exporté.C’est pourquoi l’on a constitué un consortium quiréunit, aux côtés du chocolatier suisse, les organi-sations de producteurs ainsi que des partenaires is-sus de la recherche et de la formation. La DDC sou-tient cette initiative, qui recèle à ses yeux un im-portant potentiel de réduction de la pauvreté. Unpremier atelier commun, tenu en avril dernier, adonné l’élan initial à ce projet de production de ca-cao durable et social. «Les participants ont biencompris qu’un tel projet exige des parties prenan-tes un engagement de longue haleine. Il faudrapeut-être vingt ans pour obtenir des résultats vrai-ment probants », prévoit Christoph Inauen. ■

(De l’allemand)

Un secteur qui a del’avenirEn Amérique centrale, onne plante presque plus decacao, alors que le poten-tiel est immense. La DDCsoutient le développementde ce secteur au Nicaraguaet au Honduras, ses payspartenaires, parce quecette culture offre des pers-pectives et des revenus in-téressants pour les petitspaysans. Elle consacre àce projet 17 millions defrancs pour la période2014-2017. Au Honduras,la DDC renforce quatorzecoopératives, en soutenantpar exemple l’achat de se-mences de qualité, ainsique des améliorationstechniques et organisa-tionnelles au niveau de laproduction, de la transfor-mation et de la commer-cialisation. Elle incite enoutre les pouvoirs publicsà promouvoir la productionde cacao. Une collabora-tion avec le secteur privédoit en outre garantir auxplanteurs des contrats delongue durée et des prixéquitables.

Carmen Alvarado, cheffe de projet de la DDC, interroge Luis Regalado sur les défis liés au marché du cacao.

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Manuel Sager à la tête de la DDCManuel Sager, actuel ambassadeur deSuisse aux États-Unis, sera le nouveaudirecteur de la DDC à partir du 1er no-vembre prochain. Le Conseil fédéral l’a nommé à ce poste début avril, enremplacement de Martin Dahinden quireprend, pour sa part, le poste de chefde mission à Washington.

Né à Menziken (AG) en 1955, Manuel Sager a fait des études dedroit et travaillé comme avocat associé aux États-Unis, avant derejoindre le service diplomatique en 1988. Après un stage àBerne et à Athènes, il a travaillé en qualité de collaborateur diplo-matique à la Direction du droit international public (DDIP), où il arepris la direction de la section Droit international humanitaire en1993. Manuel Sager a ensuite exercé la fonction de consul géné-ral adjoint à New York, puis celle de responsable de la communi-cation à l’ambassade de Suisse à Washington. De retour enSuisse, il a dirigé le service Coordination droit international huma-nitaire de la DDIP avant de devenir en 2003 responsable de l’in-formation au Département fédéral de l’économie. Deux ans plustard, il a été nommé ambassadeur et directeur exécutif auprès de la Banque européenne pour la reconstruction et le développe-ment (BERD). Avant de prendre ses fonctions actuelles d’ambas-sadeur de Suisse à Washington, il était chargé, en sa qualité dechef de la Division politique V, de la coordination des politiquesextérieures sectorielles de la Direction politique du DFAE à Berne.Manuel Sager dispose d’une vaste expérience ainsi que d’un ex-cellent réseau de relations dans les sphères internationales, fi-nancières et économiques. Grâce notamment à ses quatre an-nées d’activité au sein de la BERD, il connaît également très bienles enjeux du développement. Par ailleurs, il est parfaitement aufait des questions de politique intérieure.

Plus de Suisses dans lesagences onusiennes( jah) Assurer la présence depersonnel suisse dans les or-ganisations multilatérales estun moyen efficace pour notrepays d’augmenter son influ-ence sur ces organisations etd’intensifier son dialogue poli-tique avec elles. Actuellement,la Suisse est particulièrementsous-représentée au sein desfonds et des programmes de l’ONU spécialisés dans le développement ou l’aide hu-manitaire, comme le Pro-gramme des Nations Uniespour le développement ou leProgramme alimentaire mon-

dial. La DDC s’attache à pro-mouvoir une présence accruede collaborateurs helvétiquesdans de tels organes qui sontprioritaires pour sa coopéra-tion. Elle finance l’engage-ment de jeunes profession-nels, en leur offrant ainsi lapossibilité d’entamer une car-rière dans l’une ou l’autre deces agences onusiennes. Durée du projet : 2014– 2019Volume : 8,8 millions CHF

Soutien à la psychiatrie enMoldavie(mpe) La Moldavie s’est dotéede stratégies détaillées visant à réformer le système de santémentale. En réponse à la fermevolonté politique affichée par le gouvernement dans ce do-maine, la DDC a décidé desoutenir la mise en œuvre depolitiques inspirées et soute-nues par l’Organisation mon-diale de la santé. Engagéedans le secteur de la santé enMoldavie depuis 2005, elle dis-pose de nombreux atouts pourmener à bien une telle tâche etcontribuer à l’amélioration desconditions déplorables régnantdans le secteur de la psychia-trie. La DDC peut égalementbaser son intervention sur lesexpériences qu’elle a faites enla matière dans d’autres paysen transition, comme la Bosnieet Herzégovine.Durée du projet : 2013– 2015Volume: 16 millions CHF

Protection de l’enfance au Mali(ung) La protection des civilsdans le nord du Mali reste unepréoccupation humanitairemajeure. Nombre d’enfants ontété affectés par le conflit de2012. Ils ont été les témoins,voire les victimes, d’actesd’une extrême violence. Leurcas illustre bien la vulnérabilitédes populations dans cette ré-gion et le traumatisme qu’ellesont subi. L’Aide humanitaire dela Confédération soutient unprogramme d’appui psycho-social en faveur de quelque4400 jeunes qui ont vécu desexpériences douloureuses.L’objectif est de leur permettrede retrouver une vie normale etde reprendre leur scolarité. Descomités de protection de l’en-fance sont mis en place dans

DDC interne

les écoles. Des espaces récréatifs accueillent les enfants et leur offrent un appui psychosocial.Durée du projet : 2013– 2014Volume: 0,2 million CHF

Gouvernance foncière dansla région du Mékong(gruju) Depuis quelques an-nées, la gouvernance foncièrese retrouve au cœur des défisassociés au développement du Cambodge, du Laos, duMyanmar et du Vietnam. Lecontrôle des terres représented’énormes enjeux économi-ques: de grandes surfacessont enlevées à l’agriculture familiale et attribuées aux in-vestisseurs. Les petits produc-teurs perdent ainsi non seule-ment leurs terres, mais aussil’accès aux forêts, aux pâtu-rages et à la pêche. Ce phéno-mène a pour conséquence directe l’augmentation de lapauvreté et de l’insécurité alimentaire. Dans ce contexte,la DDC soutient les acteurs quimettent en œuvre la réformede la gestion foncière. Elle fa-vorise le partage du savoir, lacréation d’alliances et la co-opération transfrontalière, afinde faciliter l’émergence de po-litiques et de pratiques plusappropriées.Durée du projet : 2014– 2021Volume: 16 millions CHF

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Environ un huitième des habitants de la planètesouffrent de la faim. Plus de la moitié d’entre euxsont de petits paysans, comme le montrent les en-quêtes de la Banque mondiale et du Fonds inter-national de développement agricole (FIDA). Il estparadoxal que la malnutrition soit aussi répanduejustement parmi les agriculteurs. Ce qui laisse son-geur également, c’est de savoir que les denrées ali-mentaires produites dans le monde suffisent enprincipe à nourrir l’humanité entière. Mais il estbien connu que le diable se cache dans les détails :de nombreux mécanismes favorisent la mauvaiserépartition de la nourriture et accroissent le pro-blème de la faim.Markus Bürli, responsable suppléant du Program-me global Sécurité alimentaire de la DDC, citedeux exemples : «À la période des récoltes, les pay-sans ont en principe de quoi manger, mais ils ontaussi besoin d’argent pour acheter d’autres choses.

De plus, beaucoup ne disposent pas de moyensd’entreposage adéquats pour préserver leurs mar-chandises des souris et de la moisissure. Ils doiventdonc en vendre une partie. » Peu avant la récoltesuivante, ils sont souvent contraints d’acheter desdenrées alimentaires. Étant donné que la demandeest forte à cette période, les prix montent et attei-gnent des niveaux qui dépassent les moyens debeaucoup de paysans. Conséquence : ceux-ci nepeuvent plus se nourrir. Selon Markus Bürli, le faible pouvoir d’achat d’unepopulation peut également s’avérer fatal : «Le Nigerexporte des céréales, alors que la famine menacenombre de ses habitants. Une partie des récoltesprennent la route du Nigeria voisin, où l’argent estplus abondant. »

Les petits paysans, synonymes d’espoirDurant la crise alimentaire mondiale de 2007 et

Au Mali, au Kenya et en Éthiopie, la DDC s’engage en faveur d’une politique agricole durable qui considère les petits paysans comme un pilier de la sécurité alimentaire.

Un demi-milliard de petits paysansLa petite agriculture est leplus souvent familiale. Lesexploitations regroupentparfois plusieurs ménageset leur taille varie beau-coup d’un pays à l’autre.Selon la FAO, les pays endéveloppement totalisentenviron 500 millions de petites exploitations, dont85% sont inférieures à2 hectares. La Chine, à elle seule, en compte200 millions. Ces dernièresne couvrent que 10% desterres agricoles disponiblessur la planète, mais ellesproduisent 20% des den-rées alimentaires consom-mées dans le monde.C’est la preuve que petitepaysannerie et productivitéélevée n’ont rien d’antino-mique.

Le ventre vide, ils nourrissent le mondePlus de la moitié des personnes qui souffrent de malnutritiondans le monde travaillent dans des exploitations agricoles fa-miliales. Or, selon des rapports d’experts, les petits paysansjouent précisément un rôle crucial dans la lutte contre la faim.L’ONU a proclamé 2014 Année internationale de l’agriculture familiale afin d’améliorer le sort de ces cultivateurs. De MirellaWepf.

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2008, les prix du maïs, du blé et du soja ont dou-blé en l’espace de quelques mois. Ceux du riz ontmême triplé. Depuis lors, la politique internatio-nale s’intéresse à nouveau à l’agriculture familiale.Le rapport sur la situation mondiale de l’alimen-tation et de l’agriculture en 2008 a fait sensation,car il attribue aux petits paysans un rôle central dansl’éradication de la faim. Les États-Unis et plusieursautres pays ont cependant refusé de le signer, tan-dis que des entreprises agroalimentaires, tellesMonsanto et Syngenta, ont rapidement renoncé à participer aux travaux. «Nombre des résultats quiy sont présentés continuent néanmoins d’alimen-ter la politique internationale », relève Markus Bürli. Le document a notamment inspiré le Co-mité de la sécurité alimentaire mondiale (CSA).Dans un rapport d’experts publié en juin 2013, cetorganisme onusien plaide clairement pour que l’oninvestisse davantage dans la petite agriculture. Uneidée que la DDC et des ONG, comme Swissaidou Helvetas Swiss Intercooperation, soutiennentdepuis longtemps.Selon les auteurs du rapport, les petits paysans sontun facteur clé de la lutte contre la faim. En outre,on ne doit pas sous-estimer l’importance de leurréseau social, car ce sont en majorité des exploita-tions familiales. Les petits paysans pourraient éga-lement assumer d’importantes fonctions au profitde la nature. Ce point de vue transparaît dans leslogan de l’ONU pour l’Année de l’agriculture fa-miliale : «Nourrir le monde, soigner la planète. »

Un changement en douceurLe CSA invite les gouvernements à investir da-vantage dans le secteur agricole et à élaborer desstratégies adaptées au contexte national, afin desoutenir les petits paysans : promouvoir de meil-leures méthodes de production, mais aussi garan-tir la propriété foncière, des relations commercialeséquitables et des subventions qui ne désavantagentpas l’agriculture familiale. Le comité suisse de l’an-née internationale de l’ONU préconise égalementun tel changement : « Il importe de renforcer la po-sition des petits paysans sur les marchés régionauxet internationaux. »À moyen terme, le CSA recommande d’encoura-ger une évolution structurelle durable des terresagricoles. C’est aussi l’objectif que poursuivent lesprojets de la DDC: «Nous soutenons une trans-formation en douceur de la petite agriculture », in-dique Markus Bürli. Dans les zones rurales des paysen développement, il importe de créer des emploisdans d’autres secteurs, afin de permettre à tous degagner leur vie. « Il faut trouver des solutions pouréviter que champs et pâturages soient toujours plusmorcelés par les successions. »Cet agronome ne rejette pas en bloc l’agricultureindustrialisée : «Les exploitations de grande enver-gure peuvent fonctionner parfaitement, même surle plan social. » Toutefois, il n’est guère possible deremplacer du jour au lendemain une agriculturefamiliale par un système à grande échelle sans pro-voquer des dégâts au niveau humain. «Le change-

En Asie, les exploitations familiales cultivent du riz sur une surface totale de 15 millions d’hectares.

Géographie de la faimDans son dernier rapportsur le sujet, la Banquemondiale constate que lapauvreté extrême reculepeu à peu, mais que plusd’un milliard d’êtres hu-mains continuent de vivreavec moins de 1,25 dollarpar jour. Cela correspondapproximativement aunombre de personnessous-alimentées dans lemonde. Selon les indica-tions du Programme ali-mentaire mondial, plus dela moitié d’entre elles vi-vent dans la région Asie-Pacifique et un quart enAfrique. La faim est aussiprésente aux États-Unis,où l’alimentation de plu-sieurs millions d’habitantsn’est pas garantie.www.wfp.org

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La Bolivie est l’un des pays du monde où la biodiversité est la plus riche. Par leur travail, les petits paysans contribuentà la préserver.

ment doit s’opérer lentement. Il faut des filets desécurité sociale et des emplois à même d’assurer lasubsistance de la population. »De l’avis de Markus Bürli, le Brésil est l’exempled’une cohabitation réussie entre agriculture in-dustrialisée et petite paysannerie. Le programmeFaim Zéro, lancé en 2003 par le président Lula daSilva, «a certes essuyé de nombreuses critiques, maiscertaines de ses stratégies sont suivies avec grandintérêt au niveau international ». Par exemple, legouvernement a ouvert dans plusieurs villes descantines scolaires et des réfectoires publics pour lespersonnes à bas revenus. Ces institutions s’appro-visionnent auprès de petits agriculteurs, à qui ellesassurent une existence décente en leur garantissantdes débouchés à un prix équitable. Associer les in-térêts des paysans avec des tâches de l’État, tellel’éducation publique, est l’une des raisons du suc-cès de Faim Zéro.

Féminisation de l’agricultureDepuis peu, la politique agricole internationale ac-corde une grande attention aux femmes. Dans lesannées 70, des sociologues ont fait état pour la pre-mière fois d’une « féminisation de l’agriculture »dans divers pays européens. Le phénomène a au-jourd’hui pris une ampleur mondiale et diversesétudes confirment que les femmes assument tou-jours plus de responsabilités dans le secteur agri-cole.Les chiffres révèlent aussi que l’égalité des droits

n’a pas évolué au même rythme. Selon l’Organi-sation des Nations Unies pour l’alimentation etl’agriculture (FAO), les femmes représentent enmoyenne 43% de la main-d’œuvre agricole dansles pays en développement, mais seulement 20% despropriétaires fonciers. En Afrique du Nord et enAsie de l’Ouest, cette proportion est inférieure à5%; en Afrique subsaharienne, elle avoisine 15%.C’est en Amérique latine que les femmes proprié-taires sont les plus nombreuses : leur part dépasse25% au Chili, en Équateur et au Panama.Des barrières culturelles et légales empêchent sou-vent les femmes de posséder des terres, des ma-chines ou du bétail. Il leur est impossible d’ouvrirleur propre compte-épargne ou d’obtenir un cré-dit. Leur participation politique est limitée, demême que leur accès à la formation.La FAO considère que les femmes occupent uneplace centrale dans l’agriculture. Dans les pays endéveloppement, elles assurent aujourd’hui déjàentre 60 et 80% de la production alimentaire, et l’onsuppose qu’elles pourraient accroître leur rende-ment de 20 à 30% si l’égalité des droits leur étaitacquise. Une telle hausse réduirait de 12 à 17% lenombre des personnes souffrant de la faim. Lacroissance démographique – la population mon-diale devrait passer de 7 à 9,6 milliards d’habitantsd’ici 2050 – accroît le potentiel des femmes. ■

(De l’allemand)

Conférence nationale à GrangeneuveÀ l’occasion de l’Année in-ternationale de l’agriculturefamiliale, des comités sesont créés dans quatre-vingts pays pour faireconnaître les perspectivesd’avenir des exploitationsfamiliales – en tenantcompte de leur contextenational. Le comité suisseréunit notamment l’Unionsuisse des paysans,Helvetas Swiss Interco-operation et Swissaid. LaDDC participe aux travauxà titre de conseillère. Lesactivités de l’année culmi-neront le 27 juin : uneconférence nationale setiendra à Grangeneuve(FR), avec la participationde nombreux orateursétrangers. www.familyfarming.chwww.familyfarming-campaign.net

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Entouré de ses aides, le vieil éle-veur se tenait près du portail del’enclos. On allait commencerde compter le troupeau. Unebergère avertit alors les plusjeunes : «Que ceux qui ne parti-cipent pas au comptage restent à l’écart ! Les moutons peuventsauter à plus d’un mètre. Il ar-rive que l’un d’eux s’emballe etc’est la débandade. Alors, s’ilvous plaît, pensez à protéger vosyeux, vos nez et vos dents ! »Pour pouvoir inventorier lesbêtes, il fallait les faire passer uneà une par le portail. Le vieillarddevait s’arc-bouter de tout sonpoids contre le battant pour lescontenir. «Les moutons sont gavés d’herbe, ils ont beaucoupde force », affirmait-il fièrement.

Une fois le travail terminé, ils’installait dans sa yourte avecson abaque, un boulier tradi-tionnel. À le regarder, on avaitpresque l’impression qu’il avaitpassé la moitié de sa vie avec cetinstrument entre les mains. Toutjeune déjà, il savait s’en serviravec dextérité. Il déplaçait à

La danse des doigts sur l’abaque

Gangaamaa PurevdorjDelgeriinkhen vit à Erdenet, ladeuxième ville de Mongolie.Dixième de douze enfants, elleest née en 1967 dans le districtde Saikhan. Elle a passé leshuit premières années de sa viedans la yourte de ses parents,des éleveurs nomades. Aprèssa scolarité, elle est partie pourl’Allemagne. Elle a étudié lessciences politiques et l’allemandà l’Université technique deDresde, puis l’ethnologie comparative à l’Université de Ratisbonne. GangaamaaPurevdorj a déjà écrit plusieurslivres (non traduits en français),dont le plus récent est intituléDer gute Dieb. Elle tient desconférences et des lecturesdans l’espace germanophone.

toute vitesse les boules, qui sem-blaient s’associer et se fuir en unballet ininterrompu. Une grapped’enfants étaient même venusassister au spectacle : les plus petits agenouillés devant le pa-triarche et les plus grands obser-vant par-dessus son épaule, tousétaient fascinés par la danse queses doigts exécutaient surl’abaque.

De temps à autre, le vieux ber-ger posait son regard concentré,mais légèrement voilé, sur lesjeunes spectateurs. Ou alors illevait les yeux vers le ciel, à tra-vers l’ouverture couronnant letoit de sa yourte. Ce faisant, ilressentait la «musique » escomp-tée, celle des jeunes moutons.Ses mains poursuivaient alorsleur danse sur l’abaque. Chaquetoucher précis du bout de sesdoigts tirait de l’instrument unesorte de chant. Cela ressemblaitau bruit d’un vaste troupeau enmarche : on percevait parfaite-ment aussi bien le bêlement desagneaux que le ruminement desbrebis. Puis on entendait à nou-

veau la vie des animaux dans lespâturages, beaucoup plus variéeet plus vaste que ce que l’onpeut embrasser du regard.

Le berger s’arrêta d’un seulcoup et l’abaque cessa de chan-ter. Le résultat était connu. Àl’instar de roues dentées quis’engrènent parfaitement, lescomptages et les calculs du mil-lier de bêtes étaient corrects etcorrespondaient aux valeurs planifiées. Nul ne doutait del’exactitude des comptes effec-tués par le vieil homme. Ni lesenfants ni les adultes qui avaientassisté avec curiosité à son spec-tacle n’avaient pu suivre ses opé-rations. Au lieu de leur expliquercomment il parvenait à travailleravec une telle précision, il leurdonna un conseil pour la vie :«Vous devez vous connaître, mesurer votre valeur, vous faireconfiance. Il n’est alors plus nécessaire de tout dire, il suffitde montrer. »

Les enfants qui assistaient alors,fascinés, à ces calculs sont au- jourd’hui des adultes. Parmi eux,

une femme aime à se souvenirdu vieil éleveur et de la folle fa-randole des petites boules ani-mées par ses doigts agiles. Car il y a longtemps, en tout cas depuis les premiers signes d’ou-verture du pays à l’économie demarché, que les éleveurs ont re-légué l’abaque au fond de leursbahuts, comme s’ils en avaienthonte. La plupart des jeunes nesavent plus ou ne veulent plusexécuter sa danse. D’aucuns s’enservent encore çà et là sur le mar-ché noir. Il apparaît comme levestige d’une époque révolue. ■

(De l’allemand)

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CULTURE

Un seul monde : Qu’est-ce qui vous a amené à créer unfestival de cinéma africain àBerlin en 2007?Alex Moussa Sawadogo: Ils’agissait d’abord de comblerune lacune : Berlin était alors laseule grande ville d’Europe à nepas disposer d’un tel festival.D’autre part, je voulais donneraux Allemands une autre imagede l’Afrique que celle, souventnégative, transmise par les mé-dias. L’Afrique avance à sonrythme, en faisant preuve debeaucoup de dynamisme et decréativité. Les spectateurs sontcurieux de savoir comment elleévolue sur le plan culturel. Entant que Burkinabè établi enAllemagne, il est de mon devoirde répondre à ces attentes. Je te-nais à créer un pont entre lesdeux continents. Dès le début, lepublic et les partenaires finan-ciers ont été au rendez-vous. Lesuccès d’Afrikamera m’a encou-ragé à créer un autre festival, dé-

dié à la danse contemporaineafricaine.

Outre la gestion de ces deuxfestivals, vous êtes consultantpour le Festival du film deLocarno. Comment faites-vous pour suivre la produc-tion du continent ?Le seul moyen est d’aller surplace, de rencontrer les réalisa-teurs et les chorégraphes, et devoir ce qu’ils créent. Je voyagedonc énormément. Je participe àde nombreux festivals et autresévénements culturels en Afrique.Au retour, ma valise est généra-lement remplie de DVD, car jevisionne entre 1000 et 2000films par an. Récemment, celam’a d’ailleurs valu d’être retenuplusieurs heures à l’aéroport deMaputo : les douaniers mozam-bicains me prenaient pour untrafiquant !

Quel est votre diagnostic surle cinéma africain? On le dit

en déclin, voire moribond.Il n’est pas aussi moribond quecela. La nouvelle génération decinéastes fait de bonnes choses,mais sa production reste large-ment ignorée. Un film n’existepas aussi longtemps qu’un grandfestival ne l’a pas projeté. Or, les jeunes réalisateurs inconnusn’ont pratiquement aucunechance d’entrer dans ce circuit.C’est pourquoi beaucoup defilms naissent et meurent aussi-tôt. Malgré tout, certains réussis-sent à faire une carrière interna-tionale. C’est le cas par exempled’Atalaku, réalisé par DieudoHamadi, un Congolais âgé de 30 ans. Afrikamera a été l’un des tout premiers festivals à leprojeter. De son côté, EspoirVoyage du Burkinabè Michel K.Zongo a eu la chance d’être sélectionné par la Berlinale. Jepense aussi à Viva Riva, le pre-mier long métrage du CongolaisDjo Tunda Wa Munga, qui adéjà reçu plusieurs prix. Ce sont

Alex Moussa Sawadogo, âgéde 39 ans, est né et a grandien Côte d’Ivoire, dans une fa-mille de migrants burkinabè.À 18 ans, il revient au BurkinaFaso pour y passer son bacca-lauréat. Ensuite, il étudie l’his-toire de l’art à l’Université deOuagadougou, en se spéciali-sant sur la danse et le cinéma.Parallèlement, il mène déjà diverses activités dans le domaine culturel. En 2004, M. Sawadogo part pour l’Alle-magne afin de compléter saformation. Il obtient un masterprofessionnel en managementculturel. En 2007, il fonde lefestival Afrikamera à Berlin,puis en 2011 un festival dedanse contemporaine africaine,qui a lieu tous les deux ans.

Des films qui naissent et meurent aussitôtLes jeunes cinéastes africains sont très prolifiques, mais ils peinent à percer sur la scène internationale. Dans un tel foisonnement de films, il est difficile derepérer les chefs-d’œuvre. Le Burkinabè Alex Moussa Sawadogo, directeur dufestival Afrikamera à Berlin, sillonne le continent à la recherche de ces pépites.Entretien avec Jane-Lise Schneeberger.

Après avoir été présenté à la Berlinale, le film «Espoir Voyage » du Burkinabè Michel K. Zongo a connu une carrière internationale.

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abondante que maintenant. Onpouvait facilement avoir une vue d’ensemble. Et puis, les filmsétaient presque entièrement financés par l’Europe, étant donnéque le tournage en 35 mmcoûtait très cher. Les milieux européens du cinéma étaientdonc toujours au courant de cequi se faisait en Afrique. Avecl’émergence des caméras numé-riques, la production a explosé.Aujourd’hui, les jeunes n’atten-dent plus de trouver un produc-teur européen. Ils prennent leurcaméscope et vont sur le terrain.Ensuite, beaucoup font le mon-tage eux-mêmes sur un ordina-teur. Certes, la qualité est sou-vent discutable. Il faut prendre letemps de trier le bon grain del’ivraie. Mais quel festival est prêtà visionner 800 films éthiopiensou nigérians pour en inscriredeux ou trois à son programme?

La technologie numériquea-t-elle donc levé l’obstacle

du financement qui pesaitsur les générations précé-dentes ?Non, le financement reste unproblème. Les cinéastes ont be-soin d’argent pour faire des filmsde meilleure qualité. Obtenir unappui financier relève toutefoisdu parcours du combattant. Laplupart des fonds de soutien

posent une multitude de condi-tions, exigeant des droits de pro-duction, des justificatifs ban-caires, etc. Il faudrait presqueengager un expert-comptablepour confectionner un dossier !À cet égard, Open Doors, le laboratoire de coproduction mis en place par le Festival deLocarno, constitue une excep-tion. La procédure de postula-tion est très simple : le candidatremplit un questionnaire qui setrouve sur le site du festival etenvoie par courriel des informa-tions sur son projet de film. Toutse fait via Internet, un médiatrès apprécié par les jeunes. Pour l’édition 2012, qui étaitconsacrée à l’Afrique occiden-tale, nous avons reçu près de 300 dossiers. Grâce aux copro-ducteurs qu’ils ont rencontrés àLocarno ou aux prix qu’ils ontreçus, au moins quatre jeunes cinéastes pourront réaliser leursfilms. L’un d’eux a déjà terminéle tournage.

des pépites comme celles-là queje recherche.

Néanmoins, les chefs-d’œuvre sont rares aujour-d’hui, si on compare avec lesannées 80 et 90. À quoi estdue cette éclipse ?À l’époque, la production africaine était beaucoup moins

Comment feront-ils ensuitepour les montrer au publiclocal, vu que les salles de cinéma disparaissent sur lecontinent ?Ce n’est pas parce que les sallesferment que les Africains ne regardent plus de films. Il fautévoluer avec son temps et re-penser la notion de salle de

Le film «Viva Riva» du Congolais Djo Tunda Wa Munga a reçu plusieurs prix.

cinéma en rapport avec les habi-tudes contemporaines. Les nou-velles technologies fournissentdes solutions de remplacement.De nouveaux concepts de pro-jection collective sont égalementapparus. S’ils peuvent se procu-rer un vidéoprojecteur, un ordi-nateur portable et des enceintes,les gens improvisent des lieux de

projection dans les quartiers oucréent des vidéoclubs. La qua-lité n’est pas exactement celled’une salle de cinéma classique,mais l’essentiel, c’est que le pu-blic puisse voir ces films. ■

Soutien aux cinéastes du Sud et de l’EstDepuis 2003, le Festival du film de Locarno soutient les ci-néastes originaires de pays où les possibilités de financementsont très limitées. La section Open Doors, créée en partenariatavec la DDC, se consacre chaque année à une région différentedu Sud ou de l’Est. Quelques mois avant le festival, les réalisa-teurs peuvent présenter un projet de film. Open Doors sélec-tionne douze candidats et les invite à un atelier de coproductiondurant la manifestation. Les lauréats sont alors mis en relationavec des partenaires internationaux susceptibles de financer leurfilm. Les meilleurs dossiers reçoivent en outre un prix. Parallèle-ment à cette compétition, Open Doors projette des films prove-nant de la région choisie. Pour l’édition 2014, qui aura lieu du 9 au 12 août, les projecteurs seront braqués sur l’Afrique sub-saharienne anglophone et lusophone. www.opendoors.pardo.ch

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Service

culture apte à affronter l’aveniret sur des formes plus durablesde production alimentaire.Nils Aguilar : «Cultures en transi-tion », France/Allemagne 2012 ; informations : éducation21/Filmspour un seul monde, www.filmeeinewelt.chtél. 031 321 00 30

Électricité gratuite pour tous(bf ) Tout le monde l’appelleSvet-Ake (Monsieur Lumière). Il est électricien dans un petitvillage kirghize, mais son rôleauprès de ceux qui l’entourentdépasse largement l’exercice deson métier. Les gens font appel àlui pour résoudre les problèmesles plus divers, du simple court-circuit à la panne dans lescontacts sociaux. Svet-Ake esttoujours prêt à rendre service,quitte à contourner la loi. Il trafique parfois des compteursélectriques pour que les usagers

Blues malgache(er) Douce et profonde, sa voixau timbre légèrement éraillé nelaisse personne indifférent. Néeen 1958 à Madagascar dans unefamille de musiciens, Lala Njavaa baigné dans la musique dès sonenfance. Très jeune, elle a com-mencé de chanter avec ses qua-torze frères et sœurs. Plus tard, legroupe familial, nommé Njava, aremporté un succès remarquableen Europe. La chanteuse, qui vitdepuis bientôt trente ans enBelgique, a sorti l’an dernier unpremier album solo, qu’elle aenregistré avec trois de ses frères :

Dozzy à la guitare, Maximin à la basse et Pata aux percussionscréent des paysages musicauxdépouillés, sur lesquels leur cé-lèbre compatriote Régis Gizavopose çà et là de subtiles touchesd’accordéon. Ces chansons délicates sont en harmonie avecl’antsa, la musique traditionnelledes chamanes de Madagascar,qui avait pour fonction de susci-ter la transe. Les textes poé-tiques, mais aussi critiques et en-gagés, racontent les conditionsde vie difficiles sur la GrandeÎle. Lala Njava a décidé deconsacrer une partie des recettesdu CD au financement d’unprojet de reboisement àMadagascar.Lala Njava : «Malagasy BluesSong » (World MusicNetwork/Musikvertrieb)

Du Nobel au taarab deZanzibar(er) L’Orchestre de la radio nor-

végienne, qui compte plus decinquante membres, est re-nommé pour ses prestations àl’occasion de la remise du PrixNobel à Oslo. Pour une fois, il adécidé d’allier la tradition sym-phonique européenne au taarab,un style musical propre aux ré-gions où l’on parle swahili, sur la côte est de l’Afrique. Né au19e siècle à Zanzibar, le taarab a été marqué par des influencesarabes, perses, indiennes, afri-caines et même européennes.Pour enregistrer son disque, l’or-chestre norvégien s’est associéavec trois artistes originaires decet archipel tanzanien : la chan-teuse Maryam Said Hamdun, levirtuose du violon et de l’oudMohammed Issa «Matona »Haji, également chanteur, et lejoueur de qanûn (cithare) RajabSuleiman. La fusion fascinantede ces deux styles a eu lieu fin2012, à l’occasion d’un concertunique : une bonne vingtained’instruments à cordes etpresque autant d’instruments à vent ont exécuté des airs gaiset aériens dignes d’un orchestreoriental célébrant un mariage.Les trois solistes de Zanzibarsaupoudrent le tout de sonoritéssavamment pimentées. Une ren-contre grandiose entre musiqueclassique et musique du monde.The Norwegian Radio Orchestra :«Symphonic Taarab » (Jaro Medien)

Les acteurs du changement(dg) Des agriculteurs, des scien-tifiques et des pionniers explo-rent de nouvelles voies afin derelever les défis comme le ré-chauffement climatique, la raré-

faction des ressources et lerisque de famine. Le film deNils Aguilar Cultures en transitiondonne la parole à ces acteurs duchangement socioécologique. Ilpropose des solutions simples etpeu coûteuses pour contrer leseffets problématiques de l’agro-industrie mondiale axée sur leprofit : de petites structures,adaptées aux conditions locales,offrent des possibilités d’assurerla sécurité alimentaire. Lesexemples présentés dans ce do-cumentaire sont empruntés à laFrance, à l’Angleterre et à Cuba.Ils montrent comment villes etzones rurales peuvent se prépa-rer au dérèglement du climat età la pénurie de pétrole. Le filminvite le spectateur à s’interrogersur son comportement deconsommateur, sur une agri-

Un swing rafraîchissant(er) Musique de big band, depetite formation jazz ou detwoubadou (troubadour encréole), l’écoute de ce disquede 140 minutes réjouiracorps et âme. Les 28 mor-ceaux ont été enregistrés en Haïti entre 1960 et 1978.

C’est le DJ Hugo Mendez, spécialiste des rythmes tropi-caux et fondateur du label Sofrito, qui a découvert cesperles. Il les présente sur un double album accompagnéd’un livret. Sa documentation minutieuse complète utile-ment l’aperçu sonore d’une époque où le style vivant etcoloré du konpa créole, avec ses accents de merengue,faisait fureur de New York à Paris : des voix masculines au service de phrasés virtuoses, des riffs mélodieux à laguitare et des cuivres généreux, une basse qui swingue et des rythmes qui s’entremêlent. Cette musique gran-diose a été créée de manière inattendue dans le pays leplus pauvre d’Amérique latine, marqué par l’exploitation,la lutte des classes, la corruption et les catastrophes naturelles. Une partie de la recette du disque est versée à l’organisation In Health, qui contribue à remédier auxconséquences du terrible séisme de 2010.Divers artistes : «Haiti Direct » (Strut)

Musique

Films

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ImpressumUn seul monde paraît quatre fois par année,en français, en allemand et en italien.

Éditeur :Direction du développement et de la coopération (DDC) du Département fédéraldes affaires étrangères (DFAE)

Comité de rédaction :Martin Dahinden (responsable)Catherine Vuffray (coordination globale)Marie-Noëlle Bossel, Beat Felber, SarahJaquiéry, Pierre Maurer, Christina Stucky,Özgür Ünal

Rédaction :Beat Felber (bf–production)

Gabriela Neuhaus (gn), Jane-LiseSchneeberger (jls), Mirella Wepf (mw), ErnstRieben (er), Luca Beti (version italienne)

Graphisme : Laurent Cocchi, Lausanne

Photolitho et impression :Vogt-Schild Druck AG, Derendingen

Reproduction :Les articles peuvent être reproduits, avecmention de la source, à condition que la rédaction ait donné son accord. L’envoi d’un exemplaire à l’éditeur est souhaité.

Abonnements et changements d’adresse :Le magazine peut être obtenu gratuitement(en Suisse seulement) auprès de :

DFAE, Service de l’information, Palais fédéral Ouest, 3003 Berne,Courriel : [email protected]él. 031 322 44 12Fax 031 324 90 47www.ddc.admin.ch

860215346

Imprimé sur papier blanchi sans chlore pourprotéger l’environnement

Tirage total : 51200

Couverture : manifestation contre la corruption à Caracas, au Venezuela ; Eduardo Leal/Dukas/Polaris

ISSN 1661-1675

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Livres et brochures

Coup de cœur

Nouvel espace dédié à l’art

Annette Schönholzer est membrede la direction d’Art Basel. Cetteexposition d’art contemporain or-ganise une manifestation parallèleà Miami Beach depuis 2002 et uneautre à Hong Kong depuis 2013.

Dans le privé, j’apprécie surtout lanature et le calme. C’est sansdoute pour compenser ma vieprofessionnelle, dans le cadre delaquelle je rencontre une multitudede gens. L’année dernière, 70 000visiteurs ont afflué à Bâle. Plus de300 galeries de tous les conti-nents ont présenté les œuvres dequelque 4000 artistes du mondeentier. Dans les pays en dévelop-pement, on ne trouve guère de galeries internationales. Il faut unestabilité économique et un certainpouvoir d’achat pour qu’un mar-ché de l’art voie le jour. Ainsi,notre exposition ne compte actuellement que deux galeries africaines. Toutes deux viennentd’Afrique du Sud. En Asie, au contraire, le nombre de collec-tionneurs, d’artistes et de galeriesaugmente très rapidement. Il étaitdonc logique que nous favorisionsle commerce de l’art et les ren-contres à Hong Kong. La tâcheest passionnante, car l’art mo-derne est très récent dans nombrede pays asiatiques. Les différen-ces culturelles et historiques sonttoutefois énormes.

(Propos recueillis par Mirella Wepf)

reçoivent une note de créditplutôt qu’une facture. Il dé-tourne le courant des câbles quitraversent le village pour en faireprofiter les plus pauvres. Mais ce Robin des Bois va devoir seconfronter à des hommes puis-sants qui sont les nouveauxmaîtres de la région. Dans sonfilm Le Voleur de lumière, AktanArym Kubat décrit les difficultésde la vie quotidienne au Kir-ghizstan. Il dénonce un systèmepolitique gangrené par la cor-ruption et le clientélisme. Leréalisateur interprète lui-mêmele rôle du personnage principal. Aktan Arym Kubat : «Le Voleur de lumière », DVD, 2010, VOsous-titrée en français et allemand;informations et commande : www.trigon-film.org tél. 056 430 12 30

Globi se convertit au bio(bf ) À l’occasion de l’Année internationale de l’agriculturefamiliale, Globi revêt les habitsd’un paysan bio. Il montrequ’avec des moyens simples, on pourrait nourrir l’humanitébeaucoup mieux et plus intelli-gemment que ce n’est le cas au-jourd’hui. Une nouvelle BD, in-titulée Globi, le paysan futé, a étépubliée avec le soutien de lafondation Biovision et de la

DDC. Le célèbre personnage estchargé de remplacer provisoire-ment un vieil agriculteur. Unjour, dans l’écurie, les hirondelleslui rapportent qu’il y a aussi despaysans «bio » en Afrique. Globiremet alors son exploitationentre les mains énergiques deGlobine et part pour le Kenya.Là, il rencontre Barké, une pay-sanne très innovante qui luimontre comment les cultivateursafricains défient les rigueurs de la nature avec des méthodesfavorables à l’environnement.Globi va rentrer avec de nou-velles idées écologiques qu’ilmet en pratique dans sa ferme. À son retour, le vieil agriculteurest émerveillé par ces culturesbiologiques et ces animaux heu-reux. Lorsque sa fille lui succèdeà la tête de l’exploitation, c’est leparfait happy end. Une belleaventure pleine d’enseignementspour petits et grands.Jürg Lendenmann (texte) et SamuelGlättli (illustrations) : «Globi, lepaysan futé », éditions Orell Füssli,Zurich, mars 2014

La fuite et la perte(zennt) Des milliers d’habitantsont fui le Kosovo durant laguerre de 1998-1999, abandon-nant tout ce qu’ils possédaient.Dans bien des cas, leur droit à lapropriété foncière a été remis enquestion. Depuis 2006, l’Agencecadastrale du Kosovo (KPA),soutenue par la DDC, est char-gée de tirer leur situation auclair. Elle a déjà résolu environ40000 affaires. Son travail ren-force l’État de droit et les droitsde l’homme, tout en favorisantla réconciliation. Dans The FatesBehind the Numbers, la socio-anthropologue kosovare AgatheC. Mora brosse le portrait d’unevingtaine de personnes dont lecas a été traité.Agathe C. Mora : «The FatesBehind the Numbers », anglais, albanais et serbe, Pristina Press,Pristina, 2013 ; le livre peut être obtenu auprès de la DDC:[email protected]

La coopération suisse en 2013Le rapport annuel de la coopé-ration internationale de la Suisseprésente les principaux résultatsobtenus par la DDC et le Secodans la lutte contre la pauvretéet la réduction des risques mon-diaux. Il accorde une attentionparticulière à différents domai-nes prioritaires de ces deux offices, comme le travail dans lescontextes fragiles et la créationd’emplois.Le rapport sera disponible à partir dejuin sur le site www.ddc.admin.ch

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«Le plus important, c’est que l’on discute aujourd’hui ouvertement de lacorruption et que l’on reconnaisse sonexistence dans notre pays. »Dasho Neten Zangmo, page 13

«L’an dernier, 97% des Syriens inscrits dans les écoles libanaises ont abandonné. » Maha Shuayb, page 19

«La nouvelle génération de cinéastesafricains fait de bonnes choses, mais sa production reste largement ignorée. »Alex Moussa Sawadogo, page 32