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Université de Poitiers
Faculté de Médecine et Pharmacie
ANNEE 2010 Thèse n°
THESE POUR LE DIPLOME D'ETAT
DE DOCTEUR EN MEDECINE
(décret du 16 janvier 2004)
Présentée et soutenue publiquement
le 29 septembre 2010 à Poitiers
par M. Xavier LEMERCIER
TITRE
Vécu et ressenti des médecins généralistes
dans leur prise en charge de patients en fin de vie
Analyse dʼentretiens semi-dirigés auprès de médecins généralistes de la Vienne
COMPOSITION DU JURY
Président : Monsieur le Professeur Roger GIL
Membres : Madame le Professeur Marie-Christine PERAULT-POCHAT
Monsieur le Professeur Pascal ROBLOT
Monsieur le Professeur Bernard GAVID
Directeur de thèse : Monsieur le Docteur Laurent MONTAZ
__________________________________________________________________________
6 rue de la Milétrie , B.P. 199, 86034 POITIERS CEDEX, France
05.49.45.43.43 -‐ 05.49.45.43.05 – e.mail : doyen.medecine@univ-‐poitiers.fr
UU NIVERSITE DE NIVERSITE DE PP OITIERSOITIERS
Faculté de Médecine et Pharmacie
Année universitaire 2009 - 2010
LISTE DES ENSEIGNANTS DE MEDECINE
Professeurs des Universités - Praticiens Hospitaliers
1. AGIUS Gérard, Bactériologie-Virologie 2. ALLAL Joseph, Thérapeutique 3. BATAILLE Benoît, Neurochirurgie 4. BECQ-GIRAUDON Bertrand, Maladies infectieuses, maladies tropicales (surnombre) 5. BENSADOUN René-Jean, cancérologie radiothérapie 6. BRIDOUX Frank, Néphrologie 7. BURUCOA Christophe, Bactériologie-Virologie-Hygiène 8 . CARRETIER Michel, Chirurgie générale 9. CORBI Pierre, Chirurgie thoracique et cardio-vasculaire 10. DABAN Alain, Cancérologie Radiothérapie (surnombre) 11. DAGREGORIO Guy, Chirurgie plastique et Reconstructrice 12. DEBAENE Bertrand, Anesthésiologie Réanimation Chirurgicale 13. DEBIAIS Françoise, Rhumatologie 14. DIGHIERO Paul, Ophtalmologie (disponibilité) 15. DORE Bertrand, Urologie 16. DUFOUR Xavier, Oto-Rhino-Laryngologie 17. EUGENE Michel, Physiologie 18. FAUCHERE Jean-Louis, Bactériologie- Virologie (surnombre) 19. FROMONT-HANKARD Gaëlle, Anatomie et cytologie pathologiques 20. GAYET Louis-Etienne, Chirurgie orthopédique et traumatologique 21. GIL Roger, Neurologie (surnombre) 22. GILBERT Brigitte, Génétique 23. GOMBERT Jean-Marc, Immunologie 24. GOUJON Jean-Michel, Anatomie et Cytologie Pathologiques 25. GUILHOT-GAUDEFFROY François, Hématologie et Transfusion 26. GUILLET Gérard, Dermatologie 27. HADJADJ Samy, Endocrinologie et Maladies métaboliques 28. HANKARD Régis, Pédiatrie 29. HAUET Thierry, Biochimie 30. HERPIN Daniel, Cardiologie et Maladies vasculaires 31. HOUETO Jean-Luc, Neurologie 32. INGRAND Pierre, Biostatistiques, Informatique médicale 33. IRANI Jacques, Urologie 34. KEMOUN Gilles, Médecine physique et Réadaptation 35. KITZIS Alain, Biologie cellulaire 36. KLOSSEK Jean-Michel, Oto-Rhino- Laryngologie
37. KRAIMPS Jean-Louis, Chirurgie générale 38. LEVARD Guillaume, Chirurgie infantile 39. LEVILLAIN Pierre, Anatomie et Cytologie pathologiques 40. MAGNIN Guillaume, Gynécologie et obstétrique 41. MARCELLI Daniel, Pédopsychiatrie 42. MARECHAUD Richard, Médecine interne 43. MAUCO Gérard, Biochimie et Biologie moléculaire 44. MENU Paul, Chirurgie thoracique et cardio-vasculaire 45. MEURICE Jean-Claude, Pneumologie 46. MIMOZ Olivier, Anesthésiologie, Réanimation chirurgicale 47. MORICHAU-BEAUCHANT Michel, Hépato-Gastro- Entérologie 48. NEAU Jean-Philippe, Neurologie 49. ORIOT Denis, Pédiatrie 50. PACCALIN Marc, Gériatrie 51. PAQUEREAU Joël, Physiologie 52. PERAULT Marie-Christine, Pharmacologie clinique 53. PERDRISOT Rémy, Biophysique et Traitement de l'Image 54. PIERRE Fabrice, Gynécologie et obstétrique 55. POURRAT Olivier, Médecine interne 56. PRIES Pierre, Chirurgie orthopédique et traumatologique 57. RICCO Jean-Baptiste, Chirurgie vasculaire 58. RICHER Jean-Pierre, Anatomie 59. ROBERT René, Réanimation médicale 60. ROBLOT France, Maladies infectieuses, Maladies tropicales 61. ROBLOT Pascal, Médecine interne 62. RODIER Marie-Hélène, Parasitologie et Mycologie 63. SENON Jean-Louis, Psychiatrie d'adultes 64. SILVAIN Christine, Hépato-Gastro- Entérologie 65. SOLAU-GERVAIS Elisabeth, Rhumatologie 66. TASU Jean-Pierre, Radiologie et Imagerie médicale 67. TOUCHARD Guy, Néphrologie 68. TOURANI Jean-Marc, Cancérologie Radiothérapie, option Cancérologie (type clinique) 69. TURHAN Ali, Hématologie-transfusion 70. VANDERMARCQ Guy, Radiologie et Imagerie Médicale 71. WAGER Michel, Neurochirurgie
__________________________________________________________________________
6 rue de la Milétrie , B.P. 199, 86034 POITIERS CEDEX, France
05.49.45.43.43 -‐ 05.49.45.43.05 – e.mail : doyen.medecine@univ-‐poitiers.fr
3
UU NIVERSITE DE NIVERSITE DE PP OITIERSOITIERS
Faculté de Médecine et Pharmacie
Maîtres de Conférences des Universités-Praticiens hospitaliers 1. ARIES Jacques, Anesthésiologie et Réanimation chirurgicale 2. BEBY-DEFAUX Agnès, Bactériologie-Virologie-Hygiène 3. BEN-BRIK Eric, Médecine du travail 4. BOINOT Catherine, Hématologie et Transfusion 5. BOUNAUD Jean-Yves, Biophysique et Traitement de l'Image 6. BOURMEYSTER Nicolas, Biologie cellulaire 7. CASTEL Olivier, Bactériologie-Virologie- Hygiène 8. CAVELLIER Jean-François, Biophysique et Traitement de l'Image 9. CHANSIGAUD Jean-Pierre, Biologie du développement et de la reproduction 10. DAHYOT-FIZELIER Claire, Anesthésiologie et Réanimation chirurgicale 11. DIAZ Véronique, Physiologie 12. FAURE Jean-Pierre, Anatomie 13. FAVREAU Frédéric, Biochimie et Biologie moléculaire 14. GRIGNON Bernadette, Bactériologie-Virologie-Hygiène 15. GUILLARD Olivier, Biochimie et Biologie moléculaire 16. HURET Jean-Loup, Génétique 17. JAAFARI Nematollah, Psychiatrie d’adultes 18. KARAYAN-TAPON Lucie, Cancérologie 19. LAFAY Claire, pharmacologie clinique 20. LECRON Jean-Claude, Biochimie et Biologie moléculaire 21. MIGEOT Virginie, Santé publique 22. ROUMY Jérôme, Biophysique, Médecine nucléaire 23. ROY Lydia, Hématologie 24. SAPANET Michel, Médecine légale 25. TALLINEAU Claude, Biochimie et Biologie moléculaire Professeurs associés de Médecine générale
GAVID Bernard GOMES DA CUNHA José
Maître de Conférences associé de Médecine générale
VALETTE Thierry
Professeur certifié d'Anglais
BULKO Annie
Professeur émérite 1. FONTANEL Jean-Pierre, Oto-Rhino Laryngologie 2. LAPIERRE Françoise, Neurochirurgie Professeurs et Maîtres de Conférences honoraires
1. ALCALAY Michel, Rhumatologie 2. BABIN Michèle, Anatomie et Cytologie pathologiques 3. BABIN Philippe, Anatomie et Cytologie pathologiques 4. BARRAINE Robert, Cardiologie et Maladies vasculaires 5. BARRIERE Michel, Biochimie et biologie moléculaire 6. BEGON François, Biophysique, Médecine nucléaire 7. BONTOUX Daniel, Rhumatologie 8. BURIN Pierre, Histologie 9. CASTETS Monique, Bactériologie-Virologie - Hygiène 10. CLARAC Jean-Pierre, Chirurgie orthopédique 11. DE NAS TOURRIS Henri, Gynécologie obstétrique 12. DESMAREST Marie-Cécile, Hématologie 13. DEMANGE Jean, Cardiologie et Maladies vasculaires 14. GASQUET Christian, Radiologie 15. GOMBERT Jacques, Biochimie 16. JACQUEMIN Jean-Louis, Parasitologie et Mycologie médicale 17. LARSEN Christian-Jacques, Biochimie et biologie moléculaire 18. MAIN de BOISSIERE Alain, Pédiatrie 19. MARILLAUD Albert, Physiologie 20. MORIN Michel, Radiologie, Imagerie médicale 21. PATTE Dominique, Médecine interne 22. PATTE Françoise, Pneumologie 23. POINTREAU Philippe, Biochimie 24. REISS Daniel, Biochimie 25. RIDEAU Yves, Anatomie 26. SULTAN Yvette, Hématologie et transfusion 27.TANZER Joseph, Hématologie et transfusion
4
« Le doute est ouvert à l’autre puisque
celui qui ne sait pas cherche des éléments
pour mieux comprendre et mieux savoir. Il
existe une morale du doute, le doute est
vertueux »8.
Axel Kahn
5
Remerciements
A Monsieur le Professeur GIL,
Vous m’avez fait le grand honneur d’accepter de présider mon Jury.
Veuillez trouver en ces mots l’expression de profonde estime.
A Madame le Professeur PERAULT-POCHAT,
Je suis très sensible à l’honneur que vous m’avez fait en acceptant de porter un jugement sur mon travail.
Veuillez accepter l’expression de ma sincère gratitude.
A Monsieur le Professeur ROBLOT,
Vous avez accepté d’être membre du Jury de cette thèse, je vous en remercie.
Veuillez trouver ici le témoignage de mon profond respect.
A Monsieur le Professeur GAVID,
Je vous prie de recevoir mes sincères remerciements pour avoir accepté de juger mon travail.
Veuillez croire en l’expression de ma sincère considération.
A Monsieur le Docteur MONTAZ,
Je vous remercie pour vos enseignements au lit du malade. Soyez certain qu’ils m’accompagneront durant
mes années d’exercice.
Je vous remercie très sincèrement d’avoir accepté de diriger mon travail.
Je vous remercie surtout d’avoir assumé cette lourde tâche jusqu’au bout, malgré mes tribulations et les
péripéties auxquelles je vous ai exposé.
A ma mère,
Pour ta patience et ton soutien durant mes années d’études, ainsi que pour ton aide lors de la finalisation
de ce travail, merci.
A Valérie,
Pour ton soutien sans faille et pour tes conseils littéraires avisés, merci.
A Matthieu,
Pour tout le reste, merci.
A mon père,
A ma grand-mère Yvonne,
A mon arrière grand-mère Marie-Louise, qui se sont envolés trop tôt, sans un bruit.
5
Table des matières
AVANT-PROPOS ..............................................................................................................................................7
CHAPITRE 1. INTRODUCTION .......................................................................................................... 10
1.1. SOINS PALLIATIFS : DEFINITIONS ET PRINCIPES........................................................................10
1.1.1. La fin de vie.................................................................................................................................................... 10 1.1.2. Les soins palliatifs....................................................................................................................................... 11 1.1.3. Le domicile ..................................................................................................................................................... 14
1.2. CONTEXTE NATIONAL ET LOCAL ..........................................................................................16
1.2.1. Rappel historique sur les soins palliatifs .......................................................................................... 16 1.2.2. Etat des lieux dans la Vienne ................................................................................................................. 25
CHAPITRE 2. MATERIEL ET METHODES ....................................................................................... 29
2.1. OBJECTIF ET QUESTIONS DE RECHERCHE ...............................................................................29
2.1.1. Objectif............................................................................................................................................................. 29 2.1.2. Questions de recherche............................................................................................................................. 30
2.2. UNE RECHERCHE EN DEUX ETAPES.......................................................................................31
2.2.1. Revue de la littérature .............................................................................................................................. 31 2.2.2. Une enquête de terrain qualitative ..................................................................................................... 33
CHAPITRE 3. RESULTATS ET ANALYSE ......................................................................................... 42
3.1. REVUE DE LA LITTERATURE ................................................................................................42
3.1.1. Caractéristiques de la littérature étudiée ........................................................................................ 42 3.1.2. Analyse par publication ........................................................................................................................... 42 3.1.3. Analyse comparée....................................................................................................................................... 51 3.1.4. Conclusion de la revue de la littérature et ouverture sur l’enquête de terrain ............... 56
3.2. ETUDE QUALITATIVE DES ENTRETIENS AUPRES DE MEDECINS GENERALISTES DE LA VIENNE : RESULTATS
ET ANALYSE..............................................................................................................................59
6
3.2.1. Données générales des entretiens........................................................................................................ 59 3.2.2. Relevés thématiques par entretien...................................................................................................... 65 3.2.3. Analyse thématique transversale de l’ensemble du corpus....................................................125 3.2.4. Construction de l’arbre thématique..................................................................................................163
CHAPITRE 4. DISCUSSION ................................................................................................................165
CONCLUSION ...............................................................................................................................................175
BIBLIOGRAPHIE.........................................................................................................................................178
RESUME ET MOTS CLES ...........................................................................................................................181
SERMENT D’HIPPOCRATE ......................................................................................................................182
ANNEXES.......................................................................................................................................................183
7
AVANT-‐PROPOS
La Loi n° 2005-‐370 du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de
vie1,2,3 (dite Loi Leonetti) marque une étape importante de l’évolution des soins palliatifs au
sein du système de soins français, tant en ce qui concerne la progression de l’offre de soins à
la population, qu’en matière de développement de l’enseignement et de la recherche en
soins palliatifs.
Lors de notre formation initiale, nous avons en effet eu l’occasion d’être
régulièrement confronté à la maladie, à la souffrance et à la mort, comme le sont de
nombreux étudiants en médecine et professionnels de santé.
Marqué par ces expériences cliniques et par un deuil personnel, il nous est apparu
opportun de nous former à l’approche et la prise en charge des patients en fin de vie et de
leur entourage. Ce sont ces raisons, dans le contexte général d’évolution que nous venons
de rappeler, qui ont présidé à la volonté de nous inscrire au diplôme inter universitaire de
soins palliatifs, ainsi qu’à la réalisation du stage au sein de l’équipe mobile de soins palliatifs
du Centre Hospitalier et Universitaire (CHU) de Poitiers. Ces choix et ces expériences ont
constamment été empreints de l’objectif d’acquérir des compétences nouvelles, utiles à
l’exercice futur de notre profession de médecin généraliste.
Selon les études, un médecin généraliste prend en charge, chaque année, en
moyenne, entre un et quatre patients en fin de vie36. Les soins palliatifs ne représentent
donc qu’une part résiduelle de l’activité de médecine générale.
Il nous semble pourtant que ces prises en charge tiennent une place particulièrement
importante dans la carrière d’un médecin généraliste. Nous verrons en effet que la
confrontation à la souffrance et à la mort marque profondément les médecins généralistes
qui ne restent jamais indifférents à cette expérience de la fin de vie.
8
Notre projet de recherche trouve ainsi sa genèse dans deux situations dont nous
avons fait l’expérience : d’une part, la prise en charge à domicile d’une jeune femme de
41 ans atteinte d’un mélanome métastasé, lors de notre stage en médecine générale
ambulatoire ; d’autre part, les prises en charge que nous avons connues lors de notre stage
au sein de l’équipe mobile de soins palliatifs du CHU de Poitiers. Les situations vécues avec
l’équipe mobile, les prises en charge collégiales, pluridisciplinaires, les échanges constants
avec les patients et leur famille ont fait écho à la prise en charge isolée du médecin
généraliste que nous avions suivi quelques mois plus tôt. Ce médecin, dont le dévouement
ne pouvait que forcer le plus grand respect, nous avait conduit à nous interroger sur sa
solitude assumée dans cette prise en charge. Son implication personnelle était évidente et
risquait d’être destructrice sur le plan personnel, tout au moins déstabilisante.
Comment vivait-‐il cette prise en charge ? Comment gérait-‐il ses émotions et ses
souffrances ? Ressentait-‐il le besoin d’être aidé et soutenu ? Quels étaient les éléments de
son histoire professionnelle et personnelle qui entraient en jeu ?
Diverses études, à la fois quantitatives et qualitatives, ont été menées auprès des
patients, des médecins généralistes ou encore des différents professionnels de santé
intervenant dans ce domaine, mais l’analyse de la littérature montre que celle-‐ci s’attarde
essentiellement sur les difficultés posées par la prise en charge à domicile des patients en fin
de vie, difficultés liées à la relation au patient, à la communication avec l’entourage, à la
coordination des soins entre professionnels, entre l’ambulatoire et l’hospitalier.
Nous avons donc axé notre questionnement sur le vécu et le ressenti des médecins
généralistes dans leur prise en charge de patients en fin de vie. En premier lieu, il nous a
semblé nécessaire d’étudier la place occupée par cet aspect dans l’importante littérature
relative aux soins palliatifs à domicile. Dans un second temps, nous avons fait le choix de
réaliser des entretiens auprès de médecins généralistes et d’analyser qualitativement le récit
de leurs prises en charge de patients en fin de vie. Nous verrons que l’objectif de cette
analyse était d’isoler les éléments relatifs à l’expression de leur vécu de leur ressenti. Nous
tâcherons de montrer que ces deux points sont fréquemment les oubliés des études de la
prise en charge des patients en fin de vie à domicile. Le vécu et le ressenti des médecins,
9
souvent effleurés, jamais disséqués, sont en effet difficilement accessibles, bien que
toujours présents. Nous avons donc souhaité dans ce travail procéder au relevé, à la
description et à l’interprétation de l’expression du vécu et du ressenti à travers le discours
des médecins généralistes. Ce travail constitue le préalable nécessaire à la compréhension
du fonctionnement propre aux médecins, compréhension indispensable à l‘amélioration de
la prise en charge des patients et à celle du vécu des médecins. Le récit des prises en charge
par les médecins eux-‐mêmes s’avérait donc le lieu rêvé de l’expression du vécu et du
ressenti.
10
Chapitre 1. INTRODUCTION
1.1. SOINS PALLIATIFS : DEFINITIONS ET PRINCIPES
1.1.1. La fin de vie
La littérature ne nous propose pas de définition claire de la « fin de vie ». Nous
verrons d’ailleurs dans cette étude que chacun des médecins généralistes rencontrés met
derrière ce terme un sens parfois proche mais toujours différent.
Dans une analyse méthodologique des preuves sur lesquelles sont basées les
traitements et les interventions en soins palliatifs, Sturtewagen et Chevalier4 définissent la
fin de vie comme étant un « déclin clinique et fonctionnel ». Ils mettent en évidence la place
des caractéristiques cliniques, le score prédictif de survie ainsi que le jugement du praticien
pour parler de patient en fin de vie. Ils évoquent également l’importance de la prise de
conscience du risque de décès. Ces différents éléments interviennent dans la prise de
décisions concernant la prise en charge du patient qui est alors qualifié de « patient en fin de
vie ».
Nous comprenons donc que la fin de vie est difficile à définir du point de vue médical.
Une définition permettrait pourtant d’en préciser les contours et les concepts ; or, la
confrontation, que nous avons en tant que soignant, à la mort nous a permis d’appréhender
la difficulté voire l’impossibilité d’affirmer le moment exact auquel le décès d’un patient va
intervenir. Tout au plus nous ne pouvons le déterminer que dans les minutes précédentes.
La subjectivité du soignant dans la qualification de son patient en fin de vie reste
importante, empêchant la définition des contours de la fin de vie.
Ricot dans son recueil sur la philosophie et la fin de vie5 revient sur les termes « fin
de vie » et « mourant » en avançant que ceux-‐ci ne sont pas adéquats « pour désigner une
phase de l’existence qui concerne des vivants, certes fragilisés par la mort, rôdeuse et
sournoise ». Il pose en pré-‐requis dans son introduction le fait que « finir sa vie c’est d’abord
la continuer ». Aussi, l’utilisation du terme « mourant » comme « participe présent du verbe
11
mourir, surtout lorsqu’il est substantivé » est qualifié par Ricot de « désignation douteuse,
parce que contradictoire : ou bien l’on est mort, ou bien l’on est vivant ».
D’un point de vue philosophique, il ressort donc que l’utilisation des termes de « fin
de vie » ou de « mourant » n’est pas appropriée puisque ces expressions introduisent l’idée
que tous les moments de la vie ne valent d’être vécus, excluant ainsi, de la communautés
des humains, des personnes qui sont en train de vivre une étape de leur vie, fût-‐elle la
dernière.
La fin de vie ne semble donc se définir qu’a posteriori. Nous pouvons au mieux
déterminer qu’un patient est en fin de vie dans les instants proches ou supposés proches du
décès. Ce n’est finalement que lorsque notre patient est décédé que nous pouvons affirmer
qu’il était bien en fin de vie. Nous pouvons alors reprendre les éléments contextuels qui
nous permettent d’affirmer qu’il était bien à la fin de sa propre vie.
Pourtant les soins palliatifs prennent en charge la fin de la vie. Ce sont le sens
clinique et l’expérience du médecin, probablement son intuition d’Homme qui lui
permettent de dire que son patient est en fin de vie, moment si particulier mais encore
inscrit dans la vie. Les soins palliatifs sont donc bel et bien des soins actifs adressés aux
vivants.
1.1.2. Les soins palliatifs
La littérature nous propose plusieurs définitions des soins palliatifs issues de
différents rapports, travaux de sociétés savantes ou instances officielles. Nous verrons
qu’elles sont relativement proches les unes des autres et se complètent mutuellement.
En 1999, Hérouville, Morize et Serrÿn6 décrivent l’évolution de la définition des soins
palliatifs et insistent sur l’importance de celle-ci. Cette définition apparaît comme un moyen
de fixer des limites et d’élaborer ainsi un cadre de raisonnement et d’action aux soins
palliatifs. Une fois adoptée, une définition fixe des objectifs de santé publique (délimitation
du groupe de patients concernés, évaluation des besoins, intégration dans le système de
soins), des objectifs cliniques (qualification et mise en place des soins sur le terrain), des
12
objectifs éthiques (prise de position morale et clinique), et enfin des objectifs
méthodologiques (reproductibilité des recherches, mise en place de protocole validés).
Nous allons nous attarder sur certaines de ces définitions qui nous semblent avoir
construit la définition proposée aujourd’hui par la Société Française d’Accompagnement et
de Soins Palliatifs (SFAP).
En 1990, l’organisation mondiale de la santé (OMS) définit les soins palliatifs7 comme
des « soins actifs, complets, donnés aux malades dont l’affection ne répond pas au
traitement curatif. La lutte contre la douleur et d’autres symptômes et la prise en
considération des problèmes psychologiques, sociaux et spirituels, sont primordiaux. Le but
des soins palliatifs est d’obtenir la meilleure qualité de vie possible pour les malades et leur
famille. De nombreux éléments des soins palliatifs sont également applicables au début de
l’évolution de la maladie, en association avec un traitement anticancéreux. »
La définition précise également que « les soins palliatifs affirment la vie et
considèrent la mort comme un processus normal , ne hâtent ni ne retardent la mort ,
procurent un soulagement de la douleur et des autres symptômes pénibles, intègrent les
aspects psychologiques et spirituels dans les soins aux malades, offrent un système de
soutien pour aider les malades à vivre aussi activement que possible jusqu’à la mort, offrent
un système de soutien qui aide la famille à tenir pendant la maladie du patient et leur propre
deuil ».
En 1999, la loi relative aux droits d’accès des malades aux soins palliatifs18 propose
dans son titre premier cette définition :
« Art. L.1er A. – Toute personne malade dont l’état le requiert a le droit d’accéder à des soins
palliatifs et à un accompagnement.
Art. L.1er B. – Les soins palliatifs sont des soins actifs et continus pratiqués par une équipe
interdisciplinaire en institution ou à domicile. Ils visent à soulager la douleur, à apaiser la
souffrance psychique, à sauvegarder la dignité de la personne malade et à soutenir son
entourage.
Art. L.1er C. – La personne malade peut s’opposer à toute investigation ou thérapeutique ».
13
Cette définition marque, en 1999, la confirmation de l’implication des pouvoirs
publics dans les soins palliatifs.
En 2002, l’OMS complète cette définition par deux notions supplémentaires : la
première est l’importance de la prise en charge pluridisciplinaire nécessaire dans les soins
palliatifs ; la deuxième est le fait que les soins palliatifs peuvent être concomitants avec des
soins curatifs et donc être applicables tôt dans l’évolution de la maladie.
La même année, le programme national de développement des soins palliatifs21
précise que « les soins palliatifs concernent les patients de tous âges atteints d’une maladie
grave, évolutive, mettant en jeu le pronostic vital. Il précise que leur objectif est de soulager
les symptômes et d’améliorer le confort et la qualité de vie. Les soins palliatifs sont définis
par les traitements et les soins d’accompagnement physiques, psychologiques, spirituels et
sociaux. Enfin ils s’adressent aux patients et à leur entourage. »
A travers ces deux définitions et leurs évolutions, nous voyons que le champ d’action
des soins palliatifs s’est enrichi et précisé. Progressivement la loi a su intégrer les notions
présentes dans des définitions issues de l’expérience et des pratiques des professionnels de
santé prenant en charge des patients en soins palliatifs, à savoir :
• Les soins palliatifs concernent tous les patients atteints de pathologies chroniques
évolutives graves mettant en jeu le pronostic vital.
• Ils doivent permettre la mobilisation d’une équipe pluri professionnelle usant de la
collégialité dans ses prises de décisions.
• Ils nécessitent une approche globale prenant en compte les problèmes physiques,
psychiques, sociaux et spirituels des patients.
• Ils prennent en charge les patients mais aussi la famille et l’entourage.
Au-‐delà de ces définitions officielles, de nombreux auteurs proposent leur vision et
leur définition de la prise en charge de la fin de vie, participant ainsi à la promotion des soins
14
palliatifs et à l’évolution de leur définition. Nous évoquerons ici deux approches qui nous ont
marqués.
Ainsi Kahn dans la préface à l’ouvrage de Leonetti8 définit les soins palliatifs comme
« l’accompagnement médical et affectif des personnes qu’il n’est plus possible de guérir,
(non pas comme) une préparation à la mort […] mais (comme) l’aménagement de la vie
meilleure possible dans des circonstances particulières ».
Nous retrouvons les mêmes notions chez Ricot qui explique que « les soins palliatifs
[…] naissent de l’aveu d’impuissance à guérir, du consentement à la finitude humaine, de
l’humilité devant le tragique de la mort ». L’acceptation de cette impuissance est alors « la
condition d’une nouvelle puissance, celle d’offrir à la fin de vie les conditions d’un
accomplissement et le réconfort d’un accompagnement ».
Les soins palliatifs apparaissent donc bien comme des soins actifs accompagnant le
vivant et non comme des soins passifs accompagnant vers la mort. Nous nous intéresserons
dans ce travail à la façon dont les médecins généralistes abordent ce temps de la vie
lorsqu’ils y sont confrontés au domicile de leurs patients. Avant cela, définissons le domicile
afin d’appréhender son importance et sa spécificité dans la démarche palliative.
1.1.3. Le domicile
Le terme de « domicile » est très fréquemment utilisé dans le domaine de la santé.
On parle en effet de « soins à domicile », d’ « aides à domicile », d’ « hospitalisation à
domicile », ou encore de « soins palliatifs à domicile ». Nous verrons que la population
souhaite majoritairement « mourir à domicile ». Nous avons donc souhaité définir le
« domicile » afin de mesurer l’importance que cette notion joue dans la prise en charge des
patients en fin de vie, à la fois pour lui-‐même, ses proches et les soignants.
Le dictionnaire de l’Académie française nous en donne la définition suivante :
DOMICILE n. m. XIVe siècle. Emprunté du latin domicilium, « habitation, demeure », de
domus, « maison ». 1. Lieu où demeure une personne, une famille […]9.
Cette définition peut être rapprochée de celle du terme de « résidence » :
15
RÉSIDENCE n. f. Demeure ordinaire en quelque ville, en quelque lieu, en quelque pays […]10.
La science juridique procède à une analyse poussée de la notion de domicile et celle-
ci nous paraît apporter des précisions utiles à la compréhension de l’enjeu de la prise en
charge des patients « à domicile ».
Au sens strict, le domicile est visé par l'article 102, alinéa 1er, du Code civil : "Le
domicile de tout Français, quant à l'exercice de ses droits civils, est le lieu où il a son
principal établissement"11.
Au-‐delà de cette définition du Code civil, la doctrine juridique différencie la notion de
domicile de celle de résidence qui « constitue le lieu où la personne vit effectivement et
habituellement d’une manière assez stable sans qu’il constitue toujours son domicile »11.
Tel qu’il est défini par le Code civil, le domicile ne remplit qu’une seule fonction : celle
de la « localisation juridique de la personne »11. Cependant, le domicile joue également de
façon très concrète, « un rôle de protection de la personne […] », son inviolabilité étant
garanti par l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme :
« toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa
correspondance ».
Nous comprenons donc que la pudeur et la discrétion spontanées que nous pouvons
observer, en tant que soignant, lorsque nous pénétrons au sein du domicile de nos patients
trouve ici un appui juridique de taille. Pour la question qui nous intéresse, les notions de
domicile et de résidence peuvent être utilisées indifféremment, l’important étant de garder
présent à l’esprit l’intrusion qu’implique la prise en charge à domicile.
Les définitions littéraires ou juridiques présentées plus haut nous laissent entrevoir le
domicile comme un lieu choisi par un individu pour y vivre sa vie, pour y partager, avec sa
famille et ses proches, les moments de joie, d’échange mais aussi les moments difficiles ou
les épreuves du quotidien. C’est cette même conception que retient la circulaire Laroque16,
dont nous verrons l’importance dans le développement des soins palliatifs en France,
lorsqu’elle définit le domicile « comme le lieu naturel de la vie ».
16
Par rapport à notre sujet, il apparaît que la « fin de vie » est encore la vie et qu’elle a
donc toute sa place dans ce lieu élu comme le lieu de tout ou partie d’une vie. Tout l’enjeu
de la prise en charge à domicile sera de ne pas dénaturer celui-‐ci, afin que le patient s’y
sente bien, et ce jusqu’au bout.
1.2. CONTEXTE NATIONAL ET LOCAL
1.2.1. Rappel historique sur les soins palliatifs
1.2.1.1. L’émergence de la prise en charge des incurables
En Europe, au Moyen-Âge, les Hôtels-Dieu accueillaient indifféremment les indigents
et les incurables. Au 17ème siècle, les hospices constituent les prémisses de la prise en charge
des patients en fin de vie mais celle-‐ci n’est alors ni une activité spécifique ni une activité
exclusive. Ce n’est qu’en 1842, à Lyon, que Jeanne Garnier, qui vient de perdre quelques
années plus tôt son mari et ses deux enfants fonde l’Association des Dames du Calvaire qui a
pour objectif d’accueillir plus particulièrement les incurables jetés hors les murs des
hôpitaux12,13. C’est avec Jeanne Garnier que le mot « hospice » prend le sens de lieu
accueillant les personnes en fin de vie.
En 1878, la congrégation des sœurs de la Charité ouvre à Dublin un premier hospice
dont l’objectif est également l’accueil des personnes en fin de vie. Elle crée ensuite en 1905
l’Hospice Saint Joseph à Londres, précédé en 1893 par l’Hospice Saint Luke créé par un
médecin, le Dr Howard Barret, pour accueillir les cancéreux et les tuberculeux en fin de
vie.13,14
1.2.1.2. De l’accueil des incurables à la conceptualisation de la
prise en charge globale
La naissance à proprement parler des soins palliatifs est, quant à elle, étroitement
liée au Saint Christopher Hospice de Londres fondé en 1967 par le Dr Cicely Saunders. Cette
infirmière britannique, marquée par sa rencontre avec les patients en fin de vie, a choisi de
17
reprendre en 1951, à 33 ans, ses études pour obtenir son doctorat en Médecine, motivée
par sa volonté de travailler au service de la prise en charge de ces patients. Tout au long de
sa formation, elle œuvre bénévolement à St Luke puis à St Joseph où elle devient ensuite le
premier médecin employé dans un hospice. Elle développe les soins aux mourants et réalise
des travaux de recherche sur la prise en charge de la douleur. C’est alors qu’elle promeut le
concept de « Total Pain » traduit en français par la notion de souffrance globale : prendre en
charge la souffrance et la douleur d’un patient, c’est prendre en compte à la fois sa douleur
physique, mais également ses souffrances psychiques, sociales et spirituelles. C’est à partir
de cette notion de souffrance globale que née celle de « prise en charge globale » qui balaie
l’ensemble de ces champs dans l’accompagnement des patients et ne se cantonne plus à un
simple accueil en hospice. Ainsi, lorsqu’elle crée en 1967 le St Christopher Hospice dans la
banlieue de Londres, il est le premier établissement prenant en charge les patients en fin de
vie à bénéficier d’une équipe soignante professionnelle13,14.
A la même époque, en 1969, le Dr Elisabeth Kübler-‐Ross publie, aux Etats Unis, un
ouvrage sur les réactions psychologiques et spirituelles des malades atteints de cancer et
confrontés à la mort. Elle décrit, entre autres, dans cette même publication les différentes
étapes du travail de deuil.
En 1975, le Dr Balfour Mount crée, au Royal Victoria Hospital de Montréal, une unité
de soins palliatifs. A l’image de ce que fait le Dr Saunders à Londres, il développe une prise
en charge mettant l’accent sur les besoins et l’autonomie des patients en fin de vie dans les
décisions les concernant.
1.2.1.3. La naissance des soins palliatifs en France
En France, la sensibilisation à la prise en charge palliative se fait également dans les
années 70 grâce aux contacts qu’établissent des médecins français avec leurs confrères
anglo-‐saxons. Les premières publications de travaux anglo-‐saxons sur la souffrance
terminale voient le jour dans des revues françaises. Le corps infirmier adopte de son côté la
notion de prise en charge globale.
18
A partir de 1973, le père Patrick Vespieren publie ses observations à partir de ses
visites au St Christopher Hospice, celles-‐ci auront un retentissement important et le
Ministère de la Santé constituera un groupe d’experts sur l’accompagnement des malades
en phase terminale. Plusieurs services ou consultations spécialisés ouvrent progressivement
dans les hôpitaux français (Pr Levillain, Dr Salamagne, ...). Des services de gériatrie intègrent
la notion de prise en charge globale (Dr Sebag Lanoe, Dr Revillon, …). Enfin, d’autres
œuvrent au développement des soins palliatifs à domicile (Dr Gomas, Dr Tavernier, …).13,15
En 1984, Vespieren publie une tribune dénonçant des pratiques d’euthanasie active
dans certains services hospitaliers. Le congrès de l’Association pour le Droit de Mourir dans
la Dignité (ADMD), partisan de l’euthanasie, provoque de vives réactions et des voies
s’élèvent pour s’opposer aux prises de position de l’association. L’année précédente, le
Président de la République François Mitterrand créait par décret le Comité Consultatif
National d’Ethique qui est amené très vite à prendre position sur le sujet. L’association
JALMAV (Jusqu'A La Mort Accompagner la Vie) est crée à la même époque, ainsi que
l’Association pour le développement des Soins Palliatifs.
Deux mouvements d’affrontent alors à propos de la prise en charge des patients en
fin de vie : d’un côté les partisans de l’euthanasie, de l’autre les défenseurs du
développement des soins palliatifs et de l’accompagnement.
1.2.1.4. Intervention des pouvoirs publics et évolution de la
législation française
1.2.1.4.1. 1986 : la circulaire Laroque
En 1985 une commission interministérielle se réunit autour de Geneviève Laroque,
qui est alors inspectrice générale des affaires sociales. Ces travaux aboutiront à la
publication par Michèle Barzach, ministre de la Santé, de la circulaire du 26 août 1986
relative à l’organisation des soins et à l’accompagnement des malades en phase terminale,
appelée « circulaire Laroque ».16 Celle-‐ci introduit les notions de soins d’accompagnement et
de soins palliatifs. Elle reprend dans son développement le concept de prise en charge
19
globale des patients par une équipe pluridisciplinaire. Cette circulaire constitue un texte
fondateur pour les soins palliatifs en France, elle reprend les définitions utiles à leur
compréhension et à leur développement dans le système de soins ainsi que les différents
aspects devant être mis en œuvre pour améliorer l’accompagnement des patients en fin de
vie : l’attention portée à la douleur et à la souffrance en générale, l’accompagnement au
domicile et en institution, les interactions hôpital -‐ domicile, la mise en œuvre des moyens
matériels nécessaires, l’attention portée à l’environnement psychologique, le soutien aux
familles et aux proches, la formation des intervenants, la place des bénévoles. Elle définit
également les unités de soins palliatifs. Un chapitre est enfin consacré à la situation
particulière des enfants en fin de vie. La circulaire Laroque réinscrit la fin de vie dans le cadre
des relations sociales habituelles, elle tente de replacer la personne en fin de vie dans son
contexte social et familial réintroduisant ainsi la mort dans le cadre des évènements
familiaux dont elle s’était trouvé trop souvent écartée3.
Les années suivantes virent le développement d’une véritable dynamique à la fois
associative et politique autour des soins palliatifs. On notera en particulier en 1990 la
création de la Société Française de Soins Palliatifs qui réunit alors des associations
d’accompagnement et des soignants libéraux et hospitaliers impliqués dans la démarche
palliative. Elle a, en particulier, l’objectif de faire progresser la connaissance dans le domaine
de l’accompagnement aux patients en fin de vie.
Sur le plan législatif, la loi du 31 juillet 1991 portant réforme hospitalière introduit les
soins palliatifs parmi les missions de tout établissement de service public hospitalier.17
Sur le plan politique, de nombreux travaux (Rapport Delbecque, travaux du sénateur
Neuwirth, prises de positions de Bernard Kouchner alors secrétaire d’Etat chargé de la
Santé, …) permettent des avancées qui aboutiront à la loi de 1999 garantissant le droit
d’accès aux soins palliatifs pour toute personne en fin de vie.
Sur le plan déontologique, le nouveau code de déontologie médicale revu en
septembre 1995 inscrit le soulagement de la douleur parmi les devoirs des médecins
(art. 37)3.
20
1.2.1.4.2. Loi du 9 juin 1999 visant à garantir le droit d’accès aux soins palliatifs18
D’une valeur juridique supérieure à la circulaire Laroque, cette loi a été votée à
l’unanimité par le Parlement. Elle garantit un droit d’accès aux soins palliatifs et à un
accompagnement à toute personne malade dont l’état le requiert (article 1). Elle dispose
que la prise en charge de la douleur et la mise en place de soins palliatifs doit se faire dans
l’ensemble des services hospitaliers et ne pas se limiter aux unités de soins palliatifs
(article 7). Elle crée un congés d’accompagnement pour l’aidant d’une personne en fin de vie
(articles 11 et 12). Elle prévoit également l’insertion des soins palliatifs dans les Schémas
Régionaux d’Organisation de l’Offre de Soins (SROS) (article 2), l’organisation de
l’enseignement des soins palliatifs (article 7) et l’organisation de l’intervention des
bénévoles auprès des malades (article 10).
Un premier programme national de développement des soins palliatifs est alors mis
en place de 1999 à 2002. Il met l’accent sur l’extension des équipes mobiles de soins
palliatifs au sein des établissements de santé et réaffirme la volonté de formation des
professionnels de santé mais aussi des bénévoles par la création de nombreux diplômes
universitaires. La loi de 1999 inaugure ainsi un ensemble de lois, circulaires et
recommandations qui vont encadrer progressivement la fin de vie à la fois pour les malades,
leurs proches et les soignants.
En 2000, une circulaire de la Caisse Nationale d’Assurance Maladie (CNAM) prévoit la
contribution du Fond National d’Action Sanitaire et Social (FNASS) pour le maintien à
domicile des personnes en fin de vie, en particulier pour le paiement de gardes malades et
l’achat d’équipements spécifiques19.
En 2002, la Direction de l’Hospitalisation et de l’Offre de Soins (DHOS) émet une
circulaire relative à l’organisation des soins palliatifs et de l’accompagnement20. Elle se veut
la traduction de la loi de 1999. Elle définit les missions et les modalités de fonctionnement
en ce qui concerne la prise en charge à domicile (réseaux de soins palliatifs et hospitalisation
à domicile), le développement de la démarche palliative dans l’ensemble des services
hospitaliers et le concept de lits identifiés de soins palliatifs. Cette circulaire s’accompagne
d’un second programme de développement des soins palliatifs (2002-‐2005) dont les axes
21
principaux sont : le développement des soins palliatifs à domicile, la poursuite du
renforcement et de la création de structures spécialisées dans les établissements de santé,
l’information et la sensibilisation de l’ensemble du corps social à la démarche palliative21.
La même année, une loi essentielle au droit des malades est votée par le Parlement.
Il s’agit de la Loi du 4 mars 2002, dite « Loi Kouchner »22. Celle-‐ci ne porte pas directement
sur les soins palliatifs mais deux de ses articles influenceront sans conteste la législation qui
suivra concernant la prise en charge des patients en fin de vie. Il s’agit de son article 11 qui
précise qu’« aucun acte médical ni aucun traitement ne peut être pratiqué sans le
consentement libre et éclairé de la personne » et que « ce consentement peut être retiré à
tout moment », et de son article 3 qui place le respect de la dignité du malade au centre de
la prise en charge : « Les professionnels de santé mettent en œuvre tous les moyens à leur
disposition pour assurer à chacun une vie digne jusqu'à la mort ».
1.2.1.5. Des débats sur l’euthanasie à la Loi Leonetti sur les
patients en fin de vie1,2,3
En 2003 l’affaire Vincent Humbert ébranle l’opinion publique et suscite de nombreux
débats sur la fin de vie et l’euthanasie à travers la France. Vincent Humbert, jeune homme
de 21 ans, tétraplégique à la suite d’un traumatisme crânien, a régulièrement clamé son
« droit à mourir ». En septembre 2003, alors qu’il vient de sortir un livre, sa mère tente de lui
donner la mort en lui administrant une forte dose de sédatifs. Admis en réanimation, il
décèdera quelques jours plus tard suite à l’arrêt des thérapeutiques d’une injection de
chlorure de potassium, ces décisions ayant fait l’objet de concertations entre le médecin et
la famille. Sa mère ainsi que le médecin réanimateur l’ayant pris en charge ont été mis en
examen pour « empoisonnement avec préméditation », une ordonnance de non-‐lieu a
finalement été délivrée en février 2006.
Une autre affaire est celle intéressant Christine Malèvre, infirmière à l’hôpital de
Mantes -‐ la – Jolie, qui donna la mort à plusieurs de ses patients en fin de vie en leur
administrant, sans concertation médical ni consentement des patients ou des familles, des
substances mortifères dans le but de les soulager. Elle fût condamnée en appel à 12 ans de
réclusion criminelle pour assassinats en octobre 2003.
22
C’est donc dans ce contexte émotionnel chargé que Marie de Hennezel rend en
octobre 2003 son rapport sur la « fin de vie et [l’] accompagnement »23, mission que lui a
confié le ministre de la Santé de l’époque, Jean-‐François Mattéi en octobre 2002. Ce rapport
est donc le 5ème depuis le rapport Laroque de 1985 ayant abouti à la circulaire du même
nom. Il a pour but d’établir l’état des lieux de la prise en charge des patients en fin de vie en
2003 et de formuler des propositions pour améliorer les pratiques des professionnels de
santé et approfondir les connaissances de la population sur les situations de fin de vie. Marie
de Hennezel dénonce dans son rapport les confusions et ambiguïtés qui s’opèrent entre trois
pratiques de la fin de vie que sont la limitation et l’arrêt des thérapeutiques actives, les soins
palliatifs et l’acte délibéré de provoquer la mort ; elle tente de placer au cœur du débat la
question de « l’intention », du sens donné aux actes. Elle met l’accent sur les peurs qui
animent le débat : peur de mourir dans des souffrances extrêmes, peur de la dépendance et
de la déchéance, peur de la solitude et de l’abandon. Ses propositions sont axées autour de
quatre points forts :
La communication et la diffusion parmi les soignants, mais également dans la population
générale, sur l’accompagnement des personnes en fin de vie ; accompagnement qu’elle
souhaite voir développer et multipliée.
L’organisation des soins avec la création d’unités de soins palliatifs, le renforcement de la
présence de psychologues à disposition des patients, des familles et de soignants à l’hôpital
comme au domicile, la création de discussions éthiques autour des cas les plus lourds.
La reconnaissance et le développement de la discipline « soins palliatifs » au sein des
Universités pour une meilleure diffusion lors de la formation initiale médicale mais
également au cours de la formation continue. Elle insiste également sur la nécessité de
former les médecins à la communication avec leurs patients et les familles.
L’amélioration des procédures de prises de décisions lors de la confrontation à des situations
limites telles que les limitations ou arrêts des thérapeutiques actives ou encore les prises en
charge de douleurs extrêmes mettant en péril le pronostic vital. Marie de Hennezel propose
à ce propos de faire évoluer le Code de déontologie médicale afin qu’y soient intégrés les
principes de double effet, et d’intentionnalité. Elle préconise également la généralisation des
prises de décisions collégiales et transparentes.
23
Dans les suites immédiates de la remise de ce rapport et alors que le débat autour de
l’affaire Humbert est le plus vif, une mission parlementaire d’information relative à
l’accompagnement de la fin de vie, présidée par le Dr Jean Leonetti, député des Alpes
Maritimes, est constituée. Elle a pour objectif d’aboutir à une proposition de loi sur le sujet.
Jean Leonetti rend son rapport le 30 juin 200424 après 80 auditions auprès des représentants
de la société civile, des différents cultes, des professionnels de santé et des patients,
enrichies par des déplacements sur le terrain et dans les pays voisins. Il s’en est suivi des
débats en séances publiques au Parlement, clôturés par une adoption à l’unanimité, le
22 avril 2005, d’un nouveau texte de loi relatif au droit des malades et à la fin de vie1. Ce
texte est capital dans l’évolution de la prise en charge et de l’accompagnement des patients
en fin de vie en France : il prend en compte le refus des citoyens de l’acharnement
thérapeutique et confère une valeur législative aux règles médicales de bonne conduite,
fondées sur la transparence et la responsabilité.
Les décrets d’application de cette loi, dite Loi Leonetti, sortirent le 6 février 2006. Les
dispositions principales et remarquables en sont les suivantes :
• Le refus de l’obstination déraisonnable (article 1) : il s’agit de la réaffirmation du droit
de chaque patient à recevoir des soins appropriés et à bénéficier de thérapeutiques
efficaces, mais également de la disposition précisant que ce droit ne doit pas
conduire à la pratique d’actes médicaux au-‐delà du raisonnable. Par conséquent,
certains soins (de maintien de la fonction vitale) peuvent ne pas être entrepris ou
être arrêtés. Le médecin doit poursuivre les soins de confort.
• La traduction législative des situations de double effet (article 2) : le texte propose
une solution moralement acceptable aux situations où l’administration d’un
traitement peut avoir un effet positif (soulager la souffrance) et un effet négatif
(abréger la vie). Cette notion de double effet issue de St Thomas d’Aquin requiert 3
conditions25 : la proportionnalité, la non conditionnalité de l’effet positif à la
réalisation de l’effet négatif et l’intentionnalité. Les conditions légales
supplémentaires apportées par le texte sont l’information du malade et à des
représentants, l’inscription de la procédure au dossier.
24
• Le droit à l’abstention ou l’arrêt de tout traitement et le droit à l’accès aux soins
palliatifs (articles 3, 4 et 5) : ils concernent tous les patients (en fin de vie ou non) et
tout traitement (la nutrition et l’hydratation artificielle sont clairement considérés
comme traitements et non comme soins de confort et peuvent donc faire l’objet
d’un refus de la part des patients). Le devoir du médecin est de respecter la volonté
du patient conscient. La décision reste médicale in fine dans le cas d’un patient
inconscient.
• Les modalités de prises de décisions en fin de vie dans le cas d’un patient
conscient (article 6) : le médecin doit informer son patient des conséquences
prévisibles de ses choix, il doit in fine respecter les volontés du patient, la
confirmation d’une demande d’arrêt des thérapeutiques actives doit être réitérée
dans un délai raisonnable. Le médecin a dans tous les cas l’obligation de mettre en
place des soins de confort. L’inscription au dossier de la procédure de prise de
décision est obligatoire.
o Les modalités de prises de décisions en fin de vie dans le cas d’un patient hors
d’état de pouvoir exprimer directement sa volonté (articles 7 à 9) :
o La nouvelle loi dispose de la notion de directives anticipées qui sont
l’expression écrite des volontés du patient qu’il a rédigé a priori. Elles sont
recevables et prises en compte si le patient est inconscient et doivent dater
de moins de 3 ans. Elles ne s’imposent pas au médecin, mais sont « prises en
considération », primant sur l’avis de la personne de confiance ou de la
famille.
o L’article 8 prévoit la désignation par chaque patient d’une personne de
confiance lors de toute hospitalisation, celle-‐ci est valable pour la durée de
l’hospitalisation. Son avis doit être recherché et prime sur tout autre avis non
médical.
o En ce qui concerne la procédure à suivre pour prendre une décisions
concernant un patient inconscient, elle doit respecter les principes suivants :
collégialité de la décision, consultation des éléments permettant d’interpréter
25
l’avis qu’aurait eu le patient (directives anticipées, personne de confiance,
famille, proches), inscription dans le dossier de la décision motivée. In fine la
décision prise reste médicale.
• L’affirmation législative de l’importance d’ancrer les soins palliatifs dans les
politiques de santé publique (articles 11 à 14) dans les établissements hospitaliers
(contrats pluriannuels, projet médical) dans les établissements accueillant des
personnes âgées. Il est également prévu qu’un rapport spécifique sur
l’accompagnement en fin de vie soit intégré tous les 2 ans dans la loi de finance
soumise au Parlement.
Nous venons, avec ce rapide rappel du contexte historique, de cerner l’importance et
l’enjeu du développement des soins palliatifs en France. La loi Leonetti marque en 2005 le
début d’une nouvelle aire favorable à la diffusion de la démarche palliative à la fois au sein
de la communauté des soignants, qu’au sein de la population générale. Intéressons-‐nous
maintenant à l’illustration sur le terrain à travers un état des lieux des structures de soins
palliatifs dans le département de la Vienne.
1.2.2. Etat des lieux dans la Vienne
1.2.2.1. Prise en charge palliative en milieu hospitalier
Le département de la Vienne dispose de plusieurs centres hospitaliers qui opèrent un
maillage du territoire. Celui-‐ci est relativement centralisé autour du CHU de Poitiers mais le
Centre Hospitalier (CH) Camille Guérin de Châtellerault propose une offre de soins assez
conséquente pour le Nord du département. On note également la présence de plusieurs
hôpitaux locaux comme Montmorillon, Lusignan, et Loudun.
Pour rappel, la Vienne dispose d’une superficie de 6 990 km2 pour 418 460
habitants26.
Au sein du département, les soins palliatifs s’organisent de la façon suivante : une
Unité de Soins Palliatifs (USP) de 10 lits - ouverture en octobre 2009 - ; 2 Equipes Mobiles de
Soins Palliatifs (EMSP) intra hospitalière au CHU de Poitiers et au CH C. Guérin de
26
Châtellerault ; 39 Lits Identifiés Soins Palliatifs (LISP) répartis entre le CHU (17 lits), la clinique
St Charles (5 lits), la Polyclinique de Poitiers (4 lits), le CH C Guérin de Châtellerault (6 lits), le
CH de Loudun (5 lits), le CH de Montmorillon (2 lits)27.
L’EMSP du CHU est organisée autour de plusieurs postes : un temps plein médical,
1,8 temps plein infirmier, un 1 temps plein psychologue et 1 temps plein secrétaire. Elle est
renforcée également par la présence de deux internes de médecine générale. Cette équipe
assure le suivi des patients hospitalisés dans les services du CHU et épaule ainsi les équipes
soignantes traditionnelles lors de l’accompagnement des patients en soins palliatifs. En
dehors des périodes d’hospitalisation, elle assure, si besoin est, un suivi en consultation des
patients et peut conseiller le médecin traitant dans sa prise en charge à domicile. L’EMSP est
aussi disponible pour les patients relevant de l’Hospitalisation A Domicile du CHU et est
amené à se déplacé dans les hôpitaux locaux en soutient aux équipes de soignants.
L’USP du CHU est composée d’un temps plein médical (plus un temps plein vacant),
un cadre infirmier (qui se consacre également à l’EMSP), 0,8 temps plein psychologue, 8,8
temps plein infirmier, 8 temps plein d’aide soignante, ainsi que du temps consacré au
kinésithérapeute (0,5 Equivalent Temps Plein), à l’assistante sociale (0,2 ETP), et au
secrétariat (0,5). Il est à noter qu’il n’y a pas de temps de diététicienne ni d’agents de
service. Cette équipe peut accueillir, dans l’unité, dix patients qui sont adressés soit par un
autre service du CHU, soit directement par un médecin généraliste. Les lits sont réservés
pour la prise en charge de cas complexes de patients en soins palliatifs.
L’EMSP du CH C. Guérin de Châtellerault est composée d’un médecin (0,5 ETP) et
deux infirmières à temps partiels (1,75 ETP), 2 psychologues également à temps partiels
(1,35 ETP), et une aide-‐soignante sophrologue (1 ETP). Le deuxième 0,5 ETP du médecin est
consacré au service d’Hospitalisation A Domicile (HAD).
1.2.2.2. Prise en charge palliative en milieu ambulatoire
Il n’existe pas dans la Vienne de données sur la prise en charge des patients en fin de
vie au domicile, ce qui ne signifie pas pour autant qu’elle est inexistante. Elle est assurée par
27
les médecins généralistes et les professionnels de santé libéraux du département. Dans de
nombreux cas, ils sont épaulés par les services d’Hospitalisation à Domicile (HAD) existants.
Il existait, début 2010, 3 services d’HAD dans la Vienne : au CHU de Poitiers (25 lits),
le service, au CH C. Guérin de Châtellerault (21 lits), à la Clinique St Charles – Poitiers
(35 lits). Il est a noté que le CHU est actuellement en train d’étendre son service sur deux
sites délocalisés basés au CH de Lusignan (5 lits ouverts récemment) et au CH de
Montmorillon (ouverture prochaine). Une antenne du service du CH de Châtellerault a
également été ouverte ces derniers mois à Loudun, elle est composée de 6 lits.
Contrairement au département des Deux Sèvres, il n’y a pas dans la Vienne de réseau
ambulatoire de soins palliatifs (ALISPAD 79).
1.2.2.3. Interactions et mises en perspectives
En l’absence de réseau, les relations entre les professionnels de santé ambulatoires
et les structures et équipes de soins palliatifs se font en fonction des réseaux personnels de
chaque professionnel. Les possibilités d’hospitalisation à domicile, encore en cours de
développement, s’avèrent être un moyen pour les médecins généralistes d’obtenir un
soutien et d’être épaulé dans leurs prises en charge de leurs patients en fin de vie. On note
également que c’est le plus souvent à l’occasion d’une évaluation par l’EMSP ou d’une
hospitalisation en USP que les liens se créent entre les médecins généralistes et les équipes
de soins palliatifs. Ces relations semblent cependant dépendre encore beaucoup de
l’engagement et de l’ouverture des différents professionnels hospitaliers et ambulatoires.
A l’heure actuelle, un petit groupe de professionnels de santé ambulatoire du
département se réunit régulièrement dans l’objectif de créer un réseau de ville dans la
Vienne. Malgré les difficultés de mise en place, celui-ci semblerait répondre à une demande
des professionnels eux-mêmes. Ce sujet, étroitement lié à celui du vécu et du ressenti des
médecins généralistes dans leur prise en charge de patients en fin de vie, ne concerne pas
pour autant notre étude et pourrait faire l’objet d’un travail de recherche spécifique.
28
Nous avançons cependant que les liens entre les relations interprofessionnelles à
propos des patients en fin de vie ne peut qu’être étroitement lié à la manière dont sont
vécues ces situations par les professionnels dont les médecins généralistes eux-‐mêmes.
Nous poursuivons donc notre travail par la définition, dans ce contexte, des objectifs
de notre recherche ; nous nous intéresserons ensuite, dans un premier temps, à la place du
vécu et du ressenti des médecins généralistes à travers la littérature médicale consacrée aux
soins palliatifs à domicile puis dans un second temps nous nous consacrerons à la réalisation
d’une enquête qualitative auprès des médecins généralistes.
29
Chapitre 2. MATERIEL ET METHODES
2.1. OBJECTIF ET QUESTIONS DE RECHERCHE
2.1.1. Objectif
Nous avons perçu à travers notre expérience propre de la médecine générale que,
selon leur vécu et leur ressenti, les médecins généralistes mettent en place consciemment
ou non des mécanismes leur permettant de répondre aux difficultés que peut présenter la
prise en charge d’un patient en fin de vie. A partir de cette affirmation qui constitue déjà un
a priori, nous avons souhaité réaliser une étude auprès de médecins généralistes afin
d’identifier ce vécu et ce ressenti et de comprendre leur place et leur importance dans les
décisions prises dans le cadre de prises en charge de patients en fin de vie. L’ampleur de la
tâche ne nous est pas d’emblée apparue ; mais, au fur et à mesure de notre réflexion,
nourrie par la revue de la littérature, elle s’est avérée conséquente. Aussi nous avons
concentré l’objectif de recherche autour de l’expression du vécu et du ressenti.
Ce resserrement de notre objectif est argumenté par le fait que la prise de
conscience, la description puis l’analyse de l’expression du vécu et du ressenti sont des
préalables nécessaires à la compréhension du fonctionnement propre au médecin. C’est en
respectant ce cheminement que nous espérons prendre en compte le vécu et le ressenti des
médecins généralistes dans la démarche d’amélioration de la prise en charge des patients.
Nous avançons également que ce cheminement sera utile à l’amélioration du vécu des
médecins eux-‐mêmes.
L’objectif de ce travail est donc de décrire et de comprendre l’expression du vécu et
du ressenti des médecins généralistes dans leur prise en charge de patients en fin de vie.
Après une revue de la littérature circonscrivant, dans les travaux de recherche déjà
effectués, la place de ce vécu et de ce ressenti, nous étudierons les discours produits par les
médecins généralistes pour en identifier l’expression.
30
Nous n’avons donc pas, dans notre travail de recherche, d’autre hypothèse de départ
que celle affirmant que les médecins généralistes ne sont pas insensibles à leur
confrontation à la fin de vie et à la mort et qu’ils expriment leur vécu et leur ressenti au
travers des récits qu’ils font de leur prise en charge.
Notre travail est bien celui de comprendre et de décrire et non de démontrer ou de
généraliser des attitudes individuelles ou des singularités.
2.1.2. Questions de recherche
Nous avons fait le choix d’élaborer un panel d’interrogations autour des notions de
vécu et de ressenti de la prise en charge de la fin de vie par les médecins généralistes.
Tout au long de notre étude ces questions devront s’affiner. A cette étape du travail,
elles ne sont volontairement pas organisé ni définitivement arrêtées afin de ne pas nous
enfermer dans des schémas préconçus qui influenceraient la façon d’analyser la littérature
puis la façon de mener les entretiens et, par conséquent, le contenu du discours des
médecins rencontrés lors de l’enquête.
• Quelles sont les émotions ressenties par le médecin généraliste lorsqu’il prend en
charge un patient en fin de vie ? D’où viennent-elles ? Comment s’expriment-elles ?
• Quelles influences, ces émotions, ont-‐elles sur la prise en charge de la fin de vie ?
• Comment intervient le vécu personnel du médecin dans l’émergence de son ressenti
et sur sa prise en charge de la fin de vie ?
• Quelles représentations de la mort et de la fin de vie ont les médecins généralistes ?
• Quelles influences, l’expérience de la prise en charge de la fin de vie, a-t-elle sur les
prises en charge des autres patients ?
• Comment le vécu et le ressenti interviennent-‐ils dans les prises de décisions
concernant des patients en fin de vie ?
31
Nous verrons plus loin que ces questions nous ont permis de constituer un premier
guide d’entretien pour notre enquête de terrain.
Avant de réaliser cette enquête, nous avons donc procédé, dans une première étape
de notre travail, à une revue de la littérature afin d’évaluer la pertinence de notre
questionnement et de lui trouver une place dans le champ de la recherche en soins
primaires et en soins palliatifs. Cette revue de la littérature a également été l’occasion
d’affiner notre panel de questions de recherche avant d’aborder la phase d’enquête.
2.2. UNE RECHERCHE EN DEUX ETAPES
2.2.1. Revue de la littérature
2.2.1.1. Objectifs
De nombreux articles ou thèses traitent des soins palliatifs à domicile. Ces
publications évoquent différents thèmes autour de la prise en charge au domicile des
patients en fin de vie. Cela va de l’étude du lieu de décès, à celle des facteurs favorisant et
limitant la prise en charge au domicile. On trouve, dans ces publications, des éléments
relatifs au patient lui-même ou à son entourage. Lorsqu’elles évoquent la place du médecin
généraliste, celui-‐ci apparaît comme au centre de cette prise en charge, les différents
professionnels autour affirmant régulièrement que, sans l’implication du médecin traitant, la
qualité de la fin de vie au domicile peut être compromise. Sa formation et ses compétences
en soins d’accompagnement sont désignées comme faisant partie des éléments prédictifs de
la qualité de la prise en charge.
Aussi, nous avons voulu isoler, dans l’ensemble de ces travaux, les éléments relatifs
au vécu ou au ressenti du médecin généraliste. Nous avons souhaité aller au-delà des
éléments relatifs à ses compétences, à sa formation ou à ses attentes afin d’isoler des
éléments de réponses à notre questionnement initial.
A travers des travaux réalisés sur le vaste sujet des soins palliatifs à domicile, il était
également important pour l’ensemble de notre étude d’établir la pertinence de notre
32
questionnement en mettant en évidence le contraste entre la présence quasi permanente
d’éléments relatifs au vécu et au ressenti des médecins généralistes dans la littérature
consacré à la fin de vie à domicile et la rareté d’études spécifiques sur le sujet.
Ce travail d’analyse de la littérature a donc été réalisé en amont de l’enquête de
terrain qui constitue le cœur de notre travail de thèse.
2.2.1.2. Outils et méthodes de recherche bibliographique
La première étape de ce travail a été de rechercher dans la bibliographie médicale
française les publications relatives à la fin de vie au domicile depuis 2005. Le choix de se
limiter sur ces cinq dernières années est délibéré. Deux considérations ont présidé à ce parti
pris. D’une part, il s’agissait de ne travailler que sur des travaux de recherche récents.
D’autre part, comme nous l’avons vu, l’année 2005 marque un tournant dans la politique
législative de la prise en charge des malades et du traitement de la fin de vie avec la
promulgation de la Loi Leonetti.
Procéder à une revue de la littérature française depuis 2005 prend donc tout son
sens en terme de cohérence des thématiques traitées par les différentes publications
étudiées. Si cette cohérence n’est pas totale sur le plan législatif, puisque les décrets
d’application ne sont intervenus qu’en 2006, elle l’est complètement sur le plan sociétal,
dans la mesure où les travaux préparatoires et le débat public se sont mutuellement nourris,
dès lors que les débats ont débuté au Parlement à la suite de la remise du rapport Leonetti.
Nos recherches documentaires ont été effectuées dans la base de données
SCIENCE-‐DIRECT, dans le catalogue SUDOC ainsi que dans la base documentaire de la BIUM
(Bibliothèque inter universitaire de médecine) des Universités Paris Diderot, Paris Pierre et
Marie Curie, et Paris Descartes. Cette dernière permet un accès à toutes les thèses de
médecine et nous a permis d’isoler celles qui sont en lien avec notre sujet.
Nous avons concentré notre analyse sur les travaux de recherche réalisés par des
professionnels de la santé et non sur des ouvrages plus généraux traitant de la mort ou de la
fin de vie.
33
Les mots clés retenus pour la recherche étaient : fin de vie, soins palliatifs, domicile,
médecin généraliste, médecin traitant. Les mots ressenti et vécu ont du être éliminés car,
trop restrictifs, ils ne permettaient pas d’obtenir de résultats dans les moteurs de recherche.
2.2.1.3. Méthode de lecture et d’analyse
Nous avons procédé, dans un premier temps, à la lecture de l’ensemble des
publications et thèses trouvées à l’aide de la recherche par mots clés. Certaines publications
n’étant pas en lien direct avec notre sujet ont été écartées. Celles traitant directement du
vécu et du ressenti des médecins généralistes, ainsi que celles, plus nombreuses, évoquant
ce sujet parmi les divers thèmes abordés ont été retenues.
Nous avons ensuite procédé à une analyse individuelle de chacune des publications
et thèses sélectionnées. Nous avons étudié à chaque fois le type de publication, les objectifs,
la méthodologie, les idées centrales des auteurs avec leurs argumentations et leurs
conclusions. Nous avons enfin isolé notre thème au sein de chacune de ces analyses. Ne
seront présentées ici que les éléments en rapport avec notre sujet, l’ensemble de l’analyse
ayant constitué notre travail de mémoire du Diplôme Inter-‐Universitaire de Soins Palliatifs.
Dans un second temps, nous avons réalisé une analyse comparée des publications en
nous concentrant sur notre thème, l’objectif étant de préciser ce que la littérature dit et ne
dit pas à propos de notre sujet.
En fonction de ce travail, nous avons pu établir la pertinence de notre
questionnement au sein de la littérature avant de débuter notre enquête de terrain.
2.2.2. Une enquête de terrain qualitative
2.2.2.1. Principes
L’analyse qualitative est « d’abord une faculté de l’esprit cherchant à se relier au
monde et à autrui »28. Cette première approche de la pensée qualitative nous a semblé
parfaitement adaptée à ce travail de recherche de médecine générale. La prise en charge
globale constitue le quotidien du médecin généraliste et du médecin assurant la prise en
34
charge palliative. La relation n’est jamais une simple relation de dualité entre le médecin et
son patient, elle est toujours une relation d’un Homme avec un autre Homme ayant chacun
ses expériences, ses connaissances, ses croyances, son environnement et son entourage
propre. Autant d’éléments, de subtilités qu’il ne nous semblait pas possible d’étudier, de
disséquer dans une approche quantitative. Cependant, à travers notre travail de recherche,
nous souhaitons nous placer au plus proche de la réalité de la prise en charge palliative à
domicile.
La recherche qualitative a pour particularité d’étudier les comportements, les
paroles, les récits de ceux auxquels elle s’intéresse. Il ne s’agit pas là de démontrer, de
mesurer, il s’agit simplement d’observer et de comprendre.
2.2.2.2. Rôle du chercheur
Le chercheur, ou enquêteur, adopte un rôle d’observation, d’écoute, de recueil puis
d’analyse des expériences, des attitudes et des récits. Il a un rôle réflexif lui permettant
d’analyser les attitudes et comportements humains et d’en comprendre les ressorts. Il n’est
pas un phénomène extérieur mais est bien partie intégrante du processus de
compréhension.
2.2.2.3. Méthode de recueil des données
2.2.2.3.1. Choix et principe de l’entretien semi-‐dirigé
Le choix de réaliser des entretiens qualitatifs s’est imposé de lui-‐même dès le début
de notre réflexion. Les entretiens produisent du discours, distinct de l’opinion qui est, elle,
produite préférentiellement par la réalisation de questionnaires. Le discours constitue le
prolongement d’une expérience concrète ou imaginaire »29. Il ne s’agit pas de répondre à la
question « pourquoi ? » mais plutôt à la question « comment ? ». Comment les médecins
généralistes expriment-‐ils leur vécu et leur ressenti lors de prises en charge à domicile de
patients en fin de vie ? Nous ne recherchons pas de lien de causalité mais cherchons bien à
35
comprendre sans décider a priori du système de cohérence interne permettant aux
médecins d’exprimer son vécu et son ressenti.
2.2.2.3.2. A partir d’un guide d’entretien
Le guide d’entretien, élaboré en amont de leur réalisation, est un système organisé
de sujets que l’enquêteur doit connaître de manière à être capable d’improviser des
relances ou des questions en lien avec l’objet de sa recherche. Il n’est pas une liste de
questions définies à poser directement à l’informateur car il risquerait ainsi de limiter la
spontanéité et donc la validité des réponses. Ce guide doit donc « permettre d’obtenir un
discours librement formé par l’informateur et un discours répondant aux questions de la
recherche 29 ».
Notre guide d’entretien a, ici, été élaboré à partir du panel de questions de recherche
et s’est précisé à l’issue de la revue de la littérature. Nous l’avions prés de nous lors du
premier entretien afin, sûrement, de nous rassurer. Il n’a jamais été consulté tout au long
des autres entretiens.
2.2.2.3.3. Choix des informateurs et constitution du corpus
Définitions
Les informateurs sont issus de la population que nous souhaitons étudier. Ils sont
définis comme étant les acteurs du terrain dont on estime qu’ils sont en position pour
répondre aux questions posées29.
Le corpus est constitué des entretiens réalisés auprès des informateurs. C’est à partir
du corpus que le chercheur peut réaliser son analyse réflexive.
Critères d’inclusion des informateurs
Dans notre étude, la population est celle des médecins généralistes exerçant une
médecine de premier recours en ambulatoire dans la Vienne.
36
Ont été exclus de cette population les médecins généralistes exerçant exclusivement
en centre hospitalier, en clinique, dans des collectivités territoriales ou dans des
administrations.
Les médecins qualifiés en médecine générale mais n’exerçant pas celle-ci de par une
qualification dans une discipline complémentaire d’exercice, telles que la gynécologie
médicale ou l’angiologie, ont également été exclus.
Au sein de la population, les informateurs ont été sélectionnés sur des critères de
diversité. Ces critères doivent être pondérés mais il n’y a pas de nécessité de
représentativité. C’est pour cette raison que l’on parle plutôt d’informateurs que
d’échantillon. En recherche qualitative, il n’y a pas de caractère significatif des critères
habituels30 (âge / sexe / situation familiale / etc.). L’objectif, lors du choix des informateurs,
est de contraster au maximum les individus interrogés et les situations retranscrites29.
Nous avons fait le choix des caractéristiques suivantes comme éléments
discriminants nous permettant de constituer un groupe d’informateurs diversifié valide :
• Sexe,
• Âge,
• Année d’installation,
• Formation ou non aux soins palliatifs ou à la prise en charge de la douleur,
• Lieu d’exercice,
• Mode d’exercice,
• L’accès ou non à un service d’hospitalisation à domicile,
• Implication dans l’enseignement de la médecine générale (médecins enseignants
cliniciens ambulatoires).
37
Mode d’accès aux informateurs
Nous avons donc recruté, par l’intermédiaire du fichier du conseil départemental de
l’ordre des médecins, des médecins généralistes exerçant en ambulatoire dans la Vienne.
Le choix de se limiter au département a été guidé par une nécessité de faisabilité.
Dans un premier temps, nous avons sélectionné un nombre limité de médecins
généralistes (une quinzaine) que nous avons contactés par téléphone. Cette sélection s’est
faite au hasard dans le fichier en fonction du sexe pour ne pas avoir que des hommes ou que
des femmes.
Lors du premier contact téléphonique, nous avons présenté notre projet de thèse à
ces médecins généralistes, en insistant sur notre volonté de réaliser un échange autour de
situations vécues de prise en charge à domicile de patients en fin de vie (que le décès soit
intervenu au domicile ou non). Dès lors qu’un médecin acceptait de nous rencontrer, il était
inclus parmi les informateurs. Nous avons ainsi recruté six médecins généralistes. Les refus
étaient le plus souvent dus à un manque de temps. N’ont pas été rappelés les médecins qui
ne nous ont pas recontacté suite au message laissé (sur répondeur ou au secrétariat).
La nécessité de diversifier les informateurs nous a contraint, dans un second temps, à
opter pour un accès plus indirect. Nous avions, à ce stade, des médecins exerçant en
campagne et en zone semi-‐rurale, deux femmes et quatre hommes. Un de ces médecins
était enseignant clinicien ambulatoire. Il nous fallait, pour poursuivre notre recrutement et
permettre une diversité des informateurs et des situations, nous assurer que, parmi les
médecins interrogés, les différentes caractéristiques avancées a priori se retrouveraient.
Les informateurs recrutés dans ce second temps l’ont été à la fois de façon indirecte
et ciblée. Nous avons contacté ce deuxième groupe de médecins par l’intermédiaire de
notre réseau professionnel ; nous avons également, pour certains, ciblé notre recherche
dans le fichier du Conseil de l’Ordre (par exemple en recherchant une femme jeune exerçant
en milieu rural). L’inclusion définitive de ces médecins s’est faite, comme précédemment, à
la suite d’un premier entretien téléphonique bref. Lors de cette deuxième phase de
38
recrutement nous avons contacté cinq médecins supplémentaires qui ont tous accepté de
nous rencontrer.
Nous avions bien sûr exclu les médecins que nous connaissions ou que nous avions
remplacés.
Le groupe d’informateurs total était alors constitué de onze médecins.
Constitution du corpus
Comme nous l’avons vu précédemment, nous avons recruté les informateurs afin
d’obtenir une diversité maximale des individus. Cette diversité nous a permis de constituer
un corpus de récits et de situations également le plus diversifié possible. Au-‐delà de la
diversification des individus et des situations, il nous fallait éviter la dispersion29 qui aurait
rendu l’analyse réflexive et l’obtention d’unités d’analyse plus complexes. Cet écueil était
évité en grande partie par l’unité de départ de la population choisie, à savoir les médecins
généralistes exerçant en ambulatoire dans la Vienne.
La taille du corpus correspond, quant à elle, au nombre d’entretiens réalisés. Ce
nombre n’a pas été fixé a priori mais a été guidé par une première analyse au fur et à
mesure des récits. Cette analyse nous a permis d’évaluer progressivement la diversité des
attitudes et modes de fonctionnement des médecins face aux situations de fin de vie à
domicile. Ainsi, nous avons arrêté les entretiens lorsque nous avons mis en évidence une
relative redondance des informations recueillies et l’absence de données nouvelles
signifiantes. C’est cette relative saturation des données ainsi que le contexte de réalisation
de l’enquête qui permettent d’établir la validité des informations issues des entretiens et
non leur probabilité d’occurrence29,30.
2.2.2.3.4. Réalisation des entretiens et recueil des données
Les entretiens ont été réalisés pour la plupart au cabinet des médecins interrogés.
Dans tous les cas, nous leur laissions le choix du lieu afin qu’ils se sentent à l’aise au cours de
l’échange. Tous les entretiens ont été faits de visu, le téléphone ne permettant pas un
39
recueil aisé des données et excluant la mise en place d’une relation de confiance et
d’échange aussi poussée.
Afin de faciliter le recueil des données et leur analyse, les entretiens ont été
enregistrés sous format numérique.
2.2.2.4. Méthodes d’analyse des données
2.2.2.4.1. Transcription
La retranscription des enregistrements audio a été réalisée grâce à un logiciel de
dictée vocale. Pour chaque entretien, nous avons retranscrit les propos de l’informateur et
de l’enquêteur de façon littérale en utilisant par conséquent les signes conventionnels de la
ponctuation pour traduire la parole orale en texte écrit. Nous nous sommes également
attardé à mentionner les silences, les hésitations, les rires, etc. afin de rester le plus fidèle
possible aux éléments de contexte proxémiques, kinésiques et émotionnels des entretiens.
2.2.2.4.2. Données chiffrées
Dans nos résultats, les données chiffrées et les caractéristiques sont présentées dans
l’objectif de rendre compte de la diversité de nos informateurs et non dans l’objectif de faire
valoir une quelconque représentativité de ces données.
2.2.2.4.3. Etude des éléments des discours par analyse thématique
« Les entretiens ne parlent pas d’eux-‐mêmes »28. Pour remplir l’objectif de notre
recherche, il nous a fallu réaliser l’analyse des discours. Celle-‐ci se réalise sur le corpus
d’entretiens effectués, c’est-‐à-‐dire l’ensemble des discours produits par l’enquêteur et les
informateurs. Nous nous sommes attardé sur l’analyse de contenu, qui étudie et compare
les sens des discours, pour mettre à jour l’expression du vécu et du ressenti29.
Nous avons fait le choix de réaliser une analyse thématique du corpus.
40
Réaliser une analyse thématique consiste à attribuer des thèmes en lien avec le
matériau soumis à l’analyse. Celle-‐ci procède à une réduction qualitative des données pour
en saisir le propos fondamental28. Sa fonction première n’est ni d’interpréter ni de théoriser.
Elle sert avant tout au relevé du sens des témoignages, à sa synthèse (restitution) puis à sa
mise en perspective (analyse)28. Elle prend tout son sens dans notre démarche dont
l’objectif, rappelons-‐le, est de décrire et de comprendre l’expression du vécu et du ressenti
des médecins généralistes dans leur prise en charge de patients en fin de vie.
La première étape a été de réaliser la thématisation de l’ensemble du corpus,
entretien après entretien. Nous avons opté pour une thématisation en continu, à savoir une
démarche ininterrompue d’attribution de thèmes au fil des lectures répétées du corpus. La
deuxième étape, réalisée simultanément, a été la construction d’un arbre thématique.
Avant de progresser dans la description de ces étapes de l’analyse thématique, nous
devons préciser le sens des termes méthodologiques que nous utiliserons par la suite.
Un thème est un « ensemble de mots permettant de cerner ce qui est abordé dans
un extrait du corpus tout en fournissant des indications sur la teneur des propos »28.
Une rubrique est une formule abstraite, outil de classification, ne traduisant pas le
propos mais indiquant le sujet abordé. Elle n’est pas, pour autant, dénuée d’intérêt
puisqu’elle est un outil nous permettant de classer les thèmes relevés lors du processus de
thématisation pour en faciliter la lecture et l’étude28.
Un ensemble thématique saillant (ou regroupement saillant) est un regroupement
de thèmes qui émergent du corpus en fonction de certains critères : la récurrence, la
divergence, l’opposition, la convergence, la complémentarité, etc. Ce sont ces critères qui
rendent l’ensemble significatif, en mettant en relief les thèmes isolés par la démarche de
thématisation continue28.
Un axe thématique est le résultat de l’analyse des ensembles saillants. Il est destiné à
constituer les branches ou ramifications de l’arbre thématique.
Un arbre thématique est une représentation des articulations et des interactions
entre les axes thématiques. Il est un outil descriptif utile à la compréhension de l’analyse28.
41
Pour la première étape, nous avons relevé les thèmes en utilisant le mode
d’inscription en marge du texte. Ceux-‐ci ont ensuite été transposés au sein de relevés (un
par entretien) qui les listent de façon linéaire et les classent sous différentes rubriques en les
illustrant par des extraits de verbatim. Le choix des rubriques a été guidé par le contenu du
guide d’entretien, ainsi que par les questions et les relances de l’enquêteur. Chaque
entretien a donc fait l’objet d’une analyse thématique aboutissant à la rédaction d’un relevé
de thèmes. Nous rappelons que notre objectif vise l’expression du vécu et du ressenti des
médecins généralistes et non l’analyse de singularités. Les relevés d’entretiens ont donc été,
au fur et à mesure de leur construction, confrontés les uns aux autres afin de mettre en
évidence les ensembles thématiques saillants. Ils ont fait l’objet d’une analyse transversale
continue, obligeant, d’une part, à un aller et retour permanent entre les relevés et, d’autre
part, à une lecture flottante du corpus. Chaque entretien n’a donc pas fait l’objet d’une
analyse isolée de son contenu au-‐delà du relevé de thèmes.
C’est grâce à l’émergence progressive des ensembles thématiques saillants que nous
abordons la deuxième étape de notre analyse : la construction de l’arbre thématique. Cette
étape étudie les ensembles saillants en les organisant autour d’axes thématiques de
réflexion qui participeront à la constitution des branches de l’arbre. Ces axes de réflexion
thématiques sont le reflet des interactions entre les ensembles thématiques saillants ; ils en
portent le sens28. L’arbre thématique devient alors un outil de synthèse descriptif puisqu’il
présente et organise les thèmes dont nous n’avons eu cesse tout au long de notre travail de
vérifier la robustesse à l’épreuve du corpus. Il constitue alors un outil utile à l’interprétation
et à la mise en perspective du contenu étudié.
L’ensemble de ce travail d’analyse thématique doit être compris comme le résultat
d’une analyse en profondeur des données empiriques pour constituer un tout intelligible
grâce à son évolution continue. Les étapes sont décrites dans un objectif didactique mais
elles ne doivent pas faire oublier la nécessité pour l’analyste (comme pour le lecteur) de
confronter en permanence le fruit de l’analyse aux données empiriques du corpus. Aussi,
l’arbre thématique, objet de la discussion, n’est qu’une fenêtre ouverte sur l’ensemble des
résultats de la démarche d’analyse thématique.
42
Chapitre 3. RESULTATS ET ANALYSE
3.1. REVUE DE LA LITTERATURE
3.1.1. Caractéristiques de la littérature étudiée
Les travaux et les publications que nous avons étudiés sont en partie des articles de
revues médicales, mais ils sont surtout des thèses soutenues depuis 2005 en France. Nous
précisons à ce propos que nous pouvons regretter la difficulté d’accès à celles-‐ci qui restent
le plus souvent de la littérature grise assez mal référencée et surtout non mises en valeur,
alors que, nous allons le voir, elles constituent parfois des sources d’informations riches.
3.1.2. Analyse par publication
3.1.2.1. Articles
3.1.2.1.1. Le médecin face au malade en fin de vie : enquête auprès du corps médical sur la formation aux soins palliatifs et l’accompagnement des malades en fin de vie31.
Cet article s’interroge sur la place de la mort dans la relation entre le médecin et le
malade en fin de vie à la suite d’une enquête rétrospective concernant des malades admis
dans un service d’accueil des urgences d’un CHU et décédés dans les 72 heures suivants leur
admission.
Dans son développement, cet article, qui semble un peu lointain de notre
problématique, met en évidence, dans son étude auprès des soignants, une « réelle
souffrance psychologique des internes à la mort de leurs malades » justifiant la mise en place
puis l’intégration à des groupes de parole afin « d’identifier ses propres émotions de
médecin, les considérer comme normales et non pas comme honteuses ».
43
Nous voyons ici qu’au-delà de la nécessité de formation des soignants, il est un autre
point essentiel qui relève du soignant en tant qu’individu, de son ressenti, de ses angoisses
face à des patients en fin de vie. Cet élément est avancé parmi ceux intervenant dans la
qualité de l’accompagnement en fin de vie. Les auteurs incluent cet aspect dans les éléments
pouvant être influencés par une formation en soins palliatifs et, en particulier, par la mise en
place de groupes de parole.
3.1.2.1.2. Etude par entretiens sur les avis des généralistes et des équipes de réseaux à propos de leur collaboration32.
Cette étude avait pour objectif de mieux connaître les avis réciproques des
généralistes et des équipes de réseaux de soins palliatifs à propos de leur collaboration. Il
s’agissait de l’étude d’une série d’entretiens semi-‐directifs auprès des équipes et des
médecins traitants.
Cet article a retenu notre attention car il pointe la solitude ressentie par les médecins
généralistes prenant en charge des patients en fin de vie au domicile. En ce qui concerne le
recours trop rare aux réseaux de soins palliatifs, il nous apparaît, à la lecture de cet article,
que cette articulation entre le sentiment de solitude et la volonté de rester au centre de la
prise en charge mérite d’être explorée. L’expression de cette volonté semble, en effet, être
associé à un sentiment plus insidieux de toute puissance, conférant au médecin cette
position centrale, de facto, dans la prise en charge.
3.1.2.2. Thèses
3.1.2.2.1. I. DEVEAUTOUR 200733
Titre : La prise en charge des patients en fin de vie à domicile dans le département de la
Creuse (enquête auprès des médecins généralistes).
Objectifs : Evaluer les difficultés des médecins généralistes dans leur prise en charge des fins
de vie à domicile, mettre en évidence leurs attentes pour améliorer leur prise en charge.
44
Méthodologie : Etude prospective sous forme de questionnaires envoyés à tous les
médecins généralistes de la Creuse. Analyse quantitative des résultats.
Idées centrales : I DEVEAUTOUR met en évidence les multiples difficultés auxquelles se
heurtent les médecins généralistes dans leur mise en place d’une démarche palliative de
qualité au domicile : le faible niveau de formation complémentaire des médecins concernant
les soins palliatifs, la douleur, la gériatrie ou l’éthique ; le recours trop rare au travail en
équipe pluridisciplinaire ou à des professionnels compétents en soins palliatifs. Elle propose
en conclusion la création d’un réseau ambulatoire afin de permettre l’amélioration de la
prise en charge palliative au domicile dans le département de la Creuse.
Commentaires : A différentes occasions, I DEVEAUTOUR évoque le ressenti des médecins
interrogés : « les médecins formés […] se sentent également plus à l’aise ». Dans son analyse,
l’auteur fait un lien entre « les difficultés d’ordre émotionnel » des médecins avec l’angoisse
des familles. Aucune hypothèse n’est formulée à propos des angoisses propres à « l’homme
– médecin ». Pourtant, elle affirme au vu de ses résultats que ces difficultés d’ordre
émotionnel n’apparaissent pas influencées par l’existence ou non d’une formation
complémentaire ou par le nombre d’années d’exercice des médecins. Son analyse oscille
constamment sur ce point entre « l’angoisse des soignants » et « l’angoisse des familles »
sans s’arrêter sur la première.
Parmi les attentes des médecins que I DEVEAUTOUR met en évidence, rien ne concerne la
gestion des émotions des médecins eux-mêmes. Ainsi, si l’on perçoit, dans son travail, cet
aspect de la prise en charge lié au médecin lui-même, à son ressenti, à ses propres angoisses
et émotions, le sujet n’est en réalité qu’effleuré. Cela s’explique sûrement par la diversité
des thèmes traités autour de la prise en charge palliative à domicile dans ce travail, ainsi que
par le choix d’une méthodologie quantitative à travers un questionnaire fermé, celui-ci ne
permettant pas de laisser libre cours à l’expression des médecins interrogés.
3.1.2.2.2. H. TROUILLET 200734
Titre : Soins palliatifs et fin de vie à domicile : difficultés et aspirations des soignants.
45
Objectifs : Adopter le point de vues des soignants confrontés à une prise en charge palliative
à domicile ; appréhender leurs difficultés, leurs questionnements mais aussi leurs
satisfactions et leurs espérances.
Méthodologie : Etude qualitative par questionnaires ouverts adressés à des médecins
généralistes, des IDE (Infirmière Diplômée d’Etat), des aides soignantes, des
kinésithérapeutes.
Idées centrales : H TROUILLET met en évidence l’implication des professionnels du domicile
dans la prise en charge palliative dont ils s’occupent. Il souligne que ces prises en charge ne
laisse jamais « indifférents » les professionnels. Il pointe les attentes en terme « de
formation, d’organisation, d’assistance, de conseils, de soutien » et souligne que celles-ci ne
pourront être satisfaites « que dans l’application large du principe de pluridisciplinarité ». Il
conclut son travail en avançant qu’ « ainsi préservé de la solitude et soutenus dans sa
pratique, il appartiendra encore au soignant de faire face à un obstacle permanent :
l’inextensibilité du temps ».
Commentaires : H TROUILLET met bien en évidence dans son travail les différentes
difficultés liées à la prise en charge au domicile des patients en fin de vie. Le thème du vécu
et du ressenti des médecins généralistes (à travers son travail sur l’ensemble des soignants)
est clairement posé même s’il ne s’y attarde pas. Dans sa conclusion, il ouvre cependant une
réflexion sur ce propos en évoquant la confrontation du soignant à « l’inextensibilité du
temps ».
46
3.1.2.2.3. V. LAVENIR 200835
Titre : Fin de vie à domicile : représentations et déterminants.
Objectifs : Etudier les motivations des patients en fin de vie rentrant à domicile, leurs
attentes, et au delà, les représentations que les patients en soins palliatifs se font de la fin
de vie à domicile et les déterminants de la prise en charge liés au patient.
Méthodologie : Etude qualitative basée sur des entretiens semi dirigés avec des patients en
fin de vie (espérance de vie inférieure à trois mois) à leur domicile.
Idées centrales : V LAVENIR justifie son étude et son approche qualitative par la volonté de
mieux cerner les ressentis et les attentes des patients en fin de vie, en particulier en ce qui
concerne la volonté de rester au domicile. Elle en tire les conclusions suivantes : « la
représentation de la maladie est capitale dans le vécu de la fin de vie » ; « le choix du
domicile n’est pas toujours un choix clair et affirmé, il est influencé par de nombreux facteurs
[…] qu’il convient d’analyser […] » ; « l’image de soi et de la vie en général a une influence
certaine dans le ressenti du patient en fin de vie » ; « le rôle du médecin traitant est
primordial […]. Il faut en être pleinement conscient et se donner les moyens d’aider le
patient, si on estime être capable de le faire, […] ne pas hésiter à le dire si la situation nous
dépasse, pour ne pas créer un sentiment d’abandon chez le patient » ; « chaque patient a des
besoins spécifiques qu’il s’agit de cerner de façon individuelle ».
Ainsi, V LAVENIR propose, parmi les pistes d’approfondissement, l’exploration des
représentations des professionnels dans la prise en charge palliative.
Commentaires : Nous voyons dans le travail de V LAVENIR, à travers le regard des patients,
la place importante du médecin traitant dans la prise en charge de la fin de vie au domicile.
A la lecture des entretiens apparaissent, a contrario, les difficultés qui peuvent se poser
lorsque le médecin généraliste « n’est pas à la hauteur » des attentes de son patient. Ces
attentes dépassent les simples compétences techniques. L’analyse des entretiens sur ce
point met en évidence des attentes concernant les compétences humaines et relationnelles
du médecin. Mais cela va bien au-delà : parmi les points importants pour les patients il y a
47
« la part émotionnelle de la relation médecin malade », relation qu’ils attendent basée « sur
le respect, l’affection, la confiance ». Nous retenons ici les termes d’émotion et d’affection.
Le vécu, le ressenti, les émotions du médecin sont ici évoqués à travers le regard et les
attentes des patients. Le médecin est-il prêt à s’impliquer jusque là ? A-t-il le choix lorsqu’il
s’investit dans la prise en charge d’un patient en fin de vie ? Autant de questions suscitées
par ce travail de thèse.
3.1.2.2.4. C. VANTOMME36
Titre : Difficultés des médecins généralistes dans la prise en charge au domicile de patients
en soins palliatifs. Enquête auprès de 268 médecins généralistes dans le Val-de-Marne.
Objectifs : Avoir un aperçu des pratiques des médecins généralistes dans la prise en charge
de patients en soins palliatifs au domicile, déterminer l’organisation qu’ils mettent en place,
identifier les obstacles qu’ils rencontrent, percevoir les améliorations possibles qu’ils
attendent.
Méthodologie : Enquête prospective par questionnaire ouvert auprès de médecins
généralistes d’un secteur défini a priori. Analyse mixte quantitative et qualitative des
résultats.
Idée centrale : C VANTOMME fait du médecin généraliste un garant de la réussite d’une
prise en charge en fin de vie au domicile, le définissant comme un « pivot » de cette prise en
charge. Dans sa discussion, elle fait un point relativement exhaustif sur l’ensemble des
difficultés relatives à la fin de vie à domicile : elle s’interroge sur les obstacles financiers,
s’attarde sur l’importance de la famille comme élément facilitateur ou, au contraire, comme
obstacle au maintien à domicile ; elle décrit l’évolution des soins palliatifs « hors les murs »
de l’hôpital, et engage une réflexion sur la permanence des soins palliatifs à partir de ses
données sur le recours aux urgences des patients en fin de vie. Pour terminer, C VANTOMME
rappelle la place importante de la formation des soignants aux soins palliatifs et insiste en
particulier sur la réflexion et la parole, évoquant alors à la fois la souffrance morale et
psychologique des patients mais également la souffrance des soignants, la souffrance du
médecin. Elle explique cette souffrance par l’importance du « savoir faire » dans la médecine
48
du XXIe siècle basée sur « la maladie et sa guérison ». « Or le médecin qui veut soigner un
patient en phase terminale doit faire le deuil de sa toute puissance et mettre en avant ses
capacités relationnelles et ses qualités d’écoute ».
Commentaires : Ce travail est extrêmement complet et balaie de façon plutôt exhaustive
l’ensemble des difficultés rencontrées lors de la prise en charge de patients en fin de vie au
domicile. Cependant, nous voyons à la lecture de son analyse que de nombreux points
méritent d’être développés : en particulier, les aspects relatifs à la souffrance, au ressenti du
médecin et aux difficultés qu’il ressent personnellement face à la fin de vie. C VANTOMME
explique elle-‐même dans son analyse que cet aspect transparaît dans les commentaires
laissés dans son questionnaire par les répondants. Elle explique que la « compréhension et le
sens des termes » utilisés par les médecins à propos de leurs sentiments restent délicats à
interpréter dans son étude. Elle nous livre cependant en annexe de son travail, de façon
brute, quelques phrases de médecins issues des commentaires libres. Nous trouvons dans
ces commentaires différents mots qui nous interpellent : « souffrance du médecin »,
« solitude », mais aussi « enrichissant » et « valorisant ».
3.1.2.2.5. M. GARREAU 2006 37
Titre : L’accompagnement de fin de vie à domicile par le médecin généraliste.
Objectifs : Mettre en évidence les représentations et les pratiques des généralistes face à
l’accompagnement de patients en fin de vie à domicile.
Méthodologie : Enquête qualitative par entretiens semi dirigés auprès de médecins
généralistes maîtres de stage.
Idées centrales : M GARREAU fait ressortir de ces entretiens plusieurs notions
fondamentales à propos des relations entre le médecin traitant et son patient en fin de vie.
Elle affirme tout d’abord la « nécessité de remettre la mort à sa place afin de mieux la vivre
[…] d’accepter notre finitude, avec l’incertitude qui la définit ». Cet aspect concerne à la fois
le patient, sa famille et le médecin en tant qu’individus issus d’une même société. Au cours
de ces entretiens, les médecins généralistes consacrent une place importante à la famille et
plus largement à l’entourage du patient, analysant les relations médecin-famille,
49
patient-famille mais aussi intra-familiale. M GARREAU relève l’importance de la
communication dans ce contexte en insistant sur l’importance de la relation de confiance
entre l’ensemble des protagonistes. « Cela demande au médecin une adaptation constante
au malade, à l’entourage, aux différentes situations et à leur charge émotionnelle ».
L’auteur isole, parmi les difficultés auxquelles sont confrontés les généralistes, leur propre
souffrance dans la confrontation au mourant. Son analyse lui permet d’avancer les stratégies
mises en place pour diminuer cette souffrance : l’humilité, l’acceptation du patient tel qu’il
est avec ses choix et ses conceptions différentes parfois de celles du médecin, le travail en
équipe, la participation à des groupes de parole, le travail sur soi-même.
Commentaires : M GARREAU consacre tout un chapitre de son développement à l’analyse
du vécu des médecins à travers leur discours mais aussi aux moyens qu’ils mettent en œuvre
pour gérer les difficultés et les souffrances inhérentes aux soins palliatifs. Dans son analyse
du ressenti, elle met en évidence la dichotomie des sentiments mis en jeu : elle décrit le
bonheur exprimé par les médecins lorsqu’ils ont la sensation d’avoir rempli la tâche qui leur
incombait, « l’impression de travail bien fait […], d’avoir été utile au malade ou à
l’entourage ». Certains médecins décrivent des « moments de bonheur partagé ». L’auteur
analyse ce sentiment en expliquant l’enrichissement personnel qu’apporte
l’accompagnement en fin de vie. Elle reprend à ce titre M de Hennezel qui parle « d’école de
la vie »38. M GARREAU analyse ensuite la souffrance exprimée par les médecins, souffrance
ressentie face au mourant, mais aussi face à sa propre impuissance ; elle met en exergue les
sentiments de frustration que peut engendrer l’accompagnement en fin de vie, ainsi que la
fatigue tant physique que psychologique du soignant. Le risque mis en évidence dans les
entretiens est celui de ne plus faire face, de tomber dans le « burn out ». Mais M GARREAU
fait ressortir également de ces entretiens les moyens mis en œuvre par les médecins pour
« faire face ». C’est à ce niveau là qu’interviennent leur personnalité et leur histoire
personnelle dont « dépendent leurs réactions aux situations de stress de l’accompagnement
de fin de vie ». Parmi les outils utilisés, il y a, en premier lieu, « le travail sur soi » qui permet
au médecin « d’accepter la mort », « d’apprendre à reconnaître ses sentiments, ses
émotions, ses failles, ses faiblesses » et de comprendre « la nécessité de sortir de la toute
puissance du médecin ». L’empathie et la distance dans la relation permettent, par ailleurs,
au médecin de « rester professionnel ». Son humilité lui permet, quant à elle, de respecter le
50
désir des patients et de « limiter la souffrance due aux nombreuses frustrations générées par
l’accompagnement ». M GARREAU explique que « le médecin doit s’oublier, oublier ses
désirs, ses représentations, […] mettre de côté ce qu’il voudrait que le malade dise ou
comprenne ». Ce n’est qu’au prix de cette acceptation qu’il réduira ses propres souffrances
d’être humain. Enfin, l’auteur place la formation aux soins palliatifs, le soutien humain par
les groupes de parole et l’organisation de travail du médecin comme faisant partie des
facteurs lui permettant de gérer ses émotions et ses difficultés personnelles dans sa
confrontation à la mort.
3.1.2.3. Rapport de recherche
Rapport de recherche 2008 : prendre en charge le cancer en médecine générale39.
Objectifs : Apprécier l’espace thérapeutique investi par les médecins généralistes face au
cancer, déterminer les actes et gestes qui le composent et définir les relations des
généralistes avec les équipes de soins spécialisées.
Méthodologie : Programme de recherche composé d’une étude prospective en deux phases.
La première était la réalisation d’une enquête quantitative grâce à un questionnaire destiné
aux médecins généralistes français et norvégiens. La deuxième phase se composait d’une
approche qualitative avec la réalisation d’entretiens semi dirigés auprès de médecins
généralistes français et auprès de membres de réseaux de cancérologie.
Commentaires : A travers ce rapport très exhaustif sur la prise en charge des patients
atteints de cancer par les médecins généralistes, il est intéressant de s’attarder, dans le
cadre de notre revue de la littérature, sur le chapitre concernant l’analyse qualitative de
l’implication des généralistes au moment de l’aggravation du cancer et la fin de vie.
Il ressort, à ce niveau, plusieurs éléments concernant le vécu et le ressenti des généralistes :
le suivi des patients en fin de vie apparaît d’emblée comme un « devoir » du médecin
traitant même si « c’est dur », même si « ça fait mal ». « Passer du soin à
l’accompagnement, ce n’est pas simple pour un médecin ». Au-delà des difficultés de prise
en charge des symptômes, de la gestion de la douleur, des échanges avec le patient autour
de la mort ou encore des relations avec les familles, les auteurs du rapport pointent du doigt
51
« un travail invisible des médecins généralistes : faire face à la charge affective ». Il s’agit
bien là de la charge affective personnelle du médecin face à son patient en fin de vie. Les
termes qui reviennent dans les entretiens sont ceux d’ « histoire affective », de « partage du
chagrin » d’ « impuissance » ou encore d’ « implication émotionnelle ». Les auteurs
présentent ensuite les moyens mis en œuvre pour faire face à ce ressenti « d’expérience
difficile » : l’appui sur les confrères, sur l’entourage, la participation à des groupes de pairs
ou des groupes de parole mais aussi la tentative de « faire face seul ».
Enfin, on note, parmi les propos relevés, des éléments nous orientant vers l’impact de cette
prise en charge de fin de vie à domicile sur les propres perceptions de la vie et de la mort du
médecin, propos tel que « cela rend la vie plus précieuse », « la notion de vie n’a de sens que
si elle a un début et une fin ».
3.1.3. Analyse comparée
De l’analyse des publications relatives à la fin de vie à domicile, il ressort que la place
du vécu et du ressenti du médecin généraliste est souvent évoquée de manière incidente et
est rarement envisagée pour elle-même.
Nous pouvons cependant proposer différentes thématiques, autour du vécu et du
ressenti des médecins généralistes dans leur prise en charge de la fin de vie au domicile,
issues de l’analyse de la littérature médicale.
3.1.3.1. Le vécu et le ressenti des médecins généralistes
évoqués par eux-‐mêmes
Le sujet est en effet abordé ponctuellement à travers différents points de vue comme
celui du patient en fin de vie33,34,37, et celui des professionnels de santé hospitaliers ou de
soins palliatifs32. Mais il reste principalement étudié à travers le point de vue des médecins
généralistes eux mêmes31,32,33,34,37,39. Les émotions, sentiments et ressentis des généralistes
ne sont en effet évoqués que dans des travaux de recherche qualitatifs où la parole leur est
donnée au cours d’entretiens, ou à l’occasion de questionnaires ouverts. Dans l’ensemble
52
des enquêtes quantitatives ou à questionnaires fermés que nous avons étudié, le sujet n’est
quasiment jamais abordé par l’enquêteur et, par conséquent, par les répondants.
Parmi les lectures préliminaires à cette revue, les travaux réalisés auprès de
professionnels de santé hospitaliers n’abordent pas cet aspect du vécu des généralistes dans
la prise en charge des patients en fin de vie et ce même s’ils abordent les facteurs
intervenants dans la qualité d’une prise en charge à domicile.
Apparaît donc un besoin des médecins généralistes d’exprimer leur vécu et leur
ressenti dans leur approche de la fin de vie. Cela est confirmé par la participation de
nombre d’entre eux à des groupes de parole (sous forme de groupes de pairs ou encore de
groupes Balint) évoquée dans plusieurs travaux31,36,37,39.
3.1.3.2. Fin de vie à domicile : les souffrances du médecin
généraliste
3.1.3.2.1. Place du généraliste dans la prise en charge de patients en fin de vie : un paradoxe source de souffrance
Nous relevons à ce propos un élément qui nous semble paradoxal dans la littérature.
Plusieurs des publications considérées ici précisent la place du médecin généraliste dans la
prise en charge en fin de vie au domicile, s’accordant sur son rôle « central »33,35 ou encore
« d’acteur principal »35,36. Les généralistes eux-mêmes semblent se définir comme étant au
« centre du système »32. Cette vision du positionnement du généraliste est inhérente à la
place qui lui est donnée par les pouvoirs publics au sein du système de soins36 : il est le
médecin de famille, le médecin de premier recours, le coordonnateur de la prise en charge,
le référent qui assure la prévention, le dépistage, les soins, le suivi.
M GARREAU37, qui a étudié de façon qualitative le discours des généralistes à propos
de leurs prises en charge de fin de vie, ne place pas sur ce piédestal le médecin généraliste,
lorsqu’il prend en charge la fin de vie ; au contraire elle met en évidence la souffrance que
cette position peut engendrer dans le vécu d’une telle prise en charge. En effet, il ressort de
53
son travail mais également d’autres publications que les souffrances du médecin peuvent
venir entre autres de son sentiment de « perte de sa toute puissance médicale36,37 ».
La naissance même de cette souffrance semble donc provenir de la place centrale
que se donne initialement le médecin généraliste dans la prise en charge de ses patients en
fin de vie (place donnée également par la société). Dès lors qu’il fait lui même le deuil de
cette place et de sa toute puissance médicale36, qu’il accepte ses émotions, ses failles, ses
faiblesses d’être humain face à la mort, il semble se dégager de cette difficulté37. Notons à
ce niveau que les réseaux de soins palliatifs définissent le médecin généraliste comme
référent et non comme acteur central de la prise en charge des fins de vie qui se veut, dans
la démarche palliative, être pluri et interdisciplinaire32.
3.1.3.2.2. Le sentiment de solitude face à la souffrance du patient et de la famille
La solitude est un sentiment qui revient régulièrement dans la littérature relative à la
place du médecin généraliste dans la prise en charge de la fin de vie au domicile32,34,37. Cette
solitude renforce les doutes et les angoisses du médecin37. Cela peut sembler paradoxal
alors que se développent de plus en plus de structures d’aides pour le maintien à domicile
(hospitalisation à domicile, réseaux, équipes mobiles des soins palliatifs disponibles pour le
secteur ambulatoire, etc.). Elle se conçoit lorsque l’on replace la prise en charge des fins de
vie à domicile au sein de l’activité quotidienne du généraliste qui reste relativement
solitaire37. La solitude est donc parfois une plainte qu’expriment les généralistes mais elle
correspond également à une façon de travailler « ancestrale ». Elle est aussi parfois une
façon de tenter de « faire face seul »39, et constitue alors un moyen de défense.
3.1.3.2.3. La souffrance psychologique face à la mort : enjeux existentiels
Le médecin formé à dépister, prévenir, guérir, doit ici accompagner son patient vers
la mort. Et il « souffre parfois »37. Il est interpellé dans son histoire personnelle37 et cette
confrontation professionnelle le ramène sans cesse à des deuils intimes, à sa vision de sa
propre mort et de sa propre fin39. Les enjeux de cette souffrance psychologique se situent au
54
niveau des représentations qu’a, non plus le médecin, mais l’homme, de sa propre existence
et de celle de ses proches. L’écueil est de méconnaître les transferts qui se font entre le
médecin, son patient et sa famille37.
Cette souffrance est liée non seulement au vécu personnel du médecin mais
également à la place qu’occupent la souffrance et la mort dans la médecine et la société
d’aujourd’hui31.
3.1.3.2.4. La gestion de la charge affective : enjeux émotionnels
La gestion de leurs propres émotions pose une difficulté aux médecins qui décrivent
une souffrance engendrée par la charge affective. La mort d’un patient peut être vécue par
le médecin « comme une perte »37. L’attachement à des patients suivis depuis plusieurs
années permet une meilleure qualité de la prise en charge37 en fin de vie mais expose le
médecin à un investissement émotionnel plus fort et plus impliquant.
3.1.3.2.5. Les sentiments d’impuissance et d’échec
Le médecin vit parfois difficilement des situations qu’il comprend mal. Elles
engendrent un sentiment d’impuissance37, par exemple, lorsque le patient refuse des soins
ou prend des décisions que le médecin a du mal à concevoir. L’humilité et, à travers elle, le
respect des choix du patient et de sa famille et la capacité à poursuivre sa prise en charge
au-delà de ses propres convictions et représentations vont permettre au médecin de passer
outre ce sentiment d’impuissance33,37. Celui-ci apparaît également lorsque le médecin
atteint les limites de ses compétences, le ressenti se prolonge alors dans le sentiment
d’échec. La mort du patient apparaît parfois aussi comme un échec pour le médecin. Tel
peut être le cas lorsqu’il n’a pas réussi à faire le deuil de sa toute puissance34,36, lorsqu’il est
dans la culpabilité37 d’un retard diagnostique, des difficultés à gérer les symptômes du
patient ou les angoisses de ses proches.
55
3.1.3.2.6. Les frustrations du soignant
Le médecin présent lors des phases actives de la prise en charge du patient doit faire
le deuil de sa démarche curative36,37. Cela est source de frustration : il se confronte à ses
propres limites de soignant plus formé à guérir son patient qu’à l’accompagner dans la
souffrance et la mort. Ce ressenti est majoré quand, après le décès du patient pour lequel il
s’est tant investi, la famille « le quitte »37 sans préavis ni explications. La littérature montre
que, bien que les généralistes le comprennent et l’expliquent, cela reste une source de
souffrance et de frustration.
3.1.3.3. Fin de vie à domicile : le bonheur et la satisfaction du
médecin généraliste
C’est particulièrement M GARREAU37 qui, dans son analyse qualitative poussée
d’entretiens avec des médecins généralistes, met en évidence cet aspect de la prise en
charge de la fin de la vie au domicile.
3.1.3.3.1. La satisfaction de l’expérience relationnelle, l’enrichissement personnel
Certains médecins décrivent de réels moments de bonheur partagé dans le cadre de
prises en charge de patients en fin de vie. Ils décrivent également des émotions très fortes
qui les marquent et les enrichissent, en leur permettant de surmonter eux-mêmes leurs
peurs et leurs angoisses. Ce sont alors des moments de complicité qui ne relèvent plus de la
relation médecin – malade mais bien de la relation inter humaine. « La mort peut aussi
donner du bonheur, de façon relative toujours, quand elle est sereine et l’aboutissement d’un
accompagnement bien vécu »37. Dans un des entretiens, un médecin va même plus loin:
« moi, les plus belles histoires que j’ai vécu en médecine, c’est toujours avec la mort. C’est
quand même très bizarre. C’est un accompagnement sans tricher […] ».37
56
3.1.3.3.2. La satisfaction du travail accompli
L’engagement de prendre en charge un patient en fin de vie au domicile est un
engagement moral, qui, lorsqu’il est tenu jusqu’au bout, est source de satisfaction pour le
médecin. Cette satisfaction vient également du sentiment d’avoir bien fait son travail,
« d’avoir fait ce qu’il fallait »37 lorsqu’il y a adéquation entre les attentes du patient et de
son entourage et la prise en charge du médecin. Ce sentiment est directement lié à l’état
d’esprit du patient et de ses proches au moment du décès.
3.1.3.3.3. La reconnaissance des proches
La sérénité du patient et de ses proches permet parfois à ces derniers de témoigner
au médecin leur reconnaissance. Celui-ci est alors conforté dans son rôle de soignant et dans
ses compétences. Il s’agit là d’une « satisfaction de l’ordre du bénéfice secondaire qui peut
être recherché par le médecin consciemment ou inconsciemment »37.
3.1.4. Conclusion de la revue de la littérature et ouverture
sur l’enquête de terrain
Le vécu et le ressenti des médecins sont quasiment exclusivement abordés de façon
incidente dans la littérature médicale récente relative à la fin de vie à domicile. Les travaux
de recherche sont principalement consacrés à l ‘évaluation des difficultés et des facteurs
limitant ou facilitant la prise en charge au domicile.
Le médecin généraliste, considéré comme le pivot de la prise en charge au domicile
(y compris et en particulier en dehors du contexte de fin de vie), a été interrogé à de
nombreuses reprises à propos de sa pratique des soins palliatifs.
Les sujets abordés dans la littérature s’articulent alors autours de grands thèmes qui
peuvent être résumés ainsi :
• La vérité dite au patient, la communication avec le patient,
• La communication avec les familles et les proches,
57
• Les échanges avec l’hôpital, les médecins spécialistes, les réseaux,
• La gestion des symptômes de la fin de vie, la gestion de la phase agonique,
• Le lieu de la fin de vie et le lieu du décès,
• La place de la mort dans notre société du XXIe siècle,
• Les évolutions de la médecine dans la prise en charge des mourants.
Parmi tous ces thèmes qui concernent de près ou de loin le médecin généraliste, on
retrouve çà et là des éléments évoquant le vécu et le ressenti du médecin dans cette prise
en charge.
Le travail de thèse de V LAVENIR35 met même en évidence que les attentes des
patients en fin de vie, vis-à-vis de leur médecin généraliste, se situent principalement autour
de son implication affective et émotionnelle dans l’accompagnement.
Peu d’études s’arrêtent précisément sur cet aspect. La thèse de M GARREAU37 fait
une analyse très poussée des difficultés des médecins de façon générale et plus
particulièrement de celles relatives à la gestion de leurs émotions, de leurs angoisses, ou de
leurs ressentis lorsqu’ils accompagnent des patients en fin de vie.
Cette revue met en évidence différentes thématiques relatives au vécu et au ressenti
des médecins, développées dans l’analyse comparée que nous avons réalisé. Ces
thématiques méritent, de notre point de vue, que l’on s’y attarde d’avantage.
La difficulté à aborder ces sujets semble en partie liée aux choix méthodologiques
faits par les chercheurs. Le choix d’une enquête qualitative par entretiens paraît permettre
l’expression du vécu et du ressenti qu’éprouvent les médecins généralistes et qu’ils ont,
pour certains, l’habitude d’exprimer dans des groupes de parole.
Une telle recherche est forcément très impliquante pour les médecins interrogés car
il s’agit de se dévoiler malgré une certaine pudeur, de travailler sur soi, d’être capable d’une
relative introspection. Le regard d’un « étranger » sur son propre travail engendre une
58
certaine remise en cause et le récit de ses propres prises en charge oblige à une analyse
rétrospective de ses actions, de ses attitudes, de ses choix.
L’implication est aussi importante pour le chercheur qui doit permettre au médecin
de se révéler sans paraître trop intrusif et qui doit faire preuve d’écoute et d’empathie afin
de ne pas influencer ni orienter le médecin dans son récit, garantissant ainsi l’analyse qui
s’en suivra, exempte de tout a priori.
Le vécu et le ressenti, jamais abordés pour eux-‐mêmes ou pour ce qu’ils sont,
méritent que nous nous consacrions à eux. Dans les travaux que nous venons d’étudier, ils
transparaissent, sont effleurés, à travers l’expression que les médecins en ont dans leurs
récits. Cet aspect renforce notre objectif de recherche.
Le vécu de la fin de vie et de la mort, ainsi que les ressentis qui s’y associent, sont
propres à chaque médecin et à son histoire personnelle et professionnelle. Cependant, ils
sont également inscrits dans une histoire collective aux confins de l’histoire de la médecine
et de celle de la place de la mort dans la société.
Notre travail de recherche a nécessité une maturation permise en particulier par
cette revue de la littérature dont l’objectif était de nous permettre d’évaluer les
perspectives de travail dans le paysage actuel du développement de la recherche en
médecine générale et en soins palliatifs. Une fois cette première étape achevé nous pouvons
abordé l’enquête de terrain qualitative et étudier par nous-‐mêmes et pour elle-‐même
l’expression du vécu et du ressenti des médecins généralistes dans leur prise en charge de
patients en fin de vie.
59
3.2. ETUDE QUALITATIVE DES ENTRETIENS AUPRES DE MEDECINS
GENERALISTES DE LA VIENNE : RESULTATS ET ANALYSE
3.2.1. Données générales des entretiens
Nous avons réalisé au total onze entretiens semi-‐dirigés avec des médecins
généralistes de la Vienne dont nous avons détaillé précédemment le mode de recrutement.
Il est à noter que le corpus total ne comprend que dix entretiens car nous avons du éliminer
l’un d’entre eux suite à une erreur d’enregistrement. Cet entretien (n°5) n’était pas
exploitable. Il a été par conséquent exclu de l’ensemble des résultats présentés ci-‐dessous.
3.2.1.1. Caractéristiques des entretiens
3.2.1.1.1. Lieux
Le lieu de réalisation des entretiens était laissé à l’appréciation des informateurs.
Notre objectif était qu’ils se sentent à l’aise et en confiance pendant la rencontre.
Huit entretiens sur dix ont été réalisés au cabinet médical de l’informateur en dehors
des heures de consultation. Un entretien a été réalisé au domicile du médecin. Un entretien
a été réalisé dans le bureau de l’EPHAD dont le médecin est coordinateur.
3.2.1.1.2. Durées
Les entretiens ont tous durés entre 30 minutes et une heure.
60
3.2.1.2. Caractéristiques des médecins interrogés
Nous rappelons ici que notre travail n’a en aucun cas pour objectif de généraliser ces
résultats. Aussi notre groupe d’informateurs n’a pas vocation à être représentatif des
médecins généralistes du département. La validité de ce groupe est, en revanche, fondée sur
la diversité des profils des médecins rencontrés, et ce afin d’assurer une diversité maximale
des discours retranscrits au sein du corpus. Cette diversité nous assure, lors de notre travail
d’analyse, de retrouver un maximum de situations différentes. Celles-‐ci nous permettront
alors d’envisager un état des lieux exhaustifs de l’expression de leur vécu et de leur ressenti
par les médecins généralistes.
Nous présentons donc ici les différents facteurs retenus comme discriminants pour
constituer un groupe d’informateurs diversifié. Aucun pourcentage n’est volontairement
présenté pour les raisons que nous venons d’évoquer.
L’annexe 1 reprend les détails de ces facteurs sous forme de tableaux.
39
51 53 52
30
55 55
42 33 30
0
10
20
30
40
50
60
1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11
DUREE DES ENTRETIENS Temps en Minutes
N° des entretiens
61
3.2.1.2.1. Sexe
3.2.1.2.2. Âge et année d’installation
Le plus jeune des informateurs avait 39 ans et le plus âgé 63 ans. Nous devons préciser qu’il
était difficile de trouver des médecins installés plus jeunes, la moyenne d’âge d’installation
des médecins généralistes étant de 38 ans.
7
3 SEXE DES
INFORMATEURS
Hommes Femmes
63 55
48 50 59
53 63
39 49
39
0 10 20 30 40 50 60 70
1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11
AGE DES INFORMATEURS
N° des entretiens
Âge
1976 1982
1995 1989
1980
1991
1974
2007
1988
2001
1950 1960 1970 1980 1990 2000 2010
1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11
ANNEE D'INSTALLATION DES INFORMATEURS Année
N° des entretiens
62
3.2.1.2.3. Lieu et mode d’exercice
Distance entre le cabinet du médecin informateur et le CHU de Poitiers.
Distance entre le cabinet du médecin et l’hôpital le plus proche (hôpital local ou centre
hospitalier) -‐ Détails fournis dans l’annexe 1.
3
3
4
LIEU D'EXERCICE DES INFORMATEURS
VILLE
SEMI RURAL
RURAL
46
8 5
63
54
33
4
33
12
47
0
10
20
30
40
50
60
70
1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11
DISTANCE CHU
N° des entretiens
Distance en km
10 8
5
13
29
7 4
30
12
7
0
5
10
15
20
25
30
35
1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11
DISTANCE HOPITAL
N° des entretiens
Distance en km
63
Mode d’exercice du médecin informateur.
3.2.1.2.4. Accès à des services spécifiques
Accès à un service d’HAD.
Disponibilité d’équipes spécialisées en soins palliatifs ambulatoires.
5
4
1 MODE D'EXERCICE DES
INFORMATEURS SEUL
CABINET DE GROUPE
UN ASSOCIE EN TEMPS PARTAGE
8
2
ACCESSIBILITE DE
L'HOSPITALISATION A DOMICILE
OUI
NON
1
9
ACCESSIBILITE A UNE EQUIPE
DE SOINS PALLIATIFS AMBULATOIRE
OUI
NON
64
3.2.1.2.5. Formation en soins palliatifs
Nous relevons ici l’absence d’informateurs ayant reçu une formation initiale en soins
palliatifs. Ceci s’explique par l’absence de formation initiale spécifique obligatoire jusqu’en
199740.
7 0
3
FORMATION SPECIFIQUE
AUCUNE
FORMATION INITIALE
FORMATION CONTINUE
65
3.2.2. Relevés thématiques par entretien
Les relevés thématiques sont issus du travail de thématisation continue de
l’ensemble du corpus. Pour plus de clarté, nous avons fait le choix de les présenter sous
forme de tableaux avec des rubriques classant les thèmes. Ces rubriques ne sont pas le fruit
d’une analyse ni de regroupements thématiques. Elles sont présentées uniquement pour
faciliter la lecture et ont été établies en fonction des questions du guide d’entretien et des
relances de l’enquêteur. Les thèmes relevés sont illustrés par les extraits de verbatim à
l’origine de leur création.
Etant à la fois enquêteur et analyste, la dénomination des thèmes a été facilité par la
connaissance des éléments de contexte proxémiques, kinésiques et émotionnels de
l’entretien. Cet aspect augmente la validité des thématisations retenues.
A cette étape les thèmes créés sont des thèmes présentant le plus possible une
inférence de faible niveau. C’est à dire que le lien entre chaque thème généré et les indices
du corpus ayant mené à sa création est étroit28. Cette volonté d’utiliser des niveaux
d’inférence faible est lié à notre objectif de rester le plus longtemps possible fidèle aux
données empiriques en en faisant la synthèse. Nous repoussons ainsi au maximum l’étape
d’interprétation. Celle-‐ci n’interviendra que lorsque nous aurons prélevé l’ensemble des
thèmes et que nous embrasserons, par conséquent, l’intégralité du corpus. Nous pourrons
ainsi nous affranchir des singularités des entretiens interprétés les uns indépendamment des
autres.
Pour mémoire, l’annexe 1 reprend les caractéristiques des médecins interrogés.
L’annexe 2 regroupe l’intégralité des retranscriptions textuelles des entretiens. Nous
avons souhaité mettre à la disposition du lecteur l’ensemble de notre corpus afin de
permettre une éventuelle nouvelle analyse de celui-‐ci. Une approche du même corpus par
une méthode analytique différente et/ou avec un autre objectif pourrait très certainement
avancer des résultats complémentaires aux nôtres.
66
3.2.2.1. Entretien n°1
ENTRETIEN 1 – MEDECIN 1
RUBRIQUES
THEMES EXTRAITS DE VERBATIM
La mort à domicile
entourée des siens
comme une « bonne
mort »
« fermer les yeux dans sa chambre entouré des siens c’est quand
même pas la même chose que fermer les yeux avec des étrangers
autour de vous, des gens en blouses blanches »
La mort à l’hôpital
comme un échec
« une personne âgée en fin de vie, l’hospitaliser uniquement pour aller
mourir à l’hôpital, là moi je trouve que c’est un échec »
La mort paisible « il est mort à son domicile paisiblement, entouré de sa famille »
« (…) son lit d’hospitalisation dans la salle de séjour… il n’a pas
appelé… il a du mourir paisiblement en pleine nuit »
« ça c’est très bien passé. La personne est décédée tranquillement,
tout doucement… Ca se passe souvent très bien… »
La mort libératrice « quand ils sont en fin de vie comme ça (…) ils en ont tellement marre
(… ) je dirais qu’ils sont contents de mourir (…) je pense pas que ça les
angoisse »
« je crois que le fait d’en avoir marre ça doit supprimer la douleur… je
crois que… ça les soulage de mourir »
La mort n’est pas
effrayante pour le
médecin
« -‐ vous vous donnez le droit d’être effrayé par la mort (…) ? – Non pas
du tout. Non »
« je pense que ce n’est pas désagréable, c’est pas un inconvénient
d’accompagner un mort chez lui »
Face à la fin de
vie et à la mort
Gagner du temps
n’est pas un objectif
« mais bon ça servait à quoi ? On aurait gagné 1 mois, on aurait gagné
3 mois ? Elle ne souffrait pas. Ca ne servait à rien de plus »
« ça ne sert à rien quand on a 97-‐98 ans de s’acharner pour pouvoir
gagner 6 mois (…) »
67
La vieillesse comme
« misère
physiologique »
« quand j’étais interne (…) il y avait un chef de service qui (…) disait
« misère physiologique » et en fait je trouvais ça très joli parce que
c’est un peu le cas. Tout est usé mais il n’y a rien de spécial. »
L’approche de la
mort ressentie
comme la perte de
l’envie de vivre
« il y a aussi le fait que les gens n’ont plus envie de vivre. Ils n’ont plus
de ressort »
L’HAD source de
confort agréable
pour le patient
« c’est un confort… et puis je pense que pour le malade il se sent très
bien entouré aussi et je pense que pour lui ça doit être agréable »
Volonté des
patients de rester
dans l’ignorance
« j’observe souvent (…) que les gens ils ne veulent pas trop savoir »
« souvent ça les arrange qu’on ne leur dise pas tout »
A propos des
représentations
du patient
Les patients savent
« et puis il savait (…) mais on n’évoquait pas du tout le fait que ça
pouvait… qu’il pouvait décéder rapidement »
A propos des
représentations
de la famille
La réticence des
familles à
accompagner leur
proche à domicile
est liée à la peur
d’être confronté à
un mort
« les gens ils n’aiment pas les morts »
« le mari avait peur de la mort de sa femme et donc il fallait qu’elle
meurt ailleurs »
« les gens se font toute une montagne de choses qui sont… (…) je
pense que c’est plus la peur de la mort, de voir un mort… qui les
motive pour qu’on hospitalise »
Accompagner la fin
de vie : une mission
du médecin traitant
« et puis à partir du moment ou vous êtes le médecin de la famille,
ben… vous êtes obligé de suivre la personne »
« ça fait partie du médecin de famille »
Une fin de vie peut
être réussie
« -‐ vous diriez que cette prise en charge en fin de vie était réussie ? – ah
oui, moi je pense, oh oui … »
A propos de son
propre travail
de prise en
charge
La prise en charge
pluri-‐
professionnelle en
fin de vie est un
soutien pour le
médecin
« c’est même relativement agréable de se retrouver entouré de
professionnels. Vous avez en quelque sorte les outils hospitaliers pour
vous aider dans vos démarches médicales … que ce soit les
traitements, les prises de sang et tout ça… vous avez plus facilement
(…). L’HAD c’est tout de même relativement bien »
68
La décision du
médecin supplante
la décision du
patient
« j’avais des motifs d’hospitalisation… parce que je pensais qu’on
pouvait faire quelque chose (…) mais la personne (…) elle n’a pas le
ressort (…) mais vous avez décidé pour des raisons valables qu’il
valait mieux l’hospitaliser »
« je pensais qu’elle avait tort et moi j’avais raison »
« je le fais vraiment parce que c’est moi qui l’ai décidé »
L’accompagnement
en fin de vie est
valorisante pour le
médecin
« je pense que c’est valorisant pour soi-‐même »
Prendre en charge
une souffrance n’est
pas de l’euthanasie
même si cela
accélère le décès
« vous pouvez très bien aider les gens à passer le cap par exemple
parce qu’ils souffrent beaucoup… vous augmentez les doses (…) ça
peut être létal »
« ce n’est pas la même démarche intellectuelle bien sûr »
Le médecin ne doit
pas s’imposer au
patient
« elle ne voulait pas me voir car elle avait peur d’être hospitalisée. (…)
on a respecté son choix, son entourage a respecté son choix »
« c’est un choix respectable »
« c’est ce que j’ai dit à l’entourage, si elle ne veut pas être hospitalisée
(…) et ben de toutes façons c’est son choix »
« elle a choisi on ne la force pas c’est tout »
« c’est son droit de décéder à la maison »
« il a le droit d’avoir sa propre volonté »
« cette femme là son choix était de rester chez elle avec ses meubles,
ses photos, donc bon ben… »
« il peut arriver que les gens ils veulent (…) qu’on fasse le maximum
en les hospitalisant. Donc là c’est pareil, c’est pas un échec non plus, il
ne faut pas considérer que c’est un échec pour soi »
« elle avait une demande, c’est qu’on lui foute la paix »
A propos des
relations avec
ses patients et
leur famille
Ne pas respecter le
choix d’un patient
est un échec
« l’échec (…) c’est de ne pas avoir pu dire non à la famille qui voulait
absolument hospitaliser le grand père »
« une personne âgée en fin de vie, l’hospitaliser uniquement pour aller
mourir à l’hôpital, là moi je trouve que c’est un échec »
69
Les patients veulent
fréquemment rester
dans l’ignorance
« j’observe souvent (…) que les gens ils ne veulent pas trop savoir »
« souvent ça les arrange qu’on ne leur dise pas tout »
« on n’évoquait pas du tout le fait que ça pouvait… qu’il pouvait
décéder rapidement »
La volonté du
patient justifie que
le médecin s’oppose
à la famille
« c’est plutôt la famille sui disait on peut peut-‐être faire quelque
chose, etc. mais à partir du moment où elle ne voulait pas ça ne servait
à rien de lui forcer la main »
« il faut savoir dire non »
« l’échec (…) c’est de ne pas avoir pu dire non à la famille qui voulait
absolument hospitaliser le grand père (…) parce qu’il était en fin de
vie alors que vous savez pertinemment que d’ici… une demi journée…
il allait décéder »
« son nouveau médecin traitant à la demande de son mari a fini par
l’hospitaliser (…) et à l’hôpital (…) ils l’ont renvoyé chez elle (…) elle
est décédée en transit (…) je considère que c’est un échec total »
« le médecin n’a pas été assez ferme »
« enfin il ne s’agit pas d’imposer, il s’agit de leur faire accepter, je
pense que c’est surtout ça (… ) il faut leur faire comprendre »
70
3.2.2.2. Entretien n°2
ENTRETIEN 2 – MEDECIN 2
RUBRIQUES
THEMES EXTRAITS VERBATIM
La mort peut être
paisible
« et ça c’est passé, bon… tristement … mais paisiblement »
Le médecin
n’abandonne jamais
son patient
« oui vous allez mourir mais je ne sais pas comment ni quand mais
on ne va pas vous abandonner »
« (…) mais tout ce que je peux vous dire c’est qu’on ne va pas vous
laisser tomber, on va faire ce qu’il faut, si vous voulez rester chez
vous, vous resterez chez vous et que l’on fera tout ce qu’il faut
pour… »
La fin de vie est la
perte de conscience
« pour moi la fin de vie c’est quand le patient n’est plus conscient,
qu’il ne peut plus décider de ce qu’il souhaite, de ce qu’il ne souhaite
pas. Pour moi c’est ça la fin de vie. »
« la fin de vie c’est quand on ne peut plus correspondre, qu’on ne
peut plus décider de soi-‐même »
Mourir jeune n’est
pas dans la logique
de la nature, la mort
est alors injuste
« parce que ce n’est pas dans la logique des choses. Tout au moins au
sens chrétien du terme… on va dire comme ça… »
« pour moi en tant que médecin c’est vrai que c’est beaucoup plus
facile d’accompagner quelqu’un de 95 ans, parce que c’est
logique… »
« quelqu’un de 52 ans comme cette dame avec un enfant de 15 ans,
ce n’est pas logique (…) »
« Elle n’aurait jamais dû mourir cette petite jeune fille. »
Face à la fin de
vie et à la mort
La mort de ses
patients affecte le
médecin
« Je ne dirais pas que les gens qui décèdent maintenant m’affectent
moins. Mais mon vécu médical me permet maintenant de plus
respecter la distance même si cela me touche… enfin tout le monde
me touche… »
« je me suis senti très mal à l’aise qu’elle décède à 52 ans… mais
c’est le problème personnel de tous les médecins qui voient partir
71
des patients jeunes »
A propos de la prise en charge de patients jeunes : « ça ne change rien
à ma gestion… C’est autre chose, c’est mon sentiment personnel…
c’est mon ressenti… on va dire… « affectivo-‐médical » (…) »
La mort d’un
patient jeune est
révoltante pour le
médecin
« Voir un gamin à huit mourir d’une leucémie c’est terrible… C’est
épouvantable… Voir mourir quelqu’un du SIDA en moins de deux
ans (…) »
« C’est terrible »
« Voilà, elle est morte, elle n’avait que 23 ans, c’est terrible. Elle
n’aurait jamais dû mourir cette petite jeune fille. »
A propos de la prise en charge de patients jeunes : « ça ne change rien
à ma gestion… C’est autre chose, c’est mon sentiment personnel…
c’est mon ressenti… on va dire… « affectivo-‐médical » (…) »
Une fin de vie peut
être un bon
souvenir
« les accompagnements dont je garde un bon souvenir… c’est les
accompagnements pour lesquels on a pu respecter la volonté des
gens »
Le médecin est gêné
d’évoquer l’idée
d’une bonne mort
« je ne sais pas si on peut accompagner quelqu’un bien à mourir »
« alors est ce qu’on meurt bien ? Ouh la ! Moi je ne suis pas
philosophe ! »
L’accompagnement
de quelqu’un d’âgé
est plus facile
« pour moi en tant que médecin c’est vrai que c’est beaucoup plus
facile d’accompagner quelqu’un de 95 ans, parce que c’est
logique… »
« je dis simplement que c’est plus dans la nature des choses »
Le ressenti affectif
que peut avoir le
médecin ne
concerne que lui
A propos de l’affect : « mais ça c’est mon problème »
« ce que je ressens moi c’est un autre problème »
A propos des
représentations
du patient
Les patients savent « et bien elle avait déjà compris »
« elle avait bien compris que sa maladie évoluait, que l’on avait plus
de solutions thérapeutiques (…) »
« donc elle a bien compris. Elle m’a dit : « c’est que je vais mourir ? ».
Je lui ai dit : « oui vous allez mourir mais je ne sais pas comment ni
quand (…) »
72
La fin des soins
curatifs vécus
comme un
soulagement
« elle n’allait déjà plus à l’hôpital en consultation voir les oncologues
(…) … c’était d’un côté… comme un soulagement »
La présence et l’avis
du médecin vécus
comme rassurants
« elle m’avait dit : « j’aimerais bien que vous soyez là à la fin » il s’est
trouvé que c’était un samedi après midi, que j’étais disponible…
donc j’y suis passé, et elle s’est éteinte. »
« il m’a dit : « qu’est ce que vous en pensez ? » (…)
A propos des visites à l’hôpital de ses patients : « ils y sont sensibles.
Ils ont l’impression de ne pas être coupés du monde… Car leur
relation c’est leur médecin traitant alors que l’hôpital, c’est
l’hôpital »
L’angoisse de mort
augmente avec l’âge
« d’ailleurs plus les gens sont âgés, plus ils sont angoissés… ils sont
angoissés de mourir, mais ils sont aussi angoissés de comment ça va
se passer (…) »
Le lieu de décès est
source d’angoisse
chez les personnes
âgées
« l’angoisse c’est : « est ce qu’on va m’emmener à l’hôpital ? ».
Mourir à l’hôpital, tout seul isolé, ça fait peur »
Le patient compte
sur leur médecin
traitant et ce
d’autant plus qu’il
est suivi depuis
longtemps
« Et plus le patient est connu depuis longtemps, plus ça me paraît
légitime qu’il compte sur nous… »
La famille
reconnaissante
« c’est même plutôt une certaine reconnaissance, enfin c’est peut
être un terme… il y a une certaine affectivité positive on va dire »
« son mari nous a remercié »
A propos des
représentations
de la famille
La rupture suivant
le décès n’exclut pas
la reconnaissance
« et puis il y a ceux qui partent et qui vous disent : « je ne reviendrai
plus vous voir car je ne peux pas, merci pour ce que vous avez fait »
… donc ça je le comprends bien »
73
La rupture et les
conflits avec la
famille comme
phénomène de
transfert
« il y a des patients qui partent parce que le médecin est
« responsable » de la maladie… ça se comprend bien, il y a un
transfert… »
« on le sait bien que l’on est responsable de la maladie des gens !
C’est forcément le médecin qui est responsable de la maladie !
Surtout quand c’est dans une situation urgente… »
« Les gens sont agressifs, ils sont agressifs contre le sort, contre le
destin… le plus souvent (…). Le médecin est souvent le révélateur
d’une maladie grave… il est la pour ça. Il est aussi là pour ça. »
La fin de vie comme
moment de
rapprochement
familial
« il va réunir ses enfants au mois de juillet, voir tout le monde »
Le médecin à l’aise
sur le plan médical
dans la prise en
charge de la fin de
vie
« -‐ vous vous êtes sentis à l’aise dans cette prise en charge ? – moi oui,
sur le plan médical oui. »
« au niveau médical ça ne me pose aucun problème, ni
d’accompagnement, ni rien… »
A propos de l’âge des patients : « au niveau médical pour moi ça ne
change rien »
« je pense que je les gère de la même manière, non non pas du tout,
ça ne change rien à ma gestion »
A propos de son
propre travail
de prise en
charge
Le médecin
conscient de ses
propres limites
« parce qu’on fait tout ce qu’on peut… »
« (…) « mais pour combien de temps j’en ai ? » « mais je ne sais pas
monsieur... (…) »
« Et plus le patient est connu depuis longtemps, plus ça me paraît
légitime qu’il compte sur nous… Après, on fait ce que l’on peut ! C’est
comme tout le monde ! »
« Pas facile… Je ne suis pas plus performant qu’un autre »
« -‐ Qu’est ce que ce serait de mourir bien ? – je ne sais pas »
A propos d’un retour à domicile organisé difficilement : « On a
respecté sa volonté et tant mieux. Tant mieux pour elle et tant mieux
pour son mari qui souhaitait que sa volonté soit respectée. Sur le
plan de la mort est ce que c’était bien ? Je n’en sais rien… Peut être…
Je ne sais pas… Ca été compliqué ça c’est sûr ! »
74
Le partage des
expériences avec
d’autres
professionnels
comme un soutien
pour le médecin
généraliste
« ce n’est pas le fait qu’il y ait une unité de soins palliatifs qui
change, c’est le fait qu’il y ait des médecins spécialisés en soins
palliatifs avec lesquels on puisse correspondre et échanger. C’est
souvent relationnel (…) »
L’accompagnement
à domicile permet
un
accomplissement
du travail du
médecin
A propos de la prise en charge à domicile : « Bon, ça prend forcément
beaucoup de temps, beaucoup de disponibilités, mais c’est
intéressant pour le patient, et puis on a le sentiment… de finir ce que
l’on a commencé… le suivi »
Pour assurer sa
mission
d’accompagnement
le médecin dissocie
son affection de la
prise en charge
« C’est impitoyable ! C’est très net ! En aucune façon mon ressenti
affectif affecte ma décision médicale »
L’expérience
permet au médecin
de dissocier son
affect de son travail
A propos de la dissociation entre affect et travail : « Je pense que je
n’avais pas le même comportement il y a 25 ans ou 20 ans que
maintenant (…) »
« mon vécu médical me permet maintenant de plus respecter la
distance même si cela me touche »
L’implication forte
voire personnelle
du médecin permet
un meilleur
accompagne-‐ment
« elle m’a dit au revoir, « je vous remercie pour ce que vous avez fait
pour moi, vous avez été un soutien… ». Je lui ai dit : « je pense que
nous avons fait… » et elle m’a dit que c’était bien que je lui dise
‘nous’… »
« si c’est des patients que l’on voit très ponctuellement et si c’est
très grave… ben on gère la gravité mais on a aucun
accompagnement affectif… me semble-‐t-‐il… pour moi tout au
moins »
A propos de la prise en charge de patient inconnus : « -‐ C’est plus
difficile ? – sur le plan affectif oui car on ne peut pas s’investir (…) »
« je pense que si on a un vécu plus long c’est sur le plan émotionnel
75
plus facile pour le patient et pour le médecin de s’investir. »
« ce n’est pas moi qui accompagne le patient, c’est nous qui allons
dans une certaine direction, dans le sens que le patient souhaite »
A propos d’un patient hospitalisé en réa, dans le coma: « je suis passé
le voir car pour moi c’était quelque chose d’utile sur le plan
relationnel, même si évidemment il ne m’a pas répondu… (…) Mais
pour sa femme et ses enfants ça me paraît utile »
« Il me paraît évident que plus on connaît les patients, plus on est en
confiance, et plus on a les moyens d’apporter une aide…ou un
accompagnement… »
Accompagner la fin
de vie : une mission
du médecin traitant
« Puisque pour moi ça fait partie de la profession »
La diversité des
activités du
médecin généraliste
lui permet de gérer
les difficultés
affectives
A propos de la gestion de l’affect dans la prise en charge : « Il y a
beaucoup, beaucoup d’autres activités à côté, on est dilué ! On aurait
qu’un patient, là ce serait compliqué »
Humilité source de
sérénité
« L’humilité me permet d’être plus serein dans mes prises en
charge »
A propos de ses
relations avec
ses patients et
leurs familles
Le médecin ne doit
pas s’imposer au
patient ou à la
famille
« elle m’a demandé : « qu’est ce que vous en pensez ? » je lui ai dit :
« je pense comme vous, votre décision sera la bonne… » (…) »
« on a grosso modo respecter sa volonté de ne pas s’acharner, de ne
pas la faire hospitaliser, de ne pas appelé le SAMU »
« (…) on va faire ce qu’il faut, si vous voulez rester chez vous, vous
resterez chez vous et que l’on fera tout ce qu’il faut pour… »
« les accompagnements dont je garde un bon souvenir… c’est les
accompagnements pour lesquels on a pu respecter la volonté des
gens »
« ce n’est pas moi qui accompagne le patient, c’est nous qui allons
dans une certaine direction, dans le sens que le patient souhaite »
« On a respecté sa volonté et tant mieux. Tant mieux pour elle et tant
mieux pour son mari qui souhaitait que sa volonté soit respectée. »
76
« Et sur l’ardoise avant qu’elle ne soit hospitalisée elle avait écrit :
« je veux mourir chez moi » (…) Moi je suis content pour elle parce
que l’on a respecté sa volonté. »
La reconnaissance
du patient ou de la
famille est
importante pour le
médecin
« Donc elle est vraiment venue me dire au revoir, elle ne m’a pas dit
adieu, elle m’a dit au revoir, « je vous remercie pour ce que vous
avez fait pour moi, vous avez été un soutien… » (…) »
La connaissance de
l’histoire
personnelle du
patient aide à sa
prise en charge
« je crois que c’est plus compliqué encore quand on prend les gens
en cours de route… qu’on a pas de vécu ensemble… ça me paraît
plus difficile que des patients que l’on suit depuis longtemps …
depuis plusieurs années… on connaît les anecdotes un petit peu, la
vie, ce qui s’est passé. »
« (…) moins de vécu ensemble… donc on a moins de repères… »
« n’importe quoi… des anecdotes vécues, ça fait un dérivatif, et ça
permet d’avancer ensemble »
« si c’est des patients que l’on voit très ponctuellement et si c’est
très grave… ben on gère la gravité mais on a aucun
accompagnement affectif… me semble-‐t-‐il… pour moi tout au
moins »
« je pense que si on a un vécu plus long c’est sur le plan émotionnel
plus facile pour le patient et pour le médecin de s’investir. »
« je pense que si on a peu de vécu, on a peu de repères, on a moins
de prise, moins de réactivité (…). C’est compliqué »
« si l’on a un vécu plus long avec « des antécédents communs », je ne
dirais pas que c’est plus facile… mais ça permet d’avoir plus de
communication, plus simplement on va dire. Mais c’est mon
ressenti… Peut être que ce n’est pas vrai… »
La prise en charge
en fin de vie
nécessite une
relation de
confiance
« je pense qu’un bon accompagnement c’est quand il y a une
confiance réciproque, et que c’est une avancée commune »
77
Le médecin est
attaché à ses
patients
« j’ai une cliente qui est décédée il n’y a pas longtemps en
cancérologie, que j’aimais bien aussi »
Les conflits avec les
familles sont mal
vécus par le
médecin
« on le sait bien que l’on est responsable de la maladie des gens !
C’est forcément le médecin qui est responsable de la maladie !
Surtout quand c’est dans une situation urgente… »
« la chose est désagréable »
« C’est très négatif comme sentiment et très préjudiciable »
« Le neurochirurgien que je connais bien m’avait dit : « tu sais, il
veut que ce soit toi le responsable » (…) »
« S’en prendre plein la tête comme ça ce n’est pas facile (…) »
« Les gens sont agressifs, ils sont agressifs contre le sort, contre le
destin »
A propos des ruptures suivant le décès avec les familles : « ce n’est pas
très gratifiant sur le plan relationnel ultérieur »
Un accompagne-‐
ment du patient
« au delà du recours à toute chimiothérapie (…) c’est un
accompagnement pour qu’elle ne souffre pas »
« ça permet une transition, de ne pas laisser les patients… ce que
l’on faisait déjà… un accompagnement »
Une médecine
humble
« malheureusement le diagnostic ne nous appartient plus »
Le non abandon « oui vous allez mourir mais je ne sais pas comment ni quand mais
on ne va pas vous abandonner »
« (…) mais tout ce que je peux vous dire c’est qu’on ne va pas vous
laisser tomber, on va faire ce qu’il faut, si vous voulez rester chez
vous, vous resterez chez vous et que l’on fera tout ce qu’il faut
pour… »
« mais ça permet une transition, de ne pas laisser les patients… ce
que l’on faisait déjà… un accompagnement »
Représentation
des soins
palliatifs
Les soins palliatifs,
annonce
redoutable, a priori
« je pense que les soins palliatifs c’est une annonce assez redoutable
car elle veut dire qu’a priori on ne fait plus de traitement pour que le
pronostic vital puisse être a priori amélioré »
78
Un soutien pour les
médecins
généralistes
« ce n’est pas le fait qu’il y ait une unité de soins palliatifs qui
change, c’est le fait qu’il y ait des médecins spécialisés en soins
palliatifs avec lesquels on puisse correspondre et échanger. C’est
souvent relationnel (…) »
Les soins palliatifs
accompagnent aussi
la famille
« c’est même plus qu’accompagner le patient… parce que c’est la fin
de vie du patient mais ce n’est pas la fin de vie de la famille, des
intervenants, des amis… »
« ils venaient le soir qu’on ait le temps de discuter… histoire qu’ils
vident un peu leur trop plein… »
79
3.2.2.3. Entretien n°3
ENTRETIEN 3 – MEDECIN 3
RUBRIQUES
THEMES EXTRAITS VERBATIM
La mort et la
souffrance d’un
patient sont
douloureuses
pour le médecin
« -‐ Vous m’avez dit c’est douloureux ? – pour le médecin ouais ! »
« et puis c’est douloureux pour nous »
« Mais je pense que l’on s’attache vite aux patients… Et ça fait
mal. »« Et puis ça dépend de l’âge du patient, quand c’est des
patients jeunes c’est compliqué… Et puis c’est douloureux pour
nous… »
« c’est important… ouais, ouais ça j’ai toujours fait… »
« Vraiment c’était… Une fin de vie qui était vraiment difficile »
« Ca m’est arrivé de pleurer sur le certificat de décès (…) c’est
comme ça on est des êtres humains, on est pas des machins à
soins »
« en se disant au revoir ben voilà, on s’est fait l’accolade et j’ai
fondue en larme »
Le décès d’un
patient jeune n’est
pas dans la
logique de la
nature
« quand il y a la mère qui est là, qui sait que sa fille va décéder, ce
n’est pas dans la logique des choses »
« c’est injuste quand c’est un patient jeune »
« c’est pas dans l’ordre des choses… (…) c’est comme ça, on sait
que c’est comme ça mais on ne trouve pas ça normal»
« il avait 20 ans … donc c’est douloureux, c’est dur »
Le médecin se
sent seul face à
ses émotions
« on est pas bien… on est pas bien. On est seul par moments »
« On est souvent très seul par rapport à l’émotion que l’on peut
ressentir … ou alors je suis trop émotive… »
« Ouais mais l’émotion peut être forte… ouais c’est dur »
Vécu et ressenti
face à la fin de
vie et à la mort
La fin de vie est la
perte de
conscience
A propos du moment où le médecin parle de fin de vie : « quand elle
est tombée dans le coma (…) elle ne pouvait plus s’exprimer »
80
L’expérience ne
blinde pas le
médecin, au
contraire
« j’ai en parlé avec une collègue qui a le même ressenti que moi,
plus le temps passe, plus c’est difficile à la limite. Pour moi… »
« j’ai l’impression avec le temps, à la limite c’est plus douloureux
maintenant que quand j’avais 30 ans »
« et puis on porte pas mal de choses à bout de bars et puis ce sont
des choses répétitives, une première fois, une deuxième fois… »
« c’est une histoire qu’on porte, c’est deux histoires, c’est cinq
histoires… c’est dix histoires… (…) on ne vit pas avec le décès de
nos patients mais c’est quelque chose de répétitif et puis ça bouffe
de l’énergie ça… ça prend, ça affecte… »
« et pusi je sais que je vais en avoir un paquet parce que comme je
vieillit ma clientèle vieillit ! »
Le médecin
s’identifie à ses
patients
« moi aussi j’avance en âge, il y a plein de choses qui se mettent en
route et je trouve ça douloureux »
La confrontation à
la souffrance
constitue un poids
à porter pour le
médecin
« et puis on porte pas mal de choses à bout de bars et puis ce sont
des choses répétitives, une première fois, une deuxième fois… »
La vie est toujours
présente, même
avant la mort
« je suis obligée de la booster pour qu’il fasse des trucs et qu’il ne
soit pas tout le temps dans la maladie, il y a la vie qui est là »
« essayer de le remettre dans la vie »
Le domicile est le
lieu le plus
propice pour la fin
de vie
« De toute façon on est mieux chez soir qu’à l’hosto, ça c’est
évident »
« je pense que l’hôpital par moment c’est difficile aussi… on a pas
forcément le même confort, les mêmes attentions, les siens autour
de soi, la même douceur »
La fin de vie est
l’occasion de
rapprochements
familiaux
« je leur ai dit qu’il fallait en profiter, que ça n’allait pas durer
longtemps… Donc ils sont restés plus longtemps. »
« il y a toute la famille qui a défilé, ils se retrouvaient ensemble en
famille le week-‐end »
81
La famille a un
rôle
d’accompagnant
mais pas de
soignant
« comme j’ai dit à la famille : « il y a des choses qui ne sont pas de
votre ressort, ce n’est pas à vous de faire les soins (…) il faut que
vous… c’est la présence, c’est manger avec elle… » (…) »
La mort à l’hôpital
peut être une
nécessité
« On ne peut pas tout gérer à domicile… je pense que vraiment
quand c’est trop lourd pour les familles, on ne peut pas mettre tout
le monde dans la détresse »
« parce que ça peut être douloureux et on ne peut pas imposer à
une famille de… »
« On ne peut pas tout gérer à domicile… je pense que vraiment
quand c’est trop lourd pour les familles, on ne peut pas mettre tout
le monde dans la détresse »
A propos de l’accompagnement des familles au domicile : « je trouve
que c’est bien de pouvoir le faire, mais tout le monde n’en est pas
capable… et ça il faut le savoir »
L’accompagne-‐
ment en fin de vie
peut être un bon
souvenir pour le
médecin
« oui oui là j’en ai gardé un bon souvenir »
« je sais que c’était un choix t ça c’est fait dans la sérénité et la
douceur… c’est vraiment s’endormir à la maison »
La famille est
essentielle pour
un accompagne-‐
ment à domicile
A la question sur la possibilité de mourir seul à domicile : « ça finit à
l’hôpital à chaque fois »
La présence du
médecin
rassurante pour le
patient
« Elle attendait que je vienne, car il y avait le sourire, je voyais à
chaque fois. Elle me serrait la main (…). »
« (…) ça lui faisait plaisir, quand elle me voyait arriver j’avais un
grand sourire, même si elle ne pouvait plus parler… dans ses
yeux… c’est quelque chose qu’on voit. »
« (…) donc lui prendre la main, la rassurer »
82
Les patients
savent leur
pronostic
« les gens savent de toute façon » A propos des
représentations
du patient
Les patients ont
peur de souffrir
mais ne veulent
pas mourir
« il y a cette demande de la part des gens, les gens ont peur…
« docteur, si ça ne va pas vous m’aiderez ? » et sachant que quand
ça ne va pas, on sait très bien que sur les fins de vie les patient
n’ont pas envie de partir… il y a une ambivalence »
Les conflits ou les
ruptures avec les
familles signe de
transfert
« « par contre avec des familles une fois que le patient est décédé
je ne les vois plus parce que je leur rappelle de mauvais
souvenirs… »
« pour eux quand il vont te revoir ça va rappeler le souvenir… le
cancer (…) »
La famille a besoin
d’être rassurée
par le médecin
« La famille m’a appelée, me disant : « qu’est ce que vous pensez
des résultats ? » (…) »
A propos des
représentations
de la famille
Les conflits ou la
rupture est un
manque de
reconnaissance
« et bien l’ego du médecin il est plof »
« ça fait mal sur le moment comme quand on se frite avec
quelqu’un »
« et puis ça remet en question ce que l’on a fait »
Le médecin a
besoin de
verbaliser sa
douleur et ses
difficultés
« et puis quand ça ne va pas j’en parle à mon associé »
« si je sens que j’ai besoin d’en parler, et bien je l’appelle. En
disant : « et bien voilà j’ai vu… c’est difficile… » Simplement dire ça,
sentir qu’il y a quelqu’un qui est en face, je crois qu’on se sent
moins seul »
« Sentir qu’il y a quelqu’un en face, je crois qu’on se sent moins
seul »
A propos de son
propre travail
de prise en
charge
Le médecin
s’implique
fortement dans
ses prises en
charge
« quand je suis au cabinet je suis à fond »
83
Le médecin évite
parfois de se
confronter à ses
émotions
« Et là je n’ai pas eu le courage d’aller la voir… (…) On se protège
hein… je crois que c’est de la protection »
Le médecin est
conscient de ses
propres limites
« Et je crois qu’il faut savoir le dire (…) quand c’est trop difficile »
« le kiné aura une appréciation différente de la mienne parce que
moi je ne suis que médecin »
« et puis il y a des choses que l’on ne sait pas faire. Tout
simplement. Y’a des choses que je ne sais pas faire, je ne suis pas
bonne donc »
« le médecin (…) peut se retrouver dans l’incapacité de gérer
certaines choses… il y a des moments ou on arrive pas… ou on ne
peut plus donner, on arrive plus à avancer »
« c’est bien de faire le relais dans ce cas là, je trouve que c’est bien
de souffler »
« et puis y’a des trucs ou on est pas bon, des jours ou on se plante »
« parce qu’on a étudié dans le soin et pas dans le palliatif… ça on
l’apprend quand on est tout seul »
Le médecin
apporte plus un
accompagnement
que des soins
« souvent nous quand on y va c’est plus pour un accompagnement
que du soin, il faut être honnête »
Les expériences
personnelles du
médecin affectent
sa prise en charge
« moi je l’ai vécu dans ma famille ou il y a eu des choses
douloureuses... (…) Il faut du temps… pour digérer (…) je
comprends tout à fait que le médecin puisse être associé à une
douleur »
« on vit des expériences de vie personnelles et je me suis rendu
compte que c’était… que c’est difficile, douloureux (…) »
« une fin de vie que je n’ai pas géré (…). Je n’étais pas bien, j’étais
en plein divorce, mon associé était absent, il était malade (…)
c’était un énorme bazar (…) et puis j’avais une fin de vie sur…
c’était un sarcome (…) chez une gamine adoptée… et là je n’ai pas
pu, j’y arrivais plus »
« c’est pas dans l’ordre des choses… moi j’ai perdu mon petit frère,
ce n’est pas dans l’ordre des choses »
84
Le médecin est
opposé à
l’euthanasie
« l’euthanasie active moi je ne la fais pas… »
L’euthanasie et
difficile à définir
« -‐vous avez vécu ça comme de l’euthanasie ? – non … mais comme
une accélération de la fin de vie oui… alors peut être… oui … non…
en fait on peut pas savoir »
« ce n’est pas de l’euthanasie, on ne pousse pas la seringue »
Le médecin lutte
contre la
souffrance de ses
patients à tout
prix
« je leur dit : « écoutez, l’euthanasie active moi je ne la fais pas…
par contre si vous avez des douleurs, je pourrais vous aider »
« je fais vraiment attention au niveau de la douleur, ça c’est
important »
« laisser quelqu’un souffrir, pour moi ce n’est pas quelque chose de
normal »
Le médecin ne
s’impose pas face
au patient ou à la
famille
« Elle me l’a dit : « moi je ne veux plus », alors je lui dis : « alors il
faut lui dire que c’est votre choix (à l’oncologue) (…) »
« (…) de toutes façon au niveau des soins c’est votre choix (…) ce
n’est pas au médecin. »
« je fais attention aux mots que j’emploie par rapport à ce que les
gens veulent entendre »
« de toute façon elle ne voulait pas retourner à l’hôpital (…) elle
voulait rentrer chez elle »
« Oui c’est difficile oui… ceux qui ne veulent pas savoir… ça m’est
arrivé (…) des petites mémés en fin de vie (…), bon là, s’ils ne
veulent pas savoir s’il y a des métastases d’un cancer… (…) ça ne
changera pas grand chose »
« C’est une femme qui était intelligente, qui connaissait bien sa
pathologie… Je la laissais venir, mais par contre je n’ai pas caché la
réalité. »
« C’était avec toute la famille… on laisse venir… »
« on en reparle, on reparle même de l’enfant qui est décédée… (…)
je les laisse venir »
« parce que ça peut être douloureux et on ne peut pas imposer à
une famille de… »
A propos de ses
relations avec
ses patients et
leurs famille
Le médecin est
attaché à ses
patients
« et puis avec les années on s’attache encore plus aux gens »
« parce que l’on s’attache aux patients… »
« je pense que l’on s’attache vite »
85
« C’est une femme adorable »
« c’était douloureux parce que je l’aimais beaucoup »
Le médecin ne
cache pas ses
émotions
A propos de l’émotion ressentie par le médecin au moment du décès :
« ça m’arrive de les montrer. Ca m’est arrivé de pleurer sur le
certificat de décès »
« c’est comme ça on est des êtres humains, on est pas des machins
à soins »
« en se disant au revoir ben voilà, on s’est fait l’accolade et j’ai
fondue en larme »
Le médecin reste
distant
« (…) avec le patient… Et bien j’essaie d’être neutre si possible,
dans la compassion, de… dans l’écoute surtout… et de lui dire…
que je comprends que c’est difficile »
Les équipes
pluridisciplinaires
sont un moyen de
soutenir les
médecins traitants
« on se retrouve avec l’infirmière, les kinés… pour tout le monde
c’est plus facile »
« parce que c’est vrai que quand on le fait en équipe »
Les soins
palliatifs : soins
quand le
pronostic est fatal
A propos du moment où le médecin évoque les soins palliatifs :
« quand on sait qu’il n’y a pas d’issue. »
« il peut y avoir une stabilité des lésions mais c’est du palliatif en
attendant. (…) on sait (…) qu’il va y avoir une flambée (…) »
A propos des
soins palliatifs
en général
Les soins palliatifs
accompagnent la
famille comme le
patient
« à la limite c’est plus lui qui me pose problème que son épouse
(malade) »
86
A propos de la
gestion de sa
vie privée
Nécessité de
compartimenter
dans le temps et
dans l’espace la
vie privée et la vie
professionnelle
« après 20h c’est fini, c’est ma soupape de sécurité… je pourrais
pas… je me connais suffisamment quand c’est fini c’est fini, je peux
pas. C’est pour ça que je n’habite pas où je travaille, surtout »
« de toute façon je ne suis pas joignable »
« entre le moment ou je sors du cabinet médical, avoir un petit
quart d’heure tranquille, ranger mes émotions, et après reprendre
mon rôle de maman »
« si je ne range pas mes émotions correctement quand j’arrive
chez moi je ne suis pas disponible pour mes enfants »
87
3.2.2.4. Entretien n°4
ENTRETIEN 4 – MEDECIN 4
RUBRIQUES
THEMES EXTRAITS VERBATIM
Le domicile est le
lieu le plus
propice pour la
fin de vie
« moi j’essaie des les garder au maximum à la maison »
« on les conserve en fin de vie dans de meilleurs conditions et je dirais
même plus longtemps qu’à l’hôpital »
« Parce que moi je ne voudrais pas mourir à l’hôpital. C’est inhumain
(…) je préfèrerai être à domicile »
« je pense que l’on peut mieux vivre et dans de meilleurs conditions
qu’à l’hôpital »
« pour moi l’hôpital n’est pas mieux pour lui en fin de vie »
« à la maison on arrive à tenir cette dignité »
Les patients
jeunes meurent
moins à la
maison
A propos des patients jeunes : « en générale, c’est beaucoup plus dur
des les garder à la maison »
« les personnes âgées au contraire on arrive beaucoup plus à les
garder à la maison »
La fin de vie est
dégradante
A propos de l’image de la personne en fin de vie vis à vis de ses enfants :
« il faut leur donner quand même une image un peu plus supportable
que… qu’une image de quelqu’un en fin de vie (…) »
Le souvenir de la
personne
décédée doit être
préservé
« Donc il faut essayer de préserver le souvenir de la personne vis à vis
de l’entourage et surtout vis à vis des enfants »
Face à la fin de
vie et à la mort
L’espérance de
vie est
supérieure à
domicile qu’à
l’hôpital
« on les conserve en fin de vie dans de meilleurs conditions et je dirais
même plus longtemps qu’à l’hôpital »
« Bon par contre c’est vrai qu’on va gagner du temps sur la mort. C’est
à dire que quelqu’un qui est à l’hôpital en fin de vie, là ou son
espérance de vie à la maison sera peut être de 10 jours, à l’hôpital elle
sera de 5 jours »
88
L’expérience
blase le médecin
« on est relativement blasé »
« au bout d’un certain temps on a une forme d’émotion qui est tout à
fait différente par rapport à quelqu’un qui commence »
« on est pas blasé de le douleur, (…) mais on la gère différemment, on
est capable de faire abstraction »
La mort d’un
patient jeune
affecte plus le
médecin
« on est moins blasé devant ces cas là quand c’est des personnes
jeunes ou des enfants »
« le point de vue émotionnel est bien plus important qu’avec une
personne âgée »
Le décès d’un
patient jeune
n’est pas dans la
logique des
choses
« Alors qu’un personne jeune on va pas (…) comprendre pourquoi à
48 ans on va mourir alors que l’on (…) ne l’a pas mérité »
Être médecin
implique une
relation intime
« C’est l’émotionnel, c’est une relation, que moi mes maîtres m’ont
appris, la relation avec son patient qui devient quelqu’un de la
famille »
La mort à
l’hôpital est un
échec
« c’est un échec vis à vis de la famille »
« à l’hôpital vous n’êtes qu’un numéro »
La mort à
l’hôpital peut
être une
nécessité
« Si vous voyez que cette demande est impossible, si cette possibilité
n’existe pas entre la famille et le médecin, ce n’est pas la peine »
Le médecin se
sent seul face à
ses émotions
A propose de son implication émotionnel : « non moi j’en discute avec
personne… malheureusement… (…) éventuellement avec ma femme
puisqu’elle est cadre de santé »
Il faut préserver
la dignité devant
la mort
« devant la mort il faut être digne »
« vous pouvez l’aider à rester digne devant le mort, et ça (…) très très
important. »
« si c’est gagner du temps en perdant sa dignité, non »
89
Face à la mort il
faut gagner du
temps
« Et du temps c’est quand même… devant la mort… c’est quand même
quelque chose »
Les patients ont
peur de souffrir
« ils disent : « est ce que je vais encore souffrir ? » (…) »
Une demande
d’hospitalisation
pour ne pas
montrer sa
souffrance
« une aide hospitalière (…) pour décharger son conjoint ou son
entourage »
« un répit »
« pour ne pas faire voir sa souffrance »
A propos des
représentations
du patient
La demande
d’hospitalisation
cache une
demande
d’attention
« il vous dit : « j’ai envie de partir à l’hôpital » mais dans son intime
conviction il demande plutôt à rester (…) pour faire comprendre que
(…) on pourrait faire quelque chose »
La famille est
plus disponible
pour
accompagner
une personne
âgée qu’un
personne jeune
« la famille, sur une personne âgée est beaucoup plus présente »
« pour la personne jeune (…) ils ne seront pas disponibles et la
conjointe ou le conjoint vont avoir une activité professionnelle »
Les familles des
patients jeunes
sont plus fragiles
« elle va beaucoup plus facilement craquer nerveusement (…) Et ils
vont, eux, être demandeurs d’hospitalisation »
A propos des
représentations
de la famille
Les ruptures et
les conflits avec
les familles sont
un manque de
reconnaissance
« parce que vous vous dîtes après tous les efforts que vous avez fait…
c’est dommage »
« il y a moins de reconnaissance vis à vis du médecin »
90
Les conflits ou
les ruptures sont
mal vécus
comme une
trahison par le
médecin
A propos du sentiment provoqué par une rupture avec une famille : « il
n’y a plus cette part de confiance où le médecin fait partie de la
famille. »
« Moi je pense que ce lien familial entre le médecin et l’entourage du
patient (…) a totalement disparu »
Le médecin est
un prestataire de
service
« on attend un service (…) on attend plus un accompagnement »
Les conflits ou
les ruptures sont
un moyen pour
les familles de ne
pas affronter
leur peine
« où alors s’ils partent c’est peut être pour ne pas affronter ce
désespoir. Ca c’est possible »
Le médecin doit
être disponible,
c’est sa vocation
« C’est prendre son téléphone 24/24 »
« J’ai même donné mon numéro de portable et ils pouvaient me
joindre 24H/24 »
« sans ça il faut faire un autre métier »
« ils peuvent compter sur vous à n’importe quel moment »
Le médecin a
pour objectif
d’améliorer les
conditions de fin
de vie
« il faut l’aider à terminer dans de bonnes conditions »
Le médecin
hospitalise
parfois pour se
décharger de ses
émotions
« on va avoir plus facilement envie de l’envoyer… pour se décharger
de cette émotion »
« l’hospitalisation va être un moyen (…) de se décharger (…) de cette
émotion »
A propos de son
propre travail
de prise en
charge
Tout médecin a
déjà aidé des
patients à mourir
« s’il y a besoin d’aider malgré ce que l’on dit… je pense que tout
médecin l’a fait… consciemment ou inconsciemment »
91
Le médecin est
opposé à
l’euthanasie
« ce n’est pas de l’euthanasie ! L’euthanasie c’est une
criminalité ! Aider à mourir dans de bonnes conditions c’est tout à fait
différent »
Le médecin
n’abandonne pas
« c’est là que vous pouvez lui dire : « écoutez, même jusqu’à la fin, on
fera le maximum » (…) »
Le médecin doit
interpréter ce
que dit le patient
« Ce n’est pas parce que le patient vous dit quelque chose
qu’intérieurement il pense la même chose »
« il faut écouter et chercher le double sens de temps en temps »
« il vous dit : « j’ai envie de partir à l’hôpital » mais dans son intime
conviction il demande plutôt à rester (…) pour faire comprendre que
(…) on pourrait faire quelque chose »
Le médecin ne
doit pas montrer
ses émotions au
patient
« il faut faire abstraction »
« il faut être fort… et être capable (…) de faire la part de l’émotion.
C’est à dire oublier notre émotionnel, ce qui n’est pas forcément facile,
mais on y arrive… »
« C’est grave parce que à ce moment là vous allez lui montrer une
souffrance… et cette souffrance elle va s’accumuler avec sa propre
souffrance »
Le médecin peut
partager ses
émotions avec la
famille
« l’entourage ça peut l’aider de voir que quelqu’un d’extérieur à cette
famille peut ressentir aussi une souffrance ou une émotion »
Le médecin est
un membre de la
famille
« Quand vous soignez quelqu’un depuis plus de 20 ans moi je pars sur
le principe que le médecin il fait partie de la famille »
« la relation avec son patient qui devient quelqu’un de la famille »
A propos de ses
relations avec les
patients et leurs
familles
Le médecin aide
le patient à se
placer dans un
projet de vie
« c’est à dire que par l’interrogation il va mettre en doute cette issue
fatale… à brève échéance… (…) au lieu de se dire c’est pour demain ou
après demain il va se dire « ben oui je peux gagner encore quelque
temps ». (…) »
92
Les soins
palliatifs axés
sur les
symptômes et
non sur la mort à
venir
« Palliatif cela ne veut pas dire un soin vers une issue fatale »
« ça veut dire pallier… (…) à une douleur… on peut lutter contre un
type de douleur »
Pour faire des
soins palliatifs il
faut être
disponible
24H/24
« C’est prendre son téléphone 24/24 »
« J’ai même donné mon numéro de portable et ils pouvaient me
joindre 24H/24 »
A propos des
soins palliatifs
en général
Les soins
palliatifs traitent
les symptômes
sans chercher les
causes
« palliatif c’est encore une fois, essayer de traiter les symptômes sans
obligatoirement aller chercher les causes »
« parce qu’il y a des causes qui sont intraitables »
93
3.2.2.5. Entretien n°6
ENTRETIEN 6 – MEDECIN 6
RUBRIQUES
THEMES EXTRAITS VERBATIM
Le médecin n’est
pas affecté par la
souffrance ou le
décès de ses
patients
« moi je n’ai pas d’états d’âmes »
« Le médecin doit déboubler sa personnalité en permanence. On doit
toujours resté en dehors (…) »
« vous n’avez aucun sentiment »
« non non moi je ne fais pas le deuil de mes patients »
« attendez le coup de « j’aime mon patient » c’est des conneries ! (…)
J’aime ma femme oui mais je n’aime pas mes patients ! »
« Elles sont mortes, et bien elles sont mortes ! »
« Le patient je n’ai pas d’intimité avec lui. Donc ce problème là n’existe
pas »
Le domicile est le
lieu le plus propice
pour la fin de vie
A propos du domicile : « Et puis il y a un meilleur vécu pour le patient,
je crois que c’est mieux de mourir dans son lit (…), que d’aller mourir
à l’hôpital »
La mort à l’hôpital
peut être une
nécessité
« Il faut quand même qu’il y ait un milieu familial autour. Le gars qui
est tout seul il part à l’hôpital »
« Quand on ne peut pas, on en peut pas. C’est pas possible (…). Et puis
il y a des gens qui ne peuvent pas, il faut être capable de supporter »
« Ce n’est pas gênant, ils vont à l’hôpital. Pour certains c’est une
solution pour d’autres ça ne l’est pas… »
« Il faut faire ce qui est faisable »
« Il y a des fins de vie qui ne peuvent être faites qu’à l’hôpital. J’en suis
absolument convaincu. »
Face à la fin de
vie et à la mort
L’accompagnement
en fin de vie peut
être un bon
souvenir pour le
médecin
« oui oui, sur le plan professionnel c’est agréable »
« Mais ça se passe bien les fins de vie à domicile »
94
A propos des
représentations
du patient
Les patients savent
leur pronostic
« Elle avait complètement acquis la notion de mort. Elle avait intégré,
elle le savait, elle le voyait. Ils sont pas fous les gens »
A propos des
représentations
de la famille
Le milieu familial
est fragile et
fatigable
« Il y a donc la fatigue du milieu familial. Il faut pouvoir encaisser la
fin de vie. »
« Il y a tout le problème de la fatigabilité de l’entourage »
La
pluridisciplinarité
est un soutien pour
le médecin
A propos de l’équipe de soins palliatifs ambulatoire : « Donc c’est
pratique. On est en zone rurale profonde ici donc il n’y a plus
personnes. Les spécialistes ils sont au CHU »
« et surtout la supériorité c’est qu’il y a une psychologue »
« (…) la psy qui est formée pour ça. Ca c’est pas mal. Cette équipe
ambulatoire c’est sympa »
« L’équipe de fin de vie ambulatoire, ça c’est un truc qu’il faut mettre e
place »
« C’est bien qu’il y ait un relais avec l’hôpital, que l’on puisse travailler
en groupe »
« Il y a tout de le dynamisme de l’hôpital derrière »
« moi ce que j’aime bien c’est l’infirmière psy. C’est vraiment très
important, ça aide beaucoup. C’est un bon truc. »
L’accompagnement
de la fin de vie est
une mission du
médecin traitant
« ça ne pose pas de problème… Il faut le faire, c’est le job »
« mais il faut faire ça pour les patients »
« c’est le service rendu à la population, c’est le remerciement du
dévouement… pendant 30 ans ils vous ont fait vire »
« on ne demande pas à être honoré pour ça. On est honoré sur le
nombre de fois qu’ils sont venus à notre cabinet »
« ça fait partie du business »
Les seules
difficultés
ressenties sont
d’ordre médical
« bon à un moment donné, j’ai eu un problème technique, j’ai appelle
le médecin de l’équipe ambulatoire… mais c’est tout »
A propos de son
propre travail
de prise en
charge
Le médecin doit
s’adapter au patient
et à sa famille, être
pragmatique
A propos des prises en charge dans le non dit : « alors là on intervient,
on dit rien… (…) sans préciser du tout l’issue fatale »
« Chaque cas est d’espèce »
« Il faut faire ce qui est faisable »
« mais le médecin généraliste, il connaît bien son milieu, il est très
pragmatique, il sait orienté »
95
Les décisions du
médecin sont
basées sur son
ressenti
« mais le médecin généraliste, il connaît bien son milieu, il est très
pragmatique, il sait orienté. Ça se fait automatiquement, sans
réfléchir. »
« On repère les critères sociaux sans vraiment s’occuper des critères
sociaux. On vit dedans, on les connaît, on les intègre. On ne fait pas
d’effort pour ça, c’est intégré instantanément. Parce qu’on les
connaît »
La relative rareté
des fins de vie à
domicile lui permet
de mieux gérer la
lourdeur de la prise
en charge
« Mais ce n’est pas tout le monde, ce n’est pas la majorité, c’est une
minorité finalement qui a ça » (A propos de la fin de vie à domicile).
Le médecin est
toujours disponible
« On leur laisse le portable. On reste joignable en permanence. Il faut
donner le portable, il faut donner les numéros »
« Il ne faut pas les laisser à domicile sans numéro et se barrer en
sucette le week end ! Non non ! »
Le médecin doit
rester humble
« Attendez, les professionnels, on av y aller une heure dans la
journée ! Mais après on est parti ! Les 23 heures restantes c’est la
famille ! »
A propos de ses
relations avec les
patients et leurs
familles
Le médecin ne
s’impose pas au
patient ou à la
famille
« (…) permettant la prise en charge à la fois de la famille et à la fois de
la patiente, en fonctions des besoins et de ce qu’il veulent »
« dans la cas de cette famille, c’était le mari, qui était tout à afit
d’accord pour cette mise en place »
« ça s’est fait à domicile selon leurs vœux »
A propos de l’intervention de la psychologue : « Elle vient tout
doucement par petites touches, elle fait ça avec beaucoup de
délicatesse en fonction du désir de la famille »
« Tout est négocié et cela se passe de façon sympathique »
« Chacun choisit un petit peu ce que l’on peut offrir dans le panel de
soins »
« je le fais souvent en accord avec la famille. Cela permet de laisser
une personne mourir dans son lit »
« C’est absolu cela, il faut la coopération totale du milieu familial »
« Celui qui ne veut pas voir, eh bien on se plie à lui (…). Attendez si le
96
patient n’est pas d’accord… il faut l’accord du patient et de la famille »
A propos du désir de mourir à domicile : « je sais qu’il le veut alors on
essaiera de lui offrir »
« en fin de compte c’est la famille qui décide, pas le médecin »
A propos de l’évocation des soins palliatifs : « Pour l’instant il ne faut
pas, c’est trop tôt, il faut sentir le moment où on se lance »
Les discussions
doivent être
franches et directes
A propos de l’évocation des soins palliatifs avec le patient : « eh bien on
lui dit direct, souvent le patient est au courant de sa maladie »
La connaissance de
l’histoire
personnelle du
patient aide à sa
prise en charge
« (..) souvent le médecin traitant annonce plus que l’hôpital. Parce que
les gens nous connaissent depuis 30 ans, on les connaît tellement que
c’est plus facile de notre bouche. »
« L’infirmière libérale connaît depuis 30 ans, c’est l’amie, ça
rassure… »
« on connaît tellement les gens… au bout de 30 ans on voit bien ce qui
est faisable socialement… »
« on connaît les rapports sociaux à l’intérieur de la famille »
« On le connaît le contexte. On a pas besoin de l’exprimer. On le sait
souvent très bien. (…) on voit là ou c’est faisable ou pas. Ceux pour
lesquels ce n’est pas faisable, on les hospitalise direct. C’est tout… Le
tri se fait automatiquement en amont. »
« On vit dedans, on les connaît, on les intègre. On ne fait pas d’effort
pour ça, c’est intégré instantanément. Parce qu’on les connaît »
Les relations avec
les patients sont des
relations de
courtoisie et non
d’intimité
« Le patient, je n’ai pas d’intimité avec lui »
« On a de bonnes relations avec les gens, c’est de la courtoisie »
« Mais ça se passe bien les fins de vie à domicile »
L’acceptation par le
patient de la fin de
vie facilite sa prise
en charge
« Je pense que si le patient accepte, c’est plus facile »
97
A propos des
soins palliatifs
en général
Coordination des
soins de fin de vie
« sur le secteur j’ai fait appel à l’ équipe mobile de soins palliatifs
ambulatoire de l’hôpital de X avec qui on travaille en coordination »
Prise en charge
psychologique
« et surtout la supériorité c’est qu’il y a une psychologue »
« Elle vient tout doucement par petites touches, elle fait ça avec
beaucoup de délicatesse en fonction du désir de la famille »
Proximité A propose de l’équipe mobile de soins palliatifs ambulatoire : « je
trouve que c’est bien ça. En terme de proximité »
A propos de la
gestion de la vie
privée
Le médecin doit
dissocier dans son
esprit sa vie privée
de sa vie
professionnelle
« il faut complètement dissocier le business et le reste ! La vie privée
et la vie publique »
« pour dissocier ? Et bien c’est dans sa tête, je ne sais pas, je n’ai pas
de recette »
« la boulot a toujours été en dehors. C’est le business et puis c’est tout.
Je suis bien dans ma tête par rapport à ça »
98
3.2.2.6. Entretien n°7
ENTRETIEN 7 – MEDECIN 7
RUBRIQUES
THEMES EXTRAITS VERBATIM
La mort et la fin
de vie restent
tabous
A propos des prises en charge de fin de vie à domicile : « Alors moi j’ai
toujours un peu de mal à trouver ma place là dedans »
A propos de l’évocation des soins palliatifs : « il y a aussi le fait que moi,
en tant que médecin, je suis un petit peu mal à l’aise pour aborder ce
sujet »
A propos de son absence de formation en soins palliatifs : « -‐ est ce
l’absence de besoin de formation ou plutôt la volonté de ne pas se
confronter à une formation sur les soins palliatifs ? – oui en effet, c’est
plutôt quelque chose qui ressemblerait à la dernière formule »
« c’est un aspect qui m’a toujours un peu dérangé en fait… c’est
quelque chose de très personnel… tout ce qui touche les maladies
graves »
« ça renvoie avec d’autres problématiques avec lesquelles je ne suis
pas forcément à l’aise… la vieillesse et la mort… »
« c’est pas forcément très stressant mais il y a un petit côté un peu
pénible quoi… dans ces prises en charge (…) c’est un peu ce sentiment
que je ressens »
« avec ce patient là si vous voulez, c’est vrai qu’on a jamais aborder
l’aspect… ultime… de l’évolution de sa maladie… on est toujours resté
dans les soins »
« la fin de vie, non… en 20 ans d’installation je n’ai jamais eu l’occasion
véritablement d’aborder ce sujet… j’ai eu des soins palliatifs, mais
jamais je n’ai abordé ce sujet avec les patients »
« je ne pose pas de questions sur… la mort… ou éventuellement sur le
fait de savoir s’ils sont inquiets, si ça les angoisse »
« le terme de « mourir » par exemple c’est un terme que je n’ai jamais
utilisé en présence d’un patient dans ce type de situation »
Face à la fin de
vie et à la mort
La mort et la fin
de vie sont des
sujets religieux et
A propos du fait de parler de la mort avec un patient : « je voyais ça
plutôt un peu schématiquement dans la bouche d’un curé ! … qui est
plutôt là pour la paix de l’âme »
99
personnels
« ne pas avoir mal de façon à ce que le patient puisse aborder cette
étape là soit avec la famille, soit éventuellement sur le plan religieux »
Le médecin
s’occupe de la
souffrance du
corps
« nous on est plutôt là, si j’ose dire, pour la paix du corps (…) pour
donner ce répit sur le plan physique, c’est à dire ne pas souffrir, ne pas
avoir mal (…) »
Accompagner un
patient jeune est
difficile
A propos des patients jeunes en fin de vie : « C’est plus dur car il y a un
phénomène de transfert qui se fait inévitablement »
Le décès d’un
patient jeune n’est
pas dans l’ordre
des choses
« C’est plus dur car il y a quelque part un sentiment d’injustice (…) »
« quelqu’un qui a une maladie à l’âge de 80 ans et qui est emporté par
sa maladie c’est presque un peu dans l’ordre des choses »
« quelqu’un qui a une maladie à l’âge de 30, 35, 40 ans et qui est
emporté par cette maladie… il y a effectivement une
incompréhension, un sentiment d’injustice »
Le médecin
s’identifie à ses
patients jeunes
A propos des patients jeunes en fin de vie : « C’est plus dur car il y a un
phénomène de transfert qui se fait inévitablement »
Le domicile est le
lieu le plus
propice à la fin de
vie
A propos de la fin de vie à domicile : « je pense que c’est bien parce que
ça permet à la famille d’être dans l’intimité »
« ça a permis à la famille de se retrouver dans cette intimité … pour
ces raisons là je pense que c’est bien… c’est même plus confortable
pour le patient et pour la famille »
La fin de vie est
l’occasion de
rapprochements
familiaux
« et c’est souvent l’occasion pour la famille de se retrouver »
« ça a permis à la famille de se retrouver dans cette intimité »
La mort d’un
patient n’est pas
un échec pour le
médecin
« non non je ne dirais pas ça comme ça… (…), ce n’est pas un échec de
la médecine ».
« la médecine est un peu impuissante mais elle n’est pas mise en
échec »
100
La mort et la
souffrance
affectent le
médecin
« si la question est : à l’issue des soins palliatifs, est ce qu’on est
affecté par la disparition des patients ? … oui bien sûr, oui. On est
affecté parce que tout s’arrête soudain »
« Ce patient a occupé une place privilégiée dans notre esprit »
« Apaiser la douleur des parents (…) vis à vis d’un jeune adulte ou
d’un enfant, c’est extrêmement douloureux »
Le médecin
angoisse d’avoir
rater quelque
chose
Il y a aussi cet aspect : « est ce que je n’ai pas loupé quelque
chose ? »… c’est un peu ma hantise… c’est un peu ma hantise d’une
manière générale. »
La présence du
médecin est
rassurante
« et même si on aborde pas directement le sujet de la mort… je crois
que ça gravite tellement autour, que quelque part, ça répond ça
répond à des questions angoissantes »
malgré tout le fait de voir le médecin, le fait de sentir sa disponibilité,
le fait d’avoir sa présence rapidement… ces 3 éléments là contribuent
je crois à apaiser le patient »
« ça m’a vraiment frappé avec lui parce que vraiment il avait besoin
que je sois là (…) il avait besoin de ma présence avec tout ce que cela
représentait »
« ce besoin d’avoir cette présence qui rassure »
« ah ben docteur, le simple fait de vous voir ça nous soulage déjà »
« en fait c’est simplement notre présence… et quelques mots… peu
importent les mots à la limite… c’est surtout montrer qu’on est
disponible »
A propos des
représentations
du patient
Le patient a
besoin de sentir le
médecin
disponible
« il sait très bien que son médecin il peut l’appeler, il arrivera le jour
même »
« en fait c’est simplement notre présence… et quelques mots… peu
importent les mots à la limite… c’est surtout montrer qu’on est
disponible »
« et puis du temps, c’est ce que je disais, il faut du temps »
« on ne peut pas leur donner le sentiment que c’est une consultations
ordinaire »
« en fait c’est simplement notre présence… et quelques mots… peu
importent les mots à la limite… c’est surtout montrer qu’on est
disponible »
101
Les patients
savent
« Alors est ce qu’on a parlé du pronostic ? … euh et bien oui
puisqu’elle était au courant de ses pathologies »
« Elle a fini, je pense, par prendre conscience que les choses
s’aggravaient et qu’elles s’aggraveraient encore »
« Elle savait, elle avait deviné qu’il y avait un pronostic qui était
engagé »
« il avait bien compris que c’était la fin, même si ce n’était pas
verbalisé, il avait bien compris tout ça »
Être parent et
perdre un enfant
est plus difficile
qu’être enfant et
perdre un parent
« on arrive assez facilement à apaiser la douleur des enfants vis à vis
de leur parents mais parfois dans le sens contraire c’est extrêmement
douloureux »
A propos des
représentations
de la famille
Les familles sont
demandeuses
d’échanges avec le
médecin
« il y a toujours un grande envie de la part des enfants de savoir (…) »
La fin de vie à
domicile est
difficile à mettre
en place pour le
médecin
« C’est toujours difficiles de mettre en place ces structures de soins »
« Il y a tout l’aspect organisationnel qui est un petit peu compliqué je
trouve »
« ça demande beaucoup d’investissement en terme de temps pour un
médecin généraliste »
Les prises en
charge en fin de
fin sont lourdes
car chronophages
« ça demande beaucoup d’investissement en terme de temps pour un
médecin généraliste »
A propos du temps : « mais c’est un frein pour que éventuellement je
sollicite, que je leur suggère… »
« en fait ce sont des situations qui sont un peu lourde, principalement
au niveau du temps qu’on y passe »
« il faut toujours jongler avec son emploi du temps »
« je sais que ça va être des situations compliquées en terme de
temps »
A propos son
propre travail
de prise en
charge
Le médecin prend
en charge les
problèmes
médicaux
« soigner ne me pose pas de problème »
« et bien moi je reste sur des choses purement médicales »
« mais ce n’est pas forcément cet aspect technique qui est dérangeant
et pénible »
102
Les prises en
charge des fins de
vie ne sont pas
des surprises
« de ce côté là si j’ose dire, il n’y a pas de mauvaises surprises et donc
il n’y a pas de sentiment négatif par rapport à ce type de situations »
Le médecin évite
parfois de se
confronter à la fin
de vie pour se
protéger
« ce n’est pas des situations (…) auxquelles je cherche à être
confronté… si je peux éviter c’est pas plus mal. C’est pour ça
finalement que je n’ai pas beaucoup de fin de vie à gérer »
La
pluridisciplinarité
est un soutien
pour le médecin
« les médecins (hospitaliers) sont je trouve assez disponibles (…) pour
ce genre de situation.
Le médecin est
toujours
disponible
« ce temps que nous prenons (…) pour discuter »
« il sait très bien que son médecin il peut l’appeler, il arrivera le jour
même »
« on ne peut pas leur donner le sentiment que c’est une consultations
ordinaire »
« je leur donne mon portable oui, je le fais ça »
Le médecin
n’abandonne pas
« j’incarnais la médecine, mais surtout j’incarnais la médecin qui ne
laisse pas tomber »
Le médecin est
humble
A propos de la prise de conscience du médecin de son importance à être
présent pour rassurer : « ça me touchait quelque part… ça me touche
de voir que c’est parfois presque disproportionné »
A propos de ses
relations avec
ses patients et
leurs familles
Le médecin ne
s’impose pas au
patient ou à la
famille
« C’est même elle (…) qui avait eu cette volonté et avait dit : « moi je
voudrais que vous continuiez à me soigner à domicile » (…) »
« C’est là qu’elle a progressivement parle de soins palliatifs … sans
prononcer le mot (…) »
« C’est elle qui a abordé le sujet »
103
Le médecin
n’aborde pas
spontanément le
sujet de la fin de
vie ou de la mort
« -‐ C’est elle qui a abordé le sujet ? – dans mon souvenir oui… c’est pas
moi, ça c’est sûr »
« euh, non, je ne mets pas forcément les pieds dans le plat… j’attends
que ce soit les patients qui formulent la demande »
« avec ce patient là si vous voulez, c’est vrai qu’on a jamais aborder
l’aspect… ultime… de l’évolution de sa maladie… on est toujours resté
dans les soins »
Le médecin est
plus à l’aise pour
aborder la mort
avec la famille
qu’avec le patient
A propos des échanges avec la famille : « j’ai l’impression que c’est plus
facile presque de trouver les mots, de trouver les phrases qui
apaisent, qui tranquillisent la famille…
« la communication n‘est pas difficile (…) on est presque dans un
registre technique si j’ose dire »
« enfin moi j’ai le sentiment qu’il est plus facile de prendre en charge
la douleur de la famille »
La connaissance
de l’histoire
personnelle du
patient
n’intervient pas
dans la qualité de
la prise en charge
A propos des patients non connus par le médecin en fin de vie : « est ce
que c’est plus difficile ? non, ça ne me pose pas de problèmes
particuliers »
Le médecin est
attaché à ses
patients connus
depuis longtemps
« il y a des patients auxquels on s’attache parce qu’on les suit depuis
longtemps »
« il acquièrent dans notre esprit un statut particulier »
A propos des
soins palliatifs
en général
Les soins palliatifs
évoquent un décès
imminent
« soins palliatifs… sous entendu… ça va se terminer »
104
3.2.2.7. Entretien n°8
ENTRETIEN 8 – MEDECIN 8
RUBRIQUES
THEMES EXTRAITS VERBATIM
La médecine a ses
limites
« je crois qu’il arrive un moment où il faut un peu… leur montrer que
la médecine a fait beaucoup de progrès mais qu’elle a des limites »
La mort est un
processus naturel
« l’être humain par définition mortel »
« voilà il y a quand même un moment comme on dit au delà de cette
limite votre ticket n’est plus valable. C’est peut être un peu dur mais il
ne faut pas se masquer, se voiler la face »
« la mort est toujours présente même dans nos sociétés évoluées »
« ça se termine toujours par la mort ! »
« la mort fait partie du cycle de la condition humaine et en fera
toujours partie »
« Si vous occultez la mort , vous occultez l’humain »
La mort est une
fatalité
« (…) malheureusement on est acculé à une fatalité »
La souffrance et la
mort d’un patient
affectent le médecin
« quand un patient comme a décède, on est triste, pace… Il vous a fait
confiance pendant très longtemps, on s’est décarcassé »
« le médecin souffre, pas au sens de la douleur, mais souffre quand
même avec son patient »
« c’est douloureux d’être auprès d’une personne douloureuse, (…) on
a beau prendre de la distance »
« il y a un côté émotionnel qui joue »
« vous me demandiez si j’étais triste quand on perd un patient…
oui… »
Face à la fin de
vie et à la mort
La mort d’un
patient soulage le
médecin
« quand on le voit partir dans la paix on est un peu soulagé, il y a un
soulagement… je vous le dis franchement »
« c’est très dur pour un médecin de vivre avec un patient en fin de vie,
on est désemparé »
105
La mort peut être
paisible
« quand on le voit partir dans la paix on est un peu soulagé »
La mort à l’hôpital
peut être une
nécessité
A propos de patients partis décédés à l’hôpital : « ils sont restés jusqu’à
la dernière minute à la maison, on a vraiment attendu le dernier
moment »
« elle avait surtout un isolement total »
« C’est une décision que l’on prend dans l’intérêt du patient »
« De toute façon le choix d’hospitaliser ne se fait pas de gaité de cœur,
c’est un choix qui s’impose »
Même en fin de vie
le médecin a une
obligation de
moyen dans sa
prise en charge
« il ne faut pas oublier qu’en médecine on a une obligation de
moyens… sur le plan responsabilité civile ou déontologique on a une
obligations de moyens »
« Ca joue énormément sur la décision du médecin. Obligation de
moyens, j’insiste là-‐dessus »
« et donc si vous voulez l’entourage, les proches ont la conscience
tranquille… et quelques fois le médecin aussi »
Les situations de fin
de vie sont
enrichissantes pour
le médecin
« oui oui, sur le plan humain c’est très enrichissant pour le médecin
car on voit l’évolution cognitive de ces gens au fur et à mesure de
l’évolution de la maladie… ça s’apparente à un deuil »
La fin de vie
correspond au
moment ou le
patient atteint la
phase de
découragement
dans l’évolution de
sa maladie
« (…) et après malheureusement c’est la phase de découragement
(…). Alors on s’oriente un peu vers la fin de vie. Du découragement on
arrive à la phase de résignation »
La fin de vie peut
être un bon
souvenir pour le
médecin
« alors c’est un bon souvenir parce que (…) on a l’impression d’être
utile au patient… on est médecin, on a ce côté humain »
Le médecin
s’identifie aux
émotions des
familles
« on ne peut pas s’en empêcher, on est pas de pierre. Il y a un transfert
un peu émotionnel, ça dure quelques secondes, quelques minutes,
mais ça existe voilà »
106
A propos des
représentations
du patient
En fin de vie les
patients suivent des
étapes de deuil
« on voit l’évolution cognitive de ces gens au fur et à mesure de
l’évolution de la maladie… ça s’apparente à un deuil »
L’accompagnement
en fin de vie est très
dur pour les
proches
« Il ne faut pas oublier que (…) pour les accompagnants qui ne sont
pas toujours jeunes, c’est très dur, c’est très pénible »
« Quand ça s’éternise pour ces gens là c’est assez dur. Il faut donc
aussi penser à l’entourage »
A propos des
représentations
de la famille
Les conflits avec les
familles sont un
transfert sur le
médecin de leurs
émotions
« et donc si vous voulez l’entourage, les proches ont la conscience
tranquille… »
« les gens sont assez procéduriers »
« il suffit que vous ne fassiez pas les choses au maximum pour qu’il y
ait un membre de la famille (…) qui vous fasse des reproches »
« les gens aux mêmes ne veulent rien avoir à se reprocher et ils ne
veulent pas qu’on leur dise qu’ils n’ont pas fait le maximum pour leurs
proches et leurs parents »
Le travail du
médecin est guidé
par les textes
législatifs
« ça fait partie de l’information que l’on doit au malade (…). C’est la
fameuse loi Kouchner. C’est la loi du 4 mars 2002 »
« ça c’est dans le code de déontologie, (…) le médecin ne doit jamais
véhiculer des paroles de désespoir »
« il ne faut pas oublier qu’en médecine on a une obligation de
moyens… sur le plan responsabilité civile ou déontologique on a une
obligations de moyens »
« (…) d’après la loi (…) la loi Leonetti… »
A propos de l’implication du médecin au conseil de l’ordre : « ah oui ça
m’aide dans ma pratique ! Et ça incite surtout à la prudence, ça ne
veut pas dire timidité ou frilosité (…) »
« vous parliez donc du maintien à domicile ou du décès à l’hôpital, il
faut que l’information soit comme il est dit dans la loi Kouchner :
claire, loyale et adaptée (…). Et puis le deuxième élément c’est le code
civile, le code de déontologie : c’est l’obligation de moyens »
« De toutes façon les deux piliers qui guident le médecin pendant son
exercice c’est la loi Kouchner (…) et puis le code de déontologie. D’un
côté le droit des malades, de l’autre côté les devoirs des médecins »
A propos de son
propre travail
de prise en
charge
L’expérience du
médecin l’aide dans
sa prise en charge
A propos de la démarche adoptée pour aborder la fin de vie : « vous
savez j’ai 36 ans d’installation ! C’est mon expérience ! »
107
Le médecin est
porteur d’un
message d’espoir
« il faut toujours dire un mais, il faut toujours donner de l’espoir »
« ça c’est dans le code de déontologie, (…) le médecin ne doit jamais
véhiculer des paroles de désespoir »
« le médecin a des paroles apaisantes (…) sans jamais véhiculer le
désespoir »
Le médecin est
humble
« on avoue aux gens, en toute humilité, que l’on a vraiment fait le
maximum au niveau (…) médecine curatrice »
Le médecin
n’abandonne pas
« (…) on va vous assurer que vous ne souffrirez pas… que vous
n’aurez pas soif… on ne vous abandonnera pas… »
Le médecin est
disponible pour le
patient et sa famille
« il faut dire : « ne vous inquiétez pas, je reviendrai vous voir lundi… si
vous avez un problème appelez moi »
Après un décès : « je me manifeste toujours par un petit mot, ou au
téléphone »
Le médecin a des
qualités d’écoute
« un écoute attentive, une écoute bienveillante »
« il faut être empathique »
« tout médecin devrait avoir un peu de cet aspect empathique, et un
peu de thérapie de soutien »
Le médecin a besoin
de verbaliser sa
douleur et ses
difficultés
« (…) il faut faire dans un premier temps des groupes de paroles, des
débriefing, une verbalisation, des groupes de pairs »
« le pire c’est de s’enfermer sur soi même »
« ce qu’il fait faire c’est s’ouvrir (…) ça c’est important, très
important »
Pour un patient
inconscient la
décision finale
appartient au
médecin
« le médecin doit s’entourer d’avis de façon collégiale (…) mais la
décision finale appartient au médecin, ça c’est très important »
Les expériences
personnelles
marquent le
médecin
« un patient jeune… bon ce n’était pas un de mes patients, mais c’était
mon neveu… qui est décédé d’un mélanome à 31 ans (…) il arrive un
moment ou voilà… il est mort dans un autre CHU »
108
Le médecin évoque
la fin de vie avec la
famille pour la
préparer
A propos de l’évocation de la fin de vie avec la famille : « C’est de ma
propre initiative… pour les préparer (…) pour pas qu’ils soient
surpris »
Le médecin doit
adaptée sa
communication au
patient et à sa
famille
A propos de l’évocation de la fin de vie : « il faut y aller avec doigté, avec
diplomatie. Il faut éviter la brutalité. »
« attendre le moment propice. Quant la personne est relativement
sereine »
Le médecin ne
s’impose pas au
patient ou à sa
famille
A propos de l’évocation de la fin de vie : « il faut éviter la brutalité »
« et je pense que petit à petit, ça chemine dans leur tête »
« c’est donc une annonce qui se fait sur huit jours, quinze jours (…) au
fil des consultations »
« le choix final leur appartient »
« (…) ce qui prime, si le patient est conscient donc, c’est la volonté du
patient »
« si possible il faut que le personne exprime sa volonté par écrit ( …)
c’est ce qu’on appelle les directives anticipées »
« quand la personne n’est pas en mesure d’exprimer sa volonté, il faut
s’appuyer sur les proches, sur la famille, sur la personne de
confiance »
Le médecin doit la
vérité au patient
« il ne faut pas se dérober, il faut répondre la vérité au patient »
« quand la personne est consciente et qu’elle vous dit : « dîtes moi la
vérité docteur » et bien oui on dit : « oui votre pronostic vital est
engagé… vous risquez de mourir… » Il ne faut pas se dérober »
Le médecin appuie
sa prise en charge
sur les convictions
du patient
« même si on est athée, agnostiques, on a quand même une
spiritualité, une philosophie, alors de temps en temps on peut y faire
une petite allusion, et leur dire (…) « vous êtes croyants ? » (…) voilà
on peut… »
« ça peut soulager, réconforter »
A propos de ses
relations avec les
patients et leurs
familles
Le médecin
n’improvise pas, il
doit avoir mené une
réflexion sur sa
prise en charge
« Vous savez l’improvisation comme partout ce n’est pas toujours
évident. Donc quelque chose qui est préparé c’est beaucoup plus aisé.
Et le discours dont je vous parle philosophique, religieux ou
carrément sur la mort, il se prépare avant »
« En allant le voir dans la voiture on prépare son petit discours »
109
Le médecin ne
cache pas ses
émotions
« C’est le côté humain qui reprend le dessus (…). Voilà il faut… parler
avec son cœur. Sans aller trop loin non plus, il ne faut pas que ce soit
trop fusionnel, il ne faut pas qu’il y ait de transfert »
« il faut quand même parler avec son cœur et ses convictions »
« quand je vais faire un constat de décès, quand je rencontre les
proches… (…) neuf fois sur dix on s’embrasse. On s’étreinte. On se
donne l’accolade chez les hommes, on s’embrasse chez les femmes… je
vous le dis franchement… et moi même ça me remue un peu là…
quelquefois j’ai la larme à l’œil. »
« Je suis un peu sensible, un peu émotif »
Le médecin doit
rester dans la
mesure
« Voilà il faut… parler avec son cœur. Sans aller trop loin non plus, il
ne faut pas que ce soit trop fusionnel, il ne faut pas qu’il y ait de
transfert »
« Il faut une certaine distance, il faut être empathique (…) sans
choquer les choses. »
« un écoute attentive, une écoute bienveillante, sans juger, sans aller
trop loin, sans être fusionnel »
La connaissance de
l’histoire
personnelle du
patient facilite la
prise en charge
« quand c’est quelqu’un que l’on connaît depuis très longtemps ça
facilite les choses »
« quelques fois les patients ont des points communs avec les
médecins »
« on est toujours liés à eux de près ou de loin, on les connaît en dehors
du cabinet, si c’est le charcutier (…) »
« il y a un côté beaucoup plus personnalisé, moins anonyme »
La relation de
confiance qui unit le
médecin et son
patient son source
d’attachement
« quand un patient comme a décède, on est triste, pace… Il vous a fait
confiance pendant très longtemps, on s’est décarcassé »
Le médecin craint
les reproches de la
famille
« les gens sont assez procéduriers »
« il suffit que vous ne fassiez pas les choses au maximum pour qu’il y
ait un membre de la famille (…) qui vous fasse des reproches »
Mais il ne faut pas qu’il y ait d’ambiguïté. Que l’on ne vous fasse pas de
reproches après »
110
La prise en charge
doit être claire avec
la famille
« si vous avez un proche autour de vous, il faut quand même lui
demander son avis… donc oui oui… après vous réalisez la volonté du
patient, vous le maintenez à domicile. Mais il ne faut pas qu’il y ait
d’ambiguïté. Que l’on ne vous fasse pas de reproches après »
A propos des
soins palliatifs
en général
Soins de confort A propos de l’explication donné à l’évocation des soins palliatifs :
« maintenant il faut lui assurer un maximum de confort pour les jours,
semaines ou mois qu’il lui reste à vivre »
A propos de la
gestion de sa
vie privée
Le médecin doit
aménagé un sas
entre sa vie
professionnelle et
sa vie privée
« entre le moment où vous fermez le cabinet et où vous rentrez à la
maison il faut aller faire un petit tour dans le parc, aller acheter un
journal (…) se changer les idées quoi »
« un sas de décompression entre la vie professionnelle et la vie
privée »
« pour un médecin, le fait de ne pas avoir ce sas, si quand il rentre
chez lui il pense encore à ses patients, ça c’est pas normal »
111
3.2.2.8. Entretien n°9
ENTRETIEN 9 – MEDECIN 9
RUBRIQUES
THEMES EXTRAITS VERBATIM
La mort et
l’euthanasie sont
tabous pour
certains soignants
« Ce n’est pas forcément difficile avec les patients. C’est plus difficile
avec l’entourage. Les aidants et les soignants. »
« Pour des problèmes de conviction… je pense à une infirmière qui est
terrorisée à l’idée de mettre du TRANXENE dans une perfusion… ou
de la morphine »
« Je pense que l’euthanasie est un sujet tabou ! »
Les patients plus
jeunes affectent
plus le médecin
A propos des patients jeunes en fin de vie : « je n’ai pas été confronté
encore (…) mais je pense que ce sera plus difficile »
Le médecin
s’identifie à ses
patients
A propos de la confrontation à des patientes jeunes : « Peut être une
projection sur moi ou mon entourage, mon épouse, frère, sœur… »
« Il n’y a pas de raison que j’agisse différemment (…) si ce n’est la
difficulté (…) de s’identifier à eux plus facilement qu’à des personnes
plus âgées »
Le médecin retient
principalement les
expériences
négatives et
douloureuses
« je vois que je suis en train de noter… de retenir que les expériences
douloureuses… les négatives »
La mort peut être
paisible
« Ce qui est rassurant, en tout cas pour le docteur, c’est de voir qu’il a
pu partir apaiser et non douloureux »
« Et l’époux était apaisé, (…) Il était parti, il était détendu. Et ça ca fait
plaisir… même si la fin est triste »
« Quand la bougie s’éteinte comme ça… pour moi ça va. »
Face à la fin de
vie et à la mort
Le décès peut
entraîner un
sentiment
« Ce qui est rassurant, en tout cas pour le docteur, c’est de voir qu’il a
pu partir apaiser et non douloureux »
« Et l’époux était apaisé, (…) Il était parti, il était détendu. Et ça ca fait
112
satisfaction pour le
médecin
plaisir… même si la fin est triste »
« Quand la bougie s’éteinte comme ça… pour moi ça va. »
La fin de vie est
l’occasion de
rapprochements
familiaux
« (…) ils ont eu le temps de dire au revoir à leurs familles »
Le médecin est
affecté par la mort
de ses patients
« (…) Il était parti, il était détendu. Et ça ca fait plaisir… même si la fin
est triste »
« Quand la bougie s’éteinte comme ça… pour moi ça va. Même si je
suis triste de les avoir perdu »
« -‐ On est ému ? – un petit peu oui… »
La mort d’un
patient reste un
échec pour le
médecin
« forcément on ne les a pas guéris… (…) un semi échec. Moi quand j’ai
fait mes études de médecine, on me disait que le médecin était tout
puissant. (…) Le docteur était là pour guérir. Je me suis aperçu après
qu’on ne pouvait pas tout guérir… »
Le décès à domicile
doit être un choix
pour le patient
« A partir du moment où (…) l’envie des gens c’est de pouvoir rester
dans leur environnement (…). Voilà. Mais est ce qu’il le faut à chaque
fois. Non pas forcément. »
« Mais est ce qu’ils doivent mourir à la maison ? Non pas forcément »
Le décès à l’hôpital
peut être une
nécessité
« Quelqu’un qui est tout seul… qui n’aurait pas de soutien.. Ou chez
qui les aidants ne seraient pas à même de gérer. Ou pour lequel je ne
pourrais pas avoir de soutien paramédical ou autre »
« Je dirais que c’est au cas par cas »
La fin de vie c’est
quand il n’y a plus
rien à faire sur le
plan curatif
« -‐ A partir de quand parle-t-on de fin de vie ? -‐ Quand il n’y a plus rien
à faire (…) je n’avais plus de solutions thérapeutiques curatives »
A propos des
représentations
du patient
Les patients
redoutent les soins
palliatifs
« Palliatif pour eux c’est un peu raide quand même. Palliatif c’est
vraiment la mort »
« C’est pour les patients, la frontière n’est pas toujours facile »
113
A propos des
représentations
de la famille
La médicalisation
de la mort majore la
difficulté des
familles à
accompagner leurs
proches
« Ce qui est difficile c’est que maintenant on médicalise plus… Les
anciens ils ont vu mourir le papy et la mémé à la maison… tout le
monde était ensemble… maintenant pour les enfants c’est plus
difficile »
Le médecin se sent
seul dans la prise en
charge
« le message de l’hôpital était en substance : démerdez vous avec
votre médecin traitant »
« et j’attendais un retour… je n’ai eu ni l’un ni l’autre »
« J’ai continué de me débrouiller »
« En fait je fais un peu ma popote, c’est ça qui me manque… Est ce que
c’est bien, est ce que ce n’est pas bien, je n’en sais rien »
Le médecin anticipe
les problèmes à
venir
« Il y a donc la première prescription, les prescriptions de deuxième
ligne et quand ça ne vas pas »
« moi la question que je pose aux gens : « si ça se passe mal à la
maison, qu’est ce qu’on fait ? » après je me démerde »
Le médecin est
disponible
A propos de la question du numéro de téléphone du médecin : « dans
certains cas oui, pour ces deux là j’étais joignable »
Le médecin est clair
avec la définition de
l’euthanasie
A propos des prescriptions anticipées en phase agonique : « -‐ vous ne
faîtes pas d’euthanasie à ce moment là ? – ah non ! pas pour moi ! »
« Pour moi l’euthanasie c’est vraiment provoqué la mort. Pour moi
l’idée des anxiolytiques et des antalgiques c’est plutôt pour
accompagner »
A propos de son
propre travail
de prise en
charge
Les expériences
personnelles du
médecin affectent
sa prise en charge
« Côté familial également, j’au une grand mère qui est morte à la
maison, avec les enfants et les petits enfants pas très loin »
« Il y a forcément une part personnelle. Moi j’ai assisté au décès de ma
grand-‐mère à la maison. (…) les choses étaient claires »
A propos des
relations avec les
patients et leurs
familles
Le médecin ne
s’impose aux
patients et aux
familles
« mais l’important c’était de faire ce qu’avait envie le monsieur »
« Ils ont donc décidé : c’est à la maison que ça se passe et jusqu’au
bout. On est donc parti sur ces bases. A partir de là on a fait au
mieux »
« s’ils me disent : « écoutez toute sa vie il a voulu rester à la maison
avec nous… » alors il y a des moments ou c’est moins facile mais
j’essaie de suivre un petit peu la décision des patients »
114
« A partir du moment où eux ont décidé de rester à la maison c’est
aussi mon boulot de faire en sorte que tout se passe bien »
A propos de l’évocation de la fin de vie avec un patient : « Pour l’instant
non, il n’est pas prêt je crois »
« Donc lui je ne le sens pas prêt à aborder le problème. Ca viendra
peut être mais pas pour l’instant »
Le médecin aborde
le sujet de la mort
spontanément
A propos de l’évocation de la mort : « je crois que c’est moi, et lui il s’y
attendait »
« oui c’est venu sur le tapis, c’était clair »
Le médecin pose
clairement la
situation et la prise
en charge avec le
patient et la famille
« Et une fois que les choses ont été établies, mais avec les trois parties,
donc avec son épouse aussi (…) et bien c’était clair »
« moi la question que je pose aux gens : « si ça se passe mal à la
maison, qu’est ce qu’on fait ? » après je me démerde »
« une fois que tout est clair »
« L’idée que j’en ai fait que cela fonctionne très bien, ou pas trop mal
quand tout le monde est clair »
« à partir du moment ou les choses sont dites, sont claires, sont
établies, là on peut bosser »
« Que les gens acceptent ou non l’idée de la mort c’est une chose, mais
qu’au moins on soit tous clairs, et qu’on aille dans la même direction »
« Il faut que tout soit clair, dit au départ. Et c’est uniquement à partir
de là que l’ont peut faire quelque chose qui tient à peu près la route.
Sinon on ne peut pas y arriver. »
Aborder la mort est
plus difficile avec la
famille qu’avec le
patient
« Ce n’est pas forcément difficile avec les patients. C’est plus difficile
avec l’entourage. Les aidants et les soignants. »
Les non-‐dits, les
désaccords
entrainent une
mauvaise prise en
charge
« à partir du moment ou les choses sont dites, sont claires, sont
établies, là on peut bosser (…). Maintenant si on a des sons de cloches
différents (…) il y aura forcément des parasites et on ne pourra pas
travailler. Donc là on y arrivera pas… »
115
Accompagner un
patient jusqu’à la
mort c’est honorer
un contrat de
confiance
« Mais c’est une impression d’avoir rempli la contrat. Entre le patient
et moi »
« ce qui m’importe c’est de faire en sorte… en tous cas de respecter le
plus longtemps possible, le plus loin possible l’envie des patients »
A propos des
soins palliatifs
en général
Accompagner,
apaiser
« Pour moi l’idée des anxiolytiques et des antalgiques c’est plutôt pour
accompagner »
« L’idée pour moi est plus d’apaiser plutôt que de faire partir »
« On parle de soins d’accompagnement »
Le terme de soins
palliatifs évoque la
mort
« Palliatif pour eux c’est un peu raide quand même. Palliatif c’est
vraiment la mort »
Les soins palliatifs
sont un soutien
pour le médecin
A propos des moyens pour gérer les difficultés : « il y a les centres de
soins palliatifs »
Les soins palliatifs
peuvent intervenir
parallèlement à des
soins curatifs
« « On peut parler de soins palliatifs chez d’autres patients, comme
ceux qui ont des problèmes de leucémie… et qui actuellement sont de
plus en plus transfusés, hospitalisés (…) donc pour ces patients on est
pas encore au bout du bout du bout… mais ça peut faire partie des
prises en charge que l’on peut envisager »
Les soins palliatifs
sont difficiles
d’accès pour le
médecin traitant
« Alors les équipes de soins palliatifs existent… mais quelque fois c’est
difficile… La notion que j’ai c’est que c’est difficile d’y accéder »
La disponibilité du
médecin influe sur
sa vie privée
« on le gère (…), soit il y en a un qui ne va pas à la piscine, et puis on a
de bonnes nounous qui ont les épaules solides »
A propos de la
gestion de la vie
privée
La relative rareté
des prises en charge
lourdes évite les
conséquences sur la
vie privée
A propos des conséquences de la disponibilité du médecin sur la vie
privée : « Ce n’est pas le souci. Et puis ce n’est pas tous les jours »
116
3.2.2.9. Entretien n°10
ENTRETIEN 10 – MEDECIN 10
RUBRIQUES
THEMES EXTRAITS VERBATIM
L’accompagnement
en fin de vie n’est
jamais un bon
souvenir
« Ce n’est jamais des bons souvenirs »
La mort et la
souffrance du
patient affectent le
médecin
« enfin moi je trouve que c’est très difficile, c’est quelque chose qui
m’atteint, moi »
« ça m’atteint parce que l’accompagnement je trouve que c’est
quelque chose (…) de très difficile, ça demande beaucoup (…)
d’énergie)
« les derniers jours, les dernières semaines de la vie de quelqu’un,
quand on est médecin de famille, (…) quelque part je vis ça avec eux
(…) moi je suis incapable de me protéger »
« je me souviens quand j’étais à l’hôpital à 20 ans les premiers
patients qui sont morts dans mes lits, ça était quelque chose de
très… »
« Ce n’est pas une souffrance insurmontable (…) mais c’est de la
tristesse, oui voilà… et puis cet espèce de plomb… »
Le médecin n’arrive
pas à mettre de la
distance entre ses
émotions et sa prise
en charge
« les derniers jours, les dernières semaines de la vie de quelqu’un,
quand on est médecin de famille, (…) quelque part je vis ça avec eux
(…) moi je suis incapable de me protéger »
Face à la fin de
vie et à la mort
Le médecin suit un
processus de deuil
pendant la fin de vie
de son patient
« moi je pense que le processus de deuil je le commence avant… avant
la famille… »
117
L’expérience du
médecin affecte la
vision qu’il a de la
mort
« (…) quand on est adolescent on considère la mort comme quelque
chose de très romantique (…). La mort c’est pas romantique du
tout ! »
« Enfin moi en tout cas j’ai pris ça comme quelque chose de très
violent. De très très violent. »
Le médecin
s’identifie à ses
patients en fin de
vie
« c’est toujours difficile de (…) voir quelqu’un partir… alors ça peut
être… ma propre mort… la mort des gens qui sont très très proches »
La fin de vie à
domicile doit être
un choix du patient
« je crois que la première chose dont il faut tenir compte c’est quand
même « qu’est ce que veut le patient ? » (…) »
Le médecin est
ressenti comme le
rempart entre le
patient et la mort
« il y a des patients on à l’impression qu’on est le rempart entre eux et
leur mort, leur angoisse de mort »
« ce n’est pas que moi je me ressens comme le rempart ! – c’est les
gens qui vous placent comme ça ? -‐ oui c’est l’impression que j’ai eu
plusieurs fois »
A propos des
représentations
du patient
Certains patients
trouvent l’hôpital
sécurisant pour leur
fin de vie
« et il y en a quelques uns vraiment en fin de vie… on sent que… d’être
à l’hôpital c’est quelque chose qui les sécurise »
La famille a besoin
d’être rassurée
« il y a toujours des réflexions qui sont « ah ben tu vois quand même
aujourd’hui il a un peu mangé » (…)
« on est toujours dans la communication, à essayer d’expliquer (…) »
La rupture avec la
famille est mal
vécue
« et après c’est quelqu’un que je ne plus jamais revue (…), alors là par
contre je n’ai pas compris »
A propos des
représentations
de la famille
La rupture avec la
famille est un
moyen pour elle de
ne pas affronter ses
émotions
« et après c’est quelqu’un que je ne plus jamais revue (…), peut être
aussi que c’est être attaché à des choses très pénibles »
118
L’accompagnement
en fin de vie est une
mission du médecin
généraliste
« je crois que ça fait partie du noyau dur de notre métier »
« on fait bien ce que l’on avait à faire »
L’accompagnement
en fin de vie est
noble
« je crois que ça fait partie du noyau dur de notre métier…c’est aussi
(…) quelque chose de noble (…) »
L’accompagnement
procure au médecin
un sentiment de
travail accompli
« le côté positif c’est peut être de se dire : « j’ai bien fait mon job »
voilà »
Le médecin est
disponible
« C’est des patients que l’on va voir quasiment tous les jours »
A propos du fait de laisser son numéro de téléphone : « oui oui, ben
oui… alors je n’y vais pas à chaque fois (…) mais au moins quelques
fois ça permet de donner des réponses, d’évaluer ce qui se passe et de
contrôler l’angoisse aussi de l’interlocuteur »
Le médecin a besoin
de verbaliser ses
difficultés
A propos de la façon de gérer le poids des prises en charge : « et bien
j’en parle… moi je suis marié à un médecin donc je peux en parler avec
mon conjoint… j’en parle aux soignants hospitaliers »
« On va dire des choses par rapport à notre ressenti face à ce type de
souffrance »
« c’est des gens à qui je peux dire « bouh, c’est dur là, c’est difficile »
(…) »
La diversité de
l’activité du
médecin généraliste
lui permet de gérer
la lourdeur de ces
prises en charge
« le plus d’accompagnements que l’on peut avoir à la fois c’est peut
être 2 ou 3 donc c’est gérable »
« c’est plutôt quelque chose qui me donne de l’énergie les gens ! (…)
les autres m’en donnent ! »
A propos de son
propre travail
de prise en
charge
L’échange avec
d’autres
professionnels est
un soutien
« Je trouve qu’avec la création du pôle de cancérologie (…) le lien qu’il
peut y avoir avec l’infirmière coordinatrice, avec les oncologues… (…)
je me sens beaucoup moins toute seule »
« on a besoin de tout le monde parce qu’on a besoin de ce que vont
vous dire les infirmiers qui passent (…) »
119
Les expériences
personnelles
influent sur la prise
en charge
« moi j’ai perdu mes parents il y a quelques années (…) je les ai
accompagné en tant que fille (…) la vie s’arrête (…). Toute proportion
gardée c’est quand même l’impression que j’ai avec certains patients »
La reconnaissance
est importante pour
le médecin
« c’est toujours satisfaisant quand on a un retour du patient quand il
est encore là, ou de sa famille… (…) avec des gens qui nous
remercient, qui continuent à partager des choses avec nous (…) àa
c’est important pour nous »
Les rapports entre
le médecin et le
patient sont francs
A propos d’un patient en fin de vie : « je le connaissais très bien et donc
je lui disais « écoute là tu me fais chier » (…)
Le médecin ne
change pas de
comportement vis à
vis des patients en
fin de vie
« parce que je crois qu’il faut absolument continuer à communiquer
comme on faisait avec eux… il ne faut pas changé son attitude »
« parce que c’est perdre à mon avis ce qui est la relation entre êtres
humains »
Le médecin ne
cache pas ses
émotions
« si j’ai envie de rester une demi heure de plus à prendre un café… à
prendre quelqu’un dans mes bras… ça moi je le fais sans difficultés »
« on soigne comme on est »
« si j’ai envie de rester une demi heure de plus à prendre un café… à
prendre quelqu’un dans mes bras… ça moi je le fais sans difficultés »
Le médecin est
attaché à ses
patients
« (…) je pense qu’on s’attache aux gens (…) c’est pas possible de faire
autrement, en tous cas moi il m’est impossible de faire autrement »
« les gens qu’on aime on est appelé à les perdre. Ou il ne faut aimer
personne »
A propos des
relations avec les
patients et leurs
familles
Le médecin ne
s’impose pas au
patient et à la
famille
« ça se fait le plus possible en fonction des désirs du patient »
« je crois que la première chose dont il faut tenir compte c’est quand
même « qu’est ce que veut le patient ? » (…) »
« ce qui va être dit en amont n’est pas forcément la même chose que
ce qui va se produire et ce qui va être effectivement le désir final du
patient ou de la famille »
A propos de l’évocation du lieu de décès : « je pense que j’attends que ça
vienne »
120
Le médecin protège « on est toujours dans la communication, à essayer d’expliquer et puis
essayer de protéger un petit peu malgré tout »
Les soins palliatifs
sont des soins de
confort
« on est dans quelque chose qui est (…) la recherche d’un confort
maximum pour le patient »
A propos des
soins palliatifs
en général
Les soins palliatifs
impliquent la mort
En parlant des soins palliatifs : « en sachant que la fin sera
inéluctable »
121
3.2.2.10. Entretien n°11
ENTRETIEN 11 – MEDECIN 11
RUBRIQUES
THEMES EXTRAITS VERBATIM
Le lieu de décès est
un choix personnel
du patient
A propos du lieu de fin de vie et de décès« c’est un choix personnel…
après on en discute avec le patient (…) avec la famille »
« ça dépend vraiment du vœu de la personne »
Le médecin est plus
affecté par les
patients jeunes
« j’ai eu voilà, notamment effectivement des patientes, enfin deux
patientes (…) relativement jeunes … donc ça marque toujours plus… »
Le médecin n’aime
pas les prises en
charge de fin de vie
« moi j’aime pas ça… enfin je veux dire… on fait un travail… on est plus
dans la vie »
Le médecin est dans
la vie
« enfin je veux dire… on fait un travail… on est plus dans la vie »
La mort est un
processus naturel
« on sait que la mort fait aussi partie du cycle de la vie »
Le médecin est
modérément affecté
par la mort et la
souffrance
« je pense qu’on ne peut pas rester de marbre non plus… je pense qu’il
faut quand même qu’on ait des sentiments… »
« de la tristesse oui… mais bon ça ne nous affecte pas non plus dans le
sens où ce n’est pas notre famille non plus »
La médecine a ses
limites
« c’est que la médecine et ben malheureusement on ne fait pas de
miracle non plus ! »
La mort est une
fatalité
« si ça doit arriver et ben ça arrive »
« il y en a qui étaient destinés à mourir et qui ne meurent pas ey
d’autres qui n’y étaient pas et qui meurent »
Face à la fin de
vie et à la mort
L’accompagnement
en fin de vie peut
être un bon
souvenir
A propos de cette notion de bon souvenir : « oui, par rapport aux
relations avec les familles (…) on en reparle après de la personne…
j’essaie toujours de rappeler les bons moments »
122
La mort peut être
paisible
« il est mort au cabinet… sur la chaise en attendant que je sors de
consult… (…) c’est la plus belle mort qu’il pouvait souhaiter »
Le médecin est dans
l’espoir
« finalement il y a des gens qui au bout du protocole (de traitement)
vont bien, sont en rémission pendant des années »
Le médecin ne
s’identifie pas à ses
patients
A propos d’un transfert éventuel : « oui mais bon je crois qu’à partir de
là si on commence à penser ça, on ne fait plus ce métier, si à chaque
fois on se transfère sur la personne »
Les patients ne
pensent pas à la
mort, ils sont dans
le combat contre la
maladie
A propos de l’évocation de la fin de vie et du décès : « je pense que je
pose la question, parce que c’est souvent des questions qui ne leur
viennent pas à l’esprit parce que eux ils veulent se battre encore »
Les soins palliatifs
sont synonymes de
décès
« par contre pour les gens quand ils sont en soins palliatifs ils savent
que c’est la fin »
A propos des
représentations
du patient
Les patients
n’acceptent pas la
mort
« c’est tout le problème de fin de vie que les gens forcément
n’acceptent pas et qui (…) essaient de tout faire pour que d’un coup il
y ait cette possibilité de vie (…) alors que pour le coup ce n’est plus
possible »
Les conflits ou
rupture avec les
familles sont un
moyen de ne pas
affronter leurs
émotions
A propos d’une rupture avec une famille après le décès d’un patient :
« dans un cas comme ça je le comprends parce que ça fait toujours
mal (…) après je me dis c’est peut être une réaction aussi de quand on
nous vous de revoir la personne »
« il est revenu pour des papiers d’assurance et il est encore convaincu
que… on a pas fait le travail… »
« la colère c’est la non acceptation du décès (…) peut être qu’on ne les
a pas assez préparé ou peut être que c’est vraiment le refus quand
même »
A propos des
représentations
de la famille
La colère des
familles leur
empêche de profiter
de leur proche
« et donc lui pour le coup c’est dommage parce qu’il est passé à côté
de sa femme… des moments qu’il aurait pu passer avec elle et lui il
était dans la colère (…) il est passé à côté »
123
Le médecin est
empathique
« c’est ce que je leur dis : « il n’y a pas de mots dans la peine »,
« chacun vit sa peine »… mais après… on essaie de les préparer »
Les échanges avec
les professionnels
de santé sont un
soutien pour le
médecin
« moi je suis très téléphone donc de toute façon quand j’au un souci
j’appelle les médecins hospitaliers en disant : »voilà, qu’est ce que je
peux faire de mieux » (…) »
« je pense que voilà quand on est en difficulté c’est aussi d’avoir… le
réseau et de se sentir soutenu, épaulé »
A propos de son
propre travail
de prise en
charge
Le médecin a besoin
de verbaliser
« oui j’en parle en général quand je rentre… je dis à mon mari… »
« quand j’ai un dossier compliqué j’en parle… je parle beaucoup aussi !
donc il prend ce qu’il veut c’est pas grave ! »
Les relations avec
les familles sont
difficiles
« c’est surtout la famille qui est difficile à prendre en charge »
« et là c’est la panique, ils veulent l’hospitalisation ou après ils nous en
veulent »
« quelques fois ça arrive d’avoir de la colère après nous »
Le médecin aborde
spontanément la fin
de vie et la mort
A propos de l’évocation de la fin de vie et du décès : « je pense que je
pose la question, parce que c’est souvent des questions qui ne leur
viennent pas à l’esprit »
La connaissance de
l’histoire
personnelle du
patient et de sa
famille facilite la
prise en charge
« comme c’est gens là moi je ne connaissais pas toute leur famille donc
après on sait pas tout le vécu qu’ils ont ensemble donc il y a des
choses qu’on a du mal à aborder, qu’on a pas abordé »
La connaissance de
l’histoire
personnelle du
patient entraîne un
attachement du
médecin
« on est toujours plus affecté plus on connaît leur histoire, plus on
connaît la famille, (…) »
« forcément (…) parce que du coup on met plus de sentiment (que)
(…) quelqu’un qu’on connaît pas »
A propos des
relations avec les
patients et leurs
familles
Le médecin ne
s’impose pas au
patient et à sa
famille
A propos du lieu de décès : « c’est un choix personnel… non non en rien
j’impose et je ne vois pas en quoi on aurait le droit d’imposer là
dessus quoi que ce soit »
124
Le médecin garde
ses distances
« mais bon ça ne nous affecte pas non plus dans le sens où ce n’est pas
notre famille non plus. Je veux dire on a appris à garder nos
distances »
Les soins palliatifs
sont une spécialité
hospitalière
« c’est ce qu’ils ont instaurés en milieu hospitalier »
« le terme de soins palliatifs pour moi c’est un service hospitalier
spécialisé »
Soins palliatifs sont
des soins de
confort, de lutte
contre la souffrance
« qu’est ce qu’on appelle soins palliatifs, c’est de toute façon que la
personne ne souffre pas, qu’elle soit au mieux… »
A propos des
soins palliatifs
en général
Les soins palliatifs
ne sont pas
exclusifs de l’hôpital
« c’est le but de tout médecin que son patient ne souffre pas et qu’il
soit au mieux… donc oui … c’est ce qu’on essaie de faire »
A propos de la
gestion de la vie
privée
L’éventuelle
affectation du
médecin dans ses
prises en charge n’a
pas d’influence sur
sa vie personnelle
« je pense qu’on ne peut pas rester de marbre non plus… je pense qu’il
faut quand même qu’on ait des sentiments… voilà mais quand je
reviens… je fais ma vie avec mes enfants, mon mari… je pense que
c’est pas forcément plus dur »
125
3.2.3. Analyse thématique transversale de l’ensemble du
corpus
C’est à partir de l’étude des relevés de thèmes que nous venons de présenter que
nous avons mis en évidence les ensembles saillants et abordé la phase d’analyse
transversale du corpus. Une lecture flottante entre les relevés de thèmes a permis de
constituer des axes de réflexion thématiques autour de leurs convergences, de leurs
complémentarités voire de leurs oppositions.
Les ensembles saillants sont donc présentés sous formes de neuf axes thématiques
de réflexion qui participeront à la construction de l’arbre thématique à venir. Il s’agit d’une
étape clairement et volontairement plus interprétative que la précédente.
La pertinence du choix des axes est systématiquement expliquée et trouve sa
justification dans les tableaux reprenant les thèmes des relevés ; la robustesse de
l’argumentation est appuyée par les extraits de verbatim les plus signifiants (le numéro de
l’entretien est repris entre parenthèses).
Il est important de noter que les axes thématiques de réflexion se recoupent
fréquemment, alimentés par des thèmes communs. C’est grâce à ses recoupements que
nous construirons notre arbre thématique.
126
3.2.3.1. Axe n°1 : EMOTIONS ET SENTIMENTS GENERES PAR LA
PRISE EN CHARGE DE LA FIN DE VIE
La confrontation à la fin de vie, à la souffrance et à la mort génère chez les médecins
généralistes des émotions et des sentiments que l’analyse des relevés de thèmes nous
permet de mettre en évidence.
Nous proposons une articulation de ces émotions et sentiments autour de deux
dimensions simples qui s’opposent : ceux qui sont plutôt positifs et ceux qui sont plutôt
négatifs. Nous illustrons la pertinence de notre articulation par la consignation des thèmes
relevés correspondants ainsi que des extraits de verbatim.
Thèmes issus des
relevés
Extraits de verbatim
POSITIF
Soulagement La mort soulage le
médecin.
« quand on le voit partir dans la paix on est un peu soulagé,
il y a un soulagement » (8)
Satisfaction Le décès entraîne un
sentiment de
satisfaction.
L’accompagnement
donne le sentiment de
travail accompli.
« Et l’époux était apaisé, (…) il était parti, il était détendu.
Et ça ça fait plaisir… même si la fin est triste » (9)
« Quand la bougie s’éteint comme ça… pour moi ça va » (9)
« Le plus positif c’est de se dire : j’ai bien fait mon job,
voilà » (10)
Bon souvenir L’accompagnement peut
être un bon souvenir.
La fin de vie
enrichissante.
« oui oui, là j’en ai gardé un bon souvenir » (3)
« les accompagnements dont je garde un bon souvenir…
c’est les accompagnements pour lesquels on a pu respecter
la volonté des gens » (2)
« sur le plan humain c’est très enrichissant pour le
médecin » (8)
« alors c’est un bon souvenir parce que (…) on a
l’impression d’être utile au patient » (8)
« oui oui, sur le plan professionnel c’est agréable » (6)
Fierté L’accompagnement est
noble.
« je crois que ça fait partie du noyau dur de notre métier…
c’est aussi (…) quelque chose de noble » (10)
127
L’accompagnement est
valorisant.
« je pense que c’est valorisant pour soi-‐même » (1)
Humilité Le médecin est humble.
L’humilité est source de
sérénité.
« on avoue aux gens, en toute humilité, que l’on a vraiment
fait le maximum pour eux au niveau (…) médecine
curatrice » (8)
A propos de la prise de conscience du médecin de la
importance sa présence pour rassurer : « ça me touche de
voir que c’est parfois presque disproportionné » (7)
« malheureusement le diagnostic ne nous appartient plus »
(2)
« l’humilité me permet d’être plus serein » (2)
Attachement Le médecin est attaché à
ses patients.
« je pense que l’on s’attache vite » (3)
« c’était douloureux parce que je l’aimais beaucoup » (3)
NEGATIF
Souffrance La mort et souffrance
sont source de douleur.
La mort et la souffrance
affectent le médecin.
Le médecin retient les
expériences négatives ou
douloureuses.
« ce n’est jamais des bons souvenirs (…) c’est trop
difficile » (10)
« c’est douloureux d’être auprès d’une personne
douloureuse » (8)
« le médecin souffre, pas au sens de la douleur mais souffre
quand même avec son patient »(8)
« moi je trouve que c’est très difficile, il y a quelque chose
qui m’atteint moi » (10)
« quelque part je vis ça avec eux, (…) moi je suis incapable
de me protéger » (10)
Tristesse La mort et la souffrance
affecte le médecin.
« vous me demandiez si j’étais triste quand on perd un
patient… oui »(8)
« (…) même si je suis triste de les avoir perdus » (9)
« Ce n’est pas une souffrance insurmontable (…) mais c’est
de la tristesse (…) » (10)
Révolte,
injustice
La mort d’un patient
jeune est révoltante.
La mort d’un patient
jeune n’est pas dans la
logique des choses.
« voilà, elle est morte, elle n’avait que 23 ans, c’es terrible.
Elle n’aurait jamais dû mourir cette petite jeune fille » (2)
« quand il y a la mère qui est là, qui sait que sa fille va
décéder, ce n’est pas dans la logique des choses » (3)
« il y a quelque part un sentiment d’injustice » (7)
Solitude Le médecin est seul face
à ses émotions.
« on est pas bien, on est pas bien… on est seul par
moment » (3)
« on est souvent très seul par rapport à l’émotion que l’on
peut ressentir… ou alors je suis trop émotive » (3)
128
Echec La mort à l’hôpital est un
échec.
La mort du patient est
un échec.
« forcément on ne les a pas guéris (…) un semi échec. Moi
quand j’ai fait mes études de médecine (…) le docteur était
là pour guérir. Je me suis aperçu après qu’on ne pouvait
pas tout guérir. » (9)
Deuil Le médecin vit
également un deuil.
« (…) on voit l’évolution cognitive de ces gens au fur et à
mesure de l’évolution de la maladie… ça s’apparente à un
deuil » (8)
Lourdeur La confrontation à la
souffrance est un poids à
porter
« « c’est une histoire qu’on porte, c’est deux histoires, c’est
cinq histoires, c’est dix histoires… »(3)
« Et puis on porte pas mal de choses à bout de bras » (3)
« (…) c’est de la tristesse… et puis cet espèce de plomb »
(10)
Crainte Le médecin craint les
reproches de la famille.
« les gens sont assez procéduriers » (8)
« il suffit que vous ne fassiez pas les choses au maximum
pour qu’il y ait un membre de la famille (…) qui vous fasse
des reproches » (8)
Gêne Evoquer la mort est
tabou
« la fin de vie, non, en 20 ans d’installation je n’ai jamais eu
l’occasion véritablement d’aborder ce sujet » (7)
« je ne pose pas de question sur… sur la mort » (7)
« C’est un aspect qui m’a toujours dérangé en fait… « (7)
« je suis un petit peu mal à l’aise pour aborder ce sujet »
(7)
Les émotions et les sentiments relevés dans les récits des médecins sont nombreux
et extrêmement nuancés. Ils sont l’expression même du vécu et du ressenti. Nous mettons
en évidence ici l’ambivalence qu’engendre la prise en charge de patients en fin de vie. Les
médecins sont constamment partagés entre des sentiments positifs et négatifs. Nous avons
même pu parfois percevoir, dans certains entretiens, un sentiment de culpabilité à ressentir
des émotions positives dans ces prises en charge.
Nous proposons de commencer la construction de l’arbre thématique à partir de cet
axe qui identifie les sentiments et les émotions. Nous avançons qu’ils constituent l’essence
même de l’expression du vécu et du ressenti des médecins généralistes dans la leur prise en
charge de patients en fin de vie. La richesse et la diversité des émotions et des sentiments,
leurs complémentarités, leurs ambivalences et parfois leurs oppositions se retrouvent dans
chacun des entretiens. Les sentiments et les émotions pourront par conséquent constituer le
129
tronc de notre arbre thématique. Nous y distinguerons les émotions et les sentiments
ressentis et exprimés comme étant positifs, et ceux ressentis et exprimés comme étant
négatifs.
Nous commençons ainsi la construction de notre arbre :
EMOTIONS ET SENTIMENTS GENERES
RESSENTIS POSITIFS • Soulagement • Satisfaction • Bon souvenir • Fierté • Humilité • Attachement
RESSENTIS NEGATIFS • Souffrance • Tristesse • Révolte et injustice • Solitude • Echec • Deuil • Lourdeur • Crainte • Gêne
130
3.2.3.2. Axe n°2 : LA PLACE DE L’EXPERIENCE DU MEDECIN
L’étude attentive des entretiens fait ressortir, à de nombreuses reprises, des thèmes
en lien avec l’expérience. Nous parlons ici de l’expérience au sens large du terme, et non pas
uniquement de l’expérience de la confrontation à la fin de vie. Qu’elle soit personnelle ou
professionnelle, l’expérience représente donc visiblement pour les médecins un aspect
important intervenant dans la prise en charge des patients.
Nous proposons ici deux ensembles thématiques saillants relatifs à l’expérience :
d’une part, les thèmes qui l’abordent comme une aide et un soutien dans la gestion de la
prise en charge, et d’autre part, ceux la présentant comme une charge pour le médecin. La
distinction de ces deux aspects est guidée par la façon dont les médecins expriment leur
vécu de leur prise en charge dans les entretiens.
Thèmes issus des
relevés
Extraits de verbatim
SOUTIEN : L’EXPERIENCE COMME UNE RICHESSE
Constitution
d’une carapace
L’expérience blase le
médecin.
« on est relativement blasé » (4)
« au bout d’un certain temps on a une forme d’émotion qui
est tout à fait différente par rapport à quelqu’un qui
commence » (4)
« on est pas blasé de la douleur, (…) mais on la gère
différemment, on est capable de faire abstraction » (4)
Dissociation de
l’affect et de
l’action
L’expérience permet au
médecin de dissocier son
affect de sa prise en
charge.
« C’est impitoyable ! C’est très net ! En aucune façon mon
ressenti affectif n’affecte ma décision médicale » (2)
« mon vécu médical me permet maintenant de plus
respecter la distance même si cela me touche » (2)
Constitution
d’un référentiel
L’expérience personnelle
influence la prise en
charge.
L’expérience personnelle
l’aide dans sa prise en
charge.
« moi je l’ai vécu dans ma famille où il y a eu des choses
douloureuses... (…) Il faut du temps… pour digérer (…) je
comprends tout à fait que le médecin puisse être associé à
une douleur » (3)
« vous savez j’ai 36 ans d’installation ! C’est mon
expérience ! » (8)
« Il y a forcément une part personnelle. Moi j’ai assisté au
décès de ma grand-‐mère à la maison. (…) les choses
étaient claires » (9)
131
CHARGE : LE POIDS DU PASSE
Exacerbation
de la sensibilité
L’expérience ne blinde
pas le médecin au
contraire
« plus le temps passe, plus c’est difficile à la limite pour
moi… » (3)
« c’est une histoire qu’on porte, c’est deux histoires, c’est
cinq histoires, c’est dix histoires… » (3)
« j’ai l’impression qu’avec le temps, à la limite c’est plus
douloureux que quand j’avais 30 ans » (3)
Perte des
illusions de la
jeunesse
L’expérience modifie la
vision d’une mort
romantique
« (…) quand on est adolescent on considère la mort comme
quelque chose de très romantique (…). La mort c’est pas
romantique du tout ! »
(10)
Que ce soit de manière directe ou non, consciemment ou inconsciemment, les
médecins s’appuient constamment sur leurs expériences professionnelles ou personnelles
dans leurs prises en charge. Elles sont ressenties de façon positive ou négative et influent sur
la façon dont le médecin vit la prise en charge. Ainsi un médecin qui exprime qu’il n’ « est
pas blasé de la douleur, (…) mais [ qu’il ] (…) la gère différemment, [et qu’il] (…) est capable
de faire abstraction » (n°4), ressent que son expérience l’aide à gérer ses émotions dans ses
prises en charge. Ailleurs, elle sera vécue comme un poids difficile à porter dans les prises en
charge de patients en fin de vie : « c’est une histoire qu’on porte, c’est deux histoires, c’est
cinq histoires, c’est dix histoires… » (n°3), « j’ai l’impression qu’avec le temps, à la limite c’est
plus douloureux que quand j’avais 30 ans » (3).
Nous comprenons avec l’analyse de cet axe que l’expression de l’influence de
l’expérience par le médecin témoigne, d’une part, du vécu que le médecin a de sa prise en
charge des patients en fin de vie et, d’autre part, de son ressenti.
132
A partir de ce nouvel axe thématique nous construisons ce qui sera une branche de
l’arbre thématique :
EXPERIENCES VECUES
RICHESSE DE L’EXPERIENCE
Constitution d'une carapace
Dissociation de l'affect et de l'action
Constitution d'un référentiel
POIDS DU PASSE
Exacerbation de la sensibilité
Perte des illusions de jeunesse
133
3.2.3.3. Axe n°3 : LE SENS DE LA VIE, A LA FIN
L’analyse du corpus fait émerger des thèmes convergeant vers ce que nous pourrions
qualifier de concepts. De façon récurrente, les thèmes abordés évoquent la mort ou la fin de
vie d’une façon générale, abstraite, détachée d’un cas particulier ou de l’expérience. Ainsi
certains thèmes abordent le concept de la mort, ou encore le concept de la fin de vie tels
qu’ils sont ressentis et exprimés par le médecin généraliste.
Nous avons donc étudié ces deux ensembles saillants autour du concept de la mort et
du concept de la fin de vie et les avons réunis sous cet axe thématique que nous nommons :
le sens de la vie, à la fin.
Thèmes issus des
relevés Extraits de verbatim
CONCEPTIONS DE LA MORT
La sérénité La mort paisible.
La mort est un
processus naturel.
La mort est libératrice.
« quand on le voit partir dans la paix on est un peu soulagé » (8)
« il est mort à son domicile paisiblement, entouré de sa famille »
(1)
« ça c’est très bien passé. La personne est décédée
tranquillement, tout doucement… Ca se passe souvent très
bien… » (1)
« il est mort à son domicile paisiblement, entouré de sa famille »
(1)
« on sait que la mort fait aussi partie du cycle de la vie » (11)
« quand ils sont en fin de vie comme ça (…) ils en ont tellement
marre (… ) je dirais qu’ils sont contents de mourir (…) je pense
pas que ça les angoisse » (1)
La violence Mort douloureuse.
La mort qui affecte.
« Enfin moi en tout cas j’ai pris ça comme quelque chose de très
violent. De très très violent. » (10)
« le médecin souffre, pas au sens de la douleur mais souffre
quand même avec son patient »(8)
« moi je trouve que c’est très difficile, il y a quelque chose qui
m’atteint moi » (10)
« quelque part je vis ça avec eux, (…) moi je suis incapable de
me protéger » (10)
134
L’injustice La mort injuste.
La mort révoltante.
« voilà, elle est morte, elle n’avait que 23 ans, c’es terrible. Elle
n’aurait jamais dû mourir cette petite jeune fille » (2)
« quand il y a la mère qui est là, qui sait que sa fille va décéder,
ce n’est pas dans la logique des choses » (3)
La fatalité La mort est une fatalité. « (…) malheureusement on est acculé à une fatalité » (8)
« il y en a qui étaient destinés à mourir et qui ne meurent pas et
d’autres qui n’y étaient pas et qui meurent » (11)
L’échec La mort du patient
reste un échec du
médecin.
« forcément on ne les a pas guéris… (…) un semi échec. . Moi
quand j’ai fait mes études de médecine, on me disait que le
médecin était tout puissant. (…) Le docteur était là pour guérir.
Je me suis aperçu après qu’on ne pouvait pas tout guérir… » (9)
CONCEPTIONS DE LA FIN DE VIE
Une perte Perte d’envie.
Perte de conscience.
« il y a aussi le fait que les gens n’ont plus envie de vivre. Ils
n’ont plus de ressort » (1)
« la fin de vie c’est quand on ne peut plus correspondre, qu’on
ne peut plus décider de soi-‐même » (2)
A propos du moment où le médecin parle de fin de vie : « quand
elle est tombée dans le coma (…) elle ne pouvait plus
s’exprimer » (3)
Un abandon
du patient
Découragement.
Résignation.
Gagner du temps n’est
pas un objectif.
« (…) et après malheureusement c’est la phase de
découragement (…). Alors on s’oriente un peu vers la fin de vie.
Du découragement on arrive à la phase de résignation » (8)
« mais bon ça servait à quoi ? On aurait gagné 1 mois, on aurait
gagné 3 mois ? Elle ne souffrait pas. Ca ne servait à rien de
plus » (1)
Une atteinte
de soi
Fin de vie dégradante « il faut leur donner quand même une image un peu plus
supportable que… qu’une image de quelqu’un en fin de vie (…) »
(4)
Un moment de
rapprochement familial
« ça a permis à la famille de se retrouver dans cette intimité »
(7)
« (…) ils ont eu le temps de dire au revoir à leurs familles » (9)
« je leur ai dit qu’il fallait en profiter, que ça n’allait pas durer
longtemps… Donc ils sont restés plus longtemps. » (3)
La préservation du
souvenir
« Donc il faut essayer de préserver le souvenir de la personne
vis à vis de l’entourage et surtout vis à vis des enfants » (4)
Un moment
de partage
Un partage spirituel A propos du fait de parler de la mort avec un patient : « je voyais
ça plutôt un peu schématiquement dans la bouche d’un curé ! …
qui est plutôt là pour la paix de l’âme » (7)
« ne pas avoir mal de façon à ce que le patient puisse aborder
135
cette étape là soit avec la famille, soit éventuellement sur le plan
religieux » (7)
« même si on est athée, agnostique, on a quand même une
spiritualité, une philosophie, alors de temps en temps on peut y
faire une petite allusion, et leur dire (…) « vous êtes croyants ? »
(…) voilà on peut… » (8)
Toujours la
vie
La vie est toujours
présente même à la fin
« je suis obligée de le booster pour qu’il fasse des trucs et qu’il
ne soit pas tout le temps dans la maladie, il y a la vie qui est là »
(3)
Nous découvrons dans ce tableau que les conceptions qu’expriment les médecins de
la mort et de la fin de vie sont complexes, nuancées et s’opposent parfois. Nous pouvons
avancer qu’elles sont le fruit d’une expérience, d’une éducation, d’une culture et de la
théorisation implicite qui en découle. Dans les récits étudiés, elles sont souvent affirmées
comme des vérités péremptoires : « quand ils sont en fin de vie comme ça (…) ils en ont
tellement marre (… ) je dirais qu’ils sont contents de mourir (…) je pense pas que ça les
angoisse » (n°1). Cette affirmation semble dire que la mort est libératrice. Le médecin
n’évoque par ici un cas en particulier mais parle bien des patients en fin de vie d’une façon
générale.
Cependant ces conceptions s’opposent parfois, contrebalancées par une expérience
singulière à laquelle elles ne résistent pas, ou par les échanges avec d’autres professionnels
ou encore par l’émergence de référentiels extrinsèques tels que les référentiels sociétaux.
Un médecin explique à propos du fait de parler de la mort avec un patient : « je voyais ça
plutôt un peu schématiquement dans la bouche d’un curé ! … qui est plutôt là pour la paix de
l’âme » (n°7), mais plus loin il remarque l’importance de sa présence qui va bien au-‐delà des
soins qu’il prescrit au patient : « ça m’a vraiment frappé avec lui parce que vraiment il avait
besoin que je sois là (…) il avait besoin de ma présence avec tout ce que cela représentait »
(n°7). Il finit par avouer être touché par cette prise de conscience, qui pourtant semble
remettre en cause son affirmation de départ : « ça me touchait quelque part… ça me touche
de voir que c’est parfois presque disproportionné » (n°7).
136
A partir des réflexions menées autour de cet axe, nous rajoutons des ramifications
destinées à notre arbre thématique :
LE SENS DE LA VIE, A LA FIN
LA MORT
Sérénité
Violence
Injustice
Fatalité
Echec
LA FIN DE VIE
Perte
Abandon
Atteinte de l'intégrité
Moment de partage
La �in de vie mais toujours la vie
137
3.2.3.4. Axe n°4 : LE LIEU DU DECES
Les thèmes évoquant le lieu du décès sont récurrents tout au long du corpus
constituant assez naturellement un ensemble saillant. Nous proposons de constituer un axe
à partir de cet ensemble. Les thèmes en lien sont exprimés par les médecins généralistes
sous deux angles différents mais complémentaires qui nous permettent de comprendre
l’importance du lieu du décès dans le vécu du médecin de la prise en charge de patients en
fin de vie. Nous admettons à ce propos que la dénomination de cet axe devrait être moins
restrictive car les thèmes regroupés ici et les deux angles de lecture concernent à la fois le
lieu de la fin de vie et le lieu du décès, qui ne sont parfois pas les mêmes.
Le tableau ci-‐dessous présente dans un premier temps les thèmes relatifs aux
éléments contribuant au choix du lieu de décès (les termes du choix) et, dans un deuxième
temps, les représentations relatives au lieu lui-‐même.
Thèmes issus des
relevés Extraits de verbatim
LES TERMES DU CHOIX
Angoisse du
patient
Le lieu du décès à venir
est source d’angoisse
pour les patients âgés.
« l’angoisse c’est : « est-‐ce qu’on va m’emmener à
l’hôpital ? ». Mourir à l’hôpital, tout seul isolé, ça fait peur »
(2)
La volonté du
patient.
Le patient choisit son
lieu de fin de vie et de
décès.
A propos du lieu de fin de vie et de décès : « c’est un choix
personnel… après on en discute avec le patient (…) avec la
famille » (11)
« ça dépend vraiment du vœu de la personne » (11)
L’âge du
patient.
Les patients jeunes
meurent plutôt à
l’hôpital.
A propos des patients jeunes : « en général, c’est beaucoup
plus dur des les garder à la maison » (4)
« les personnes âgées au contraire on arrive beaucoup plus
à les garder à la maison » (4)
La famille La famille influence le
lieu du décès
« elle va beaucoup plus facilement craquer nerveusement
(…) Et ils vont, eux, être demandeurs d’hospitalisation »
(4)
« dans la cas de cette famille, c’était le mari, qui était tout à
fait d’accord pour cette mise en place » (6)
« ça s’est fait à domicile selon leurs vœux » (6)
138
« en fin de compte c’est la famille qui décide, pas le
médecin » (6)
« quand la personne n’est pas en mesure d’exprimer sa
volonté, il faut s’appuyer sur les proches, sur la famille, sur
la personne de confiance » (8)
« c’est un choix personnel… après on en discute avec le
patient (…) avec la famille » (11)
« l’échec (…) c’est de ne pas avoir pu dire non à la famille
qui voulait absolument hospitaliser le grand-‐père (…) » (1)
L’avis du
médecin
Le domicile est le lieu le
plus propice.
Mourir à l’hôpital est un
échec pour le médecin.
« De toute façon on est mieux chez soi qu’à l’hosto, ça c’est
évident » (3)
« moi j’essaie des les garder au maximum à la maison » (4)
« on les conserve en fin de vie dans de meilleures
conditions et je dirais même plus longtemps qu’à
l’hôpital » (4)
« Parce que moi je ne voudrais pas mourir à l’hôpital. C’est
inhumain (…) je préfèrerais être à domicile » (4)
« je pense que l’on peut mieux vivre et dans de meilleures
conditions qu’à l’hôpital » (4)
« pour moi l’hôpital n’est pas mieux pour lui en fin de vie »
(4)
« c’est un échec vis à vis de la famille (…) à l’hôpital vous
n’êtes qu’un numéro » (4)
« une personne âgée en fin de vie, l’hospitaliser
uniquement pour aller mourir à l’hôpital, là moi je trouve
que c’est un échec » (1)
La nécessité Mourir à l’hôpital peut
être une nécessité.
A propos du décès à domicile : « Si vous voyez que cette
demande est impossible, si cette possibilité n’existe pas
entre la famille et le médecin, ce n’est pas la peine » (4)
« On ne peut pas tout gérer à domicile… je pense que
vraiment quand c’est trop lourd pour les familles, on ne
peut pas mettre tout le monde dans la détresse » (3)
LA CONCEPTION DU LIEU DE DECES
Idéalisation de
la mort à
domicile
Le domicile est le lieu le
plus propice pour le
décès.
« De toute façon on est mieux chez soir qu’à l’hosto, ça
c’est évident » (3)
« moi j’essaie de les garder au maximum à la maison » (4)
« on les conserve en fin de vie dans de meilleures
conditions et je dirais même plus longtemps qu’à
l’hôpital » (4)
139
« Parce que moi je ne voudrais pas mourir à l’hôpital. C’est
inhumain (…) je préfèrerais être à domicile » (4)
« je pense que l’on peut mieux vivre et dans de meilleures
conditions qu’à l’hôpital » (4)
« pour moi l’hôpital n’est pas mieux pour lui en fin de vie »
(4)
L’hôpital utile
en fin de vie
L’hôpital est un moyen
de protéger les proches.
L’hôpital rassure le
patient.
« une aide hospitalière (…) pour décharger son conjoint ou
son entourage (…) un répit (…) pour ne pas faire voir sa
souffrance » (4)
« et il y en a quelques-‐uns vraiment en fin de vie… on sent
que… d’être à l’hôpital c’est quelque chose qui les
sécurise » (10)
L’hôpital
ressenti comme
un échec
La mort à l’hôpital est
un échec.
La mort à l’hôpital peut
être une nécessité.
« une personne âgée en fin de vie, l’hospitaliser
uniquement pour aller mourir à l’hôpital, là moi je trouve
que c’est un échec » (1)
« Il faut quand même qu’il y ait un milieu familial autour.
Le gars qui est tout seul il part à l’hôpital » (6)
« Quand on ne peut pas, on ne peut pas. C’est pas possible
(…). Et puis il y a des gens qui ne peuvent pas, il faut être
capable de supporter » (6)
« De toute façon le choix d’hospitaliser ne se fait pas de
gaité de cœur, c’est un choix qui s’impose » (8)
Le lieu du décès qui, dans les faits, reste majoritairement l’hôpital, occupe, dans
l’expression du vécu et du ressenti des médecins rencontrés, une place notable. L’étude des
termes du choix et les représentations des lieux montrent que le ressenti et le vécu du
médecin ont une place prépondérante et assez insidieuse dans le choix définitif du lieu de fin
de vie et de décès du patient. Le domicile est généralement ressenti comme le lieu le plus
propice : « De toute façon on est mieux chez soi qu’à l’hosto, ça c’est évident » (n°3), et
l’hôpital est vécu comme un échec ou au mieux une solution de recours : « c’est un échec
vis-‐à-‐vis de la famille (…) à l’hôpital vous n’êtes qu’un numéro » (n°4), « De toute façon le
choix d’hospitaliser ne se fait pas de gaité de cœur, c’est un choix qui s’impose » (n°8).
Il est intéressant de relever également que lorsque l’avis du médecin intervient dans
le choix du lieu de fin de vie et de décès, celui-‐ci est présenté uniquement par des
140
arguments de l’ordre du vécu et du ressenti, et non pas par des critères médicaux,
psychologiques ou encore sociaux. Cela ne signifie pas que ce n’est pas le cas, mais
simplement que l’expression du ressenti et du vécu reste dominante : « moi j’essaie de les
garder au maximum à la maison » (n°4) ; « une personne âgée en fin de vie, l’hospitaliser
uniquement pour aller mourir à l’hôpital, là moi je trouve que c’est un échec » (n°1). Le
ressenti du médecin semble également prendre le dessus d’autant plus que le médecin
s’identifie au patient : « Parce que moi je ne voudrais pas mourir à l’hôpital. C’est inhumain
(…) je préfèrerais être à domicile » (n°4) .
Pour terminer sur l’analyse de cet axe nous relevons que le choix du patient, et celui-‐
ci de la famille dans un second temps, sont ressentis comme prépondérants dans les termes
du choix du lieu de décès par de nombreux médecins : « c’est un choix personnel… après on
en discute avec le patient (…) avec la famille » (n°11) ; « ça dépend vraiment du vœu de la
personne » (n°11). Cependant l’ensemble des autres éléments illustrés dans le tableau vient
contrebalancer, dans les récits des médecins, la place du choix du patient.
141
La branche de l’arbre correspondant à cet axe thématique se construit ainsi :
LE LIEU DU DECES
LES TERMES DU CHOIX
Angoisse du patient
Âge du patient
Volonté du patient
In�luence de la famille
Avis du médecin
Nécessité
LA CONCEPTION DU LIEU
Idéalisation de la mort à domicile
Hôpital refuge
Hôpital échec
142
3.2.3.5. Axe n°5 : LES ASPECTS RELATIONNELS DU VECU ET DU
RESSENTI
Plusieurs thèmes sont en lien avec l’aspect relationnel de la prise en charge. Cette
récurrence tout au long des entretiens nous incite à nous intéresser à l’articulation des
expressions du vécu et du ressenti relative à la relation que le médecin entretient avec le
patient et la famille, ainsi qu’avec ses pairs et les autres professionnels de santé. Il s’agit bien
sûr des relations dans le cadre de la prise en charge de patients en fin de vie.
Nous trouvons, autour de l’aspect relationnel, des rapports complexes entre les
thèmes à type de hiérarchisation et de subsidiarité. Les expressions du ressenti et du vécu à
ce propos s’organisent entre, d’une part, les relations avec les patients et les familles et,
d’autre part, les relations avec les pairs et les professionnels de santé.
En ce qui concerne les relations avec les patients et les familles, elles se divisent en
deux grands types : les relations allant dans le sens de l’autonomie des protagonistes
(patient, famille mais aussi médecin) et celles remettant en cause cette autonomie. Dans
cette deuxième catégorie nous distinguons les relations de types paternalistes, les relations
fusionnelles (d’identification) et les relations d’opposition.
Le tableau ci-‐dessous présente cette hiérarchisation des représentations en
l’appuyant sur les thèmes relevés au sein du corpus.
Thèmes issus des
relevés
Extraits de verbatim
AUTONOMIE DES PROTAGONISTES DANS LA RELATION
Respect Le médecin ne s’impose
pas au patient ou à la
famille.
Le médecin respecte les
choix, la volonté et le
mode de
fonctionnement du
« elle a choisi on ne la force pas c’est tout » (1)
« Tout est négocié et cela se passe de façon sympathique »
(6)
« C’est elle qui a abordé le sujet » (7)
« si possible il faut que la personne exprime sa volonté par
écrit ( …) c’est ce qu’on appelle les directives anticipées »
(8)
« je crois que la première chose dont il faut tenir compte
143
patient et de la famille. c’est quand même « qu’est-‐ce que veut le patient ? » (…) »
(10)
« c’est un choix personnel… non non en rien j’impose et je
ne vois pas en quoi on aurait le droit d’imposer là-‐dessus
quoi que ce soit » (11)
« elle a choisi on ne la force pas c’est tout »
« elle m’a demandé : « qu’est-‐ce que vous en pensez ? » je lui
ai dit : « je pense comme vous, votre décision sera la
bonne… » (…) » (2)
« Elle me l’a dit : « moi je ne veux plus », alors je lui dis :
« alors il faut lui dire que c’est votre choix (à l’oncologue)
(…) » (3)
Confiance Relation de confiance.
Contrat de confiance
entre médecin et
patient.
« Il me paraît évident que plus on connaît les patients, plus
on est en confiance, et plus on a les moyens d’apporter une
aide…ou un accompagnement… » (2)
« elle m’a demandé : « qu’est-‐ce que vous en pensez ? » je lui
ai dit : « je pense comme vous, votre décision sera la
bonne… » (…) » (2)
« quand un patient comme ça décède, on est triste, pace… Il
vous a fait confiance pendant très longtemps, on s’est
décarcassé » (8)
« ce qui m’importe c’est de faire en sorte… en tous cas de
respecter le plus longtemps possible, le plus loin possible
l’envie des patients » (9)
Reconnaissance Reconnaissance
exprimée par le patient
ou la famille.
« c’est toujours satisfaisant quand on a un retour du patient
quand il est encore là, ou de sa famille… (…) avec des gens
qui nous remercient, qui continuent à partager des choses
avec nous (…) ça c’est important pour nous » (10)
« son mari nous a remerciés » (2)
« il y a moins de reconnaissance vis à vis du médecin » (4)
Franchise Les relations sont
franches et directes.
Le médecin pose
clairement la situation.
« moi la question que je pose aux gens : « si ça se passe mal
à la maison, qu’est-‐ce qu’on fait ? » après je me démerde »
(9)
« Il faut que tout soit clair, dit au départ. Et c’est
uniquement à partir de là que l’ont peut faire quelque chose
qui tient à peu près la route. Sinon on ne peut pas y
arriver. » (9)
A propos de l’évocation des soins palliatifs avec le patient :
144
« eh bien on lui dit direct, souvent le patient est au courant
de sa maladie » (6)
Distance Le médecin reste
distant et mesuré.
(…) avec le patient… Et bien j’essaie d’être neutre si
possible » (3)
« un écoute attentive, une écoute bienveillante, sans juger,
sans aller trop loin, sans être fusionnel » (8)
« Il faut une certaine distance, il faut être empathique (…)
sans choquer les choses. » (8)
« mais bon ça ne nous affecte pas non plus dans le sens où
ce n’est pas notre famille non plus. Je veux dire on a appris à
garder nos distances » (11)
« Mais mon vécu médical me permet maintenant de plus
respecter la distance même si cela me touche… » (2)
« c’est douloureux d’être auprès d’une personne
douloureuse, (…) on a beau prendre de la distance » (8)
Empathie Le médecin est
disponible.
La présence du médecin
rassure.
Le médecin est
empathique
« il sait très bien que son médecin il peut l’appeler, il
arrivera le jour même » (7)
« c’est ce que je leur dis : « il n’y a pas de mots dans la
peine », « chacun vit sa peine »… mais après… on essaie de
les préparer » (11)
« (…) dans la compassion, de… dans l’écoute surtout… et de
lui dire… que je comprends que c’est difficile » (3)
« une écoute attentive, une écoute bienveillante » (8)
« tout médecin devrait avoir un peu de cet aspect
empathique, et un peu de thérapie de soutien » (8)
REMISE EN CAUSE DE L’AUTONOMIE DANS LA RELATION
Paternalisme
et/ou
subordination.
Médecin membre de la
famille.
Relation intime.
Interprétation du
discours du patient.
Décision basée sur le
ressenti du médecin.
« Quand vous soignez quelqu’un depuis plus de 20 ans moi
je pars sur le principe que le médecin il fait partie de la
famille » (4)
« C’est l’émotionnel, c’est une relation, que moi mes maîtres
m’ont appris, la relation avec son patient qui devient
quelqu’un de la famille » (4)
« mais le médecin généraliste, il connaît bien son milieu, il
est très pragmatique, il sait orienté. Ça se fait
automatiquement, sans réfléchir. » (6)
« il faut écouter et chercher le double sens de temps en
145
Décision à l’inverse du
choix du patient.
Les patients préfèrent
rester dans l’ignorance.
Le médecin ne cache
pas ses émotions.
temps » (4)
« Ce n’est pas parce que le patient vous dit quelque chose
qu’intérieurement il pense la même chose »
(4)
« j’observe souvent (…) que les gens ils ne veulent pas trop
savoir » (2)
« souvent ça les arrange qu’on ne leur dise pas tout » (2)
« ça m’arrive de les montrer (les émotions). Ca m’est arrivé
de pleurer sur le certificat de décès » (3)
« l’entourage ça peut l’aider de voir que quelqu’un
d’extérieur à cette famille peut ressentir aussi une
souffrance ou une émotion » (4)
Le médecin s’identifie
au patient.
Le médecin s’identifie
aux familles.
A propos des patients jeunes en fin de vie : « C’est plus dur
car il y a un phénomène de transfert qui se fait
inévitablement » (7)
« on ne peut pas s’en empêcher, on n’est pas de pierre. Il y a
un transfert un peu émotionnel, ça dure quelques secondes,
quelques minutes, mais ça existe voilà » (8)
A propos de la confrontation à des fins de vie de patients
jeunes : « Peut être une projection sur moi ou mon
entourage, mon épouse, frère, sœur… » (9)
« moi aussi j’avance en âge, il y a plein de choses qui se
mettent en route et je trouve ça douloureux » (3)
A propos d’un transfert éventuel : « oui mais bon je crois qu’à
partir de là si on commence à penser ça, on ne fait plus ce
métier, si à chaque fois on se transfère sur la personne »
(11)
Identification et
transfert.
La colère de la famille
envers le médecin est
un phénomène de
transfert émotionnel.
« il y a des patients qui partent parce que le médecin est
« responsable » de la maladie… ça se comprend bien, il y a
un transfert… » (2)
« Les gens sont agressifs, ils sont agressifs contre le sort,
contre le destin… le plus souvent (…). Le médecin est
souvent le révélateur d’une maladie grave… il est là pour ça.
Il est aussi là pour ça. » (2)
Opposition et
confrontation.
Conflits.
Colère.
« les gens eux mêmes ne veulent rien avoir à se reprocher
et ils ne veulent pas qu’on leur dise qu’ils n’ont pas fait le
maximum pour leurs proches et leurs parents » (8)
« il est revenu pour des papiers d’assurance et il est encore
146
Le choix de cette hiérarchisation des thèmes regroupés autour de l’aspect relationnel
nous apporte un éclairage intéressant qui ne ressort pas d’emblée à la lecture du corpus.
Nous avons pu mettre en évidence que les ressentis concernant l’aspect relationnel
fluctuaient et que les actions ou les décisions qui en découlent remettent parfois en cause le
principe d’autonomie du patient mais également celui du médecin. Prenons quelques
exemples à ce propos (nous ne revenons pas sur les expressions du vécu et du ressenti qui
évoquent les relations allant dans le sens du respect de l’autonomie, les illustrations du
tableau sont à notre sens assez explicites).
Lorsque le médecin affirme : « j’observe souvent (…) que les gens ils ne veulent pas
trop savoir » (n°2), ou encore « souvent ça les arrange qu’on ne leur dise pas tout » (n°2), il
exprime à travers ces affirmations le ressenti qu’il a de ce que pense le patient. Une fois
affirmée que celui-‐ci ne veut pas échanger avec lui sur sa situation, le médecin n’a plus de
moyen pour rechercher sa volonté. Il accepte donc, implicitement, de remettre
partiellement ou totalement en cause l’autonomie de son patient sur le seul ressenti qu’il a
de ce que souhaite ce dernier. Nous retrouvons une situation similaire dans l’affirmation
suivante : « mais le médecin généraliste, il connaît bien son milieu, il est très pragmatique, il
sait orienter. Ça se fait automatiquement, sans réfléchir. » (n°6). Parfois, cela va même
jusqu’à ignorer la volonté explicite du patient : « Ce n’est pas parce que le patient vous dit
quelque chose qu’intérieurement il pense la même chose » (n°4). Le médecin a ici le
sentiment que son patient ne dit pas ce qu’il pense ou souhaite, il est donc prêt à aller à son
encontre.
Reproches.
Opposition.
Craintes.
convaincu que… on a pas fait le travail… » (11)
« la colère c’est la non acceptation du décès (…) peut être
qu’on ne les a pas assez préparés ou peut-‐être que c’est
vraiment le refus quand même » (11)
A propos des ruptures suivant le décès avec les familles : « ce
n’est pas très gratifiant sur le plan relationnel ultérieur »
(2)
« Mais il ne faut pas qu’il y ait d’ambiguïté. Que l’on ne vous
fasse pas de reproches après » (8)
147
Nous envisageons également une perte d’autonomie lorsque la relation est
empreinte d’émotions intenses et envahissantes. Dans ces situations, c’est alors le médecin
qui perd une partie de son autonomie puisqu’il n’a plus de recul dans sa prise en charge.
« Mais il ne faut pas qu’il y ait d’ambiguïté. Que l’on ne vous fasse pas de reproches après »
(n°8) : ici c’est la crainte, voir la peur qui risque d’entamer l’autonomie du médecin dans ces
décisions. Ailleurs c’est l’implication affective : « C’est l’émotionnel, c’est une relation, que
moi, mes maîtres m’ont appris, la relation avec son patient qui devient quelqu’un de la
famille » (n°4), ou encore l’identification : « moi aussi j’avance en âge, il y a plein de choses
qui se mettent en route et je trouve ça douloureux » (n°3).
Les relations entre les médecins et les patients sont des phénomènes complexes qui
pourraient être étudiés pour eux-‐mêmes. Dans notre propos, nous souhaitons retenir que
l’expression du ressenti et des émotions du médecin dans sa prise en charge en fin de vie
passe également à travers le récit des relations qu’il entretient avec les patients et les
familles. Son vécu et son ressenti quant à ses relations ont une place de choix dans les
décisions qu’il prend concernant la prise en charge de ses patients en fin de vie.
Au début de ce paragraphe nous avons évoqué également les relations avec les pairs
et les autres professionnels de santé. Les thèmes qui s’y rapportent restent subsidiaires dans
le cadre de l’analyse de notre corpus. Nous relevons tout de même deux aspects de cette
relation dans les récits étudiés : tout d’abord les médecins expriment leur besoin de
verbaliser et d’échanger avec leurs pairs sur les prises en charge de patients en fin de vie, cet
échange est vécu comme bénéfique pour les médecins sur le plan personnel
principalement ; ensuite, les médecins ayant accès à des équipes pluridisciplinaires comme
celles des EMSP ou celles des HAD affirment que l’échange avec d’autres professionnels de
santé est vécu comme un soutien utile à la prise en charge du patient.
148
Thèmes issus des
relevés
Extraits de verbatim
RELATIONS AVEC LES PAIRS
Echanges à
propos du vécu et
du ressenti
commun avec les
pairs.
Le médecin a besoin
de verbaliser et
d’extérioriser
« et puis quand ça ne va pas j’en parle à mon associé » (3)
« (…) il faut faire dans un premier temps des groupes de
paroles, des débriefing, une verbalisation, des groupes de
pairs » (8)
« le pire c’est de s’enfermer sur soi même » (8)
« ce qu’il fait faire c’est s’ouvrir (…) ça c’est important, très
important »
« On va dire des choses par rapport à notre ressenti face à
ce type de souffrance » (11)
RELATIONS AVEC LES AUTRES PROFESSIONNELS DE SANTE
Soutien Les échanges pluri-‐
professionnels sont
un soutien pour le
médecin.
« le kiné aura une appréciation différente de la mienne
parce que moi je ne suis que médecin » (3)
« on se retrouve avec l’infirmière, les kinés… pour tout le
monde c’est plus facile » (3)
« moi ce que j’aime bien c’est l’infirmière psy. C’est
vraiment très important, ça aide beaucoup. C’est un bon
truc. » (6)
« Je trouve qu’avec la création du pôle de cancérologie (…)
le lien qu’il peut y avoir avec l’infirmière coordinatrice,
avec les oncologues… (…) je me sens beaucoup moins toute
seule » (10)
149
Nous pouvons maintenant édifier à partir de cet axe thématique concernant les
relations, une nouvelle partie de l’arbre thématique :
ASPECT RELATIONNEL DU VECU ET DU RESSENTI
RELATIONS LES PATIENTS ET LES
FAMILLES
LE RESPECT DE
L’AUTONOMIE
Respect
Con�iance
Reconnaissance
Franchise
Distance
Empathie
LA REMISE EN CAUSE DE
L’AUTONOMIE
Paternalisme et/ou
subordination
Identi�ication et transfert
Oppostion et confrontation
RELATIONS PROFESSIONNELLES
Le partage du vécu et du ressenti avec
les pairs
Le soutien des équipes pluri-‐professionnelles
150
3.2.3.6. Axe n°6 : ROLE ET PLACE DU MEDECIN TRAITANT DANS
LA PRISE EN CHARGE DE LA FIN DE VIE
Les ressentis qu’expriment les médecins au sujet de leur propre rôle et de la place
qu’ils occupent au moment de la fin de vie d’un patient constituent également un ensemble
saillant de thèmes dans notre corpus.
Nous regrouperons, dans un premier temps, les thèmes concernant le rôle que les
informateurs expriment comme étant en lien direct avec leur statut de médecin. Ces thèmes
peuvent être ressentis de façon positive ou négative selon les médecins et les circonstances.
Dans un deuxième temps, nous isolerons les thèmes ressentis comme plus en lien
avec leur statut d’Homme. Ces thèmes vont au-‐delà du statut de médecin sans pour autant
vouloir dire qu’ils en sont dissociés, ou qu’ils constituent une « plus-‐value ». Ils sont ici
individualisés dans un souci didactique, la frontière entre la fonction de médecin
communément admise et l’implication du rôle d’Homme étant floue et variable selon les
informateurs.
Enfin, un troisième regroupement thématique concerne les éléments ressentis
comme étant des facteurs qui contraignent la place et le rôle du médecin dans sa prise en
charge. Ce regroupement est dissocié des deux précédents et a plutôt une fonction
complémentaire.
Thèmes issus des
relevés
Extraits de verbatim
LE MEDECIN DANS SA FONCTION
Disponibilité et
présence
Le médecin est
disponible.
Le médecin
n’abandonne pas.
« Bon, ça prend forcément beaucoup de temps, beaucoup
de disponibilités, mais c’est intéressant pour le patient, et
puis on a le sentiment… de finir ce que l’on a commencé…
le suivi » (2)
« ils peuvent compter sur vous à n’importe quel moment »
(4)
« C’est prendre son téléphone 24/24 (…) sans ça il faut
faire un autre métier » (4)
« Il ne faut pas les laisser à domicile sans numéro et se
151
barrer en sucette le week end ! Non non ! » (6)
« le fait de voir le médecin, le fait de sentir sa disponibilité,
le fait d’avoir sa présence rapidement… ces 3 éléments-‐là
contribuent je crois à apaiser le patient » (7)
« il sait très bien que son médecin il peut l’appeler, il
arrivera le jour même » (7)
« c’est là que vous pouvez lui dire : « écoutez, même jusqu’à
la fin, on fera le maximum » (…) » (4)
« j’incarnais la médecine, mais surtout j’incarnais la
médecine qui ne laisse pas tomber » (7)
« (…) on va vous assurer que vous ne souffrirez pas… (…)
on ne vous abandonnera pas… » (8)
« oui vous allez mourir mais je ne sais pas comment ni
quand mais on ne va pas vous abandonner » (2)
Action Le médecin lutte
contre la souffrance.
Le médecin agit pour
améliorer les
conditions de fin de
vie.
Le médecin anticipe
les problèmes.
« je fais vraiment attention au niveau de la douleur, ça c’est
important » (3)
« laisser quelqu’un souffrir, pour moi ce n’est pas quelque
chose de normal » (3)
« il faut l’aider à terminer dans de bonnes conditions » (4)
« Il y a donc la première prescription, les prescriptions de
deuxième ligne et quand ça ne vas pas » (9)
« moi la question que je pose aux gens : « si ça se passe mal
à la maison, qu’est ce qu’on fait ? » après je me démerde »
(9)
Accompagnement Le médecin
accompagne plus
qu’il ne soigne.
« ça permet une transition, de ne pas laisser les patients…
(…) … un accompagnement » (2)
« au delà du recours à toute chimiothérapie (…) c’est un
accompagnement pour qu’elle ne souffre pas » (2)
A propos des familles :
« c’est même plus qu’accompagner le patient… parce que
c’est la fin de vie du patient mais ce n’est pas la fin de vie de
la famille, des intervenants, des amis… » (2)
« ils venaient le soir qu’on ait le temps de discuter…
histoire qu’ils vident un peu leur trop plein… » (2)
« souvent nous quand on y va c’est plus pour un
accompagnement que du soin, il faut être honnête » (3)
Mission L’accompagnement
en fin de vie est une
mission du médecin
« je crois que ça fait partie du noyau dur de notre métier »
(10)
« et puis à partir du moment où vous êtes le médecin de la
152
généraliste. famille, ben… vous êtes obligé de suivre la personne » (1)
« Puisque pour moi ça fait partie de la profession » (2)
Prestation Le médecin est un
prestataire de
service.
« on attend un service (…) on n’attend plus un
accompagnement » (4)
Adaptation Le médecin s’adapte
aux patients et aux
familles.
Le médecin respecte
le choix des patients
et des familles.
« Chaque cas est d’espèce » (6)
« mais le médecin généraliste, il connaît bien son milieu, il
est très pragmatique, il sait orienter » (6)
A propos de l’évocation de la fin de vie : « il faut y aller avec
doigté, avec diplomatie. Il faut éviter la brutalité. » (8)
« attendre le moment propice. Quant la personne est
relativement sereine » (8)
« si possible il faut que le personne exprime sa volonté par
écrit ( …) c’est ce qu’on appelle les directives anticipées »
(8)
« je crois que la première chose dont il faut tenir compte
c’est quand même « qu’est-‐ce que veut le patient ? » (…) »
(10)
« c’est un choix personnel… non non en rien j’impose et je
ne vois pas en quoi on aurait le droit d’imposer là-‐dessus
quoi que ce soit » (11)
« elle a choisi on ne la force pas c’est tout »
« Elle me l’a dit : « moi je ne veux plus », alors je lui dis :
« alors il faut lui dire que c’est votre choix (à l’oncologue)
(…) » (3)
Le médecin
soigne le corps
Le médecin s’occupe
de la souffrance du
corps
« nous on est plutôt là, si j’ose dire, pour la paix du corps
(…) pour donner ce répit sur le plan physique, c’est à dire
ne pas souffrir, ne pas avoir mal (…) » (7)
« soigner ne me pose pas de problème » (7)
« eh bien moi je reste sur des choses purement médicales »
(7)
Anticipation Le médecin anticipe
les difficultés.
« si possible il faut que le personne exprime sa volonté par
écrit ( …) c’est ce qu’on appelle les directives anticipées »
(8)
« Il y a donc la première prescription, les prescriptions de
deuxième ligne et quand ça ne va pas » (9)
« moi la question que je pose aux gens : « si ça se passe mal
à la maison, qu’est-‐ce qu’on fait ? » après je me démerde »
(9)
153
« à partir du moment où les choses sont dites, sont claires,
sont établies, là on peut bosser » (9)
Obligations Obligation de
moyens.
Respect des textes
législatifs.
« il ne faut pas oublier qu’en médecine on a une obligation
de moyens… sur le plan responsabilité civile ou
déontologique on a une obligation de moyens » (8)
« vous parliez donc du maintien à domicile ou du décès à
l’hôpital, il faut que l’information soit comme il est dit dans
la loi Kouchner : claire, loyale et adaptée (…). Et puis le
deuxième élément c’est le code civil, le code de
déontologie : c’est l’obligation de moyens » (8)
« De toutes façon les deux piliers qui guident le médecin
pendant son exercice c’est la loi Kouchner (…) et puis le
code de déontologie. D’un côté le droit des malades, de
l’autre côté les devoirs des médecins » (9)
« (…) d’après la loi (…) la loi Léonetti… » (9)
Porteur d’espoir Le médecin est
porteur d’un message
d’espoir.
« il faut toujours dire un mais, il faut toujours donner de
l’espoir » (8)
« ça c’est dans le code de déontologie, (…) le médecin ne
doit jamais véhiculer des paroles de désespoir » (8)
« le médecin a des paroles apaisantes (…) sans jamais
véhiculer le désespoir » (8)
L’HOMME AVANT LE MEDECIN
Attention, écoute
Empathie
Le médecin a des
qualités d’écoute.
Le médecin rassure.
Le médecin est
empathique.
« une écoute attentive, une écoute bienveillante » (8)
« c’est ce que je leur dis : « il n’y a pas de mots dans la
peine », « chacun vit sa peine »… mais après… on essaie de
les préparer » (11)
« (…) dans la compassion, de… dans l’écoute surtout… et de
lui dire… que je comprends que c’est difficile » (3)
« un écoute attentive, une écoute bienveillante » (8)
« tout médecin devrait avoir un peu de cet aspect
empathique, et un peu de thérapie de soutien » (8)
Le médecin
intime
Le médecin est un
membre de la famille.
Le médecin ne cache
pas ses émotions.
« Quand vous soignez quelqu’un depuis plus de 20 ans moi
je pars sur le principe que le médecin il fait partie de la
famille » (4)
« souvent ça les arrange qu’on ne leur dise pas tout » (2)
« ça m’arrive de les montrer (les émotions). Ca m’est arrivé
de pleurer sur le certificat de décès » (3)
« l’entourage ça peut l’aider de voir que quelqu’un
d’extérieur à cette famille peut ressentir aussi une
154
souffrance ou une émotion » (4)
« C’est le côté humain qui reprend le dessus (…). Voilà il
faut… parler avec son cœur (…). » (8)
« quand je vais faire un constat de décès, quand je
rencontre les proches… (…) neuf fois sur dix on s’embrasse.
On s’étreint. On se donne l’accolade chez les hommes, on
s’embrasse chez les femmes… je vous le dis franchement…
et moi-‐même ça me remue un peu là… quelquefois j’ai la
larme à l’œil. » (8)
« Je suis un peu sensible, un peu émotif » (8)
Le médecin
distant
Le médecin reste
distant et mesuré.
Le médecin ne
montre pas ses
émotions.
« (…) avec le patient… Et bien j’essaie d’être neutre si
possible » (3)
« un écoute attentive, une écoute bienveillante, sans juger,
sans aller trop loin, sans être fusionnel » (8)
« Il faut une certaine distance, il faut être empathique (…)
sans choquer les choses. » (8)
« mais bon ça ne nous affecte pas non plus dans le sens où
ce n’est pas notre famille non plus. Je veux dire on a appris
à garder nos distances » (11)
« Mais mon vécu médical me permet maintenant de plus
respecter la distance même si cela me touche… » (2)
« il faut faire abstraction » (4)
« il faut être fort… et être capable (…) de faire la part de
l’émotion. C’est à dire oublier notre émotionnel, ce qui n’est
pas forcément facile, mais on y arrive… » (4)
LES CONTRAINTES LIMITANT LE RÔLE DU MEDECIN
Les limites de la
médecine
Le médecin a ses
limites, en
l’occurrence la mort.
« je crois qu’il arrive un moment où il faut un peu… leur
montrer que la médecine a fait beaucoup de progrès mais
qu’elle a des limites » (8)
« c’est que la médecine et ben malheureusement on ne fait
pas de miracle non plus ! » (11)
Les limites du
médecin.
Le médecin est
conscient de ses
propres limites.
Le médecin qui ne
sait pas.
« oui vous allez mourir mais je ne sais pas comment ni
quand mais on ne va pas vous abandonner » (2)
« parce qu’on fait tout ce qu’on peut… » (2)
« (…) « mais pour combien de temps j’en ai ? » « mais je ne
sais pas monsieur... (…) » (2)
« Après, on fait ce que l’on peut ! C’est comme tout le
monde ! » (2)
« Pas facile… Je ne suis pas plus performant qu’un autre »
155
(2)
« et puis il y a des choses que l’on ne sait pas faire. Tout
simplement. Y’a des choses que je ne sais pas faire, je ne
suis pas bonne donc » (3)
La contrainte du
temps
Les prises en charge
de fin de vie sont
lourdes car
chronophages.
« et puis du temps, c’est ce que je disais, il faut du temps »
(7)
« Bon, ça prend forcément beaucoup de temps, beaucoup
de disponibilités » (2)
« ça demande beaucoup d’investissement en terme de
temps pour un médecin généraliste » (7)
« en fait ce sont des situations qui sont un peu lourdes,
principalement au niveau du temps qu’on y passe » (7)
« il faut toujours jongler avec son emploi du temps » (7)
Cette analyse des représentations que les médecins ont de leur place et de leur rôle
reste relativement critiquable du fait de la frontière floue entre ce qui relève de la prise en
charge du médecin et ce qui relève de l’Homme. Nous pourrions avancer que cette limite ne
se situe pas dans l’attitude ou l’action, objets de la discussion (l’écoute, l’empathie, le
partage des émotions, etc.) mais dans la façon dont le médecin concerné le ressent et
l’exprime. Nous retrouvons dans les entretiens réalisés des expressions similaires et
pourtant, nous comprenons dans le contexte que le message est différent : pour certains,
exprimer ses émotions devant la famille sera une manière de les accompagner en leur
permettant d’assumer leurs propres émotions ; pour d’autres, ce sera une implication
personnelle du médecin beaucoup trop importante risquant de le mettre en danger sur le
plan émotionnel.
Les relations entre les regroupements saillants que nous avons proposées ici,
concernant la place et le rôle du médecin, sont donc à interpréter et à comprendre à la lueur
de cette précision.
Pour compléter notre propos, voici deux remarques exprimées sur l’attitude que doit
adopter le médecin vis-‐à-‐vis de ses émotions : « C’est grave parce que à ce moment là vous
allez lui montrer une souffrance… et cette souffrance elle va s’accumuler avec sa propre
souffrance » (n°4), « l’entourage ça peut l’aider de voir que quelqu’un d’extérieur à cette
156
famille peut ressentir aussi une souffrance ou une émotion » (n°4). Il est intéressant de noter
que ces deux remarques sont issues du même entretien, elles évoque dans la première le
patient, dans la deuxième les familles. Le ressenti en la matière n’en reste pas moins
ambivalent.
Nous proposons le schéma suivant pour la construction de l’arbre thématique :
PLACE ET RÔLE DU MEDECIN
LE MEDECIN DANS SA FONCTION
Disponibilité et présence
Action
Accompagnement
Mission / vocation
Prestation
Adaptation
Soins du corps
Anticipation
Obligation
Porteur d'espoir
L'HOMME AVANT LE MEDECIN
Attention, écoute et empathie
Intimité
Distance
CONTRAINTES
Limites de la médecine
Limites personnelles du médecin
Gestion du temps
157
3.2.3.7. Axe n°8 : LES SOINS PALLIATIFS
Les informateurs rencontrés en entretiens affirment tous faire des soins palliatifs. La
frontière est parfois floue et la distinction n’est pas clairement définie entre « accompagner
un patient en fin de vie » et « prendre en charge un patient en soins palliatifs ». Nous
n’avons pas pour objectif, ici, de répondre à cette question, ou de déterminer si ces deux
notions sont bel et bien différentes et en quoi. Nous relevons dans le tableau suivant les
éléments du discours relatifs aux représentations que se font les médecins généralistes
interrogés de la notion de soins palliatifs. Ces éléments sont présentés, comme pour les
autres axes, selon les regroupements de thèmes que nous avons relevés dans le corpus.
Nous proposons de regrouper ces thèmes selon deux sous-‐ensembles : les thèmes en
lien avec le concept général de soins palliatifs, d’une part et les thèmes en lien avec les
applications concrètes vécues par les médecins au quotidien dans leurs prises en charge de
patients en fin de vie, applications qu’ils expriment comme étant des soins palliatifs.
Thèmes issus des
relevés
Extraits de verbatim
LE CONCEPT DE SOINS PALLIATIFS
Soins
annonciateurs de
mort
Les soins palliatifs
interviennent quand
le pronostic est fatal.
Les soins palliatifs
évoquent le décès
imminent.
Les patients
redoutent les soins
palliatifs.
« quand on sait qu’il n’y a pas d’issue. » (3)
« je pense que les soins palliatifs c’est une annonce assez
redoutable car elle veut dire qu’a priori on ne fait plus de
traitement pour que le pronostic vital puisse être a priori
amélioré » (2)
« soins palliatifs… sous entendu… ça va se terminer » (7)
« Palliatif pour eux c’est un peu raide quand même. Palliatif
c’est vraiment la mort » (9)
Humilité Les soins palliatifs
sont humbles.
« malheureusement le diagnostic ne nous appartient plus »
(2)
Soins de confort Les soins palliatifs
sont des soins de
confort.
A propos de l’explication donnée à l’évocation des soins
palliatifs : « maintenant il faut lui assurer un maximum de
confort pour les jours, semaines ou mois qu’il lui reste à
vivre » (8)
158
Les soins palliatifs
traitent les
symptômes sans en
chercher la cause.
« palliatif c’est encore une fois, essayer de traiter les
symptômes sans obligatoirement aller chercher les
causes »
(4)
« qu’est-‐ce qu’on appelle soins palliatifs, c’est de toute
façon que la personne ne souffre pas, qu’elle soit au
mieux… » (11)
Accompagnement
et apaisement
Les soins palliatifs
c’est accompagner et
apaiser.
« On parle de soins d’accompagnement » (9)
« L’idée pour moi est plus d’apaiser plutôt que de faire
partir » (9)
« on est dans quelque chose qui est (…) la recherche d’un
confort maximum pour le patient » (10)
Spécialité
hospitalière
Les soins palliatifs
sont un service
hospitalier.
« c’est ce qu’ils ont instauré en milieu hospitalier » (11)
« le terme de soins palliatifs pour moi c’est un service
hospitalier spécialisé » (11)
APPLICATIONS CONCRETES DES SOINS PALLIATIFS
Coordination et
proximité
Les soins palliatifs
assurent une
coordination des
soins de fin de vie.
« sur le secteur j’ai fait appel à l’ équipe mobile de soins
palliatifs ambulatoire de l’hôpital de X avec qui on travaille
en coordination » (6)
A propose de l’équipe mobile de soins palliatifs ambulatoire :
« je trouve que c’est bien ça. En terme de proximité » (6)
Difficulté d’accès Les soins palliatifs
sont une spécialité
difficiles d’accès.
« Alors les équipes de soins palliatifs existent… mais
quelque fois c’est difficile… La notion que j’ai c’est que c’est
difficile d’y accéder » (9)
Prise en charge
psychologique
La prise en charge
psychologique est un
point important des
soins palliatifs.
« et surtout la supériorité c’est qu’il y a une psychologue »
(6)
Soutien du
médecin
généraliste grâce
la
pluridisciplinarité.
Les équipes
pluridisciplinaires de
soins palliatifs sont
un soutien pour les
médecins
généralistes.
« on se retrouve avec l’infirmière, les kinés… pour tout le
monde c’est plus facile » (3)
159
L’expression du ressenti vis-‐à-‐vis des soins palliatifs, et du vécu de leur application
dans la prise en charge au quotidien des patients en fin de vie, nous permet ici d’avancer
que les représentations des médecins généralistes sont guidés à la fois par le sens qu’ils
attribuent à cette discipline et par les contacts qu’ils entretiennent ou non avec les équipes
existantes. Ainsi, les médecins généralistes interrogés se présentent comme faisant ou non
des soins palliatifs alors que tous accompagnent des patients en fin de vie. Nous pouvons
également affirmer au travers de cette analyse que la définition des soins palliatifs reste
relativement floue pour la plupart d’entre eux. Plusieurs annoncent « faire des soins
palliatifs » mais l’examen de leur récit de prise en charge ne résiste pas aux définitions que
nous avons présentées dans la première partie de notre travail. Il reste bien évident que cela
n’empêche pas les médecins d’accompagner des patients en fin de vie et de proposer des
prises en charge de qualité. Peut-‐être parce que toutes les fins de vie ne sont pas complexes,
et qu’elles ne nécessitent pas toutes de soins palliatifs au sens des définitions de l’OMS7 ou
des définitions législatives1.
Les médecins généralistes, ne faisant pas référence à des équipes ou à des
professionnels de soins palliatifs connus, expriment une certaine incompréhension vis-‐à-‐vis
des soins palliatifs et ont souvent des difficultés à les définir. Nous retrouvons dans le
tableau précédent certains éléments constituant la définition des soins palliatifs mais elle est
loin d’être complète : la notion de décision collégiale ne revient que dans un entretien, la
notion de prise en charge globale est absente.
160
Comme pour chaque axe thématique ayant fait l’objet de réflexion et d’analyse, nous
proposons une branche qui complètera l’arbre thématique :
NOTION DE SOINS PALLIATIFS
RESSENTIS DU CONCEPT
Annonciateurs de la mort
Humilité
Soins de confort
Accompagnement et apaisement
Spécialité hospitalière APPLICATIONS VECUES
AU QUOTIDIEN
Coordination et proximité
Prise en charge psychologique
Dif�iculté d'accés
Soutien du médecin généraliste
161
3.2.3.8. Axe n°9 : LES REFERENCES SOCIETALES
Notre dernier axe thématique de réflexion s’est concentré sur un ensemble saillant
concernant les références sociétales auxquelles le médecin fait appel pour illustrer
l’expression de son vécu et de son ressenti.
Il s’agit d’une part des références culturelles (éducation, culture, religion) et d’autre
part des références législatives. Il est important de relever que nous n’observons que peu de
récurrences dans notre corpus sur ces références. Elles n’en sont pas moins signifiantes et
trouvent leur place parmi les thématiques mises en évidence au sein des émotions et des
sentiments exprimés. Cela est plus particulièrement vrai en ce qui concerne les références
législatives qui n’ont été abordés que par un seul informateur mais qui constituent un socle
extrêmement solide auquel il se réfère constamment tout au long de son récit.
Nous pensons intuitivement que cet axe tient une place beaucoup plus importante
dans la prise en charge par les médecins des patients en fin de vie, qu’ils n’ont bien voulu
l’admettre. Au sein des axes thématiques précédents, à chaque fois qu’il est fait référence
directement ou indirectement à la place du médecin, à son rôle, aux attentes de la famille et
du patient, à l’élaboration de concepts, nous percevons clairement l’importance des
influences culturelles.
Nous illustrons notre propos avec les relevés de thèmes et des extraits de verbatim.
REFERENCES SOCIETALES
La force de la
loi
La prise en charge du
médecin est guidée par
les textes législatifs
« ça fait partie de l’information que l’on doit au malade
(…). C’est la fameuse loi Kouchner. C’est la loi du 4 mars
2002 » (8)
« ça c’est dans le code de déontologie, (…) le médecin ne
doit jamais véhiculer des paroles de désespoir » (8)
« il ne faut pas oublier qu’en médecine on a une
obligation de moyens… sur le plan responsabilité civile ou
déontologique on a une obligations de moyens »
« (…) d’après la loi (…) la loi Leonetti… » (8)
« De toute façon les deux piliers qui guident le médecin
pendant son exercice c’est la loi Kouchner (…) et puis le
162
code de déontologie. D’un côté le droit des malades, de
l’autre côté les devoirs des médecins » (8)
La place de la
culture
Le médecin prend en
compte la spiritualité du
patient.
Les décisions du
médecin sont
empreintes de sa propre
culture.
« même si on est athée, agnostique, on a quand même une
spiritualité, une philosophie, alors de temps en temps on
peut y faire une petite allusion, et leur dire (…) « vous
êtes croyant ? » (…) voilà on peut… » (8)
A propos du fait de parler de la mort avec un patient : « je
voyais ça plutôt un peu schématiquement dans la bouche
d’un curé ! … qui est plutôt là pour la paix de l’âme » (7)
Nous posons ci-‐dessous la dernière branche qui constituera l’arbre thématique :
REFERENCES SOCIETALES
La force de la Loi Les références culturelles
163
3.2.4. Construction de l’arbre thématique
L’étude transversale des relevés thématiques que nous venons de présenter propose
des regroupements de thèmes convergents, complémentaires voire opposés autour d’axes
de réflexion que nous avons déterminés grâce aux ensembles saillants.
A cette étape du travail, nous avançons dans la description des éléments de
l’expression du vécu et du ressenti des médecins généralistes dans leur prise en charge de
patients en fin de vie. Nous pouvons maintenant, à partir de ces axes thématiques et des
branches que nous avons constituées, envisager leur articulation au sein d’un arbre
thématique permettant également leur mise en perspective les uns par rapport aux autres.
L’arbre thématique devient un outil à la lecture et à la compréhension de l’expression
du vécu et du ressenti.
Nous proposons donc une représentation de cette expression à partir d’un tronc
commun figurant les émotions et les sentiments engendrés par la prise en charge de
patients en fin de vie. Ils sont l’expression même du vécu et du ressenti dans les discours
étudiés. Les branches de l’arbre ont vocation à réaliser une systématisation des émotions et
des sentiments ; elles sont le fruit d’une opération intellectuelle visant à les rendre
exploitables sur un plan scientifique.
Nous proposons deux niveaux de lecture de l’arbre que nous commenterons dans la
discussion :
• Dans un premier temps, nous appréhendons l’expression du vécu et du ressenti par
l’intermédiaire du tronc de l’arbre qui représente les émotions et les sentiments
ressentis dans la prise en charge de patients en fin de vie et qui peuvent être vécus
comme positifs ou comme négatifs.
• Dans un second temps, nous abordons la façon dont s’organisent les émotions et les
sentiments des médecins. Ce sont les branches de notre arbre : elles représentent les
thèmes autour desquels se cristallisent et se nourrissent les émotions et les
sentiments exprimés.
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165
Chapitre 4. DISCUSSION
A propos du sujet. Notre travail est le fruit d’une longue et intense analyse réflexive
de notre propre vécu et de notre confrontation à la fin de vie et la mort. Les éléments
déterminants dans le choix de notre sujet sont complexes et font intervenir à la fois notre
expérience professionnelle et personnelle mais également des conceptions et des
représentations que nous avons construites (et continuons à construire) à partir de
références culturelles, familiales, sociétales. Notre expérience de l’accompagnement de
patients en fin de vie a fait surgir ces représentations et a engendré des émotions et des
sentiments que nous avons souhaité appréhender. Nous souhaitions à ce stade comprendre
le fonctionnement propre aux médecins généralistes confrontés à la prise en charge de
patient en fin de vie.
La tâche s’est avérée ardue.
La revue de la littérature a été l’occasion de mettre en évidence, dans les travaux
étudiés, la présence permanente d’éléments concernant le vécu et le ressenti des médecins
généralistes dans ces prises en charge. Pourtant, nous n’y avons pas trouvé de réponses
nous aidant à comprendre le fonctionnement des médecins dans ces situations. Notre sujet
de thèse trouvait donc toute sa justification mais méritait d’être approfondi et précisé.
A propos de l’objectif. La première difficulté a été de définir notre objectif et notre
questionnement de recherche. Notre projet initial était clairement plus ambitieux. La
faisabilité de notre travail, limitée par l’ampleur du sujet, par notre inexpérience en
recherche qualitative, et par la contrainte du temps, nous a obligé, tout au long de sa
réalisation, à revoir régulièrement et à préciser petit à petit cet objectif.
Le choix de la méthodologie par analyse thématique nous a définitivement permis de
fixer cet objectif. Le niveau d’observation et de compréhension devait se limiter à
166
l’expression du vécu et du ressenti, d’une part, parce que le terrain ne nous permettait pas
d’accéder à plus, et d’autre part, parce que la compréhension de l’expression du vécu et du
ressenti s’est imposée comme un préalable à la compréhension du fonctionnement des
médecins.
A propos de la méthodologie. Avant de poursuivre sur les résultats de notre
enquête, il convient de discuter de la méthodologie mise en œuvre. Nous avons opté pour la
réalisation d’entretiens semi-‐dirigés avec des médecins généralistes. Pour la réalisation de
ces entretiens, nous avons respecté les références méthodologiques28,29,30 quant à la
constitution du groupe d’informateurs et du corpus. Nous avons tâché de respecter les
règles de l’entretien semi-‐dirigé, à savoir : une fois la présentation de l’objectif de l’entretien
précisée et la question initiale posée, nous avons laissé l’informateur s’exprimer librement et
n’avons utilisé les relances et les questions que dans le but de recentrer le propos autour des
rubriques que nous avions définies a priori dans la grille d’entretien. C’est à ce stade que
nous avons rencontré une difficulté. A la relecture des entretiens, nous devons reconnaître
que certaines de nos interventions ont été trop directives et orientées, biaisant ainsi les
réponses et limitant l’expression spontanée de l’informateur. L’attitude de l’enquêteur doit
être à la fois neutre et empathique et doit se débarrasser des idées pré-‐conçues ou des
jugements concernant l’informateur ou son propos.
Le deuxième écueil que nous avons souhaité éviter était celui de l’interprétation
hâtive. Nous rappelons que, dans l’analyse thématique, le premier objectif est la description
et la synthèse d’un corpus, en l’occurrence des entretiens réalisés. Cette analyse, non
dénuée d’interprétation, doit être retardée au maximum afin de pouvoir présenter des
résultats fidèles à la teneur des propos. La difficulté se situe lors de l’étape de thématisation
du corpus lorsque l’analyste crée les thèmes et en rédige les dénominations. Il est alors
constamment balancé entre, d’une part, la volonté et la nécessité de rester fidèle aux
données empiriques et, d’autre part, le risque de procéder soit à une classification qui ignore
la teneur du propos et ne fait que relever les sujets abordés vides de sens, soit à une analyse
interprétative de type analytique qui interprète, conceptualise voire théorise en s’éloignant
167
des données empiriques. Or, cette étape d’interprétation va au-‐delà de notre objectif qui est
de circonscrire l’expression du vécu et du ressenti des médecins.
A l’issue de notre travail, nous pouvons dire que notre inexpérience en matière
d’analyse thématique nous a contraint à une prudence lors de l’étape de thématisation en
continu. L’analyste-‐enquêteur, ayant un regard inévitablement marqué par ses propres
représentations, adopte une disposition analytique lors de l’étape de thématisation. « On ne
peut pas ne pas avoir de référents interprétatifs »28. Cette posture analytique intervient
donc dans la sélection des données et dans leur transposition thématique. Il s’agit de la
« sensibilité théorique et expérientielle » du chercheur28 (expérience subjective,
personnelle, intime et professionnelle), elle oriente toujours le regard de l’analyste et donc
sa facilité à trouver telle ou telle thématisation plutôt qu’une autre. Cela intervient en
particulier au niveau de la thématisation du corpus. Notre problème est sans doute d’être
resté trop empirique pour résister à la tentation d’interpréter trop tôt. Les thèmes dégagés
sont donc parfois plus proches d’énoncés phénoménologiques que de véritables
dénominations thématiques. Cependant, nous sommes parvenu, à notre sens, à échapper à
l’écueil inverse de nous contenter de classer les sujets abordés en nous éloignant du sens
des propos.
La validité de notre travail et de nos résultats s’appuie sur la diversité des
informateurs recrutés et des situations retranscrites tout au long des entretiens. Celle-‐ci
nous a permis d’assurer une relative saturation des données au fur et à mesure des récits de
prise en charge en fin de vie.
Nous voyons donc que la méthodologie choisie a occupé une place prépondérante
tout au long de notre travail. Celui-‐ci est construit autour d’une double démarche : un travail
de recherche à proprement parler mais également un travail d’apprentissage d’une
approche qualitative innovante du sujet. Celle-‐ci nous est apparue parfaitement adaptée à la
notion de prise en charge globale chère à la fois aux soins palliatifs et à la médecine
générale.
Ces précisions étant faites, nous abordons la discussion à propos des résultats qui
ressortent de notre enquête et de l’analyse que nous en proposons.
168
A propos des résultats de l’enquête de terrain. Les émotions et les sentiments
suscités par les prises en charge de patients en fin de vie sont l’expression même du vécu et
du ressenti des médecins généralistes confrontés à ces prises en charge.
Les émotions et les sentiments peuvent être ressentis de façon positive ou négative
par les médecins tout au long de la prise en charge. Nous avons mis en évidence la diversité
des émotions et sentiments générés ainsi que les nuances avec lesquels ils sont exprimés. La
prise en charge de patients en fin de vie créé également une ambivalence émotionnelle chez
le médecin. Avec les années, le médecin s’attache à ses patients, cet attachement est
exacerbé au moment de la fin de vie par le rapprochement qui s’effectue entre le patient, le
médecin et la famille. Ce rapprochement est à la fois physique, puisque le médecin multiplie
ses visites au patient, mais il est également émotionnel. La fin de vie est un moment
singulier où les émotions et les sentiments se cristallisent au sein des familles, que ce soit
dans la colère ou la révolte, dans le non-‐dit, ou encore dans l’attention qui est portée au
patient, dans les rapprochements familiaux ou au contraire dans les déchirements qui
s’opèrent. Personne ne reste indifférent à l’évolution de la situation et le médecin n’est pas
exclu de cette modification des rapports humains.
Les émotions et sentiments qu’il exprime à ce moment là peuvent être des
sentiments négatifs comme la tristesse, la souffrance, la douleur, parfois la révolte ou le
sentiment d’injustice. Certains d’écrivent même un processus de deuil pour eux-‐mêmes. La
prise en charge est alors vécue comme un poids qui peut être lourd à porter par le médecin.
Dans le même temps, le médecin exprime des sentiments qui s’avèrent relativement
positifs. L’attachement, même s’il est source de difficultés émotionnelles, est vécu le plus
souvent comme aspect positif de la prise en charge. Les médecins relatent également un
sentiment de satisfaction lorsqu’ils assument l’accompagnement du patient et de ses
proches jusqu’à la mort, ou lorsqu’ils réussissent à respecter la volonté du patient malgré les
difficultés rencontrées. Cela va même parfois jusqu’à un sentiment de fierté. Le corollaire du
sentiment de lourdeur de la prise en charge est celui de soulagement qui est parfois ressenti
et exprimé par le médecin au moment du décès. L’ensemble des nuances que nous
exprimons ici autour des sentiments et des émotions des médecins fait naître un souvenir de
la prise en charge qui est régulièrement décrit comme bon, même si les médecins semblent
gênés de garder un bon souvenir d’une prise en charge de fin de vie, marqués par des
169
références culturelles selon lesquelles la fin de vie et la mort doivent être tristes. Un autre
sentiment laissé par la prise en charge de la fin de vie est celui d’un enrichissement
personnel pour le médecin ; il tire cette richesse des relations intenses et intimes qu’il a
entretenu avec le patient et la famille et qui parfois perdure, avec celle-‐ci, au delà du décès
et de la prise en charge du patient.
Sur le plan professionnel, le médecin exprime régulièrement un sentiment de
solitude dans sa prise en charge. Ce sentiment est retrouvé également dans la littérature et
est souvent source d’étonnement de la part des commentateurs qui lui opposent le
développement des structures de soins palliatifs et des réseaux que le médecin semble
ignoré ou méconnaître. Nous expliquons ce décalage par le fait qu’il ne s’agit pas tant du
sentiment de solitude face à la prise en charge elle-‐même de la fin de vie ou aux difficultés
d’ordre technique ou médicale qu’elle pourrait poser. Il s’agit bien ici d’un sentiment de
solitude face à ses propres émotions, à leur ambivalence, à leurs nuances. Ce n’est donc pas
tant les équipes de soins palliatifs qui doivent se faire connaître auprès des médecins
généralistes. C’est plutôt la possibilité qu’elles ont d’être un soutien pour le médecin lui-‐
même dans sa confrontation avec une charge émotionnelle trop forte qui doit être mise en
avant.
Nous terminerons cette première partie de la discussion en abordant le sentiment
d’échec exprimé régulièrement par les médecins dans leur récit. Le sentiment d’échec
ressenti est complexe. Il peut tout d’abord concerner la mort au-‐delà de toute considération
de la prise en charge. Même s’il le sait et le verbalise, le médecin a du mal à se détacher de
ce qu’il lui a été enseigné tout au long de ces études, à savoir que la médecine est faite pour
guérir. La prise en charge de patients en fin de vie semble être l’occasion pour le médecin de
se rendre compte de l’illusion de cette toute-‐puissance. Notre propos n’est pas de dire que
les médecins se ressentent comme tout-‐puissants mais bien de relever que les médecins
généralistes sont inscrits dans une histoire de la médecine qui a véhiculé pendant des
années cette toute-‐puissance, et qu’il reste parfois difficile de se détacher de cette notion.
La mort du patient laisse, à ce moment-‐là, un sentiment d’échec qu’il est capable de
critiquer mais qui reste tout de même présent. Le sentiment d’échec est par ailleurs plus
fréquemment exprimé lorsque le médecin se fixe des objectifs relatifs à la fin de vie et qu’il
n’arrive pas à les remplir. Le plus souvent, il ressent un échec lorsqu’il ne réussit pas à offrir
170
au patient la prise en charge que celui-‐ci désirait, par exemple, en respectant son souhait de
rester au domicile. Il peut s’agir aussi du sentiment d’échec suscité par une prise en charge
qui ne se déroule pas comme le médecin l’aurait souhaité ou imaginé. Nous avons retrouvé
régulièrement cette idée dans les récits étudiés, lorsque le médecin se fixe comme objectif
de garder le patient au domicile parce qu’il considère que le domicile est, dans tous les cas,
le lieu le plus propice au décès. La réflexion avançant nous voyons que nous retrouvons ici
encore la notion de toute-‐puissance du médecin qui, déçue, entraîne le sentiment d’échec.
Les sentiments et les émotions engendrées par la prise en charge sont donc
complexes et nuancés, parfois opposés. L’expression du vécu et du ressenti du médecin à
travers ses émotions est prégnante. Pour autant, les émotions et les sentiments ne sont pas
exprimés d’emblée pour ce qu’ils sont mais ils sont exprimés au travers du récit de situations
vécues.
Dans les récits que nous avons étudiés, les sentiments et les émotions puisent en
effet leur origine dans cinq dimensions que nous avons concrétisées dans les cinq branches
principales de notre arbre thématique.
Ces cinq dimensions sont issues du regroupement, des articulations et des
interactions entres les axes thématiques que nous avons développés dans notre analyse
transversale.
Certains médecins expriment volontiers leurs sentiments et leurs émotions, non
seulement lors des entretiens, mais également dans leur relation avec les patients, les
familles, ou avec d’autres professionnels de santé. Les aspects relationnels constituent une
première dimension autour de laquelle l’expression des émotions et des sentiments nous
ont permis d’approcher l’essence du vécu et du ressenti du médecin dans ces situations.
Aussi, les sentiments peuvent être un moyen pour le médecin d’entrer en relation avec le
patient et la famille. Ces relations constituent un élément clé de la prise en charge. En
exprimant son ressenti auprès du patient et de la famille le médecin s’ouvre à eux, modifiant
la nature de cette relation. Ailleurs, les sentiments et les émotions sont volontairement
étouffés, cachés par pudeur, par mesure de protection mais aussi pour des raisons
171
professionnelles, certains considérant qu’il ne fait pas partie de leur mission de partager
leurs états d’âmes. Enfin, certains ne ressentiraient rien, étant, sur le plan émotionnel,
détachés de la souffrance qui leur fait face. A bien y regarder, il s’agit, ici, non pas d’absence
d’émotions, mais plutôt de distance prise par le médecin pour se protéger de quelque chose
qui semble le mettre en danger, le déstabiliser. Notre analyse de l’expression du vécu et du
ressenti relatifs à ces aspects relationnels a également mis en évidence que le vécu et le
ressenti du médecin avaient une influence sur la nature des relations. Celle-‐ci peut être
observée sous l’angle de l’autonomie des protagonistes. Comme nous l’avons montré, les
postures adoptées par le médecin dans sa relation au patient et aux familles impacte
directement l’autonomie de chacun. Nous avons vu, par exemple, que le médecin pouvait
décider de ne pas aborder avec son patient la mort ou la question du lieu de décès parce
qu’il ressentait le fait que le patient ne souhaitait pas en parler. Ailleurs, nous avons relevé le
ressenti d’un médecin qui explique devoir interpréter parfois ce que souhaitent ses patients,
ceux-‐ci exprimant l’inverse de leur volonté. Il ne s’agit pas pour nous de porter, ici, un
jugement quelconque sur une situation particulière mais bien de comprendre la complexité
des relations entre le médecin et son patient et la place du ressenti dans ces relations. Ces
relations, qui peuvent être qualifiées de paternalistes, remettent en cause, à un moment
donné et dans une situation donnée, l’autonomie que le patient a de décider pour lui-‐même.
Nous pouvons, à nouveau, avancer comme origine de ce type de relation et de ressenti, le
sentiment, encore ancré, de la toute-‐puissance médicale. En ce qui concerne les relations
avec les pairs ou les autres professionnels de santé, nous retenons dans cette discussion le
fait que les échanges avec les pairs constituent pour le médecin un moyen de verbaliser et
d’extérioriser leur vécu et leur ressenti par le partage des expériences. Les relations sont
alors un outil pour la gestion des émotions et des sentiments qui semble, au travers des
entretiens, salutaire pour le bien-‐être du médecin.
La deuxième dimension que nous souhaitons relever dans cette discussion, et autour
de laquelle se concentrent les expressions du vécu et du ressenti, est celle des concepts.
Nous avons regroupé dans notre arbre, sous cette dimension, l’axe thématique appelé « le
sens de la vie, à la fin », traitant de la conception qu’exprime le médecin de la mort et de la
fin de vie, et l’axe thématique traitant du lieu de décès. Ce dernier point a montré
l’importance de la conception qu’avait le médecin du lieu pour la fin de vie et le décès. Ces
172
axes sont donc le témoin de l’expression de représentations profondément ancrées, élevées
au rang de concepts, et servant, pour le médecin, de référentiels dans sa prise en charge de
patients en fin de vie. Le vécu et le ressenti du médecin sont profondément marqués dans le
discours par ces concepts qui peuvent être à l’origine de sentiments ou d’émotions vécus de
façon négative par le médecin. Le ressenti devient désagréable alors que son origine ne se
trouve pas dans la situation vécue mais dans l’inadéquation entre ce qu’il vit dans sa prise en
charge et la conception qu’il s’en était faite en amont. L’absence d’analyse réflexive sur ses
prises en charge prive, à notre sens, le médecin d’un regard qui lui permettrait de se
détacher voir de s’affranchir de ces concepts qui peuvent être source de souffrance pour lui-‐
même.
La troisième dimension que nous souhaitons aborder est relative aux expériences
vécues. Elle est également l’occasion de mettre en évidence des sentiments et des émotions
négatifs qui sont à l’origine de difficultés pour le médecin. Nous avons vu que dans un
certain nombre de cas, l’expérience est ressentie comme un poids du passé qui est, avec le
temps, de plus en plus lourd à porter par le médecin. Ce ressenti contraste avec le vécu de
l’expérience comme enrichissement permettant au médecin de se construire une carapace,
d’établir une distance ou encore d’apprendre à maîtriser et à utiliser ses émotions et ses
sentiments dans sa prise en charge, sans pour autant les nier ou les refouler. Notre travail
met en évidence que la possibilité de verbaliser et de partager constitue un moyen efficace
pour le médecin de réaliser une analyse réflexive de son propre travail. Il peut ainsi
relativiser l’impact du poids du passé et appréhender l’expérience sous l’angle d’une
ressource mobilisable à l’occasion de difficultés de prise en charge. Notons qu’une passerelle
vient de s’ouvrir entre la dimension relative aux aspects relationnels et celle, juste
envisagée, abordant les expériences vécues.
La quatrième dimension concerne la place et le rôle du médecin dans la prise en
charge. Nous parlons bien de la place et du rôle que s’attribue lui-‐même le médecin, ainsi
que de la place et du rôle que, selon lui, lui confèrent les patients, les familles, voire la
société. Nous retrouvons dans cette approche l’expression d’une ambivalence décrite plus
haut. Le médecin exprime des sentiments contradictoires en fonction de la place qu’il
s’attribue au sein de la prise en charge de patients en fin de vie. L’attachement qu’il a pour
le patient n’est pas vécu comme quelque chose de négatif quand le médecin accepte l’idée
173
qu’il peut faire partie de son rôle de médecin. Pour d’autres, cet attachement est négatif car
il ne relève pas du rôle du médecin mais plutôt de sa position d’Homme : il risquerait de
mettre en danger le médecin dans sa prise en charge. Dans ce deuxième cas de figure, la
place du médecin vis à vis du patient et de sa famille est une place distante, en retrait. C’est
cette ambigüité dans le rôle du médecin et la frontière floue entre sa fonction, forcément
impliquante, et sa position d’Homme, forcément touché, qui sont à l’origine de l’expression
d’un vécu et d’un ressenti prégnant dans les discours étudiés. Nous pouvons ici établir une
passerelle avec la dimension concernant les aspects relationnels. En effet, la place et le rôle
que s’attribue le médecin sont étroitement liés à la nature des relations qu’il entretient avec
ses patients.
Mais, la place et le rôle du médecin dans la prise en charge des patients en fin de vie
sont également liés à la notion que le médecin a des soins palliatifs. Il s’agit là de la
cinquième dimension de l’expression du vécu et du ressenti des médecins dans la prise en
charge de patients en fin de vie. Nous constatons ici à travers le vécu et le ressenti des
médecins que la notion de soins palliatifs est perçue généralement de façon incomplète :
nous retrouvons bien les notions de soins de confort et d’accompagnement mais ils
semblent souvent limités à un temps restreint précédent la mort, oubliant tout l’aspect
relatif à la prise en charge globale, à la collégialité ou à la prise en charge interdisciplinaire.
Le récit des applications quotidiennement vécues par les médecins est encore plus parlant
car il met le doigt sur la méconnaissance des structures locales et sur le fait que leur
accessibilité est ressentie comme difficile. Cependant, parmi les informateurs, ceux qui
connaissent et contactent régulièrement des professionnels de soins palliatifs en retirent
des éléments positifs et expriment un sentiment de soutien et d’aide pour eux-‐mêmes ainsi
qu’une plus-‐value pour la prise en charge du patient.
Nous avons relevé enfin une sixième dimension. Il s’agit du ressenti vis-‐à-‐vis des
référentiels sociétaux. Nous nous attendions, au début de ce travail à retrouver de façon
plus prégnante encore l’impact de ces référentiels dans l’expression du vécu et du ressenti.
Pourtant, les références à la culture, à la religion ou à l’éducation ont été assez rares dans les
entretiens que nous avons réalisés. Les quelques allusions n’en sont pas moins significatives.
Ceci fait écho à notre sujet de recherche relatif non pas au ressenti et au vécu directement,
mais bien à leur expression à travers le discours des médecins généralistes. Cela étant, nous
174
percevons intuitivement que les influences sociétales, qu’elles soient, culturelles, religieuses
ou éducatives, contribuent à façonner la perception par le médecin de la conduite qu’il doit
tenir et, par conséquent, sous-‐tendent l’expression du vécu et du ressenti de la prise en
charge de patients en fin de vie. Aussi, la place des références sociétales dans le vécu et le
ressenti des médecins généralistes pourrait faire l’objet d’une étude spécifique. Cependant,
si les références à la culture ne sont pas récurrentes dans notre corpus, nous avons relevé
que les références à la Loi, sont quant à elle présentes de façon significative. Ce n’est pas la
récurrence qui nous a permis d’établir un axe de réflexion à ce propos, puisqu’un seul
informateur aborde le sujet, mais bien la force et l’importance que la Loi prend dans cet
entretien. Nous relevons donc que la Loi peut être une ressource essentielle permettant au
médecin d’appuyer ses actions et ses décisions dans la prise en charge de patients en fin de
vie, lui permettant ainsi d’éviter les états d’âmes qui, comme nous l’avons vu, entretiennent
et sont entretenus par des représentations parfois erronées, sources de souffrance et de
difficultés. De la même manière que nous avons mis en évidence que les soins palliatifs,
quand ils sont compris et utilisés pour ce qu’ils sont, assurent un soutien au médecin
généraliste, nous pouvons avancer que la Loi est également un moyen pour le médecin de
mieux appréhender ses prises en charge et de mieux les vivre.
Avant de conclure notre travail, il nous appartient de mentionner un sujet qui, peu
abordé au cours des entretiens et des relevés de thèmes, n’a pas fait l’objet de pistes de
réflexions. Il s’agit des représentations concernant l’euthanasie. Nous avons tenté, en vain,
d’étudier les éléments signifiants du discours à ce propos mais force est de constater que
l’ensemble des données empiriques, en lien avec l’euthanasie, ont, d’une part, été peu
récurrentes, et sont, d’autre part, le fruit d’une sollicitation de l’enquêteur et non le résultat
d’un discours spontané, nécessaire à la mise en évidence de l’expression du vécu et du
ressenti des médecins. L’importance sociétale de l’euthanasie en fait par ailleurs un possible
sujet pour un travail spécifique qui pourrait étudier le vécu et le ressenti des médecins vis-‐à-‐
vis de la notion d’euthanasie.
175
CONCLUSION
L’approche de la fin de vie effectuée dans ce travail a été motivée par notre volonté
de demeurer au plus près de la pratique quotidienne des soins primaires en Médecine
Générale. Notre thèse présente cette prise en charge des patients à travers le regard des
médecins généralistes et nous permet ainsi d’appréhender et de comprendre leur vécu et
leur ressenti par l’expression qu’il en ont.
Nous avons mis en évidence, à partir de l’analyse thématique d’entretiens semi-‐
dirigés, les émotions et les sentiments engendrés par la prise en charge de patients en fin de
vie. Ils sont l’expression même du vécu et du ressenti des médecins généralistes interrogés.
Nous avons ensuite proposé une systématisation des émotions et des sentiments. Celle-‐ci
nous permet d’appréhender, dans un premier temps, leur diversité, leur complexité et leurs
nuances et de mettre en évidence l’ambivalence entre les sentiments et les émotions
ressentis de façon positive, ou ceux ressentis de façon négative. Dans un second temps,
nous avons abordé l’organisation des sentiments et des émotions en fonction de leurs
articulations et de leurs interactions au sein de dimensions thématiques évoquées par les
médecins.
Nous confirmons, par la mise en évidence de l’importance et de la complexité des
émotions et des sentiments exprimés, que ces prises en charge sont l’occasion pour le
médecin de se confronter à ses propres angoisses existentielles, même si elles ne
représentent qu’une petite part de son activité quotidienne. A travers l’expression du vécu
et du ressenti nous comprenons qu’au delà du médecin, c’est bien l’Homme qui est
confronté au sens de la vie et à sa fin, inéluctable.
Nous pensons également que les émotions et les sentiments mis en lumière
bousculent le médecin dans sa fonction et remettent en cause sa position dans la société, en
mettant à mal sa prétendue toute-‐puissance. Il apparaît, en effet, que le mythe de la toute-‐
puissance du médecin s’accommode mal de la prise en charge des patients en fin de vie
puisque, par hypothèse, la mort est un échec de la médecine. Or, soigner n’est pas
176
seulement guérir, comme en atteste la réflexion qui accompagne le développement des
soins palliatifs. Soigner, c’est, par définition, prendre soin, s’occuper d’une personne, de son
bien-‐être physique, psychique, social et spirituel14. En ce sens, prendre en charge un patient
en fin de vie fait partie de la mission du médecin, ce que chacun des informateurs
rencontrés s’accorde à dire, tout en exprimant sa difficulté à l’associer à l’exercice de son
métier tel qu’il lui a été enseigné.
Finalement, les prises en charge de patients en fin de vie sont pour le médecin
l’occasion d’être remis en question en tant que professionnel mais aussi en tant qu’Homme.
Les frontières entre ce qu’il est, ce qu’il fait, ce qu’il croit devoir faire, et ce qu’ont attend de
lui, deviennent floues et l’exposent à l’émergence de doutes, d’hésitations et de
questionnements.
L’essor actuel des Soins Palliatifs, ainsi que le développement de la discipline
Médecine Générale, doivent donc être l’occasion de donner aux médecins généralistes les
moyens de prendre conscience de cet aspect de leur prise en charge. La prise de conscience
et la compréhension du vécu et du ressenti du médecin sont un pré-‐requis essentiel qui
permettra de proposer des pistes de travail supplémentaires et renforcera les initiatives déjà
nombreuses relatives au développement des soins palliatifs en Médecine Générale. L’enjeu
n’est pas, uniquement, de développer des réseaux de soins palliatifs en ambulatoire mais
bien de permettre une évolution du mode de fonctionnement et de pensée des médecins
généralistes. Ces derniers se perçoivent encore souvent comme des acteurs de la prise en
charge, avançant sur le chemin voisin de celui emprunté par les soins palliatifs. Il s’agit bien
d’utiliser cette analyse pour renforcer les passerelles et les interactions entre ces deux voies,
dans le but d’améliorer la prise en charge du patient, mais aussi le vécu des Hommes qui ont
la charge de prendre soin de lui.
Les données sur le vécu et le ressenti, ainsi que l’interprétation que nous en
proposons, constituent, pour de nouvelles analyses qualitatives, par exemple linguistiques
ou psychanalytiques, une base de travail solide, issue des données empiriques.
Par ailleurs, nous avons relevé, dans nos résultats, l’absence de formation initiale en
soins palliatifs de notre groupe d’informateurs. Cependant, depuis plusieurs années, avec
l’essor de cette discipline, un enseignement spécifique s’est progressivement développé
177
dans la formation initiale des médecins40. Aussi, il sera intéressant d’étudier, dans l’avenir,
l’évolution de l’expression du vécu et du ressenti des médecins généralistes actuellement en
cours de formation, par le biais d’une nouvelle analyse thématique de leur discours sur leur
vécu et leur ressenti de la fin de vie.
Gageons que cette formation récemment mise en place aura les effets escomptés et
qu’elle saura guider le médecin dans ses choix et améliorer la prise en charge des patients en
fin de vie.
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