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La voix over dans le cinéma de François Truffaut Steven Wagner Analyse d’un extrait du film L’homme qui aimait les femmes (François Truffaut, 1977) en corrélation avec la problématique du voice-over ou doublage L’objet d’étude filmique sur lequel ce travail d’analyse se basera a été développé dans le cadre du colloque « Une autre voix, un autre texte », événement ayant eu lieu à l’Université de Lausanne entre le 25 et 27 avril, lors de la conférence donnée par Alain Boillat : « La voix enregistrée comme représentation. Pour une intégration du dubbing et du sous- titrage à un modèle théorique de l’énonciation filmique ». La conférence portait d’une part sur les diverses théories types de l’énonciation filmique développée autour des années 80 jusqu’à 1991, et d’autre part sur la perspective historique entourant la question du doublage ainsi que des débuts de réflexions concernant cette thématique. Le point qui nous intéresse concerne les modèles de traductions appliqués à ceux de l’énonciation filmique développés par Metz 1 , Casseti 2 ou encore Gaudreault 3 , plus précisément le terme de voice-over (au masculin), qui concerne une voix synchronisée mais non synchrone (c’est à dire sans synchronisme voco-labial), se plaçant par dessus les paroles en voix in qui restent audibles. Le passage analysé provient du film français L’homme qui aimait les femmes 4 , à [42’53] jusqu’à [44’40]. Le protagoniste principal (interprété par Charles Denner) – en même temps narrateur – y évoque une histoire d’amour avec une femme sourde et muette. En plus de présenter plusieurs et différents niveaux d’énonciations, on y voit la voix over du narrateur homodiégétique se transformer en voice-over, à moins que cela ne soit le contraire ? 1 METZ, Christian : Le Signifiant imaginaire, Paris : Christian Bourgeois, 1977. 2 CASETTI, Francesco: D’un regard l’autre. Le Film de fiction et son spectateur, Lyon, PUL, 1990. 3 GAUDREAULT, André : Du littraire au filmique, Québec/Paris : Nota Bene/Armand Colin, 1999 [1988]. 4 L’homme qui aimait les femmes, François Truffaut, 1977

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La voix over dans le cinma de Franois TruffautSteven Wagner

Analyse dun extrait du film Lhomme qui aimait les femmes (Franois Truffaut, 1977) en corrlation avec la problmatique du voice-over ou doublage

Lobjet dtude filmique sur lequel ce travail danalyse se basera a t dvelopp dans le cadre du colloque Une autre voix, un autre texte, vnement ayant eu lieu lUniversit de Lausanne entre le 25 et 27 avril, lors de la confrence donne par Alain Boillat: La voix enregistre comme reprsentation. Pour une intgration du dubbing et du sous-titrage un modle thorique de lnonciation filmique. La confrence portait dune part sur les diverses thories types de lnonciation filmique dveloppe autour des annes 80 jusqu 1991, et dautre part sur la perspective historique entourant la question du doublage ainsi que des dbuts de rflexions concernant cette thmatique. Le point qui nous intresse concerne les modles de traductions appliqus ceux de lnonciation filmique dvelopps par Metz[footnoteRef:-1], Casseti[footnoteRef:0] ou encore Gaudreault[footnoteRef:1], plus prcisment le terme de voice-over (au masculin), qui concerne une voix synchronise mais non synchrone (cest dire sans synchronisme voco-labial), se plaant par dessus les paroles en voix in qui restent audibles. [-1: METZ, Christian : Le Signifiant imaginaire, Paris : Christian Bourgeois, 1977.] [0: CASETTI, Francesco: Dun regard lautre. Le Film de fiction et son spectateur, Lyon, PUL, 1990.] [1: GAUDREAULT, Andre : Du litteraire au filmique, Quebec/Paris : Nota Bene/Armand Colin, 1999 [1988].]

Le passage analys provient du film franais Lhomme qui aimait les femmes[footnoteRef:2], [4253] jusqu [4440]. Le protagoniste principal (interprt par Charles Denner) en mme temps narrateur y voque une histoire damour avec une femme sourde et muette. En plus de prsenter plusieurs et diffrents niveaux dnonciations, on y voit la voix over du narrateur homodigtique se transformer en voice-over, moins que cela ne soit le contraire? [2: Lhomme qui aimait les femmes, Franois Truffaut, 1977]

Dans tous le cas, on peut observer un croisement entre ces deux catgories avec une instance de doublage exhibe lcran et des modes de manifestations qui sont le sien lintrieur du film[footnoteRef:3], lorsque Charles Denner double le discours de la jeune femme, en raison de la difficult parler de cette dernire et qui est lie son handicap sonore. Il est intressant de voir que, comme la signal Alain Boillat dans son intervention et concernant dautres extraits de film, il sagit dune voix over masculine en supriorit discursive sur une voix in fminine[footnoteRef:4]. On pourrait galement parler dun doublage ayant deux sources narratives (dont une nayant pas dorigine voco-labial): la voix in de la jeune femme, ainsi que le langage de ses mains, langage des sourds. De plus, on serait tent dadmettre que cette transcription exclue un enchssement narratif d une surimpression sonore, tant donn que le rle de la voix-over dans le cas prsent est de traduire un discours donn afin de le rendre audible nous spectateur. Toutefois, il ne sagit que dun court instant, et la voix-over nest pas uniquement motive par la volont doffrir une traduction au spectateur, car lutilisation de la troisime personne du singulier (elle) est maintenue. Il ny a pas de transition la premire personne du singulier (je), qui signifierait un glissement du foyer narratif et un doublage tel que conu par les traductologues[footnoteRef:5]. Ce doublage ne sagirait que dun niveau dnonciation supplmentaire et sajoutant aux prcdents. [3: Alain Boillat, Colloque Une autre voix, un autre texte, 2013. ] [4: SILVERMANN, Katia : The Acoustic Mirror, The Female Voice in Psychoanalysis and Cinema, Bloomington, Indianapolis, Indiana University Press, 1988. ] [5: FORGES Germaine et BRAUN Alain: Didactique des langues, traductologie et communication, Paris, Bruxelles: De Boeck Universit, 1998]

En effet, au dbut de la squence, nous pouvons apercevoir le protagoniste devant sa machine crire. Le statut du narrateur est alors homodigtique: il fait parti du rcit, en est mme le personnage principal. La temporalit est au prsent, nous sommes en focalisation interne: nous entendons les penses de Charles Denner en mme temps quil crit. Cette voix-over a comme pour fonction de nous raconter lhistoire. Le plan suivant nous montre une femme, en train de dactylographier les paroles du narrateur. Le traitement de la temporalit rencontre un changement: nous sommes dans le futur, aprs que ces paroles aient t couches sur papier. Le foyer de focalisation change galement car nous ne sommes plus dans lesprit de Charles Denner, mais dans celui de la femme devant sa machine crire. Un troisime changement de plan, o nous voyons lcran voluer le narrateur dans le rcit quil couche sur papier, nous fait rentrer dans un troisime niveaudnonciation et de temporalit: celui du pass. Nous vivons en direct son discours, qui a un degr demprise largi sur le rcit et limage: tout est fusionn. La voix over fait alors office de raccourci temporel, ayant pour effet une structure narrative disperse car entrainant une fragmentation de laction. Sajoute alors finalement une dernire strate (bien que furtive en raison de sa courte dure, moins de 10 secondes), celle du doublage de la jeune femme sourde-muette par Charles Denner. Cette dliaison constate dans ce dernier niveau dnonciation filmique rejoins alors les questions souleves par Alain Boillat lors de son intervention au colloque Une autre voix, un autre texte, notamment celles concernant linscription de la pratique de la traduction audio-visuelle dans une problmatique dnonciation filmique, o il est question de la classification de la voix-over ou voice-over dans une catgorie ou une autre.